Le français et le latin aux XIIIe-XIVe siècles: pratique des langues et pensée linguistique
Le Lièvre, F. (2012) : « “Le bon accent anglais, c’est celui du dictionnaire”, in...
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« Le bon accent anglais, c’est
celui du dictionnaire »
Représentations et perceptions de l’accent anglais en
France : la prégnance de la norme Françoise Le LièvreCirhill, Lalic, Université Catholique de l’Ouest [email protected]
Introduction :
Ces dernières années, peu de travaux sociolinguistiques, hormis
ceux de Fries et Deprez (Fries et Deprez, 2003) ont porté sur
la perception et la réception des pratiques linguistiques
variées de l’anglais, c’est-à-dire sur la dimension
représentationnelle de la variation en anglais. Cet article
s’intéresse à ce champ encore peu exploré en traitant des
représentations et des perceptions de la variation en anglais
chez des étudiants en première année à l’université, à partir
d’une étude des accents de l’anglais.
L’accent sera considéré comme « partie émergée de la
variation » pour reprendre les termes de Véronique Castellotti
(Castellotti, 2006 : 02). S’intéresser à la variation du point
de vue des représentations semble primordial puisque les
représentations sont une notion centrale en didactique des
langues et qu’elles apparaissent fondamentales et responsables
de certaines attitudes méthodologiques, de certains
comportements langagiers et de certaines attitudes
d’apprentissage. L’intérêt du recours aux représentations
réside dans le fait qu’elles nous aident à penser des
phénomènes sociaux, qu’elles sont des éléments de médiation
1
entre le monde et nous et qu’elles permettent de penser et
d’interroger nos propres présupposés. Comme l’ont montré
Véronique Castellotti et Danièle Moore (Castellotti, Moore :
2001), il n’y a ni bonnes, ni mauvaises représentations.
Cet article n’a d’autre ambition que de présenter quelques
pistes de réflexion qui n’en sont qu’à l’état embryonnaire et
qu’il conviendrait d’étayer par des enquêtes plus poussées. Les
réflexions et les résultats présentés ont pour objectif de
parvenir à cerner de grandes tendances concernant un certain
type de public dans un contexte particulier. Dans un premier
temps, je présenterai les témoins qui ont participé à l’enquête
de même que la méthodologie à laquelle j’ai eu recours pour
accéder aux représentations des étudiants. Avant de présenter
les résultats de mon travail, je procéderai à une
contextualisation sociolinguistique mais aussi didactique en
traitant du cadre macro et micro qu’il convient de prendre en
compte pour mieux appréhender certains phénomènes observés.
1. Choix méthodologiques
1.1 Une enquête sociolinguistique multifocale
Les résultats présentés dans cet article sont le fruit d’un
travail mené dans une optique ethno-socioliguistique au sens
que lui donne Philippe Blanchet dont les recherches sont
nourries de son expérience personnelle couplée à sa
connaissance du terrain. (Blanchet, 2000). J’ai ainsi eu
recours à un corpus « sollicité » dans le sens que j’ai mené
2
des entretiens de type semi-directif pour comprendre la
« logique linguistique » de mes témoins. Les entretiens ont
tous été enregistrés, les étudiants qui avaient bien voulu se
porter volontaires se voyaient proposer une rencontre de trente
minutes, soit individuellement, soit par groupes de deux ou
trois. Je leur indiquais que je souhaitais connaître leur avis
sur les langues et sur leur apprentissage. Lors des entretiens,
j’ai choisi d’adopter, pour reprendre les termes de Jacqueline
Billiez et Agnès Millet, une « attitude compréhensive » et
« une écoute bienveillante » (Billiez, Millet 2001: 41). J’ai
aussi eu recours à un corpus « non-sollicité » constitué par
mes propres observations, en tant que chercheur, en tant
qu’enseignante d’anglais, en tant qu’ancienne étudiante
angliciste mais aussi en tant que citoyenne française. Ce
corpus est enrichi par des propos entendus dans mais aussi hors
de la classe (de façon informelle) et dont la valeur
informative n’est pas à négliger dès lors qu’il s’agit de
pouvoir accéder aux représentations des langues.
Enfin, l’observation de documents officiels est intervenue dans
la constitution de mon corpus. Ces différentes formes
d’approches et d’observations sont des « objets » différents
mais complémentaires et le fait de travailler en association
était délibéré puisque cela me permettait de pouvoir croiser
des observables.
1.2 La répartition des témoins
3
Les étudiants interrogés lors de l’enquête proviennent d’un
même environnement institutionnel, à savoir l’Université
Catholique de l’Ouest à Angers où je suis en charge des
enseignements linguistiques à destination des étudiants non-
spécialistes (L1/L2 anglais, espagnol, allemand). Au moment de
l’enquête, les étudiants étaient tous âgés d’une vingtaine
d’années et venaient d’intégrer la première année de leur
cursus à l’université. Du point de vue des enseignements
linguistiques, les étudiants se repartissent en deux
catégories. Ma première cohorte-témoin était constituée par des
étudiants spécialistes en anglais, des anglicistes. Notons
d’ailleurs que les cursus linguistiques sont suivis, dans une
très large majorité, par un public féminin. Ces étudiants sont
considérés comme des « bons en langues » dans le contexte
étudié ; la plupart du temps, ils sont engagés dans un
apprentissage trilingue (selon la terminologie utilisée dans
l’institution). Ils apparaissent, alors, non pas seulement
comme des spécialistes de l’anglais mais aussi comme des
spécialistes « des langues ». En ce qui concerne l’anglais, ils
se voient proposer un apprentissage très fortement
métalinguistique, pensé en constante relation avec le français,
avec des activités de thème, de version, de grammaire mais
aussi de littérature et de civilisation. Comme j’ai pu le
constater lors d’échanges avec eux, ils ont, pour la plupart,
des pratiques plurielles de l’anglais hors de la classe. Si je
devais caractériser ce qu’est l’anglais pour la majorité
d’entre eux, je dirais que c’est une vraie langue seconde
puisque l’anglais fait partie de leur répertoire langagier
4
« régulier », le plus souvent hors de la classe d’ailleurs,
puisque paradoxalement beaucoup ont déclaré utiliser peu
l’anglais dans la classe ! (Le Lièvre, 2008 : 239-240)
Le deuxième groupe d’étudiants se compose de non-spécialistes
en langues engagés dans des cursus autres que linguistiques
(tels que Mathématiques, Education, Communication, Biologie).
Ces étudiants sont très souvent catégorisés par l’institution
comme ne parvenant pas à apprendre efficacement et correctement
l’anglais. Officieusement l’institution – au sens large du
terme – catégorise ces étudiants comme des « pas bons en
langues ». Différents propos entendus, donnent d’ailleurs à
penser que ces catégorisations vont jusqu’à influencer leurs
propres représentations de leur compétence linguistique.
Contrairement aux spécialistes, les non-spécialistes ont,
généralement, moins de contacts avec la langue hors contexte
scolaire. Ils témoignent très souvent du fait que de leurs
pratiques de l’anglais sont peu développées et leur expérience
de la pluralité assez faible. Je dirai que l’anglais est, pour
ces étudiants-là, une langue étrangère voire, dans certains
cas, une langue « très étrangère ». En matière d’enseignement
linguistique, les non-spécialistes se voient proposer à leur
entrée en première année un cursus de type communicatif1 où
1 L’enseignement-apprentissage des langues en milieu scolaire semble constamment tiraillé entre apprentissage normatif ou communicationnel (Castellotti et Moore, 2005 : 107). En effet, le paradoxe qui se pose à l’institution scolaire est de parvenir à articuler la tradition française fortement « méta » proposée par l’institution éducative et l’aspiration très largement répandue dansles représentations générales qu’un apprentissage réussi viserait l’acquisition d’un bilinguisme proche de celui du natif.
5
l’on cherche à reproduire les conditions du nativisme dans la
classe avec des cours de langue généraux, qui ne recourent pas
explicitement à la traduction et qui incluent des activités de
« conversation »2.
. Le choix de ces deux profils différenciés pour mener l’enquête
n’était pas anodin puisque les deux groupes d’apprenants n'ont
ni les mêmes parcours, au moins partiellement, ni les mêmes
compétences, ni les mêmes besoins linguistiques. Je considère
que leur rapport à la langue, de même que leurs pratiques, qui
diffèrent par certains aspects, peuvent les inscrire dans un
rapport différent aux langues. Il s’agissait alors de repérer
si ces différences de cursus, de profils, de contacts avec la
langue participent de représentations et perceptions
différentes de ce qu’est « le bon accent anglais ».
1.3 Organisation et buts de l’enquête
Mon enquête visait à obtenir une définition de la « bonne »
norme en anglais telle que les étudiants se la représentent.
Pour ce faire, j’interrogeais les étudiants avec une question
toute simple qui était : « Le bon accent anglais, c’est quoi
pour vous ? ». Puis, dans un deuxième temps, je plaçais les
2 Cette organisation curriculaire fait écho à l’idée très largementrépandue qu’il s’agirait de recréer les conditions d’appropriationdu natif, en tentant d’avoir recours à des simulations de situationsauthentiques. Dans cette optique, la langue maternelle est conçuecomme devant être totalement évacuée de la classe de langue à causede son rôle jugé perturbateur et « le bain linguistique » apparaîtcomme la meilleure façon d’oublier la langue maternelle en la noyantdans le nativisme (Castellotti, 2001)
6
étudiants (spécialistes et non-spécialistes) en présence de
différents accents de l’anglais pour recueillir quelles
caractérisations étaient jugées légitimes ou illégitimes dans
le but d’activer des appréciations ou des jugements sur la
variation en anglais.
Au début de l’enquête, l’un de mes présupposés était que les
spécialistes, de par leur expérience plurielle de l’anglais,
auraient probablement une plus grande ouverture à la variation
de même qu’une plus grande expertise quant à la reconnaissance
des différents accents de l’anglais. J’avais, au préalable,
procédé à des enregistrements de différents locuteurs lisant un
texte en anglais. Ces locuteurs laissaient entendre des accents
de l’anglais « natifs » et pour d’autres, des traces de parler
comportant de l’hétérogénéité. Mes enregistrements
présentaient donc des accents de l’anglais de locuteurs de
diverses origines, ce que je résume dans le tableau ci-
dessous :
TABLEAU cf document ci-joint
Les résultats obtenus lors de l’enquête doivent être lus à la
lumière du contexte sociolinguistique et didactique français
dans lesquels l’anglais occupe une place tout à fait
particulière qu’il convient de décrire. Je considère en effet
que les langues sont des objets sociaux, des phénomènes
contextualisés c’est-à-dire que les langues ne peuvent être
séparées de leur milieu puisqu’elles en font partie intégrante.
Le « milieu » ou « contexte » est une métonymie puisque le
7
terme recouvre et englobe aussi bien les personnes, que les
relations entres les personnes, le cadre institutionnel dans
lequel le travail a été menée, de même que le cadre national ou
international. Pour les besoins de la démonstration, je
séparerai artificiellement les différents éléments de
contextualisation (sociolinguistique et didactique) mais il
apparaît clairement que ces différents paramètres
s’influencent, qu’ils sont co-construits et qu’ils se co-
construisent mutuellement.
2. Spécificités des contextes sociolinguistique etdidactique
Je vais, dans cet article, décrire différents paramètres en
m’attachant aux spécificités françaises. Il conviendrait
cependant de s’intéresser aux mêmes types de phénomènes dans
des pays proches tels que l’Allemagne dont la relation à
l’anglais, sous différentes formes, montre des points de
comparaison avec la situation française (Jahan, 2008)
2.1 La France n’est pas un pays comme les autres
En France, l’attachement à la langue est indéniable. La France
est un pays de forte tradition unilingue où langue et nation
sont étroitement associées du fait que l’unité politique est
passée par l’unification linguistique et du fait que
8
l’unification linguistique du territoire s’est faite à la seule
faveur du français. Le dispositif représentationnel français,
lié à la construction identitaire et national du pays est
organisé autour d’une idéologie unilingue dominante. Comme l’a
montré Henri Boyer, l’unilinguisme présente deux aspects
complémentaires qui se résument selon deux idées fortes. La
première est la négation de toute concurrence de la langue
nationale. La deuxième est la négation de toute déviance par
rapport à l’usage légitime. Notons d’ailleurs que ce combat
pour éradiquer toute déviance s’accompagne d’une « obsession de
l’uniformatisation de l’usage de la langue » (Boyer, 2001 :
385 ). Par capillarité, la langue française apparaît alors
comme une entité normée, contrainte, figée et comme le note
Philippe Blanchet :
« Le français est perçu [...] comme une langueunifiée, immuable dans le temps, l’espace, lasociété, les usages, exempt de variation, demélanges, d’hétérogénéité. [...] Dès lors, êtremonolingue en français normatif écrit selon uneunique norme grammaticale, lexicale et orthographiqueserait normal, voire souhaitable. » (Blanchet, 2007 :np)
2.2 L’anglais n’est pas une langue comme les autres
L’anglais n’est pas une langue comme les autres dans le monde
du fait de son haut degré d’insertion dans de nombreux pays,
jamais aucune autre langue auparavant n’a connu un tel degré de
9
diffusion. Pour David Graddol3 (Graddol, 2000 : 3), cette
situation est absolument sans précédent, dans le sens que la
langue est parlée par un nombre très important de locuteurs et
qu’elle est utilisée pour accomplir des tâches multiples et
variées dans une multiplicité de contextes. Si l’anglais n’est
pas une langue comme les autres dans le monde elle est encore
moins une langue comme les autres en France. Même si
aujourd’hui, en France, dans les représentations générales, il
semble que l’anglais renvoie autant, si ce n’est plus, aux
Etats-Unis qu’à l’Angleterre les représentations sur
l’Angleterre, l’anglais et les Anglais sont encore très
présentes et très marquées par la relation de proximité
qu’entretiennent les deux pays depuis plus d’un millénaire.
L’Angleterre, pays si proche et si lointain pour les Français,
reste un lieu mystérieux qui fascine et qui dérange. Comme le
souligne François Poirier, la relation franco-anglaise est
« [...] unique, chargée de passions, lourde de sa densité et de
son ancienneté [...] » (Poirier, 1994 : 35).
Enfin, l’anglais n’est pas une langue comme les autres en
France du fait des nombreuses fonctions sociales et
idéologiques qu’il occupe aujourd’hui. Les nombreuses
fonctions, les différents statuts font que l’anglais en France
est un objet multiple (Le Lièvre, 2008). Tous ces éléments
semblent participer d’une relation « française » à l’anglais
3 « There has never been a language so widely spread or spoken by somany people as English. There are therefore no precedents to help ussee what happens to a language when it achieves genuine world status» (Graddol, 2000: 3).
10
que je qualifierai d’ambivalente dans le sens que le rapport
« français » à l’anglais semble fait de fascination et de
défiance, ce qui n’est pas sans conséquence dans la classe de
langues où l’on peut observer des phénomènes de mise à distance
ou même de rejet parfois.
2.3 La classe n’est pas un lieu comme les autres
De nombreux auteurs se sont exprimés sur la spécificité de la
classe de langue et sur l’objet tout à fait particulier que
constitue la langue étrangère en tant qu’objet d’étude mais
aussi d’acquisition (Candelier, 1995 : 59 ; Castellotti, 1997 :
227). De plus, comme l’ont souligné Véronique Castellotti et
Didier de Robillard, en France, la classe est « le lieu
privilégié d’imposition d’une norme commune et le creuset de
l’unification linguistique » (Castellotti et Robillard, 2003 :
32). Comme je l’ai déjà évoqué, le poids de la norme est
particulièrement prégnant en France et cette représentation
normée de la langue semble, le plus souvent, se transférer aux
langues étrangères et à leur apprentissage, ainsi que le
remarque Didier de Robillard à propos de l’anglais en
France lors d’une séance de questions à Claude Truchot :
« Le rapport au français est une matrice qui faitqu’on le transfère sur un autre objet » (Collectif,2005 : 183)
C’est ainsi que la plupart du temps, les
apprentissages linguistiques des langues étrangères continuent
11
encore à être envisagés comme devant parvenir à doter les
apprenants d’une compétence parfaite.
Ces différents paramètres nous conduisent à traiter de la
question de la norme en vigueur en ce qui concerne l’anglais.
Quelle norme de l’anglais est privilégiée en contexte scolaire
et universitaire ? Comment cela nous renseigne-t-il sur le
traitement de la variation en contexte scolaire ?
3. Quelle norme de référence de l’anglais en classe delangues ?
3.1 Le R.P : la norme « officielle » ?
En contexte scolaire puis universitaire, le choix d’une norme
de référence se porte, le plus souvent, sur une seule variété
d’anglais. Je rappellerai que cette variété appelée « Received
Prononciation » ou encore « King’s ou Queen’s English » est la
variété des écoles prestigieuses ; elle n’est parlée que par
une très infime minorité de la population. Dans le système
français, aucune autre variété d’accent n’est jugée recevable
et, dès lors qu’un étudiant s’exprime avec un accent jugé
illégitime, il est pénalisé et se voit proposer une correction.
C’est ainsi que, lorsque j’étais étudiante, certaines de mes
amies qui avaient vécu de longues années aux Etats-Unis se
voyaient pénalisées parce que leur accent n’était pas jugé
« correct ». Pourtant , comme cela a été évoqué précédemment la
multiplicité des contextes, des usages et des formes font que
12
l’anglais, aujourd’hui, occupe des fonctions multiples dans des
aires géographiques variées. Le R .P apparaît donc comme une
variété d’anglais parmi tant d’autres4. C’est ainsi que
l’expansion de l’anglais et sa présence sur de nombreux
territoires font que, contrairement au français, il existe de
nombreux accents de l’anglais reconnus et acceptés. On pense à
l’accent des habitants de l’Inde, de l’Australie, d’Afrique du
Sud …. Claude Truchot parle, à ce propos, « d’éclatement de la
norme » en anglais (Truchot, 1990 : 40).
3.2 Un règne sans partage ou les prémices de changement ?
On remarque cependant que, lorsqu’on s’intéresse aux questions
d’accent telles qu’elles sont envisagées dans des concours
comme le CAPES et l’agrégation d’anglais, la lecture des textes
officiels nous renseigne sur le fait que la variation semble
aujourd’hui plus acceptée qu’auparavant ; ainsi dans la
conclusion du rapport de 2006 on lit :
« Nous tenons à rappeler ici qu’un tel résultatrésulte d’une préparation progressive et sérieuse,seule garante d’une prestation finale convaincante. Ace titre, on ne saurait trop insister sur ce qu’ad’indispensable un séjour prolongé dans un paysanglophone. Le jury accepte d'ailleurs toutesvariétés d'accents (RP, irlandais, américain,australien...) pour peu qu'elles représentent unmodèle authentique et cohérent. » (2006 : 153)
Il convient cependant de nuancer les choses : une étudiante m’a
rapporté qu’elle a passé son CAPES d’anglais en 2005 alors
4 Il conviendrait d’ailleurs de s’interroger sur ce choix.
13
qu’elle rentrait d’Afrique du Sud et à la lecture de sa fiche
de notation elle pu se rendre compte que son « accent » avait
été pénalisé. Elle m’a même rapporté s’être entendu dire par le
jury :
« On accepte différentes variétés d’anglais, pas deproblème, mais pas l’accent cockney, faut pasexagérer, non plus. »
3.3 Un indice sociolinguistique
Ces quelques observations montrent que, dans le contexte auquel
je me suis intéressé, de même qu’à un niveau plus général,
cette « vision unifiante » de la langue (pour paraphraser
Didier de Robillard (Collectif, 2005 :183)), propre à
l’idéologie française, semble se déplacer vers l’anglais. A tel
point que cela me conduit à proposer l’idée de « norme
française de l’anglais » qui répond à des fonctions multiples
et variées en adéquation avec les attentes et le système
représentationnel français. Quelles sont ces fonctionnalités ?
3.4 Une norme « française » de l’anglais ? Ses fonctionnalités.
En France, il semble donc qu’il existerait encore assez
largement une seule norme recevable du « bon » accent anglais.
Ainsi, dans le domaine de l’enseignement, « le bon accent
anglais » est tenu comme un critère de qualité de
14
l’enseignement. C’est à la fois un critère d’évaluation, de
cohésion ou d’exclusion :
des enseignants entre eux5 ;
des élèves par les enseignants ;
des enseignants par les élèves ;
des Français vis-à-vis de certains anglophones.
En effet, il y a encore une dizaine d’années, des locuteurs
natifs, tels que des Ecossais, des Irlandais, se voyaient
attribuer de très mauvaises notes à l’oral de l’agrégation ou
du CAPES puisque leur accent n’était pas dans la norme admise.
Pourtant, et c’est là que la situation devient paradoxale, on
sait bien que certains enseignants dans les facultés d’anglais
ont des accents qui ne sont pas « linguistiquement corrects »
dans le sens qu’ils ne parlent pas tous avec un accent RP.
C’est ainsi que des étudiants dont l’anglais présentaient un
accent très « British » peuvent se voir proposer une
remédiation par leur enseignant qui, lui, présente une autre
variété d’accent, l’enseignant jugeant alors qu’il existe une
seule variété d’accent légitime, qui est d’ailleurs la sienne !
Pourtant, ces questions sociolinguistiques sont très rarement
thématisées ou didactisées et le plus souvent tout fonctionne
sur le mode de l’évidence ou du non-dit.
Les quelques éléments que je viens de présenter concernant
l’accent anglais me semblent avoir du sens dans la mesure où
5 Il n’est pas rare d’entendre les enseignants s’exprimer sur desquestions d’accent mais cela n’est jamais fait de façon officielleavec des buts didactiques précis.
15
ils sont transférables au contexte dans lequel les étudiants
spécialistes et non-spécialistes évoluent. Comment les accents
anglais sont-ils perçus par les étudiants qui ont participé à
l’enquête ? Dans un contexte scolaire et universitaire très peu
ouvert à la variation, quelles représentations de l’accent
anglais les étudiants ont-ils ? Les étudiants spécialistes et
non-spécialistes réagissent-ils de la même façon ? Il s’agira
de confronter les réponses obtenues quant à une norme théorique
du bon accent anglais et l’éventuelle reconnaissance de cette
norme définie comme légitime.
4. Représentations et perceptions : comment cela nous
renseigne-t-il ?
4.1 Une norme de l’anglais définie précisément
Interrogés sur l’accent anglais, les étudiants se déclarent
attachés à une norme : celle de l’accent anglophone tel
qu’ « il est parlé par les Anglais ». Une étudiante spécialiste
en fournit une description précise :
« Le bon accent anglais c’est celui qu’on ne comprendpas, le vrai accent c’est celui où on mélange la moitiédes syllabes, les phrases sont avalées, les mots sontétouffés, ils parlent vite. »
Une définition plus précise est fournie par une étudiante non-spécialiste :
« Le bon accent c’est celui d’un vrai Anglais, d’unepersonne née en Angleterre et qui a toujours parléanglais. »
16
Cette référence constante à l’Angleterre doit cependant être
interrogée puisque, comme je le remarque très souvent, dans
l’esprit de certains étudiants (et plus généralement des
Français) une grande confusion géographique règne : on parle de
l’Angleterre en excluant le Royaume-Uni, on ne sait pas très
bien ce qu’est le Royaume-Uni et de quelles nations il se
compose. Pour beaucoup de Français, l’Angleterre apparaît plus
comme un pays imaginaire que comme une réalité géographique aux
contours précis.
Pour en revenir aux propos recueillis, un adulte en formation
continue a fourni une définition encore plus intéressante à la
question « Qui a un bon accent, selon vous ? :
«Le bon accent, c’est celui des journalistes de la BBC,celui du dictionnaire, quoi ! »
Cet extrait fournit un bel exemple de la prégnance de la norme
écrite même à l’oral. On pense alors à ces enfants qui
déclarent parler en faisant des fautes d’orthographe. Pour bien
parler anglais il faudrait donc parler « comme dans un livre »
et ce livre ne serait pas n’importe quel livre puisqu’il
s’agirait du dictionnaire, dont nous savons qu’il constitue
pour les Français (avec la grammaire) l’un des piliers du
savoir métalinguistique comme l’a montré Sylvain Auroux
(Auroux, 1994).
Les étudiants ont aussi parlé de leur difficulté à comprendre
ce qu’il considère comme le vrai accent anglais : « Le bon accent anglais, c’est le plus difficile àcomprendre pour nous. »
17
Lors des entretiens, la difficulté à comprendre ce « bon accent
anglais » est très souvent évoquée. Les différents éléments qui
posent des problèmes de compréhension sont :
le rythme ;
l’intonation ;
les liaisons ;
les mots « mangés », qualifiés de mots « escamotés » ;
beaucoup des témoins interrogés parlent de la « bouillie »
que les Anglais ont dans la bouche ;
les phrases « avalées » ;
la prononciation « parce qu’elle est différente de
l’orthographe » ;
des critères physiologiques sont même avancés : « Ils
n’ont pas le gosier fait comme nous, où en tout cas ils ne
s’en servent pas comme nous ».
Autre remarque : une distinction est très souvent opérée entre
l’accent anglais authentique, « celui des vrais Anglais » et
celui des étrangers. L’accent anglais des étrangers en anglais
étant considéré comme plus facile à comprendre :
« L’accent des étrangers en anglais, c’est bien plusfacile à comprendre pour nous, justement parce qu’iln’y a pas l’accent anglais. Un Français qui parleanglais, c’est l’idéal pour nous parce qu’on comprendbien les mots. » (Etudiant spécialiste)
Les résultats obtenus semblent montrer, en premier lieu, que
les étudiants semblent tous très attachés à une forme d’anglais
18
assez normé, ils fournissent une définition « théorique » du
bon accent anglais qui semble inatteignable. Pour les
étudiants, il semblerait que le summum de l’accent anglais soit
celui de l’accent britannique qui apparaît comme « le plus
susceptible de servir de modèle à un apprentissage satisfaisant
de la langue » (Castellotti, 2006 : 2). Que de telles remarques
soient faites n’est pas surprenant puisque, comme nous l’avons
vu, une seule norme est, la plupart du temps, valorisée et
considérée comme acceptable.. C’est l’accent britannique qui
est considéré comme le modèle de référence et les étudiants
semblent influencés par le discours qui leur est tenu en
contexte universitaire. Comment se comportent les étudiants,
qui semblent tous très attachés à une forme d’anglais assez
normé, quand ils se trouvent confrontés à des variétés
différentes d’anglais ? Y a-t-il reconnaissance, acceptation ou
rejet de la variation ?
4.2 Les étudiants face à la variation : confusion etstigmatisation
Deux surprises de taille sont apparues lors de l’exploitation
des résultats. Tout d’abord, les étudiants reconnaissent mal
les accents : l’Américaine serait une Espagnole, le Chinois
serait un Français, l’Africain de langue maternelle peuhl
serait … une Anglaise. Deuxième surprise, l’accent anglais
présenté comme le seul et unique vrai accent anglais n’est
jamais authentifié par les témoins, et comble de l’ironie, il
est même ostracisé par les étudiants qui le décrivent comme
dérangeant !
19
Quant à l’accent français (quand il est perçu), il est
considéré comme totalement rédhibitoire, comme si par un effet
de miroir, il était totalement insupportable de s’entendre (ce
qui est en contradiction avec ce qui a été énoncé
précédemment). Avec certains étudiants, on assiste même à des
séances d’auto-dénigrement. L’accent français en anglais est
vécu comme extrêmement dérangeant. Il est associé à des
comportements négatifs, à une attitude laxiste. A.,
spécialiste, déclare ainsi :
« A. : Bah, c’est vrai que ce n’est pas évident.Déjà, moi, le Français je le mettrais vraiment àpart.
A. Ca fait même, je trouve, personne qui ne veut mêmepas faire d’efforts. C’est peut-être pas ça, mais quilit comme ça. Donc, je mettrais le Français à part etpuis tous les autres ensemble.
A. : Parce que je trouve, encore une fois je ne saispas si c’est parce que je suis française, mais jetrouve qu’il y a trop de différences entre l’accentanglais du Français et les autres accents anglais desautres personnes étrangères.
A: L’accent de la personne chinoise, finalement, …bahmoi, ça me dérangeait moins que l’accent français. »
4.3 Le « vrai » accent anglais : une norme fantasmée
Sans pouvoir systématiser, les deux groupes d’étudiants
semblent présenter le même type de représentations quant aux
accents de l’anglais, représentations qui semblent aussi en
20
adéquation avec celle du grand public comme j’ai pu aussi le
constater grâce à des propos recueillis avec des adultes en
formation continue. Quelle que soit la catégorie à laquelle ils
appartiennent les étudiants semblent avoir intériorisé une
définition précise du bon accent anglais. Pourtant cet accent
anglais est « fantasmé » puisque, comme je l’ai dit, des
erreurs grossières de reconnaissance sont courantes. Je
remarque aussi que dans l’imaginaire des étudiants, le fait
« d’avoir un accent » est associé à une mauvaise maîtrise de la
langue ; « si tu parles avec cet accent-là, tu parleras mal » –
déclarent certains étudiants. Comme me l’a précisé une
étudiante spécialiste « L’accent, c’est comme du patois. » Le
patois constituant, dans l’esprit de beaucoup, la plus basse
des conditions qu’une langue puisse occuper, comme l’a montré
Henri Boyer (Boyer, 1991 : 52-71).
Si je me bornais à considérer les accents comme une norme
linguistique, je dirais que la difficulté de reconnaissance des
accents de l’anglais n’est pas trop surprenante dans le cas des
non-spécialistes, puisqu’il serait alors possible de la relier
à leur manque de pratiques et de contacts avec différentes
variétés d’anglais. Dans le cas des spécialistes, cela est plus
surprenant, dans le sens qu’ils ont des pratiques multiples qui
devraient logiquement les conduire à une identification plus
aisée des accents de l’anglais, en particulier des accents
« natifs ». Le fait de considérer l’accent non plus d’un point
de vue seulement linguistique mais sociolinguistique ouvre
d’autres perspectives. La difficulté à reconnaître différents
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accents de l’anglais n’est-elle pas plutôt due à l’absence de
valorisation de l’hétérogénéité en contexte scolaire qui exclut
toute légitimation de la variation ? Le fait que les étudiants
spécialistes ne reconnaissent pas des accents variés de
l’anglais alors que dans leurs pratiques ils sont sensibilisés
à l’existence de la variation nous montre l’importance du cadre
didactique et la prise en charge de ce type de questions en
classe. Quand les étudiants déclarent que c’est l’accent
anglais qui est le « bon » accent anglais, celui qui devrait
servir de référence, ne reproduisent-ils pas le discours
entendu en contexte scolaire ? J’ai déjà eu l’occasion de
souligner l’importance et la prégnance du cadre scolaire quant
à la constitution de représentations très normatives. Comme le
notent Anne-Claude Berthoud, Laurent Gajo et Cécilia Serra :
« La culture éducative tout comme la culturelinguistique exercent un impact important sur lamanière de présenter la langue et, du coup, de se lareprésenter. » (Berthoud, Gajo, Serra, 2005 : 89)
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Remarques conclusives : des pistes didactiques et derecherche
Le travail mené a permis de mettre au jour plusieurs éléments
qui me semblent d’une importance primordiale et que je
considère constitutifs les uns des autres. Tout d’abord, le
fait que, dans le contexte décrit, l’emprise d’un système
représentationnel très normatif et d’une conception monolingue
de l’apprentissage des langues semblent prévaloir. Les
étudiants, comme je l’ai écrit, ont des idées et des
représentations sur les langues, la plupart du temps, très
unifiées alors que, dans le même temps, certains d’entre eux
ont des pratiques très variées mais ils restent prisonniers
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d’un cadre didactique très formel. Les étudiants envisagent
trop souvent encore les langues à travers le prisme des
conceptions monolingues et monocentrées dans lesquelles ils
évoluent scolairement. Dans le contexte décrit, certains
phénomènes didactiques et sociolinguistiques ne sont jamais
évoqués et pris en compte. Beaucoup de phénomènes propres à la
classe semblent aller de soi et fonctionner sur le mode de
l’évidence et du non-dit, ce qui n’est pas sans effets
induits : j’ai pu montré quelques paradoxes et ambiguïtés. Les
résultats recueillis montre que la variation apparaît comme une
dérive par rapport à la norme et comme un non respect de la
règle, ce qui ouvre de nombreuses perspectives en terme
didactique et en termes de recherche. Une réflexion menée
concernant les contradictions en matière d’enseignement
linguistique permettrait d’envisager différemment des questions
trop souvent vécues sur le mode de l’évidence concernant les
questions de norme et d’accent … pour ne citer que cet exemple.
Ces questions abordées de manière didactisée permettraient de
s’intéresser à la définition du bon anglais et à ce qu’elle
traduit de la construction théorique de la norme chez les
étudiants mais aussi chez les enseignants. Tenter une
didactique de la variation aurait aussi pour but de montrer aux
étudiants que l’anglais n’est ni une langue unifiée, ni un
objet monolithique. Ce travail a, en effet, non seulement
montré les effets que l’absence de prise en charge de la
variation peut avoir dans la classe mais aussi le réel manque
d’investissement de l’espace sociolinguistique occupé par
l’anglais. Ces questionnements, dans un effet de circularité,
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reviendraient à s’interroger sur ce qu’est une langue.
L’anglais est encore trop souvent vu et enseigné comme un objet
normé, homogène et unifié faisant écho en cela aux
représentations les plus courantes sur la langue. Il serait
pourtant possible de proposer une autre vision de la langue en
la considérant comme un ensemble de pratiques et de
représentations, ce qui serait alors beaucoup plus en
adéquation avec les différents statuts et fonctions de
l’anglais pour de nombreux étudiants.
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Note de l’auteur : « Np » pour « non paginé », cela concerne essentiellement lesrevues électroniques.
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