LA « NOUVELLE PRESSE MASCULINE »

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LA « NOUVELLE PRESSE MASCULINE » Ou le renouvellement d'un champ de la presse magazine en france Estelle Bardelot La Découverte | Réseaux 2001/1 - no 105 pages 161 à 189 ISSN 0751-7971 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-reseaux-2001-1-page-161.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bardelot Estelle, « La « nouvelle presse masculine » » Ou le renouvellement d'un champ de la presse magazine en france, Réseaux, 2001/1 no 105, p. 161-189. DOI : 10.3917/res.105.0161 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.251.222.0 - 09/10/2013 20h33. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.251.222.0 - 09/10/2013 20h33. © La Découverte

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LA « NOUVELLE PRESSE MASCULINE » Ou le renouvellement d'un champ de la presse magazine en franceEstelle Bardelot La Découverte | Réseaux 2001/1 - no 105pages 161 à 189

ISSN 0751-7971

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-reseaux-2001-1-page-161.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bardelot Estelle, « La « nouvelle presse masculine » » Ou le renouvellement d'un champ de la presse magazine enfrance, Réseaux, 2001/1 no 105, p. 161-189. DOI : 10.3917/res.105.0161--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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© Réseaux n° 105 – FT R&D / Hermès Science Publications – 2001

LA « NOUVELLE PRESSE MASCULINE »

Ou le renouvellement d’un champde la presse magazine en France

Estelle BARDELOT

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vec des annonces telles que « décuplez votre énergie sexuelle1 »,« 51 plans drague : parce qu’au fond elles adorent ça2... » ou « desabdos en acier ! En quatre semaines seulement3 », les nouveaux

magazines masculins se sont imposés dans les points de vente. Et même s’ilsapparaissent de plus en plus souvent sous la dénomination classificatoire« presse masculine », leur rangement en kiosque mais aussi dans lesclassements académiques comme ceux de l’OJD ou le Mediasid reste encoreanarchique.

En effet, Men’s Health, FHM, M Magazine, Max, Maximal et Le Magazinede l’Optimum ne sont que rarement regroupés dans les lieux de vente. Isolésau hasard de la presse féminine, de la presse de charme, de la presse demode ou encore de la presse sportive, ces titres composent rarement un pôlede presse autonome. Cette difficulté éprouvée à classer ces titres dans ungenre renvoie à l’interrogation sur la nature et la forme de la pressemasculine aujourd’hui : que désigne-t-on par presse masculine ? Ce mêmequestionnement se pose au sein des rédactions de presse masculine : ainsi, lerédacteur en chef du Magazine de l’Optimum déclarait dans un entretien :« La presse masculine, c’est dans les esprits la presse économique, Capital ;la presse masculine, ça ne veut pas dire grand chose parce que pour moi,L’Echo des Savanes, c’est de la presse masculine, L’Equipe aussi, L’AutoJournal, Onze, Mondial... Avant il y avait aussi la presse de charme dans lapresse masculine4. » En 1995, le classement établi par l’OJD retenait, sousle terme de masculins, cinq magazines aussi divers que L’Echo des Savanes,Entrevue, Max, Newlook et Vogue Homme. Le critère alors retenu pourl’établissement de cette famille de masculins ne pouvait être ici que lapopulation des lecteurs de ces magazines : ces derniers possèdent tous

1. M Magazine, n° 20 de novembre 1999.2. FHM n° 1 de juillet-août 1999.3. Men’s Health, n° 4 de novembre 1999.4. Entretien accordé le 17 août 2000.

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environ 70 % de lecteurs masculins5. Leur point commun repose donc sur unlectorat de sexe masculin et non sur un contenu proche : les uns sontspécialisés dans la mode, d’autres appartiennent plutôt à un créneaucharme... Différents genres de presse ont donc longtemps été réunis sousl’appellation « masculins » qui ne correspond plus à la classificationactuelle : en effet, Médiasid 2000 a crée un pôle masculin réunissant lesmagazines spécialisés dans le bien-être au masculin. La presse masculine, enréférence à la presse féminine, est la famille de publications qui s’adressentaux hommes en leur proposant des articles en réponse à leurs aspirationsd’hommes : sont désormais entendus sous l’expression « presse masculine »,les magazines s’adressant aux hommes et à leur corps.

Cette spécialisation autour des sujets ayant attrait à l’égo, à la santé, au bien-être des hommes... est récente en France : jusqu’alors, la presse destinée auxhommes s’intéressait avant tout au charme, à l’automobile et à la mode. Cesformules sont aujourd’hui en déclin : les ventes de Playboy chutent de220 000 numéros en 1986 à 52 000 en 1996 ; de même L’ Auto Journal quivendait 257 500 numéros en 1995 n’en vend plus que 159 000 en 1997...L’érosion de cette presse, dont les formules ont vieilli, démontre unerévolution dans les aspirations des hommes en matière de lecture de presse :cette transformation des demandes du lectorat, reflet de l’évolution deshabitus masculins, a favorisé le renouvellement du champ de la pressemasculine française. En effet, entre les premiers magazines spécialisés dansle charme ou la mode masculine et les nouveaux masculins, sortisrécemment, jusqu’au dernier venu, Maximal, apparu en novembre 2000, latransformation des contenus, les difficultés éprouvées pour la survie dechaque titre et les luttes de concurrence afin d’obtenir le leadership ontanimé le marché de la presse masculine française entre le début des années1970 et aujourd’hui.

En l’absence de toute étude publiée sur l’émergence de cette nouvelle pressemasculine, des entretiens avec les rédacteurs en chef et les journalistes desmagazines s’imposaient ; ils constituent notre première source. Ce travailfut réalisé auprès des rédactions de Men’s Health, M Magazine, Maximal,FHM, TMB, Max et Le Magazine de l’Optimum. Aux interviews des

5. Selon l’enquête réalisée par AEPM entre janvier et décembre 1999, les pourcentages delecteurs masculins pour les magazines cités sont respectivement : 78 %, 74 %, 63 % et 71 %.Vogue Homme International n’apparaît pas dans la dernière enquête de l’AEPM.

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membres de rédactions des magazines existants aujourd’hui6 sur le marchéde la presse masculine, nous avons ajouté un entretien avec un membre dugroupe Hachette-Filipacchi à propos de l’abandon d’un des projets depériodique masculin au sein de ce groupe. Les propos des diversespersonnes rencontrées tiendront une part importante dans cet article car ilspermettent de dresser l’historique de ce domaine particulier de la pressemagazine française, d’appréhender les différentes logiques mises en placepar les rédactions afin de conforter leur position dans le champ etd’apercevoir les conflits sous-jacents à ces logiques.

LE DEBUT DE L’HISTOIRE : ENTRE CLASSICISMEET REFORMULATION DU MASCULIN TRADITIONNEL

En 1988, C. Castelain-Meunier écrivait dans Les Hommes aujourd’hui :virilité et identité : « Jeunesse, mode, consommation, loisirs, détente,séduction, plaisir, humour... La nouvelle presse pour hommes, consacrés auxstyles de vie, renvoie une image résolument positive7. » Elle renvoyait alorsà trois magazines qui occupaient, à cette date, une place importante dans lapresse masculine et qui désormais, suite à l’évolution des magazines et desintérêts des hommes, font office, par action du temps, d’« anciensmasculins ». Ces trois publications : Vogue Homme, L’Officiel Homme etIl Magazine, étaient les emblèmes de la presse masculine de cette décennie.Ces titres, spécialisés dans la mode et dans les styles de vie, offraient à leurslecteurs une ouverture sur le monde de la mode qui fut longtemps réservéaux femmes.

Les années 1970 ou le règne des magazines masculins de mode

L’histoire du champ de la presse masculine française débuta vraiment dansles années 1970, de la même façon qu’avait débuté deux siècles auparavantla presse féminine : par la mode. Au commencement de l’ère de la presseféminine qui devait rencontrer le succès qu’on lui connaît, de petitsjournaux consacraient leurs contenus aux tendances vestimentaires et auxstyles de vie pour les élites de la société française du XVIIIe siècle. 6. Le magazine TMB a disparu entre le début de l’écriture de cet article et son achèvement ;l’entretien ayant été réalisé dans les premiers jours de la sortie en kiosque de l’unique numérode TMB, il en est d’autant plus précieux que rare.7. CASTELAIN-MEUNIER, 1988, p.113.

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Le Courrier de la Nouveauté, Le Journal des Dames, Le Cabinet des Modeset bien plus tard Le petit Echo de la Mode se sont succédé pour offrir auxlectrices une vue des différents modèles en vogue... La politisation de cesjournaux sera plus tardive et ne s’établira qu’au fil des révolutionspolitiques et des combats féminins. Bonvoisin et Maignien qualifient lespremiers magazines féminins comme étant les véhicules « des imagesféminines traditionnelles et (qui) perpétuent le partage des rôles sociaux8 » ;les premiers masculins reprendront les mêmes recettes seulement deuxsiècles plus tard. En effet, ces derniers associaient deux ingrédientsprincipaux : le charme et la mode.

Playboy : l’emblème des masculins de charme en France

En 1963, Daniel Filipacchi crée, à l’image du Playboy américain9 apparu en1953 (lequel ne deviendra une publication française qu’après son rachat parce même Daniel Filipacchi en 1973), le premier magazine de presse decharme. Grâce à des photographies artistiques de filles sexy et des titresemprunts d’humour, Lui rencontre rapidement un public fidèle et vend enmoyenne 400 000 numéros entre 1964 et 1984. La mode masculine estabsente de cette publication centrée sur les jolies filles ainsi que sur lesloisirs et la culture qui y tiendra, dans les années 1970, une place importantedans le contenu. Devant le succès de cette formule machiste, des concurrentsapparaissent sur le marché de la presse de charme, avec, entre autres,Playboy dont les premières années de ventes, en France, dépassent 200 000numéros. Le magazine « aux longues oreilles » propose à ses lecteurs destextes et des articles illustrés par de nombreuses photographies en couleurde nus esthétiques et parfois érotiques. Cette formule remporte, en France,un grand succès jusqu’au début des années 1980 à partir desquelles lesventes ne cessent de chuter : le marché de la presse de charme entre encrise. La presse masculine, laquelle mettait en scène uniquement desfemmes, ne fait plus recette : la femme y était présentée avant tout commeun objet sexuel comme le rappelle Lipovetsky dans La 3e Femme :permanence et révolution du féminin : « Qu’exprime la pornographie danscette perspective ? Moins une morale des plaisirs qu’une politique du mâle 8. BONVOISIN, MAIGNIEN, 1986, p. 7.9. L’étude menée dans le cadre d’une thèse de sociologie soutenue en 1969 par J. Mousseausous la direction de A. Girard, J. Cazeneuve et R. Boudon, et publiée en 1970 aux éditionsDenoël sous le titre « 5 dollars pour un empire : le phénomène Playboy » est particulièrementintéressante quant à la création de Playboy.

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destinée à consacrer la domination masculine en reconduisant l’image de lafemme putain, de la femme servile, de la femme stupide, abusée, objet deshommes10. » Cette analyse avait été effectuée vingt ans auparavant parFalconnet et Lefaucheur dans l’étude de la place occupée par la femme dansla sphère privée, mais aussi dans la publicité : « La femme-objet-sexuel estla représentation la plus fréquente de la femme, pour ne pas dire la seule quipuisse être aperçue publiquement. Et, bien sûr, c’est autour de ce cliché dela femme faite pour le plaisir de l’homme que se structurent les images et lesreprésentations que les hommes se font des femmes11. » Or, cettereprésentation de la femme comme inférieure, dominée par l’homme etvéhiculée par les magazines de charme doit faire face à la fronde féminine etaux nouvelles questions que cette révolution pose aux hommes. Lesmagazines masculins se recentrent alors, en adéquation avec les nouvellesaspirations des hommes sur la beauté, la mode, sur des sujets moinspolémiques et plus personnels.

Les hommes ont ainsi bénéficié des évolutions intervenues dans la vie desfemmes : « Il y a encore peu, c’était la femme le continent noir del’humanité et nul ne songeait à questionner l’homme. La masculinitéparaissait aller de soi : lumineuse, naturelle et contraire à la féminité. Lestrois dernières décennies ont fait voler en éclats ces évidences millénaires.Parce que les femmes ont entrepris de se redéfinir, elles ont contraint leshommes à en faire tout autant. XY reste la constante, mais l’identitémasculine n’est plus ce qu’elle était. Parce qu’elle n’était pas inscrite dansle marbre12. » C’est ainsi que : « Du côté masculin, un mouvement identiques’amorce. Les hommes se détachent de leurs anciens rôles. Il n’est plusnécessaire d’être fort, de dominer la nature pour être un homme, non plusque d’être perpétuellement actif, de faire preuve d’initiative, deresponsabilité, de décision de tout crin. Si tout ceci fait partie des valeurspositives qui définissent désormais les hommes autant que les femmes,celles-ci seront concurrencées par d’autres valeurs comme le loisir, leplaisir, la séduction. Le corps de l’homme n’a plus à se blinder, il peut aussise laisser aller13. » La mode vestimentaire qui, jusqu’alors ne se déclinaitqu’au féminin, se démocratise au masculin. Les magazines commencent à se

10. LIPOVETSKY, 1997, p. 42.11. FALCONNET, LEFAUCHEUR, 1975, p. 69.12. BADINTER, 1992, p. 10.13. CASTELAIN-MEUNIER, 1988, p. 100.

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spécialiser dans la mode masculine dès le début des années 1970 comme lestitres Arena en Grande-Bretagne et Gentlemen’s Quarterly aux Etats-Unis.

Les magazines français à tendance mode

En France, quelques essais de magazines de mode masculine, comme en 1971L’Homme nouveau, ne font que des ventes difficiles. Mais c’est avecl’adaptation au masculin du magazine Vogue que la presse de mode masculinefrançaise va s’implanter. Vogue Homme apparaît en 1973 et propose à deslecteurs aisés14 un magazine très luxueux consacré aux vêtements, aux loisirset aux biens de consommation, symboles de la puissance et de la gloire dulectorat ciblé. Sa diffusion ne cesse d’augmenter jusqu’à sa disparitionsoudaine en 1996. Cette disparition inattendue de Vogue Homme (en France, ilne reste plus que la version internationale de ce titre) sera le moteur de larenaissance d’un titre qui fut longtemps concurrent sur le même créneau queVogue Homme sans l’égaler. L’histoire du magazine actuellement baptisé LeMagazine de l’Optimum est chaotique : le groupe Jalou, fondateur en 1921 deL’Officiel de la mode et de la couture, lance en 1977 L’Officiel Homme qui seprésente comme un magazine généraliste avec une grande tendance mode. En1990, ce titre s’arrête pour des raisons financières liées notamment à unmanque de contrats publicitaires et son nom est revendu. Vogue Hommedétient alors le monopole sur le marché de la presse masculine française, fautede concurrent. En 1995, le groupe Jalou s’étant refait une santé financière(grâce au lancement du titre féminin Jalouse) veut relancer son magazine, sanspouvoir réutiliser son nom d’origine. L’abandon de Vogue Homme, pour desraisons financières, va accélérer la renaissance de ce qui sera baptisé LeMagazine de l’Optimum en remplacement de L’Officiel Homme. En effet, laréapparition de L’Optimum n’était prévue qu’en 1997, ce qui n’était sanscompter sur l’arrêt de Vogue Homme qui laisse un créneau de la pressemasculine vide : « Fin 1995, L. Jalou a le projet de relancer L’Officiel Homme.Il peut le relancer en 1997 et contre toute attente, fin 1995, Vogue Hommes’arrête. Personne n’était au courant, on l’a appris par une dépêche AFP, jecrois que c’était en novembre 1995, donc on avance le lancement deL’Optimum, on le lancera au mois de mars 199615 ». Finalement, le magazinesortira sous l’ancienne appellation Officiel Homme puis change de titre par

14. Selon les chiffres cités par C.CASTELAIN-MEUNIER dans son étude, « Les revenus deslecteurs sont en effet nettement supérieurs à la moyenne (de 180 000 à 500 000 F/an). »15. Entretien accordé par le rédacteur en chef du Magazine de L’Optimum, le 17 août 2000.

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décision de justice en décembre 1997, adoptant le titre Le Magazine del’Optimum. Vogue Homme et Le Magazine de l’Optimum ont longtempscohabité sur un même créneau de la presse masculine, en présentant deuxmagazines faits pour les hommes, leur offrant des images, des portraitsd’hommes (rarement de femmes), des reportages culturels, politiques16... à unpublic aisé et élitiste. La mode conserve, malgré la diversité thématique desarticles, une partie importante et centrale dans L’Optimum qui reste,aujourd’hui, le seul magazine encore existant de l’ère des « anciensmasculins ». Ces deux titres, auxquels il convient d’ajouter les titres Monsieur,Upstreet et Numéro (très récemment paru) qui sont des magazines de modetrès luxueux, ont basé leurs contenus sur les nouveaux styles de vie deshommes et sur une nouvelle identité et représentation masculine. Dépourvu del’image virile, l’homme y est présenté comme « hédoniste », consommateur deplaisirs. L’ère des magazines masculins prônant une image virile de l’homme,comme les magazines de charme, semble achevée : en 1978, une tentative pourrelancer l’image de l’homme agressif et sûr de lui, se fait sous la bannière dumagazine Il Magazine. Or, la caducité de cette représentation machistevéhiculée impose, pour la survie du titre, un recentrage rapide autour de lamode et l’abandon de l’image virile.

La première évolution de la presse masculine française, de la presse decharme vers la presse de mode, est une illustration de la métamorphose del’identité masculine sur cette période. La dévaluation des valeurs virileschez les hommes s’effectue au profit de l’attrait pour le bien-être personnelet l’affirmation des sentiments, lesquels semblent être devenus, de nosjours, les critères constitutifs de la « nouvelle identité masculine ». P. Duretdans Les Jeunes et l’Identité masculine17 montre comment la représentationmasculine, chez les jeunes générations, est passée de celle d’un homme fort,bourru, courageux à celle d’un homme protecteur, possédant un méritepersonnel. L’abandon de certaines valeurs pour l’adoption de nouvellescomme constitutives de l’actuelle identité masculine s’est illustré dans lespratiques et habitus quotidiens des hommes : de l’abandon de l’attirancepour la violence et la guerre à l’accroissement de la consommation descosmétiques pour les hommes et la fréquentation des salons d’esthétique. Ce

16. Le Magazine de l’Optimum n° 35, de juin-juillet-août 2000, propose ainsi à ses lecteursles portraits de G. Lanvin, des jeunes espoirs du tennis français, des articles sur Bali, l’îleMaurice, Jaipur, Namibie, Anguilla Island... sans oublier cinquante pages consacrées à lamode masculine.17. DURET, 1999.

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sont ces nouvelles demandes et nouveaux critères de l’identité masculine quiont engendré la chute des ventes de la presse de charme et l’engouementpour les magazines aux contenus moins sulfureux et plus pratiques. Si cettetendance semble être celle vers laquelle la presse masculine va tendrependant la suite de son histoire, les aspirations machistes des hommesrésistent malgré tout : un magazine l’a bien compris et a crée son succès etsa renommée autour d’un concept particulier combinant la formule« charme » (homme viril, femme érotisée) à des articles plus politisés.

La formule mi-charme, mi-culture de Max

Le succès de Max ne se dément pas ; depuis son apparition en 1989, saspécificité lui confère une position bien particulière et incontournable dansle champ de la presse masculine.

Lorsque Max arrive sur le marché de la presse masculine en 1989, la pressede charme a, depuis longtemps, perdu de sa vigueur et les magazines demode imposent leur style : la conjugaison de ces deux genres de presse ausein du magazine Max apparaît comme un pari. Présenté par l’actuelleéquipe comme « un magazine branché années 198018 » avec « un côté trash,un côté Entrevue très prononcé, très léger, vulgaire », ce magazine diffusait69 000 numéros en 1991, soit deux fois moins qu’aujourd’hui. Car lemagazine a évolué : depuis 1997, Max a renouvelé sa ligne éditoriale pour« tout reconcevoir selon une identité masculine très marquée », avec unedimension actualité, politique... mais aussi une forte identité sexuelle : lesfemmes dénudées ou légèrement vêtues d’un bikini se succèdent en une,entourées de titres pour le moins accrocheurs19. La filiation avec lesmagazines de charme est d’ailleurs reconnue et assumée comme unetradition à laquelle le magazine doit sa ligne rédactionnelle : il règne dans larédaction « une vraie fascination pour Playboy, pour les années Playboy,c’est assez présent, c’est une espèce de culture ici ». Mais aux pagesconnotées « charme », des sujets plus sensibles et politisés sont traités :comment vit un gang à Los Angeles, une enquête sur les guérilleros enColombie... Cette réorientation du contenu fut entreprise, suite àl’essoufflement de l’ancienne formule « charme », par une équipe

18. Entretien accordé par un membre de la rédaction de Max, le 10 avril 2000.19. Pour exemple, le numéro d’août 1999 était « un numéro très spécial sexe 2000 » avecentre autres sujets « l’histoire secrète de la masturbation »...

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reconstituée autour d’un nouveau rédacteur en chef partisan de véritablesméthodes journalistiques : « Il y a désormais beaucoup plus de vérificationdes informations ; pendant un moment, on faisait des articles avecpratiquement que des fausses infos alors que maintenant les infos sontvérifiées. On a maintenant les exigences de base du vrai journalisme. C’estcarré. » La démarcation entre les deux phases distinctes de l’histoire de Maxs’est opérée en une dichotomie autour de l’opposition entre l’ancienneéquipe et la nouvelle qui pourrait s’articuler autour de l’expression « eux »et « nous ». C’est sur cette différenciation que semble reposer, aujourd’hui,la légitimité et l’identité propre du magazine : la nouvelle rédaction sedéclare « fière » de son concept généraliste qui s’est écarté de sa formuleoriginelle et qui lui confère un nouveau statut et une nouvelle identité. Nousverrons plus tard dans cet article que la légitimité inscrite dans le titre Maxpasse avant tout, pour sa rédaction, par la différenciation d’avec les« nouveaux masculins » et la confirmation de sa position dans le champ : lanouvelle formule de Max vend aujourd’hui plus de 100 000 exemplairesmensuellement et est diffusée dans quatre pays.

L’équipe rédactionnelle du magazine Max a su imposer sur le marché desmasculins des années 1990 un concept alliant la charme à des thèmes plusgénéralistes. Cette réussite tend à infirmer les analyses postulant ladisparition de la virilité et du machisme : les meilleures ventes de Max (maisaussi du magazine FHM20) en 1999, ont été réalisées grâce à l’associationd’un calendrier mettant en scène des playmates et mannequins, au numérode décembre. L’érotisme féminin fait donc encore recette dans la pressemasculine : Max mais aussi Newlook en sont les supports.

Des années 1970 à la fin des années 1990, la presse masculine françaises’est articulée autour de magazines consacrés à la mode, au charme, auxstyles de vie sous la forme de spécialisés ou de généralistes. Le marché étaitalors peu développé, les titres n’avaient que peu de concurrence, il s’agissaitd’une cohabitation pacifique de magazines occupant chacun leur créneaupropre. Or, cette relative tranquillité va devoir faire face, ces dernièresannées, à une turbulence due à l’arrivée massive de titres novateurs qui vonttransformer le champ et les positions de chacun des acteurs de celui-ci.

20. L’annonce faite par FHM pour le lancement de son calendrier « En cadeau : le calendrierFHM 2000, 12 pin-up pour votre camion ! » reprenait une représentation très virile del’homme.

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LES « NOUVEAUX MASCULINS » OU L’INNOVATION DANSUN DOMAINE DE PRESSE EN SOMMEIL

Comme nous l’avons vu précédemment, l’histoire de la presse masculineentre 1970 et 1998 est relativement calme. Ce genre de presse, assezméconnu, ne rencontrait qu’un public restreint. Il en est autrement pour lanouvelle vague de masculins : par exemple, le magazine FHM avait reçu, enavril 2000, vingt-six demandes diverses émanant d’étudiants concernant desprojets de recherche. Ce phénomène est récurrent dans toutes les rédactionsde magazines masculins et chaque nouvelle publication fait l’objet d’articlesdétaillés dans la presse. Car, depuis le printemps 1998, le presse masculinefrançaise connaît une période de renouveau : six magazines sont apparus,dont deux ont déjà disparu, en plus d’un projet longtemps repoussé et dontl’hypothétique sortie est régulièrement annoncée. Les arrivées successivessur le marché de la presse masculine de M Magazine, FHM, Men’s Health,Kromozom, TMB puis Maximal forment quatre vagues d’émergence qui ont,chacune à leur tour, engendré une redistribution de la position de chacun desmagazines dans le champ de la presse masculine. Avant d’analyser, dans unsecond temps, la composition actuelle de celui-ci, il convient d’étudier, dansun premier temps, les raisons de l’émergence massive de cette presse dansun espace-temps réduit. Quels facteurs sociologiques dans la sociétéfrançaise et dans l’univers médiatique ont permis favorablementl’implantation de magazines d’un genre innovant la presse magazinefrançaise ?

Des facteurs sociologiques favorisant l’implantation de nouveaux titres

Dans les vingt dernières années, la France a connu une modification despratiques culturelles des hommes. L’association de ces dernières à lamondialisation de l’économie, qui s’est aussi appliquée au secteur de lapresse, a crée les conditions de possibilités d’apparition de magazinesspécialisés sur l’homme.

L’homme a changé ses habitudes de consommation : longtemps, l’achat desvêtements a appartenu à la sphère privée et domestique ; désormais, avec larépartition du travail et des tâches entre les sexes, l’homme prend part àl’élaboration de sa garde-robe. Même si, comme le rappelle Jane Hervé dans

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La Coquetterie masculine : l’Homme mis à nu21, ce sont les femmes quiachètent encore deux tiers des vêtements et trois quart des sous-vêtementsdes hommes, la tendance tend vers l’accroissement de l’autonomie deshommes en matière de choix et d’achats vestimentaires. Jane Hervé postuleque : « Les hommes, désormais plus vigilants, prennent d’avantage soind’eux-mêmes22 » et nomme cette tendance « la démocratisationnarcissique ». Cette focalisation de l’homme sur lui-même, l’intérêt qu’ilporte désormais à sa plastique mais aussi à sa psychologie se concrétisentpar l’augmentation de la consommation masculine de produits de beauté etde soin mais aussi par le nombre des consultations masculines chez lesspécialistes (psychologues, sexologues...). Cette recherche frénétique duplaisir corporel a incité les grandes enseignes à agrandir leur espaceconsacré aux hommes : jusqu’alors reléguée aux derniers étages sur unespace réduit, la mode masculine est désormais associée aux soinsesthétiques et aux salons de massage. Le Printemps23, Les GaleriesLafayettes, Le BHV... proposent à leur clientèle masculine de véritablesespaces de vie voués à la consommation hédoniste. L’attirance des hommespour des plaisirs et soins, qui ont été longtemps le monopole du sexeféminin24, est une des composantes de la remise en question de l’identitémasculine : entre évolution naturelle et crise, les ouvrages se multiplient.

Les diverses théories sur l’identité masculine

Elisabeth Badinter situe le début de l’interrogation masculine actuelle dansles années 1970, qu’elle définit comme une période de plaisir et de remiseen cause des normes établissant la masculinité et qui s’est transformée enune période de doute face à la pluralité des formes prise par celle-ci et àl’influence de l’émancipation féminine, rendant ainsi l’homme mystérieux :« Les statistiques, les témoignages et l’expérience personnelle de chacunmontrent, sans contexte, qu’hommes et femmes sont en train de modifier en 21. HERVE, 1999.22. Ibid, p.161.23. Les magazines Printemps ont, suite à l’ouverture en octobre 1999 de l’espace homme,édité un magazine Printemps : édition spéciale hommes, dont l’éditorial du n° 1 de juin 2000débutait par « Depuis octobre dernier, Le Printemps version masculine a repoussé ses murs etgagné des étages pour devenir La mégashop mode pour les hommes. Sur 7 000 m2, du niveau-1 au niveau 5 et de la tête aux pieds, Le Printemps a légalisé le shopping pour l’homme,toutes tendances confondues […] A l’image du magasin, nous avons voulu un magazine, dontvoici le numéro 1... »24. On notera que certains livres consacrés à la beauté ne la conjuguent qu’au féminin.

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profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes et de l’Autre. Leursattributions respectives – longtemps définies par la « nature » de chacun dessexes – se distinguent de plus en plus difficilement. Leurs relations n’ontplus les mêmes fondements et suivent d’autres voies que celles tracées parleurs pères. Les critères se dissolvent en se multipliant et nos repèrescommencent à se faire défaut. De quoi légitimement rester perplexe etressentir quelque angoisse25. » Que les attributs constitutifs de l’identitémasculine pendant des siècles (virilité, force, pouvoir26...) aient étésupplantés et remplacés par des attributs ayant une forte connotationféminine (ce qui est le cas pour la presse spécialisée dans le bien-être) aservi à consolider la théorie sur la crise de l’identité masculine. Enrevanche, Lipovetsky postule que l’abandon des valeurs viriles n’a pasentamé le pouvoir des hommes et que ces derniers ne connaissent pas unecrise identitaire mais une redéfinition des contours de la masculinité : « Envérité, la crise de la masculinité est loin d’être un fait social de masse. Ladévalorisation des conduites machistes et la nouvelle indépendance desfemmes n’ont nullement entraîné une fragilisation extrême de l’identitévirile […]. L’idée d’une montée de la crise du masculin, de l’homme blesséet plaintif est une idée trompeuse. Même si les repères de la masculinité sontdevenus flous, la plupart des hommes ne souffrent pas de malaise identitairemais, comme les femmes, de difficultés relationnelles ouprofessionnelles27 ».

François de Singly, pour sa part, évoque une neutralisation sexuelle quin’impliquerait pas pour autant une grande déstabilisation de l’identitésexuelle de l’homme et de la femme et pourrait même accentuer ladomination masculine : « Contrairement au sens commun ou savant quipense que cette féminisation témoigne d’une fragilisation masculine, on peutaffirmer que la domination masculine s’est accentuée sous le couvert de la« neutralisation ». La défaite des hommes « machos » est une réalitétrompeuse. On pourrait dire que la classe des hommes a laissé à l’abandonun territoire pour mieux résister à l’offensive menée par la classe desfemmes. Ils ont perdu ce qui semble à toutes et à tous comme le territoiremasculin par excellence et ils ont conservé les autres territoires où ilsexercent leur suprématie […] Les hommes ont réussi, semble-t-il, à limiterles risques de la guerre des sexes en transformant celle-ci en forme dérivée 25. BADINTER, 1986, p. 9.26. Voir BADINTER, 1986 et 1992 ; MAUGUE, 1987 ; RAUCH, 2000.27. LIPOVETSKY, 1977, p. 59.

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de la lutte de classes28. » C’est dans ce climat sociologique (multiplicationdes débats sur l’identité masculine et augmentation de la consommation desproduits liés au bien-être masculin), que les « nouveaux masculins » sontapparus : ainsi l’éditorial s’adressant aux femmes publié dans le n° 4 deMen’s Health paru en novembre 1999, déclarait : « Aujourd’hui vosréactions vont parfois loin, comme si vous étiez prêtes à relancer cet éterneldébat sur le fait de savoir si les hommes sont toujours des hommes […].Rassurez-vous ! Les hommes seront toujours des hommes, même si nousprenons le parti de voir ce qui peut être amélioré dans la vie de chacund’entre eux, pour apprendre ensuite à mieux vivre ensemble29. » A cesconditions sociologiques favorables à l’implantation d’une presse pourhommes, d’autres conditions internes à l’univers de la presse ont facilitél’essor et la création de titres nouveaux. En effet, la presse masculinefrançaise, comme nous l’avons vu, était peu développée et les demandessemblaient s’accroître. D’autant plus que l’assimilation de la pressemasculine, dans les esprits, à la presse homosexuelle comme Têtu aurait puêtre à l’origine de la demande d’une presse masculine sexuellement nonconnotée. Mais cette hypothèse, même si certaines rédactions de « nouveauxmasculins » y trouvent une véritable réalité (la mise en avant de l’avant-gardisme des homosexuels en matière de mode et de tendances estrécurrente dans les discours des membres des rédactions), n’est pasconfirmée.

Toutes ces conditions favorables à l’implantation de magazines spécialiséspour les hommes ont formé une « niche » dans laquelle se sont engouffréquelques groupes français mais surtout d’importants groupes de presseanglo-saxons. En France, de petits groupes de presse se sont lancés sur lemarché (TMB Organisation, Jalou...), créant souvent le groupe pour soutenirla sortie du titre. Cette logique est l’opposée de celles des grands groupesétrangers comme Emap (propriétaire en France de FHM) qui ont exportéleurs succès anglais et américains en France. En effet, les pays anglo-saxonspossèdent une tradition de la presse masculine : en Angleterre, en 1996,4 millions de magazines masculins étaient vendus chaque mois, ce quiéquivaut aux ventes de la presse féminine française ; Men’s Health détenait,en 1994, le 52e rang des plus forts tirages des magazines aux Etats-Unisavec 1 259 000 exemplaires. Au regard de ces résultats, ces groupes ontinvesti un espace français quasiment vierge de presse masculine en 28. SINGLY, 1993, p. 60.29. Editorial du n° 4 daté de novembre 1999 du magazine Men’s Health.

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internationalisant leurs titres : ce fut le cas de FHM et de Men’s Health. Lesformules étrangères ont donc investi le marché français en adaptant à laculture française les contenus étrangers : c’est pourquoi, devant lanouveauté du terrain, les sujets proposés en France sont parfois moinsaccrocheurs que les sujets étrangers dont ils sont issus. Ces formulesimportées détiennent en France les meilleures ventes : 139 000 pour FHM,125 000 pour Men’s Health. Ces succès ont ouvert la porte à de nouvellescréations qui se sont réparties dans le champ de la presse masculine.Comment, sur ce terrain sociologiquement favorable, les divers titres ont-ilsinvesti l’espace et comment y sont-ils aujourd’hui positionnés ?

LES « NOUVEAUX MASCULINS » : POSITIONNEMENTET IDENTITE

Quatre vagues successives de nouveaux titres masculins vont apparaître etvont donc, chacune à leur tour, engendrer une permutation des positionsdétenues par ces différents titres dans le champ.

M Magazine : le premier magazine masculin spécialisé français

Fin mars 1998, M Magazine est lancé sur le marché français par le groupeEdipress (il appartient désormais à une société commune au groupe Edipresset au groupe Excelsior, lequel détenait le titre Vital. Cette société a pris lenom d’Ediexcel et a constitué un pôle de magazines spécialisés dans lasanté, au masculin avec M Magazine et au féminin avec Vital). Le premiernuméro de M Magazine intitulé « Tous à plat ventre » propose unprogramme aux hommes pour « en finir avec la bouée30 », une enquête sur« l’art et la manière d’enchaîner les orgasmes »... Le concept est doncd’allier le sport, la forme et le sexe : d’un numéro consacré à la santé descheveux31, au suivant consacré à la fidélité32, les sujets sont éclectiquesmais relativement récurrents : comment se muscler rapidement et perdre dupoids réapparaissent régulièrement en couverture. Cette dernière a évoluéentre sa première apparition et aujourd’hui : dans les premiers numéros, uncouple tenait la une, même si l’homme en occupait la majeure partie ;désormais, l’homme y est seul et généralement dévêtu, même s’il apparaît 30. M Magazine, n° 1 d’avril 1998.31. M Magazine, n° 7 d’octobre 1998.32. M Magazine, n° 8 de novembre 1998.

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actuellement de plus en plus habillé, de manière à le différencier del’homme en couverture de Men’s Health : l’évolution de la couverture estd’ailleurs un argument mis en avant par la rédaction en réponse auxaccusations de plagiat : « Quoiqu’on dise maintenant, la couverture évoluebeaucoup, là on lui avait mis un pull, ce qui est une véritable révolution, ona commencé par la chemise, le pull, là on continue avec le nombril et dans leprochain qui sortira, on ne verra plus le nombril. Il faut bien chercher à sedistinguer33. » Ce changement dans la pagination de la une aura toute sonimportance dans les rapports futurs que la rédaction de M Magazineentretiendra avec son concurrent direct Men’s Health. Cette formule deM Magazine, novatrice pour la France et que sa rédaction définit commeétant celle d’un magazine pratique qui peut servir à l’homme moderne qui« est un homme à la recherche d’équilibre. Il veut être en forme, il veutpouvoir monter les escaliers en courant sans être complètement essoufflé. Ilne veut pas ressembler à un sac à patates34 » fera recette.

M Magazine conserve son monopole jusqu’à l’arrivée de trois concurrentspendant l’été 1999, agissant comme un coup de force massif qui va engendrerla répartition des places et l’abandon de la position monopolistique de MMagazine. Cette nouvelle vague apparaît comme une révolution dans le champde la presse masculine qui va connaître alors ses premiers conflits internes :Men’s Health et M Magazine vont s’affronter sur un créneau si proche que lepremier attaquera le second en justice pour plagiat.

M Magazine et Men’s Health : le procès pour la différence

Lorsque Men’s Health s’installe en France en avril 1999, ce titre étaitapparu quinze ans plus tôt aux Etats-Unis et s’exporte déjà dans unevingtaine de pays. Avec un concept centré sur la santé au masculin (d’où letitre donné au magazine), Men’s Health trouve rapidement un public : sonnuméro un fait un raz de marée avec 324 000 exemplaires vendus. Lanouveauté du concept attire les lecteurs français en leur proposant des fichespratiques concernant la nutrition et les exercices physiques. Illustrant sa une,en noir et blanc, avec un homme musclé, la ressemblance avec le magazineM Magazine, autant sur la forme que sur le fond (les contenus sont très

33. Entretien accordé par le rédacteur en chef de M Magazine, le 5 décembre 2000.34. Propos tenus par l’ancien rédacteur en chef de M Magazine en avril 2000 dans unreportage de l’émission TV+ sur Canal+.

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proches, à cause de concepts eux-mêmes proches et qui ne comportent pasde sujets d’articles illimités), est rapidement incontournable et amène larédaction de Men’s Health à porter plainte pour plagiat contre M Magazine :« Il y a des limites à la concurrence. Il suffit de prendre les numéros quandnous on est arrivé et de comparer M avant et après, notamment sur lacouverture : il n’y a plus de femmes en couverture, des titres quiressemblent beaucoup à ce que fait Men’s Health, d’ailleurs à travers lemonde35. » L’identité du titre était menacée, les lecteurs assimilaient lesdeux magazines devenus pratiquement identiques et dont les préjudices enmatière d’image mais aussi de contenu ont été importants : la rédaction deMen’s Health déclare avoir abandonné la reprise d’articles parus dans lepassé dans les éditions américaines et qui auraient été utilisés parM Magazine : « On ne peut pas calculer le préjudice mais je crois que c’estsurtout en termes d’image et puis il s’est trouvé un moment où on n’arrêtaitpas de nous dire ‘ceci, on l’a déjà vu, vous copiez’, les sujets, les photosétaient pratiquement les mêmes, on annulait nos propres sujets pris dans leséditions américaines donc là ça devenait une partie de fou... mais à forced’entendre dans les médias qu’on les copiait, à un moment il fallaitréagir36. »

Cette lutte pour la sauvegarde de l’identité de chacun des deux titresoccupant, dans le champ de la presse masculine, des positions très prochess’est conclue par un non-lieu lequel conforta M Magazine dans sa propreidentité : « On n’a pas intérêt à rester trop proche l’un de l’autre. Donc onest des gens intelligents, on va essayer de trouver une différenciation mais ilest clair qu’on ne va pas renier notre ligne éditoriale pour leur faire plaisir. »Cet épisode conflictuel, auquel le champ de la nouvelle presse masculine aété confronté, présente un caractère singulier par son opposition à la logiquerégissant les luttes à l’intérieur d’un champ. En général, l’irruption de« nouveaux venus » dans un champ engendre un mouvement de translationdes positions (la position dominante est perdue par l’ancien au profit dunouveau venu : ceci sera respecté dans le cas présent) et un renouvellementdes prises de positions (le nouveau venu doit se différencier de sonprédécesseur dans un mouvement de rupture qui s’illustre par un concept,des articles, un ton novateur). Pierre Bourdieu note à propos des luttesintrachamps que : « L’opposition entre les tenants et les prétendants institue 35. Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine Men’s Health en avril 2000 dans unreportage de l’émission TV+ sur Canal+.36. Entretien accordé par un membre de la rédaction de Men’s Health le 5 juillet 2000.

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au sein même du champ la tension entre ceux qui, comme dans une course,s’efforcent de dépasser leurs concurrents et ceux qui veulent éviter del’être37. » Les protagonistes de l’opposition et donc de la lutte mettent alorsen œuvre des stratégies qui prennent la forme de prise de position qui vontde la conservation de la formule jusqu’alors gagnante à l’innovation d’uneformule espérée, à son tour, à succès. Jusqu’à l’arrivée du titre Men’sHealth, M Magazine détenait le monopole pour deux raisons : son unicitésur le marché des masculins et sa formule spécifique, en rupture avec latradition des masculins de mode lui donnèrent un statut novateur qui a séduitles lecteurs. Or, les deux facteurs permettant sa position monopolistiquevolent en éclat avec l’apparition de Men’s Health qui, non content d’être unsimple concurrent, est possesseur d’une formule qui avait auparavant fait sespreuves dans de nombreux pays et qui est donc susceptible de mettre endanger la vie de son concurrent. Il fut donc reproché au détenteurjusqu’alors du monopole (M Magazine) d’avoir utilisé, pour asseoir celui-ci,les prises de positions généralement mises en œuvre par le nouveau venu(Men’s Health) ; c’est en cela que M Magazine déroge aux règles du champ.En dehors d’une volonté de conserver une position dominante, l’oppositionporte principalement sur l’identité propre à chacun des titres, laquelle neréside pas uniquement dans un nom (même si Men’s Health a, pourrenforcer son appellation, ajouté, au moment du conflit, une sous-appellation « le premier vrai magazine pour hommes » afin, d’une part, de sedifférencier mais aussi, d’autre part, de montrer son opposition de contenuen condamnant les concurrents au nom de la frivolité) mais aussi dans unconcept particulier et novateur. Les lecteurs se sont répartis entre les deuxtitres, même si Men’s Health, grâce aussi à un soutien publicitaire importantqui est l’apanage des grands groupes, a supplanté rapidement son concurrentdirect. Si aujourd’hui, les ventes de M Magazine sont moins importantes etcelles de Men’s Health confortées, l’arrivée en juillet 1999 de FHM aprovoqué une nouvelle répartition des lecteurs.

FHM : l’humour au service des hommes, une formule qui gagne

En important en France une formule qui atteint 800 000 numéros enAngleterre, FHM modifie les critères jusqu’alors en vigueur dans la pressemasculine traditionnelle et nouvelle. Finies la beauté, la santé et l’image del’homme parfait, FHM dont les trois valeurs-clés sont « funny, useful,

37. BOURDIEU, 1992, p. 212.

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sexy38 » se démarque de ses concurrents par un concept fondé sur l’humouret le loufoque. Le premier éditorial s’attache à délivrer aux lecteursl’identité du nouveau magazine : « Prenez trois stupéfiants en vente libre :un peu d’amour, un peu d’humour et beaucoup d’infos. Mélangez.Feuilletez. […] De l’amour... Dans FHM, journal masculin, il y a des fillespartout. Pour les yeux ? Pas seulement. Nous pensons que les hommes nevalent rien sans les femmes. Et aussi (surtout ), que les femmes ne sont riensans nous... De l’humour... Dans FHM, on essaie de prendre les choses avecun peu de recul. Non que vous en manquiez, au contraire. Mais,apparemment, vous manquez de journaux capables de parler de chosessérieuses sans se prendre au sérieux. […] De l’info... Dans FHM, on donneénormément d’infos. Des loufoques, parce qu’on adore ça. Des pratiques,parce que sinon à quoi ça sert. Des surprenantes, parce que sinon la vie esttrop triste. Nous avons aussi un principe : regarder le monde de la façon laplus naïve possible. Pourquoi ? Parce que, tout à coup, une autre réalitéapparaît : plus crue et beaucoup plus drôle. C’est que, parfois, la vérité sortde la bouche des grands enfants39 […] ». Cette ligne éditoriale s’illustre parla présence en une des femmes : se sont succédé Sandra Bullock, VirginieLedoyen..., par des sujets comme « Le Journal du pire » : huit pagesd’informations insolites... et un numéro (celui d’août 2000) destiné auxfemmes. La femme tient une importante place dans FHM ; elle y estprésentée sous deux faces opposées : à l’image de la femme magnifique etsexy en une, succède l’image moins brillante de la femme (le n° 7 proposeainsi des procédés pour « manipuler les femmes40 », une rubrique estintitulée « l’observatoire des chieuses » et chaque numéro propose un« horror...scope » dont le but est de « décrypter les horoscopes desmagazines féminins : vous comprendrez mieux ce qui vous arrive41 ». Ceconcept ludique est la clé du succès et de la différenciation d’avec les autresconcurrents : ainsi la rédaction déclare « Quand il y a un mec gros dansMen’s Health, on va lui dire de maigrir, dans FHM, on va lui dire de mieuxse fringuer et d’apprendre à parler42... » Plus de 130 000 exemplaires se

38. Entretien accordé par le directeur d’édition du magazine FHM le 6 avril 2000.39. Editorial du n° 1 de FHM de juillet-août 1999.40. FHM n° 7 de février 2000.41. Pour exemple, le n° 2 de septembre 1999 annonçait aux natifs du lion : « Si vous rêvez dedominer une lectrice de Biba, votre heure est enfin venue. A en croire son magazine, lafemme bélier résistante et stoïque peut s’intéresser à vous, malgré votre odeur corporelle forteet vos Nike pourries. Attention, toutefois si elle est aussi lectrice de Télé Loisirs, carl’horoscope d’été lui promet le mariage. »42. Entretien accordé par le directeur d’édition du magazine FHM le 6 avril 2000.

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vendent chaque mois et l’espoir annoncé par la rédaction est de 200 000numéros dans les trois ans à venir. Avec cette formule plus ludiquequ’informative, la rédaction a le sentiment d’avoir « fait vieillir desmagazines » et de « toucher les initiateurs, les avant-gardistes43 ». Ces prisesde position révolutionnaires et novatrices ont fait se déplacer vers elles leslecteurs, donnant ainsi la position de leader en vente sur le marché de lapresse masculine française à FHM.

Les trois derniers magazines cités : M Magazine, FHM et Men’s Healthconstituant l’armature du champ de la nouvelle presse masculine sont lesplus vendeurs et plus médiatisés (leur appartenance – du moins pour FHM etMen’s Health – à de grands groupes de presse leur offre la possibilitéd’accompagner leur lancement de campagnes de publicité mais aussi defaire face à une éventuelle baisse du lectorat).

De la difficulté d’être un petit groupe parmi les grands

De petits groupes de presse, souvent constitués d’un seul titre, ont lancé desmasculins, dans l’espoir d’être portés par la vague actuelle. Kromozom futainsi lancé en octobre 1999 proposant un magazine masculin généraliste quioffrait des rubriques culturelles, des portraits d’hommes célèbres, un sujetpsychologique, des pages mode44... Cette formule disparaît après le n° 2, lesventes ne dépassant pas 20 000 numéros. TMB a lui aussi tenté l’aventure enjuillet 2000 en lançant son titre avec une logique opposée à celle desgroupes internationaux : conquérir d’abord le marché français pour ensuiteexporter le titre (d’où le choix d’un titre étranger). Le lancement fut décritavant tout comme « un pari, un challenge45 », un moyen de faire le magazinejusqu’alors introuvé par l’équipe sur la place de Paris et avec l’espoir qu’ilsoit perçu par le public comme avant-gardiste. Le premier numéro étaitcomposé d’articles sur la bourse, sur la nutrition, une interview d’UmaThurman et une autre du couple Karembeu, des pages mode, voyage... maisprésentait surtout un éditorial dont le but était d’énoncer l’identité de TMBen se différenciant de suite de ses concurrents sur trois points : tout d’abordsur leur rapport au monde économique « notre équipe se bat contre la 43. Ibid.44. Le second numéro de novembre 1999 proposait en une Ricky Martin, les récits despremiers amours de trois garçons, un sujet sur « Comment garder une bonne mine sanssoleil »...45. Entretien accordé par le rédacteur en chef du magazine TMB le 4 juillet 2000.

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monarchie absolue des grands groupes46 » ; cette remarque trouve sonexplication dans la difficulté éprouvée par le groupe TMB pour trouver dessoutiens et investisseurs financiers au moment du lancement de leur titre :« On aurait pu se lancer en même temps que la sortie de Men’s Health ouFHM, ou même Kromozom, on a voulu attendre simplement pour desquestions financières. Quand Men’s Health a dépensé 5 millions pour leurpub, nous on n’est pas un grand groupe qui a autant de moyens. On a fait unaffichage sur deux semaines, on a fait une campagne radio et c’est quandmême gentillet par rapport à FHM et Men’s Health […]. Et puis il fautsavoir qu’avec le grand boum qui s’est passé ces dernières années dans lesmasculins, ça nous dessert au niveau pub, il y en a tellement qui se sontcassé la gueule que les gens veulent d’abord voir le produit. […] Nous onvend une page de pub à un prix normal alors que dans un grand groupe onpaye une fois et on touche x magazines47. » Son identité passait ensuite parune différence de contenu par rapport à ceux des concurrents, jugésironiquement : « TMB est différent. Avec nous, finie la dictature des corpsmusclés, avec en prime des abdos version escalier de marbre ! Finies lestonnes d’exercices de musculation avec poster assorti (exercices que l’on nefait d’ailleurs jamais !). Finie également la psychologie à 2,50 F qui n’arrêtepas de nous rabâcher combien nous sommes déprimés, gros, névrosés,incapables de faire l’amour correctement48. » Enfin, la rédaction de TMBrefusait la classification sexuelle du titre : « Que l’on soit bien clairs, nousne sommes pas un magazine gay ! Nous ne sommes pas non plus unmagazine hétéro ! Nous sommes tout simplement un magazine ouvertd’esprit, orienté vers le monde, avant-gardiste et soucieux du bien-être deses lecteurs. Qu’ils soient blancs, noirs, jaunes, rouges, verts à petits poisorange ; hétéros ou gays49. » Les différences de mode de production, definancement, de concept ont fait que la rédaction de TMB ne ressentait pasle sentiment d’appartenir à la même presse masculine que les magazinesspécialisés, ce qui fut aussi un moyen de légitimer sa position qui futéphémère puisque le titre n’est parut qu’une fois.

Les difficultés éprouvées à lancer un titre ne sont pas spécifiques aux petitsgroupes : le groupe Hachette-Filipacchi en a fait l’amère expérience avec leprojet de lancement de Il. Le projet, plusieurs fois annoncé puis abandonné,

46. Editorial du n° 1 de TMB de juin à août 2000.47. Entretien accordé par le rédacteur en chef du magazine TMB le 4 juillet 2000.48. Editorial du n° 1 de TMB de juin à août 2000.49. Ibid.

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a fait l’objet de divers tests : des équipes successives ont travaillé dessus,quatre numéros 0 ont été lancés sans jamais aboutir. Les raisons de cetabandon non définitif, abordées lors d’un entretien avec le gérant-directeurde la publication du groupe50 relèvent de la difficulté de positionnementd’un nouveau titre dans un champ de presse jugé encore instable. Le conceptretenu était plutôt généraliste, moins axé sur le sexe et la santé que cesfuturs concurrents, avec des portraits de personnalités et qui aurait été unproduit de luxe digne de Elle. Face à la difficulté de choix entre la créationd’un magazine généraliste ou un magazine à centre d’intérêt, face à ce quiest considéré chez Hachette comme un insuccès des concurrents masculins :« un magazine n’est pas rentable à moins de 100 000 exemplaires » etsurtout face à l’impossibilité avouée de « se planter » par rapport au succèsdu féminin Elle (dont Il aurait été la déclinaison au masculin), la directionde Hachette-Filipacchi a opté pour la suspension du projet, en attente d’une« reconfiguration du marché ».

Maximal : l’unique masculin de Hachette-Filipacchi

Hachette n’abandonna pas pour autant son projet d’intégrer, à son tour, lemarché de la presse masculine française. Elle le fit, non pas en lançant Il,mais en rachetant la licence du titre anglo-saxon Maxim pour l’adapter aumarché français sous le nom de Maximal. Apparu en novembre 2000, ce quiconstitue la 4e phase de l’histoire de la nouvelle presse masculine, il estprésenté par son rédacteur en chef comme « un généraliste, masculin,mélange de Lui et de Elle51 » et comme une sorte de petit frère de Lui ; eneffet, nombreux collaborateurs au magazine Maximal ont été auparavantceux de Lui : « En fait, nous sommes en train d’attaquer un public qui n’estpas attaqué... qui était à l’époque celui de Lui, donc on revient en fait àquelque chose que le groupe Hachette sait en théorie très bien faire. Notrerédacteur en chef photo a été longtemps le rédacteur en chef de Lui et moij’ai quand même été le rédacteur en chef adjoint de Lui donc il y a... Notrestyliste était la styliste de Lui... C’est J.-M Perrier qui a signé la photo den° 1 et c’est un photographe de Lui très célèbre52 ». Ce savoir-faire, héritagede l’ère Lui, associé à une différenciation vis-à-vis de tous les autres titres

50. Entretien accordé par le gérant-directeur de publication du groupe Hachette-Filipacchi le29 mai 2000.51. Entretien accordé par le rédacteur en chef du magazine Maximal, le 4 décembre 2000.52. Ibid.

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masculins et laquelle passe, pour la rédaction de Maximal, d’une part, par uncontenu généraliste53 caractérisé comme étant « en jachère » et, d’autre part,par un lectorat ciblé plus âgé (30-40 ans) que celui des autres masculins,seraient les facteurs de l’absence de concurrence rencontrée, selon larédaction de Maximal. Les premiers chiffres annoncés par le rédacteur enchef font état de 150 000 numéros vendus pour les premiers mois, avec unobjectif de 200 000 exemplaires dans les mois à venir. Son arrivée tardivesur le marché des masculins (deux ans et demi après M Magazine et un an etdemi après Men’s Health et FHM) est gommée chez Maximal par la mise enavant d’un concept nouveau justifiant le positionnement du titre et qui nedépendrait pas d ’une quelconque concurrence avec d’autres titres.

L’histoire de la presse masculine se présente donc comme une succession dedeux pôles, historiquement distincts et laquelle succession engendre unecohabitation pacifique et éloignée. Le charme, la mode et la culture engénéral, lesquels font la spécificité de Max, Vogue Homme International etLe Magazine de l’Optimum, ne se retrouvent pas dans les mêmesproportions dans les « nouveaux masculins » qui, avec l’application deconcepts novateurs comme le bien-être au masculin ou l’humour, ontapporté une nouvelle formule et une jeunesse à la presse masculine. C’estpourquoi ces deux pôles dans le champ ne se situent pas dans le mêmeespace de positions et fonctionnent selon l’opposition « eux » et « nous ».Ils cohabitent donc sans grandes influences l’un sur l’autre. En effet,l’appartenance à un espace plus éloigné dans le champ explique laconservation de tous les titres traditionnels existants au moment de l’arrivéeet du renouvellement par les « nouveaux masculins » : la lutte est plus ardueentre les nouveaux venus pour conquérir un marché qui est fondé sur unconcept nouveau que sur un marché stable qui, avec les années, a réussi àfidéliser un public, même si cet ancien marché souffre d’un déficit d’imageengendré par la focalisation médiatique sur les nouveaux venus. Cettedifférenciation entre ces deux pôles trouve son essence dans les formulesrédactionnelles propres aux titres mais surtout à leur position historique :l’antériorité historique est l’un des éléments fondateurs de la légitimité.Chez Max, l’arrivée des nouveaux masculins, sans qu’elle entraîne unechute de ses ventes, a été ressentie comme une confirmation du bon choixeffectué d’un concept particulier et qui lui réussit depuis des années. Il 53. Le n° 2 de Maximal proposait une interview d’E. Zylberstein, un entretien de CharlesBeigbeder par E. Chain, une enquête sur les risques liés à l’utilisation du portable, trentepages de mode...

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existe, malgré cette différenciation, des passerelles entre les « anciens » etles « nouveaux masculins » : l’aventure de la création et de l’innovationdans la presse masculine a pour exemple tenté l’ancien rédacteur en chef duMagazine de l’Optimum. Spécialiste et passionné par les lancements demagazines, il est désormais le rédacteur en chef du magazine Men’s Health.

Une différenciation inter et intrachamps

La différenciation est donc intrachamp : elle s’exerce entre les deux pôlestraditionnels et nouveaux, les anciens et les nouveaux, mais aussi et surtoutau sein même du pôle des « nouveaux masculins », dans lequel les luttespour le leadership, la reconnaissance et la quête de la légitimité en tant quedominant, font rage. Les logiques mises en place sont des stratégies derupture, de subversion qui impliquent le recours à l’innovation dans le ton etdans le choix des articles, offrant ainsi à celles-ci et aux titres les appliquantun statut d’avant-gardiste. Ce statut est donc le résultat d’une stratégie dontle leitmotiv est : « Pour exister, il faut différer. » Mais cette course à ladifférenciation pour fonder une identité n’est pas aisée ; l’arrivée massive demasculins qui présentent des contenus proches entraîne une confusion del’identité des titres chez le public. Cette difficulté à faire émerger du lot uneimage propre à une publication a incité chacun des masculins à associer àleur titre une formule courte qui se veut éloquente. Ainsi FHM est sous-titréde sa simple traduction « for him magazine », M Magazine s’accompagne de« bien vivre au masculin », TMB avait choisi deux formules « le messager del’homme » et « le magazine des hommes très beaux54 », Men’s Health ajouteà son titre « le premier vrai magazine pour hommes55 », le défunt Kromozomtitrait « le mensuel de tous les hommes » et le récent Maximal après avoirsous-titré prétentieusement « la plus belle découverte de l’homme depuis lacréation de la femme » est revenu à un plus simple « Pour Homme ». Mais,il n’est pas certain que ces petits titres, ajoutés sous le titre principal ou enbas de la page, soient les éléments déterminants quant à une meilleureconnaissance, par le public, de l’identité des magazines.

54. Ce slogan a une histoire. A l’origine, le slogan de TMB devait être « le magazine desbeaux mecs », mais le magazine, en affichant ce slogan aurait pu être classé parmi lesmagazines gays. Or, le magazine se voulait sexuellement non connoté.55. Ce slogan est apparu au moment de la lutte et du procès contre M Magazine.

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La différenciation des masculins, l’imposition d’une identité propre etl’autonomisation du champ passent aussi par une opposition interchampsparticulièrement par rapport au champ de la presse féminine. Les« nouveaux masculins », dont les sorties ont été accompagnées de nombreuxarticles qui leur ont certes apporté une médiatisation, se sont vus attribuerune image jugée faussée par certains membres de rédaction. Lors de la sortieen kiosque de M Magazine en avril 1998, l’hebdomadaire Marianneconsacrait un petit article dans lequel le titre était assimilé à la presseféminine : « Tous les tropismes de la presse féminine, purement etsimplement conjugués au masculin. Il ne manque plus qu’un horoscope eton pourra faire presse commune56... » Les masculins, au contraire de lapresse féminine, ne s’intéressent pas à la politique et ne prennent part àaucun combat qui serait connoté masculin : la presse féminine est militantequand la presse masculine ne l’est pas, et cette différence est fondamentalepour les rédactions de masculins. Cette différenciation interchamps a aussilieu de la part des magazines féminins envers les magazines masculins :Biba a ainsi illustré un article consacré à la guerre des sexes en pastichantune couverture de magazine masculin baptisé Pipo et dont les sujetsprincipaux auraient été : « Testé pour vous : la liposuccion du bide » ou« comment présenter sa maîtresse à sa femme57 ». L’autonomie et laprotection de l’identité du champ (autant féminin que masculin) se formentdonc aussi dans un affrontement interchamps.

Les « nouveaux masculins » doivent, pour asseoir une position puis la faireévoluer, tout d’abord faire face à une différence économique et financière.Les moyens de production utilisés chez FHM n’ont rien à voir avec ceux duMagazine de l’Optimum qui possède une équipe réduite ; de même, lesmoyens financiers consacrés à la publicité du titre sont gigantesques chezles grands groupes et limités pour les plus petits. Une fois la barrièrefinancière franchie, chaque nouveau titre doit trouver une formule quidiffère radicalement des formules déjà en vigueur afin de se constituer uneidentité qui, au fil du temps et du succès du titre, obtiendra sa légitimité etson avancement vers les positions les plus dominantes du champ. Nousavons vu que ce chemin est semé d’embûches, de luttes, de conflits, parfoismême de procès et que ceux qui résistent à ces tourmentes se construisent unfort ancrage dans l’histoire de la presse masculine française.

56. Marianne du 30 mars au 5 avril 1998.57. Biba n° 239 de janvier 2000.

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En résumé, la presse masculine française se compose ainsi aujourd’hui58 :

Titresde magazines

Périodicité Chiffres de l’OJD1999-2000

Catégorie

FHM Mensuel 139 211 Masculin généralisteM Magazine Mensuel 110 645 Masculin spécialisé

bien-êtreMax Mensuel 102 397 Masculin généralisteMaximal Mensuel non contrôlé Masculin généralisteMen’s Health Mensuel 125 566 Masculin spécialisé-santéMonsieur Trimestriel 28 765 Masculin de modeNuméro Semestriel non contrôlé Masculin de modeL’Optimum Mensuel 44 990 Masculin de luxe, mode

et généralisteVogue hommeInternational

Semestriel non contrôlé Masculin de mode

Le champ de la presse masculine ne déroge donc pas aux règles du champdans sa généralité et que Bourdieu résumait ainsi : « Ce n’est pas assez de direque l’histoire du champ est l’histoire de la lutte pour le monopole descatégories de perception et d’appréciation légitimes ; c’est la lutte même quifait l’histoire du champ ; c’est par la lutte qu’il se temporise. Le vieillisementdes acteurs, des œuvres ou des écoles est tout autre chose que le produit d’unglissement mécanique au passé : il s’engendre dans le combat entre ceux quiont fait date et qui luttent pour durer, et ceux qui ne peuvent faire date à leurtour sans renvoyer au passé ceux qui ont intérêt à arrêter le temps, à éterniserl’état présent ; entre les dominants qui ont partie liée avec la continuité,l’identité, la reproduction et les dominés, les nouveaux entrants, qui ont intérêtà la discontinuité, à la rupture, à la différence, à la révolution […] ; faire date,c’est inséparablement faire exister une nouvelle position au-delà des positionsétablies, en avant de ces positions, en avant-garde et en introduisant ladifférence, produire le temps59 ».

58. L’écriture de cet article est achevée le 12 février 2001.59. BOURDIEU, 1992, p. 261.

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L’importance de l’innovation, de la révolution et celle du temps seconfirmera-t-elle dans les arrivées annoncées de nouvelles publications quiprovoqueraient alors un nouveau mouvement de translation des positionsactuellement occupées par ceux qui, appelés aujourd’hui « nouveauxmasculins » (dont la dénomination, par effet du temps, risque elle aussid’évoluer), forment une partie du champ de la presse masculine françaisedont l’avenir pourrait connaître rapidement une restructurationfondamentale de son ensemble ?

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