\"La gouvernance de l'Internet du point de vue du droit international public\", AFDI, 2010, p....

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LVI – 2010 – CNRS Éditions, Paris LA GOUVERNANCE DE L’INTERNET DU POINT DE VUE DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC PATRICK JACOB Résumé : La présente contribution cherche à déterminer si et dans quelle mesure la gouvernance de l’Internet mobilise et affecte le droit international public, et plus spécifiquement ses sources et organisation institutionnelle. Du rapport dialectique qui est à l’œuvre en la matière sont nés des institutions et modes de régulation hybrides. La gouvernance de l’Internet est ainsi partagée entre des institutions d’essence intergouvernementale admettant la participation d’entités non étatiques et des personnes privées qui acceptent de faire une place aux Etats. Mais cette évolution n’a sans doute pas atteint son point d’équilibre. Abstract: This contributions seeks to ascertain whether and to what extent the governance of the Internet mobilizes and affects public international law and more specifically its sources and its institutional organization. The dialectical relationship at work in this subject area has given rise to hybrid institutions and modes of regulation. The governance of the Internet is thus shared between institutions of an intergovernmental kind accepting the involvement of non-state entities and private persons that accept to make room for states. But this development has probably not reached its balancing point. La gouvernance de l’Internet fait depuis désormais près de vingt ans l’objet d’importants débats, dont la doctrine francophone de droit international public s’est peu fait l’écho 1 . Cinq ans après le terme du Sommet mondial pour la société de l’information (SMSI), un point sur l’évolution de cette gouvernance apparaît pourtant nécessaire car elle éprouve certaines institutions bien établies du droit international public. Les défis posés au droit international par l’Internet sont nombreux. Ils doivent être distingués. L’Internet apparaît en effet tout à la fois comme un nouveau moyen de communication, dont l’usage peut renouveler certaines questions de droit inter- national telles que celles qui ont trait à la définition d’une attaque armée 2 ou à (*) Patrick JACOB, maître de conférences à l’Université Paris XI. 1. Voy. toutefois E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identification », RGDIP, 2004, pp. 305-346 ; G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », cet Annuaire, 2005, pp. 464-486. 2. Les États-Unis envisagent ainsi la possibilité de répondre par des moyens militaires à une cyber- attaque au titre de la légitime défense. Voy. États-Unis, Présidence, International strategy for cyberspace, mai 2011, pp. 13 s. : « When warranted, the United States will respond to hostile acts in cyberspace as we would to any other threat to our country. All states possess an inherent right to self-defense, and we reco- gnize that certain hostile acts conducted through cyberspace could compel actions under the commitments we have with our military treaty partners. We reserve the right to use all necessary means – diplomatic, informational, military, and economic – as appropriate and consistent with applicable international law, in order to defend our Nation, our allies, our partners, and our interests » (accessible depuis <www.white- house.gov>). Deux difficultés particulières se posent à cet égard, tenant à l’intensité de cette attaque et à CNRS ÉDITIONS • Tirés à part • CNRS ÉDITIONS • Tirés à part • CNRS ÉDITIONS • Tirés à part

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONALLVI – 2010 – CNRS Éditions, Paris

LA GOUVERNANCE DE L’INTERNETDU POINT DE VUE

DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

PATRICK JACOB

Résumé : La présente contribution cherche à déterminer si et dans quelle mesure la gouvernance de l’Internet mobilise et affecte le droit international public, et plus spécifi quement ses sources et organisation institutionnelle. Du rapport dialectique qui est à l’œuvre en la matière sont nés des institutions et modes de régulation hybrides. La gouvernance de l’Internet est ainsi partagée entre des institutions d’essence intergouvernementale admettant la participation d’entités non étatiques et des personnes privées qui acceptent de faire une place aux Etats. Mais cette évolution n’a sans doute pas atteint son point d’équilibre.

Abstract: This contributions seeks to ascertain whether and to what extent the governance of the Internet mobilizes and affects public international law and more specifi cally its sources and its institutional organization. The dialectical relationship at work in this subject area has given rise to hybrid institutions and modes of regulation. The governance of the Internet is thus shared between institutions of an intergovernmental kind accepting the involvement of non-state entities and private persons that accept to make room for states. But this development has probably not reached its balancing point.

La gouvernance de l’Internet fait depuis désormais près de vingt ans l’objet d’importants débats, dont la doctrine francophone de droit international public s’est peu fait l’écho 1. Cinq ans après le terme du Sommet mondial pour la société de l’information (SMSI), un point sur l’évolution de cette gouvernance apparaît pourtant nécessaire car elle éprouve certaines institutions bien établies du droit international public.

Les défi s posés au droit international par l’Internet sont nombreux. Ils doivent être distingués. L’Internet apparaît en effet tout à la fois comme un nouveau moyen de communication, dont l’usage peut renouveler certaines questions de droit inter-national telles que celles qui ont trait à la défi nition d’une attaque armée 2 ou à

(*) Patrick JACOB, maître de conférences à l’Université Paris XI.1. Voy. toutefois E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai

d’identifi cation », RGDIP, 2004, pp. 305-346 ; G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », cet Annuaire, 2005, pp. 464-486.

2. Les États-Unis envisagent ainsi la possibilité de répondre par des moyens militaires à une cyber-attaque au titre de la légitime défense. Voy. États-Unis, Présidence, International strategy for cyberspace, mai 2011, pp. 13 s. : « When warranted, the United States will respond to hostile acts in cyberspace as we would to any other threat to our country. All states possess an inherent right to self-defense, and we reco-gnize that certain hostile acts conducted through cyberspace could compel actions under the commitments we have with our military treaty partners. We reserve the right to use all necessary means – diplomatic, informational, military, and economic – as appropriate and consistent with applicable international law, in order to defend our Nation, our allies, our partners, and our interests » (accessible depuis <www.white-house.gov>). Deux diffi cultés particulières se posent à cet égard, tenant à l’intensité de cette attaque et à

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l’identifi cation d’une violation du droit international des droits de l’homme 3, et comme un nouvel objet à réglementer. C’est sur ce second point que se concentre la présente contribution en cherchant à déterminer si et dans quelle mesure la gouvernance de l’Internet mobilise et affecte le droit international public, et plus spécifi quement ses sources et organisation institutionnelle 4.

La gouvernance de l’Internet inclut de nombreuses questions. Le terme gouver-nance est parfois opposé à celui de gouvernement pour désigner des modes alterna-tifs d’organisation, faisant la part belle à l’expertise, au droit mou et à la régulation 5. La gouvernance, le plus souvent qualifi ée de globale, permettrait ainsi d’assurer la fonction gouvernementale sans recourir à l’institution gouvernementale 6. Mais le terme se veut ici aussi neutre et englobant que possible. Il s’agit de désigner, pour reprendre les termes retenus lors du sommet mondial, « l’élaboration et l’application par les États, le secteur privé et la société civile, dans le cadre de leurs rôles respec-tifs, de principes, normes, règles, procédures de prise de décisions et programmes communs propres à modeler l’évolution et l’utilisation de l’Internet » 7. Ainsi défi nie, la gouvernance de l’Internet inclut aussi bien les questions techniques relatives à l’infrastructure et à la gestion des ressources Internet que celles concernant la détermination des politiques publiques liées à l’Internet 8.

Si cette gouvernance pose des diffi cultés particulières, c’est d’abord en raison des caractéristiques propres à ce moyen de communication, au premier rang desquelles l’immédiateté et l’ubiquité 9. Mais c’est aussi en raison de son évolution. Aujourd’hui considérée comme une « ressource publique mondiale » 10, l’Internet n’était à l’origine qu’un réseau de recherche universitaire américain. Il était alors doublement à la périphérie du droit international : d’une part, il s’était développé essentiellement sur le territoire des États-Unis, qui pouvaient alors invoquer un titre territorial pour en connaître, d’autre part il entendait fonctionner en marge des gouvernements, quels qu’ils soient 11.

Ces caractéristiques ont durablement imprimé la gouvernance de l’Internet, souvent perçu comme « une activité spatialement incoercible » dont la régulation devrait être abandonnée à l’initiative privée et nécessairement décentralisée 12. Pourtant, « les activités qui prolifèrent à travers lui et leurs supports électroniques

la possibilité de l’imputer à un État tiers. Sur ce point, voy. J. C. WOLTAG, « Cyber warfare », Max Planck encyclopedia of public international law, 2010.

3. P. AUVRET, « Internet dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Commu-nication et commerce électronique, 2010, étude 23.

4. Pour une étude plus large des questions de droit international posées par l’Internet, voy. R. UERP-MANN-WITTZACK, « Principles of International Internet Law », German International Law Journal, 2010, pp. 1245-1263, sp. p. 1262.

5. Voy., de manière générale, P. MOREAU-DEFARGES, La gouvernance, Paris, PUF, 2003 ; L. BOISSON DE CHAZOURNES, « Gouvernance et régulation au 21e siècle : quelques propos iconoclastes », in L. BOISSON DE CHAZOURNES / R. MEHDI (dir.), Une société internationale en mutation : quels acteurs pour une nouvelle gouvernance ?, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 19-40.

6. S. CASSESE, Au-delà de l’État, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 84.7. Agenda de Tunis, point 34. Cette défi nition avait été proposée dans le rapport du groupe de travail

sur la gouvernance de l’Internet, doc. WSIS-II/PC-3/DOC/5-F, 1er août 2005, point 10.8. Voy. G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit.,

pp. 479-480.9. M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, Paris, Seuil, 2004,

pp. 331 s.10. Déclaration de principes de Tunis, point 48.11. Voy. notamment la « Déclaration d’indépendance du cyberespace » émise par John Perry Barlow

le 9 février 1996 (accessible depuis <http://projects.eff.org>).12. Voy. D. JOHNSON / D. POST, « Law and Borders: the Rise of Law in the Cyberspace », Stanford Law

Review, 1996, pp. 1367-1402. L’expression « activité spatialement incoercible » était utilisée par R. Quadri dans son cours à l’Académie du droit international pour décrire notamment la radiotélégraphie (« Le droit international cosmique », RCADI, 1959, vol. 98, pp. 505-599, sp. p. 564).

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n’échappent au pouvoir de contrôle de l’État que pour autant que celui-ci le veuille » 13. Les tentatives de reprise en main du réseau par les États, sur les plans technique comme juridique, ont alors pu laisser penser que, tous comptes faits, la gouvernance de l’Internet demeurait une affaire d’États 14. De cette évolution, qui n’a sans doute pas atteint son point d’équilibre, sont nées des institutions hybrides. Les travaux de l’ONU ont ainsi conduit à l’apparition d’institutions d’essence inter-gouvernementale auxquelles le secteur privé est étroitement associé (I). S’ils n’ont pas remis en cause le rôle de ce secteur privé dans la gouvernance de l’Internet, ils l’ont conduit à associer les États à ses activités (II).

LES TRAVAUX DE L’ONU SUR LA GOUVERNANCE DE L’INTERNET : I. – UNE TENTATIVE DE MULTILATÉRALISATION

La gouvernance de l’Internet se caractérise d’abord, à l’instar de la protection de l’environnement, par le développement d’une « nébuleuse institutionnelle au plan mondial » 15. Non seulement de nombreuses organisations internationales ou institutions spécialisées des Nations Unies s’y intéressent à un titre ou à un autre 16, mais une institution spécifi que, le Forum pour la gouvernance de l’Internet (FGI), est née de la volonté exprimée lors du sommet mondial d’une approche globale de ces questions. Ces travaux de l’ONU se caractérisent par une approche multipartite (A), dont l’originalité est contrebalancée par un recours important à une normativité assourdie (B).

Une approche multipartiteA.

La volonté de multilatéraliser la gouvernance de l’Internet s’est d’abord mani-festée lors du SMSI 17. Réuni à l’initiative et sous l’égide de l’Union internationale des télécommunications 18 relayée par l’Assemblée générale des Nations Unies 19, le sommet a en effet constitué en lui-même une tentative pour les États de reprendre pied dans un domaine jusqu’alors largement abandonné à un secteur privé sous infl uence américaine. Il le fut d’autant plus, qu’initialement destiné à « examiner l’ensemble des questions pertinentes que soulève l’avènement de la société de l’infor mation » 20, il s’est mué en sommet sur la gouvernance de l’Internet 21.

13. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi ca-tion », op. cit., p. 306.

14. J. GOLDSMITH / T. WU, Who Controls the Internet ? Illusions of a Borderless World, Oxford, OUP, 2006.

15. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 2009, p. 1421. L’expression est utilisée concernant le droit de l’en vi ron nement.

16. On citera notamment l’Union internationale des télécommunications ou l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle. Pour un recensement de l’ensemble des acteurs impliqués, voy. J. MATHIASON / M. L. MUELLER / M. HOLITSCHER / L. W. MCNIGHT, « Internet Governance : the State of Play », The Internet Governance Project, 2004, 35 p. (accessible depuis <www.Internetgovernance.org>).

17. Sur ce sommet, voy. notamment G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit.

18. L’initiative remonte à la résolution 73 de la conférence des plénipotentiaires de Minneapolis (1998). Elle a été confi rmée par une résolution 1179 du conseil de l’UIT adoptée lors de la session de 2001.

19. AGNU, résolution 56/183, 21 décembre 2001.20. Ibid.21. G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit., pp. 475 s.

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Le recours à la formule du sommet constitue une modalité de plus en plus répandue de la diplomatie internationale 22. Ces sommets fonctionnent le plus souvent selon des modalités analogues, mais la place laissée aux entités non-étatiques en leur sein peut varier. À cet égard, le SMSI s’est caractérisé par la volonté tôt affi rmée de développer une approche non seulement multilatérale mais multipartite. En effet, quand bien même les sommets des Nations Unies sont des processus avant tout intergouvernementaux, l’Assemblée générale a « encourag[é] la contribution effective et la participation active de tous les organes compétents des Nations Unies [et des] autres organisations intergouvernementales, notamment les institutions internationales et régionales » avant d’inviter « les organisations non gouvernementales, la société civile et le secteur privé à contribuer et à parti-ciper activement au processus intergouvernemental préparatoire du Sommet et au Sommet proprement dit » 23. Cette volonté a été relayée au sein des comités prépara-toires du SMSI puis lors du sommet lui-même, dont le règlement intérieur a accordé aux entités non étatiques un statut d’observateur, qui leur a permis de participer aux travaux par des contributions écrites et des interventions en séance 24.

Cette approche multipartite a été confi rmée, d’abord par la déclaration de principes adoptée lors de la phase de Genève qui, après avoir qualifi é l’Internet de « ressource publique mondiale », a affi rmé que sa « gestion internationale […] devrait s’exercer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des États, du secteur privé, de la société civile et des organi-sations internationales » 25, ensuite par la mise en place d’un Forum sur la gouver-nance de l’Internet. Ce forum devait répondre à la nécessité de coordonner les activités des différentes entités impliquées. C’est ainsi, après avoir reconnu le rôle de chacun dans ce domaine, que le Groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet a constaté « que les structures existantes présentaient une lacune, dans la mesure où il n’existait pas de forum mondial où toutes les parties prenantes puissent débattre des questions de politique générale relatives à l’Internet » pour conclure « qu’il serait bon d’ouvrir un espace propice à un tel dialogue. On pourrait y aborder les questions multisectorielles et pluridimensionnelles, ainsi que les ques-tions nouvelles qui, soit touchent plus d’une institution, soit ne relèvent d’aucune institution, soit ne sont pas abordées de manière coordonnée » 26. Ce forum a donc pour objet principal de « traiter les questions de politique publique relatives aux

22. Au point que le Secrétaire général des Nations Unies a pu craindre un « mal des sommets » (Renforcer l’ONU. Un programme pour aller plus loin dans le changement, doc. A/57/387, 9 septembre 2002, § 28). C’est en particulier le cas dans le domaine de l’environnement, avec la Conférence de Rio de 1992 (dite également Sommet pour la terre) suivie du Sommet pour le développement durable réuni à Johannesburg en 2002. Sur ce point, voy. S. MALJEAN-DUBOIS, « Environnement, développement durable et droit international. De Rio à Johannesburg : et au-delà ? », cet Annuaire, 2002, pp. 592-623.

23. AGNU, résolution 56/183, 21 décembre 2001, § 5.24. Règlement intérieur du SMSI, 28 novembre 2003, doc. WSIS-03/GENEVA/DOC/2-F, articles 51

à 57. Ce sont ainsi 11 000 personnes qui se sont réunies à Genève puis plus de 19 000 à Tunis, représentant l’ensemble des parties prenantes dans la gouvernance de l’Internet. Les acteurs non étatiques ont occupé une place analogue lors de la phase préparatoire du sommet, son règlement ayant été calqué sur celui des comités préparatoires (voy. M. ROISSARD DE BELLET, « Les acteurs non étatiques et le processus préparatoire du Sommet mondial sur la société de l’information », in L. BOISSON DE CHAZOURNES / R. MEHDI (dir.), Une société internationale en mutation : quels acteurs pour une nouvelle gouvernance ?, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 105-119). L’approche multipartite s’est également retrouvée dans les groupes de travail mis en place suite à la première phase du sommet, dont le groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet. Celui-ci fut composé de 40 personnes, agissant en tant qu’experts et non comme représentants, désignés par le Secrétaire général des Nations Unies et émanant de structures étatiques, du secteur privé et de la société civile (voy. M. L. MUELLER, Networks and States. The Global Politics of Internet Governance, Cambridge, MIT, 2010, pp. 66-67).

25. Déclaration de principes de Genève, point 48.26. Rapport du groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet, op. cit., point 40.

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principaux éléments de la gouvernance de l’Internet » 27. Pour ce faire, les parti-cipants au SMSI ont souhaité poursuivre l’approche alors retenue en considérant que le forum devait réunir les représentants des gouvernements et des organisa-tions internationales mais aussi du secteur privé et de la société civile sous l’égide du Secrétaire général des Nations Unies 28. Bien que la séparation des parties prenantes en trois bureaux distincts ait un temps été envisagée 29, le Secrétaire général a relayé la volonté d’une approche multipartite en mettant en place un groupe consultatif multipartite unifi é (multistakeholder advisory group ou MAG), qui exerce les fonctions de bureau du forum 30. Si les modalités de nomination au sein du MAG sont parfois obscures, sa composition entend refl éter l’ensemble des entités intéressées 31. Cette composition mixte a ainsi pu se retrouver lors de chacune des cinq réunions du forum organisées jusqu’ici, au cours desquelles les représentants de l’ensemble des parties prenantes ont pu échanger lors de séances principales, d’ateliers ou de tables rondes 32.

Bien que l’approche multipartite retenue soit souvent présentée comme une originalité des travaux de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet, au point que certains y voient un principe du droit international de l’Internet 33, la participa-tion des entités non étatiques aux négociations internationales, et spécialement aux sommets des Nations Unies 34, se développe au-delà de ce domaine 35. Cette approche est certes renforcée puisque les représentants du secteur privé et de la société civile ne sont pas seulement tenus informés des débats mais y participent sur un pied d’égalité avec les États et les organisations internationales, notamment dans le cadre du FGI, décrit par le Secrétariat général des Nations Unies comme une « structure multipartite unique » 36. Plusieurs bémols doivent toutefois être

27. Agenda de Tunis, point 72.28. Ibid., point 73.29. Voy. G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit.,

p. 481.30. ONU, « Le Secrétaire général nomme un groupe consultatif pour l’organisation d’un Forum sur

la gouvernance de l’Internet », communiqué de presse, 17 mai 2006, doc. SG/A/1006 PI/1717.31. Le MAG comprend actuellement 56 membres, renouvelables par tiers chaque année. La société

civile conteste toutefois, et le nombre de ses représentants au sein du MAG, et leur mode de nomination. Sur ce point, v. J.-L. FULLSACK, « La diffi cile gestation du Forum européen sur la gouvernance de l’Internet », AFRI, 2009, pp. 1081-1095, sp. p. 1086 ; M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., pp. 115-116.

32. Les cinq premières réunions se sont déroulées à Athènes, Rio de Janeiro, Hyderabad, Charm-el-Cheikh et à Vilnius. Elles ont réuni chacune de 1 000 à 2 000 participants. Pour un bilan, voy. SGNU, Note sur la poursuite des activités du FGI, doc. A/65/78–E/2010/68, 7 mai 2010.

33. R. UERPMANN-WITTZACK, « Principles of International Internet Law », op. cit., p. 1262.34. Si les acteurs non étatiques avaient dû se contenter d’une conférence parallèle à la conférence

intergouvernementale lors du Sommet pour la Terre de Rio (voy. A. Ch. KISS / S. DOUMBÉ-BILLÉ, « La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement », cet Annuaire, 1992, pp. 823-843, sp. pp. 830-831), ils bénéfi cient désormais régulièrement du statut d’observateur au sein de tels sommets (voy. par exemple le règlement intérieur du Sommet mondial pour le développement durable de Johan-nesburg, 16 juillet 2002, doc. A/CONF.199/2, articles 60 à 66). La présence de représentants du secteur privé est certes plus rare, mais elle n’est pas non plus inédite (voy. le règlement intérieur de la Conférence internationale sur le fi nancement du développement de Monterrey, 27 février 2002, doc. A/CONF.198/2, article 65).

35. Voy., entre autres, M. BETTATI, « La contribution des organisations non gouvernementales à la formation et à l’application des normes internationales », in M. BETTATI / P.-M. DUPUY (dir.), Les ONG et le droit international, Paris, Economica, 1986, pp. 1-21 ; S. SZUREK, « La société civile internationale et l’élaboration du droit international », in H. GHERARI / S. SZUREK (dir.), L’émergence de la société civile internationale. Vers la privatisation du droit international ?, Paris, Pedone, 2003, pp. 49-75 ; R. MEHDI, « Mutations de la société internationale et adaptations institutionnelles : le grand défi », in L. BOISSON DE CHAZOURNES / R. MEHDI, Une société internationale en mutation : quels acteurs pour une nouvelle gouvernance ?, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 7-18.

36. La note du SGNU ajoute que « l’idée maîtresse qui caractérise le Forum est l’égalité des acteurs qu’il met en présence » (Note sur la poursuite des activités du FGI, op. cit., §§ 5 et 35). À titre comparatif, la place accordée aux acteurs non étatiques dans le cadre du FGI semble, en fait sinon en droit, plus favo-

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apportés. D’une part, le processus est atypique. L’approche multipartite retenue au sein du SMSI puis du FGI est en effet le fruit d’un compromis entre les thuri-féraires d’un Internet géré uniquement par le secteur privé et les défenseurs de sa régulation par les États. Tandis que les premiers ont vu dans ce processus un sursis permettant d’éviter le développement en la matière d’un interétatisme classique, les seconds l’ont perçu comme un moyen de faire vivre la question de la gouvernance de l’Internet au niveau interétatique 37. Il n’est dès lors pas certain que ce modèle puisse être transposé dans d’autres domaines. D’autre part, le rôle des entités non étatiques demeure limité. Ici pas davantage qu’ailleurs elles ne se sont muées en co-législateurs. En effet, si ces entités ont pu participer aux débats, soit elles n’ont pas disposé du droit de vote lorsque l’adoption de textes fut envi-sagée 38, soit ces discussions n’avaient pas de vocation normative. Les travaux de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet se caractérisent en effet par un recours important à la soft law.

Une normativité très assourdieB.

L’approche multipartite est souvent présentée comme une originalité et une force des travaux de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet. Elle doit toutefois être relativisée compte tenu du recours en ce domaine à une normativité pour le moins assourdie 39.

Ainsi, le SMSI n’aspirait pas et n’a pas abouti à l’adoption d’un traité, pas même à celle d’une convention-cadre 40, mais à celle d’un ensemble de textes – déclaration de principes et plan d’action de Genève, engagement et agenda de Tunis – dépourvus de force contraignante. Le sommet s’est à ce titre inscrit dans la lignée des grandes conférences des Nations Unies qui privilégient le plus souvent les déclarations de principes et autres plans d’action et n’aboutissent que rarement à l’adoption d’instruments conventionnels 41. Ces déclarations politiques ne sont pas pour autant dépourvues de valeur normative. En l’espèce, le negotium est certes aussi souple que l’instrumentum. Mais, adoptées à l’unanimité des États participants au terme d’âpres négociations 42 avant d’être approuvées par l’Assem-blée générale des Nations Unies 43, ces dispositions générales et essentiellement

rable que celle qui leur est laissée dans le cadre distinct des négociations sur les changements climatiques. Sur ce point, voy. A. PANOSSIAN / C. COLETTE, « A propos de la 15e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques et l’accord de Copenhague », RGDIP, 2010, pp. 129-146 et le dossier, critique, réalisé par l’équipe de Sentinelle, accessible depuis le site de la SFDI (<www.sfdi.org>).

37. M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., pp. 108-110.38. Règlement intérieur du SMSI, article 51.39. Selon l’expression de G. ABI-SAAB, « Éloge du ‘droit assourdi’. Quelques réfl exions sur le rôle de

la soft-law en droit international contemporain », in Nouveaux itinéraires en droit. Hommage à F. Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 59-68.

40. Dont l’usage est particulièrement répandu en droit international de l’environnement. Voy. A.-Ch. KISS, « Les traités-cadres : une technique caractéristique du droit international de l’environnement », cet Annuaire, 1993, pp. 792-797, qui décrit le traité-cadre comme « un instrument conventionnel qui énonce les principes devant servir de fondement à la coopération entre les États parties dans un domaine déterminé, tout en leur laissant le soin de défi nir, par des accords séparés, les modalités et les détails de la coopération, en prévoyant, s’il y a lieu, une ou des institutions adéquates à cet effet » (ibid., p. 793).

41. À l’exception notable du Sommet de Rio pour la Terre, qui a donné lieu à l’adoption non seule-ment d’une « Déclaration de principes » et d’un « Agenda 21 », mais encore d’une convention-cadre sur les changements climatiques et d’une convention sur la biodiversité. Sur ce point, voy. S. MALJEAN-DUBOIS, « Environnement, développement durable et droit international. De Rio à Johannesburg : et au-delà ? », cet Annuaire, 2002, pp. 592-623, sp. p. 599.

42. Voy. G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit., passim.

43. Résolutions 59/220, 11 février 2005 et 60/252, 27 mars 2006.

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programmatoires sont assorties de mécanismes destinés à en suivre la mise en œuvre par grandes orientations 44 et constituent désormais des références obligées des discussions portant sur la gouvernance de l’Internet 45. Les textes adoptés lors du SMSI ne sont donc pas dépourvus de portée normative.

On ne peut en dire autant des travaux du forum. Si son mandat est large, lui permettant de chapeauter la gouvernance de l’Internet en abordant toutes les questions qui y sont liées, ses objectifs et les résultats qu’il a atteints demeurent jusqu’ici limités. Sa mise en place marque la volonté de poursuivre les discussions que le SMSI n’a pas été en mesure de solder. Mais il est totalement dépourvu d’ambition normative. Fruit d’un compromis, le FGI était en effet présenté comme « un mécanisme neutre, ne faisant pas double emploi et non contraignant » 46. Les cinq réunions du forum organisées jusqu’ici ont certes réuni un grand nombre d’intervenants qui ont participé à des débats portant sur des thèmes aussi divers que l’Internet pour le développement, la cybersécurité, la propriété intellectuelle, la neutralité du net ou la gestion des ressources Internet essentielles 47. Mais, non seulement elles n’ont conduit à l’adoption d’aucun texte contraignant, mais n’en ont pas même proposé l’adoption aux États, pas davantage qu’elles ne se sont conclues par des résolutions ou des déclarations de principes, ni même des communiqués 48. Le rôle du FGI semble donc, pour l’essentiel, se cantonner à celui d’un groupe de discussion, permettant certes de mettre en lumière certaines diffi cultés liées à la gouvernance de l’Internet et de confronter les points de vue sur ces questions, mais sans proposer de solutions. Malgré ces limites, le FGI a été prorogé pour une nouvelle période de cinq ans par l’Assemblée générale des Nations Unies 49. Mais des propositions sont faites tendant, sinon à lui conférer un rôle normatif, du moins à ce qu’il formule des avis ou recommandations sur les problèmes qu’il soulève 50.

L’apport des travaux de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet n’est pas négli-geable. Ils ont d’abord permis aux États d’affi rmer leur rôle dans un domaine jusque-là abandonné à un secteur privé sous infl uence américaine 51. Ils ont ensuite conduit à une approche holiste des questions, là où les initiatives étaient jusqu’alors fragmentées et portées par des institutions ne représentant qu’une partie des inté-rêts en cause 52. Sans doute la souplesse des mécanismes retenus présente-t-elle également des avantages. Elle peut, d’abord, favoriser, dans une matière nouvelle et controversée, l’émergence progressive de consensus, jusqu’à ce que la cristallisation

44. Parallèlement au Forum sur la gouvernance de l’Internet, un mécanisme de suivi de la mise en œuvre du SMSI par grandes orientations a été mis en place en vertu de l’agenda de Tunis (articles 83 s.). Le suivi de la mise en œuvre de chaque grande orientation énoncée dans le plan d’action de Genève est coordonné par l’UIT, l’UNESCO ou le PNUD. Dans ce cadre, un forum SMSI, distinct du FGI, est réuni annuellement (voy. SGNU, Rapport sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre et le suivi des résultats du SMSI aux niveaux régional et international, doc. E/2010/12, 18 mars 2010, pp. 16 s.).

45. En ce sens, M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., pp. 59-60.46. Agenda de Tunis, point 77.47. J.-L. FULLSACK, « La diffi cile gestation du Forum européen sur la gouvernance de l’Internet »,

AFRI, 2009, pp. 1081-1095 ; M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., pp. 117-120. Voy. aussi, SGNU, Note sur la poursuite des activités du FGI, op. cit.

48. Chaque réunion du forum se conclut tout de même par la transmission d’un résumé des débats par le président du FGI au SGNU. Voy. par exemple le résumé du président sur la cinquième réunion du FGI (Vilnius, 14-17 septembre 2010), doc. A/C.2/65/2, 28 octobre 2010.

49. Résolution 65/141, 20 décembre 2010.50. Voy. SGNU, Poursuite des activités du Forum sur la gouvernance d’Internet, op. cit., §§ 30-35. Voy.

aussi CNUCED, Commission de la science et de la technique au service du développement, Résumé de la deuxième réunion du groupe de travail sur les améliorations du FGI, 24-25 mars 2011, §§ 3-4, ainsi que le document de travail proposé par le président du groupe mais non adopté fi gurant en annexe (accessible depuis le site de la CNUCED <http://www.unctad.org>).

51. En ce sens, M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., pp. 55 s.52. Ibid., p. 79.

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d’un droit dur soit envisageable, par voie conventionnelle ou coutumière 53. Cette souplesse peut, ensuite, permettre des adaptations rapides dans un domaine particulièrement mouvant et hautement technique 54. Elle peut, enfi n, constituer un moyen de contourner les diffi cultés liées à l’opposabilité des rares normes et principes adoptés, dont la mise en œuvre n’incombe pas seulement, et pas prin-cipalement, aux États mais au secteur privé. Mais il se peut également que cette souplesse soit « pathologique » 55, mettant en lumière l’incapacité normative des États en la matière.

L’équilibre paraît encore instable. D’un côté, certains participants au FGI, soucieux de laisser les États à la lisière de la gouvernance de l’Internet, sont hostiles au renforcement de sa structure ou de son ambition normative 56. De l’autre, sa faiblesse pourrait le conduire à être débordé par des initiatives tendant soit à discuter les questions qui relèvent de son mandat au sein de cercles plus restreints, tels que le e-G8 convoqué à l’initiative de la présidence française du G8 en mai 2011 57, soit à la prise en main de ces questions par une organisation intergouvernementale classique chargée d’exercer un contrôle diffus sur le secteur privé 58. Car, pour l’heure, si le SMSI puis le FGI ont constitué des tentatives pour les États de reprendre pied dans la gouvernance de l’Internet, ces initiatives ont surtout confi rmé, en ne le remettant pas en cause, le rôle du secteur privé en ce domaine.

53. Il est encore trop tôt pour mesurer cet impact. Voy. toutefois G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit., p. 486, qui constate que le recours à la sof law s’explique par le fait que la matière n’est pas suffi samment mûre pour donner lieu à l’adoption d’un traité multi-latéral. Pour une description du glissement d’un droit mou vers un droit dur dans le domaine du droit de l’environnement voy. S. MALJEAN-DUBOIS, « La ‘fabrication’ du droit international au défi de la protection de l’environnement », in SFDI, Le droit international face aux enjeux environnementaux, Paris, Pedone, 2010, pp. 9-38, sp. p. 31.

54. Voy. l’intervention de N. Desaï lors de la session de clôture du FGI de Vilnius en 2010 : « Normally the UN process agendas tend to become frigid […]. When we are talking about the Internet, which changes so rapidly, would we have the nimbleness to change with changing issues ? I believe we have. We talked this year about cloud computing, last year about social networking. And these were issues which were not even on the horizon when we met fi rst fi ve years ago in Athens. And yet we had the fl exibility to be able to respond to these changing conditions in which the Internet operated » (compte rendu du FGI de Vilnius, « Session de clôture », 17 septembre 2010, accessible depuis le site du forum <www.intgovforum.org>). Cet élément est également régulièrement avancé pour expliquer le recours important à la soft law en droit international économique, même si l’explication de ce phénomène ne peut être univoque (voy. P. DAILLIER, « Soft law », in P. DAILLIER / G. DE LA PRADELLE / H. GHÉRARI (dir.), Droit de l’économie internationale, Paris, Pedone, 2004, pp. 123-130, sp. p. 128).

55. P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international ? », RGDIP, 1982, pp. 5-47, sp. p. 11.

56. Voy. M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., sp. pp. 110-111 et 122-125, qui oppose les « forum doves », au rang desquelles des États comme les États-Unis et, dans une moindre mesure, les membres de l’Union européenne, aux « forum hawks », dont le Brésil, la Chine et la Russie. Ces désaccords ont empêché le groupe de travail sur les améliorations à apporter au FGI de la Commission de la science et de la technique au service du développement d’adopter un rapport. Le groupe a toutefois été prorogé pour un an (voy. CNUCED, Résumé de la deuxième réunion du groupe de travail sur les améliorations du FGI, op. cit.).

57. Et qui a abouti à l’insertion, au sein de la déclaration fi nale du sommet de Deauville du G8 « Un nouvel élan pour la liberté et la démocratie », d’un chapitre consacré à l’Internet.

58. L’Union internationale des télécommunications pourrait être celle-là.

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LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LA GOUVERNANCE II. – DE L’INTERNET : UNE DÉLÉGATION

DE SERVICE PUBLIC INTERNATIONAL ?

N’ayant pas été remis en cause, le rôle du secteur privé dans l’organisation de l’architecture du réseau et la gestion des ressources Internet est sorti renforcé du SMSI. Cette gouvernance « technique » inclut les questions relatives aux standards Internet, aux adresses IP et aux noms de domaine 59. Elle est prise en charge par diverses personnes privées 60. Celle qui cristallise les tensions est toutefois l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), spécialement en raison du rôle qu’elle assume dans la gestion des noms de domaine, dont les implications sont loin d’être uniquement techniques. Celui qui gère le système des noms de domaine (DNS) dispose en effet d’importants pouvoirs, d’une part parce qu’il peut décider la création ou la suppression d’un nom de domaine de premier niveau, qu’il soit générique (gTLD) ou de pays (ccTLD), d’autre part parce qu’il peut déterminer les entités qui en assurent la gestion et, par ce biais, faire peser des obligations sur les fournisseurs de contenus 61. Ceci explique que le rôle et le statut de l’ICANN aient constitué les principaux sujets de controverses lors du SMSI puis dans le cadre du FGI. Depuis lors, les évolutions qui affectent la structure (A) et les pratiques (B) de cette société conduisent à se demander si elle peut être considérée comme délégataire d’une mission de service public international.

L’évolution de la structure de l’ICANNA.

D’un point de vue institutionnel, l’ICANN est une société de droit privé califor-nien à but non lucratif. Son principal organe décisionnel est le Conseil d’administra-tion (Board), qui se veut représentatif des opérateurs et utilisateurs de l’Internet 62. Autour de ce conseil gravite un ensemble d’organes, qu’il s’agisse d’organisations

59. Le rapport du groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet mentionnait ainsi les « questions relatives à l’infrastructure et à la gestion de ressources Internet critiques, notamment administration du système de noms de domaine et d’adresses numériques Internet (adresses IP), administration du système de serveurs racines, normes techniques, homologage et interconnexion, infrastructure de télécommunications (y compris technologies novatrices et convergentes) et passage au multilinguisme » (op. cit., point 13, a).

60. Outre l’ICANN, il est possible de citer en particulier l’Internet engineering task force (IETF) et l’Internet society (ISOC), qui assurent la standardisation technique nécessaire au bon fonctionnement de l’Internet, ainsi que des entités qui coopèrent avec l’ICANN, NSI/Verisign, qui est chargée des opérations sur le fi chier racine, et les registres Internet régionaux (RIR), qui attribuent aux fournisseurs d’accès les blocs d’adresses IP que l’ICANN leur alloue.

61. Le système des noms de domaine constitue l’un des centres névralgiques de l’Internet. Il permet de convertir en nom de domaine familier l’adresse IP d’un site Internet, composée de séries complexes de nombres. Afi n d’éviter qu’un même nom de domaine corresponde à plusieurs adresses IP, la gestion du système est centralisée. Les noms de domaine de premier niveau, qu’ils soient génériques (gTLD, du type .com, .org., .net) ou de pays (ccTLD, du type .fr, .uk), sont enregistrés au sein d’un serveur racine. La gestion de chacun de ces noms de domaine de premier niveau est confi ée à une autorité déléguée (registry, registre ; une société américaine, Verisign, gère ainsi le .com ; l’Association française pour le nommage internet en coopération [AFNIC] gère le .fr) qui, à son tour, peut créer des noms de domaine de deuxième niveau (.gouv.fr), édicter des règles d’attribution des noms de domaine pour l’extension dont ils ont la charge et attribuer ces noms de domaine ou en confi er l’attribution à une troisième entité qui peut alors les commercialiser (registrar, bureau d’enregistrement ou registraire).

62. Le Conseil d’administration comprend à l’heure actuelle 16 membres disposant d’une voix délibé-rative et 5 membres observateurs. Les membres disposant d’une voix délibérative sont désignés par trois types d’organes. Le premier regroupe les organisations de support censées représenter les groupes inté-ressés par le travail de l’ICANN (6 membres désignés par les organisations de support, voy. note suivante). Le deuxième est censé renforcer l’indépendance et la diversifi cation des administrateurs (8 membres désignés par le nominating committee qui comprend lui-même 16 membres disposant d’une voix délibéra-tive et 5 membres observateurs, désignés par l’ensemble des parties intéressées). Le troisième est censé

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de support 63 ou de comités consultatifs 64. Si elle se veut avant tout représentative de la « communauté de l’Internet », cette structure laisse une place aux États. De ce point de vue, les liens que l’ICANN entretient depuis sa création avec le gouvernement des États-Unis ont été contestés (1), ce qui a conduit à des évolutions institutionnelles (2).

La contestation de l’infl uence américaine1.

La création de l’ICANN avait certes été conçue comme une réponse aux cri tiques qui commençaient à émerger sur la maîtrise par les États-Unis du DNS 65. À défaut d’une internationalisation, le gouvernement américain avait en effet admis la privatisation du système 66. Mais il ne s’agissait que d’une privatisation de façade. Quelles que fussent les apparences, et bien que le gouvernement américain ait régulièrement affi rmé sa volonté d’aboutir à une privatisation totale, son infl uence sur le DNS demeurait forte. D’une part, il conservait un droit de veto sur toutes les modifi cations apportées au fi chier racine 67 ; d’autre part, les fonctions exercées par l’ICANN étaient tributaires de son bon vouloir dès lors qu’il avait affi rmé sa compétence sur le DNS, se contentant d’en déléguer la gestion à l’ICANN par un ensemble de contrats conclus pour une durée déterminée 68. Il conservait donc le

représenter les utilisateurs d’Internet (un membre désigné par le At-large advisory committee). Il faut y ajouter le président, désigné par le conseil d’administration en son sein.

63. Il existe trois organisations de support : l’Address Supporting Organization – composée des regis-tres Internet régionaux, la Country-Code Names Supporting Organization – composée des registres gérant les noms de domaine nationaux et la Generic Names Supporting Organization – composée des registres gérant les noms de domaine génériques.

64. Il existe quatre comités consultatifs : deux d’entre eux interviennent dans des domaines parti-culiers (le Security and stability advisory committee et le Root server system advisory committee), les deux autres représentent des catégories particulières de la communauté de l’Internet (l’At-large advisory committee, censé représenter les utilisateurs individuels, et le Governmental advisory committee, qui représente les gouvernements, voy. infra).

65. Cette maîtrise était liée aux conditions de création du système. Sa gestion fut initialement assurée directement par ceux qui l’avaient créé, au premier rang desquels J. Postel, avant d’être déléguée par le département de la défense américain à l’Internet assigned numbers authority (IANA), subdivision d’une université américaine dirigée par le même J. Postel. Sur ce point, voy. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi cation », op. cit., pp. 314 s.

66. Annoncée en juillet 1997, la privatisation du DNS fut réalisée après un large débat. Le départe-ment du commerce a demandé à la communauté de l’Internet de créer une entité à but non lucratif pour gérer le système des noms de domaine et les adresses IP (white paper du 5 juin 1998), l’ICANN a été incorporée le 26 octobre 1998 pour répondre à cet appel et a sollicité la délégation de ces fonctions, le DoC les lui a confi ées le 25 novembre 1998 (voy. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi cation », op. cit., pp. 314-318 ; A. M. FROOMKIN, « Almost Free: an Analysis of ICANN’s Affi rmation of Commitments », Journal on Telecommunications and High Technology Law, 2011, pp. 187-233).

67. Le fi chier racine mentionne les noms de domaine de premier niveau, rendant accessibles les sites qui les utilise aux utilisateurs qui s’y réfèrent, ainsi que les registres qui les contrôlent. La mise en œuvre des décisions affectant ce fi chier incombe à la société NSI/Verisign en application d’un contrat en vertu duquel le DoC lui confi e cette fonction tout en conservant un droit de veto puisqu’il prévoit que « while NSI continues to operate the primary root server, it shall request written direction from an authorized US government offi cial before making or rejecting any modifi cations, additions or deletions to the root zone fi le » (cooperative agreement n° NCR-9218742, Amendment 11, 7 octobre 1998). Sur ce point, voy. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi cation », op. cit., pp. 326-327. Il semble qu’à l’origine ce contrôle du gouvernement des États-Unis sur le gestionnaire technique du fi chier racine ait répondu à la volonté d’éviter que ce dernier puisse contrôler l’accès à un marché dont il était l’un des acteurs principaux.

68. Cet ensemble est constitué de trois accords : un Memorandum of understanding entre le DoC et l’ICANN conclu le 25 novembre 1998 puis prorogé avec quelques modifi cations jusqu’au 29 septembre 2006, date de son remplacement par un Joint project agreement, auquel s’est substitué une Affi rmation of commitments à compter du 30 septembre 2009 (voy. infra) ; un Cooperative research and development agreement (CRADA) ; un contrat relatif à la fonction IANA.

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pouvoir d’en reprendre le contrôle 69. Le système avait ainsi pour conséquence l’exercice par les États-Unis, par l’intermédiaire d’une entité privée qui restait sa « créature », d’une compétence extraterritoriale 70.

La tension autour de cette infl uence américaine sur l’ICANN s’est cristallisée lors du SMSI. Alors que certains, contestant davantage la place prépondérante des États-Unis que la présence des États dans ce système, se sont prononcés en faveur d’une internationalisation – comprendre interétatisation – accrue 71, d’autres voix, soucieuses de préserver l’Internet des pressions étatiques, ont appuyé sa privatisa-tion totale 72, tandis que les États-Unis, s’estimant les seuls à même de préserver l’Internet desdites pressions, ont défendu le statu quo 73. Pour autant, ni le rôle de l’ICANN ni son statut n’ont véritablement été remis en cause lors du SMSI. L’agenda de Tunis reconnaît ainsi que « les dispositions existantes pour la gouver-nance de l’Internet fonctionnent effi cacement et ont fait de l’Internet le moyen de communication extrêmement fi able, évolutif et géographiquement universel qu’il est aujourd’hui, stimulé par le secteur privé dans son fonctionnement au jour le jour et avec des limites sans cesse repoussées par l’innovation et la création de valeur » 74. Bien que l’ICANN ne soit pas expressément citée, ce passage peut être perçu comme une reconnaissance implicite de son rôle. En outre, l’évolution de son fonctionnement n’est pas directement envisagée. Mais des critiques implicites quant à l’infl uence des États-Unis sur cette société sont néanmoins formulées. Les participants ont ainsi considéré que « tous les gouvernements devraient jouer un rôle et avoir une responsabilité égale dans la gouvernance internationale de l’In-ternet ainsi que dans le maintien de la stabilité, de la sécurité et de la continuité de ce réseau » 75, annonçant une perpétuation des tensions et discussions quant au statut de l’ICANN 76.

69. D’autant que ces contrats comprenaient plusieurs mécanismes visant à éviter que l’ICANN fasse sécession en prévoyant que, le cas échéant, elle devrait, ainsi que ses cocontractants (les registres), recon-naître l’autorité du nouveau délégataire choisi par les États-Unis (voy. Memorandum of understanding, amendement n° 1, 4 novembre 1999).

70. En ce sens, E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi cation », op. cit., pp. 337 s. ; voy. aussi M. L. Mueller, qui estime qu’« ICANN was an expression of a unilateral globalism » (Networks and State, op. cit., p. 62).

71. Le degré de l’internationalisation envisagé était lui-même variable, certains défendant une prise en main de ces fonctions par une organisation internationale telle que l’UIT, d’autres proposant que l’ICANN soit remplacée par une nouvelle organisation internationale, d’autres encore suggérant qu’elle continue d’exercer ses fonctions mais sous le contrôle d’un organe intergouvernemental plutôt que sous celui du gouvernement des États-Unis. Voy. G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit., pp. 475-478.

72. Une déclaration du représentant du Brésil lors du FGI d’Hyderabad synthétise ces positions : « We should work with the solutions of having either no governments at all, like the case of IETF, World wide web consortium, Number resource organization, or we have all governments on board, like ITU or UNESCO. But, please, let’s also avoid models driven by one single government, like ICANN » (compte-rendu du FGI d’Hyderabad, « Arrangements for Internet governance, global and national/regional », 5 décembre 2008, accessible depuis le site du forum <www.intgovforum.org>).

73. Les États-Unis ont réaffi rmé leur position alors que le SMSI était en cours. Voy. Gouvernement des États-Unis, US Principles on the Internet’s Domain Name and Adressing System, 30 juin 2005 : « United States will […] maintain its historic role in authorizing changes or modifi cations to the authorative root zone fi le » ; voy. aussi la résolution du Congrès adoptée à l’unanimité le 16 novembre 2005, selon laquelle « the authorative root zone server should remain physically located in the United States and the Secretary of Commerce should maintain oversight of ICANN so that ICANN can continue to manage the day-to-day operation of the Internet’s domain name and addressing system well, remain responsive to all Internet stakeholders worldwide, and otherwise fulfi ll its core technical mission » (H. Con. Res. 268 [109th]).

74. Agenda de Tunis, point 55.75. Ibid., point 68.76. En ce sens G. LE FLOCH, « Le Sommet mondial de Tunis sur la société de l’information », op. cit.,

p. 480.

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554 LA GOUVERNANCE DE L’INTERNET

L’évolution de la place des États2.

Depuis lors, deux évolutions principales sont à signaler : les liens entre l’ICANN et les États-Unis se sont distendus (a), le rôle du Governemental advisory committee s’est accru (b).

Le desserrement des liens avec le gouvernement des États-Unisa)

Les liens de l’ICANN avec le gouvernement des États-Unis se sont distendus. En effet, le Memorandum of understanding (MoU) par lequel le Department of commerce (DoC) américain défi nissait les principales orientations que l’ICANN devait suivre dans l’administration du DNS et soumettait son activité à un méca-nisme de supervision périodique, a été remplacé le 30 septembre 2009 par une Affi rmation of commitments. Là où le MoU stipulait que la responsabilité de l’admi-nistration du DNS était partagée entre le département du commerce et l’ICANN 77, prévoyait qu’elle lui fasse régulièrement rapport sur la manière dont elle mettait en œuvre l’accord 78 et était conclu à temps, permettant au DoC de faire peser sur l’ICANN la menace d’une renégociation 79, l’Affi rmation of commitments postule l’indépendance de l’ICANN dans l’administration du DNS 80, substitue des méca-nismes de contrôle interne à la surveillance exercée par le DoC 81 et, surtout, est conclue pour une durée indéterminée, soumettant toute modifi cation ultérieure à l’accord des parties 82. Les États-Unis ont ainsi abandonné l’un des leviers qui leur permettaient de contrôler l’ICANN. Ce relâchement doit s’accompagner de la mise en place de nouveaux mécanismes de supervision. Quatre review teams – composées de membres ex offi cio, de représentants des organisations support et des autres comités consultatifs ainsi que d’experts indépendants désignés conjointement par le président du Governmental advisory committee et le directeur exécutif de l’ICANN – doivent ainsi examiner périodiquement les travaux de l’ICANN et rendre publics des rapports 83.

Pour le directeur exécutif de l’ICANN, cette revision « commits ICANN to remaining a private not for profi t organization (…) ; declares ICANN is independent and is not controlled by any one entity (…) ; commits ICANN to reviews performed by the community » 84. Elle a donc été largement saluée par ceux qui contestent le contrôle exercé par les États-Unis sur le DNS 85. Le tableau doit toutefois être nuancé. D’une part, les États-Unis n’ont pas délaissé l’ensemble de leurs moyens de pression sur l’ICANN : celle-ci s’est engagée à demeurer incorporée sur le terri-toire des États-Unis et, donc, à rester soumise au droit américain 86 ; le contrat lui confi ant la fonction IANA n’est pas affecté et doit être renégocié en 2011, une redé-légation restant juridiquement envisageable même si elle devient techniquement

77. Memorandum of understanding, article V, A, 1.78. Ibid., articles V, B, VII et VIII. À ce titre, l’ICANN a fourni plusieurs rapports au DoC, accessibles

depuis son site Internet (<www.icann.org/en/general/agreements.htm>).79. Ibid., article VII.80. Affi rmation of commitments, article IV et VIII : « ICANN is a private organization and nothing

in this Affi rmation should be construed as control by any one entity ».81. Ibid., article IX.82. Ibid., article XI.83. Ibid., article IX. Ces quatre équipes sont l’Accountability and transparency review team, la Secu-

rity, stability and resiliency review team, la Competition, consumer trust and consumer choice review team et la Whois review team.

84. Déclaration du 30 septembre 2009 accessible depuis le site de l’ICANN <www.icann.org>.85. Voy. A. M. FROOMKIN, « Almost free : an analysis of ICANN’s affi rmation of commitments »,

op. cit.86. Affi rmation of commitments, article VIII.

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et politiquement plus délicate 87 ; le DoC continue de disposer en dernier ressort du contrôle sur le fi chier racine, par l’intermédiaire du veto qu’il peut exercer sur NSI/Verisign. D’autre part, le relâchement du contrôle du gouvernement américain sur l’ICANN ne s’est pas accompagné du développement de mécanismes de contrôle externe alternatifs. En effet, les mécanismes envisagés demeurent pour l’essentiel internes, même si les rapports sont rendus publics 88. En outre, le Governmental advisory committee, même si son rôle s’est encore accru, ne constitue toujours pas un tel mécanisme.

Le développement du rôle du b) Governmental advisory committee

Parallèlement aux travaux de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet, le déve-loppement du rôle, au sein de l’ICANN, du Governmental advisory committee (GAC) constitue une autre tentative de reprise en main par les États de l’architecture du réseau. Mais la perspective est inversée : tandis que les travaux de l’ONU associent les entités non étatiques à un processus essentiellement intergouvernemental, ce sont ici les États qui sont associés à un processus essentiellement privé. Concession des États-Unis à leurs partenaires, le GAC fut initialement cantonné à un rôle essentiellement symbolique avant de voir ses fonctions se développer à compter de la réforme des statuts de l’ICANN du 15 décembre 2002. Composé de représen-tants des États, des économies autonomes et des organisations internationales intéressés, son rôle au sein de l’ICANN entend depuis lors traduire l’idée selon laquelle « governments and public authority are responsible for public policy » 89. Le GAC infl uence les travaux de l’ICANN de deux manières.

Il exerce d’abord une fonction consultative. Il fournit ainsi, à la demande du conseil d’administration ou de sa propre initiative, des avis sur tout projet susceptible d’affecter les politiques publiques 90. Ces avis prennent la forme de communiqués 91, de lettres 92 ou encore de principes généraux 93. Même si le conseil d’administration doit les prendre en compte, il ne s’agit toutefois pas d’avis conformes puisqu’en cas de désaccord, il peut s’en écarter en motivant spécialement sa décision après avoir tenté d’atteindre, par la conciliation, une solution mutuellement acceptable 94. L’examen de la pratique indique certes que l’infl uence du GAC au sein de l’ICANN n’est pas négligeable. C’est particulièrement le cas lorsque les noms de domaine nationaux sont en cause 95. Mais il ne dispose pas de droit de veto sur les activités

87. Le DoC a émis une request for comments sur ce point, à laquelle l’ICANN a répondu en demandant une privatisation totale du système. Voy. la lettre du 25 mars 2011, accessible depuis le site de l’ICANN <www.icann.org>.

88. Les membres des review teams sont en effet désignés par des membres de la communauté de l’ICANN. En ce sens, A. M. FROOMKIN, « Almost Free: an Analysis of ICANN’s Affi rmation of Commit-ments », op. cit., p. 223.

89. ICANN bylaws, article I, section 2, 11.90. « The GAC shall consider and provide advice on the activities of ICANN as they relate to the

concerns of governments, particularly matters where there may be an interaction between ICANN’s policies and various laws and international agreements or where they may affect public policy issues » (ICANN bylaws, article XI, section 2). Il peut en prendre l’initiative (article XI, section 2, i) ou être saisi par le conseil d’administration (article XI, section 2, h).

91. Jusqu’ici le GAC a adopté 38 communiqués, à l’issue de chacune de ses sessions réunies trois fois par an, parallèlement aux sessions du conseil d’administration. Ces communiqués abordent plusieurs questions.

92. Jusqu’ici le président du GAC a adressé 19 lettres au conseil d’administration. Ce procédé est utilisé pour intervenir entre les sessions.

93. Jusqu’ici le GAC a adopté quatre séries de principes : les GAC principles regarding gTLD Whois services ; les GAC principles regarding new gTLDs ; les Principles and guidelines for the delegation and administration of country code top level domains et les GAC operating principles.

94. ICANN bylaws, article 10, section 2, 1.95. Voy. infra.

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de l’ICANN 96. Il arrive ainsi que le conseil d’administration s’écarte des recom-mandations du GAC, notamment lorsqu’il prend position sur les noms de domaine génériques 97.

Cette fonction consultative n’est pas le seul moyen pour le GAC d’infl uencer les travaux de l’ICANN. La position qu’il occupe au sein des autres organes de la société lui permet également de peser sur ses activités. Il n’infl uence certes pas les organisations de support et ne bénéfi cie que d’un siège d’observateur au sein du conseil d’administration 98. Mais l’Affi rmation of commitments lui accorde un rôle majeur dans les nouveaux mécanismes de supervision qu’elle instaure. Non seulement le GAC dispose de sièges au sein de chacune des review teams, mais leur composition doit être agréée par son président 99. Le rôle du GAC est donc sorti renforcé de l’Affi rmation of commitments, celle-ci soulignant même explicitement « the important role of the GAC with respect to ICANN decision-making and execu-tion of tasks and of the effective consideration by ICANN of GAC input on the public policy aspects of the technical coordination of the Internet DNS » 100.

Pour autant, le GAC peine à s’imposer comme l’organe qui pourrait asseoir défi nitivement la légitimité de l’ICANN aux yeux de la communauté internatio-nale en se substituant au département du commerce américain pour assurer un contrôle externe de cette société. Non seulement il n’a qu’un rôle consultatif, mais sa composition 101, les domaines dans lesquels il intervient 102 et les procédures qu’il suit 103 restent mal défi nis, ce qui a conduit l’Accountability and transparency review team à considérer que « the current Board-GAC relationship is dysfunctional and has been so for several years » 104. En outre, en plaçant au mieux les États dans la situation de parties prenantes parmi d’autres dans la gouvernance de l’Internet, le GAC tend à les réduire à un groupe de pression, davantage soucieux des intérêts propres de ses membres que de ceux de la communauté 105.

Ceci étant, la gouvernance du DNS est en mouvement et les évolutions insti-tutionnelles qu’a connues l’ICANN se sont accompagnées, ou ont conduit, à une évolution de ses pratiques.

96. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi ca-tion », op. cit., p. 330.

97. Voy. infra.98. ICANN bylaws, article VI, section 9.99. Affi rmation of commitments, article IX.100. Ibid., article VI.101. Deux diffi cultés se posent de ce point de vue. D’abord, la question de ses membres : à l’origine,

seuls quelques États s’y étaient intéressés, aujourd’hui encore tous les États ne sont pas représentés en son sein (le GAC compte 109 membres), en outre les communiqués du GAC indiquent la présence d’à peine une quarantaine d’États lors de ses réunions, les GAC operating principles n’exigeant la présence que d’un tiers des membres pour qu’une décision puisse être adoptée (principe 40). Ensuite, celle des représentants qui y siègent : s’il doit bien s’agir d’individus dotés d’une fonction offi cielle au sein de l’État, il ne semble pas que leurs pouvoirs soient vérifi és ainsi qu’il est d’usage au sein des organisations et conférences internationales.

102. Il n’existe ainsi pas de liste des questions au sujet desquelles l’avis du GAC est obligatoire. Le conseil d’administration n’a expressément requis l’avis du GAC qu’à trois reprises. Cette lacune est toutefois compensée par le fait qu’il peut prendre l’initiative d’émettre un avis. Par ailleurs, la question du moment auquel l’avis du GAC doit être sollicité se pose.

103. Il semble que les lettres et principes soient adoptés par consensus par les membres du GAC, tandis que les communiqués peuvent refl éter les diverses positions qui se sont exprimés en son sein. Les GAC operating principles indiquent ainsi que « where consensus is not possible, the Chair shall convey the full range of views expressed by members to the ICANN board » (principe 47). Aucune de ces solutions n’est pleinement satisfaisante : l’exigence de consensus rend diffi cile l’adoption d’une position par le GAC, l’exposé de positions divergentes au sein d’un communiqué permet au conseil d’administration d’en jouer pour prendre sa décision.

104. ATRT, Final recommendations, 31 décembre 2010, § 37, accessible depuis <www.icann.org>.105. M. L. MUELLER, Networks and States, op. cit., p. 244, qui remarque que les principaux avis du

GAC portent sur la place des États dans la gestion des noms de domaine.

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L’évolution des pratiques de l’ICANNB.

Les tensions entre l’ICANN et les États ne sont pas rares. Elles concernent principalement la création et la délégation de noms de domaine de premier niveau. C’est le cas s’agissant des noms de domaine de premier niveau génériques (gTLD, du type .com), dont le développement est un des débats qui anime l’ICANN depuis sa création. Or, il arrive régulièrement que le conseil d’administration rechigne à tenir compte des avis du GAC sur ce point 106. L’opposition est particulièrement nette s’agissant de la création d’une extension en .xxx, dédiée aux sites à caractère pornographique. En effet, après que les États-Unis ont réussi à eux seuls à bloquer la création d’une telle extension, manifestant alors leur emprise sur l’ICANN, cette dernière a fi ni par en admettre la création, contre l’avis du GAC et donc au risque de faire perdre à l’ICANN le soutien des États qui y siègent 107. Ce dernier épisode n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer l’ire de l’Union européenne qui, de manière quelque peu paradoxale, n’a pas hésité à demander l’intervention du gouvernement américain afi n qu’il empêche la mise en œuvre d’une décision prise par l’ICANN contre l’avis des États présents au sein du GAC 108. Mais une autre question intéresse particulièrement le droit international : celle de la création et de la délégation des noms de domaine de premier niveau nationaux (ccTLD, du type .fr). Initialement considérés comme une subdivision purement technique du serveur racine 109, ces ccTLD sont en effet parfois vus aujourd’hui comme des manifesta-tions de la souveraineté des États ou comme des sortes de territoires virtuels 110. Pourtant, même si la pratique montre que les noms de domaine nationaux sont parfois perçus en ce sens par les États, l’infl uence que conserve l’ICANN sur les opérations qui les affectent indique que le raccourci est excessif. Non seulement l’attribution par l’ICANN d’un code pays ne permet ni d’affi rmer ni d’infi rmer une prétention à la qualité d’État (1), mais les modalités de délégation de la gestion d’un tel code pays empêchent les États d’assurer à tout coup un contrôle sur les sites enregistrés sous leur nom (2).

L’attribution d’un nom de domaine national1.

Bien que les controverses sur la qualité étatique d’une entité trouvent souvent écho au stade de la création de noms de domaine nationaux, la procédure suivie en la matière se veut neutre, même si des déviations ne sont pas à exclure. Dès l’origine, il fut décidé de se référer à la liste ISO 3166-1 pour autoriser ou refuser

106. Voy. le communiqué de Carthagène où le GAC signale que, concernant l’introduction de nouveaux noms de domaine génériques, « many of the GAC concerns remain unresolved » et que « the Board has decided to explicitly reject GAC advice in several specifi c cases » (GAC, communiqué de Carthagène, 9 décembre 2010, § 3, accessible depuis le site du GAC <http://gac.icann.org>).

107. Voy. IANA, « Report on the delegation of the .xxx top level domain », 7 avril 2011 (accessible depuis <www.iana.org>).

108. Voy. K. MURPHY, « Europe Asked the US to Delay .xxx », 5 mai 2011, <www.domainincite.com>, qui reproduit la lettre adressée par la Commissaire européen à l’Agenda numérique au secrétaire au commerce américain afi n de contester la décision prise par le conseil d’administration de l’ICANN au mépris de l’avis du GAC et, donc, du modèle multipartite. De manière remarquable, le secrétaire au commerce lui a répondu que les États-Unis ne soutenaient pas la décision de l’ICANN mais se refusaient à user du veto que leur confère le contrat qui les lie à Verisign, gestionnaire du fi chier racine, sous peine de remettre en cause ce modèle multipartite.

109. Les premiers noms de domaine de premier niveau nationaux ont été délégués dès le milieu des années quatre-vingt. Voy. M. L. MUELLER, Ruling the Root: Internet Governance and the Taming of Cyberspace, Cambridge, MIT press, 2004, p. 88.

110. En ce sens, R. UERPMANN-WITTZACK, « Principles of International Internet Law », op. cit., pp. 1256-1258 ; K. G. VON ARX / G. R. HAGEN, « Sovereign Domains: a Declaration of Independence of ccTLDs from Foreign Control », Richmond Journal of Law and Technology, 2002, vol. 9, p. 1.

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la création de nouveaux noms de domaine nationaux 111. Cette liste est établie par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qui se réfère elle-même à l’ONU pour déterminer les pays pouvant bénéfi cier d’un code 112. La neutralité n’est toutefois pas totale, d’une part parce que la liste ISO 3166 contient des noms d’entités non étatiques, d’autre part parce qu’il se peut, exceptionnellement, que l’ICANN ne la reprenne pas purement et simplement.

Sur le premier point, la liste ISO contient notamment les noms de tous les États membres de l’ONU. Ceci explique que les États nouvellement créés puissent bénéfi cier d’un nom de domaine national dès leur admission à l’ONU, le Monté-négro en constituant le dernier exemple en date 113. Ceci peut également, et réci-proquement, expliquer que certaines entités ne se soient pas vu accorder de nom de domaine national, alors même, qu’aspirant à la qualité d’État, elles en ont sollicité l’octroi 114. Cela étant, des entités dont la qualité étatique est contestée et pas ou peu reconnue, voire qui n’y aspirent pas, bénéfi cient d’un nom de domaine national, dès lors qu’elles ont été inscrites sur la liste ISO 3166. C’est le cas d’en-tités dont le statut est contesté 115, mais aussi de nombreux territoires éloignés de leur métropole 116. L’écho que confère à un code de pays inscrit sur la liste ISO 3166 sa prise en compte automatique par l’ICANN aux fi ns d’octroi d’un nom de domaine national peut alors poser certaines diffi cultés. La controverse qui a opposé l’Argentine au Royaume-Uni concernant l’octroi d’un nom de domaine de premier niveau aux îles Malouines ainsi qu’aux îles de la Géorgie du Sud et Sandwich du Sud en atteste 117. Tandis que la première considère que cet octroi a pour effet de présenter ces îles « comme des entités distinctes de la République argentine, dotées d’un statut qui n’est pas le leur » 118, le second appuie cet octroi après s’être affi rmé convaincu de « sa souveraineté sur les îles Falkland et les îles de la Géorgie du

111. Cette référence fut imaginée par J. Postel. Elle fut sans cesse réaffi rmée depuis lors au sein des différents documents censés clarifi er la procédure suivie en la matière. Ainsi de la Request for comments 1591 élaborée en mars 1994 par J. Postel (ci-après RFC 1591), qui indique que « the IANA is not in the business of deciding what is and what is not a country ; the selection of the ISO 3166 list as a basis for country code top-level domain names was made with the knowledge that ISO has a procedure for determining which entities should be and should not be on that list ». Voy. aussi ICANN, Internet coordination policy n° 1, « Internet domain name system structure and delegation (ccTLD administration and delegation) », mai 1999 (ci-après ICP-1) ; ICANN, « IANA procedure for establishing new ccTLDs », 19 mars 2003.

112. Dans un souci de neutralité, l’ISO s’appuie sur des documents de l’ONU, le bulletin de termino-logie Noms de pays qui inclut les États membres de l’ONU, des agences spécialisées ou parties au statut de la Cour internationale de Justice d’une part, le code des pays et des régions pour usage statistique de la division statistique de l’ONU d’autre part. La mise à jour de cette liste est assurée par l’autorité de mise à jour de l’ISO 3166 (ISO 3166/MA).

113. Admis à l’ONU le 28 juin 2006 (résolution 60/264 de l’AGNU), le Monténégro a été inséré dans la liste ISO 3166-1 le 26 septembre 2006 par l’autorité de mise à jour, ce qui a conduit à la création de l’extension .me par une résolution du bureau de l’ICANN du 11 septembre 2007 (voy. IANA, « Report on the delegation of the .ME top level domain to the ‘Government of Montenegro’ », 11 septembre 2007, <www.iana.org>).

114. Ainsi du Kosovo, de l’Abkhazie ou de l’Ossétie-du-Sud. Voy. K. DAVIES, « Abkhazia, Kosovo, South Ossetia, Transnistria… My oh my », 23 septembre 2008, <www.blog.icann.org>. Cela n’empêche pas les institutions de ces entités de disposer d’un site internet. Le site du gouvernement du Kosovo est ainsi enregistré sous le nom de domaine générique .net (<http://rks-gov.net>).

115. Parmi les exemples remarquables, il est possible de citer la Palestine, l’ICANN n’ayant accepté la création d’un nom de domaine de premier niveau .ps qu’après que l’autorité de mise à jour de l’ISO 3166 eut inscrit cette entité dans la liste ISO 3166-1 (voy. IANA, « Report on the request for delegation of the .ps top level domain », 22 mars 2000, <www.iana.org>).

116. Ceci semble s’expliquer par le fait que la liste ISO 3166-1 est notamment utilisée par l’Union postale universelle.

117. La création de ces noms de domaine nationaux a été autorisée dès 1997 en raison de l’insertion de ces entités dans la liste ISO 3166-1 (voy. IANA, « Report on the delegation of the .fk top level domain », janvier 2005, <www.iana.org>).

118. Lettre du 12 février 2009 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de l’Argentine auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/63/719.

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Sud et Sandwich du Sud, ainsi que les zones maritimes adjacentes » 119. Ainsi, si le gestionnaire du système des noms de domaine a entendu se référer à l’ISO 3166 dans un souci de neutralité, il a également conféré à cette liste une portée qu’elle n’avait initialement pas.

Sur le second point, les déviations entre la liste ISO 3166 et les noms de domaine nationaux sont rares mais pas inexistantes. Les unes sont dues au fait qu’avant même la normalisation de la procédure, des codes pays fi gurant sur la liste réservée par l’ISO avaient été utilisés, cet usage n’ayant pas été remis en cause depuis lors 120. Cette pratique a d’ailleurs été reprise à l’occasion de la création d’une extension au bénéfi ce de l’Union européenne. Ainsi, après que son conseil d’administration en eut admis la possibilité, l’ICANN a de nouveau utilisé cette liste des noms réservés par l’ISO pour attribuer un nom de domaine national à l’Union européenne 121. Réciproquement, la suppression d’un nom de pays de la liste ISO 3166 n’est pas toujours immédiatement suivie de la disparition du nom de domaine national correspondant. L’extension .yu a ainsi été conservée par la République de Serbie-Monténégro jusqu’à ce que le Monténégro devienne indépendant, alors même que le code pays avait été retiré de la liste ISO 3166-1 en 2003 122.

Si elle peut être à l’origine de controverses révélatrices de l’importance que les États accordent aux noms de domaine de premier niveau nationaux, la procé-dure qui mène à leur création empêche d’y voir une manifestation de la souverai-neté. En outre, le développement des noms de domaine génériques, qui devrait permettre la création de noms de domaine de ville ou régionaux sur une base plus large, devrait limiter l’importance de ce type de noms de domaine 123. Plus encore que les modalités de création de noms de domaine de pays, les modalités de leur délégation excluent d’y voir une sorte de territoire virtuel, même si l’évolution des pratiques de l’ICANN tend vers une prise en compte accrue des intérêts des États en ce domaine.

La gestion d’un nom de domaine national2.

Dès lors qu’elle autorise la création d’un nom de domaine de premier niveau national, l’ICANN en confi e la gestion à une entité. À l’origine, cette délégation se faisait sur la base du premier arrivé, premier servi. Autrement dit, l’entité qui sollicitait la création d’un nom de domaine de premier niveau national en devenait le gestionnaire dès lors qu’elle disposait des capacités techniques de le faire 124. Ceci eut pour effet que la gestion de noms de domaine nationaux fut accordée à des entités ne présentant aucun lien avec l’État, voire avec le territoire, dont le nom était utilisé. Toutefois, les États ont rapidement compris l’intérêt qu’ils pouvaient

119. Lettre du 6 mars 2009, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/63/759.

120. Ainsi des noms de domaine .uk (pour le Royaume-Uni, alors que le code ISO pour ce pays est ru) et .ac (pour les îles Ascension).

121. IANA, « Report on the delegation of the.eu top level domain », mars 2005, <www.iana.org>.122. IANA, « Report on the removal of the .yu domain formerly representing Yugoslavia », 10 avril

2010, <www.iana.org>. 123. À titre d’exemple, on remarquera que la Catalogne a réussi à bénéfi cier d’un nom de domaine

générique .cat. Il s’agit là d’un nom de domaine générique spécifi que appelé nom de domaine commandité (sponsored TLD), qui ne correspond pas à une région géographique mais à une communauté linguistique et culturelle. Suivant les principes du GAC, l’ICANN n’a néanmoins admis une telle délégation qu’avec l’accord des États dont le catalan constitue l’une des langues offi cielles, à savoir l’Espagne et Andorre. Voy. IANA, « Report on the delegation of the .cat top-level domain », 18 novembre 2005.

124. Sur ce point, voy. M. L. MUELLER, Ruling the Root, op. cit., p. 89 ; P. K. YU, « The Origins of ccTLD Policymaking », Cardozo Journal of International and Comparative Law, 2004, pp. 387-408, sp. p. 390.

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trouver dans la gestion de « leur » nom de domaine. Ils ont alors fait pression sur l’ICANN pour qu’elle prenne en compte leur position au moment de déléguer un nom de domaine de premier niveau national. Si la position des gouvernements des États concernés n’était initialement pas considérée, cet élément a été pris en compte dès 1997 125 pour être depuis lors rappelé régulièrement, par l’ICANN 126 ou plus spécifi quement par le GAC 127, avant que l’Agenda de Tunis indique que « les pays ne devraient pas intervenir dans des décisions relatives au domaine de premier niveau correspondant au code de pays (ccTLD) d’un autre pays. Les inté-rêts légitimes nationaux, tels qu’ils sont exprimés et défi nis par chaque pays, de diverses manières, en ce qui concerne les décisions relatives à leurs ccTLD doivent être respectés, défendus et traités dans un cadre et au moyen de mécanismes souples et améliorés » 128. La pratique suivie par l’ICANN concernant les déléga-tions et redélégations est d’ailleurs en ce sens puisqu’elle tend à faire de l’avis du gouvernement concerné l’élément décisif dans le choix du nouveau délégataire. Ceci a pour effet que les noms de domaine nationaux pris en charge par des regis-tres liés aux États concernés se développent 129. Des déviations ne sont toutefois pas à exclure. Les entités qui gèrent les noms de domaine nationaux n’obéissent donc pas à un régime unitaire. Elles tiennent, dans des proportions variables, leur pouvoir de deux autorités. Celle de l’ICANN d’une part, qui use de son pouvoir de décider des nouvelles délégations et des redélégations pour obtenir des nouveaux registres la conclusion de contrats-types qui encadrent la procédure et les condi-tions d’attribution des noms de domaine, mais qui n’a pu en faire autant pour les registres qui fonctionnaient avant même sa création. Celle des États d’autre part, dont certains n’ont aucune prise sur les registres qui gèrent leur nom de domaine, mais dont d’autres considèrent qu’il s’agit de délégataires dont les pouvoirs doivent être étroitement encadrés 130.

Les évolutions de la structure et des pratiques de l’ICANN indiquent qu’elle tend à s’affranchir de la tutelle du gouvernement des États-Unis et à prendre davantage en compte les positions des autres États 131. Même si ni l’une ni l’autre de ces tendances n’a totalement abouti, suffi sent-elles d’ores et déjà pour affi rmer que l’ICANN gère désormais un service public international ? Cela n’est pas certain.

125. Voy. IANA, ccTLD news Memo #1, 23 octobre 1997 : « An additional factor has become very important since RFC 1591 was written: the desires of the government of the country. The IANA takes the desires of the government of the country very seriously, and will take them as a major consideration in any transition discussion ».

126. ICANN, ICP-1 : « The desires of the government of a country with regard to delegation of a ccTLD are taken very seriously. The IANA will make them a major consideration in any TLD delegation/transfer discussions ».

127. GAC, Principles and guidelines for the delegation and administration of ccTLD, 23 février 2000, point 4.1.1 : « Ultimate public policy authority over the relevant ccTLD rests with the relevant government or public authority ; how this authority is exercised is determined by applicable law ».

128. Point 63. Un projet du 30 septembre 2005 allait encore plus loin en indiquant que « Nous recon-naissons en outre que chaque État doit avoir la souveraineté sur ses domaines de premier niveau de type code de pays » (WSIS-II/PC-3/DT/10(Rev.4)-F).

129. Pour une présentation, voy. OCDE, Evolution in the Management of ccTLDs, 17 novembre 2006, doc. DSTI/ICCP/TISP(2006)6/FINAL.

130. À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel de France a considéré que l’article L. 45 du code des postes et des communications électroniques, aux termes duquel « le ministre chargé des communications électroniques désigne, après consultation publique, les organismes chargés d’attribuer et de gérer les noms de domaine en .fr », était entaché d’incompétence négative car le législateur n’avait pas suffi samment encadré les conditions d’attribution et de gestion des noms de domaine, alors même qu’elles affectent la propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d’entreprendre (Conseil constitutionnel, décision n° 2010-45 QPC, 6 octobre 2010, M. Mathieu P.).

131. L’introduction de noms de domaine internationalisés, qui utilisent des alphabets autres que latin, en constitue un autre exemple en ce qu’elle permet de promouvoir le multilinguisme.

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La théorie du service public international géré par une personne privée a été forgée par analogie avec celle de la délégation de service public en droit administratif français 132. Si les services publics internationaux sont pour l’essentiel confi és à des organisations intergouvernementales, il se peut en effet que des organisations non gouvernementales assurent des missions d’intérêt général reconnues par les États. On songe le plus souvent au Comité inernational de la Croix-rouge (CICR), auquel les conventions de Genève ont confi é d’importantes fonctions en matière humanitaire 133, parfois au Comité international olympique (CIO) 134, plus rarement à l’International air transport association (IATA) 135 ou à la Banque des règlements internationaux 136. La transposition de ce raisonnement à l’ICANN a été envi-sagée 137. Il ne fait guère de doute qu’elle assure une fonction d’intérêt international. Cette fonction lui a-t-elle été reconnue par les États ? Le desserrement de ses liens avec le gouvernement des États-Unis pourrait favoriser une telle reconnaissance. Mais il n’est pas certain qu’elle soit d’ores et déjà acquise : l’ICANN reste contestée, les textes issus du SMSI ne la mentionnent pas explicitement et la participation des États à ses activités ne peut être interprétée comme une reconnaissance impli-cite que dans l’hypothèse où ils disposeraient des capacités nécessaires pour la concurrencer. Surtout, quand bien même on verrait dans l’ICANN un délégataire de service public international, il faudrait s’interroger sur les conséquences d’une telle qualifi cation. Peut-être pourrait-elle fonder au regard du droit international des compétences les fonctions qu’elle exerce. Mais elle ne s’accompagnerait pas d’un statut spécifi que reconnu aux prestataires de service public international.

L’ICANN se trouve donc au milieu du gué. D’un côté, elle s’affranchit progres-sivement de la tutelle des États-Unis. De l’autre, elle peine à mettre en œuvre des mécanismes de contrôle qui lui permettraient d’acquérir une légitimité suffi sante

132. P. WEIL, « Droit international public et droit administratif », in Mélanges offerts à Monsieur le Doyen L. Trotabas, Paris, LGDJ, 1970, pp. 511 s. ; Ch. CHAUMONT, « Perspective d’une théorie du service public à l’usage du droit international contemporain », in La technique et les principes du droit public. Etudes en l’honneur de Georges Scelle, vol. 1, Paris, LGDJ, 1950, pp. 115 s.

133. Le TPIY en a déduit que le CICR est « an independent humanitarian organization [which] enjoys a special status in international law, based on the mandate conferred upon it by the international community » (Le Procureur c. Blagoje Simic et al., IT-95-9PT, chambre de première instance, 27 juillet 1999, Décision relative à la requête du Procureur en application de l’article 73 du Règlement de procédure et de preuve concernant la déposition d’un témoin). Voy. aussi A. Lorite Escorihuela, qui considère que ces textes « cristallisent défi nitivement le statut du CICR dans les relations inter-étatiques en lui donnant un mandat fondé sur le droit international public, et en marquant le fait que les États reconnaissent sur le plan international les activités du CICR » (A. LORITE ESCORIHUELA, « Le CICR comme organisation sui generis ? Remarques sur la personnalité juridique internationale du CICR », RGDIP, 2001, pp. 581-616, sp. p. 588).

134. F. LATTY, La lex sportiva. Recherche sur le droit transmantional, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 638 s., qui estime que le CIO et d’autres organisations sportives transnationales assurent un service public international, dès lors que certaines missions d’intérêt général que ces organisations assu-rent (au rang desquelles semble fi gurer la lutte contre le dopage mais pas l’organisation des compétitions sportives) ont été reconnues par des résolutions de l’AGNU ou des conventions internationales.

135. Cette association, qui seconde l’OACI dans la réglementation du transport aérien, est décrite par D. Carreau comme un « cartel privé » qui a « reçu pour mission de la part des États de gérer un ‘service public international’ dans l’intérêt de la communauté internationale, en raison, sans doute, de [sa] plus grande capacité à y parvenir effi cacement » (D. CARREAU, Droit international, Paris, Pedone, 2009, p. 424). Le Tribunal fédéral suisse a d’ailleurs relevé que « de l’avis de certains auteurs, l’IATA doit être considérée comme une organisation ‘quasi gouvernementale’ » (Suisse, Tribunal fédéral, 4 octobre 1978, Jenni et autres c. Conseil d’État du Canton de Genève, ATF 104 Ia 350).

136. Dont un tribunal arbitral a jugé que, malgré son statut de société anonyme de droit suisse, elle constituait « une création sui generis qui est une organisation internationale » notamment car elle trouve son origine dans un traité et que ses fonctions « avaient un caractère international public par excellence » (CPA, Reineccius et al. v. Bank for international settlements, sentence partielle du 22 novembre 2002, § 113 et 118).

137. Pour un examen complet de la question, voy. E. LAGRANGE, « L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers : un essai d’identifi cation », op. cit., pp. 323-324.

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aux yeux de la communauté internationale. Cette position n’est pas la plus confor-table. Deux facteurs peuvent toutefois l’inciter à poursuivre sa mue. Le premier est lié à la crainte d’une internationalisation (interétatisation) totale de l’admi-nistration du DNS. Le second, à la possibilité d’une fragmentation de l’Internet du fait de la création de systèmes concurrents. Ces tensions pourraient conduire l’ICANN, d’une part, à accroître la transparence de ses décisions et à mettre en place des mécanismes de supervision plus élaborés, voire à développer des voies de recours, d’autre part à poursuivre le processus d’autonomisation vis-à-vis des États-Unis en révisant les contrats qui la lient à cet État, voire en concluant un accord comparable à un accord de siège 138. La question de son statut au regard du droit international pourrait alors se reposer.

** *

Du rapport dialectique qui s’est instauré dans la gouvernance de l’Internet entre les États et le secteur privé sont nés des institutions et modes de régulation hybrides. D’un côté, les États ont tenté de reprendre pied en la matière au travers d’un Sommet mondial pour la société de l’information puis d’un Forum sur la gouvernance de l’Internet auxquels ont été et sont étroitement associés le secteur privé et la société civile. De l’autre, les sociétés privées chargées de gérer l’architec-ture du réseau, au premier rang desquelles l’ICANN, se détachent progressivement de la tutelle des États-Unis et admettent de faire une place plus grande dans leur fonctionnement à l’ensemble des États. Mais cette évolution n’a sans doute pas atteint son point d’équilibre. Pour l’heure, la gouvernance de l’Internet tend à se rapprocher du deuxième modèle proposé par le GTGI en 2005. Ce modèle prévoyait en effet le développement du rôle du Governmental advisory committee au sein de l’ICANN et la mise en place d’un Forum sur la gouvernance de l’Internet capable de produire des analyses et de formuler des recommandations sur certaines questions. Il reposait en revanche sur l’idée qu’« il n’est pas indispensable de créer un organe de contrôle spécifi que » 139. Les mécanismes de contrôle de l’activité de l’ICANN restent pourtant insuffi sants. C’est désormais de la capacité de la « communauté de l’Internet » à inventer des mécanismes de responsabilité originaux et effi caces que dépendra la poursuite de l’autonomisation de la gouvernance du cyberespace ou son retour dans les contrées connues des mécanismes multilatéraux, voire unila-téraux, de gouvernance 140. Quoi qu’il en soit, la place qu’occupent ces institutions

138. L’ICANN elle-même a réfl échi à cette éventualité. C’est ainsi qu’en 2007, le rapport fi nal du comité stratégique mis en place par le président de l’ICANN « encourage[d] the ICANN board to explore with the US government, other governments, and the ICANN community, whether there are advantages and appropriate mechanisms for moving ICANN’s legal identity to that of a private international organization » et à examiner « the benefi ts of the international private organization model and its related potential immuni-ties to limit liabilities or instabilities » (President strategy committee, Final report, 25 mars 2007, accessible depuis <www.icann.org/en/psc>). Le modèle suisse a été à ce titre envisagé. La Suisse a conclu plusieurs accords de ce type avec les entités précitées (CICR, CIO, IATA). Une loi du 22 juin 2007 dite « loi sur l’État hôte » codifi e même cette pratique. Elle indique que la Suisse peut accorder des privilèges, immunités et facilités à des « organisations internationales quasi gouvernementales », qui doivent avoir pour membres une majorité d’États, disposer de structures similaires à celles d’une organisation intergouvernementale et avoir des activités sur le territoire de deux ou plusieurs États (article 8, le rapport explicatif mentionnant l’International air transport association), ainsi qu’à d’« autres organismes internationaux », à condition 1. qu’ils collaborent avec une ou plusieurs organisations internationales établies en Suisse, ou avec des États, pour exécuter des tâches qui incombent en principe à ces organisations, institutions ou États ; 2. qu’ils jouent un rôle majeur dans un domaine important des relations internationales ; 3. qu’ils bénéfi cient d’une large notoriété sur le plan international et que l’octroi de privilèges, d’immunités et de facilités soit de nature à contribuer substantiellement à la réalisation de leur mandat (article 14).

139. Rapport du Groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet, op. cit., points 57-61.140. Pour une approche générale de cette question, voy. S. CASSESE, Au-delà de l’État, op. cit., sp.

pp. 151-161.

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hybrides s’agissant de la régulation du réseau ne doit pas occulter le rôle majeur que conservent les États quant à la régulation des comportements dans le réseau, rôle lui-même susceptible de soulever d’autres questions de droit international public telles que celle qui a trait à la répartition des compétences entre États 141.

141. Sur ce point, voy. T. SCHULTZ, « Carving up the Internet. Jurisdiction, Legal Orders and the Public/Private International Law Interface », EJIL, 2008, pp. 799-839.

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