La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

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institut du développement durable et des relations internationales – 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – France – Tél. : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org N° 14/2004 | RESSOURCES NATURELLES (ex-Les rapports de l’Iddri n°3) La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours Nicolas Brady (Centre de philosophie du droit, UCL, Belgique) Sélim Louafi (Iddri, France) Nicolas Brady et Sélim Louafi ont réalisé cette étude dans le cadre du programme « Concer- tation, décision, environ- nement » du MEDD. Ce texte n’engage que ses auteurs. En mettant ce document en ligne sur son site, l’Iddri a pour objectif de diffuser des travaux qu’il juge intéressants pour alimenter le débat. Tous droits réservés

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institut du développement durable et des relations internationales – 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – France – Tél. : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org

N° 14/2004 | RESSOURCES NATURELLES

(ex-Les rapports de l’Iddri n°3)

La Convention sur la diversité

biologique à la croisée de quatre

discours

Nicolas Brady (Centre de philosophie du droit, UCL, Belgique)

Sélim Louafi (Iddri, France)

Nicolas Brady et Sélim Louafi ont réalisé cette étude dans le cadre du programme « Concer-tat ion, déc i s ion, envi ron-

nement » du MEDD. Ce texte n’engage que ses auteurs. En mettant ce document en ligne sur son site, l’Iddri a pour

objectif de diffuser des travaux qu’il juge intéressants pour alimenter le débat.

Tous droits réservés

La Convention sur la diversité biologique

à la croisée de quatre discours

Nicolas Brahy Centre de philosophie du droit, UCL, Belgique

Sélim Louafi Iddri, France

Les rapports de l’Iddri, n° 3

Avec le soutien du programme « Concertation, décision, environnement » du ministère de l’écologie et du développement durable, France

2 Institut du développement durable et des relations internationales

© Iddri, 2004.

Diffusion : 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – FranceTéléphone : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org

Conception : Ulys communication

Nicolas Brahy Centre de philosophie du droit

Université catholique de LouvainPlace Montesquieu 2 – 1348 Louvain-la-Neuve

[email protected]

Sélim Louafi Iddri

6, rue du Général Clergerie75116 Paris

[email protected]

Document téléchargeable sur :www.iddri.org

3Institut du développement durable et des relations internationales

Sommaire

Introduction

Le discours d’origine : l’émergence des questions environnementales

Le conflit entre conservationnistes et préservationnistes L’apparition du discours développementaliste L’évolution du discours sur l’environnement

Le programme MAB de l’Unesco ou la modification du discours préservationniste La conversion de l’UICN ou l’évolution de la pensée conservationniste

Les trois autres discours

Le discours agronomique L’établissement d’un réseau international de conservation ex situLes négociations de l’Engagement international

Le discours économique L’extension de la propriété intellectuelle au vivant L’extension géographique de la propriété intellectuelle

Le discours sur l’autochtonie Internationalisation versus internalisation Les premiers succès Les textes importants La diversité bioculturelle

Une intégration en devenir

De la simple juxtaposition... Le discours agronomique Le discours économique Le discours culturaliste

... à une véritable intégration ? Conclusion

Notes

Bibliographie

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Le texte de la Convention sur la diversitébiologique (CDB) est à la croisée d’au moinsquatre discours : un discours environnemen-taliste, qui en constitue le fondement même,un discours agronomique sur les ressourcesgénétiques, un discours économique sur lesdroits de propriété intellectuelle et un dis-cours culturel sur l’autochtonie et les savoirslocaux. Ces discours se sont développés demanière autonome avec des objectifs, desconcepts et une histoire propres. La CDB estune intégration inachevée de ces quatre dis-cours. Certes, elle y fait allusion, mais la lec-ture du texte laisse une impression de flou etd’ambiguïté, parfois même de contradiction.

La première partie de ce rapport est consa-crée à l’émergence des questions environne-mentales. Le discours environnementalistes’est rapidement structuré autour d’une ten-sion entre deux courants, l’un préservation-niste, l’autre conservationniste. Cette tensiona ensuite été modifiée par l’apparition du dis-cours développementaliste.

Dans la seconde partie, nous passons enrevue les trois autres discours venus compléterle débat sur la protection de l’environnement.Nous commençons par relater comment aémergé la question des ressources phytogéné-tiques : les discussions ont d’abord porté surla constitution d’un réseau international debanques de gènes puis sur la négociation d’unrégime d’échange de ressources phytogéné-tiques. Nous présentons ensuite l’extension de

la notion de propriété intellectuelle, extensionthématique avec la protection du vivant etgéographique avec la généralisation des règlesde la propriété intellectuelle à tous les pays oupresque. Enfin, nous exposons brièvement laquestion de l’autochtonie.

Dans dernière partie, nous montrons com-ment ces quatre discours structurent la ques-tion de la biodiversité. Ils ont imprégné le textede la Convention, mais la CDB s’apparentedavantage à une juxtaposition d’enjeux qu’àune intégration, cohérente et harmonieuse,des quatre discours. C’est cette intégration quise joue dans les discussions actuelles.

Dans ce processus d’intégration, le débatsur l’accès et le partage des avantages occupeune place centrale car il concerne les quatrediscours. Si cette discussion vise essentielle-ment à établir un cadre de régulation au ser-vice de l’utilisation des ressources génétiques,elle permet aux communautés locales etautochtones et aux acteurs économiquesdemandeurs de droits de propriété intellec-tuelle de se rencontrer. Enfin, ce cadre estsensé fournir une incitation à la conservation.Nous évoquons brièvement différents lieux oùse tient cette discussion : à l’échelle nationale,l’élaboration des lois sur l’accès et le partagedes avantages, à l’échelle internationale, l’éla-boration des lignes directrices de Bonn et lesdiscussions autour de l’Organisation mondialede la propriété intellectuelle (OMPI).

Introduction

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Le discours d’origine : l’émergencedes questions environnementales

Le conflit entre conservationnisteset préservationnistes

Avant la Seconde Guerre mondiale, le pro-blème environnemental se pose selon deuxvisions concurrentes : la conservation ou lapréservation (Irwin, 2001). Ce conflit entreconservationnistes et préservationnistes estsurtout interne aux Etats-Unis. Il se cristalliseautour du désastre écologique des Dust Bowldans les années 20-30, qui coïncide avec laGrande Dépression. Ce phénomène est inter-prété par les uns comme un déficit de gestionet de connaissance scientifique et par les autrescomme une limite de l’action humaine sur lanature. Le conservationnisme correspond àune vision gestionnaire de la nature afin demaximiser l’efficacité de l’utilisation des res-sources et prévenir leur surexploitation. Leprincipe est d’utiliser le maximum deconnaissances scientifiques et technologiquespour résoudre les problèmes de rareté oud’inefficacité d’usage des ressources naturel-les (Dryzek, 1997). Par opposition, la concep-tion préservationniste perçoit les crises envi-ronnementales comme un symptôme dudéséquilibre grandissant entre les activitéshumaines et la nature. Basée sur des considé-rations éthiques, elle correspond à une cri-tique radicale des modes de production dessociétés industrielles. Deux justifications fon-dent ce discours préservationniste : morale(grandeur et beauté de la nature) et scienti-fique (par des écologues1 et géologues).

Après-guerre, ce débat s’internationalise :sous l’impulsion de Gifford Pinchot, fores-

tier2 conservationniste, conseiller du prési-dent américain, une conférence sur laconservation et l’utilisation des ressources(United Nations Scientific Conference onConservation and Utilization of Resources– UNSCCUR) se prépare sous les auspices del’Organisation des Nations unies pour l’édu-cation, la science et la culture (Unesco), del’Organisation des Nations unies pour l’ali-mentation et l’agriculture (FAO), de l’Orga-nisation internationale du travail (OIT) et del’Organisation mondiale de la santé (OMS).Cette conférence est conçue comme un évé-nement purement scientifique sans portéepolitique (Irwin, 2001). Elle vise à encoura-ger l’application des connaissances scienti-fiques à la gestion des ressources en pro-mouvant des échanges scientifiques afin deconstituer un réseau international d’expertssur la question. Pour contrer cette initiativedu courant conservationniste, Julian Huxley,directeur général de l’Unesco et fervent pré-servationniste, obtient la tenue d’une confé-rence parallèle, consacrée exclusivement à laprotection de la nature et organisée conjoin-tement avec l’Union internationale pour laprotection de la nature (UIPN), nouvelle-ment créée. Cette conférence, intituléeInternational Technical Conference on theProtection of Nature (ITC), a lieu à New Yorken 1949, au même moment et au mêmeendroit que l’UNSCCUR. Elle tranche avec lelangage gestionnaire de cette dernière puis-qu’elle appelle « au respect de la beauté et àl’appréciation des êtres vivants ainsi qu’à unemodération dans l’exploitation des ressour-ces ». L’Unesco rattache même cette préoc-

Le discours d’origine : l’émergence des questions environnementales

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cupation préservationniste à une acceptationlarge de la déclaration universelle des droitsde l’homme, une nature sauvage et préservéeétant susceptible de fournir aux hommes res-sources spirituelles et inspirations esthé-tiques (Irwin, 2001).

Les conservationnistes vont rapidementprendre l’ascendant au cours des années 50et 60. Cela s’explique par la guerre froide– le partage des régions du monde et la ges-tion des conflits potentiels, notamment surles ressources naturelles, constituent uneligne directrice de la politique étrangèreaméricaine – et par la croissance écono-mique dans une époque de reconstruction.La conception conservationniste est considé-rée comme une extension aux questions envi-ronnementales de la vision planificatrice duNew Deal fondé sur la théorie keynésiennede l’économie. L’intervention régulatrice del’Etat dans les questions environnementalesobéit à la même logique que la protectionsociale (rationalisme bureaucratique, Dryzek,1997). Quant au courant préservationniste, ilse marginalise (l’Unesco et l’UIPN restent lesseuls vecteurs institutionnels internationauxde ce mouvement) et se retranche dans desrevendications plus limitées de constitutionde réserves sauvages ou de protection d’espè-ces menacées, par exemple.

L’apparition du discoursdéveloppementaliste

Au cours des années 60 et 70, la questionenvironnementale est posée différemmentavec l’apparition du discours sur le dévelop-pement des pays du Sud, qui prend d’autantplus d’ampleur que la plupart de ces paysaccèdent à l’indépendance. Dans les années70, la vision technicienne et technologiquede gestion de la nature, véhiculée par lesconservationnistes, ouvre la voie à uneseconde vague de critiques radicales (aprèscelles des préservationnistes) issue d’un cou-rant dit développementaliste. Ce courantreproche aux conservationnistes de renforcerle fossé technologique entre le Nord et leSud. Selon les développementalistes, les pro-blèmes du nouvel ordre mondial passent parune gestion plus équitable du développe-ment. Dans une perspective de justice socialeà l’échelle de la planète, le Sud ne doit pasêtre soumis aux mêmes règles que le Nord.C’est dans ces termes qu’est reposée la ques-tion environnementale. La ligne de conflitentre conservationnistes et préservation-nistes se déplace et devient un débat entre

environnementalistes et développementalis-tes. Au sein des deux courants environne-mentalistes, les discours prennent alors unetournure beaucoup plus politique, y comprischez les scientifiques.

En 1972, la conférence de Stockholmplace le sous-développement au premier rangdes menaces sur l’environnement, la ques-tion environnementale restant subordonnéeà celle du développement des pays les pluspauvres. Dans cette perspective, protéger lanature est possible lorsque aucun autre usagen’est envisageable pour la ressource à proté-ger ou lorsque le niveau de productivité dansl’utilisation des terres sera tel que certainesd’entre elles pourront être destinées à unusage non productif. Malgré les apparences,la conférence de Stockholm ne constitue doncpas l’aboutissement d’un processus d’éla-boration d’un consensus sur la nécessité delier la question environnementale à celle dudéveloppement. Au contraire, elle marquel’institutionnalisation à l’échelle internatio-nale du conflit entre environnement et déve-loppement, dont le second sort grand vain-queur en 1972. L’absence de consensuss’intensifie dans les années 70 avec la criseénergétique – qui fait prendre conscience dela nécessité de tenir compte des pays du Suddans tout accord international sur l’environ-nement – et la récession économique quis’ensuit.

Fragilisées par le processus et les résultatsde la conférence de Stockholm, les organisa-tions conservationnistes (gouvernementaleset non gouvernementales) vont, pour conti-nuer à exister, réorienter leurs stratégies etleurs discours.

L’évolution du discourssur l’environnement

Le programme MAB de l’Unesco ou lamodification du discours préservationniste

Sous des formes différentes, le courantpréservationniste revient en force dès la findes années 60 en profitant de la critiquedéveloppementaliste dont est victime le cou-rant conservationniste : une discipline nou-velle, la political ecology, qui combine l’écono-mie politique classique (marxiste) avecl’écologie, apparaît et revendique un nouvelordre plus équilibré entre société humaine etnature. Le malthusianisme économique appa-raît également avec l’ouvrage de Meadows,intitulé « Les limites de la croissance »(1972). Enfin, les mouvements politiques

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La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

Verts font leur apparition en se joignant auxdiscours critiques issus des mouvementssociaux.

Institutionnellement, ce retour en forcedes préservationnistes se matérialise par laconférence intergouvernementale d’expertsscientifiques pour un usage rationnel et laconservation des ressources de la biosphère,hébergée par l’Unesco, en septembre 1968,qui aboutit au lancement du programmeMan and Biosphere en 1971. Ce programmeest mis en place pour répondre spécifique-ment aux préoccupations développementalis-tes des pays du Sud. Il est censé aborder demanière pluridisciplinaire les trois questionssuivantes : la protection de la nature, via laconstitution de réserves ; la logistique, via laconstitution d’un réseau international sur lesactivités de recherche et de gestion (forma-tion et échange d’informations) liées à cesréserves et, enfin, le développement, via l’as-sociation des activités humaines dans la dyna-mique de ces réserves. Mais dans les faits, del’avis même de ses initiateurs3, ce programmese focalise essentiellement sur le premier rôleet dans une moindre mesure sur le second.Quant aux questions de développement, ellessont complètement absentes. Il faudra atten-dre 1984 pour qu’une évaluation de ce pro-gramme4 conduise à reconsidérer l’absencede la dimension du développement. Unpanel scientifique ad hoc indépendant estcréé afin de réévaluer l’application du pro-gramme des réserves de biosphères. Réunideux fois, en 1985 et 1986, ce panel insistesur le fait que la combinaison des trois objec-tifs est ce qui différencie les réserves debiosphères de simples aires protégés. De nou-veaux critères de sélection des réserves debiosphères sont donc élaborés, mais ce planne sera vraiment appliqué qu’à partir de laréunion de Séville5 en mars 1995 !

La conversion de l’UICN ou l’évolutionde la pensée conservationniste

Le changement le plus spectaculaire dansle paysage des institutions internationalesconsacrées à l’environnement a lieu au seinde l’UICN. Focalisée sur la préservationd’espèces ou d’écosystèmes remarquables,elle évolue après 1972. Elle est ainsi la pre-mière institution à élaborer le concept d’uti-lisation durable dans son document phare,« The World Conservation Strategy », publié en1980. Sauvée de la faillite en 1975 par leFonds mondial pour la nature (WWF) et leProgramme des Nations unies pour l’envi-ronnement (PNUE), l’UICN modifie complè-

tement son mode de gouvernance interne enremplaçant le bureau exécutif par un conseildont les deux tiers des membres représen-tent les différentes régions du globe. Mau-rice Strong, industriel canadien, président dela conférence de Stockholm et premier direc-teur du PNUE, rejoint l’UICN. En 1978, àAshkhabad (Turkménistan), celle-ci élit à satête l’Egyptien Mohamed Kassas, premierdirecteur originaire d’un pays du Sud, etdécide d’élaborer une charte mondiale pourla nature en mettant l’accent sur les besoinsdes pays du Sud. De ce bouleversement insti-tutionnel naît un document qui va servir defondation pour l’ensemble du courant envi-ronnementaliste dans les années 80.

La formulation de cette « Stratégie mon-diale de la conservation » a impliqué un longprocessus de consultation interne mais sur-tout externe avec, notamment, la collabora-tion des agences des Nations unies spéciali-sées, comme la FAO et le PNUE. Cedocument délaisse les symptômes de dys-fonctionnement du développement (pollu-tion au Nord, surpopulation au Sud, parexemple) au profit des priorités à inclure ausein même des programmes de développe-ment. Trois points sont évoqués : la préser-vation des processus écologiques, l’utilisationdurable des ressources et la préservation dela diversité génétique, trois objectifs qui seretrouveront sous un vocable légèrement dif-férent au sein de la CDB. Le terme de déve-loppement durable y est employé pour lapremière fois. Il va servir de base à laréflexion entamée par le Programme desNations unies pour le développement(PNUD). En 1983, le PNUD convoque unecommission spéciale dirigée par le Premierministre norvégien, Gro Brundtland, pourréconcilier les valeurs environnementales etles valeurs économiques. Elle y parvient en1987 dans une publication intitulée « OurCommon Future » qui, à travers la notiond’équité intergénérationnelle, combine jus-tice sociale et environnement. Ce discours sedémarque à plusieurs titres des discoursalors en vigueur : de celui de l’UICN par sonorientation clairement anthropocentrique– la durabilité est perçue davantage pour lebien-être des populations que pour celui dela nature ; du rationalisme économique libé-ral6, en fondant la notion de développementdurable sur la coopération plutôt que sur laconcurrence par le marché ; enfin, du ratio-nalisme bureaucratique des conservationnis-tes des années 50-60 en se posant comme undiscours de la société internationale (paropposition à un discours centré sur lesEtats), constituée d’organisations internatio-

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nales et d’acteurs non gouvernementauxagissant aussi bien à l’échelle globale quelocale.

Pour résumer, dans le rapport Brundt-land, l’environnement constitue davantageun point de ralliement pour une coopérationinternationale entre acteurs étatiques et nonétatiques qu’un enjeu en soi. Avant d’êtreformellement reprise à Rio en 1992, lanotion de développement durable a fait l’ob-jet en 1991 d’une publication commune àl’UICN, au PNUE et au WWF.

Mais auparavant, dès 1985, l’UICN a été àl’origine de la négociation de la Conventionsur la biodiversité en réclamant deux choses :une convention cadre dans laquelle entreraitl’ensemble des conventions environnementa-les existantes ; l’adoption d’une stratégiemondiale pour la préservation de la diversitébiologique axée principalement sur laconservation in situ des ressources biolo-giques sauvages. Le principe d’accès libre etl’établissement d’un fonds international

– financé entre autres par ceux qui tirentprofit de l’usage du matériel génétique –sont les éléments centraux de cette conven-tion. La première idée est reprise par leconseil d’administration du PNUE, à Nairobi,en juin 1987 (décision 14/26). Prenant actede l’initiative de l’UICN et des recommanda-tions du rapport Brundtland, il décide derationaliser les conventions internationalessur la diversité biologique. Un groupe ad hocd’experts sur la diversité biologique estchargé, en collaboration avec le groupe deconservation des écosystèmes (UICN, FAO,Unesco, PNUE) et les autres organisationsintergouvernementales, d’évaluer la possibi-lité d’une convention ombrelle pour préser-ver la diversité biologique.

Parallèlement à cette évolution de la dis-cussion environnementale sur la biodiversité,d’autres préoccupations vont venir s’ajouter :l’utilisation des ressources génétiques, lesdroits de propriété intellectuelle et la questiondes communautés autochtones et locales.

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Le discours agronomique

La question des ressources génétiques va seconstruire progressivement autour de troiszones de tensions : l’élaboration d’une solu-tion scientifique, le choix d’un modèle de gou-vernance et un conflit de compétences entreorganisations.

L’établissement d’un réseau internationalde conservation ex situ

La conférence technique FAO/IBP de 1967

La question des ressources génétiques agri-coles (RGA) (collecte, conservation, améliora-tion, mise à disposition) apparaît lors de laconférence technique organisée par la FAO etl’International Biological Program (IBP) en1967 et consacrée à l’exploration, l’utilisationet la conservation des RGA. Pour les scienti-fiques qui en ont pris l’initiative, cette confé-rence devait faire reconnaître l’importance del’érosion des RGA et la nécessité de constituerun réseau international autour de cette ques-tion. Si le constat de l’érosion génétique n’a faitl’objet d’aucune controverse entre les scienti-fiques, les moyens d’y répondre ont divergé.

Schématiquement, le débat se cristallise surdeux questions : quelles RGA faut-il collecter ?Et comment ? Un premier courant utilitaristeprône une conservation ex situ des ressourcesgénétiques des espèces cultivées majeures et deleurs parents sauvages. Le second courant, issude l’écologie des populations, juge la conser-vation in situ primordiale, y compris pour les

espèces n’ayant qu’un intérêt très local, voireaucun intérêt économique immédiat. Sanstrancher définitivement, le rapport de laconférence met en avant, outre des raisonsscientifiques, des raisons pratiques (en termesde temps et d’argent) pour privilégier la pre-mière option.

Plus largement, cette querelle de scienti-fiques révèle des enjeux plus vastes qui vont seretrouver au cours des décennies suivantes etsur lesquels nous reviendrons plus loin : desenjeux techniques – les pratiques de sélectionen vigueur dans la communauté des généti-ciens ont joué en faveur de la conservation exsitu7 ; des enjeux commerciaux pour les firmessemencières privées qui voient l’utilité directede collections ex situ répertoriées et utilisablesen l’état ; des enjeux politiques pour les Etats-Unis, certains pays du Sud et la FAO, la conser-vation ex situ permettant de faire directementle lien avec les problèmes de production agri-cole (selon la pratique orthodoxe de l’agrono-mie et de la génétique à l’époque) et de mettreen place la révolution verte qui apparaît, à cemoment-là, comme le seul moyen de garantirla sécurité alimentaire8.

Ce débat est aussi celui du mode de gou-vernance du réseau de conservation des RGA.La conservation ex situ présuppose un réseauinternational centralisé9 de grandes banquesde gènes alors que la conservation in situréclame une démarche plus décentralisée géo-graphiquement et politiquement, fondée surd’autres savoirs que scientifiques et associantdavantage les agriculteurs et les communautésrurales.

Les trois autres discours

Les trois autres discours

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Pour le panel d’experts réuni lors de cetteconférence – dont la plupart sont issus, parleur formation ou leur profession, du milieudes sélectionneurs – il est évident que laseule autorité supranationale à même dedévelopper ce réseau est la FAO. En 1968, laFAO met d’ailleurs en place une unité, CropEcology and Genetic Resources, chargée decollecter, conserver et répertorier les RGA.Le seul autre réseau pouvant concurrencer laFAO est l’IBP10, co-organisateur avec la FAOde la conférence. Composé essentiellementde biologistes (par opposition à des agrono-mes ou des généticiens), l’IBP a été mis enminorité par le choix implicite de la conser-vation ex situ, une sorte de division du travails’étant établie entre la FAO et l’IBP avant laconférence, la première s’occupant des espè-ces agricoles, la seconde des aspects biolo-giques plus fondamentaux.

Toutefois, ce choix officieux de la FAOcomme institution coordonnatrice va êtreremis en cause au nom de justifications pra-tiques (financières essentiellement) dans lesannées qui vont suivre. Non pas au profit del’IBP mais d’un nouveau réseau qui se met enplace en 1971, le Groupe consultatif pour larecherche agricole internationale (GCRAI).

Au-delà des raisons substantielles affichéespour justifier ce choix, ce sont surtout desenjeux de gouvernance qui ont pesé. Maisauparavant, il convient d’analyser commentle GCRAI est amené à s’impliquer dans ledébat sur les RGA.

La constitution du réseau de banques de gènes ex situ

La question à résoudre pour le panel d’ex-perts réuni suite à la conférence de 1967 est desavoir comment mettre en place ce réseauinternational de banques de RGA et avec quelsfinancements.

Otto Frankel11 prend la direction du panelFAO/IBP chargé de mettre en place le réseau.Il déploie beaucoup d’énergie pour élargir laprise de conscience du problème de l’érosiondes ressources génétiques au-delà du cercle desagronomes généticiens. Il va notamment parti-ciper activement à la conférence des Nationsunies de Stockholm en juin 1972 et obtient larédaction de six articles consacrés à cette ques-tion (articles 39 à 45), l’article 43 faisant expli-citement référence au rôle de la FAO dans lamise en place des recommandations du paneld’experts.

Robert McNamara, présidentde la Banque mondiale (BM) etadministrateur de la FondationRockefeller, est à l’origine de lacréation du Groupe consultatifpour la recherche agricole inter-nationale (GCRAI), lors de laréunion de Bellagio organisée enavril 1969. L’objectif de cetteréunion est de reproduire à uneplus grande échelle les deux cen-tres internationaux de rechercheagricole existants – le Centreinternational d’amélioration dumaïs et du blé (CIMMYT) auMexique et l’Institut internatio-nal de recherche sur le riz (IRRI)aux Philippines – qui sont placéssous l’égide des fondationsRockefeller et Ford. L’Agencedes Etats-Unis pour le dévelop-pement international (USAID)s’implique également dans ceprojet et, peu après, McNamaraécrit officiellement à la FAO etau PNUD pour demander leur

soutien. En mai 1971, le GCRAIest créé avec le soutien financierde la BM, de la FAO et duPNUD. La question de la recher-che agricole internationale estposée à l’époque en ces termes :« comment assurer des ressour-ces financières suffisantes auxcentres de recherche en leurgarantissant l’autonomie de ges-tion sur la base de prioritésscientifiques et par conséquentsans entraves bureaucratiques oupolitiques ? » (Farrar, 2000).

Le système du GCRAI estcomposé :

◗ de centres internationaux derecherche agronomique (CIRA)implantés dans les pays du Sudet travaillant sur un produit spé-cifique ;

◗ d’un groupe consultatif(GCRAI) chargé de coordonnerles recherches et de déterminerles priorités. Le secrétariat exé-

cutif du GCRAI est hébergé parla BM. Le président du GCRAI atoujours été un vice-président dela BM, généralement le doyendes responsables des affairesinter-régionales. Enfin, le GCRAIcomprend un représentant de laBM qui est généralement leresponsable du départementagriculture et développementrural ;

◗ d’un Technical Advisory Com-mittee (TAC) chargé deconseiller le GCRAI sur la défi-nition des priorités et de réaliserdes audits sur les CIRA. Le secré-tariat exécutif du TAC se trouveà la FAO. Les membres du TACsont proposés par les troiscosponsors et agréés par leGCRAI. Une des premièresrecommandations du TAC a étéde soutenir uniquement lesactions de recherche entreprisespar les centres sous l’égide duGCRAI.

Le système du GCRAI

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La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

Ce premier succès conduit à un déplace-ment très net de la question des RGA. Sur leplan scientifique, le débat ne se situe plusentre les tenants d’une conservation ex situou in situ, ce dernier mode étant de plus enplus marginalisé. Le débat a dorénavant lieuau sein même de la communauté scientifiquedes agronomes généticiens promoteurs de lalogique ex situ. Il s’agit de choisir entre uneapproche de conservation per se, sous laforme de banques régionales de gènes, ouune approche plus orientée vers la sélectionsous la forme de banques monovariétales degènes. Sur le plan de la gouvernance et dumode de régulation, il s’agit de choisir entreune logique intergouvernementale incarnéepar la FAO et une logique de gestion par lesbailleurs de fonds incarnée par le GCRAI.

Ce tournant se manifeste par la demandede soutien financier faite par Otto Frankelauprès du GCRAI au début des années 70qui conduit à la création d’un autre grouped’experts par le TAC. Sa mission consiste à« définir la nature et l’urgence du problèmedes RGA en rapport avec leur utilisation pourles progrès des sciences agronomiques »(TAC, 1971). Dès le départ, cette mission estdonc clairement orientée : les aspects deconservation per se ou pour un usage autreque celui des sciences agronomiques ne sontpas pris en compte. Ce groupe (que nousappellerons groupe TAC dans la suite dutexte) se réunit en mars 1972 au centre derecherche du département américain à l’agri-culture (USDA) à Beltsville.

Jusqu’en août 1973, la teneur des diffé-rentes ébauches soumises par ce groupe auTAC et au GCRAI reste toutefois équilibréeentre une conservation per se à l’échellerégionale et une conservation pour une utili-sation en vue de l’amélioration variétale. Demême, on semble se diriger vers une réparti-tion des rôles entre les différents CIRA exis-tants (à vocation d’amélioration monovarié-tale), vers de nouveaux centres à créer àvocation régionale, vers des instituts derecherche nationaux et, enfin, vers une unitéd’écologie des plantes cultivées et des res-sources génétiques de la FAO à qui le rôle decoordination serait confié (TAC, mai 1973).Mais en septembre 1973, un sous-comité duGCRAI sur les ressources génétiques se meten place (ne comprenant aucun membre desdeux précédents groupes de travail) etdécide de créer l’International Board onPlant Genetic Resources (IBPGR). Parailleurs, le réseau qui se constitue se recentresur des objectifs plus « utilitaristes » en sebasant uniquement sur les CIRA existants oudont la création est prévue12.

La situation passe ainsi d’une vision scienti-fique consensuelle fondée sur un réseau régio-nal de banques de gènes ex situ à un réseau debanques consacrées chacune à une espèced’utilité agronomique majeure (blé, riz, maïs,etc.). Le recentrage se fait autour de la conser-vation des variétés de ces espèces pour lesbesoins de la recherche agricole internationalechargée de mettre en place la révolutionverte13. L’idée de préserver des grands bassinsde biodiversité, motivée en partie par lesrisques d’érosion génétique, est abandonnée.Une autre évolution majeure concerne lemode de régulation de ces ressources géné-tiques agricoles : d’une logique multilatéralequi prévalait avec le choix de la FAO, on passeà une logique de coordination exclusive par lesbailleurs de fonds.

Les négociations de l’Engagementinternational

En optant pour ce modèle de réseau debanques de gènes géré par les pays donateursdu Nord, qui met l’accent sur la valeur agro-économique des RGA, le GCRAI va ouvrir lavoie à des critiques d’ordre politique – de lapart d’ONG dans un premier temps, puis decertains pays du Sud ensuite – qui vont trouverun lieu d’expression au sein de la FAO. Cetteorganisation entre ainsi à nouveau dans le jeuduquel elle avait été exclue en 1974.

Le débat devient politique : négociationsde l’Engagement international de la FAO

Alertées par l’affaire « Chakrabarty vs. Dia-mond »14 aux Etats-Unis à la fin des années 70,des ONG activistes (tels que Rural Advance-ment Foundation International, RAFI, devenuaujourd’hui ETC Group) vont mener desactions de lobbying auprès des gouvernementsdes pays du Sud à la FAO, en les mettant engarde sur les risques de « marchandisation »des RGA que fait peser le modèle de banquesde gènes mis en place par le GCRAI. En effet,dans ce système, les ressources génétiques sontconservées dans les CIRA au profit de l’huma-nité. Dès lors que l’utilisation de certaines res-sources génétiques peut être protégée par desdroits de propriété intellectuelle, les pays duSud, dont est originaire l’essentiel des ressour-ces génétiques sauvages, sont moins enclins àles confier à ce réseau international qui n’as-sure plus un libre accès.

En novembre 1979, au cours du conseil dela FAO, le Mexique15, appuyé par d’autres paysdu Sud, remet en cause, d’une part, le modede gouvernance choisi en soulevant le pro-blème du statut des collections de matériel

Les trois autres discours

13Institut du développement durable et des relations internationales

génétique collectées par l’IBPGR et les autresCIRA et, d’autre part, le choix d’un modèle exsitu, qui exclut de fait (en raison de barrièrestechnologiques et financières) la capacité decertains pays du Sud à tirer profit des ressour-ces génétiques collectées et améliorées par leréseau mis en place. Derrière cette revendica-tion, c’est donc à la fois l’efficacité du systèmede gouvernance et l’efficacité de la solutionsubstantielle qui sont remis en cause.

Ces pays demandent au directeur généralde la FAO deux études. La première vise àfournir les éléments permettant d’aboutir à unaccord entre gouvernements plutôt qu’entreinstitutions scientifiques pour garantir l’accèslibre aux ressources génétiques agricoles(RGA). La seconde doit étudier la possibilitéde créer une banque internationale alternativede RGA sous l’égide de la FAO. Malgré les vio-lentes critiques de certains pays industrialisés(Etats-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, etc.), cettedemande est reprise par la résolution 6/81 du21e conseil de la FAO en 1981, qui permet for-mellement à la FAO de revenir dans le jeu.Directement mis en accusation et menacé dansson mandat par cette seconde revendication,l’IBPGR va réaliser une étude de son côté etentamer des négociations et du lobbying à laFAO. Son objectif est double : montrer que lesseules entraves à l’échange au sein du réseauGCRAI sont des contraintes d’ordre politique(comme par exemple des embargos sur cer-tains pays) et que, par conséquent, les droitsdes obtenteurs ne sont pas un facteur d’exclu-sion dans la mesure où les pays du Sud ne sontpas soumis aux mêmes règles ; souligner l’ab-surdité de dupliquer un travail largemententamé par le réseau GCRAI, dans uncontexte d’érosion génétique rapide, surtoutdes ressources rares.

Ce travail de persuasion va porter ses fruitsmais la question d’un réseau FAO sera en faitintégrée dans les négociations sur la mise enplace d’un cadre régulatoire des échanges deRGA. Ces négociations aboutissent lors du 22e

conseil de la FAO, en novembre 1983, avec laproposition d’un Engagement international(EI) et la création d’une commission intergou-vernementale sur les RGA (CRGA) pour ensurveiller l’application. Le mode de gouver-nance des RGA redevient multilatéral. CetEngagement international est perçu commeune victoire par les pays du Sud, la CRGAdevant être l’outil permettant une meilleurereprésentation des pays du Sud dans le sys-tème de régulation.

Néanmoins, cette victoire n’est que symbo-lique dans la mesure où l’accord reste juridi-quement non contraignant. Pourquoi ? Le

modèle de régulation promu par l’Engage-ment international en 1983 s’appuie sur unréseau international de conservation de ger-moplasmes placé sous les auspices de la FAOet sur la reconnaissance du principe de l’accèslibre à l’ensemble du matériel génétique de ceréseau, y compris le matériel amélioré et cou-vert par des droits d’obtenteurs. L’Engagementinternational conforte donc le principe depatrimoine commun de l’humanité en l’élar-gissant au matériel végétal sélectionné. Cettenon-reconnaissance des droits des obtenteursrend ce traité inacceptable aux yeux de la plu-part des pays du Nord, dont le secteur semen-cier s’est professionnalisé en s’autonomisantde la production agricole. Cette tension seretrouve au sein de la commission des ressour-ces génétiques agricoles qui, lors de sa pre-mière réunion en 1985, ne parvient pas à dis-siper le conflit sur le partage des bénéfices liésà la mise au point de variétés sélectionnées.D’un côté, les pays exportateurs de variétésaméliorées défendent l’existence d’un méca-nisme de protection intellectuelle16 pourcompenser les investissements de la mise aupoint des nouvelles variétés. De l’autre, lespays en développement soulignent que cetravail de valorisation n’aurait pas été possi-ble s’ils n’avaient pas fourni la matière pre-mière, c’est-à-dire les ressources génétiques.Ils veulent obtenir une compensation pourcet apport : c’est le droit des agriculteurs.

La dimension économique du problème : le nouveau compromis des Keystone Dialogues

Face aux droits des obtenteurs qui pour-raient remettre en cause le principe du libreaccès, les réactions divergent. D’un côté, lesagronomes (qu’ils soient chercheurs dans lesecteur public, sélectionneurs/généticiens ouagro-industriels) considèrent que les RGA doi-vent rester patrimoine commun de l’humanitéet qu’il est dangereux de leur attribuer unevaleur économique du fait de leur importancedans la production agricole et donc pour lasécurité alimentaire. D’un autre côté, desONG très actives dans le débat, telles queRAFI, expliquent que derrière ce discours affi-ché des RGA comme bien public échangeablelibrement se cache en fait une marchandisa-tion. L’accusation porte sur les droits desobtenteurs qui, en limitant l’accès aux variétésaméliorées, s’opposent au principe fondateurde libre circulation des ressources génétiques17.

Ce conflit menace l’IBPGR, la souverainetédes donateurs ainsi que les législations natio-nales sur les droits des obtenteurs, l’Unioninternationale pour la protection des obten-tions végétales (UPOV) essentiellement.

14 Institut du développement durable et des relations internationales

La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

Pour l’IBPGR, l’enjeu de l’EI est de savoir sila commission intergouvernementale mise surpied ne va pas se substituer à l’IBPGR ou auGCRAI. Or l’Engagement international estune coordination intergouvernementale danslaquelle l’IBPGR n’a pas de représentationlégale du fait de son statut d’organisation inter-nationale indépendante à but non lucratif18.Avec l’aide de fondations américaines et despays nordiques, l’IBPGR décide alors de finan-cer une rencontre informelle pour surmonterles tensions apparues au sein de l’EI et créerun consensus sur la question du partage desbénéfices. Entre 1988 et 1991, cette initiativeréunit les principaux acteurs impliqués dansune structure informelle, les Keystone Dialogues(KD), afin de développer des recommanda-tions consensuelles et trouver une issue auconflit apparu au sein de l’EI. Les KD, organi-sés par une fondation américaine19, essentielle-ment sous l’impulsion d’agro-généticiens, sontconçus comme une mininégociation avec desmembres de gouvernements de pays du Nordet du Sud (exclusivement anglo-saxons), ungrand nombre de scientifiques (des agrono-mes et des généticiens) et des représentants defirmes semencières et agrochimiques etd’ONG20.

Les KD surviennent à un moment où, avecla montée en puissance des environnementa-listes marquée par la préparation d’uneConvention sur la diversité biologique au seindu PNUE, la conservation in situ revient sur ledevant de la scène. Par ailleurs, même si ellesne sont pas suivies d’effets tangibles21, plu-sieurs conférences ou groupes de travail semettent en place au sein de la communautédes agronomes au cours des années 80, danslaquelle la FAO et l’IBPGR sont parties pre-nantes. Le contexte international est égale-ment marqué par l’échec relatif des objectifsde la révolution verte menée dans les années70 et 80 qui se traduit par une chute impor-tante des budgets consacrés à la rechercheagricole. Ces événements permettent de repo-ser la question du lien entre stratégie deconservation des RGA et développement agri-cole (utilisation). Rappelons que la solution dela conservation in situ avait été écartée à la findes années 60 au motif, entre autres, qu’elle nerépondait pas efficacement au problème dudéveloppement agricole et de la sécurité ali-mentaire. Or, le concept de développementdurable, en introduisant la notion de durée etde reproductibilité à long terme, permet dereconsidérer le lien entre développement etconservation in situ.

Avec ce raisonnement, il n’y a alors plusd’obstacle à la reconnaissance des droits desagriculteurs par les pays industrialisés. Ces

droits sont conçus comme un droit social etpolitique – dont le contenu reste à préciser –faisant contrepoids aux droits de propriétéintellectuelle des obtenteurs : il est reconnuque les variétés collectées ne sont pas brutesmais sont le fruit d’une amélioration séculairepar les paysans et les communautés rurales.Par le biais du droit des agriculteurs, on recon-naît d’autres formes d’innovation que cellesdécoulant d’une démarche « scientifique ».

La première session des KD ne va pas plusloin et ne précise pas comment déterminer lavaleur de ces formes alternatives d’innovation.Seule la question du mécanisme est abordée,celui-ci se présentant sous la forme d’un fondsmultilatéral. Mais cette solution va se confron-ter à celle qui s’élabore dans une autreenceinte, le GATT. Toujours est-il qu’en 1989,les dialogues de Keystone aidant, les Etats par-ties à l’EI reconnaissent unanimement à la foisle droit des agriculteurs et ceux des obtenteurs(résolutions 4/89 et 5/89). Cela a pour consé-quence de rendre caduc le concept de patri-moine commun de l’humanité pour les res-sources génétiques et les parties à l’EI sontamenées à reconnaître la souveraineté desEtats sur celles-ci en 1991 (résolution 3/91)22.

Si ce dialogue se déroule essentiellementau sein de la communauté élargie des agrono-mes en vue de résoudre un conflit interne, ilpermet de faire le lien avec les négociations surla Convention sur la biodiversité via la ques-tion de la conservation in situ. En établissantcette connexion et en conférant un rôle nou-veau aux scientifiques dans la reconstructionde la nature du conflit et dans la gestion dusystème, beaucoup croyaient que les débatsseraient moins politisés que ce qu’ils n’avaientété au sein de la FAO. L’émergence de la ques-tion des droits de propriété intellectuelle ausein de la CDB va leur donner tort.

Le discours économique

La propriété intellectuelle a connu une pre-mière grande consécration internationale lorsde la conférence de Paris de 1883. Celle-ci metmomentanément fin à une série de controver-ses sur le bien-fondé du brevet, crée l’Union deParis, qui réunit les pays qui partagent desrègles semblables de protection de la propriétéintellectuelle et organise les questions trans-frontalières. Après cette première consécra-tion, le XXe siècle, surtout dans sa secondemoitié, voit un double mouvement d’extensionqui intéresse la biodiversité : extension théma-tique d’une part – la propriété intellectuelles’étend à de nouveaux objets, notamment au

Les trois autres discours

15Institut du développement durable et des relations internationales

vivant – ; extension géographique d’autre part– la protection de la propriété intellectuellequi était une question limitée à un petit clubde pays industrialisés se généralise à l’ensem-ble des pays.

L’extension de la propriété intellectuelleau vivant

Les croisements entre semences sont aussivieux que l’agriculture et les échanges desemences entre continents ont commencé avecles premiers voyages de l’homme. Même si onne parlait pas ainsi jadis, le statut des espècesvégétales et des ressources génétiques s’appa-rente à la notion de patrimoine commun del’humanité, c’est-à-dire au libre accès. Les pre-miers efforts de croisements et d’échanges,plus ou moins organisés, visent à accroître lasécurité alimentaire en augmentant et endiversifiant la production.

A partir du début du XXe siècle, on chercheà organiser et valoriser le travail de collectionet de sélection. Longtemps, les agriculteurscontinuent à jouer le premier rôle dans ceteffort de recherche. Cependant, progressive-ment, l’activité de sélection se détache del’agriculture proprement dite pour devenirune activité spécifique, assumée d’abord par lesecteur public puis de plus en plus par le sec-teur privé. Emerge ainsi une nouvelle catégo-rie professionnelle, les sélectionneurs, quiinvestit des montants de plus en plus impor-tants dans la sélection et cherche des moyensde recouvrer son investissement.

Un élément de solution vient de la naturedes résultats de la sélection, qui donne lieu àdes variétés hybrides et stériles. Si elles per-mettent d’améliorer la productivité, elles obli-gent l’agriculteur à acheter des nouvellessemences chaque année pour profiter del’amélioration variétale. L’identification deslignées qui composent les variété hybrides estun travail long et difficile qui ralentit forte-ment la recréation des semences par les agri-culteurs sans qu’il y ait besoin d’interdire laréutilisation. Ainsi, dans un régime de libreaccès, les variétés hybrides et stériles bénéfi-cient d’une protection dont les effets s’appa-rentent à ceux des droits de propriété intellec-tuelle. Les semences « Terminator », quisuscitent tant de polémiques aujourd’hui,étaient déjà en germe à cette époque.

Cependant, l’obtention de variétés hybri-des stériles ne répond pas entièrement ausouhait des semenciers. En 1938, ils fondentl’Association internationale des sélectionneurspour la protection des obtentions végétales(ASSINSEL)23 qui va jouer un rôle de premier

plan dans la protection des obtentions végéta-les par la propriété intellectuelle24. Les sélec-tionneurs songent d’abord au brevet, maiscelui-ci pose des difficultés techniques et poli-tiques. Du point de vue technique, le brevet aété envisagé pour des produits ou des procé-dés industriels avec des caractéristiques diffé-rentes des végétaux. Alors que les produitsindustriels peuvent être reproduits à l’iden-tique, les végétaux varient davantage d’un indi-vidu à l’autre et selon les caractéristiques del’environnement (climat, sol, etc.). Mais plusencore, c’est le caractère autoreproducteur desvégétaux qui constitue la plus grande diffé-rence avec les produits industriels. D’un pointde vue politique, on craint surtout une aug-mentation du prix des semences. Ces difficul-tés techniques et politiques vont marquer l’évo-lution progressive du débat sur l’applicationdes règles de la propriété intellectuelle auxvégétaux.

La suite de l’histoire révèle une préséancedes problèmes techniques sur les questionspolitiques. L’évolution de la protection duvivant par la propriété intellectuelle montreque, derrière les grands débats politiques ouéthiques qui occupent le devant de la scène,c’est en surmontant les difficultés techniquesque les problèmes se résolvent. Comme ilapparaissait difficile de protéger des végétauxde la même façon que des produits industriels,des instruments de protection spécifiques ontété créés, avant de s’apercevoir progressive-ment que les critères de protection du brevetpouvaient s’appliquer au vivant. C’est ainsiqu’aujourd’hui la protection du brevet peutporter aussi bien sur du vivant que sur de lamatière inerte, sans que la question de la bre-vetabilité du vivant ait jamais véritablement ététranchée politiquement.

En Europe, dans les années 30-50, on voitapparaître quelques lois (en Espagne, enAllemagne, aux Pays-Bas et en Autriche) quioffrent un début de protection aux sélection-neurs. Mais c’est la convention UPOV quicrée le premier instrument d’une protectionforte et internationale. En 1956, l’ASSINSELtient un important congrès qui précède depeu les négociations qui mèneront à la signa-ture de la première convention UPOV. En1957, la France convoque une conférenceinternationale sur la protection des obten-tions végétales pour contourner l’apathie dusystème de brevet industriel et l’ASSINSEL sevoit proposer d’héberger la conférence. Laconvention UPOV sur la protection desobtentions végétales est finalement signée en1961 par cinq pays : la France, l’Allemagne,l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, rejoints,en 1962, par le Danemark, le Royaume-Uni et

la Suisse. L’UPOV crée un certificat d’obten-tion végétale, une forme de droit de pro-priété intellectuelle plus légère que le brevet,et un monopole d’exploitation de quinze ans(dix-huit pour les vignes et les arbres) sur unevariété végétale, non sur les gènes qui la com-posent. Les cultivars sont protégés pour leurutilisation directe en tant que matériel dereproduction. Ils sont libres d’accès en tantque ressources génétiques. Ce monopole estsoumis à quatre conditions et deux limites.Les quatre conditions de protection sont lanouveauté, la distinction, l’homogénéité et lastabilité. La variété ne doit pas encore êtreconnue ; elle doit se distinguer d’autres varié-tés par un ou plusieurs caractères ; elle nepeut pas donner lieu à des différences tropimportantes entre les individus et, enfin, lavariété ne doit pas se modifier au fur et àmesure des reproductions. Ces quatre condi-tions, particulièrement l’homogénéité et lastabilité, révèlent une volonté de protéger lesvariétés qui se rapprochent des produitsindustriels, protégés par le brevet. Les deuxlimites de ce monopole d’exploitation sontl’exemption de la recherche et le privilège dufermier. La nouvelle variété est disponible,sans redevance à payer, pour quiconquedésire créer d’autres variétés y compris à desfins commerciales. Les agriculteurs sont li-bres de réensemencer leur champ avec leproduit des variétés végétales protégées. Cesdeux limites reflètent sans doute les difficul-tés politiques envisagées ci-dessus.

Les Etats-Unis progressent également parétapes. En 1930, ils adoptent le Plant PatentAct, qui permet l’octroi d’une forme de bre-vet sur les végétaux mais uniquement sur lesespèces à reproduction asexuée. Cette limita-tion permet d’exclure de la protection lesfruits et les céréales ainsi que les pommes deterre, qui font l’objet d’une exclusion spéci-fique25. On peut y voir la crainte des agricul-teurs et des scientifiques que la protectiondes variétés à reproduction sexuée mette finau libre-échange de matériel génétique etmène à la concentration de droits de pro-priété dans le champ de l’industrie semen-cière. En 1970, les Etats-Unis adoptent lePlant Variety Protection Act. Ce texte, votécontre l’avis du ministère fédéral de l’agri-culture26 assure cette fois une protection desespèces à reproduction sexuée tout en garan-tissant un important privilège du fermier.Celui-ci peut conserver, récolter, resemer ouvendre des semences. Cependant, ce privi-lège sera réduit dans une modification légis-lative en 1995 : l’agriculteur ne peut désor-mais conserver qu’une faible partie de sarécolte, nécessaire pour réensemencer ses

propres champs27. Ce Plant Variety ProtectionAct aligne en fait le régime américain surcelui de l’Europe et prépare l’adhésion desEtats-Unis à l’UPOV en 1981.

En 1980, dans un cas célèbre, « LandmarkChakrabarty vs. Diamond », la Cour suprêmedes Etats-Unis admet pour la première fois laprotection d’une invention portant sur levivant par un brevet classique28 et non plus parun droit de propriété intellectuelle spécifique.Après ce premier cas, la protection par le bre-vet va s’étendre de plus en plus généralementaux inventions portant sur le vivant. La ques-tion n’est plus tant de savoir si le vivant peutêtre breveté mais de cerner si une invention,quel que soit son objet, remplit les conditions« techniques » de brevetabilité : il doit s’agird’une invention, nouvelle, comportant uneactivité inventive, susceptible d’applicationindustrielle. La protection du vivant s’étendaussi géographiquement au monde industria-lisé. Un an après la décision de la Coursuprême américaine, l’Office européen desbrevets annonce dans un communiqué depresse une nouvelle interprétation des conven-tions de Munich et de Budapest, qui accepte leprincipe de la brevetabilité du vivant29.

Une fois la brevetabilité du vivant admisepar les offices de brevets, on assiste à uneforme de concurrence entre les deux régimesde protection. La convention UPOV est amen-dée en 1991 pour offrir une protection renfor-cée qui se rapproche de celle du brevet : pro-tection étendue à l’ensemble des végétauxsupérieurs (non plus aux seuls cultivars, maisaussi aux variétés botaniques), protection éten-due aux « variétés manifestement dérivées » dela variété protégée, possibilité de recourir àune double protection (brevet et COV) autori-sée dans certains pays, remise en cause del’exemption de recherche (limitée à la recher-che expérimentale) et atténuation considéra-ble du privilège des agriculteurs.

Les Etats-Unis ont obtenu que la conven-tion UPOV lève l’interdiction de double pro-tection, certificat d’obtention végétale et bre-vet. Ainsi, chez eux, les inventeurs peuventchoisir le type de protection qu’ils souhaitent.Si leur invention remplit les conditions de bre-vetabilité, il est probable qu’il choisiront la pro-tection par brevet, plus forte. En Europe, on afait un choix différent. Les variétés végétalesne peuvent pas être brevetées mais seulementprotégées par un certificat d’obtention végé-tale, ce qui donne lieu à un résultat assez para-doxal : les inventions portant sur le vivant peu-vent faire l’objet d’un brevet si ellesremplissent les conditions de brevetabilité,mais pas les nouvelles variétés végétales30. Le

16 Institut du développement durable et des relations internationales

La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

Les trois autres discours

17Institut du développement durable et des relations internationales

choix entre les deux types de protection seretrouve aujourd’hui dans l’article 27.3 del’accord de l’OMC sur les aspects des droits depropriété intellectuelle liés au commerce(Adpic).

L’extension géographique de la propriétéintellectuelle

A côté des débats qui ont entouré l’exten-sion de la propriété intellectuelle à de nou-veaux domaines, une autre question a faitl’objet de longues et difficiles discussions : lagénéralisation des règles de propriété intel-lectuelle à tous les pays. Les discussions sesont étalées sur une trentaine d’années, endeux temps et deux directions opposées,avant d’aboutir à l’accord Adpic de l’OMC.

Le temps de la Cnuced31 et de l’OMPI

Après la période des indépendances et l’ap-parition de nombreux nouveaux Etats sur lascène internationale, les pays du Sud essayentde programmer leur développement écono-mique, social et technique. Ils se rendent trèsvite compte que, au-delà de l’indépendancepolitique, il leur faut acquérir une indépen-dance économique et sortir du schéma où ilsfournissent les matières premières et impor-tent les produits manufacturés. La question dutransfert de technologie devient cruciale. Jus-qu’alors, le transfert de technologie se faisaitprincipalement par le biais du marché et selimitait au matériel (achat de produits finisfabriqués ailleurs) ; les investissements étran-gers portaient exclusivement sur des filiales demultinationales, éventuellement sur desrachats d’entreprises locales. Le transfert desavoir-faire et de technologie à proprementparler était quasiment absent. Pendant lesannées 70, les controverses sont vives entrepays sur le rôle de l’Etat dans la politiqueindustrielle, le développement économique, lecommerce, la politique d’investissements, etc.32

D’une manière générale, de nombreux pays duSud, inspirés notamment par l’école de ladépendance en Amérique latine, exprimentleur insatisfaction à l’égard du modèle écono-mique libéral33. Ils affirment leur préférencepour un système d’allocation autoritaire desressources, pour une intervention de l’Etatdans le transfert de technologie plutôt qu’uneconfiance dans les mécanismes du marché. Laréponse envisagée est une rapide industrialisa-tion par un programme accéléré de substitu-tion aux importations. L’idée est de freiner lesimportations de produits de consommationpour conserver les capitaux nécessaires à l’in-dustrialisation, de nouvelles industries natio-

nales devant fournir les biens de consomma-tion. Cette nouvelle stratégie a des conséquen-ces pour les multinationales qui étaient jus-qu’alors le principal vecteur de transfert detechnologie34.

A la fin des années 60 et au début de ladécennie suivante, tirant profit de la concur-rence entre investisseurs, les pays qui sont aufront des revendications – l’Argentine, le Bré-sil, l’Inde, le Mexique et les pays du Pacteandin –, adoptent tous des lois destinées à ren-forcer leur pouvoir de négociation et à réduireleur dépendance à l’égard des fournisseursétrangers : limitation des bénéfices qui peu-vent être exportés, proportion minimale ducapital qui doit appartenir à des nationaux,encouragement des joint-ventures au lieu dessimples filiales, obligation d’assembler les pro-duits sur place plutôt que de simplementimporter, etc. Ces pays pionniers veulent voirleur démarche soutenue par des règles inter-nationales, ce qui conduit à des demandesrépétées de négociation35. Une conjonction defacteurs favorables explique sans doute lesrevendications du Sud et la réceptivité momen-tanée des pays du Nord. Il faut souligner d’unepart la solidarité du Sud, qui est uni dans sacritique du modèle économique libéral et sefédère en G77, et l’impact de la création del’OPEP et des crises et tensions pétrolières quisuivent. Nord et Sud croient un moment quele Sud, fournisseur de matières premières,dispose d’un important pouvoir de négocia-tion. Par ailleurs, le Canada et l’Europe occi-dentale sont inquiets du degré de pénétrationdes multinationales étrangères dans leur éco-nomie. Tout cela conduit le Nord et le Sud àentamer au milieu des années 70 des négocia-tions internationales pour créer un cadre nor-matif pour le transfert de technologie. Troistypes de négociations s’engagent simultané-ment : un code de conduite sur le transfert detechnologie, la révision de la convention deParis sur le brevet, à la demande du Sud, et uncode de conduite sur les Restrictive BusinessPractices, à la demande du Nord.

A l’OMPI, des négociations préparatoiresont lieu entre 1975 et 1980. Puis, de 1980 à1984, se tiennent quatre sessions d’une confé-rence internationale sur la révision de laconvention de Paris. Lors de la seconde ses-sion, les parties s’entendent sur un compro-mis, dit de Nairobi, qui satisfait une série derevendications des PED, les pays du Nordétant divisés sur la question. Mais, le consensusdisparaît lors de la troisième session de négo-ciations. Les PED considèrent le compromisde Nairobi comme un acquis et veulent allerplus loin. Mais entretemps, les pays industriali-sés ont changé d’avis. Un nouveau compromis

18 Institut du développement durable et des relations internationales

La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

est tenté pour tenir compte des objections for-mulées par les Etats-Unis, mais cette fois cesont les PED qui rejettent la proposition. Latroisième session de négociation est un échec.La quatrième ne sera pas plus concluante, ellevoit même les Etats-Unis demander un relève-ment des exigences communes en matière depropriété intellectuelle36. Simultanément, de1975 à 1978, des négociations sur un « Codeinternational de conduite sur le transfert detechnologie » se tiennent au sein de la Cnu-ced37. Les négociations sont ensuite renvoyéesà une conférence des Nations unies qui seréunit six fois entre 1979 et 1985. Elles avan-cent dans un premier temps grâce aux conces-sions des PED, mais finalement, le texte neplaît ni à l’administration Reagan, très libre-échangiste, ni aux pays d’Amérique latine, quine reconnaissent plus leur projet.

Le grand renversement : propositions des paysdéveloppés au sein du GATT38

Après avoir accepté de discuter à la Cnucedet à l’OMPI d’un code de conduite sur le trans-fert de technologie et d’un assouplissement dela convention de Paris, les pays industrialisés seravisent à partir des années 80. La situationinternationale change, les pays du Nord sontmoins bien disposés à l’égard du Sud, les thè-ses libérales reprennent leur vigueur. De nom-breuses entreprises américaines, puis euro-péennes et japonaises, considèrent qu’ilfaudrait au contraire revoir à la hausse les exi-gences de la convention de Paris qui offre desstandards de protection de la propriété intel-lectuelle assez faibles. Frappés par le ralentis-sement de leur économie et la concurrencedes pays nouvellement industrialisés, les paysindustrialisés se rendent compte que leuravance technologique constitue leur principalavantage comparatif, qu’il s’agit de renforceren généralisant et en renforçant la propriétéintellectuelle.

Dès la fin des années 70, le tandem formépar les entreprises pharmaceutiques et l’Officeaméricain des brevets essaye de lancer de nou-velles négociations pour renforcer les exigen-ces de la convention de Paris. A l’OMPI, où lesPED sont précisément en train de négocier ensens inverse, ce sera nécessairement un échec.Le débat se déplace alors vers le GATT39.

Le GATT s’est construit autour de la réduc-tion des tarifs douaniers mais peu à peu sonaction s’est étendue aux obstacles non tarifai-res au commerce. Dès les années 80, le secré-tariat d’Etat américain au commerce (USTR)et les American Patent Interests envisagent de lierdes concessions des PED en matière de pro-priété intellectuelle aux concessions du Nord

en matière de textile et d’agriculture. Pourcela, ils s’appuient sur le nouveau systèmeselon lequel les Etats ne peuvent plus adhérerà la carte aux différents accords. C’est le sys-tème du tout ou rien40.

Cependant, faire entrer la propriété intel-lectuelle dans les négociations multilatéralessur le commerce n’est pas une tâche aisée. Eneffet, le G10 (Argentine, Brésil, Cuba, Egypte,Inde, Nicaragua, Nigeria, Pérou, Tanzanie etYougoslavie) s’y oppose et refuse de mettre cesujet à l’agenda de l’Uruguay Round et ce, pen-dant des années. Les Etats-Unis, qui ont déjàentrepris de nombreuses démarches bilatéra-les pour renforcer la protection des droits depropriété intellectuelle, se dotent de plusieursinstruments législatifs pour renforcer leuraction. D’une part, ils amendent la section 301du Trade Act, qui permet au président de pren-dre toutes les mesures pour obtenir le respectdes accords commerciaux ou éliminer les obs-tacles au commerce extérieur américain. En1984, un amendement autorise l’USTR à lan-cer lui-même la procédure et cite explicitementl’absence de protection adéquate de la pro-priété intellectuelle comme motif de plainte41.D’autre part, dans le même Trade Act, la pro-tection effective des droits de propriété intel-lectuelle devient une condition explicite d’oc-troi aux PED du système des préférencesgénéralisées qui les dispense de nombreuxdroits de douane42. L’USTR va même jusqu’àactiver lui-même, c’est une première, la procé-dure section 301 contre la Corée et le Brésil,jusqu’à ce qu’ils cèdent. Finalement, les paysindustrialisés obtiennent l’ajout d’un paragra-phe sur les droits de propriété intellectuelledans la déclaration de Punta del Este qui fixel’agenda des négociations de l’UruguayRound. Le texte est plutôt flou et partielle-ment contradictoire, mais il atteste que leGATT devient peu à peu le lieu des négocia-tions internationales sur la propriété intellec-tuelle grâce au mécanisme des concessionscroisées (linkage bargaining)43.

Une fois déterminé l’agenda des négocia-tions, l’étape suivante consiste à déterminer laplace et l’importance que la propriété intellec-tuelle doit occuper. Les Etats-Unis, et d’unemanière générale les pays du Nord, souhaitentque les négociations concernent tous les droitsde propriété intellectuelle, que le futur traitéreprenne toutes les conventions existantes etaillent plus loin dans les exigences de protec-tion. Au contraire, un pays comme l’Inde,porte-parole du G10, souhaite qu’on se limite àun code sur la contrefaçon en rapport avec ledroit des marques et les droits d’auteurs. S’en-suivent de longues et nombreuses négocia-tions, marquées par la forte implication des

Les trois autres discours

19Institut du développement durable et des relations internationales

milieux d’affaires. Finalement, c’est la logiquedes rapports de force qui l’emporte. Le secré-tariat du GATT résume bien le débat en disantque les pays du Sud n’ont pas à choisir entre laconvention de Paris de l’OMPI et le GATTmais entre le GATT et la section 301, c’est-à-dire l’unilatéralisme américain. Finalement, lesPED préfèrent les garanties offertes par lafuture OMC. En conclusion, on peut dire quel’OMC s’est imposée comme le nouvel acteurdéterminant en matière de propriété intellec-tuelle et que d’importants standards de pro-tection sont désormais communs à la quasi-totalité des Etats.

Le discours sur l’autochtonie

Au sein de l’article 8 consacré à la conser-vation in situ, la CDB consacre le paragraphe jau respect, à la préservation et au maintien dessavoirs traditionnels des communautés autoch-tones et locales. Ces deux notions ne recou-vrent pas exactement la même réalité. Lanotion d’autochtonie suppose trois éléments :l’occupation antérieure d’un territoire, la non-domination et une revendication identitaire.Cette notion concerne principalement despeuples des Amériques et de l’Océanie. Leterme de communauté locale, quant à lui, n’estpas défini précisément. Il est utilisé pour dési-gner dans le reste du monde, notamment enAfrique et en Asie, des communautés qui ontgardé un mode de vie traditionnel et main-tiennent en vie un ensemble de savoirs tradi-tionnels portant sur les ressources biologiques.

Le combat pour la reconnaissance desdroits des peuples autochtones a une histoirepropre et longue. Les revendications vont bienau-delà des questions évoquées dans la CDB.Toutefois, un aperçu de cette histoire et de cesrevendications peut s’avérer utile pour com-prendre la place des peuples autochtones dansles discussions sur les savoirs traditionnels.

Internationalisation versus internalisation

L’autochtonie comme mouvement derevendication sur la scène internationale com-mence en 1923 quand le chef des Iroquois faitson entrée à la Société des Nations à Genèvepour plaider la cause de son peuple et faire ensorte que celui-ci soit reconnu comme unenation souveraine. Cette tentative, ainsi qu’uneseconde en 1930, se solde par un échec. LaSociété des Nations ne voit dans les Iroquoisqu’une minorité ethnique. Malgré cela, les Iro-quois restent persuadés que la communautéinternationale peut les aider à réaliser leurs

aspirations. Depuis, les peuples autochtonestentent d’agir collectivement sur la scèneinternationale pour deux motifs : leur incapa-cité à obtenir justice des gouvernements desEtats dont ils dépendent et leur refus de sereconnaître dans les catégories politiques exis-tantes44. L’internationalisation de la questionautochtone constitue une tentative de renver-ser ce qu’on appelle le paradigme de l’interna-lisation. L’internalisation vise le transfert pro-gressif des relations avec les peuplesautochtones du domaine du droit internatio-nal45 au droit national. L’obligation de négocierdes traités a ainsi été progressivement rempla-cée par l’appropriation par les Etats d’un pou-voir de légiférer sur ces peuples et leurs mem-bres46.

Les premiers succès

Depuis les années 70, les peuples autoch-tones sont graduellement devenus des bénéfi-ciaires potentiels de l’action internationale etsurtout des nouveaux acteurs sur la scène desNations unies. En 1977, ils font leur entrée àl’ONU par la petite porte, dans le cadre d’uneconférence internationale sur la discrimina-tion à l’encontre des populations autochtonesdans les Amériques, organisée à l’initiatived’ONG au sein du sous-comité sur le racisme,la discrimination raciale, l’apartheid et ladécolonisation du comité spécial des ONGinternationales pour les droits de l’homme. Ledocument-clé de la conférence est une« Déclaration de principes pour la défense desnations et peuples autochtones de l’hé-misphère occidental »47. Cette déclarationcontient déjà tous les éléments de la questionautochtone. Elle aborde notamment une ques-tion centrale, en revendiquant la personnalitéjuridique de droit international des peuplesautochtones. Elle souligne l’importance destraités conclus par les puissances européenneset dénonce leur tentative d’abrogation. Y figu-rent aussi des éléments sur la protection del’environnement et l’intégrité culturelle. Cettepremière conférence et sa déclaration finaleconstituent les prémices d’un changement dephilosophie. En effet, jusqu’à la fin des années70, les politiques orientées vers les peuplesautochtones visaient à leur assimilation. Cetteassimilation était prise en charge par des insti-tutions comme l’école et les églises. Les lan-gues, les religions et les pratiques culturellesétaient découragées quand elles n’étaient pasinterdites. L’assimilation des valeurs de lasociété dominante était une condition pourparticiper à la vie politique nationale. Uneconférence similaire a lieu en 1981. Les deuxconférences de 1977 et 1981 peuvent être

20 Institut du développement durable et des relations internationales

La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

considérées comme les préliminaires de l’ins-tauration, en 1982, du groupe de travail despopulations autochtones48, qui sera la véritablepercée de la cause autochtone à l’ONU.

Les textes importants

L’étude Martinez-Cobo49

La célèbre « Etude du problème de discri-mination à l’encontre des populations autoch-tones », associée au nom du rapporteur de lasous-commission, José Martinez-Cobo, consti-tue une autre étape cruciale de l’évolution dela question autochtone. Cette étude exhaus-tive, conduite sur treize années, a laissé unedéfinition des peuples autochtones50 pour lestravaux des Nations unies et la plupart de sesrecommandations ont été suivies. C’est cettedéfinition de travail qui consacre les trois élé-ments constitutifs mentionnés ci-dessus : uneantériorité d’occupation, une non-dominationet une revendication identitaire.

Le projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones51

Ce projet élaboré par le groupe de travailsur les populations indigènes, mentionné plushaut est approuvé en 1994 par la sous-com-mission52 et attend d’être soumis à l’Assembléegénérale des Nations unies. Le texte est com-posé de neuf parties. La première et la der-nière énoncent des principes d’égalité et denon-discrimination. La deuxième partiecontient des dispositions contre le génocide etl’enrôlement forcé dans les forces armées. Latroisième partie constitue une tentative d’ex-tension aux peuples autochtones de la protec-tion de la culture, de la religion et de l’identitélinguistique prévue par l’article 27 du pacteinternational sur les droits civils et politiques.La quatrième traite de la non-discriminationdans l’enseignement, l’information et le mar-ché du travail. Les parties cinq, six et sept, sontles plus importantes. Elles traitent respective-ment des droits économiques, sociaux et cultu-rels, des territoires et ressources ainsi que desinstitutions autochtones. La huitième évoquela mise en œuvre.

Pour les peuples autochtones, la question laplus importante est celle de l’autodétermina-tion dont découlent toutes les autres. C’estaussi la plus controversée. Pour la plupart desgouvernements, l’autodétermination est unchangement radical de la structure des Etatsqui va au-delà de ce qu’ils peuvent accepter,sauf à l’interpréter comme le droit à unemarge d’autonomie à l’intérieur de l’Etat. Au-delà du projet de déclaration, un des apports

non négligeable du groupe de travail est d’êtreparvenu, via le processus d’élaboration du pro-jet de déclaration, à engager les Etats, les peu-ples autochtones et d’autres acteurs dans unlarge dialogue multilatéral sur le contenu et lestatut des droits des peuples autochtones.

La convention 169 de l’OIT sur les peuplesautochtones et tribaux dans les Etats indépendants

L’action de l’OIT est importante, d’unepart parce qu’elle est la première organisationintergouvernementale à se saisir de la questiondes droits des peuples autochtones et, d’autrepart, parce que la convention 169 est le seultexte véritablement contraignant en vigueur.Déjà, en 1939, l’OIT élabore la conventionn° 64, qui régule les contrats de travail entreles employés autochtones et les employeursnon autochtones. En 1957, l’OIT adopte laconvention n° 157 sur les populations autoch-tones et tribales, qui est ratifiée par vingt-septEtats. A cette époque, l’idée est d’intégrer lespopulations autochtones dans la société domi-nante et de les traiter comme des égaux. Cetteconvention, jugée trop « assimilationiste » etqui ne s’est pas révélée très efficace dans lespays qui l’ont ratifiée, est remplacée par laconvention n° 169, qui encourage la préserva-tion culturelle. Cette convention est entrée envigueur le 5 septembre 1991. Jusqu’à présent,elle a été ratifiée par dix-neuf Etats. Elle pour-rait déboucher sur des normes internationalescontraignantes sur la façon dont les gouverne-ments devraient traiter les peuples autochto-nes. Toutefois, on ignore encore si la conven-tion sera ratifiée par un grand nombre d’Etats.En effet, les autochtones ont revendiqué desdroits dont les bénéficiaires sont des commu-nautés plutôt que des individus. La nature col-lective de ces droits butte sur la dichotomieentre Etat et individu, fondamentale dans laconception de nos sociétés et dans le droitinternational. En outre, ces droits collectifsmettent en cause la notion de souveraineté desEtats.

Autres textes

Si la convention de l’OIT et le projet dedéclaration des Nations unies constituent lesprincipaux instruments de reconnaissance desdroits des autochtones, d’autres instrumentsjuridiques mentionnent également ces droits.On peut en citer quelques-uns. En 1991, laBanque mondiale a adapté ses directives opé-rationnelles53 pour tenir compte des commu-nautés autochtones. En 1995, la commissioninteraméricaine des droits de l’homme del’Organisation des Etats américains a approuvé

Les trois autres discours

21Institut du développement durable et des relations internationales

un « Draft of the Inter-American Declaration on theRights of Indigenous Peoples »54. Par ailleurs,outre la CDB, différents instruments consacrésà l’environnement, adoptés à Rio en 1992,contiennent des dispositions qui appellent lesEtats à promouvoir l’implication des peuplesautochtones dans la conservation et l’utilisa-tion durable de la biodiversité55. Enfin, mêmesi elles ne constituent pas des instruments dedroit international, un nombre croissant dedéclarations d’associations de peuples autoch-tones établissent des principes devant régirleurs relations avec leurs gouvernementsrespectifs. On peut mentionner notamment :la Charter of the Indigenous-Tribal Peoples of theTropical Forest56 (1992), la Kari-Occa Declarationof Indigenous Peoples on Environment and Deve-lopment57 (1992), la déclaration de Kimberley(1992)58 et la Matatua Declaration on Culturaland Intellectual Property Rights of Indigenous Peo-ples (1993)59.

La multiplication de ces instruments juri-diques qui définissent ou mentionnent unesérie de droits des autochtones pose la ques-tion du statut de ces instruments. Certainsjuristes audacieux60 affirment que cet ensem-ble de textes peut constituer une coutume dedroit international. Cela implique l’existencede standards internationaux de protection despeuples autochtones qui s’imposent à tous lesEtats, même à ceux qui n’ont ni signé ni ratifiéde convention à ce sujet. Cette thèse est toute-fois loin de faire l’unanimité. S’il est sans doutetrop tôt pour parler d’une coutume de droitinternational, on peut cependant parler d’unedynamique de reconnaissance des droits et desatouts des peuples autochtones que ne pou-vaient pas ignorer les négociateurs de la CDB.

La diversité bioculturelle

Historiquement, le lien entre la questionautochtone et la conservation de la nature estle fruit de conflits non résolus avec les régimesautoritaires latino-américains dans la gestiondes ressources naturelles et des territoires(opposition aux grands projets d’infrastruc-ture) (T. Lefebvre, P. Karpe, 2002). L’assassinatde Chico Mendès, leader charismatique despopulations extractivistes amazoniennes, dans

l’Acre au Brésil en 1988, à la suite d’un conflitclassique entre petits paysans et gros proprié-taires a été un élément déclencheur. Les ONGenvironnementales, fortement présentes enAmazonie, ont médiatisé ce conflit en le pré-sentant comme une alliance des « peuples dela forêt » pour la préservation d’un mode devie en harmonie avec la nature (APFT, 1999).De cet événement a découlé l’utilisation duconcept procédural de « gestion participative »mentionné dans l’Agenda 21, la CDB ouencore la stratégie de l’UICN ou de la Banquemondiale.

Parallèlement, le premier congrès mondialde la Société internationale d’ethnobiologie(ISE), réuni sous la direction de Darell Posey àBelém en 1988, aboutit à une déclaration poli-tique (Déclaration de Belém)61, qui souligneexplicitement la responsabilité des scienti-fiques et des environnementalistes dans laprise en compte des besoins spécifiques descommunautés autochtones et locales et recon-naît leur apport dans tous les secteurs dudéveloppement. Il s’agit avant tout d’un codede conduite éthique qui, pour la premièrefois, considère la nécessité de mettre en placedes mécanismes de compensation pour l’utili-sation des ressources biologiques et des savoir-faire des communautés autochtones et locales(résolution 4). Lors du second congrès à Kun-ming (Chine) en 1990, un plan d’action estélaboré, le Kunming Action Plan (KAP), éta-blissant l’agenda politique pour les membresde l’ISE. Le KAP appelle notamment à la créa-tion d’un organe permanent, The Global Coali-tion for Biological and Cultural Diversity, dontl’objectif est de mettre en place une stratégievigoureuse pour l’utilisation des connaissan-ces « traditionnelles », l’implication des popu-lations locales dans l’élaboration et la mise enœuvre des stratégies de conservation. Cettecoalition a aussitôt entrepris d’influencer lecontenu de la conférence de Rio pour que soitpris en compte le lien entre diversité biolo-gique et diversité culturelle. Son action semanifeste notamment par l’organisation dutrès médiatique « Parlement de la Terre »regroupant un grand nombre de représen-tants de populations autochtones (ou se consi-dérant comme tels).

22 Institut du développement durable et des relations internationales

De la simple juxtaposition...

Nous avons donc tenté de montrer que laCDB se trouve à la croisée de quatre discoursqui ont longtemps connu leur dynamiquepropre avant de se retrouver liés lors del’émergence du débat international sur labiodiversité : le discours environnementa-liste, le discours agronomique sur l’utilisa-tion des ressources génétiques, le discourséconomique sur les droits de propriété intel-lectuelle et le discours culturaliste sur l’au-tochtonie. Si les trois derniers discours ontincontestablement enrichi et modifié le pre-mier, le texte de la CDB, tel qu’il a été adoptéà Rio en 1992, n’intègre pas les enjeux enquestion.

Le discours agronomique

Le discours agronomique sur l’utilisationdes ressources génétiques marque largementla CDB. En effet, l’intégration de celui-ci avecle discours environnementaliste avait déjàpartiellement eu lieu avant la négociation dela CDB. La question de la conservation insitu abordée sous l’angle du développementdurable, notamment dans les Keystone Dialo-gues, revient sur le devant de la scène à la findes années 80, ce qui permet un rapproche-ment avec la question de la conservation dela biodiversité.

Jusqu’au début des années 70, la menaced’érosion de la diversité génétique amène àconsidérer aussi bien la question de laconservation stricto sensu que les questions

d’utilisation et de valorisation des ressourcesgénétiques. Ce n’est que dans les années 70que le débat se referme sur une perspectivede conservation ex situ aux seules fins del’amélioration variétale.

La remise en cause de la solution d’unréseau de conservation ex situ lors des négo-ciations au sein de la FAO au début desannées 80 préfigure le débat qui aura lieuquelques années plus tard sur les droits depropriété intellectuelle sur le vivant. En effet,la revendication des pays du Sud au sein dela FAO est avant tout une manière de reposerla question du transfert de technologie,condition nécessaire pour partager les béné-fices de l’amélioration génétique. Les Keys-tone Dialogues vont permettre d’apaiser cedébat en remettant sur la table la question dela conservation in situ comme une compo-sante du développement durable. La notiond’utilisation durable des RGA permet eneffet de lier les questions de conservation, dedéveloppement économique et de réductionde la pauvreté (via l’intérêt porté aux com-munautés rurales). Cela permet d’intégrer laproblématique de la conservation de la bio-diversité à des fins environnementales aveccelle plus utilitariste de conservation à desfins d’amélioration variétale.

Le discours économique

C’est sans doute dans le domaine écono-mique que la « confrontation » des discours aété la plus frontale. L’extension de la pro-priété intellectuelle au vivant et sa générali-

Une intégration en devenir

Une intégration en devenir

23Institut du développement durable et des relations internationales

sation à la quasi totalité des pays se sont fai-tes indépendamment des questions environ-nementales. La trace de cette confrontationse trouve dans l’article 16 de la CDB consa-cré à l’accès à la technologie et au transfertde technologie. Cette disposition est pour lemoins ambiguë puisque le paragraphe 2 sem-ble indiquer que les objectifs de transfert detechnologie sont soumis au respect des règlesde propriété intellectuelle tandis que lesparagraphes 3 et 5 semblent au contraireinviter les Etats à adapter leur législation surla propriété intellectuelle aux objectifs de laConvention. Cette ambiguïté se retrouvedans les discussions sur la compatibilité entrel’accord Adpic et la CDB.

Le discours culturaliste

Le discours culturaliste se retrouve dansquatre articles de la CDB. Le paragraphe j del’article 8 consacré à la conservation in situ,le paragraphe C de l’article 10 qui concernel’utilisation durable des composantes de labiodiversité, le second paragraphe de l’arti-cle 17 qui traite de l’échange entre Etats del’information pertinente pour la conserva-tion et l’utilisation durable et, enfin, le qua-trième paragraphe de l’article 18 consacré àla coopération technique et scientifique. Cesallusions répétées aux savoirs traditionnelsdes communautés autochtones et localesmontrent que les auteurs de la Conventioncommençaient à cerner l’importance dessavoirs traditionnels et révèlent la dynamiqueautour des droits des peuples autochtones.Toutefois, le fait que la CDB n’ait pas consa-cré un article à part entière aux communau-tés autochtones et locales et à leurs savoirstraditionnels semble indiquer que les négo-ciateurs ne percevaient pas encore pleine-ment ni l’importance ni le rôle exact dessavoirs traditionnels et de leurs détenteurs.

... à une véritable intégration ?

Telle qu’elle a été adoptée en 1992, la CDBconstituait davantage une juxtaposition qu’unevéritable intégration d’enjeux. Depuis dix ansl’objet des discussions est précisément de tra-cer les contours d’une réelle intégration de cesquatre discours62. Dans cette démarche, la dis-cussion sur l’accès aux ressources génétiques etle partage des avantages liés à l’utilisation decelles-ci joue un rôle central. Si elle vise essen-tiellement à établir un cadre de régulation auservice de l’utilisation des ressources géné-tiques, c’est aussi là que se rencontrent les

communautés locales et autochtones et lesacteurs économiques demandeurs de droits depropriété intellectuelle. Enfin, l’accès aux res-sources et le partage des avantages sont sensésinciter à la conservation.

L’intégration des différentes préoccupa-tions et la définition des contours de la bio-prospection connaît des blocages et des avan-cées.

Les blocages concernent principalementles droits de propriété intellectuelle et plusparticulièrement les débats récurrents autourde l’article 27.3 de l’accord de l’OMC sur lesAdpic. Ces discussions sont tantôt formuléesen termes de révision de l’article, comme ilétait prévu que cela se fasse en 1999, tantôtstructurées autour de la compatibilité de laCDB et de l’accord Adpic. Elles ont fait cou-ler beaucoup d’encre et occupé de nombreu-ses sessions des organes de l’OMC (conseilAdpic et comité sur le commerce et l’envi-ronnement) et de la CDB, mais elles piéti-nent. En effet, les avis sont partagés. Concer-nant la révision de l’article 27.3, certainsvoudraient assouplir les conditions de la bre-vetabilité du vivant, voire même supprimerl’obligation de brevetabilité, tandis que d’au-tres souhaiteraient renforcer cette protec-tion. Quant à la question de la compatibilitéentre l’accord Adpic et la CDB, la questionest tout aussi partagée. Les débats, tant juri-diques que politiques, n’ont fait l’objet d’au-cune avancée depuis l’entrée en vigueur del’accord Adpic. Ils ont été remis à l’ordre dujour par la déclaration de Doha mais il y afort à parier que le débat ne progressera pasdavantage. Revoir l’article 27.3 supposeraitun accord politique de l’ensemble des mem-bres de l’OMC alors que ceux-ci ont des vuesdiamétralement opposées. Par ailleurs, il estnécessaire de reformuler la question de lacompatibilité entre l’accord Adpic et la CDB.En effet, le libellé des deux textes n’est pascontradictoire – ils traitent d’enjeux diffé-rents qu’il s’agit d’essayer d’intégrer dansleur mise en œuvre.

Si on peut déplorer le blocage de cesdébats politico-juridiques, on peut par contrese réjouir de quelques avancées dans ce mou-vement d’intégration.

Tout d’abord, une intégration des quatreproblématiques se fait dans les pays lors del’élaboration des lois sur la biodiversité et surl’accès et le partage des avantages et, à l’échelleinternationale, avec la constitution au sein dela CDB du groupe de travail « accès et par-tage des avantages » (WGABS) et du groupede travail sur l’article 8j (WG8j), qui ontdonné lieu aux lignes directrices de Bonn. Les

24 Institut du développement durable et des relations internationales

La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

objectifs généraux et souvent ambigus desdispositions de la Convention se précisent,même si des conflits de priorités entre Etats etla multiplicité des contextes d’applicationinterdisent une intégration complète et pré-cise. C’est également à la lumière de ce travaild’intégration que doit être discuté le nouveaurégime international que les Etats se sontengagés à négocier à Johannesburg et ontrepris dans le cadre de la CDB en mars 2003.Cette discussion vise à élargir les responsabili-tés de l’ensemble des acteurs dans la mise enœuvre des objectifs de la CDB63.

Ensuite, une forte interaction s’est crééeentre, d’une part la conservation et l’utilisa-tion durable de la biodiversité et, d’autrepart, la question de l’autochtonie. La placecroissante que prennent les communautéslocales et autochtones dans les discussionssur la biodiversité s’explique par diverses rai-sons. Premièrement, les communautés loca-les et autochtones sont les premières victimesde l’érosion génétique, car leur surviedépend très directement de leur environne-ment64. Deuxièmement, ces communautés,qui vivent souvent dans des aires riches enbiodiversité, jouent un rôle de gestionnaireslocaux de la biodiversité65. Elles ont utilisé etconservé la biodiversité depuis très long-temps et, en tant que gestionnaires locaux,disposent de connaissances approfondies surleur environnement. Au final, elles sont sou-vent les responsables de la mise en œuvre despolitiques de conservation et d’utilisationdurable. Troisièmement, elles détiennent dessavoirs traditionnels qui constituent uneinformation de grande valeur tant pour laconservation66 que pour l’utilisation dansl’agriculture, la pharmacie, la cosmétique,etc.67 Si la dynamique des revendications despeuples autochtones a d’abord peu marquéle texte de la CDB, puis très fortement lesdiscussions de ces dix dernières années, àl’inverse, les discussions sur la biodiversitéont donné un nouveau souffle au discoursautochtone. En effet, après la CDB, se sontmultipliées les déclarations de plates-formesautochtones, qui toutes font référence à labiodiversité et souvent aux droits de pro-priété intellectuelle.

Enfin et surtout, une autre avancée résidesans doute dans la coopération entre la CDBet l’OMPI, qui a conduit à la création parcette dernière du comité intergouvernemen-tal sur la propriété intellectuelle, les ressour-ces génétiques les savoirs traditionnels et lefolklore. Certains se sont peut-être inquiétésque cette intégration ait été confiée à uneorganisation entièrement dédiée à la promo-tion de la propriété intellectuelle plutôt qu’à

une instance plus proche des questions d’en-vironnement et de développement. Il est troptôt pour évaluer les travaux du comité del’OMPI. Ceux-ci devront être examinés pardes instances plus politiques au sein del’OMPI ou de la CDB. Placer la réflexion surles ressources génétiques, les savoirs tradi-tionnels et la propriété intellectuelle au seindu « temple » de la propriété intellectuellepourrait s’avérer un pari intéressant. Si on seréfère à la dialectique entre l’autonomie etl’intégration des différents discours, les spé-cialistes de la propriété intellectuelle ont tou-jours revendiqué l’autonomie de leur disci-pline. Ils sont hostiles à l’intégration dans lesrègles de la propriété intellectuelle de ques-tions d’éthique, de protection de l’environ-nement ou de redistribution. Ils considèrentque la propriété intellectuelle est un droittechnique avec des objectifs restreints d’inci-tation à la recherche et que ces préoccupa-tions légitimes doivent être abordées pard’autres types de normes. Demander à desspécialistes de la propriété intellectuelle defaire des propositions sur l’intégration dessavoirs traditionnels dans la propriété intel-lectuelle peut leur permettre de s’approprierdes propositions, alors qu’ils pourraient reje-ter les propositions d’autres experts en invo-quant les erreurs et l’irréalisme militant desspécialistes de l’environnement ou du déve-loppement.

L’apport principal de ce comité del’OMPI réside sans doute dans son rôle deplaque tournante pour les multiples discus-sions sur les savoirs traditionnels et la pro-priété intellectuelle. Ce rôle se manifeste dedifférentes façons. D’abord, par une fonctiond’accumulation et de diffusion d’informa-tions et ce, en compilant les lois nationalesconcernées, en multipliant les études de cassur les réussites et les échecs de nombreuxprojets de terrain, en entendant directementles revendications et les réactions des peuplesautochtones qui participent activement auxdiscussions du comité, en constituant unebase de données des contrats de bioprospec-tion existants, etc. Ensuite, cette accumula-tion d’expériences et la participation des dif-férents acteurs peuvent créer les conditionsd’un apprentissage collectif et faire émergerde nouveaux consensus. Enfin, le comité del’OMPI peut renforcer les capacités desacteurs et le support logistique. Quelles quesoient les formes de protection des savoirstraditionnels adoptées par les différents pays,celles-ci ne seront efficaces que si leur effetdépasse les frontières du pays. Cela supposeune certaine harmonisation. L’OMPI a préci-sément une longue expérience dans ce type

Une intégration en devenir

25Institut du développement durable et des relations internationales

de support, notamment par la gestion destraités relatifs au système mondial de protec-tion, comme le traité de coopération concer-nant les brevets, qui permet de déposer unedemande de brevet dans tous les Etats mem-bres, ou en créant des traités de classificationpar nomenclatures pour les brevets ou d’au-

tres droits de propriété intellectuelle. D’oreset déjà, l’OMPI est en train de remplir cettemission en créant un portail unique qui, àterme, devrait permettre d’accéder à toutesles bases de données sur les savoirs tradi-tionnels et en élaborant une nomenclaturecommune, compatible avec celle des brevets.

26 Institut du développement durable et des relations internationales

L’objectif de ce texte était de montrer quecomprendre d’où vient la Convention sur ladiversité biologique permet de mieux appré-hender la dynamique des discussions encours. L’histoire de la CDB prend ses racinesdans quatre discours : le discours environne-mental (son discours d’origine), le discoursagronomique sur les ressources génétiques, lediscours économique sur les droits de pro-priété intellectuelle et le discours sur l’autoch-tonie et les savoirs locaux. Ces quatre discoursse sont longtemps développés indépendam-

ment les uns des autres avec une histoire, destensions et des concepts propres. La Conven-tion se trouve à la croisée des chemins de cesquatre discours, ce qui explique que certainesde ses dispositions restent vagues ou ambi-guës, voire parfois contradictoires, l’intégra-tion des quatre discours restant largementinachevée. Faire l’hypothèse que cette intégra-tion est toujours en cours permet d’éclairer cequi se joue dans les discussions autour de labiodiversité au sein de nombreuses instancesinternationales.

Conclusion

27Institut du développement durable et des relations internationales

Notes

1. L’écologie est née en 1867 avec Ernest Haeckel etles concepts d’écosystème et de biosphère apparais-sent pour la première fois dans le journal Ecology en1935.

2. Les forestiers forment la communauté scienti-fique qui correspond le mieux aux préoccupationsconservationnistes. Leur fonction n’a de sens quecomme une intervention de l’homme sur cette res-source naturelle afin d’en tirer les meilleurs profits.Cette conception s’oppose complètement à la wil-derness des préservationnistes qui s’indignent decette façon de concevoir la forêt comme un réser-voir de ressources. La métaphore à laquelle arecours John Muir, leader préservationniste, est quela manière conservationniste de percevoir la forêtéquivaut à transformer une cathédrale gothique enentrepôt de marchandises (Larrère & Larrère,1997).

3. « In this first phase of implementation of the pro-gram, the conservation role had been kept promi-nent, and the logistic and development roles largelyforgotten. Almost all designated biosphere reserveswere areas already protected, such as national parksor nature reserves, and in most cases the designa-tion was not adding new land, new regulations oreven new functions. Research work was conductedin these protected areas, but the research was inmany cases of a rather academic character, notclearly related to ecosystem and resource manage-ment, and not addressing explicitly the relationshipbetween environment and development. Moreoverthe linkages between biosphere reserves and theexchanges of information on this research remainedlargely formal and did not constitute a true interna-tional network. A proper balance between the threecentral concerns of biosphere reserves had not beenreached». (MAB, 2000. Biosphere Reserves: SpecialPlaces for People and Nature).

4. Unesco, 1984. The Action Plan for BiosphereReserves.

5. Entre temps, le Royaume-Uni et les Etats-Unis s’é-taient désengagés de l’Unesco, fragilisant considéra-blement la mise en œuvre de ce nouveau pro-gramme.

6. Ceci tranche complètement avec le discours libé-ral de l’époque, dont l’ouverture des négociationsdu GATT à Punta Del Este et les politiques de Rea-gan et Thatcher sont l’une des manifestations. L’ad-ministration Reagan accueille du reste ce rapport demanière assez hostile en refusant de lier la gestiondes questions environnementales à l’échelle globaleavec des préoccupations redistributives.

7. La technique d’amélioration fondée sur le déve-loppement en laboratoire d’un gène résistant à unpathogène spécifique, bien que moins durable dansle temps (du fait de l’adaptation du pathogène aubout de quelques années de co-évolution avec legène résistant), a été préférée par le monde scienti-fique à une méthode d’amélioration plurirésistante(donc moins spécifique, mais plus durable) baséesur une sélection en plein champ combinant lesapports de la génétique et de l’écologie. Ce choixs’est opéré pour des raisons scientifiques et écono-miques, la résistance mono-pathogène convenantassez bien au mode de culture intensif en climattempéré des pays industrialisés.

8. Pour les Etats-Unis, la dimension géopolitique de« révolution verte contre révolution rouge » est évi-demment fortement présente.

9. L’hypothèse d’un réseau international décentra-lisé de banques nationales de gènes a été discutéepuis rapidement jugée impossible du fait des pro-blèmes politiques de souveraineté nationale, incom-patibles avec un échange libre des germoplasmes.

10. Initiative britannique établie en 1964 par l’In-ternational Council of Scientific Union. ICSU quel’on retrouvera dans la construction de la problé-matique biodiversité sous l’angle des environne-mentalistes au côté de l’UICN.

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La Convention sur la diversité biologique à la croisée de quatre discours

11. Généticien du Commonwealth Scientific andIndustrial Research Organization (CSIRO), basé àCanberra.12. « The subcommittee recommended the esta-blishment of an International Board for Plant Gene-tic Resources to support and coordinate the crea-tion of a network of plant genes collections. Theprogram was designed to help conserve characteris-tics which might be [of value] in breeding plantswith higher yields, better food value or greater resis-tance to pests and diseases. To the extent possible,the Board would utilize existing international, regio-nal and national research institutes for the esta-blishment, maintenance and utilization of the[necessary] genetic resource allocation. » (GCRAI,novembre 1973).13. La recherche agricole pour la mise au point devariétés améliorées à haut rendement nécessite unflux constant de ressources génétiques.14. Le cas de Chakrabarty aux Etats-Unis en 1980pour la bactérie « mangeuse de pétrole » a ouvert lavoie à l’acceptabilité de brevets sur le vivant (toute-fois la brevetabilité des mirco-organismes était déjàadmise depuis longtemps).15. Qui héberge sur son territoire le Centre inter-national d’amélioration du maïs et du blé (CIM-MYT).16. L’UPOV étant la référence pour les obtenteurs.17. L’affirmation est toutefois à nuancer. En effet,en protégeant les variétés végétales (contenant),l’UPOV laisse les ressources génétiques (contenu)en libre accès, contrairement au brevet. Cettenuance est importante pour les obtenteurs qui peu-vent ainsi utiliser la variété d’un concurrent à desfins de recherche. La nuance a moins d’importancepour les pays en développement qui sont davantageintéressés par l’accès à des variétés végétales qu’àdes ressources génétiques utiles dans un pro-gramme de recherche.18. Exemple de menace très concrète pourl’IBPGR : au sein de la commission, certains mem-bres réclament, dès la première réunion en 1985,que les pays en développement nomment eux-mêmes leurs représentants au sein de l’IBPGR etnon que celui-ci continue à nommer les membresde son conseil d’administration.19. Keystone Center, fondé en 1975, dont une desdivisions, Science and Public Policy Program, s’ap-plique à résoudre les conflits d’intérêt public par l’é-laboration de consensus sur la base de connaissan-ces scientifiques.20. On retrouve les deux ONG les plus actives sur laquestions des RGA, à savoir RAFI et GRAIN (Gene-tic Resources Action International Network).21. Echec souvent justifié par le même constat quiavait abouti à l’abandon de l’approche régionale parle réseau GCRAI à savoir des problèmes decontraintes politiques de souveraineté nationale.22. Voir toutefois note 32.23. Dans son combat, l’ASSINSEL est également sui-vie par la Fédération internationale des semenciers(FIS) avec laquelle elle a aujourd’hui fusionné.24. Feyt H., 2001. La protection de la propriété intel-

lectuelle des obtentions végétales : genèse etrapide historique de la mise en place des droits,au colloque, Les brevets dans l’histoire : propriétéindustrielle, histoire technique et économique.Paris-Sorbonne, 1-2 octobre 2001.

25. Ibid.

26. Mooney P., 1983. Law of the Seed. Develop-ment Dialogue1-2, p. 138.

27. Ibid.

28. A l’exception des micro-organismes dont labrevetabilité a été admise longtemps auparavant.Le premier brevet sur de la matière vivante avaitété accordé en 1865 à Louis Pasteur pour la miseau point de méthodes de fermentation à l’aide delevure de bière.

29. JOEB, n° 1-1982, p. 19.

30. Ni les nouvelles races d’animaux qui, elles,sont interdites de protection.

31. Conférence des Nations unies pour le com-merce et le développement.

32. Sell S. K., 1998. Power and Ideas, North-SouthPolitics of Intellectual Property and Antitrust.State University of New York, p. 41.

33. Sell S. K., pp. 70-71.

34. Sell S. K., p. 55 et suivantes.

35. On peut citer notamment :◗ en 1961, la résolution 1713 (XVI) de l’Assembléegénérale des Nations unies réclame une étude dusecrétariat général sur l’impact des brevets sur l’é-conomie des PED et suggère la convocation d’uneconférence internationale sur le sujet ;◗ la paragraphe 64 de la UN Development Decadeappelle à une révision des conventions internatio-nales portant sur les brevets ;◗ en 1972, la 3e session de la Cnuced. La résolu-tion 39 (III) votée à l’unanimité appelle à une col-laboration entre la Cnuced, l’ONU, l’OMPI etdemande la mise à jour du rapport de 1965 dansle contexte d’une révision du système ;◗ en 1975 : publication du rapport «The Role ofthe Patent System in the Transfer of Technologyto Developing Countries» ;◗ la résolution 3362 (S-VII) de l’Assemblée géné-rale des Nations unies, adoptée à l’unanimité,appelle à la révision des textes internationaux enfaveur des besoins des PED et des transferts detechnologie.Différents groupes d’experts dont un groupe d’ex-perts du tiers monde formulent une série de pro-positions d’aménagement des systèmes nationauxet du système international. Ces recommanda-tions, quelque peu modifiées pour obtenir unconsensus de tous les pays, ont pris la forme d’unerésolution 3(I) de la Cnuced (1975) et constituentles lignes directrices pour une révision de laconvention de Paris par l’OMPI, qui prend lerelais.

36. Sell S. K., pp. 123-131.

37. Sell S. K., pp. 79-103.

38. Patel S. J., 1989. Intellectual Property Rights inthe Uruguay Round, A disaster for the South?Economical and Political Weekly, May 6, p. 983.

Notes

29Institut du développement durable et des relations internationales

39. Acharya R., 1990. Patenting of Biotechnology:GATT and the Erosion of the World’s Biodiver-sity. Journal of Trade Law, pp. 71-87.

40. Ryan M. P., 1998. Symposium: Linkage as phe-nomenon: an interdisciplinary approach. Article:The Function Specific and Linkage-bargain Diplo-macy of International Intellectual Property Lawma-king. University of Pensylvania, Journal of Interna-tional Economic law, summer 1998, p. 535 et ss.

41. Sell S. K., pp. 182-195.

42. Sell S. K., pp. 195-198.

43. Ryan M. P.

44. Schulte-Tenckhoff I., 1997. La question des peu-ples autochtones. Bruylant-L.G.D.J., Bruxelles-Paris.

45. Sont visés ici les nombreux traités de droit inter-national conclus entre les puissances européenneset les peuples autochones dans les Amériques etl’Océanie.

46. Schulte-Tenckhoff I., 1997. La question des peu-ples autochtones. Bruylant-L.G.D.J., Bruxelles-Paris.

47. UN DOC E/CN.4/Sub.2/476/Add.5 Annexe 4(1981).

48. Dans le cadre de la sous-commission de la luttecontre les mesures discriminatoires et de la protec-tion des minorités, organe subsidiaire de la com-mission des droits de l’homme.

49. Nations unies, 1986. Etude du problème de ladiscrimination à l’encontre des populations autoch-tones. Genève.

50. « Les populations autochtones sont constituéespar les descendants actuels des peuples qui habi-taient l’ensemble ou une partie du territoire actueld’un pays au moment où sont venues d’autresrégions du monde des personnes d’une autre cul-ture ou d’une autre origine ethnique qui les ontdominés et les ont réduit par la conquête, l’implan-tation de population ou d’autres moyens, à un Etatde non-domination ou colonial ; ils vivent actuelle-ment davantage selon leurs propres coutumes ettraditions sociales, économiques et culturelles, queselon les institutions du pays dont ils font mainte-nant partie sous un structure étatique qui est essen-tiellement l’expression des caractéristiques nationa-les, sociales et culturelles d’autres couches,prédominantes, de la population ».

51. E/CN.4/Sub.2/1993/29, Annexe I.

52. Résolution 1994/45 du 26 août 1994.

53. Banque mondiale, Directive opérationnelle 4.20.

54. La proposition pour un nouvel instrument juri-dique de l’OAS est décrite dans l’Annual Report ofthe Inter-American Commission on Human Rights,1988-1989, OAS. Doc. OEA/Ser.L/V/II.76, Doc. 10,at 245-51 (1989).

55. La déclaration de Rio sur l’environnement et ledéveloppement, principe 22. L’Agenda 21, cha-

pitre 26. Les principes sur la gestion de la conser-vation et le développement durable de tous les typesde forêts, paragraphe 12.d.

56. Le texte est disponible à l’adresse suivante :www.kwia.be/doc/documenten/charter.html

57. Le texte est disponible à l’adresse suivante :www.dialoguebetweennations.com/IR/english/KariOcaKimberley/KODeclaration.html

58. Le texte est disponible à l’adresse suivante :www.yachaywasi-ngo.org/kimberley.htm

59. Le texte est disponible à l’adresse suivante :http://aotearoa.wellington.net.nz/imp/mata.htm

60. Anaya S. J., 1996. Indigenous Peoples in Inter-national Law. Oxford University Press, New York-Oxford.

61. Le texte est disponible à l’adresse suivante :http://users.ox.ac.uk/~wgtrr/belem.htm

62. Il peut être nécessaire d’apporter ici une préci-sion. Si nous pensons que l’objet des discussionsautour de la biodiversité est de tracer les contoursd’une réelle intégration des quatre discours, cela nesignifie absolument pas que cette intégration se des-sinera nécessairement dans les organes de la CDB.Ces questions sont discutées dans de nombreusesautres enceintes internationales, notammentl’OMC, l’OMPI, la Cnuced, la FAO, le PNUE, etc. Ilest par conséquent fort possible que l’intégration seconstruise dans une autre enceinte, voire dans plu-sieurs, ou encore dans des enceintes informellesplus souples que les comités intergouvernementaux(comme les Keystone Dialogues par le passé).

63. Il est notamment demandé aux utilisateurs deressources génétiques (firmes, instituts de recherchepublics ou privés, jardins botaniques, etc.) de parti-ciper au respect des règles d’accès et de partage desavantages.

64. Intergovernmental Committee on the Conven-tion on Biological Diversity, second session, 1994.Farmer’s rights and rights of similar groups, therights of indigenous and local communities embo-dying traditional lifestyles: experience and potentialfor implementation of Article 8J of the Conventionon Biological Diversity. Note by the Interim secreta-riat, UNEP/CDB/IC//2/14, 20 May 1994.

65. Ibid.

66. Voir doc. CDB, october 18, 1997. TraditionalKnowledge and Biological Diversity, UNEP/CDB/TKBD/1/2.

67. Kloppenburg Jr. J., 1991. No Hunting! Biodiver-sity, indigenous rights and scientific poaching. Cul-tural Survival Quarterly, Summer 1991, p. 15. Elisa-betsky E., 1991. Folklore, Tradition or Know-How?The ethnopharmacological approach to drug disco-very depends on our ability to value non-westernknowledge of medicinal plants. Cultural SurvivalQuarterly, Summer 1991, p. 10.

30 Institut du développement durable et des relations internationales

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