Projet article ANDROLOGIE 2013
La souffrance de la stérilité chez l’homme : de la
souffrance objectale à la souffrance identitaire : à
propos de deux casJaoul M,1Albert M2., Bailly M3., Boitrelle F4., …..
Identity suffering in infertile men : about two cases
Authors:
JAOUL M, BAILLY M, ALBERT M, WAINER R, BOITRELLE F*, SELVA J
Corresponding author
Institutional affiliations:
Department of Reproductive Biology, Cytogenetics and
Gynaecology, Poissy General Hospital, F-78303 Poissy, France.
EA 2493, Versailles University of Medicine and Science, F-
78000 Versailles, France.
Keywords: male infertility suffering, objectal and identity
suffering,
1 Monique Jaoul, Docteur en psychopathologie, service d’AMP du CHI Poissy StGermain2 Albert Martine3 Bailly Marc4 Boitrelle Florence
1
Résumé
La souffrance de l’infertilité chez l’homme peut prendre
plusieurs aspects. Elle peut avoir une dimension narcissique
lorsqu’elle remet en cause sa virilité, tant fécondité et
virilité sont associées dans l’imaginaire commun elle peut
avoir une dimension objectale, être tournée vers l’autre,
l’autre conjugal « faire cadeau d’un enfant à sa compagne »,
mais aussi vers l’autre parental «donner un petit enfant à ses
parents ». Elle peut avoir aussi une dimension identitaire que
la proposition de don de gamète, lorsque la stérilité est
définitive, ne saurait apaiser si elle survient trop tôt.
Quelques études psycho dynamiques se sont intéressées aux
processus psychiques mis en place pour faire face au
traumatisme. Elles montrent chez 2/3 des sujets examinés un
fonctionnement psychique « abrasé » d’où les conflits et les
émotions sont exclus, signalant la dimension traumatique de
l’impasse procréative et de la médicalisation de la
procréation. Cette attitude défensive pourra donner le change
et faire croire à une bonne adaptation à la situation. Si elle
protège partiellement, elle aura tendance à figer le travail
d’élaboration des blessures de l’infertilité, La prise en
charge est donc difficile car comment encourager ces hommes à
ouvrir les blessures dont ils se protègent si radicalement
3
Abstract
The suffering caused by infertility in a man can have several
aspects. It can display a narcissistic dimension when it
challenges his virility as fertility and virility are so
intertwined in people’s mind. It can display an objectal
dimension (object-libido), turned toward others, be it a spouse
“presenting a partner with a child” or a parent “presenting his
parents with a grandchild”, as a token of eternity. But it can
also have an identity dimension which cannot be soothed if
doctors propose a gamete donation too early. Some studies
focused on the psychological processes in place to cope with
the trauma. They show reduced psychological functions in 2/3 of
the subjects involved from which conflicts and emotions are
excluded, which signals the traumatic dimension of infertility
and the medicalization of procreation. This defensive attitude
can be deceiving and seemingly look like a good adjustment to
the situation. Though it partially protects the subject, it
tends to halt the work process on the intricacy of evaluating
infertility-related pain. Therefore, to provide support is
difficult. How can we give men the confidence to open wounds
which they so radically protect themselves from?
4
I. IntroductionLa plupart des travaux sur le vécu psychologique de
l’infertilité s’accordent pour mettre au premier plan la
souffrance dépressive commune à l’homme et à la femme [1]. Bien
souvent, l’annonce d’une stérilité entraîne les mêmes
réactions que celle d’un deuil ou d’une maladie grave : en
particulier, révolte, jalousie, culpabilité, recherche
désespérée d’une cause. L’idéation suicidaire n’est pas rare
comme L’altération des relations conjugales ou sociales [2-4].
Le chemin vers une certaine acceptation sera plus ou moins
long, et de cette acceptation dépendra la manière dont sera
vécu le parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP ou
MAR).
La souffrance d’infertilité réactive les souffrances passées :
« L’espoir, le projet d’une filiation individuelle induit
toujours une rêverie subjective qui mobilise la mémoire
inconsciente » nous dit M. Bydlowski [25]. Selon Greil et al.
Le traitement de l’infertilité est plus associé à un niveau de
détresse psychique que le fait d’être infertile lui-même [6].
La souffrance associée au parcours d’AMP de MAR renforce la
souffrance de l’infertilité : c’est une dynamique de
circularité. Le nombre de couples abandonnant l’AMP après 3
cycles pour des raisons psychologiques n’est pas négligeable,
même si le pronostic médical est encourageant [37] [48].
5
Les recherches sur le vécu de l’infertilité sont plus
dédiées aux femmes qu’aux hommes [9-10]. II. La souffrance de
l’infertilité
La littérature indique que les femmes sont
psychologiquement plus affectées que les hommes par leur
infertilité. Une récente étude Danoise a montré qu’il existait
un risque de troubles psychiatriques plus élevé chez les femmes
dont le traitement MAR avait échoué que chez celles pour qui il
avait permis la naissance d’un enfant [11]. Elles ont un score
plus élevé au questionnaire évaluant le stress et la
dépression. Selon Pash et al., avoir un enfant est plus
important chez les femmes que chez les hommes : elles
s’investissent plus dans les démarches pour avoir un enfant et
éprouvent une baissent de l’estime d’elles-mêmes plus que leurs
compagnons ; elles veulent plus souvent qu’eux parler des
efforts et démarches à faire pour avoir un bébé. Cette
différence de perception peut affecter la communication dans le
couple : les femmes ressentent un effet positif de
l’infertilité sur le couple (« ça nous a rapproché ») lorsque
leurs maris acceptent de parler avec elles des tentatives
faites pour avoir un bébé [12] Elles ont un score plus élevé au
questionnaire évaluant le stress et la dépression. Mais il
s’agirait plutôt d’une différence d’expression face à la
question de l’échec de procréation. : les hommes auront plus
souvent des réactions plus inhibées et contrôlées, leur
difficulté émotionnelle pourra se traduire par une hyper
activité sociale et professionnelle plus que par un état
6
dépressif franc [5]. D’autres études, se sont intéressées plus
spécifiquement aux hommes infertiles. Elles nous indiquent que
le sentiment d’infertilité est particulièrement anxiogène et
peut être responsable de dysfonctionnement sexuel du fait du
lien entre fertilité et sexualité [3,13-166]. En effet, la
moitié des hommes à qui on apprend une anomalie du sperme
présente des difficultés érectiles transitoires à l’annonce de
l’infertilité [711] [812]. De plus il est fréquent que
l’entourage du sujet ne soit pas informé, ce qui est plus
rarement le cas pour l’infertilité d’origine féminine, .
indiquant Cela indique une la difficulté pour l’homme d’assumer
son infertilité dans une confusion entre fertilité et
sexualité. La médicalisation de la procréation est souvent
vécue comme une mise à l’écart de l’homme, qui ne se sent
sollicité que pour « fournir » ses spermatozoïdes, et qui se
culpabilise de ce que sa compagne doit subir, ce qui renforce
la perte d’estime de soi [913] [14]. Les partenaires masculins
du couple qui se sentent responsables de l’infertilité du
couple ont un risque plus important de souffrance sexuelle,
émotionnelle et psychologique que ceux qui n’ont pas cette
conviction [15]. Même lorsque l’annonce de leur infertilité
entraîne chez certains hommes des réactions dépressives
profondes et durables, ils vont avoir du mal à consulter [16].
Plusieurs études montrent qu’il y a une différence de genre
dans la manière de « faire avec » l’infertilité : les hommes
auront plus souvent des réactions plus inhibées et contrôlées,
leur difficulté émotionnelle pourra se traduire par une hyper
7
activité sociale et professionnelle plus que par un état
dépressif franc [17].
Quelques études [1018] [1119] [1220] se sont intéressées aux
processus psychiques mis en place pour faire face au
traumatisme. Elles montrent chez 2/3 des sujets examinés un
fonctionnement psychique « abrasé » d’où les conflits et les
émotions sont exclus, signalant la dimension traumatique de
l’impasse procréative et/ou de la médicalisation de la
procréation. Ce fonctionnement défensif entrave la prise de
conscience et l’expression de la vie émotionnelle, ; il
réduisant réduit la vie fantasmatique, entraînant un mode de
pensée tournée vers la dimension concrète des expériences au
détriment de la vie affective. Cette attitude défensive pourra
donner le change et faire croire à une bonne adaptation à la
situation, voire à de l’indifférence. Ceci n’est pas sans
conséquence sur la relation de couple, la compagne pouvant
avoir le sentiment d’être « la seule à souffrir » ;. Chez les
hommes comme chez les femmes la difficulté à parler des
conséquences émotionnelles de la difficulté à avoir un bébé est
un facteur prédictif d’un état de stress élevé relatif à
l’infertilité [21]. Selon Boivin et Schmidt cette difficulté
de communication pourrait avoir une influence sur le résultat
des tentatives : les femmes qui expriment une souffrance dans
le couple sont celles qui auront besoin de plus de tentatives
pour aboutir à une grossesse [22]. cette Cette attitude
défensive pourra en avoir aussi un impact sur la prise en
charge médicale, laissant penser que pour lui « tout va bien ».
8
Enfin on pourra dire sous l’angle psychodynamique que l’impact
de l’infertilité et la souffrance qui en résulte doivent être
envisagés, chez l’homme comme chez la femme, en fonction du
conflit œdipien.
MéthodologieNous allons laisser les approches comparatives et statistiques
pour utiliser une méthode qualitative et psychodynamique pour
approcher l’impact de l’infertilité et la souffrance qui en
résulte. Cette approche se situe dans la perspective du
conflit œdipien chez l’homme comme chez la femme. Nous avons
effectué des entretiens approfondis selon la méthode
psychanalytique : la libre association, la prise en compte des
mouvements du discours et des mouvements transférentiels. Cette
méthode issue de la théorie psychanalytique est à la fois un
outil thérapeutique et de recherche [23].
Eléments théoriquesAvant de développer la question de la souffrance de
l’infertilité chez l’homme, rappelons ce qu’il en est de la
femme et du couple :
1°) Pour la femme
Ce sera une blessure narcissique et objectale : à côté de la
déception de ne pas recevoir cet enfant du père désiré en
secret depuis l’enfance, il y a la blessure de ne pas pouvoir,
à travers une maternité, retrouver la mère perdue des débuts de
la vie ; l’enfant sera toujours celui qui manque à l’appel pour
venir combler tous les chagrins et toutes les blessures de la
9
vie (Bydlowski) [1324]. C’est la douleur de cette incomplétude
qui tient la plus grande place. A cette souffrance s’ajoute
celle de se sentir exclue du processus qui amène les autres
femmes de leur génération à devenir mère à leur tour, après
leur mère. Les femmes infertiles peuvent se sentir
infantilisées, renvoyées du côté de la petite fille d’autrefois
dépendantes de leur mère, ce qui réactive les conflits
infantiles avec elle.
2°) Du point de vue du couple,
La « sexualité stérile », celle qui n’aboutit pas à la
naissance d’un enfant, remet en cause le lien construit au
moment de l’Oedipe entre sexualité et procréation : « la mise
en cause de la solution œdipienne que constitue la sexualité
stérile fissure le cadre psychique contenant l’identité
personnelle en provoquant une grande souffrance » [1425];
l’identité personnelle construite dans l’enfance est remise en
cause : l’identité sexuelle, comme l’appartenance à la lignée.
Il faut souligner, de plus, que l’extension des possibilités
offertes par les procréations médicalement assistées n’est pas
sans conséquence : elle entraîne les couples et leur médecin
dans une spirale d’offre de soins qui court-circuite les enjeux
de la procréation naturelle, qui n’est plus dés lors interrogée
[1526]. En promettant la possibilité d’une conception hors
sexualité, c’est la mise à l’écart de la souffrance d’une
« sexualité stérile », qui opère, empêchant l’élaboration du
traumatisme, et laissant ainsi place au déni de cette
souffrance.
10
3. La souffrance de l’infertilité chez l’homme : de la
souffrance objectale à la souffrance identitaire
La souffrance de l’infertilité chez l’homme peut prendre
plusieurs aspects. Elle peut avoir une dimension narcissique
lorsqu’elle remet en cause sa virilité, tant fécondité et
virilité sont, comme nous l’avons déjà signalé, associées dans
l’imaginaire commun [1627][1728]; elle peut avoir une dimension
objectale (en référence à la libido d’objet : objet d’amour),
être tournée vers l’autre, l’autre conjugal « faire cadeau d’un
enfant à sa compagne », mais aussi vers l’autre parental
«donner un petit enfant à ses parents », gage d’éternité ou
cadeau réparateur des malheurs de la vie [1829] [1930] : ici,
c’est la souffrance de l’infertilité d’un point de vue
générationnel qui est à prendre en compte, cela pour les hommes
comme pour les femmes ; elle est, selon Bydlowski, liée au non
règlement de la dette de vie à l’égard des parents, à
l’impossibilité de s’acquitter d’une dette
transgénérationnelle. :
La stérilité était jusqu’au développement des techniques d’AMP
des MAR généralement attribuée aux femmes et. Bien que la prie
en charge de l’infertilité masculine existe depuis de
nombreuses années, l’annonce de la stérilité masculine reste
encore difficilement avouable, en particulier au père de
l’homme stérile : en effet chez l’homme, l’impossibilité à
devenir père peut signifier, dans une lecture œdipienne
inconsciente, la réalisation de la menace de castration
redoutée dans l’enfance, issue des désirs incestueux du petit
11
garçon pour sa mère : se débarrasser du père pour prendre sa
place auprès de la mère.
Mais elle peut avoir aussi une dimension identitaire [20] que
la proposition de don de gamète, lorsque la stérilité est
définitive, ne saurait apaiser si elle survient trop tôt. Cette
proposition pourra même être paradoxalement responsable du
blocage du deuil de la fertilité.
Deux cas cliniques vont éclairer ces aspects de la souffrance
de la stérilité. Le choix de présenter des situations
différentes : stérilité partielle et stérilité totale, est
volontaire, visant à montrer que la souffrance due à la
stérilité primaire, partielle, n’est pas moindre que celle liée
à la stérilité définitive. En effet les fantasmes et angoisses
réactivées sont pour une bonne part semblables, découlant des
vicissitudes du développement psychoaffectif de l’enfant
d’autrefois que ces hommes ont été.
Résultats : présentation de deux cas cliniquesBertrand : la dette en souffrance.
Pour Bertrand l’annonce de son infertilité a été une
catastrophe qu’il compare à une maladie grave, le cancer, alors
même que la possibilité d’avoir recours à une biopsie
testiculaire suivie d’ICSI est offerte au couple. Il s’est
senti très déprimé et se remet très doucement : « je ne sais
pas comment je me sortirai de tout ça. Je suis encore sur le,
comment dire, je suis encore dans la digestion et je ne sais
pas si cette digestion est en train de passer doucement, donc
je ne suis absolument pas à penser à demain, il faut déjà que
12
je puisse mener à bien ce que je suis en train de faire
(accepter son infertilité) jusqu’à demain ».
Son histoire est singulière : né sous X, il est le fils adoptif
d’un couple ayant eu recours à l’adoption du fait de la
stérilité du mari. La relation de ce dernier avec son propre
père a été totalement rompue depuis la séparation par divorce
du couple parental lorsque le père de Bertrand était enfant; il
ne voit plus non plus sa mère. En ce qui concerne le père de
Bertrand, la rupture de filiation est totale.
Le père de Bertrand fera une tentative de ré-affiliation, au
moment où Bertrand se marie et a un projet d’enfant : il va
faire des démarches officielles pour prendre le nom de scène
(pseudonyme) de son grand père paternel (arrière grand-père
paternel de Bertrand) « pour ne pas qu’il se perde » : ce
faisant il s’est ré-affilié avec son grand-père, tout en
« évacuant » le père qui l’a abandonné. Bertrand, quant à lui,
vit mal ces démarches, lui « qui a déjà du mal avec sa
généalogie ». Il « adopte » cependant ce pseudonyme en le
rajoutant au nom initial de son père adoptif.
Abandonné par son propre père, le père de Bertrand a eu du mal
à assumer son rôle de père, c’est plutôt un copain, père et
fils sont collés dans une relation fusionnelle qui évite tout
conflit : « on s’est soudé avec mon père dont l’éducation était
une éducation de père à fils mais pas classique … une relation
où on se serrait les coudes et on faisait attention l’un à
l’autre pour diverses raisons…une relation très très tendre
parce que son propre papa a disparu très vite, enfin il est
parti et euh… à fils unique attendu euh… désiré, donc la
13
neuvième merveille du monde. Il n’avait aucune autorité et je
crains de développer ça sur mes propres enfants, c’est à dire,
avoir un regard très très complaisant, afin d’éviter le
conflit, ce qui n’est pas la meilleure des choses surtout avec
des enfants... ». Lorsque Bertrand fugue à l’adolescence, son
père ne le grondera pas, ne lui dira rien, lorsque jeune homme
il disparaît sans laisser d’adresse pendant plusieurs mois, il
ne cherche pas à le contacter, « ne s’en fait pas plus que
ça », alors que Bertrand vit, en fait, non loin de ses parents.
Bertrand en souffrira, « cela aurait été facile de me
retrouver ... » dit cet ancien enfant déjà abandonné une
première fois avant d’être adopté.
Commentaire :
Du fait de la fragilisation du lien symbolique de filiation,
celui qui relie mais aussi différencie (on est fils de, frère
de, mais on n’est pas son père ou son frère), pour Bertrand
c’est la dimension narcissiqueimaginaire de ce lien, imaginaire
de ce lien, celle de la répétition du même, qui va prendre le
devant de la scène :. celle de la répétition du même. Dans une
identification narcissique inconsciente à son père, une
relation de corps à corps, il sera stérile, comme lui.
Comme d’autres hommes infertiles, avec sa stérilité il évite de
régler sa dette de vie à l’égard de ce père adoptif ; et c’est
de cela dont il souffre : de ne pas pouvoir lui donner un petit
enfant, de ne pas pouvoir relancer le fil générationnel
endommagé par les ruptures de filiation, à son niveau et au
niveau de son père.
14
Ainsi Bertrand porte la blessure narcissique de son père
adoptif (avoir été abandonné par son père, être stérile) et ne
peut que se vouer à le protéger en évitant le « travail de
meurtre du père » qu’implique toute nouvelle paternité : tuer
symboliquement son père pour devenir père à son tour. Il est un
étai du père et cumule les noms sans pouvoir s’en approprier un
seul.
Il lui faudra du temps pour accepter et donner suite à la
proposition de recherche de spermatozoïde par une biopsie
testiculaire qui est faite au couple. Si le résultat est
positif il devra assumer la possibilité de devenir père à son
tour et de tuer symboliquement son propre père, s’il est
négatif il ne pourra s’acquitter de sa « dette de vie » à son
égard.
George : le vacillement identitaire
C’est un homme terrassé par l’annonce de sa stérilité qui se
présente en consultation. Il est le plus jeune fils d’une
fratrie de quatre enfants. Les parents sont idéalisés, le père
en particulier, véritable Pater Familias, à qui il a toujours
désiré ressembler. Cette idéalisation cache une rivalité
œdipienne conflictuelle et une opposition au modèle familial
qui s’exprimera à travers un parcours scolaire plutôt
chaotique, des études supérieures inabouties, alors que les
frères ont fait un parcours « sans faute » et de hautes
études ; il fait un choix professionnel qui n’est pas à la
hauteur des attentes familiales. mais qui lui convient bien par
sa dimension « cadrante » qui l’aide à avoir les pieds sur
15
terre, lui qui est toujours dans ses rêves. Il ne se sent pas
tout à fait homme, toujours adolescent ; il s’est toujours dit
qu’il deviendrait un homme le jour où il serait père.
L’annonce de sa stérilité, due à une mutation génétique, est un
choc terrible qui ne s’est pas adouci après plusieurs mois
écoulés et la perspective d’une paternité par don de gamète.
Ce sont ses repères identitaires qui sont ébranlés : être
homme/être femme, faire partie de la communauté des pères, être
mari de, être père de famille.
S’il n’est pas père, pourra-t-il être un homme ? Il ne fera
jamais partie, avec son père et ses frères de la communauté des
pères, de la communauté des hommes, il sera dans un entre deux
inacceptable « le tonton qui n’a pas d’enfant », éternel
adolescent.
Il ne saurait accepter d’être père par don, car cet enfant lui
rappellera toujours sa stérilité, à lui-même comme aux autres.
Cet enfant il ne sait pas s’il pourra l’aimer, s’investir comme
père, occuper cette place de père de famille, tant cet enfant
lui rappellera son exclusion du monde des Hommes/Pères. Et en
même temps il ne peut refuser car il est persuadé qu’il y
perdrait sa femme, et avec elle, cet autre appui identitaire :
être « mari de ». Le temps qui lui serait nécessaire pour,
peut-être, faire son deuil, il ne l’a pas du fait de l’âge de
sa femme qui nécessite au contraire d’accélérer le processus de
don.
Sa souffrance est extrême, il ne peut en parler à personne, il
ne peut trouver de consolation auprès de ses proches, car en
parler revient à rendre la réalité de sa stérilité concrète,
16
tangible. Pour le moment il laisse le temps passer, sans rien
dire de ses doutes, en laissant faire les choses, en attendant
un apaisement qui ne vient pas, accroché à l’espoir, pourtant
bien faible (1/000 ?) de devenir père naturellement.
Commentaire DiscussionPour George, Pour G, à côté de la blessure narcissique
castratrice (la stérilité équivaut à la réalisation réelle,
dans son corps, de l’angoisse de castration imaginaire issue du
complexe d’Oedipe) c’est la dimension identitaire de la
souffrance de stérilité qui s’exprime : « qui suis-je homme ou
femme, adulte ou éternel adolescent ? Quelle place ais-je dans
ma filiation ? » Questionne-t-il douloureusement.
Le projet de don semble, pour le moment, venir figer le
processus d’élaboration, et peut-être de sublimation, de la
perte, par une réponse qui vient trop tôt. Même si son souhait
est de fonder une famille, appui identitaire important pour
lui, sa crainte est grande de ne pouvoir investir l’enfant qui
naîtrait d’un don comme étant le sien, . il craint de le
rejeter, tant il viendrait lui rappeler le traumatisme, qu’il
pense irréparable, de sa stérilité. Il a cependant pu reprendre
le dialogue avec sa femme, dialogue jusque là interrompu, et
sortir de son repli à l’égard de sa famille.
3. Prise en charge de la souffrance de la stérilité
Ces deux cas cliniques où la souffrance psychique d’hommes
confrontés à l’incapacité partielle ou totale à procréer
s’exprime ouvertement sont plutôt exceptionnels quant à
17
l’expression de cette souffrance. Les demandes de consultations
psychologiques vont venir principalement des femmes ; si les
hommes souffrent, ils n’en disent rien et consultent rarement
(Fisher and Hammarberg 2012). Ils viendront toutefois plus
souvent en couple ( dans notre consultation, 1 consultation /
6), ce qui témoignera d’une demande d’aide qu’ils ne peuvent
pas exprimer directement pour eux même.
Nous avons évoqué le type particulier de défense que ces hommes
mettent très fréquemment en place pour lutter contre le profond
désarroi qu’ils éprouvent et contre les angoisses réactivées
par les blessures psychologiques, qu’elles soient narcissiques,
castratrices, ou identitaires. Elles consistent en une
répression des affects, un déni ou une banalisation de cette
souffrance au profit de la considération de celle de leur
compagne. On assiste souvent à un refus de parler de ce qu’ils
vivent à leur femme, aux proches et comme aux amis. Nous avons
vu que ce mode de défense, proche du fonctionnement
psychosomatique, s’il les protège partiellement, a tendance à
figer le travail d’élaboration des blessures de l’infertilité,
et parfois du deuil à faire de sa capacité procréatrice, qui
permettrait un réel dégagement, une véritable sublimation.
La prise en charge est donc difficile car comment encourager
ces hommes à ouvrir les blessures dont ils se protègent si
radicalement ? Lorsque qu’ils en acceptent le risque un
véritable travail d’élaboration peut se faire. Nous n’avons pas
à comparer ici les mérites respectifs de telle ou telle
approche psychothérapique. Nous soulignons comme d’autres
auteurs [28] l’intérêt de ces entretiens psychothérapiques, ici
18
psychanalytiques, dans le champ somatique. Nos propres
recherches sur l’infertilité masculine en sont un exemple,
parmi d’autres. Sur un petit nombre de sujet (30) l’étude a
montré comment la mise en récit de l’histoire personnelle et du
vécu de l’infertilité a augmenté les chances d’un résultat
positif de l’ICSI. On peut penser que l’ouverture de la parole
dans les entretiens a favorisé les échanges dans le couple
[34]. Nous avons vu l’impact que cela peut avoir sur le
résultat des traitements (Boivin et Smith 2005).
Parfois, ils ne pourront accepter qu’un travail en couple qui,
s’il limite la possibilité d’une élaboration individuelle des
conflits anciens réactivés, permet toutefois une reprise du
dialogue dans le couple et une re-narcissisation à travers
l’équilibre affectif retrouvé au sein de leur couple [2135].
3. Conclusion Pour conclure on pourrait dire qu’il est crucial que les
acteurs de la procréation assistée puissent se laisser toucher,
sensibiliser, par les enjeux chaque fois singuliers du projet
de procréation, et de ses impasses, pour que le temps d’une
élaboration créatrice de nouvelles voies sublimatoires puisse
s’ouvrir et que l’enfant à venir ne porte pas le poids d’un
deuil non élaboré. Ne pas se laisser abuser par cette apparente
absence de difficulté, tenter de mettre en mots ce que
l’empathie permet de percevoir malgré l’écran du silence, peut
permettre l’ouverture d’un espace de parole et parfois la mise
en route d’un travail psychothérapique.
19
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