La Salamandre du Semiretchensk, Ranodon sibiricus (Kessler, 1866) : Observations, élevage et...

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Copyright © 2014 Axel Hernandez, FUG, Inc. All rights reserved. La Salamandre du Semiretchensk, Ranodon sibiricus (Kessler, 1866) : Observations, élevage et perspectives conservatoires en France et au Kazakhstan (Urodela : Hynobiidae) Axel HERNANDEZ (1) (1) Université Pasquale Paoli de Corse, faculté des Sciences et Techniques, Corte, 20250, Haute-Corse. Email : [email protected] Résumé : Ranodon sibiricus appartient au genre monospécifique Ranodon, lui-même rattaché à la famille des Hynobiidae composé d’une dizaine de genres et qui se rencontrent du Moyen-Orient à l’Asie de l’Est. Cette espèce qui atteint une longueur maximale connue de 28 cm est couramment nommée salamandre d’Asie centrale ou salamandre du Semiretchensk. Considérée comme l’une des salamandres asiatiques les plus rares, elle est protégée dans certains pays qui l’abritent. Cet article présentera les principaux traits de l’histoire naturelle de cet animal mythique tout en précisant ses différents paramètres de maintenance en captivité en lien avec de possibles projets de conservation Ex Situ. Mots-clés : Salamandre du Semiretchensk, Ranodon sibiricus, Kazakhstan, Hynobiidae. Abstract : Ranodon sibiricus is the only extant species of the monospecific genus Ranodon (Caudata : Hynobiidae). Hynobiidae includes ten genera of paleartic salamanders and its repartition range covers large areas from Middle East to East Asia. R. sibiricus, the Central Asian salamander or Semiretchensk salamander is considered as one of the rarest Old World caudata. It is then under observation of several local conservation agencies and it is strictly protected locally. The goal of this article is to summarize the main traits of this species' biology and ecology, and also the mains parameters requiered for its captive propagation, in order to contribute to potential concrete conservation applications in Kazakhstan. Keywords : Semiretchensk salamander, Ranodon sibiricus , Hynobiidae, captive breeding, conservation, global warming, Kazakhstan.

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La Salamandre du Semiretchensk, Ranodon sibiricus (Kessler,

1866) : Observations, élevage et perspectives conservatoires en

France et au Kazakhstan (Urodela : Hynobiidae)

Axel HERNANDEZ (1)

(1) Université Pasquale Paoli de Corse, faculté des Sciences et Techniques, Corte, 20250, Haute-Corse.

Email : [email protected]

Résumé :

Ranodon sibiricus appartient au genre monospécifique Ranodon, lui-même rattaché à la famille des

Hynobiidae composé d’une dizaine de genres et qui se rencontrent du Moyen-Orient à l’Asie de l’Est.

Cette espèce qui atteint une longueur maximale connue de 28 cm est couramment nommée salamandre

d’Asie centrale ou salamandre du Semiretchensk. Considérée comme l’une des salamandres asiatiques

les plus rares, elle est protégée dans certains pays qui l’abritent. Cet article présentera les principaux

traits de l’histoire naturelle de cet animal mythique tout en précisant ses différents paramètres de

maintenance en captivité en lien avec de possibles projets de conservation Ex Situ.

Mots-clés : Salamandre du Semiretchensk, Ranodon sibiricus, Kazakhstan, Hynobiidae.

Abstract : Ranodon sibiricus is the only extant species of the monospecific genus Ranodon (Caudata :

Hynobiidae). Hynobiidae includes ten genera of paleartic salamanders and its repartition range covers

large areas from Middle East to East Asia. R. sibiricus, the Central Asian salamander or Semiretchensk

salamander is considered as one of the rarest Old World caudata. It is then under observation of several

local conservation agencies and it is strictly protected locally. The goal of this article is to summarize

the main traits of this species' biology and ecology, and also the mains parameters requiered for its

captive propagation, in order to contribute to potential concrete conservation applications in

Kazakhstan.

Keywords : Semiretchensk salamander, Ranodon sibiricus, Hynobiidae, captive breeding,

conservation, global warming, Kazakhstan.

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Ranodon sibiricus subadulte découvert à la station Borokhujir au Kazakhstan le 30 juin 2013.

(Photo : Axel Hernandez)

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Introduction

La salamandre du Semiretchensk fait partie de l’ordre des Urodèles dont on dénombre 850

espèces et sous-espèces à ce jour (Raffaëlli, 2013). Les salamandres sont des amphibiens

extraordinaires, le plus souvent méconnues voir déprécier par le grand public. Et pourtant,

elles ne cessent de surprendre les biologistes qui les étudient. Elles mènent dans la plus

grande discrétion une double vie : elles sont le plus souvent aquatique durant leur stade

larvaire et deviennent terrestre dans la seconde partie de leur existence. Ranodon sibiricus fait

partie de ces espèces-là. Unique représentant du genre Ranodon, la salamandre du

Semiretchensk est restée longtemps un véritable mystère. Le genre Ranodon à laquelle elle est

rattachée a été très discuté, voir controversé ces dernières années.

Dans un passé relativement récent, elle a été incluse tour à tour dans les genres Hynobius (Hu

& Fei, 1978) et Pseudohynobius (Fei & Ye, 1983a). Mais, depuis 2006, cette espèce est

considérée comme le seul représentant du genre Ranodon (Zhang et al., 2006). De

nombreuses formes fossiles découvertes dans le Nord du Kazakhstan, dans l’Altaï et dans la

chaine de Zaïliisk pourraient appartenir à ce genre (Dujsebayeva, com. pers. 2013).

Selon Kuzmin (1998), les ancêtres de Ranodon seraient des espèces de plaine d’eau stagnante

qui auraient survécu en migrant vers les montagnes à la suite d’un épisode d’aridification

survenu au Quaternaire. Espèce mythique et rare, il nous paraissait intéressant d’actualiser les

données récentes à partir d’une étude de terrain consacrée à R. sibiricus qui s’est déroulée lors

d’une expédition menée en juin 2013 dans les montagnes de l’Alatau de Djoungarie (sud-est

du Kazakhstan).

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I - Habitat et distribution de Ranodon sibiricus

Espèce rare de montagne vivant à 2000 mètres d’altitude dans le Jungarian Alatau (300 km au

Nord-est d’Almaty) mais aussi en Chine dans le Xian de Taxkorgana de la préfecture de

Kachgar au Xinjiang, entre 1 500 et 2 500 m d'altitude. Quatre populations isolées ont été

découvertes récemment, toutes situées dans le Xian de Wenquan au Xinjiang. La Huocheng

Four Talon Tortoise Nature Reserve, l'une des six réserves nationales incluses dans la zone

proposée au Patrimoine mondial en 2010, serait le principal centre de distribution de l'espèce.

La plupart des populations actuelles du Kazakhstan se trouvent à l’Est de la chaine

montagneuse de l’Alatau, près de la frontière chinoise (plus de 30 localités connues). Les

deux stations majeures au Kazakhstan se trouvent à Tekeli (station de la rivière Chambulak)

et Kopal (aux alentours dans le Mynchakur Ridge au sud de la ville).

Autrefois, la rivière Balykty était la station la plus connue (station la plus au nord de l’Alatau

dans des zones de canyons escarpées à l’Est de Taldykourgan). Aujourd’hui, la rivière

Borokhujir (Panfilov district) est la zone de l’Alatau la plus peuplée par cette espèce

(observation personnelle en juin 2013 avec Tatjana Dujsebayeva et d’autres scientifiques de

l’Institut de Zoologie d’Almaty). La province de TaldyKourgan et le Jukentas Pass possèdent

plusieurs zones habitées par l’espèce dont certaines sont en train d’être étudiées. (On notera la

ville au nord de Semipalatinsk qui est la dernière zone habitée par l’espèce et au sud la ville

de Kulja).

Carte de distribution de Ranodon sibiricus (Kazakhstan et Chine) :

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D’après les récentes études de Tatjana Dujsebayeva, directrice de l’organisation de

sauvegarde de cette espèce et membre de l’UNESCO à l’Institut de Zoologie d’Almaty, les

populations sont concentrées sur seulement 160 km2 à l’heure actuelle au Kazakhstan.

Rencontre avec Tatjana Dujsebayeva, Directrice de l’organisation de sauvegarde de cette espèce et

membre de l’UNESCO à l’Institut de Zoologie d’Almaty lors de l’expédition en juin 2013.

Nous avons envisagé de créer un partenariat avec le FUG en France pour élever et échanger

des informations précieuses sur la vie en captivité de cette espèce pour Septembre 2013. Le

gouvernement du Kazakhstan a accordé une permission exceptionnelle de prélèvements de

quelques spécimens pour l’Université de Zoologie de Moscou et pour la France.

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Un magnifique adulte Ranodon sibiricus en juin 2013 :

Jeune larve

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Ci-dessus, discussion autour du projet de coopération pour l’élevage du Ranodon sibiricus avec Roman

Jashenko, Directeur de l’Institut de Zoologie d’Almaty et président du comité national de l’UNESCO au

Kazakhstan et Tatjana Dujsebayeva, membre de l’UNESCO et spécialiste de l’espèce.

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Ranodon sibiricus vit dans les ruisseaux de prairies alpines et sub-alpines, et les écosystèmes

prairie - forêt de conifères et prairie - forêt – steppe (voir photo ci-dessous). Il évite les larges

cours d’eaux. Autre observation intéressante à noter : les adultes vivent souvent séparés des

larves et subadultes dans un torrent plus ou moins proche de l’endroit de pontes. Les adultes

sont difficilement repérables de jour et sont nocturnes.

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1er

adulte trouvé sous une grande pierre aux abords d’un ruisseau.

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Un Ranodon s. subadulte : on peut observer la couleur souvent plus claire que les

adultes.

Ranodon s. adulte sur une pierre à Borokhujir (Oleg Belyalov, 2013) :

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Vu panoramique sur les montagnes du Jungarian Alatau en juin 2013

En outre, l’Alatau possède deux grandes rivières principales qui le traversent. On peut

observer de jeunes Ranodon sibiricus dans les petits ruisseaux ou l’eau court légèrement. Les

adultes mesurent 22 cm maximum et sortent uniquement la nuit hors de l’eau pour trouver à

manger. Durant la journée, ils restent sous des pierres ou dans des petits terriers de rongeurs

aux abords des ruisseaux. Le climat de l’Alatau est très variable subissant de fortes

précipitations et des températures changeantes. L’hygrométrie est haute toute l’année

(environs 75-80 pourcent d’humidité dans les milieux à Ranodon sibiricus). La température a

fortement changé depuis les années 1990. La température moyenne est de -2 à 0 °C l’hiver et

de 20 à 26 °C l’été. Les ruisseaux ou l’on peut trouver Ranodon sibiricus résultent de la fonte

des glaces et la qualité de l’eau y est particulièrement pure et oxygénée.

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La station de la vallée Borokhujir (du nom de la rivière du Juangarian Alateau) située à 400 km

d’Almaty et d’une altitude de 2000 mètres environ. Cette zone possède plus de dix petits cours d’eaux

favorables au Ranodon sibiricus qui aime l’eau légèrement courante.

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Les différents torrents de la station Borokhujir descendent de la montagne pour se rejoindre près de

l’habitat des nomades, dans les plaines. Ces torrents résultent de la fonte des glaciers, l’eau y est

particulièrement pure et oxygénée.

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Les plateaux du Jungarian Alatau offrent aux spectateurs un panorama magnifique sur les montagnes

sauvages du Kazakhstan à la frontière de la Chine (Xinjiang).

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II - En captivité :

Grand aquaterrarium. Partie aquatique importante contenant une ou deux pompes favorisant

un léger courant comme dans la nature. Une bonne oxygénation est importante avec une eau

de très bonne qualité et fraiche. La présence des gammares assure un bon fonctionnement de

la partie aquatique et elles sont une preuve de la qualité de l’eau. Les jeunes s’en nourrissent

dans l’Alatau car elles sont une source riche en calcium, nécessaire au bon développement des

juvéniles notamment. De nombreux rochers doivent proposer des cachettes dans la partie

aquatique. La partie terrestre doit être composée de pierres et de bois morts (bien ébouillanter

certains bois morts pour éviter les bactéries avant de les mettre dans le terrarium.) Les

ardoises et les tuiles sont très pratiques comme habitat de substitution. Les plantes ne sont pas

nécessaires car le milieu d’origine en est quasiment dépourvu. Cependant, la mousse de Java

semble convenir grâce à ses vertus oxygénantes et purifiantes.

Ci-dessus, vieux male Ranodon sibiricus chez Jean Raffaëlli en eau légèrement courante.

Ci-dessous, femelle adulte de la forme de Balykty chez Jean Raffaëlli en

2014 (A.Hernandez) :

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Selon Tatjana Dujsebayeva l’espèce préfère les eaux légèrement courantes comme les

cuvettes aux abords des torrents.

Cette espèce est très robuste et peu timide en captivité. On peut l’observer facilement

quasiment tout au long de l’année. Cependant, on veillera à maintenir une température fraiche

dans le terrarium tout au long de l’année et surtout une forte hygrométrie (80 %).

Réaliser des changements d’eaux réguliers (20 % chaque mois).

La qualité de l’eau est le facteur le plus important pour cette espèce. (Utiliser de l’eau

minérale ou de l’eau décantée pendant un jour). Il est plus facile de la maintenir en phase

aquatique presque toute l’année.

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III - Reproduction :

La maturité sexuelle des adultes est à 4/5 ans (Moyenne de vie de 15 à 25 ans en captivité).

Ranodon sibiricus doit subir des températures variables comme dans leur milieu naturel. Un

hiver froid et humide de 4 mois de 0 à 5 degrés pendant lequel ils hibernent plus ou moins. Ils

sont actifs au-dessus de 10 degrés généralement. Effectivement, la température de l’Alatau est

comprise entre 6 à 22 degrés toute l’année d’après les observations de l’Institut de Zoologie

d’Almaty. Il faut réchauffer l’eau de 5 à 10 degrés à la mi-printemps (Mars-Avril) pour

déclencher la reproduction qui s’effectue à l’eau. Le male reste constamment à l’eau et son

comportement change : il est attiré par tout ce qui bouge tandis que la femelle se rend à l’eau

périodiquement à partir d’avril (Thorn obs. personnelle). Le male flaire la femelle et la suit en

plaçant sa tête sous sa queue. A noter que les males ont la queue plus longue et ondulée en

période de reproduction.

On peut observer une magnifique danse nuptiale durant laquelle le male poursuit et tourne

autour de la femelle (parfois la mordant à la queue). Il faut penser à laisser dans l’eau un

support pour le sac de frais comme par exemple une plante du type Acorus graminaeus.

Ensuite, la femelle laisse sortir de son cloaque un cordon blanchâtre et le male arrive pour

s’accoupler à elle en amplexus dorsal de quelques secondes comme les salamandres du genre

Ambystoma. Le male féconde ensuite le sac de frai contenant de 20 à 100 œufs (très variable

selon l’âge des parents), il arrive que la femelle libère un second sac de frai et le processus

recommence. La durée de l’accouplement et de la fécondation dure environs 30 min à 1h.

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Ci-dessus, sac de frai déposé en juin 2013 (Tatjana Dujsebayeva)

3-4 jours plus tard, la femelle dépose un sac de frai comme la plupart des salamandres du

genre Hynobius. L’incubation des œufs est de 3 semaines à 1 mois selon la température de

l’eau. Les larves mesurent 2 cm à l’éclosion (15% seulement arrivent à l’âge adulte, mortalité

très haute après l’éclosion) et se nourrissent de gammares et autres insectes de rivières. Pas de

cannibalisme observé. Elles sont très vivaces et robustes et semblent moins sensibles aux

changements climatiques. Elles resteront environs 2 ans à 2 ans et demi dans l’eau mais ne

s’en éloigneront jamais avant l’âge adulte (vers 3-4 ans).

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Ci-dessus, jeune larve de 6 cm (T.Dujsebayeva).

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IV - Causes de sa disparition :

L’habitat s’est vivement dégradé depuis les années 1990 d’après les observations personnelles

de Serguei Kuzmin. Il ne reste que 160 Km2 ou l’espèce est présente dans l’Alatau selon

Tatjana Dujsebayeva qui a analysé la région et les populations durant 5 années de 2008 à

2013 (plus de 30 localités). Effectivement, les changements climatiques engendrent la

disparition des petits cours d’eaux (hausse de température), la pollution (de nombreuses

bouteilles en plastique et des morceaux de divers métaux ont été retrouvés dans les torrents à

Ranodon sibiricus en juin 2013) et aussi la consommation des peuples nomades surtout en

Chine. Cette espèce est souvent cuisinée en soupe par les Djoungars notamment, qui

l’utilisent à des fins pharmaceutiques. Ranodon sibiricus aurait des vertus salvatrices pour les

rhumatismes et les maux de dos.

La seconde moitié du XXème siècle a vu la moitié des cours d’eaux diminuer ou disparaitre à

cause des changements climatiques.

Les populations du nord, près de l’Altaï avaient été décrites dans les années 1950 et déjà en

1990, elles avaient complètement disparu selon Serguei Kuzmin qui a étudié de près cette

espèce. Les populations de l’extrême sud (aux alentours de la ville d’Almaty) ont aussi

complétement disparu dans les années 1990.

Dans les années 2000, l’institut de Zoologie d’Almaty a découvert que la raison de la

disparition du Ranodon sibiricus n’est pas uniquement la cause de l’homme mais la hausse

des températures de l’Alatau en été, ces dernières années. En effet, celle-ci engendre la fonte

des glaciers et ainsi, certains torrents deviennent trop profond tandis que d’autres

disparaissent. L’asséchement total de certains petits torrents est donc réellement le facteur

principal de la disparition de l’espèce aujourd’hui (certains adultes meurent en juillet et aout,

à la période des grandes chaleurs ou certains, rejoignent les plus grandes rivières en étant la

proie principale des poissons.)

Cependant, Tatjana Dujsebayeva assure que les populations ont peu diminué et restent stables

depuis les années 1990. De nouvelles localités ont été trouvées au cours de ces dernières

années dans les montagnes ou l’altitude dépasse 2000 mètres d’altitude.

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Ci-dessus, spécimen subadulte (A.Hernandez).

V - Observations et notes personnelles sur la station Borokhujir en juin

2013 :

Nous avons pu analyser une population dans l’Alatau de Djoungarie à la fin de juin 2013. Les

spécimens de Ranodon sibiricus vivaient dans l’eau légèrement courante des petits torrents de

montagnes ou l’eau est peu profonde (15 cm env.). Les populations observées étaient dans la

station de Borokhujir à 400 km au nord-est d’Almaty en mai 2013.

Cependant, Nous avons pu observer des Ranodon sibiricus adultes dans de petites mares

autours des torrents ou l’eau est stagnante, remplie de vase et de débris. L’eau était partout

très fraiche (env. 12 degrés en moyenne). Il y a un réel problème de pollution à noter. Les

nomades jettent du plastique et des métaux dans les ruisseaux et aux abords. De plus, on a

observé la raréfaction des petits torrents. Si l’eau est trop profonde comme dans le lit de la

rivière principale dans la plaine, il n’y a pas de Ranodon sibiricus car l’eau y est trop

profonde et trop courante.

Les adultes sont souvent plus difficile à voir le jour et ont été trouvé à l’écart des juvéniles. Ils

se cachent le jour sous les grandes pierres ou dans des trous de rongeurs aux abords des

ruisseaux et dans les ruisseaux. Les adultes sont visibles surtout la nuit. Ils sortent ainsi pour

chasser de petits insectes.

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Tous les juvéniles étaient uniquement aquatiques et bien visibles dans l’eau des petits torrents.

De nombreux sacs de frai étaient accrochés aux pierres dans l’eau légèrement courante.

Juvénile âgé d’un an et demi et bientôt subadulte (A.Hernandez).

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Les larves se cachent sous les pierres et dans la boue aux abords des petits ruisseaux de

montagnes. L’eau n’y est donc pas directement courante.

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Un spécimen adulte trouvé sous un sac de frai.

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De nombreuses larves ont été trouvées dans les herbes aux abords des ruisseaux.

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Vue sur l’Alatau, habitat incroyable de l’unique représentant du genre Ranodon en juin

2013 (A.Hernandez).

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Conclusion

Ranodon sibiricus est incontestablement la salamandre la plus rare et la plus incroyable

d’Asie centrale. Peu de données existent à ce jour sur son mode de vie et sur son écosystème

qui, malheureusement, s’est raréfié ces vingt dernières années. Même s’il existe encore

quelques populations viables, la pollution et surtout les changements climatiques réduisent les

petits torrents favorables aux accouplements et à la survie des larves. Les adultes ne

s’éloignent jamais trop loin de l’eau et restent très aquatiques une bonne partie de l’année.

L’eau et sa qualité sont donc les facteurs essentiels pour la survie de l’espèce. Les spécimens

de Ranodon situés au Nord de l’Alatau dans les ruisseaux de la rivière Balykty (zones de

canyons profonds et étroits, Kazakhstan), se distinguent de sibiricus topotypique par la

coloration, la taille et la forme du corps (mâles possédant une tête plus déprimée, l’œil

protubérant, parotoïdes larges et développées. Les femelles sont plus trapues). Ces animaux

pourraient représenter une forme inédite non décrite (Dujsebayeva, com. pers., 2013), mais il

pourrait s'agir aussi de variations individuelles ou liées à l'âge (Kuzmin & Thiesmeier, 2001).

Comme l’explique Raffaëlli dans son ouvrage encyclopédique (Raffaëlli, 2013) : « Des

exemplaires correspondant à sibiricus topotypique étaient également présents localement.

Ranodon kozhevnikovi, placé en synonymie avec Ranodon sibiricus par Dunn en 1923, avait

été décrit sur la base de quelques différences (langue plus courte, forme des séries de dents

vomériennes, queue plus courbe sur sa partie supérieure, forme de l'ouverture cloacale, 2e

doigt plus long que le 3e et 3e plus long que le 4e) ». En outre, un programme de conservation

a été lancé ces dernières années à l’Institut National de Biologie à Moscou. De nouvelles

mesures doivent être prises pour protéger les milieux déjà rares, et pollués par les peuples de

Djoungarie. Notre étude permettra peut-être d’aider de futurs projets de conservation dans les

zoos ou instituts privés. Par ailleurs, Hynobius turkestanicus (Nikolsky, 1909) dont il n’existe

aucune trace de son existence à ce jour, serait un proche parent du genre Ranodon (Nikolsky,

1910). Les trois spécimens collectés (un adulte et deux larves branchifères) par le célèbre

zoologue russe Alexander Mikhailovich Nikolsky (1858-1942) ont été décrits un an après

l’expédition en 1910 puis ont été perdus. Si l’on se réfère à la description de l’holotype, cette

espèce semblerait valide, et celle-ci pourrait faire l’objet de nouvelles recherches dans les

années à venir (Dujsebayeva, com. pers., 2013). En 2004, cet urodèle fait partie des 10

amphibiens les plus recherchés au monde selon la liste proposée par « Conservation

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International » dans le programme « The search for lost frogs ». Il semble que la zone de sa

découverte reste incertaine et serait située entre le Tadjikistan, le Kirghizistan et

l’Ouzbékistan (« between Pamir et Samarkand »). L’Asie centrale n’a donc pas finie de nous

livrer ses secrets. L’immensité de ses territoires révèle une biodiversité d’une richesse

incroyable où de nouvelles formes inconnues d’Urodèles restent sans doute à découvrir.

Dessin d’Hynobius turkestanicus ( Serguei Kuzmin )

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Remerciements

Je souhaite adresser mes plus sincères remerciements à toutes les personnes et institutions

suivantes (par ordre alphabétique) : Arnaud Jamin, Emmanuel Jelsch, François Maillet,

Jérôme Maran, Jean Raffaëlli, Robert Thorn (†), L’équipe de l’UNESCO au Kazakhstan,

Tatjana Dujsebayeva vice-présidente et le directeur Mr Jashenko pour leur accueil et leur

accompagnement sur le terrain. Je tiens aussi à remercier l’ensemble du FUG (French Urodela

Group), ma famille et mes amis qui ont suivi la rédaction de cet article.

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