La Métallurgie du fer et de l' acier en Grece pendant la periode classique ( C.Conophagos et G....

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CONSTANTIN CONOPHAGOS et GEORGE PAPADIMITRIOU LA MÉTALLURGIE DU FER ET DE LACIER EN GRÈCE, PENDANT LA PÉRIODE CLASSIQUE ROMA GIORGIO BRETSCHN.EIDER EDITORE 1986

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CONSTANTIN CONOPHAGOS et GEORGE PAPADIMITRIOU

LA MÉTALLURGIE DU FER ET DE LACIER

EN GRÈCE, PENDANT LA PÉRIODE CLASSIQUE

R O M AG I O R G I O B R E T S C H N . E I D E R E D I T O R E

1986

Es trat to dal volume·.

STUDIEN ZUR ALTEN GESCHICHTE

Siegfried LaufEer zum 70 . Geburtstag am 4 . August 1981 dargebracht von

Freunden, Kollegen und Schülern

HERAUSGEGEBEN VON

HANSJÖRG KALCYK, BRIGITTE GULLATH UND ANDREAS GRAEBER

BAND I

CONSTANTIN CONOPHAGOS et GEORGE PAPADIMITRIOU

LA MÉTALLURGIE DU FER ET DE L ’ACIER

EN GRÈCE, PENDANT LA PÉRIODE CLASSIQUE

I n t r o d u c t i o n

Le fer et l ’acier, et même l ’acier trempé, sont maintes fois mentio- nées par les auteurs de l ’Antiquité, et notamment par des auteurs aussi anciens que Hésiode et Homère (1-12). Or, peu de textes anciens se ré­fèrent, et de façon vague, aux techniques de production de ces métaux.

Nous ne possédons, de même, que de rares preuves directes de l'uti­lisation de l ’acier dans l ’antiquité, car l ’état oxydé des trouvailles em­pêche, de façon générale, de distinguer si la matière des objets était à l ’origine du fer ou de l ’acier (13).

L ’art de produire l’acier était d’une importance primordiale pour la confection d’armes et d’outils. Des outils en acier trempé, durs et rési­stants, ont dû être certainement employés par les Grecs anciens, pour accomplir des tâches aussi dures que la taille des marbres des édifices publics et le creusement de puits et tunnels dans les mines du Lau- rium (14).

Les techniques de production du fer et de l ’acier par les Grecs an­ciens n’étaient pas, à ce jour, connues. Des études d’objets anciens en fer ou en acier (15, 16) se limitent en effet à la structure micrographi­que des objets ou émettent, à la rigueur, quelques hypothèses, quant à la méthode de production (16).

Dans trois communications récentes à l’Academie d’Athènes nous avons présenté dans son ensemble, la métallurgie du fer et de l ’acier, pendant la période classique en Grèce.

Dans la première communication nous reconstituons les techniques de production du fer et de l ’acier (17).

Dans la deuxième nous montrons que les Grecs anciens, au niveau de la mise en forme de ces matériaux, étaient maîtres d’une technique de fabrication qui est l ’ancêtre lointain de la technique des « épées da­massées » (18).

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Enfin, dans la troisième communication nous interprétons le rôle que devait remplir pour le fonctionnement de fours métallurgiques et céra­miques un gueullard en forme de pot, placé par les anciens métallurgistes au sommet du four (19).

Dans cet exposé, nous allons présenter une synthèse de la production du fer et de l'acier à partir du minerai et des techniques du travail de ces métaux, que les anciens métallurgistes et forgerons appliquaient, afin d’obtenir une bonne résistance mécanique des produits façonnés.

Nos conclusions sont fondées sur l ’examen détaillé d’un nombre important d’objets et de données que nous avons pu collectioner et étudier, à savoir:

1. Nous avons examiné 15 loupes hémisphériques, en minerai de fer, ayant subi dans l ’antiquité une réduction très avancée des oxydes de fer (fig. 1). Deux autres loupes contenaient du fer métallique spon­gieux (fig. 2).

Les loupes ont été retrouvées dans la vallée de Souréza, au Laurium, lors de fouilles d’installations anciennes qui servaient à l ’enrichissement des minerais de plomb argentifère. Ces fouilles ont été effectuées par le Laboratoire de Métallurgie Physique de l ’Université Nationale Technique d ’Athènes de 1977 à 1978, et elles sont décrites dans le livre du Prof. C. Conophagos, « Le Laurium Antique et la Technique Grecque de produc­tion de l ’argent » (14).

2. Nous avons examiné huit pièces en acier, crampons en double T et goujons, ayant servi à l ’assemblage des blocs de l’Erechtheion de l ’Acropole.

Ces pièces, à l’exception d’une seule qui est en fer pur, comportent à la fois du fer et de l ’acier.

Cette observation était déjà faite, dépuis 1943, pour des crampons du Parthénon par C. Livadefs (16).

Mais l’observation attentive au microscope, nous a permis de mon­trer qu’en fait, il ne s’agit pas d’un « mélange » fortuit de fer et d’acier, mais d’une superposition volontaire de ces matériaux, en couches al­ternées d’une épaisseur de 1 à 2 mm, soudées entre elles par forgeage à haute température.

Il s’agirait là de la technique des « épées damassées », qui serait déjà connue des métallurgistes grecs de la fin du 5ème siècle avant notre ère, lors de l’érection de l ’Erechtheion.

3. Nous avons étudié des textes anciens (7-12) se référant à la mé­tallurgie du fer et nous avons constaté que leur interprétation soutient nos vues.

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4. Nous avons étudié aussi des scènes figurant sur des vases ou autres céramiques anciennes, qui représentent des antisans au travail, dans des ateliers comportant des fours (17, 19). Cette étude nous a con­duits à l ’interprétation du gueullard céramique des fours et de son rôle dans le fonctionnement des fours. On remarque ce genre de gueullard en forme de pot, en même temps en haut des fours métallurgiques et des fours céramiques.

5. Nous avons, enfin, consulté la bibliographie qui se rapporte à la métallurgie des peuples primitifs, anciens ou contemporains, et à l ’évo­lution des techniques qu’ils ont employées pour produire du fer et de l ’acier (13, 20-30).

L ’étude de ces données nous a conduit à la synthèse suivante, que nous allons justifier par la suite à la lumière des connaissances modernes de la métallurgie extractive et de la métallurgie physique.

2 . L A PRODUCTION DU FER

La production du fer comprenait deux phases: a) la réduction du minerai qui conduisait à une loupe de fer mélangé à des scories et b) au martelage répété de cette loupe, qui était pratiqué à chaud en vue d’obtenir une masse de fer compacte, exempte de scories.

2.1. La phase de réduction - Le four

Dans la phase de réduction, les minerais riches en fer, constitués d’hématite et de limonite (fig. 3, 4) subissaient une réduction par du charbon de bois dans un four vertical, qui devait avoir très probablement la forme représentée sur la figure 5.

Le produit de la réduction était une loupe hémisphérique formée au fond du four. Son diamètre, d’après les loupes retrouvées à Souréza, était de l ’ordre de 10 à 15 cm.

Suivant ces dimensions, le four défait avoir un diamètre intérieur de l ’ordre de 15 cm à son plus bas niveau. Les fours verticaux à cuve étaient couramment utilisés au Laurium pour la métallurgie du plomb et de l ’argent (14). Leur utilisation dans le cas du fer est prouvé par la forme et la structure intérieure des loupes. Dans certaines loupes on distingue,

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en fait, la stratification des couches de la charge, incurvées sur les bords par la descente à vitesse inégale de la charge dans la cuve. Une des loupes retrouvées a une forme irregulière, qui évoque l’incident, bien connu, d’« accrochage » dans un four vertical (fig. 6).

La hauteur du four est estimée de l ’ordre de 80 à 120 cm.Il devait être construit en schiste (14). À l ’interieur il était enrobé

d’une couche d’argile dont les traces se retrouvent parfois sur la surface sphérique des loupes.

Le vent nécessaire à la réduction était insufflé au bas du four à tra­vers des tuyères (fig. 5). Il était produit à l ’aide de soufflets, actionnés par des ouvriers.

Dans ce four les températures obtenues permettaient la liquéfaction de la scorie, sans jamais atteindre la fusion du fer réduit. Si le fer était fondu il deviendrait, par carburation, une fonte.

Le mélange du fer et des scories, à l ’état pâteux, glissait au fond du four pour former la loupe hémisphérique. On laissait le four refroidir complètement, avant que la loupe en soit retirée.

L ’examen métallographique de la loupe en fer montre un fer très pur à très gros grain sans aucune trace de carburation (fig. 7). La pro­duction de fonte était indésirable et évitée.

L ’analyse quantitative du fer d’une loupe, par fluorescence des rayons X, montre comme impuretés 0.05 % de nickel et 0.12 % de cuivre. Le manganèse en est complètement absent, tandis qu’on y retrouve quelques traces de plomb et de zinc (fig. 8a). Pour comparer, nous donnons également le diagramme de fluorescence de la scorie (fig. 8b).

La réduction des minerais de fer pour la production du fer spongieux est une opération très délicate.

Dans ce sens, les 15 loupes partiellement réduites, constituées entiè­rement d’oxydes de fer représentent des traitements de réduction man- qués. Elles ont été retrouvées dans un rayon de 50 m, où elles étaient rejettées. Par contre les loupes de fer spongieux proviennent des traite­ments réussis; elles on été retrouvées, lors des fouilles, dans l ’enceinte d’une laverie, destinées, sûrement, à servir plus tard.

2.2. La phase de la séparation de la scorie

La loupe devait être ensuite martelée à très haute température pour éliminer les scories et compacter le fer. La température du martelage devait être au moins égale à I 2 0 0 ° C ; le point de fusion de la scorie, comme

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nous l ’avons vérifié expérimentalement, est en effet de l ’ordre de 1200 à I300°C; il s’agit d’un mélange de FeO et de Fe30 4 (fig. 9).

Nous considérons que la représentation de l ’Oenochoé de Londres, fig. 10, rend précisément cette opération d’élimination de la scorie. Dans un atelier de forge, l ’artisan assis retient, à l ’aide d’une pince, une pièce qui a exactement la forme et les dimensions des loupes que nous avons examinées. L ’ouvrier debout est prêt à la marteler sur l ’enclume.

La loupe était chauffée auparavant à l’interieur du four, entre les morceaux de charbon incadescent, qu’on aperçoit à travers l ’ouverture latérale du four.

Remarquons que cette ouverture est de dimensions importantes, pour permettre l ’entrée de la loupe.

Sur ce point nos vues coïncident avec celles de C. Livadefs (16), qui ne connaissait pourtant pas les loupes et leur origine. Par contre, nous ne pouvons pas partager son opinion, selon laquelle l ’élimination plus poussée des scories aurait lieu dans le pot que l’on aperçoit au sommet du four. En effet la température à l’interieur de ce pot ne pourrait jamais dépasser les 500 à 6oo°C.

Dans ce sens, ce pot ne pourrait servir qu’à des traitements thermiques qui sont possibles dans l ’intervalle de 300-600°C, comme par exemple le recuit de restauration et de recristallisation, et le revenu de l ’acier trempé.

Le four de l ’Oenochoé de Londres est donc, simplément, un foyer où l ’on brûle du charbon de bois en insufflant de l ’air à l’aide de souf­flets, en vue d’obtenir les hautes températures requises pour le martelage des loupes et l ’élimination des scories.

3. La p r o d u c t i o n d e l ’a c i e r

La technique de production de l ’acier par les Grecs anciens est un problème qui n’était pas jusqu’à ce jour résolu.

Si la méthode de réduction que nous venons de décrire conduisait uniquement au fer pur non carburé, la transformation de ce dernier en acier était, néanmoins, possible par cémentation.

L ’examen des crampons de l ’Erechtheion nous a permis de fonder cette hypothèse, en donnant une réponse au problème de l ’acier.

Le fait que les crampons comportent des feuilles minces d’acier suggère que l ’acier était produit sous forme de feuilles. Ces feuilles

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provenaient, certainement, de la cémentation des feuilles de fer, d ’une épaisseur de 2 à 3 mm.

La cémentation devait se faire en chauffant des feuilles de fer à une température de 800~900°C, en présence de charbon de bois finement broyé, dans des pots scellés en céramique. La cémentation était alors possible dans toute l ’épaisseur de la feuille.

Les températures de 800 à 900°C étaient celles pratiquées couramment dans les fours à céramiques (23, 24), et il semble fort probable qu’un tel type de four ait servi pour chauffer les grands pots scellés, avec leur contenu de feuilles de fer, destinées à la cémentation.

Nous considérons que la présence d’un tel four, représenté en partie sur le côté gauche de la scène du vase attique (fig. 11), ne peut s’expli­quer que par la cémentation qu’on devait pratiquer dans cet atelier de forge.

Nous avons complété en pointillé le dessin probable du four, sur la figure 11.

Il est probable que par la présence de ce four, le peintre voulait montrer, que dans cet atelier de forge on produisait de l ’acier pour la confection d’outils durs, comme ceux qu’on voit suspendus au mur.

4. L e s t e x t e s a n c i e n s

L ’interprétation que nous avons donnée pour la production du fer et de l ’acier est en accord avec des textes anciens (7-12).

Un texte très important d’Hippocrate (8) mentionne les étapes successives a) de production du fer en mélange avec des scories et b) de l ’élimination de ces dérnières par martelage, afin de produire du fer dense et compact.

Hésychios, suggère dans son dictionnaire (9) que le troisième chauf­fage de fer, qui incombe au forgeron, succède à deux autres étapes de chauffage. Il s’agirait, selon notre interprétation, de la réduction et de l’élimination des scories, qui précèdent la mise en forme par forgeage.

La production de l’acier par cémentation est probablement l ’objet d ’un extrait de Plutarque (12). Il parle d’un vase, où l ’on forme un al­liage de fer. La cémentation est, en effet, formation d’alliage du fer avec le carbone, et comme nous l ’avons soutenu, elle devait se faire dans un pot scellé, en présence de charbon de bois broyé.

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5. L e s CRAMPONS DE l ’ e r e c h t h e i o n

Les pièces que nous avons examinées servaient à l’assemblage des blocs de l’Erechtheion, et elles on été récupérées lors des travaux de restauration en 1980.

Trois pièces étaient des goujons, cinq autres des crampons en double T (fig. 12 ). Toutes les pièces étaient en bon état, parce que lors de leur mise en place, elles étaient recouvertes par du plomb fondu, qui les protégea contre la corrosion durant 25 siècles.

L'examen métallographique a démontré qu’une seule pièce en dou­ble T était en fer. Toutes les autres contenaient du fer et de l ’acier, en couches superposées.

Les feuilles du fer et de l ’acier, d’une épaisseur de 2 à 3 mm, avaient été soudées par forgeage à haute température, ensuite pliées, torsadées et de nouveau forgées.

La figure 13 montre l ’aspect micrographique au voisinage d’une soudure. La ligne presque droite qui sépare le fer de l ’acier est la trace de la soudure autogène sur le plan de la micrographie.

L ’examen détaillé montre que la teneur de l ’acier en carbone varie d’habitude entre 0.1 et 0.6 % , atteignant quelquefois 1 % .

L ’acier comporte parfois des structures de Widmanstätten (fig. 14) ou de cémentite globulaire (fig. 15). La ferrite contient des carboni- trures (fig. 16).

Ces observations nous mènent aux conclusions suivantes:— Les Grecs anciens utilisaient la technique des « épées damassées »

(21, 22), commes nous l ’avons décrite plus haut. Ils obtenaient ainsi un produit ayant la ductilité du fer et la résistance de l ’acier.

— Ils connaissaient aussi le traitement de recuit, qui conduisait à l’amélioration des propriétés par détensionnement et recrystallisation.

— Un autre résultat intéressant est que toutes les pièces examinées comportent 0.05 à 0.10 % de nickel, 0.06 à 0.12 % de cuivre et quel­ques traces de Zn et de Pb. Elles ne contiennent ni manganèse ni sili­cium. Nous rappelons que le fer des loupes a pratiquement donné les mêmes résultats, en ce qui concerne les impuretés. Ceci démontre que les crampons de l ’Erechtheion étaient fabriqués avec du fer produit dans la région du Laurium.

Le Laurium était donc aussi un centre de production de fer et d’acier.

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6. L e s f o u r s

Les figures 17 et 18 montrent respectivement un four métallurgique destiné à la fusion de bronze et un four à céramiques pour la cuisson des vases, tous les deux typiques de l ’antiquité classique en Grèce.

Dans les deux cas, un gueullard en céramique, en forme de pot, est placé au sommet du four.

Nous avons examiné toutes les scènes comportant des fours métal­lurgiques qu’on retrouve sur des vases anciens, datant de la fin du 6ème et du 5ème siècle av. J.C.

Nous avons également examiné des représentations de fours à céra­miques, dont la plupart figurent sur des plaquettes d’argile, retrouvées à Penteskoufi, près de Corinthe et qui datent de 650 à 550 av. J.C. (19).

Tous les fours métallurgiques sur les représentations anciennes con­nues se terminent par un gueullard en forme de pot, ainsi que la moitié des fours à céramiques.

La bibliographie contemporaine relative aux fours à céramiques ne fait aucune allusion au gueullard céramique.

Par contre il en est souvent question, lorsqu’on parle des fours mé­tallurgiques (26-30).

Notre étude des représentations citées plus haut nous a conduits aux conclusions suivantes, qui concernent à la fois les fours métallur­giques et les fours à céramiques.

Le gueullard en forme de pot était sans fond et permettait, donc, la sortie des fumées. C’était un gueullard préfabriqué, de dimensions géo­métriques déterminées, solide et résistant à la chaleur.

Son rôle était différent dans le cas des fours métallurgiques et des fours à céramiques.

Dans le cas des fours à céramiques, que nous représentons en détail sur la fig. 19, le gueullard en céramique servait au réglage de l ’atmos­phère du four. Cela était possible au moyen du couvercle métallique que le potier pouvait déplacer à volonté à l ’aide d’un ringard courbé en son extrémité, qu’il passait dans l’anneau du couvercle.

L ’atmosphère du four était primordiale pour la cuisson des vases à figures rouges et à figures noires (23, 24).

Quand le couvercle était complètement ouvert, le tirage du four était fort, l ’atmosphère oxydante et la fumée sortant du gueullard en céramique était blanche. Les oxydes de fer contenus dans l ’argile de l ’enduit des vases prenaient alors une teinte jaune-rouge (24).

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Par contre, une atmosphère réductrice, obtenue par fermeture par­tielle du gueullard avec son couvercle, donnait des fumées noires et du fer métallique noir dans l'enduit (24).

Dans le cas des fours métallurgiques les interprétations données jusqu'à ce jour ne semblent pas satisfaisantes: l ’hypothèse que le gueul­lard servait de creuset de fusion (26, 28) ou pour la liquefaction de scories des loupes de fer spongieux (16) ne sont pas cohérentes, car les températures obtenues au gueullard ne peuvent pas dépasser les 500 au 6oo°C maximum.

Le tirage ne pouvait pas, non plus être réglé à l ’aide du couvercle. En fait, le tirage n’était pas naturel, mais induit, à l ’aide de soufflets. Le pot en céramique placé sur le four servait alors uniquement de gueul­lard préfabriqué, solide et résistant à la chaleur. Dans le cas des fours de fusion de bronze il était soit complètement enlevé, lors du fonctionne­ment du four, soit complètement fermé à la fin de l’opération métallur­gique, pour empêcher la combustion du charbon qui restait dans le four.

Dans le cas du four de la fig. 10, qui est un foyer de combustion de charbon pour le chauffage des loupes, il y a un problème. Le gueullard céramique, en forme de pot, est placé à une distance du sommet du four, sans s’appuyer directement dessus. Ce n’est pas donc un gueullard. Il s’agirait, très probablement, d’un vrai pot à fond plein, chauffé par les fumées à une température qui ne dépasserait pas les 6oo°C. Il servirait probablement à des traitements thermiques de revenu au de recuit de l ’acier.

À la fin de cette étude nous avons constaté que dans les îles de la mer Egée, les cheminées des maisons traditionnelles portent encore aujourd’hui un pot en céramique, comme les fours de l ’antiquité. Tradition conser­vée depuis au moins 25 siècles!

C o n c l u s i o n

Nous avons examiné un nombre de trouvailles et de données con­cernant la production et le travail du fer et de l ’acier dans l'antiquité classique en Grèce.

Les grecs anciens avaient développé une technique et une techno­logie admirables dans ce domaine.

— La production de fer se faisait en deux étapes: a) réduction du minerai dans un four vertical, conduisant à une loupe hémisphérique de

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fer mélangée à des scories et b) élimination des scories par martelage répétée de la loupe, après chauffage à haute température dans un autre four vertical. Ce four, qui n’était qu’un foyer où l ’on brûlait du charbon, est celui qu’on voit sur la représentation de l’Oenochoé de Londres (fig. 10).

— L ’acier était produit par cémentation de feuilles minces de fer, en présence de charbon de bois finement broyé, dans des pots scellés en céramique. Cette opération devait se faire à la température de 800 à 900°C, dans un four comme ceux utilisés pour la cuisson des pots en céramique.

Un tel four est représenté partiellement sur un vase attique (fig. 11).—· Les grecs anciens étaient maîtres de la technique des « épées

damassées », qui consistait au soudage autogène par forgeage des feuilles de fer et d’acier alternées, épaisses de 1 à 2 mm. Cette technique, que nous avons découverte sur des crampons et des goujons de l ’Erechtheion, était sans doute, appliquée aussi pour la fabrication d’armes et d’outils.

— L ’analyse des impuretés des campons de l ’Erechtheion démontre que l ’acier qui a servi à leur fabrication provenait du Laurium, qui devait être aussi un centre de production de fer.

— Enfin, nous avons interprété le rôle des différents fours métallur­giques qu’on aperçoit sur des représentations des vases anciens. En particulier nous avons donné l ’interprétation du guellard céramique, en forme de pot, qu’on voit au sommet des fours métallurgiques et des fours à céramiques.

BIBLIOGRAPHIE

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142 CONSTANTIN CONOPHAGOS ET GEORGE PAPADIMITRIOU

19. C. Conophagos - G. Papadimitriou, Interprétation du pot placé par les Grecs anciens sur le gueullard des fours pendant la période classique, « Commu­nication à l'Académie d’Athènes, Séance du 19 Mars 1981, Comptes Rendus de l ’Académie d’Athènes», 56, 1981, pp. 191-211.

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C o n s t a n t i n C o n o p h a g o s e t G e o r g e P a p a d i m i t r i o u T a f e l i

Fig. i - Loupe hémisphérique de minerai de fer en état de réduction avancée, jusqu’au FeO, retrouvée dans la vallée de Sourèsa (Laurium) à 300 m du site

correspondant des fouilles.

Fig. 2 - Loupe hémisphérique de fer métallique et de scorie. Retrouvée dans le site môme des fouilles de la vallée de Sourèsa.

T a f e l 2 C o n s t a n t i n C o n o p h a g o s e t G e o r g e P a p a d i m i t r i o u

Fig. 3 - Spectres de diffraction des rayons X (rayonnement Ka du cobalt) sur des minerais de Sourèsa. Minerai riche limonitique, constitué de goethithe (Fe203-H20) et d ’hématite (Fe203).

Fig. 4 - Minerai moins riche d’hématite - limonite, contenant aussi du quartz (Si02).

C o n s t a n t i n C o n o p h a g o s e t G e o r g e P a p a d i m i t r i o u T a f e l 3

O 50cm

Fig· 5a Fig. 5b Fig· 5e

loupe

Fig. 5a b c - Four de réduction des minerais de fer pour la production de la loupe(d’après les auteurs).

5a: Le four vide; 5b: Début de l’opération; 5c: Fin de l’opération; A: Construction du four en schiste; B: Enduit réfractaire en argile; Γ: Fond du four, où la loupe se forme; Δ: Tuyère; E: Gueullard céramique, en forme de pot; Z: Couvercle

métallique du gueullard; H: Ringard courbé; Θ: Fond ouvert.

T a f e l 4 C o n s t a n t i n C o n o p h a g o s e t G e o r g e P a p a d i m i t r i o u

' « M Iff!

1 cm

Fig. 6 - Loupe de forme irregulière, provenant d’un « accrochage » de la charge dans lacuve du four de réduction.

Micrographie de fer spongieux (x 50). Attaque au Nital. On distingue de gros grains de fer et de grosses porosités.

C o n s t a n t i n C o n o p h a g o s e t CxE O r g e P a p a d i m i t r i o u T a f e l 5

a)

b)

Fig. 8a, b - Spectres de fluorescence des rayons X sur le fer métallique (a) et la scorie (b) de la loupe de la fig. 2.

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Fig. 9 — Spectre de diffraction des rayons X (rayonnement Ka de Co) sur la scorie de la loupe de la fig. 2 qui contient aussi beaucoup de fer métallique. La scorie est con­

stituée de FeO et de Fe304.

Fig. 10 - Représentation d’un four métallurgique destiné au recliauffage des loupes de fer avant forgeage. (Vase retrouvé à Vulci, datant de 510-500 av. J.Christ, Musée de Londres).

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Fig. 11 - Travail de forgeage dans une forge. Nous avons complété en pointillé le four présenté partiellement sur le côté gauche. Vase retrouvé à

Orvietto, datant du 510-500 av. J.Christ. Musée de Boston.

Fig. 12 - Crampons et goujons de l ’Erechtheion. 1: Crampon en fer; 2, 3, 4, 5: Crampons en fer et en acier; 6, 7, 8: goujons en fer et en acier. Le goujon n° 5

porte encore sur le côté gauche du plomb qui le recouvre.

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Fig. 13a - Micrographie (Crampon 2). La ligne AB est la trace, sur le plan de la micro­graphie, de la surface qui sépare le fer doux (en haut à gauche) de l’acier (en bas, à droite). Le fer est uniquement de la ferrite recristallisée. L ’acier a une structure ferrite - perlite,

avec la ferrite sous forme de Widmanstätten.

Fig. 13b - Micrographie. On distingue clairement les traces AB et CI) des surfaces qui séparent trois feuilles alternées de fer - acier - fer, soudées, par forgeage. Les inclusions de scorie allongées (en noir) montrent la direction du laminage, et sont parallèles aux surfaces AB et CD de la soudure. Ceci montre que les feuilles ont subi un iorgeage perpendiculairement aux

surfaces AB et CD pour effectuer le soudage.

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Fig. 14 — Micrographie du crampon 2. Ferrite Widmanstätten et per- lite (grise). La formation de ferrite Widmanstätten suppose une sur­chauffe dans la région complètement austénitique du diagramme fer -

carbone, ensuite un refroidissement rapide.

Fig. 15 - Micrographie du goujon 3. Cémentite globulaire dans une matrice de ferrite. Cet agrégat provient d’une perlite ayant subi un

recuit prolongé entre 600 et 7oo°C.

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Fig. 16 - Micrographie du goujon 2. Carbonitrures à l’interieur des grains de ferrite, dans les feuilles en fer doux. La précipitation des carbonitrures suppose un refroidissement

rapide et ensuite un recuit dans le domaine des températures entre 200 et 7oo°C.

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Fig. 17 - Représentation, d'un four métallurgique de fusion de bronze. Vase retrouvé à Vulci et datant de 490 av. J.Christ. Musée de Berlin.

Fig. 18 — Représentation de four à céramiques, oil l ’on distingue le gueullard en céramique. Plaquette en argile de 650-550 av. J.Christ, re­trouvée à Penteskouiï de Corinthe, dans un Sanctuaire de Poséïdon.

(G. Richter, The Craft of Athenian Pottery (1923), pages 76-77).

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Fig. 19 - Représentation de four à céramique d’après les auteurs. Le four fonctionne en atmosphère réductrice quand le gueullard est presque fermé. Fumée noire. L ’atmosphère

est oxydante quand le gueullard est ouvert (fumée blanche).

A: Four à coupole; B: Foyer; Δ: Porte du four; E: Ouverture d’observation; Z: Fer­meture du foyer; II: Gueullard en céramique; Θ: Couvercle du gueullard; I: Ringard courbé; K: L ’artisan; A: Echelle; M: Pots destinés à la cuisson; N: Combustible (bois ou

charbon de bois) ; Ξ : Epouvantail, pour éloigner les mauvais esprits.