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Godfried Croenen Université de Liverpool La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 1 Le Livre III des Chroniques de Jean Froissart Les Chroniques de Jean Froissart comptent parmi les plus importants textes en prose de la littérature en moyen français. Le Livre III des Chroniques, qui contient entre autre le compte-rendu du voyage entrepris par le chroniqueur afin de s’informer sur la situation en Languedoc et sur la péninsule ibérique, contient, lui seul, quelques 320.000 mots. Comme l’a bien démontré Michel Zink, le Livre III marque un changement important dans l’œuvre historique de Froissart. Entre le Livre II et le Livre III, les Chroniques se transforment en mémoires, où le temps de la narration et le temps vécu se rapprochent 2 . Mais malgré leur intérêt littéraire, les analyses philologiques des Chroniques, en particulier celles qui portent sur la tradition textuelle, sont peu nombreuses. Les raisons de cette pénurie sont multiples. Y ont contribué sans doute la longueur du texte, le nombre de manuscrits conservés, et la dispersion des manuscrits dans des bibliothèques nationales et provinciales, en France, en d’autres pays européens et aux États-Unis. Les seules éditions scientifiques modernes du Livre III sont celles de Kervyn de Lettenhove, publiée par l’Académie royale de Belgique en 1870- 1871 3 , et l’édition du Livre III qui fait partie de l’édition des Chroniques publiée 1 Je tiens à remercier pour leur aide dans le collationnement des manuscrits mes étudiants de troisième cycle, MM. Dirk Schoenaers et Florent Noirfalise. Mon collègue Peter Ainsworth, de l’Université de Sheffield, a aimablement mis à ma disposition sa transcription du manuscrit Besançon, BM, ms. 865, fol. 201 r°-301 v° (§ 1-118), ainsi que les reproductions numérisées de ce même ms et du ms Bruxelles, KBR II 88. La numérisation des manuscrits a été possible grâce à des subventions de la Leverhulme Trust, du Yorkshire Gift Aid et du HEIF Knowledge Exchange Scheme. Je remercie aussi P. Ainsworth pour ses conseils judicieux. La recherche pour cet article a reçu l’appui financier de la British Academy et du Arts et Humanities Research Council, que je remercie sincèrement. Enfin, je suis très reconnaissant à Mme Valérie Fasseur de m’avoir invité au colloque de Pau-Orthez, où j’ai pu présenter les premiers résultats de mes recherches sur la tradition manuscrite du Livre III. Le texte de mon article reflète des recherches supplémentaires menées depuis le colloque. 2 M. Zink, Froissart et le temps, Paris, 1998, pp. 17-18, 63-80. 3 [J. M. B. C.] Kervyn de Lettenhove et A. Scheler (éds.), Œuvres de Froissart, 29 vol., Bruxelles, 1867- 1877. L’edition du Livre III se trouve dans les tomes XI à XIII. Kervyn de Lettenhove affirme qu’il a pris le témoin Bre comme manuscrit de base, pourtant la comparaison de son édition avec

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Godfried Croenen Université de Liverpool La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart1

Le Livre III des Chroniques de Jean Froissart

Les Chroniques de Jean Froissart comptent parmi les plus importants textes en prose de la littérature en moyen français. Le Livre III des Chroniques, qui contient entre autre le compte-rendu du voyage entrepris par le chroniqueur afin de s’informer sur la situation en Languedoc et sur la péninsule ibérique, contient, lui seul, quelques 320.000 mots.

Comme l’a bien démontré Michel Zink, le Livre III marque un changement important dans l’œuvre historique de Froissart. Entre le Livre II et le Livre III, les Chroniques se transforment en mémoires, où le temps de la narration et le temps vécu se rapprochent2. Mais malgré leur intérêt littéraire, les analyses philologiques des Chroniques, en particulier celles qui portent sur la tradition textuelle, sont peu nombreuses. Les raisons de cette pénurie sont multiples. Y ont contribué sans doute la longueur du texte, le nombre de manuscrits conservés, et la dispersion des manuscrits dans des bibliothèques nationales et provinciales, en France, en d’autres pays européens et aux États-Unis.

Les seules éditions scientifiques modernes du Livre III sont celles de Kervyn de Lettenhove, publiée par l’Académie royale de Belgique en 1870-18713, et l’édition du Livre III qui fait partie de l’édition des Chroniques publiée 1 Je tiens à remercier pour leur aide dans le collationnement des manuscrits mes étudiants de

troisième cycle, MM. Dirk Schoenaers et Florent Noirfalise. Mon collègue Peter Ainsworth, de l’Université de Sheffield, a aimablement mis à ma disposition sa transcription du manuscrit Besançon, BM, ms. 865, fol. 201 r°-301 v° (§ 1-118), ainsi que les reproductions numérisées de ce même ms et du ms Bruxelles, KBR II 88. La numérisation des manuscrits a été possible grâce à des subventions de la Leverhulme Trust, du Yorkshire Gift Aid et du HEIF Knowledge Exchange Scheme. Je remercie aussi P. Ainsworth pour ses conseils judicieux. La recherche pour cet article a reçu l’appui financier de la British Academy et du Arts et Humanities Research Council, que je remercie sincèrement. Enfin, je suis très reconnaissant à Mme Valérie Fasseur de m’avoir invité au colloque de Pau-Orthez, où j’ai pu présenter les premiers résultats de mes recherches sur la tradition manuscrite du Livre III. Le texte de mon article reflète des recherches supplémentaires menées depuis le colloque.

2 M. Zink, Froissart et le temps, Paris, 1998, pp. 17-18, 63-80. 3 [J. M. B. C.] Kervyn de Lettenhove et A. Scheler (éds.), Œuvres de Froissart, 29 vol., Bruxelles, 1867-

1877. L’edition du Livre III se trouve dans les tomes XI à XIII. Kervyn de Lettenhove affirme qu’il a pris le témoin Bre comme manuscrit de base, pourtant la comparaison de son édition avec

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par la Société de l’Histoire de France, commencée par Léon Mirot en 1931, et continuée par Albert Mirot4. Le quatrième volume de cette édition fut publié en 1975 mais elle reste inachevée, parce qu’y manquent toujours l’introduction, avec la description et l’analyse des manuscrits, et les variantes des trois derniers tomes. Une nouvelle édition, préparée par Peter Ainsworth, d’après le manuscrit conservé à Besançon, est en cours de publication dans la série « Textes littéraires français »5.

Les manuscrits

On connaît actuellement 24 manuscrits du Livre III des Chroniques de Froissart, y compris un nombre de fragments. En plus, le texte du Livre III est conservé dans plusieurs versions abrégées6 des Chroniques, ainsi que dans quelques traductions anciennes, en néerlandais et anglais7, et dans des résumés de l’œuvre de Froissart en italien, espagnol et latin8. Ces témoins indirects seront laissés de côté ici et le présent article ne considérera que les témoins directs, c’est-à-dire les 24 manuscrits complets ou fragmentaires, ainsi que l’édition incunable imprimée pour Antoine Vérard (Ver), qui, du point de vue philologique, a le même statut que les manuscrits contemporains de la fin du 15e siècle. La liste complète des témoins directs, avec les sigles employés, se trouve en appendice9.

les manuscrits montre qu’on a affaire à un texte composite, qui combine un peu au hasard des leçons provenant surtout des témoins Bre et Mon.

4 L. et A. Mirot (éds.), Chroniques de Jean Froissart, t. XII-XV, Paris, 1931-1975. Cette édition reproduit assez fidèlement le témoin P50. Les collationnements pour cet article ont néanmoins mis en lumière quelques imperfections. La plus importante se trouve au § 226 (t. 14, p. 155, l. 33), où l’éditeur a fait un saut du même au même dans la phrase seigneur messire Guillaume de Jullers, pour laquelle P50 donne la leçon complète seigneur messire Guillaume de Jullers, ainsné filz au duc de Jullers.

5 P. Ainsworth (éd.), Froissart, Chroniques, Livre III. Le manuscrit Saint Vincent de Besançon, Bibliothèque Municipale ms. n° 865, t. 1, Genève, 2007. Le début du Livre III est aussi édité dans P. Ainsworth et A. Varvaro (éds.), Jean Froissart, Chroniques, Livre III (du Voyage en Béarn à la campagne de Gascogne) et Livre IV (années 1389-1400), Paris, 2004.

6 Le Livre III se trouve dans les abrégées suivantes : Berne, Burgerbibliothek, ms. 32; Bruxelles, KBR, ms. 20786 et ms. II 2536 ; Londres, Sotheby’s, vente du 18 juin 1991, lot 100 (manuscrit de Pückler-Muskau); Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 3839; Paris, BnF, ms. fr. 5005 et ms. fr. 10144.

7 La Haye, Bibliothèque royale, ms. 130 B 21 (traduction en moyen néerlandais du Livre III) ; J. Bouchier, Lord Berners, The chronicle of Froissart, éd. W.P. Ker, 6 vol., Londres, 1901-1903 (traduction en anglais).

8 F. Guicciardini, Compendio della Cronica di Froissart, éd. P. Moreno, Bologna, 1999 ; J. Sleidanus, Historiarum opus omne, jam primum et breuiter collectum et latino sermone redditum, Paris, 1537. Pour le résumé espagnol, v. A. Varvaro, « Problèmes philologiques du Livre IV des Chroniques de Jean Froissart », dans Patrons, authors and workshops: books and book production in Paris around 1400, éd. G. Croenen et P. Ainsworth, Louvain, 2006, pp. 255-277 (ici p. 257, n. 12), qui cite seulement le ms de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod. Hisp. X. Il existe encore deux autres mss de ce texte : Madrid, Bibliothèque royale, ms. II/2544, et KBR, ms. IV 726.

9 On a suivi le système de sigles introduit par Varvaro, v. A. Varvaro, « Il libro I delle Chroniques di

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Hormis les versions abrégées, Kervyn de Lettenhove connaissait seulement 22 manuscrits du Troisième Livre10. Il ignorait Lud, le manuscrit provenant de la bibliothèque royale anglaise, jadis dans la collection privée Ludwig, à Aix-la-Chapelle, et acquis depuis par le J. Paul Getty Museum à Los Angeles; et Cam, un fragment du début du Livre III, que Mme Tesnière a identifié dans la reliure d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cambridge11. Le fragment Cam est le travail du copiste Raoul Tainguy, qui a aussi copié le manuscrit P475. Le manuscrit Tor, que Kervyn n’avait pas vu lui-même mais qu’il connaissait d’après un catalogue de la bibliothèque de Turin et une description fournie par un bibliothécaire italien, ne semble plus exister depuis l’incendie qui a détruit la bibliothèque de Turin en 190412. Le manuscrit P487 est maintenant tellement fragile qu’il ne peut plus être consulté à la Bibliothèque nationale de France. Kervyn de Lettenhove donne quelques extraits des manuscrits Tor et P487 dans l’introduction de son édition, ce qui a permis quand même de les inclure ici dans l’analyse. Le manuscrit Bre, dit « manuscrit de Breslau » d’après la ville où il fut conservé jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, se trouve actuellement à la Staatsbibliothek à Berlin.

Jean Froissart. Per una filologia integrata dei testi e delle immagini », dans Medioevo Romanzo, 19 (1994), pp. 3-36; Id., « Problèmes philologiques du Livre IV ».

10 [J. M. B. C.] Kervyn de Lettenhove « Introduction. Troisième partie : Description des manuscrits », dans Œuvres de Froissart publiées avec les variantes de divers manuscrits, éd. Kervyn de Lettenhove, t. III-III, Bruxelles, 1873, pp. 185-461.

11 M.-H. Tesnière, « Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy : un aspect de la culture des grands officiers royaux au début du XVe siècle », dans Romania, 107 (1986), pp. 282-368 (ici en particulier p. 329).

12 Cela a été confirmé en 2004 après une demande d’information auprès de la bibliothèque de Turin. Néanmoins mon collègue A. Vitale Brovarone vient de m’informer qu’un manuscrit abîmé, qui semble contenir le texte des Chroniques de Froissart, a récemment été restauré à la Biblioteca Nazionale Universitaria. Je n’ai pas encore eu l’occasion de vérifier l’identification sur le manuscrit même.

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Jean Froissart, Chroniques, Livre III, Bibliothèque royale de La Haye, ms KB 130 B 21, fol. 1r, Jean Froissart et Espan de Lyon en voyage vers Gaston Febus.

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Aucun des manuscrits conservés ne date de l’époque même où Froissart composa le Livre III de ses Chroniques. Les cinq manuscrits les plus anciens datent des premières décennies du 15e siècle, et les styles d’écriture et d’enluminure indiquent qu’ils sont tous de production parisienne13. Ce groupe inclut : les deux manuscrits copiés par Raoul Tainguy (Cam et P475), actif de la fin du 14e siècle jusqu’aux environs de 1415-1418 ; le manuscrit Bes, probablement exécuté sous la direction du libraire Pierre de Liffol et enluminé par le Maître de Giac et le Maître de Boèce ; le manuscrit B88, enluminé par le Maître de Giac et, pour le Livre III, par un autre artiste non-identifié14 ; et le manuscrit L67.

Quand on considère les caractéristiques codicologiques des manuscrits B88 et Bes, qui tous deux contiennent les Livres I-III des Chroniques, on constate que les mêmes artistes (Maître de Boèce et Maître de Giac) et les mêmes copistes ont collaboré à l’exécution de ces deux exemplaires. Or on sait que Bes fut très probablement exécuté sous la direction de Pierre de Liffol. Les similarités codicologiques entre Bes et B88 suggèrent que ce dernier manuscrit fit aussi partie de la production de ce libraire. La situation est différente en ce qui concerne L67. Bien que le Maître de Boèce ait peut-être participé à l’exécution de ce manuscrit15, l’étude de la mise en page, des copistes et du texte indique qu’il ne s’agit probablement pas d’un manuscrit jumeau à rapprocher de la production de Pierre de Liffol. Par contre, la version du texte des deux premiers livres contenue dans les autres volumes de L67 montre qu’il est plus proche de trois autres manuscrits des Chroniques de Froissart, conservés à Toulouse, Glasgow et New York, mais qui ne contiennent pas le texte du Livre III. Ces trois manuscrits sont copiés par le même copiste qui a aussi copié les chapitres dans le cahier ajouté à la fin du premier volume de L6716. Il

13 G. Croenen, M. Rouse et R. Rouse, « Pierre de Liffol and the manuscripts of Froissart’s Chronicles »,

dansViator, 33 (2002), pp. 261-293. 14 Ni Jean Porcher ni Millard Meiss n’ont essayé d’identifier l’artiste responsable du Livre III de B88,

cf. J. Porcher, The Rohan book of hours with an introduction and notes, Londres, 1959, pp. 9-10, n. 3; M. Meiss, French painting in the time of Jean de Berry : the Limbourgs and their contemporaries, 2 vol., Londres et New York, 1974, t. 1, p. 475, n. 30. Ce style artistique se retrouve dans un manuscrit de la version en prose de la Vie de Bertrand du Guesclin, v. Catalogue of the magnificent library of the property of the late seventh Duke of Newcastle removed from Clumber, Worksop. The third portion including twenty-nine highly important illuminated manuscripts, Londres, catalogue de vente chez Sotheby, 6 décembre 1937, lot 937.

15 Toutes les miniatures dans les deuxième et troisième tomes de L67 ont été enlevées, mais dans le premier tome il reste encore deux peintures exécutées par le Maître de Boèce. Londres, British Library, ms. Arundel 67, vol. 2, fol. 144 r° et fol. 341 v°.

16 Toulouse, BM, ms. 511 (Livre I); Glasgow, Bibliothèque de l’Université, ms. Hunter 42 (Livre I); New York, Morgan Library, ms. M804 (Livres I et II). Le manuscrit de Glasgow est inachevé (la décoration et les rubriques font défaut). Le manuscrit de Toulouse est enluminé dans le style du Maître de Giac. Le mauscrit de New York est apparemment enluminé par plusieurs artistes, mais le Maître de Boèce a participé à son exécution. Le copiste qui a exécuté la copie de ces trois manuscrits était aussi responsable d’un manuscrit des Grandes Chroniques de France en deux volumes,

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s’agirait donc probablement, dans le cas de L67, d’un manuscrit produit pour un autre libraire parisien, ou bien un livre produit pour Pierre de Liffol, mais à un autre moment de sa carrière.

Parmi les manuscrits du Livre III on reconnaît aussi un autre groupe de manuscrits, ceux de production flamande, exécutés entre ca. 1465 et ca. 1485. Ce groupe contient des manuscrits exécutés pour des membres de la cour des ducs de Bourgogne, leurs amis et leurs alliés. Il comprend le manuscrit PA89, un exemplaire de la librairie ducale, et les manuscrits Ant, Bre, P45, LR5 et Lud, provenant respectivement des collections de Jean de Montmorency, d’Antoine de Bourgogne, le Grand Bâtard, de Louis de Bruges, seigneur de Gruuthuse, et les deux derniers du roi anglais Édouard IV. Chacun de ces manuscrits fait partie d’un jeu complet des quatre livres des Chroniques17. Le manuscrit Ber, qui lui aussi fait partie d’un jeu de cinq tomes représentant les quatre livres des Chroniques, est pour cette raison peut-être à rapprocher de ce groupe au niveau codicologique et artistique, mais la suppression de presque toutes ses miniatures en rend l’étude difficile.

Classement des manuscrits par Kervyn de Lettenhove et Léon Mirot

Kervyn de Lettenhove, dans son édition des Chroniques de Froissart, ne suivait pas la méthode philologique classique, ce qui aurait été presque impossible, vu qu’elle était en train d’être établie en France par Gaston Paris, au moment même où est sortie l’édition publiée par l’Académie royale belge18. Kervyn étudiait quand même les lieux variants, mais ses conclusions sont basées sur un nombre trop restreint de variantes textuelles. Il supposait souvent des filiations directes entre les manuscrits conservés et il semblait ignorer l’idée d’archétype théorique qui définit une famille de manuscrits. Il accordait trop d’importance aux rubriques, surtout aux rubriques générales en tête du texte. Il avait une confiance extrême dans le statut auctorial de certaines variantes, en particulier celles qu’il trouvait dans le manuscrit Bre, qu’il a choisi comme manuscrit de base pour son édition des Livres III et IV. Confronté à des manuscrits excentriques ou un peu particuliers, il avait tendance à les mettre dans des familles à part, sans que soient toujours très claires les filiations qu’il supposait entre ces familles.

Pour le Livre III des Chroniques, Kervyn de Lettenhove concluait à

enluminé aussi par le Maître de Boèce : Château de Kynžvart (République Tchèque), mss. 85-86 (23 A 12 / I & II).

17 Le manuscrit Lud faisait jadis partie d’un jeu auquel appartenaient aussi les manuscrits Londres, British Library, ms. Royal 18 E 1-2 (livres II et IV); le premier livre de ce jeu est perdu.

18 Varvaro, « Problèmes philologiques du Livre IV », p. 258.

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l’existence de deux rédactions distinctes19. La deuxième rédaction serait représentée par un seul témoin, le manuscrit P5020. Tous les autres manuscrits représenteraient la première rédaction, que Kervyn classait en quatre familles (qu’il nomme « séries »), avec des séries à part pour les manuscrits P475 (2e série), Bes (3e série) et Bre (4e série). La première série de la première rédaction est subdivisée en trois familles (que Kervyn nomme « classes ») sur la base du prologue et de la rubrique d’ouverture. Dans la première classe il rassemble les manuscrits B88, Ant, Mon et PA89, sa deuxième classe contient les manuscrits Ber, LR5, P45 et Tor, et la troisième tous les autres manuscrits (P605, H84, L67, P53, P56, P59, P70-71, P76, P487 et Rou)21.

Les conclusions de Kervyn sur la datation des diverses versions du Livre III sont un peu floues. Selon lui, la rédaction qu’il nomme la « première » aurait été écrite en 139022 ou en 139123, mais les deux dernières « séries » de cette rédaction (les manuscrits Bes et Bre) représenteraient des versions qui seraient postérieures24. Le manuscrit Bes serait à dater vers le milieu de la dernière décennie du 14e siècle (ou entre 1391 et 1394)25. Kervyn date la version conservée dans le manuscrit Bre après la rédaction du Livre IV, donc au début du 15e siècle (le manuscrit Bre, dans lequel le texte est conservé, est bien sûr postérieur et date de vers 1468-1469)26. La « deuxième » rédaction du Livre III fut composée, selon Kervyn, après 1392 et probablement vers 140427.

Léon Mirot, qui incluait seulement une courte préface dans son édition, 19 Kervyn de Lettenhove, « Introduction. Seconde partie : Recherches sur l’ordre et la date des

diverses rédactions des Chroniques », dans Œuvres de Froissart publiées avec les variantes de divers manuscrits, t. III-III, Bruxelles, 1873, pp. 1-184 (ici pp. 105-116, 143-147); Id., « Description des manuscrits », pp. 276-279, 350, 368-372, 415-419.

20 Kervyn de Lettenhove, « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », pp. 143-147; Id., « Description des manuscrits », p. 279. Le ms P50 provient peut-être de la collection d’Antoine de Castelnau, seigneur de Jupoy et de Bats, sénéchal de Guyenne. Après la Ligue du Bien Public (1465), ses biens furent confisqués par Louis XI et ses « coffres » donnés à Gaston IV Phébus, le seul seigneur gascon qui soit resté loyal au roi. L’inventaire, dressé en 1467, mentionne pas moins de 41 manuscrits, parmi lesquels « ung autre livre couverture rouge appellé Le second livre des cronicques Froissart, commance Je me suis longuement, et finist de la Riviere » (P. Tucoo-Chala, « un inventaire du trésor du château de Villandraut en 1467 », dans De Nérac à Condom. Fédération historique du Sud-Ouest. Actes du XXXVe congrès d’études régionales tenu à Condom, Flaran et Nérac, les 17, 18 et 19 juin 1983, Agen, 1987, pp. 11-123, en particulier p. 121, n°12). L’explicit est celui de la « deuxième » rédaction du Livre III, et la dénomination « second livre » se trouve aussi dans P50.

21 Id., pp. 245-268. 22 Id., pp. 111-114. 23 Id., p. 167; Id., « Description des manuscrits », p. 279. 24 Id., « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », pp. 117-119, 131-135. 25 Id., « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 168; Id., « Description des

manuscrits », pp. 269-279. 26 Id., « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 147, 168 ; R.E.F. Straub, David

Aubert, escripvain et clerc, Amsterdam et Atlanta, GA, 1995, pp. 91-94. 27 Kervyn de Lettenhove, « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 168.

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acceptait dans ses traits généraux les conclusions de Kervyn de Lettenhove et en précisait la chronologie28. Il y aurait du Livre III deux rédactions distinctes : la première serait à dater en 1390-1391 et la seconde, conservée seulement dans le manuscrit P50, serait postérieure à 1392. Le manuscrit Bre représenterait une version intermédiaire, la révision de la première rédaction, due à l’auteur même. Contrairement à ce que pensait Kervyn, Mirot affirme que le manuscrit Bes est le plus ancien et le meilleur représentant de la première rédaction. Par contre, pour son édition il prenait comme manuscrit de base le témoin P50, le seul représentant de la « deuxième » rédaction.

Kervyn de Lettenhove était convaincu que P50 représentait la version la plus jeune du Livre III des Chroniques, et Léon Mirot accepta ses conclusions. Néanmoins, les arguments avancés pour appuyer cette hypothèse ne sont pas décisifs. La datation relative des deux rédactions du Livre III dans les études de Kervyn de Lettenhove est largement déterminée par ses idées reçues sur la chronologie de la vie de Froissart et la chronologie de l’évolution textuelle des Chroniques. Kervyn de Lettenhove affirme que P50 « offre un travail de remaniement assez étendu et de plus une narration nouvelle pour certaines parties, notamment pour les guerres de Gueldre et pour le mariage du duc de Berry et de Jeanne de Boulogne »29. Si les différences entre les deux rédactions sont bien indéniables, Kervyn ne parvient pas à établir de manière définitive la chronologie relative des deux versions. Ses arguments montrent seulement que la « deuxième » rédaction est postérieure à 1391 (mort de Gaston Fébus) ou peut-être 1392 (voyage de Froissart à Tours)30, tandis qu’il suppose dans sa chronologie une date de composition de la deuxième rédaction beaucoup plus précise, notamment entre 1400 et 140431.

28 Mirot, L. « Avant-propos », dans Chroniques de J. Froissart, éd. L. Mirot, t. XII, Paris, 1931,

p. VII-IX. 29 Kervyn de Lettenhove, « Description des manuscrits », p. 368. 30 Id., « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 146. 31 Id., « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », pp. 147 et 168.

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Jean Froissart, Chroniques, Livre III, Bibliothèque municipale de Besançon, ms 865, fol. 202r, Jeux et divertissements à la cour de Gaston Febus.

Un argument qui reste un peu implicite dans le traitement de Kervyn de Lettenhove, mais qui a probablement influencé ses idées, est lié aux datations des manuscrits Bes et B88. Ce dernier manuscrit — en provenance de la collection privée de Kervyn de Lettenhove, qui le vendit à la Bibliothèque royale à Bruxelles en 1872 — serait selon l’érudit belge le plus ancien manuscrit du Troisième Livre. Il en voyait la preuve dans les armoiries peintes dans la marge inférieure du début du manuscrit, qu’il identifie comme celles

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d’Enguerrand de Coucy, qui quitta la France en 1396 et mourut en février 1397 (n.st.) à Bursa. Le manuscrit Bes fut daté par lui vers la même période que B88 et, selon Kervyn, le manuscrit même aurait pu être emporté en Angleterre par Froissart en 139532. Or la datation de ces deux manuscrits n’est pas correcte. Tous deux sont enluminés dans le style des ateliers parisiens du premier quart du 15e siècle33. Les armoiries sur la page d’ouverture de B88 ont été ajoutées beaucoup plus tard et elles ne donnent donc aucunement un argument pour une datation au 14e siècle34.

Jean Froissart, Chroniques, Livre III, Bibliothèque municipale de Besançon, ms 865, fol. 396 (détail), Perrot le Beharnais entrant à Montferrand.

32 Id, « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 168; Id., « Description des

manuscrits », pp. 269-279. 33 Croenen, Rouse, et Rouse, « Pierre de Liffol and the manuscripts of Froissart’s Chronicles »,

pp. 268-275.

34 G. Croenen, « Philologues, historiens de l’art et codicologues : l’étude des manuscrits des Chroniques », dans Froissart, Chroniques, Livre III. Le manuscrit Saint Vincent de Besançon, Bibliothèque Municipale Ms. n° 865, éd. P.F. Ainsworth, t. 1, Genève, 2007, pp. 32-39 (ici p. 38, n. 52).

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 25

Les différences entre les deux versions du texte qu’on trouve dans P50 et dans

les autres témoins du Livre III, sont marquées et incontestables. Bien que le texte de

P50 soit pour la plupart identique aux autres manuscrits, pour une série de chapitres on y trouve un texte alternatif35. Les chapitres réécrits d’une rédaction à l’autre

incluent la relation de la campagne française en Gueldre et le mariage du duc de

Berry à Jeanne de Boulogne. P50 s’arrête après § 307, tandis que les autres témoins

du Livre III font suivre ce chapitre d’un dernier chapitre qui fait référence à la

continuation du récit historique. Cette continuation ne peut être autre que le Livre IV

des Chroniques. La conclusion s’impose donc que le texte de la « première »

rédaction, ou au moins le dernier chapitre de cette version, fut écrit à un moment où

Froissart avait déjà entamé le Livre IV, ou avait du moins pris la décision de continuer son œuvre historique36. Il serait hasardeux de conclure trop rapidement à

un renversement de la chronologie relative des deux rédactions du Livre III, mais les

éléments apportés ici montrent au moins qu’une comparaison détaillée des

différences dans les chapitres réécrits serait tout à fait souhaitable.

Méthodologie

Presque le seul à s’intéresser de manière sérieuse aux questions philologiques concernant les Chroniques de Froissart depuis les grandes éditions de l’Académie royale de Belgique et de la Société de l’Histoire de la France, l’érudit italien A. Varvaro a publié deux importants articles respectivement sur la tradition manuscrite des Livres I et IV des Chroniques37. Varvaro y suggère de nouvelles façons d’aborder l’étude de la tradition textuelle des Chroniques, à laquelle la méthode philologique classique n’est pas bien adaptée. Étant donné qu’une étude exhaustive du texte complet, d’après tous les témoins, avec une reconstitution d’un stemma codicum fondé sur une série de bonnes variantes significatives, soit presque impossible pour un texte de grande envergure comme les Chroniques, Varvaro propose l’analyse du texte par échantillon38, 35 V. Kervyn de Lettenhove, « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », pp. 143-147. 36 Cela ne veut donc nullement dire que ce dernier chapitre supplémentaire du Livre III fait référence

au Livre IV tel qu’il est maintenant connu dans une rédaction unique. Celle-ci fut continuée jusqu’en 1404, mais le début du Livre IV doit être daté avant. Dans le prologue du Livre IV, ainsi que dans le dernier chapitre du Livre III, Froissart mentionne le comte Guy de Blois comme son mécène, qui meurt en décembre 1397. Sur la datation du Livre IV, v. en dernier lieu A. Varvaro, « Introduction au Quatrième Livre », dans Jean Froissart, Chroniques, Livre III (du Voyage en Béarn à la campagne de Gascogne) et Livre IV (années 1389-1400), éd. P. Ainsworth et A. Varvaro, Paris, 2004, pp. 327-341 (ici pp. 327-330).

37 Varvaro, « Il libro I delle Chroniques di Jean Froissart »; Id., « Problèmes philologiques du Livre IV ».

38 L’analyse par échantillon a bien sûr aussi été adoptée dans l’étude d’autres traditions textuelles, v. par exemple l’étude récente de L. Brun et M. Cavagna, « Pour une édition du Miroir historial de Jean de Vignay », dans Romania, 124 (2006), pp. 378-428.

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l’étude des variantes non-significatives, et l’intégration de l’étude du texte et l’analyse du paratexte (en particulier les programmes d’illustration)39. Dans son article sur le Livre IV des Chroniques, Varvaro a montré que sa méthode est assez robuste pour arriver à des conclusions importantes, avec un effort beaucoup plus réduit qu’exigerait la méthode classique, bien que l’étude des variantes non-significatives aboutisse souvent à des conclusions moins solides, surtout en ce qui concerne la direction de la dépendance ou la filiation précise entre familles et témoins.

Le but du collationnment des témoins du Livre III, dont les résultats sont présentés ici, est d’évaluer le classement des manuscrits appartenant à la rédaction que Kervyn de Lettenhove et Mirot ont caractérisée comme la « première » rédaction. Les différences entre le texte qu’on trouve dans P50 et les autres témoins du Livre III n’ont donc pas retenu ici mon attention40. L’analyse du Livre III est basée sur le collationnement d’un échantillon de 12 chapitres, distribuée de manière plus ou moins égale, dans le début, le milieu et la fin du texte. Les extraits sélectionnés présentent aussi quelque intérêt littéraire ou historique. Ce sont les chapitres suivants41: § 1 (prologue), § 45-47 (histoire du seigneur de Coarraze et de son serviteur Horton)42, § 67-69 (prophéties du cordelier Jean de Roquetaillade, avec la fable du “Geai paré des plumes du paon”)43, § 159 (histoire de Bretagne, avec la définition des genres « chronique » et « histoire »)44, § 177 (continuation de l’histoire de Bretagne, avec quelques renseignements autobiographiques de Froissart), § 306-308

39 Kervyn de Lettenhove étudiait déjà le paratexte, en l’occurrence les miniatures et la rubrique

générale. Il accordait probablement trop d’importance à la rubrique générale, en basant sa classification de manuscrits en grande partie sur cet élément, v. Varvaro, « Problèmes philologiques », p. 260.

40 J’ai l’intention de revenir sur cette question et sur la chronologie relative des versions du Livre III dans une contribution qui paraîtra dans le dernier tome de la nouvelle édition du Livre III, v. n. 5.

41 Ici et plus bas les références se feront toujours aux divisions du Livre III dans l’édition de L. et A. Mirot.

42 L. Harf-Lancner, « Une légende mélusienne dans les Chroniques de Froissart : l’histoire du seigneur de Coarraze et de son serviteur Horton », dans Mélusines continentales et insulaires. Actes du colloque international tenu les 27 et 28 mars 1997 à l’Université de Paris XII et au Collège des Irlandais, éd. J.-M. Boivin et P. MacCana, Champion, 1999, pp. 205-221.

43 L. Harf-Lancner, « Froissart et la fable du Geai paré des plumes du Paon », dans Reinardus. Annuaire de la Société internationale renardienne, 13 (2000), pp. 107-122 ; J. Bignami-Odier, « Jean de Roquetaillade (de Rupescissa), théologien, polémiste, alchimiste », dans Histoire littéraire de la France, t. XLI, Paris, 1981, pp. 75-240 (ici en particulier pp. 177-180).

44 B. Guenée, « Histoire, annales, chroniques. Essai sur les genres historiques du Moyen Âge », dans Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 28 (1973), pp. 997-1016 (en particulier pp. 1007-1008). Il est à remarquer que la leçon ce seroit cronique non pas historiee, à laquelle M. Guenée attache une certaine importance dans sa discussion du § 159 du Livre III des Chroniques de Froissart, ne se retrouve en fait que dans un seul témoin (P50) et doit être rejetée comme une faute de copiste. Presque tous les autres témoins du Livre III donnent la leçon vraisemblablement correcte ce seroit cronique, non pas histoire ». Bes donne la variante insignifiante « ce seroit cronique et non pas histoire, tandis que P475 et P605 donnent ce seroit droitte cronique et non pas histoire.

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 27

(derniers chapitres, le mariage du duc de Berry et le traité de Leulinghen).

Tous les extraits sélectionnés, sauf les § 306-307, pour lesquels on trouve un texte différent dans P50, et § 308, qui manque complètement dans la version représentée par ce manuscrit, se trouvent dans les deux rédactions du Livre III. Cela a l’avantage pour le collationnement que P50 fonctionne comme témoin indépendant. Quand la leçon de l’un ou l’autre manuscrit s’accorde avec P50, cela indique que cette leçon reflète très probablement la version de l’original O1 voire O2. Le prologue a été inclus dans l’échantillon surtout afin de contrôler les conclusions de Kervyn de Lettenhove, qui y accorde beaucoup d’importance dans sa classification. Dans plusieurs manuscrits conservés le prologue a été mutilé et il manque presque complètement dans quelques manuscrits à la suite de l’enlèvement de la miniature d’ouverture45, mais il est conservé dans d’autres manuscrits fragmentaires46.

Afin de vérifier les résultats pour quelques manuscrits fragmentaires, en particulier pour les manuscrits Tor et B88, des collations supplémentaires ont été effectuées sur le § 5 (le Prince Noir à Tarbes), les § 139-140 (mariage de la fille du duc de Lancastre et du roi de Portugal) et les § 225-226 (début de la guerre entre Brabant et Gueldre). Au total cet échantillon représente 4,5% du texte du Livre III. En plus, pour les témoins Ant, B88, Bes, Ber, Bre, Cam, LR5, Mon, PA89 et Ver on a aussi procédé à une comparaison complètes des rubriques, tandis qu’un collationnement partiel des rubriques a été effectuée pour les témoins L67, P475 et les autres membres de la famille α.

Les collationnements complets des chapitres sélectionnés ont permis d’identifier un grand nombre de lieux variants, mais dans mon exposé seulement les plus importants ont été reproduits à titre d’exemple.

Collationnement et généalogie des manuscrits

Le collationnement des extraits sélectionnés a permis de produire un stemma codicum de tous les témoins du Livre III des Chroniques (fig. 1). Dans le stemma, l’original perdu de la « première » rédaction est représenté par le sigle O1, celui de la « deuxième » rédaction par le sigle O247.

P50 est le seul témoin qui remonte à l’original O2 de la « deuxième rédaction ». Les autres témoins sont dérivés de l’original O1, qui représente la

45 En particulier dans les manuscrits Ber, L67, P475 et P605. 46 Le prologue du Livre III est conservé dans les manuscrits fragmentaires Cam et B88. Les extraits

disponibles de P487 et Tor conservent le début du prologue (P487) ou la fin (Tor). 47 Comme indiqué plus haut, la chronologie relative des deux rédactions mérite des recherches

avancées, mais celles-ci ne sauraient changer de manière fondamentale les résultats de mon analyse des filiations entre les témoins de la « première » rédaction.

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« première » rédaction. Trois familles indépendantes sont copiées d’après O1 : la famille α, qui rassemble 20 témoins, la famille comprenant L67 et Cam, et la famille comprenant P475 et P605 (exemples nos 1-3, 8).

Exemple n° 1 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 229, l. 13-14) L67, P475 ... au cardinal d’Aucerre

P605 ... au cardinal d’Ausserre

P50 ... au cardinal d’Ostie que on disoit Arras et au cardinal d’Aucerre

Bes ... au cardinal d’Ostie que on disoit d’Arras et au cardinal d’Aucerre

Mon ... au cardinal d’Ausoire

PA89, Bre ... au cardinal d’Auxerre LR5 ... au cardinal de Sanxerre

Lud, Ant, P59, Ber …au cardinal de Xancerre

P45 ... au cardinal de Xaucerre

P53, Rou, P56, H84, Ver ... au cardinal d’Ostie que on disoit d’Arras et au cardinal d’Auxerre

P70-71 ... au cardinal d’Ostie que on disoit d’Arras et au cardinal d’Auxcerre

P76 ... au cardinal d’Ostie que on disoit d’Arraz et au cardinal d’Auxerre

Delisle a démontré que P605, un manuscrit du milieu du 15e siècle, exécuté pour René d’Anjou, fut copié d’après P47548. Ces deux manuscrits donnent bon nombre de leçons communes qui ne se retrouvent pas dans les autres témoins (exemples nos 2-3).

Exemple n° 2 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 171, l. 19) P475 Noz gens ont eu affaire dont je suis moult dolent et courroucié. Car

il est a eulx prins ...

P605 Noz gens ont eu affaire, dont je suis moult dolee et courroucié, car il est a eulx prins ...

L67 Noz gens ont eu a faire, dont je suy courroucié, car il leur est pris ...

P50 Nos gens ont eu a faire dont je suy courroucié car ilz leur est pris ...

Bes Noz gens ont eu a faire, dont je sui courrouciez, car il leur est prins...

PA89 Nos gens ont eu a faire, dont je sui courroucé. Car il leur est prins ... 48 L. Delisle, « Vente de manuscrits du comte d’Ashburnham », dans Journal des savants, 1899, pp. 317-

337, 493-512 (ici pp. 493-498).

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Les leçons propres à P475 et P605 ont souvent le caractère de vraies interpolations, que Siméon Luce a attribuées, probablement à raison, au scribe de P475, le copiste breton Raoul Tainguy (exemple n° 3)49.

Exemple n° 3 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 175, l. 1-3) P475 Si commença a rire et dist qu’ilz l’avoient songié, aprés ce qu’ilz

avoient trop beu devers le soir son meilleur vin, et aprés le feu grant et cler qui leur tourmentoit les testes telement qu’ilz s’aloient couchier sanz fermer sa cuisine ne ordonner sa vaisselle et mettre en sauf. Et pour ce les chiens y entroient qui abatoient poz et paelles et vaisselle et menoient ce tempesteiz. « En nom Dieu, dist la dame, sauve vostre grace ce n’ont mie fait les chiens de ceans car je oui bien tout ce qu’ilz dient avoir ouï! »

P605 Si commença a rire et dist qu’ilz l’avoient songié aprés ce qu’ilz l’avoient trop beu devers le soir son meilleur vin et aprés le feu grant et clier qui leur tourmentoit les testers telement qu’ilz s’aloient couchier sans fermer la cuisine ne ordonner sa vaisselle et mectre en sauf. Et pour ce les chiens rentroient qui abatoient poz et paelles et vaisselle et menoient ces tempesteiz. « En nom Dieu, monseigneur, dist la dame, sauve vostre grace ce n’ont mie fait les chiens de ceans car je ouy bien tout ce qu’ilz dient avoir ouÿ! »

L67 Il commença a rire et dist qu’ilz l’avoient songié et que n’avoient esté que vens. « En nom Dieu, dist la dame, je les oy bien! »

P50 Il commença a rire et dist que il avoient songié et que ce n’avoit esté que vent. « En nom Dieu, dist la damme, je les oy bien! »

Bes Il commença a rire et dist que ilz l’avoient songié, et que n’avoit esté que vent. « En nom Dieu, dist la dame, je l’ay bien ouÿ! »

PA89 Il commença a rire et dist qu’ilz l’avoient soingé et que n’avoit esté que vent. « En nom Dieu, dist la dame, je l’ay bien oÿ! »

La deuxième famille qui dépend directement de l’archétype O1 contient les témoins L67 et Cam. Il est difficile de déterminer exactement la relation entre L67 et Cam, parce que Cam est un fragment consistant en un seul feuillet ne contenant qu’une partie du prologue. Le manuscrit originel, s’il s’agissait jamais d’un manuscrit complet, aurait été en tout cas laissé inachevé : y manquent la miniature de la page d’ouverture, à laquelle un espace blanc est réservé, et

49 S. Luce, « Un copiste interpolateur sous le règne de Charles VI : Raoul Tainguy », dans La France

pendant la guerre de Cent ans. Épisodes historiques et vie privée aux XIVe et XVe siècles, éd. S. Luce, Paris, 1890, pp. 245-259; v. aussi Delisle, « Vente de manuscrits », pp. 495-498. Contre l’opinion de Luce et Delisle, Mme Tesnière attribue les variantes textuelles qu’on trouve dans les manuscrits copiés par Raoul Tainguy à Froissart même. Tesnière, « Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy », pp. 303-306.

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l’initiale au début du prologue. Le manuscrit L67 est plus ou moins complet mais il a perdu plusieurs feuillets avec des miniatures, y compris le début du texte avec la plus grande partie du prologue, ce qui rend particulièrement difficile la comparaison des deux manuscrits.

Pour la fin du prologue, qui est conservée dans les deux témoins, on peut constater qu’ils s’accordent mot pour mot, mais P475, P50 et Bes donnent les mêmes leçons (les autres témoins de la famille α y présentent des variantes, v. exemple n° 4). Cela indique simplement que les leçons communes remontent à O1 et O2 et n’offrent donc pas d’arguments pour l’existence d’une famille à part rassemblant Cam et L67. Un argument décisif pour mettre L67 et Cam quand même ensemble dans une famille séparée se trouve dans la rubrication de ces deux manuscrits : la rubrique du § 2 est vraisemblablement identique dans les deux manuscrits (exemple n° 6), tandis que la rubrique d’ouverture, perdue dans L67 mais conservée dans Cam, se distingue nettement des rubriques générales des autres manuscrits (exemple n° 5).

Le fait que les deux manuscrits du Livre III exécutés par le copiste Raoul Tainguy (P475 et Cam) appartiennent à deux familles textuelles différentes jette un jour nouveau sur l’activité de ce professionnel du livre. Les libraires et les autres professionnels du livre à cette époque à Paris qui étaient en charge de la production de manuscrits, avaient l’habitude d’utiliser le même texte de base en cas de production de plusieurs exemplaires d’un même ouvrage. La conséquence en est donc que les exemplaires produits par ou pour le même libraire ont tendance à se ressembler assez nettement au niveau textuel. Cela se traduit sur un stemma par l’appartenance à une même famille textuelle50. Comme ce n’est pas le cas avec les deux manuscrits copiés par Raoul Tainguy(Cam et P475), il faudrait probablement envisager la possibilité qu’il ne travaillait pas seulement pour la famille d’Arnaud de Corbie, président du Parlement de Paris, ce qui a été démontré de manière convaincante par Mme Tesnière51, mais aussi pour des libraires parisiens, tel un libraire anonyme qui aurait été responsable de la confection des manuscrits L67 et Cam52.

50 R H. Rouse et M. A. Rouse, Illiterati et uxorati. Manuscripts and their makers : commercial book producers in

medieval Paris, 1200-1500, 2 vol., Londres, 2000, t. I, pp. 107-113, 189-201; Croenen, Rouse et Rouse, « Pierre de Liffol and the manuscripts of Froissart’s Chronicles », pp. 268-270.

51 Tesnière, « Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy ». 52 La même réserve vaut peut-être aussi pour un manuscrit du Livre Ier, Leyde, Bibliothèque de

l’Université, ms. VGGF 9, t. 1, copié en coopération par deux copistes, Raoul Tainguy et un copiste non-identifié. V. Tesnière, « Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy », pp. 330-331. Les rubriques du ms de Leyde ne s’accordent pas avec celles d’un autre manuscrit du Livre Ier, BnF, ms. fr. 6474, copié par Raoul seul. Cela suggère que ces deux manuscrits ont été copiés d’après deux exemplaria différents.

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Exemple n° 4 : § 1 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 3, l. 28-31). P475 Si vous voulray esclarcir par beau langaige tout ce dont je fus adonc

informé pour rengrossier nostre matiere et pour exempler les bons...

L67 Si vous vouldray esclarcir par beau langaige tout ce dont je fus adont infourmé pour rengroissier nostre matiere et pour exempler les bons...

Cam Si vous vouldray esclarcir par beau langage tout ce dont je fuz adonc informés pour rengrossier nostre matiere et pour exempler les bons...

P50 Si vous vouldroie esclarcir par bel langaige tout ce dont je fus adont infourmé pour rengrossier nostre matiere et pour exemplier les bons...

Bes Si vous vouldray esclarcir par beau langaige tout ce dont je fuz adonc enfourméz, pour rengrossier nostre matiere et pour exemplier les bons...

B88 Si vous esclarciray par beau langaige tout ce dont je fuz adonquez informéz pour acroistre ma matiere et pour donner aux bons exemple...

PA89 Si vous esclerciray par beau langaige tout ce dont je fus adoncques informé, pour accroistre ma matiere et pour donner aux bons exemple...

Mon Sy vous esclarchiray par beau langage tout che adoncques je fus informé pour accroistre ma matere. Et pour donner exemple aux bons...

Bre Si vous esclarciray par beau langaige tout ce dont je fus adoncques infourmé pour accroistre ma matiere et pour donner aux bons exemple...

P53 Si vous esclerciray par beau langaige tout ce dont je fuz adoncques informé pour acroistre ma matiere et pour donner aux bons exemple...

Exemple n° 5 : rubrique générale du Livre III53 P475 [......]mier livre a la bataille de Montebourc en laquele monseigneur

Guillaume des Bordes ce vaillant chevalier et les François furent desconfis, mors et prins. [....] pour aler devers haus prince et renommé monseigneur Gascon [sic], conte de Foix et de Berne, par lequel conte et pluseurs aultres chevaliers et escuiers ledit Froissart fut informé de toutes les besongnes qui lors avindrent es roiaumes de Castille de Portugal, de Navarre, d’Espaingne, d’Arragon, de Gascongne et d’autres païs.

Cam Ci aprés s’ensuit la tierce partie des croniques sire Jehan Froissart sur les fais [...] d’Angleterre, d’Espaigne [...] et de France.

Bes Comment sire Jehan Froissart enqueroit diligemment comment les

53 Le manuscrit P50, qui représente la « deuxième » rédaction, n’a pas de rubriques. LR5, P45, P59 et

Ant n’ont pas de rubrique générale. La page d’ouverture est perdue dans P605, L67, Ber et Tor.

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guerres s’estoient portees par toutes les parties de France. B88 Ci commance l’autre partie principale des croniques sire Jehan

Froissart, qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne, de Portingal, de Naples et de Romme. Et premierement parle comment il se parti de France pour aler en la conté de Foix et des guerres de Portugal et d’Espagne.

PA89 Cy commence l’aultre partie principale des croniques sire Jehan Froissart qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne, de Portingal, de Napples et de Romme. Et premierement parle comment il se partit de France pour aler en la conté de Foix et des guerres de Portingal et d’Espaigne. Le premier chapitre.

Lud Cy commence le tiers volume des cronicques sire Jehan Froissart lequel contient les nouvelles guerres de France d’Angleterre d’Espaigne de Portingal de Napples et de Romme. Et premierement parle comment il se partit de France pour aller en la conté de Foix et des guerres de Portuigal et d’Espaigne.

Mon Cy commence l’autre partye principale.

Bre Cy commence la tierce partie des croniques sire Jehan Froissart qui contiennent les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne, de Portingal, de Naples et de Romme. Et premierement parle comment il se party de France pour aler en la conté de Foiz. Et des guerres de Portingal et d’Espaigne. Le premier chapitre. Prologue.

P53 Cy commence la tierce partie principale des cronicques sire Jehan Froissart qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne, de Portingal, et de Ytalie. Et parle premierement comment sire Jehan Froissart se partit de France pour aler par devers le conte de Foix, et la maniere de son voiage.

P70-71 Cy commence la tierce partie principale des croniques sire Jehan Froissart, qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne et d’Ytalie. Et parle premierement comme sire Jehan Froissart se partit de France pour aller par devers le conte de Foix et la maniere de son voiage.

P56 Cy commence la tierce partie principalle des cronicques sire Jehan Froissart qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre, d’Espaigne et d’Ytalie, et parle premierement comme sire Jehan Froissart se partit de France pour aller par devers le conte de Froix et la maniere de son voiage.

H84 Cy commence la tierce partie principale de croniques sire Jehan Froissart qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterrre, d’Espaigne et d’Ytalie. Et parle premierement comment sire Jehan Froissart se partit de France pour aler par devers le conte de Foix et la maniere de son voyage.

Rou Cy commence la tierce partie principale des croniques sire Jehan Froissart qui contient les nouvelles guerres de France, d’Angleterre d’Espaigne et d’Ytalie et parle premierement comme sire Jehan Froissart se partit de France pour aller par devers le conte de Foix et la maniere de son voyage

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 33

Ver Comment sire Jehan Froissart se partit de France pour aller pardevers le conte de Foix et la maniere de son voyage.

P76 Comment sire Jehan Froissard se partit de France pour aller pardevers le conte de Foiz et la maniere de son voyage.

Exemple n° 6 : rubrique du § 2 P475 Comment monseigneur Aymon, filz du roy d’Angleterre et conte de

Cantebruche, qui avoit eu a femme Ysabel, l’une des filles du roy dam Pietre, se tint pour mal content du roy Ferront d’Espaingne pour ce que maugré le dit conte de Cantebruche il avoit fait paix au roy de Castille.

L67 Comment le roy de Portingal se retraÿ qui n’osa combatre le roy d’Espaingne.

Cam Comment le roy d[..........................]

Bes Comment, aprés ce que le conte de Foix ot receu sire Jehan Froissart en son hostel moult honnouraiblement, le dit sire Jehan escripvoit les fais d’armes qu’on lui nommoit.

B88 sans rubrique à cet endroit

Mon sans rubrique à cet endroit

Bre Comment le conte de Cantebruge, voiant que le roy Ferrant de Portingal ne combateroit aux Espaignolz, retourna et Jehan son filz enconvenencié a Beatris de Portingal o son armee vers Angleterre.

famille β sans rubrique à cet endroit

famille γ sans rubrique à cet endroit

La troisième famille qui dépend de l’original O1 contient tous les témoins de la première rédaction sauf P475, P605, L67 et Cam. Ces 20 témoins sont tous dérivés de l’archétype perdu α en tête de cette famille. L’existence de cette famille se laisse constater sur plusieurs variantes communes qui l’opposent aux autres descendants de O1 et à P50 (exemples nos 7-9 et 19).

Exemple n° 7 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 229, l. 2) P475, P606 ... en recoy...

L67, P50 ... en requoy...

famille α ... en privé...

Exemple n° 8 : § 177 (Chroniques, éd. Mirot, t. 14, p. 2, l. 16-20) L67 Ainsi en plusieurs manieres parloit on du royaulme de France et par

especial du duc de Bretaingne on ne pouoit parmy le royaume chanter nulle bonne chançon

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P475 Ainsi et en pluseurs manieres en parloit on ou royaume de France. Et par especial du duc de Bretaingne on ne pouoit parmi le royaume chanter bonne chançon nulle

P50 Ainsi et en pluseurs manieres en parloit on ou royaulme de France et par especial du duc de Bretaigne. On ne pouoit parmy le royaume chanter nulle bonne chanchon

famille α Ainsi et en plusieurs manieres en parloit on ou royaulme de France

Exemple n° 9 : § 307 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 309) L67 le daulphin d’Auvergne, le conte de Sanssorre, le sire de la Rivere et

grant foison des barrons et des chevaliers d’Auvergne

P475 le conte daulphin d’Auvergne, le conte de Sancerre, le sire de La Riviere et grant foison de barons et de chevaliers d’Auvergne

Bes, Mon, familles δ et β le conte daulphin d’Auvergne

Bre le conte daulfin d’Auvergne

L’archétype α ne saurait être identifié ni à Bes ni à B88, les témoins les plus anciens de la famille, parce que le collationnement montre clairement qu’il est impossible que l’un soit copié sur l’autre. À plusieurs lieux variants les leçons de Bes sont identiques à celles de P475, L67 et P50, témoins en tête de famille et proches de O1, tandis que B88 et les autres membres de la famille α donnent des leçons variantes (exemples nos 4 et 12). Il est donc impossible que Bes soit une copie de B88. Par contre, les leçons de Bes ne sont pas toujours meilleures que celles de B88. La version du prologue donnée par Bes, par exemple, est abrégée à divers endroits, alors que la version de B88 et des autres témoins de la famille α concorde avec les témoins des autres familles (exemples nos 10-11). La seule conclusion possible est donc que Bes et B88 sont copiés tous deux d’après un ancêtre commun.

Exemple n° 10 : § 68 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 228, l. 18-19) L67 ... Clement fu a la premiere eleccion a Romme de l’arcevesque de Bar

et cardinal de Geneve que il s’apelloit...

P475 ... Clement fu a la premiere election a Romme de l’archevesque de Bar et cardinal de Geneve qu il s’appelloit...

P50 ... Clement fu a la premiere election a Romme de l’arcevesque de Bar et cardinal de Geneve que il s’appelloit...

Bes ... Clement fu a la premiere election a Romme de l’arcevesque de Bar et cardinal de Genevre...

PA89, LR5, Ant, P45 ... Clement fut a la premiere election a Romme de l’archevesque de Bar et cardinal de Geneve...

Lud ... Clement fut a la premiere ellection a Romme de l’archevesque de

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 35

Bar et cardinal de Geneve...

P59 ... Clement fut a Romme de l’archevesque de Bar et cardinal de Geneve...

Ber ... Clement fut a la premiere ellection a Romme de l’archevesque de Bar et le cardinal de Geneve...

Bre ... Clement fut a la premiere election a Romme del archevesque de Bar et cardinal de Geneve...

Mon ... Clement fut alla premiere election a Romme de l’archevesques de Bar et cardinal de Geneve...

P53 ... Clement fut a la premiere election a Romme de l’archevesque de Bar. Il Clement estant cardinal de Genevre...

P70-71 ... Clement fut a la premiere election a Romme pour l’archevesque de Bar. Cil Clement estant cardinal de Geneve...

Rou ... Clement fu a la premiere eslection a Romme pour l’arcevesque de Bar, celuy Clement estoit cardinal de Geneve...

P56 ... Clement fust a la premiere election a Romme pour l’arcevesque de Bar. Celuy Clement estant cardinal de Genevre...

H84 ... Clemens fut a la premiere election a Romme pour l’arcevesque de Bar. Cellui Clement estant cardinal de Geneve...

Ver ... Clement fut a la premiere election a Romme pour l’arcevesque de Bar. Celluy Clement estant cardinal de Geneve...

P76 ... Clement fut a la premiere eslection a Romme pour l’arcevesque de Bar. Cellui Clement estant cardinal de Genevre...

Exemple n° 11 : § 1 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 2, l. 29-30). Cam et monstray ce, et le voyage que je vouloye faire a mon tres redoubté

seigneur le conte de Blois...

P475 Et remonstray tout ce et le voiage que je voloie faire a mon tresredoubté seigneur le conte de Blois...

P50 Et remonstray ce et le voyage que je voloie faire a mon tresredoubté seigneur le conte de Blois...

Bes Si remonstray ce voyage a mon tres chier et redoubtéz seigneur, monseigneur le conte de Bloys...

B88 et remonstray ce et le voyage que je vouloye faire, a mon tres redoubté seigneur le conte de Bloys ...

PA89 et remonstray ce et le voyaige que je vouloie faire a mon tresredoubté seigneur le conte de Blois...

P53 et remonstray ce et le voiage que je vouloie faire a mon tres redoubté le conte de Blois...

Bre et remonstray tout ce et le voiaige que je vouloie faire, a mon tresredoubté seigneur le conte de Blois...

Mon Et remonstray che le voyage que je voloye faire a mon tresredouté seigneur le conte de Bloix...

Godfried Croenen 36

Le manuscrit perdu qui fut l’archétype de la famille α avait vraisemblablement des rubriques, dont on trouve la trace dans toute une série de rubriques qui sont en commun entre les membres de la famille α. Il est assez probable que l’archétype α ait été plus au moins contemporain des témoins Bes, B88, L67, Cam et P475, et qu’il s’agissait d’un manuscrit de production parisienne. Les plus anciens manuscrits des Chroniques avec rubriques datent notamment du début du 15e siècle, et tout indique que c’étaient les libraires parisiens qui furent les premiers à fournir les Chroniques de Froissart de rubriques54.

Il est plus difficile d’affirmer que l’archétype de la famille α ait été aussi enluminé. De B88 il ne subsiste pour le Livre III que huit feuillets avec miniatures, mais il est bien possible qu’à l’origine ce manuscrit ait contenu des miniatures supplémentaires. Le Livre III dans le manuscrit Bes est illustré par dix miniatures. B88 et Bes ont en commun seulement la miniature qui illustre le § 63, où l’on voit dans les deux manuscrits une scène de bataille, mais cette illustration n’a pas reçu de rubrique dans B88. Il est donc moins probable qu’il y ait eu une division du texte, avec rubrique, à cet endroit dans α, et l’existence d’une miniature à cet endroit dans Bes et B88 s’explique peut-être simplement par l’intérêt général porté vers l’Orient à cette époque, plutôt que par le recours à une source commune, c’est-à-dire une image présumée dans l’archétype α. Sur la page d’ouverture de Bes et B88 se trouvent en outre des grandes miniatures qui représentent des scènes à la cour de Gaston Fébus, mais les sujets ne sont pas identiques dans les deux témoins55. Les autres illustrations de ces deux manuscrits se trouvent au début de chapitres différents56. Si l’iconographie de Bes et B88 avait conservé la trace du programme d’illustration de α, celui-ci serait plutôt minimal, avec seulement une miniature sur la page d’ouverture, comme l’on en trouvait aussi une dans P475, P605 et Cam.

Beaucoup de leçons variantes de Bes sont uniques et ne se retrouvent dans aucun autre manuscrit de la tradition étudiée ici. Cela montre que Bes n’a pas eu des descendants (exemple n° 10). L’exception est probablement à trouver parmi les témoins indirects, en l’occurrence la traduction en moyen néerlandais, composée en Hollande au milieu du 15e siècle, par Gerrit Potter van der Loo, officier du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Les résultats préliminaires des

54 Les rubriques des Chroniques méritent une étude à part. J’ai l’intention de revenir sur ce sujet dans

un autre article. 55 Les différences dans l’iconographie de la miniature d’ouverture de B88 et Bes sont peut-être

attribuables au fait que les deux peintures sont exécutées par deux artistes distincts, le Maître de Boèce, dans le cas de Bes, et un artiste anonyme dont l’œuvre reste à identifier, dans le cas de B88, v. supra n. 14.Voir illustration de couverture et planches couleurs.

56 Les autres chapitres illustrés dans Bes sont les § 7, 39, 235-236, 249, 266, 283, 288 et 296. Dans B88 on trouve des illustrations pour les § 141, 172, 195, 226, 252, 285.

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 37

comparaisons entre le collationnement du Livre III et la traduction néerlandaise des Chroniques indiquent que le texte français de Bes correspond de manière assez nette à la traduction néerlandaise57.

Contrairement à la situation de Bes, les variantes de B88 se retrouvent presque toutes dans les autres membres de la famille α, et il est tout à fait probable que B88 soit en effet l’archétype de tous ces autres témoins. À cause de l’état fragmentaire de B88, il est difficile de l’affirmer de manière absolue. Pourtant, le collationnement des chapitres § 1, § 139-140 et § 225-226 a produit toute une série de lieux variants où B88 s’oppose à Bes et aux représentants des autres familles, mais où il donne la même leçon que les autres témoins de la famille α (exemples nos 4, 10-15).

Exemple n° 12 : § 139 (Chroniques, éd. Mirot, t. 13, p. 161, l. 33- p. 162, l. 2) L67 le roy solempnelment present tous ceulx qui le porent veoir de

rechief l’espousa la

P475 le roy solempnelement, present tous ceulx qui le porent veoir, de rechief l’espousa la

P50 le roy solempnelement, present tous ceulx qui les peurent veoir, de rechief l’espousa la

Bes le roy sollempnelment devant tous ceulx qui le peurent veoir de rechief l’espousa la

B88 le roy sollempnellement devant tous ceulx qui le vouldrent veoir ou peurent derechief l’espousa la

PA89 le roy sollennelement devant tous ceulx qui le vouldrent veoir ou peurent, de rechief l’espousa la

LR5 le roy sollempnellement devant tous ceulx qui le vouldrent veoir ou peurent de rechief l’espousa la

Lud le roy solempnellement, devant tous ceulx qui le vouldrent veoir ou peurent, de rechief l’espousa la

Mon le roy solempnellement devant tous l’espousa de rechief

Bre le roy solempnellement devant tous ceulx qui le vouldrent veoir ou peurent, de rechief l’espousa illec

P53 le roy solempnellement davant tous ceulx qui les peurent voir l’espousa la

Exemple n° 13 : § 1 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 3, l. 15) P50 ... ou paÿs de Bordeloys ...

57 La traduction néerlandaise du Livre III des Chroniques est actuellement l’objet de la thèse de

doctorat que prépare M. Schoenaers sous ma direction à l’Université de Liverpool. Je le remercie de m’avoir informé des premiers résultats de ses analyses textuelles.

Godfried Croenen 38

Bes ... ou paÿs de Bourdelois ...

B88, P76, Ver ... ou paÿs de Bourbonnoys ...

PA89, P70-71, P56 ... ou païs de Bourbonnoys ...

LR5, H85, Mon, famille η ... ou paÿs de Bourbonnois ...

Lud ... ou païs de Bourbonnoiz ...

Bre ... ou bon paiis de Bourbonnois ...

P53, Rou ... ou païs de Bourbonnois ...

Exemple n° 14 : § 225 (Chroniques, éd. Mirot, t. 14, p. 155, l. 25) L67 ... en Zelande

P475 ... en Zellande

P50 ... en Zeelande

Bes ... en Zellandes

B88 ... en Zelande, avec la dicte conté de Bloys

PA89 ... en Zeellande avecques la dicte conté de Blois

LR5 ... en Zellande avec la dicte conté de Blois

Ant ... en Zeellande avecq laditte conté de Bloys

Ber ... en Zeellande avecques laditte conté de Bloiz

Mon ... en Zelande avecq la ditte contee de Bloix

Bre ... en Zeellande, avecques laditte conté de Blois .

P53 ... en Zellande avecques laditte conté de Blois

Exemple n° 15 : § 226 (Chroniques, éd. Mirot, t. 14, p. 157, l. 1) L67, Bes il en estoit avenu du temps passé...

P475 il en estoit advenu du temps passé...

P50 il en estoit avenut du temps passé...

B88, PA89, LR5, Ber, Mon, Bre, P53 il en estoit advenu...

Ant il en estoit avenu...

L’étude des rubriques ne contredit pas l’identification de B88 comme archétype de tous les témoins de la famille α sauf Bes. Dans son état fragmentaire actuel, B88 ne contient que sept rubriques, mais elles se retrouvent toutes dans les autres témoins de la famille α. On peut supposer que le manuscrit B88, dans son état originel complet, contenait une série de 115 rubriques. Plusieurs membres de la famille β, en particulier PA89, Lud, Ant, P45 et Tor divisent le texte en 115 chapitres, chacun normalement précédé d’une

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 39

rubrique58. La famille δ répète la série de 115 rubriques, mais en y ajoutant huit rubriques supplémentaires, ce qui résulte en une série de 123 rubriques numérotées, qui se retrouvent dans presque tous les témoins de cette famille. Les manuscrits Mon et Bre divisent le texte aussi en chapitres numérotés précédés de rubriques. Mon en a 116 et Bre, où la série de rubriques a été élargie considérablement, en a 181.

Sauf arguments contraires, il semble donc permis de conclure que B88, ou du moins un manuscrit très proche de celui-ci, fut l’archétype du reste de la famille α. La comparaison des variantes montre que les descendants de B88 se laissent diviser en trois familles distinctes: β, γ et δ. L’identité des familles β et δ peut être aisément établie grâce à un nombre considérable de variantes qui opposent les témoins de ces deux familles (exemples nos 1, 4, 10, 16-21).

Exemple n° 16 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 172, l. 8) P475 qui y avoient perdu leurs freres, leurs peres et leurs enfens

et leurs autres amis

L67, P50 qui y avoient perdu leurs freres, leurs peres, leurs enfans et leurs amis

Bes lesquelz y avoient perdu leurs freres, leurs peres, leurs enfans et leurs amis

PA89, Ant lesquelz y avoient perdus leurs freres, leurs peres, leurs seigneurs et leurs amis

LR5 lesquelz y avoient perdu leurs seigneurs et leurs amis

Lud lesquelz y avoient perdu leurs freres, leurs peres, leurs seigneurs et leurs amiz

P45, P59, Ber, Mon, Bre lesquelz y avoient perdu leurs freres, leurs peres, leurs seigneurs et leurs amis

P53 lesquelz y avoient perdu leurs freres, leurs peres, leurs enffans et leurs amys

P70-71, P56, H84, Rou, Ver lesquelx y avoient perdu leurs freres, leurs parens, leurs enfans et leurs amis

P76 lesquelz y avoient perdu leurs freres, leurs parens, leurs enfans et leurs amiz

Exemple n° 17 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 172, l. 11-12) L67 Je le sauroie volentiers

P50 Je le sçaroye volentiers

P475 Je le sçaroie moult volentiers

58 LR5 divise le texte en 113 chapitres, Ber en a 112, tandis qu’à cause de l’état incomplet de P59 il

n’est plus possible de vérifier le nombre originel de chapitres dans ce manuscrit.

Godfried Croenen 40

Bes Je le sauroie volentiers

PA89 Je le sçauroie volentiers

LR5 Je le sçairoye voullentiers

Mon [manque]

Bre Je le sauroie voulentiers

famille δ [manque]

Exemple n° 18 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 172, l. 26-27) L67 Si en parolent bien les aucuns en recuoy quant ilz

sont entre leurs amis.

P50 si en parlent bien les aucuns en requoy quant ilz sont entre leurs amis.

P475 Si en parloient bien les aucuns en requoy quant ilz sont entre leurs amis.

Bes Si en parolent bien les aucuns en couvert quant ilz sont entre leurs amis.

PA89 Si en parlent bien les aulcuns quant ilz sont entre leurs amis.

LR5, Lud, P45, P59, Ber, Ant Si en parlent bien les aucuns quant ilz sont entre leurs amis.

Mon Si en parlent bien les aulcuns en couvert quant ilz sont entre leurs amis.

Bre Si en parlent bien les aucuns en couvert quant ilz sont entre leurs amis.

P53, P70-71, P56, H84 Si en parlent bien les aucuns en couvert quant ilz sont avecques leurs amis.

Rou Si en parolent bien les aucuns en couvert quant ilz sont avecques leurs amis.

Ver Si en parlent bien les aucuns en couvert quant ilz sont avecques leurs amys.

P76 Si en parolent bien les aucuns en couvert quant ilz sont avecques leurs amiz.

Exemple n° 19 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 176, l. 23-24) L67 ... ou en Alemaigne ou en Flandres ou en Brabant

P475 ... ou en Allemaingne ou en Flandres ou en Braibant

P50 ... ou en Alemaigne ou en Flandres ou en Braibant

Bes ... ou Alemaigne ou en Flandres, ou en Brebant

PA89 ... ou en Alemaigne ou en Flandres ou en Bretaigne

LR5, Lud, Mon ... ou Allemaigne ou en Flandres ou en Bretaigne

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 41

Ant, Bre ... ou en Allemaigne ou en Flandres ou en Bretaigne

P45, P59 ... en Flandres

Ber ... ou en Flandres P53, Ver ... ou en Allemaigne

P70-71, P56 ... ou en Almaigne

Rou ... ou en Alemaigne

H84 ... ou Alemaigne

P76 ... ou Allemaigne

Exemple n° 20 : § 67 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 226, l. 30) L67, P50, Bes ... en humain gendre...

P475 ... en humain genre...

PA89, LR5 ... en l’umain lignage...

Lud, Ber ... en l’humain lignaige...

Ant ... en l’umain lignaige...

P45 ... en le humain lignaige...

P59 ... en l’humain lignage...

Mon ... ou gendre humain...

Bre ... en l’humain genre...

P53, P70-71 ... en la main genre...

Rou, P56, H84, P76 ... en la main...

Ver ... en en [sic] la main...

Exemple n° 21 : § 306 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 306; cf. Chroniques, éd. Mirot, t. 15, p. 230, l. 10-16) P475 Depuis ne demoura mie grant temps que le roy ordonna

monseigneur Bureau de la Riviere son souverain chevalier et maistre chambellain...

L67 Depuis ne demoura longs jours que le roy ordonna le seigneur de la Riviere messire Burel, son souverain chevalier et maistre chambrelane...

Bes Depuis ne demourra gaires de temps que le roy ordonna messire Burel, sire de la Riviere son souverain chevalier et maistre chambellan...

famille β Depuis ne demoura guayres de temps que le roy ordonna le sire de la Riviere, messire Brueil, son souverain et maistre d’ostel et chambrelan...

Mon Depuis ne demourra gaires de temps que le roy ordonna le sire de la Riviere, messire Burel, son souverain chevalier maistre d’ostel et chambrelan...

Godfried Croenen 42

Bre Depuis ne demoura gaires de temps que le roy ordonna le sire de la Riviere, messire Burel, son souverain chevallier et maistre d’ostel et chambellan...

P53 Depuis ne demoura gueres de temps que le roy ordonna le sire de la Riviere, messire Burel, son souverain chevalier et maistre d’ostel et chambelan...

famille κ Depuis ne demoura gueres de temps que le roy s’i ordonna le sire de la Riviere, messire Bureau, son souverain chevalier et maistre d’ostel et chambellan...

Il n’est pas simple d’établir avec certitude la position des témoins Mon et Bre à l’intérieur de la descendance de B88, à cause des remaniements considérables que le texte a subis dans ces deux manuscrits. Dans Mon le texte du Livre III est systématiquement abrégé (exemples nos 5, 12 et 17). David Aubert, le copiste responsable du texte de Bre, par contre, a fait preuve d’un vrai travail de correcteur / compilateur59. Quand cela lui a semblé nécessaire, il n’a pas hésité à corriger son texte de base, en supprimant des mots ou des phrases (exemple n° 27), en modernisant la langue (exemples nos 9 et 37), en remplaçant des mots ou des phrases par des synonymes (exemples nos 34 et 37), et en y ajoutant des mots afin de rendre le texte plus intelligible ou plus agréable (exemples nos 13 et 38). Varvaro a eu raison de conclure que des manuscrits tels que Bre furent copiés par des copistes professionnels, pour qui il était de rigueur non pas de copier fidèlement leur exemplar, mais de délivrer à leur mécène un texte intelligible qui soit satisfaisant sous tous ses aspects60.

Les différentes révisions apportées à Mon et à Bre, inspirées d’une volonté d’abréger voire de développer le texte, obscurcissent largement le fait que ces deux témoins descendent quand-même d’un même modèle, l’archétype perdu de la famille γ. Quand les variantes des familles β et δ s’opposent, Mon et Bre suivent la version tantôt de l’une, tantôt de l’autre. Cela montre que Mon et Bre ne sont liés directement ni à β ni à δ, mais qu’ils descendent de B88 indépendamment de ces deux familles (exemple n° 20). Le fait qu’à ces endroits Mon et Bre donnent la plupart du temps les mêmes leçons n’est pourtant pas preuve suffisante de l’existence d’une famille γ identifiable. Mais Mon et Bre

59 Straub, David Aubert, escripvain et clerc, pp. 91-94. Le vol. III de Bre n’est pas signé par Aubert, qui

vraisemblablement était en charge de la production de ce volume, mais il est probable qu’il ait eu des collaborateurs pendant cette période, cf. Id., o.c., p. 320-323.

60 Varvaro, « Problèmes philologiques du Livre IV », pp. 275-276. Il serait intéressant d’étudier le caractère du remaniement des Chroniques dans le témoin Bre, en comparant le style avec celui des autres remaniements de David Aubert. Pour l’étude du style d’Aubert comme auteur et compilateur, voir en dernier lieu les études réunies dans D. Queruel (éd.), Les manuscrits de David Aubert « escripvain » bourguignon, Paris, 1999; et G. Palumbo, « David Aubert historien ? Le récit de la bataille de Roncevaux dans les Croniques et Conquestes de Charlemaine », dans Le moyen âge, 112 (2006), pp. 585-602.

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 43

présentent aussi quelques variantes communes non-significatives qu’on ne retrouve ni dans β ni dans δ, et qui sont donc propres à la famille γ et qui justifient l’introduction de l’archétype γ (exemples nos 22-25).

Exemple n° 22 : § 47 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 177, l. 15) famille β le conte lui demanda...

famille δ le conte de Foix luy demanda...

Mon le conte luy demande et dist...

Bre le conte demanda en disant...

Exemple n° 23 : § 67 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 227, l. 7) famille β ... et les roys...

famille δ ... et les roys...

Mon ... et les autres roys...

Bre ... et les aultres roys...

Exemple n° 24 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 231, l. 28-29) L67 ... et ces seignouries on les gouverneroit justement en humilité

P475 ... et ces grans seignouries on les gouverneroit justement en humilité P50 ... et ces seignouriees on les gouverneroit justement en humilité

Bes, LR5 ... et ces seigneuries on les gouverneroit justement en humilité

PA89 ... et ces seigneuries on les gouverneroit justement en l’umilité

Lud ... ou ces seigneuries on les gouverneroit justement en humilité

Ant ... et ses biens on gouverneroit justement en humilité

P45, P59, Ber ... ou ces seignouries on les gouverneroit justement en humilité

Bre ... et seignouries seroient gouvernees en humilité

Mon ... et ches seignouryes seroyent gouveree justement en humilité

P53 ... et ces seigneuries on les gouverneroit justement en humilité

P70-71, Rou, P56 ... et ses seigneuries on les gouverneroit justement et humblement

H84 ... et ces seigneuries on les gouverneroit justement et humillement

Ver, P76 ... et ses seigneuries on les gouverneroit humblement et justement

Exemple n° 25 : § 306 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 305; cf . Chroniques, éd. Mirot, t. 15, p. 229, l. 26) famille β ... une fillette...

famille δ ... une fillette...

Godfried Croenen 44

Mon ... unne sy jeune fillette...

Bre ... une si jenne femme...

Les révisions apportées au texte de Bre dans la deuxième moitié du 15e siècle ont tellement trompé Kervyn de Lettenhove et Mirot qu’ils ont conclu que celles-ci furent l’œuvre de l’auteur même. Le seul argument que propose Kervyn pour appuyer cette attribution est qu’il en reconnaissait le style pour être celui du chroniqueur61. Deux arguments rendent pourtant cette conclusion invraisemblable, voire impossible. D’abord, le collationnement montre que, à l’intérieur de la « première » rédaction, Bre dépend nettement de B88, et non pas directement de l’archétype O1, ce qui aurait dû être logiquement le cas pour une rédaction révisée par l’auteur (exemples nos 4-5 et 7-8). En plus, les révisions apportées au texte qui, à l’intérieur de la « première » rédaction, sont propres à Bre, ne se retrouvent jamais dans P50, seul témoin de la « deuxième » rédaction. Quand on accepte l’ordre des rédactions proposé par Kervyn, on comprend mal pourquoi l’auteur aurait d’abord révisé son texte, et ensuite aurait omis tous les changements dans la rédaction postérieure du Livre III.

La famille β rassemble la plupart des manuscrits de production flamande. Le manuscrit Bre, qui a appartenu à Antoine de Bourgogne, le Grand Bâtard, est le seul exemplaire exécuté à la même époque et dans la même zone géographique que la plupart des membres de la famille β, qui ne fasse pas partie de cette famille textuelle62. La classification des membres de la famille β n’est pas non plus évidente. Comme Varvaro a déjà remarqué dans son étude des manuscrits du Livre IV, les manuscrits formant ce groupe, dont la plupart ont été exécutés comme manuscrits de luxe pour des bibliophiles bourguignons, offrent beaucoup de lectiones singulares, qui ne sont pas utiles pour la classification et qui obscurcissent la vue d’ensemble. Les variantes qui sont propres à la famille β sont le plus souvent non-significatives. Il s’agit de variations dans l’ordre des mots, de suppressions de mots superflus et de remplacements de mots ou d’expressions par des synonymes.

61 Kervyn de Lettenhove, « Recherches sur l’ordre et la date des diverses rédactions », p. 131 ; Id.,

« Description des manuscrits », p. 346 : « Nous nous trouvons ici en présence du seul texte complet des chroniques qui semble avoir été formé sous les yeux de Froissart, car il porte incontestablement la trace de corrections et d’additions qui lui appartiennent. »

62 Sur le manuscrit Bre, voir A. Schultz, Beschreibung der Breslauer Bilderhandschrift des Froissart verfasst im Namen des Vereins für Geschichte der bildenden Künste zu Breslau, Breslau, 1869; A. Lindner, Der Breslauer Froissart, Berlin, 1912; S. Reinach, « Le manuscrit des Chroniques de Froissart à Breslau », dans Gazette des beaux-arts, 33 (1905), pp. 371-389; C. Van den Bergen-Pantens, « Héraldique et bibliophilie : le cas d’Antoine, Grand Bâtard de Bourgogne (1421-1504) », dans Miscellanea Martin Wittek. Album de codicologie et de paléographie offert à Martin Wittek, éd. A. Raman et E. Manning, Louvain et Paris, 1993, pp. 323-354 (en particulier p. 333-334) ; N. Zenker, Der vierte Band des Breslauer Froissart. Jean Froissarts Chroniken in einer Handschrift von David Aubert für Anton von Burgund (mémoire inédit, Berlin, Freie Universität, Institut für Kunstgeschichte, [2001]).

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 45

A. Varvaro n’est pas parvenu à un classement des manuscrits « bourguignons » du Livre IV des Chroniques (sa famille λ), mais l’analyse de mon échantillon m’a conduit à dresser un stemma détaillé de la famille correspondante du Livre III, à laquelle je renvoie avec le sigle β63. À l’intérieur de cette famille, on constate que chaque manuscrit contient un nombre de variantes uniques, ce qui montre qu’aucun témoin conservé n’a eu de descendants. Cette constatation a nécessité l’introduction dans le stemma des archétypes ε, ζ, η, θ et ι représentant des manuscrits perdus.

À l’intérieur de la famille β c’est le manuscrit PA89 qui offre en général les meilleures leçons, c’est-à-dire les leçons les plus proches des archétypes B88 ou α (exemples nos 1, 26-28, 34 et 37). Les autres témoins de la famille β ne sont pas des descendants de PA89 mais de son voisin, l’archétype ε. Les variantes montrent une scission au sein de la famille ε, représentée dans le stemma par les deux familles théoriques ζ et η (exemples nos 29-31 et 37). Les manuscrits Lud et LR5, tous deux en provenance de la libraire royale anglaise, offrent souvent des leçons parallèles, et parfois un peu abrégées. Le manuscrit Ant offre aussi un texte abrégé, mais le travail d’abréviation dans Ant fut indépendant de LR5. Ant est le témoin de la famille η le plus proche de cet archétype. Plusieurs variantes opposent Ant aux autres témoins, qui à leur tour représentent la famille θ (exemples nos 19 et 32). À l’intérieur de la famille θ, le témoin P45 est le plus proche de l’archétype (exemples nos 30 et 33). Les témoins P59 et Ber, enfin, se trouvent au niveau inférieur de cette partie du stemma (exemples nos 30 et 45).

Exemple n° 26 : § 159 (Chroniques, éd. Mirot, t. 13, p. 225, l. 4-5) L67, P475 ... a toute puissance...

P50 ... a tout puissance...

Bes, PA89, famille κ ... a tout une puissance...

famille ε ... a tout une grosse puissance...

P53 ... o tout une puissance...

Exemple n° 27 : § 306 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 306) L67, P475, P50, Bes, PA89 ... qui cousin germain estoit du pere de la

damoiselle...

LR5, Lud, Ant, P45, Ber ... qui cousin germain estoit a la damoiselle...

63 Varvaro assigne le Livre IV de Bre à la même famille (qu’il désigne la famille λ) que les témoins du

Livre IV accompagnant les manuscrits de ma famille β. Sa classification des manuscrits du Livre IV, surtout de sa famille λ, vaudrait bien un nouvel examen à la lumière de mes conclusions concernant le stemma des témoins du Livre III.

Godfried Croenen 46

Mon ... Lequel pape estoit cousin germain du pere a la damoiselle...

Bre ... quy cousin estoit du pere a la damoiselle...

famille δ ... qui cousin germain estoit du pere a la damoiselle...

Exemple n° 28 : § 308 (Chroniques, éd. Mirot, t. 15, p. 239, l. 8) L67 ... clerc, dotteur en loix...

P475 ... clerc, dotteur en loys...

Bes, PA89 ... clerc, docteur en loys...

famille δ ... clerc, docteur en loix...

LR5 ... docteur...

Lud, Ant ... docteur anglois...

P45 ... clerc, docteur angloys..

Ber ... clerc angloiz...

Exemple n° 29 : § 306 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 306) L67, P475, Bes, PA89, famille η ... de leurs lieux ...

LR5 ... de leurs logiz et lieux ...

Lud ... de leurs logis et lieux ...

Exemple n° 30 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 229, l. 4-5) L67, P475, Bes ... notables. Et par especial des incidences fortuneuses qui ...

PA89 ... notables, et par especial des incidenses fortuneuses qui ...

famille ζ ... notables, qui ...

Ant ... et notables, et par especial des incidences fortuneuses qui ...

P45 ... notables. Et par especial des incidences fortuneuses qui ...

P59 ... et notables, et par especial des incidences qui ...

Ber ... et notables, et par especial des incidenses qui ...

Exemple n° 31 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 232, l. 20) L67, Bes, PA89, familles γ et δ ... preuves ...

P475 ... preuves notables ...

LR5, Lud ... premieres ...

Ant, P45 ... premices ...

P59, Ber ... premisses ...

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 47

Exemple n° 32 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 176, l. 9) Bes ... les cheveulz li herissoient...

PA89, Lud, Ant ... les cheveulx lui herissoient...

LR5 ... les cheveulx lui herichoient...

P45, Ber ... les cheveulx lui drechoient...

P59 ... les cheveux lui dreschoient...

Exemple n° 33 : § 69 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 229, l. 11-12) Bes on me dist une foiz ...

PA89 on me disoit une foys ...

famille ζ on me disoit une fois...

Ant on me dit une fois...

P45 on me disoit une foiz...

P59, Ber on me disoit...

On ne dispose que de quelques fragments du texte provenant de Tor, qui malheureusement ne contiennent aucune variante significative. Le témoin Tor appartient indiscutablement à la famille β, comme cela se laisse voir dans les variantes (exemples nos 34-35). Tor contenait aussi la série de 115 rubriques typique de cette famille. La comparaison textuelle des quelques brefs fragments conservés de Tor suggère qu’il est un descendant de ε (exemple n° 34). Tor semble proche des familles ζ et ι, et il appartient peut-être plutôt à ζ qu’à ι (exemple n° 35).

Exemple n° 34 : § 5 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 14, l. 16-17) L67 ... la quele est toute du roy de France et marche sur les paÿs

thoulousain...

P475 ... laquele est toute du roy de France et marche sur le païs tholousain...

P50 ... laquelle est du royaume de France et marchist ou paÿs thoulousain...

Bes ... laquele est toute du roy de France et marchist au païs thoulousain...

PA89 ... la quele est toute du roy de France et marchist au païs de Thoulouse...

LR5 ... laquelle est toute du royaume de France et marchist au paÿs de

Godfried Croenen 48

Thoulouse...

Lud ... laquelle est toute du royaume de France et marchit au païs de Tholouse...

Tor ... laquelle est toute du royaume de France et de marchit au païs de Thoulouse...

Ant ... laquelle est toute du royaulme de France et marchist au paÿs de Thoulouse...

P45 ... laquelle est toutte du royame de France et marchist au paÿs de Thoulouse...

Ber ... laquele est toute du royaume de France et marchist au paÿs de Thoulouse...

Mon ... la quelle est toute du royaulme de France et marchist ou paÿs toulousain...

Bre ... quy est tenue du roy de France et marchist au paiis thoulousain...

P53 ... laquelle est tenu du roy de France et marchist au paÿs thoulousain...

P70-71, P56 ... laquelle conté est du royaume de France et marchist au païs tholosain...

Rou ... la quelle conté est du royaume de France et marchist au païs tholousain...

H84 ... laquelle conté est du royaume de France et marchist au paÿs thoulousain...

Ver ... laquelle conté est du royaulme de France et marchist au paÿs thoulousain...

P76 ... laquelle conté est du royaume de France et marchist au paÿs tholouzain...

Exemple n° 35 : § 1 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 3, l. 11-12) P50 ... la fu informé de la greigneur partie...

Bes ... la fu enfourméz de la greigneur partie...

B88 ... la fuz informéz de la greigneur partie...

PA89, Lud ... la fuz informé de la greigneur partie...

LR5, Tor ... la fus informé de la greigneur partie...

Ant, P45, P59 ... la fus informéz des greigneurs parties...

famille δ ... fuz la informéz de la greigneur partie...

La famille δ, le dernier groupe de descendants relevant de B88, est comparable à la famille β, tant au niveau du nombre de manuscrits, qu’en ce qui concerne les relations entre témoins conservés. Comme c’est le cas pour les membres de la famille β, chaque membre de la famille δ contient lui aussi un nombre non négligeable de leçons uniques, ce qui indique qu’aucun des

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 49

témoins conservés n’a pu servir de base à d’autres manuscrits qui nous sont parvenus. À l’intérieur de la famille δ, le meilleur texte est fourni par le témoin P53, qu’on doit alors situer au niveau supérieur de cette partie du stemma (exemples nos 21, 24, 34 et 36). Les leçons de P53 sont souvent identiques à celles de B88 (ou à celles de PA89, voire à celles de la famille γ), là ou les autres membres de δ donnent des leçons variantes (exemples nos 20, 24, 36-38).

Aux niveaux supérieurs de la famille κ on distingue les témoins P70-71 et Rou. Les différences entre P70-71 et Rou sont assez minimes, mais toute une série de variantes non significatives indique néanmoins que P70-71 se situe plus haut dans la filiation (exemples nos 37-39). Plusieurs corrections apportées au texte de P70-71 se retrouvent recopiées dans les témoins de la famille λ, y compris Rou, ce qui semble suggérer que P70-71 serait l’archétype direct de cette famille (exemples nos 36 et 40). Cela est pourtant impossible vu que P70-71 présente à plusieurs reprises des défauts textuels vis-à-vis son archétype, qui ne sont pas repris dans les autres témoins de la famille κ (exemple n° 41). Ces membres de la famille κ doivent donc être dérivés de κ, indépendamment de P70-71, en l’occurrence d’après l’archétype intermédiaire λ.

Exemple n° 36 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 172, l. 1) L67, P475, P50, famille β, Mon, P53 ... noterent et gloserent...

Bes, Bre ... notterent et gloserent...

P70-71 ... n’oserent [parler ajouté] et gloserent...

Rou, P56, H84 ... n’oserent parler et gloserent... Ver ... n’oserent parler et glosserent...

P76 ... n’ozerent paroler et glozerent...

Exemple n° 37 : § 47 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 180, l. 2-3) L67 ... a unes galeries qui regardoient enmy la court du chastel

P475, P50 ... en unes galeries qui regardoient enmi la court du chastel

Bes ... en unes galeries qui regardoient emmi la court du chastel

PA89 ... en unes galeries qui regardoient enmy la court du chasteau

LR5 ... en la gallerye qui regardoit emmy la court du chasteau

Lud ... en la gallerie qui regardoit enmi la court du chasteau

Ant ... en une gallerie qui regardoit emmy la court

P45, Ber ... en une gallerie qui regardoit emmy la court du chasteau

P59 ... en une galerie qui regardoit emmy la court du chasteau

Bre ... en une gallerie quy regardoit sur la court du chastel

Mon ... en unes galeryes qui regardoyent enmy la court du chastel

Godfried Croenen 50

P53 ... en une gallerie qui regarde enmy la court du chastel

P70-71 ... en une galerie qui regarda enmy la court du chastel

Rou ... en une place qui regardoit enmy la court du chastel

P56, H84 ... en une place qui regarde enmy la court du chastel

Ver ... en une place qui regarda emmy la court du chastel

P76 ... en une place et regarde emmy la court du chastel

Exemple n° 38 : § 308 (Chroniques, éd. Mirot, t. 15, p. 238, l. 17) L67, P475, Bes, P53 ... et portast oultre

Bre ... et portees tout oultre

Mon [manque]

famille κ [manque]

famille β [manque]

Exemple n° 39 : § 47 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 180, l. 14) L67 ... firent assaillir. La truye ...

P475 ... firent assaillir. La truie...

P50 ... fisrent assaillir la truie. La truie...

Bes, PA89 ... firent assaillir la truie. La truie...

Mon ... firent assallir la truye. La truie...

Bre ... firent assaillir la truye. Adont la truie...

P53 ... firent assaillir. La truie...

P70-71 ... firent assaillir. La truye...

Rou ... firent assaillir la truye, la quelle...

P56 ... firent assaillir la truye. La quelle...

H84, Ver ... firent assaillir la truye laquelle...

P76 ... firent assaillir laditte truie. Laquelle...

Exemple n° 40 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 175, l. 24-25) L67 Je m’en tenray bien a toy, nous serons bien d’accort.

P475 Je m’en temray bien a toy et serons bien d’accort.

P50 Je me cheviray bien a toy, nous serons bien d’acord.

Bes, famille β Je m’en attendray bien a toy, nous serons bien d’accort.

Mon [manque]

Bre Je m’en attendray bien a toy, nous serons bien d’accord.

P53 Je m’en actendray bien a toy et serons bien d’accord.

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 51

P70-71 [Je m’en attendray bien a toy et serons bien d’accord texte barré]

famille λ [manque]

Exemple n° 41 : § 307 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 308) L67 ... messire Ernoult Guillemme...

P475 ... monseigneur Arnoul Guillaume...

Bes ... messire Arnault Guillaume...

PA89 ... messire Ernault Guillamme...

Mon ... Renauld Guillemme...

Bre ... messire Ernoul Guillemme...

P53 ... messire Arnault Guillaume...

P70-71 [manque]

Rou ... messire Arnault Guilleme...

P56 ... messire Regnault Guillaume...

H84 ... messire Regnault Guilleme...

Ver ... et messire Regnault Guillaume...

P76 ... et messire Regnaud Guillaume...

Le sous-groupe rassemblant les autres descendants de la famille κ se scinde en deux. De l’un côté on trouve P76 et Ver, qui s’accordent très souvent et qui forment la famille ξ, de l’autre les témoins P56 et H84, constituant ainsi la famille ν (exemples nos 42-46).

Exemple n° 42 : § 45 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 171, l. 10) L67, P475, Bes, familles β et γ,

P53, P70-71, Rou, P56, H84 ... le lundi...

Ver, P76 ... le jour du lundi...

Exemple n° 43 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 173, l. 15-16) L67, P50, Bes, famille β, Mon,

P53, P70-71, Rou, P56, H84 ... monstra ses lettres...

P475, Bre ... moustra ses lettres...

Ver, P76 ... monstra ses bulles et ses lettres...

Godfried Croenen 52

Exemple n° 44 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 174, l. 18-19) L67, P475, P50, Bes, familles β et γ,

P53, Rou, P56, H84, P70-71 ... la chambre du chevalier

Ver ... la chambre du chevalier qu’il sembloit que tout deust rompre

P76 ... la chambre du chevallier qu’il sembloit que tout deust rompre

Exemple n° 45 : § 67 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 226, l. 32) L67, P475, P50, Bes, PA89, LR5, Lud, Ant, P45 ... et les tenoit fermes en unité...

P59 ... et les tenoit fermees en verité...

Ber ... et les tenoit fermes en verité...

famille γ, P53, P70-71 ... et les tenoit fermes en unité... Rou ... et les tenoit fermes en une

unité ...

Ver ... et les tient fermes en unité...

P76 ... et les tient fermez en unité...

P56, H84 ... et les tient en unité...

Exemple n° 46 : § 159 (Chroniques, éd. Mirot, t. 13, p. 222, l. 31) P475 ... qui s’escript et nomme...

L67 ... qui s’escripst et nomme...

Bes, Mon, P53, P70-71, Rou, Ver ... qui estoit nommé...

famille β ... qui est nommé...

Bre ... quy est nommé...

P56, H84 ... qui se nommoit...

Le témoin H84 contient un nombre très restreint de variantes qui donnent l’impression que le copiste a eu recours à un deuxième manuscrit qui aurait été beaucoup plus proche de l’original O1. Le cas le plus frappent se trouve au § 306 (exemple n° 47). La présence de la phrase a la fille du duc de Lancastre dans deux témoins indépendants, proches de l’original O1 (L67 et P475), suggère que cette leçon vient de l’original. Elle ne se trouve pas dans Bes, mais le fait qu’elle réapparaît dans la famille γ suggère qu’elle fut présente dans la partie perdue de B88. Théoriquement cette leçon aurait pu être traduite de α à H84 à travers une chaîne de témoins perdus, qui va de la partie perdue de B88 à δ, puis à κ, λ, µ et ν. Mais dans ce cas hypothétique on s’attendrait à au moins une ou deux

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 53

réapparitions de la leçon réparties parmi les autres membres de la famille δ. Or ceci n’est pas le cas, et il semble donc plus logique de conjecturer que la leçon aurait été réintroduite dans le texte dans le témoin H84.

Il n’est pas impossible que le copiste de H84 ait eu sous ses yeux, à côté de son exemplar ν, aussi un autre manuscrit, plus proche de O1, d’où il empruntait des leçons alternatives pour corriger son texte. Une explication alternative, et plus simple, serait pourtant que le scribe de H84, quand il lisait son manuscrit de base, aurait simplement éprouvé la nécessité de gloser la phrase « qu’il avoit failli », en expliquant en quoi consistait cet échec. Dans les chapitres précédents il a pu trouver ce à quoi Froissart faisait allusion, et il aurait alors ajouté à son texte la glose a la fille du duc de Lancastre64.

Exemple n° 47 : § 306 (Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 13, p. 305). L67, P475 ... qu’il avoit failli a la fille du duc de Lancastre...

Bes ... qu’il avoit failly...

PA89 ... que il avoit failli...

LR5 ... qu’il avoit failly...

Lud ... que il avoit failly...

P45 ... que il avoit failli...

Ant ... qu’il avoit faily...

Ber ... qu’il avoit failli...

Mon ... qu’il avoit fally a la fille de Lancastre...

Bre ... comment il avoit failly a la fille de Castille...

P53, P70-71, Rou, P56 ... qu’il avoit failly...

H84 ... qu’il avoit failli a la fille du duc de Lancastre...

Ver ... qu’il eut failly...

La relation entre les deux membres de la famille ξ n’est pas évidente. P76 est un manuscrit enluminé contenant le Livre II des Chroniques, qui date du deuxième quart du 15e siècle et qui contient à la fin, comme addition, le début

64 La même explication s’impose par ailleurs aussi dans le cas de l’édition de Denis Sauvage. Celle-ci

est dérivée des éditions incunables, dont Ver est l’archétype. Il y a peu de raisons pour accepter l’assertion de Sauvage selon laquelle il aurait corrigé le texte des incunables par un contrôle de quelques manuscrits. D. Sauvage (éd.), Histoire et chronique de Messire Jehan Froissart, 4 vol., Lyon, 1559-1561, t. I, Advertissement aux lecteurs (non paginé). Les changements et additions assez fréquents qu’on trouve dans l’édition de Sauvage n’ont la plupart du temps aucun rapport avec la tradition manuscrite des Chroniques et ne sont donc que des interpolations opérées par Sauvage lui-même. Or Sauvage donne une glose similaire à cet endroit dans le texte du § 306 : qu’il eut failly à la fille de Lanclastre. Cela montre qu’il est possible d’arriver à cette leçon sans avoir recours à un témoin contenant ce texte.

Godfried Croenen 54

du Livre III. On pourrait supposer que l’édition incunable Ver est copiée sur P76. Le contenu de P76 concorde effectivement avec le deuxième volume de l’édition de Vérard : dans chaque témoin on trouve le dernier chapitre du Livre I (§ 788), suivi du Livre II en entier, suivi du premier tiers du Livre III (jusqu’au milieu du § 120). L’ostensible correspondance entre les deux témoins s’avère pourtant trompeuse. La comparaison détaillée des deux versions du texte montre qu’à plusieurs endroits Ver s’accorde avec les autres témoins de la famille κ en donnant la bonne leçon, quand P76 s’y oppose (exemple n° 48). Il est possible que la partie ajoutée de P76 (le texte du Livre III) ait été copiée d’après Ver, ce qui expliquerait le nombre plus élevé de changements vis-à-vis de ξ dans P76, mais les variantes donnent plutôt l’impression que P76 et Ver seraient tous les deux dérivés d’un archétype commun perdu.

Exemple n° 48 : § 46 (Chroniques, éd. Mirot, t. 12, p. 174, l. 7-8) L67 Je ne te doubte neant plus mort que vif

P475 Car je doubte autant mort que vif

P50, Bes Je te doubte autant mort que vif PA89, famille γ, P53, P70-71,

Rou, P56, H84, Ver Je te doubte plus mort que vif

famille ε Je ne te doubte plus vif que mort

P76 [manque]

Il est difficile d’identifier, enfin, la place du témoin P487 dans la filiation ne disposant que de trois courts extraits donnés par Kervyn de Lettenhove. Ce témoin appartient indubitablement à la famille δ, et à l’intérieur de celle-ci il semble plus proche de P56. Par contre, si on tient compte du classement par Varvaro du volume accompagnant P487 qui contient le Livre IV, on pourrait être tenté de placer P487 plus haut dans la filiation65.

Conclusions

L’analyse du texte du Livre III des Chroniques de Froissart présentée ici montre que la tradition manuscrite de cette partie de l’œuvre de Froissart est plus unifiée que ne le laisse entendre Kervyn de Lettenhove. Kervyn rangea dans des familles à part, sans liens directs avec les autres manuscrits de la première rédaction, quelques-uns des plus anciens et meilleurs témoins du Livre III (Bes et P475) et n’arriva pas à identifier quelques relations textuelles pourtant très évidentes (comme celle entre P475 et P605). Certains 65 Cf. Varvaro, « Problèmes philologiques du Livre IV », p. 273.

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 55

rapprochements opérés par Kervyn sont tout à fait illogiques (comme sa « troisième classe de la première série » qui rassemble entre autres les témoins très éloignés P605, L67, P53, H84 et P59). L’importance que Kervyn accorda au manuscrit Bre, qu’il regarda comme un stade intermédiaire entre la « première » et la « deuxième » rédaction, ne s’est pas laissée confirmer dans mon analyse. Au contraire, les collationnements ont montré sans équivoque que Bre est bien ancré dans la tradition textuelle de la « première » rédaction, et doit être dérivé de B88.

L’analyse textuelle a montré l’importance et l’ancienneté, en termes philologiques, des manuscrits qui datent du début du 15e siècle (L67, Cam, P475, Bes et B88). Pour une édition critique de la « première » rédaction du Livre III des Chroniques, il faudrait donc préférablement choisir un texte de base parmi ce groupe. Or B88 et Cam sont très fragmentaires, et P475 est caractérisé par des interpolations idiosyncratiques du copiste Raoul Tainguy. Des deux témoins qui restent, L67 est abîmé par l’enlèvement des miniatures, ce qui a occasionné chaque fois aussi la perte d’un fragment du texte au verso. Tout cela laisse Bes comme le seul texte complet et relativement fiable. C’est donc ce manuscrit qui a été préféré pour la nouvelle édition actuellement en cours de publication dans la série “Textes littéraires français”66. Le manuscrit Bes, avec le manuscrit B88, jouera aussi un rôle central dans la nouvelle édition en ligne des plus anciens manuscrits des trois premiers livres des Chroniques de Jean Froissart, à laquelle travaille actuellement une équipe de recherche basée aux universités de Liverpool et de Sheffield67.

Des analyses codicologiques plus poussées seront nécessaires pour confirmer les présentes conclusions formulées surtout à partir de mes analyses du texte. Parmi les sujets méritant plus de recherche on pourrait nommer : la datation des manuscrits, l’histoire de chaque manuscrit et sa disponibilité comme exemplaire de base, l’étude de l’élaboration et de l’évolution du paratexte (rubriques et miniatures) dans le contexte du stemma textuel, et l’identification des professionnels du livre actifs dans la production des manuscrits conservés (copistes, artistes, libraires).

L’illustration des exemplaires les plus anciens a brièvement été discutée ici, mais les programmes d’illustration des manuscrits de la deuxième moitié du 15e

66 V. supra n. 5. Dans cette édition plutôt « bédiériste » les leçons de Bes sont contrôlées par celles de

P50, L67 et P475. Pour une édition vraiment critique il faudrait mettre à l’œuvre aussi les leçons des deux autres témoins anciens fragmentaires, Cam et B88, ainsi que, pour les parties du texte où B88 fait défaut, les témoignages de P53 et PA89, qui sont les meilleurs représentants du reste de la famille α.

67 Le « Arts and Humanities Research Council » du Royaume-Uni financera, entre octobre 2007 et septembre 2009, cette collaboration sous le titre de « Online Froissart Project ». Ce projet de recherche est dirigé par P. Ainsworth, à Sheffield, et par moi-même, à Liverpool. Cf. n. 1.

Godfried Croenen 56

siècle méritent des études approfondies. Le manuscrit Bre ainsi que six membres de la famille β sont aussi enluminés (PA89, Ant, LR5, Lud, P45 et Ber), et presque tous, sauf Ant et Ber qui ont une seule miniature chacun, contiennent un nombre considérable d’illustrations. Les relations entre l’iconographie des manuscrits conservés pourraient confirmer ou changer les conclusions sur les relations entre les membres de la famille β. De même, l’étude des rubriques pourrait peut-être venir à l’appui dans l’étude de quelques cas difficiles (les relations précises entre Mon, Bre et les familles β et δ; les relations entre P76 et Ver; et entre Rou, P70-71 et le reste de la famille δ).

La tradition manuscrite du Troisième Livre des Chroniques de Froissart 57

Appendice : les témoins directs du Livre III des Chroniques de Jean Froissart Manuscrits de la « première » rédaction

Ant Anvers, Musée Plantin-Moretus, ms. M 15.6. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle, Pays-Bas méridionaux. Provenant de la bibliothèque de Jean de Montmorency.

Ber Berne, Burgerbibliothek, ms. A. 14. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle. Le feuillet d’ouverture, avec la miniature, a été enlevé.

Bes Besançon, Bibliothèque municipale, ms. 865, fol. 201 r°-451 v°. Manuscrit du début du 15e siècle, Paris. Ce manuscrit renferme aussi le Livre II des Chroniques. Manuscrit de base de l’édition de P. Ainsworth.

Bre Berlin, Staatsbibliothek – Preußischer Kulturbesitz, ms. Rehdiger 3 (dépôt Breslau I, t. III). Manuscrit de ca. 1468-1469, Pays-Bas méridionaux. Provenant de la bibliothèque d’Antoine de Bourgogne. Manuscrit de base de l’édition de Kervyn de Lettenhove.

B88 Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. II 88, fol. 16-23, huit feuillets enluminés d’un manuscrit perdu. Manuscrit du début du 15e siècle, Paris.

Cam Cambridge, Bibliothèque de l’Université, ms. Hh.3.16, feuille de garde = fol. VII, fragment du Prologue du Livre III. Manuscrit du début du 15e siècle, exécuté par le copiste Raoul Tainguy.

H84 Hanovre, Niedersächsische Landesbibliothek, ms. XXVI 1584 (P. III). Manuscrit de la fin du 15e siècle.

L67 Londres, British Library, ms. Arundel 67, t. III. Manuscrit du début du 15e siècle, Paris. Le feuillet d’ouverture, avec la miniature, a été enlevé.

LR5 Londres, British Library, ms. Royal 14 D. V. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle, Pays-Bas méridionaux. Provenant de Sir Thomas Thwaytes, puis du roi anglais Edouard IV.

Lud Los Angeles, J. Paul Getty Museum, ms. Ludwig XIII 7. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle, Pays-Bas méridionaux. Provenant de la bibliothèque de William Lord Hastings, puis du roi anglais Edouard IV.

Mon Mons, Bibliothèque centrale de l’Université de Mons, ms. 240/359, fol. 7 r°-209 v°. Manuscrit de la fin du 15e siècle. Contient aussi le Livre IV des Chroniques.

P45 Paris, BnF, ms. fr. 2645. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle, Pays-Bas méridionaux. Provenant de la bibliothèque de Louis de Bruges, seigneur de Gruuthuse.

P53 Paris, BnF, ms. fr. 2653.

P56 Paris, BnF, ms. fr. 2656.

P59 Paris, BnF, ms. fr. 2659. Manuscrit de la fin du 15e siècle. La fin manque (à partir du § 279).

P70-71 Paris, BnF, mss. fr. 2670-2671.

P76 Paris, BnF, ms. fr. 2676. Manuscrit du Livre II, deuxième quart du 15e

Godfried Croenen 58

siècle, dans lequel une main postérieure (fin du 15e siècle) a copié le début du Livre III (§ 1-120).

PA89 Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 5189. Manuscrit de la deuxième moitié du 15e siècle, Pays-Bas méridionaux. Provenant de la librairie des ducs de Bourgogne.

P475 Paris, BnF, ms. fr. 6475. Manuscrit du début du 15e siècle, copié par le copiste Raoul Tainguy, probablement pour un membre de la famille d’Arnaud de Corbie. Une lacune dans le prologue à cause de l’enlèvement de la miniature sur la page d’ouverture.

P487 Paris, BnF, ms. fr. 15487. Manuscrit actuellement incommunicable, fragments du texte chez Kervyn de Lettenhove, « Description des manuscrits », p. 261-262.

P605 Paris, BnF, nouv. acq. fr. 9605. Manuscrit du milieu du 15e siècle. Provenant de la bibliothèque de René d’Anjou.

Rou Rouen, Bibliothèque municipale, ms. 1150. Manuscrit de la fin du 15e siècle.

Tor Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, ms. L.IV.26. Manuscrit acéphale, apparemment détruit dans l’incendie de 190468, fragments du texte chez Kervyn de Lettenhove, « Description des manuscrits », p. 256-257, et dans les notes de La Curne de Sainte-Palaye, Paris, BnF, Collection Moreau, 1658, fol. 34 rº-vº.

Édition incunable de la « première » rédaction

Ver Le second (tiers) volume de Froissart des croniques de France, d’Angleterre, d’Escoce, d’Espaigne, de Bretaigne, de Gascongne, de Flandres et lieux circonvoisins, Paris, Antoine Vérard, [ca. 1499]. Le Livre III est réparti dans les tomes II (fol. 189 v°-279 v°) et III (fol. 1 r°-129 v°).

Manuscrit de la « deuxième » rédaction

P50 Paris, BnF, ms. fr. 2650. Manuscrit du milieu du 15e siècle. Manuscrit de base de l’édition par L. et A. Mirot.

68 V. supra, n. 12.

Fig. 1. Stemma codicum des témoins directs du Livre III des Chroniques de Jean Froissart