"La chair et le bronze: Remarques sur Métaphysique Z, 11 et l'interprétation de M. Frede et G....

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LA CHAIR ET LE BRONZE. REMARQUES SUR MÉTAPHYSIQUE Z, 11 ET L'INTERPRÉTATION DE M. FREDE ET G. PATZIG Riccardo Chiaradonna Presses Universitaires de France | Les Études philosophiques 2014/3 - n° 110 pages 375 à 388 ISSN 0014-2166 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2014-3-page-375.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chiaradonna Riccardo, « La chair et le bronze. Remarques sur Métaphysique Z, 11 et l'interprétation de M. Frede et G. Patzig », Les Études philosophiques, 2014/3 n° 110, p. 375-388. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LEFEBVRE DAVID - 92.90.126.29 - 15/10/2014 23h20. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LEFEBVRE DAVID - 92.90.126.29 - 15/10/2014 23h20. © Presses Universitaires de France

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LA CHAIR ET LE BRONZE REMARQUES SUR MEacuteTAPHYSIQUE Z 11ET LINTERPREacuteTATION DE M FREDE ET G PATZIG Riccardo Chiaradonna Presses Universitaires de France | Les Eacutetudes philosophiques 20143 - ndeg 110pages 375 agrave 388

ISSN 0014-2166

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Pour citer cet article

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chiaradonna Riccardo laquo La chair et le bronze Remarques sur Meacutetaphysique Z 11 et linterpreacutetation de M Frede et G

Patzig raquo

Les Eacutetudes philosophiques 20143 ndeg 110 p 375-388

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Les Eacutetudes philosophiques ndeg 32014 pp 375-388

LA CHAIR ET LE BROnZE REMARQUES SUR MEacutetAPHySiQUe Z 11 ET

LrsquoInTERPREacuteTATIOn DE M FREDE ET G PATZIG

La chair et le bronzericcardo Chiaradonna

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Cette eacutetude porte sur la premiegravere section de Meacutetaphysique Z 11 et en particulier sur les lignes 1036a31-b32 Le sujet de lrsquoenquecircte meneacutee aux cha-pitres 10 et 11 du livre Z est la deacutefinition des substances naturelles Puisque les deacutefinitions ont des parties Aristote aborde les deux questions qui suivent

1 Quelles parties de la substance appartiennent agrave la deacutefinition et quelles parties ne lui appartiennent pas En particulier faut-il comprendre dans la deacutefinition des parties de la matiegravere aussi bien que des parties de la forme

2 Comment peut-on distinguer les parties de la forme des parties de la matiegravere

Selon la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b33-34 seules les parties de la deacutefinition sont les parties de la forme (τοῦ λόγου μέρη τὰ τοῦ εἴδους μόνον ἐστίν) et cette position se retrouve agrave la fin de Z11 (1037a25-30) Si cela est vrai drsquoautres questions se posent On peut drsquoabord se demander si la forme est le seul type de definiendum ou si lrsquoon peut aussi deacutefinir mais drsquoune maniegravere diffeacuterente le composeacute de matiegravere et de forme1 Agrave cet eacutegard les interpregravetes ont parfois suggeacutereacute que la forme et le composeacute sont objet de deux types de deacutefinition lrsquoune austegravere et lrsquoautre plus libeacuterale telle qursquoelle comprendrait aussi la mention de la matiegravere Des passages bien connus sug-gegraverent en effet que selon Aristote la deacutefinition drsquoun ecirctre naturel doit faire mention de la forme ainsi que de la matiegravere (voir notamment Phys II 2193b22-194a12 Metaph Ε 1 1025b28-1026a6 Z 11 1036b28-32 passage sur lequel nous reviendrons plus bas) Drsquoun cocircteacute il y aurait donc la deacutefinition en sens propre qui nrsquoest que la deacutefinition de la forme puisque dans lrsquoessence des formes naturelles il nrsquoy a pas de parties mateacuterielles (ni

1 Aristote distingue deux types de composeacutes le composeacute particulier par exemple Socrate ou Callias ndash composeacute de la forme et de sa matiegravere particuliegravere ndash et le composeacute universel par exemple lrsquohomme geacuteneacuteral ndash composeacute de la forme et drsquoun type de matiegravere (un type de corps organique qui implique par exemple la preacutesence de deux bras et de deux jambes dans les cas de lrsquohumain) Voir Metaph Z 101035b27-31 Le fait que le composeacute universel soit objet de la deacutefinition est souligneacute notamment par D Bostock in Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η traduits et commenteacutes par D Bostock Oxford Clarendon Press 1994 p 159

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de parties mateacuterielles particuliegraveres ni de types de parties mateacuterielles) dans leur deacutefinition non plus il nrsquoy aura pas de mention de la matiegravere De lrsquoautre cocircteacute il y aurait la deacutefinition du composeacute une deacutefinition moins rigoureuse dans laquelle les parties mateacuterielles aussi se trouvent mentionneacutees2 Contre cette conclusion on a remarqueacute cependant que Aristote paraicirct deacutefendre en Z11 et surtout en conclusion de ce chapitre une thegravese plus forte dont la relation avec ce qursquoAristote dit en dehors de Z peut ecirctre probleacutematique selon laquelle mecircme pour le composeacute il nrsquoy a de deacutefinition qursquoen reacutefeacuterence agrave la forme (la forme eacutetant lrsquoousia premiegravere) alors que la matiegravere est indeacutefinis-sable en elle-mecircme (voir en particulier Z 11 1037a26-30)3 Comme nous verrons selon certains interpregravetes cette conclusion nrsquoimplique cependant pas forceacutement que la matiegravere soit complegravetement exclue de la deacutefinition car il est possible drsquoenvisager qursquoil existe pour les substances naturelles une faccedilon particuliegravere de faire reacutefeacuterence agrave la matiegravere mecircme agrave lrsquointeacuterieur de la deacutefinition de la forme4 La question est deacutebattue Il nrsquoen reste pas moins que les textes qursquoon vient drsquoeacutevoquer tendent agrave confirmer une lecture rigoureusement for-maliste selon laquelle chaque chose nrsquoest dans le fond rien drsquoautre que sa forme et selon laquelle la forme (dans le cas des ecirctres vivants lrsquoacircme caracteacute-riseacutee pas ses fonctions vitales) est le seul definiendum sans comprendre dans sa deacutefinition aucune mention de la matiegravere

Une telle position rigoureusement formaliste a eacuteteacute deacutefendue de maniegravere tregraves vigoureuse par Michael Frede dans le commentaire agrave Metaphysique Z qursquoil a eacutecrit avec Guumlnther Patzig (doreacutenavant FP) et dans un article qui a fait date5 Dans les limites de cette eacutetude je nrsquoaborderai pas les nombreuses questions lieacutees au statut de la forme et agrave la deacutefinition en Meacutetaphysique Z 10-11 qui viennent drsquoecirctre eacutevoqueacutees plus haut Je me bornerai agrave proposer un commentaire de la premiegravere section de Z 11 en prenant en compte sur-tout la lecture de FP Leur commentaire a fait eacutecole mais peu de speacutecialistes se confrontent aux deacutetails Je reprendrai agrave cet eacutegard la remarque de Myles Burnyeat selon lequel la leccedilon du commentaire de FP nrsquoa pas encore eacuteteacute totalement tireacutee elle ne consiste pas tant dans les thegraveses qursquoils deacutefendent que dans lrsquoanalyse exemplaire des arguments individuels et dans leur meacutethode

2 Pour une discussion reacutecente voir G Galluzzo The Medieval reception of Book Zeta of Aristotlesrsquo Metaphysics Leiden Brill 2012 vol I p 108-110

3 Voir M Frede et G Patzig (eacuted) Aristoteles ldquoMetaphysik Ζrdquo text Uumlbersetzung und Kommentar Muumlnchen Beck 1988 vol II p 203 et 219 et D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being Definitions and Their Parts in Metaphysics Ζ 10 and 11 raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 Leiden Brill 2011 pp 167-196 (voir en particulier pp 168-169)

4 Crsquoest notamment lrsquointerpreacutetation deacuteveloppeacutee reacutecemment et de maniegraveres tregraves diffeacute-rentes par D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being raquo op cit pp 182-185 et M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics Oxford Clarendon Press 2011 pp 32-38 93-94 sq

5 Voir supra n 3 et M Frede laquo The Definition of Sensible Substances in Metaphysics Ζ raquo in D Devereux et P Pellegrin Biologie Logique et Meacutetaphysique chez Aristote Paris Eacuteditions du CnRS 1990 pp 113-129

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377 La chair et le bronze

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novatrice pour eacutetablir le texte grec6 Crsquoest sur le premier aspect de leur travail que se concentrera cet article7 En effet de nombreuses critiques ont eacuteteacute adresseacutees aux thegraveses geacuteneacuterales deacutefendues par FP (le formalisme lrsquoindividua-liteacute de la forme) sans cependant toujours aborder leur exeacutegegravese en deacutetail8 Crsquoest pourquoi il me paraicirct instructif de suivre une deacutemarche en quelque sorte diffeacuterente pour reconstruire la maniegravere dont les conclusions principales de ces interpregravetes srsquoenracinent dans une lecture minutieuse mais parfois cri-tiquable du texte

Au deacutebut de Z 11 Aristote pose le problegraveme de savoir quelles parties appartiennent agrave la forme et quelles parties nrsquoappartiennent pas agrave la forme mais au composeacute Sans avoir eacutetabli cette distinction il ne sera pas possible de deacutefinir chaque chose (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι ἕκαστον) car la deacutefinition porte sur la forme et sur lrsquouniversel (1036a28-29) Cette section prend le relais de la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b34 les parties de la deacutefinition sont les seules parties de la forme Il srsquoagit donc drsquoavoir un critegravere pour seacutelectionner les parties formelles (agrave inclure dans la deacutefinition) et pour les distinguer des parties qui appartiennent au composeacute en tant que composeacute de forme et de matiegravere (agrave ne pas inclure dans la deacutefinition) (Z 11 1036a29-31)

Cette toute premiegravere section est relativement peu probleacutematique alors que lrsquointerpreacutetation des lignes qui suivent (1036a31-b6) est beaucoup plus controverseacutee Je reacutesumerai drsquoabord le commentaire de FP Aristote distin-guerait ici selon eux trois situations (laquo drei Faumllle raquo)9

1 la distinction entre parties formelles et parties mateacuterielles est simple quand la forme survient dans des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (crsquoest le cas du cercle qui se trouve dans le bronze et dans le bois)

2 La distinction serait plus difficile si la forme eacutetait de facto preacutesente dans un seul type de mateacuteriau (par exemple si tous les cercles eacutetaient faits de bonze) Mecircme dans ce cas il serait cependant possible de se repreacutesenter le cercle indeacutependamment de ses parties mateacuterielles

3 La distinction devient laquo impossible raquo dans le cas de lrsquohumain qui ne peut avoir qursquoun seul type de matiegravere Il srsquoagit dans ce cas drsquoun lien laquo interne raquo et neacutecessaire Car la forme ne peut ecirctre reacutealiseacutee que dans

6 Voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta Pittsburgh Mathesis Publications 2001 p 4

7 Leur meacutethode philologique consistant agrave suivre systeacutematiquement le texte des manu-scrits E J contre le manuscrit Ab ceteris paribus a fait lrsquoobjet de plusieurs discussions Il y a en ce moment une veacuteritable renaissance drsquointeacuterecirct pour le texte de la Meacutetaphysique Une nouvelle eacutedition critique eacutetablie par Oliver Primavesi et Marwan Rashed est en preacuteparation Voir pour lrsquoinstant O Primavesi laquo Aristotle Metaphysics A A new critical edition with intro-duction by Oliver Primavesi raquo in C Steel (dir) Aristotlersquos Metaphysics Alpha Symposium Aristotelicum nouvelle edition critique du texte grec par O Primavesi Oxford Clarendon Press 2012 pp 385-516

8 On trouvera une discussion critique excellente de leur thegravese concernant lrsquoindividualiteacute de la forme dans G Galluzzo laquo Universals in Aristotlersquos Metaphysics raquo in R Chiaradonna G Galluzzo (dir) Universals in Ancient Philosophy Pisa Edizioni della normale 2013 pp 209-253

9 Voir FP II p 204 ad 1036b6

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cette matiegravere Par conseacutequent il est impossible de se repreacutesenter un humain autrement que fait de chair et drsquoos10

Ainsi dans le premier cas le lien subsistant entre la matiegravere et la forme est exteacuterieur contingent et variable dans le second cas le lien est exteacuterieur contingent et constant dans le troisiegraveme cas le lien est interne neacutecessaire et constant Il srsquoagirait cependant drsquoun lien qui porte sur lrsquoinstantiation de la forme dans une matiegravere drsquoun certain type et qui ne porte pas sur lrsquoessence formelle Cette lecture de la tripartition est tregraves importante pour FP pour ces derniers la forme est le seul objet propre de la deacutefinition et il nrsquoy a pas de mention des parties mateacuterielles dans la deacutefinition Cependant dans cer-tains cas il est impossible de se repreacutesenter la forme comme seacutepareacutee drsquoun certain type de matiegravere crsquoest justement le cas des ecirctres humains Mais cela ne doit pas nous conduire agrave penser que la matiegravere fasse partie de lrsquoessence Dans un humain la forme est lieacutee agrave la matiegravere drsquoune faccedilon telle que nous ne pouvons pas nous repreacutesenter la forme sans lrsquoassocier agrave un certain type de matiegravere Drsquoougrave la distinction que proposent FP (i) une chose est la capaciteacute de distinguer la forme de la matiegravere (ii) une autre la capaciteacute de regarder la forme comme seacutepareacutee selon la formule (λόγῳ) (iii) une autre chose encore est la capaciteacute de seacuteparer la matiegravere de la forme dans la penseacutee de maniegravere telle qursquoon se repreacutesente la forme comme si elle nrsquoeacutetait pas toujours reacutealiseacutee dans le mecircme type de matiegravere11 Crsquoest justement cette troisiegraveme possibiliteacute qui nrsquoexiste pas agrave propos de lrsquohumain ce qui explique pourquoi dans ce cas la matiegravere est lieacutee agrave la forme de maniegravere intrinsegraveque sans pourtant ecirctre essentielle

On peut se demander si cette lecture est vraiment fondeacutee et si Aristote distingue vraiment les trois cas de cette faccedilon Agrave vrai dire dans le texte il ne semble pas y avoir une tripartition mais une bipartition Voici drsquoabord le texte des lignes 1036a31-b4 dans lrsquoeacutedition de Ross

[a31] ὅσα μὲν οὖν φαίνεται ἐπιγιγνόμενα ἐφrsquo ἑτέ-ρων τῷ εἴδει οἷον κύκλος ἐν χαλκῷ καὶ λίθῳ καὶ ξύλῳταῦτα μὲν δῆλα εἶναι δοκεῖ ὅτι οὐδὲν τῆς τοῦ κύκλου οὐσίαςὁ χαλκὸς οὐδrsquo ὁ λίθος διὰ τὸ χωρίζεσθαι αὐτῶν ὅσα δὲμὴ ὁρᾶται χωριζόμενα οὐδὲν μὲν κωλύει ὁμοίως ἔχειν [1036b1] τούτοις ὥσπερ κἂν εἰ οἱ κύκλοι πάντες ἑωρῶντο χαλκοῖοὐδὲν γὰρ ἂν ἧττον ἦν ὁ χαλκὸς οὐδὲν τοῦ εἴδους χαλεπὸνδὲ ἀφελεῖν τοῦτον τῇ διανοίᾳ οἷον τὸ τοῦ ἀνθρώπου εἶδοςἀεὶ ἐν σαρξὶ φαίνεται καὶ ὀστοῖς καὶ τοῖς τοιούτοις μέρεσιν12

10 Voir FP II p 200 et 20411 FP II p 20512 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics A revised text with introduction and

Commentary Oxford Clarendon Press 1924 Selon Jaeger il faudrait ajouter μέρος en 1036b2 οὐδὲν lt μέρος gt τοῦ εἴδους (voir W Jaeger Aristotelis Metaphysica recognovit brevique ad notatione critica instruxit W J Oxford Clarendon Press 1957) Contra voir les remarques de FP II p 203 ad loc

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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382 riccardo Chiaradonna

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 387 476 - copy PUF -

que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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Les Eacutetudes philosophiques ndeg 32014 pp 375-388

LA CHAIR ET LE BROnZE REMARQUES SUR MEacutetAPHySiQUe Z 11 ET

LrsquoInTERPREacuteTATIOn DE M FREDE ET G PATZIG

La chair et le bronzericcardo Chiaradonna

375388

Cette eacutetude porte sur la premiegravere section de Meacutetaphysique Z 11 et en particulier sur les lignes 1036a31-b32 Le sujet de lrsquoenquecircte meneacutee aux cha-pitres 10 et 11 du livre Z est la deacutefinition des substances naturelles Puisque les deacutefinitions ont des parties Aristote aborde les deux questions qui suivent

1 Quelles parties de la substance appartiennent agrave la deacutefinition et quelles parties ne lui appartiennent pas En particulier faut-il comprendre dans la deacutefinition des parties de la matiegravere aussi bien que des parties de la forme

2 Comment peut-on distinguer les parties de la forme des parties de la matiegravere

Selon la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b33-34 seules les parties de la deacutefinition sont les parties de la forme (τοῦ λόγου μέρη τὰ τοῦ εἴδους μόνον ἐστίν) et cette position se retrouve agrave la fin de Z11 (1037a25-30) Si cela est vrai drsquoautres questions se posent On peut drsquoabord se demander si la forme est le seul type de definiendum ou si lrsquoon peut aussi deacutefinir mais drsquoune maniegravere diffeacuterente le composeacute de matiegravere et de forme1 Agrave cet eacutegard les interpregravetes ont parfois suggeacutereacute que la forme et le composeacute sont objet de deux types de deacutefinition lrsquoune austegravere et lrsquoautre plus libeacuterale telle qursquoelle comprendrait aussi la mention de la matiegravere Des passages bien connus sug-gegraverent en effet que selon Aristote la deacutefinition drsquoun ecirctre naturel doit faire mention de la forme ainsi que de la matiegravere (voir notamment Phys II 2193b22-194a12 Metaph Ε 1 1025b28-1026a6 Z 11 1036b28-32 passage sur lequel nous reviendrons plus bas) Drsquoun cocircteacute il y aurait donc la deacutefinition en sens propre qui nrsquoest que la deacutefinition de la forme puisque dans lrsquoessence des formes naturelles il nrsquoy a pas de parties mateacuterielles (ni

1 Aristote distingue deux types de composeacutes le composeacute particulier par exemple Socrate ou Callias ndash composeacute de la forme et de sa matiegravere particuliegravere ndash et le composeacute universel par exemple lrsquohomme geacuteneacuteral ndash composeacute de la forme et drsquoun type de matiegravere (un type de corps organique qui implique par exemple la preacutesence de deux bras et de deux jambes dans les cas de lrsquohumain) Voir Metaph Z 101035b27-31 Le fait que le composeacute universel soit objet de la deacutefinition est souligneacute notamment par D Bostock in Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η traduits et commenteacutes par D Bostock Oxford Clarendon Press 1994 p 159

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de parties mateacuterielles particuliegraveres ni de types de parties mateacuterielles) dans leur deacutefinition non plus il nrsquoy aura pas de mention de la matiegravere De lrsquoautre cocircteacute il y aurait la deacutefinition du composeacute une deacutefinition moins rigoureuse dans laquelle les parties mateacuterielles aussi se trouvent mentionneacutees2 Contre cette conclusion on a remarqueacute cependant que Aristote paraicirct deacutefendre en Z11 et surtout en conclusion de ce chapitre une thegravese plus forte dont la relation avec ce qursquoAristote dit en dehors de Z peut ecirctre probleacutematique selon laquelle mecircme pour le composeacute il nrsquoy a de deacutefinition qursquoen reacutefeacuterence agrave la forme (la forme eacutetant lrsquoousia premiegravere) alors que la matiegravere est indeacutefinis-sable en elle-mecircme (voir en particulier Z 11 1037a26-30)3 Comme nous verrons selon certains interpregravetes cette conclusion nrsquoimplique cependant pas forceacutement que la matiegravere soit complegravetement exclue de la deacutefinition car il est possible drsquoenvisager qursquoil existe pour les substances naturelles une faccedilon particuliegravere de faire reacutefeacuterence agrave la matiegravere mecircme agrave lrsquointeacuterieur de la deacutefinition de la forme4 La question est deacutebattue Il nrsquoen reste pas moins que les textes qursquoon vient drsquoeacutevoquer tendent agrave confirmer une lecture rigoureusement for-maliste selon laquelle chaque chose nrsquoest dans le fond rien drsquoautre que sa forme et selon laquelle la forme (dans le cas des ecirctres vivants lrsquoacircme caracteacute-riseacutee pas ses fonctions vitales) est le seul definiendum sans comprendre dans sa deacutefinition aucune mention de la matiegravere

Une telle position rigoureusement formaliste a eacuteteacute deacutefendue de maniegravere tregraves vigoureuse par Michael Frede dans le commentaire agrave Metaphysique Z qursquoil a eacutecrit avec Guumlnther Patzig (doreacutenavant FP) et dans un article qui a fait date5 Dans les limites de cette eacutetude je nrsquoaborderai pas les nombreuses questions lieacutees au statut de la forme et agrave la deacutefinition en Meacutetaphysique Z 10-11 qui viennent drsquoecirctre eacutevoqueacutees plus haut Je me bornerai agrave proposer un commentaire de la premiegravere section de Z 11 en prenant en compte sur-tout la lecture de FP Leur commentaire a fait eacutecole mais peu de speacutecialistes se confrontent aux deacutetails Je reprendrai agrave cet eacutegard la remarque de Myles Burnyeat selon lequel la leccedilon du commentaire de FP nrsquoa pas encore eacuteteacute totalement tireacutee elle ne consiste pas tant dans les thegraveses qursquoils deacutefendent que dans lrsquoanalyse exemplaire des arguments individuels et dans leur meacutethode

2 Pour une discussion reacutecente voir G Galluzzo The Medieval reception of Book Zeta of Aristotlesrsquo Metaphysics Leiden Brill 2012 vol I p 108-110

3 Voir M Frede et G Patzig (eacuted) Aristoteles ldquoMetaphysik Ζrdquo text Uumlbersetzung und Kommentar Muumlnchen Beck 1988 vol II p 203 et 219 et D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being Definitions and Their Parts in Metaphysics Ζ 10 and 11 raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 Leiden Brill 2011 pp 167-196 (voir en particulier pp 168-169)

4 Crsquoest notamment lrsquointerpreacutetation deacuteveloppeacutee reacutecemment et de maniegraveres tregraves diffeacute-rentes par D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being raquo op cit pp 182-185 et M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics Oxford Clarendon Press 2011 pp 32-38 93-94 sq

5 Voir supra n 3 et M Frede laquo The Definition of Sensible Substances in Metaphysics Ζ raquo in D Devereux et P Pellegrin Biologie Logique et Meacutetaphysique chez Aristote Paris Eacuteditions du CnRS 1990 pp 113-129

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377 La chair et le bronze

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novatrice pour eacutetablir le texte grec6 Crsquoest sur le premier aspect de leur travail que se concentrera cet article7 En effet de nombreuses critiques ont eacuteteacute adresseacutees aux thegraveses geacuteneacuterales deacutefendues par FP (le formalisme lrsquoindividua-liteacute de la forme) sans cependant toujours aborder leur exeacutegegravese en deacutetail8 Crsquoest pourquoi il me paraicirct instructif de suivre une deacutemarche en quelque sorte diffeacuterente pour reconstruire la maniegravere dont les conclusions principales de ces interpregravetes srsquoenracinent dans une lecture minutieuse mais parfois cri-tiquable du texte

Au deacutebut de Z 11 Aristote pose le problegraveme de savoir quelles parties appartiennent agrave la forme et quelles parties nrsquoappartiennent pas agrave la forme mais au composeacute Sans avoir eacutetabli cette distinction il ne sera pas possible de deacutefinir chaque chose (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι ἕκαστον) car la deacutefinition porte sur la forme et sur lrsquouniversel (1036a28-29) Cette section prend le relais de la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b34 les parties de la deacutefinition sont les seules parties de la forme Il srsquoagit donc drsquoavoir un critegravere pour seacutelectionner les parties formelles (agrave inclure dans la deacutefinition) et pour les distinguer des parties qui appartiennent au composeacute en tant que composeacute de forme et de matiegravere (agrave ne pas inclure dans la deacutefinition) (Z 11 1036a29-31)

Cette toute premiegravere section est relativement peu probleacutematique alors que lrsquointerpreacutetation des lignes qui suivent (1036a31-b6) est beaucoup plus controverseacutee Je reacutesumerai drsquoabord le commentaire de FP Aristote distin-guerait ici selon eux trois situations (laquo drei Faumllle raquo)9

1 la distinction entre parties formelles et parties mateacuterielles est simple quand la forme survient dans des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (crsquoest le cas du cercle qui se trouve dans le bronze et dans le bois)

2 La distinction serait plus difficile si la forme eacutetait de facto preacutesente dans un seul type de mateacuteriau (par exemple si tous les cercles eacutetaient faits de bonze) Mecircme dans ce cas il serait cependant possible de se repreacutesenter le cercle indeacutependamment de ses parties mateacuterielles

3 La distinction devient laquo impossible raquo dans le cas de lrsquohumain qui ne peut avoir qursquoun seul type de matiegravere Il srsquoagit dans ce cas drsquoun lien laquo interne raquo et neacutecessaire Car la forme ne peut ecirctre reacutealiseacutee que dans

6 Voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta Pittsburgh Mathesis Publications 2001 p 4

7 Leur meacutethode philologique consistant agrave suivre systeacutematiquement le texte des manu-scrits E J contre le manuscrit Ab ceteris paribus a fait lrsquoobjet de plusieurs discussions Il y a en ce moment une veacuteritable renaissance drsquointeacuterecirct pour le texte de la Meacutetaphysique Une nouvelle eacutedition critique eacutetablie par Oliver Primavesi et Marwan Rashed est en preacuteparation Voir pour lrsquoinstant O Primavesi laquo Aristotle Metaphysics A A new critical edition with intro-duction by Oliver Primavesi raquo in C Steel (dir) Aristotlersquos Metaphysics Alpha Symposium Aristotelicum nouvelle edition critique du texte grec par O Primavesi Oxford Clarendon Press 2012 pp 385-516

8 On trouvera une discussion critique excellente de leur thegravese concernant lrsquoindividualiteacute de la forme dans G Galluzzo laquo Universals in Aristotlersquos Metaphysics raquo in R Chiaradonna G Galluzzo (dir) Universals in Ancient Philosophy Pisa Edizioni della normale 2013 pp 209-253

9 Voir FP II p 204 ad 1036b6

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cette matiegravere Par conseacutequent il est impossible de se repreacutesenter un humain autrement que fait de chair et drsquoos10

Ainsi dans le premier cas le lien subsistant entre la matiegravere et la forme est exteacuterieur contingent et variable dans le second cas le lien est exteacuterieur contingent et constant dans le troisiegraveme cas le lien est interne neacutecessaire et constant Il srsquoagirait cependant drsquoun lien qui porte sur lrsquoinstantiation de la forme dans une matiegravere drsquoun certain type et qui ne porte pas sur lrsquoessence formelle Cette lecture de la tripartition est tregraves importante pour FP pour ces derniers la forme est le seul objet propre de la deacutefinition et il nrsquoy a pas de mention des parties mateacuterielles dans la deacutefinition Cependant dans cer-tains cas il est impossible de se repreacutesenter la forme comme seacutepareacutee drsquoun certain type de matiegravere crsquoest justement le cas des ecirctres humains Mais cela ne doit pas nous conduire agrave penser que la matiegravere fasse partie de lrsquoessence Dans un humain la forme est lieacutee agrave la matiegravere drsquoune faccedilon telle que nous ne pouvons pas nous repreacutesenter la forme sans lrsquoassocier agrave un certain type de matiegravere Drsquoougrave la distinction que proposent FP (i) une chose est la capaciteacute de distinguer la forme de la matiegravere (ii) une autre la capaciteacute de regarder la forme comme seacutepareacutee selon la formule (λόγῳ) (iii) une autre chose encore est la capaciteacute de seacuteparer la matiegravere de la forme dans la penseacutee de maniegravere telle qursquoon se repreacutesente la forme comme si elle nrsquoeacutetait pas toujours reacutealiseacutee dans le mecircme type de matiegravere11 Crsquoest justement cette troisiegraveme possibiliteacute qui nrsquoexiste pas agrave propos de lrsquohumain ce qui explique pourquoi dans ce cas la matiegravere est lieacutee agrave la forme de maniegravere intrinsegraveque sans pourtant ecirctre essentielle

On peut se demander si cette lecture est vraiment fondeacutee et si Aristote distingue vraiment les trois cas de cette faccedilon Agrave vrai dire dans le texte il ne semble pas y avoir une tripartition mais une bipartition Voici drsquoabord le texte des lignes 1036a31-b4 dans lrsquoeacutedition de Ross

[a31] ὅσα μὲν οὖν φαίνεται ἐπιγιγνόμενα ἐφrsquo ἑτέ-ρων τῷ εἴδει οἷον κύκλος ἐν χαλκῷ καὶ λίθῳ καὶ ξύλῳταῦτα μὲν δῆλα εἶναι δοκεῖ ὅτι οὐδὲν τῆς τοῦ κύκλου οὐσίαςὁ χαλκὸς οὐδrsquo ὁ λίθος διὰ τὸ χωρίζεσθαι αὐτῶν ὅσα δὲμὴ ὁρᾶται χωριζόμενα οὐδὲν μὲν κωλύει ὁμοίως ἔχειν [1036b1] τούτοις ὥσπερ κἂν εἰ οἱ κύκλοι πάντες ἑωρῶντο χαλκοῖοὐδὲν γὰρ ἂν ἧττον ἦν ὁ χαλκὸς οὐδὲν τοῦ εἴδους χαλεπὸνδὲ ἀφελεῖν τοῦτον τῇ διανοίᾳ οἷον τὸ τοῦ ἀνθρώπου εἶδοςἀεὶ ἐν σαρξὶ φαίνεται καὶ ὀστοῖς καὶ τοῖς τοιούτοις μέρεσιν12

10 Voir FP II p 200 et 20411 FP II p 20512 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics A revised text with introduction and

Commentary Oxford Clarendon Press 1924 Selon Jaeger il faudrait ajouter μέρος en 1036b2 οὐδὲν lt μέρος gt τοῦ εἴδους (voir W Jaeger Aristotelis Metaphysica recognovit brevique ad notatione critica instruxit W J Oxford Clarendon Press 1957) Contra voir les remarques de FP II p 203 ad loc

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379 La chair et le bronze

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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de parties mateacuterielles particuliegraveres ni de types de parties mateacuterielles) dans leur deacutefinition non plus il nrsquoy aura pas de mention de la matiegravere De lrsquoautre cocircteacute il y aurait la deacutefinition du composeacute une deacutefinition moins rigoureuse dans laquelle les parties mateacuterielles aussi se trouvent mentionneacutees2 Contre cette conclusion on a remarqueacute cependant que Aristote paraicirct deacutefendre en Z11 et surtout en conclusion de ce chapitre une thegravese plus forte dont la relation avec ce qursquoAristote dit en dehors de Z peut ecirctre probleacutematique selon laquelle mecircme pour le composeacute il nrsquoy a de deacutefinition qursquoen reacutefeacuterence agrave la forme (la forme eacutetant lrsquoousia premiegravere) alors que la matiegravere est indeacutefinis-sable en elle-mecircme (voir en particulier Z 11 1037a26-30)3 Comme nous verrons selon certains interpregravetes cette conclusion nrsquoimplique cependant pas forceacutement que la matiegravere soit complegravetement exclue de la deacutefinition car il est possible drsquoenvisager qursquoil existe pour les substances naturelles une faccedilon particuliegravere de faire reacutefeacuterence agrave la matiegravere mecircme agrave lrsquointeacuterieur de la deacutefinition de la forme4 La question est deacutebattue Il nrsquoen reste pas moins que les textes qursquoon vient drsquoeacutevoquer tendent agrave confirmer une lecture rigoureusement for-maliste selon laquelle chaque chose nrsquoest dans le fond rien drsquoautre que sa forme et selon laquelle la forme (dans le cas des ecirctres vivants lrsquoacircme caracteacute-riseacutee pas ses fonctions vitales) est le seul definiendum sans comprendre dans sa deacutefinition aucune mention de la matiegravere

Une telle position rigoureusement formaliste a eacuteteacute deacutefendue de maniegravere tregraves vigoureuse par Michael Frede dans le commentaire agrave Metaphysique Z qursquoil a eacutecrit avec Guumlnther Patzig (doreacutenavant FP) et dans un article qui a fait date5 Dans les limites de cette eacutetude je nrsquoaborderai pas les nombreuses questions lieacutees au statut de la forme et agrave la deacutefinition en Meacutetaphysique Z 10-11 qui viennent drsquoecirctre eacutevoqueacutees plus haut Je me bornerai agrave proposer un commentaire de la premiegravere section de Z 11 en prenant en compte sur-tout la lecture de FP Leur commentaire a fait eacutecole mais peu de speacutecialistes se confrontent aux deacutetails Je reprendrai agrave cet eacutegard la remarque de Myles Burnyeat selon lequel la leccedilon du commentaire de FP nrsquoa pas encore eacuteteacute totalement tireacutee elle ne consiste pas tant dans les thegraveses qursquoils deacutefendent que dans lrsquoanalyse exemplaire des arguments individuels et dans leur meacutethode

2 Pour une discussion reacutecente voir G Galluzzo The Medieval reception of Book Zeta of Aristotlesrsquo Metaphysics Leiden Brill 2012 vol I p 108-110

3 Voir M Frede et G Patzig (eacuted) Aristoteles ldquoMetaphysik Ζrdquo text Uumlbersetzung und Kommentar Muumlnchen Beck 1988 vol II p 203 et 219 et D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being Definitions and Their Parts in Metaphysics Ζ 10 and 11 raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 Leiden Brill 2011 pp 167-196 (voir en particulier pp 168-169)

4 Crsquoest notamment lrsquointerpreacutetation deacuteveloppeacutee reacutecemment et de maniegraveres tregraves diffeacute-rentes par D Devereux laquo Aristotle on the Form and Definition of a Human Being raquo op cit pp 182-185 et M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics Oxford Clarendon Press 2011 pp 32-38 93-94 sq

5 Voir supra n 3 et M Frede laquo The Definition of Sensible Substances in Metaphysics Ζ raquo in D Devereux et P Pellegrin Biologie Logique et Meacutetaphysique chez Aristote Paris Eacuteditions du CnRS 1990 pp 113-129

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377 La chair et le bronze

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novatrice pour eacutetablir le texte grec6 Crsquoest sur le premier aspect de leur travail que se concentrera cet article7 En effet de nombreuses critiques ont eacuteteacute adresseacutees aux thegraveses geacuteneacuterales deacutefendues par FP (le formalisme lrsquoindividua-liteacute de la forme) sans cependant toujours aborder leur exeacutegegravese en deacutetail8 Crsquoest pourquoi il me paraicirct instructif de suivre une deacutemarche en quelque sorte diffeacuterente pour reconstruire la maniegravere dont les conclusions principales de ces interpregravetes srsquoenracinent dans une lecture minutieuse mais parfois cri-tiquable du texte

Au deacutebut de Z 11 Aristote pose le problegraveme de savoir quelles parties appartiennent agrave la forme et quelles parties nrsquoappartiennent pas agrave la forme mais au composeacute Sans avoir eacutetabli cette distinction il ne sera pas possible de deacutefinir chaque chose (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι ἕκαστον) car la deacutefinition porte sur la forme et sur lrsquouniversel (1036a28-29) Cette section prend le relais de la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b34 les parties de la deacutefinition sont les seules parties de la forme Il srsquoagit donc drsquoavoir un critegravere pour seacutelectionner les parties formelles (agrave inclure dans la deacutefinition) et pour les distinguer des parties qui appartiennent au composeacute en tant que composeacute de forme et de matiegravere (agrave ne pas inclure dans la deacutefinition) (Z 11 1036a29-31)

Cette toute premiegravere section est relativement peu probleacutematique alors que lrsquointerpreacutetation des lignes qui suivent (1036a31-b6) est beaucoup plus controverseacutee Je reacutesumerai drsquoabord le commentaire de FP Aristote distin-guerait ici selon eux trois situations (laquo drei Faumllle raquo)9

1 la distinction entre parties formelles et parties mateacuterielles est simple quand la forme survient dans des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (crsquoest le cas du cercle qui se trouve dans le bronze et dans le bois)

2 La distinction serait plus difficile si la forme eacutetait de facto preacutesente dans un seul type de mateacuteriau (par exemple si tous les cercles eacutetaient faits de bonze) Mecircme dans ce cas il serait cependant possible de se repreacutesenter le cercle indeacutependamment de ses parties mateacuterielles

3 La distinction devient laquo impossible raquo dans le cas de lrsquohumain qui ne peut avoir qursquoun seul type de matiegravere Il srsquoagit dans ce cas drsquoun lien laquo interne raquo et neacutecessaire Car la forme ne peut ecirctre reacutealiseacutee que dans

6 Voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta Pittsburgh Mathesis Publications 2001 p 4

7 Leur meacutethode philologique consistant agrave suivre systeacutematiquement le texte des manu-scrits E J contre le manuscrit Ab ceteris paribus a fait lrsquoobjet de plusieurs discussions Il y a en ce moment une veacuteritable renaissance drsquointeacuterecirct pour le texte de la Meacutetaphysique Une nouvelle eacutedition critique eacutetablie par Oliver Primavesi et Marwan Rashed est en preacuteparation Voir pour lrsquoinstant O Primavesi laquo Aristotle Metaphysics A A new critical edition with intro-duction by Oliver Primavesi raquo in C Steel (dir) Aristotlersquos Metaphysics Alpha Symposium Aristotelicum nouvelle edition critique du texte grec par O Primavesi Oxford Clarendon Press 2012 pp 385-516

8 On trouvera une discussion critique excellente de leur thegravese concernant lrsquoindividualiteacute de la forme dans G Galluzzo laquo Universals in Aristotlersquos Metaphysics raquo in R Chiaradonna G Galluzzo (dir) Universals in Ancient Philosophy Pisa Edizioni della normale 2013 pp 209-253

9 Voir FP II p 204 ad 1036b6

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378 riccardo Chiaradonna

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cette matiegravere Par conseacutequent il est impossible de se repreacutesenter un humain autrement que fait de chair et drsquoos10

Ainsi dans le premier cas le lien subsistant entre la matiegravere et la forme est exteacuterieur contingent et variable dans le second cas le lien est exteacuterieur contingent et constant dans le troisiegraveme cas le lien est interne neacutecessaire et constant Il srsquoagirait cependant drsquoun lien qui porte sur lrsquoinstantiation de la forme dans une matiegravere drsquoun certain type et qui ne porte pas sur lrsquoessence formelle Cette lecture de la tripartition est tregraves importante pour FP pour ces derniers la forme est le seul objet propre de la deacutefinition et il nrsquoy a pas de mention des parties mateacuterielles dans la deacutefinition Cependant dans cer-tains cas il est impossible de se repreacutesenter la forme comme seacutepareacutee drsquoun certain type de matiegravere crsquoest justement le cas des ecirctres humains Mais cela ne doit pas nous conduire agrave penser que la matiegravere fasse partie de lrsquoessence Dans un humain la forme est lieacutee agrave la matiegravere drsquoune faccedilon telle que nous ne pouvons pas nous repreacutesenter la forme sans lrsquoassocier agrave un certain type de matiegravere Drsquoougrave la distinction que proposent FP (i) une chose est la capaciteacute de distinguer la forme de la matiegravere (ii) une autre la capaciteacute de regarder la forme comme seacutepareacutee selon la formule (λόγῳ) (iii) une autre chose encore est la capaciteacute de seacuteparer la matiegravere de la forme dans la penseacutee de maniegravere telle qursquoon se repreacutesente la forme comme si elle nrsquoeacutetait pas toujours reacutealiseacutee dans le mecircme type de matiegravere11 Crsquoest justement cette troisiegraveme possibiliteacute qui nrsquoexiste pas agrave propos de lrsquohumain ce qui explique pourquoi dans ce cas la matiegravere est lieacutee agrave la forme de maniegravere intrinsegraveque sans pourtant ecirctre essentielle

On peut se demander si cette lecture est vraiment fondeacutee et si Aristote distingue vraiment les trois cas de cette faccedilon Agrave vrai dire dans le texte il ne semble pas y avoir une tripartition mais une bipartition Voici drsquoabord le texte des lignes 1036a31-b4 dans lrsquoeacutedition de Ross

[a31] ὅσα μὲν οὖν φαίνεται ἐπιγιγνόμενα ἐφrsquo ἑτέ-ρων τῷ εἴδει οἷον κύκλος ἐν χαλκῷ καὶ λίθῳ καὶ ξύλῳταῦτα μὲν δῆλα εἶναι δοκεῖ ὅτι οὐδὲν τῆς τοῦ κύκλου οὐσίαςὁ χαλκὸς οὐδrsquo ὁ λίθος διὰ τὸ χωρίζεσθαι αὐτῶν ὅσα δὲμὴ ὁρᾶται χωριζόμενα οὐδὲν μὲν κωλύει ὁμοίως ἔχειν [1036b1] τούτοις ὥσπερ κἂν εἰ οἱ κύκλοι πάντες ἑωρῶντο χαλκοῖοὐδὲν γὰρ ἂν ἧττον ἦν ὁ χαλκὸς οὐδὲν τοῦ εἴδους χαλεπὸνδὲ ἀφελεῖν τοῦτον τῇ διανοίᾳ οἷον τὸ τοῦ ἀνθρώπου εἶδοςἀεὶ ἐν σαρξὶ φαίνεται καὶ ὀστοῖς καὶ τοῖς τοιούτοις μέρεσιν12

10 Voir FP II p 200 et 20411 FP II p 20512 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics A revised text with introduction and

Commentary Oxford Clarendon Press 1924 Selon Jaeger il faudrait ajouter μέρος en 1036b2 οὐδὲν lt μέρος gt τοῦ εἴδους (voir W Jaeger Aristotelis Metaphysica recognovit brevique ad notatione critica instruxit W J Oxford Clarendon Press 1957) Contra voir les remarques de FP II p 203 ad loc

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379 La chair et le bronze

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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380 riccardo Chiaradonna

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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382 riccardo Chiaradonna

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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377 La chair et le bronze

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novatrice pour eacutetablir le texte grec6 Crsquoest sur le premier aspect de leur travail que se concentrera cet article7 En effet de nombreuses critiques ont eacuteteacute adresseacutees aux thegraveses geacuteneacuterales deacutefendues par FP (le formalisme lrsquoindividua-liteacute de la forme) sans cependant toujours aborder leur exeacutegegravese en deacutetail8 Crsquoest pourquoi il me paraicirct instructif de suivre une deacutemarche en quelque sorte diffeacuterente pour reconstruire la maniegravere dont les conclusions principales de ces interpregravetes srsquoenracinent dans une lecture minutieuse mais parfois cri-tiquable du texte

Au deacutebut de Z 11 Aristote pose le problegraveme de savoir quelles parties appartiennent agrave la forme et quelles parties nrsquoappartiennent pas agrave la forme mais au composeacute Sans avoir eacutetabli cette distinction il ne sera pas possible de deacutefinir chaque chose (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι ἕκαστον) car la deacutefinition porte sur la forme et sur lrsquouniversel (1036a28-29) Cette section prend le relais de la thegravese eacutenonceacutee en Z 10 1035b34 les parties de la deacutefinition sont les seules parties de la forme Il srsquoagit donc drsquoavoir un critegravere pour seacutelectionner les parties formelles (agrave inclure dans la deacutefinition) et pour les distinguer des parties qui appartiennent au composeacute en tant que composeacute de forme et de matiegravere (agrave ne pas inclure dans la deacutefinition) (Z 11 1036a29-31)

Cette toute premiegravere section est relativement peu probleacutematique alors que lrsquointerpreacutetation des lignes qui suivent (1036a31-b6) est beaucoup plus controverseacutee Je reacutesumerai drsquoabord le commentaire de FP Aristote distin-guerait ici selon eux trois situations (laquo drei Faumllle raquo)9

1 la distinction entre parties formelles et parties mateacuterielles est simple quand la forme survient dans des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (crsquoest le cas du cercle qui se trouve dans le bronze et dans le bois)

2 La distinction serait plus difficile si la forme eacutetait de facto preacutesente dans un seul type de mateacuteriau (par exemple si tous les cercles eacutetaient faits de bonze) Mecircme dans ce cas il serait cependant possible de se repreacutesenter le cercle indeacutependamment de ses parties mateacuterielles

3 La distinction devient laquo impossible raquo dans le cas de lrsquohumain qui ne peut avoir qursquoun seul type de matiegravere Il srsquoagit dans ce cas drsquoun lien laquo interne raquo et neacutecessaire Car la forme ne peut ecirctre reacutealiseacutee que dans

6 Voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta Pittsburgh Mathesis Publications 2001 p 4

7 Leur meacutethode philologique consistant agrave suivre systeacutematiquement le texte des manu-scrits E J contre le manuscrit Ab ceteris paribus a fait lrsquoobjet de plusieurs discussions Il y a en ce moment une veacuteritable renaissance drsquointeacuterecirct pour le texte de la Meacutetaphysique Une nouvelle eacutedition critique eacutetablie par Oliver Primavesi et Marwan Rashed est en preacuteparation Voir pour lrsquoinstant O Primavesi laquo Aristotle Metaphysics A A new critical edition with intro-duction by Oliver Primavesi raquo in C Steel (dir) Aristotlersquos Metaphysics Alpha Symposium Aristotelicum nouvelle edition critique du texte grec par O Primavesi Oxford Clarendon Press 2012 pp 385-516

8 On trouvera une discussion critique excellente de leur thegravese concernant lrsquoindividualiteacute de la forme dans G Galluzzo laquo Universals in Aristotlersquos Metaphysics raquo in R Chiaradonna G Galluzzo (dir) Universals in Ancient Philosophy Pisa Edizioni della normale 2013 pp 209-253

9 Voir FP II p 204 ad 1036b6

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cette matiegravere Par conseacutequent il est impossible de se repreacutesenter un humain autrement que fait de chair et drsquoos10

Ainsi dans le premier cas le lien subsistant entre la matiegravere et la forme est exteacuterieur contingent et variable dans le second cas le lien est exteacuterieur contingent et constant dans le troisiegraveme cas le lien est interne neacutecessaire et constant Il srsquoagirait cependant drsquoun lien qui porte sur lrsquoinstantiation de la forme dans une matiegravere drsquoun certain type et qui ne porte pas sur lrsquoessence formelle Cette lecture de la tripartition est tregraves importante pour FP pour ces derniers la forme est le seul objet propre de la deacutefinition et il nrsquoy a pas de mention des parties mateacuterielles dans la deacutefinition Cependant dans cer-tains cas il est impossible de se repreacutesenter la forme comme seacutepareacutee drsquoun certain type de matiegravere crsquoest justement le cas des ecirctres humains Mais cela ne doit pas nous conduire agrave penser que la matiegravere fasse partie de lrsquoessence Dans un humain la forme est lieacutee agrave la matiegravere drsquoune faccedilon telle que nous ne pouvons pas nous repreacutesenter la forme sans lrsquoassocier agrave un certain type de matiegravere Drsquoougrave la distinction que proposent FP (i) une chose est la capaciteacute de distinguer la forme de la matiegravere (ii) une autre la capaciteacute de regarder la forme comme seacutepareacutee selon la formule (λόγῳ) (iii) une autre chose encore est la capaciteacute de seacuteparer la matiegravere de la forme dans la penseacutee de maniegravere telle qursquoon se repreacutesente la forme comme si elle nrsquoeacutetait pas toujours reacutealiseacutee dans le mecircme type de matiegravere11 Crsquoest justement cette troisiegraveme possibiliteacute qui nrsquoexiste pas agrave propos de lrsquohumain ce qui explique pourquoi dans ce cas la matiegravere est lieacutee agrave la forme de maniegravere intrinsegraveque sans pourtant ecirctre essentielle

On peut se demander si cette lecture est vraiment fondeacutee et si Aristote distingue vraiment les trois cas de cette faccedilon Agrave vrai dire dans le texte il ne semble pas y avoir une tripartition mais une bipartition Voici drsquoabord le texte des lignes 1036a31-b4 dans lrsquoeacutedition de Ross

[a31] ὅσα μὲν οὖν φαίνεται ἐπιγιγνόμενα ἐφrsquo ἑτέ-ρων τῷ εἴδει οἷον κύκλος ἐν χαλκῷ καὶ λίθῳ καὶ ξύλῳταῦτα μὲν δῆλα εἶναι δοκεῖ ὅτι οὐδὲν τῆς τοῦ κύκλου οὐσίαςὁ χαλκὸς οὐδrsquo ὁ λίθος διὰ τὸ χωρίζεσθαι αὐτῶν ὅσα δὲμὴ ὁρᾶται χωριζόμενα οὐδὲν μὲν κωλύει ὁμοίως ἔχειν [1036b1] τούτοις ὥσπερ κἂν εἰ οἱ κύκλοι πάντες ἑωρῶντο χαλκοῖοὐδὲν γὰρ ἂν ἧττον ἦν ὁ χαλκὸς οὐδὲν τοῦ εἴδους χαλεπὸνδὲ ἀφελεῖν τοῦτον τῇ διανοίᾳ οἷον τὸ τοῦ ἀνθρώπου εἶδοςἀεὶ ἐν σαρξὶ φαίνεται καὶ ὀστοῖς καὶ τοῖς τοιούτοις μέρεσιν12

10 Voir FP II p 200 et 20411 FP II p 20512 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics A revised text with introduction and

Commentary Oxford Clarendon Press 1924 Selon Jaeger il faudrait ajouter μέρος en 1036b2 οὐδὲν lt μέρος gt τοῦ εἴδους (voir W Jaeger Aristotelis Metaphysica recognovit brevique ad notatione critica instruxit W J Oxford Clarendon Press 1957) Contra voir les remarques de FP II p 203 ad loc

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379 La chair et le bronze

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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380 riccardo Chiaradonna

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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382 riccardo Chiaradonna

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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cette matiegravere Par conseacutequent il est impossible de se repreacutesenter un humain autrement que fait de chair et drsquoos10

Ainsi dans le premier cas le lien subsistant entre la matiegravere et la forme est exteacuterieur contingent et variable dans le second cas le lien est exteacuterieur contingent et constant dans le troisiegraveme cas le lien est interne neacutecessaire et constant Il srsquoagirait cependant drsquoun lien qui porte sur lrsquoinstantiation de la forme dans une matiegravere drsquoun certain type et qui ne porte pas sur lrsquoessence formelle Cette lecture de la tripartition est tregraves importante pour FP pour ces derniers la forme est le seul objet propre de la deacutefinition et il nrsquoy a pas de mention des parties mateacuterielles dans la deacutefinition Cependant dans cer-tains cas il est impossible de se repreacutesenter la forme comme seacutepareacutee drsquoun certain type de matiegravere crsquoest justement le cas des ecirctres humains Mais cela ne doit pas nous conduire agrave penser que la matiegravere fasse partie de lrsquoessence Dans un humain la forme est lieacutee agrave la matiegravere drsquoune faccedilon telle que nous ne pouvons pas nous repreacutesenter la forme sans lrsquoassocier agrave un certain type de matiegravere Drsquoougrave la distinction que proposent FP (i) une chose est la capaciteacute de distinguer la forme de la matiegravere (ii) une autre la capaciteacute de regarder la forme comme seacutepareacutee selon la formule (λόγῳ) (iii) une autre chose encore est la capaciteacute de seacuteparer la matiegravere de la forme dans la penseacutee de maniegravere telle qursquoon se repreacutesente la forme comme si elle nrsquoeacutetait pas toujours reacutealiseacutee dans le mecircme type de matiegravere11 Crsquoest justement cette troisiegraveme possibiliteacute qui nrsquoexiste pas agrave propos de lrsquohumain ce qui explique pourquoi dans ce cas la matiegravere est lieacutee agrave la forme de maniegravere intrinsegraveque sans pourtant ecirctre essentielle

On peut se demander si cette lecture est vraiment fondeacutee et si Aristote distingue vraiment les trois cas de cette faccedilon Agrave vrai dire dans le texte il ne semble pas y avoir une tripartition mais une bipartition Voici drsquoabord le texte des lignes 1036a31-b4 dans lrsquoeacutedition de Ross

[a31] ὅσα μὲν οὖν φαίνεται ἐπιγιγνόμενα ἐφrsquo ἑτέ-ρων τῷ εἴδει οἷον κύκλος ἐν χαλκῷ καὶ λίθῳ καὶ ξύλῳταῦτα μὲν δῆλα εἶναι δοκεῖ ὅτι οὐδὲν τῆς τοῦ κύκλου οὐσίαςὁ χαλκὸς οὐδrsquo ὁ λίθος διὰ τὸ χωρίζεσθαι αὐτῶν ὅσα δὲμὴ ὁρᾶται χωριζόμενα οὐδὲν μὲν κωλύει ὁμοίως ἔχειν [1036b1] τούτοις ὥσπερ κἂν εἰ οἱ κύκλοι πάντες ἑωρῶντο χαλκοῖοὐδὲν γὰρ ἂν ἧττον ἦν ὁ χαλκὸς οὐδὲν τοῦ εἴδους χαλεπὸνδὲ ἀφελεῖν τοῦτον τῇ διανοίᾳ οἷον τὸ τοῦ ἀνθρώπου εἶδοςἀεὶ ἐν σαρξὶ φαίνεται καὶ ὀστοῖς καὶ τοῖς τοιούτοις μέρεσιν12

10 Voir FP II p 200 et 20411 FP II p 20512 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics A revised text with introduction and

Commentary Oxford Clarendon Press 1924 Selon Jaeger il faudrait ajouter μέρος en 1036b2 οὐδὲν lt μέρος gt τοῦ εἴδους (voir W Jaeger Aristotelis Metaphysica recognovit brevique ad notatione critica instruxit W J Oxford Clarendon Press 1957) Contra voir les remarques de FP II p 203 ad loc

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379 La chair et le bronze

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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380 riccardo Chiaradonna

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 385 476 - copy PUF -

est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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386 riccardo Chiaradonna

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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379 La chair et le bronze

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La paraphrase tregraves syntheacutetique de Ross est de ce point de vue plus fidegravele que le commentaire agrave thegravese de FP

When the form supervenes on specifically different materials (eg the circle on bronze stone wood) the materials are evidently no part of the form but when this is not so it is hard to eliminate the matter in thought Eg the form of man is always found in flesh bone ampc are these then parts of the form or parts of the matter but difficult to eliminate because the form never supervenes on other materials13

Aristote en effet distingue deux cas (1) ὅσα μέν (1036a31) ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes (2) ὅσα δέ (1036a34) ce qui se trouve toujours conjoint agrave un certain type de matiegravere Crsquoest justement la situation qursquoon aurait si lrsquoon ne voyait que des cercles de bronze Mais mecircme dans une telle situation le bronze ne ferait aucune-ment partie de la forme Cependant ajoute Aristote lrsquoabstraction du bronze (ou plus geacuteneacuteralement de la matiegravere) serait difficile (χαλεπόν) Le cas de lrsquohumain et de sa matiegravere (le troisiegraveme dans la distinction de FP) nrsquoest pas une hypothegravese seacutepareacutee mais une illustration de la seconde hypothegravese intro-duite par ὅσα δέ lrsquousage de οἷον (1036b2) nous laisse tregraves peu de doutes agrave cet eacutegard

La traduction allemande de FP obscurcit un peu ce point La premiegravere hypothegravese introduite par ὅσα μέν en 1036a31 est traduite ainsi laquo Was nun offensichtlich an der Art nach voneinander Verschiedenem auftritt raquo la seconde hypothegravese introduite par ὅσα δέ en 1036a34 est traduite laquo Aber selbst bei den Dingen bei denen wir nicht beobachten daszlig sie getrennt auftreten raquo lrsquoillustration introduite par οἷον en 1036b2 est traduite laquo So erscheint auch die Form des Menschen raquo Il est instructif de comparer la traduction de Bostock et la traduction franccedilais reacutecente de Duminil et Jaulin qui sont plus fidegraveles au texte14 La premiegravere hypothegravese est traduite ainsi en anglais laquo now where a thing can be seen to supervene on others that differ in form amongst themselves raquo et de cette faccedilon en franccedilais laquo Donc pour tout ce qui srsquoajoute manifestement agrave des matiegraveres speacutecifiquement diffeacuterentes raquo la seconde en anglais ainsi laquo And where a thing is never seen separated from certain materials raquo et en franccedilais laquo or pour tout ce qursquoon ne voit pas seacutepareacute raquo lrsquoillustration par laquo For example the form of man raquo en anglais et en franccedilais laquo Par exemple la forme de lrsquohumain raquo Autrement dit lrsquohumain est preacutesenteacute comme un exemple suppleacutementaire pour illustrer la conjonction constante de la matiegravere et de la forme

13 Voir WD Ross Aristotlersquos Metaphysics op cit vol II p 201 voir aussi H Bonitz (dir) Aristotelis Metaphysica Recognovit et enarravit H B Bonn 1848-1849 vol II p 339

14 Voir FP I pp 97-99 D Bostock Aristotle Metaphysics Books Ζ and Η op cit M-P Duminil A Jaulin Aristote Meacutetaphysique Preacutesentation et traduction Paris GF-Flammarion 2009

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 381 476 - copy PUF -

Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 385 476 - copy PUF -

est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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386 riccardo Chiaradonna

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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Agrave ce niveau de lrsquoargumentation la distinction passe entre un exemple fictif (il nrsquoy a de cercles que de bronze exemple qui a eacutevidemment pour fonction de se rattacher au premier cas illustreacute par ὅσα μέν) et un exemple reacuteel (il nrsquoy a drsquohumains que de chair et drsquoos) deux exemples qursquoAristote uti-lise cependant pour illustrer la mecircme situation soit la conjonction constante entre la forme et un type de matiegravere Il nrsquoy a tout simplement aucune dis-tinction entre la conjonction constante contingente et exteacuterieure de la forme et de la matiegravere drsquoun cocircteacute et la conjonction constante neacutecessaire et interne de lrsquoautre Aristote ne distinguera que plus bas (soit en 1036b28-32) le rap-port existant entre le bronze et le cercle de celui qui existe entre les parties drsquoun animal et sa forme Mais comme nous le verrons cette distinction ne se fondera pas tant sur la nature de la conjonction (exteacuterieure ou interne contingente ou neacutecessaire) que sur la position dans la deacutefinition formelle drsquoun animal des parties fonctionnelles (par exemple la main) en tant que distinctes des parties non fonctionnelles comme la chair

Les lignes qui suivent (1036b5-8) sont deacutecisives Voici encore le texte grec dans lrsquoeacutedition de Ross

ἆρrsquo οὖν καὶ ἐστὶ ταῦτα μέρη τοῦ εἴδους καὶ τοῦ λόγου ἢ οὔἀλλrsquo ὕλη ἀλλὰ διὰ τὸ μὴ καὶ ἐπrsquo ἄλλων ἐπιγίγνεσθαιἀδυνατοῦμεν χωρίσαι ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαιἄδηλον δὲ πότε κτλ

Il est fort inteacuteressant de srsquoattarder un peu sur la ponctuation adopteacutee par les eacutediteurs Ross et Jaeger indiquent deux points drsquointerrogation aux lignes 1036 b5 et b7 On a donc une lecture un peu minimaliste apregraves avoir fait mention de lrsquoexemple de lrsquohumain et de sa matiegravere Aristote pose deux alternatives

(Hypothegravese [a]) Est-ce donc que ces parties sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (Hypothegravese [b]) Ou bien ne le sont-elles pas mais sont-elles matiegravere que pourtant nous sommes incapables de seacuteparer ltde la formegt parce qursquoelles ne srsquoajoutent pas aussi agrave drsquoautres choses Puisque cette seacuteparation semble possible mais qursquoil nrsquoest pas eacutevident de dire quand [hellip]15

Ainsi quand la forme est toujours associeacutee agrave une matiegravere drsquoun seul type comme la forme de lrsquohumain dans la chair la question se pose de savoir si ces parties mateacuterielles font aussi partie de la forme (et il faut donc en faire mention dans la deacutefinition) ou nrsquoen font pas partie tout en eacutetant mateacute-rielles nous serions simplement incapables de les seacuteparer de la forme agrave cause de leur conjonction constante Aristote preacutecise que cette seacuteparation (τοῦτο 1036b7 que jrsquoentends comme se reacutefeacuterant au χωρίσαι qui le preacutecegravede) semble possible (ἐνδέχεσθαι) mais qursquoil nrsquoest eacutevident de dire quand (ἄδηλον δὲ

15 Je reprends encore une fois la traduction franccedilaise de Duminil et Jaulin

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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382 riccardo Chiaradonna

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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384 riccardo Chiaradonna

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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381 La chair et le bronze

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πότε) ndash ou peut-ecirctre mieux laquo mais parfois (en posant un ποτε enclitique) elle est obscure16 raquo Cela engendre une confusion entre les parties formelles et les parties mateacuterielles qursquoAristote deacutenonce dans les lignes qui suivent On peut simplement dire ceci

(1) Aristote ne paraicirct pas utiliser de notions modales pour distinguer le rapport formematiegravere dans lrsquoexemple des cercles de bronze du rapport formematiegravere dans lrsquoexemple de lrsquohumain

(2) Aristote est tregraves prudent En principe la seacuteparation de la forme paraicirct toujours possible mais elle est obscure dans certains cas (en posant un ποτε enclitique en 1036b8) ce qui peut conduire agrave des erreurs comme celles des Platoniciens car ils en viennent agrave neacutegliger des parties formelles en les assignant agrave la matiegravere Ils suppriment alors dans la deacutefinition des parties formelles veacuteritables

Sans entrer dans les deacutetails de ce passage (1036b8-20) je me bornerai agrave dire qursquoAristote reproche aux partisans des Ideacutees de tout ramener aux nombres et de deacutefinir le cercle et le triangle sans avoir recours agrave la ligne et agrave lrsquoexten-sion17 Aux yeux drsquoAristote de cette faccedilon des aspects formels des grandeurs geacuteomeacutetriques sont reacuteduits au rang de matiegravere Crsquoest pourquoi ajoute Aristote les partisans des Formes en viennent agrave commettre la mecircme erreur que les Pythagoriciens ils posent une seule forme pour des choses formellement diffeacuterentes jusqursquoagrave tout reacuteduire agrave la mecircme forme Dans sa critique Aristote reproche aux Acadeacutemiciens de penser que les lignes et la continuiteacute se disent des cercles et des triangles laquo de la mecircme maniegravere que la chair et les os se disent de lrsquohumain le bronze et la pierre du cercle raquo (1036b11)18 Aristote nrsquoa donc aucun problegraveme agrave assimiler les deux exemples Bien entendu il faut consideacuterer le contexte particulier de ce passage il est possible ici drsquoassimiler le statut de la chair et celui du bronze car il srsquoagit dans les deux cas de parties mateacuterielles et les Acadeacutemiciens regardent agrave tort les lignes et la continuiteacute comme si elles nrsquoeacutetaient que des parties mateacuterielles du cercle Il nrsquoen reste pas moins que plus loin Aristote distingue soigneusement les deux types de parties mateacuterielles celles du cercle et celles de lrsquohumain quand il rejette la position de Socrate

16 Je reprends la suggestion drsquoAndreacute Laks rapporteacutee dans le commentaire ad loc de FP II p 206

17 Sur cette doctrine voir la discussion reacutecente de M Rashed laquo Platorsquos Five Worlds Hypothesis (ti 55cd) Mathematics and Universals raquo in R Chiaradonna G Galluzzo Universals in Ancient Philosophy op cit pp 87-112 Selon FP II p 201 lrsquoerreur des Acadeacutemiciens deacutecoule de ce fait ils remarquent que le fait de ne pas pouvoir se repreacutesenter un y sans la partie X nrsquoimplique pas que X soit une partie formelle de y Puisque dans de tels cas il nrsquoy pas de critegravere univoque pour eacutetablir la diffeacuterence entre parties formelles et parties mateacuterielles les Acadeacutemiciens en viennent agrave regarder comme parties mateacuterielles toutes les par-ties qursquoon ne peut pas univoquement regarder comme parties formelles Bien qursquoingeacutenieuse cette explication se fonde sur la distinction illustreacutee plus haut entre un lien exteacuterieur et un lien interne entre la forme et la matiegravere (le lien interne eacutetant tel qursquoon ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un certain type de matiegravere) Comme on vient de le voir le fondement textuel de cette interpreacutetation est plutocirct faible

18 Comme le remarquent FP II p 207 en 1036b11-12 il est preacutefeacuterable de suivre les mss EJ en lisant κύκλου alors qursquoon trouve ἀνδριάντος dans Ab et chez le Ps-Alexandre (suivis par Ross et Jaeger)

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

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ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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386 riccardo Chiaradonna

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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le Jeune (1036b28 comme nous verrons dans ce passage Aristote ne fait cependant pas mention de la chair mais des parties fonctionnelles comme la main) Cela dit il est encore une fois important de remarquer que rien dans le texte ne suggegravere lrsquoexistence drsquoune diffeacuterence modale qui seacuteparerait la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain et dans celui drsquoun cercle de bronze ou de pierre Il est bien possible qursquoune telle distinction soit preacutesente dans la penseacutee drsquoAristote mais tout ce qursquoon peut dire crsquoest qursquoune telle distinction ne paraicirct jouer aucun rocircle dans ces lignes de Z 11

Il faut maintenant aborder la lecture de FP Elle implique la suppres-sion drsquoune des deux interrogations celle qui se trouve en χωρίσαι Le sens du texte drsquoAristote devient alors diffeacuterent Il poserait une seule et unique question est-ce donc que ces parties (soit la chair et les os pour les ecirctres humains) sont aussi parties de la forme et de lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition La reacuteponse serait introduite par ἢ οὔ en 1036b5 (laquo Mais non raquo) pourtant nous sommes incapables de les seacuteparer (scil de la forme) parce que (scil la forme sujet de ἐπιγίγνεσθαι) ne srsquoajoute pas en plus agrave drsquoautres choses19 Ainsi dans leur lecture ἢ οὔ nrsquointroduit pas la seconde partie drsquoune interrogation disjonctive mais la reacuteponse agrave lrsquoaporie qui preacutecegravede Qui plus est dans leur commentaire FP se proposent de laquo prendre au seacuterieux raquo lrsquoincapaciteacute signaleacutee par ἀδυνατοῦμεν en 1036b720 Le problegraveme est que leur lecture en vient agrave surinterpreacuteter peut-ecirctre ce verbe on dirait qursquoils le prennent trop au seacuterieux En effet FP interpregravetent ἀδυνατοῦμεν comme si ce verbe signalait une impossibiliteacute objective et non pas seulement une incapaciteacute de notre part (comme si ἀδυνατοῦμεν χωρίσαι eacutetait eacutequivalent agrave ἀδύνατον χωρίσαι) Crsquoest comme si Aristote disait dans de tels cas nous ne pouvons pas seacuteparer la matiegravere parce que la forme ne peut se trouver que dans une matiegravere drsquoun certain type (lien interne et constant mais non essentiel entre la forme et la matiegravere chez lrsquohumain) Cette impossibiliteacute permet de distinguer la situa-tion des ecirctres humains par rapport agrave la situation des cercles de bronze car dans les cercles la distinction nrsquoest tout au plus que laquo difficile raquo (χαλεπόν 1036b2-3) et ne peut pas ecirctre laquo impossible raquo Le lien entre la forme et un type de mateacuteriau serait en effet toujours contingent dans les cercles (mecircme au cas ougrave il serait constant) alors que ce lien serait neacutecessaire dans le cas des ecirctres humains De la sorte FP trouvent dans ces lignes un point drsquoappui fon-damental pour leur interpreacutetation Dans lrsquohumain le lien entre la matiegravere et la forme est interne (on ne peut se repreacutesenter la forme que reacutealiseacutee dans un type de matiegravere) mais la forme est toujours distincte et crsquoest la forme qui fait lrsquoobjet de la deacutefinition

Le problegraveme de cette lecture est qursquoelle est un peu artificielle Drsquoun point de vue linguistique on notera qursquoAristote semble utiliser la conjonction

19 Voir la traduction dans FP I p 99 laquo Folgt daraus nun daszlig auch diese Teile der Form und der Formel sind Doch wohl nicht vielmehr sind sie nur Materie Aber wir sind unfaumlhig sie von der Materie zu trennen weil sie nicht auch an anderem aufritt raquo

20 FP II p 204

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383 La chair et le bronze

13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 383 476 - copy PUF -

ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 385 476 - copy PUF -

est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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383 La chair et le bronze

13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 383 476 - copy PUF -

ἆρrsquo οὖν mdash ἢ οὔ pour seacuteparer les alternatives drsquoune interrogation disjonctive et non pour seacuteparer une aporie et sa reacuteponse21 Il est vrai que comme le note Bonitz laquo in interrogationibus bimembribus (ἆρα mdash ἤ) alterum membrum a particula ἤ exorsum interdum responsionis vim habet22 raquo Dans notre pas-sage aussi il est certes plausible que le second membre de la disjonction soit le plus proche de la position drsquoAristote la conjonction constante de la forme agrave un certain type de matiegravere nrsquoimplique pas qursquoil faille inclure la matiegravere dans la deacutefinition de la forme Il nrsquoen reste pas moins qursquoil paraicirct preacutefeacuterable de conserver la disjonction sans donner agrave la phrase introduite par ἢ οὔ la force que FP lui accordent

Quoi qursquoil en soit de cette remarque linguistique il est important de sou-ligner qursquoAristote ici ne fait aucune allusion agrave un lien interne entre la forme et la matiegravere Il se borne agrave dire que puisque la forme de lrsquohumain est toujours conjointe agrave un certain type de matiegravere (la chair et les os) nous ne sommes pas capables (jrsquoajouterai en glosant normalement nous ne sommes pas capables) de la seacuteparer23 Il ne semble pas que ἀδυνατοῦμεν fasse allusion agrave une impos-sibiliteacute objective de se repreacutesenter la forme de lrsquohumain sans sa matiegravere Par conseacutequent cette position est parfaitement compatible avec la phrase qui suit ἐπεὶ δὲ τοῦτο δοκεῖ μὲν ἐνδέχεσθαι ἄδηλον δὲ πότε κτλ Crsquoest-agrave-dire il semble qursquoil est possible de les seacuteparer mais il nrsquoest pas eacutevident de dire quand il est possible de les seacuteparer (ou bien mais parfois la seacuteparation est obscure) Mecircme quand nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme de la matiegravere cette seacuteparation est toujours possible en principe bien qursquoil soit obscur de dire quand cela est possible (ou bien que parfois la seacuteparation soit obscure) Il ne paraicirct donc pas plausible de poser une distinction forte entre le χαλεπόν qui qualifie en 1036b2-3 la seacuteparation de la forme dans lrsquoexemple des cercles de bronze et lrsquoἀδυνατοῦμεν qui qualifie en 1036b8 la seacuteparation de la forme dans lrsquohumain24 Et puisqursquoAristote ne dit pas qursquoil

21 Voir DA II 12 424b14 en Ι 3 1165b17-18 GC II 11 337b15-16 De int 11 21a26 Phys IV 13 222a29-30 Parmi ces occurrences celle de De int 11 se precircte agrave lire ἢ οὔ comme introduisant une reacuteponse agrave la question introduite par ἆρrsquo οὖν ὥσπερ Ὅμηρός ἐστί τι οἷον ποιητήςmiddot ἆρrsquo οὖν καὶ ἔστιν ἢ οὔ κατὰ συμβεβηκὸς γὰρ κατηγορεῖται τὸ ἔστιν τοῦ Ὁμήρου κτλ (De int 11 21a25-27 ponctuation de lrsquoeacutedition Minio-Paluello) Voir la traduction de Ackrill laquo For example Homer is something (say a poet) Does it follow that he is no for the lsquoisrsquo is predicated accidentally of Homer raquo (voir JL Ackrill Aristotle Categories and De Interpretatione translated with notes by JL Ackrill Oxford Clarendon Press 1963 p 59) On notera cependant la preacutesence de γάρ en 21a26 qui favorise cette interpreacutetation

22 H Bonitz index Aristotelicus Berlin Reimer 1870 sv ἆρα col 90b33-3523 FP II p 205 eacutevoquent une telle hypothegravese en faisant reacutefeacuterence agrave Metaph Z 12

1038a13 ἀδυνατεῖν signalerait notre incapaciteacute drsquoeffectuer une division qui serait cependant possible en principe Mais FP rejettent cette interpreacutetation puisque selon eux laquo das lsquowirrsquo ganz allgemein zu verstehen ist raquo

24 Comme crsquoest souvent le cas le commentaire de Bonitz apparaicirct parfaitement cor-recte laquo Difficile vero idem est dignoscere si qua forma veluti species humana non in diver-sis materiae generibus sed in eadem ubique materia carnibus ossibus rel cernitur nihil enim impedit quominus etiam sic aliquid alienum a forma unice materiae sit tribuendum sed propter coniunctionis materiae cum forma perpetuitaem haud facile alterum ab altero seiungas raquo (H Bonitz Aristotelis Metaphysica op cit p 339)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 385 476 - copy PUF -

est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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est impossible de seacuteparer la matiegravere de la forme dans le cas de lrsquohumain (il dit plus modestement que nous ne sommes pas capables de seacuteparer la forme dans de tels cas) il nrsquoy a aucune contradiction agrave reacutefeacuterer agrave χωρίσαι le pronom τοῦτο (1036b7) dans la phrase qui suit immeacutediatement25 Ce qui est eacutevi-demment la lecture la plus naturelle de ce passage

Si tout cela est vrai un texte fondamental pour lrsquointerpreacutetation que FP proposent du lien entre la matiegravere et la forme en vient agrave tomber Il est bien possible qursquoAristote conccediloive le principe de lrsquoinstantiation unique (la forme ne srsquoajoute qursquoagrave un seul type de matiegravere) en utilisant les notions modales de neacutecessiteacute et drsquoimpossibiliteacute Mais il ne le fait pas dans ce passage ou pour le moins il ne le dit pas en Z 11 dans les termes que suggegraverent FP

Jrsquoen viens maintenant agrave lrsquoautre volet de leur lecture Il est vrai que chez lrsquohumain la matiegravere drsquoun certain type est toujours intrinsegravequement conjointe agrave la forme (conjonction constante interne et neacutecessaire mais non essentielle) Cependant matiegravere et forme sont distinctes et la forme est le seul objet propre de la deacutefinition qui ne fait aucune mention de la matiegravere Or cette lecture doit se confronter au passage ougrave Aristote apregraves avoir critiqueacute les Acadeacutemiciens en vient agrave la doctrine de Socrate le Jeune (1036b24-32)26 Ce membre du cercle de Platon avait proposeacute un parallegravele (παραβολή) entre lrsquoanimal et le cercle parallegravele qursquoAristote regarde comme eacutegarant (1036-b25) Il suggeacuterait que lrsquohumain peut exister sans ses parties comme le cercle sans le bronze ποιεῖ ὑπολαμβάνειν ὡς ἐνδεχόμενον εἶναι τὸν ἄνθρωπον ἄνευ τῶν μερῶν ὥσπερ ἄνευ τοῦ χαλκοῦ τὸν κύκλον (1036b26-27) Les deacutetails demeurent fort controverseacutes Aux yeux drsquoAristote Socrate avait pro-bablement commis agrave propos de lrsquoanimal une erreur semblable agrave lrsquoerreur commise par les partisans des Formes agrave propos des figures geacuteomeacutetriques il avait assigneacute agrave la matiegravere des caractegraveres qui en fait appartiennent agrave la forme (et qursquoil faut donc inclure dans la deacutefinition)27

On peut se demander quelles sont les parties de lrsquohumain que Socrate le Jeune a eu le tort de neacutegliger La reacuteponse que lrsquoon deacutegage de ce texte ne laisse pas beaucoup de doutes il srsquoagit des laquo parties raquo de son corps regardeacutees non pas comme faites de chair (comme on vient de le voir la chair et les os ne sont pas des parties de la forme) mais comme des parties fonction-nelles et donc comme des parties telles qursquoelles sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent chez lrsquoanimal Crsquoest ce qursquoAristote dit par lrsquoexpression laquo un certain eacutetat des parties raquo (1036b30)28 La raison pour Aristote en est

25 Contra FP II p 20526 Socrate le Jeune se trouve mentionneacute dans plusieurs ouvrages de Platon Voir nota-

mment Theaet 147d Soph 218b ep II 358d Il est un des participants du Politique27 La bibliographie sur la section concernant Socrate le Jeune est abondante Jrsquoai surtout

profiteacute de lrsquoarticle de D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit Je tiens agrave remercier Francesca Masi pour mrsquoavoir confieacute son commentaire ineacutedit de cette partie de Z 11

28 Ross (Aristotlersquos Metaphysics op cit ad loc) a eacutevidemment tort de dire que lrsquoexpression ἐχόντων πώς agrave 1036b30 est laquo really irrelevant raquo

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

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37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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385 La chair et le bronze

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que lrsquoanimal est une chose sensible29 et qursquoon ne peut pas le deacutefinir laquo sans le mouvement raquo On ne peut donc pas deacutefinir lrsquoanimal sans laquo un certain eacutetat de ses parties raquo αἰσθητὸν γάρ τι τὸ ζῷον καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b28-30) Si on lit le texte de maniegravere litteacuterale la conclusion semble srsquoimposer que la deacutefi-nition va jusque-lagrave elle doit inclure lrsquoeacutetat distinctif dans lequel se trouvent les parties structurales ou fonctionnelles de lrsquoanimal (par exemple la main organe laquo moteur raquo) On pourrait penser par exemple que la deacutefinition drsquoani-mal implique la fonction de percevoir et que cela implique la preacutesence dans la deacutefinition des organes de la vision soit de parties mateacuterielles dans lrsquoeacutetat qui les rend capables drsquoaccomplir une fonction deacutetermineacutee crsquoest-agrave-dire la fonc-tion drsquoassurer la perception visuelle Cela nrsquoimpliquerait pas bien entendu la mention des organes faits laquo de chair raquo (les yeux) Cela implique en revanche la preacutesence drsquoorganes capables drsquoaccomplir leur fonction ndash crsquoest-agrave-dire des organes drsquoun vivant comme Aristote le dit dans les lignes qui suivent immeacute-diatement (1036b32) On pourrait donc dire qursquoil faut inclure dans la deacutefi-nition les parties fonctionnelles du vivant en tant que fonctionnelles et non pas en tant que parties composeacutees de matiegravere Crsquoest pourquoi la preacutesence drsquoune telle mention des parties dans la deacutefinition ne srsquooppose pas agrave ce qursquoAristote dit en 1037a24-27 sur le fait que les parties mateacuterielles ne sont pas incluses dans lrsquoeacutenonceacute de la deacutefinition (la matiegravere eacutetant un indeacutetermineacute)30

Cela peut expliquer pourquoi Aristote ne fait pas allusion ici agrave la chair et aux os qursquoil regarde clairement dans ces chapitres comme des parties mateacuterielles de lrsquohumain (voir Z 10 1035a17-22 11 1036b4 et b11) et non pas comme des parties fonctionnelles (et donc comme des parties qui ne sont ni capables de survivre agrave lrsquoecirctre vivant ni susceptibles drsquoecirctre rempla-ceacutees)31 Son ideacutee semble plutocirct que les parties anhomeacuteomegraveres et structurales comme la main ont une fonction propre qui les identifie et crsquoest justement cette fonction (par exemple le fait drsquoassurer le mouvement) unie au fait

29 En 1036b28 il faut garder αἰσθητόν selon le texte transmis par tous les manuscrits FP II p 210 corrigent en αἰσθητltικgtόν de maniegravere tregraves subtile mais contesteacutee de maniegravere convaincante par H Granger laquo Metaphysics Z11 1036b28 αἰσθητόν or αἰσθητικόν raquo Classical Quarterly ns vol L 2000 pp 415-423 Granger propose une reconstruction con-vaincante du lien subsistant entre les trois aspects souligneacutes par Aristote (ecirctre sensible ecirctre impossible agrave deacutefinir sans le mouvement ecirctre impossible agrave deacutefinir sans un certain eacutetat des parties) Je nrsquoaborderai pas ces points ici

30 Contra M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit pp 117-118

31 Voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 183 avec les preacutecisions suppleacutementaires drsquoA Code laquo Commentary on Devereux raquo in GM Gurtler W Wians (dir) Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy vol XXVI 2010 op cit pp 197-209 Comme le remarquent ces deux speacutecialistes cette position pose un problegraveme car ailleurs Aristote regarde mecircme la chair et les os comme des parties fonctionnelles au sens fort (voir par exemple GC I 5 321b16-32) Je nrsquoaborderai pas ce point qui demanderait une discussion approfondie Sur la distinction entre parties mateacute-rielles (compositionnelles) et parties fonctionnelles voir V Caston laquo Aristotlersquos psychology raquo in ML Gill P Pellegrin (dir) The Blackwell Companion to Ancient Philosophy Oxford Blackwell Publishing 2006 pp 316-346 (p 324)

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 386 476 - copy PUF -

13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 387 476 - copy PUF -

que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 387 476 - copy PUF -

qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

riccardochiaradonnauniroma3it

37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 387 476 - copy PUF -

que cette fonction demande la preacutesence de parties approprieacutees que nous devons inclure en quelque sorte dans la deacutefinition Dire donc qursquoun animal est capable de voir dire qursquoil a la fonction de voir dire mecircme qursquoil a des organes approprieacutes pour exercer cette fonction sont autant drsquoeacuteleacutements sans lesquels on ne pourra pas deacutefinir lrsquoanimal Srsquoagit-il de caractegraveres inteacuterieurs agrave la forme La question est deacutebattue mais on pourrait suggeacuterer prudemment la plausibiliteacute drsquoune telle conclusion Car on ne dirait pas de lrsquoanimal qursquoil doit avoir sa chair et ses os (soit de la chair et des os particuliers soit de la chair et des os en geacuteneacuteral) mais qursquoil doit avoir des fonctions vitales distinc-tives agrave partir du mouvement et des parties organiques approprieacutees pour les exercer Tout cela pourrait bien entrer dans la liste de ce qui explique ce que crsquoest qursquolaquo ecirctre un animal raquo et donc dans sa deacutefinition formelle32

Ce passage pose des problegravemes consideacuterables agrave FP33 De tels problegravemes ne deacutecoulent pas tant de leur ideacutee selon laquelle la deacutefinition doit avoir la forme pour objet On peut deacutefendre cette conclusion bien que les termes par lesquels Aristote introduit la critique de Socrate le Jeune posent des pro-blegravemes consideacuterables agrave cet eacutegard34 Ce qui paraicirct plus critiquable est leur ideacutee

32 Une telle lecture a reacutecemment eacuteteacute proposeacutee bien qursquoavec des nuances consideacuterable-ment diffeacuterentes par D Devereux et M Peramatzis Selon Devereux il faut inclure dans la deacutefinition de la forme les parties fonctionnelles de lrsquoanimal ou pour mieux dire il faut inclure la forme de ces parties crsquoest-agrave-dire leur capaciteacute drsquoaccomplir une fonction (voir D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 184) Peramatzis de son cocircteacute deacutefend de maniegravere tregraves deacutetailleacutee la thegravese qursquoil y a des parties mateacuterielles dans lrsquoessence mecircme des formes naturelles (ces formes sont donc laquo matter-involving raquo) Ces parties mateacuterielles sont agrave concevoir comme laquo features or ways of being just as the form is an essential feature or way of being a what-is-to-be raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 52)

33 Voir les critiques de J Whiting laquo Metasubstance critical notice of Frede-Patzig and Furth raquo The Philosophical review vol 100 1991 pp 607-639 (pp 626-630) et J-L Labarriegravere Langage vie politique et mouvement des animaux Eacutetudes aristoteacuteliciennes Paris Vrin 2004 pp 148-153

34 Voir 1036b22-24 διὸ καὶ τὸ πάντα ἀνάγειν οὕτω καὶ ἀφαιρεῖν τὴν ὕλην περίεργονmiddot ἔνια γὰρ ἴσως τόδrsquo ἐν τῷδrsquo ἐστὶν ἢ ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα Aristote dit de maniegravere tregraves claire qursquoon ne peut pas faire abstraction de la matiegravere crsquoest pourquoi plusieurs interpregravetes suggegraverent qursquoAristote eacutevoque ici la deacutefinition des composeacutes et non pas la deacutefinition de la forme (voir aussi Metaph H 2 1042a 7-12 H 3 1043a 31-36) Si cela eacutetait vrai il faudrait eacutevidem-ment poser encore une fois le problegraveme du rapport subsistant entre cette phrase et la fin de Z 11 lagrave ougrave Aristote paraicirct suggeacuterer que dans le cas des composeacutes aussi la deacutefinition doit faire mention de la forme et non pas de la matiegravere Selon Devereux cette phrase ne srsquooppose cependant pas agrave lrsquoideacutee que la deacutefinition porte sur la forme Aristote se reacutefeacutererait agrave lrsquoerreur des Acadeacutemiciens reacuteductionnistes critiqueacutes dans le passage qui preacutecegravede laquo What Aristotle must mean is that it is useless labor to eliminate lsquomatterrsquo in the way that the reductionists do ie to eliminate that which they take to be matter but which is actually part of the form raquo (D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit p 180) De son cocircteacute Peramatzis lit cette mention de la matiegravere comme se reacutefeacuterant aux aspects mateacuteriels impli-queacutes dans la deacutefinition mecircme de la forme car la forme naturelle est laquo matter-involving raquo (M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit pp 93-94) Si ces hypothegraveses sont plausibles il faut reconnaicirctre que les items (ἔνια) deacutesigneacutes par les mots τόδrsquo ἐν τῷδrsquo et ὡδὶ ταδὶ ἔχοντα ne sont pas tant les composeacutes (comme suggegraverent la plupart des interpregravetes) que les formes naturelles mecircmes Voir M Peramatzis Priority in Aristotlersquos Metaphysics op cit p 94 et D Devereux laquo Aristotle on the form and definition raquo op cit pp 181-182 De maniegravere plutocirct frappante FP II p 209 ne commentent pas ces lignes Une analyse deacutetailleacutee de ce passage demanderait drsquoaborder le parallegravele avec Metaph H 2-3 ce qursquoon ne peut pas faire dans les limites de cette contribution

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387 La chair et le bronze

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qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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(or auditor) to that fact especially since it is fundamental to his argument and he has the resources with which to do so37

Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

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37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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387 La chair et le bronze

13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 387 476 - copy PUF -

qursquoil faut isoler la deacutefinition de la forme de maniegravere tregraves rigide de faccedilon agrave exclure toute allusion aux parties mateacuterielles dans le definiens De maniegravere un peu paradoxale la position drsquoAristote selon FP en vient agrave ne pas ecirctre trop diffeacuterente de la position de Socrate le Jeune Dans leur commentaire FP soulignent en effet qursquoAristote ne rejette pas la thegravese de Socrate le Jeune (car Aristote aussi pense qursquoil faut deacutefinir lrsquohumain sans aucune mention de ses parties) mais qursquoil la regarde plutocirct comme potentiellement eacutegarante car cette thegravese conduit agrave penser qursquoun humain peut exister sans ses parties35 Crsquoest pourquoi Frede dans son article publieacute en 1990 propose cette inter-preacutetation des mots καὶ ἄνευ κινήσεως οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι διὸ οὐδrsquo ἄνευ τῶν μερῶν ἐχόντων πώς (1036b29-30)

We can eg define a human being as among other things capable of percep-tion more specifically capable of sight hearing taste smell and touch For defining a human being in this way we explicitly only refer to its form or rather to parts of its form But we do this in such a way as to make it perfectly clear that a human being cannot exist without material parts For the ability of touch eg does presuppose material parts etc36

Ainsi pour Frede lrsquoexpression laquo on ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans un certain eacutetat de ses parties raquo signifie laquo Agrave partir de notre deacutefinition deacutecoule que lrsquoobjet deacutefini ne peut pas exister sans parties mateacuterielles raquo Encore une fois cette lecture apparaicirct comme assez peu naturelle Il est vrai qursquoAristote connaicirct lrsquoexistence de proprieacuteteacutes neacutecessaires (καθrsquo αὑτό) et non essentielles comme la proprieacuteteacute drsquoavoir les angles eacutegaux agrave deux droits pour un triangle (Metaph Δ 30 1025a31-32) On pourrait penser que pour un animal le fait drsquoavoir des parties fonctionnelles est justement une proprieacuteteacute de ce genre Crsquoest possible mais il vaut mieux ecirctre encore une fois prudent Car on peut bien deacutefinir un triangle sans la proprieacuteteacute 2R En 1025a30 Aristote dit que cette proprieacuteteacute nrsquoest pas comprise dans lrsquoousia du triangle et qursquoil srsquoagit drsquoun type de συμβεβηκός bien que καθrsquo αὑτό En revanche en Z 11 1036b29 Aristote se limite agrave dire qursquoon ne peut pas deacutefinir lrsquoanimal sans lrsquoeacutetat propre de ses parties (οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι) Theacuteoriquement il est certes possible drsquoentendre οὐκ ἔστιν ὁρίσασθαι suivi de ἄνευ comme si la mention des parties nrsquoeacutetait pas comprise dans la deacutefinition mais deacutecoulait simplement de la deacutefinition Mais une telle explication est peu plausible et les remarques critiques de J Whiting sont convaincantes

now if in this context Aristotle had intended a distinction between what is explicitly mentioned in a definition and what is only implied by what is mentioned in that definition one would expect him to make some attempt to alert his reader

35 Voir FP II pp 209-210 Contra voir M Burnyeat A Map of Metaphysics Zeta op cit p 40 n 74 les mots οὐ καλῶς ἔχει en 1036b25 impliquent la reacutefutation complegravete de Socrate le Jeune et non pas lrsquoacceptation limiteacutee de sa position

36 M Frede laquo The definition of sensible substances in Metaphysics Ζ raquo op cit p 120

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388 riccardo Chiaradonna

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Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

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37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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13 aoucirct 2014 0933 - Empeacutedocle Aristote Rickert - Collectif - Eacutetudes philosophiques - 155 x 240 - page 388 476 - copy PUF -

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Pour reacutesumer et sans vouloir nullement ainsi penser eacutepuiser les pro-blegravemes susciteacutes par Z 11 il apparaicirct que dans ce chapitre Aristote ne dit pas comme le suggegraverent FP (1) qursquoil existe un lien interne et neacutecessaire entre la forme des ecirctres humains et la matiegravere drsquoun certain type car un humain ne peut pas exister sans ses parties mais (2) que la forme demeure entiegraverement distincte des parties mateacuterielles et qursquoil nrsquoy a aucune mention de ces parties dans la deacutefinition Aristote semble plutocirct suggeacuterer que la preacutesence de par-ties fonctionnelles doit ecirctre comprise dans la deacutefinition formelle drsquoun animal comme lrsquohumain en ce sens preacutecis on devra faire mention des parties mateacute-rielles mecircme dans la deacutefinition de la forme et crsquoest pour cette raison que agrave son avis la comparaison entre les parties drsquoun animal et le bronze drsquoun cercle nrsquoest pas correcte (τὸ δrsquo οὐχ ὅμοιον 1036b28) Pour Aristote bien entendu chez un animal la forme est toujours lieacutee agrave un certain type de matiegravere mais Aristote ne pose pas la question de savoir si cette relation est interne ou externe neacutecessaire ou contingente Il nrsquoeacutevoque pas la question de savoir si lrsquoon peut se repreacutesenter un objet sans ses parties mateacuterielles ou non La diffeacute-rence entre un animal et un cercle de bronze se pose en revanche dans la preacutesence de parties qui sont speacutecifieacutees par la fonction qursquoelles accomplissent dans lrsquoorganisme vivant38

Riccardo ChiaradonnaUniversitagrave degli Studi Roma Tre

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37 J Whiting laquo Metasubstance raquo op cit pp 629-63038 Cet article reprend un exposeacute preacutesenteacute le 15 feacutevrier 2013 agrave Paris dans le cadre du

cycle de confeacuterences laquo Logique et meacutetaphysique chez Aristote raquo (Centre Leacuteon-Robin UMR 8061 du CnRS) organiseacute par David Lefebvre et Marwan Rashed Je tiens agrave remercier vive-ment les organisateurs et les participants pour leurs remarques et leurs suggestions Francesco Ademollo Daniel Devereux Gabriele Galluzzo Francesca Masi et Marco Zingano ont eu lrsquoamabiliteacute de lire des versions preacuteliminaires de ce travail et ils mrsquoont fait part de leurs remar-ques critiques Qursquoils en soient remercieacutes chaleureusement ici

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