La traduction des attentes des Parties Prenantes en RSE en indicateurs de la Global Reporting...

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Yasmina Sahed-Granger INSEEC Business School [email protected] INSEEC Business School 27, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Anne-Laure Boncori INSEEC Business School [email protected] INSEEC Business School 27, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Cet article a été retravaillé tant dans le fond que dans la forme à la suite de deux communications données aux colloques de l’ADERSE 2012 et du RIODD 2012. En particulier, la partie empirique a été enrichie par des entretiens supplémentaires, confortant un peu plus en avant les résultats de cette recherche.

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Yasmina Sahed-Granger INSEEC Business School [email protected] INSEEC Business School 27, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Anne-Laure Boncori INSEEC Business School [email protected] INSEEC Business School 27, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Cet article a été retravaillé tant dans le fond que dans la forme à la suite de deux communications données aux colloques de l’ADERSE 2012 et du RIODD 2012. En particulier, la partie empirique a été enrichie par des entretiens supplémentaires, confortant un peu plus en avant les résultats de cette recherche.

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LA TRADUCTION DES ATTENTES DES PARTIES

PRENANTES EN RSE EN INDICATEURS DE LA

GLOBAL REPORTING INITIATIVE : VERS UN MODE

CONSULTATIF DE LA GESTION DES PARTIES

PRENANTES

Résumé

Cet article soulève la question de l’identification des indicateurs traduisant les attentes

des parties prenantes en matière d’engagement des entreprises en Responsabilité

Sociale. Nous tentons d’y répondre à travers une démarche consultative qui s’appuie

sur le référentiel de la Global Reporting Initiative (GRI). Les résultats de cette étude

montrent la convergence des attentes des différentes parties prenantes et permettent de

proposer une méthodologie applicable par toute entreprise pour intégrer et

hiérarchiser, à travers un mode consultatif, les attentes des parties prenantes.

Mots clés : Parties Prenantes, Responsabilité Sociale des Entreprises, attentes,

indicateurs GRI, mode consultatif.

D’une manière générale, les entreprises sont de plus en plus sollicitées par leurs parties

prenantes dans la prise en compte de leur environnement et dans leur création de valeur sous

un mode durable. Cet état de fait est renforcé par la diffusion d’une approche « orientée

business » de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), laquelle se déploie notamment

par le recours à des référentiels de gestion et par l’intermédiaire des critères des agences de

notation (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010).

Qui plus est, la multiplication de différentes obligations légales en matière de RSE prévoit de

plus en plus la prise en compte des parties prenantes par les entreprises dans leurs politiques

(Loi NRE ; Lois Grenelle 1 et 2 ; norme ISO 26 000). Plus précisément, cet appareil législatif,

réglementaire et normatif préconise, au moyen d’une consultation des parties prenantes (PP),

l’intégration de leurs attentes. Au cœur du dispositif est en jeu la réalisation d’un rapport de

gestion rendant compte de leurs actions en matière sociale, sociétale et environnementale ; par

là même, se joue la crédibilité des entreprises au regard des parties prenantes. Aussi, la

question des indicateurs et critères à prendre en compte dans la construction de ce rapport et

dans le dialogue avec les parties prenantes est cruciale pour bon nombre d’entreprises (André

et al., 2011).

Au regard des difficultés exprimées par les managers sur le choix d’indicateurs pertinents

rendant compte de leurs politiques de RSE (Swaen et Vanhamme, 2005 ; Essid et Berland,

2010) et dans le cadre des insuffisances soulevées par la littérature concernant l’identification

et la catégorisation des attentes des parties prenantes selon leurs rôles et statuts (Wolfe et

Putler, 2002 ; Capron et Quairel-Lanoizelée, 2003 ; Rasolofo-Distler, 2011), nous soulevons

dans cette recherche la question des indicateurs traduisant les attentes des parties prenantes en

matière d’engagement des entreprises en Responsabilité Sociale.

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A l’exception des travaux de Baret (2011) portant sur la construction d’un référentiel

d’indicateurs extra-financiers spécifique au secteur « banque-assurance », aucune recherche

n’a présenté de traduction des attentes des parties prenantes en indicateurs de reddition dans le

cadre d’un reporting social. Par indicateurs de reddition, il faut entendre ici les indicateurs

permettant de mesurer la performance d’une organisation en matière de RSE et de rendre des

comptes aux parties prenantes de cette même organisation (Gond et Igalens, 2008). L’objectif

de cette étude à caractère exploratoire est de proposer une mise en correspondance des

attentes des parties prenantes identifiées avec des indicateurs de suivi et de reddition issue du

référentiel de la Global Reporting Initiative (GRI). Ce référentiel correspond au socle

normatif le plus avancé et le plus utilisé par les acteurs dans l’élaboration du rapport extra-

financier (Igalens et Joras, 2002 ; Capron et Quairel Lanoizelée, 2003, 2010).

Après avoir présenté la façon dont la littérature traite de la notion des parties prenantes et de

leurs attentes en matière d’engagement social, sociétal et environnemental des entreprises,

nous décrivons l’étude empirique exploratoire que nous avons conduite pour répondre aux

limites identifiées par cette même littérature. 19 entretiens semi-directifs furent menés à cet

effet. Nous terminons par la présentation et discussion des résultats.

1. LES ATTENTES DES PARTIES PRENANTES EN MATIERE

D’ENGAGEMENT RSE : CADRE THEORIQUE

Bien qu’ayant donné naissance à un courant de recherche particulier dès les années 1950

(Pasquero, 2005), la littérature sur la RSE, trouve ses racines dans les réflexions menées sur la

responsabilité sociale des hommes d’affaires de la société nord-américaine de la fin du 19ème

siècle (Heald, 1970 ; Miller et O’Leary, 1989). Il s’agissait par là de rendre compte du poids

croissant de la « grande entreprise » dans la société américaine (Miller et O’Leary, 1989).

Sans que le concept de parties prenantes ne soit alors évoqué en tant que tel, les premières

idées de responsabilité sociale des entreprises et de leurs dirigeants véhiculent la notion

d’acteurs externes à la prise de décision et à la gestion des entreprises tout en étant impliqués

et concernés par ces dernières.

1.1 EMERGENCE ET INTEGRATION DU CONCEPT DES PARTIES PRENANTES AU SEIN DE LA

LITTERATURE SUR LA RESPONSABILITE SOCIALE1 DES ENTREPRISES

L’exercice de définition conceptuelle de la RSE se réfère à l’ouvrage fondateur de Bowen de

1953, pierre angulaire posée à l’édifice conceptuel de la RSE par l’exercice synthétique qu’il

propose (Acquier et Gond, 2007). Il est pleinement consacré dans les années 1960 (Carroll

1979). La RSE recouvre alors les décisions, politiques et actions menées par les dirigeants et

managers selon des mobiles et motivations se situant au moins de façon partielle au-delà des

intérêts économiques de la firme (Davis 1960). Une définition pivot de la RSE est celle

apportée par Carroll (1983) qui dépeint cette forme particulière de responsabilité comme une

façon de gérer l’entreprise « de telle façon qu’elle soit profitable économiquement, qu’elle

respecte la loi et qu’elle respecte l’éthique ». La RSE comprend alors responsabilités

économique, légale, éthique et philanthropique (Carroll, 1979).

1 Nous traduisons littéralement « corporate social responsibility » par la responsabilité sociale de l’entreprise, en

intégrant sous l’épithète « sociale » à la fois le volet social et le volet sociétal de la responsabilité incombée aux

entreprises.

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A partir des années 2000, la définition du concept et du champ de la RSE inclut la notion de

parties prenantes en faisant référence à l’impact des activités des entreprises sur leur

environnement et sur leurs externalités (Van Marrewijk, 2003). Comme le soulignent la

plupart des travaux précités, la RSE implique nécessairement et par définition la prise en

compte des attentes de tous les acteurs internes (actionnaires, salariés, syndicats) et externes à

l'entreprise (clients, fournisseurs, actionnaires, créanciers, société civile) qui peuvent être

affectés par son fonctionnement (Freeman, 1984) ; en ce sens, les concepts de RSE et de

parties prenantes sont étroitement liés (Mercier, 2010 ; Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010).

1. 2. DE LA DEFINITION DES PARTIES PRENANTES A LEUR GESTION

Actualisés par Freeman, le terme et la notion de parties prenantes apparaissent pour la

première fois dans la littérature managériale dans une note du Stanford Research Institute

datant de 1963 (Mercier 2010). Leur théorisation date, en revanche, des travaux de Freeman et

Reed (1983) et de l’ouvrage fondateur de Freeman (1984).

D’une façon générale, la théorie des parties prenantes présente l'entreprise comme le

réceptacle ou le berceau d'intérêts coopératifs ou concurrents (Donaldson et Preston, 1995 ;

Martinet et Reynaud, 2004). Comme l’avance Mercier (2010), la notion de partie prenante a

été conçue historiquement dans le but de faire prendre conscience aux dirigeants des

entreprises de l’importance de la prise en compte stratégique et de la gestion des groupes ou

individus concernés par l’impact économique, social, environnemental et sociétal des

décisions et activités de l’entreprise. Cependant, la définition même de ces groupes ou

individus constituant les parties prenantes fait débat au sein de la littérature.

En effet, la littérature ne propose pas de consensus en matière de définition des parties

prenantes. La définition la plus large est due aux écrits de Freeman qui, en se fondant sur la

notion d’intérêt (Mercier, 2010), associe la notion de partie prenante à « tout groupe ou tout

individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs d'une organisation »

(Freeman, 1984 : p. 48 ; traduction). A l’extrémité, on trouve des définitions bien plus étroites

comme celle liant les parties prenantes à la notion de risque : les PP sont des groupes ou

individus qui supportent volontairement (partie prenante primaire) ou involontairement (partie

prenante secondaire) un risque (Hill et Jones, 1992). Hill et Jones (1992) ajoutent qu’elles se

distinguent les unes des autres selon ce qu’elles contribuent à l’entreprise. Quand l’actionnaire

apporte des capitaux à l’entreprise, les collaborateurs apportent par exemple du temps, des

compétences et du capital humain. Ainsi il en va de chaque partie prenante.

L’absence de réel consensus en matière de définition des parties prenantes s’explique en

partie par le fait que la théorie des parties prenantes est irriguée par différents courants qui

apportent tour à tour des perspectives et des éléments complémentaires, parfois antagonistes.

Certains travaux rendent compte d’une théorie descriptive des parties prenantes (Donaldson et

Preston, 1995) dont l’objet est de décrire et d’expliquer des comportements organisationnels

spécifiques qui sont en lien avec l’existence de parties prenantes. Ces travaux peuvent revêtir

une approche normative et éthique, tandis que d’autres s’apparentent à une perspective

instrumentale de la théorie des parties prenantes (Damak-Ayadi et Pesqueux, 2003).

Dans le cadre d’un manque de consensus, l’exercice pluriel de définition du concept de parties

prenantes s’accompagne dans la littérature d’un exercice de typologie et de classification. Ce

qui se dessine de façon plus ou moins implicite à travers cet exercice est l’appréhension et la

gestion des parties prenantes par profils. Une première classification dichotomique est celle

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qui distingue, selon l’axe externe/interne (à l’entreprise), les PP primaires impliquées

directement dans le processus économique de l’entreprise et ayant avec elle une relation

formelle ou contractuelle, (actionnaires, banquiers, collaborateurs, représentants du personnel,

fournisseurs, clients, banquiers,…), des PP secondaires témoignant de liens indirects avec

l’entreprise dans le cadre d'un contrat implicite ou moral – ces dernières (ONG, Etat,

collectivités territoriales, associations de riverains ou de consommateurs, médias, …) relèvent

avant tout de la société civile (Freeman, 1984 ; Carroll, 1979). Cette définition duale des

parties prenantes, consacrée par la littérature, est celle sur laquelle s’appuie notre recherche.

Or, la question de l’identification des parties prenantes soulève la question de l’arbitrage entre

des attentes disparates (Rasolofo-Distler, 2011), et ce, d’autant plus que chaque catégorie de

PP peu difficilement dans les faits être reconnue comme un groupe homogène (Wolfe et

Putler, 2002). Dans ce cadre, le management des parties prenantes « occupe une place centrale

dans la conceptualisation et la mise en œuvre de la RSE au sein des entreprises » (Acquier et

Aggeri, 2008 : p. 142). Du point de vue académique, les travaux fondateurs de Freeman ont

pour finalité la gestion des PP (Freeman et Reed, 1983 ; Freeman, 1984). Relevant d’une

théorie instrumentale (Walsh, 2005), les travaux de Freeman avancent, en effet, l’hypothèse

selon laquelle « l’intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires passe par la mise en œuvre de

réponses adaptées aux attentes des parties prenantes » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2003 :

p.38). C’est dans la droite lignée de ces travaux que nous inscrivons notre approche.

1. 3. ATTENTES DES PARTIES PRENANTES ET CREDIBILITE DE L’ENGAGEMENT DES

ENTREPRISES EN RESPONSABILITE SOCIALE : LE GAGE DES INDICATEURS

La question des attentes des parties prenantes est, historiquement, traitée par le caractère

obligatoire de certaines pratiques des entreprises. Parmi celles-ci, on relève au premier chef

les pratiques d’information, de reddition et de communication des entreprises en matière de

gestion sociale et environnementale. Ainsi, la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles

régulations économiques stipule l’obligation pour les sociétés françaises cotées de rendre

compte de leurs impacts sociaux et environnementaux dans le rapport de gestion. Ce dispositif

législatif a pour objectifs principaux de :

- conduire les entreprises à transmettre ou communiquer aux parties prenantes des

informations transparentes et accessibles en matière environnementale et sociale ;

- développer un langage commun définissant des indicateurs permettant une

comparaison des performances entre entreprises.

La Global Reporting Initiative, qui participe de la soft law dans le domaine de la RSE,

s’inscrit pleinement dans ce cadre. Créé en 1997 à l’initiative du CERES (Coalition of

Environmentally Responsible Economies), l’organisme de la GRI a pour objectif de définir

« des directives globalement applicables dans la préparation des rapports d’entreprises sur le

thème du développement durable et de promouvoir la publication volontaire par les

entreprises de tels rapports pour rendre compte de leur performance sociale et

environnementale » (Laville, 2009 : p. 92).

Or, ce qui est en jeu pour les entreprises dans leurs rapports de gestion, dans leur relation et

communication avec les parties prenantes, c’est la crédibilité de leur engagement (Swaen et

Vanhamme, 2005 ; Chen et Bouvain, 2009 ; André et al., 2012). Il en va de leur légitimité. La

crédibilité des entreprises en matière d’engagement RSE est en effet une composante, à

l’instar de la réputation, de la légitimité des entreprises (Gond et Igalens, 2008). Dans un

contexte d’institutionnalisation de la RSE et de diffusion des valeurs associées, présenter une

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image de conformité à ces valeurs et de crédibilité quant à ce qui est annoncé confère à

l’entreprise un « avantage de légitimité », se traduisant par l’obtention de moyens et de

soutiens « indépendamment de leur valeur intrinsèque » (Capron et Quairel-Lanoizelée,

2010 : p. 43-44).

D’une façon générale, l’exercice de reporting social ne rencontre pas à l’heure actuelle la

crédibilité escomptée (Chen et Bouvain, 2009). Des travaux comme ceux de Hovland et

Weiss (1951) ont montré que le changement d’attitude, souhaité lors d’un acte de

communication par la direction donnée au message, est d’autant plus fort que l’émetteur est

perçu comme hautement crédible par le destinataire. Ceux de Swaen et Vanhamme (2003)

indiquent que l’effet positif des arguments et références à la RSE avancés par l’entreprise est

totalement annulé si celle-ci est suspectée ultérieurement de comportements non socialement

responsables. L’enjeu de la crédibilité des entreprises en matière de RSE est également

soulevé par Swaen et Vanhamme (2005) qui soutiennent que, des entreprises qui

communiquent sur leurs engagements pris en matière de RSE, doivent d’autant plus demeurer

crédibles qu’elles seront, en cas de suspicion, jugées plus négativement que les entreprises ne

s’étant pas engagées socialement ou n’ayant pas communiqué sur leurs responsabilités

sociale, sociétale et environnementale.

Ainsi, l’idée selon laquelle l’engagement RSE passe par la prise en compte des attentes des

parties prenantes dans la conception de la stratégie RSE fait consensus (cf. Norme ISO 26

000). Cette prise en compte est d’ailleurs entérinée par le décret d’application 2012 de loi

Grenelle 2. C’est également le cas lorsque l’on traite du choix des indicateurs de suivi et de

reddition. Le référentiel de la GRI évoque à ce sujet le principe d’inclusivité. Selon ce

principe, les parties prenantes doivent être associées à l’élaboration du contenu du volet RSE

au sein du rapport de gestion et/ou dans un rapport dédié et ce, au moyen d’un processus de

consultation interactive.

Aussi, la question de l’intégration des parties prenantes dans la politique RSE de l’entreprise

et la réponse qui leur est faite pour les assurer de l’engagement de l’entreprise en matière

sociale, sociétale et environnementale est essentielle. Il en va de leur crédibilité, laquelle est

soumise au tamis des indicateurs. Tel est l’argument défendu dans cette recherche.

1. 4. LA QUESTION DU CHOIX DES INDICATEURS AU REGARD DES ATTENTES DES PARTIES

PRENANTES

Nous inscrivons cette recherche dans la lignée de Berland (2007) lorsqu’il met en avant la

légitimité du processus d’utilisation d’indicateurs pour opérationnaliser le concept et les

principes de RSE. En effet, nous pensons que l’objectif est d’offrir aux managers, dans la

conduite efficace d’une politique RSE, les mêmes outils gestionnaires que ceux mis en place

dans le cadre d’une politique d’accroissement des bénéfices à travers des indicateurs

financiers de suivi. Demeure alors la question des difficultés pour opérationnaliser, traduire et

mesurer la RSE.

Une des principales raisons de ce constat est le caractère relativement confus et abscons des

indicateurs mentionnés dans les rapports de gestion et/ou de Développement Durable : trop

nombreux, difficilement comparables d’une entreprise à l’autre, parfois éloignés des

préoccupations prioritaires des parties prenantes. S’intéressant plus particulièrement à la

difficulté pour les dirigeants et les opérationnels de suivre leurs actions de RSE, Essid et

Berland (2010) notent qu’il existe un véritable « foisonnement » d’indicateurs, parce qu’il

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s’agit soit de les tester jusqu’à trouver le bon indicateur, soit de « montrer » voire « donner

l’illusion [que les entreprises] arrivent à bien gérer l’ensemble des processus managériaux

impliquant des aspects RSE ». Le recours managérial à une diversité d’indicateurs est

également le résultat de l’influence prégnante des différents référentiels externes sur les

politiques de communication et de reddition des entreprises d’une part et sur les indicateurs de

pilotage de la RSE en interne d’autre part. Les référentiels véhiculés par la GRI, les lois NRE

et Grenelle (1, 2), le Global Compact, ou encore les différentes normes, proposent, certes, des

lignes directrices ou des indicateurs mais le choix est toujours laissé au manager qui semble

s’y perdre (Essid et Berland, 2010).

Ainsi, dans ce contexte, peut-on observer que les entreprises s’approprient progressivement le

référentiel GRI et que celui-ci tend à s’imposer comme le modèle à suivre pour reporter les

informations RSE chaque année (Laville, 2009). En effet, plus de la moitié des entreprises

françaises publient un rapport de Développement Durable s’appuyant sur ce modèle normatif.

Par exemple, le rapport annuel de Danone, l’un des plus complets des sociétés du CAC 40, est

structuré selon les recommandations de la GRI (Gond et Igalens, 2012).Toutefois, la difficulté

de choix des indicateurs proposés par le référentiel reste réelle. Les dirigeants ont besoin

d’identifier la pertinence de leurs choix et les priorités qui sont les leurs et celles de leurs

parties prenantes pour construire leur stratégie et optimiser la précision de leur rapport.

Par ailleurs, à étudier les limites et modalités d’usage des indicateurs RSE, Berland (2007 : p.

6) plaide pour que « les indicateurs de performance ne soient pas la fin du processus

d’évaluation de la performance mais la première étape de ce processus d’évaluation. Les

conditions de réalisation de cette discussion dans le cadre de la RSE semblent alors être

l’intégration des parties prenantes à la discussion autour des indicateurs ». Ceci est justement

pris en compte par le référentiel GRI au moyen de son méta principe « inclusiveness ». En

effet, le référentiel GRI prévoit pour la réalisation de l’ensemble du rapport que « la

participation des parties prenantes à l’élaboration du contenu du rapport domine tous les

autres principes du cadre conceptuel ; […] le seul moyen est de mettre au point une démarche

interactive de consultation et d’élaboration du contenu qui en permette une amélioration

continue et améliore sa crédibilité » (Capron et Quairel, 2003 : p.7).

Dans le cadre de l’intégration des parties prenantes à la définition des indicateurs, nous

faisons le choix de prendre en compte une contrainte soulevée par Bouglet (2005 : p. 16) et

qui semble essentielle lorsque l’on souhaite optimiser une gestion proactive des parties

prenantes : « une même partie prenante peut avoir plusieurs attentes différentes » comme

plusieurs parties prenantes peuvent avoir des attentes communes (Fassin, 2009). Si l’on

considère la problématique supplémentaire apportée par la relative homogénéité des

catégories des parties prenantes (Wolfe et Putler, 2002) et leur degré d’ubiquité (Mercier,

2010), l’intérêt de raisonner sur les attentes est de pouvoir simplifier la prise en compte des

relations avec les parties prenantes et d’en améliorer la gestion. Rappelons que par ubiquité, il

faut entendre le fait qu’une même partie prenante peut être aussi bien salarié d’une entreprise,

actionnaire et militant dans un groupe de pression (Bouglet, 2005).

Aussi, face à des soucis managériaux de recherche de crédibilité et d’efficience des moyens

mis en œuvre dans une démarche globale de RSE, la question du choix des indicateurs et de

leur capacité à répondre aux attentes des parties prenantes est de plus en plus pressante.

Comme nous l’avons vu, la littérature n’y répond que partiellement du fait qu’elle traite la

question des attentes des parties prenantes quasi indépendamment des indicateurs. Seuls les

travaux de Baret (2011) proposent à notre connaissance une écoute des attentes des parties

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prenantes en matière d’indicateurs extra-financiers. Ces derniers ont, dans le cadre de la

construction d’un référentiel adapté au secteur « banque-assurance » et aux spécificités d’un

ensemble de Caisses régionales, été présélectionnés en amont. Il en est de même pour les

parties prenantes qui font l’objet d’une pondération selon leur profil. L’étude de Baret (2011)

propose une hiérarchisation des indicateurs selon le poids accordé aux parties prenantes.

Néanmoins, la question de l’ubiquité des parties prenantes est laissée en suspens ainsi que

celle de la convergence de leurs attentes. Ceci nous conduit à proposer une démarche

d’identification des indicateurs qui traduit les attentes des parties prenantes en matière

d’engagement des entreprises en RSE, en prenant en compte ces deux dimensions.

Pour y répondre, nous nous concentrons sur un référentiel précis, celui de la GRI, lequel

référentiel est un des plus diffusés dans la pratique. Il a la caractéristique et l’avantage d’être

un référentiel construit par un réseau de parties prenantes et d’être régulièrement actualisé.

Par ailleurs, ces indicateurs visent aussi bien les volets économiques, sociétaux et

environnementaux de la RSE que le volet social.

2. ETUDE EMPIRIQUE DES ATTENTES DES PARTIES PRENANTES

Dans cette deuxième partie, nous présentons les grandes lignes du protocole méthodologique

retenu pour répondre à la problématique de notre recherche. Puis, en nous attardant sur les

étapes clefs de ce dernier, nous présentons les résultats de la recherche en trois volets. A partir

de la mise au jour et de l’analyse des catégories d’attentes, lesquelles sont traduites en

indicateurs pertinents de la GRI, les résultats de cette recherche soulignent la convergence des

attentes des parties prenantes.

2.1 UNE RECHERCHE EXPLORATOIRE DE NATURE QUALITATIVE

Cette recherche exploratoire de nature qualitative vise à faire la relation entre les attentes que

peuvent formuler les parties prenantes en matière d’engagement des entreprises en RSE et les

indicateurs de suivi et de reddition les plus pertinents qui s’offrent aux dirigeants pour

conforter leurs engagements en RSE de manière crédible.

Dans le cadre de la construction d’un échantillon empirique ou raisonné, nous nous appuyons

sur la définition des parties prenantes proposée par Carroll (1989) et Freeman (1984). Afin de

mettre au jour les attentes des PP et de les traduire en indicateurs, nous avons opté pour deux

critères de sélection de notre échantillon empirique : les individus interviewés devaient, d’une

part, maîtriser le thème de la RSE, de l’autre, constituer une partie prenante d’une ou

plusieurs entreprises cotées. Le premier critère vise à s’assurer de la richesse des données

collectées à travers un protocole exploratoire. Le second critère vise, quant à lui, à s’attacher

uniquement aux parties prenantes d’entreprises qui sont tenues de rédiger un volet RSE dans

leur rapport de gestion annuel. L’objectif est de pouvoir s’assurer que les destinataires de ces

rapports correspondent à la diversité des catégories existantes de parties prenantes. Notre

échantillon a par ailleurs comme limites constitutives de correspondre au cadre culturel,

socio-économique, réglementaire et juridique français. Il faut ici souligner que la France est

un pays précurseur en matière de reporting social (Gond et Igalens, 2012).

Nous avons mené 19 entretiens semi directifs en face à face ou par téléphone. Chaque

entretien a été conduit sur une durée de 45 minutes à une heure. Nous avons interviewé 2 élus

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représentants du personnel et membres de syndicats distincts, 1 membre d’un Comité

d'Hygiène, de Sécurité, et des Conditions de Travail, 4 représentants d’ONG membres de trois

organisations différentes, 2 membres d’une association de défense des consommateurs, 1

spécialiste Développement Durable représentant les collectivités territoriales et pouvoirs

publics, 1 directeur d’association d’actionnaires, 2 personnes représentant les sous-traitants, 1

journaliste spécialiste du Développement Durable représentant les médias, 1 Responsable du

Pôle analyses extra-financières d’une société cotée de gestion d'actifs dont 10 % du montant

des actifs sont dédiés à des fonds ISR, 2 consommateurs, 1 Responsable des appels d’offres et

de la coordination produits d’un grand groupe d’assurance coté recourant à l’ISR, 1

Responsable Développement Durable du monde associatif. Tous ces individus répondaient au

statut de parties prenantes d’entreprises cotées.

Notre guide d’entretien a été conçu de telle sorte qu’il favorisât l’exploration et

l’identification des attentes des interviewés. Nous avons entrepris un codage thématique pour

traiter les données recueillies. Nous avons en effet codé les attentes mises au jour en

catégories thématiques puis procédé à la « traduction » de ces attentes en indicateurs sur la

base du référentiel le plus largement adopté par les praticiens, celui de la Global Reporting

Initiative. En effet, il apparaît que la confrontation des indicateurs à un référentiel permet non

seulement d’opérationnaliser des attentes mais aussi d’objectiver le jugement porté sur la

crédibilité de l’engagement des entreprises en RSE (Berland, 2007).

2.2. CATEGORIES D’ATTENTES DES PARTIES PRENANTES EN MATIERE D’ENGAGEMENT DES

ENTREPRISES EN RESPONSABILITE SOCIALE

Lors de la phase terrain, nous avons pris en compte deux éléments essentiels dans la collecte

et le traitement des données, à savoir, le degré de sensibilisation des parties prenantes aux

rapports émis par les entreprises sur leurs politiques RSE et la nécessité de maîtriser les

référentiels de suivi et de reddition de la RSE pour en proposer des indicateurs. Toutefois, la

majorité des interviewés a expliqué que pour identifier le niveau d’engagement et de

performance RSE des entreprises, elle se référait aux avis et rapports d’experts émis par les

agences de notation et les ONG. Nous avons codé thématiquement les attentes des parties

prenantes. C’est ainsi que nous sommes parvenues aux résultats préliminaires suivants :

Syndicats CHSCT ONG Association de

consommateurs Médias

Localisation /

gestion

géographique de

la RSE

Gestion du

stress en

entreprise

Cadrer l'action

avec des normes

(iso 26 000)

Généraliser la

stratégie RSE à la

chaine de valeur

Association /

concertation /

consensus avec les PP

Aller au-delà de

la réglementation

Importance bien

être des salariés

Importance

de l'humain

Partenariat

stratégique avec

les PP

Gestion géographique

de la RSE (partout où

l'entreprise est

implantée) Cohérence

Mobilisation des

collaborateurs

Preuve par

l'audit externe

Primauté,

reconnaissance du

salarié

Vigilance sur

les accidents

du travail

Lutte contre les

discriminations

Prise en compte des

IRP

Mobilisation des

fournisseurs

Audit externes

dans les filiales

Donner du sens

Arrêts

maladie

Gouvernance

transparente

Prise des

responsabilités

juridique des filiales /

Respect des intérêts des

consommateurs (prix,

qualité, sécurité

Lutte contre les

discriminations

9

centraliser les

responsabilités

accessibilité de l'offre)

Tableau 1 : Extraits de la table des thèmes du codage des données

Puis, nous avons imprimé ces résultats, apposé une marque de distinction à chaque segment

textuel correspondant à une unité thématique et ce, afin d’en reconnaître la source et

entreprendre une catégorisation selon la méthode de l’Analyse des Relations par Opposition

(ARO). La méthode ARO est inspirée de l’analyse structurale des récits (Raymond, 1968).

Suivant cette méthode, nous avons procédé à l’élaboration d’un patchwork en disposant les

thèmes découpés sur le sol puis nous avons constitué des catégories mères de thèmes, c’est-à-

dire des catégories accueillant des attentes portant sur des notions similaires, tout en gardant

leur spécificité.

Ces catégories sont au nombre de vingt et sont les suivantes : 1. Promouvoir la RSE dans la

sphère d'Influence de l'entreprise ; 2. Cohérence et responsabilités sur la chaîne de valeur et

sur les impacts indirects ; 3. Partenariat stratégique avec les PP ; 4. Considération des

collaborateurs ; 5. Transparence ; 6. Importance de la gouvernance ; 7. Volonté / sincérité de

l'engagement et morale du dirigeant ; 8. Développement économique durable / anticipation

des risques ; 9. Droits de l'Homme ; 10. Lutte contre les discriminations ; 11. Respect des

lois ; 12. Soutien au développement d'autres structures / bonnes œuvres ; 13. Stratégie

financière responsable ; 14. Déploiement cadré ; 15. Contrôle / suivi crédible ; 16. Protection

de l'environnement ; 17.Consommation responsable ; 18. Gestion géographique de la RSE. ;

19. Dégagement du budget RSE ; 20. Respect des consommateurs.

2.3. CONVERGENCE DES ATTENTES DES DIFFERENTES PARTIES PRENANTES

Afin d’optimiser la lecture des résultats, nous avons fait le choix d’attribuer un code

correspondant au profil de l’émetteur des attentes en attribuant une lettre à chaque typologie

de partie prenante : A : Syndicats et représentants du personnel ; B : CHSCT ; C : ONG et

associations ; D : Associations de défense des consommateurs et consommateurs ; E :

Collectivités Territoriales et Pouvoirs Publics ; F : Sous-traitants et fournisseurs ; G :

Créanciers et Actionnaires ; H : Médias. Grâce à la méthode ARO qui permet d’organiser les

résultats en fonction des segments de texte codés sans prendre en compte la source des

données, nous avons pu mettre en exergue la convergence qu’il existe dans les attentes des

différents profils de parties prenantes. En effet, lors de l’organisation des résultats en fonction

des catégories d’attentes, nous avons obtenu 20 tableaux qui se présentent comme suit :

Catégorie d’attente : « Partenariat stratégique avec les Parties Prenantes »

PP ayant formulé cette attente Attente (code attribué au segment de texte)

F+C+H+D+G

Intégration des PP dans la stratégie

Partenariat stratégique avec les PP

Relations / association avec les PP

Dialogue entre l'entreprise et les PP (relation de confiance)

C+F+A+G+D

Intégrer les PP dans le rapport DD

Prouver que les remarques des PP sont prises en compte

Intégrer les PP dans le choix des indicateurs

Association / concertation / consensus avec les PP

B+C+A+G

Echanges avec les IRP

Prise en compte des IRP

Récurrence / permanence des dialogues

Tableau 2 : Extrait du tableau de résultats n°3 de l’étude intégrale

10

Catégorie d’attente : « Considération des collaborateurs »

PP ayant formulé cette attente Attente (code attribué au segment de texte)

A+B+D+H Importance des conditions de travail

Respect du droit du travail

Humaniser le travail

A+B+C+H+D

Importance de la GPEC

Primauté, reconnaissance du salarié

Impliquer les collaborateurs

Développer la formation continue des salariés

B+A+G+C+D

Equité des salaires/ de la rémunération

Décence et équité des salaires

Niveau de rémunération

Egalité salariale H/F

Tableau 3 : Extrait du tableau de résultats n°4 de l’étude intégrale

Ainsi, se trouve confortée la piste de recherche dégagée par Bouglet (2005) lorsqu’il propose

qu’une partie prenante puisse avoir plusieurs attentes et par les travaux de Fassin (2009) qui

soulignent le fait que plusieurs parties prenantes puissent avoir des attentes communes. Le

protocole et les processus méthodologiques adoptés dans cette recherche permettent

d’identifier très clairement et objectivement la convergence des attentes des différentes parties

prenantes et de connaître les revendications pour lesquelles la possibilité d’une coalition entre

les acteurs est réelle.

2.4. LES INDICATEURS GRI TRADUISANT LES ATTENTES DES PARTIES PRENANTES

Lors de cette phase, un travail préalable a dû être effectué afin d’acquérir la connaissance

nécessaire à la traduction des attentes formulées par les parties prenantes en indicateurs de

suivi RSE et de reddition. Pour cela et au regard de l’ensemble des informations que nous

avons développé précédemment concernant l’adoption croissante des travaux de la Global

Reporting Initiative (Igalens et Joras, 2002 ; Capron et Quairel-Lanoizelée, 2003, 2010) notre

choix s’est porté sur l’analyse du référentiel GRI. Après avoir atteint un niveau de

compréhension et de prise en main suffisant du construit, nous avons attribué, face à chaque

attente, les indicateurs GRI correspondants lorsqu’ils existaient.

Le référentiel de la GRI est composé de 6 volumes regroupant les indicateurs et protocoles par

thème2. Il faut donc considérer les volumes suivants : Emploi, relation sociales et travail

décent (LA) ; Environnement (EN) ; Economie (EC) ; Droits de l’Homme (HR) ; Société (SO) ;

Responsabilité du fait des produits (PR).

Voici un exemple de ces tableaux :

Catégorie : « Cohérence : Responsabilités sur la chaine de valeur et sur les impacts indirects »

PP ayant

formulé cette

attente

Attente (code attribué au

segment de texte) Indicateurs GRI

2 Volumes du référentiel téléchargeables sur www.globalreporting.org.

11

G+A+C+F

Responsabilité de l'entreprise

sur les impacts macros

Gestion des impacts indirects

sur la population (pollution,

transports des salariés)

Vision macro des impacts

EN7 Initiatives pour réduire la consommation d’énergie indirecte et

réductions obtenues.

EN8 Volume total d’eau prélevé, par source.

EN21 Total des rejets dans l’eau, par type et par destination.

EC9 Compréhension et description des impacts économiques indirects

significatifs, y compris l’importance de ces impacts.

EN26 Initiatives pour réduire les impacts environnementaux des

produits et des services, et portée de celles-ci.

EN23 à 29

B+D+C+G

Anticiper tous les impacts

Anticipation et réflexion avant

d’agir

Anticipation des conséquences

positifs et négatifs de l’activité

Prise en compte des impacts à

long terme des activités

Anticiper le futur

Prise en compte des impacts de

l’activité sur la société

PR1 Etapes du cycle de vie où sont évalués en vue de leur amélioration

les impacts des produits et des services sur la santé et la sécurité, et

pourcentage de catégories de produits et de services significatives

soumises à ces procédures.

PR3 Type d’information sur les produits et les services requis par les

procédures et pourcentage de produits et de services significatifs soumis

à ces exigences d’information.

EC2 Implications financières et autres risques et opportunités pour les

activités de l’organisation liés aux changements climatiques.

SO1 Nature, portée et efficacité de tout programme et pratique

d’évaluation et de gestion des impacts des activités, à tout stade

d’avancement, sur les communautés.

HR 1 à 3 et HR 5 à 8

Tableau 4 : Extrait du tableau de résultats n°2 de l’étude intégrale

Nous observons que pour répondre à une attente exprimée par une ou plusieurs parties

prenantes, il faut régulièrement associer plusieurs indicateurs, provenant des différentes

classes d’indicateurs de la GRI. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque l’attente concerne un

engagement transversal, telle que la promotion de la RSE par l’entreprise au sein de sa sphère

d’influence. Cette méthode a été appliquée aux vingt catégories identifiées afin de permettre

l’interprétation des résultats. Ces tableaux offrent donc une visibilité transversale des attentes

des parties prenantes d’une part et permettent, de l’autre, l’identification des combinaisons de

parties prenantes face à chaque attente. Enfin, après une phase de montée en compétences

spécifiques aux indicateurs RSE du référentiel GRI, il s’avère pertinent d’attribuer le ou les

indicateurs correspondants à chacune des attentes des parties prenantes ou d’en dégager les

limites.

Les indicateurs prévus par le référentiel de la GRI répondent fréquemment à ceux attendus par

les parties prenantes. Cependant, ils ne couvrent pas l’exhaustivité des informations

recherchées. Il est intéressant pour l’entreprise de s’interroger sur les attentes spécifiques de

ses propres parties prenantes afin d’établir un rapport RSE holistique et crédible. La méthode

que nous proposons semble être un moyen pertinent pour collecter ces informations et

s’approprier le référentiel de la Global Reporting Initiative.

3. DISCUSSION ET CONCLUSION

Un des premiers apports théoriques et méthodologiques de notre recherche tient dans le fait

que nous avons traité de l’opérationnalisation de la RSE et traduit, à ce sujet, les attentes des

Parties Prenantes en indicateurs. Comme le rappelle Rasolofo-Distler (2011), si la littérature

traite largement la RSE en termes de communication et de reporting externe, elle comprend

très peu de travaux qui se sont penchés sur la traduction opérationnelle de la RSE. Notre

recherche présente, ainsi, l’intérêt de combler de façon relative ces manques théoriques. Et

elle le fait, en proposant par ailleurs, une méthodologie innovante qui se destine à la fois à de

futurs travaux académiques et à des applications managériales.

12

Notre recherche comporte toutefois quelques limites, lesquelles sont inhérentes à la démarche

exploratoire. Ainsi, les 20 catégories d’attentes qui ont émergé des 19 entretiens menés sont

de fait contingentes aux caractéristiques de notre échantillon empirique (taille, composition).

Une voie future de recherche serait de répliquer notre méthodologie à de nouveaux

échantillons empiriques, idéalement plus larges. Par ailleurs, dans le cas d’une application

spécifique de notre méthodologie, les possibilités de classification des données recueillies

sont multiples : le manager ou le chercheur qui souhaite utiliser notre méthodologie pourra

opter pour une classification normalisée telle que présente dans les référentiels GRI ou ISO 26

000 ou pourra recourir à une libre classification.

Ceci dit, notre démarche et les résultats de recherche viennent conforter les arguments de

Berland (2007) en faveur d’une gestion proactive des attentes des parties prenantes et de la

traduction de celles-ci en indicateurs déjà établis et diffusés suffisamment dans la pratique,

auxquels peuvent s’adjoindre des indicateurs construits in vivo. En identifiant en amont les

attentes des parties prenantes et en les traduisant en indicateurs qui seront déployés afin de

rendre visibles et lisibles les engagements pris par les entreprises en Responsabilité Sociale,

nous adoptons et mettons en place à travers un mode consultatif des parties prenantes une

approche proactive de la gestion de celles-ci (Igalens et Point, 2009). Cette dernière approche

pallie les limites des approches statiques et traditionnelles de la gestion des parties prenantes

(Igalens et Joras, 2002 ; Bouglet, 2005 ; Mercier, 2010).

La mise au jour des attentes des parties prenantes a ici consisté dans le recours aux méthodes

non structurées des entretiens (Cossette, 1994), favorisant la génération de données riches de

façon spontanée. Si la méthode de l’entretien comporte une limite quant à la fiabilité des

données produites, elle s’avère pertinente pour l’étude en profondeur des représentations et

attentes des individus. Nous pourrions également envisager le recours aux méthodes de

cartographies cognitives (Cossette 1994) pour appréhender les attentes des parties prenantes

en matière d’engagement des entreprises en Responsabilité Sociale. Notons que des pratiques

de cartographie des parties prenantes, bien qu’éloignées de la méthode des cartes cognitives,

se sont développées afin de répondre à un besoin managérial de meilleure lisibilité des parties

prenantes (Binninger et Robert, 2011). C’est le cas par exemple des études et outils proposés

par l’ORSE.

Un autre apport théorique intéressant tient dans la proposition de recherche selon laquelle les

parties prenantes ont des attentes convergentes. Cette proposition permet de repenser la

gestion des parties prenantes non plus selon leur profil mais selon des catégories d’attentes.

Les résultats de notre recherche mettant au jour la convergence des attentes des parties

prenantes vont dans le sens des travaux de Wolfe et Putler (2002) et Fassin (2009). Toutefois,

notre méthodologie a montré qu’il était possible de faire émerger au sein des catégories

d’attentes une segmentation plus fine, ce qui répond in fine à la question de la segmentation

des parties prenantes (Mercier, 2010).

La convergence des attentes n’exclut pas celle de leur hiérarchisation (Bouglet, 2005) et de

leur opérationnalisation. Notons à ce sujet que les travaux d’André et al. (2012) montrent que

les entreprises établissent des priorités dans leur communication vis-à-vis des parties

prenantes, lesquelles sont traitées de façon inégale dans les rapports de développement

durable. En fonction de la prépondérance de certaines catégories d’attentes, nous proposons

de hiérarchiser les indicateurs les traduisant. A ce sujet, on pourrait s’appuyer sur la

distinction opérée par la GRI dans l’annexe 4 de son édition 2002 entre des indicateurs

13

principaux (core indictors), « les plus révélateurs et les plus attendus par les stakeholders » et

des indicateurs complémentaires (additional indicators) correspondant à des demandes

spécifiques des PP ou à des spécificités de l’entreprise (Igalens et Joras, 2002 : p. 117). Une

autre possibilité serait de réaliser une hiérarchisation des indicateurs en fonction de la

fréquence et des convergences des attentes exprimées par les parties prenantes. Ce second

processus présentant l’intérêt d’être objectif et neutre dans la réalisation de cette hiérarchie.

Par ailleurs, la gestion des parties prenantes par leurs attentes a le mérite de contourner la

problématique de leur ubiquité (Mercier, 2010). Il s’agit là d’une limite dans l’identification et

la gestion traditionnelle des parties prenantes par profil, tandis qu’elle n’a plus lieu d’être dans

une gestion des stakeholders par leurs attentes. Aussi, préconisons-nous aux managers

d’inclure leurs parties prenantes à la création ou sélection de leurs indicateurs d’engagement

en RSE. Ceci va dans le sens des recommandations de la GRI fondées sur le principe

d’inclusivité des parties prenantes en matière de définition des indicateurs. L’espace

discrétionnaire des managers ou des dirigeants n’en est pas pour autant diminué. Il s’agit

d’envisager cette inclusivité dans sa version aboutie comme une co-création des indicateurs

entre management et PP. Nous rejoignons ainsi les travaux d’Igalens et Point (2009) qui

proposent, au-delà de la démarche d’information des parties prenantes, une véritable stratégie

de consultation de ces dernières, voire d’implication. Sur ce point, nous recommandons aux

entreprises d’opter, dans un premier temps, pour la consultation des PP parce qu’il s’agit

d’une solution satisfaisante, probablement plus aisée à mettre en place qu’une démarche de

co-construction des indicateurs qui implique un dispositif plus conséquent.

Ainsi, en mettant au jour vingt catégories d’attentes et en proposant une méthodologie dédiée

à la traduction de celles-ci en indicateurs connus des managers et relevant d’un langage

commun à toutes les parties prenantes, notre recherche prône en faveur de l’écoute des

attentes des parties prenantes. Cette étude exploratoire met en lumière le caractère convergent

de ces attentes et soulève non seulement la question de la gestion des parties prenantes par

leurs attentes mais aussi celle de leur traduction. Nos résultats et notre méthodologie

permettent d’apporter des solutions aux managers dans le choix et la construction des

indicateurs. A cet égard, les praticiens peuvent s’appuyer sur le référentiel GRI pour choisir

des indicateurs traduisant les attentes de leurs parties prenantes car il apparaît que le

référentiel couvre l’essentiel des attentes. Une autre voie possible ou complémentaire

passerait par la co-création de ces indicateurs entre managers et parties prenantes.

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