SBT-IM: Un Système à Base de Traces pour le calcul des’ indicateurs d’interaction dans Moodle
Le développement professionnel : quels indicateurs
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Questions VivesRecherches en éducation
Vol.5 n°11 | 2009Le développement professionnel : quels indicateurs?Jean-François Marcel (dir.)
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/questionsvives/82DOI : 10.4000/questionsvives.82ISBN : 978-2-8218-1082-2ISSN : 1775-433X
ÉditeurUniversité Aix-Marseille (AMU)
Édition impriméeDate de publication : 1 janvier 2009ISBN : 978-2-912643-35-3ISSN : 1635-4079
Référence électroniqueJean-François Marcel (dir.), Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009, « Le développement professionnel :quels indicateurs ? » [En ligne], mis en ligne le 26 janvier 2011, consulté le 04 novembre 2020. URL :http://journals.openedition.org/questionsvives/82 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsvives.82
Ce document a été généré automatiquement le 4 novembre 2020.
Questions Vives est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution -Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
SOMMAIRE
Dossier thématique
Investir l’objet « développement professionnel » par l’entrée « indicateurs »Jean-François Marcel
Le Sentiment d’Efficacité Professionnelle, un indicateur pour connaître le développementprofessionnel des « nouveaux » professeurs de l’enseignement agricole françaisJean-François Marcel
Les indicateurs temporels du développement professionnel des professeurs des écoles néo-titulaires : entre temporalité institutionnelle et temporalité personnelle ?Alexia Stumpf et Michel Sonntag
L’expérience du travail comme indicateur de développementEtude exploratoire dans l’activité de distribution postalePaul Olry
Quels indicateurs de développement professionnel en formation technologique supérieure ?Analyse de la coactivité en classeRaquel Becerril Ortega et Bernard Fraysse
Écriture réflexive et développement professionnel : quels indicateurs ?Alexandre Buysse et Sabine Vanhulle
La socialisation au travail comme indicateur de développement professionnel : analyse desapproches basées sur la mesureStéphane Martineau, Liliane Portelance et Annie Presseau
Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel dans les métiers adressés àautrui ?Thierry Piot
Note de synthèse
Les indicateurs de développement professionnelGwénaël Lefeuvre, Audrey Garcia et Ludmila Namolovan
Notes de lecture
Wittorski, R., Professionnalisation et développement professionnelParis : L’Harmattan, 2007Sylvie Fernandes
Piot, T., Marcel J.-F. & Tardif, M. (Eds.), Le travail partagé des enseignantsLes Sciences de l’Éducation Pour l’Ère Nouvelle, 42 (2), 2009Julie Blanc
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
1
Rubinstein S. L., Osnovy obshchei psikhologii (Les fondements de la psychologiegénérale). Professionnalisation et développement professionnelSaint Petersbourg : Piter, 2000Ludmila Namolovan-Stephan
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
2
Investir l’objet « développementprofessionnel » par l’entrée« indicateurs »Jean-François Marcel
Introduction
1 Le développement professionnel est actuellement l’objet d’un regain d’intérêts et les
publications qui lui sont consacrées ont tendance à se multiplier. Elles mettent au jour
une grande diversité dans les modalités d’approches, les cadres théoriques ou les choix
méthodologiques mais également dans les visées des travaux et les postures de ceux qui
les conduisent. Or, cette diversité est peu ou pas mise en débat et cette absence de
controverses nous paraît poser question, comme cela a d’ailleurs été (et est encore) le
cas avec la notion de compétences. L’acuité de cette question nous paraît d’autant plus
importante que ces dernières décennies ont vu s’installer, comme une référence
apparemment incontournable, la notion de professionnalisation. Cette notion,
d’ailleurs corollaire à celle de compétences, pourrait correspondre à une sorte de vision
socio-historico-politique du développement professionnel si elle ne s’avérait pas autant
propice à des amalgames les plus divers.
2 Ce numéro entend donc contribuer à dynamiser les controverses scientifiques à propos
du développement professionnel, à l’installer en bonne place dans les « questions
vives » qui préoccupent notre communauté scientifique. Précisons toutefois et dès à
présent que notre démarche est largement empreinte de modestie, qu’elle ne prétend
en rien donner de leçons : elle se veut plutôt une invitation. Invitation à confronter des
choix, des cadres et des postures, invitation à objectiver quelques éléments permettant
de circonscrire et de définir l’objet « développement professionnel » avant qu’il ne
dérive vers une notion fourre-tout qui le viderait de toute potentialité pour la
recherche.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
4
1 – Une confrontation à partir des indicateurs
3 Rappelons d’abord que, dans son acception la plus large, la notion de développement
professionnel englobe la construction des compétences lors de formations individuelles
ou collectives, mais aussi la construction de compétences nouvelles par la pratique et la
réflexion sur la pratique ainsi que les transformations identitaires des individus ou des
groupes. A partir de cette brève définition, l’objectif de ce numéro est double.
4 a) Il s’agit d’abord de contribuer à l’opérationnalisation de cette notion en mettant
l’accent sur les indicateurs qui permettent d’appréhender le développement
professionnel. Il s’inscrit donc dans une perspective à dominante méthodologique.
5 b) L’opérationnalisation d’une notion est la conséquence d’un cadrage théorique
préalable. Chaque contribution, au travers de l’indicateur proposé, présente ses
références théoriques. Dès lors, le numéro se donne pour second objectif de confronter
les différentes approches théoriques du développement professionnel ainsi que les
différents indicateurs convoqués. Pour cela, une double diversité a délibérément été
privilégiée, diversité d’origine des auteurs d’abord et diversité des champs
professionnels investigués ensuite.
2 – La structure du numéro
6 Le premier article2 prolonge l’introduction en précisant la place et la fonction de
l’indicateur dans le procès de recherche. Il présente ensuite l’indicateur retenu, le
Sentiment d’Efficacité Professionnelle. Il est adossé à une théorie du développement
professionnel perçu et structure une enquête conduite auprès de professeurs débutants
de l’enseignement agricole.
7 Les enseignants débutants sont également objets d’investigation dans le deuxième
texte3, même s’il s’agit alors de professeurs des écoles. Le développement professionnel
tel que le donnent à voir les textes officiels est mis en regard avec le développement
professionnel perçu par les enseignants. Les auteurs retiennent comme indicateurs les
marqueurs temporels des discours des néo-titulaires correspondant aux traces de
changement et d’augmentation de performance.
8 A partir d’une étude conduite dans le secteur de la distribution postale, le troisième
texte4 met à profit une situation professionnelle particulière, la prise en charge des
nouveaux entrants par les tuteurs, pour explorer cette interaction. Les
questionnements des novices obligent les expérimentés à expliciter plus avant les
gestes et les procédures de leur métier, ce qui les conduit à reconfigurer entre elles les
composantes de leur action. C’est précisément ce réagencement de l’activité
professionnelle qui est retenu ici comme indicateur du développement professionnel
des tuteurs.
9 L’interaction étudiée dans le quatrième article5 se situe dans le cadre d’un dispositif de
formation constitué par des situations de simulation. La focalisation est portée sur les
incidents que le formateur n’avait pas anticipés lors de la planification. Ainsi, les
modalités de coactivité, associées aux relations effectuées avec l’expérience
professionnelle du formé constituent les indicateurs retenus. Cet indicateur qui se
positionne en tension entre le champ professionnel et le champ de la formation
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
5
concerne simultanément deux niveaux de développement professionnels distincts,
celui du formateur et celui du formé.
10 Le cinquième texte6 retrouve le secteur professionnel de l’enseignement à partir d’une
entrée spécifique, celle des traces du développement professionnel que peuvent donner
à voir les produits d’une écriture réflexive que constituent les portfolios (utilisés en
formation). Les indicateurs s’obtiennent ici dans le croisement de la construction des
savoirs professionnels, des niveaux de réflexivité, des systèmes de régulation, et des
sources et genres de médiations.
11 En sorte de « complément » du précédent qui insistait sur le volet des savoirs
professionnels, le sixième texte7 cible le volet « socialisation professionnelle » du
développement. Il propose une réflexion critique sur les différents outils de mesure les
plus utilisés dans les recherches sur la socialisation professionnelle avant de
s’interroger sur la pertinence des approches basées sur la mesure du processus de
socialisation professionnelle.
12 Le septième texte8 réunit les deux volets du développement professionnel dans le
champ des métiers adressés à autrui. Les indicateurs retenus concernent à la fois des
compétences (selon une lecture subjective puis intersubjective) dans les domaines du
service et de la communication et la dimension identitaire des acteurs. L’auteur défend
l’intérêt de recourir à un faisceau d’indicateurs pour appréhender le développement
professionnel.
13 Le dernier texte9 est une note de synthèse portant directement sur la thématique du
numéro. Elle est structurée par quatre axes (perspectives de recherche, finalités de
recherche, théories de référence, indicateurs du développement professionnel)
prolongés par une analyse des méthodes et outils mobilisés pour étudier le
développement professionnel.
NOTES
2. Le Sentiment d’Efficacité Professionnelle, un indicateur pour connaître le développement
professionnel des « nouveaux » professeurs de l’enseignement agricole français (Jean-François
Marcel).
3. Les indicateurs temporels du développement professionnel des professeurs des écoles néo-
titulaires : entre temporalité institutionnelle et temporalité personnelle (Alexia Stumpf et Michel
Sonntag).
4. L’expérience du travail comme indicateur de développement. Etude exploratoire dans l’activité
de distribution postale (Paul Olry).
5. Quels indicateurs de développement professionnel en formation technologique supérieure?
Analyse de la coactivité en classe (Raquel Becerril Ortega et Bernard Fraysse).
6. Écriture réflexive et développement professionnel : quels indicateurs ? (Alexandre Buysse et
Sabine Vanhulle).
7. La socialisation au travail comme indicateur de développement professionnel : analyse des
approches basées sur la mesure (Stéphane Martineau, Liliane Portelance et Annie Presseau).
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6
8. Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel dans les métiers adressés à
autrui ? (Thierry Piot).
9. Les indicateurs du développement professionnel (Gwénaël Lefeuvre, Audrey Garcia et Ludmila
Namolovan).
AUTEUR
JEAN-FRANÇOIS MARCEL
Professeur de l’Enseignement Supérieur agricole en Sciences de l’éducation – Toulouse
EducAgro, GPE-CREFI-T, ENFA, Université de Toulouse
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
7
Le Sentiment d’EfficacitéProfessionnelle, un indicateur pourconnaître le développementprofessionnel des « nouveaux »professeurs de l’enseignementagricole françaisJean-François Marcel
Introduction
1 Si les définitions du développement professionnel s’avèrent relativement partagées
(avec une dualité entre compétence et socialisation professionnelle et avec un lien
important aux dispositifs de formation) les choix pour appréhender ce développement
sont fort différenciés. Cette différenciation relève aussi bien du niveau des orientations
(étudier le développement pour le connaître ou pour le favoriser ?), que du niveau des
cadres théoriques (voir, à ce propos, la note de synthèse de ce numéro) et que, par
conséquent, du niveau méthodologique.
2 C’est précisément le niveau méthodologique qui constituera l’amorce de ce texte. En
effet, son objectif est de proposer un indicateur pour appréhender le développement
professionnel des professeurs de l’enseignement agricole. Pour ce faire, l’indicateur va
d’abord s’ancrer dans un cadre théorique (celui du développement professionnel perçu)
puis assumer son opérationnalisation pour lui permettre d’aborder l’empirie. Cet
indicateur, emprunté aux travaux de Bandura (2003) est le Sentiment d’Efficacité
Professionnelle.
3 Il est utilisé dans une enquête conduite auprès des « nouveaux » professeurs de
l’enseignement agricole. Ses résultats permettent d’abord de mettre au jour un
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
8
panorama du développement professionnel perçu par cette population, développement
qui sera mis en lien avec leurs formations (initiale et continue). Ils permettent ensuite
d’analyser l’indicateur proposé, ses apports et ses limites, puis de dresser quelques
perspectives pour les recherches futures.
Problématisation
De l’indicateur
4 Si l’on suit Lazarsfeld (1965) un indicateur trouve place dans une démarche globale
allant de la théorie à l’empirie, du concept aux indices : le concept est spécifié en
différentes dimensions qui seront traduites en indicateurs, ensuite combinés et
synthétisés sous la forme d’indices. Ainsi, pour cet auteur, un indicateur est un élément
observable permettant d’appréhender les dimensions d’un concept. Selon ce qui est
privilégié, l’indicateur pourra être de type quantitatif (sur la base des occurrences
observées) ou de type qualitatif (sur la base de significations).
5 De cette approche, nous retiendrons deux caractéristiques qui permettront de préciser
les qualités d’un indicateur. D’abord, il est construit à partir d’un concept et, en cela, il
véhicule des choix théoriques et épistémologiques. Il se doit donc d’abord d’être
pertinent, c'est-à-dire d’opérationnaliser rigoureusement le passage du niveau
conceptuel au niveau empirique. Ensuite, comme il constitue la clé d’accès à l’empirie,
il doit s’avérer opératoire pour appréhender le réel en assumant une sorte de principe
de réalité. Par conséquent, la validité est une deuxième qualité de l’indicateur, une
validité entendue comme la consistance du processus inverse à celui
d’opérationnalisation. Si la pertinence d’un indicateur s’apprécie à l’aune de son
opérationnalisation du concept, sa validité s’apprécie par sa capacité d’induire le
concept à partir de l’indicateur, de ne pas se couper de son origine conceptuelle en se
laissant instrumentaliser par le principe de réalité.
Connaître le développement professionnel, pas l’évaluer
6 Nous avons vu que l’indicateur n’a rien de contingent et ne saurait donc émerger d’une
sorte d’opportunisme plus ou moins intuitif. Il est le résultat d’une démarche
intellectuelle, rationnelle et qui se veut rigoureuse. Pourtant, à notre sens, il s’inscrit
dans un cadre plus large, celui du projet de son utilisateur, projet que nous pourrions
résumer dans le pour quoi de la mobilisation du concept. Cela nous permet de préciser
un peu notre projet à propos du concept de développement professionnel.
7 Les travaux sur le développement professionnel poursuivent des visées assez
différentes. Certains cherchent à le provoquer pour mieux l’étudier (par exemple Clot –
2001, avec les entretiens d’autoconfrontation), d’autres à repérer les conditions qui le
favoriseraient (par exemple Gather Thurler – 2000, ou Day – 2004) et d’autres, enfin, à
le connaître (le comprendre et/ou l’expliquer) et nos travaux relèvent de cette
troisième catégorie.
8 Pourtant une question s’inscrit en filigrane de l’ensemble de ces travaux, celle de
l’évaluation du développement professionnel. Nous lui accorderons quelques lignes car
l’instruction de cette question permet à la fois d’affiner la définition de l’indicateur et
de préciser notre projet.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
9
9 Ardoino et Berger (1989) défendent que toute évaluation est basée sur l’appréciation
des écarts entre un référent (un « attendu ») et un référé (un « obtenu ») et se
caractérise par le processus et des modalités de référentialisation (c’est-à-dire de
l’élaboration du référent). D’après ces auteurs, c’est précisément la référentialisation
qui permet de distinguer l’évaluation (qui l’inclut) du contrôle (qui s’en trouve privé).
10 Dans le cadre de l’évaluation, l’indicateur, de par son arrimage empirique, relève à la
fois du référent (s’il s’agit d’un élément observable attendu) et du référé (s’il s’agit d’un
élément observé obtenu). C’est certainement dans cette dissociation, ici nécessaire, que
se situe la principale différence entre l’indicateur d’une démarche visant à connaître et
l’indicateur d’une démarche visant à évaluer. Dans le cas d’une démarche heuristique,
l’indicateur résulte de l’opérationnalisation d’un concept et a pour fonction d’enrichir
ce concept tandis que, dans le cas d’une démarche évaluative, il est d’abord collecté
pour apprécier ses écarts avec un attendu, attendu élaboré lors du processus de
référentialisation.
11 Nous l’avons dit brièvement, l’objectif de nos travaux est de connaître le
développement professionnel de l’enseignant (Marcel, 2005a) et l’indicateur que nous
avons construit est le « bras armé » de ce projet. Pourtant, il retrouve indirectement la
question de l’évaluation puisqu’il se base sur une auto-évaluation des enseignants
enquêtés. Bien sûr, l’auto-évaluation est une démarche spécifique mais, sans doute de
manière plus fortement syncrétique, elle comporte les différentes composantes listées
par Ardoino et Berger. Ainsi, nous pourrions dire que notre indicateur « pour
connaître » est le résultat de l’appréciation, par l’enseignant concerné, de l’écart entre
deux indicateurs « pour s’auto-évaluer », un indicateur attendu et un indicateur, si ce
n’obtenu, pour le moins perçu comme tel.
Le développement professionnel perçu
12 En première acception, le développement professionnel correspond à l’ensemble des
« transformations individuelles et collectives de compétences et de composantes
identitaires mobilisées ou susceptibles d’être mobilisées dans des situations
professionnelles » (Barbier, Chaix & Demailly, 1994). Le titre de l’ouvrage de Beckers
(2007) insiste bien sur les deux volets du développement, les compétences et l’identité
professionnelle.
13 La définition que nous retiendrons pour cet article propose une articulation spécifique
de ces deux volets du développement professionnel. Dubar (1991) souligne la dualité de
l’identité professionnelle et distingue le « processus relationnel » et le « processus
biographique ». Le premier, basé sur l’attribution (quel type d’homme ou de femme dit-
on que vous êtes ?) correspond à « l’identité pour autrui ». Le second, basé sur
l’appartenance (quel type d’homme ou de femme dites-vous que vous êtes ?)
correspond à « l’identité pour soi ». Nous prolongerons ce second processus pour
retrouver la notion de compétence. Ainsi, nous nous intéresserons plus
particulièrement à la composante de « l’identité pour soi » qui, non seulement
concerne le soi au travail, mais plus précisément ce que « je revendique de savoir-faire
dans mon travail ». Les compétences perçues et revendiquées apparaissent ainsi comme
une composante de « l’identité pour soi professionnelle ».
14 Notre définition correspond à un « développement perçu ». Au-delà de la synthèse
qu’elle propose entre les deux volets du développement professionnel (compétence et
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
10
identité), elle défend surtout l’idée que les compétences qu’un individu pense maîtriser
(la revendication attestant de sa confiance en sa capacité de réaliser les tâches
afférentes) vont jouer un rôle non négligeable dans l’engagement dans cette tâche (il va
la prendre en charge parce qu’il se sent capable de la réaliser) et dans sa réalisation
mais également, et nous y reviendrons, dans sa performance consécutive à
l’accomplissement de cette tâche.
Le Sentiment d’Efficacité Professionnelle (SEP)
15 Notre définition du « développement professionnel perçu » peut être prolongée et
opérationnalisée à l’aide de la notion de Sentiment d’Efficacité Personnelle que
Bandura définit ainsi : « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de
l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour
produire des résultats souhaités » (Bandura, 2003, p.12). Cette efficacité personnelle est
le résultat de l’auto-évaluation que nous évoquions précédemment et le titre de
l’ouvrage de Bandura est d’ailleurs « l’auto-efficacité ».
16 Galand et Vanlede (2004) proposent en recension de travaux sur le Sentiment
d’Efficacité Personnelle. Ils soulignent la convergence des résultats qui montrent
« l’existence d’une relation entre sentiment d’efficacité personnelle et performance ou
persévérance » (p.6) et retrouvent notre approche du développement perçu quand ils
écrivent que les recherches présentées démontrent que « les performances d’un
apprenant ne dépendent pas seulement de ses compétences « objectives » mais
également de sa confiance en sa maîtrise de celles-ci » (p.7)
17 Nous rajouterons que, dans le présent article, la sphère explorée sera la sphère
professionnelle et que nous parlerons donc du Sentiment d’Efficacité Professionnelle
(SEP) qui est qu’un sous-ensemble du précédent. Dans le prolongement du cadre
théorique esquissé avec la définition du « développement professionnel perçu », nous
retiendrons le Sentiment d’Efficacité Professionnelle comme un indicateur de ce
développement.
Le projet de l’article
18 L’objectif de cet article est de proposer un indicateur permettant d’appréhender le
développement professionnel. Il s’agit du Sentiment d’Efficacité Professionnelle (SEP).
Nous l’avons ainsi défini dans le prolongement d’une théorisation spécifique du
développement professionnel.
19 Il s’agira ensuite de l’opérationnaliser au travers d’un dispositif méthodologique afin de
permettre l’accès à l’empirie. Les résultats de l’enquête (conduite auprès des
professeurs débutants de l’enseignement agricole) s’efforceront d’une part de rendre
compte du développement perçu de ces « nouveaux » enseignants et exploreront en
suivant les relations entre développement professionnel et formations (initiale et
continue). Ils seront ensuite utilisés pour évaluer la contribution heuristique de cet
indicateur, ses apports mais aussi ses limites à la connaissance du développement
professionnel. Nous rappelons que notre objectif est purement heuristique et vise,
modestement, à mieux connaître le développement professionnel des enseignants sans
perspective directe de le favoriser.
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11
Enquête sur les « nouveaux » professeurs del’enseignement agricole
Le contexte de l’enquête
20 L’enquête a été conduite auprès d’un échantillon des professeurs de l’Enseignement
Agricole Public. Ces enseignants, de disciplines techniques2 et générales, sont
fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche et leurs statuts similaires à
ceux des enseignants de l’Education nationale3. Ils sont (tous) formés à l’Ecole Nationale
de Formation Agronomique (ENFA) et leur formation est structurée par un référentiel
qui prend en compte les cinq missions des Etablissements Publics Locaux
d’Enseignement Agricole :
la formation générale, technologique et professionnelle, initiale et continue, principalement
dans les secteurs de la production agricole, des services, de l’aménagement et de la
transformation,
la participation à l’animation et au développement des territoires,
la contribution aux activités de développement, d’expérimentation et de recherches
appliquées,
la participation à des actions de coopération internationale,
la contribution à l’insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes et des adultes.
21 L’enquête s’inscrit dans le cadre de la réponse à une commande du Ministère de
l’Agriculture et de la Pêche français ciblant les 6 dernières promotions formées à l’
Enfa. Nous avons qualifié les individus de cet échantillon de « nouveaux »4 professeurs
de l’enseignement agricole, d’abord parce qu’ils sont débutants (ancienneté maximale
de 5 ans) mais, surtout, parce qu’ils ont bénéficié d’une rénovation de la formation
initiale (initiée en 20005) ce qui les différencie, de fait, des autres enseignants du
système d’enseignement agricole public6.
22 Par ailleurs, nous qualifierons les éléments empiriques collectés de « secondaires » en
ce sens qu’ils n’ont pas été produits dans un objectif « premier » de recherche.
Méthodologie et opérationnalisation de l’indicateur SEP
23 Pour appréhender le développement professionnel perçu, au travers de l’indicateur
SEP, nous devions privilégier une entrée basée sur le discours pour collecter les auto-
évaluations des enseignants concernés. Néanmoins, nous avons opté pour une
approche quantitative permettant de dégager les grandes tendances de l’échantillon,
entendues comme des caractéristiques du développement professionnel perçu de ces
nouveaux professeurs. Le choix de cette approche quantitative, que nous discuterons
par la suite, a été largement impulsé par l’objet de la commande visant une population
de plus de 350 individus.
24 L’étude s’est donc basée sur une enquête administrée en ligne à l’ensemble de la
population constituée par les 6 cohortes. Le questionnaire a été élaboré à partir d’une
description fine du métier de professeur de l’enseignement agricole qui s’appuyait sur
une large revue de littérature consacrée au travail enseignant et sur le référentiel du
professeur de l’enseignement agricole. Son principe consistait à indiquer, pour chacune
des facettes du métier son Sentiment d’Efficacité Professionnelle entre : « je maîtrise
1.
2.
3.
4.
5.
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sans problème », « je maîtrise assez bien », « je rencontre quelques difficultés », « je
rencontre beaucoup de difficultés »7. Il a, par ailleurs, été testé auprès d’un groupe de
12 enseignants (6 enseignants stagiaires en formation initiale et 6 enseignants titulaires
en formation continue) pour ajuster la formulation des items.
25 Les facettes du métier sont regroupées en trois parties principales :
L’enseignant et ses élèves : avant la séance, pendant la séance et après la séance.
L’enseignant dans les équipes pédagogiques : travailler en équipe, enseigner à plusieurs et
établir des relations et des collaborations avec les collègues.
L’enseignant dans l’établissement et ses territoires : établir des collaborations avec les
acteurs de l’établissement et avec des partenaires extérieurs.
26 L’analyse des données, à dominante descriptive, a principalement recouru à des tris à
plat (pourcentages des réponses par modalités) et à des tris croisés (avec des variables
couvrant les caractéristiques socioprofessionnelles des enseignants).
27 Nous avons recueilli 144 réponses (sur 368 possibles, soit environ 40 %). La
représentativité de l’échantillon a été explorée sur trois variables (sexe, année de
formation et grade) et approche chaque fois les 40 %.
Le développement professionnel perçu
28 La dimension de l’article ne nous permet pas une présentation détaillée des résultats
(ils figurent dans Marcel, 2008)8 et nous nous bornerons à reprendre les apports
principaux relatifs au développement professionnel perçu (au travers de leur sentiment
d’efficacité professionnelle) des nouveaux professeurs de l’enseignement agricole. Pour
en rendre compte, nous avons distingué 5 composantes en lien avec leurs degrés de
maîtrise respectifs :
Les fondations de la professionnalité : plus de 85 % de « je maîtrise sans problème » et « je
maîtrise assez bien ».
Des points d’appui solides : de 80 à 85 %.
Des zones d’incertitude : de 70 à 80 %.
Des fragilités : de 65 % à 70 %.
Des difficultés : moins de 65 %.
Les fondations de la professionnalité
29 Le nouveau professeur de l’enseignement agricole dispose de bases particulièrement
solides (les contenus d’enseignement sont maîtrisés, les référentiels connus, leur sens
général bien cerné) qui lui fournissent des points de repère stables pour le volet
« enseignement » de l’exercice de son métier. Ces points de repère concernent aussi
bien pour la phase de préparation (la préparation des séquences et l’organisation
didactique des séances qui se nourrissent de pratiques documentaires bien huilées) que
pour la mise en œuvre des séances (la préparation est respectée – à propos des
contenus et des activités - et ajustée à la séance suivante).
30 Le déroulement des séances s’appuie sur des relations pédagogiques très satisfaisantes
(tant individuelles qu’à destination du groupe classe) relayées par une maîtrise du
discours professoral (pour les consignes ou la reformulation des explications) et
1.
2.
3.
1.
2.
3.
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5.
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adossées à une bonne utilisation du matériel pédagogique (comme le tableau ou les
ressources documentaires).
31 Dans le domaine de l’évaluation, le nouveau professeur de l’enseignement agricole
dispose de bases claires concernant aussi bien l’élaboration des évaluations
sommatives, les corrections ou les restitutions en classe que sa contribution à
l’élaboration des CCF9 ou sa participation aux conseils de classe.
32 Par ailleurs, il met à profit les apports d’un réseau de relations professionnelles qui
maille efficacement son espace professionnel : il échange assidûment avec ses collègues
(sur tous les domaines professionnels et dans l’ensemble des espaces de
l’établissement), il collabore activement avec des acteurs de l’établissement qui en
assurent l’organisation et le fonctionnement (la direction, la vie scolaire, les personnels
administratifs et techniques) et n’a pas de difficulté particulière dans ses rapports avec
les parents d’élèves, du moins lors des réunions collectives (comme la réunion de
rentrée).
Des points d’appui solides
33 Le nouveau professeur de l’enseignement agricole fait montre d’une certaine capacité
d’adaptation aux aléas des situations, en terme de gestion des diverses formes
d’imprévus mais aussi en termes de gestion de la sécurité des élèves dans les espaces
scolaires « à risques ».
34 Il est souvent capable de mettre en œuvre des modalités d’évaluation relativement
exigeantes comme l’évaluation formative, la formulation d’appréciations précises dans
les livrets scolaires ou l’accueil individuel des parents d’élèves en cas de difficultés.
35 Il s’implique dans l’établissement d’exercice en participant à divers groupes de travail
mais aussi en collaborant régulièrement avec le professeur documentaliste, l’infirmière
ou le chef de l’exploitation agricole. Nous avons là des indicateurs intéressants par
rapport à l’exercice de son métier : sa classe est ouverte et son fonctionnement
s’enrichit par ses collaborations (en termes de documentation et en termes de lien avec
le domaine agricole). Il est attentif aux élèves et il a intégré que l’infirmière (quand il y
en a une dans l’établissement) pouvait lui fournir des informations précieuses à leurs
propos. A la différence du CPE10 qui communique automatiquement celles qu’il juge
importantes, les informations dont dispose l’infirmière relèvent d’un autre registre et
nécessitent que l’enseignant fasse la démarche de la rencontrer pour les partager.
36 Le nouveau professeur de l’enseignement agricole déploie une certaine réflexivité en
s’attachant à analyser les différents problèmes rencontrés au cours de son exercice
professionnel ou l’avancée de ses enseignements mais, surtout, en analysant les
difficultés de ses élèves.
Des zones d’incertitude
37 En ce qui concerne le domaine de la préparation, le nouveau professeur de
l’enseignement agricole est moins à l’aise avec l’organisation pédagogique et
l’évaluation des séances mais aussi avec la « transposition » des référentiels en
programmation sur l’année scolaire.
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38 Dans les séances conduites en espace scolaire « à risques »11, il ne maîtrise que
passablement la gestion du matériel et l’enseignement du respect des règles et des
consignes de sécurité. D’autre part, il ne recourt pas facilement à l’utilisation de
supports pédagogiques audiovisuels ou informatiques.
39 La participation à un travail d’équipe lui demande aussi des efforts, surtout quand il
s’agit de contribuer à l’élaboration des « rubans pédagogiques »12 que des plans
d’évaluation mais également quand il s’agit de prendre part (et a fortiori d’initier) un
projet qu’il soit éducatif ou pédagogique.
40 Son implication dans l’établissement est aussi plus réservée lorsqu’il s’agit de siéger
dans des instances (comme le Conseil d’Administration) ou quand il s’agit de collaborer
avec des acteurs de l’établissement un peu en marge des pratiques d’enseignement,
comme les professeurs de TIM13 ou d’ESC14.
Des fragilités
41 Le nouveau professeur de l’enseignement agricole laisse apparaître quelques fragilités
dans plusieurs secteurs relevant de la mise en œuvre des séances. Cela concerne aussi
bien de questions techniques (comme l’utilisation d’outils informatiques ou, plus
délicate, la gestion du temps qui a du mal à respecter ce volet de la préparation), que de
la gestion des élèves (l’anticipation et la prise en charge des perturbations) ou que la
dynamique et du sens des séances (effectuer des liens avec les secteurs et les gestes
professionnels lors des séances en laboratoire, atelier, exploitation agricole, hall
technologique, chantier, etc.).
42 Ces fragilités se retrouvent aussi sur une bonne part du volet collaboratif de son travail,
lorsque cette collaboration met en jeu d’autres enseignants (comme pour la
préparation ou la mise en œuvre de séances pluridisciplinaires), des professionnels
(comme les interlocuteurs lors des visites de stage) ou des partenaires associatifs.
Des difficultés
43 Le nouveau professeur de l’enseignement agricole rencontre des difficultés dans deux
domaines principaux qui prolongent et accentuent les fragilités du paragraphe
précédent.
44 Il a du mal à diagnostiquer finement les difficultés de ses élèves pour pouvoir adapter
ses enseignements (même s’il n’est pas très sûr de pouvoir trouver les modalités qui
conviendraient), c’est aussi bien le cas lors de la phase de préparation (où il pourrait les
anticiper) que lors de la conduite des séances (où il pourrait procéder à des ajustements
quand elles se manifestent).
45 Il rencontre beaucoup de difficultés pour travailler à plusieurs, pour l’encadrement des
rapports de stages, dossiers ou mémoires (qui se rapportent à un stage et concernent
des professionnels) surtout s’il s’agit d’un encadrement collectif mais aussi pour
l’évaluation « à plusieurs » des séances de pluridisciplinarité. Le partenariat reste
problématique pour lui, qu’il implique des partenaires professionnels (qui sont
pourtant incontournables pour les stages et pour l’insertion professionnelle des élèves),
des partenaires institutionnels (qui sont incontournables pour les financements) ou des
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partenaires dans le cadre de la coopération internationale (qui constitue une des cinq
missions de l’enseignement agricole).
Le rôle de la formation
46 Le développement professionnel est très régulièrement envisagé dans sa relation avec
la formation. Nous avons eu l’occasion de nous intéresser à des modalités de formation
que nous avions qualifiées de « en contrebande » de l’institution (Marcel, 2005b) mais
les modalités étudiées ici sont clairement instituées. Ainsi, de manière un peu
différente dans les deux cas, nous allons explorer l’appréciation des enseignants
interrogés à propos de la formation initiale (une formation par alternance d’une année
à l’ENFA) et de la formation continue (dont les sessions sont assez diversifiées). Cette
appréciation ciblera le degré de contribution de la formation à la maîtrise de l’exercice
professionnel.
La formation initiale
47 La première approche de la formation sera « directe » à partir d’un extrait du second
volet de l’enquête (que nous n’avons pas abordé ici) qui demandait aux enseignants
d’évaluer l’importance de la contribution de la formation initiale à leur maîtrise du
métier.
48 Nous nous bornerons à reprendre, dans le tableau suivant, les résultats relatifs à une
question spécifique qui visait à appréhender le jugement des professeurs dans sa
globalité. A la différence de l’approche plus analytique (facette du métier par facette du
métier), il s’agissait, dans cette question, d’obtenir une sorte de radioscopie par grands
domaines de l’auto-évaluation, par les professeurs, de l’importance de la contribution
de la formation initiale à la maîtrise actuelle perçue de leur exercice professionnel.
Tableau 1 : Auto-évaluation, par les professeurs, de l’importance de la contribution de la formationinitiale à la maîtrise actuelle perçue de leur exercice professionnel
Domaines professionnels
concernés
Contribution de la formation initiale
Total des réponses
positives
Très importante ou
importante
Assez
importante
Les référentiels 87,3 % 54,0 % 33,3 %
La démarche de projet 77,4 % 46,0 % 31,4 %
L’évaluation 76,1 % 41,6 % 34,5 %
L’engagement dans les
territoires
75,2 % 38,7 % 36,5 %
L’organisation pédagogique 74,9 % 43,4 % 31,5 %
L’engagement dans
l’établissement
72,9 % 40,8 % 32,1 %
La dimension éducative du
métier
71,7 % 36,2 % 35,5 %
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Les contenus enseignés 67,9 % 36,4 % 31,5 %
La collaboration avec les autres
enseignants
67,9 % 32,9 % 35,0 %
La relation pédagogique 63,7 % 32,7 % 31,0 %
L’innovation, l’expérimentation 63,3 % 25,9 % 37,4 %
L’engagement dans l’équipe
pédagogique
61,9 % 27,4 % 34,5 %
La collaboration avec les
partenaires
48,5 % 19,4 % 29,5 %
49 Ces résultats appellent deux remarques. Tout d’abord, au-delà du fait que la
contribution de la formation initiale est évaluée comme importante (les pourcentages
de réponses positives sont élevées), remarquons que dans les domaines où la maîtrise
est perçue comme importante, la contribution de la formation initiale est évaluée de
manière assez différente (par exemple entre deux volets largement maîtrisés comme
les référentiels – contribution très importante – et les contenus enseignés –
contribution moins importante).
50 La seconde remarque, à l’inverse de la première va pointer la corrélation entre
l’absence de maîtrise et la faible contribution de la formation pour ce qui concerne le
« travailler ensemble » de l’enseignant, avec les différents partenaires surtout mais, à
un degré moindre aussi, avec les enseignants de l’équipe pédagogique.
51 La synthèse pourrait paraître banale : quand les enseignants pensent qu’ils ne
maîtrisent pas une facette de leur métier ils évaluent faiblement la contribution de la
formation (ce qui est assez logique puisqu’elle n’a pas « réussi » à leur permettre de la
maîtriser). En revanche, quand ils la maîtrisent, ils évaluent parfois positivement la
contribution de la formation (ils la maîtrisent « grâce » à la formation), parfois de
manière plus mesurée. Dès lors, il convient d’envisager d’autres contributions à cette
maîtrise perçue, une contribution personnelle (en lien avec le parcours antérieur,
universitaire ou social) mais peut-être aussi d’autres contributions (l’auto-formation,
les collègues, etc.).
La formation continue
52 La seconde approche de la formation sera « indirecte » et se fera au travers d’un test
statistique. A ce propos, précisons que, parmi les caractéristiques socioprofessionnelles
mises en regard (par des tris croisés convoquant la métrique du Chi2) avec les facettes
du métier, la participation des enseignants (durant les premières années d’exercice) à
une ou plusieurs sessions de formation continue (FC) s’avère la variable la plus
discriminante. Les croisements statistiquement significatifs sont présentés dans le
tableau suivant.
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Tableau 2 : Croisements statistiquement significatifs entre les variables relatives à la maîtriseperçue des facettes du métier et la variable « participation à une session de formation continue »
Variables statistiquement liées à
la variable « formation
continue »
Sens de la relation statistique (entre modalités)
La préparation des séquences Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « quelques » ou « beaucoup de
difficultés » avec cette préparation.
Lors de la préparation,
l’organisation didactique des
séances
Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « beaucoup de difficultés » avec
cette organisation.
Le respect de la préparation au
niveau des contenus enseignés
Avec une différence significative, les enseignants ayant suivi
des FC disent « maîtriser sans problème » le respect de ce
volet de la préparation.
La relation pédagogique au niveau
du groupe classe
Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « quelques difficultés » avec
cette relation
La formulation des consignes Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « quelques » ou « beaucoup de
difficultés » avec cette formulation
Les modalités d’évaluation
formative
Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « quelques » ou « beaucoup de
difficultés » avec cette évaluation
La prise en charge des corrections Avec une différence significative, les enseignants ayant suivi
des FC disent « maîtriser sans problème » cette prise en
charge.
Analyse des problèmes rencontrés Avec une différence significative, les enseignants n’ayant pas
suivi de FC disent rencontrer « beaucoup de difficultés » avec
cette analyse.
53 La participation à la formation continue s’avère une variable particulièrement
discriminante puisqu’elle affecte dix facettes du métier avec une convergence
systématique dans l’information : les enseignants qui ont suivi une FC disent maîtriser
mieux ces différentes facettes du métier (et de manière significative) que les
enseignants qui n’ont pas suivi de session de FC.
54 Ces facettes concernent aussi bien la préparation (celle des séances et la dimension
didactique des séances) que le suivi des séances (avec les corrections mais surtout
l’analyse des problèmes rencontrés). Elles se focalisent surtout sur la conduite des
séances : le respect de la préparation (qui plus est au niveau des contenus enseignés), la
relation pédagogique au niveau du groupe classe (prolongée par le discours professoral
avec l’énoncé des consignes) et les modalités d’évaluation formative (qui relèvent de la
différenciation pédagogique).
55 De plus, nous voudrions rappeler qu’à la différence de la contribution de la formation
initiale (laissée à l’appréciation des répondants), celle de la formation continue a été
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appréhendée en dehors de leur évaluation. Elle l’a été par croisement statistique (d’où
le qualificatif « d’indirecte ») à partir d’une variable que nous pourrions qualifier
« d’objective » dans le sens ou la participation (ou pas) à une session de formation
continue ne semble pas relever d’une quelconque appréciation. Dès lors, le fait qu’elle
s’avère discriminante par rapport au développement professionnel perçu peut être
considéré comme une attestation de la pertinence de l’indicateur SEP, un indicateur
subjectif « influencé » par une donnée empirique « objective ».
Discussion : analyse critique de l’indicateur
Les apports
56 Pour analyser les apports de l’indicateur, reprenons les deux qualités de l’indicateur
proposées par Lazarsfeld (1965), la validité et la pertinence.
57 Rappelons que cette validité s’apprécie par la capacité d’induire le concept à partir de
l’indicateur. Nous pouvons défendre que l’indicateur SEP nous a bien permis de décrire
le développement professionnel perçu des nouveaux professeurs. Il s’agit bien sûr du
développement professionnel de l’ensemble de cette population spécifique
d’enseignants à un temps précis, une sorte d’instantané au moment de l’enquête. Ce
développement professionnel comporte cinq degré de maîtrise différents d’ensembles
de facettes du métier (allant de fondations de la professionnalité à des difficultés). La
logique et la cohérence internes de ces ensembles de facettes attestent, à notre sens,
d’une consistance certaine. Même s’il est toujours difficile d’apprécier précisément la
potentialité d’inférence d’un indicateur, nous pouvons en tous les cas avancer que le
SEP n’a pas débouché sur l’appréhension d’un objet « étranger » au développement
professionnel.
58 D’autre part, la variable « formation continue » nous a permis d’apprécier une (relative
en tous les cas) pertinence de l’indicateur SEP, c’est-à-dire sa capacité à
opérationnaliser le développement professionnel. La relation entre le développement
professionnel et la formation est régulièrement réaffirmé, au point même que certains
travaux ont parfois des difficultés à distinguer les deux15. Le SEP nous a d’abord permis
de repérer ce lien dans le cas de la formation initiale, mais en s’appuyant sur un même
type d’approche, la « perception » de la contribution de cette formation à la maîtrise du
métier. La formation continue nous paraît plus intéressante pour attester de la
pertinence de l’indicateur. En effet, il s’agit d’une variable qui ne repose pas sur
l’appréciation des répondants (elle a été recodée en deux modalités : participation ou
non-participation à des sessions de formation continue) et qui s’avère discriminante
par rapport au SEP (qui repose sur l’auto-évaluation de la maîtrise des facettes du
métier).
Les limites
59 Les premières limites sont apparues avec les apports et concernent la validité et la
pertinence qui gagneraient à être sinon renforcées tout au moins plus aisément et plus
directement appréciables.
60 Pourtant deux limites nous paraissent plus importantes à pointer. La première
concerne l’approche analytique du SEP, facette par facette. Le regroupement de
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facettes (autour de dimensions du métier) aurait permis de dépasser cette dérive mais
l’équilibre est difficile à trouver entre un excès de décomposition et un excès de global,
tout autant préjudiciables. Par ailleurs, au-delà du trop grand émiettement qui en
résulte, apparaît un problème de nivellement. Ainsi, toutes les facettes sont ici
considérées a priori comme d’égale importance. Or, nous pouvons penser que la
maîtrise perçue d’une facette du métier n’est pas indépendante de l’importance qu’on
lui accorde pour exercer son métier. Il sera nécessaire d’étudier dans une prochaine
recherche les liens entre le SEP relatif à une tâche professionnelle et les enjeux que le
répondant affecte à cette même tâche.
61 La seconde limite porte sur le caractère ponctuel de la connaissance produite. L’intérêt
d’un processus est d’en connaître ces évolutions et ces changements. Une approche
longitudinale aurait été plus pertinente. Nous avions pensé pouvoir distinguer des
phases en fonction des 5 années d’ancienneté mais cela ne s’est pas avéré
techniquement possible en raison des déséquilibres conjugués des effectifs par année
(allant de quelques dizaines à plusieurs centaines) et des taux de réponses. Pourtant au-
delà de la faisabilité (par ailleurs relative aux échéances de la commande) se posent
deux problèmes relatifs au « quand » et au « comment ». La dynamique du processus de
développement aurait pu être appréhendée par prise d’information réitérée mais nous
voyons assez mal le critère qui nous permettrait de fixer la périodicité de ces collectes.
D’autant que la question du comment n’est pas indépendante. L’utilisation répétée du
même questionnaire (permettant de repérer les dynamiques à partir des stabilités et
des changements) comporte un double risque : un biais d’accoutumance (répondre
comme la dernière fois) mais surtout un risque de lassitude et une mortalité amplifiée
de l’échantillon.
Les perspectives
62 Au-delà des perspectives déjà esquissées et visant à améliorer ce dispositif, nous
voudrions envisager deux perspectives liées d’ailleurs entre elles.
63 La première est, en retrouvant Lazarsfeld, de franchir l’étape allant de l’indicateur (ici
isolé) à l’indice entendu comme un faisceau d’indicateurs. Le développement
professionnel des enseignants sera d’autant mieux appréhendé qu’il le sera par des
approches différentes. En revanche, au-delà de l’intérêt de leur complémentarité se
pose la question de leur compatibilité. En effet, en ce qui concerne les indices, la
compatibilité entre indicateurs est totalement incontournable et se trouve garantie par
le cadre théorique dont ils constituent chacun une opérationnalisation différente. En
fait les indicateurs constituant un indice ont à préserver une tension entre leur
compatibilité (insistant sur leur proximité) qui est première et leur complémentarité
(insistant sur leurs différences) qui est nécessaire pour mieux servir leur concept
fondateur. Il semblerait que cette tension requise constitue une distinction forte avec la
perspective d’un éclairage pluriel de l’objet que défendent les Sciences de l’éducation
françaises et qui ne peut relever que d’un autre registre, du niveau des concepts et
certainement pas des indices.
64 Cela nous permet d’aborder rapidement la seconde perspective. Nous ne reprendrons
pas les limites conséquentes aux choix méthodologiques du questionnaire et de
l’approche quantitative que nous avons rapidement évoquées. En revanche, nous
soulignerons l’intérêt d’une approche qualitative du développement professionnel à
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partir d’un petit échantillon, avec une étude de type ethnographique, s’inscrivant dans
la durée et privilégiant les entretiens et les observations. Là encore la question qui se
posera est celui de la tension entre la complémentarité de ces deux recherches (au
service d’une meilleure connaissance du développement professionnel) et leur
compatibilité au sein d’un même cadre théorique (compatibilité qui contribuerait alors
à le structurer et à le renforcer).
Conclusion
65 Cet article a proposé un indicateur pour étudier le développement professionnel des
enseignants. Le sentiment d’efficacité professionnelle est convoqué dans une
perspective heuristique qui vise à connaître ce développement, c’est-à-dire ni à le
provoquer ni à la favoriser directement. Il s’ancre dans une l’approche théorique du
développement professionnel perçu et, à ce titre, défend l’importance de la confiance
de l’individu en sa réussite pour à la fois l’engagement dans l’action mais aussi sa
réalisation et sa performance.
66 Cet indicateur a été opérationnalisé pour accéder à l’empirie et conduire une enquête
auprès des nouveaux professeurs de l’enseignement agricole en privilégiant l’auto-
évaluation de leur maîtrise des différentes facettes du métier. Il a permis de mettre au
jour un instantané du développement professionnel de cette population qui s’est avéré
en relation avec les formations suivies, tant initiale que continue.
67 Les résultats de cette enquête ont également été utilisés pour analyser de manière
critique l’indicateur SEP. Même s’il possède (partiellement tout au moins) les qualités
requises pour un indicateur (à savoir la pertinence et la validité) plusieurs limites sont
apparues parmi lesquelles un trop grand émiettement et un déficit de hiérarchisation
parmi les facettes du métier ainsi que l’absence d’une approche longitudinale du
développement.
68 Parmi les perspectives qu’il a permis d’ouvrir, nous retiendrons d’abord la nécessité de
diversifier les indicateurs au sein de ce que Lazarsfeld appelle un indice. Nous avons vu
que l’indice était caractérisé par une tension entre complémentarité et compatibilité
des indicateurs au sein d’un même cadre théorique.
69 La seconde perspective défendait l’intérêt de pallier les limites d’une approche
quantitative du développement par une approche qualitative. Nous avons d’ailleurs mis
en place (depuis deux ans) un dispositif de recherche auprès d’une cohorte de 8
professeurs-stagiaires que nous avons suivis durant leur année de formation initiale et
que nous avons continué à suivre dans le lycée de leur première affectation. Bien sûr, ce
travail apparaît aisément complémentaire de celui présenté ici mais la question réside
là encore dans sa compatibilité. S’agit-il de deux recherches consacrées au
développement professionnel des professeurs de l’enseignement agricole ou peut-on
les envisager comme deux volets d’un même projet ? Cette interrogation renvoie à des
questions méthodologiques elles-mêmes indissociables de questions théoriques. Nous
ne les traiterons pas ici car nous nous éloignerions de notre propos mais nous
signalerons, pour terminer, un paramètre non négligeable. Il s’agit de l’agenda du
chercheur, un agenda dans lequel se télescopent des recherches prévues et des
opportunités qui surgissent (comme la commande ministérielle). Est-il préférable de
verrouiller ses travaux à partir d’un cadre intangible ou de saisir des possibilités qui
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sont offertes en faisant le pari qu’au delà des difficultés d’articulation, elles
permettront tout de même d’avancer ?
70 La tension entre complémentarité et compatibilité, qui caractérise le regroupement des
indicateurs au sein de l’indice se retrouve (de façon quasi similaire) au niveau des choix
du chercheur pour initier ses recherches, en se compliquant alors de deux tensions
supplémentaires : la première, d’ordre stratégique, est une tension entre donner la
priorité à la connaissance « plurielle » de l’objet (ici le développement professionnel) et
donner la priorité au renforcement et à l’affinement de son cadre théorique ; la
seconde, d’ordre temporel, est une tension entre le primat de la planification (la
prévision et le long terme) et celui de l’exploitation des opportunités (l’imprévisible et
l’immédiat). Ces tensions renvoient, immanquablement au rapport du chercheur à son
métier de chercheur et nous pourrions même avancer que le choix d’un indicateur, au-
delà de tout ce que nous avons pu écrire à son propos, « donne (aussi) à voir » du
« rapport au métier » du chercheur qui l’a choisi.
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NOTES
2. Citons, parmi les plus spécifiques, les disciplines agronomiques : production animale,
production végétale ou agroéquipements.
3. Ainsi, nous avons principalement des PLPA (Professeurs de Lycées Professionnels Agricoles) et
des PCEA (Professeurs Certifiés de l’Enseignement Agricole).
4. La nouveauté est relative et le qualificatif de « nouveaux » n’a pas ici exactement le même
sens que dans le titre de Rayou et Van Zanten (2004).
5. Cette rénovation, dans le prolongement de la mise en place des IUFM pour l’Education
nationale, est inspirée des principes de la professionnalisation des enseignants (voir par exemple
Tardif, 2007).
6. Et qui, par ailleurs, justifie la commande du Ministère.
7. Dans les recherches consacrées au SEP, il existe une autre manière de le mesurer. Elle se base
sur la présentation d’activités accompagnée de niveaux de performances. Il est demandé aux
enquêtés d’évaluer leur confiance en leur possibilité d’atteindre chacun des niveaux.
8. Certains d’entre eux sont également développés dans Marcel, Garcia et Chassagne (2008).
9. Contrôles Certificatifs en cours de Formation.
10. Conseiller Principal d’Education.
11. Citons par exemple les laboratoires, les halls technologiques, les ateliers d’agroéquipements
ou l’exploitation agricole.
12. Il s’agit d’une planification collective du calendrier de l’année scolaire par l’équipe du
diplôme concerné. Ce ruban mentionne en particulier les dates des CCF.
13. Professeur de Technologies Informatiques et Multimédia (TIM).
14. Professeur de d’Education Socioculturelle (ESC).
15. C’est notamment le cas avec « l’objet » professionnalisation pouvant être à la fois une
politique dans le champ de l’éducation, un dispositif de formation ou un processus de
développement.
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RÉSUMÉS
Cet article est structuré autour d’un indicateur visant à appréhender le développement
professionnel dans une perspective heuristique. Il s’agit du Sentiment d’Efficacité Professionnelle
emprunté à Bandura (2003). Cet indicateur se positionne le long d’un continuum allant de la
théorie à l’empirie et en assume la cohérence et la consistance. Ainsi, il s’ancre dans un cadre
théorique (le développement professionnel perçu) et, au travers d’un dispositif méthodologique,
permet d’accéder à l’empirie. L’enquête par questionnaire est conduite auprès d’une population
de nouveaux professeurs de l’enseignement agricole français. Elle permet de mettre au jour un
panorama du développement professionnel perçu par ces enseignants, d’alimenter une analyse
critique de l’indicateur proposé et de dresser quelques perspectives pour les recherches à venir.
The article is based on an indicator aiming at understanding teachers’ professional development
in a heuristic perspective: professional self efficacy borrowed from Bandura (2003). This indicator
is situated in a continuum going from theory to empirical data and maintains both its
consistency and substance. It is thus, part of a theoretical framework (perceived professional
development) and permits, through a methodological process, to reach empirical elements. A
survey by questionnaire was carried out among new teachers of French agricultural education.
The study brings to light an overview of the professional development perceived by these
teachers, it permits to build a critical analysis of the indicator in question and draw up new
prospects for future research.
INDEX
Mots-clés : développement professionnel perçu, enseignant débutant, enseignement agricole,
indicateur, Sentiment d’Efficacité Professionnelle
Keywords : perceived professional development, beginning teacher, French agricultural
education, indicator, Professional Self-Efficacy
AUTEUR
JEAN-FRANÇOIS MARCEL
Professeur de l’Enseignement supérieur agricole en Sciences de l’éducation, Toulouse
EducAgro et CREFI-T, ENFA, Université de Toulouse
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Les indicateurs temporels dudéveloppement professionnel desprofesseurs des écoles néo-titulaires : entre temporalitéinstitutionnelle et temporalitépersonnelle ?Alexia Stumpf et Michel Sonntag
Introduction
1 Depuis près d’une décennie, le développement professionnel des enseignants fait l’objet
de nombreuses recherches scientifiques (Borko, 2004 ; Clement & Vandenberghe, 1999 ;
Day, 1999 ; Elmore, 2002 ; Garet et al., 2001 ; Guskey, 2002). Si les recherches qui
prennent pour objet cette notion sont majoritairement anglo-saxonnes ou québécoises,
cette question est aussi centrale dans les travaux menés par des chercheurs français,
comme l’équipe du Crefi (Centre de Recherches en Education, Formation et Insertion)
de l'Université de Toulouse ou dans des recherches sur les nouvelles pratiques
professionnelles (Marcel, 2005, 2007).
2 Toutefois, le caractère un peu polysémique de cette notion, pour l’heure non stabilisée,
se traduit, dans le contexte francophone, par l’emploi d’expressions plus ou moins
synonymes comme : formation continue (Boucher & L’Hostie, 1997 ; Lafortune,
Deaudelin, Doudin & Martin, 2001 ; Ministère de l’Education Nationale français),
perfectionnement, développement pédagogique (Lafortune et al., 2001), développement
de carrière, évolution professionnelle (Huberman, 1989 ; Huberman, Grounauer &
Marti, 1989), apprentissage continu (Gouvernement du Québec, 2001), croissance
professionnelle (Glatthorn, 1995 ; Kagan, 1992). « On voit déjà, à ce niveau, la confusion
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entre le sens du concept lui-même et les moyens par lesquels le développement
professionnel se réalise » (Mukamurera & Uwamariya, 2005).
3 A l’intérieur de cette problématique, l’idée de continuum semble constituer un point de
convergence entre les écrits ministériels français et québécois notamment, au-delà de
la diversité des expressions qui s’apparentent à la notion de développement
professionnel. Celui-ci reposerait donc sur un apprentissage du métier qui se tisserait
tout au long de la carrière, depuis la formation initiale.
4 Ce continuum est aussi caractérisé par des étapes qui jalonnent la construction
progressive du développement professionnel enseignant. Il s’inscrit dans une double
temporalité à la fois institutionnelle et individuelle. Comment les discours officiels
énoncent-ils ces étapes ? Comment les enseignants en parlent-ils ? Quelles
transformations sont censées accompagner le processus de développement
professionnel ? Qu’en disent les enseignants concernés ? Quels sont les outils dont
dispose l’institution pour procéder à l’évaluation du développement professionnel des
personnels ?
5 Le présent article vise à identifier et interroger les étapes du développement
professionnel des professeurs des écoles néo-titulaires, telles qu’elles sont énoncées
dans les discours officiels et telles qu’elles sont parlées par les enseignants. Les étapes
institutionnelles et les étapes personnelles s’inscrivent-elles dans la même
temporalité ? Le découpage institutionnel du continuum fait-il sens, du point de vue
des enquêtés ? Nous nous intéresserons plus particulièrement aux trois premières
années d’exercice, qui constituent l’entrée dans le métier.
6 Pour ce faire, après avoir défini la notion de développement professionnel, nous
procèderons, dans un premier temps, à une analyse de contenu d’un corpus de textes
officiels pour identifier les étapes dudit développement, prévues par l’institution, dans
la formation des enseignants. Celles-ci constitueront les indicateurs (temporels)
institutionnels du développement professionnel.
7 Dans un second temps, nous chercherons à mettre au jour les étapes du développement
professionnel, telles qu’elles sont perçues et vécues par des professeurs des écoles néo-
titulaires, à partir des propos tenus sur leur formation initiale et leur entrée dans le
métier. Dans ce dernier cas, nous avons procédé à une analyse de contenu d’un corpus
constitué de trente entretiens semi-directifs afin d’identifier les marqueurs temporels
présents dans les discours et associés aux sentiments de changements, et notamment
de progrès et d’auto-efficacité, exprimés. Plus précisément, nous avons relevé, de
manière systématique, les indicateurs que constituent les embrayeurs temporels,
associés à la verbalisation d’un sentiment global de performance et de changement,
afin de mettre au jour, in fine, le rapport au temps dans lequel s’inscrivent et évoluent
professionnellement les néo-titulaires.
1. La notion de développement professionnel
De l’approche condorcetienne de la notion de développement
professionnel…
8 Comment expliquer l’intérêt des chercheurs en éducation pour la notion de
développement professionnel, si ce n’est à la lumière de l’évolution parallèle du monde
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
26
du travail ? En effet, les « travailleurs du savoir » (dont les enseignants) participent de
manière croissante, depuis deux décennies, à la réussite économique des pays
développés, entrés dans l’ère de l’économie de la connaissance. Cette fonction permet
de comprendre et de légitimer l’intérêt croissant des gouvernements pour l’éducation
et la formation, ferments du capital humain, qu’il va falloir faire fructifier, dans un
souci d’optimisation, tout au long de la vie. Ces politiques éducatives s’inscrivent dans le
sillon de la philosophie condorcetienne puisque son auteur est considéré comme le
précurseur de l’éducation permanente, l’instruction devant « emballer tous les âges »
(Condorcet, 1792). Celle-ci repose sur le principe de perfectibilité de l’esprit humain.
Ainsi, cette philosophie, clef de voûte des sociétés apprenantes, est devenue centrale
également dans la formation des enseignants puisqu’elle va leur permettre
l’actualisation des compétences, tout au long de leur carrière. Elle s’est traduite outre-
Manche et outre-Atlantique par l’expression « lifelong learning ».
…à l’approche axée sur la professionnalisation
9 Les travaux qui prennent pour objet la notion polysémique de développement
professionnel, chez les enseignants, s’inscrivent dans deux courants théoriques
émergeant au-delà de la diversité des écrits recensés : l’approche développementale et
l’approche professionnalisante (Mukamurera & Uwamariya, 2005). Nous ne
développerons pas ces deux approches de manière extensive puisque tel est l’objet de
l’article cité supra mais il nous importe néanmoins de souligner que, dans une approche
développementale, le développement professionnel est pensé dans « une vision
chronologique et linéaire. Or les événements survenus depuis les années 1960 (crises
économiques, réajustements structurels, etc.) ont contribué à modifier l’image des
professions et des parcours des individus (Dolan et al., 1995 ; Huberman et al., 1989).
Dans ce nouveau contexte, penser à la stabilité de l’emploi et à une évolution
professionnelle à caractère linéaire devient pratiquement impossible » (Mukamurera &
Uwamariya, 2005). Aussi, l’approche professionnalisante constituera-t-elle notre
ancrage théorique. Quelles en sont les caractéristiques ?
10 Dans cette approche, le développement professionnel est « vu comme un processus
d’apprentissage. En effet, l’enseignant est considéré comme un apprenant qui, au fil du
temps, construit et reconstruit ses savoirs. La vision de l’apprentissage est ici
constructiviste dans la mesure où les expériences pratiques personnelles sont à la base
du développement de savoirs. De plus, le processus d’apprentissage est à la fois
individuel et collectif » (Mukamurera & Uwamariya, 2005). Plusieurs modèles
coexistent au sein de cette approche. Ils divergent cependant sur la genèse du
développement professionnel. Ainsi, pour certains auteurs (Nault, 1999 ; Vonk 1988 ;
Zeichner & Gore, 1990), celui-ci débute en amont de la formation initiale (c’est la phase
que les sociologues qualifient de socialisation pré professionnelle), alors que pour
d’autres (Huberman, 1989), c’est l’entrée dans le métier qui en constitue l’amorce. En
accord toutefois avec le fait que le développement professionnel constitue un
continuum traversé par des phases, ces auteurs divergent également sur les limites
initiales et finales de celles-ci. Face à une telle diversité, comment définir la notion de
développement professionnel ?
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
27
Vers une définition du développement professionnel chez les
enseignants
11 « Que ce soit pour les postulants, les novices ou les chevronnés en enseignement, le
développement professionnel se fait dans le sens de la modification des attitudes, des
habiletés, des performances, des valeurs, de l’image de soi, du rapport au métier, de la
perception à l’égard des élèves, des croyances, etc. » (Mukamurera & Uwamariya, 2005).
Ainsi, « indépendamment des postures épistémologiques qui colorent les théories et les
modèles (…), l’idée commune qui ressort est que le développement professionnel est un
processus de changement, de transformation, par lequel les enseignants parviennent
peu à peu à améliorer leur pratique, à maîtriser leur travail et à se sentir à l’aise dans
leur pratique ». (Mukamurera & Uwamariya, 2005). C’est ainsi qu’il conviendra de
comprendre cette notion lorsque nous l’emploierons.
12 Le dénominateur commun à ces définitions est/sont le(s) changement(s) : il apparaît
comme l’élément central de la notion. Comment sont énoncés le(s) changement(s) qui
s’opèrent au cours du développement professionnel ? Dans quelle(s) temporalité(s)
sont-ils supposés s’inscrire ? A quelle(s) condition(s) pense-t-on qu’ils peuvent-ils se
réaliser ? L’individu parvient-il à les rationaliser ? Peut-il les susciter, à défaut de les
maîtriser ? Quels sont les outils institutionnels qui permettent de les appréhender ? Ce
sont les interrogations qui sous-tendent notre enquête empirique.
13 Voyons, dans un premier temps, quelles sont les étapes du développement
professionnel enseignant identifiées par les textes officiels.
2. La notion de développement professionnel à traversles textes officiels
La construction de compétences, une dimension axiale du
développement professionnel
14 On constate que la notion de « développement professionnel » n’existe pas sur le
portail « Eduscol » du ministère de l’éducation nationale. L’entrée dans le métier est
intégrée au volet de la formation continue. Ainsi, les propos de Mukamurera et
Uwamariya (2005), qui ont ouvert cet article, se vérifient. En effet, on constate bien une
certaine confusion entre le sens de la notion elle-même et les moyens par lesquels le
développement professionnel se réalise.
15 On remarque aussi que la construction de compétences, individuelles et collectives, est
au cœur du processus de développement professionnel : « La formation continue des
enseignants vise à doter les professeurs des compétences professionnelles indispensables à une
constante adaptation aux évolutions du système éducatif et à la réussite de tous les élèves. Elle
concerne les enseignants du premier et du second degré ».
16 Cette dernière phrase mérite qu’on s’y attarde puisque le développement de
compétences collectives est supposé entraîner, dans son sillon, des transformations
identitaires (collectives) majeures qui sont censées s’appliquer, au-delà de leurs
spécificités, à l’ensemble des enseignants du primaire et du secondaire. Loin de ne
constituer qu’un idéal vers lequel tendre, ces transformations identitaires sont actées
par le BO (Bulletin Officiel, numéro 1) de janvier 2007 qui institue un référentiel de
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
28
compétences unique « pour tout type d’enseignant » au cahier des charges des IUFM : «
La formation professionnelle initiale, dispensée en institut universitaire de formation des
maîtres, doit permettre d’assurer une maîtrise suffisante de chacune des dix compétences
suivantes (…). Au terme de l’ensemble des stages en responsabilité, le professeur des écoles
stagiaire est supposé avoir construit des compétences professionnelles lui permettant d’envisager
une prise de fonction efficace ».
L’inscription du processus de développement professionnel dans un
rapport au temps institutionnel
17 D’un point de vue institutionnel, l’entrée dans le métier est considérée comme une
période charnière du développement professionnel, depuis 2001, si l’on se réfère aux
circulaires qui lui sont consacrées (circulaire du 27 juillet 2001 & circulaire du 23
février 2007). L’expression « période décisive » de la carrière, mentionnée sur le portail
Eduscol, confirme l’importance de cette phase.
18 Par ailleurs, la circulaire de 2007 permet de circonscrire, d’un point de vue
institutionnel, une première phase du développement professionnel, celle au cours de
laquelle, dans notre analyse, les néo-titulaires seront identifiés comme « primo
débutants ». Il apparaît en effet que les « enseignants débutants », pour reprendre la
nomenclature de l’éducation nationale, bien que titulaires, sont dorénavant considérés
comme des enseignants en « formation initiale différée », durant les deux premières
années qui suivent la titularisation (c’est-à-dire T1 & T2). De plus, les compétences des
personnels enseignants, inscrites au référentiel, se construisent, progressivement,
durant l’année de professionnalisation et « se développent et se consolident pendant les
deux premières années d’exercice puis tout au long de la vie professionnelle » (BO n° 9, 1er mars
2007). Ainsi, ces deux premières années constituent une étape, identifiable
institutionnellement, d’un continuum au long cours. L’éducation nationale semble donc
situer la genèse de ce continuum « en amont du concours et de la formation professionnelle
en IUFM », dès qu’un projet professionnel est formulé par le futur enseignant (BO n° 9,
1er mars 2007).
19 Quels sont les outils dont dispose l’institution pour permettre le développement des
compétences des enseignants ?
Outils au service du développement professionnel, d’un point de vue
institutionnel
20 Au sein de ce continuum que nous venons de délimiter en amont et en aval, les stages
de « pratique accompagnée » et ceux « en responsabilité » constituent
institutionnellement l’élément central au service du développement professionnel. De
la pratique va naître l’expérience qui, progressivement, au cours de la formation
initiale, exigera d’être analysée au moyen d’ « outils conceptuels et des apports de la
recherche universitaire » (BO n° 9, mars 2007) lors de la formation en IUFM. Ainsi,
l’alternance, voire la dialogique, entre formation théorique et formation pratique, est
officiellement au cœur de la formation initiale et continue.
21 Outre la réalité de l’alternance, c’est de « la qualité de la collaboration entre le lieu de stage
et l’institut de formation » (BO n° 9, mars 2007) qu’est censée dépendre la qualité de la
formation et donc du développement professionnel. Ainsi, celui-ci dépendrait des
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
29
expériences effectuées par les enseignants, des contextes éducationnels qu’ils
découvrent mais également des collaborations et interactions avec leurs pairs, qu’ils
soient collègues ou formateurs, et enfin d’eux-mêmes puisque « l’enseignant joue un
rôle important dans son propre développement professionnel. Il peut utiliser plusieurs
moyens pour apprendre et maîtriser son métier, entre autre l’analyse de situations de
la pratique, la participation à certaines activités, etc. Cela nécessite son intérêt
personnel et son engagement » (Mukamurera & Uwamariya, 2005). Ces dimensions sont
présentes dans BO n° 9 (mars 2007). Les objectifs des stages en responsabilité s’y
déclinent en effet sous forme de verbes d’action, tels : « participer (à l’ensemble des
activités de l’établissement ou de l’école) », « agir », « rencontrer », « rechercher », qui
sous-entendent l’engagement de l’acteur. Pour accomplir pleinement son engagement
dans l’agir, le stagiaire est appelé à « mobiliser en situation professionnelle les savoirs
construits à l’IUFM (formations disciplinaires et didactiques, analyses de pratique
professionnelle) ».
22 Enfin, au terme de l’année de T2, la formation initiale s’achève et c’est par le biais de la
formation continue, que l’enseignant, au-delà de sa pratique de terrain, continuera à
cheminer dans ce continuum et à construire une identité professionnelle de plus en
plus affirmée.
Outils au service de l’évaluation du développement professionnel,
d’un point de vue institutionnel
23 En amont de la titularisation, ce sont les stages qui sont prétextes à l’évaluation.
Parallèlement, un dossier de compétences « accompagne les professeurs durant l’année de
professionnalisation et les deux premières années d’exercice (…). Ce dossier de compétences a une
double fonction : il rend compte de la maîtrise des compétences attendues à la fin de l’année de
stage et permet au jury de se prononcer dans le cadre de l’examen de qualification
professionnelle ; en attirant l’attention sur les compétences qui doivent être confortées, il facilite
ensuite la construction du parcours de formation initiale différée sur les deux années qui suivent
la titularisation » (BO n° 9, mars 2007).
24 Ce découpage institutionnel du continuum fait-il sens pour les enquêtés ?
3. Le développement professionnel du point de vuedes discours de professeurs des écoles néo-titulaires
Les marqueurs temporels dans les discours, manifestations de
l’amélioration des pratiques enseignantes
25 Notre corpus est constitué de trente entretiens semi-directifs, menés auprès de
professeurs des écoles néo-titulaires, exerçant de la maternelle à la SEGPA (Sections
d’Enseignement Général et Professionnel Adapté), dans les académies de Nancy-Metz et
de Strasbourg. Pour le cadrage de l’étude, nous nous sommes appuyés sur l’enquête
menée par Pierre Périer (2003). Selon le chercheur, les enseignants manifesteraient une
centration sur les savoirs disciplinaires et leur transmission à mesure qu’ils avancent
dans la carrière, les premiers changements notoires devenant visibles après quatre ou
cinq années d’ancienneté. Par conséquent, les néo-titulaires sont, pour nous, des
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30
professeurs des écoles ayant d’une à trois années d’expérience sur le terrain.
L’Education nationale les nomme T1, T2 ou T3 (T comme « titulaires »), répartis ainsi :
18 T1, 5 T2 et 7 T1, dont 11 hommes et 19 femmes. Les travaux de Périer permettent
donc non seulement d’identifier les néo-titulaires mais également de procéder à un
premier découpage au sein du continuum. Nous tenterons précisément de comprendre
le processus de développement professionnel à partir de cette phase, que nous
dénommerons « entrée dans le métier ».
26 Nous avons, pour cela, dans un premier temps, procédé à un relevé systématique des
marqueurs temporels présents dans les entretiens intégralement retranscrits. Dans un
second temps, nous avons isolé et retenu ceux auxquels était adjointe une expression
contenant l’idée de progrès, matérialisée le plus fréquemment par un verbe exprimant
le constat d’un changement positif. Enfin, nous avons procédé à un regroupement
thématique de l’ensemble des éléments retenus et associés à l’idée de changement.
Trois axes heuristiques, que nous serons amenés à développer, ont émergé : le
développement professionnel s’accompagne d’une évolution du rapport à soi, aux
autres (en l’occurrence aux élèves) et au métier.
27 Par ailleurs, pour permettre le dialogue entre les textes officiels et les discours des
enquêtés, nous avons exploré le rapport à la formation initiale et continue des
interviewés. Dans la même optique, nous avons voulu identifier les acteurs du système
et les outils qu’ils considèrent comme des adjuvants à leur développement
professionnel. Nous avons également tenté de repérer et de mettre au jour, à l’aide du
relevé des indicateurs temporels, les étapes constitutives du développement
professionnel pour ces enseignants, depuis leur première rentrée jusqu’au moment de
l’entretien, à partir du repérage des points de convergence susceptibles de s’établir au
fil du temps. Ces étapes sont-elles invariablement les mêmes pour tout enseignant ?
Dans quel rapport au temps les enseignants néo-titulaires vivent-ils leur
développement professionnel ?
L’inscription du processus de développement professionnel dans un
rapport au temps personnel
28 A y regarder de plus près, l’expression « rapport au temps », employée au singulier,
s’avère inexacte. Le processus de développement professionnel s’ancre manifestement
dans une dualité de rapports au temps : le rapport au temps que vit le sujet et le
rapport au temps dans lequel l’institution l’inscrit. Le temps institutionnel ayant été
mis précédemment au jour, nous nous attacherons, dès à présent, à mettre en exergue
le rapport personnel au temps qui émerge des entretiens menés avec les professeurs
des écoles néo-titulaires.
29 Ce sont les sentiments d’auto-efficacité et de progrès qui permettent au sujet le
passage, symbolique, entre les unités temporelles qui ponctuent l’entrée dans le métier.
Si la durée et le nombre de phases diffèrent d’un individu à l’autre, il semblerait
néanmoins qu’une phase soit identique pour tout néo-titulaire : celle au cours de
laquelle celui-ci se sent « primo débutant ».
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
31
T1 ou l’ère des « primo débutants »
30 Cette phase se caractérise par un rapport subi au temps : c’est l’ère de l’urgence, de
l’extensivité du temps professionnel sur le temps social et d’un certain nombre de
dysfonctionnements dans la gestion de la classe. Le « terrain », par opposition à la
formation, jugée globalement trop théorique, se révèle un lieu propice à un
apprentissage rapide du métier. Le recueil des marqueurs temporels montre que la
phase au cours de laquelle l’enseignant se perçoit « primo débutant », variable d’un
sujet à l’autre, peut être très brève. C’est l’idée résumée par les propos d’Emmanuelle
(T1) qui témoignent d’une progression rapide, associée à un sentiment d’amélioration
de la gestion de classe et de la relation à l’élève :
« J’ai vite compris quand j’ai réussi à voir les différences de niveau et à adapter, ehbien que l’élève était suffisamment rassuré pour qu’après les choses du ressort ducomportement puissent en fait s’améliorer, quoi, j’arrivais après à mettre en place unautre travail ».
31 D’étapes en étapes, de réussites en réussites, signifiées également par des verbes
porteurs de l’idée d’une amélioration (tels ici réussir, comprendre, arriver), elle quitte
ce statut de « primo débutante », que traduit l’expression « au début » et qui débouche
sur un « après ». Si les indicateurs temporels, tels ceux utilisés par Emmanuelle, sont
flous et ne permettent pas de cerner précisément la période des « tout débuts »,
d’autres révèlent que des améliorations sont palpables « au bout de quelques mois », plus
précisément « au bout de six mois ». Pour d’autres enquêtés, la fin de la première période
constitue une étape charnière, elle se situe environ deux mois après la rentrée scolaire.
32 Au final, nous pouvons dire que la durée de cette période est fluctuante et singulière :
elle peut s’échelonner sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Quoi qu’il en soit,
des changements significatifs, semblent se cristalliser, globalement, au bout de
quelques mois et, de manière certaine, au terme de la première année scolaire.
L’institution serait-elle consciente de cette rapide progression qui se joue à l’orée de la
carrière pour la formaliser, par le passage d’un échelon, au bout de trois mois
d’exercice ?
33 Quels sont les changements concrets, précédemment évoqués, qui accompagnent le
sentiment de progression exprimé par les enquêtés ?
Nature des transformations associées au sentiment de
développement professionnel
34 L’analyse des discours révèle que, de manière globale, l’expérience de terrain est source
d’apprentissages, non nécessairement définis de manière précise par les enquêtés,
comme en témoignent des formulations telles : « J’ai appris beaucoup de choses sur le
terrain ».
35 Lorsque la nature des apprentissages est définie, on constate que l’immersion dans le
terrain permet aux enseignants de modifier leurs conceptions initiales du métier ou, du
moins, de déconstruire celles qui sont erronées :
« J’avais un mi-temps et deux quarts temps. Et je me suis dit que le mi-temps sepasserait très bien mais que les quart-temps, (…) ce serait plus difficile (…). C’étaitvraiment une relation très forte alors que, comme dit, c’est allé à l’encontre de ceque je pensais en début d’année » (Yann, T2) ;
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32
« Il y avait un gros décalage entre ce que j’imaginais et ce que c’était réellement. (…)je suis arrivée avec des illusions, vraiment. J’avais l’impression que ça allait êtremagique : un peu la classe au pays de Barbie » (Claire, T2, à propos du premier stageen responsabilité).
36 Si Yann est, par ailleurs, pleinement conscient de sa progression (« J’ai quand même
beaucoup évolué depuis [la première rentrée] »), des mécanismes semblent également
travailler, à son insu, puisqu’il a parfois du mal à expliquer les causes des
transformations positives qu’il vit dans sa classe. Ainsi, face à la conseillère
pédagogique qui l’incite à analyser l’amélioration de sa pratique constatée, celui-ci
répond :
« C’est la question que je me pose moi-même. J’ai du mal à répondre à cettequestion-là. J’ai peut-être fait des erreurs. C’est difficile d’analyser son proprecomportement » (Yann, T2).
37 On peut constater que les progrès des élèves constituent, pour lui, un bon indicateur de
sa propre progression :
« Et au bout d’un mois, un mois et demi, quand les choses sont rentrées dans l’ordreet que j’ai vu que les élèves commençaient à progresser, ça m’a vraiment donnéenvie de continuer. (…) le fait de voir que je suis arrivé à quelque chose avec lesélèves me donne envie de continuer. Est-ce que c’est allé mieux pour moi parce quej’ai vu que les gamins progressaient et donc, ça m’a donné plus envie et plusconfiance ou est-ce que les gamins…, ou l’inverse ? Je sais pas. Mais ce qui est sûr,c’est que c’est lié » (Yann, T2).
38 Il ressort des propos de Yann que le sentiment de progression, d’auto-efficacité est
source de motivation.
39 Au-delà des répercussions purement professionnelles qui accompagnent le processus
de développement personnel, des modifications du rapport à soi sont tangibles. Ainsi,
Yann se dit « plus confiant » et déclare avoir « abordé de manière beaucoup plus
sereine » la deuxième rentrée. Meryem (T3) parvient, quant à elle, à faire le distinguo
entre soi personnel et soi professionnel, dans sa pratique. Le développement
professionnel s’est donc accompagné d’un processus de distanciation : « au début, les
échecs, enfin…, l’échec du gamin, on le prend pour soi, en fait ».
40 L’expérience permet aux enseignants qui adoptent une posture réflexive, de modifier
leurs pratiques et notamment les situations d’apprentissage qu’ils proposent à leurs
élèves :
« J’avais commencé par un projet sur la littérature migrante. Ça a été une tentatived’approche. Il est évident que si je devais présenter ce projet maintenant, (…) c’estclair que mes objectifs, il faut que je les revoie parce que c’était à moitié adapté (…).Mais, hum, voilà, ce que je pensais à l’époque » (Emmanuelle, T1).
41 Enfin, c’est en termes de gestion de classe que les progrès sont palpables :
« On va dire que le bilan, c’est que j’ai beaucoup appris en terme de gestion declasse » (Paul, T1).
L’apprentissage du métier : un continuum au service du
développement professionnel
42 Si l’ensemble des enquêtés paraît conscient que l’apprentissage du métier se construit
progressivement, avec les adjuvants majeurs que sont le temps, l’expérience et la
posture réflexive, les femmes verbalisent davantage que leurs homologues masculins sa
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33
dimension toujours inachevée, c’est-à-dire « tout au long de la carrière », pour citer
Emmanuelle (T1). Elles mettent plus facilement en avant la dimension toujours
perfectible des pratiques, comme en témoigne la réitération des modalisations
temporelles « toujours » et les dérivés, en italiques, construits autour du noyau
« mieux ». Il s’agit, selon Zoé (T3), en effet de :
« Euh..., toujours évoluer pour faire en sorte que, de tirer, pas des leçons, maisaméliorer, euh..., son enseignement, toujours remettre en question ce qu'on a faitpour voir où le..., la chose pourrait être améliorée pour faire mieux, à chaque fois.Non, en toute séance, il y a toujours des imperfections et euh..., il y a des séances qui sepassent très bien, d'autres qui se passent moins bien. Faut savoir les analyser,savoir ce qu'on peut mettre en place pour les améliorer » (Zoé, T3).
43 Cette dernière considère la dimension perpétuellement inachevée, qui caractérise le
continuum, comme une difficulté majeure liée à l’exercice du métier puisque c’est au
moment où sont abordées, pendant l’entretien, les difficultés du métier, qu’elle met en
avant l’infinie et l’atemporelle perfectibilité de la pratique professionnelle.
44 Peut-on trouver ici des indicateurs d’une éventuelle différenciation sexuée du rapport
au développement professionnel ? Cette piste demanderait à être travaillée.
45 A partir de l’année de T3, le dispositif de formation continue n’est plus qu’alimenté par
des stages, non obligatoires, inscrits au plan de formation, et par dix-huit heures
annuelles d’animations pédagogiques obligatoires. Comment les enquêtés T3
perçoivent-ils ce dispositif ? On distingue deux groupes de T3. Il y a, d’une part, ceux
qui déplorent le manque de formation continue, à l’image de Meryem ou d’Annabelle :
« La formation continue, elle devrait être…, elle devrait être importante en débutd’expérience parce que là, on est vraiment tous les jours confronté à des difficultéset puis, ouais… » (Meryem, T3) ;« Au cours de l’année, ben, on a eu deux animations pédagogiques chacune de deuxheures : autant dire que c’est assez léger » (Annabelle, T3).
46 Ces enseignantes, conscientes de leurs progrès, reconnaissent le côté perfectible de
l’apprentissage du métier, mis en valeur par l’expression réitérée « pas encore » :
« (…) souvent, je ressens quand même le manque d’expérience parce que les enfantsarrivent avec des difficultés, alors, même si j’arrive à les relever, les difficultés,après, les analyser et pouvoir y remédier, c’est encore différent » ou encore « Je neme sens pas encore assez prête », « je ne me sens pas encore assez solide », « je ne mevois pas encore… » (Annabelle, T3).
47 Au regard d’une formation initiale vivement critiquée et d’une formation continue
quasi inexistante, elle a décidé de poursuivre parallèlement une formation en sciences
de l’éducation à l’université :
« Je pourrais très bien passer le CAPA-SH et j’ai pas envie de me former chez eux.Je…, je n’ai pas confiance, en fait. Et c’est pour ça que j’ai repris des études, pour meformer à l’extérieur ».
48 Il y a, d’autre part, un second groupe de T3 qui émerge. Ce groupe se distingue par
l’absence d’évocation d’un quelconque besoin de formation continue. Doit-on en
conclure que ceux-ci se sentent suffisamment armés pour ne pas évoquer ce manque de
formation, évoqué par l’autre groupe de T3 ? C’est ce que conduisent à penser les
propos de Karine (T3) qui conjugue au passé les difficultés : « C’était difficile au début.
C’était beaucoup de travail ». Ou, au contraire, ces discours aseptisés de difficultés
traduisent-ils la crainte de passer pour un apprenti aux yeux de l’enquêteur alors qu’on
est T3, titularisé et inspecté, c’est-à-dire reconnu comme n’étant plus en « formation
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initiale intégrée » ? Par ailleurs, on pourrait s’interroger, d’un point de vue
épistémologique, sur le biais éventuel que peut constituer la situation d’entretien
d’elle-même : l’enquêtée, en l’occurrence ici Karine, prise dans ce rapport asymétrique
d’enquêteur à enquêté, déploierait une stratégie ayant pour visée de plaire à
l’enquêteur et de se montrer sous les meilleurs hospices possibles.
Aides et outils personnels au service du développement
professionnel
49 En formation initiale, ce sont les stages qui sont estimés, par l’ensemble des enquêtés,
comme l’élément le plus formateur, quand bien même ils sont globalement jugés trop
peu nombreux. Ils permettent notamment de déconstruire les représentations initiales
erronées et de limiter, sans doute, les écarts entre la vision idéalisée et imaginaire du
métier et la réalité. Ainsi, Paul (T1) déclare n’avoir point trop appréhendé sa première
rentrée en ZEP pour avoir eu « des représentations initiales qui étaient pas trop, voire
pas du tout décalées par rapport à la réalité du terrain, en fait, vu ce que l’IUFM m’avait
permis de voir en allant dans des classes de ZEP, l’année d’avant ».
50 L’écrit professionnel, dont les modalités diffèrent d’un IUFM à l’autre, devrait être un
outil au service de l’analyse des pratiques pour des enseignants que l’institution
souhaite voir devenir des praticiens réflexifs, au sens de Schön (1994). Mais l’usage
évaluatif que fait l’IUFM de cet écrit ne dénature-t-il pas les fonctions formatives et
réflexives pour lesquelles il était pensé ?
51 Une fois titularisés, sur le plan des ressources humaines, les collègues sont ceux qui
sont le plus fréquemment cités par les enquêtés, notamment dans le cadre des postes à
mi-temps lorsque la coopération est heureuse. Ils ont pour dénominateur commun le
fait d’être perçus comme des acteurs expérimentés, ayant permis, aux débutants, une
amélioration des pratiques, par les conseils qu’ils dispensent et leur écoute
bienveillante, notamment :
« J’ai appris beaucoup de choses, au niveau des collègues, qui m’ont beaucoup aidée,vraiment beaucoup apporté de…, de pratiques, de savoir-faire, de connaissances…,pour bien mener la classe » (Zoé, T3).
52 Sur le terrain, l’analyse de pratiques devient donc informelle puisqu’elle se
« désinstitutionnalise » progressivement à la sortie de l’IUFM. Aussi, pour combler ce
manque, certains enquêtés, T1, ont pris l’initiative de se retrouver entre débutants, à
l’IUFM, de manière hebdomadaire afin de promouvoir les échanges entre pairs, le
travail collaboratif et l’analyse, informelle, de pratiques. On peut supposer aussi que le
choix de se retrouver à l’IUFM n’est pas neutre : il permet sans doute un accès facilité à
la documentation, ressource au service du développement professionnel. Ces groupes
se constituent sur le modèle des communautés de pratique.
53 Les conseillers pédagogiques, quant à eux, n’apparaissent pas de manière évidente,
dans les discours, comme des aides, au service du développement professionnel. Leur
proximité avec les services d’inspection conduit certains enquêtés à les percevoir
davantage comme des « mini inspecteurs » (Annabelle, T3) que comme des conseillers à
part entière.
54 Enfin, le « terrain » occupe une position prévalente. Il est en effet perçu, dans les
discours, comme un cadre au sein duquel se construisent les pratiques, perfectibles, et
comme un moyen puisqu’il est le terreau favorable à l’augmentation du capital-
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expérience. Les enseignants que nous avons interrogés disent donc apprendre par et
sur le terrain. La formation dispensée par l’IUFM n’apparaît plus que comme un
arrière-plan, dans laquelle certains vont aller ponctuellement puiser alors que d’autres,
à l’image de Paul (T1), vont faire le choix de faire fi de certaines méthodologies
conseillées par la formation pour construire les situations d’apprentissage, et que
d’autres encore, telle Astrid (T3), entament un « désapprentissage » de ce qu’ils ont
appris à l’IUFM.
Discussion
Temps de la formation, temps de l’évaluation : quelles relations ?
55 Les modifications institutionnelles récentes, liées à l’accompagnement dans l’entrée
dans le métier et entérinées par la circulaire du 23 février 2007, signifient que cette
phase est reconnue, par le ministère, comme une phase charnière du développement
professionnel enseignant. Aussi, l’introduction du dispositif de « formation initiale
intégrée », dans le plan de formation des T1 et T2, vient-elle conforter l’idée que cette
phase est décisive pour la carrière de l’enseignant débutant. Sur ce point, les textes
officiels convergent avec l’opinion des enquêtés qui valorisent davantage cette
formation, « en circonscription », que la formation initiale. De plus, l’introduction de ce
nouveau dispositif dans la formation professionnelle véhicule implicitement l’idée que
le développement professionnel se construit progressivement. Or, c’est au cours de
l’année de T2 que les « titulaires en formation initiale intégrée » - expression
oxymoresque - « subissent » leur première inspection. Si le temps de l’évaluation et
celui de la formation se chevauchent, le temps de la formation peut être dénaturé. On
peut en juger par l’exemple de Brigitte, T1, qui a vécu une inspection pendant son
temps de formation, cette situation génère de l’angoisse par rapport aux futures
inspections, ébranle la confiance en soi et aurait pu conduire à la démission :
« Donc, moi, mon inspection, l'année prochaine, je vais être mais dans mes petitssouliers... Ça m'a..., j'en ai été malade, quoi, mais vraiment ! Si j'm'étais pas dit euh,en moi même que : ˝ si, si, j'ai envie d'le faire, et puis que j'me sentais bien, et quej'avais…˝ ».
56 Ces deux temporalités, que sous-tendent des logiques différentes, ne devraient-elles pas
être clairement distinguées pour que leur valeur en reste préservée ?
Outils de formation, outils d’évaluation
57 Dans le même registre, le statut de l’écrit professionnel est également ambivalen, voire
bafoué. Il est en effet à la fois un instrument au service des apprentissages, qui doit
permettre réflexion au service, in fine, de l’acquisition de compétences nouvelles, et
support d’évaluation sommative. Le stagiaire osera-t-il librement exprimer ses
difficultés ou, au contraire, concevra-t-il cet exercice exclusivement comme une tâche
à laquelle il lui faudra se plier de manière scolaire en la conformant aux critères
d’évaluation ?
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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Une formation « dévalorisée »
58 Si la formation est parfois discréditée par les stagiaires parce qu’elle ne répond pas à
leurs attentes, on peut également constater que l’institution elle-même semble
travailler à sa dévalorisation. Elle n’hésite pas, en effet, à placer des débutants sur des
postes à profils qui exigent, théoriquement, la détention d’un diplôme spécialisé (de
type CAPA-SH ou une certification en langue) ou encore à « parachuter dans le vide »
(Karine, T3) des personnes de liste complémentaire. Ces solutions temporaires ne
véhiculent-elles pas, en filigrane, le raccourci qu’un apprentissage sur le tas est
possible, voire suffisant ?
Discours institutionnels, discours personnels
59 En termes d’accompagnement à l’entrée dans le métier, il semblerait qu’il y ait un écart
entre les idéaux des politiques éducatives et la réalité perçue par les enseignants, sur le
terrain. Ce constat est convergent avec celui effectué par Marcel (2005) : « Les
différentes modalités de la prescription [conséquente à la loi d’orientation de 1989] ne
rencontraient pas un écho uniforme sur le plan des pratiques enseignantes ». La notion
même d’accompagnement, au cœur de la circulaire de 2007, est en effet absente des
discours personnels. Les néo-titulaires n’hésitent pas à se dire « largués » (Claire, T2),
sur le terrain, dès le premier stage. Lilian déplore d’ailleurs le fait que les stages de
pratique accompagnée soient trop peu nombreux au cours de la formation initiale.
Aussi déclare-t-il avoir apprécié celui dont il a pu bénéficier en T1.
60 On constate également que, si des étapes du développement professionnel ont pu être
mises au jour dans les discours personnels et officiels, le découpage de celles-ci est
complexe puisque des variations interpersonnelles existent, au-delà des points de
convergence, d’un professionnel à l’autre. Ceci justifierait peut-être un
accompagnement plus individualisé dans l’entrée dans le métier mais des freins
économiques s’y heurteraient sans doute.
61 Enfin, si les néo-titulaires adhèrent au dessein de développement d’analyse des
pratiques, souhaité par les politiques éducatives, ils ne se sentent néanmoins pas armés
des « outils conceptuels » que prône pourtant l’institution.
62 Gageons que c’est peut-être parce que la nouvelle politique d’accompagnement à
l’entrée dans le métier est sans doute encore trop récente que son effectivité est
discutée.
Conclusion
63 Notre recherche a permis de mettre au jour la présence d’indicateurs du
développement professionnel dans les discours officiels et dans ceux produits par les
enseignants sur l’entrée dans le métier.
64 A l’interface des deux corpus, on trouve les indicateurs temporels. Ils se déclinent en
indicateurs (temporels) personnels et en indicateurs (temporels) institutionnels.
65 Les indicateurs personnels sont des indicateurs d’auto-évaluation du développement
professionnel. Elaborés de manière informelle par les enseignants, ils permettent une
traçabilité, dans le temps, du sentiment de progression ou d’auto-efficacité, lié à
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l’acquisition de compétences ou à l’évolution des représentations. On constate des
variations interpersonnelles dans la production de ces indicateurs, inscrivant leurs
auteurs dans une pluralité de rapports au temps. A contrario, le temps institutionnel
s’écoule selon un découpage identique pour chaque enseignant. L’inscription de
l’enseignant dans ce double rapport au temps ne constitue-t-elle pas un frein à la
qualité de son développement professionnel ?
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RÉSUMÉS
Notre recherche explore la question du développement professionnel des professeurs des écoles
néo-titulaires, c’est-à-dire des enseignants débutant dans le métier et qui comptabilisent entre
une et trois années d’expérience sur le terrain, après leur sortie d’IUFM. Il apparaît que ce long
continuum, qu’est le processus de développement professionnel enseignant, est caractérisé par
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des phases. Celles-ci s’inscrivent dans une double temporalité à la fois institutionnelle et
personnelle. Notre article vise à mettre au jour les différentes phases telles qu’elles sont
énoncées dans les discours officiels et à travers les entretiens que nous avons menés avec des
professeurs des écoles néo-titulaires. Il repose donc sur une analyse conjointe de textes officiels
et d’entretiens. In fine, nous interrogerons la manière dont les discours institutionnels, sur
l’entrée dans le métier, font ou ne font pas sens pour ces professeurs des écoles néo-titulaires.
Our study explores the question of the professional development of new primary school teachers,
meaning teachers who are starting in their teaching career and who have accumulated between
one and three years experience in the classroom after they have finished their training in the
“IUFM”. It seems that this long continuum that is the process of professional development is
characterized by phases. These are both institutional and personal. Our article aims to shine light
on the different phases as they are demonstrated in the official literature and through the
research that we have carried out talking to new teachers. This study therefore, rests on
evidence based both on official literature and one on one interviews. In short, we are questioning
the way that official literature does or does not make sense for post graduate school teachers, on
the subject of entry in the teaching career.
INDEX
Keywords : professional development, primary school teachers, new teachers, relation between
teachers and time
Mots-clés : développement professionnel, professeurs des écoles, néo-titulaires, rapport au
temps
AUTEURS
ALEXIA STUMPF
ATER en sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg – Laboratoire : Laboratoire
Interuniversitaire des Sciences de l’Education et de la Communication (LISEC EA 2310).
MICHEL SONNTAG
Professeur en sciences de l’éducation à l’INSA de Strasbourg – Laboratoire
Interuniversitaire des Sciences de l’Education et de la Communication (LISEC EA 2310).
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L’expérience du travail commeindicateur de développementEtude exploratoire dans l’activité de distribution postale
Paul Olry
Introduction
1 Le développement professionnel est fréquemment appréhendé en sciences de
l’éducation dans l’accroissement des savoirs professionnels. Cette idée est d’autant plus
séduisante qu’elle donne à croire que l’on peut plus facilement ainsi en mesurer
l’acquisition. Nombre d’outils, comme les référentiels, fixent justement la nature et
l’intitulé de ces savoirs professionnels.
2 Notre point de vue prend appui sur l’idée que le développement professionnel est
d’abord un accroissement du pouvoir d’agir (Clot, 2008), certes attaché à l’action
conduite, mais plus encore à faire vivre le métier. Cela signifie que l’activité menée par
les professionnels ne se comprend pas seulement sous l’angle des savoirs qu’elle
mobilise mais selon les transactions avec d’autres dimensions telles que la prescription
du travail, les tâches à réaliser mais également les bénéficiaires de l’action.
3 Dans cet article, nous rendons compte d’une étude exploratoire menée auprès de
préposés facteurs lorsqu’ils accompagnent des nouveaux entrants dans le métier. Que
donnent-ils à voir et que disent-ils pour faciliter l’arrivée de novices au poste ? Notre
hypothèse est que les professionnels titulaires s’appuient pour « dire le métier » sur les
manières de faire issues de leur expérience. La méthode consiste à saisir l’activité
d’explicitation des facteurs au travers d’un moment de tutorat, filmé dans le cours
habituel de la distribution du courrier. L’étude prend place dans un programme de
recherche portant sur la conception de dispositifs de formation basé sur la
compréhension de l’activité des professionnels.
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1. Enjeu économique et contexte de transformation dumétier
4 L’organisme de formation promoteur de cette étude vient, pour développer les
compétences des apprentis, en appui d’une grande entreprise de distribution postale.
Cette dernière a pour objectif stratégique de se mettre en ordre de bataille face à
l’ouverture à la concurrence de la distribution postale en Europe. Cette entreprise
s’interroge depuis quelques années, sur la meilleure façon de faire pour recruter et
intégrer de nouveaux salariés (3000 à 4000 personnes par an), en lien à cet enjeu
primordial. Ce besoin de personnel efficace est soutenu par un investissement
technologique considérable, pour rendre la distribution plus performante tant au
niveau du flux des particuliers (15 %) que des entreprises (85 %) avec un objectif de
mise à disposition à J+1.
5 Des changements dans l’organisation du travail des facteurs accompagnent cette
modernisation des outils (automatisation du tri notamment), et sont contrebalancés
par une amélioration des conditions de travail (vélo électrique, nouveau type de
sacoche, etc.).
6 Pour autant, cette amélioration des conditions de travail, favorablement perçue par les
préposés en poste, ne compense pas le changement profond que la modernisation
technique apporte au contenu même de leur travail : le temps de tri par le préposé,
moment de préparation de la tournée est rendu caduque par l’automatisation ; le temps
et la distance de la tournée sont allongés d’autant, etc. Mais, ce gain de rapidité de
traitement initial du courrier, laisse entier la singularité des contextes et la spécificité
des tournées. Bref, les préposés craignent de devenir simplement des « porteurs de
papier en flux tendus » (Zarifian, 2003).
7 L’entreprise sait à quel point les préposés connaissent leur tournée, et combien cela
peut avoir d’incidence sur la façon de préparer la distribution et sur la façon de
distribuer. L’absence ponctuelle d’un usager, l’incapacité provisoire à se mouvoir d’un
destinataire, entraînent par exemple de la part du préposé un ajustement de la
distribution qui fonde pour ce dernier le sentiment rendre service à son client. Ce
rapport des préposés à leur tournée, dont le jargon de métier dit qu’ils les achètent, est
un nœud de conflit dans l’entreprise depuis des décennies que le renouvellement
générationnel est susceptible de dépasser. Pour autant, il ne s’agit pas de perdre en
route le savoir-faire acquis par les « anciens ».
8 C’est pourquoi l’entreprise s’est engagée lourdement sur l’intégration des nouveaux-
entrants préposés. Elle s’est impliquée dans la création d’un Certificat d’Aptitudes
Professionnelles Tri - Acheminement-Distribution. Elle a confié à des organismes
extérieurs l’acquisition et le développement des compétences non seulement de jeunes
embauchés, mais aussi des tuteurs qui les accompagnent sur le terrain.
9 Le cahier des charges est bien sûr de diplômer les futurs préposés facteurs, mais
surtout de les préparer à l’exercice du métier. Or, si les nouveaux embauchés sont
techniquement au point, leurs comportements au travail ne sont pas toujours
prévisibles pour les tuteurs et sont même parfois répréhensibles à leurs yeux. Plusieurs
auteurs ont tenté d’expliquer ce décalage, en soulignant par exemple la distorsion
perçue par les nouveaux entrants dans le métier entre une représentation initiale et la
réalité du travail (Collard & Iserantant, 2000). D’autres évoquent des difficultés
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d’apprentissage du métier par la délicate insertion de jeunes dans une équipe de
« fonctionnaires » (Roblain, 2007). Delay (2008) évoque un rapport différent des jeunes
générations au travail salarié et à la sécurité de l’emploi.
10 Face à cela, les formateurs sont démunis, n’étant pas mandatés pour traiter des
problèmes managériaux. L’activité des professionnels tuteurs est alors objet d’attention
tant de l’entreprise que de l’organisme. Ils apparaissent comme le levier idéal de
l’édification des nouveaux entrants. Mais simultanément, la conscience est grande de
leur impréparation à assurer cette fonction. Comment mieux les préparer à prendre en
charge des jeunes dont l’exercice futur sera différent du leur, essentiellement en
tournée, alors qu’on ne sait pas vraiment ce qui s’y passe ? Cette attente est résumée
par l’entreprise en une question : les tuteurs peuvent-ils mieux leur apprendre les
« bons comportements » ?
11 Dans cet esprit, les pratiques de formation de tuteurs sont ainsi appelées à se modifier,
bien que leur expertise les laisse parfois démunis tant du processus d’aide et
d’accompagnement des apprentis, que des ressources pratiques et méthodologiques,
face à l’incertitude liée aux évolutions du métier.
12 C’est donc un glissement des références, et donc un déplacement observable des
pratiques des professionnels tuteurs qui est abordé ici au travers d’une étude
exploratoire2 sur les situations de distribution postale.
2. Une approche incertaine du développementprofessionnel
13 Comme de nombreux auteurs l’ont souligné (Delbos & Jorion, 1983 ; Chaix, 1995 ;…), le
tutorat n’est pas limité à l’apprentissage de techniques. Si chaque tuteur montre des
gestes de métier proposés à l’imitation, il est aussi amené à décoder pour l’apprenti sa
compréhension des changements économiques, des évolutions qui y sont liées. Parfois,
il en vient à réorganiser son argumentation sur les façons de faire le travail. C’est
particulièrement vrai lorsque le travail change et que l’accompagne des glissements de
vocabulaire dans l’entreprise. Dans ce cas, on note que pour désigner le destinataire du
courrier, les termes du discours de l’entreprise glisse d’« usager » à « client ».
Néanmoins pour tout préposé-facteur, ce client est d’abord le destinataire du courrier.
14 Qu’il s’agisse ainsi des gestes de la distribution, du vocabulaire du métier qui
l’accompagne, ce contexte de la distribution postale impacte la fonction de tuteur. De
quelle façon ? On peut résumer ici une vision œcuménique du tutorat (Boru &
Leborgne 1992 ; Chaix, 1995 ; Kunegel, 2005) en trois caractéristiques :
Le tutorat ne vérifie pas une simple mise en application des savoirs mais accompagne la
construction de compétences en situation de travail.
Il fonctionne comme une prise de recul par rapport au travail. Tuteur et apprenti échangent
sur le travail. Ils disent ce qui est fait, comment et pourquoi. Cette verbalisation facilite la
transformation de l’expérience du professionnel en savoir transmis.
Le tutorat suscite une identification au tuteur, ce qui explique la contribution de ce dernier
à la socialisation professionnelle des stagiaires.
15 Dans un contexte de changement objectivé par un projet d’entreprise, de nouvelles
perceptions sur le service à rendre, cet ensemble de pratiques mobilise les capacités des
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professionnels pour faire la tournée, pour prendre des décisions et parfois des
initiatives. Cela mobilise leur expérience à :
formuler et résoudre les problèmes et les situations (ex : recommandés ou objets suivis) ;
installer la coopération avec d’autres autour d’un problème (ex : l’appel au voisinage quand
un destinataire est parti) ;
identifier et utiliser les informations disponibles dans l’environnement (ex : les
connaissances du voisinage)
prendre des initiatives acceptables (ex : à qui confier temporairement le chariot ?)…
16 Or, le projet managérial met une nouvelle fois la tournée en débat (Cartier, 2002) : par
delà la familiarité à « sa » tournée, l’objectif fixé au tuteur est de donner à comprendre
à l’apprenti ce qui fait la qualité du service de distribution. En tant que moment de
transmission du travail, le tutorat apparaît non seulement comme une occasion de
faire, mais aussi comme une opportunité ouverte à l’apprenti d’adopter les références
des professionnels. Pour ce faire, le tuteur reconfigure et justifie ses pratiques : c’est
une nouvelle posture de travail pour lui, souvent plus habitué à « dire le vrai » sur une
manière de faire ancrée dans un rapport historique à sa tournée. La prise en compte
d’un contexte nouveau, le contraint à en dire plus, ou autrement, de son rapport au
métier, en montrant par exemple sa prise en compte d’une nouvelle figure du client.
17 Dans un tel contexte de changement, l’expérience du tuteur est mise à l’épreuve : les
situations de tournée sont décalées, la coopération est dégradée par la fin du travail en
bureau de tri et partant, la socialisation professionnelle est mise à mal. Notre
hypothèse est que sa propre compréhension du métier s’en trouve actualisée.
18 C’est dans ce cadre que nous nous attachons ici à aborder leur développement
professionnel. Il s’agit en effet pour les tuteurs dans notre étude de reprendre leur
expérience du travail pour en découvrir, au profit de l’apprenti et à tous les sens du
terme, les liens, les ressorts, les sources et les ressources. C’est à ce prix que leur
expérience quotidienne devient un objet et un moyen de controverses, de pensées, en
un mot de développement de leur expérience.
19 Dans le cadre d’expression proposé par l’étude, les tuteurs reconfigurent leur
expérience de la distribution dans le but de permettre aux apprentis de se saisir des
principes, modalités, et pratiques relatives à une action productive et économe tant
pour l’usager que pour eux-mêmes. Pour ce faire, les tuteurs mobilisent leur expérience
antérieure en en recomposant les ingrédients (Schwartz, 2002). C’est, selon nous, ce
déplacement qui dessine un espace de développement potentiel (Mayen, 2002), notion
qui trouve sa source la proposition vygotskienne d’une zone de proche développement.
Reconfigurer son expérience pour l’apprenti est ainsi une occasion de développement
professionnel pour soi.
20 Parmi les indicateurs de ce développement, nous recherchons les variations de
déroulement de l’activité qui témoignent d’une compréhension modifiée de la situation
de leur part. Notre hypothèse est que si développement professionnel il y a, c’est, entre
ces mondes, le mouvement des significations produites par les professionnels
interprétant les situations qui en porte la trace.
21 L’analyse des situations de travail, lors des interactions tutorales, nous donne
l’opportunité d’étudier la nature et le sens de ce mouvement.
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3. Eléments méthodologiques
22 En préalable d’une rapide présentation méthodologique, précisons notre position de
chercheur. L’étude est inscrite dans le cadre d’un projet européen Leonardo dont l’objet
porte sur la transmission des savoirs du quotidien. Elle est menée en concertation d’une
part avec les formateurs de tuteurs et d’autre part avec les professionnels tuteurs eux-
mêmes. L’étude a fait l’objet d’une restitution auprès des tuteurs volontaires.
Documenter l’action des tuteurs
23 Pour ce faire, nous prenons d’abord appui sur les gestes et les prises de parole sur
l’activité et le métier, dont les argumentaires – plus ou moins stabilisés –, les propos –
plus ou moins personnels –, tenus dans l’exercice de leurs fonctions. Puis, nous notons
les interactions avec les apprentis, qui signent leur façon de donner à comprendre à
autrui leur activité professionnelle3.
24 L’étude évoquée ici est diligentée par l’organisme qui a en charge la formation des
tuteurs. Il n’y a donc aucun lien contractuel des chercheurs avec l’entreprise
d’appartenance des tuteurs. Ceux-ci se prêtent volontairement au dispositif suivant :
après une information sur les motifs de l’étude (i.e. l’engagement de l’organisme de
formation dans un projet européen portant sur la transmission des savoirs implicites),
un apprenti leur est confié sur leur tournée pendant trois jours, dont le premier est filmé
par un chercheur-tiers. A chaque fois, l’apprenti est présenté au tuteur comme réalisant sa
toute première journée en doublure. Ces tournées filmées forment un corpus relatif à
l’exercice du métier commenté spontanément en situation par le professionnel.
une séance d’auto-confrontation simple (Clot & Faïta, 2000) est organisée à l’issue de cette
prise de vue. Chaque facteur filmé est invité à réagir et à commenter une séquence dès lors
que les images le nécessitent à ses yeux. Un intervieweur se donne la même tâche de son
propre point de vue (Lang, Chesnais, Wolff & Rabardel, 1999).
une projection parmi un collectif de tuteurs (d’un autre centre) permet de mettre en débat
les actions et argumentations en dehors des spécificités culturelles du secteur de formation
initial. Toutefois, cet article ne traite pas des éléments recueillis à cette occasion.
25 Le dispositif d’étude prend appui sur trois tournées de distribution du courrier suivies
par un même apprenti avec trois tuteurs différents.
Documenter l’expérience tutorale
26 Le script générique de la relation tutorale est, en action, celui d’une mise en exergue de
la compréhension de la tournée, de l’observation des états propres à la faisabilité de la
distribution et de la recherche des relations entre ces états, les techniques et
règlements à connaître, le client considéré et les séquences d’imprévus. Le décryptage
des gestes par celui ou celle qui les exécute reçoit un statut de démarche intellectuelle
nécessaire au questionnement pratique. Elle imprègne les moments d’échange et de
conseil sur la distribution au cours desquels l’apprenti questionne4 le tuteur. Pour
s’approprier les tenants et les aboutissants d’une pratique, chacun mobilise son
expérience, la reconsidère, et tente d’en faire une ressource pour l’action future. La
situation de tutorat individuel, les verbalisations du tuteur donnent à entendre
l’énoncé d’autre chose que l’action : ses intentions, ses raisons, son modèle…
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27 Nous prenons appui sur l’affirmation que l’expérience des professionnels ne peut
devenir un objet de formation qu’à la condition de se transformer en moyen
d’émergence, de mise en œuvre ou d’énonciation d’une nouvelle expérience ; par
exemple cette dynamique développementale peut être le support d’un développement
des concepts (Clot, 2008). Autrement dit, et comme le signalait déjà Oddone (1981),
l’activité de compréhension des apprentis, soutenue par l’expérience acquise de
l’analyse des situations par les tuteurs, offre à ces derniers l’occasion de reconsidérer
leur travail et contribue ainsi au développement de leur expérience. Nous avons isolé
dans les verbalisations recueillies les séquences au cours desquelles l’interaction
coopérative entre les deux opérateurs était manifeste.
28 Notre hypothèse est que ces moments d’interactions entre tuteur et apprenti mettent
en travail des compétences incorporées (Leplat, 1997) qui ne sont pas nécessairement
disponibles à la conscience du sujet. En effet, dans cette situation, chacun est saisi par
l’activité de pensée de l’autre. Si une part du travail est déjà mise en langage, dans des
discours divers et parfois concurrents, une autre part des pratiques reste non tant
cachée que non encore élaborée en langage dans la mesure où le succès de l’action n’en
dépend pas.
29 Cette grille permet de saisir une partie de l’action du professionnel (ce qu’il fait, mais
aussi ce qu’il dit), ainsi que des informations qu’il prend dans les situations. Ce faisant,
l’action des tuteurs est documentée et peut faire l’objet d’une réélaboration en
entretiens d’auto-confrontation (Clot & Faïta, 2000).
30 Cet espace que fonde la distance entre la prescription et une activité redéfinie,
constitue l’espace du développement. C’est dans cet espace et au regard de l’hypothèse
ci-dessus, que reconfigurer son expérience à l’aune d’une situation nouvelle est un
indicateur de développement.
4. L’expérience en travail : une dimension dudéveloppement professionnel
31 Les éléments présentés ici sont exploratoires. Ils concernent, nous l’avons dit, trois
tuteurs dans une situation de distribution du courrier que ne distinguent « que » les
caractéristiques de la tournée.
32 Trois constats convergent selon nous pour structurer notre analyse du développement
professionnel. Le premier relève de l’élargissement du concept de client, évidence que
la présence d’un novice dans le métier oblige de déconstruire et de formuler. Le
deuxième provient de l’effet réflexif que produit la vision de la pratique de distribution
des pairs sur leur tournée, moment qui se dévoile aussi comme une prise
d’informations. Le troisième souligne l’importance des dilemmes dans la mise à
l’épreuve de l’expérience professionnelle. Ces trois points ne sont ici qu’ébauchés en
tant que produits d’une étude exploratoire.
4.1 La dramaturgie de la tournée : un script réglé par une vision du
destinataire, plutôt que du client
33 Dans cette situation, chaque professionnel suit une trame relativement similaire lors
des échanges avec l’apprenti. La tâche d’accompagnement leur a été confiée par le chef
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de centre, au motif que chacun d’eux avait déjà au moins une fois accompagné un
apprenti. Le premier constat qui peut être fait est que les tuteurs parlent beaucoup
avec les apprentis. L’exercice quotidien, plutôt solitaire, est habituellement rythmé par
le contact avec les usagers. Celui-ci n’est seulement fait d’interactions mais de petits
gestes facilitant la vie de chacun et marquant la tournée de la « patte » du facteur.
A : Tu les connais tes clients ?F15 : oui, mais tous hein… ça dépend…(…)F1 : ça fais 5 ans que je fais la tournée … là tu vois c’est une lettre que le destinatairen’a pas accepté parce qu’elle n’était pas assez affranchie ; donc je vais lui demander0,93 euros. La dame n’avait pas de monnaie et moi non plus. Donc je mettrai lamonnaie dans une enveloppe demain dans sa boîte aux lettres.A : tu connais la cliente depuis longtempsF1 : J’en connais euh de vue …En général, ils font confiance à la postière F3 : Dans notre métier il faut avoir en point de mire l’intérêt, le service public qu’onrend.
34 L’affirmation commune est ainsi que l’usager du service postal est la clé de la
distribution et des façons de faire du facteur. Le moment de l’acte public de
distribution, dans la rue, se distingue des nombreux travaux sur les facteurs réalisés au
bureau de poste (par exemple et parmi d’autres Hanique, 2004) ou en tournées (Mayen
& Kostulski, 2002). A cet égard lorsqu’elle est établie, la relation client/facteur traduit
un système d’attentes réciproques. Le client est d’abord en droit d’attendre que le
facteur lui facilite l’accès à son courrier. Inversement le facteur s’attend à ce que les
boîtes aux lettres soient normalisées, que les noms soient inscrits sur les boîtes aux
lettres. Ainsi, le rapport au client apparaît-il plus complexe, relevant moins d’une
prestation que d’un rapport équilibré.
35 Les facteurs considèrent les personnes qui ont confié le bon acheminement de leur
courrier à l’entreprise (et notamment les recommandés) comme leurs clients. Le travail
que donne à voir la tournée fait émerger le destinataire comme client, organisateur de
l’action du préposé. Ainsi le souci de la bonne information du client est-il affirmé par
les trois facteurs :
A : les gens ils comprennent quand tu leur mets Betoncourt Pale (pour posteprincipale) ?F3 : oui, en général ils savent où est la poste…. On fait tout en abrégé, rapidité,efficacité…F2 : Tu la vois la boîte là, elle est inaccessible. Tu n’as pas à rentrer dans unepropriété privée. S’il t’arrive quelque chose, bon , tu ne seras pas embêté mais …moi je rentre, bon a priori il n’arrivera rien.De même, l’exécution du service fait-elle l’objet d’une attention constante de la partdu facteur, toujours soucieux de reprendre en main leur tournée après le passaged’un remplaçant. F2 : le remplaçant, il connaît pas la personne, donc il l’a posé dessus… Il a bien fait !Bon moi je sais qui c’est mes clients, alors je le mets dans la boîte ! (Pendant que F2 poursuit sa distribution, le propriétaire de plusieurs appartementsloués sur place entre dans le hall)Ut : votre remplaçant, il a laissé un papier là… le gars a déménagéF2 : (n’entendant que la première partie de la phrase et montrant la boîte danslaquelle il a glissé le recommandé) oui là Mr Machepro !Ut : Mais il est parti le jeune !F2 : Il est parti ?… Je suis pas au courant.Ut : ils ont déménagé, ils étaient en colocation…
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36 Cet extrait nous révèle la distorsion fréquente entre le travail qu’on montre pour faire
apprendre, et la réalité des situations rencontrées. Alors que F2 veut montrer à
l’apprenti la différence entre la tournée du titulaire qui connaît ses clients, et le
remplaçant qui hésite face à un destinataire sans boîte, il agit trop rapidement, de
mémoire, pour glisser le courrier en attente dans une boîte désormais sans nom. Bien
que cela se révèle parfois ardu de suivre les aller et venues des usagers, les facteurs font
leur possible pour assurer la qualité du service. Comme le souligne F2, il y a à la fois une
manière de faire le travail et une mentalité pour faire le travail. Le but principal de l’activité
n’est pas de distribuer à tout prix lors de la tournée ; il est de ne pas « tuer le courrier »,
c’est-à-dire de ne pas renoncer à le distribuer.
37 Le destinataire absent, en congé, disparu sans prévenir, est en quelque sorte une
provocation envers les capacités du facteur, appelé à mobiliser son savoir-faire pour lui
faire parvenir son courrier malgré tout.
38 Ce qui souvent, dans l’esprit de l’apprenti, se résume à une distribution ordonnée par la
chronologie du chemin des boîtes aux lettres, est un composé de plusieurs variables : le
nom affiché, la durée de mise à disposition du courrier sans signe de présence du
destinataire, la facilité du recueil d’informations sur ce dernier, la nature du courrier et
son degré d’urgence supposée, etc.
39 Pour F2 notamment, la distribution n’est pas tant la remise du courrier qu’un rapport
intime noué avec la tournée et que révèle une posture personnalisée de représentant de
l’entreprise :
(F2 à l’apprenti ) Tu dois être honnête pour pouvoir marcher la tête haute et donnerune bonne image de La Poste.(…)A : (constatant que le facteur ressort d’un lieu de distribution avec du courrier enplus) Alors là je ne comprends pas : tu prends du courrier ?F2 : Deux trois lettres, bon là il y en a une petite dizaine, tu les prends, tu lesramènes au bureau. Il faut donner une image positive de La Poste. Tu rends unservice public. Mais en tant que rouleur, tu n’es pas obligé !
40 Et il faut cette succession d’incidents de distribution (l’information donnée par le
propriétaire, la prise de courrier par le facteur) pour que par ses questions, l’apprenti
oblige le titulaire de la tournée à déconstruire les évidences. Au regard de ce que
l’apprenti entend au CFA, le but dominant du titulaire est en conflit avec un autre but,
dominant pour l’entreprise celui-là : distribuer le courrier en fonction de ce que
l’émetteur a payé pour l’acheminement.
41 Prendre du courrier lors de sa tournée, prendre en charge ce que le client-émetteur
devrait payer, est d’abord non réglementaire, et coûte ensuite à l’entreprise. Pour F2
par exemple, le client n’est pas seulement celui ou celle qu’il rencontre lors de la
distribution, mais quelqu’un qui envoie aussi du courrier :
F1 : eh bien c’est ça par exemple les réexpéditions. Normal, les gens y payent pourça. Donc, si tu ne leur fais pas suivre le courrier, ils vont téléphoner au bureau et ilsvont râler. Pareil, il faut faire attention aux recommandés. Au début tu demandes lapièce d’identité, moi, au bout de trois ans effectivement, je la demande plus.
42 Ainsi, la dramaturgie de la tournée réglée sur le destinataire, pratique historique des
facteurs, témoigne-t-elle du conflit avec une vision du client émetteur, structurante du
projet technico-économique de l’entreprise. Pour les tuteurs collectivement confrontés
au film, l’objet de débat a porté sur la formulation de cette conception incorporée du
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client destinataire, et de re-conceptualiser la notion de client, comme celui qui tout à la
fois envoie et reçoit du courrier.
43 Mais les extraits de films présentés ont aussi questionné les tuteurs, les conduisant à
expliciter plus avant la connivence fonctionnelle6 entretenue avec leur tournée.
4.2 Un ressort du développement professionnel : l’expérience de la
relation au client
44 Nous insistons sur ce dernier mot de connivence avec leur tournée. Rousseau-Devetter
et Devetter (2003) évoquent cette connivence qui lie les facteurs aux usagers et les
risques qui en découlent pour l’exécution du service. Nous observons quant à nous que
cette connivence est d’abord consubstantielle de l’exercice du métier : le courrier
« parle » et renseigne sur la vie de l’usager. Mais cette « connivence » est aussi
prescrite : il existe une prescription relative à la documentation de la tournée. Chaque
préposé doit informer régulièrement le bureau sur sa tournée, en montrant par là sa
connaissance globale, puis en la précisant plus avant par usager ou groupe d’usagers.
Les facteurs sont en quelque sorte invités à la connivence, et cette connivence est
intéressée.
45 Du point de vue de l’entreprise, l’intérêt est dans l’élargissement des attributions des
facteurs, comme diffuseurs de produits financiers, auxquels les conseillers du bureau
de poste sont intéressés. Du côté des professionnels eux-mêmes, la connivence avec la
tournée est avant tout nécessaire pour maintenir une connaissance suffisante des
usagers. C’est leur souci permanent pour eux-mêmes et pour les remplaçants. L’extrait
suivant montre ainsi un échange relatif à un avis de recommandé laissé par un
remplaçant à cette adresse, alors même qu’aucun nom correspondant au libellé du pli
n’est lisible sur la boîte aux lettres.
F2 : le remplaçant, il connaît pas la personne, donc il l’a posé dessus… Il a bien fait !Bon moi je sais qui c’est mes clients, alors je le mets dans la boîte !A : mais si jamais ce papier, il partait à la poubelle ou par quelqu’un d’autre…comment il fera ?(bref silence)F2 : par contre, une chose qui est importante, ne jette jamais les ficelles quand tudéfais ta liasse, tu le les laisses pas dans le hall, c’est pas propre. C’est un respect duclient et c’est important pour l’image de La Poste, alors tu les prends avec toi et tules mets dans le chariot, dans une poubelle en sortant ou dans le caniveau, c’est bio-dégradable !
46 Dans cet extrait, on comprend que F2, qui pourrait focaliser son attention sur les
connaissances réglementaires propres aux mentions à porter sur l’avis déposé, poursuit
un autre but : centrer l’apprenti sur l’importance de connaître les clients de la tournée
(but premier) afin de ne pas laisser un avis au-dessus d’une boîte aux lettres (sous-but).
47 Fort des recommandations précédemment données par le professionnel sur « ce à quoi
il faut faire attention », l’apprenti questionne le risque lié à l’éventuelle disparition de
cet « avis qui traîne au-dessus des boîtes ». Ce faisant il questionne la hiérarchie but /
sous-but qui lui est proposée. Le professionnel est ainsi conduit à expliquer pourquoi il
priorise ainsi son activité.
F2 : Au bureau ce qui est important, c’est la mémoire des rues, des adresses et desnoms, la technique de tri ; si tu le fais pas bien cela se retransmet à la tournée, puisavec les clients ; quand tu reviens au bureau, les clients ont appelé et tu prends une
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ronflée de la hiérarchie. Tu vois l’enchaînement ? Collègues, clients, hiérarchie. Al’école on peut donner des directives, des lignes de conduite, mais pour laréalisation… c’est par l’expérience de la tournée (silence). C’est un métier facilepour celui qui n’a pas envie de le faire, mais si on veut bien le faire, c’est assezcompliqué.
48 Cette façon de penser le faire est avant tout fonctionnelle pour la réalisation de
l’activité. Deux des facteurs ont donné à voir que leur activité est d’abord conforme aux
connaissances qu’ils détiennent sur les usagers (ce que les distributions antérieures ont
permis de documenter), puis qu’elle permet de prendre ou d’actualiser l’information
par le truchement des personnes rencontrées (autres usagers, voisins, propriétaires,…).
49 La distribution apparaît ainsi comme une collecte, si l’on peut dire, redonnant ainsi au
terme de tournée son sens ancien7 de « voyage ». A ce titre, les professionnels insistent
fortement auprès de l’apprenti, pour lui faire percevoir la tournée comme un moment
privilégié d’une part de rencontre avec les usagers du service, d’autre part comme une
fonction de représentation de l’entreprise de distribution.
F3 :Ce qui est très important dans le métier du facteur, c’est d’être très honnête etsurtout nous avons le secret professionnel, tu dois pas dire à X ou Y ce qu’il atouché comme courrier.AC associée : Il ne faut pas que la rentabilité démolisse la relation client. Si on bâclele travail au nom de la rentabilité ça ne va pas ! Si on ne fait rien pour garder notreimage de La Poste telle qu’elle est, beaucoup de personnes se retrouveront auchômage. Dès que les sociétés concurrentes seront installées et auront un marché,la qualité baissera.
50 En s’appuyant sur une situation de travail, les propos des tuteurs donnent finalement à
entendre des façons d’améliorer l’efficacité d’une façon de faire, de penser l’action
autrement. Ainsi l’apprentissage du geste professionnel par l’apprenti porte-t-il le
développement de l’orientation des actions (Savoyant, 1979) du tuteur. L’acquisition du
professionnalisme de l’apprenti repose ainsi pour partie sur la capacité du facteur-
tuteur à reconfigurer son expérience.
51 Il nous semble que cela clarifie un objet du développement professionnel. Au premier
abord en effet, les manières de faire, les façons de considérer tournée et clients,
dessinent une expérience standard, voire routinière. Passée au tamis de l’analyse, il
apparaît que la place, la fonction et le statut de cette expérience ne cessent de changer
dans le discours à propos de l’activité déployée. Elle est tout à la fois objet et moyen du
développement. Tant du côté de l’apprenti que du professionnel tuteur, l’expérience
émergeant de l’analyse de l’activité est simultanément à plusieurs places. Plus, cette
alternance de place apparaît fonctionnelle (Leplat, 1985) pour la réalisation de la tâche.
52 Ce sont ces mouvements croisés de l’action et de l’expérience, leurs conséquences, qui
sont facteurs de développement notamment par lors de leur mise en question. « Doit-on
avoir systématiquement un avis tranché tout le temps ou donner l’inventaire des possibles ? »,
finit ainsi par interroger un tuteur lors de l’auto-confrontation.
4.3 Les dilemmes comme occasions de développement
53 L’usage de la vidéo permet la mise en évidence de séquences portant à controverses. Il
est fréquent en clinique de l’activité par exemple d’en faire usage en croisant les points
de vue de plusieurs professionnels (Clot, 1999). Avant la mise en œuvre d’un tel
dispositif, il apparaît que chacun d’eux est souvent pris dans des dilemmes8 qui font
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controverse pour eux-mêmes si l’on peut dire. S’inscrivant dans la tradition historico-
développementale initiée par Vygotski (1997), nous proposons d’apprécier le
développement dans les dilemmes qui bousculent la dynamique quotidienne du travail.
54 Les remaniements de la compréhension de l’action que provoquent ces dilemmes,
participent en effet d’une conceptualisation liée à la façon de les dépasser.
F1 : Là, ce monsieur il n’a pas son nom sur les sonnettes, donc je vais lui mettre unavis. A : Là c’est un recommandé ?F1 : Voilà ! Parce que je le connais pas et il ira chercher sa lettre à la Poste !A : tu peux me montrer comment… F1 : Alors au bureau de Betoncourt principal, 20 juin, Il est, non c’est pas « absent »,c’est « autre motif ». Et à partir du 21 juin à 9h ; voilà !
55 On voit dans cet extrait se superposer une contrainte, une histoire et une
obligation qui font dilemme. F1 sait que le destinataire réside à cette adresse. Comme
F1 l’a fait dans d’autres cas, il a laissé dans le passé un mot à son attention pour qu’il
indique son nom sous la sonnette. F1 constate sa relative impuissance (il y a cinq
sonnettes à cette adresse, dont trois renseignées) à aviser du recommandé. Pour
l’ordonnancement de l’action, le choix est simple : presser la sonnette anonyme pour
effectuer la distribution ou aviser. Il y a dilemme ici entre distribuer, qui donne son
sens à la tournée et aviser « pour un autre motif », sorte de gradient supérieur dans une
stratégie de coercition visant à contraindre un usager à devenir client. Alors que
l’apprenti s’enferme dans un questionnement technique (« tu peux me montrer ? »), c’est
F1 qui l’invite ainsi à replacer ce problème de distribution dans le cadre plus large de la
tournée en évoquant une stratégie à élaborer sur le rapport aux clients.
56 Un second dilemme présenté maintenant est à l’opposé du précédent. Le souci de la
qualité de la distribution devient secondaire dès lors que F1 n’a pas de prise sur la
résolution d’un autre problème évoqué dans cet extrait.
A : Là tu connais bien ici.F1 : Le n° 17, c’est une boîte commune. Mais il n’y a aucun nom sur les boîtes, doncje mets le courrier. De temps en temps le propriétaire, quand les gens ils n’habitentplus là, il me le rend. C’est des studios, ça bouge tout le temps (s’interrompt,regarde la caméra et se met à rire)… Il est trop tard, j’ai parlé ! Crotte !A : donc tu mets la lettre quand même ?F1 : donc je mets le courrier et on me le rend s’ils n’habitent plus là ! A : on te rend c’est-à-dire ?F1 : le propriétaire ; en général, il est là au bar et il me rend…A : Et s’il n’est pas là pendant 6 mois ?F1 : eh bien le courrier traîne pendant 6 mois ! Mais ça n’arrive pas. En général il merend plus rapidement que ça…Mais c’est un inconvénient c’est sûr les boîtescommunes ! Je ne sais pas si tu as déjà vu là dans les petites rues…
57 Les usagers sont toujours invités à se conformer aux injonctions de l’entreprise de
distribution postale quant à l’ouverture des portes (avec une clé normalisée) et à la
normalisation des boîtes aux lettres. Ces incitations sont réputées garantir pour
l’usager, une qualité de distribution plus « égale », quelles que soient les circonstances
et la nature du courrier. La majorité des rues de cette tournée appartiennent à un
centre ville historique protégé nous dira plus tard F1 : la plupart des portes anciennes
ne sont pas modifiables et ne peuvent intégrer une boîte normalisée. A lui seul, F1 ne
peut rien y changer. Aussi son travail est-il condamné à une sorte d’empêchement. Dès
lors, la boîte « commune » le devient dans ces deux sens du mot : elle appartient à une
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communauté dont F1 est exclu ; elle devient donc banalisée et il appartient à un autre
(le propriétaire) de distribuer.
58 Ce qui est progressivement construit, par delà la pratique personnelle, par delà les
préconisations du groupe de pairs, c’est l’intégration du maintien de l’équilibre dans la
relation à l’usager comme facteur de rendement. Ainsi, à l’occasion de ces séances
filmées de tutorat voit-on apparaître les préoccupations du professionnel dans les
actions qu’ils sont conduits à décrire. L’analyse différée de la situation conduit à un
changement de représentation sur la situation, qu’alimentent les questions de
l’apprenti « Ah là, tu m’en demandes trop ! » en viendra même à dire un tuteur.
Conclusion
59 Le contexte de cette étude visait à comprendre la part de l’expérience dans des
pratiques de tutorat adaptées à des enjeux de service renouvelé, dont la façon de faire
la tournée porte la marque.
60 En interrogeant leurs références à travers la méthodologie proposée, les professionnels
tuteurs ont pu tout à la fois, actualiser un capital d’acquis, d’expériences en
mouvement, mais aussi apprécier la fonction9 des protocoles et procédures dans le
traitement des dilemmes de l’activité. En effet, l’activité tutorale des professionnels se
mesure d’abord aux dilemmes, aux conflits, qu’ils doivent résoudre quotidiennement.
Mais cette traversée des dilemmes ne laisse ensuite pas l’activité en l’état. Elle la
transforme et laisse des traces. Ce sont ces « sédiments », véritables instruments de
l’action individuelle permettant de répondre aux dilemmes, que l’on peut désigner
comme acquis de l’expérience.
61 A cette occasion, les auto-confrontations des tuteurs montrent l’existence d’une
dynamique développementale d’alternances fonctionnelles (d’objet à moyen et
inversement) sur laquelle prendre appui. En un mot, en se mesurant au réel de leur
activité (Clot, 1999), ils participent à la construction nouvelle des pratiques de tutorat
incluant la tournée.
62 Enfin, ces mouvements alternés qui font de l’expérience un objet et un moyen de son
développement permettent de reprendre certaines des hypothèses de Vygotski
(1934/1997). À suivre de près le travail de pensée individuelle et collective des
professionnels tuteurs sur leur expérience, nous considérons cette pensée comme une
activité caractérisée par une dynamique qui n’existe pas en dehors de la fonction
qu’elle met elle-même en mouvement. Prenant appui sur ces variations internes, sur la
diversité d’objets discutés, cette fonction est celle du « développement d’un processus
unique de formation des concepts » (Vygotski, 1934/1997, p. 298).
63 La méthodologie employée ici fait de l’analyse de l’activité, le générateur d’un
mouvement de mobilisation / reconfiguration expliquant d’une part comment
s’engendre l’expérience, et signalant d’autre part ce qui fait ressource pour des
professionnels donnés dans une situation donnée. La comparaison entre les
professionnels sur ces deux plans permet de penser l’optimisation du dispositif de
tutorat, non sous sa seule version qualifiante mais au travers d’un parcours de
développement où le facteur titulaire n’est plus seul à faire apprendre la partie la plus
critique du métier.
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NOTES
2. Les éléments présentés ici sont repris du projet européen Leonardo Forsimpad (GIP Aix-
Marseille) sur le thème de la formalisation des savoirs implicites par la didactique
professionnelle mobilisant un organisme de formation au CAP Tri Acheminement, Distribution
par l’apprentissage.
3. Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. Paris, PUF Travail Humain.
4. De l’aveu même des tuteurs, « questionner » s’entend dans le sens commun d’énoncé visant à
obtenir une information, mais parfois, les tuteurs sont aussi soumis à la question.
5. « A » pour apprenti et « F1 » pour facteur1, « F2 » pour le deuxième, etc. « Ut » fait référence à
un usager tiers.
6. Nous désignons ainsi à la suite de Rousseau-Devetter et Devetter (2003) la proximité
entretenue par les facteurs dans et aussi par delà le cadre réglementaire de la distribution
postale avec les usagers, les organisations et les espaces de la tournée. Ce constat a déjà été
instrumenté par l’entreprise, qui tente de faire des facteurs sinon des démarcheurs, du moins des
prospecteurs financiers.
7. Dans l’édition du Larousse de 1924, la tournée est définie comme « un voyage à itinéraire
déterminé que fait un fonctionnaire dans son ressort ».
8. Par dilemme, nous entendons, un argument comprenant deux prémisses contradictoires
menant à une même conclusion.
9. A l’image des artefacts de la théorie instrumentale de Rabardel, (1995)
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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RÉSUMÉS
Le développement professionnel est ici considéré au travers des traces d’évolutions des
conceptualisations de professionnels. Engagés comme tuteurs, ceux-ci sont conduits à donner à
comprendre leurs pratiques à de nouveaux entrants, qui ne considèrent pas le métier avec le
même regard du fait leur histoire personnelle mais également du fait de nouveaux impératifs
économiques ou organisationnels. De ce fait, les tuteurs sont amenés à adapter la prescription
d’actions attachée à leur métier et à tenir une nouvelle posture, dans laquelle les interactions
avec le client sont plus qu’avant négociées, co-construites. Les dilemmes de l’action, les scripts
familiers sont en question par les apprentis ce qui sollicite l’expérience des tuteurs, conduits à
expliciter plus avant et à reconfigurer l’agencement des composantes de l’action. C’est ce
réagencement qui selon nous est structurant du développement professionnel.
Professional development is considered through the conceptualisations of postmen. Involved as
tutors in the workflow, they have to transmit the meaning of the work everyday life. But new
incomers at work do not see what is the most important to do the job, because of a different link
to the firm. Tutors have to adjust the rules of work, in which interactions with clients are more
than before used. Action dilemmas, familiar scripts have to be explicited by tutors. Through the
explanations, new conceptualisations emerge of explanation of the work, which constitute
professional development.
INDEX
Mots-clés : apprentissage, développement professionnel, expérience, formation d’apprenti,
travail
Keywords : learning by doing, professional development, experience, apprenticeship
AUTEUR
PAUL OLRY
Professeur en Sciences de l’éducation, AgroSup’Dijon Unité propre de recherche
Développement Professionnel et Formation.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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Quels indicateurs de développementprofessionnel en formationtechnologique supérieure ?Analyse de la coactivité en classe
Raquel Becerril Ortega et Bernard Fraysse
Introduction
1 Depuis quelques années les institutions de formation technologiques ont une visée
professionnalisante, faisant resurgir les questions du rapport au travail, à la théorie et à
la pratique, ainsi que les questions du savoir et de l’action qui sont sous jacentes. Il
s’agit de comprendre comment les acteurs en formation entrent dans des dynamiques
de développement et comment ces dynamiques peuvent être repérées.
2 Nous traiterons ici des indicateurs de développement professionnel en formation
technologique supérieure. Nous le ferons tout d’abord en centrant notre propos sur la
notion d’activité ; en éclairant ensuite la question de la professionnalisation et en
interrogeant enfin le développement professionnel. Nous nous attacherons à montrer
la place des compétences dans les différentes approches de la professionnalisation et
des dynamiques de développement professionnel.
3 En référence à nos travaux récents, nous présenterons notre problématique de
recherche en caractérisant tout d’abord l’activité et en montrant comment celle-ci va
permettre de construire des indicateurs du développement professionnel. La
méthodologie sera ensuite présentée en indiquant pourquoi la recherche d’indicateurs
a été faite a posteriori. Les résultats seront enfin discutés ouvrant ainsi des perspectives
nouvelles.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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Activité, connaissances et compétences
La notion d’activité : interaction sujet/situation
4 Nous aborderons la notion d’activité selon la perspective de la psychologie cognitive,
nous le ferons à partir de l’héritage de la psychologie russe du travail (Vygostki,
Leontiev), et de ses développements en ergonomie de langue française (Leplat, Clot) et
en didactique professionnelle (Pastré, Rogalski).
5 L’activité est une notion complexe, qui nécessite un regard multiple. Dans un premier
moment nous aborderons sa dimension ontologique – qu’est-ce que l’activité ? – à
partir du couple sujet/situation qui est central dans cette réflexion. La dimension
épistémologique de l’activité – comment apprend-on quelque chose sur l’activité ? –
sera abordée en relation au développement – professionnel des sujets en situation.
L’activité articulée d’un enseignant et de trois apprenants dans une situation
d’enseignement/ apprentissage nous permet ainsi d’introduire la notion de coactivité,
dans la mesure où l’activité de l’enseignant est indissociable de l’activité des
apprenants (Pastré, 2007).
6 La théorie de l’activité convoque deux notions centrales : celle du sujet et celle de
situation (Rogalski, 2008). L'activité d’un acteur est construite à tout instant par lui
comme une interaction avec la situation dans laquelle il est engagé. Cette interaction
entre l’acteur et la situation est dissymétrique, en ce sens que l’acteur n’interagit
qu’avec les caractéristiques de cette situation qui sont pertinentes pour sa dynamique
interne. En conséquence, « la description de l’activité et de la situation, pour être
pertinente, doit être effectuée du point de vue de la dynamique interne de l’acteur, soit
grâce à une connaissance préalable suffisante de cette dynamique interne, soit par
d’autres moyens. Le développement des compétences d’un acteur en situation consiste
en la manifestation, la constitution et la transformation constantes, de schèmes
typiques d’attention, de perception, d'action, de communication, d’interprétation »
(Theureau, 2000, p. 7). Nous pouvons ainsi introduire la notion de double régulation de
l’activité (Leplat, 1997). Tout d’abord, l’action modifie l’état aussi bien de la situation
que du sujet qui agit. Ensuite, le double système de déterminants relève de la situation :
la tâche et son contexte, et de l’acteur : ses compétences et son état physique et
psychique (Rogalski, 2008).
La place des connaissances et compétences en situation
7 Les théories de l’activité et l’ergonomie de langue française ont introduit les notions de
connaissances et compétences pour penser le contexte professionnel, dans lequel le but
est de produire (Rabardel, 2005). Or, dans une situation de formation professionnelle,
« c’est l’activité constructive –l’acquisition des connaissances et compétences- qui
devient le but et l’activité productive le moyen » (Pastré, 2007, p. 85). Les connaissances
sont construites par celui qui apprend. Articulées à d’autres ressources (affectives,
sociales, contextuelles, etc.), « ces connaissances permettent à leur auteur d’être
compétent dans une série de situations » (Jonnaert, 2001, p. 7 ; Leplat, 1997). Une
compétence est la mise en œuvre, par une personne particulière de savoirs, de savoir-
être, de savoir-faire ou de savoir-devenir dans une situation donnée (Jonnaert, 2001).
Une compétence est donc toujours contextualisée dans une situation précise et est
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toujours dépendante de la représentation que la personne se fait de cette situation. Les
situations proposées doivent non seulement être signifiantes pour l’acteur mais aussi
être pertinentes à l’égard des pratiques socialement établies. Le concept de situation
devient donc l’élément central de l’apprentissage : c’est en situation que l’apprenant
construit des connaissances situées et développe des compétences. Dans le cas de la
formation supérieure, les situations proposées aux apprenants doivent non seulement
permettre l’apprentissage et le développement des compétences professionnelles, mais
aussi être signifiantes à l’égard de la pratique professionnelle de référence.
Professionnalisation en contexte de formationtechnologique supérieure
8 Lorsqu’on parle de professionnalisation, on pointe un enjeu, une ambition souvent liés
aux pratiques et à une volonté de changement de celles-ci. Wittorski (2008) s’intéresse
aux conditions d'apparition d'une intention de professionnalisation. Elle serait donc
une « “fabrication“ d'un professionnel par la formation et, dans le même temps, la
recherche d'une efficacité et d'une légitimité plus grande des pratiques de formation »
(Ibid, p. 14). La professionnalisation conduirait à une tentative d'articulation plus
étroite entre l'acte de travail et l'acte de formation en intégrant dans un même
mouvement l'action au travail, l'analyse de la pratique professionnelle et
l'expérimentation de nouvelles façons de travailler.
9 Afin de déterminer le caractère professionnalisant des formations technologiques
supérieures, nous présentons un certain nombre d’éléments qui témoignent des
rapports historiques entretenus entre la discipline technologique et le contexte
industriel. Le point de départ est la définition de la technicité comme « la capacité
humaine à créer un agencement », Cartonnet (2000, p. 8). Il part de la définition des
composantes de la technicité, données par Combarnous (1984) :
[…] La technicité résulte de la réunion et de l’interaction permanente de troiscomposantes :Une composante d’apparence philosophique, la rationalité dans sa formeparticulière de réflexion technique. Une composante d’apparence matérielle, l’emploi d’engins, comme intermédiaireentre des volontés et des actions.Une composante d’apparence sociologique, les spécialisations des individus et desgroupes d’exécution de tâches coordonnées » (ibid., pp. 22-23).
10 Cartonnet (2000) envisage alors un enseignement technologique qui garantit une
tension entre la rationalité et la spécialisation. Celle-ci, se traduit par une formation « à
deux capacités : celle de généralisation et celle de particularisation » (Cartonnet, 2006,
p. 88).
11 La généralisation est liée à la rationalité incluse dans la technicité. Cela consisterait à
être capable de généraliser des objets et systèmes techniques à travers un schéma
conceptuel. La particularisation vient faire contrepoids, à travers une spécialisation qui
permettrait à un jeune formé « d’exercer une responsabilité individuelle mais qui devra
évoluer avec les changements du champ technique » (ibid., p. 10). Cette
particularisation est aussi professionnalisante, puisqu’elle « permet d’accéder à la
technicité constitutive de la référence professionnelle choisie » (Cartonnet, 2006, p. 89).
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12 La réflexion de Cartonnet (2006) permet ainsi d’aborder la question de la
professionnalisation dans un contexte de formation technologique, à travers
l’interaction des composantes de la technicité intervenant dans le projet de formation.
Vers des éléments de problématisation
13 A partir de l’articulation des notions présentées ci-dessus, nous voulons maintenant
nous interroger sur le transfert du contexte professionnel au contexte de la formation.
La théorie de l’activité est centrée sur le couple sujet-situation ; au cœur de cette
interaction, nous avons placé les connaissances et les compétences. Or, les situations de
formation ne sont pas des situations professionnelles, il faut donc déterminer les
conditions permettant une analyse en contexte de formation du développement
professionnel des apprenants.
De l’activité au développement professionnel
14 La problématisation questionne d’abord l’activité ciblée dans les séances de formation.
L’objectif déclaré par l’enseignant est la mise en fonctionnement et le réglage d’une
Machine Outil à Commande Numérique (MOCN). Nous présenterons ceci en référence
aux concepts organisateurs de l’activité (Pastré, 1995) et aux savoirs sous-jacents
identifiés lors d’une analyse épistémologique. La place du simulateur est explorée en
relation aux possibilités offertes en situation de formation. Enfin, la problématisation
cible le moment de la coactivité entre l’enseignant et les apprenants, et interroge le
développement professionnel en formation technologique supérieure.
Le cas de l’activité de mise en fonctionnement et le réglage d’une MOCN
15 La mise en fonctionnement d’une machine MOCN peut être considérée comme une
tâche procédurale : pour réussir, la procédure doit être suivie de manière exhaustive,
en appuyant sur des boutons dans un ordre précis.
16 Concernant le réglage, et à partir de l’analyse de la procédure réalisée en utilisant
différentes sources (analyse d’une activité professionnelle et de différents documents
techniques), nous avons identifiés les notions et les procédures en jeu. Nous avons
explicité le rôle de ces notions dans l’activité.
Place du simulateur dans cette activité
17 La tâche proposée aux apprenants est réalisée à travers un simulateur. Il a été
développé par le LGMT3, en collaboration avec le DiDiST4 dans le cadre d’une Equipe de
Recherche Technologique en enseignement (ERTé), entre 2004-2008. Le simulateur
s’inspire d’une machine NUM®. Nous avons recensé les différences entre la présentation
de la situation autorisée par le simulateur et par une machine. Cette étude préalable de
la situation nous a permis d’analyser la coactivité dans la classe, en référence
également aux traces archivées grâce au simulateur.
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Analyse de la coactivité de la classe
18 Une première hypothèse de ce travail porte sur l’analyse des situations susceptibles de
générer du développement professionnel, à travers la tâche proposée aux apprenants.
Afin de cerner notre propos, nous avons évoqué lors de la réflexion théorique la
caractéristique de cette formation, en relation avec les liens étroits entretenus avec le
contexte industriel.
19 Il s’agit donc d’interroger le développement professionnel à travers l’analyse de
l’activité dans une classe. Cette dernière est souvent proche de l’activité en contexte
professionnel, mais elle n’est pas une activité professionnelle. Telle est la difficulté de
cette recherche : tenter de questionner la formation initiale par la réflexion sur
l’activité professionnelle.
De l’activité pour construire des indicateurs du développement
professionnel
20 La question qui se pose est celle des critères choisis pour déterminer l’existence du
développement professionnel. Deux critères ont guidé la construction des indicateurs :
le double regard, extrinsèque et intrinsèque, porté sur la coactivité et la saisie d’une
dynamique du développement professionnel.
Le double regard porté sur la coactivité
21 Ce double regard témoigne d’une approche qui prétend articuler des indicateurs
construits à partir d’une lecture extrinsèque (le chercheur qui observe) et d’une lecture
intrinsèque (la coactivité des acteurs). En effet, l’analyse de la coactivité, que nous
effectuons, est basée sur les interactions entre l’enseignant et les apprenants. Ces
interactions portent fondamentalement sur des situations dans lesquelles l’activité
réciproque est révélatrice des situations génératrices –de compétences
professionnelles-.
Saisie de la dynamique du développement professionnel
22 L’analyse de la coactivité que nous proposons est temporelle et située. Temporelle
parce que la dynamique est mesurée à différents moments de la même séance de
formation. Située parce qu’elle est relative à des situations très concrètes : les
situations de dysfonctionnement et les obstacles qui ont lieu pendant la formation.
Méthodologie de la recherche
23 La méthodologie de ce travail est construite à partir d’une approche inductive de
recherche d’indicateurs du développement professionnel. Le point de départ interroge
une séance de formation en sciences de l’ingénieur (Licence 3).
Contexte de la recherche
24 Les acteurs concernés par l’étude sont trois apprenants et un enseignant. Les
apprenants possèdent une expérience dans le domaine de l’usinage avec des MOCN : ils
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sont titulaires d’un BTS en production industrielle et ont effectué un stage ouvrier. L’un
d’entre eux possède même une expérience professionnelle. L’enseignant quant à lui est
très expérimenté : professeur en production industrielle, il enseigne dans ce domaine
depuis vingt ans.
25 Le module de formation observé est obligatoire dans le diplôme PCI5 des systèmes
mécaniques. Il comporte 30 heures de Travaux Dirigés (TD), nous en avons observé 4.
26 Les apprenants travaillent chacun face à un ordinateur, dans une salle d’informatique,
en présence de l’enseignant. Ils disposent d’un cahier de TD qui illustre les procédures à
suivre de manière détaillée. La tâche proposée à l’apprenant est procédurale. Elle est
présentée dans le cadre d’une situation problème portant sur un concept, le
mouvement relatif des solides-rigides (les axes de la machine).
27 Nous observons la séance à trois moments, déterminés par le choix de la gestion de la
coactivité. Lors du premier moment, l’enseignant effectue une présentation théorique
des principales notions qu’il mobilise par la suite en illustrant quelques exemples. Dans
le deuxième moment, l’enseignant effectue une démonstration de l’activité avec le
simulateur pendant que les apprenants observent. Dans le troisième moment, les
apprenants sont mis en situation, et l’enseignant est en posture de médiation, il
intervient en cas de doute.
Dispositif méthodologique
28 Pour étudier le développement professionnel des étudiants dans les situations de
formation initiale, nous choisissons d’examiner des situations de formation qui
« échappent » au contrôle de l’enseignant. Ces situations ne sont pas répertoriées dans
la conception du simulateur, ni dans l’élaboration du cours de l’enseignant : elles
surviennent et l’enseignant doit les gérer avec les apprenants. Nous faisons l’hypothèse
que ces situations sont génératrices de développement professionnel. En effet, elles
correspondent à des moments de dysfonctionnement et d’obstacle, constituant ainsi le
premier critère de notre dispositif méthodologique.
29 Le deuxième critère est l’analyse de deux acteurs –l’enseignant et l’apprenant- dans
l’étude du développement professionnel. L’enseignant a un rôle de médiateur,
régulateur de l’activité de l’apprenant, il est considéré comme expert, même si la
situation échappe à son contrôle. L’apprenant est engagé dans la situation de
dysfonctionnement, et tente de la résoudre.
30 Le troisième critère est lié à la temporalité des phénomènes. On se situe, à la fois dans
une temporalité « micro », le temps d’une classe, et dans l’évolution de deux situations
– de dysfonctionnement et d’obstacle –. Nous pouvons ainsi saisir la dynamique d’une
évolution, entre deux moments T1 et T2 de la même séance.
31 Nous disposons d’un dispositif de reconstitution de la coactivité grâce aux traces des
actions des apprenants sur le simulateur et à l’enregistrement vidéo et audio de la
classe.
32 Bien évidement, les situations d’analyse permettent de faire une lecture dans l’autre
sens : les situations que nous analysons permettent aussi à l’enseignant de se
développer professionnellement. Cela nous semble très intéressant, mais ne constitue
pas l’objet central de cette recherche.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
61
Résultats
Opérationnalité de l’indicateur du développement professionnel
33 L’indicateur du développement professionnel que nous identifions dans notre
problématique est lié à la capacité des apprenants à transférer des compétences
acquises en contexte professionnel vers le contexte de formation. Nous évaluons
l’ancrage dans le contexte professionnel et/ou dans le contexte de la formation, à deux
moments différents de la séance. Nous proposons deux variables pour cet indicateur.
34 La première, variable active, est la flexibilité Apprenant/ Enseignant. Elle renvoie aux
interactions réciproques face à des situations d’obstacle : les solutions apportées par
l’enseignant peuvent faire référence, soit au contexte professionnel, soit au contexte de
formation.
35 La deuxième variable, explicative, est le parcours de formation de l’apprenant. Elle
renvoie à son parcours et renseigne sur la flexibilité.
36 L’indicateur et les variables identifiés ont une portée qualitative. Leur utilisation est
très référencée aux situations que nous avons observées et qui seront présentées par la
suite.
37 Afin d’explorer la validité et les limites de cet indicateur du développement
professionnel, nous avons analysé deux situations. La première renvoie à une situation
de dysfonctionnement qui correspond à une butée électrique. La deuxième correspond
à un obstacle portant sur la difficulté -de nature épistémologique- à calculer une
somme vectorielle.
38 Nous avons procédé chronologiquement. Les apprenants, lors de la séance de formation
avec simulateur, interpellent l’enseignant en cas de doute. C’est à cet instant de la
coactivité que nous nous sommes intéressés. L’apprenant, comme sujet engagé dans
l’activité, va interroger l’enseignant en fonction de ses compétences. L’enseignant,
comme médiateur de la situation, identifie les compétences chez l’apprenant, ainsi que
les possibilités de développement, et lui propose une solution adaptée. Cette
interaction relative A/E est à l’origine de la variable que nous avons nommé flexibilité.
Elle saisie, de manière qualitative, le transfert de compétences entre une situation
professionnelle et une situation de formation.
Analyse du développement professionnel, le cas del’apprenant A
39 L’apprenant A est titulaire d’un BTS en production industrielle. Il a effectué un stage
ouvrier et possède une expérience professionnelle dans le domaine de l’usinage avec
une machine outil à commande numérique. Lors de la séance de formation avec
simulateur, l’apprenant A n’utilise pas le cahier de TD proposé par l’enseignant.
40 Nous allons analyser deux situations dans lesquelles l’apprenant A est en difficulté et
interpelle l’enseignant.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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Situation 1
41 La première concerne la gestion de la butée électrique. Cette situation de
dysfonctionnement consiste à atteindre le maximum de course dans un des axes de la
machine. La machine s’arrête afin d’éviter que les éléments mobiles sortent de la
machine (butée). La puissance se coupe6. L’apprenant A propose une solution de retrait
de la broche, qui relève du contexte professionnel. En revanche, l’enseignant lui
propose une solution adaptée au simulateur – arrêter la machine – qui relève donc du
contexte de la formation. La solution retenue par l’apprenant est celle du contexte
professionnel. Dans ce cas, la variable flexibilité permet d’identifier une coactivité dont
les acteurs font le transfert entre le contexte professionnel et le contexte de la
formation. Autrement dit, l’apprenant se positionne comme un opérateur sur MOCN,
alors que l’enseignant lui propose d’abord une solution issue du contexte de formation,
pour ensuite retenir celle proposée par l’apprenant.
42 La deuxième situation analysée permet de donner du sens à notre réflexion. En effet,
l’acquisition de compétences est un processus, il est donc difficile de le mesurer à un
seul instant. Cette deuxième situation montre comment dans une formation, l’analyse
de la coactivité, permet d’identifier des situations de développement professionnel.
Situation 2
43 Dans la deuxième situation7, qui se déroule quinze minutes après la situation
précédente durant la même séance, l’enseignant se dirige vers le poste de l’apprenant A
et effectue un diagnostic : les valeurs pour calculer le vecteur sont affichées par rapport
à une mauvaise référence. La solution proposée par l’enseignant relève alors non pas du
contexte de la formation, comme c’était le cas dans la situation précédente mais du
contexte professionnel : il lui suggère une solution d’affichage des distances par le
simulateur comme cela se ferait dans un contexte industriel avec une machine.
L’apprenant A est d’accord. L’enseignant lui présente ensuite une autre solution, qui
porte sur un calcul vectoriel à la main, habituelle dans le contexte de la formation.
44 Le type de coactivité relève maintenant d’une flexibilité dans la gestion des situations.
L’enseignant identifie la flexibilité chez l’apprenant A et lui offre une solution adaptée
à ses compétences, lui procurant ainsi une situation de potentiel développement
professionnel.
Analyse de la valeur de l’indicateur dans la coactivité enseignant E/
apprenant A
45 La variable flexibilité se trouve au cœur des interactions réciproques entre l’enseignant
E et l’apprenant A, et désigne le transfert entre un registre professionnel et un registre
de formation dans la gestion des situations.
46 Le registre professionnel relève de la capacité de l’apprenant A à mobiliser, en contexte
de formation, des ressources issues des pratiques professionnelles. Ce registre
professionnel relève aussi des solutions proposées par l’enseignant en relation avec une
pratique professionnelle. Le registre de formation est en lien avec des pratiques
didactiques plus institutionnalisées. On peut identifier les éléments appartenant à un
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
63
des deux registres à travers une analyse de l’activité des opérateurs sur MOCN en
contexte professionnel, et des activités de formation en contexte de formation.
47 On attribue un caractère qualitatif à la valeur de la flexibilité. Dans la situation 1,
l’apprenant A mobilise une compétence dans le registre professionnel. Dans la situation
2, l’apprenant A est susceptible – selon l’enseignant – de mobiliser une compétence, il
lui propose d’abord une solution spécifique, issue d’un registre professionnel et ensuite
une autre solution, issue du registre de formation.
48 Ce passage entre les deux registres, opéré dans la coactivité E/A, est révélateur des
dimensions de la technicité. En effet, cet indicateur met en évidence la présence de la
dimension philosophique (Combarnous, 1984) de la technicité, permettant de
généraliser à partir d’une pratique concrète, ainsi que de la dimension sociologique
(Combarnous, 1984), permettant de se spécialiser dans une pratique. La présence du
registre professionnel est révélatrice de spécialisation. Or, ce n’est que dans le passage
d’un registre professionnel, spécialiste de la pratique, à un registre plus
institutionnalisé, que l’on va parler de généralisation. Quand l’enseignant dans la
situation 2, propose les deux solutions, il est d’abord dans le registre professionnel et
ensuite il institutionnalise, en introduisant des notions liées à la somme vectorielle qui
sont en jeu dans l’apprentissage. La troisième dimension de la technicité, matérielle, est
garantie par l’emploi d’engins, un simulateur de MOCN dans notre cas.
49 Cartonnet (2006) affirme que la combinaison entre les deux dimensions philosophique
et sociologique de la technicité dans un projet de formation rend possible la
professionnalisation des apprenants. L’analyse que nous avons présentée permet de
ramener cette réflexion dans l’espace même de la classe, en identifiant des situations
génératrices du développement professionnel chez l’apprenant.
Analyse de développement professionnel : le cas del’apprenant B
50 L’apprenant B est titulaire d’un BTS en production industrielle. Il a effectué un stage
ouvrier dans le domaine des MOCN. Lors de la séance de formation avec simulateur,
l’apprenant B ne peut pas accéder au cahier de TD proposé par l’enseignant. Il est situé
trop loin de l’ordinateur dans lequel ce cahier est exposé.
Situation 1
51 La première situation est la butée électrique8. C’est l’apprenant B qui provoque ce type
de dysfonctionnement.
52 Lors de ces échanges nous avons identifié une coactivité dans laquelle l’enseignant E
« prend en charge » la réalisation de la sortie de la butée électrique : après le diagnostic
il montre la procédure (souris en main), et explicite la démarche à suivre par la suite.
Cet enseignant lit la procédure permettant de dépasser cette situation dans le
simulateur, il reste ainsi dans l’espace institutionnel de la formation.
53 La deuxième situation 2, permet d’interroger l’indicateur du développement
professionnel que nous avons proposé. L’enseignant dans la coactivité identifie
l’apprenant B comme étant en difficulté, par rapport à la tâche qui lui a été proposée.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
64
Situation 2
54 Il s’agit maintenant de dépasser un obstacle – de nature épistémologique – lié au calcul
des vecteurs, comme dans l’étude de cas présenté pour l’apprenant A.
55 L’analyse des interactions verbales9 montre qu’il n’existe aucune référence au contexte
professionnel et que la gestion de la coactivité renvoie exclusivement au contexte de la
formation.
Analyse de la valeur de l’indicateur dans la coactivité enseignant E/
apprenant B
56 Lors de ces deux moments, l’enseignant E régulateur de la coactivité entre l’apprenant
B et la situation de formation, identifie un apprenant en difficulté. Il propose donc des
solutions caractéristiques d’un contexte de formation très institutionnalisé. En ce sens,
il mobilise d’abord des ressources qui ont été construites (par lui) afin de « manipuler »
l’instrument de formation – le simulateur – et ensuite il met en œuvre des savoirs
institutionnalisés : le calcul vectoriel lié à la vision dans l’espace. Dans les deux cas, il
prend en charge la gestion de la tâche. La valeur de la variable qualitative flexibilité
révèle donc une gestion de la coactivité en contexte de la formation. On n’observe pas
de situations potentiellement génératrices de développement professionnel proposées
à cet apprenant, car l’enseignant n’identifie pas de flexibilité chez l’apprenant B.
Analyse de développement professionnel : le cas del’apprenant C
57 L’apprenant C est également titulaire d’un BTS en production industrielle, et a effectué
un stage ouvrier dans le domaine des MOCN. Lors de la séance de formation avec
simulateur, il se sert du cahier de TD. Cela lui permet d’éviter la situation de
dysfonctionnement, puisqu’il suit « pas à pas » les consignes données. En suivant
exhaustivement les consignes, il ne tente pas d’autres procédures par exemple en
référence au contexte professionnel. L’enseignant E ne lui propose alors que des
solutions institutionnalisées, liées au contexte de la formation.
58 La deuxième situation, que nous pouvons analyser est donc d’obstacle, un extrait des
interactions verbales est disponible dans le tableau 5 des annexes.
59 La situation a été décomposée en deux instants. Le premier correspond à une situation
d’obstacle liée à une erreur dans le cahier de TD que l’apprenant C a identifié. Elle
concerne le sens du mouvement des éléments mobiles de la machine, – dont le signe du
vecteur concerné –. L’apprenant C interpelle l’enseignant E qui lui donne raison en le
remerciant pour avoir identifié l’erreur. Cette erreur n’a jamais été identifiée
auparavant, alors que ce cahier a été utilisé par plusieurs groupes d’apprenants depuis
plusieurs années.
60 Le deuxième moment permet d’identifier des éléments qui font référence aux deux
contextes. L’enseignant, face à la question de l’apprenant, qui porte toujours sur le sens
du mouvement, lui répond en référence au contexte professionnel, faisant la
distinction entre les différentes machines. Il poursuit ensuite son discours dans un
registre de formation, en mobilisant des savoirs liés à la géométrie dans l’espace.
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65
Analyse de la valeur de l’indicateur dans la coactivité E/ apprenant C
61 La valeur de la variable liée à notre indicateur, permet d’inférer dans ce cas, une
gestion qui introduit des éléments du contexte professionnel mais cependant en restant
dans un registre très institutionnalisé. Dans le cas de l’apprenant A, l’enseignant lui
proposait la gestion des situations propres au contexte professionnel, alors qu’ici
l’enseignant mobilise seulement certaines références au contexte professionnel. Cela
permet de dire que dans cette coactivité, nous n’avons pas identifié des situations
potentiellement génératrices de développement professionnel chez les étudiants.
62 En conclusion, dans les deux derniers cas (apprenants B et C) l’enseignant propose des
situations qui vont rester dans le domaine de la formation. Nous pouvons faire
l’hypothèse qu’il n’y a pas de développement professionnel possible dans ce cas là, car
pas de flexibilité.
Variable explicative « parcours »
63 Il semble possible d’approcher l’existence d’un changement entre les deux registres
mobilisés lors de la coactivité par un parcours déterminé dans la biographie des
apprenants. L’enseignant E propose des situations potentiellement génératrices de
développement professionnel au fur et à mesure de l’avancée de la séance et des
compétences mobilisées par l’apprenant A, qui possède une expérience professionnelle
confirmée. Cet enseignant, reste dans un registre considéré de formation avec les
autres apprenants, ne possédant pas cette expérience. Il est important de signaler, que
ce changement de registre ne semble pas lié au « niveau d’expertise » des apprenants
dans la tâche qui leur a été proposée, puisque avec l’apprenant C, que l’on peut
considérer comme celui qui a le mieux réussi, ce changement dans la variable flexibilité
n’a pas lieu. Avec l’apprenant C il y a des références au contexte professionnel, mais
aucune situation issue du contexte professionnel ne lui a été proposée. La figure 1
illustre le lien entre les deux variables flexibilité et parcours, relatives à notre
indicateur du développement professionnel :
Fig. 1 : lien entre les variables flexibilité/ parcours
64 En fonction de la coactivité et du parcours des apprenants, la gestion de l’enseignant
relève soit d’un contexte purement institutionnel, soit permet une dialectique entre un
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66
contexte de formation et un contexte professionnel. Cette variable parcours, est donc
une variable explicative puisqu’elle nous permet d’expliquer les causes des différents
types de gestions mobilisées dans la coactivité.
Conclusion
65 La problématique de cet article s’inscrit dans une démarche permettant d’interroger le
développement professionnel dans un contexte de formation initiale que nous avons
qualifié de professionnalisante, en relation avec les rapports que la formation
technologique supérieure entretient avec le monde industriel. Les résultats des
analyses menées sont ainsi restitués dans une réflexion sur la dynamique des
compétences. Cette dynamique est observée dans deux situations. Ces résultats
permettent d’inscrire notre questionnement dans un processus –et non dans un état-,
grâce à la notion de coactivité entre l’enseignant et les apprenants. Au vu des
interactions réciproques et de notre indicateur, nous parlerons de réactivité. C’est dans
cette dynamique d’interaction, que l’enseignant identifie et reconnaît des compétences
chez l’apprenant, ceci lui permet de proposer des nouvelles situations de formation
générant ainsi du développement professionnel. L’enseignant identifie l’apprenant
comme étant un « sujet capable » (Rabardel, 2005), et lui propose des solutions
adaptées. Son discours, et les tâches proposées témoignent de cette variabilité.
66 Nous signalons aussi une des limites de cette perspective. En effet, l’approche est
qualitative, et le nombre de cas étudiés est limité à trois, cela nous empêche d’élargir la
portée des résultats à d’autres situations de formation et réalités institutionnelles. La
figure suivante permet de représenter notre propos :
Fig. 2 : dynamique du développement professionnel
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67
67 La figure 2 permet d’illustrer la dynamique du développement professionnel. Dans
l’analyse de la coactivité, une gestion renvoyant au contexte de la formation est
toujours présente, comme on a observé avec les étudiants A, B et C. Il existe une
variabilité quant à une gestion renvoyant au contexte professionnel. Ce graphique
permet ainsi d’avancer une première perspective de ce travail. En s’appuyant sur l’idée
qu’une gestion « plus professionnelle » serait à l’origine des situations génératrices des
dynamiques de développement professionnel, une nouvelle voie de recherche s’ouvre
concernant la professionnalisation des apprenants.
68 D’un point de vue théorique, nous avons présenté les caractéristiques du contexte de la
formation technologique, ainsi que les dimensions de la technicité : philosophique et
sociologique (Combarnous, 1984), nécessaires dans un projet de formation
professionnalisant. Les résultats ont identifié des éléments de ces deux dimensions
dans la coactivité. D’une part, la gestion en référence au contexte de la formation est
assurée par la mise en œuvre de savoirs institutionnalisés : notamment lors de la
situation d’obstacle liée à la somme vectorielle, qui permettrait le passage entre les
différents niveaux de qualification : opérateur, programmateur, concepteur des
produits industriels. D’autre part, la gestion en référence au contexte professionnel,
impulse une spécialisation avec un objet technique. Cette dialectique génère ainsi la
professionnalisation, et dans certains cas, permet d’identifier des situations
potentiellement génératrices de développement professionnel.
Perspectives
69 Une perspective de discussion concernant cette dialectique et l’ancrage dans la
formation initiale, portera donc sur l’ouverture vers la formation continue. Sonntag
(2007) avait noté la difficulté d’introduire des savoirs théoriques dans la formation
continue, et Cartonnet (2000) avait signalé, les difficultés des stagiaires, une fois
retournés dans l’institution de formation, pour inscrire leur expérience professionnelle
dans un contexte de formation. Cette difficulté se traduisait par une reconstitution de
l’expérience en fonction des attentes de l’institution. Ces auteurs témoignent ainsi des
difficultés de passage entre les deux contextes. L’éclairage que nous portons sur la
flexibilité en référence aux contextes de formation et professionnel nous permet de
questionner la dichotomie traditionnelle entre théorie et pratique. En effet, nous
proposons un interfaçage des savoirs et des pratiques, qui conduit à analyser le
développement professionnel des étudiants en formation initiale. Cette approche ouvre
des pistes permettant de penser le développement professionnel en termes de cette
dialectique dans un autre cadre, celui de la formation continue. En effet, la double
gestion – des situations professionnelles et des savoirs – permet de penser que l’on peut
générer cette dynamique du développement professionnel, en formation continue.
Cette perspective permettrait d’atteindre la dimension philosophique de la technicité–
relative à la généralisation – souvent absente dans ces formations.
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68
Fig. 3 : Synthèse
70 La figure 3 résume notre propos. En formation initiale technologique supérieure, la
flèche verticale indique les différents degrés de gestion de la coactivité renvoyant à un
contexte professionnel ; cela illustre les difficultés en formation initiale d’introduire
des situations professionnelles, sources de développement professionnel. Les trois
apprenants sont positionnés sur cette flèche en fonction de notre indicateur flexibilité :
l’apprenant A est celui qui se positionne le plus dans une logique professionnelle ;
l’apprenant B restant lui dans une gestion très institutionnalisée, en contexte de
formation. En formation continue, la flèche horizontale pointe les difficultés
d’introduction des savoirs théoriques en contexte de formation continue. Une des
perspectives ouverte par notre travail, permettrait aux apprenants de se situer dans un
développement professionnel, via la variable flexibilité.
71 L’indicateur de développement professionnel proposé dans ce travail concerne la
dialectique entre le contexte professionnel et le contexte de la formation. Nous avons
abordé un contexte de formation particulier : il s’agit d’une formation initiale qui
entretient des rapports étroits avec le contexte industriel. Nous pouvons ainsi élargir
notre réflexion au cas de la formation continue, en interrogeant le développement
professionnel en fonction d’une dimension de la technicité, celle de la généralisation, et
aux difficultés de l’insérer dans un projet de formation continue. Les variables liées à
l’indicateur du développement professionnel : celle explicative du parcours des
apprenants, et la variable active de gestion de la coactivité, peuvent aussi être
appliquées dans le cas de la formation continue. Cela témoigne de la portée heuristique
de l’indicateur du développement professionnel proposé dans ce travail.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
69
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NOTES
3. Laboratoire de Génie Mécanique de Toulouse.
4. Laboratoire de Didactique des Disciplines Scientifiques et Technologiques, DiDiST-CREFI-T.
5. Mention Physique, Chimie, Ingénierie.
6. Les extraits correspondant à ce moment sont disponibles dans le tableau 1 des annexes.
7. Ces extraits sont disponibles dans le tableau 2 des annexes.
8. Les extraits correspondant à ce moment sont disponibles dans le tableau 3 des annexes
9. Ces extraits sont disponibles dans le tableau 4 des annexes.
RÉSUMÉS
Ce travail porte sur le développement professionnel dans un contexte de formation
technologique supérieure. La réflexion théorique proposée permet de problématiser cette
recherche en présentant l’activité professionnelle comme une source de développement de
compétences, et en proposant l’analyse de l’activité dans une situation de formation comme voie
d’exploration de développement professionnel. Le dispositif méthodologique prend appui sur la
construction a posteriori d’un indicateur de développement professionnel et de deux variables
qui lui sont associées. Les résultats montrent ainsi des différences dans la gestion de la coactivité
entre l’enseignant et les apprenants en relation aux situations génératrices de développement
professionnel présentes dans la formation. Enfin, quelques perspectives sont annoncées, en
relation avec le contexte institutionnel de la formation initiale, permettant d’élargir la réflexion
au contexte de la formation continue.
The article proposes an indicator which measures the reciprocal relationship between graduate
studies in technology and the professional world. The chosen theoretical framework conceives
professional activity as a source of professional competence development. The results of the
analysis show that there are different ways of managing the classroom coactivity between the
teacher and the students which are related to professional development and students’ profile.
INDEX
Mots-clés : formation initiale, formation continue, professionnalisation, activités
Keywords : graduate studies in technology, professional training, professional context, activities
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AUTEURS
RAQUEL BECERRIL ORTEGA
Docteur en Sciences de l’Education, Laboratoire des Disciplines Scientifiques et
Technologiques (DiDiST-CREFI-T), Université Toulouse III.
BERNARD FRAYSSE
Professeur en Sciences de l’Education, Laboratoire Educagri, ENFA de Toulouse.
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72
Écriture réflexive et développementprofessionnel : quels indicateurs ?Alexandre Buysse et Sabine Vanhulle
Introduction
1 Nous tentons de comprendre comment les médiations proposées aux enseignants en
formation influencent le développement professionnel de ceux-ci et comment nous
pouvons trouver des indicateurs de ce développement dans les écrits réflexifs. Proposer
cette quête exige d’appréhender la différence entre apprentissage et développement, le
passage de l’inter-psychique, ou niveau social, au niveau intrapsychique, ou personnel,
et de tenir compte du fait que tout apprentissage appartient à une culture, d’autant
plus s’il se situe dans le cadre d’une profession.
2 Nous concevons le développement sous un angle vygotskien, selon lequel la
construction des savoirs - en l’occurrence, professionnels - est culturellement
médiatisée. Dans cet esprit, nous concevons la pratique réflexive comme une des
médiations inter-psychiques fondamentales du développement professionnel, celui-ci
se réalisant notamment dans l’appropriation et la transformation par le sujet des
savoirs offerts dans la formation en alternance (Buysse, 2008c, sous presse ; Vanhulle,
2008).
3 Sur ces bases, deux questions se posent pour nous :
Quels indicateurs (ou indices) permettent d’inférer des processus d’apprentissage et/ou de
développement professionnel à partir des discours (écrits) des étudiants produits dans
l’alternance ?
Quelles médiations - intériorisées par les étudiants - influencent ces processus ?
4 Nous devons dans un premier temps poser ce que nous entendons par apprentissage et
développement, et ensuite élargir notre discussion aux notions de médiation, de savoirs
professionnels, de contrôle des apprentissages et d’écriture réflexive, avant d’exposer
notre méthodologie et nos résultats.
1.
2.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
73
Apprentissage et développement professionnel
5 Nous considérons la différence entre apprentissage et développement à partir de
différentes approches mais on peut poser a priori que le développement professionnel
se définit au-delà d’un processus d’apprentissage professionnel caractérisé par la mise
en œuvre de compétences propres au métier - processus contrôlé par des attentes
académiques et sociales (Vanhulle, 2008).
6 Le développement réside ainsi dans la transformation du fonctionnement psychique de
l’apprenant, résultant de l’intégration de savoirs investis de sens. Une simple
association aux savoirs de l’apprenant ne saurait suffire (Vygotski, 1978).
L’intériorisation prolongée par la création d’un sens dépassant la simple association,
suppose, cette fois-ci d’un point de vue piagétien, la reconstruction sur un palier
supérieur et par conséquent l’élaboration d’une série de nouveautés irréductibles aux
instruments du palier antérieur (Piaget, 1974). Vu sous l’angle de l’analyse piagétienne
(Piaget, 1974, 1975 ; Inhelder & de Caprona, 1992), la compréhension d’un apprentissage –
dans un premier temps synonyme de réussite – consiste à donner un sens, ce qui est
l’effet d’une abstraction réfléchissante de la part de l’apprenant résultant en un
dépassement du système. Cette abstraction réfléchissante est l’œuvre de l’apprenant et
est liée à une autorégulation de sa part, même si à l’origine elle s’intègre dans un
ensemble plus vaste de régulations largement hétérogènes.
7 Cette intégration n’apporte pas seulement des savoirs à l’apprenant : elle entraîne des
changements de plans au niveau des concepts qui modifient les modes de penser. Le
développement dépend donc à la fois de l’intériorisation, qui peut être vue comme
l’apprentissage acquis et dépassant des aspects strictement adaptatifs, et d’une
internalisation3 subséquente dépendante à la fois de l’intériorisation suite à des
interactions et de l’autodéveloppement de l’apprenant (Brossard, 2004 ; Buysse, 2008a ;
Wertsch, 1985).
8 En effet, pour pouvoir parler de développement, cette restructuration doit permettre à
son tour le déplacement de la zone proximale de développement. Celle-ci est en effet
indicative de ce que l’apprenant pourra atteindre à partir de son niveau de
développement actuel, déterminé par la maturation déjà atteinte des fonctions
intrapsychiques (Vygotski, 1978, p. 86), avec les apports des médiations dans la zone
inter-psychique. La maturation des fonctions permet donc à son tour le développement
de nouvelles fonctions sous l’influence d’interventions formatives, mais elle permet
également au sujet de faire face de façon autonome à de nouvelles situations. Or,
toujours en suivant Vygotski (1978), cette maturation de fonction ne peut se produire
que lors de la rencontre avec l’autodéveloppement du sujet, à travers la poursuite de
l’intériorisation, que nous qualifierons d’internalisation. Même si les études portent
largement sur le développement des enfants, rien ne permet de fonder aujourd’hui que
le développement dans le sens que nous lui donnons s’arrêterait à un âge donné. Nous
posons que le développement de l’individu, en tant que développement de nouvelles
fonctions conférant une autonomie et une perspective d’appropriations ultérieures, est
possible suite à des interactions dans toutes les formations. D’autre part, si un tel
développement a lieu à travers la rencontre entre l’intériorisation des interactions et
l’auto-développement du sujet, et qu’il résulte de ce fait en une transformation des
savoirs préexistants, alors nous pouvons considérer que ceci influence la personne dans
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son ensemble, incluant son identité et son rôle professionnel (Caglar, 1999 ; Cifali, 1994 ;
Mezirow, 2001).
9 Même si nous devons admettre une maturation des fonctions, le processus n’est donc
pas maturationniste en soi : il s’agit d’une restructuration des fonctions psychiques,
générées au départ par des interventions formatives médiatisant le processus.
10 Dans une perspective développementale, il ne s’agit donc en aucun cas de permettre la
réalisation d’une tâche dans une sorte de zone d’apprentissage proximal qui ne
permettrait à toutes fins pratiques qu’une imitation différée malgré l’appropriation de
savoirs procéduraux et de savoirs conditionnels.
11 C'est à ce niveau que nous situons le « développement professionnel » : fondé in fine sur
cette dialectique d'intériorisation/ internalisation marquée par des processus
d'autorégulation de la pensée-action. Ce développement advient notamment par
l'entremise d'un discours réflexif, fondateur non pas de la seule construction de
compétences techniques et instrumentales mais aussi d'une identité professionnelle
empreinte de réflexion critique et créative dans l'appréhension du rôle professionnel.
Objectivation-subjectivation
12 Se pose évidemment la question de ce qui rend ce développement possible. Tout
apprentissage s’inscrit à l’intérieur d’une forme culturelle d’action et de réflexion
historiquement marquée, située dans des pratiques sociales, médiatisée par des
langages, des interactions, des artéfacts. L’apprentissage est dès lors un processus de
prise de conscience de la logique historico-culturelle dans laquelle les objets de savoir
doivent se construire (Buysse, 2007, 2008a ; Vanhulle, 2004, 2008, 2009).
13 La formation initiale situe les démarches d’apprentissage ou de développement
professionnel dans un double mouvement générateur de tensions productives
(Vanhulle, 2004, 2009) :
un mouvement d’objectivation ;
un mouvement de subjectivation.
14 Le mouvement d’objectivation tend à inclure les savoirs préexistants de la profession
dans l’interprétation des événements et aboutit à un sens donné à ceux-ci qui est
socialement acceptable, à la fois normé et pouvant faire l’objet d’un discours obéissant
aux conventions dominantes. Les discours mettent en avant des apprentissages
professionnels réalisés à partir d’ancrages dans des contextes, interactions, expériences
singulières et savoirs de référence que le sujet objective et tend à relier, permettant
ainsi de déceler un apprentissage professionnel (Vanhulle, à paraître).
15 Le mouvement de subjectivation permet quant à lui une réelle appropriation des
notions ainsi véhiculées en donnant un sens valable pour l’individu, à la lumière duquel
il pourra éclairer ses expériences futures (Vanhulle, à paraître). Les discours
manifestent des processus de conscientisation et de sémiotisation des paramètres qui
déterminent l’activité de travail en situation. Les savoirs convoqués sont soumis à une
délibération critique sur leur pertinence pratique, nous permettant de parler d’indices
de subjectivation (Vanhulle, 2009a). Dans une perspective développementale, la
subjectivation est ainsi indissociable de l’objectivation.
16 Afin de permettre à la fois l’objectivation et la subjectivation, les cursus de formation
proposent des savoirs de référence, des référentiels de compétences et des formats
•
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Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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d’acquisition de ces savoirs et compétences que les étudiants doivent s’approprier pour
être jugés aptes à enseigner. Dans ce contexte, les compétences peuvent être vues
comme étant la mobilisation adéquate dans une situation complexe de savoirs de
différents ordres et de capacités. Parmi ces savoirs, figurent les savoirs professionnels
qui apparaissent dans le discours des formés (Vanhulle, 2008, sous presse).
17 Ces savoirs professionnels sont créés par le sujet sur la base des savoirs référentiels –
majoritairement scripturalisés et constitués de savoirs théoriques, prescriptifs, etc. –
véhiculés par l’institution de formation et la profession, et des savoirs issus de sa
propre expérience (Vanhulle, 2009b). Nous posons également les savoirs professionnels
comme étant issus d’une triple construction dans l’énonciation : énoncés de savoirs
singuliers et généralisables ; réflexivité ; régulation de la pensée et de l’agir. Ces savoirs
professionnels sont donc le résultat de :
l’objectivation des éléments externes qui instituent la profession tels les pratiques sociales
et les savoirs académiques et institutionnels de référence ;
les médiations socio-sémiotiques incitant à l’appropriation et à la réflexivité : processus
d’intériorisation (adaptation-autonomisation) ;
la subjectivation : entrée singulière dans le « genre professionnel » (autorégulation).
18 Vue sous cet angle, la formation consiste ainsi en une médiation de savoirs et de formes
de régulation culturellement établies de la pensée et de l’agir du futur enseignant
(Buysse, sous presse ; Vanhulle, 2009a) visant à permettre le double mouvement
d’objectivation et de subjectivation.
De la médiation à l’internalisation
19 L’interaction entre formateur et formé conduit dans un premier temps à une
intériorisation des savoirs de différentes origines liés à la profession enseignante, qu'ils
soient reliés à des références issues de la recherche en éducation ou à l'expérience.
Cette alternance entre les différents types de savoirs auxquels les étudiants sont
confrontés ne va pas sans qu’il y ait d’inévitables – et à notre sens, heuristiques –
hiatus. Au centre de l’intériorisation des savoirs référentiels et expérientiels, se situe la
reconstruction par l’apprenant des différents savoirs en savoirs professionnels. Cette
interaction entre le sujet et les offres de savoir conduisant à une première
intériorisation constitue avant tout une médiation contrôlante (Buysse, 2008a, 2009,
sous presse) lors de laquelle le contrôle de la régulation est partagé entre l’espace
formatif et le formé. Mais elle ne suffit pas en elle-même à la poursuite par le sujet
d’une intériorisation autorégulée et davantage marquée par un processus
d’appropriation que d’adaptation.
20 Entre autres, l’intériorisation passe par la prise de conscience par le sujet d’un
problème ou d’une réussite – que ce soit dans le cadre de l’expérience sur le terrain ou
de l’expérience théorique (Buysse, 2008a, à paraître), menant à une problématisation,
et une tentative de résolution se déroulant sous le contrôle attentionnel de l’apprenant.
Ces tentatives « conscientes » de régulation représentent dans un premier temps une
autorégulation active, souvent prolongée par des tentatives de régulation, souvent plus
créatives, hors du contrôle attentionnel direct et qualifiées de régulations dynamiques
(Iran-Nejad, 1990). Dans cette perspective, le développement découlerait de
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l’alternance de ces régulations qui sont favorisées par certaines médiations (Buysse,
2009 ; Shapiro & Livingston, 2000).
21 Certains outils agissent en tant que médiation et permettent en général de la prolonger,
facilitant la poursuite de l’intériorisation au niveau intrapsychique que nous
qualifierons avec Brossard (2004) d’internalisation. Buysse fait l’hypothèse que celle-ci
dépend avant tout de médiations structurantes, car seules ces médiations peuvent faire
l’objet d’une décomposition et d’une reconstruction par l’apprenant indispensable à
l’internalisation et au développement et dépendant en partie de régulations
dynamiques (Buysse, 2008a, 2009).
22 Il ressort de ce qui précède une explication possible des manières dont les étudiants
intègrent à des degrés divers les outils réflexifs qui leur sont proposés pour analyser
leurs pratiques. Ces outils font appel à des stratégies métacognitives de résolution de
problèmes autant qu’à l’analyse des savoirs théoriques et de leur portée. Vue sous cet
angle, la pratique réflexive constitue une des médiations inter-psychiques
fondamentales de l’appropriation des savoirs professionnels (Buysse, 2008c, sous
presse) et du développement cognitif du sujet.
23 La pensée réflexive, pour Schön (1983), est en effet un processus cognitif continu, un
retour de la pensée sur elle-même visant à faire émerger de nouveaux savoirs et savoir-
faire de la pratique (Vanhulle, sous presse). A notre avis, toute formation à la pratique
réflexive peut être vue comme étant accompagnée d’un dispositif de médiation de
l’apprentissage autorégulé tel qu’il ressort d’études portant sur d’autres champs
(Buysse, 2007, 2008b ; Zimmerman, 2005). Se basant sur une relecture des descriptions
de l’entraînement du praticien réflexif (Schön, 1987), Buysse (sous presse) définit celui-
ci comme un professionnel, en activité ou en formation, qui utilise la réflexion sur et
dans l’action en vue de résoudre les problèmes se posant dans l’exercice de son métier
ou en vue d’être conscient des solutions qu’il apporte. Il nourrit cette pensée réflexive
du savoir-faire accumulé par sa propre expérience, des savoir-faire transmis par un
médiateur, des savoirs traditionnels de sa profession, mais aussi des savoirs
académiques en lien avec son activité. Il acquiert ainsi non seulement une culture
professionnelle composée de savoirs, de savoir-faire et d’une manière de réguler, de
résoudre des problèmes, qui sont propres à la profession, mais aussi une approche
réflexive de sa pratique.
24 Chaque fois que le professionnel, ou le formé, tente d’atteindre les finalités fixées par la
profession et en visant l’accomplissement d’un objectif, on peut parler de régulation.
Mais afin de viser la réduction entre l’état présent et l’état visé, le professionnel peut
décider de réguler soit l’action (régulation de l’action), soit de revoir les conceptions –
qu’elles soient fondées sur des concepts ou des préconcepts - sur lesquels il se fonde
pour cela (régulation des conceptions), soit d’examiner les différents facteurs –
principalement conatifs, tels émotions, volition, motivation, autres composantes de la
personnalité – qui sous-tendent l’ensemble de son activité et la perception des
situations (régulation des sous-jacents)(Buysse, sous presse).
25 Une régulation n’entraîne pas nécessairement une réflexivité, au sens d’abstraction
réfléchie. Quand il y a réflexivité, celle-ci est en général explicitable et accompagne
souvent le processus d’énonciation lui-même. Il est alors possible de distinguer
différents niveaux réflexifs selon ce que l’enseignant professionnel a pris en
considération dans l’examen du problème (Van Manen, 1977). Nous pouvons distinguer
un niveau technique, quand l’interrogation porte sur l’efficacité des moyens utilisés par
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
77
l’enseignant pour atteindre un but fixé ; un niveau contextuel, quand l’enseignement est
considéré non seulement par rapport à des savoirs mais aussi par rapport aux besoins
des élèves et que l’enseignement est analysé sous l’angle des présupposés, des
intentions éducatives et des conséquences observées ; un niveau critique quand
l’enseignant prend en compte des enjeux sociopolitiques plus larges, a une attitude
critique envers les dispositifs ou touche à des enjeux de niveau éthique ou moral
(Buysse, sous presse).
26 La pratique réflexive peut dès lors être vue comme une médiation permettant de
surmonter le hiatus entre les différents savoirs proposés au formé, de le doter des
moyens de créer des savoirs professionnels, mais surtout de conscientiser l’abstraction
réfléchissante, de la sémiotiser, permettant ainsi de favoriser une subjectivation des
savoirs appropriés, un développement vers des structures supérieures permettant à
leur tour des appropriations plus complexes.
27 Notre hypothèse est que des médiations structurantes peuvent induire un niveau de
réflexion et provoquer ainsi un changement plutôt que de suivre un cycle réflexif
« spontané », décrit comme une « maturation » par Pastré, Mayen et Vergnaud (2006).
28 Ces médiations auraient les propriétés de transmettre les outils indispensables au
développement. Ceux-ci seraient ensuite l’objet d’autorégulations tant actives, sous
contrôle attentionnel de l’apprenant, que dynamiques, sans attention immédiate mais
au caractère créatif et profondément restructurantes. Le formateur transmet certes des
savoirs mais induit une réflexivité garante de la création progressive et subséquente
d’un sens par l’apprenant. Ces interventions portent sur différents systèmes de
régulation, qu’ils visent l’action, les conceptions ou les sous-jacents (Buysse, 2008c,
sous-presse) et différents objets ou niveaux de réflexion, technique, contextuel ou
critique (Van Manen, 1977).
29 Ces outils de développement sont non pas simplement des instruments (par exemple,
les savoirs déclaratifs de la recherche pour pouvoir mieux exercer son travail) : ils
fonctionnent en tant que systèmes de signes (les savoirs doivent pouvoir se
transformer en concepts, en outils pour penser et agir). C’est dans la mise en discours
individuelle et collective que des savoirs professionnels se construisent. Leur
énonciation articule des savoirs de référence avec des savoirs qui émanent de la
pratique en milieu de travail et de l’expérience singulière (Vanhulle, à paraître). Cette
mise en discours indiquerait, à notre avis, le niveau de subjectivation donc de
développement.
30 Il convient de se poser la question de savoir si les médiations permettent à l’apprenant
d’atteindre un apprentissage professionnel ou si elles lui donnent les ouvertures
nécessaires afin qu’il parvienne à un développement professionnel.
Deux voies pour l’apprenant
31 Dans les dispositifs de formation, marqués par le double mouvement d’objectivation et
de subjectivation il est possible que l’apprenant entre dans un processus
d’intériorisation orienté vers l’adaptation aux exigences de la logique socio-
culturellement établie. Dans ce cas nous parlons d’appropriation ou d’apprentissage
professionnel adaptatif. Il est possible par ailleurs que l’apprenant entre dans un
processus d’internalisation orienté vers la création de significations, stratégies, modes
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de penser et d’agir autonomes. Nous parlons alors de développement au sens de
Vygotski (1997), et plus spécifiquement de subjectivation : entrée du social dans un
sujet apte à créer du sens.
32 Entre apprentissage-adaptation et développement-subjectivation, les médiations
formatives sont investies selon leur caractère contrôlant ou selon leur caractère plus
structurant. Dans la foulée, les régulations de la pensée et de l’agir varient depuis une
dynamique externe (hétérorégulation) vers une dynamique plus interne
(autorégulation). Entre apprentissage et développement, la régulation dépend ainsi de
mécanismes qui vont, à des degrés très diversifiés, de l’acquisition de compétences,
gestes, savoirs, attitudes attendus, à l’intériorisation de ces composantes, voire, à leur
internalisation, transformatrice des modes de penser, d’agir et de se positionner du
sujet.
33 Précisons d’emblée que la frontière entre apprentissage et développement (sous les
deux grandes formes évoquées) n’est pas tranchée (par exemple, entre acquisition pure
et simple et intériorisation) ; qu’aucun processus linéaire ou séquentiel n’est
directement observable ; et que le processus d’apprentissage et de développement peut
s’avérer plus enchevêtré que consécutif. Cependant, l’analyse des discours des
étudiants permettent d’inférer des évolutions, des changements. Elles montrent que la
réflexivité qui entre dans le processus de construction de savoirs professionnels peut se
déployer selon des champs, des niveaux, des foyers nouveaux, et que des paliers
qualitatifs dans cette évolution peuvent être observés.
34 Dans cette perspective, le rôle des médiations formatives, non seulement dans leur
caractère externe, mais aussi dans la manière dont les étudiants les réinvestissent -
dans leurs aspects contrôlants et structurants, semble prégnant. Entre autres, ces
médiations se manifestent dans l’usage des outils réflexifs que les étudiants sont incités
à appliquer pour construire leurs savoirs professionnels.
Dispositif
35 Notre recherche porte sur les impacts de dispositifs fondés sur de tels principes, en
s'attachant aux indicateurs de développement professionnel repérables dans les
discours réflexifs des étudiants, produits au fil de l'élaboration progressive de leurs
portfolios d'apprentissage et de développement professionnel (Vanhulle, 2005a, 2005b,
2008, 2009, sous presse).
36 C’est dans la mise en discours individuelle et collective que des savoirs professionnels
se construisent. Leur énonciation articule des savoirs de référence avec des savoirs qui
émanent de la pratique en milieu de travail et de l’expérience singulière. Ces énoncés
relèvent d’une activité de mise en discours focalisée sur l’agir, tel que réalisé,
interprété ou projeté. La mise en discours, en particulier dans l’écriture, implique des
processus réflexifs variables. Ces processus intellectuels sont volontaires et conscients.
Mais le discours reflète ainsi des mécanismes psychologiques de régulation externes et
internes, variables également, à partir desquels le sujet restructure sa compréhension
des buts qu’il poursuit, ajuste ses actions, reconfigure sa perception des événements,
contrôle ses affects, etc.
37 Mise en discours, réflexivité et régulation s’inscrivent ainsi dans des activités
médiatisées socialement, instrumentalement, discursivement et orientées vers
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l’intégration des sujets dans un système de pensée professionnelle et vers la
différenciation de leur action singulière. Notre outil d’analyse propose des indicateurs
qui articulent l'analyse de l'appropriation des médiations sémiotiques à l'analyse des
processus cognitifs à l'œuvre dans la construction des savoirs professionnels.
38 Il convient donc d’examiner la médiation des savoirs professionnels, et du
développement professionnel qui peut en découler, à travers les différents systèmes de
régulation et les niveaux de réflexivité sur lesquels s’exerce cette médiation (Buysse,
sous-presse). Les dispositifs de formation proposent en effet de nombreuses
médiations : interventions des formateurs, portfolios de développement professionnel,
journaux réflexifs et autres outils, porteurs de manières diverses de médiations
contrôlantes et/ ou structurantes.
39 Nos recherches reposent sur les résultats initiaux d’un dispositif d’intervention
longitudinale menée auprès de futurs instituteurs. Ces résultats portent sur les
parcours réflexifs et les processus de subjectivation (Vanhulle, 2005a, 2009a, 2009b, à
paraître). Nous les étendons à divers corpus (portfolios de futurs enseignants du
primaire et du secondaire).
Outils d’analyse
40 L’outil d’analyse initial s’enrichit à partir d’indicateurs qui articulent l'analyse de
l'appropriation des médiations sémiotiques à l'analyse des processus cognitifs à
l'œuvre dans la construction des savoirs professionnels. Il croise nos différents travaux
antérieurs et en cours.
41 Analyse systématique des textes :
codification des indices ;
découpage par phrases / segments de discours ;
diachronie et synchronie ; vertical et horizontal ;
calcul des occurrences d’indices ;
interprétation croisée : validation interne par le degré de convergence et de saturation des
catégories d’indices.
42 Nous procédons ainsi à l’analyse des discours qui articulent :
43 1. D’une part, l’analyse des énoncés et de leurs mises en texte, selon les indicateurs
suivants :
Les réélaborations thématiques effectuées par les étudiants sur les divers savoirs de
référence que leur formation théorique et pratique leur propose.
L’ancrage de ces réélaborations dans les contextes de leur émergence, compte tenu en
particulier des expériences rapportées par les étudiants des situations de travail qu’ils
rencontrent.
L’expression de motifs « en vue de l’agir » (projections vers le futur) et de motifs « parce
que » (retour sur les actions accomplies) (Friedrich, 2001 ; Lenoir et Vanhulle, 2006 ; Schütz,
1998).
L’émergence d’un « devenir professionnel » avec ses formes d’intentionnalité.
L’usage de types discursifs hétérogènes croisés entre raconter (interactif ou autonome) et
exposer (impliqué ou théorique) (Bronckart, 1996), révélant l’émergence de « logiques
d’action ».
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Les formes de l’énonciation subjective (Bronckart, 1996 ; Kerbrat-Orrecchioni, 1999) :
modalisations du discours, prise en charge des voix d’autrui.
Les propositions de savoirs à l’intérieur de « mondes représentés » (Habermas, 1987)
référant à des lois, normes, valeurs pour concevoir son agir.
44 2. D’autre part, les paramètres qui conditionnent la production et la mise en forme par
le sujet de savoirs professionnels et qui dépend :
Des foyers sur lesquels se porte volontairement l’attention du sujet et des niveaux de
réflexivité qu’il mobilise (ou pas…) : technique ; contextuel ; critique, à travers diverses
opérations cognitives (reformuler, juger, relier, etc.).
Des mécanismes de régulation dans lesquels le sujet s’engage psychologiquement : portant
sur des conceptions, des actions ou des « sous-jacents » (affects, images de soi…).
Des ressources (médiations) utilisées – intériorisées, internalisées – par les sujets dans cette
production.
Tableau 1 : catégorisation des indicateurs trouvés dans des phrases ou unités d’énonciation
Deux exemples contrastés de texte
45 Afin d’illustrer l’analyse des récits, nous présentons, à titre d’exemples contrastés, ici
deux courts extraits, avec un analyse présentée de manière simplifiée, avant insertion
dans les grilles et pondérations.
Sandrine : objectivation et adaptation, appropriation du savoir
Extraits du texte Analyse de discours (simplifiée
pour présentation)
Une partie de mon enfance avait été marquée par les jeux avec
un petit trisomique que je craignais particulièrement.
Ce n’est pas sans une certaine honte que je me souviens avoir
été dégoûtée par les handicapés mentaux…
Je me suis donc dit que ce stage serait l’occasion de rompre
avec mes a priori.
Segment de discours narration.
Amorce d’un savoir expérientiel et
d’une régulation de sous-jacents
(modalisations appréciatives,
registre du vécu personnel).
De plus, vivre une telle expérience me permettrait de
développer des compétences pour accueillir, un jour peut-
être, un élève en intégration dans ma classe.
Attente par rapport au stage :
entrer dans l’agir professionnel
selon les orientations officielles.
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Dès mon arrivée mon formateur de terrain m’a reçue dans son
bureau et m’a exposé (…) les parcours des enfants, leur
maladie, leurs besoins ainsi que leurs espoirs.
Importance de la médiation du
formateur.
(…) J’ai appris à me surpasser. Les contraintes du contexte
m’obligeaient à créer constamment des activités et à les
adapter en fonction des pathologies et des handicaps des
enfants.
récit interactif. Savoirs
situationnels (adaptation)-
régulation de l’action en situation.
Réflexivité technique et
contextuelle.
Savoirs issus de pratiques sociales
de référence.
(…) J’étais un peu empruntée, car aucun élève de ce groupe
n’était capable d’écrire et un seul d’entre eux était capable de
lire.
Je ne pouvais donc pas proposer de fiche individuelle ; il me
fallait plutôt réfléchir à une activité de groupe.
Néanmoins, un autre facteur était à considérer : l’un d’eux, N.,
présentait de lourds problèmes de langage (…)
Réflexivité technique-contextuelle
– régulation de l’action.
Après plusieurs tentatives d’adaptation, j’ai décidé de créer
deux affiches
(…) N. n’avait plus qu’à pointer l’image pour expliquer ce qui,
selon lui, allait se passer, avec chacun des objets.
Régulation de l’action, réflexivité
technique.
(Dans cette école), les problèmes physiques des enfants
demandent une lourde installation et adaptation du matériel
(…) en fonction des différentes contraintes liées à son
handicap.
Savoirs issus de pratiques sociales
de référence.
Une de mes premières compétences concerne donc
l’utilisation des ressources Internet : « se servir des
technologies nouvelles ». (…) Différencier, également une
compétence.
Réflexivité technique
(compétences).
Par cette pratique, l’enseignant va respecter l’hétérogénéité
du groupe classe et par conséquent respecter une des clauses
du cahier des charges de l’enseignant primaire : « l’enseignant
favorise la meilleure progression des apprentissages en
conduisant chaque élève à son rythme et par le cheminement
qui convient à la maîtrise des objectifs ».
Savoir de référence institutionnel-
modalisation logique et déontique
(lois et prescriptions pour l’agir
professionnel).
Maria : objectivation et subjectivation, internalisation
Extraits du texte Analyse de discours (simplifiée pour
présentation)
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Ce stage m’a permis de découvrir l’univers du
monde spécialisé.
(…) J’ai appris que l’objectif de l’enseignement
spécialisé est d’offrir à chaque enfant les mesures
pédagogiques et/ou thérapeutiques nécessaires à
son meilleur développement (en évitant) le piège
d’une pédagogie exclusivement compensatoire.
L’enseignant spécialisé doit assurer la relation et la
communication pour pouvoir déceler chez chaque
enfant des aptitudes, de manière à ce qu’il puisse
entreprendre la tâche qu’on lui propose, en
l’accompagnant dans la tâche, en explicitant ce
que l’on comprend de ses productions (…)
« J’ai appris que » puis segment de discours
théorique. Savoir de référence académique
et/ou institutionnel. Lois et prescriptions
pour l’agir-référent (modalisations logiques et
déontiques, discours personnel et non
citation). Réflexivité critique.
J’ai également fait preuve de créativité en essayant
toujours d’adopter une attitude positive,
dynamique, en étant expressive et en jouant sur
l’intonation de la voix
Savoirs situationnels et expérimentation.
Réflexivité contextuelle et technique.
Régulation de l’action.
Ce sont des élèves très sensibles et attentifs au
moindre détail. Ils ont besoin que leur journée soit
rythmée par un adulte leur donnant la bonne
impulsion au bon moment.
Savoirs situationnels. Réflexivité critique.
Modalisations appréciatives et déontiques.
Discours de type exposé impliqué puis
théorique. Reformulation.
(§ présentant des éléments issus de théories
éducationnelles relatives à l’enseignement
spécialisé en termes de pédagogie et d’éthique)
La classe est un lieu d’apprentissage de
comportements tels que s’autonomiser et se
responsabiliser.
Réflexivité contextuelle, reformulation des
savoirs.
Les apprentissages les plus notables me viennent
des élèves (…)
Celui qui m’a le plus marquée concerne le passage
en EFP (…)
Dans leurs yeux, j’ai vu de la tristesse, de la
déception, des larmes qui n’ont pas coulé en notre
présence. (..) L’EFP signifiait pour Daniel avoir
échoué (…) tandis que pour Claire cela signifiait
décevoir sa maman qui refusait catégoriquement
que sa fille aille en EFP. (…).
Récit interactif. Conscience de médiations.
Savoirs expérientiels. Modalisations logiques
et déontiques.
46 Ces indicateurs sont pondérés par rapport à leurs occurrences dans les fragments de
discours déterminés en tant qu’unités d’énonciation thématiques. Ensuite les résultats
de ces analyses sont repris dans les grilles afin de faire ressortir les caractéristiques
dominantes de chaque discours.
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Grilles d’analyse
47 Ces différents indicateurs sont ensuite entrés dans une seule grille d’analyse qui est
issue du croisement de différentes grilles d’analyse issues de nos recherches
concernant :
Les systèmes de régulation (Buysse, 2008c, sous presse).
Les niveaux réflexifs (Buysse, 2008c, sous presse) et les opérations et foyers d’attention
réflexifs (Vanhulle, 2002, 2005, 2008, 2009a).
Tableau 2 : Niveau réflexif et systèmes de régulation (Buysse, sous presse).
Les processus de construction des savoirs professionnels (Buysse, à paraître ; Vanhulle, id.)
et les critères de définition des « savoirs professionnels » (Vanhulle, 2008, 2009b, à paraître).
48 Combinés avec
une analyse des sources de médiation.
49 Ceci nous permet d’obtenir, dans la dernière étape de nos analyses, une grille de
synthèse (tableau 3).
Tableau 3 : Grille d’analyse combinée
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Résultats
50 Nos analyses font ressortir des regroupements possibles de dominantes dans les
caractéristiques des discours des étudiants tels qu’elles ressortent de nos grilles
d’analyse. N’ayant pas procédé à un traitement sur un échantillon suffisamment large,
nous ne pouvons pour l’instant parler encore de grappes validées statistiquement, mais
plutôt d’une catégorisation a priori.
51 Nos analyses des différents discours des étudiants au fil de leur formation permettent
d’établir des catégories allant de l’acquisition de savoirs, leur appropriation et leur
subjectivation dans des savoirs professionnels. Partant, ces analyses permettent de
distinguer des niveaux et des mouvements itératifs dans cette construction, entre
appropriation et subjectivation des savoirs professionnels. Elles font ressortir ce que
nous considérons comme des indices du développement caractérisés par la prise en
charge par les étudiants d'« expériences cruciales » générant des processus
d'autorégulation de leur pensée et de leur identité professionnelles.
52 En nous basant sur des descripteurs de l’écriture réflexive, du statut des savoirs dans le
discours, des régulations et des niveaux de réflexivité tels qu’ils ressortent de l’analyse
des textes nous pouvons distinguer différents indicateurs du développement. Notons
que ces éléments ne sont pas influencés de manière significative par la qualité littéraire
des productions. Ceci est confirmé également par nos observations des discours
réflexifs des enseignants en formation lors des entretiens sur le terrain, qui semblent
rejoindre en partie, avec moins d’élaboration, les catégories trouvées dans les écrits
réflexifs.
53 Nous distinguons ainsi (voir tableau 4) sur la base de nos résultats différentes
appropriations par les étudiants de l’agir professionnel entre objectivation et
subjectivation une :
Acquisition du savoir à travers une grande part d’hétérorégulation ; un discours restitué ou
reformulé avec faible cohérence et peu de liens ; une quasi absence de réélaboration du
savoir ; des régulations seulement selon les médiations suggérées et portant uniquement sur
l’action ; aucune réflexivité ou alors de niveau technique, parfois réflexivité sans régulation ;
des médiations omniprésentes dans le discours et seules causalités de la régulation.
Appropriation du savoir à travers une autorégulation qui s’inscrit au sein d’une régulation
partagée ; on décèle une cohérence interne du savoir et on peut alors parler de
compréhension mais sans traces marquées de restructuration personnelle ; un langage
soutenu avec larges extraits du discours social et culturel, une faible intégration dans les
situations, une articulation du discours social par rapport à lui-même, une cohérence des
concepts pour eux-mêmes ; un savoir reconnu et intégré, mais intouché et appliqué tel quel ;
des régulations majoritairement de l’action, parfois des conceptions, mais empreintes d’un
usage du prescrit ; une réflexivité majoritairement de niveau contextuel ; des régulations
basées ou non sur une médiation, mais une réflexivité dépendant en général de la
médiation ; la médiation n’est parfois pas totalement intégrée, elle est mentionnée mais pas
exploitée.
Internalisation à travers la création d’un sens en lien avec les savoirs tant référentiels
qu’expérientiels de l’apprenant ; il y a traces de restructuration en cours à travers des
autorégulations ; une reformulation consciente ou non du discours social et culturel ; une
intégration dans les situations ; une cohérence des concepts mais souvent désacralisés,
reformulés, réappropriés de manière originale ; des savoirs transformés, personnalisés,
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appliqués en compréhension ; des régulations conformes à la culture professionnelle et
portant sur les actions, les conceptions ou les sous-jacents selon le problème rencontré ; une
réflexivité de niveau contextuel mais souvent de niveau critique ; des régulations
généralement autonomes, mais l’empan réflexif dépend parfois des médiations et la
médiation est alors reconnue et suivie ou alors critiquée.
Expertise lorsque un nouvel état de structuration semble atteint ; l’intentionnalité propre
apparaît en plus de l’expression de motifs attribués à l’agir ; un langage soutenu, une
reformulation consciente mais avec résurgence des formes intégrées du discours social ; la
cohérence des concepts semble intégrée au sujet ; les savoirs sont intégrés au système de
pensée du sujet ; des régulations de tous les systèmes selon ce qui est rencontré mais en
général seulement des actions car les conceptions sont ajustées, avec parfois régulation des
sous-jacents ; une réflexivité de niveau contextuel entraînant presque toujours l’esquisse
d’une réflexivité au niveau critique ; les médiations sont indécelables ou alors sous forme de
référence à des courants de pensée.
Tableau 4 : Appropriation de l'agir professionnel
Discussion
54 On ne constate pas un quelconque processus par étapes que suivraient plus ou moins
tous les étudiants. Tous ne parviennent pas à un niveau élevé de subjectivation en fin
de formation et peuvent rester dans des démarches avant tout appropriatives et
adaptatives. Pour autant, aucun étudiant ne peut être considéré comme « figé » dans
l’une de ces catégories. Le développement n’est jamais « arrêté », car il est lui-même
porteur de sa zone proximale de développement. Certains textes appartiennent à des
catégories différentes selon le thème abordé, néanmoins, en règle générale, même dans
ces cas, le texte réflexif dans son ensemble semble pouvoir relever de façon dominante
d’une catégorie ou l’autre.
55 Nous ne pouvons donc pas constater de progression définie, par exemple de
l’acquisition à l’expertise, même si l’on pourrait aisément conceptualiser que
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l’acquisition et l’appropriation se déroulent pendant la réécriture d’un texte qui
paraîtra in fine expert. Dans le même sens, on ne saurait conclure que tout
professionnel atteint après sa formation à un moment ou l’autre ce que nous avons
qualifié « d’expertise » en nous basant sur des écrits réflexifs. Il s’agit d’un processus
développemental potentiellement non achevé, fonctionnant par révolutions
successives ou nouvelles régulations, et intégrant les niveaux, depuis l’objectivation des
savoirs et de leurs formes sociales et discursives jusqu’à leur subjectivation.
56 Notons également que nous analysons des discours qui témoignent d’une intégration
plus ou moins grande des savoirs professionnels mais pas nécessairement d’une
compétence démontrée sur le terrain. Il conviendrait de comparer les deux aspects
pour pouvoir établir si un discours réflexif, montrant une expertise par exemple,
correspond à un agir également « expert ». Un degré élevé de subjectivation n’implique
pas l’attestation de compétences en situation bien installées : la construction de
significations pour l’agir, même très fines, ne débouche pas nécessairement vers des
activités efficaces. Néanmoins, la création fine de significations forme une genèse des
savoirs professionnels qui peuvent offrir des pistes pour faire face à des situations
inédites, difficiles, non stéréotypées. Nos premiers constats lors de l’évaluation des
enseignants en formation semblent indiquer que certains parviennent à comprendre
les raisons de leurs échecs et difficultés et qu’ils démontrent une expertise d’un point
de vue théorique. Ils envisagent même des régulations sans pour autant parvenir à
mobiliser des compétences dans l’immédiateté du terrain.
57 D’un point de vue institutionnel, nous pensons également que tant l’outil d’analyse que
nos observations offrent des manières de penser la formation des enseignants en
tenant compte de ces indicateurs et fondée sur des médiations structurantes et
régulatrices.
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NOTES
3. Nous utiliserons ici le terme « internalisation » pour désigner « l’intériorisation prolongée »
ou la « poursuite au niveau intrapsychique de l’intériorisation ».
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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RÉSUMÉS
Quels indicateurs permettent d’inférer des processus d’apprentissage et/ou de développement
professionnel à partir des discours (écrits) des étudiants produits dans l’alternance ? Et quelles
médiations – intériorisées par les étudiants – influencent ces processus ? Pour répondre à ces
questions, nous envisageons le développement professionnel à partir des médiations, de la
réflexivité et des régulations qui y conduisent. Nos analyses de discours s’appuient sur des textes
réflexifs produits par des enseignants en formation. Elles croisent des critères relatifs à la
construction des savoirs professionnels, aux niveaux de réflexivité, aux systèmes de régulation et
aux genres de médiations. Nous relevons ainsi des indices de développement dans les énoncés
des étudiants ainsi que des traces des médiations. Au final, les textes peuvent se catégoriser selon
différents rapports entre objectivation-adaptation et subjectivation-développement : acquisition
du savoir, appropriation-adaptation, internalisation et « expertise ».
How can students’ written discourses serve as traces to infer their learning processes and/or
their professional development processes? Which mediations internalized by the students
influence this process? In order to answer these questions we consider professional development
as resulting from mediations, regulations and reflexivity. Student teachers’ reflexive writings
form the basis of our discourse analyses. These analyses take into account traces of professional
knowledge building, of systems of regulations, of levels of reflexivity and of mediations.
Eventually, these texts can be categorized according to different relations between objectivation-
adaptation and subjectivization-development: acquisition of knowledge, appropriation-
adaptation, “ongoing internalization” and “expertise”.
INDEX
Mots-clés : développement professionnel, médiations, réflexivité, régulation, portfolio
Keywords : professional knowledge, mediation, reflexivity, regulation, portfolio
AUTEURS
ALEXANDRE BUYSSE
Professeur à la Haute école pédagogique du Valais, Suisse et chercheur à l’Université de
Genève, Suisse, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, groupe de
recherche Théorie, Action, Langage et Savoirs (TALES).
SABINE VANHULLE
Professeure à l’Université de Genève, Suisse, Faculté de Psychologie et des Sciences de
l’éducation, responsable du groupe de recherche Théorie, Action, Langage et Savoirs
(TALES).
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La socialisation au travail commeindicateur de développementprofessionnel : analyse desapproches basées sur la mesureStéphane Martineau, Liliane Portelance et Annie Presseau
Introduction
1 Notre texte se veut pour l’essentiel une analyse de quelques aspects méthodologiques
et épistémologiques des recherches sur la socialisation professionnelle (ou
organisationnelle), recherches liées au champ du développement professionnel. Plus
précisément, nous y conduisons une réflexion critique sur les différents outils de
mesure les plus utilisés en recherche dans ce domaine. D’abord, nous esquissons une
problématique de la recherche en socialisation professionnelle et nous apportons
quelques précisions conceptuelles nécessaires en situant la question de la socialisation
par rapport au développement professionnel. Ensuite, nous spécifions nos critères
d’analyse de la littérature spécialisée. Suit alors une analyse critique des aspects
méthodologiques des recherches sur la socialisation professionnelle. Les principales
insuffisances des recherches sont identifiées - notamment au regard des indicateurs - et
des pistes de perfectionnement des outils sont esquissées. Enfin, nous menons une
brève discussion sur la pertinence épistémologique des approches de la mesure dans
l’analyse de la socialisation professionnelle.
1. Mise en contexte
2 Dans le domaine de la socialisation professionnelle (parfois nommée aussi socialisation
organisationnelle) les recherches ont connu un développement que l’on peut qualifier
de paradoxal. Ainsi, depuis trois décennies environ les chercheurs ont clairement
démontré que la socialisation professionnelle est un enjeu central pour la compétence
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des acteurs en milieu de travail. Plus spécifiquement, on sait qu’en enseignement, les
milieux scolaires qui mettent sur pied des dispositifs d’insertion professionnelle
favorisent une meilleure entrée dans la carrière enseignante et réduisent les risques de
décrochage de la profession (Martineau, Presseau & Portelance, 2009 ; Martineau &
Vallerand, 2007). Toutefois, et c’est là le paradoxe que nous signalions au début de ce
texte, la grande richesse dans l’analyse des indicateurs et des implications de la
socialisation professionnelle s’accompagne aussi de lacunes importantes tant sur le
plan de la définition du concept que sur celui de sa mesure dans la tradition des
recherches reposant sur la mesure.
3 La définition de la socialisation professionnelle ne fait pas consensus. Pour certains, elle
permet de maîtriser un rôle en milieu de travail (Van Maanen & Schein, 1979). Pour
d’autres la socialisation professionnelle permet une compréhension de la culture d’une
organisation (Louis, 1980). Enfin, pour d’autres encore, elle renvoie au phénomène
d’appartenance à une organisation (Feldman, 1976). Si les définitions abondent (et ici
nous ne pouvons citer tous les auteurs consultés), on en connaît beaucoup moins sur la
nature du processus en tant que tel ; bien qu’à cet égard les travaux de Dubar (1996) et
de Dubar et Tripier (2005) ont indiqué des pistes prometteuses. En fait, la socialisation
professionnelle apparaît comme étant un processus défini essentiellement par ses
résultats plutôt que par son fonctionnement (nous y reviendrons). Par ailleurs, les
chercheurs sont loin de s’entendre au sujet de la nature de ces résultats, de sorte qu’un
certain flou demeure.
a) Des défis pour la recherche
4 Revenons d’abord rapidement sur les sources des théories de la socialisation. Très tôt
deux logiques se sont fait concurrence. D’un côté nous avons les thèses déterministes
où la socialisation est intimement liée à la perpétuation des sociétés (Bolliet & Schmitt,
2002). Ici, le regard se porte d’abord sur la société et la socialisation est, pour
l’essentiel, un processus de transmission de la culture (Durkheim, 1967 ; Linton, 1986 ;
Rocher, 1992). D’un autre côté, on retrouve les thèses essentiellement individualistes
(Weber, 1971). Pour elles, la socialisation est d’abord un processus de formation de la
personne (Piaget, 1965). Distinguons les succinctement (le lecteur nous pardonnera ici
une schématisation trop rapide).
5 Les approches holistes ou déterministes reposent en quelque sorte, plus ou moins
explicitement, sur les idées suivantes :
l’homme apprend de manière essentiellement passive par intériorisation ;
l’homme est façonné par la société ;
il y a primauté de la société sur l’individu ;
la société impose des valeurs, des normes, des rôles qui exercent une contrainte sur les
individus ;
l’action de l’individu est conditionnée (agents de socialisation : famille, école).
6 En conséquence, la recherche met surtout en évidence le conformisme aux rôles, aux
valeurs, aux normes, aux attitudes.
7 Quant à elles, les approches plutôt individualistes (inspirées plus ou moins de la
sociologie compréhensive de tradition wébérienne, de l’interactionnisme et de la
psychologie sociale) mettent de l’avant les éléments suivants :
l’homme apprend de manière essentiellement active par appropriation personnelle ;
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la société est façonnée par l’homme ;
il y a primauté de l’individu sur la société ;
les normes, les valeurs et les rôles ne sont que des possibilités offertes à l’individuqui
conserve une marge de libertédans l’exercice de ces rôles.
8 Ici, l’individu est un acteur social. Il « agit sur » autant « qu’il est agi par » le monde
social dans lequel il évolue.
9 Les tentatives pour dépasser l’enfermement dans l’une ou l’autre des deux logiques ont
été nombreuses ; on pense notamment, pour le processus général de socialisation en
société, aux travaux pionniers de Mead parus dans les années 1930 (1963). La théorie de
la structuration de Giddens en est un exemple relativement récent (2005, première
édition en français 1987). Toutefois, à l’heure actuelle, il n’existe pas encore de théorie
générale de la socialisation qui puisse réconcilier les diverses positions (Lacaze, 2002).
En cela, il s’agit, convenons-en, d’une situation normale pour les sciences humaines et
sociales où la diversité d’approches, de théories et de paradigmes est de mise et notre
texte n’a aucune prétention de jouer un quelconque rôle rassembleur. Notre propos est
considérablement plus modeste.
10 Ce même clivage entre visions plutôt holistiques ou déterministes et visions
principalement individualistes se vérifie dans les recherches plus spécifiques sur la
socialisation professionnelle. Par exemple, si certains voient la socialisation
professionnelle comme un processus cognitif d’attribution de sens (Louis, 1980),
d’autres l’identifient davantage à une stratégie organisationnelle pour « enculturer » le
travailleur (Van Maanen & Schein, 1979). Pour leur part, Sainsaulieu (1977, 1984) et
Dubar (1996) mettent l’accent sur les interactions au travail lesquelles seraient
centrales dans la structuration de l’identité professionnelle. Ces deux sociologues,
influencés par le courant interactionniste, insistent sur le fait que la culture
organisationnelle que doit connaître le nouveau travailleur se modifie sans cesse. Par
ailleurs, leurs travaux laissent bien voir qu’au sein d’une organisation, on retrouve
différentes identités professionnelles qui renvoient à autant de catégories de
« travailleurs » différents. Par exemple, dans une école, on n’a qu’à penser aux
enseignants, aux professionnels non enseignants (psychologues scolaires, etc.), aux
membres de la direction (Sainsaulieu, 1984 ; d’Iribarne, 1989, 1986).
11 Cette diversité d’approches n’est pas sans présenter un défi. L’absence de consensus au
sujet de la socialisation rend en effet son opérationnalisation difficile. Dès 1986, Fisher
fait remarquer qu’au moment où il écrit, non seulement les recherches sur la
socialisation professionnelle ont donné lieu à un faible nombre d’études empiriques
mais, surtout, que les mesures – lorsqu’elles existent – portent sur des indicateurs
indirects. En fait, les recherches mesurent les conséquences attendues de la
socialisation professionnelle. Ces premières recherches utilisent donc les indicateurs
suivants : satisfaction, engagement, performance. Des recherches ultérieures ont essayé
de dépasser le relatif simplisme des premières études en se centrant sur l’identification
de conséquences plus directes de la socialisation professionnelle. Elles ont donc tenté
d’identifier les éléments qui devraient être maîtrisés à l’issue du processus de
socialisation au travail. Ces recherches ont eu le mérite d’étudier le contenu même de
la socialisation et d’établir des indicateurs spécifiques au concept. D’autres recherches
encore, en privilégiant une analyse du processus même de la socialisation
professionnelle, ont défini différents stades que le travailleur traverse durant sa
socialisation professionnelle. Nous y reviendrons plus loin.
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b. Quelques définitions du concept
12 Bien des chercheurs se sont penchés sur cette question de la socialisation
professionnelle en particulier dans divers corps d’emploi allant des enseignants aux
entraîneurs sportifs en passant par les gardiens de prison. Ces chercheurs ont alors
proposé différentes définitions de la socialisation professionnelle. À titre indicatif
voyons-en brièvement quelques unes.
13 Selon Dixon (2005, p.14) : « Professionnal socialization is a continous process of
adaptation to and personalization of one’s environment ». Quant à Helm (2004, p.76), il
soutient : « The process through which individuals gain the knowledge, skills, and value
necessary for entry into a professional career an advanced level of specialized
knowledge and skills ». Clark (1997, p.442) va un peu dans le meme sens : « acquisition
of the knowledge, skills, value, roles, and attitudes associated with the practice of a
particular profession ». Pour ce qui est de Klossner (2004, p. 12), il propose ce qui suit :
« process by which individuals learn the roles and responsibilities of their profession
and become emerging members of the professional culture ». Pour leur part, Dunn,
Linda and Seff (1994, p. 375) diront que la socialisation professionnelle est un
processus : « by which individuals acquire the attitudes, beliefs, values and skills
needed to participate effectively in organized social life ». Spécifiquement, en ce qui a
trait aux enseignants, Lacey (1994, p. 6122) affirme que la socialisation professionnelle :
« refers to the process of change by which individuals become members of the teaching
profession and then take on progressively more mature roles, usually of higher status,
within the profession ».
14 Au delà des différences de définitions plusieurs caractéristiques communes ressortent
de ce bref tour d’horizon. D’abord, la socialisation professionnelle est un processus
continu (Hébrard, 2004) dont la fin, ultimement, n’est envisageable qu’au moment où
l’employé quitte l’organisation (par exemple, à la retraite). Ce processus est complexe
et comprend des aspects tant cognitifs, affectifs qu’interactifs (Dubar, 2000 ; Gundry,
1993). Il prend forme dans l’interaction entre l’acteur et son environnement physique
et social de travail (Adler & Adler, 2005 ; Shamatov, 2005). Il se traduit par l’acquisition
d’une sorte de culture de l’institution (ou de l’organisation) vérifiable notamment à
travers le rapport à certaines valeurs, la possession de certaines connaissances et la
mobilisation de certaines compétences (Allen & Meyer, 1990 ; Ashford & Saks, 1996 ;
Dixon, 2005). C’est dire que la socialisation professionnelle se vérifie notamment dans
l’attitude et la pratique du travailleur (Høivik, 2005 ; Keith & Moore, 1995). Enfin, la
socialisation professionnelle comporte des incidences certaines sur l’identité
professionnelle de l’acteur (Klossner, 2004 ; Martineau, 2008). En cela, elle est un
processus de changement identitaire où le sujet se définit par rapport à son groupe
professionnel (Langlois, 2000 ; Osiek-parisod, 1995).
3. Le développement professionnel
15 Après ce bref rappel des questions entourant la problématique de la socialisation
professionnelle, jetons un œil sur le développement professionnel. Il s’agit d’un concept
qui a émergé d’abord dans les recherches de type managérial et dont la popularité a été
croissante, ces dernières décennies, au fur et à mesure que le marché du travail
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s’engageait dans une restructuration majeure axée notamment sur la polyvalence de la
main-d’œuvre et sa responsabilisation face à la qualité du travail fourni (Bryant, 2007).
C’est dans cette même optique, par exemple, que le concept de compétence a pris le pas
sur celui de qualification. Il en existe plusieurs définitions. Killion (2002, p. 11) soutient
ainsi que le développement professionnel est « …the planned, coherent actions and
support systems designed and implemented to develop knowledge, skills, attitudes,
aspiration, and behaviors to improve student achievement ». Pour sa part, Guskey
(2000, p. 16) précise que le développement professionnel inclut : « …those processes
and activities designed to enhance the professional knowledge, skills, and attitudes of
educators so that they might, in turn, improve the learning of students ». Ou encore,
pour Nault (2005, p. 30) : « Le développement professionnel est la somme des
apprentissages effectués de façon formelle ou informelle au cours de la carrière, de ses
débuts jusqu’à la retraite ». Nous pourrions citer ici encore bien des auteurs. Disons
pour le moment que s’il y a un relatif consensus pour faire du développement
professionnel un processus dans lequel le travailleur s’engage afin d’en arriver à un
niveau de maîtrise et de compréhension supérieur de sa pratique (Uwamariya &
Mukamurera, 2005), on constate également des divergences quant à la manière de
définir ce processus. Ces divergences vont porter sur l’ampleur du processus :
transformation des seuls savoirs et compétences ou modification également des
attitudes voire des aspirations professionnelles. Elles vont porter aussi sur la manière
dont le développement est assuré : d’aucuns soutiennent que le développement
professionnel ne saurait se faire de manière informelle pendant que d’autres vont
jusqu’à inclure l’apprentissage informel comme modalité de développement (Nault,
2005 ; Day, 1999). Enfin, certains vont insister sur la dimension collaborative du
processus (Speck & Knipe, 2001) pendant que d’autres mettront l’accent sur
l’engagement personnel (Guillemette, 2006).
4. La socialisation professionnelle dans ledéveloppement professionnel
16 D’entrée de jeu, disons d’emblée qu’il va de soi que nous ne pourrons qu’esquisser ici
les liens entre ces deux processus. D’abord, soulignons que, selon nous, la socialisation
professionnelle est un processus qui semble plus global que celui de développement
professionnel. En effet, tout acteur au travail s’inscrit dans un processus de
socialisation où il est à la fois réceptacle des influences et agent de socialisation à son
tour. On le sait, l’homme ne peut entrer en relation avec autrui, agir dans un contexte
donné ou inscrire son activité professionnelle dans un cadre particulier, sans que de
« la socialisation ne s’en suive ». En ce sens, la socialisation professionnelle est un
processus qui englobe tout ce qui permet de maîtriser un rôle en milieu de travail,
assure une certaine compréhension de la culture d’une organisation ou encore, définit
un certain rapport identitaire à une organisation (Martineau & Presseau, 2007). Quant
au développement professionnel, il renvoie essentiellement, comme on la vu plus haut,
à un apprentissage formel ou informel visant la plus grande maîtrise de l’agir
professionnel. On peut dire alors que son horizon est finalisé : accroître l’efficacité et
l’efficience de l’acteur dans son milieu de travail. Ainsi, si le concept de socialisation
professionnelle peut, à la limite, se conjuguer tout autant dans le sens de l’intégration
que de la distance (voire l’hostilité) aux objectifs de l’organisation - car on peut
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imaginer une socialisation délinquante, des comportements d’évitement « appris », un
« monde parallèle » des travailleurs à l’abris des supérieurs - on imagine mal un
développement professionnel qui conduirait le travailleur à moins de bien-être au
travail, à moins d’efficacité, à moins de professionnalisme.
17 On l’aura alors compris, les recherches, à majorité anglo-saxonnes, qui portent sur la
socialisation professionnelle envisagent en général ce processus sous le seul angle de ce
que nous pourrions considérer comme le développement professionnel. En effet, la
grande majorité de ces recherches conçoivent la socialisation professionnelle dans une
optique qu’il est possible de qualifier de normative au sens que la socialisation y est
présentée sous l’angle de la meilleure intégration du travailleur à l’organisation. Cette
orientation générale est directement liée aux origines managériales de ces recherches.
18 Avant de conclure cette section, il s’avère nécessaire de mieux spécifier en quoi la
socialisation peut être un indicateur du développement professionnel. Au sens fort du
terme, la socialisation est un processus de transformation du sujet qui s’approprie une
culture donnée (en contexte de travail, la culture organisationnelle). La conséquence la
plus saillante de la socialisation est de rendre relativement stables certaines
dispositions (manière de sentir, de penser, d’agir). Or, la socialisation, bien qu’elle soit
un processus individuel (chacun en fait une expérience personnelle et originale)
conduit les sujets d’une communauté (de travail ou non) à un plus ou moins grand
partage de valeurs, de règles, de normes, de représentations. En tant d’instrument de
régulation sociale, la socialisation permet en outre l’économie de la surveillance et des
sanctions externes au sens où les acteurs conforment leurs comportements aux
attentes du groupe.
19 Ajoutons que dans le cadre d’une organisation de travail, lorsqu’elle s’oriente vers une
certaine conformité à la culture organisationnelle, la socialisation professionnelle peut
être vue comme un facteur de développement professionnel dans la mesure où le sujet
acquiert une capacité à « lire les situations », à se mouvoir adéquatement dans
l’organisation, à adopter les bons comportements aux bons moments (en cela, il devient
donc en quelque sorte plus efficace et plus efficient). On comprendra alors que toute
organisation de travail gagne à abriter en son sein des acteurs « bien socialisés ».
Mentionnons toutefois que le lien entre socialisation professionnelle et développement
professionnel est loin d’être simple et automatique. En effet, on peut imaginer qu’une
trop grande conformité aux normes et aux règles de l’organisation puisse conduire à
des comportements ritualisés peu efficaces et qui laissent peu de place à l’innovation.
Au fond, la socialisation professionnelle participera du développement professionnel
dans la mesure où elle n’enfermera pas le sujet dans des rôles et des statuts stéréotypés
mais lui permettra de développer un rapport réflexif à son travail. Malheureusement,
nous ne pouvons ici développer plus avant ces quelques considérations et nous sommes
conscients d’en rester à un niveau de généralité très élevé.
5. Critères d’analyse d’un instrument de mesure ensciences humaines et sociales
20 Notre questionnement de fond, rappelons-le, porte ici sur les indicateurs de la
socialisation professionnelle. Plus spécifiquement, à partir d’une analyse de la
littérature francophone et anglo-saxonne, analyse qui, il va sans dire, ne saurait être
exhaustive, nous souhaitons réfléchir sur les instruments de mesure de la socialisation
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professionnelle. En effet, parler d’indicateurs renvoie immédiatement à leur
opérationnalisation. En somme, nous nous posons la question suivante : les instruments
mesurent-ils bien le concept de socialisation professionnelle ?
21 On le sait, le social ne saurait se mesurer comme les objets physiques (Freitag, 2002).
Les phénomènes sociaux sont complexes et les acteurs qui y participent en ont déjà une
interprétation (Dumont, 1968). Giddens (2005) dirait qu’ils possèdent une conscience
réflexive sur le monde qu’ils habitent. Par ailleurs, souvent les mesures ne peuvent être
répétées dans le même contexte puisque les recherches ne se mènent pas en
laboratoire. En fait, le problème central qui se pose aux chercheurs est d’identifier des
indicateurs observables qui restituent le plus fidèlement possible les caractéristiques
du concept (Cohen, Manion & Morrisson, 2000). Or, pour mesurer le degré auquel les
indicateurs retenus dans la littérature représentent le concept de socialisation
professionnelle, il semble nécessaire d’utiliser quatre principales notions :
la fiabilité : l’indicateur est déterminé davantage par le concept que par le hasard ;
la validité : l’indicateur mesure bel et bien ce qu’il est supposé mesurer ;
la faisabilité : le nombre d’indicateurs ne doit pas être trop élevé et ceux-ci doivent être
compréhensibles ;
la sensibilité : l’indicateur est-il capable d’enregistrer des variations assez fines du concept.
22 Dans un premier temps, nous nous attarderons aux critères en usage pour déterminer
le niveau de socialisation de l’acteur. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons –
trop rapidement nous en convenons déjà – sur la manière dont le temps est pris en
compte dans la mesure de la socialisation professionnelle. Précisons que cette partie de
notre exposé doit énormément au travail synthèse effectué par Catherine Fabre du
Laboratoire Interdisciplinaire de recherche sur les Ressources Humaines et l’Emploi
(LIRHE, Unité mixte de recherche CNRS/UT1 Université des Sciences Sociales,
Toulouse). Nous empruntons donc sensiblement les mêmes chemins que ceux de cette
chercheure.
6. Les indicateurs de la socialisation professionnelle
23 Tout d’abord, nous allons présenter les indicateurs qui représentent les conséquences
attitudinales de la socialisation. Ensuite, nous nous attarderons aux indicateurs qui
traduisent les conséquences de la socialisation en termes de maîtrise des domaines de
socialisation. Enfin, nous analyserons les indicateurs donnant à voir l’aspect dynamique
de la socialisation professionnelle.
6.1 Typologie et caractéristiques des mesures effectuées
24 La très grande majorité des mesures de la socialisation professionnelle porte sur les
conséquences de la socialisation. En fait, on analyse directement l’effet de cet
indicateur sur d’autres variables telles la satisfaction au travail, l’engagement
professionnel, le projet de quitter son emploi, le rôle professionnel, etc. Ces dernières
variables sont censées représenter fidèlement le niveau de socialisation professionnelle
du travailleur.
25 À l’instar de Fabre (2005), on peut alors se poser deux questions : 1- Dans quelle mesure
les conséquences sont-elles réellement corrélées à la socialisation professionnelle ? 2-
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Est-il suffisant de mesurer les conséquences de la socialisation professionnelle ?
Expliquons brièvement. La première question renvoie au problème suivant : considérer
implicitement que l’insertion professionnelle dépend uniquement de la socialisation
professionnelle. Or, des recherches en ce domaine démontrent bien que ce n’est pas le
cas (Martineau, Vallerand, & Bergevin, 2008 ; Portelance, Mukamurera, Martineau &
Gervais, 2008 ; Vallerand & Martineau, 2006). Bien des indicateurs interviennent :
formation antérieure, type de contrat d’embauche, type de poste occupé, etc. On serait
en droit de s’attendre à ce qu’un instrument de mesure de la socialisation
professionnelle puisse indiquer clairement ce qui relève du processus de socialisation
et ce qui relève d’autres facteurs. La deuxième question, quant à elle, renvoie au fait
que le processus de socialisation professionnelle est à toute fin pratique considéré
comme une boîte noire. En effet, les recherches ne mesurent pas ce qui se passe à
l’intérieur du processus mais seulement ses résultats : satisfaction au travail,
engagement professionnel, maîtrise des savoirs et des compétences, etc. Comme le
souligne pertinemment Fabre (2005, 7) à la suite de Chao, O’Leary-Kelly, Wolf, Klein et
Gardner (1994) : « En effet, ces indicateurs sont en mesure d’établir des liens de
corrélation entre un facteur et un degré de réussite de la socialisation professionnelle,
mais ils sont incapables d’expliquer les causes de succès ou d’échec et d’identifier les
problèmes à résoudre. Constater des corrélations sans les expliquer ne permet pas
d’analyser une situation, d’établir un diagnostic et des prescriptions ».
6.2. La socialisation professionnelle mesurée par des variables de
résultat
26 Dans la grande majorité des recherches menées à ce jour, les variables expliquées par la
socialisation professionnelle sont en fait utilisées comme des indicateurs (par exemple,
la satisfaction au travail, l’intention de demeure en poste, l’engagement), des variables
manifestes de ce concept. La mobilisation de ces indicateurs relativement éloignés du
concept de socialisation professionnelle permet, il faut bien le dire, la multiplication
des mesures empiriques. C’est la raison de leur emploi fréquent. Le problème vient du
fait que peu à peu la mesure se substitue au concept lui-même (Allen & Meyer, 1990,
Ashford & Saks, 1996 ; Jones, 1986). Force est de constater que les variables de type
« attitudes » (comme celles que nous venons de mentionner) ne sont reliées que de
manière fort imparfaite à la socialisation professionnelle. Par ailleurs, pour chacune il
faut également identifier des indicateurs précis. En combinant ces variables pour
atteindre la socialisation professionnelle et en identifiant leurs indicateurs, on
multiplie les approximations dans les mesures. On peut donc se demander si l’emploi de
telles variables est une pratique vraiment pertinente. En somme, compte tenu de ce qui
précède, on peut se demander si ce qui est mesuré ainsi est réellement en adéquation
avec le concept. En l’absence de la certitude que les variations des variables expliquées
(intention de changer d’emploi, satisfaction au travail, engagement professionnel, etc.)
sont effectivement expliquées par la variation de la variable indépendante (ici, la
socialisation professionnelle), il est impossible d’affirmer que ce qui devrait être
mesuré l’est bel et bien. En termes de validité donc, on ne peut que constater la
faiblesse des outils de mesure.
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6.3. La socialisation professionnelle mesurée au moyen de
domaines de socialisation
27 Afin d’éliminer ou de réduire les lacunes identifiées plus haut, Chao et al. (1994) ont
élaboré une mesure spécifique du construit théorique de la socialisation
professionnelle. En effet, leur échelle se compose de six dimensions partiellement
indépendantes : la maîtrise des compétences, le développement de relations sociales,
l’acceptation de la culture organisationnelle, la maîtrise du langage de la profession et
du jargon organisationnel, la capacité à utiliser les structures de pouvoir formelles et
informelles, la connaissance historique de l’organisation. À l’inverse de Fisher (1986),
les travaux de Chao et al. (1994) laissent cependant de côté la construction d’une
identité professionnelle (ce que nous déplorons). L’échelle ainsi créée (comprenant en
tout 34 items) a été testée et améliorée et présenterait un bon niveau de fiabilité et de
validité interne. Selon ce qu’en rapporte notamment Fabre (2005), la variance expliquée
par les six dimensions extraites lors de l’analyse en composantes principales serait de
58 %, et restituerait les dimensions construites théoriquement. Il semblerait que cette
échelle de mesure soit capable de saisir plus finement le phénomène de la socialisation
professionnelle que les variables de résultat. On peut toutefois souhaiter que cette
échelle soit enrichie par une variable comme l’identité professionnelle qui est, selon
bien des chercheurs, associée à la socialisation professionnelle (Bauer, Morrison &
Callister, 1998). Par ailleurs, les instruments de mesure de la socialisation devraient
notamment permettre de discriminer différents phénomènes. On pense ici, entre
autres, au fait de comprendre son milieu de travail (par exemple, savoir qui fait quoi) et
au fait d’adhérer aux valeurs du milieu (par exemple, partager le projet de son école).
Signalons que d’autres chercheurs ont également élaboré des échelles du même type.
On pense notamment aux travaux de Taormina (1994, 1997, 2004). Compte tenu de
l’espace qui nous est imparti, il ne saurait être question ici de les présenter.
28 En somme, si certains travaux apportent plus de précisions dans la mesure des
indicateurs de socialisation professionnelle, nous sommes encore loin de posséder des
outils parfaits. On notera surtout que les items qui mesurent le degré de
compréhension, ceux qui mesurent le degré d’adhésion et, enfin, ceux qui mesurent le
processus comme tel, semblent insuffisamment discriminés.
6.4. La socialisation professionnelle mesurée par son processus
29 Les études que nous venons d’évoquer se centrent essentiellement sur les conséquences
attendues de la socialisation professionnelle. À aucun moment le processus même de la
socialisation professionnelle est réellement décrit. Toutefois, quelques chercheurs se
sont penchés sur la question (Feldman, 1976 ; Louis, 1980 ; Schein, 1978). Bien que leurs
travaux datent déjà de presque trois décennies, leur pertinence apparaît encore
évidente (à tout le moins dans l’univers de la recherche de la mesure). Ces chercheurs
ont tenté de décrire le plus précisément possible les étapes que traverse un acteur lors
de sa socialisation au travail. Il y aurait ainsi trois grandes étapes de socialisation : la
socialisation anticipée, la confrontation à la réalité, l’adaptation.
30 Ces travaux nous paraissent intéressants dans la mesure où ils se centrent sur ce que vit
l’acteur et ont recours à différents concepts pour le faire : les attentes envers le milieu
professionnel, une vision réaliste du milieu de travail, les conflits d’identité, le
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
99
changement, l’adaptation à de nouvelles valeurs, la perception et l’interprétation de
l’information. Par contre, ces travaux n’expliquent pas les mécanismes de passage
entre les différentes étapes, ce qui est une lacune importante sur le plan de la
compréhension du processus de socialisation professionnelle. Par ailleurs, les écrits de
ces chercheurs demeurent fort peu explicites quant à la durée des étapes de
socialisation (et donc sur les raisons expliquant cette durée).
7. Le temps dans la mesure de la socialisationprofessionnelle
31 Bien qu’il semble aller de soi que le temps joue un rôle significatif dans le processus de
socialisation professionnelle, cet indicateur a été étonnamment négligé par les
recherches. En effet, même si de nombreuses études longitudinales ont été menées
depuis deux décennies sur la socialisation professionnelle (Bauer et al. 1998), elles ont
généralement laissé le facteur temps dans une sorte d’arrière plan théorique (Shuval &
Adler, 1977). Il semble pourtant nécessaire d’inclure l’effet du temps dans la mesure de
la socialisation au travail (Fabre, 2005). Les recherches longitudinales soulèvent ainsi
un certain nombre de questions : Doivent-elles se limiter à la seule première année
d’embauche (Hill, 1992) ? Et, dans ce cas, comment peuvent-elles prendre en compte le
type de lien d’emploi (par exemple, les enseignants à temps partiel, ceux à contrat
d’une durée limitée, les enseignants à la leçon, etc.). Sachant que la socialisation
professionnelle est un processus irrégulier (Fabre, 2005 ; Pinder & Schroder, 1987),
comment les dispositifs de recherche longitudinale peuvent-ils, sur le plan
méthodologique, prendre en compte cette irrégularité ?
32 Force est de constater alors que notre compréhension du processus de socialisation
professionnelle est encore à parfaire. Ainsi, si on sait que les attitudes et les perceptions
prennent forme assez tôt dès l’entrée au travail et même avant (Portelance,
Mukamurera, Martineau & Gervais, 2008), on en sait encore trop peu sur la façon réelle
dont ces dernières se construisent et selon quelle temporalité. Comme nous le rappelle
Fabre (2005, p. 15) : « Il semble également nécessaire d’étudier le processus de
socialisation en profondeur, pour trouver un modèle explicatif de la dynamique
temporelle de la socialisation et comprendre les déterminants du progrès, les
évènements qui peuvent accélérer ou au contraire freiner la progression ». Les
recherches menées à ce jour ont trop tendance à présenter le processus de socialisation
professionnelle d’une manière linéaire (Langley, 1999). Pourtant, la construction
théorique de Dubar (2000), laisse bien voir que le processus de socialisation ne saurait
être conçu en tant que processus continu et linéaire. Au contraire, la socialisation
professionnelle semble aussi faite de moments de discontinuité, de tensions, de
contradictions voire même de ruptures (Mintzberg, Raisinghani & Théorêt, 1976 ;
Perier, 2004 ; Schwenk, 1985 & Tremblay, 1998). Qu’on nous permette une fois de plus
de citer un peu longuement le texte de Fabre (2005, p. 16) : « Actuellement, les données
longitudinales sont prélevées alors que l’on ne maîtrise pas la dynamique du processus.
Ainsi, dans l’hypothèse où les différents domaines de socialisation ne progressent pas
au même rythme, et où l’on prélèverait des données à un moment où l’individu ressent
un retour en arrière dans l’un des domaines, les résultats ne signifieraient absolument
rien. Par conséquent, il serait intéressant d’intégrer, au sein d’un modèle unique,
théories de la variance et théories du processus ».
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
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33 Des recherches qualitatives semblent nécessaires ici afin de raffiner notre
compréhension du processus de socialisation professionnelle. Ces recherches
pourraient fournir des pistes intéressantes pour la construction d’indicateurs plus fins
tant en ce qui concerne les résultats du processus qu’en ce qui a trait au processus lui-
même. Par ailleurs, les recherches qualitatives pourraient également aider les
chercheurs à élaborer des approches méthodologiques mieux ajustées à la complexité
du processus analysé. On ne peut que déplorer qu’à ce jour (comme c’est souvent le cas
dans nombre de domaines en sciences humaines et sociales), les recherches dites
qualitatives (à tendance phénoménologique, interactionniste ou ethnométhodologique,
pour ne nommer que ces approches) et les recherches disons plus quantitatives (faisant
usage d’échelles standardisées) aient été menées dans une relative ignorance mutuelle.
8. Mais, en fin de compte, est-il pertinent de mesurerla socialisation professionnelle ?
34 On le sait, « l’épistémologie de la mesure »2 (ou, si l’on préfère, le courant hypothético-
déductif) possède une longue tradition et, malgré bien des faiblesses, a développé des
outils méthodologiques souvent performants qui ne sont pas sans intérêt (comme on a
pu le voir plus haut). Or, nos propos précédents ont porté sur les aspects
essentiellement méthodologiques des outils de mesure de la socialisation
professionnelle laissant volontairement de côté la question des fondements
épistémologiques. C’est de cet aspect du problème dont il sera question dans cette
section. On nous excusera de la brièveté de notre réflexion, l’espace qui nous est
imparti étant relativement restreint.
35 Les tensions entre les approches positivistes et les approches interprétatives traversent
toute l’histoire des sciences humaines et sociales et ce, par exemple, dès les productions
pionnières en sociologie de Durkheim et de Weber (Delas & Milly, 2005 ; Simon, 1991).
En la matière, Vérité et méthode de Gadamer (1996, paru originellement en 1960) a bien
montré non seulement les limites mais aussi les risques d’une « importation » des
approches des sciences naturelles dans les sciences humaines et sociales. Plus encore, le
grand philosophe allemand nous a mis en garde contre une conception substantialiste
des concepts car le langage ne donne pas à voir un monde ontologique préexistant mais
fait plutôt apparaître dans l’unité du « vouloir dire » le monde qu’il constitue. En fait,
plus spécifiquement, pour comprendre les phénomènes humains, il faut comprendre le
sens que leur attribuent les sujets concernés. C’est dire qu’il faut tenir compte des fins
poursuivies par les sujets (Schutz, 1987). Le sujet est alors considéré comme une unité
psychique, un ensemble compréhensible, qui possède une structure, une certaine
permanence dans le temps et en qui on peut voir à l’œuvre des processus intelligibles
(Watier, 2002). Ajoutons que l’approche interprétative accorde une grande importance
à certains facteurs généralement ignorés par les conceptions hypothético-déductive au
chapitre desquels on note : 1- un sujet qui interprète et qui est situé socialement,
culturellement, historiquement ; 2- une pratique sociale de l’interprétation qui est
historiquement ancrée ; 3- une action nécessairement située ; 4- non seulement
l’interprété mais aussi l’interprétant sont marqués par la temporalité. Qu’en est-t-il
dans les approches présentées plus haut ? Au regard d’une épistémologie
interprétative, on l’aura deviné, les approches de la mesure de la socialisation
professionnelle posent plusieurs problèmes.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
101
36 Elles se sont globalement développées en dehors de toute réflexion sérieuse sur la place
et le rôle du chercheur. Les recherches de la mesure de la socialisation professionnelle
n’ont pas donné lieu à un questionnement sur leur ancrage historique (par exemple, en
quoi participent-elles d’un courant néo-libéral de gestion de la main-d’œuvre et de la
gouvernance des organisations ?). Elles semblent travailler à partir d’une définition a
priori du concept, définition qui fige le concept qu’elles investiguent. Elles découpent en
outre le processus en différents facteurs qu’elles analysent plus ou moins séparément
sans prendre en compte le cadre herméneutique où évoluent les sujets ; nous sommes
loin ici d’une approche holistique. De plus, comme nous l’avons indiqué dans une
section précédente, elles ne tiennent pas (ou peu) compte du facteur temps. En effet, la
socialisation est un processus qui se déroule dans un laps de temps relativement long
que les approches de la mesure peuvent difficilement prendre en compte. Par ailleurs,
elles font l’impasse sur les dimensions conflictuelles, les tensions, les rapports
stratégiques entre les acteurs donnant plutôt à voir un phénomène essentiellement
linéaire.
37 En fin de compte, quelle réponse donner à l’intitulé de cette section ? Ici, nous sommes
tentés d’adopter une position similaire à celle de Ricœur (1969, 1983, 1986) face à la
controverse entre les tenants de l’explication et ceux de la compréhension en sciences
humaines et sociales à savoir que devant les phénomènes humains, l’explication de
processus (sur un mode hypothético-déductif) peut contribuer à améliorer la
compréhension que nous en avons au sens où, par exemple, la connaissance que j’ai de
certains processus cognitifs du cerveau peut m’aider à mieux comprendre la situation
d’apprentissage de tel ou tel élève. Si les phénomènes humains, pour être intelligibles,
nécessitent la prise en compte du sens construit par les acteurs (posture
compréhensive), ils n’impliquent pas un rejet complet et systématique de toute visée
explicative. Chacune des approches comporte des limites. En somme, les recherches sur
la mesure ne sont pas sans intérêt pour l’explication de la socialisation professionnelle,
elles permettent de mettre au jour différentes dimensions en jeu dans ce processus.
Toutefois, au-delà de leurs lacunes méthodologiques (leur relative incapacité à mesurer
réellement le processus), leur posture épistémologique leur interdit de prendre en
compte les raisons d’agir, les motifs, les logiques des acteurs et, en cela, leur portée
explicative s’en trouve limitée.
Conclusion
38 Ce tour d’horizon est bien entendu trop bref et ne saurait rendre toutes les subtilités du
champ de recherche présenté. Mais, malgré ces limites indéniables, ce texte permet,
nous le croyons, de faire ressortir certaines caractéristiques de la recherche sur la
socialisation professionnelle conduite à partir d’outils de mesure.
39 Il ressort donc de notre présentation que les indicateurs mobilisés pour étudier la
socialisation sont passablement imparfaits. En fait, certains ne sont même pas liés au
concept, tandis que d’autres manquent singulièrement de rigueur. On peut donc
s’interroger sur la portée des résultats obtenus à partir de tels outils imparfaits. Il
apparaît alors nécessaire de développer des instruments appropriés pour comprendre
non seulement la réussite ou l’échec de la socialisation, mais également pour juger, par
exemple, de l’efficacité des programmes et des dispositifs d’insertion professionnelle en
milieu scolaire (Martineau & Portelance, 2005). Pour ce faire, une étude approfondie du
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processus même de socialisation professionnelle dans un esprit interprétatif et par le
biais de méthodologies qualitatives nous semble une avenue nécessaire. En somme, au-
delà des faiblesses méthodologiques, c’est l’esprit même dans lequel sont menées les
recherches de la mesure qui est questionnable. En effet, celles-ci adoptent une posture
plutôt positiviste qui nous semble réductrice et peu compatible avec la complexité du
phénomène.
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106
NOTES
2. Nous reprenons ici l’expression du professeur Pierre Paillé de l’Université de Sherbrooke.
RÉSUMÉS
Cet article porte sur un aspect particulier du développement professionnel c’est-à-dire la
socialisation professionnelle (ou organisationnelle). Plus spécifiquement, ce sont certains des
aspects méthodologiques des recherches qui sont ici étudiés. Ainsi, les auteurs conduisent une
réflexion critique sur les différents outils de mesure les plus utilisés dans les recherches sur la
socialisation professionnelle. Les principales insuffisances des recherches sont identifiées et des
pistes de perfectionnement des outils sont esquissées. Ils s’interrogent par ailleurs sur la
pertinence des approches basées sur la mesure du processus de socialisation professionnelle.
This article focuses on a particular aspect of professional development which is professional or
organizational socialization. More specifically, some methodological aspects of research on
professional socialization are studied here. Thus, the authors conduct a critical analysis on the
various measurement tools used in the research on professional socialization. The main
shortcomings of the research are identified and possible development tools are outlined. In
addition, they also question the relevance of the approaches based on the measure of the process
of professional socialization.
INDEX
Mots-clés : socialisation professionnelle, méthodologie, développement professionnel
Keywords : professional socialisation, methodology, professional development
AUTEURS
STÉPHANE MARTINEAU
Professeur en Sciences de l’Éducation - Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
LILIANE PORTELANCE
Professeur en Sciences de l’Éducation - Centre de recherche interuniversitaire sur la
formation et la profession enseignante (CRIFPE).
ANNIE PRESSEAU
Professeur en Sciences de l’Éducation - Laboratoire d’analyse du développement et de
l’insertion professionnels en enseignement (LADIPE).
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Quels indicateurs pour mesurer ledéveloppement professionnel dansles métiers adressés à autrui ?Thierry Piot
Introduction
1 La notion de développement professionnel peut-être considérée comme émergente non
seulement dans le champ de la formation professionnelle et celui connexe de
l’ingénierie de la formation mais aussi dans le domaine plus étendu (même s’il est
conceptuellement moins homogène) des pratiques professionnelles.
2 La question que nous traitons ici concerne les indicateurs de développement
professionnel, que nous analysons à partir de deux regards : d’une part, nous indiquons
que l’émergence de la notion même de développement professionnel est en lien avec
une évolution socio-historique longue à travers la post-modernité. Celle-ci à la fois
exige de chaque opérateur plus d’efficacité à travers la formalisation des ressources qui
constituent ses compétences professionnelles et lui impose d’être un acteur au sens où
il soit s’efforcer de donner du sens à son travail et construire son identité, ou au moins
la partie de son identité plurielle qui concerne son activité de travail. D’autre part, et
prenant acte du lien génétique entre modernité et développement professionnel à
travers les notions d’identité et de compétence, nous indiquons dans quelle mesure le
cadre théorique de la didactique professionnelle, qui privilégie l’analyse de l’activité,
permet d’éclairer la notion de développement professionnel : en effet, l’activité d’une
personne au travail synthétise, à chaque instant, des éléments tenant aux compétences
qu’il met en œuvre et à l’identité professionnelle qu’il mobilise.
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Genèse de la notion de développement professionneldans les métiers de l’interaction humaine
La rationalisation induite par la modernité
3 La logique de la reddition de compte s’impose désormais dans la production des biens
des services, y compris dans le champ de l’éducation et de la formation (Lessard &
Mérieu, 2005), pensés comme des services intégrés à la notion de marché, tel que le
propose, au niveau de la Communauté européenne, le processus de Bologne pour
l’enseignement supérieur (1999)2 et plus généralement la stratégie de Lisbonne (mars
2000) qui vise à donner à l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la
plus dynamique du monde »3. Cette réalité est fille de la logique propre à la modernité,
née, avec le siècle des Lumières ; la modernité consacre la fin d’un monde régit par les
traditions, c’est-à-dire un monde stable, tant socialement qu’économiquement, dont les
bouleversements -que furent d’un côté la Révolution française et de l’autre la
Révolution industrielle- sont les événements fondateurs. Comme l’ont montré les
travaux de M. Weber (1922), qui cherchent à comprendre ce qui singularise les sociétés
modernes, ces dernières obéissent au principe de rationalisation de l’activité humaine.
Ainsi, c’est moins en référence à la logique « magique » de la tradition qui veille à
reproduire l’existant, ou en référence à la logique affective des passions, mais
d’avantage à une logique instrumentale et calculatrice que se comprend la modernité
classique du 19ème et de la première partie du 20ème siècle. La modernité classique se
distingue par un rapport de domination spécifique, la domination « légale-rationnelle-
bureaucratique » (Weber, 1922) qui s’appuie sur le pouvoir du droit formel et
impersonnel et l’acceptation d’un code qui s’impose à travers la notion de contrat. Elle
se légitime également dans la science et la technique triomphantes (Habermas, 1973).
C’est l’âge d’or des institutions, qui désignent, dans une définition extensive « toutes les
activités régies par des anticipations stables et réciproques » (Boudon & Bourricaud, 1982) :
État, famille, entreprises, églises, organisations diverses dont l’école. C’est également
une période propice à ce que François Dubet (2002) nomme les programmes
institutionnels qu’il définit comme un processus de socialisation qui inscrit des
individus dans une culture particulière : le travail du soin, par exemple, issu d’une
vocation, est un vecteur de ce processus qui permet la traduction de valeurs et
principes partagés, d’une part en actions qui donnent à voir ces valeurs, et d’autre part,
en subjectivité qui les intériorise. Le travail est institué mais aussi instituant et il agit
comme une matrice productrice de repères et de sens pour les individus. Dans
l’ensemble, ce mouvement de la première modernité a guidé, durant environ deux
siècles, l’évolution des sociétés occidentales qui vont peu ou prou devenir plus
homogènes, plus prospères et offrir un modèle de développement qui s’appuie sur la
démocratie politique et le primat de la sphère économique privée. Au tournant des
années 1970, le courant de la seconde modernité tente de décrire, du point de vue
sociologique, l’évolution de la société. Qu’on la désigne sous le terme de post-modernité
(Lyotard, 1979), d’hyper-modernité (Pages et al., 1988) ou surmodernité (Augé, 1992), on
constatelerôle central joué par la connaissance et les savoirs et une tension extrême
entre « la sphère productive centrée sur l’efficacité et régie par la rationalité fonctionnelle et la
sphère culturelle où règnent l’expression du moi et l’épanouissement personnel » (Bonny, 2004).
D’une certaine manière, c’est une radicalisation et une accélération extrêmes de la
rationalisation de la modernité classique qui sont à l’œuvre. Deux notions permettent
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de déchiffrer un monde perçu comme une mosaïque mouvante et de caractériser la dé-
symbolisation et la désinstitutionalisation en mouvement : la notion d’incertitude et la
notion de réflexivité. L’incertitude indique que les transformations de la société ne
balisent plus les périodes de relative stabilité mais constituent un trait permanent :
l’urgence, l’immédiateté ont pris la place des repères plus ou moins pérennes et
transmis de manière intergénérationnelle ; la réflexivité invite -ou plus exactement
oblige- chaque individu, dans un monde devenu désenchanté, à décider de ses propres
repères, à choisir des voies et les modalités pour se réaliser, puisque décider pour soi-
même est l’injonction à laquelle chacun est tenu de satisfaire : en devenant sujet,
l’individu doit également devenir réflexif, c’est-à-dire, pour J.-C. Kaufman (2004) « être
en regard de soi-même, s’analyser, prendre des décisions ».
Compétence contre qualification
4 La notion de compétence, issue du monde industriel anglo-saxon, traduit parfaitement,
dans les mondes professionnels, l’exigence de performances dans un univers devenu
concurrentiel. Elle se substitue à la notion de qualification à partir de laquelle un
diplôme d’un niveau donné ouvrait droit à des activités professionnelles et un niveau
de rémunération négocié au niveau collectif entre l’État, le patronat et les
organisations syndicales représentatives. La compétence, définie comme un savoir-agir
contextualisé et opérationnel, et issue de la combinaison de différentes ressources
(expérience, formation académique, attitudes et convictions personnelles), ne se
déclare pas mais s’infère de la performance, c’est-à-dire d’une réalité effective et
mesurable. En France, c’est l’accord CAP 20004 qui sanctionne ce changement de
paradigme dans le monde du travail. Signé en 1990, cet accord sert de référence pour
caractériser la transformation des rapports sociaux qui s’efforcent de prendre en
compte l’évolution de la situation des entreprises industrielles : « Au cœur de cet accord
se trouvent réaffirmés deux principes directeurs » (Ropé, 1996) qui officialisent le
glissement de la notion de qualification vers la notion de compétence : une formation
qualifiante et une organisation valorisante.
5 (1) Le principe de la formation qualifiante veut offrir aux salariés la possibilité de
s’inscrire dans une trajectoire professionnelle où ils puissent s’adapter et évoluer : dans
l’esprit, ils contribuent, en s’adaptant et en se transformant en une ressource
actualisée, à la compétitivité de l’entreprise, qui repose sur une capacité d’adaptation
et de réactivité accrues, tout en préservant leur emploi et les possibilités de promotion
internes. Dans ce modèle, qui s’inspire de l’exemple germanique, l’organisation du
travail et les compétences actualisées des salariés sont des aspects complémentaires :
leur adéquation et leur synergie dans l’action sont un des moteurs de la compétitivité
de l’entreprise. Autrement dit, le salarié est réputé adhérer activement, adaptant ses
compétences, à la logique de l’entreprise dont il est, à son niveau, un acteur mobilisé.
6 (2) Le principe d’une organisation valorisante, adossé au précédent, vise à optimiser en
permanence la genèse et la mobilisation des compétences des salariés, en valorisant
notamment leur expérience professionnelle via une interaction permanente entre
formation et organisation du travail : il s’agit de rendre plus souple et évolutive
l’adéquation entre formation et emploi, c’est-à-dire d’optimiser le rapport entre
compétences acquises et compétences requises. Sans vraiment être mise en examen
critique, la notion de compétence va progressivement et sans résistance migrer de la
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sphère industrielle vers le monde de la formation professionnelle, via les référentiels de
compétences, puis vers le monde scolaire, à une époque où le poids des demandes de la
sphère économique et productive va progressivement venir s’imposer, dans le monde
de l’éducation. Peu de voix se sont associées aux mises en garde du Collège de France et
ont pris suffisamment de distance avec cette vision a-historique et universaliste de la
rationalité : « le seul fondement universel que l’on puisse donner à une culture réside dans la
reconnaissance de la part d’arbitraire qu’elle doit à son historicité » (Collège de France, 1985).
D’une certaine manière, cette remarque rejoint les critiques formulées par la sociologie
critique de l’éducation qui réfute l’idée que les compétences s’acquièrent de manière
systématique par une formation adaptée avec des outils d’évaluation rationnels que
sont les référentiels de compétence et de certification et qui rappelle le rôle réel bien
que ne se donnant pas à voir spontanément de « l’identité culturelle des acteurs, qui
réintroduit le poids des attaches sociales extérieures et l’épaisseur des destins collectifs dans le
jeu organisationnel » (Peyronie, 1998).
7 En somme, le cadre de la seconde modernité invite désormais chacun à devenir co-
auteur de son développement professionnel, à se poser comme un auteur éveillé,
attentif aux évolutions de l’organisation -ou des organisations successives- qui
l’emploient, au fait des cadres juridiques et économiques qui placent désormais la
notion de développement professionnel au centre de nombreux dispositifs : Loi de
modernisation sociale de janvier 2000, notamment dans son volet VAE (Validation des
acquis de l’expérience), Droit individuel de formation, Formation tout au long de la vie.
Les métiers adressés à autrui : entre rationalisation forte et
rationalisation faible
8 Cependant, il faut accorder une place particulière au travail de l’interaction humaine,
où l’activité du travailleur est adressée à autrui. Ce dernier se distingue du travail
industriel classique en ce sens qu’il est écologique, interprétatif, historicisé (Piot, 2006)
et requiert la maîtrise d’un double registre de compétences (Mayen, 2007) : d’une part,
des compétences sur l’objet de service qui correspondent au contenu du programme
scolaire pour l’enseignant, aux situations professionnelles pertinentes pour le
formateur, aux gestes ou techniques de soin pour l’infirmier, aux activités ludiques ou
techniques pour l’animateur, etc., et d’autre part, des compétences
communicationnelles et relationnelles qui consistent à obtenir et garder la confiance
d’autrui, à conduire des conversations exemptes de malentendus ou de non dits, c’est-
à-dire des conversations satisfaites au sens de la pragmatique.
9 Les activités professionnelles adressées à autrui se caractérisent par un dilemme
crucial, une tension particulière entre une rationalisation forte et une rationalisation
faible et le développement professionnel des travailleurs concernés est à l’épreuve de
cette tension. En effet, le travail adressé à autrui mêle irréductiblement rationalité
objective et interprétations subjectives.
10 D’une part, ce que font les travailleurs concernés dans le cadre de leur travail -tâches
prescrites et activités mises en œuvre- correspond bien à un travail au sens classique
du terme, puisque ce travail peut être analysé comme un processus de transformation
qui est traversé historiquement par l’exigence de rationalisation qui caractérise
l’évolution du travail humain dans le monde occidental : définition d’un but,
caractérisation d’un objet et des relations du travailleur à cet objet, caractérisation du
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produit du travail, des technologies et savoirs spécifiques requis pour exécuter celui-ci
et existence d’une organisation qui procure un cadre social. D’autre part, ce travail
résiste fortement au cadre habituel d’une analyse ergonomique classique : tout « travail
sur autrui » résiste à se laisser enfermer dans des algorithmes, des protocoles
d’exécution ou des schémas fermés qui s’ordonnent à la pure logique
transformationnelle déductive et applicative des sciences dures, dont le champ de
validité est limité à la production de biens matériels.
11 Les missions des métiers de l’interaction humaine (socialiser, enseigner ou former,
soigner, accompagner…), ne peuvent être définies ou appréhendées qu’à partir de
l’histoire multidimensionnelle et complexe des groupes culturels de référence et des
personnes concernées : trajectoires sociales, dimensions psychologiques et cognitives.
Le travail adressé à autrui correspond à deux processus en tension, antagonistes et
complémentaires : l’un rationalisé et codifié, l’autre intersubjectif et faiblement
déterminé (Tardif & Lessard, 1999). Le processus codifié est prévisible et planifiable,
voire quantifiable au sens d’une gestion analytique. Il est donc possible d’anticiper et de
« rendre compte », d’évaluer, de gérer et de réguler certains éléments du travail
adressé à autrui en suivant la logique rationnelle classique ; par exemple, pour
l’enseignement, représentant emblématique des métiers adressés à autrui, on peut
caractériser de manière univoque les cohortes d’élèves, les programmes scolaires, les
curricula, l’organisation scolaire, les horaires dévolus à chaque discipline, le règlement,
les outils pédagogiques, le recrutement et la gestion de carrière des enseignants. Le
contrôle bureaucratique, à travers notamment la segmentation et la différenciation
progressive des espaces réels et symboliques des lieux où s’exercent les métiers
adressés à autrui (école, centre de formation professionnel, hôpital…), sont les traces,
en terme d’organisation, de cette rationalité qui anticipe, gère, régule et demande des
comptes. Les métiers adressés à autrui sont bien, de ce point de vue, une activité
instrumentale et formalisée, institutionnellement et socialement reconnue où les
compétences sont codifiées dans des référentiels (2005 pour les travailleurs sociaux,
2006 pour les enseignants ; 2007 pour les aides-soignants, 2009 pour les infirmiers…) et
où l’identité professionnelle des acteurs est en partie définie par un statut d’exécution
au sens moderne du terme. À se limiter aux caractéristiques embrassées par le
processus de rationalisation de ces métiers, il y a alors lieu de tenir ces derniers comme
routiniers, connus, monotones, prévisibles et donc pouvant être totalement anticipés,
reproduisant inexorablement un scénario sans surprise. Cependant, ce regard qui
réduirait les activités professionnelles concernées à un processus totalement
maîtrisable et descriptible dans un protocole d’exécution sans incertitude serait erroné.
Le processus flou auquel se conjugue le processus codifié marque la complexité
attachée au travail adressé à autrui. Il est marqué du sceau d’une certaine incertitude,
d’une certaine imprévisibilité que signalent les contingences des situations de travail
(par exemple, une situation d’enseignement/apprentissage), et qui renvoient à
l’irréductibilité de l’individu face à des règles générales. Exercer ces métiers adressés à
autrui revient alors à produire des activités de travail toujours différentes, originales
dans les interactions historicisées et singulières qui les constituent. Ce processus flou
est plus qualitatif et renvoie à la rencontre de personnes porteuses d’objectifs, de
valeurs, de normes intériorisées, de savoir, de projets, de trajectoires, plus ou moins
explicités, plus ou moins conscientisés, plus ou moins rationalisés. Le professionnel
d’une part, les personnes auxquelles s’adresse son travail d’autre part, ont des postures
asymétriques dans la situation de travail. La participation et l’engagement lucide des
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personnes bénéficiaires ne sont jamais définitivement acquis ou durables ; ils reposent
sur des interactions, notamment des interactions verbales contextualisées, ainsi que
des contingences et des dynamiques intégrées au cours de l’action qui ne sont jamais
totalement ni prévisibles, ni contrôlables, ni même toujours convergentes. Le
professionnel doit sélectionner des informations pertinentes, interpréter la situation
dans laquelle il doit agir. Il n’est pas simplement un opérateur ou même un agent qui
répéterait un acte professionnel standardisé. Parce qu’elles sont en partie
imprévisibles, les situations de travail adressées à autrui (comme l’activité d’une
assistante maternelle faisant face à un nourrisson qui ne s’endort pas, pour prendre un
exemple dans un contexte différent) sont potentiellement ouvertes, ce qui ne signifie
pas que tout y soit acceptable, ou même que tout y ait la même valeur ou encore la
même pertinence, mais qu’il faille y repérer en temps réel, derrière une apparente et
familière uniformité structurelle (prise d’un biberon, activité, sieste) ce qui s’y passe
sur le plan des interactions qui s’enchaînent, en constituant, à chaque instant, un
élément jamais totalement maîtrisé de la situation qui suit. De manière générale, les
transformations attendues par l’activité du professionnel dans les activités adressées à
autrui sont traversées par des tensions irréductibles et non solubles dans le seul
processus de rationalisation, sauf à ignorer leur réalité pourtant bien tangible, entre
assujettissement et autonomisation, entre transmission et création, entre reproduction
et émancipation. Sous cet angle, ces activités professionnelles sont marquées par le
sceau d’une rationalité faible face à laquelle doit faire face le professionnel concerné.
Son travail se présente comme pluriel, hétérogène, composite, mêlant les contraintes et
les ressources provenant d’une dimension codifiée et contrôlable et des aspects plus
flous, informels, peu conscientisés et peu préhensibles du point de vue scientifique. Il
est traversé par des dilemmes et tensions parmi lesquelles le rapport complexe à
l’exigence de rationalisation propre à la seconde modernité.
12 Pour prendre en compte ces difficultés, nous proposons, à partir du cadre théorique de
la didactique professionnelle, d’analyser le développement professionnel, dans deux
dimensions : l’une liée aux compétences et l’autre liée à l’identité.
La didactique professionnelle : un cadre théoriquepour problématiser la notion de développementprofessionnel
Buts et fondements de la didactique professionnelle
13 La didactique professionnelle a pour but d’analyser l’activité des professionnels en vue
du développement des compétences (Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006). L’hypothèse
forte est que l’activité humaine, qui est au cœur du projet scientifique de la didactique
professionnelle, est organisée dans un réseau de configurations de bases -schèmes
piagétiens (Vergnaud, 1985) ou matrices cognitivo-pragmatiques (Piot, 2006), qui
permettent d’en rendre compte d’un point de vue téléologique, dynamique et
structurel. Si la notion de schème est peu accessible pour l’opérateur, la notion de
matrice cognitivo-pragmatique vient indiquer que l’opérateur est aussi un auteur
capable de rendre conscientisable son activité et de la conceptualiser, via une
médiation et des instruments appropriés (Vygotski, 1985), bref de mener un travail
d’analyse réflexive à propos de certains aspects de son agir professionnel : la notion de
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concept pragmatique de Pastré (1999) ou encore la clinique de l’activité de Clot (2001)
peuvent être considérées comme deux exemples de recherches qui s’efforcent de
comprendre dans quelle mesure l’agir professionnel peut-être l’objet d’une démarche
réflexive au moins partielle, à défaut d’être rendu totalement transparent aux
travailleurs eux-mêmes. C’est à partir de l’activité que sont abordées la notion de
compétences et les ressources plurielles qui la constituent. Dès ses origines, en France
dans les années 1970, période qui a vu se mettre en place un cadre juridique5 pour la
formation continue (Lescure, 2004), la didactique professionnelle s’efforce d’articuler
deux perspectives : l’une, théorique, concerne les apprentissages humains notamment à
partir des situations de travail à l’épreuve directe desquelles sont confrontés les
professionnels, et l’autre, plus opératoire, a pour objet l’ingénierie de la formation, en
tant que réponse concrète à la demande sociale et économique de formation continue
et de formation tout au long de la vie. Sur le plan scientifique, la perspective théorique
est celle de la conceptualisation en amont, pendant et en aval du processus de
réalisation de l’activité réelle, qui place en son centre un rapport dynamique et
réciproque entre action et compréhension.
14 Trois courants théoriques sont mobilisés conjointement pour analyser l’activité. En
premier lieu, la psychologie ergonomique qui s’intéresse, dans les situations de travail
réel, à l’écart entre la tâche prescrite (ce qui est à faire) et l’activité (ce qui est
effectivement réalisé), à partir de la distinction fondatrice entre ces deux notions pour
l’analyse du travail (Ombredane & Faverge, 1955). Du point de vue ergonomique, la
structure cognitive de la tâche constitue une interface générique entre tâche, activité
et situation de travail. Enfin, la notion d’image opérative (Ochanine, 1978), constitue
une ressource spécifique, plus ou moins conscientisée, pour orienter, conduire et
réguler l’action en amont et au cours de la réalisation de l’activité et dont la notion de
concept pragmatique (Pastré, 1999), n’est pas très éloignée. La psychologie du
développement constitue le second pilier théorique. La théorie de la connaissance de J.
Piaget (1974) met en évidence les interactions entre d’une part le sujet agissant et
apprenant et d’autre part la situation et l’objet avec ou sur lesquels il agit. La notion de
schème piagétien, constitue, de ce point de vue, une unité organisatrice de l’action,
pour une classe de situation donnée. L’apport de L. S. Vygotski (1934/1985), avec les
notions-clé de zone prochaine de développement, d’interaction de tutelle -approfondie
par J. Bruner- et de médiation symbolique, constitue une contribution particulièrement
féconde pour comprendre comment, en tension entre action, cognition et langage, se
construisent les savoir et savoir-agir. La didactique des disciplines est le troisième
courant au fondement théorique de la didactique professionnelle ; trois notions
principales peuvent être considérées comme des ressources significatives : la situation
didactique constitue un vecteur de conceptualisation des connaissances par le sujet à
travers la démarche ternaire agir, formuler, valider. On la retrouve en analyse de
l’activité ou en formation à travers les situations emblématique de travail ; le contrat
didactique porte l’attention sur le cadrage communicationnel des situations
d’enseignement-apprentissage ou de formation et formule une question souvent
considérée comme un allant-de-soi : « de quoi parle-t-on ensemble ? ». Dans une
logique connexe, la notion de champ conceptuel constitue une architecture symbolique
pour agir et pour comprendre en identifiant et articulant de manière interne
(dynamique propre) et externe (en lien avec les éléments du contexte), les concepts
sous-jacents aux situations d’action, qui sont aussi des situations où se construit
l’expérience du sujet. Sans être plus prolixe, cette présentation synthétique permet de
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considérer que le cadre de la didactique professionnelle dispose de références solides
sur le plan scientifique et pertinentes sur le plan fonctionnel pour investiguer de
manière fructueuse la notion de développement professionnel. Pour notre part, nous
privilégions dans nos travaux la psychologie culturelle du développement de Vygotski,
qui privilégie la structuration réciproque du langage et de l’activité cognitive, par et
pour la conduite de l’activité productive et constructive, c’est-à-dire dans une
perspective ergonomique moderne qui correspond à la logique ergologique de
Schwartz et Durrive (2003).
L’analyse de l’activité dans les métiers adressés àautrui
15 En moins de cinquante ans, la notion d’activité de travail et conséquemment l’analyse
de cette activité ont considérablement évolué et la référence archétypale au travail
industriel taylorien, où la relation homme-machine s’inscrivait dans un contexte
rationnel d’activité segmentée, s’est affaiblie. Le travail désormais est pluriel et
l’activité de travail s’est complexifiée, s’élargissant, d’une activité à la peine à une activité
à la panne : la dimension cognitive et invisible du travail où le sujet n’est plus un simple
opérateur, mais doit analyser des situations de travail, prendre des décisions, agir,
évaluer et réguler son action, est désormais prise en compte. Les travaux de Caens-
Martin (1999) sur la taille de la vigne, ou Pastré (2005) sur la conduite des centrales
nucléaires en sont quelques exemples. Mais une transformation des activités de travail,
essentielle à nos yeux, tient à l’importance croissante des activités de travail qui
concernent d’autres personnes que le sujet lui-même. Nous proposons de distinguer ces
activités en trois catégories non exclusives :
16 (1) les activités de travail se déroulent avec autrui et demandent sur le plan identitaire
de se penser dans un collectif de travail et sur le plan de l’action, « d’agir avec », ce qui
suppose une activité de coordination importante : que se soit pour les situations de
travail stables, qui n’évoluent pas si le travailleur n’est pas en activité (cas d’un
chantier de construction où la coordination entre les artisans est surtout séquentielle)
ou pour les situations de travail dynamiques (cas où la situation évolue quoiqu’il arrive
et qui requiert une coordination synchronique, comme le travail des pompiers étudié
par Rogalski (1995)) ;
17 (2) les situations de travail pour autrui, où l’activité du travailleur concerne un client ou
un usager à travers la réalisation d’un service, et demande une double compétence :
une compétence sur l’objet de service (au sens classique d’une compétence
professionnelle) et une compétence relationnelle et communicationnelle spécifique
avec le bénéficiaire, qui complexifie la notion de développement professionnelle en lui
donnant deux polarités ;
18 (3) Les situations de travail adressées à autrui, comme l’enseignement et la formation, le
soin, le travail social, l’animation, les services à la personne, etc., qui ont pour objet
explicite de participer à la transformation d’autrui, avec l’adhésion plus ou moins
explicitée des personnes, qui sont le sujet de l’activité du travailleur, et en en général
dans un cadre institutionnel duquel le travailleur reçoit un mandat et/ou une
prescription. Dans les situations de travail adressées à autrui, la question du
développement professionnel se pose avec une grande acuité, tant sur le plan des
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compétences stricto sensu que sur le plan de la construction identitaire et du rapport au
travail, dans un contexte mouvant et souvent incertain où la dimension invisible du
travail, y compris pour les métiers estimés à faible qualification comme les services à la
personne -qui constituent un gisement d’emploi en pleine expansion- pèse de manière
très significative.
Indicateurs de développement professionnel :l’exemple de formateurs d’un institut de formationd’aides soignants
Le cadre institutionnel
19 La profession d’aide-soignant, avant la profession infirmière qui bénéficie d’un nouveau
référentiel de formation en 2009, a fait l’objet dès 2005 d’une nouvelle base
réglementaire6. Cette dernière a explicitement inscrit ce métier dans une logique de
professionnalisation pilotée par les compétences, et organisée autour des outils que
sont les référentiels d’activité, de compétence, de formation et de certification qui
structurent désormais la formation qui conduit au diplôme d’État d’aide-soignant7. Les
textes précédents, qui dataient de 1994 et qui consacraient une formation centrée sur
une logique de contenus de formation sont abrogés et les formateurs des Instituts de
formation d’aides-soignants (IFAS), sont tenus d’adapter l’offre de formation pour
satisfaire aux nouvelles prescriptions, centrées sur un référentiel de dix compétences
que les étudiants doivent valider après une formation de 41 semaines, dont 17 semaines
en cours à l’IFAS et 24 semaines en stage. Chaque compétence est validée à l’issue d’une
certification d’un module en formation à l’IFAS et d’un stage professionnel. Ces
transformations demandent donc que les formateurs concernés mettent en œuvre eux-
mêmes une nouvelle organisation de l’offre de formation, avec de nouveaux outils de
suivi et de certification, et prennent en compte l’analyse des situations de référence du
travail d’aide-soignant, situations, qui articulent explicitement savoirs, savoirs faire et
attitude professionnels, c’est-à-dire théorie et pratique. C’est l’occasion des
transformations importantes dans leur activité de formateurs que nous avons saisie
pour identifier les facteurs intervenant dans le développement professionnel de ces
derniers.
Le cadre méthodologique
20 Pour construire un outil d’évaluation du développement professionnel et les
indicateurs partie prenante de cet outil, nous avons procédé de manière inductive.
Nous avons accompagné durant deux ans, dans le cadre d’une recherche-formation,
l’équipe pédagogique d’un Institut de formation d’aides-soignants (IFAS) à intégrer la
nouvelle base réglementaire dans les pratiques de formation, dans une logique de
développement professionnel. Nous nous appuyons sur l’analyse des matériaux
collectés (entretiens individuels à orientation sociologique et d’explicitation
(Vermersch, 2000) des cinq membres de l’équipe en début et fin du dispositif ; quatre
entretiens collectifs au cours des deux années de la recherche ; deux entretiens avec la
hiérarchie, traces génétiques de documents de travail qui témoignent de l’évolution de
la conceptualisation du travail des formateurs) pour inférer, à partir des
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transformations opérées par ce dispositif de formation, les variables relatives au
développement professionnel.
Formalisation des indicateurs
21 Nous exposons ici les résultats de manière synthétique, à une échelle de généricité
assez large, pour permettre de passer, au prix d’une réduction de certains résultats
particuliers, du cas singulier étudié empiriquement, à une classe de métiers plus
générale : les métiers adressés à autrui. La problématique de la mesure du
développement professionnel recouvre celle des outils à construire pour réaliser cette
mesure, questionne les indicateurs retenus pour cette mesure et concerne
subséquemment la robustesse, la pertinence et la fiabilité de ces indicateurs : ceux que
nous présentons sont en cours de validation auprès de professionnels de santé dans
différents instituts de formations en soins infirmiers. Ce travail suppose une dimension
diachronique. La complexité de la notion, comme en témoignent les entretiens auprès
des formateurs de l’IFAS, invite à faire le deuil d’un indicateur quantifiable,
monolithique et exhaustif, qui mesurerait un pseudo-indice de développement et croise
plusieurs indicateurs. Nous précisons que ces indicateurs ne sont pas co-construits avec
les formateurs dans une logique de recherche-action mais sont issus du travail de
recherche dont la logique méthodologique est la suivante : recueil des matériaux par
entretiens individuels et collectifs et à partir des traces écrites, thématisation des
matériaux à partir des trois dimensions proposées par Habermas : dimensions
objective, subjective et intersubjective ; inférence des indicateurs pertinents à partir du
travail de thématisation, retour sur le terrain pour validation avec les acteurs
concernés dont la participation est requise pour faire fonctionner l’outil en cours
d’élaboration (travail en cours)8.
Présentation des indicateurs
22 Notre proposition, synthétisée dans le tableau 1, croise les deux champs du
développement professionnel, les compétences professionnelles et la dynamique de
l’identité professionnelle à travers trois registres [objectif, subjectif et intersubjectif] et
aboutit à prendre en compte cinq catégories d’informations différentes, distinctes mais
non séparées, qui sont ensuite objet d’une analyse comparative, du point de vue de la
cohérence des informations récoltées.
23 Les deux champs sont issus de l’analyse de l’activité des formateurs, dans une
perspective ergologique (Schwarz & Durrive, 2003). Le premier champ retenu concerne
le domaine des compétences mises en œuvre par les professionnels. Nous distinguons
les compétences sur l’objet de service (dans le cas de formateurs en soin, il s’agit des
contenus d’enseignement, en référence aux programmes nationaux organisés en
compétences ou en modules, dans une perspective de maîtrise disciplinaire et
didactique de l’offre de formation dispensée par chaque formateur) et les compétences
sur la dimension communicationnelle qui renvoie à la dimension pédagogique et à la
relation de formation, lors des cours magistraux devant les étudiants, les travaux
dirigés et travaux pratiques devant des groupes plus restreints et le travail de tutorat
ou suivi pédagogique individualisé de quelques étudiants en particulier ainsi que les
visites en stage). Le second champ, à la fois hétérogène et unitairement
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117
complémentaire au premier par rapport à la notion de développement professionnel
telle que nous l’avons définie, concerne la dynamique d’identité professionnelle.
24 Les trois registres retenus sont issus d’une classification de l’action humaine
(Habermas, 1987), pensée comme fondamentalement interactive, ce qui est le cas du
travail adressé à autrui : la dimension objective de l’activité professionnelle et donc des
compétences mobilisées pour réaliser cette activité, renvoie à l’agir téléologique, c’est-
à-dire à un but fonctionnel et aux prescriptions ainsi que, sans s’y réduire, à ce que
Dejours (1998) nomme la description gestionnaire du travail. La dimension
intersubjective renvoie explicitement à la dimension sociale du travail réalisé au sein
de collectifs de travail (Clot, 2001) dans une organisation de travail et adressé à des
bénéficiaires : collègues et usagers sont autant d’acteurs différents avec lesquels le
professionnel, dans son activité ordinaire, est requis de communiquer pour négocier,
exposer, convaincre, expliquer en prenant en compte des codes, des habitus, des
normes, des attentes des interlocuteurs divers, plus ou moins conscientisées et
explicitées, plus ou moins partagées et incorporées par les sujets.
Tableau 1 : Les trois registres et leurs indicateurs
25 La dimension subjective renvoie chaque professionnel à sa dimension d’acteur
individuel, de sujet culturel, mû par des valeurs, des critères d’authenticité et de
véracité qui sont au fondement de son identité personnelle et professionnelle : il s’agit,
pour chacun de prendre en compte la dimension que J. Habermas (1987) désigne par
agir dramaturgique, qui renvoie le sujet, à travers l’intrigue propre à son activité, à la
question de son rapport au travail et à la question du sens de son travail pour lui-
même.
26 Les cinq indicateurs ont été retenus pour leur pertinence à produire des informations
recherchées pour caractériser le développement professionnel, pour leur dimension
fonctionnelle -ils sont accessibles à un coût acceptable- et leur convergence avec le
cadre déontologique du métier de formateur.
27 1. Compétences sur l’objet de service/registre objectif : il s’agit d’objectiver, dans une logique
d’évaluation externe assez classique -bien qu’encore objet de débats actuels dans les
métiers adressés à autrui- la performance réalisée dans l’activité productive et la plus-
value apportée par l’activité du sujet à l’organisation qui l’emploie, à partir de ses
missions et des objectifs précis. Le référentiel d’activité et de compétence est un outil
qui s’impose de plus en plus pour réaliser cette mesure, même s’il prend
insuffisamment en compte ou très indirectement la dimension constructive de l’activité
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118
et les logiques invisibles de cette activité. Actuellement, cette évaluation est menée au
détriment des registres subjectifs et intersubjectifs : les certifications ISO9, les enquêtes
de satisfactions des clients (ou usagers) ainsi que les recommandations de
l’Organisation Mondiale du Commerce10 sont des modalités, dont les champs
d’application, du travail classique au travail adressé à autrui, sont en forte voie
d’expansion, tirées par l’exigence accrue de la reddition de compte (accountability),
dont la seconde modernité et la logique de rationalisation sont à l’origine.
28 2. Compétences sur l’objet de service/registre subjectif : c’est à partir du discours du sujet sur
sa propre activité qu’on cherche à inférer comment il perçoit, exprime et analyse son
activité, dans une dimension réflexive qui emprunte aux travaux de D. Schön (1994). Il
s’agit d’inférer des énonciations du sujet le degré de maîtrise ainsi que les compétences
déclarées pour orienter, conduire et réguler son activité du point de vue des contenus à
enseigner : maîtrise académique en référence aux exigences formulées dans le
programme de formation et maîtrise didactique pour le traitement opéré par les
formateurs pour transformer les savoirs à enseigner en offre de formation (pour les
cours magistraux, les travaux dirigés et les travaux pratiques).
29 3. Compétences communicationnelles/registre subjectif : dans la même logique de
description et d’analyse de son activité par le sujet, il s’agit d’inférer de son discours les
compétences qu’il déclare mettre en œuvre pour ce qui concerne spécialement les
dimensions pédagogique et relationnelle dont il fait état pour réaliser son travail. Il
s’agit notamment de voir comment s’exprime sa personnalité professionnelle,
comment il décrit les difficultés rencontrées, comment il formule les problèmes et
apporte éventuellement des solutions.
30 4. Compétences communicationnelles/registre intersubjectif : il s’agit de recueillir des
informations sur les relations professionnelles à partir de la perception des différentes
catégories d’acteurs en amont (la hiérarchie) et en aval (les bénéficiaires) de l’activité
du formateur. Dans la logique de reddition de compte des résultats de l’activité
professionnelle, pensée comme publique et commanditée par un employeur, une telle
démarche devient légitime et se diffuse rapidement bien que la formalisation d’un outil
destiné à collecter ces informations reste problématique, notamment du point de vue
déontologique. Les informations issues de la hiérarchie, institutionnellement habilitée
à « juger » ne posent pas problème, si elles restent confidentielles. Demander à des
bénéficiaires d’une formation une évaluation de l’offre de formation reçue -et donc
indirectement de la prestation communicationnelle et pédagogique du formateur- est
une pratique désormais courante, dans la logique de l’évaluation par les out-put et dans
la logique de l’étudiant-client qui devient la règle dans le monde de la formation
professionnelle.
31 5. Dynamique de l’identité professionnelle/registre subjectif. Cette dynamique peut être
inférée de la description subjective de son travail et de son discours à propos de ce que
Dejours (1998) nomme le zèle, c’est-à-dire l’intelligence et les ressources mobilisées
pour réussir son travail et gérer le décalage entre d’une part le travail prescrit et
l’organisation prescrite et d’autre part le travail réel et l’organisation réelle, tout en
rappelant que si ce décalage est inévitable, notamment dans le travail adressé à autrui
qui comprend des contingences à intégrer en cours d’action, ce décalage peut être
entretenu de manière plus ou moins stratégique par l’organisation elle-même, rendant
par là le travail générateur de souffrance plus ou moins conscientisée, intériorisée et,
nolens volens acceptée. Cette dimension est, à nos yeux, cruciale pour caractériser la
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119
position du processus dynamique constitutif de l’identité professionnelle au niveau
individuel mais aussi collectif. Cette position, comme nous l’avons montré chez les
enseignants (Piot, 1997) se situe entre deux pôles : un pôle facilitateur et dynamique où,
pour le sujet, l’accomplissement de soi accompagne la réalisation de l’activité
professionnelle vécue comme un défi positif qui est relevé ; à l’opposé, un pôle de
cristallisation et de souffrance professionnelle caractérisé par une personnalité
professionnelle fragile, émiettée, et une image péjorative de sa propre compétence, une
défiance envers soi-même envers les pairs et la hiérarchie, ainsi qu’un rapport au
travail déstructuré ou figé.
Comparaisons entre les indicateurs
32 Pour donner du sens aux indicateurs hétérogènes que nous avons construits -et qui
apportent chacun des informations spécifiques mais locales qui ont intrinsèquement un
intérêt propre- et pour opérationnaliser les informations recueillies, nous proposons
un traitement de ces données, afin de les comparer, avec, pour y parvenir, une
condensation ainsi qu’une réduction de la qualité des informations initiales. Chaque
indicateur est l’objet d’une catégorisation dans une logique ternaire qui lui donne une
valeur : (+) caractérise un indicateur orienté positivement par rapport à ce qu’il
mesure, ( =) indique la coexistence équilibrée d’informations soit neutres, soit très
contrastées dans leur orientation, (-) caractérise un indicateur orienté négativement.
Cependant, cette condensation des informations aux fins d’harmoniser l’outil que nous
proposons n’est pas sans problème et notre travail de recherche doit être considéré
comme propédeutique : une chose est de démontrer qu’une mesure d’informations
plurielles (objective, subjective, intersubjective) apporte d’avantage d’informations que
la seule mesure objective classique des performances de l’activité de travail (laquelle
occulte mécaniquement les deux autres dimensions) ; autre chose est de construire un
outil fiable qui prenne en compte des informations plurielles et comparables. En ce
sens, notre travail est exploratoire et l’outil n’est pas tel quel fonctionnel : si les
indicateurs que nous proposons nous apparaissent pertinents, il n’en n’est pas de même
pour deux autres qualités que nous considérons comme indispensables pour apprécier
le développement professionnel : la robustesse et la fiabilité. Pour acquérir ces qualités,
les inférences qui accordent une valeur quantitative (+/ =/-) aux informations
qualitatives doivent être solides et identiques en cas de double mesure. Cela suppose un
dispositif très lourd de contrôle et suppose également une formation des personnes qui
effectuent ce travail.
33 Trois comparaisons inter-indicateurs sont effectuées. La première entre les deux
indicateurs relatifs à la compétence sur l’objet de service (objectif/subjectif), la seconde
entre les deux indicateurs sur les compétences communicationnelles (subjectif/
intersubjectif) et la troisième entre les différents registres sur le plan subjectif
(compétences sur l’objet de service, compétences communicationnelles et identité
exprimée). C’est à partir de ces résultats que peut être proposé le profil de
développement professionnel. Si les indicateurs sont cohérents, c’est-à-dire positionnés
sur la même valeur ou si on constate un seul degré d’écart, on peut alors aboutir à une
caractérisation de la valeur relative du développement professionnel, qui est soit
positif, soit neutre, soit cristallisé. En cas d’écart, il convient d’identifier quelles
informations ne sont pas cohérentes et ne font pas consensus : malentendus, problème
de rapport au travail, logique de souffrance professionnelle dont il faut alors tenter
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120
d’analyser les ressorts, qu’ils renvoient aux prescriptions et à l’organisation du travail,
au collectif de travail ou à des logiques liées au sujet : formation, analyse des contextes,
impossibilité d’ordre psychique ou éthique à réaliser ses missions.
Quel usage de la mesure du développementprofessionnel ?
34 De notre point de vue, la caractérisation du développement professionnel peut aider le
chercheur en didactique professionnelle à mieux comprendre comment s’articulent les
composants objectifs, subjectifs et intersubjectifs dans le travail adressé à autrui,
encore mal connus, alors que ceux qui l’exercent, sont, plus que d’autres catégories de
travailleurs, soumis à la souffrance et l’épuisement professionnel. En s’écartant d’un
côté d’un psychologisme qui n’est pas de mise dans ces métiers qui se sont affranchis
d’une trompeuse familiarité avec certaines activités de la vie ordinaire (expliquer,
convaincre, prendre soin…) et d’un autre côté d’une vision économiciste, qui tend à
s’imposer dans tous les secteurs des activités de travail humain, la notion de
développement professionnel tente d’articuler des registres composites d’informations
plurielles : cet effort est indispensable pour mieux comprendre ces activités, leurs
dynamiques propres et construire une ingénierie de la formation de ces métiers qui
prenne au sérieux, d’un point de vue professionnel, la façon dont s’articulent
compétence et identité professionnelle quand c’est un sujet humain qui est l’objet du
travail. Cependant, nous soulignons que la proposition présentée dans cet article reste
à tester et à bonifier, à l’épreuve du terrain et des dilemmes propres au travail adressé
à autrui.
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NOTES
2. URL : http://www.europe-education-formation.fr/bologne.php consulté le 15 mars 2009.
3. URL : http://www.elysee.fr/elysee/francais/ressources_documentaires/europe-ue/fiches/
la_strategie_de_lisbonne-2005.28971.html consulté le 15 mars 2009.
4. L’accord Cap 2000 a été signé le 9 octobre 1990 entre le GESIM (Groupement des entreprises
sidérurgiques et minières) et les organisations syndicales (à l’exclusion du principal syndicat du
secteur, la Confédération Générale du Travail).
5. Accord du 9 juillet 1970 et loi du 16 juillet 1971. Voir aussi : Groupe d’étude de l’histoire de la
formation des adultes (GEHFA). URL : http://www.gehfa.com
6. Articles suivants du code de la santé publique : R. 4383-6 (formation) et R. 4311-11 (exercice de
la profession) ; arrêté du 22 octobre 2005 modifié.
7. Profession : aide-soignant. Recueil des principaux textes. Uzès : SEDI.
8. D’un point de vue épistémologique, il s’agit d’une recherche scientifique qui, outre la
perspective de produire des connaissances nouvelles sur le développement professionnel, vise à
l’élaboration d’outils utilisables dans les univers professionnels, outils qui sont en phase avec ces
connaissances. Si cette posture pose un dilemme qui n’est pas à minorer au niveau de la posture
du chercheur, elle est de plus en plus présente aujourd’hui dans l’espace de la recherche en
sciences humaines, sommée de collaborer à la recherche de plus d’efficacité sous peine de
disparaître ou de devenir anecdotique ou confidentielle, tout en gardant un espace critique vis-à-
vis des commanditaires et du monde économique.
9. L’ISO a élaboré plus de 17500 normes internationales sur des sujets très variés et quelque 1100
nouvelles normes ISO sont publiées chaque année. URL : http://www.iso.org/iso/fr/
iso_catalogue.htm
10. URL : http://www.wto.org/French/thewto_f/whatis_f/whatis_f.htm
RÉSUMÉS
Cet article propose des indicateurs destinés à mesurer le développement professionnel dans les
métiers adressés à autrui. La première partie s’intéresse à la genèse de la notion de
développement professionnel, issue de la rationalisation induite par la seconde modernité ; elle
indique que les métiers adressés à autrui sont tenus d’articuler une rationalisation forte et une
rationalisation faible. Puis, nous présentons le cadre de la didactique professionnelle,
particulièrement pertinent pour s’intéresser à l’analyse du travail d’interaction humaine et
mettre au jour ses dilemmes. À partir d’une recherche empirique concernant des formateurs
d’une école d’aides-soignants, nous proposons, à partir d’une lecture plurielle qui prend en
compte les compétences et l’identité professionnelle, cinq indicateurs qui sont l’objet d’un
traitement afin d’être comparables, car c’est la cohérence entre les informations recueillies qui
nous paraît rendre le mieux compte, malgré les limites, de la notion de développement
professionnel dans les métiers adressés à autrui.
What indicators should be used to measure professional development in non-teaching support
occupations? This article proposes the use of indicators in these occupations. The first part
considers the origin of the concept of professional development, coming from the rationalisation
caused by the “second modernity”. This part indicates that these occupations are linked to both a
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123
strong and a weak rationalisation. The second part presents the framework for professional
development that is particularly relevant to the analysis of social interaction and the updating its
dilemmas. Starting from empirical research involving the trainers at a school for care assistants,
five indicators are proposed for the competencies and professional identity that are sufficiently
comparable for the best generalisations, despite all limitations, to support occupations.
INDEX
Mots-clés : développement professionnel, didactique professionnelle, interaction humaine
Keywords : professional development, professional learning, social interaction
AUTEUR
THIERRY PIOT
Professeur en sciences de l’éducation – Université de Caen Basse-Normandie – Centre
d’études et de recherche en sciences de l’éducation (EA 965)
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Les indicateurs de développementprofessionnelGwénaël Lefeuvre, Audrey Garcia et Ludmila Namolovan
Introduction
1 Le développement professionnel est un thème très présent dans les écrits scientifiques
et professionnels et dans les instances de formation initiale et continue mais ses
définitions sont généralement peu stabilisées. Nous en trouvons une illustration dans le
champ du travail enseignant. Les expressions « développement professionnel » et
« formation continue » sont souvent synonymes (Brodeur, Deaudelin & Bru, 2005).
Plusieurs écrits portant sur le développement professionnel privilégient les
interventions planifiées qui ont pour visée de transformer les pratiques et les
représentations des acteurs professionnels. D’autres, à l’inverse, se concentrent sur les
expériences d’apprentissage naturelles au sein du milieu professionnel (Day, 1999).
Cette confusion relative aux définitions s’accompagne d’une difficulté à identifier des
indicateurs conceptuels et opératoires qui permettent de mesurer les conséquences et
les processus relatifs au développement professionnel.
2 Au delà des flottements terminologiques, nous retrouvons des intérêts divergents dans
les travaux consacrés au développement professionnel : une visée de transformation et
d’évolution des pratiques versus une visée de production de connaissances. Ces
objectifs ne se repèrent pas toujours facilement dans les travaux scientifiques alors
qu’ils ont des conséquences importantes sur le choix des cadres théoriques, des
indicateurs qui s’y rapportent et de la méthodologie mobilisée pour collecter et
analyser les données.
3 A partir de ce constat, l’objectif de cette note de synthèse est, en dehors de toute
prétention d’exhaustivité, de proposer une grille d’exploration des travaux relatifs aux
processus du développement professionnel, comportant cinq axes de questionnement dont
les quatre premiers concernent les perspectives de recherche, les finalités de
recherche, les théories de référence et les indicateurs du développement professionnel.
Le cinquième axe interrogera les méthodes et outils qui peuvent être mobilisés pour
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126
étudier le développement professionnel. Ces cinq axes de questionnement sont
interdépendants dans le procès de recherche et ont des conséquences sur les
hypothèses et les interprétations construites pour expliquer et comprendre les
processus étudiés. C’est la raison pour laquelle, nous avons souhaité les formaliser et les
distinguer en fournissant certains repères qui permettent le positionnement des
travaux rencontrés.
1. Les perspectives de recherche
4 Le développement professionnel prend plusieurs sens à travers la littérature
scientifique. Les définitions varient en fonction de la perspective théorique à laquelle
adhère l’auteur : perspective développementale et perspective professionnalisante
(Uwamariya & Mukamuera, 2005). Nous présenterons, dans cette partie, ces deux types
de perspective.
1.1 Une perspective développementale
5 Dans certains cas, le développement professionnel traite des processus dynamiques des
pratiques, des comportements et des modes de pensée qui tendent à configurer le
déroulement des carrières par une structuration de stades qui se succèdent et qui ont
chacun leurs particularités. Cette perspective développementale s’appuie sur la
référence des travaux piagétiens relatifs au développement psychologique de l’enfant.
Elle part du présupposé que les savoirs et les pratiques de l’individu évoluent de
manière progressive dans un champ professionnel donné, les connaissances acquises
dans le nouveau stade étant plus complexes que celles du stade antérieur. Le
mouvement progressif qui se produit chez l’acteur, grâce à ses expériences
professionnelles et personnelles successives, lui permet d’assimiler différemment les
caractéristiques nouvelles et familières des situations d’activité rencontrées. Dans une
visée élargie à l’ensemble de la vie des individus, les travaux fondateurs de Super (1953)
présentent les phases de développement de l’individu depuis son enfance, en passant
par sa carrière professionnelle puis, jusqu’à la retraite. Son modèle présente une vision
chronologique et linéaire du développement professionnel en prenant pour objet
d’analyse les « tâches », les choix et les intérêts des individus. Dans le champ de la
profession enseignante, Huberman (1989) propose également un modèle général de
l’évolution de la carrière enseignante à partir d’une revue de la littérature empirique.
L’auteur ne conçoit néanmoins pas cette évolution professionnelle de manière linéaire
et monolithique mais identifie plutôt des « tendances centrales » dans les
caractéristiques des différentes étapes de la carrière d’un enseignant. Dans le même
champ professionnel, un certain nombre de travaux anglophones et francophones
proposent des modèles de développement professionnel de l’enseignant sous forme
d’étapes ou de stades successifs (Nault, 1999 ; Zeichner & Gore, 1990 ; Vonk, 1988 ;
Barone et al., 1996 ; Raymond, Ouellet, Nault & Gosselin, 1995, Kagan, 1992). A chaque
stade ou étape correspondent de nouvelles ressources cognitives et/ou affectives de
l’enseignant, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Ce
développement peut se traduire par des modifications des attitudes, des croyances, du
rapport au métier, des performances, des savoirs d’action, de l’image de soi, etc.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
127
6 Cette perspective développementale a l’avantage de proposer des modèles généraux de
l’évolution professionnelle des acteurs dans un champ donné, ces modèles pouvant
servir de repères pour comprendre et expliquer les processus de socialisation
professionnelle ainsi que les crises et les ruptures identitaires associées à ces processus.
A l’inverse, les limites de cette perspective sont qu’elle tient peu compte de l’évolution
singulière et particulière des acteurs, les phases de développement du modèle ne
s’appliquant pas à tous. De plus, la conception développementale a tendance à minorer
les éléments du contexte relationnel, organisationnel et institutionnel des
professionnels pour expliquer leur évolution dans le métier (Boutin, 1999). Autrement
dit, elle a tendance à présenter l’acteur professionnel comme un sujet épistémique qui
se développe indépendamment des évolutions de son environnement professionnel. Or,
comme le notent Fessler et Christensen (1992), le développement professionnel est le
produit d’une interdépendance entre le vécu personnel, le vécu professionnel et
l’organisation de l’institution. Ainsi, pour comprendre l’évolution des pratiques et des
modes de pensée des professionnels, il est nécessaire de prendre en compte les
éléments des conditions (sociales, relationnelles, organisationnelles, institutionnelles,
culturelles, etc.) d’exercice professionnel (Mukamurera, 2002).
1.2 Une perspective professionnalisante
7 Dans cette perspective de recherche, le développement professionnel est perçu comme
un processus d’apprentissage provoqué par les conditions d’activité mises en œuvre. Le
professionnel est ainsi considéré comme un apprenant qui construit des savoirs
professionnels dans le but d’augmenter son efficacité au travail. La construction de ces
savoirs peut se réaliser dans le cadre d’activités conscientisées et planifiées comme par
exemple dans la mise en œuvre de dispositifs de formation initiale et continue. A
l’inverse, elle peut s’effectuer de façon plus ou moins conscientisée dans et par
l’actualisation des pratiques professionnelles. Dans ce sens, l’activité professionnelle a
une dimension constructive puisqu’elle permet à l’acteur d’apprendre en faisant, c’est-
à-dire d’acquérir des ressources cognitives et affectives particulières dans et par ses
activités finalisées (Marcel, 2006 ; Rabardel, 2005 ; Pastré, 2008). Dans cette vision, le
développement professionnel est vu comme un processus d’acquisition de savoirs
professionnels qui influence l’évolution des pratiques et des modes de pensée des
acteurs. Ainsi, dans le cadre du métier d’enseignant, Day (1999, p.4) définit le
développement professionnel comme « un processus par lequel l’enseignant et ses collègues
revoient et renouvellent ensemble leur mission comme agents de changement, acquièrent et
développent les connaissances, les habiletés et les savoirs essentiels pour un bon exercice
professionnel ». Cette optique présuppose que l’acteur joue un rôle prépondérant dans
son développement professionnel. Il est capable de construire de nouvelles ressources,
de manière individuelle et/ou collective, pour apprendre et maîtriser son métier.
Guskey (2000) propose ainsi un modèle à cinq niveaux pour évaluer une formation
professionnelle continue des enseignants avec un processus d’auto-évaluation : la
réaction des participants (niveau 1), ce que les participants ont appris en formation
professionnelle continue (niveau 2), soutien et changement organisationnel (niveau 3),
l’utilisation par les participants de nouvelles connaissances et aptitudes (niveau 4) et
les résultats des élèves (niveau 5). Citons également la contribution de Gather Thurler
(2004, p.109) qui, après avoir dressé « l’inventaire des modalités du développement
professionnel qui sont à disposition des enseignants », propose une analyse en « quatre grand
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128
sous-ensembles (….) auxquels les enseignants accèderont selon deux paramètres : premièrement
leur disponibilité à s’aventurer vers des formations plus exigeantes ; et deuxièmement la volonté
des autorités scolaires et politiques de diversifier et de reconnaître les alternatives possibles, en
investissant les ressources nécessaires. ».
8 Au sein de cette perspective « professionnalisante » du développement professionnel,
nous pouvons identifier deux catégories de travaux que nous explorerons par la suite :
ceux qui ont pour finalité de décrire les savoirs professionnels construits, de manière
plus ou moins conscientisée, par les acteurs « dans » et « par » leurs pratiques
individuelles et collectives. Nous pouvons citer une partie des recherches se rapportant
à la psychologie professionnelle, l’ergonomie cognitive, la didactique professionnelle,
etc. Le second type de travaux a pour finalité de concevoir des dispositifs de recherche
ou de formation continue pour changer les pratiques et/ou les modes de pensée des
acteurs professionnels. Ces derniers s’appuient sur la capacité réflexive des praticiens
pour analyser et faire évoluer leurs pratiques professionnelles. Ces deux catégories de
travaux partagent le présupposé selon lequel l’acteur professionnel peut acquérir de
nouveaux savoirs professionnels, évoluer dans ses pratiques, ses conceptions et ses
représentations, dans les situations d’activité finalisées vécues ou provoquées.
2. Les finalités de recherche
2.1. Une finalité heuristique : décrire, comprendre et expliquer
9 Pour cette finalité heuristique, le but des travaux de recherche est de construire des
connaissances sur le développement professionnel des acteurs c’est-à-dire sur
l’évolution des pratiques et des savoirs professionnels construits et mobilisés en
situation d’activité puis sur l’identification des conditions de production de ces
évolutions (Marcel, 2005 ; Brodeur, Deaudelin et Bru, 2005). Cette intention fondatrice
des travaux est marquée par des exigences épistémologiques : identifier des régularités
ou des stabilités qui permettent de caractériser les savoirs et les pratiques construits et
mobilisés par les professionnels puis d’expliquer leur dynamique évolutive (Bru, 2002).
Elle obéit à des démarches heuristiques dont la visée est de décrire, de comprendre et
d’expliquer, à partir d’outils théoriques et méthodologiques particuliers, les données
empiriques collectées sur les comportements et les discours des acteurs professionnels.
Les connaissances construites débouchent sur des concepts généraux, voire plus
globalement sur des modèles théoriques, qui répondent aux critères de validité
scientifique propres aux sciences humaines et sociales : exigences de validité interne et
externe des résultats, fidélité et fiabilité des données collectées et des instruments de
mesure utilisés (De Ketele & Maroy, 2006). L’intention dominante de cette finalité est
l’intelligibilité des processus qui participent au développement professionnel. Ces
processus peuvent être définis de manière différente en fonction des cadres théoriques
mobilisés (processus psychologiques, psychosociologiques, sociologiques,
psychanalytiques, etc.). Par exemple, l’analyse clinique et ergonomique de l’activité
(Clot, 1999 ; Clot & Leplat, 2005 ; Saujat 2002) repose sur l’idée fondamentale qu’il est
nécessaire « de transformer pour comprendre les situations de travail étudiées » ou
« agir pour repenser » son expérience dans un contexte qui la fait voir autrement.
L’intervention-recherche, c’est-à-dire la modification volontaire des conditions de
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
129
l’activité, est ici utilisée comme un moyen dans le but de mieux comprendre le
développement de l’agir professionnel.
10 Les travaux relatifs à la perspective développementale du « développement
professionnel » s’intègrent pleinement dans cette finalité de recherche. Leur objectif
est de produire des modèles heuristiques sur les dynamiques de transformation des
pratiques, des comportements et des modes de pensée des acteurs professionnels. De
même, une catégorie des travaux relatifs à la perspective professionnalisante du
développement professionnel a pour finalité de produire des connaissances permettant
de décrire, de comprendre et d’expliquer les processus de production des savoirs
professionnels (et leurs évolutions) qui permettent aux acteurs d’être efficace dans leur
métier.
2.2. Une finalité pragmatique : changer les pratiques et/ou les
ressources des professionnels
11 L’intention prioritaire des travaux peut être de participer aux transformations des
pratiques et/ou des ressources cognitives et affectives des acteurs professionnels. Dans
ce cadre, ils peuvent être animés d’une volonté de concevoir et de mettre en œuvre des
dispositifs de recherche qui proposent des activités de réflexion et de mise en mots des
expériences antérieurs. Ces activités, s’inscrivant dans le paradigme du praticien
réflexif, ont pour but d’aider les acteurs à objectiver et à expliciter les savoirs produits
en cours d’action en vue de mieux maîtriser leurs pratiques puis de produire de
nouvelles compétences. Pour Perrenoud (2001, p.4) cela renvoie, dans le cas des
enseignants, à « une posture et une pratique réflexive fondant une analyse méthodique,
régulière, instrumentée, sereine et porteuse d’effets, dispositions et compétences qui ne
s’acquièrent en général, qu’au gré d’un entraînement intensif et délibéré. ». Cette finalité est
fortement marquée dans des dispositifs comme l’auto-confrontation et l’inter-
confrontation, l’analyse en groupe des situations professionnelles (Fumat, Vincens &
Etienne, 2003), les entretiens d’explicitation mais également par la production d’écrits
réflexifs tels que les mémoires professionnels. Comme l’indique Vermersh (1990), les
entretiens d’explicitations ont pour but de former les praticiens à la prise de
conscience des phénomènes qui organisent leurs pratiques et par ce moyen à faire
évoluer leurs savoirs professionnels. De même, les recherches à visée praxéologique
(comme la recherche-action – Liu, 1997) peuvent participer au développement
professionnel des acteurs. A partir de l’identification d’une problématique
professionnelle, le chercheur propose d’accompagner les acteurs dans l’analyse et le
diagnostic de leurs pratiques, leur organisation et leurs compétences mobilisées dans le
but de les améliorer. Les dispositifs tels que les audits ou les ingénieries pédagogiques
s’inscrivent pleinement dans cette intention de transformation des pratiques des
acteurs. La volonté de faire évoluer les pratiques s’accompagne généralement d’un
dispositif de formation des acteurs qui propose des démarches plus performantes. Il est
important de rappeler que dans l’analyse des pratiques professionnelles, certains
courants de recherche comme la didactique professionnelle considère que la
construction de connaissance sur les compétences mobilisées par les professionnels en
situation d’activité et la conception de dispositifs de formation ayant pour but de les
transmette sont intiment liées. Une catégorie des travaux relatifs à la perspective
professionalisante du « développement professionnel » s’inscrit dans cette finalité
pragmatique. Ce sont ceux qui, par exemple, s’orientent vers l’analyse et l’évaluation
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
130
des effets de dispositifs de formation initiale ou continue sur l’évolution des ressources
professionnelles et personnelles des acteurs et de leurs pratiques. Les résultats de ces
travaux se confrontent généralement aux critiques liées à l’absence de consensus sur
les relations à établir entre les pratiques des acteurs et leur pensée (représentations,
conceptions, croyances) en contexte de changement (Deaudelin, Brodeur et Bru, 2005).
Dans le champ de l’enseignement, le sens de la relation entre la pensée des enseignants
et leurs pratiques ne fait pas l’unanimité. Pour certains, un changement sur le plan de
la pensée des enseignants précède un changement de la pratique. Pour d’autre, c’est la
transformation de la pratique qui influe sur la pensée des enseignants.
3. Les théories de référence
12 L’analyse des processus de développement professionnel peut s’inscrire dans des
orientations théoriques diverses. Celles-ci constituent, au sens général, des
constructions intellectuelles « consistantes et cohérentes » qui unifient de façon
logique des concepts dans le but d’expliquer et d’interpréter certains aspects du
processus d’apprentissage et de développement de l’individu. Ces orientations
théoriques sont caractérisées par des liens logiques entre des postulats et des
hypothèses qui les distinguent. Nous avons identifié plusieurs théories qui participent à
construire de l’intelligibilité sur les processus de développement professionnel. Parmi
celles-ci, nous avons repéré deux grandes catégories de théories : celles qui sont
centrées sur les processus individuels (le sujet et son activité) et celles qui sont centrées
sur les processus collectifs et organisationnels (le collectif et son activité). Concernant
les limites de notre approche, plusieurs points méritent d'être précisés. Tout d'abord, la
présentation que nous proposons n’est pas exhaustive et ne prétend pas respecter une
chronologie historique. Ensuite, certaines des théories proposées n’ont pas étudié de
manière directe et centrale l’objet du développement professionnel mais, s’en sont
approchées (ou peuvent potentiellement s’en approcher), soit par l’intermédiaire des
concepts qu’elles ont développés, soit par l’intermédiaire des champs professionnels
qu’elles ont investigués.
3.1. Les théories centrées sur le sujet et son activité
13 Le développement professionnel peut être analysé en privilégiant la dimension
individuelle du sujet. Les travaux s’y référant se donnent pour but de décrire et de
comprendre l’évolution des ressources personnelles des sujets dans le cadre de leurs
activités professionnelles. Nous avons identifié cinq courants de recherches qui
renvoient aux travaux sur les processus individuels du développement professionnel
des acteurs.
3.1.1 Les théories cognitives
14 Les théories qui expliquent le développement professionnel à partir de la dimension
cognitive ont généralement pour fonction de décrire les ressources construites et
mobilisées par les acteurs en situation d’activité professionnelle. Elles partent du
présupposé que ces ressources participent à organiser les pratiques professionnelles.
Parmi celles-ci, nous pouvons identifier, entre autres, les représentations et les
schèmes d’action (Rabardel & Samurçay, 2004). La théorie des champs conceptuels de
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131
Vergnaud (1991) qui montre, après Piaget (1936, 1970), que les schèmes d’action ne
s’étendent pas uniquement à la prime enfance. Ils sont également identifiables chez
l’adulte dans des registres d’action variés comme celui du travail. Les professionnels,
pour agir efficacement, conceptualisent le réel dans et par leurs pratiques. Ils
construisent des « organisateurs invariants » associés à des classes de situations
particulières qui ont pour fonction de les guider dans la sélection et l’interprétation des
informations liées à leur environnement professionnel puis à les accompagner dans la
mise en œuvre de leurs actions. Ainsi, les théories cognitives interprètent
l’apprentissage professionnel du sujet à partir de l’identification de ses ressources
personnelles construites et mobilisées en vue de la mise en œuvre d’une tâche. Les
théories relatives à la didactique professionnelle et à l’ergonomie cognitive s’appuient
par exemple sur les travaux de la psychologie cognitive pour expliquer les modes de
pensée des professionnels dans leurs activités. La didactique professionnelle qui se
réfère au constructivisme piagétien fait l’hypothèse que les professionnels acquièrent
des compétences par une confrontation plus ou moins longue à une diversité de
situations (familières et nouvelles). Elle définit les compétences d’un sujet comme un
ensemble organisé de représentations (conceptuelles, sociales et organisationnelles) et
d’organisateurs d’activité (schèmes, procédures, raisonnement, prise de décision,
coordination) disponibles en vue de la réalisation d’un but ou de l’exécution d’une
tâche. Les travaux de l’ergonomie cognitive étudient également la manière dont les
professionnels construisent des compétences particulières par la mobilisation
d’instruments au sein de leurs pratiques. Pour Rabardel (1995, 2005), l’instrument est
une entité mixte constituée d’un artefact (objet transformé par l’Homme) et de
schèmes d’utilisation qui y sont associés. Les artefacts peuvent représenter des objets
matériels (outils, machines, etc.) mais également des objets symboliques (systèmes de
règles, de prescriptions des pratiques, système d’évaluation, etc.). Ces éléments
permettent de comprendre comment les professionnels peuvent construire de
nouvelles ressources cognitives (schèmes d’action, représentations) par l’intermédiaire
de l’utilisation d’artefacts construits et/ou disponibles au sein de leur environnement
de travail. Le contexte professionnel, via les artefacts mobilisés comme instruments,
jouerait ici un rôle de premier plan dans le développement des sujets.
15 Les compétences professionnelles sont constituées de ressources cognitives plus ou
moins conscientisées par le sujet. Certaines théories postulent que ces compétences
sont implicites et incorporées au sujet pour reprendre les termes de Leplat (1997, 1995).
Elles sont par conséquent difficilement accessibles et verbalisables. Les schèmes
d’action et les représentations fonctionnelles font partie de cette catégorie de
ressources cognitives difficilement conscientisées par les sujets. Pour y accéder, les
chercheurs doivent construire des modèles cognitifs à partir des inférences effectuées
sur les comportements des acteurs observés dans des classes de situation particulières.
A l’inverse, d’autres cadres théoriques, voulant se démarquer des recherches
antérieures béhavioristes, défendent l’idée selon laquelle les ressources cognitives qui
organisent les pratiques professionnelles peuvent être conscientisées et facilement
verbalisables. On peut ainsi accéder, à travers le discours, au raisonnement de l’acteur
et à son interprétation des situations pour comprendre ses anticipations, ses jugements
et ses décisions prises pour agir efficacement en situation. Les théories s’appuyant sur
le courant du praticien réflexif prennent par exemple en compte les récits des
praticiens sur leurs jugements et leurs raisonnements pour comprendre leurs actions
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132
mais également pour développer leurs compétences réflexives sur et dans l’action
(Schön, 1994).
3.1.2 Les théories socio-cognitives
16 Les théories sociocognitives s’inscrivent dans le paradigme socioconstructiviste. Elles
tentent d’expliquer le développement professionnel et personnel des individus à partir
des médiations sociales et culturelles (Marcel, 2005). Ces médiations peuvent être
caractérisées par les cadres et instruments culturels que mobilisent les individus au
sein de leurs pratiques. Nous pouvons nous référer aux travaux de la psychologie
historico-culturelle qui décrivent les transformations psychiques de l’individu par la
médiation des systèmes de signes et d’instruments hérités des générations antérieures.
La psychologie russe (Vygotski (1934/1998), Rubinstein (1935/2000, 1940/2007),
Leontiev (1965), Galperine (1965), Talyzina (1998) a profondément marqué ce courant
de recherches sociocognitives. Elle remet en cause le primat du biologique sur le
développement de l’intelligence au dépend d’une thèse qui défend l’idée selon laquelle
les outils et les systèmes de signes que mobilisent les sujets au sein de leur
environnement ne sont pas seulement vus comme des auxiliaires de la pensée humaine
qui prolongent une fonction mentale préexistante. Au contraire, l’accent est mis sur
leur réelle capacité de transformer les fonctions psychiques. Pour reprendre la thèse de
Vygotski (1934/1997), les instruments psychologiques sont élaborés et/ou mobilisés par
les sujets pour augmenter leur possibilité cognitive (augmenter leur capacité de
mémorisation, leur réflexivité sur et pour l’action, etc.) et leur possibilité d’action. Ces
instruments deviennent une aide puisqu’ils permettent aux sujets, à un certain stade,
de mieux contrôler leurs comportements et donc d’atteindre des fonctions psychiques
supérieures. Le développement des fonctions psychologiques supérieures s’opèreraient
donc de l’extérieur (l’utilisation de l’instrument) vers l’intérieur (l’intériorisation de la
fonction médiatrice de l’instrument). Etudier l’activité consiste alors à étudier une
unité d’analyse intégrant des caractéristiques sociales-interactives et des
caractéristiques individuelles-cognitives des conduites humaines.
17 Les théories relatives au conflit sociocognitif et à l’apprentissage social peuvent être
également identifiées parmi celles étudiant les processus sociocognitifs qui participent
au développement professionnel (Marcel & Garcia, 2008). Les situations de conflits
sociocognitifs relatifs à des objets de travail particulier provoqueraient l’acquisition de
nouvelles ressources cognitives chez les professionnels. Les travaux de Doise et Mugny
(1997) et Perret-Clermont (1996) ont montré, chez le public enfant, que les
déséquilibres inter-individuels provoqués par les situations de désaccords de points de
vue entre les interactants créeraient des déséquilibres intra-individuels, à partir des
remises en cause de leurs propres points de vue. Ces déséquilibres intra-individuels
favoriseraient la décentration de l’individu par rapport à son propre point de vue, par
la prise de conscience de réponses possibles autres que la sienne. Dans le cadre
professionnel, nous pouvons faire l’hypothèse que les situations d’échanges
(formalisées ou informelles) entre les acteurs peuvent favoriser les conflits
sociocognitifs et ainsi participer à reconfigurer leurs ressources cognitives relatives à la
prise en charge de tâches particulières ou bien relative à leur construction identitaire
au travail. La théorie de l’apprentissage social peut également être mobilisée pour
interpréter le développement professionnel de l’individu par la médiation des
pratiques avec ses collègues de travail (Bandura, 1976). Elle insiste sur le rôle important
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133
joué par l’observation « active » de comportements-modèles dans l’apprentissage des
sujets. L’apprentissage vicariant (parfois appelé modelage) est un effet de l’observation
d’autrui mais se distingue radicalement d’une reproduction mimétique. « On entend par
modelage tout un travail d’observation active par lequel, en extrayant les règles sous-jacentes
aux styles de comportement observé, les gens construisent par eux-mêmes des modalités
comportementales proches de celles qu’a manifestée le modèle et les dépassent en générant de
nouvelles compétences et de nouveaux comportements, bien au-delà de ceux qui ont été observés
» (Carré, 2004, p.25). De plus, tout en favorisant l’apparition de nouveaux
comportements, le modelage agit sur la motivation, en ouvrant l’horizon de
l’observateur vers de nouveaux bénéfices anticipés, en générant des affects, en agissant
sur son système de valeurs » (Carré, 2004, pp.25-26).
18 Au moyen du modelage, les professionnels seraient capables d’apprendre de nouveaux
comportements par l’observation d’autrui. Ainsi, selon Bandura (2001), l’acquisition de
connaissances ne s’effectue pas uniquement, comme le défendent les théories
cognitives, en accomplissant une action et en faisant l’expérience de ses conséquences.
Les individus, par leur capacité symbolique, peuvent apprendre de nouveaux
« patrons » de comportements et leurs conséquences par la démonstration physique, la
représentation imagée ou bien par la description verbale. Dans le cadre professionnel,
on peut ainsi faire l’hypothèse que les acteurs peuvent se développer, construire de
nouvelles connaissances, par ce processus de modélisation des comportements
d’autrui.
19 Enfin, dans la lignée des travaux de la psychologie russe, Bruner (1993) pense que c’est
par la médiation sociale que se construisent les connaissances. Dans le cadre de
l’enseignement-apprentissage, cet auteur s’est intéressé, entre autres, aux interactions
de tutelle qui s’exercent sur un mode communicationnel. Il introduit le concept
d’étayage pour rendre compte des processus de régulation de ces interactions de
tutelle. Il désigne l’étayage comme « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte
permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de résoudre seul un problème
qu’il ne savait pas résoudre au départ ». Le processusd’étayage consiste donc à rendre
l’apprenti capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche, d’atteindre un
but qui aurait été, sans assistance, au-delà de ses possibilités.
3.1.3 Les théories de la cognition située
20 Le concept de cognition située est né d’une perspective qui conteste le présupposé
d’une cognition centrale indépendante du contexte et de l’intention du sujet tel que
l’énoncent certaines théories cognitives. La connaissance de l’individu n’est pas stockée
dans son cerveau, indépendamment de son environnement, pour être ensuite mobilisée
en situation d’action sous la forme d’un plan préétabli ou d’une délibération du
contrôle de l’action (Suchman, 1987 ; Theureau, 2002, 2004). Dans les théories de la
cognition située, la situation dans laquelle la personne apprend devient une part
essentielle de ce qui est appris (Grison, 2002). Elle s’appuie sur des systèmes interactifs
incluant les acteurs, interagissant entre eux, mais également les systèmes matériels et
représentationnels. Dans les modèles de la cognition située, les savoirs des individus
sont reconfigurés, de façon dynamique, au cours des relations avec leur
environnement. Au lieu de présupposer la cognition comme une sorte de
« calculateur » sélectionnant le bon schéma, la bonne règle d’action à appliquer en
fonction de la situation rencontrée, la cognition située met l’accent sur les savoirs en
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
134
action, perçus et re-perçus, conçus et reconçus dans l’action. Le lien entre la perception
et la conception est dynamiquement couplé par la médiation des situations
rencontrées. Les buts et les significations des acteurs sont re-conçus selon la manière
dont les transformations relatives à l’environnement sont re-perçues avec le temps.
Ainsi, des personnes, des objets matériels ou symboliques, précédemment perçus
comme des contraintes environnementales par le sujet dans son activité peuvent, par
l’évolution de l’environnement ou de son histoire personnelle, être considérés à
l’inverse comme des ressources et des points d’appui pour réaliser ses tâches. Nous
pouvons prendre comme exemple les travaux de Gibson (1977, 1979) qui s’intéressent à
la relation perception-action avec la théorie des affordances visuelles. La notion
d’affordance est la lecture par le sujet d’une opportunité d’action dans les propriétés
(visuelles) de l’objet. Les propriétés perçues du monde déclenchent l’action du sujet.
Cette théorie démontre le caractère opportuniste de l’action, opportunisme défendu
dans le cadre de la cognition située par Suchman (1987) contre la « planification » de
l’action. Dans le cadre scolaire, l’apprentissage situé constituera le support du
développement des théories de la cognition située. Comme pour l’action située,
l’apprentissage situé insiste sur le fait qu’apprendre dans un contexte pertinent, du
monde réel, est plus efficace qu’apprendre des idées abstraites, totalement
décontextualisées. Lave et Wenger (1991, p.34) proposent la théorie de l’apprentissage
situé comme un « pont entre une perspective selon laquelle les processus cognitifs sont
premiers (et donc aussi l'apprentissage) et une perspective selon laquelle c'est la pratique sociale
qui est le phénomène générateur primitif, l'apprentissage étant l'une de ses caractéristiques. ».
Dans le domaine professionnel, les théories de la cognition située peuvent expliquer le
développement professionnel en mettant en évidence le rôle important des éléments
du contexte professionnel (les acteurs, les objets, les dispositifs, etc.) et de son
évolution dans l’acquisition des perceptions, des représentations et des connaissances
des sujets en lien avec la réalisation des tâches professionnelles et de la construction
des composantes identitaires. Les pratiques professionnelles sont situées dans un
contexte donné (dans ses composantes matérielles, sociales et historiques) qui fournit
des ressources mais qui définit aussi des contraintes, qui ont un coût pour la personne
dans son développement (Beguin, 2007).
3.2. Les théories centrées sur le collectif et son activité
21 Le développement professionnel des individus peut-être étudié à travers la dimension
collective, voire sociale ou sociétale. L’évolution des ressources cognitives et affectives
des professionnels (leurs représentations, conceptualisations, intérêts, motivations,
projets d’action, etc.) est influencée par les modalités d’action mises en œuvre durant le
déroulement de la tâche, ce que Rabardel (2005a, 2005b) nomme l’activité constructive.
Elle est également déterminée par les conditions (matérielles, organisationnelles,
relationnelles, culturelles, etc.) de travail. Le développement professionnel ne se réduit
pas seulement à la situation singulière hic et hunc et à l’état actuel du sujet comme
pourraient le défendre certains courants « situationnistes ». L’environnement comme
le sujet sont également caractérisés par des structures « relativement » stables,
préétablies, qui conditionnent les pratiques professionnelles des acteurs et leurs
ressources construites et mobilisées dans l’action. Les composants structurels de
l’environnement de travail constituent des ressources ou des contraintes qui
influencent le champ d’action possible des professionnels ainsi que les opportunités ou
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
135
à l’inverse les obstacles à leur apprentissage professionnel. L’organisation de l’activité
(la division du travail, les prescriptions des tâches de travail, les outils disponibles et/
construits par les acteurs) mais également les besoins et les valeurs insérés dans un
contexte social et culturel particulier ont un impact sur les composantes des situations
rencontrées par les professionnels mais également sur leurs propriétés personnelles. Le
modèle de régulation proposé par Reynaud (1989) dans des études de sociologie du
travail met, par exemple, bien en évidence comment les règles « descendantes » de la
hiérarchie de l’organisation du travail et celles, à l’inverse, « ascendantes »,
émergeantes de l’activité collective des professionnels exigeant autre chose dans leur
résolution de problème que la mise en œuvre de procédures formelles, déterminent les
conditions de réalisation de l’activité professionnelle et par conséquent, les possibilité
de développement des professionnels.
3.2.1 Les théories de la « cognition collective »
22 Nous désignons sous cette appellation les théories dont le présupposé est d’affirmer
que le collectif d’individus apprend en faisant, développe des ressources cognitives
dans le cadre de ses pratiques d’échanges, de collaborations et de coordinations. Ces
ressources construites dans et par le collectif dépassent le répertoire de chacun des
individus. La théorie relative à la « communauté de pratiques » défend par exemple
l’idée selon laquelle une communauté de praticiens, dans laquelle ces derniers sont
engagés pleinement, est caractérisée par un apprentissage collectif et situé. Une
communauté est un « système de relations entre des personnes, des activités et le monde, se
développant dans le temps, et en relation avec d’autres communautés de pratique tangentielles
et chevauchantes » (Lave & Wenger, 1991, p.98). Les membres d’une communauté de
pratiques développent leurs compétences par rapport à la pratique dans laquelle ils
sont engagés. A travers ces communautés, les professionnels mobilisent des
compétences individuelles pré-établies et en développent de nouvelles à travers la
construction, l’échange et le partage d’un répertoire commun de ressources,
principalement constituées par des savoir-faire tacites et contextualisés.
23 Lemke (1997, p.38) synthétise le modèle d’apprentissage sous-jacent, envisagé comme
la « participation à une « communauté de pratique » dans laquelle nous rejoignons d’autres
personnes dans leurs gestes et leurs activités situées en tant que « participants légitimes
périphériques ». Nous arrivons de cette manière à être capables de faire ce qu’elles font. Notre
activité, notre participation, notre « cognition » sont toujours reliées, co-dépendantes de la
participation et de l’activité des Autres qui sont des personnes, des outils, des symboles, des
processus ou des objets. La façon dont nous participons, les pratiques dans lesquelles nous nous
engageons, sont fonction de cette communauté large ou au moins des parties de la communauté
que nous avons rejointes. Quand nous participons, nous changeons. Notre identité-en-pratique se
développe. Nous ne sommes plus des personnes autonomes dans ce modèle mais des personnes-
en-activité ». Dans le cadre du développement professionnel, la théorie relative à la
communauté de pratiques pourrait expliquer comment les individus acquièrent de
nouveaux savoirs professionnels communs et partagés par l’intermédiaire de leur
participation à un collectif de travail, ayant ses propres buts, ses propres moyens
d’action et ses propres valeurs.
24 De même, la théorie relative à « l’apprentissage organisationnel » issue des sciences de
la gestion peut être également mobilisée pour comprendre et décrire comment un
collectif organisé apprend et se développe, indépendamment des individus qui le
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
136
composent. Nonaka et Takeuchi (1997) proposent un modèle d’apprentissage intitulé :
« la spirale de création de connaissances organisationnelles ». Il est basé sur l’idée que les
connaissances tacites et subjectives des individus constituent le socle à partir duquel
les connaissances organisationnelles sont construites. Ce modèle est défini ainsi : «
L’organisation doit mobiliser les connaissances tacites créées et accumulées au niveau
individuel. Les connaissances tacites mobilisées sont amplifiées de façon organisationnelle au
travers de quatre modes de conversion de connaissances et cristallisées à des niveaux
ontologiques supérieurs. Nous appelons cela la « spirale de connaissances » dans laquelle
l’interaction entre connaissances tacites et connaissances explicites gravit les niveaux
ontologiques. La création de connaissances organisationnelles est donc un processus en spirale
débutant au niveau individuel et s’élevant au travers d’une communauté d’interactions en
expansion qui traverse les frontières des sections, des départements, des divisions et de
l’organisation »(Nonaka & Takeuchi, 1997, pp.95-96). La théorie de l’apprentissage
organisationnel met bien en évidence le fait que les connaissances individuelles et
tacites des acteurs se combinent, s’objectivent et se formalisent en migrant vers un
niveau supérieur qu’est l’organisation. La thèse ainsi défendue dans cette théorie est
que l’organisation, le collectif, indépendamment des acteurs, construit de la
connaissance, la cristallise, la mémorise puis la transmet à ses membres. Pour le dire en
d’autres termes, chaque structure a une histoire, une culture, indépendamment des
individus qui la composent. Dans le cadre professionnel, la théorie de l’apprentissage
organisationnel peut aider à identifier dans un premier temps les savoirs
professionnels qui ont été capitalisés par l’organisation puis dans un deuxième temps à
comprendre comment ces savoirs sont mobilisés dans les pratiques professionnelles
comme des supports et des ressources pour réaliser efficacement des tâches ou pour se
positionner d’un point de vue identitaire.
25 Les théories de « la cognition collective » peuvent participer à expliquer les processus
de développement professionnel en mettant en évidence le rôle du contexte
organisationnel et des pratiques collectives des acteurs dans la construction de savoirs
professionnels relatifs à la prise en charge de la tâche professionnelle et à la
socialisation professionnelle. Dans le domaine de la profession enseignante, Blanc
(2007) illustre bien l’influence du contexte et du collectif de l’école dans la construction
de savoirs professionnels particuliers relatifs à l’évaluation scolaire.
3.2.2 La sociologie de l’action
26 Les courants de la sociologie de l’action peuvent également être convoqués pour
expliquer les processus de développement professionnel des individus. Ils mettent en
évidence le fait que l’étude des pratiques des acteurs doit être mise en relation avec les
différents niveaux (non hiérarchisés) de contexte (organisationnel, social et sociétal)
dans lesquelles ils sont insérés. On ne peut comprendre et expliquer les raisons de
l’action sans les mettre en perspective avec les éléments sociaux, culturels et
historiques de leur environnement.
27 Parmi les théories francophones de la sociologie de l’action, nous pouvons d’abord citer
la sociologie de l’action stratégique ou politique (Crozier & Friedberg, 1994 ; Bernoux,
1990). Son présupposé est que les acteurs, au sein d’une organisation, essaient de
négocier leurs propres intérêts personnels avec les objectifs de l’organisation dans
laquelle ils exercent. Ces intérêts peuvent évoluer en fonction des contraintes et des
ressources dont disposent les acteurs au sein de leur environnement. Le mobile des
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
137
acteurs, quel que soit leur position dans la hiérarchie de l’organisation, est de
conserver voire d’augmenter leur marge de liberté. Pour ce faire, ils essaient de
maîtriser les zones d’incertitude qui sont pertinentes pour le fonctionnement efficace
de l’organisation. La maîtrise de ces zones d’incertitude leur procure du pouvoir et leur
permet ainsi d’être plus indépendants dans leur travail. Le développement
professionnel des individus peut ainsi être analysé à travers le prisme de cette théorie
de l’action stratégique. L’évolution des intérêts et des logiques stratégiques des
différents professionnels peut être décrite au sein d’une organisation en tentant par
exemple d’identifier leur capacité à s’approprier les ressources de leur environnement
pour augmenter leur maîtrise des zones d’incertitude. On peut ainsi faire l’hypothèse
qu’un professionnel expert (par rapport à un professionnel novice) a construit des
logiques stratégiques pertinentes au sein de son organisation lui permettant de
conserver, voire d’augmenter ses marges d’autonomie en terme de décisions et
d’actions. Ce professionnel expert a su mettre à profit son potentiel de compétences
puis a su s’approprier les ressources de son environnement pour maîtriser les zones
d’incertitude pertinentes et nécessaires au bon fonctionnement de son organisation.
28 Une deuxième approche en termes de logiques d’action est celle initiée par l’école des
conventions (Boltanski & Thévenot, 1991). Leur objet est d’étudier les règles, normes ou
conventions qui s’établissent entre les acteurs sociaux lorsque ces derniers sont
confrontés à des épreuves critiques (conflits interindividuels). Selon ces auteurs, les
personnes sont dotées de réelles capacités morales pour identifier la nature d’une
situation et pour ajuster leur action à cette situation. C’est en fonction de valeurs de
référence qui sont multiples et parfois contradictoires que les acteurs manifestent leurs
désaccords et définissent leur action. Dans le cadre professionnel, plusieurs études de
cas ont été menées par les auteurs de ce courant pour montrer et mettre en évidence
les différentes logiques d’action qui s’affrontent et se coordonnent. Le développement
professionnel pourrait être étudié à partir de l’évolution des ressources morales de
l’individu (leurs valeurs de référence) au sein d’une même organisation professionnelle
dans un temps donné ou bien à partir de l’évolution de ces ressources morales durant la
trajectoire professionnelle de l’individu (dans plusieurs organisations professionnelles
différentes). Ces études sont pertinentes pour étudier les processus de socialisation
professionnel des individus ; comment leur identité professionnelle se construit-elle et
évolue-t-elle ?
29 Enfin, nous citerons la sociologie de l’expérience (Dubet, 1994, 2007). S’inspirant des
travaux de Touraine (1965, 1989), Dubet (1994) distingue trois logiques d’action qui
renvoient chacune à un système qui compose la société : la logique de l’intégration, la
logique stratégique et celle de la subjectivité. Il appelle l’expérience sociale la
combinaison de ces trois logiques d’action qui s’interpénètrent à des degrés divers. Ces
logiques peuvent être étudiées dans le domaine professionnel pour identifier leur
évolution en fonction des contextes professionnels et des caractéristiques des acteurs.
30 Outre ces théories généralistes de la sociologie francophone de l’action, il existe un
certain nombre de travaux sociologiques dans le domaine du travail qui se sont centrés
sur les processus de socialisation professionnelle (Osty, 2003 ; Dubar, 1991, 1992 ;
Sainsaulieu, 1997). Nous ne pouvons malheureusement pas les décrire ici. Nous ferons
référence à certains des concepts que ces auteurs ont développés dans la partie
suivante de ce texte.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
138
3.2.3 La sociologie psychologique
31 Ce courant ne privilégie pas l’étude de l’action sociale ou bien les cadres d’interaction
mais repose sur l’idée selon laquelle le social peut-être saisi à l’échelle de l’individu. Au
lieu d’identifier les principes de variation des comportements, des pratiques, des
cultures, des représentations, des individus d’un point de vue macro-sociologique :
variations inter-époques, variations inter-groupes (inter-classes), variations inter-
sociétés, il se centre sur les variations intra-individuelles des comportements. L’idée
consiste à se demander ce que font, pensent ou croient les mêmes individus dans des
domaines différents de pratiques. La sociologie psychologique tente d’identifier les
dispositions psychologiques que les individus construisent durant leurs trajectoires
socio-biographiques puis celles qu’ils mobilisent (ou inhibent) dans les différents
champs d’action qu’ils sont amenés à traverser. Les travaux de Lahire (2001, 2004)
montrent que les influences socialisatrices qui façonnent les individus sont loin d’être
parfaitement cohérentes (contrairement au présupposé de la théorie de l’habitus de
Bourdieu, (1980, 1994). De plus, ils mettent en évidence le fait que les individus ont
rarement un patrimoine de dispositions homogènes et que ces dispositions ne sont pas
systématiquement transférées d’un domaine d’action à l’autre. Kauffmann (2004)
mobilise également cette approche pour comprendre les ressorts subjectifs de la
construction identitaire des individus. A partir d’une lecture intra et interindividuelle
des comportements et des pensées, il montre le travail de composition identitaire que
réalisent les acteurs pour donner un sens (une signification et une direction) à ce qu’ils
fonts et à ce qu’ils sont. Pour effectuer ce travail de construction identitaire, les
individus doivent composer entre leurs dispositions acquises durant leurs socialisations
passées et les ressources sociales disponibles au sein de leur environnement. La
construction identitaire n’est donc pas le produit d’un programme préétabli mais elle
exige de la part de l’acteur une série de micro-décisions et d’épreuves, elle est donc
immédiate et contextualisée. La sociologie psychologique peut être ainsi mobilisée pour
comprendre et expliquer les processus qui participent du développement professionnel
des individus. La manière dont les professionnels construisent et mobilisent leur
patrimoine de dispositions (cognitives et affectives) et leur identité au travail peut être
mis en relation avec les champs d’action dans lesquels ils agissent et les influences
socialisatrices qu’ils ont vécues durant leur passé. Ces éléments d’analyse pourraient
permettre de comprendre les raisons pour lesquelles certains individus évoluent et
progressent dans leur construction identitaire et dans l’acquisition de nouvelles
compétences dans un champ professionnel donné alors que d’autres, à l’inverse, se
stabilisent ou bien sont en rupture avec leur champ professionnel et/ou leur trajectoire
antérieure.
4. Les indicateurs
32 Quelles que soient les théories de pensée, le développement professionnel comme objet
d’analyse concerne les relations entre un sujet (ses ressources cognitives et affectives),
la configuration de ses modalités d’action mises en œuvre en situation, puis
l’environnement professionnel (avec ses différents niveaux de contextes ; social,
culturel, temporel, spatial, etc.) dans lequel il exerce. Ces trois éléments (le sujet, ses
actions et l’environnement) sont interdépendants et participent à décrire, à
comprendre et à expliquer le développement professionnel. Dans cette partie, nous
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
139
nous attacherons à proposer quelques exemples d’indicateurs conceptuels du
développement professionnel. Ils ont pour fonction de permettre d’articuler le cadre
théorique mobilisé et choisi par le chercheur avec la dimension empirique qu’il vise à
appréhender (voir l’article de Marcel dans ce présent ouvrage). Le cadre théorique de
référence fonde l’indicateur conceptuel et le met en relation avec d’autres indicateurs
conceptuels pour expliquer le réel. La liste de ces indicateurs n’est bien entendue pas
exhaustive. Elle s’appuie sur un certain nombre de travaux nationaux et
internationaux. Nous prenons le risque de les caractériser en quelques lignes et
acceptant, bien évidemment, que celles-ci ne puissent en restituer toute la richesse et
la complexité.
4.1. Les savoirs professionnels visant l’efficacité au travail
33 Sont regroupés dans cette partie, l’ensemble des indicateurs conceptuels qui
caractérisent les savoirs construits et mobilisés par les acteurs en situation d’activité
professionnelle, seuls ou en collaboration, voire en coordination, avec des collègues de
travail. Ces savoirs ont pour fonction commune d’aider l’acteur à mieux maîtriser les
situations professionnelles qu’il est amené à rencontrer (situations familières et/ou
nouvelles). En d’autres termes, l’aider à être moins démuni devant une situation
particulière. Le terme « d’efficacité » rejoint en partie le sens du concept de
« compétence ». Pour reprendre les termes de Vergnaud (2007), est compétent un
acteur qui sait faire quelque chose qu’un autre acteur ne sait pas faire. De même, un
acteur est plus compétent au temps « t+1 » qu’au temps « t » s’il sait faire au temps
« t+1 » ce qu’il ne savait pas faire au temps « t ». L’augmentation de l’efficacité au
travail peut être associée parallèlement à une augmentation ou à une amélioration du
répertoire des ressources professionnelles de l’acteur. Nous avons catégorisé les
indicateurs relatifs aux savoirs professionnels visant l’efficacité au travail en fonction
de deux types d’apprenant : le sujet individuel ou bien le collectif.
4.1.1 Les savoirs construits par le sujet
34 Nous pouvons caractériser un certain nombre de savoirs professionnels que les sujets
mettent en œuvre pour traiter des situations de travail. Ces savoirs peuvent intégrer
plusieurs composantes relevant de l’organisation des représentations, de l’activité et de
la maîtrise des artefacts et outils (Samurçay & Rabardel, 2005).
Les représentations
35 Les représentations peuvent porter sur les objets professionnels et leurs relations, les
rapports entre des acteurs à la tâche (soi et les autres) et aux situations. Ces
représentations, souvent différentes selon les professionnels, se constituent à partir de
leurs expériences et de leurs connaissances. Pour Wartofsky (1979), les hommes
accèdent à la connaissance nécessaire à la conduite de leur activité en ayant recours à
des représentations prenant la forme de théories, de modèles scientifiques, d’images
artistiques, etc. : « il n’y aucune connaissance humaine sans représentation ». Supports de
ces représentations, les artefacts, en leur qualité de constructions sociales, cristallisent
des modèles qui guident la perception et l’activité cognitive des individus :« les modèles
sont des vérités données » (Wartofsky, 1979) qui offrent des opportunités d’action. Ils ont la vertu
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de désigner « ]…] un mode d’action approprié, une représentation de la pratique éventuelle, ou
un mode d’action acquis ».
36 Les psychologues ont proposé un certain nombre de concepts permettant d’étudier les
représentations des acteurs professionnels ; « l’image opérative », « les représentations
opérationnelles » et « les modèles mentaux ». Selon Ochanine (1981, 225), « les images
opératives sont des structures informationnelles spécialisées qui se forment au cours de telle ou
telle action dirigée sur des objets ». Vermersch (1981) a proposé le concept de
représentations opérationnelles mettant en évidence les fonctions d’adéquation, de
fonctionnalité et d’adaptation réussie à une tâche. Norman (1983) parlera quant à lui de
la formation des modèles mentaux que se construisent les professionnels vis-à-vis
d’eux-mêmes et des objets avec lesquels ils interagissent.
37 Leplat (1985) emploie l’expression de représentation fonctionnelle et la distingue de
celle de représentation non-fonctionnelle. La représentation, selon l’auteur, est
fonctionnelle dans la mesure où elle assure la planification et le guidage de l’action. Le
rôle de la représentation fonctionnelle est de permettre à l’acteur d’anticiper les
conséquences de sa propre action en terme de résultats mais également de processus
intervenant dans l’action. Les représentations constituent « un mécanisme de filtrage »
qui permettent aux professionnels de retenir et de traiter les dimensions de la situation
jugées les plus importantes pour réaliser leurs buts (Zakay & Wooler, 1984). Selon
Rasmussen (1979), l’efficience des processus cognitifs dans le travail tient en grande
partie aux possibilités de transformation des représentations et à la possibilité d’avoir
accès à plusieurs d’entre elles au même moment. L’étude du développement
professionnel pourrait se centrer sur l’élaboration de ces représentations, leurs
évolutions dans le temps, leurs rapports, leur organisation, les conditions de leur mise
en œuvre et du passage de l’une à l’autre. Enfin, Rasmussen (1979) a proposé un
classement des représentations dans le domaine du travail en termes de niveaux
d’abstraction, hiérarchiquement organisés. Sur une échelle abstrait-concret, il
catégorise un certain nombre de représentations (depuis la représentation par
l’apparence physique à la représentation en termes de but fonctionnel). Selon l’auteur,
plus on passe à un niveau abstrait de la représentation, et plus on donne des
informations de type fonctionnel qui guident plus efficacement l’action.
Les conceptualisations liées à l’activité
38 Parmi les organisateurs potentiels de l’activité professionnelle, nous pouvons évoquer
les conceptualisations implicites et explicites construites et mobilisées par l’individu en
vue de la réalisation d’un but ou de l’exécution d’une tâche. Cette différence de niveaux
de conscientisation (implicite versus explicite) de la connaissance met en évidence le
fait que la conceptualisation ne se réduit pas à la forme prédicative de la connaissance
pour reprendre les termes de Vergnaud (2001), celle qui prend la forme « de textes,
d’énoncés, de traités et de manuels ». Une partie des connaissances construites par les
acteurs en situation d’activité professionnelle a une forme opératoire c’est-à-dire
qu’elle a pour fonction prioritaire de faire et de réussir. Cela rejoint la distinction
piagétienne entre réussir et comprendre. Piaget (1974) montre que la réussite de
l’action précède généralement la compréhension de celle-ci. Le processus de
compréhension met en œuvre un niveau de coordination conceptuelle différent de
celui mobilisé lors de la réussite de l’action ; on passe ainsi pour reprendre les termes
de Piaget d’une coordination agie (coordination de mouvements) à une coordination
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
141
conscientisée de connexions logiques ou implicatrices de l’action (la compréhension
des causalités de l’action). Dans le cadre du travail, il existe de nombreux cas de figure
où la réussite de l’action précède sa compréhension, voire se suffit à elle-même.
L’exemple typique de l’expert incapable d’expliquer verbalement comment il a fait
pour faire ce qu’il a fait (Leplat, 1997). Les connaissances implicites, de forme
opératoire, ne retiennent que des propriétés et des relations utiles pour l’action
(Samurçay & Pastré, 1998). Pour illustrer ces connaissances implicites, nous pouvons
convoquer plusieurs concepts théoriques. Tout d’abord le modèle du schème introduit
par Piaget (1936) puis développé par Vergnaud (1991), Pastré (2002) et Mayen (2001). Le
schème est un modèle qui permet d’identifier les invariants relatifs à l’organisation de
l’activité associés à des classes de situations. Le schème est, selon Vergnaud, une
« totalité dynamique et fonctionnelle » qui est formée de plusieurs catégories
d’éléments tous indispensables : des buts et anticipations, des règles d’action, des
possibilités d’inférence en situation et des invariants opératoires. Les situations de
travail sont des situations où la réussite de l’action prime sur toute autre chose. On
peut ainsi dire que la conceptualisation qui se construit au sein de l’action comporte sa
propre coordination et peut se passer des représentations explicites des acteurs. Cette
proposition rejoint le concept de « compétence incorporée » théorisé par Leplat (1995).
39 Parallèlement aux connaissances implicites, les acteurs professionnels peuvent
construire et mobiliser des connaissances explicites qui guident et accompagnent la
réalisation de leurs tâches. Ce type de connaissance s’appuie sur un travail de
conceptualisation mettant en œuvre des mécanismes de prise de conscience et de
réflexivité. Nous pouvons ici nous référer au modèle du praticien réflexif (Schön, 1994)
qui présuppose que le professionnel est capable de prendre une distance critique sur sa
pratique et par conséquent de construire des connaissances sur les raisons et les
conséquences de son action. Ces connaissances explicites peuvent permettre au sujet de
construire des invariants de l’action à des niveaux supérieurs en les décontextualisant
des situations particulières et ainsi l’aider à traiter une variabilité de situations.
40 A un niveau plus général, nous pouvons identifier la conceptualisation construite par
un processus de théorisation dont les fonctions prioritaires sont d’expliquer et de
comprendre des objets du réel. Ces savoirs théoriques constituent un système de
connaissances avec des exigences de cohérence et de complétude. La distinction entre
ces deux niveaux de connaissances (connaissances implicites et explicites) peut être
mise en lien avec les travaux de Vygotski qui ont abordé les notions de « concepts
scientifiques » et « concepts quotidiens ». Les premiers se construisent à partir d’un
processus de généralisation alors que les seconds se construisent à travers leurs
différents usages dans des contextes d’action et de communication particuliers.
41 Le développement professionnel peut ainsi être appréhendé à partir de l’étude des
conceptualisations (et de leurs évolutions) qui sont construites et mobilisées par les
acteurs dans et par leurs pratiques professionnelles. Quel est par exemple le système de
schèmes d’action que construit et mobilise l’acteur dans la mise en œuvre de ses tâches
professionnelles ? Comment évolue ce système en fonction de la trajectoire personnelle
et professionnelle du sujet et de son environnement de travail ? Comment se
différencie ce système au niveau intra et interindividuel ?
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142
Les connaissances associées à la maîtrise d’artefacts et d’outils
42 Le concept « d’instrument psychologique » introduit par Vygotski (1934) puis repris par
Engeström (1987) ou Rabardel (1997) permet d’étudier les ressources construites par les
sujets associés à l’utilisation des artefacts culturels présents au sein de leur
environnement.Wartofsky considère les artefacts (outils et langage) « comme étant des
objectivations des besoins et des intentions humains ; c’est-à-dire comme déjà investis d’un
contenu cognitif et affectif. L’outil est appréhendé à la fois dans son utilisation, et dans sa
production, dans une perspective instrumentale, comme quelque chose destiné à être fait pour et
employé selon un certain but » (Wartofsky, 1979, p.204).
43 Pour Rabardel (1995), les situations d’activité instrumentée sont caractérisées par «
l’insertion, par le sujet d’un ou (plusieurs) instruments dans son activité ». L’instrument,
d’après l’auteur, est une entité mixte constituée d’un artefact (objet transformé par le
sujet) et de schèmes d’utilisation qui y sont associés. L’artefact peut-être matériel ou
symbolique, produit par l’utilisateur ou par d’autres. Rabardel (1995) tente ainsi
d’articuler le concept de schème proposé par Piaget et Vergnaud et celui d’instrument
psychologique proposé par Vygotski. Le développement professionnel peut-être ainsi
étudié en fonction de l’évolution des instruments psychologiques, au sens de Rabardel,
construits et mobilisés par l’acteur professionnel en situation d’activité finalisée. La
notion « d’instrument psychologique » s’appuie sur la thèse de la psychologie russe
concernant la genèse sociale des fonctions psychiques des sujets. La transformation
psychique des acteurs se réalise à travers la médiation des différentes catégories
d’outils forgés par la culture.
44 Le développement professionnel peut ainsi être étudié en fonction des connaissances
(et de leurs évolutions) associées à la conception et à la maîtrise d’artefacts culturels
construits au sein de l’environnement de travail. Par exemple, dans le cadre du travail
enseignant, il est possible de mettre en évidence la construction de savoirs
professionnels relatifs à la prise en charge de la tâche d’enseignement en fonction de la
participation des enseignants à la conception et la mise en œuvre de dispositifs
pédagogiques inter-classes au sein de l’établissement scolaire (Lefeuvre, 2007).
Le sentiment d’auto-efficacité, la motivation, l’estime de soi
45 Le sentiment d’auto-efficacité peut être mobilisé comme un indicateur des ressources
professionnelles construites par l’individu pour réaliser efficacement ses tâches de
travail. Selon Bandura (1980, 1986), les croyances d’un individu à l’égard de ses
capacités à accomplir avec succès une tâche ou un ensemble de tâches sont à compter
parmi les organisateurs potentiels des comportements. Le sentiment d’auto-efficacité
est défini par l’auteur comme les jugements que les personnes font à propos de leur
capacité à organiser et réaliser des ensembles d’action requises pour atteindre des
types de performance attendues (Bandura, 1986). Selon certaines études, le sentiment
d’auto-efficacité a une influence positive sur les performances des individus (Bandura,
2006). Les personnes dont le sentiment d’auto-efficacité est positif auraient tendance à
augmenter et à maintenir leurs efforts face à des difficultés. Elles considèreraient les
difficultés comme des paris à réussir plutôt que comme des menaces à éviter. Ainsi,
selon Bandura, la motivation serait essentiellement régie par l’auto-efficacité perçue.
Deci et Ryan (2000) distinguent deux formes de motivations. La motivation intrinsèque
qui signifie que l’individu va effectuer une tâche uniquement pour le plaisir qu’elle
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143
procure. La motivation extrinsèque fait référence aux situations où l’individu effectue
une tâche dans le but d’en retirer quelque chose (récompenses) ou à l’inverse pour
éviter quelque chose de déplaisant (sanctions, punitions, etc.). Le concept d’estime de
soi est davantage associé à une caractéristique générale du sujet (l’élève a une bonne
estime de lui-même à l’école) qu’à une caractéristique liée à une tâche particulière
(mais il ne se sent pas compétent en dessin). Il s’agit de la façon dont l’individu s’aime,
s’accepte et se respecte en tant que personne (Harter 1998).
46 Dans le cadre de cet ouvrage, l’article de Marcel montre que le sentiment d’efficacité
professionnelle (SEP) des professeurs de l’enseignement agricole public, qui est un
sous-ensemble du sentiment d’efficacité personnelle, peut-être un indicateur pertinent
de leur développement professionnel. A travers le discours des enseignants, l’auteur a
collecté leur sentiment d’efficacité professionnelle à propos des différentes facettes du
métier de professeur d’enseignement agricole : l’enseignant et ses élèves, l’enseignant
dans les équipes pédagogiques, l’enseignant dans l’établissement et ses territoires.
L’auteur montre, malgré certaines limites, que le SEP dispose des qualités requises pour
décrire et comprendre le développement professionnel.
La capacité de prévoyance, d’autorégulation et d’autoanalyse
47 Les travaux en psychologie sociocognitive (Bandura, 1986, 2001, 2006) permettent de
distinguer plusieurs autres concepts en lien avec le sentiment d’auto-efficacité. Ces
concepts pourraient constituer des indicateurs du développement professionnel. Ils
s’appuient sur le présupposé selon lequel les individus, au fil de leur expérience,
développent une perception de leurs propres habiletés et caractéristiques, qui
guideront par la suite leur comportement. Parmi ces concepts, il s’agit tout d’abord de
la capacité de prévoyance des acteurs. Cette dernière fait référence à la capacité d’un
individu à se motiver et à guider ses actions par anticipation des résultats. Ensuite, la
capacité d’autorégulation qui se définit par le pouvoir que possède l’individu de
contrôler son comportement. C’est par le processus d’autorégulation que l’individu
passera d’un locus de contrôle externe à un locus de contrôle interne. Enfin, la capacité
d’autoanalyse est le pouvoir qu’a l’individu d’évaluer ses expériences, de réfléchir sur
ses processus de pensée et de les modifier.
Le jugement
48 Le jugement peut faire l’objet d’une analyse dans l’étude du développement
professionnel. En quoi les jugements des professionnels évoluent-ils dans et par leurs
expériences ? Le jugement est la procédure qui consiste à produire des inférences à
partir d’informations, ce qui peut impliquer plusieurs étapes de traitement de
l’information. Ce sont ces inférences qui font l’objet de nombreux travaux en
psychologie. Par exemple, Tversky et Kahneman (1974) ont présenté trois heuristiques
qui seraient à l’œuvre dans le processus de jugement. La notion d’heuristique indique
que les individus appliquent des principes non complexes, sortes de raccourcis de
raisonnement. Ces heuristiques ont pour fonction de réduire la complexité de la tâche à
accomplir. Elles sont utiles et efficaces pour parvenir à prendre une décision mais
peuvent comporter des erreurs importantes, des biais de jugement (Bressoux & Pansu,
2001). Ainsi, Tversky et Kahneman ont identifié tout d’abord l’heuristique de
représentativité qui permet de juger un évènement, une personne, etc. à partir d’un
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modèle mentale pré-établi. L’exemple de la similarité avec un stéréotype. Ensuite,
l’heuristique de disponibilité qui énonce l’évaluation que font les individus d’un
évènement, d’une personne, etc. en fonction des informations disponibles au sein de
leur environnement ou dans leur mémoire immédiate. Enfin, l’heuristique d’ajustement
et d’ancrage annonce que les individus jugent en commençant leur raisonnement à
partir d’une valeur initiale qu’ils ajustent par la suite pour parvenir à une réponse
finale. Dans ce cas, le choix de départ affecte grandement la réponse finale et peut
produire des biais de jugement.
49 La notion « d’heuristique » définie par Tversky et Kahneman pourrait être un
indicateur conceptuel pertinent pour étudier le développement professionnel. Ce
dernier pourrait être analysé en mettant en évidence l’évolution des inférences
heuristiques effectuées par les professionnels, durant leur expérience, pour juger d’une
tâche.
4.1.2 Les savoirs construits par le collectif de professionnels
Les Représentations sociales
50 La représentation sociale pourrait être un indicateur pour identifier les savoirs
construits et mobilisés par le collectif de professionnel pour réaliser leur tâche de
travail. Selon Moscovici (1990) les représentations sont « des formes de savoir naïf,
destinées à organiser les conduites et orienter les communications ». Elles sont dites
« sociales » puisque ces savoirs sont constitutifs de la spécificité des groupes sociaux
qui les ont produits. Dans la plupart des définitions psychosociales, on retrouve trois
fonctions liées à ces représentations sociales. La communication tout d’abord, puisque
les représentations sociales offrent aux personnes « un code pour leurs échanges et un code
pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde et de leur histoire
individuelle et collective » (Moscovici, 1961), une reconstruction du réel ensuite puisque
les représentations nous guident dans la façon de nommer et de définir ensemble les
différents aspects de notre réalité de tous les jours ; dans la façon de les interpréter, de
statuer sur eux et le cas échéant de prendre une position à leurs égards et de la
défendre (Jodelet, 1991). Enfin les représentations sociales permettent à l’individu de
maîtriser son environnement. Cette dernière dimension renvoie plus concrètement que
les deux autres à l’utilité sociale de la représentation sociale. Dans le domaine
professionnel, les représentations professionnelles se définissent comme une catégorie
des représentations sociales (Piaser, 1999). Ces représentations sont des savoirs
partagés et élaborés par un groupe professionnel qui ne concernent que des objets
saillants relatifs au champ d’activité occupé par ce groupe.
Les conceptualisations partagées et élaborées par le collectif
51 Plusieurs indicateurs théoriques peuvent mettre en évidence les formes de
conceptualisations implicites et explicites construites par des groupes ou des
communautés professionnels. Nous pouvons évoquer par exemple le modèle du
« concept pragmatique » de Pastré (1999). Les concepts pragmatiques sont d’après
l’auteur des concepts mobilisés et développés dans et pour l’action. Ils permettent au
sujet de diagnostiquer une situation, d’orienter l’action et de contrôler son
déroulement. A la différence des schèmes d’action développés par Vergnaud, les
concepts pragmatiques peuvent se construire socialement dans des communautés
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
145
professionnelles. Ils ont donc non seulement pour fonction de viser l’efficacité de
l’action mais également d’être communicables et transmissibles à l’intérieure d’un
groupe de professionnels.
52 De même, nous pouvons évoquer la notion d’« habitus » comme indicateur des
connaissances implicites socialement partagés par un collectif de professionnel. Les
travaux sociologiques définissent l’habitus comme un système de dispositions durables
et transposables au sein de plusieurs situations d’activité (Bourdieu, 1984, 2002).
L’habitus professionnel peut ainsi représenter le système de schèmes construit par une
communauté professionnelle qui a pour fonction de les guider et les orienter, de
manière implicite, dans leurs manières de penser et d’agir en situation de travail.
53 Dans les travaux effectués en clinique de l’activité (Clot 1999 ; Clot & Faîta, 2000), le
concept de « genre professionnel » peut être un indicateur des conceptualisations
implicites construites par le collectif de travail. Le genre est ce que les professionnels
connaissent, comprennent, estiment, ressentent ou redoutent dans les conditions
d’exercice de leur activité professionnelle. Le genre professionnel est, selon l’auteur, le
produit d’une histoire collective et un instrument de l’action individuelle. C’est le
travail d’un collectif de professionnels sur son histoire collective qui constitue une
sorte de « mémoire impersonnelle du milieu » et permettant de « rendre habile » le
professionnel dans la réalisation de ses tâches.
54 La notion de « compétences collectives » (Wittorski, 1997 ; Navarro, 1990 ; Samurçay &
Pastré, 1998 ; Leplat, 2000 ; Michaux, 2003) peut être également convoquée. Selon
Krhomer (2005) elle se caractérise tout d’abord par la capacité du collectif à coopérer
pour résoudre certaines situations. Dans ce cadre, la compétence collective est « un
acte par lequel des personnes échangent volontairement des ressources et agissent
ensemble, au même moment, et pour une certaine durée, en vue de la réalisation d’un
travail. Ensuite, la compétence collective se caractérise par un référentiel commun
dont la fonction est de guider l’action collective. Ce référentiel est opératif dans le sens
où il sert à préparer et à réaliser l’action projetée. Enfin, la compétence collective se
définie également à travers la mémoire collective détenue par le collectif. Cette
mémoire collective est composée, selon Krhomer, d’une mémoire déclarative, d’une
mémoire procédure et d’une mémoire de jugement.
Le sentiment d’efficacité collective
55 Le « sentiment d’efficacité collective » peut-être défini comme la croyance collective
d’un groupe qu’il peut être efficace (Shéa & Guzzo, 1987). Pour Lindsley, Mathieu,
Heffner et Brass (1994, p.2), il s’agit « de la croyance collective du groupe qu’il peut exécuter
une tâche spécifique avec succès ». En ce sens le sentiment d’efficacité collective est bien
une extension du sentiment d’efficacité personnelle. Selon Zaccaro et al. (1995), le
sentiment d’efficacité collective intègre trois éléments clefs. Une croyance partagée :
l’efficacité collective est une croyance partagée par les membres du collectif. Une
perception des capacités de coordination du groupe. C’est une différence majeure avec le
sentiment d’efficacité personnelle. Elle correspond aux croyances concernant les
capacités des membres du collectif à coordonner et combiner leurs ressources. Un
jugement de la volonté des membres de mobiliser leurs ressources pour le groupe. Il est
nécessaire que les membres disposant des ressources suffisantes pour réussir la tâche
soient prêts à les utiliser au sein du collectif.
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
146
4.2. Les composantes identitaires
56 Le développement professionnel peut s’analyser à travers la construction des
composantes identitaires des professionnels. Différents modèles sociologiques peuvent
éclairer le concept de « l’identité professionnelle ». Le modèle fonctionnaliste, hérité
des travaux de Durkheim (1893), met l’accent sur l’appartenance à un groupe
professionnel. C’est ce dernier qui serait chargé d’initier les membres aux règles, aux
modes de pensée et aux pratiques de leur communauté de travail. L’identité
professionnelle se construirait ainsi par l’intermédiaire de l’appartenance à un groupe
professionnel socialement reconnu et ayant une fonction légitime au sein de la société.
Cette identité découlerait d’une longue socialisation et de l’usage d’un vocabulaire
particulier (Bourdoncle, 1995). Un autre courant de travaux, à l’inverse, oppose l’idée
que les identités professionnelles ne sont pas déduites de leurs positions
socioprofessionnelles mais induites par les individus en fonction de leurs croyances,
leurs valeurs et leurs justifications. Ces conceptions sont proches du courant
sociologique de l’interactionnisme symbolique (Goffman, 1973). Dubar (1991) propose
un modèle de l’identité professionnelle qui articule les dimensions individuelles et
collectives dans le processus de construction. Il associe les processus biographiques
d’une « identité pour soi » et les mécanismes structurels de reconnaissance d’une
« identité pour autrui ». Dans ce cadre, l’identité professionnelle dépend des relations
avec les autres et de la perception subjective du sujet vis-à-vis de sa situation. Elle
dépendrait également des rapports de pouvoir au sein d’une organisation, c’est-à-dire
de la capacité de l’individu de peser sur les décisions relatives à son travail et
d’influencer les autres. Les identités professionnelles seraient ainsi des conceptions de
soi au travail qui articuleraient une identité personnelle et une identification à un
collectif. Si nous présupposons que les composantes identitaires font parties du
développement professionnel, notre tâche est alors d’identifier des indicateurs
conceptuels qui permettraient d’étudier la dimension subjective de l’identité et la
dimension objective et structurelle produite par les processus relationnels de
reconnaissance par autrui.
4.2.1 La dimension subjective de l’identité professionnelle
Le système de valeurs des sujets
57 L’identité professionnelle des acteurs peut s’analyser à travers le système de valeurs
porté et justifié par chacun des professionnels. Ce système de valeur participe à donner
du sens aux acteurs sur leur rapport au métier, leur posture et leur rôle au sein des
fonctions qu’ils ont la charge de remplir. Nous pouvons évoquer le concept de
« justification » défini par Boltanski et Thévenot (1991). Selon les auteurs, la
« justification » est une compétence cognitive dont chaque personne fait usage dans les
situations de litige pour exprimer son sentiment d’injustice ou justifier sa
revendication afin de parvenir à un nouvel accord. Les auteurs montrent comment les
individus prennent appui, lorsqu’ils manifester leur désaccord, sur des principes
communs, des valeurs de référence, des normes supérieures communes aux individus.
Pour construire leur cadre d’analyse, ils définissent différents principes communs (ou
système de valeurs) dans chaque « monde » auquel nous participations (monde
marchand, domestique, de l’opinion, etc.) en s’appuyant sur la philosophie politique. Le
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
147
concept de « justification » élaboré par Boltanski et Thévenot est un indicateur
pertinent pour étudier la dynamique de l’identité professionnelle des acteurs puisqu’il
permet de mettre en évidence les consonances et dissonances de valeurs et de principes
au niveau intra et inter-individuel.
L’intérêt stratégique, l’enjeu individuel de l’acteur
58 Les travaux de la sociologie de l’action organisée ont proposé une analyse stratégique
des actions au sein d’une organisation. L’organisation est interprétée non plus
seulement comme un instrument au service de buts mais, comme un espace où se
jouent stratégies et luttes de pouvoir entre acteurs aux intérêts divergents. Crozier et
Friedberg (1994) définissent trois notions clefs pour appréhender cet espace : les zones
d’incertitude, le pouvoir et le système d’action concret. L’analyse stratégique de ces deux
auteurs part d’un double postulat : l’acteur est toujours relativement libre. Cette marge
de liberté varie en fonction de son pouvoir au sein de l’organisation (la maîtrise des
zones d’incertitude pertinentes). Et, second postulat, la conduite de l’acteur est
rationnelle au sens où l’acteur est supposé avoir de « bonnes raisons » d’agir comme il
le fait. Pour les auteurs, le comportement de l’acteur, au sein d’une organisation, se
résume à « une adaptation active et raisonnable à un ensemble de contraintes et
d’opportunités perçues dans le cours de l’action » (Friedberg, 1993, p.53). Le
développement professionnel peut-être étudié en analysant la rationalité subjective de
l’acteur c’est-à-dire ses intérêts et ses « bonnes » raisons d’agir (et leurs évolutions) au
sein d’une organisation. Les concepts d’intérêts et de raisons d’agir sont des indicateurs
pertinents pour bien décrire et comprendre les postures adoptées par les acteurs au
sein de l’organisation et leurs comportements avec les autres acteurs. Les auteurs
montrent que les acteurs sont stratégiques dans le domaine professionnel dans le sens
où ils tendent à saisir des opportunités pour améliorer leurs gains (augmenter leurs
marges d’autonomie) et minimiser ou limiter leurs pertes dans une situation donnée.
Les logiques du sujet
59 Dans sa théorie de l’expérience sociale, nous l'avons vu précédemment, Dubet (1994,
1995) identifie trois logiques d’action sociale : la logique de l’intégration, la logique
stratégique et celle de la subjectivation. Cette dernière peut être interprétée comme un
indicateur de la construction de l’identité personnelle du sujet. Cette logique de
subjectivation apparaît dans l’activité critique du sujet, laissée possible au sein d’une
société moderne qui n’est plus tenue par un système cohérent et intégrateur de valeurs
et de normes mais qui définit un sujet historique autorisant la critique sociale et par là
conduisant à son autonomie. Dubet défend un acteur qui n’est réductible ni à ses rôles
(logique de l’intégration) ni à ses intérêts (logique stratégique). Ce processus de
subjectivation est défini par le travail que produit ou qu’est contraint de produire
l’acteur pour se construire une identité propre en raison même de la pluralité des
mécanismes ou des logiques d’action qui se croisent dans l’expérience sociale. Comme
l’indique également Kaufmann (2004), le sujet doit composer avec ses ressources
internes et externes pour donner sens à sa vie, sens en tant que signification des
actions entreprises et sens en tant que direction ou orientation (se construire un
projet). Cela fait de chacun l’auteur de sa vie mais cette construction est relative et
limitée puisque les ressources sur lesquelles s’appuie l’acteur pour construire une
identité ne lui appartiennent pas complètement et son inégalement distribuées au sein
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
148
de la société. La logique de subjectivation est un indicateur de l’identité professionnelle
puisqu’elle permet de mettre en évidence le travail que réalise l’acteur pour devenir
sujet de son action et se composer une identité à partir des ressources culturelles et
sociales dont il dispose au sein de son environnement. Cette composition (ou
configuration) de ressources est singulière puisque chacune d’elles est différente d’un
acteur à l’autre. Cette logique de subjectivation part ainsi du présupposé que l’identité
des individus, dans nos sociétés modernes, ne repose plus sur quelques principes
centraux et communs comme l’étaient les membres des institutions des sociétés pré-
modernes. Elle s’oppose à la logique d’intériorisation normative qui caractérisait les
processus de socialisation des institutions comme l’école, l’église, l’armée, etc.
4.2.2 La dimension collective de l’identité professionnelle
La culture et les normes professionnelles
60 La dimension culturelle du travail est un facteur constitutif de l’identité
professionnelle. Denzau et North (1994) considèrent la culture comme « une
encapsulation des expérience des générations passées de n’importe quel groupe culturel
particulier et, comme tenu de la diversité des expériences humaines dans différentes
environnements, il existe une grande variété de modèles de comportement et de pensée »
(Denzau & North, 1994, p.15)
61 Pour North la culture « ne détermine pas seulement la manière dont une société fonctionne à
un moment donné, mais forme un « échafaudage » (scaffolding) qui impose aux acteurs,
contribuant ainsi au processus de changement dans le temps. Notre attention doit donc se
concentrer sur l’apprentissage humain, sur ce qui est appris et la manière dont l’acquis est
partagé par les membres d’une société, sur le processus incrémental par lequel les croyances et
les préférences changent et sur la manière dont elles déterminent les résultats de l’économie à
travers le temps » (North, 2005, p.15).
62 Sainsaulieu (1997) a par exemple montré, à partir d’enquêtes menées dans des
entreprises publiques et privées, la manifestation de processus identitaires très
différents en fonction des moyens dont disposent les individus pour obtenir la
reconnaissance d’autrui. Ceux dont les caractéristiques sont dites « fusionnelles » sont
les salariés qui disposent du pouvoir individuel limité d’infléchir sur leurs conditions de
travail. Ils vont compenser cette faiblesse par une lutte collective (forte solidarité entre
pairs et regroupement sous la bannière d’un leader). A l’opposé, des professionnels très
qualifiés et disposant de compétences variées et de responsabilité importante dans le
cadre de leurs fonctions ont les moyens d’affirmer leur différence, de négocier leurs
alliances et leurs reconnaissances sociales. Leur modèle identitaire est basé sur « la
négociation ». Sur un mode beaucoup plus individualiste se construit un modèle
identitaire qualifié « d’affinitaire ». Ici, pas de forte solidarité entre collègues comme
dans le premier modèle mais simplement quelques connivences affectives. Les salariés
qui s’inscrivent dans ce type de modèle sont intéressés par une mobilité externe à
l’entreprise pour pouvoir évoluer dans leur carrière professionnelle. Enfin, quelques
salariés forgent leur identité hors du travail. Ce modèle de « retrait » est en générale
davantage subi que désiré. Il est repéré particulièrement chez les travailleurs immigrés,
les jeunes ou les ouvriers spécialisés occupant des emplois non qualifiés. Malgré
l’ancienneté de ces travaux, ils mettent en évidence des processus d’identités
collectives qui se construisent dans des groupes professionnels qui se différencient en
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149
fonction de la place occupée dans la division du travail. Nous pouvons également citer
les travaux de Dubar (2000) qui s’est appuyé en partie sur ceux de Hugues (1955) pour
étudier la socialisation professionnelle. Ce dernier propose un modèle de la
socialisation professionnelle conçue à la fois comme une initiation, au sens
ethnologique, à la culture professionnelle et comme une conversion, au sens religieux,
de l’individu à une nouvelle conception de soi et du monde, bref à une nouvelle
identité. Dans le cadre du travail enseignant, Van Zanten (2001, pp.209-210) a étudié le
processus de socialisation professionnelle des enseignants. Elle le définit comme «
l’intériorisation problématique – comprenant des résistances, des adaptations, et des
recompositions identitaires – non seulement de techniques, mais aussi de valeurs, de
représentations et de modes de solidarité à l’exercice d’une expertise dans un cadre
organisationnel ». L’auteur montre que la socialisation professionnelle de l’enseignant se
réalise dans - et parfois contre- les normes professionnelles véhiculées au sein du
contexte d’exercice du métier : par exemple, les normes construites au sein des
établissements scolaires.
63 Bourdoncle (1998) insiste également sur les dimensions culturelles et sociales de
l’identité professionnelle lorsqu’il identifie les trois modes de régulation des activités
professionnelles : la corporation (et sa forme moderne, la profession), le marché et
l’état. Dans le premier mode de régulation (la corporation ou la profession), les
processus participant à protéger le groupe professionnel de son environnement sont la
morale professionnelle que les praticiens acquièrent durant leur formation, un code
déontologique prescrivant ce que le praticien doit faire et enfin une instance
représentant la profession, chargé de respecter la déontologie et de sanctionner ses
manquements. Le deuxième mode de régulation (le marché) s’effectue dans la
rencontre entre l’offre et la demande. « Chacun peut y affirmer ses valeurs et la conduire
selon les principes qui en découlent. Mais les seules obligations qui s’imposent dans cet échange
sont celles que fixent le code civil et commercial ou celles que l’on a établies par contrat »
(Bourdoncle, 1998, p.28). Bien entendu, toutes les professions ne sont pas régulées par
le groupe professionnel. Enfin, le mode de régulation des activités qui s’effectue par
l’état est caractérisé par une réglementation importante et une autorité hiérarchique.
« Cela n’élimine pas l’influence du groupe ou du syndicat, qui peut même inspirer des codes
(code Soleil). L’autonomie professionnelle ne disparaît pas non plus, car les textes ne fixent pas
tout, loin de là. Mais cela pousse quand même plus à la conformité et au respect des textes et des
autorités établies qu’à la responsabilité individuelle ou de groupe. Dans ces textes s’affirment les
valeurs générales (égalité, justice, citoyenneté…) qui gouvernent la puissance publique » (id.).
Les statuts, les fonctions, les rôles
64 Les concepts de statuts, de fonctions et de rôles sont pertinents pour définir l’identité
collective des professionnels. Ils participent, comme l’indique Dubar (2000), à
construire une reconnaissance professionnelle pour autrui. L’approche fonctionnaliste
de la sociologie des organisations et des professions a grandement contribué à
conceptualiser la profession à travers son utilité sociale et sa structuration interne
(Parsons, 1966 ; Merton, 1957). L’école structuro-fonctionnaliste part du présupposé
qu’une organisation professionnelle est un système qui a des besoins et que ses
membres ajustent leurs comportements en conséquence. On est dans un système de
rôles, de fonctions, d’ajustement et d’intégration. La question des fonctionnalistes est
celle de la survie de l’organisation malgré les changements qu’elle doit subir et en
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150
particulier ceux des personnes. Merton analyse la notion de fonctions et de leur
nécessité pour comprendre la vie d’une organisation. Il définit les concepts de
« fonction manifeste », de « fonction latente » et de « dysfonctions ». Son analyse porte
ainsi sur la structure de l’organisation et non sur les comportements de ses membres
ou du sens qu’ils donnent à leur action. Parsons (1967), insiste moins sur les fonctions
mais sur le fait que toute organisation impose des normes et, en relation avec les
valeurs, est créatrice de ces normes. Selon l’auteur, un système social, quel que soit sa
taille, est défini par des valeurs. La connaissance de ces valeurs permet aux individus,
ou aux groupes, d’élaborer un comportement en relation avec les attentes des autres.
Le processus de socialisation professionnelle permettant de construire « une identité
pour autrui » s’actualiserait en partie à travers la définition des buts de l’organisation,
de ses fonctions et des rôles attendus au regard de ses fonctions.
65 Linton (1967, pp.70-71) définit le statut comme « la place qu’un individu donné occupe
dans un système à un moment donné ». Le terme de rôle quant à lui désigne
« l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné ». Le rôle englobe par
conséquent les attitudes, les valeurs et les comportements que l’organisation et plus
largement la société assigne à une personne et à toutes les personnes qui occupent ce
statut.
Les Segments professionnels
66 La sociologie des professions telle qu’elle est mobilisée par le courant interactionniste
issu de l’école de Chicago (Hugues, 1996 ; Strauss, 1992) appréhende différemment la
séparation fonctionnaliste profession-occupation. Elle définit le groupe professionnel
comme une entité composite, constituée de « segments », de réalités professionnelles
diverses, en négociation permanente. Strauss définit le segment de la manière
suivante : « Les identités, ainsi que les valeurs et les intérêts, sont multiples, et ne se réduisent
pas à être une simple différenciation ou variation. Ils tendent à être structurés et partagés ; des
coalitions se développent et prospèrent – en s’opposant à d’autres. Nous utiliserons le terme
« segment » pour désigner ces groupements qui émergent à l’intérieur d’une profession
»(Strauss, 1992, p.68). Les segments professionnels ne sont pas des entités stables du
corps professionnel. Ils évoluent en fonction des stratégies identitaires véhiculées,
parfois génératrices de conflits et d’oppositions. Les segments se distinguent entre eux
non pas par des définitions officielles pré-établies (classification des métiers) mais par
« une construction commune de situations » et des « croyances partagées sur le
« subjectif de l’activité professionnelle » (Dubar & Tripier, 1998, p.106). Ainsi, pour
reprendre les propos de Strauss (1992), un segment professionnel se caractérise par le
partage des mêmes « mondes sociaux » qui se sont construits au cours du processus de
socialisation.
Le genre professionnel
67 Entre l’organisation formelle du travail et l’activité personnelle de chaque
professionnel, il existe une histoire collective des gestes techniques et des ressources
discursives, des manières de dire et de faire qui sont cristallisées dans un milieu
professionnel particulier. En psychologie du travail, on parle de « genre professionnel »
(Clot & Faïta, 2000). Ce dernier permet de comprendre comment le collectif de travail
peut constituer une ressource pour l’acteur dans la construction de ses savoirs relatifs à
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
151
la réalisation des tâches professionnelles et à la socialisation professionnelle (savoir se
positionner dans le métier). Le genre professionnel est caractérisé par « les façons de
faire avec les autres, de sentir et de dire, les gestes possibles et impossibles dirigés à la fois vers
les autres et sur l’objet [….]. Les actions auxquelles nous invitent un milieu et celles qu’il nous
désigne comme incongrues ou déplacées ; système social des activités reconnues ou interdites
dans un milieu donné. ». Ainsi, le genre professionnel, fruit de l’historicité du métier,
participe à réguler les gestes des professionnels en les aidant à se positionner vis-à-vis
de leur objet de travail mais également vis-à-vis de leurs collègues et des acteurs
appartenant à d’autres domaines professionnels. On peut donc présupposé que le genre
professionnel est une source du développement professionnel. Il permet aux
professionnels novices d’entrer dans le métier en se conformant, dans un premier
temps, aux codes et normes du métier. Les prescriptions sont dans ce cas de véritables
ressources pour intégrer le milieu. Pour reprendre les propos de Clot (1999), le métier
est composé d’une dimension « transpersonnelle » c’est-à-dire qu’il est inscrit dans une
histoire collective qui n’appartient à personne mais constitue la mémoire du milieu
professionnel. C’est le genre professionnel tel que le nomment les cliniciens de
l’activité. Le genre professionnel, qui rend compte de l’incorporation des manières de
penser et d’agir partagées au sein d’un collectif de travail, est un instrument pour agir
et pour se positionner en tant que professionnel.
5. La méthodologie
68 L’étude du développement professionnel prend en compte trois éléments
interdépendants : le sujet avec ses ressources cognitives et affectives potentielles et
mobilisées en situation, les contextes dans lesquels le sujet a construit et mobilisé ses
ressources puis les modalités d’action qui ont été réalisées par le sujet.
L’interdépendance entre ces trois éléments peut être étudiée de manière indirecte à
travers l’articulation de deux types de lecture : une lecture intrinsèque qui privilégie
les perceptions du sujet, ses logiques d’action, ses raisons d’agir ou, pour reprendre
Schütz (1987), ses motifs d’action et une lecture « extrinsèque » qui rend compte des
logiques propres aux contextes (social, culturel, historique, relationnel, cognitif, etc.) et
à l’action. D’un point de vue méthodologique, cela se traduit par la production de deux
grandes catégories d’éléments empiriques : les données déclarées par les acteurs puis
celles observées. Celles-ci peuvent être appréhendées à partir d’une approche
quantitative et/ou une approche qualitative.
5.1. Les Approches quantitative et qualitative
69 Pour étudier le développement professionnel, il est possible de mobiliser les deux
approches traditionnelles des sciences sociales : l’approche quantitative et qualitative.
L’approche quantitative s’appuie sur des données se prêtant à la quantification. Elle est
basée sur une instrumentation de type « standardisé » qui permet de réaliser des
traitements statistiques sur les données collectées. L’interprétation s’effectue à partir
des hypothèses et des modèles théoriques donnant un sens aux relations statistiques
construites. A l’inverse, la démarche qualitative tente d’interpréter les comportements
des acteurs à partir de leur signification individuelle et collective plutôt qu’à partir de
facteurs causaux, construits a priori, qui leur sont extérieurs (Jodelet, 2003). La
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152
compréhension des faits sociaux passe ainsi par l’examen des activités humaines et
surtout des motifs qui les sous-tendent. Aujourd’hui, un large consensus s’établit sur
l’idée d’une articulation et d’une complémentarité entre les deux approches (Grawitz,
1990). Crahay (1994, p.262) réfute l’idée selon laquelle certains phénomènes seraient
par nature quantitatifs ou bien qualitatifs. Il propose d’articuler les deux approches de
la manière suivante : « dans un premier temps, on procède à un traitement quantitatif des
conduites observées en les catégorisant et en les comptabilisant. Dans un second temps, on
prélève un échantillon de ces conduites pour les présenter aux acteurs eux-mêmes et les
interroger sur leurs intentions et la signification qu’ils donnent à cet éventail d’épisodes
interactif. Dans ce cas, la procédure qualitative a pour fonction de valider le traitement
quantitatif préalable ». L’auteur utilise ici l’approche qualitative pour compléter l’analyse
préalablement effectuée par l’approche quantitative. A l’inverse, elle peut être
mobilisée dans le cadre d’une recherche exploratoire permettant de mettre à jour des
hypothèses qui seront ensuite mises à l’épreuve des faits par une démarche
quantitative (Van Der Maren, 1996). Il nous semble que l’étude du développement
professionnel profiterait de la complémentarité de ces deux approches pour
appréhender la dimension « subjective » des professionnels (approche qualitative
privilégiée) puis la dimension « objective » qui structure leur contexte d’action
(approche quantitative privilégiée).
5.2. Les techniques de recueil des données
5.2.1 Les déclarations sur les pratiques
70 Certaines études privilégient les discours comme matériaux empiriques dans le but de
mieux connaître le fonctionnement et l’évolution des pratiques professionnelles puis
d’inférer les ressources cognitives et affectives mobilisées par l’acteur pour les mettre
en œuvre. Pour accéder aux déclarations des acteurs sur leurs pratiques
professionnelles, trois types d’instruments sont utilisés pour collecter les données :
l’entrevue, les écrits de pratique puis le questionnaire. Ces instruments ne sont pas
construits indépendamment des cadres théoriques. Ils s’appuient tous sur une théorie
du développement professionnel qui sert de base à la détermination des dimensions à
interroger ou des listes d’items à produire.
L’entrevue
71 L’entrevue sous ses diverses formes est un instrument traditionnel d’approche du
discours des acteurs. Elle vise à obtenir des informations sur les perceptions, les états
affectifs, les jugements, les opinions, les raisons d’agir des individus à partir de leur
cadre personnel de référence et par rapport à des situations particulières. Parmi les
différentes techniques générales d’interview, nous pouvons citer les plus utilisées :
l’entrevue structurée ou directive, l’entrevue semi-structurée ou semi-directive puis
l’entrevue libre ou non directive. Une autre modalité particulière de l’entrevue est le
« focus group » (Marcova, 2003). Le « Focus group » est une méthode de recherche
fondée sur des discussions collectives libres qui a pour fonction d’explorer une question
particulière ou un ensemble de questions.
72 Parmi les méthodes de recherche sur l’action des professionnels, nous présenterons
trois modalités d’entrevue : l’entretien d’explicitation, les instructions au sosie puis
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153
l’auto-confrontation croisée. L’entretien d’explicitation (Vermersh, 1990) invite le sujet
à parler de ses pratiques, à verbaliser ce qu’il sait de sa démarche d’action, de sa
méthode, des savoirs et stratégies qu’il met en œuvre. L’explicitation est une démarche
de prise de conscience par le sujet de ses compétences tacites et inscrites dans l’action.
Elle est accompagnée par un questionnement descriptif qui aide l’individu à décrire et à
objectiver ses pratiques sous la forme de connaissances. Les instructions au sosie
constituent une méthodologie particulière qui est présentée dans l’ouvrage d’Yves Clot
(1999). Dans le cadre d’un groupe de travail, un sujet volontaire (l’instructeur) reçoit la
consigne suivante : « suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de
devoir te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre
afin que personne ne s’avise de la substitution ? » Le groupe réagit ensuite en poursuivant le
travail du sosie, en sollicitant les commentaires du sujet instructeur sur des éléments
qui demeurent encore implicites. Il s’agit de s’intéresser au détail du travail en se
focalisant sur le « comment » plutôt que le « pourquoi ». L’objectif est de conduire le
sujet à dialoguer avec lui-même par l’entremise des questions que lui pose le sosie.
Enfin, l’auto-confrontation croisée (Clot & Faïta, 2000) est une démarche propre à la
clinique de l’activité. Elle réunit deux sujets et le chercheur. Est présenté à chacun des
sujets l’enregistrement audiovisuel de son activité professionnelle. Le sujet, dont on
regarde l’activité, est confronté aux commentaires de son collègue. Des controverses
professionnelles peuvent alors s’engager, portant sur les styles des actions de chacun
d’entre eux. La méthode de l’auto-confrontation croisée permet au sujet de situer son
« style » en référence à un « genre » auquel il souscrit (Clot & Soubiran, 1998).
Les écrits sur la pratique
73 La production de texte sur les pratiques professionnelles est une méthodologie qui
permet de traiter des éléments du développement professionnel en mettant en
évidence des indicateurs sémiotiques et cognitifs de construction de savoirs
professionnels (Vanhulle, 2005, 2008). Au sein de ce présent ouvrage, l’étude de
Vanhulle s’attache à repérer des indicateurs du développement professionnel dans les
discours réflexifs des étudiants produits durant l’élaboration de leurs portfolios
d’apprentissage. La mise en discours individuelle et collective focalisée sur l’agir
professionnel implique, dans l’écriture, des processus réflexifs volontaires et
conscientisés. Cette méthodologie permet au sujet d’expliciter ses modèles d’action, la
pertinence de ses intentions et de ses stratégies. Elle présuppose que c’est dans la mise
en discours que des savoirs professionnels se construisent, articulant des savoirs de
référence, disciplinaires, et des savoirs-pratiques émanant de l’expérience singulière.
Le questionnaire
74 Avec l’entretien, le questionnaire est l’instrument le plus classique d’accès aux
pratiques professionnelles déclarées par les acteurs. Nous ne détaillerons pas ici sa
présentation. Mucchielli (1979, 84) définit le questionnaire comme « une suite de
propositions, ayant une certaine forme et un certain ordre, sur lesquelles on sollicite
l’avis, le jugement ou l’évaluation d’un sujet interrogé ». Le développement
professionnel peut être analysé par le questionnaire en mettant en évidence les savoirs
professionnels mobilisés dans certaines tâches particulières puis les éléments du
contexte de l’action qui influence la construction et la mobilisation de ces savoirs.
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154
L’administration d’un questionnaire suppose au préalable une bonne connaissance du
contexte professionnel étudié.
5.2.2 L’observation des pratiques
75 Par l’observation, le chercheur accède aux pratiques professionnelles de manière plus
« directe » que par la seule médiation du commentaire ou de la déclaration. Dans cette
partie, nous distinguerons deux modalités d’observation, celles qui se centrent sur les
comportements des acteurs puis celles qui se centrent plus généralement sur la
situation de l’activité.
Les observations centrées sur les comportements
76 L’observation s’appuie ici sur une instrumentation construite a priori. La grille est un
outil traditionnel utilisé dans le cadre de l’observation des comportements des acteurs
en situation d’activité. Elle se focalise sur un nombre limité de variables dont elle
quantifie les modalités de leurs occurrences. Nous pouvons citer les grilles
d’observation des interactions mises en œuvre par les acteurs en situation. Dans le
cadre du travail enseignant, Postic (1977) mais également Crahey (1989) et Altet (1994)
ont proposé des outils permettant d’étudier les interactions maître-élève(s) en classe.
Postic a par exemple construit une grille qui permet de repérer à partir de catégories a
priori les comportementaux verbaux du professeur. La prise de l’information par
l’observateur se fait selon une fréquence précise (toutes les 3 secondes) qui permet de
calculer les pourcentages des variables de comportement observées. Toujours dans le
domaine du travail enseignant, nous pouvons citer les travaux de Bru (1991) qui
permettent de repérer les configurations de modalités d’action mises en œuvre par les
enseignants puis d’étudier la variété de ces configurations, aussi bien la variété intra-
individuelle (le même enseignant à différents moments) que la variété interindividuelle
(les enseignants comparés entre eux). Un dispositif baptisé OGP (Observation de la
Gestion Pédagogique) a été construit pour explorer des pratiques d’enseignement de
niveau CE2 (Altet, Bressoux, Bru & Lambert-Leconte, 1994). Il se centre sur des
observations s’inscrivant sur la demi-journée d’enseignement (mesure des durées des
périodes d’enseignement, modalités de regroupement des élèves, matériel pédagogique
utilisé, etc.) puis sur des « zooms » relatifs à des moments de la journée observés de
manière plus précise (implication des élèves dans la tâche, interactions enseignant/
élèves et élèves/élèves).
Les observations centrées sur la situation d’activité
77 Les travaux présentés ici considèrent que l’activité et la situation sont indissociables
l’une de l’autre. Dans cette catégorie, peuvent être cités les travaux de la didactique
professionnelle (Pastré, 2002, 2005). Ils ont pour objectifs de mettre à jour les invariants
opératoires sur lesquels s’appuie les individus pour agir. La méthode repose sur une
observation armée par des grilles d’analyse dans le but de repérer les invariants de
l’activité. L’activité est généralement filmée. A partir des liens entre ces invariants, le
chercheur construit la structure conceptuelle qui organise la pratique professionnelle.
Cette conceptualisation rend compte des schèmes organisateurs de l’action.
78 Le travail ethnographique peut également être intégré dans cette catégorie de méthode
d’observation (Geertz, 1983). Les données recueillies par l’observation participante,
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155
complétée parfois par des entretiens plus ou moins structurés, permettent une
immersion totale du chercheur au sein de la situation de l’activité (Jodelet, 2003). Cette
méthode qui s’appuie au début sur une « analyse spontanée » a pour fonction ensuite
d’organiser les informations collectées de manière systématique au moyen de
classification et de catégorisation. L’objectif est de donner au matériau une
organisation qui va permettre la production d’une intelligibilité de la situation
d’activité au moyen de concepts et de théories. La démarche ethnographique
correspond au mode d’enquête de terrain privilégié dans les démarches qualitatives.
L’observation participante demande de la part de l’observateur un « effort
d’objectivation maximal » pour maîtriser les effets de sa position d’observateur sur les
données de terrain puis les effets d’imposition d’une vision qui est propre à
l’observation (idéologie, normes morales, opinions, etc.).
Conclusion
79 Cette note de synthèse n’avait pas pour fonction d’instruire théoriquement une
thématique mais de proposer un outil, une instrumentation intellectuelle, pour
structurer l’objet du développement professionnel. Cet objet, comme nous avons pu le voir
dans les contributions précédentes, est dense et se caractérise parfois par des
ambiguïtés et des glissements de la terminologie utilisée. C’est la raison pour laquelle
les cinq questionnements, qui ont formé les axes de cette synthèse (les perspectives de
recherche, les finalités de recherche, les théories de référence, les indicateurs puis la
méthodologie), se sont imposés comme des repères pertinents pour analyser le
développement professionnel tant dans une optique de production de connaissance que
dans une optique de formation.
80 Nous terminerons cette contribution en résumant sous la forme d’une grille d’analyse
les cinq niveaux de questionnement présentés. Chacune des questions est caractérisée
par des variables et des modalités de réponses. Cette grille n’est pas figée et exhaustive.
Elle nécessite d’être discutée, modifiée et affinée.
Grille d’analyse du développement professionnel
Question n° 1 : Les perspectives de recherche
Question n° 2 : Les finalités de recherche
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Question n° 3 : Les théories de référence
Question n° 4 : Les indicateurs
Question n° 5 : La méthodologie
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AUTEURS
GWÉNAËL LEFEUVRE
GPE-CREFI-T et Toulouse EducAgro – Université de Toulouse Le Mirail, ENFA
AUDREY GARCIA
GPE-CREFI-T et Toulouse EducAgro – Université de Toulouse Le Mirail, ENFA
LUDMILA NAMOLOVAN
GPE-CREFI-T et Toulouse EducAgro – Université de Toulouse Le Mirail, ENFA
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
164
Wittorski, R., Professionnalisation etdéveloppement professionnelParis : L’Harmattan, 2007
Sylvie Fernandes
RÉFÉRENCE
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris :
L’Harmattan.
NOTE DE L’ÉDITEUR
Richard Wittorski est maître de conférences, habilité à diriger des recherches à l’IUFM
de l’académie de Rouen et chercheur au laboratoire CIVIIC (Centre de recherche
Interdisciplinaire sur les Valeurs, les Idées, les Identités et les Compétences) de
l’université de Rouen. Il s’intéresse particulièrement à la diversité des voies de
professionnalisation des individus, des activités et des organisations. Dans cette
perspective, l’accent est mis sur les dynamiques de transformation individuelle et
collective des personnes dans l’action.
1 Cet ouvrage de Richard Wittorski explore la question de la professionnalisation des
individus à partir des sphères du travail et de la formation. La première partie est
consacrée à la présentation des enjeux sociaux et théoriques qui entourent la
problématique de la professionnalisation dans des champs professionnels différents,
tant dans les milieux industriels que dans les milieux de l’éducation et de la formation.
Pour l’auteur, la professionnalisation relève avant tout d’une « intention sociale » et, de
ce fait, cette notion se situe au carrefour d’un débat faisant prévaloir, du côté
« organisation », la logique des compétences (enjeux dominant de mobilisation des
ressources humaines), et, du côté « acteurs », la logique de qualification (une quête de
professionnalité ou d’identité). Pour cerner la notion de professionnalisation, l’auteur
Questions Vives, Vol.5 n°11 | 2009
166
fait d’abord l’inventaire d’un certain nombre de recherches permettant de mieux
comprendre les transformations des personnes dans l’action. Il présente deux types de
travaux : ceux des courants ayant théorisé la notion d’action (Clot, Quéré…) et ceux
centrés sur l’apprentissage des personnes dans l’action (Vergnaud, Vygotski…). Ensuite,
il apporte un éclaircissement des différents concepts caractérisant les effets de l’action
(reconnus comme participant du développement professionnel des individus) et
gravitant autour de la professionnalisation, à savoir les notions de compétence, de
savoir et d’identité. Pour terminer cette partie, il aborde la piste des études
sociologiques sur les professions et la professionnalisation. Tantôt la
professionnalisation est abordée d’un point de vue sociologique comme constitution de
nouvelles professions, tantôt elle est comprise dans une perspective psychologique
comme socialisation des individus par leur activité de travail, c’est-à-dire une
socialisation susceptible d’assurer un développement personnel et professionnel.
2 La seconde partie fait le point sur les principaux résultats des travaux menés par
l’auteurdans l’étude à la fois des modalités de professionnalisation à l’œuvre dans les
dispositifs proposés aux individus et des processus de développement professionnel des
sujets dans les situations de travail-formation. Au préalable, il propose une définition
de la professionnalisation revêtant trois sens différents : « la professionnalisation des
activités », au sens de l’organisation sociale d’un ensemble d’activités ; « la
professionnalisation des acteurs », au sens à la fois de la transmission/production de
savoirs et de compétences nécessaires pour exercer la profession, et de la construction
d’une identité de professionnel ; « la professionnalisation des organisations », au sens de la
formalisation d’un système d’expertise dans et par l’organisation. Après avoir défini la
professionnalisation, Wittorskiprésente un outil d’analyse de l’offre de
professionnalisation et des dynamiques de développement professionnel des sujets. Cet
outil lui permet d’étudier l’évolution des formes d’organisation du travail qui conduit
les sujets à transformer un certain nombre d’activités professionnelles, et donc les
amène à construire de nouvelles compétences et/ou de nouveaux savoirs. Il distingue
six voies de professionnalisation. La première correspond au modèle de la formation
« sur le tas » : les situations professionnelles nouvelles exigent de l’individu la
production par tâtonnement et essais-erreurs de compétences nouvelles dans l’action :
il s’agit d’une « logique de l’action ». La deuxième renvoie à la formation alternée entre la
transmission de savoirs théoriques en classe et la production de compétences en stage :
il s’agit d’une « logique de la réflexion et de l’action ». La troisième consiste à formaliser les
compétences implicites produites dans l’action et ainsi à les transformer en savoirs
d’action. Les compétences sont mises en mots et transformées en savoirs
communicables validés par le groupe, ils deviennent ainsi transmissibles à d’autres : il
s’agit d’une « logique de réflexion sur l’action ». La quatrième est appelée « logique de
réflexion pour l’action ». Il s’agit de situations dans lesquelles les professionnels eux-
mêmes au sein de « groupes progrès » ou de « groupes de résolution de problèmes »
vont définir par anticipation de nouvelles pratiques, au regard de critères d’efficacité,
qu’ils mettront en œuvre ensuite de retour au travail. La cinquième correspond aux
situations de travail où un tiers (tuteur, conseiller) assure une fonction de transmission
de savoirs, de co-construction de pratiques nouvelles et de modification des façons de
voir la situation. Il s’agit d’une « logique de traduction culturelle par rapport à l’action ».
Dans la sixième voie de professionnalisation, les savoirs théoriques acquis en formation
sont intégrés en connaissance par les individus et ils alimentent des capacités qui
prendront la forme de compétences différentes selon les situations rencontrées. La
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formation transmet des savoirs que les individus vont réinvestir quand ils seront en
situation de travail. Il s’agit d’une « logique de l’intégration/assimilation ».
3 Richard Wittorski conclut l’ouvrage sur la portée pratique de l’outil d’analyse des voies
de professionnalisation dans le champ de la formation et du travail. Il termine en
proposant quelques pistes de recherche : d’une part, construire des outils d’analyse
prenant en compte l’historicité des phénomènes, soit la dynamique temporelle des
voies de développement professionnel (tels que le cours d’action de Theureau, les
histoires de vie…) et d’autre part, confronter la grille d’analyse des voies de
professionnalisation à des situations non encore investiguées comme les situations hors
du travail et de la formation.
AUTEURS
SYLVIE FERNANDES
Sciences de l’éducation – Université Toulouse II Le Mirail
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Piot, T., Marcel J.-F. & Tardif, M.(Eds.), Le travail partagé desenseignantsLes Sciences de l’Éducation Pour l’Ère Nouvelle, 42 (2), 2009
Julie Blanc
RÉFÉRENCE
Piot, T., Marcel J.-F. & Tardif, M. (Eds.) (2009). Le travail partagé des enseignants. Les
Sciences de l’Éducation Pour l’Ère Nouvelle, 42(2).
1 Ce numéro thématique sur le travail partagé vient ponctuer une série d'ouvrages
témoignant de la nécessité de mettre au jour une face souvent méconnue et peu
explorée dans le champ de la recherche en éducation, à savoir le travail partagé des
enseignants. Il pose à nouveau que les pratiques professionnelles de l'enseignant ne
sont plus circonscrites à la relation pédagogique avec les élèves en classe, à l’image de
l’enseignant « solitaire », mais comprennent également les activités réalisées avec
d'autres acteurs (enseignants, partenaires extérieurs, acteurs de l'établissement...). Le
travail partagé étant fortement lié au contexte socio-historique de l’établissement, il
n’est pas forcément dépendant des prescriptions institutionnelles et repose sur
l’engagement individuel des enseignants concernés. L’introduction du numéro est
d’ailleurs consacrée à une définition relativement complète du travail partagé qui
constitue l'épine dorsale de l’ensemble des contributions présentées. Cette définition
souligne en outre, les liens d’interdépendance des pratiques enseignantes de travail
partagé et des pratiques d’enseignement.
2 René Amigues, après avoir rappelé la pertinence de la mobilisation des sciences du
travail pour étudier l'activité enseignante, pose que travailler est une activité
forcément partagée dans le temps et dans l’espace, d’une part ; avec les autres, d’autre
part. Il investigue le champ de la prescription éducative qu’il considère comme un
artefact culturel dans la mesure où elle est consubstantielle de l’activité. Ses travaux
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indiquent que la prescription, loin de constituer un « prêt à agir » pour l’enseignant,
provoque une activité de re-conception, de transformation médiée par un
« questionnement professionnel » au sein du collectif de travail. Pour lui, l’écart entre
le prescrit et le réalisé, mis au jour par la clinique de l’activité, incarne l’espace dans
lequel les enseignants construisent de façon collective des outils, des dispositifs
nouveaux ; en somme, conçoivent les moyens à mettre en œuvre pour réaliser la
prescription. Celle-ci constitue donc un organisateur du travail partagé des enseignants
qui s’actualiserait variablement selon les établissements et qui entraînerait de facto
une source de développement et d’apprentissage dépendante des milieux de travail.
3 S’appuyant sur une enquête empirique menée avec des enseignants de CE2 autour du
dispositif des évaluations nationales, J.-F. Marcel et A. Garcia montrent l’existence
d’interrelations entre les pratiques d’enseignement et les activités professionnelles
collaboratives. La recherche révèle des différences significatives dans les pratiques
d’enseignement en fonction des modalités d’organisation du travail partagé mises en
œuvre par les collectifs d’enseignants dans les écoles. Un lien est donc dégagé entre la
dynamique à l’œuvre dans l’école dans la mise en place d’activités collaboratives et la
dynamique pédagogique que les enseignants insufflent dans leur classe avec leurs
élèves. Les théories de l’apprentissage social (Bandura, 1976 ; Perret-Clermont, 1996 ;
Doise et Mugny, 1997) interviennent alors comme un cadre explicatif de ces
interrelations ; particulièrement l’apprentissage par imitation active et l’apprentissage
par conflit sociocognitif. Les éléments empiriques qui ont servi d’illustration au cadre
explicatif ont aussi permis d’affiner la définition du travail partagé en élargissant la
notion de partage à différentes formes de médiation telles que l’emprunt de supports
pédagogiques.
4 L’acception de travail partagé est cependant relativement large, en témoignent les
travaux de C. Mérini et P. Ponte dont la problématique porte davantage sur le travail
conjoint. Si le travail partagé relève des échanges et des activités collaboratives hors de
l’espace de la classe dans les travaux cités précédemment ; ici, il s’agit de pratiques
d’enseignement conjointement menées en classe par l’enseignant et un maître
surnuméraire. À partir d’une enquête sociologique, l’objectif a été d’identifier les règles
d’action communes, leur émergence, les stratégies développées par les acteurs et ainsi
d’appréhender les continuités et discontinuités de sens dans les actions. Les
chercheures mettent en évidence que le travail conjoint aboutit à une mise en réseau
des pratiques, lesquelles induisent des compétences professionnelles spécifiques.
5 Dans l’article suivant, T. Piot évoque un autre exemple de travail partagé en présence
d’élèves : la co-intervention de deux enseignants face à une même classe dans le
contexte des itinéraires de découvertes développés au collège. Mobilisant la notion
d’image opérative (Ochanine, 1978), sa recherche permet d’inférer des processus
d’ajustement en tension pour coordonner le travail conjoint des enseignants. L’un
résulte d’une coordination anticipatrice au travers de la production d’une image
opérative de référence partagée, celle-ci servirait de base d’orientation commune à
l’activité conjointe des deux enseignants. L’autre processus relève d’une coordination
(régulation) qui se déroule en cours d’action, conséquence d’ajustements interactifs et
réciproques de l’image effectrice partagée ; celle-ci viserait à rendre la co-intervention
fluide, cohérente et synchronisée facilitant le travail et la compréhension des élèves
des objectifs visés.
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6 M. Tardif et C. Borges concluent ce recueil de travaux en proposant une synthèse des
différentes facettes du travail partagé. Ils inscrivent les activités collaboratives au
centre d’une nouvelle professionnalisation et d’un processus mouvant, occupant de
plus en plus de place dans les pratiques enseignantes, du fait de multiples facteurs :
réformes, évolution des établissements et des publics, essor de nouveaux personnels
scolaires et transformations du métier enseignant (des missions, des savoirs…).
L’intérêt de l’article repose sur une nouvelle mise en perspective, à savoir l’ambiguïté
du terme « partage » qui signifie non seulement « mise en commun » mais aussi
« division », « séparation ». Leurs travaux mettent d’ailleurs en exergue une tendance
historique à la division du travail induite notamment par la multiplication des agents
scolaires. Ceci les conduit donc à étudier, outre les conditions du « faire ensemble », les
résistances objectives au travail partagé.
AUTEURS
JULIE BLANC
Toulouse EducAgro – ENFA, Université de Toulouse
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Rubinstein S. L., Osnovy obshcheipsikhologii (Les fondements de lapsychologie générale).Professionnalisation et développementprofessionnelSaint Petersbourg : Piter, 2000
Ludmila Namolovan-Stephan
RÉFÉRENCE
Rubinstein S. L. (2000). Osnovy obshchei psikhologii (Les fondements de la psychologie
générale). Professionnalisation et développement professionnel. Saint Petersbourg : Piter.
NOTE DE L’ÉDITEUR
Né le 18 juin 1889 à Odessa, Sergueï Leonidovitch Rubinstein est l’un des principaux
philosophes et psychologues soviétiques du XX° siècle. Rubinstein a développé une
conception originale de l’activité humaine et de son psychisme en révisant les thèmes
centraux de la psychologie (notamment les concepts d’être, d’homme, de sujet et
d’objet, de personnalité). Il a ainsi proposé un nouveau regard sur l’organisation et le
développement de l’activité.
1 L’ouvrage classique en langue russe « Les fondements de la psychologie générale » de S.L.
Rubinstein appartient aux œuvres les plus reconnues de la psychologie russe. L’étendue
des généralisations théoriques, l’envergure encyclopédique du matériel historique et
expérimental, la clarté des principes méthodologiques exposés ont fait de cet ouvrage
une référence pour plusieurs générations de psychologues, pédagogues et philosophes.
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2 Cet ouvrage présente trois intérêts majeurs :
D’abord, il intègre les principes méthodologiques fondamentaux de la nouvelle psychologie,
et participe ainsi à rénover les méthodes de cette science.
Ensuite, l’ouvrage prend en compte les réalisations de la psychologie mondiale ainsi que le
considérable développement de la science soviétique, notamment celle des plus grands
psychologues soviétiques comme B. M. Teplov, A. N. Leontiev, et d’autres, travaillant sur les
questions centrales en psychologie, parmi lesquelles celle de l’activité.
Enfin, l’ouvrage propose aussi une généralisation des recherches expérimentales conduites
sur le principe d’unité entre la conscience et l’activité.
3 Dans le préambule de la première édition du cet ouvrage (1940), Rubinstein écrivait : «
Trois problèmes me paraissent particulièrement actuels en ce moment pour la psychologie :
le développement du psychisme et en particulier, le franchissement du point de vue fataliste
sur le développement de la personnalité et de la conscience, le problème du développement
et de l’enseignement ;
l’efficacité et la conscience : le franchissement de la conscience de contemplation passive
dominante dans la psychologie traditionnelle ;
le franchissement du fonctionnalisme abstrait et le passage à l’étude du psychisme, de la
conscience dans l’activité concrète, dans laquelle non seulement elles se manifestent, mais
aussi se forment ».
4 Pour Rubinstein, le mode de base de l’existence psychique est l’existence en tant que
temps, processus et activité. Cette idée représente le fil rouge de ce volumineux
ouvrage de 712 pages. Dans cette fiche de lecture, nous ne procéderons pas à une
analyse exhaustive de l’ouvrage mais seulement des chapitres portant sur les questions
de l’activité et du développement.
5 Dans le chapitre 1 « L’objet et les tâches de la psychologie comme science », Rubinstein
affirme que « chaque activité est en même temps un processus ou inclut des processus,
mais chaque processus ne représente pas une activité humaine. » (p. 23). Cet auteur
définit l’activité, comme un processus ou un ensemble de processus par lesquels se
réalisent telle ou telle attitude de l’individu vis-à-vis de son environnement, d’autres
individus, de tâches que lui impose la vie. Il distingue l’activité pratique et théorique.
Selon Rubinstein, l’activité pratique se réalise comme une activité matérielle et
l’activité théorique (l’activité du chercheur, du peintre, du musicien, etc.) comme une
activité idéale notamment par le caractère du son produit final (la création). L’activité
pratique est matérielle car l’objectif principal vers lequel elle est orientée consiste dans
la production des biens matériels. L’activité théorique est « idéale » car le produit créé
est « idéal » (la science, l’art).
6 Cependant, si la finalité de l’activité pratique est matérielle et si la finalité de l’activité
théorique est idéale, ces finalités distinctes ne déterminent pas le contenu des activités
pratique et théorique. En effet, il n’y a pas d’activité théorique ne contenant pas d’actes
matériels : le mouvement de la main écrivant un texte scientifique ou un opéra
artistique. Ainsi, l’activité d’un sculpteur ne contient pas moins de travail physique que
l’activité d’un ouvrier sur un chantier, et ce même si en produisant une œuvre d’art,
l’artiste ou le scientifique réalise une activité idéale. Réciproquement, il n’y a pas
d’activité pratique produisant des biens matériels qui n’intègre pas de processus
psychiques. C’est pourquoi Rubinstein considère que l’activité pratique doit entrer dans
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la sphère de la recherche psychologique. Ainsi, cet auteur affirme : « La psychologie qui
refuserait d’étudier l’activité des individus perdrait son importance vitale de base » (p. 24).
7 Dans le chapitre 6 « La conscience humaine », l’auteur retrace le développement de la
conscience humaine. Il indique que le principe de base du développement est l’unité de
la structure et des fonctions. Il se place dans une perspective conforme au
développement historique du psychisme et de son expression classique dans les
principes fondamentaux du marxisme : le travail a crée l’homme, le travail a crée et sa
conscience.
8 L’activité humaine suppose la présence chez l’individu de certaines capacités et
contribue à leur développement simultané. En engendrant, par son activité, des
produits matérialisés, l’homme développe en même temps ses capacités. L’homme
devient capable de travailler et de créer, parce qu’il se forme dans le travail et la
création.
9 Dans le chapitre 14 « L’activité », Rubinstein étudie les buts et les motifs de l’activité, les
composantes et les conditions de l’activité. L’action réalisée par l’individu n’est pas un
acte totalement isolé. Elle est inclut dans un ensemble plus vaste de l’activité, de la
personnalité donnée et peut être comprise seulement en liaison avec cette dernière.
L’objectif direct de l’activité humaine socialement organisée est la réalisation d’une
fonction sociale déterminée néanmoins le motif de l’individu peut être la satisfaction
des besoins personnels. L’unité de l’activité se présente comme l’unité des buts vers
lesquels elle est orientée et des motifs desquels elle part. Le motif des actions humaines
peut être lié à leur but car le motif c’est l’impulsion et l’aspiration d’atteindre un but.
Mais le motif peut se détacher du but et se déplacer 1) vers l’activité 2) vers l'un des
résultats de l’activité. Dans le deuxième cas, le résultat dérivé des actions devient pour
le sujet le but de ses actions. Ainsi Rubinstein distingue dans l’activité différentes
composantes : mouvement – action – opération – acte dans leur corrélation avec les
buts, les motifs et les conditions de l’activité. Au centre de ces composantes se trouve
l’action. Selon Rubinstein, l’action est « la cellule, l’unité » de départ de la psychologie.
L’acte est quant à lui l’unité du comportement, il concerne la faculté d’action liée à des
normes morales. De ce fait, l’interaction de l’homme avec le monde ne se limite pas au
cadre de l’activité mais englobe plus largement la vie sociale dans son intégralité.
10 Plusieurs thèses élaborées par Rubinstein ont été reprises et ont servi comme
fondements aux études méthodologiques, théoriques et expérimentales et pratiques de
Zintchenko (1961), Welford (1961), Lomov (1966), Talyzina (1975), Galperine (1976),
Aboulkhanova-Slavskaia et Brouchlinsky (1989), Barabanchtchikov(2002). En
privilégiant une étude du sujet de l’activité et des liens de l’activité avec le psychisme
les travaux de S. L. Rubinstein et de ses collaborateurs ont permis de développer une
variante à la théorie de l’activité. Lors du traitement de la question de l’activité
Rubinstein a intégré totalement les idées de la dialectique (unité, contradiction,
diversité, etc.) dans le champ d’étude de la science psychologique. A ce jour, sa théorie
philosophico -psychologique reste l’une des plus profondes de la psychologie russe. Par
ailleurs, elle a montré sa faculté à intégrer de nouveaux savoirs issus de différentes
écoles et courants scientifiques. Par conséquent, cet outil théorique d’actualité
conserve toute son utilité pour traiter les questions actuelles de l’activité.
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