La souffrance de la stérilité chez l'homme-version F sept 2013

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Projet article ANDROLOGIE 2013 La souffrance de la stérilité chez l’homme : de la souffrance objectale à la souffrance identitaire : à propos de deux cas Jaoul M, 1 Albert M 2 ., Bailly M 3 ., Boitrelle F 4 ., ….. Identity suffering in infertile men : about two cases Authors: JAOUL M, BAILLY M, ALBERT M, WAINER R, BOITRELLE F *, SELVA J Corresponding author Institutional affiliations: Department of Reproductive Biology, Cytogenetics and Gynaecology, Poissy General Hospital, F-78303 Poissy, France. EA 2493, Versailles University of Medicine and Science, F- 78000 Versailles, France. Keywords: male infertility suffering, objectal and identity suffering, 1 Monique Jaoul, Docteur en psychopathologie, service d’AMP du CHI Poissy St Germain 2 Albert Martine 3 Bailly Marc 4 Boitrelle Florence 1

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Projet article ANDROLOGIE 2013

La souffrance de la stérilité chez l’homme : de la

souffrance objectale à la souffrance identitaire : à

propos de deux casJaoul M,1Albert M2., Bailly M3., Boitrelle F4., …..

Identity suffering in infertile men : about two cases

Authors:

JAOUL M, BAILLY M, ALBERT M, WAINER R, BOITRELLE F*, SELVA J

Corresponding author

Institutional affiliations:

Department of Reproductive Biology, Cytogenetics and

Gynaecology, Poissy General Hospital, F-78303 Poissy, France.

EA 2493, Versailles University of Medicine and Science, F-

78000 Versailles, France.

Keywords: male infertility suffering, objectal and identity

suffering,

1 Monique Jaoul, Docteur en psychopathologie, service d’AMP du CHI Poissy StGermain2 Albert Martine3 Bailly Marc4 Boitrelle Florence

1

2

Résumé

La souffrance de l’infertilité chez l’homme peut prendre

plusieurs aspects. Elle peut avoir une dimension narcissique

lorsqu’elle remet en cause sa virilité, tant fécondité et

virilité sont associées dans l’imaginaire commun elle peut

avoir une dimension objectale, être tournée vers l’autre,

l’autre conjugal « faire cadeau d’un enfant à sa compagne »,

mais aussi vers l’autre parental «donner un petit enfant à ses

parents ». Elle peut avoir aussi une dimension identitaire que

la proposition de don de gamète, lorsque la stérilité est

définitive, ne saurait apaiser si elle survient trop tôt.

Quelques études psycho dynamiques se sont intéressées aux

processus psychiques mis en place pour faire face au

traumatisme. Elles montrent chez 2/3 des sujets examinés un

fonctionnement psychique « abrasé » d’où les conflits et les

émotions sont exclus, signalant la dimension traumatique de

l’impasse procréative et de la médicalisation de la

procréation. Cette attitude défensive pourra donner le change

et faire croire à une bonne adaptation à la situation. Si elle

protège partiellement, elle aura tendance à figer le travail

d’élaboration des blessures de l’infertilité, La prise en

charge est donc difficile car comment encourager ces hommes à

ouvrir les blessures dont ils se protègent si radicalement 

3

Abstract

The suffering caused by infertility in a man can have several

aspects. It can display a narcissistic dimension when it

challenges his virility as fertility and virility are so

intertwined in people’s mind. It can display an objectal

dimension (object-libido), turned toward others, be it a spouse

“presenting a partner with a child” or a parent “presenting his

parents with a grandchild”, as a token of eternity. But it can

also have an identity dimension which cannot be soothed if

doctors propose a gamete donation too early. Some studies

focused on the psychological processes in place to cope with

the trauma. They show reduced psychological functions in 2/3 of

the subjects involved from which conflicts and emotions are

excluded, which signals the traumatic dimension of infertility

and the medicalization of procreation. This defensive attitude

can be deceiving and seemingly look like a good adjustment to

the situation. Though it partially protects the subject, it

tends to halt the work process on the intricacy of evaluating

infertility-related pain. Therefore, to provide support is

difficult. How can we give men the confidence to open wounds

which they so radically protect themselves from?

4

I. IntroductionLa plupart des travaux sur le vécu psychologique de

l’infertilité s’accordent pour mettre au premier plan la

souffrance dépressive commune à l’homme et à la femme [1]. Bien

souvent, l’annonce d’une stérilité entraîne les mêmes

réactions que celle d’un deuil ou d’une maladie grave : en

particulier, révolte, jalousie, culpabilité, recherche

désespérée d’une cause. L’idéation suicidaire n’est pas rare

comme L’altération des relations conjugales ou sociales [2-4].

Le chemin vers une certaine acceptation sera plus ou moins

long, et de cette acceptation dépendra la manière dont sera

vécu le parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP ou

MAR).

La souffrance d’infertilité réactive les souffrances passées :

« L’espoir, le projet d’une filiation individuelle induit

toujours une rêverie subjective qui mobilise la mémoire

inconsciente » nous dit M. Bydlowski [25]. Selon Greil et al.

Le traitement de l’infertilité est plus associé à un niveau de

détresse psychique que le fait d’être infertile lui-même [6].

La souffrance associée au parcours d’AMP de MAR renforce la

souffrance de l’infertilité : c’est une dynamique de

circularité. Le nombre de couples abandonnant l’AMP après 3

cycles pour des raisons psychologiques n’est pas négligeable,

même si le pronostic médical est encourageant [37] [48].

5

Les recherches sur le vécu de l’infertilité sont plus

dédiées aux femmes qu’aux hommes [9-10]. II. La souffrance de

l’infertilité

La littérature indique que les femmes sont

psychologiquement plus affectées que les hommes par leur

infertilité. Une récente étude Danoise a montré qu’il existait

un risque de troubles psychiatriques plus élevé chez les femmes

dont le traitement MAR avait échoué que chez celles pour qui il

avait permis la naissance d’un enfant [11]. Elles ont un score

plus élevé au questionnaire évaluant le stress et la

dépression. Selon Pash et al., avoir un enfant est plus

important chez les femmes que chez les hommes : elles

s’investissent plus dans les démarches pour avoir un enfant et

éprouvent une baissent de l’estime d’elles-mêmes plus que leurs

compagnons ; elles veulent plus souvent qu’eux parler des

efforts et démarches à faire pour avoir un bébé. Cette

différence de perception peut affecter la communication dans le

couple : les femmes ressentent un effet positif de

l’infertilité sur le couple (« ça nous a rapproché ») lorsque

leurs maris acceptent de parler avec elles des tentatives

faites pour avoir un bébé [12] Elles ont un score plus élevé au

questionnaire évaluant le stress et la dépression. Mais il

s’agirait plutôt d’une différence d’expression face à la

question de l’échec de procréation. : les hommes auront plus

souvent des réactions plus inhibées et contrôlées, leur

difficulté émotionnelle pourra se traduire par une hyper

activité sociale et professionnelle plus que par un état

6

dépressif franc [5]. D’autres études, se sont intéressées plus

spécifiquement aux hommes infertiles. Elles nous indiquent que

le sentiment d’infertilité est particulièrement anxiogène et

peut être responsable de dysfonctionnement sexuel du fait du

lien entre fertilité et sexualité [3,13-166]. En effet, la

moitié des hommes à qui on apprend une anomalie du sperme

présente des difficultés érectiles transitoires à l’annonce de

l’infertilité [711] [812]. De plus il est fréquent que

l’entourage du sujet ne soit pas informé, ce qui est plus

rarement le cas pour l’infertilité d’origine féminine, .

indiquant Cela indique une la difficulté pour l’homme d’assumer

son infertilité dans une confusion entre fertilité et

sexualité. La médicalisation de la procréation est souvent

vécue comme une mise à l’écart de l’homme, qui ne se sent

sollicité que pour « fournir » ses spermatozoïdes, et qui se

culpabilise de ce que sa compagne doit subir, ce qui renforce

la perte d’estime de soi [913] [14]. Les partenaires masculins

du couple qui se sentent responsables de l’infertilité du

couple ont un risque plus important de souffrance sexuelle,

émotionnelle et psychologique que ceux qui n’ont pas cette

conviction [15]. Même lorsque l’annonce de leur infertilité

entraîne chez certains hommes des réactions dépressives

profondes et durables, ils vont avoir du mal à consulter [16].

Plusieurs études montrent qu’il y a une différence de genre

dans la manière de « faire avec » l’infertilité : les hommes

auront plus souvent des réactions plus inhibées et contrôlées,

leur difficulté émotionnelle pourra se traduire par une hyper

7

activité sociale et professionnelle plus que par un état

dépressif franc [17].

Quelques études [1018] [1119] [1220] se sont intéressées aux

processus psychiques mis en place pour faire face au

traumatisme. Elles montrent chez 2/3 des sujets examinés un

fonctionnement psychique « abrasé » d’où les conflits et les

émotions sont exclus, signalant la dimension traumatique de

l’impasse procréative et/ou de la médicalisation de la

procréation. Ce fonctionnement défensif entrave la prise de

conscience et l’expression de la vie émotionnelle,  ; il

réduisant réduit la vie fantasmatique, entraînant un mode de

pensée tournée vers la dimension concrète des expériences au

détriment de la vie affective. Cette attitude défensive pourra

donner le change et faire croire à une bonne adaptation à la

situation, voire à de l’indifférence. Ceci n’est pas sans

conséquence sur la relation de couple, la compagne pouvant

avoir le sentiment d’être « la seule à souffrir » ;. Chez les

hommes comme chez les femmes la difficulté à parler des

conséquences émotionnelles de la difficulté à avoir un bébé est

un facteur prédictif d’un état de stress élevé relatif à

l’infertilité [21]. Selon Boivin et Schmidt cette difficulté

de communication pourrait avoir une influence sur le résultat

des tentatives : les femmes qui expriment une souffrance dans

le couple sont celles qui auront besoin de plus de tentatives

pour aboutir à une grossesse [22]. cette Cette attitude

défensive pourra en avoir aussi un impact sur la prise en

charge médicale, laissant penser que pour lui « tout va bien ».

8

Enfin on pourra dire sous l’angle psychodynamique que l’impact

de l’infertilité et la souffrance qui en résulte doivent être

envisagés, chez l’homme comme chez la femme, en fonction du

conflit œdipien.

MéthodologieNous allons laisser les approches comparatives et statistiques

pour utiliser une méthode qualitative et psychodynamique pour

approcher l’impact de l’infertilité et la souffrance qui en

résulte. Cette approche se situe dans la perspective du

conflit œdipien chez l’homme comme chez la femme. Nous avons

effectué des entretiens approfondis selon la méthode

psychanalytique : la libre association, la prise en compte des

mouvements du discours et des mouvements transférentiels. Cette

méthode issue de la théorie psychanalytique est à la fois un

outil thérapeutique et de recherche [23].

Eléments théoriquesAvant de développer la question de la souffrance de

l’infertilité chez l’homme, rappelons ce qu’il en est de la

femme et du couple :

1°) Pour la femme

Ce sera une blessure narcissique et objectale : à côté de la

déception de ne pas recevoir cet enfant du père désiré en

secret depuis l’enfance, il y a la blessure de ne pas pouvoir,

à travers une maternité, retrouver la mère perdue des débuts de

la vie ; l’enfant sera toujours celui qui manque à l’appel pour

venir combler tous les chagrins et toutes les blessures de la

9

vie (Bydlowski) [1324]. C’est la douleur de cette incomplétude

qui tient la plus grande place. A cette souffrance s’ajoute

celle de se sentir exclue du processus qui amène les autres

femmes de leur génération à devenir mère à leur tour, après

leur mère. Les femmes infertiles peuvent se sentir

infantilisées, renvoyées du côté de la petite fille d’autrefois

dépendantes de leur mère, ce qui réactive les conflits

infantiles avec elle.

2°) Du point de vue du couple,

La « sexualité stérile », celle qui n’aboutit pas à la

naissance d’un enfant, remet en cause le lien construit au

moment de l’Oedipe entre sexualité et procréation : « la mise

en cause de la solution œdipienne que constitue la sexualité

stérile fissure le cadre psychique contenant l’identité

personnelle en provoquant une grande souffrance » [1425];

l’identité personnelle construite dans l’enfance est remise en

cause : l’identité sexuelle, comme l’appartenance à la lignée.

Il faut souligner, de plus, que l’extension des possibilités

offertes par les procréations médicalement assistées n’est pas

sans conséquence : elle entraîne les couples et leur médecin

dans une spirale d’offre de soins qui court-circuite les enjeux

de la procréation naturelle, qui n’est plus dés lors interrogée

[1526]. En promettant la possibilité d’une conception hors

sexualité, c’est la mise à l’écart de la souffrance d’une

« sexualité stérile », qui opère, empêchant l’élaboration du

traumatisme, et laissant ainsi place au déni de cette

souffrance.

10

3. La souffrance de l’infertilité chez l’homme : de la

souffrance objectale à la souffrance identitaire

La souffrance de l’infertilité chez l’homme peut prendre

plusieurs aspects. Elle peut avoir une dimension narcissique

lorsqu’elle remet en cause sa virilité, tant fécondité et

virilité sont, comme nous l’avons déjà signalé, associées dans

l’imaginaire commun [1627][1728]; elle peut avoir une dimension

objectale (en référence à la libido d’objet : objet d’amour),

être tournée vers l’autre, l’autre conjugal « faire cadeau d’un

enfant à sa compagne », mais aussi vers l’autre parental

«donner un petit enfant à ses parents », gage d’éternité ou

cadeau réparateur des malheurs de la vie [1829] [1930]  : ici,

c’est la souffrance de l’infertilité d’un point de vue

générationnel qui est à prendre en compte, cela pour les hommes

comme pour les femmes ; elle est, selon Bydlowski, liée au non

règlement de la dette de vie à l’égard des parents, à

l’impossibilité de s’acquitter d’une dette

transgénérationnelle. :

La stérilité était jusqu’au développement des techniques d’AMP

des MAR généralement attribuée aux femmes et. Bien que la prie

en charge de l’infertilité masculine existe depuis de

nombreuses années, l’annonce de la stérilité masculine reste

encore difficilement avouable, en particulier au père de

l’homme stérile : en effet chez l’homme, l’impossibilité à

devenir père peut signifier, dans une lecture œdipienne

inconsciente, la réalisation de la menace de castration

redoutée dans l’enfance, issue des désirs incestueux du petit

11

garçon pour sa mère : se débarrasser du père pour prendre sa

place auprès de la mère.

Mais elle peut avoir aussi une dimension identitaire [20] que

la proposition de don de gamète, lorsque la stérilité est

définitive, ne saurait apaiser si elle survient trop tôt. Cette

proposition pourra même être paradoxalement responsable du

blocage du deuil de la fertilité.

Deux cas cliniques vont éclairer ces aspects de la souffrance

de la stérilité. Le choix de présenter des situations

différentes : stérilité partielle et stérilité totale, est

volontaire, visant à montrer que la souffrance due à la

stérilité primaire, partielle, n’est pas moindre que celle liée

à la stérilité définitive. En effet les fantasmes et angoisses

réactivées sont pour une bonne part semblables, découlant des

vicissitudes du développement psychoaffectif de l’enfant

d’autrefois que ces hommes ont été.

Résultats : présentation de deux cas cliniquesBertrand : la dette en souffrance.

Pour Bertrand l’annonce de son infertilité a été une

catastrophe qu’il compare à une maladie grave, le cancer, alors

même que la possibilité d’avoir recours à une biopsie

testiculaire suivie d’ICSI est offerte au couple. Il s’est

senti très déprimé et se remet très doucement : « je ne sais

pas comment je me sortirai de tout ça. Je suis encore sur le,

comment dire, je suis encore dans la digestion et je ne sais

pas si cette digestion est en train de passer doucement, donc

je ne suis absolument pas à penser à demain, il faut déjà que

12

je puisse mener à bien ce que je suis en train de faire

(accepter son infertilité) jusqu’à demain ».

Son histoire est singulière : né sous X, il est le fils adoptif

d’un couple ayant eu recours à l’adoption du fait de la

stérilité du mari. La relation de ce dernier avec son propre

père a été totalement rompue depuis la séparation par divorce

du couple parental lorsque le père de Bertrand était enfant; il

ne voit plus non plus sa mère. En ce qui concerne le père de

Bertrand, la rupture de filiation est totale.

Le père de Bertrand fera une tentative de ré-affiliation, au

moment où Bertrand se marie et a un projet d’enfant : il va

faire des démarches officielles pour prendre le nom de scène

(pseudonyme) de son grand père paternel (arrière grand-père

paternel de Bertrand)  « pour ne pas qu’il se perde » : ce

faisant il s’est ré-affilié avec son grand-père, tout en

« évacuant » le père qui l’a abandonné. Bertrand, quant à lui,

vit mal ces démarches, lui « qui a déjà du mal avec sa

généalogie ». Il « adopte » cependant ce pseudonyme en le

rajoutant au nom initial de son père adoptif.

Abandonné par son propre père, le père de Bertrand a eu du mal

à assumer son rôle de père, c’est plutôt un copain, père et

fils sont collés dans une relation fusionnelle qui évite tout

conflit : « on s’est soudé avec mon père dont l’éducation était

une éducation de père à fils mais pas classique … une relation

où on se serrait les coudes et on faisait attention l’un à

l’autre pour diverses raisons…une relation très très tendre

parce que son propre papa a disparu très vite, enfin il est

parti et euh… à fils unique attendu euh… désiré, donc la

13

neuvième merveille du monde. Il n’avait aucune autorité et je

crains de développer ça sur mes propres enfants, c’est à dire,

avoir un regard très très complaisant, afin d’éviter le

conflit, ce qui n’est pas la meilleure des choses surtout avec

des enfants... ». Lorsque Bertrand fugue à l’adolescence, son

père ne le grondera pas, ne lui dira rien, lorsque jeune homme

il disparaît sans laisser d’adresse pendant plusieurs mois, il

ne cherche pas à le contacter, « ne s’en fait pas plus que

ça », alors que Bertrand vit, en fait, non loin de ses parents.

Bertrand en souffrira,  « cela aurait été facile de me

retrouver ... » dit cet ancien enfant déjà abandonné une

première fois avant d’être adopté.

Commentaire :

Du fait de la fragilisation du lien symbolique de filiation,

celui qui relie mais aussi différencie (on est fils de, frère

de, mais on n’est pas son père ou son frère), pour Bertrand

c’est la dimension narcissiqueimaginaire de ce lien, imaginaire

de ce lien, celle de la répétition du même, qui va prendre le

devant de la scène :. celle de la répétition du même. Dans une

identification narcissique inconsciente à son père, une

relation de corps à corps, il sera stérile, comme lui.

Comme d’autres hommes infertiles, avec sa stérilité il évite de

régler sa dette de vie à l’égard de ce père adoptif ; et c’est

de cela dont il souffre : de ne pas pouvoir lui donner un petit

enfant, de ne pas pouvoir relancer le fil générationnel

endommagé par les ruptures de filiation, à son niveau et au

niveau de son père.

14

Ainsi Bertrand porte la blessure narcissique de son père

adoptif (avoir été abandonné par son père, être stérile) et ne

peut que se vouer à le protéger en évitant le « travail de

meurtre du père » qu’implique toute nouvelle paternité : tuer

symboliquement son père pour devenir père à son tour. Il est un

étai du père et cumule les noms sans pouvoir s’en approprier un

seul.

Il lui faudra du temps pour accepter et donner suite à la

proposition de recherche de spermatozoïde par une biopsie

testiculaire qui est faite au couple. Si le résultat est

positif il devra assumer la possibilité de devenir père à son

tour et de tuer symboliquement son propre père, s’il est

négatif il ne pourra s’acquitter de sa « dette de vie » à son

égard.

George : le vacillement identitaire

C’est un homme terrassé par l’annonce de sa stérilité qui se

présente en consultation. Il est le plus jeune fils d’une

fratrie de quatre enfants. Les parents sont idéalisés, le père

en particulier, véritable Pater Familias, à qui il a toujours

désiré ressembler. Cette idéalisation cache une rivalité

œdipienne conflictuelle et une opposition au modèle familial

qui s’exprimera à travers un parcours scolaire plutôt

chaotique, des études supérieures inabouties, alors que les

frères ont fait un parcours « sans faute » et de hautes

études ; il fait un choix professionnel qui n’est pas à la

hauteur des attentes familiales. mais qui lui convient bien par

sa dimension « cadrante » qui l’aide à avoir les pieds sur

15

terre, lui qui est toujours dans ses rêves. Il ne se sent pas

tout à fait homme, toujours adolescent ; il s’est toujours dit

qu’il deviendrait un homme le jour où il serait père.

L’annonce de sa stérilité, due à une mutation génétique, est un

choc terrible qui ne s’est pas adouci après plusieurs mois

écoulés et la perspective d’une paternité par don de gamète.

Ce sont ses repères identitaires qui sont ébranlés : être

homme/être femme, faire partie de la communauté des pères, être

mari de, être père de famille.

S’il n’est pas père, pourra-t-il être un homme ? Il ne fera

jamais partie, avec son père et ses frères de la communauté des

pères, de la communauté des hommes, il sera dans un entre deux

inacceptable « le tonton qui n’a pas d’enfant », éternel

adolescent.

Il ne saurait accepter d’être père par don, car cet enfant lui

rappellera toujours sa stérilité, à lui-même comme aux autres.

Cet enfant il ne sait pas s’il pourra l’aimer, s’investir comme

père, occuper cette place de père de famille, tant cet enfant

lui rappellera son exclusion du monde des Hommes/Pères. Et en

même temps il ne peut refuser car il est persuadé qu’il y

perdrait sa femme, et avec elle, cet autre appui identitaire :

être « mari de ». Le temps qui lui serait nécessaire pour,

peut-être, faire son deuil, il ne l’a pas du fait de l’âge de

sa femme qui nécessite au contraire d’accélérer le processus de

don.

Sa souffrance est extrême, il ne peut en parler à personne, il

ne peut trouver de consolation auprès de ses proches, car en

parler revient à rendre la réalité de sa stérilité concrète,

16

tangible. Pour le moment il laisse le temps passer, sans rien

dire de ses doutes, en laissant faire les choses, en attendant

un apaisement qui ne vient pas, accroché à l’espoir, pourtant

bien faible (1/000 ?) de devenir père naturellement.

Commentaire DiscussionPour George, Pour G, à côté de la blessure narcissique

castratrice (la stérilité équivaut à la réalisation réelle,

dans son corps, de l’angoisse de castration imaginaire issue du

complexe d’Oedipe) c’est la dimension identitaire de la

souffrance de stérilité qui s’exprime : « qui suis-je  homme ou

femme, adulte ou éternel adolescent ? Quelle place ais-je dans

ma filiation ? » Questionne-t-il douloureusement.

Le projet de don semble, pour le moment, venir figer le

processus d’élaboration, et peut-être de sublimation, de la

perte, par une réponse qui vient trop tôt. Même si son souhait

est de fonder une famille, appui identitaire important pour

lui, sa crainte est grande de ne pouvoir investir l’enfant qui

naîtrait d’un don comme étant le sien, . il craint de le

rejeter, tant il viendrait lui rappeler le traumatisme, qu’il

pense irréparable, de sa stérilité. Il a cependant pu reprendre

le dialogue avec sa femme, dialogue jusque là interrompu, et

sortir de son repli à l’égard de sa famille.

3. Prise en charge de la souffrance de la stérilité

Ces deux cas cliniques où la souffrance psychique d’hommes

confrontés à l’incapacité partielle ou totale à procréer

s’exprime ouvertement sont plutôt exceptionnels quant à

17

l’expression de cette souffrance. Les demandes de consultations

psychologiques vont venir principalement des femmes ; si les

hommes souffrent, ils n’en disent rien et consultent rarement

(Fisher and Hammarberg 2012). Ils viendront toutefois plus

souvent en couple ( dans notre consultation, 1 consultation /

6), ce qui témoignera d’une demande d’aide qu’ils ne peuvent

pas exprimer directement pour eux même.

Nous avons évoqué le type particulier de défense que ces hommes

mettent très fréquemment en place pour lutter contre le profond

désarroi qu’ils éprouvent et contre les angoisses réactivées

par les blessures psychologiques, qu’elles soient narcissiques,

castratrices, ou identitaires. Elles consistent en une

répression des affects, un déni ou une banalisation de cette

souffrance au profit de la considération de celle de leur

compagne. On assiste souvent à un refus de parler de ce qu’ils

vivent à leur femme, aux proches et comme aux amis. Nous avons

vu que ce mode de défense, proche du fonctionnement

psychosomatique, s’il les protège partiellement, a tendance à

figer le travail d’élaboration des blessures de l’infertilité,

et parfois du deuil à faire de sa capacité procréatrice, qui

permettrait un réel dégagement, une véritable sublimation.

La prise en charge est donc difficile car comment encourager

ces hommes à ouvrir les blessures dont ils se protègent si

radicalement ? Lorsque qu’ils en acceptent le risque un

véritable travail d’élaboration peut se faire. Nous n’avons pas

à comparer ici les mérites respectifs de telle ou telle

approche psychothérapique. Nous soulignons comme d’autres

auteurs [28] l’intérêt de ces entretiens psychothérapiques, ici

18

psychanalytiques, dans le champ somatique. Nos propres

recherches sur l’infertilité masculine en sont un exemple,

parmi d’autres. Sur un petit nombre de sujet (30) l’étude a

montré comment la mise en récit de l’histoire personnelle et du

vécu de l’infertilité a augmenté les chances d’un résultat

positif de l’ICSI. On peut penser que l’ouverture de la parole

dans les entretiens a favorisé les échanges dans le couple

[34]. Nous avons vu l’impact que cela peut avoir sur le

résultat des traitements (Boivin et Smith 2005).

Parfois, ils ne pourront accepter qu’un travail en couple qui,

s’il limite la possibilité d’une élaboration individuelle des

conflits anciens réactivés, permet toutefois une reprise du

dialogue dans le couple et une re-narcissisation à travers

l’équilibre affectif retrouvé au sein de leur couple [2135].

3. Conclusion Pour conclure on pourrait dire qu’il est crucial que les

acteurs de la procréation assistée puissent se laisser toucher,

sensibiliser, par les enjeux chaque fois singuliers du projet

de procréation, et de ses impasses, pour que le temps d’une

élaboration créatrice de nouvelles voies sublimatoires puisse

s’ouvrir et que l’enfant à venir ne porte pas le poids d’un

deuil non élaboré. Ne pas se laisser abuser par cette apparente

absence de difficulté, tenter de mettre en mots ce que

l’empathie permet de percevoir malgré l’écran du silence, peut

permettre l’ouverture d’un espace de parole et parfois la mise

en route d’un travail psychothérapique.

19

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