Institutionalisms and Structuralisms: Opposites, Substitutes, or Relatives

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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CEP&ID_NUMPUBLIE=CEP_044&ID_ARTICLE=CEP_044_0051 Institutionnalismes et struçturalismes : oppositions, substitutions ou affinités électives ? par Bruno THÉRET | Éditions L’Harmattan | Cahiers d’économie politique 2003/1 - n° 44 ISSN 0154-8344 | ISBN 2-7475-5551-8 | pages 51 à 78 Pour citer cet article : — Théret B., Institutionnalismes et struçturalismes : oppositions, substitutions ou affinités électives ?, Cahiers d’économie politique 2003/1, n° 44, p. 51-78. Distribution électronique Cairn pour les Éditions L’Harmattan. © Éditions L’Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Institutionnalismes et struçturalismes : oppositions, substitutions ou affinités électives ?par Bruno THÉRET

| Éditions L’Harmattan | Cahiers d’économie politique2003/1 - n° 44ISSN 0154-8344 | ISBN 2-7475-5551-8 | pages 51 à 78

Pour citer cet article : — Théret B., Institutionnalismes et struçturalismes : oppositions, substitutions ou affinités électives ?, Cahiers d’économie politique 2003/1, n° 44, p. 51-78.

Distribution électronique Cairn pour les Éditions L’Harmattan.© Éditions L’Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

INSTITUTIONNALISMES ET STRUCTURALISMES:OPPOSITIONS, SUBSTITUTIONS OU AFFINITÉS ÉLECTIVES?

Bruno THÉRET 1

Résumé:L'institutionnalisme et le structuralisme peuvent-ils faire bon ménage ou s'opposent-ils nécessaire-ment? Cet article tente de répondre à cette question en analysant la structuration de ces deux champsparadigmatiques qui traversent les sciences sociales. Il met en évidence l'existence en économie d'uninstitutionnalisme structuraliste dont un bon exemple est fourni par l'économie institutionnelle de JohnR. Commons, ainsi que celle d'un structuralisme institutionnaliste dont la théorie de la régulation dé-veloppée en France est une illustration. Il montre que, pour une saisie raisonnée et non abusivementréductrice de la complexité des faits économiques, les approches qui articulent de la sorte les deuxdispositifs théoriques disposent d'avantages comparatifs par rapport à celles qui ne le font pas. L'arti-cle est divisé en trois parties. Dans les deux premières, l'institutionnalisme et le structuralisme sontanalysés successivement en tant que champs de forces intellectuelles luttant pour les monopoles res-pectifs de la définition légitime de l'institution et de la structure. On y montre également que des rela-tions d'affinité élective voire d'interdépendance existent entre ces deux champs. La troisième partieprécise les types de relation entre structures, institutions et comportements individuels qui résultent deces affinités électives quand elles sont mobilisées.

Abstract: Institutionalisms and Structuralisms: Opposites, Substitutes, or Relatives?Are institutionalism and structuralism compatible or do they confront each other? This article suggestsan answer to this question, starting from an analysis of the structuration of these two paradigmaticfields of social sciences. It observes the existence in economics of both structuralist institutionalisms,exemplified by the old American "institutional economics" of John R. Commons, and institutionaliststrlll(cturalisms,whose one case is given by the French "régulation theory". It also shows that for catch-ing the complexity of economic facts in a reasonable and not oversimplifying way, economic ap-proaches which articulate the two theoretical paradigms have comparative advantages. The paper isdivided in three sections. The first and the second sections are devoted to the analysis of institutional-ism and structuralism, successively considered as fields of the social sciences where intellectual forcesare fighting for the monopoly of the legitimate definition of institutions and structures respectively.The question of the existence of elective affinities or even interdependances between these two fieldsis also addressed throughout these two sections. The third one analyses the way structures, institutionsand individual behaviours conceptually interfere when such elective affinities and interdependancesare considered.

Classification JEL: A 120, B250, B400

Dans les sciences sociales et tout particulièrement en économie, nombre de chercheursqui se disent institutionnalistes ne se préoccupent guère de structures. A l'inverse, beaucoupde travaux qui se réfèrent à l'idée de structure ne font pas de place aux institutions. Faut-ilen déduire que l'institutionnalisme et le structuralisme ne puissent faire bon ménage? L'ins-titutionnalisme ne peut-il pas être structuraliste et le structuralisme institutionnaliste ? L'ana-lyse proposée dans cet article de la structuration de ces deux champs intellectuels apporteune réponse positive à ces questions en prenant pour exemples l'institutionnalisme structura-liste que constitue l'économie institutionnelle de John Commons2 et le structuralisme institu-

1. CNRS, Université Paris IX-Dauphine, IRIS, [email protected]. Sur le caractère structuraliste de l'institutionnalisme de Commons, cf. Théret (2001).

Cahiers d'économie politique, n° 44, L'Harmattan, 2003.

Bruno Théret

tionnaliste qu'est la théorie de la régulation3. Elle montre également à partir de ces deuxexemples que, pour la saisie raisO'lméedes faits économiques, les approches qui mobilisentles affmités électives entre les deux dispositifs théoriques disposent d'avantages comparatifspar rapport à celles qui en font abstraction.

Les théories institutionnalistes structuralistes tendent en effet à récuser toute équivalenceentre les concepts d'institution et de structure et à faire une place à une interrogation sur lacomplexité et la diversité des comportements individuels. En revanche, les institutionnalis-mes non structuralistes - comme par exemple la nouvelle économie institutionnelle - demême que les structuralismes non institutionnalistes - comme par exemple les structuralis-mes à la Sraffa- Pasinetti ou à la manière des théoriciens latino-américains de la dépendance(Prébish, Furtado, etc.) (Sunkel, 1989), ne peuvent se poser une telle question. Les premiers,en faisant abstraction des structures sociales, raisonnent dans le cadre d'un individualismeméthodologique qui postule un comportement simpliste et monologique. Les seconds s'ins-crivent dans un holisme formaliste et systémiste qui conduit à ne pas se soucier d'articulerstructures sociales et comportements individuels.

L'article est divisé en trois parties. Dans les deux premières, l'institutionnalisme et lestructuralisme sont analysés successivement en tant que champs de forces intellectuelles lut-tant pour les monopoles respectifs de la défmition légitime de l'institution et de la structure.On y montre également que des relations d'affmité élective voire d'interdépendance existententre ces deux champs. La troisième partie précise les types de relation entre structures, ins-titutions et comportements individuels qui résultent de ces affmités électives quand ellesexistent.

I. Que peut-on entendre par institutionnalisme ?

Unité du champ

L'institutionnalisme, pris dans sa généralité, peut être considéré comme un champ trans-disciplinaire de forces orientées vers l'acquisition de connaissances sur les faits sociaux. Eneffet, on retrouve une même définition générale des institutions chez la plupart des cher-cheurs des diverses sciences sociales qui se reconnaissent comme institutionnalistes. Ainsipour D. North, un des fondateurs de la nouvelle économie institutionnelle, les institutionsrecouvrent "toute forme de contrainte que les êtres humains conçoivent pour conformer l'in..teraction humaine. Sont-elles formelles ou informelles? Elles peuvent être les deux" (North,1990, p. 4). Cette conception extensive n'est pas seulement, en gros, acceptée par les autrescourants institutionnalistes en économie4. Elle l'est aussi en science politique où même lestenants de l'institutionnalisme historique admettent "une défmition des institutions qui inclutà la fois les organisations formelles et les règles et procédures informelles qui structurent laconduite" (Thelen et Steinmo, 1992, p. 2). Ainsi P. Hall, figure importante de ce courant,considère selon une "défmition largement acceptée" que les institutions sont "les règles for-melles, les procédures auxquelles on se conforme, et les pratiques opératoires standard quistructurent les relations entre les individus dans les différentes entités politiques et écono-miques" (Thelen et Steinmo, 1992l p. 2). La définition de North est également proche decelle, sociologique, de P. Fauconnet et M. Mauss, reprise par Durkheim et qui est tout à faitrecevable par le néo-institutionnalisme sociologique: les institutions sont "aussi bien les

3. Sur l'institutionnalisme de la théorie de la régulation, cf. notamment Lévesque, Bourque et Forgues(2001).4. Elle l'est notamment par l'ancien institutionnalisme économique américain pour qui l'institution couvrele large spectre de tout ce qui fait de l'individu un être immédiatement social, à savoir: les habitus et dis-positions incorporées, le système des valeurs et normes sociétales relevant de l'éthique - contraintes mora-les, croyances - et de la culture historique -us et coutumes, mais aussi la monnaie, les règles juridiques, lesdiscours convenus, sans oublier les pouvoirs organisés, privés ou publics, de coercition économique, poli-tique et symbolique (Théret 2000a).

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usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou lesorganisations juridiques essentielles; car tous ces phénomènes sont de même nature et nediffèrent qu'en degré" (Fauconnet et Mauss, 1901, pp. 150-151). On peut donc considérerqu'économistes, politologues et sociologues, anciens et nouveaux institutionnalistes, se si-tuent sur le même terrain, labourent et moissonnent un même champ.

Différenciation des paradigmes

Mais une unité de conception à un haut niveau de généralité n'a jamais empêché qu'àpartir d'elle, une lutte puisse s'engager autour des spécifications légitimes du conc~t en jeu;elle est même la condition d'un tel affrontement puisqu'elle en défmit le terrain. De fait,l'institutionnalisme est un champ où affrontent divers groupes de chercheurs qui luttent pourle monopole légitime de la vérité scientifique dans ce champ en développant des paradigmesconcurrents. Des travaux récents montrent que ces paradigmes sont fondamentalement aunombre de trois et qu'ils fonnent une relation triadique qui structure le champ en lui donnantsa signification spécifique au sein des sciences sociales (Hall et Taylor, 1996; Théret,2000a et b ; Nielsen, 2001). On renvoie le lecteur à ces travaux pour plus de détail sur cettestructuration et on se contentera ici de rappeler ses seules caractéristiques utiles pour le pré-sent article.

Tout d'abord, les trois paradigmes structurant le champ de l'institutionnalisme ont res-pectivement leur origine en économie, science politique et sociologie. Le schéma 1 illustrecette différenciation tripolaire qu'on retrouve dans ces trois disciplines entre l'institutionna-lisme (économique) du choix rationnel, l'institutionnalisme historique (politique) et l'institu-tionnalisme (sociologique) de la théorie des organisations. Il montre que la structuration duchamp qui résulte de cette différenciation est analysable à partir de deux grandes opposi-tions binaires concernant: II les rôles que, dans la relation entre institutions et comporte-ments des acteurs, sont censés jouer la rationalité instrumentale calculatrice d'un côté, lesreprésentations et la culture de l'autre; 21 les places respectives faites dans la genèse des ins-titutions aux conflits d'intérêt et de pouvoir d'une part, à la coopération et la coordinationdes individus d'autre part.

Schéma 1 : L'institutionnalisme comme champ de luttes entrenéo-institutionnalistes

ConflitRessourcesde pouvoir

Institutionnalismehistorique

Néo-institutionnalismeéconomique

Théorie du choixrationnel

Néo-institutionnalismesociologique

Théorie desorganisations

CoordinationRessourcescognitives

CalculAction

stratégique..

Culture.. Action

routinière

5. "Tous les gens qui sont engagés dans un champ ont en commun un certain nombre d'intérêts fondamen-taux, à savoir tout ce qui est lié à l'existence même du champ; de là la complicité objective qui est sous-jacente à tous les antagonismes" (Bourdieu, 1980, p. 115, cité par Rendu, 1990, p. 140).

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En effet, les institutionnalismes conçoivent la relation entre institutions et comporte-ments de deux manières différentes selon qu'ils adoptent une approche des institutions par lecalcul ou par la culture. L'approche par le calcul met l'accent sur le caractère stratégique ducomportement individuel, les institutions agissant alors sur la conduite de chaque individuen réduisant l'incertitude de chacun quant à la conduite d'autrui. L'approche par la culturemet quant à elle l'accent sur la dimension routinière des conduites humaines et le rôle qu'yjoue l'interprétation des situations en fonction de la vision du monde de l'acteur. En ce cas,les institutions sont les" cadres moraux et cognitifs de référence qui fondent l'interprétationet l'action" (Hall et Taylor, 1996).

Dans la conception purement stratégique, calculatrice, qui est celle de la nouvelle éco-nomie institutionnelle (NEI) et plus généralement de la théorie du choix rationnel, les insti-tutions sont le résultat intentionnel et fonctionnel des stratégies d'optimisation de leurs gainspar les agents. Elles peuvent et doivent donc être changées dès lors qu'elles ne remplissentplus leur rôle et ne sont plus efficaces. Dans la conception "culturelle" en termes de schèmesde perception et de comportements routiniers qui est celle de la théorie des organisations etplus généralement du néo- institutionnalisme sociologique, les institutions sont au contrairesi purement conventionnelles qu'elles échappent à toute rationalité instrumentale et sontalors extrêmement résistantes à tout changement intentionnel.

L'institutionnalisme historique est, quant à lui, synthétique relativement à cette opposi-tion entre le stratégique fondé sur une rationalité postulée universelle et le routinier contex-tualisé. Les acteurs sociaux y calculent sur la base de leurs intérêts, mais sont égalementéquipés de visions du monde diverses selon leurs positions sociales et les contextes socié-taux; les intérêts ne sont donc pas homogènes et donnés comme les préférences dans lathéorie du choix rationnel, mais construits politiquement tout en étant largement déterminéspar des représentations héritées et des idées reçues. Calcul et culture se combinent doncdans la constitution d'acteurs collectifs qui agissent dans le cadre de macro-institutions et derelations de pouvoir asymétriques. Dans ce paradigme, les institutions ne sont donc pasconstruites intentionnellement par des individus qui optimisent rationnellement leurs com-portements d'autant mieux qu'ils ne sont pas inscrits dans des rapports sociaux, mais ellesn'en sont pas moins susceptibles d'être modelées par des jeux d'intérêt et l'intentionnalité desacteurs.

En revanche, la relation de l'institutionnalisme historique aux néo- institutionnalismeséconomique et sociologique n'est plus de synthèse mais d'opposition radicale pour ce quiconcerne l'origine des institutions. Alors que ces derniers voient dans l'institution une solu-tion à des problèmes de coordination interindividuelle, les tenants de l'institutionnalismehistorique considèrent que l'institution est avant tout une forme de régulation des conflitsinhérents aux rapports sociaux qui structurent les sociétés. L'institutionnalisme inspiré par lathéorie du choix rationnel, exemplifié par la NEI, postule des individus égaux aux préféren-ces données et pour lesquels la nécessité d'optimiser rationnellement leurs comportementspose des problèmes de coordination de leurs actions. L'institutionnalisme de la théorie desorganisations, grand inspirateur de l'économie des conventions (Lamoureux, 1996), consi-dère quant à lui la question de la coordination des individus au sein d'organisations par lejeu de dispositifs cognitifs collectifs comme centrale, les conflits d'intérêts collectifs et lalutte politique y étant considérés comme "périphériques" (DiMaggio et Powell, 1997). Pourl'institutionnalisme historique, au contraire, le conflit politique est premier car les institu-tions sont le produit de la différenciation sociale des intérêts et de l'asymétrie de pouvoir quien découle.

Actualité de l'ancien institutionnalisme économique

Par delà cette différenciation, le schéma 1 montre également que les trois grands para-digmes qu'on vient de présenter entretiennent des relations de contiguïté. En effet, chacunde ces paradigmes est toujours associé à un autre dans une relation d'opposition à celui qui

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se retrouve en position de tiers (toute base du triangle représentatif de la triade est en contra-diction avec le sommet opposé). Chaque paradigme est donc pris dans deux relations res-pectivement de conflit et d'alliance avec chacun de ses concurrents. L'ensemble des troisrelations d'interdépendance ainsi constitué fait alors système en formant une chaîne syntag-matique, c'est-à-dire une grammaire de composition de ce qui peut être considéré comme lelexique de base de l'institutionnalisme - les trois termes "rationalité, culture, structure "6.Ainsi l'institutionnalisme est-il doté d'un langage propre qui le distingue au sein des sciencessociales en lui donnant une signification spécifique. Grâce à ce langage, les diverses analy-ses qui se positionnent dans le champ de l'institutionnalisme doivent pouvoir être expriméeset interprétées. La structure triadique du cadre épistémique institutionnaliste permet ainsi debaliser les limites du champ. Elle en montre les règles du jeu, mais elle n'implique pas qu'iln'y ait que trois positions, trois stratégies de recherche en son sein.

On ne saurait en effet confondre la structuration paradigmatique abstraite du champ ins-titutionnaliste avec une classification statique et figée des méthodes d'analyse concrète quis'y réfèrent. Aussi longtemps que l'esprit de recherche et d'innovation intellectuelle, stimulépar la concurrence entre les paradigmes, continue d'être capable de contrecarrer la tendanceà l'émergence d'une doxa, portée quant à elle par la structuration et l'institutionnalisation desintérêts professionnels au sein du champ, on y observe une évolution par apprentissage etaccommodation des diverses théories. Celles-ci tendent alors à se départir de leurs positionsparadigmatiques orthodoxes de départ pour aboutir à des formes hybrides mobilisant l'en-semble de la grammaire caractéristique du champ. La différenciation théorique renvoie ainsimoins à de pures oppositions de paradigmes qu'à une hiérarchisation différente des ques-tions à traiter et, corrélativement, à des dosages contrastés entre influences paradigmatiques.

Ceci explique qu'en suivant Herbert Simon, l'institutionnalisme rationnel de North ait sureconnaître publiquement ses limites en admettant que, bien que "les hypothèses de compor-tement faites par les économistes soient utiles pour résoudre certains problèmes", elles n'ensont pas moins "inadéquates pour traiter nombre d'énigmes auxquelles sont confrontées lessciences sociales et sont même les pierres d'achoppement empêchant la compréhension del'existence, de la formation et de l'évolution des institutions" (North, 1990, p. 24). Cette re-lativisation assez radicale d'un principe de départ faisant de l'institution le résultat objectifd'un calcul rationnel d'optimisation (minimisation des coûts de transaction), s'est alors ac-compagnée d'une reprise à son compte par North des idées d'inertie institutionnelle (pathdependance) et de choix orientés idéologiquement et/ou obéissant à des normes. De leur cô-té, 1. March et J. Olsen, les pères du néo-institutionnalisme sociologique de la théorie desorganisations en science politique, ont fait une large place dans leur approche au contrôledes ressources de pouvoir et à l'action intentionnelle (Wind, 1997, p. 20). Enfin, certains desplus fervents partisans de l'institutionnalisme historique appellent de leurs vœux une sorted'intégration des trois paradigmes, nécessaire selon eux pour atteindre "une compréhensionplus sophistiquée de la manière exacte dont les institutions affectent les comportements"(Hall et Taylor, 1996, p. 17).

Cette dynamique qui conduit à un meilleur usage de l'ensemble des ressources cogniti-ves du champ institutionnaliste met en lumière l'avance prise en ce domaine, dès l'origine dumouvement institutionnaliste, par l'ancien institutionnalisme économique de 1. R. Com-mons. Ce dernier a défmi l'institution comme une dimension de toute transaction entre per-sonnes qui renvoie à l'ensemble des règles opérantes (working rules) stabilisant lacontradiction entre ses deux autres dimensions que sont le conflit et la coopération. Deuxpersonnes entrant en transaction sont en effet, pour Commons, simultanément dans un étatd'interdépendance de fait, et donc dans l'obligation de se coordonner, et en opposition apriori sur les termes de la transaction, c'est-à-dire sur le partage des ressources qu'elles pen-

6. C'est là précisément le sous-titre d'un des traités récents faisant le point des traditions institutionnalistesde recherche en matière de Comparative Politics (Lichbach et Zuckerman ed., 1997).

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sent pouvoir en tirer. L'institution est ainsi ce qui permet de maintenir dans un cadre de via-bilité la tension dynamique entre conflit et coopération au sein des transactions en traçantdes limites à l'un comme à l'autre: les règles communes acceptées introduisent des principesd'ordre qui permettent aux transactions de s'effectuer et de se reproduire dans le temps,c'est-à-dire, dit autrement, de se structurer. Une telle conception des institutions comme rè-gles de "l'action collective qui contrôle, restreint ou libère l'action individuelle" (Commons,1934, p. 73) permet alors d'en fonder la genèse dans le dépassement de l'oppositionconflit/coopération travaillant toute relation sociale, puisque bien que principes d'un ordre"tiré du conflit" (Commons, 1934, p. 108), les institutions fonctionnent également commeconventions de coopération et donc comme règles de coordination.

Cette conception dynamique de l'institution selon laquelle elle exprime la régulation d'unconflit structurel, et est donc un compromis, mais sert simultanément de convention de coo-pération témoigne d'une maîtrise de l'ensemble - lexique et grammaire - du langage institu-tionnaliste. Néanmoins il aura fallu attendre la dispersion paradigmatique et la constructiondu champ du néo-institutionnalisme pour que sa structure puisse être mise à jour et qu'il de-vienne un système de représentation des faits sociaux de portée plus générale.

Mais hésitation persistante entre "holisme collectiviste" et "holisme structural"

Pour autant, les hybridations existantes ou désirées entre les trois paradigmes de l'institu-tionnalisme contemporain ne conduisent pas nécessairement ceux-ci à converger vers uneprise en compte des structures sociales en suivant la voie de l'institutionnalisme historiqueou de l'ancienne économie institutionnelle. En effet, les chercheurs qui se focalisent sur lesproblèmes de coordination et les questions cognitives tendent à adopte,r une démarche indi-vidualiste méthodologique (voire même ontologique) ; ils font ainsi abstraction des macro..institutions qui ne peuvent pas être considérées comme des solutions à de tels problèmes etquestions. Au mieux, ils ne peuvent alors qu'aboutir à un "holisme collectiviste", pour re-prendre une expression de V. Descombes (1996). Ce type de holisme ne connaît de totalitéou d'ensemble que sous la forme d'une collection d'individus, c'est-à-dire d'une "réunionphysique ou mentale d'éléments" simples, sans autre principe de composition entre eux quecelui d'une commune appartenance à l'ensemble sur la base d'une identité individuelle par-tagée (Descombes, 1996, p. 138)7. Le holisme collectiviste "ne souffle mot de la dépen-dance des parties de cet ensemble les unes à l'égard des autres" (ibid., p. 154) et ilprésuppose des individus dont "les identités et les intérêts sont donnés avant toute interac-tion" entre eux (Wind, 1997, p. 24). Il ne connaît donc pas de structures8.

Par contraste, ce qui donne son unité à l'institutionnalisme historique par delà les frontiè-res disciplinaires entre sciences sociales et la variété des approches qui peuvent s'en récla-mer, c'est qu'il est fondé au plan méthodologique sur un "holisme structural" dans lequel "letout précède les parties" (Descombes, 1996, p. 183) et où "les parties du tout ne sont identi-fiables que dans le tout, de sorte qu'il faut partir du tout (ou de la relation entre les parties),et non des éléments disjoints, pour décrire les parties" (Descombes, 1996, p. 156). Cela dit,la commune mobilisation d'un holisme structural par les institutionnalismes historiques nedoit pas conduire à les assimiler au structuralisme en général. Car ce qui les spécifie, c'estaussi qu'en tant qu'institutionnalismes, ils cherchent à dépasser le fonctionnalisme caracté-ristique de certains structuralismes (notamment celui de la sociologie parsonienne), et qu'entant qu'ils se veulent historiques, ils rejettent l'anti-historicisme propre au structuralisme for-maliste. D'une manière générale, l'institutionnalisme, même quand il se dit structuraliste, af-firme la nécessité de donner toute sa place, mais rien que sa place, à l'intentionnalité;

7. C'est ainsi qu'émergent les individus collectifs tels que les "agents représentatifs" de la théorie macro-économique.8. Dit autrement" le holisme collectiviste est l'essai pour parler des systèmes sans parler de leur structure"(Descombes, 1996, p. 235).

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l'''individu institutionnalisé" (Commons, 1934), inscrit dans des relations symboliques et po-litiques tout autant qu'économiques, est doté d'une capacité de se projeter dans l'avenir endonnant sens à ses actions et donc en effectuant des choix stratégiques. A contrario certainsstructuralismes soit ne font pas de place aux institutions, soit développent un concept destructure qui n'est pas adéquat à une prise en compte de l'histoire.

En résumé, tous les institutionnalismes ne sont pas des structuralismes, même quand ilsse disent holistiques et s'attachent à l'analyse de macro-institutions comme c'est le cas dansla théorie réaliste des relations internationales où les Etats sont considérés comme des indi-vidus optimisateurs. Il n'y a guère que les diverses variétés d'institutionnalisme historiquequi s'inspirent explicitement ou implicitement du structuralisme dans la mesure où elless'appuient sur un holisme méthodologique structural et non collectiviste. En économie, c'estle cas principalement de l'ancienne économie institutionnelle américaine et de la théoriefrançaise de la régulation. Néanmoins, vu que la diversité des structuralismes est aussigrande que celle des institutionnalismes, repérer des affmités électives entre institutionna-lisme et structuralisme oblige à spécifier le type de structuralisme auquel on fait référence.

II. Quel structuralisme?

Diversité des structuralismes

Il est de bon ton d'assimiler le structuralisme en général à une conception purement sta-tique (synchronique) et déterministe du comportement humain et de la vie sociale, auquelcas l'idée même d'institution comme médiation historiquement située entre la structure so-ciale et le comportement individuel n'a plus lieu d'être. Cela dit, la critique épistémologiquea depuis longtemps pris la peine de distinguer deux grands types de structuralisme - le struc-turalisme méthodique et le structuralisme idéologique -et trois catégories de structuralistes,à savoir tout d'abord les scientifiques qui promeuvent un structuralisme méthodique sanschercher à en tirer de conséquences philosophiques ou idéologiques directes (la plupart desbiologis~es, des linguistes et des psychologues dont J. Piaget), les scientifiques ensuite quimettent en oeuvre un véritable structuralisme méthodique mais le font en fonction d'a prioriphilosophiques (comme cela a été le cas en anthropologie avec C. Lévi-Strauss), et enfin lesstructuralistes idéologiques proprement dits qui ne se soucient guère de fonder scientifi-quement (c'est-à-dire empiriquement ou expérimentalement) leurs allégations (lesquels serecrutent essentiellement chez les philosophes avec pour cas type L. Althusser).

Cette distinction entre le structuralisme comme méthode et le structuralisme commeidéologie ou philosophie a été développée notamment par M. Marc-Lipiansky (1973) quimontre l'ambivalence de Lévi-Strauss sur ce point ainsi que par J. Parain-Vial (1969) quin'hésite pas à ranger pêle-mêle L. Althusser, M. Foucault et J. Lacan dans la catégorie dustructuralisme purement idéologique. Pour sa part, V. Descombes distingue entre le structu-ralisme classique de "la méthode de l'analyse structurale", le structuralisme qui se confondavec la sémiologie (théorie du signe), et un structuralisme enfm qui n'est qu'une "orienta-tion" de la philosophie et qui "a ceci d'original qu'il se soucie fort peu des "structures""(Descombes, 1979, p. 99)9.

9. Cet auteur a plus récemment opéré une distinction qui ne recoupe plus tout à fait la précédente et quiisole trois versions "incompatibles" entre elles du structuralisme, à savoir: d'une part le structuralisme as-similable au "holisme structural" ; d'autre part la conception formaliste de l'analyse structurale qui se donnepour but de rechercher et d'étudier des "invariants formels" (ensemble de relations qu'on peut retrouverdans les domaines les plus différents) "à la façon d'un mathématicien, indépendamment du contenu ou de lamatière qu'organisent ces relations"; enfin "la doctrine de la causalité structurale" ou de la "causalité effi-cace de la forme" "selon laquelle des activités sont s.oumises à des contraintes formelles, des contraintesimposées par la façon dont le système est construit (. ..)" (Descombes, 1996, p. 156).

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Bruno Théret

J. L. Pardo (2001) considère, quant à lui, que le "structuralisme au sens strict" est "uncourant méthodologique" comprenant, outre les linguistes structuraux, C. Lévi-Strauss, L.Althusser, J. Lacan et R. Barthes auxquels il faut ajouter quelques philosophes françaiscompagnons de route comme M. Foucault, J. Derrida, G. Deleuze ou M. Serres. Ce structu-ralisme qui trouve sa source dans la révolution saussurienne de la théorie du langage vise,selon cet auteur, à faire de la linguistique structurale le modèle en matière de méthodologieanalytique de toutes les sciences humaines, avec l'hypothèse que la signification ne pré-existe pas à la structure mais en est le produit (Pardo, 2001, p. 6)10.Pardo distingue cestructuralisme du "structuralisme sémiologique" ou "structuralisme au sens large" qui,"plutôt que de chercher à élaborer une méthodologie des sciences humaines, poursuitl'élaboration d'une théorie générale de la culture qui emprunte à la linguistique tout enl'articulant à des traditions de pensée totalement étrangères au structuralisme au sens strict"(ibid.). Il fait enfin référence à un structuralisme qui prend racine bien avant le momentstructuraliste" au sens strict" et qui regroupe diverses approches en sciences sociales etmathématiques faisant appel au concept de structure. C'est là que nous trouvons le"structuralisme génétique" de L. Goldmann (sociologue de la littérature) et J. Piaget, lathéorie des systèmes de L. Von Bertalanfy, le structuralo-fonctionnalisme de T. Parsons, etc.

J. Piaget lui-même dans son "Que sais-je ?" Le structuralisme qui, publié en 1968, aconnu un succès énorme et immédiat de librairie, a développé la distinction entre le structu-ralisme comme philosophie et le structuralisme comme méthode. Pour lui, un "structura-lisme authentique", c'est-à-dire scientifique, est "méthodique", ce "n'est pas une doctrine, oudans la mesure où il devient doctrinal, (il) conduit à une multiplicité de doctrines" (Piaget,1968, pp. 118 et 123)11.Aussi Piaget opère-t-il une critique interne systématique des structu-ralismes à tendance idéologique duquel il se démarque explicitement en leur opposant le ca-ractère fondamentalement méthodique, voire épistémologique, du structuralisme tel qu'il leconçoit et le met en œuvre principalement dans le domaine de la psychologie.

Il faut enfin rappeler la critique prétendument externe d'Ho Lefebvre pour qui la distinc-tion entre structuralisme méthodique et "idéologie structuraliste" n'aurait pas lieu d'être, caril serait dans la nature même de la méthode structurale de dégénérer en idéologie structura-liste dans le cadre d'un "panstructuralisme" dont seuls devraient être absous quelques lin-guistes comme E. Benvéniste et A. Martinet (Lefebvre, 1975, p. 75). Lefebvre estnéanmoins obligé d'admettre une distinction entre structuralisme pratique et structuralismephilosophique, car il défend lui-même ce qu'il appelle un "historisme structurel" inspiré parles analyses structurales de Marx (Lefebvre, 1975, p. 42) et qui n'est autre qu'une lecturestructuraliste génétique du marxisme. Ce n'est alors qu'en faisant abstraction de tout un pandu structuralisme, le structuralisme méthodique et génétique développé par Piaget et Gold-mann notammene2, qu'il peut parler de panstructuralisme et se déclarer hors de son champ.

10. "Les structures linguistiques (phonologiques ou sémantiques) seraient des "modèles" d'une structurevalant aussi bien pour les structures de la parenté ou les mythes amérindiens selon Lévi-Strauss, les struc-tures sociales du mode de production capitaliste selon Althusser, ou les formations de l'inconscient selonLacan" (Pardo, 2001, p. 6).Il. "(...) si l'histoire du structuralisme scientifique est déjà longue, la leçon à en tirer est aussi qu'il ne sau-rait s'agir à son sujet d'une doctrine ou d'une philosophie, sans quoi il eut été bien vite dépassé, mais essen-tiellement d'une méthode avec tout ce que ce terme implique de technicité, d'obligations, d'honnêtetéintellectuelle et de progrès dans les approximations successives. Aussi, quelque soit l'esprit d'ouverture in-définie sur de nouveaux problèmes que les sciences se doivent de conserver, ne peut-on qu'être inquiet devoir la mode s'emparer d'un modèle pour en donner des répliques affaiblies ou déformées. Il faudra doncprendre un certain recul pour pouvoir permettre au structuralisme authentique, c'est-à-dire méthodique, dejuger de tout ce que l'on aura dit et fait en son nom" (1968, pp. 117-118).12. Lefebvre passe complètement sous silence Piaget et ne fait référence au structuralisme génétique deGoldmann que dans une note critique où il le repousse du fait qu'il "ne porte que sur des structures menta-les, des "conceptions" du monde"", qu'il "abuse du concept de totalité pris en soi" et qu'il "risque de n'êtreni génétique, ni structurel" (1975, p. 42). Ainsi, Lefebvre joue de ce que "le point de vue structuraliste-génétique - qui impliquant une vision dialectique tendant à dépasser certaines limites du structuralisme -

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lnstitutionnalismes et structuralismes

En effet, pour pouvoir condamner le structuralisme en bloc et se positionner en extérioritépar rapport à lui tout en développant de facto une position structuraliste, Lefebvre doit igno-rer les structuralistes qui sont proches de sa propre position et c'est pour~uoi il passe parpertes et profits le structuralisme génétique théorisé par Goldmann et Piaget 3.

La critique de Lefebvre, common knowledge: critique de la critique

Dans la mesure où la critique du structuralisme développée par Lefebvre est devenue desens commun, il faut s'arrêter sur elle un moment pour en évaluer la portée. En tant que cri-tique" externe", elle permet de préciser mieux que toutes les autres distinctions évoquéesprécédemment les enjeux de la lutte pour la représentation légitime de la structure que se li-vrent entre eux les structuralistes. En outre, Lefebvre ayant tenu selon nous (c'est une hypo-thèse à vérifier) un rôle important d'arrière-plan philosophique pour l'école française de larégulation 14, sa position informe sur la nature ambivalente du lien qui rattache les économis-tes de la régulation à ce milieu intellectuel. Le philosophe voit tout d'abord dans le structu-ralisme un systémisme qui hypostasie la structure, ce qui brouille sa définition et évacue laquestion du devenir historique. En second lieu, la même hypostase de la structure formellecomme essence du réel rend insignifiant le sujet aliéné et par là-même évacue la question desa liberté. Enfin, pour Lefebvre, tout en faisant ainsi le jeu des partisans technocratiques dela fm de l'histoire, le structuralisme est au plan épistémologique un formalisme qui éliminetoute pensée dialectique. Examinons brièvement ces trois points successivement.

Pour Lefebvre, dans le structuralisme, "l'histoire s'efface devant des considérations desystèmes, d'équilibres, de cohérences, d'invariants structuraux" (Lefebvre, 1975, p. 14) alorsque "la réalité sociale doit au contraire se représenter comme un ensemble de systèmes par-tiels, séparés par des trous, des lacunes, des coupures, des grands "blancs" du texte social"(Lefebvre, 1975, p. 67). Notre philosophe reconnaît cependant que C. Lévi-Strauss qu'ilqualifie pourtant d'initiateur de la "déviation" systémiste (et de liquidateur "du devenir et del'historicité") (Lefebvre, 1975, p. 164), "se garde de la pousser jusqu'à ses demièresconsé-quences", ce qui ne serait le cas que d'Althusser et de Foucault, sa critique ne valant doncpas pleinement pour le structuralisme en général. En effet, le refus du holisme systémistepar Lévi-Strauss ressort notamment de son "Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss" où ilaffirme clairement que toute société est "comparable à un univers où des masses discrètesseulement seraient hautement structurées" du fait qu'elle est "sujette à l'influence d'autressociétés et d'états antérieurs de son propre développement; du fait aussi que, même dans unesociété qu'on imaginerait sans relation avec aucune autre et sans dépendance vis-à-vis deson propre passé, les différents systèmes de symboles dont l'ensemble constitue la cultured'une société resteraient irréductibles entre eux" (Lévi-Strauss, 1991 (1950), pp. XIX-XX)15.Lévi-Strauss considère également que "c'est l'histoire qui sert de point de départ pourtoute quête de l'intelligibilité" et qu'elle "mène à tout mais à condition d'en sortir" (in Lapensée sauvage, cité par Piaget, 1968, p. 91), affirmant par là la nécessité d'aller au delà de

était généralement répudié et déconsidéré par les représentants reconnus de celui-ci" (Pascadi, in Gold-mann, 1977, p. 122). Pour expliquer un tel ostracisme, il faudrait considérer l'état du champ du marxismede l'époque.13. F. Dosse (1995) reprend la position de Lefebvre en ne faisant aucune place au structuralisme génétique,bien qu'il signale le livre de Piaget. Son Histoire du Structuralisme n'est que celle de la "mode" structura-liste. Pourtant, c'est bien de ce structuralisme là qu'il s'agit avec la thèse d'économie d'A. Nicolaï publiée en1960 (Nicolaï, 1999) et les travaux de P. Bourdieu qui va en reprendre explicitement le flambeau en socio-logie dans les années 1980 (Bourdieu, 1987 ; voir également Rendu, 1990).14. On est même tenté de considérer Lefebvre comme l'équivalent fonctionnel de ce que l'abbé Barcos a étéau mouvement janséniste. Ce dernier était un personnage influent quoiqu'oublié par l'histoire de ce mou-vement et que Goldmann a retrouvé en "calculant" son existence par déduction au terme d'une analysestructuralo-marxiste (rapporté par Piaget, 1966, p. 23).15. Pour plus de détails sur ce point, cf. Théret, 1997, pp. 195-200.

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Bruno Théret

la méthode historique en mobilisant théorie et formalisation, position qui est en fait prochede celle de Lefebvre.

Les partisans du structuralisme génétique ne voient pas non plus dans la société un sys-tème totalement structuré et acceptent l'idée d'une genèse historique des structures. Ainsi pourPiaget, "il n'existe pas de structures de toutes les structures" (Piaget, 1968, p. 60) de mêmequ"'il n'existe pas de structure sans une construction ou abstraite, ou génétique. (...) Dans lesdomaines où la genèse s'impose à l'observation quotidienne, (...) on s'aperçoit du fait qu'entregenèse et structures il y a interdépendance nécessaire (.. .)" (Piaget, 1968, p. 121).

La seconde critique de Lefebvre concernant l'idée althussérienne "anti-humaniste" del'histoire comme procès sans sujet ni fm qu'il impute au "panstructuralisme", ne vaut égale-ment ni pour le structuralisme de Lévi-Strauss, ni pour celui de Piaget. Car même si Lévi-Strauss est sur le terrain philosophique à la recherche de ce que pourrait être la structureuniverselle de l'esprit humain, sa conception du "fait social total", qui est une reconstructionde celle de M. Mauss (Tarot, 1999), témoigne de ce qu'il n'adopte pas une position purementobjectiviste à la Althusser: "Le fait social total se présente (.. .) avec un caractère tridimen-sionnel. Il doit faire coïncider la dimension sociologique avec ses multiples aspects syn-chroniques; la dimension historique, ou diachronique; et enfm la dimension physio-psychologique. Or c'est seulement chez les individus que ce triple rapprochement peut pren-dre place (...). Par conséquent, la notion de fait total est en relation directe avec le doublesouci (...) de relier le social à l'individuel d'une part, le physique (ou physiologique) et lepsychique de l'autre" (Lévi-Strauss, 1991, p. XXV). On peut même considérer qu'ici Lévi-Strauss anticipe sur le souci de P. Bourdieu de faire toute sa place à la connaissance (et à laraison) pratique à côté et en relation avec la connaissance objective (Rendu, 1990, p. 135).Ne considère-t-il pas que le fait total "s'incarne dans une expérience individuelle et cela àdeux points de vue différents: d"abord dans une histoire individuelle qui permette "d'obser-ver le comportement d'êtres totaux, et non divisés en facultés"; ensuite, dans (...) un sys-tème d'interprétation rendant simultanément compte des aspects physique, physiologique,psychique et sociologique de toutes les conduites (.. .)" (Lévi-Strauss, 1991, p. XXV.). "(...)autrement dit, nous ne pouvons jamais être sûrs d'avoir atteint le sens et la fonction d'uneinstitution, si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscienceindividuelle. Comme cette incidence est une partie intégrante de l'institution, toute interpré-tation doit faire coïncider l'objectivité de l'analyse historique ou comparative avec la subjec-tivité de l'expérience vécue" (Lévi-Strauss, 1991, p. XXVI).

Le label d'anti-humanisme s'applique encore moins au structuralisme génétique de Pia-get pour qui, au contraire, "les structures n'ont pas tué l'homme, ni les activités du sujet (. . .).Soutenir que le sujet a disparu pour faire face à l'impersonnel et au général serait oublierqu'au plan des connaissances (comme peut-être des valeurs morales et esthétiques, etc.),l'activité du sujet suppose une continuelle décentration qui le libère de son égocentrisme in-tellectuel spontané au profit, non pas précisément d'un universel tout fait et extérieur à lui,mais d'un processus ininterrompu de coordination et de mises en réciprocités" (Lévi-Strauss,1991, p. 120).

La dernière critique de Lefebvre porte sur le formalisme logiciste auquel aboutirait né-cessairement le structuralisme. Toute dialectique en serait "évacuée en chemin par une mé-thodologie antidialectique s'acharnant à défmir la dialectique en termes d'immobilité"(Lefebvre, 1975, p. 133). Là encore la critique de Lefebvre est exagérée pour ce quiconcerne l'anthropologie structurale de Lévi-Strauss et sans portée aucune pour la psycho-sociologie génétique de Goldmann et de Piaget. Lévi-Strauss, certes, mobilise des formali-sations dans la mesure où, puisque "la structure n'est pas directement observable", "la réduc-tion structurale est une marche vers l'abstraction". Il n'en admet pas pour autant que laméthode structurale soit réductible à "une méthode d'analyse formelle" (Marc-Lipiansky,1973, p. 308). L'analyse formelle est selon lui insuffisante parce qu'elle ne permet pas d'ac-céder à la signification et aux contenus qui, pour lui, sont inséparables des formes (Marc-

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Institutio!/ilnalismes et structuralismes

Lipiansky, 1973, pp. 300-303). Aussi, "conscient des insuffisances de la logique binaire, ils'est efforcé de les pallier (notamment) en faisant place, à côté des simples rapports d'oppo-sition, à des rapports différentiels plus ou moins marqués, à des rapports analogiques, et àdes structures de médiation ou d'intégration, transformant ainsi la logique binaire en logiquedialectique, plus apte à conceptualiser le qualitatif' (ibid., p. 308). Lévi-Strauss s'accorde enfait avec Lefebvre pour qui "approfondie, la logique formelle n'interdit pas la pensée dialec-tique" (Lefebvre, 1982, p. XXXV)16.

Piaget aussi, et sans doute plus que tout autre, s'est attaché à articuler concrètement logi-que formelle et logique dialectique. Pour lui, on ne saurait oublier "ce fait fondamental quesur le terrain des sciences elles-mêmes, le structuralisme a toujours été solidaire d'un cons-tructivisme auquel on ne saurait refuser le caractère dialectique avec ses signes distinctifs dedéveloppements historiques, d'opposition des contraires et de "dépassements", sans parlerde l'idée de totalité commune aux tendances dialectiques autant que structuralistes" (Piaget,1968, pp. 101-102). L'expression même de structuralisme génétique "indique qu'on a en vuenon pas l'étude des structures en tant que telles, d'une manière statique et atemporelle, maisle processus dialectique de leur devenir et de leur fonctionnement, idée d'origine marxisteévidemment" (Pascadi, 1977, p. 124). Ce sur quoi Lefebvre ne peut être en désaccord puis-qu'il s'attache lui-même à montrer que chez Marx, les "deux niveaux d'analyse: l'analysestructurale, l'analyse dialectique" coexistent (Lefebvre, 1975, p. 42)17.Lefebvre est en faitproche du Piaget (et de ses collaborateurs) opérant des recherches expérimentales sur "lesformes élémentaires de la dialectique", un Piaget pour qui il faut" distinguer la constructiondes structures, qui seule est dialectique, et ce que l'on peut tirer d'elles, une fois construites,en se bornant alors à de simples déductions, autrement dit à (...) une méthode purement"discursive"" (Piaget, 1980, p. 214). Bref, pour Piaget tout autant que pour Lefebvre, il y a"en tout développement cognitif, une alternance entre les phases dialecti~ues et les phasesdiscursives, sans que tout se réduise aux premières" (Piaget, 1980, p. 214)1 .

16. Comme le rappelle L. Scubla, un mythe, envisagé comme se composant de l'ensemble de ses variantes,est précisément pour Lévi-Strauss un "modèle logique pour résoudre une contradiction" car "il procède enintercalant des termes moyens entre des termes diamétralement opposés" (Scubla, 1998, pp. 33 et 38).17. "La connaissance a pour critère la non-contradiction. Elle est, ou se veut cohérente. Elle se lie donc,historiquement et actuellement (diachroniquement et synchroniquement) à une logique, à une réflexion surla pensée et le discours. Il en résulte une question déjà ancienne et toujours mal résolue: quel est le rapportde la connaissance scientifique avec la contradiction dans le réel et dans la pensée, avec le mouvement dia-lectique dans la nature, dans l'histoire, dans la conscience? En admettant cette terminologie, quelle est larelation entre laforme (rigueur, précision, cohérence) et le contenu (mouvements contradictoires multiples,transitions) ? Une solution facile et fausse, c'est d'expurger le réel de ses contradictions en posant, suppo-sant ou présupposant que l'on construit "l'objet" de la science. Un tel "champ" bien défini, bien propre,sans déchet ni résidu, sans contradiction et sans mouvement, serait clos de toutes parts. La pensée théori-que s'y enfermerait. Elle tiendrait ou croirait tenir le Système. Autre solution: ce n'est qu'à la limite que laconnaissance peut atteindre la non-contradiction. Elle y tend, mais des contradictions toujours renaissantesse manifestent, entre les faits et les concepts, entre les concepts et les théories, entre les concepts théori-ques et les idéologies. Ce qui oblige perpétuellement à reconsidérer les faits, les concepts, les théories, lesidéologies. Résoudre une contradiction met à jour des contradictions nouvelles. Reste, il est vrai, la ques-tion : comment la connaissance non contradictoire des contradictions est-elle possible? Même virtuelle,cette relation doit se légitimer. Les logiciens n'ont pu répondre, car ils élaborèrent la forme pure, décantéede contenu et de mobilité. Ils se transportaient, par hypothèse, dans cette limite à l'infini d'une science par-faite et achevée. Ils se situaient, ainsi, à la fois au commencement de la science, de sa présupposition, et àla fin, laissant aux savants les difficultés du chemin" (Lefebvre, 1975, pp. 146-148).18. "La dialectique constitue l'aspect inférentiel de toute équilibration", sachant qu'il faut "distinguer avecsoin l'équilibration en tant que processus constructif conduisant à la formation de structures, et l'équilibreen tant qu'état stable atteint par ces structures une fois construites. En ce dernier cas, ce que l'on peut tirerd'elles sans les modifier ni les dépasser se réduit à des inférences disc,ursives qu'il serait abusif de considé-rer comme dialectiques. Par contre, si une structure stable donne lieu à de nouvelles interdépendances avecune autre, il y a à nouveau dialectique puisqu'il y a formation d'une totalité nouvelle, qui exige de nou-veaux processus d'équilibration." (Piaget, 1980, p. 217).

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Bruno Théret

Structuralisme génétique, historisme structurel et théorie de la régulation:des filiations non pleinement assumées

La perspective critique de Lefebvre est donc par trop globale; elle s'adresse à un pan-structuralisme qui apparaît comme un objet mal construit dès lors qu'on n'élimine pas lestructuralisme génétique du champ des recherches structuralistes. En réalité, son "historismestructurel" d'obédience marxiste est très proche du structuralisme génétique, lequel n'est passans puiser à cette même source (Garcia, 1980). Cette proximité est illustrée par les deux ci-tations suivantes:

"Chez Marx et dans la pensée marxiste, il y a une conception fondamentale dudevenir (...). Aussi bien dans la nature que dans la société et dans la connaissance,le devenir historique crée des Hêtres", des unités stables, des entités qui se main-tiennent parce que dotées d'un équilibre interne. Toutefois, pour Marx comme pourHegel, ces stabilités n'ont rien de définitif. Ces équilibres ne sont que provisoires.Ces structures ne sont que des «moments» du devenir. (...) Dans le devenir, il y ades structures qui se constituent; puis le devenir dissout graduellement ou brisebrusquement les structures qu'il a créées. Mais la dissolution ou la rupture des équi-libres momentanés, la déstructuration, ne vient pas après la constitution des structu-res. C'est au sein des équilibres, au coeur des structures qu'agissent dès le début lesforces qui les dissoudront ou les briseront, qui produiront la déstructuration. (...)La déstructuration opère au sein des structures dès leur naissance, avant même leurpleine et entière maturation. Jamais les structures ne peuvent se consolider et s'af-fImler. Le négatif opère et travaille au coeur du positif. Le possible n'est pas exté-rieur au réel, ni l'avenir à l'actuel: ils y sont déjà présents et agissant. C'est ce quifait l'histoire" (Lefebvre, 1975, p. 161-62, souligné par nous).

"Le mot structure a malheureusement une consonnance statique: c'est pourquoid'ailleurs il n'est pas rigoureusement exact. Il faudrait parler non pas de structures -celles-ci n'existent que rarement et pour très peu de temps dans la vie sociale réelle -mais de processus de structuration, (...) structuration (qui) se définit moins par op-position que par complémentarité à la déstructuration. (...) Les processus de structu-ration sont orientés vers un équilibre optimal par rapport à la nature et à la survie dusujet humain et à l'ensemble d'une situation donnée, mais très souvent, avant que cetéquilibre optimal soit atteint, deux sortes de phénomènes, les uns exogènes - inter-vention de l'extérieur du type : guerres, invasions, immigrations, influence des so-ciétés périphériques, etc -, les autres endogènes - transformations du mondeambiant par le comportement même des membres du groupe liés à un processus destructuration donné - créent une situation nouvelle et par cela même une nouvelle ra-tionalité. Nous nous trouvons alors devant un processus nouveau, comportant unecohérence nouvelle, différente de la précédente, et tendant vers un équilibre diffé-rent qui ne peut se réaliser qu'en déstructurant la réalisation plus ou moins avancéede l'équilibre antérieurement recherché et les structures mentales et affectives qui luicorrespondaient. Ainsi ce qui était cohérent et rationnel à l'époque précédente cessede l'être par la suite. La recherche de la rationalité crée elle-même sa propre négati-vité lorsque cette négativité ne vient pas, comme cela arrive souvent, de l'extérieur"(Goldmann, 1977, pp. 26-27).

Cette conception, commune donc à Lefebvre et au structuralisme génétique, d'une struc-ture s'exprimant dans l'équilibre momentané d'un processus de structuration-déstructurationévoque irrésistiblement le cadre problématique de la théorie de la régulation. Celle-ci asso-cie un tel équilibre au concept de régime, forme momentanée de régulation historiquementet culturellement située d'une contradiction interne à un rapport social donné en train de sestructurer ou restructurer. Les régulationnistes cependant, influencés par la critique de senscommun dont Lefebvre s'est fait le savant avocat, ne veulent pas plus que ce dernier se posi-tionner dans le champ du structuralisme et préfèrent une conception "intermédiaire et ins-

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lnstitutionnalismes et structuralis1Jl,es

trumentée" à la Braudel de la structure19.Afm d'éviter "l'abstraction structuraliste (qui) resteirréductiblement synchronique", la tendance chez les régulationnistes est à préférer "une ca-ractérisation (...) directement historique de la structure qui offre la possibilité de dépasserles apories du structuralisme dans son rapport à la diachronie et permet de penser la struc-ture comme sujette à devenir" (Lordon, 1994, p. 224)20.Or cette conception empirique de lastructure, son assimilation à un "cadre des comportements et des liaisons fonctionnelles éta-blis à l'intérieur duquel se déroulent les évolutions conjoncturelles" ou à l'''ensemble des ré-gularités "macro" constitutives d'un régime de croissance en une époque donnée" (Lordon,1994, p. 224), conduit à confondre la structure avec le régime de sa régulation, voire à oc-culter le processus génétique de constitution et de changement des rapports sociaux eux-mêmes. A la limite, dans cette conception, il n'y a plus de place spécifique pour les institu-tions, celles-ci se confondant avec les structures (d'où l'équivalence souvent posée entre lesnotions de forme structurelle et de forme institutionnelle). Ainsi, à ne pas vouloir assumerpleinement son structuralisme (génétique), la théorie de la régulation a eu tendance à s'en-fermer dans un empirisme historiciste faiblement théorisé, position qui justifie a posterioril'avertissement de Lévi-Strauss concernant la nécessité de commencer par l'histoire, mais àcondition d'en sortir de façon à passer à un niveau de formalisation théorique qui soit autreque métaphorique et qui autorise le test des hypothèses préalablement posées pour organiserla saisie et la transcription raisonnée des faits socio-historiques.

Le structuralisme comme champ

Abandonner, comme il se doit au vu des développements précédents, l'idée d'unstructuralisme indifférencié et nécessairement statique, systémiste, déterministe, etc. devraitaider la théorie de la régulation à se réorienter en ce sens. Mais s'affranchir d'une telle idéeconduit également à considérer le structuralisme, au même titre que l'institutionnalisme,comme un champ transdisciplinaire de forces intellectuelles en lutte pour le monopole de laconception légitime de la structure21. Elucider la structure paradigmatique de ce champ neva pas néanmoins sans difficultés dans la mesure où les diverses distinctions entre types destructuralisme qu'on vient d'examiner ne font pas système. Peut-être cette situation est-elledue pour partie à ce que le structuralisme est un cadre épistémique qui a touché jusqu'auxmathématiques et a englobé un ensemble de sciences beaucoup plus large que l'institution-nalisme, cantonné aux sciences de l'homme et de la société. Mais le flou typologique estaussi sans doute la conséquence de ce que, depuis ses beaux jours des années 1960, lechamp des structuralismes a été largement laissé en jachère. L'épuisement de la mode dustructuralisme philosophique a en effet été concomitant d'un processus de déstructuration-restructuration du champ des sciences sociales qui a accompagné le changement de conjonc-ture économique et sociale associé à la crise des sociétés fordistes et s'est traduit par l'émer-gence d'un nouveau régime néo-libéral des idées économiques qui a diffusé sous la forme dela théorie du choix rationnel dans l'ensemble des sciences sociales22.Combinée à la critiqueendogène au structuralisme de sa variante idéologique, cette progressive pénétration du pa-radigme économique individualiste méthodologique dans les autres sciences sociales à partirdu milieu des années 1970 explique sans doute dans une large mesure pourquoi, à l'instardes régulationnistes, les structuralistes en sciences sociales ont eu tendance à se replier surl'institutionnalisme. Ils ont ainsi participé à la structuration (ou restructuration23) du champdes (néo)- institutionnalismes examiné ci-dessus.

19. A vrai dire, c'est peut-être aussi parce qu'ils ne peuvent plus se positionner ainsi dans la mesure où cechamp a disparu, faute de combattants, la lutte des paradigmes s'étant déplacé dans le champ de l'institu-tionnalisme cf. infra.20. Cf. également Aglietta et Orléan, 2002, pp. 11-12 et p. 28.21. Champ dans lequel "l'historisme structurel" de Lefebvre se situe de plein droit, même s'il refuse de s'ypositionner de fait.22. Sans compter son incursion dans le domaine de la biologie sous la forme de la socio-biologie.23. On peut également, en effet, poser l'hypothèse que le structuralisme s'était substitué, quant à lui, à l'an-cien institutionnalisme dans l'après seconde guerre mondiale.

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La disparition de la "culture" du structuralisme rend donc plus difficile la tache d'en re-constituer le champ, mais cette difficulté ne doit pas nous arrêter. On ne saurait, en effet,rester dans un flou qui conduit à ce que le bébé méthodologique continue d'être jeté avecl'eau du bain philosophique, avec le risque que les vertus heuristiques de l'analyse structu-rale finissent par être irrémédiablement perdues. La critique du structuralisme comme projetphilosophique à la mode dans une conjoncture historique particulière, qu'elle soit justifiéeou non, ne saurait rester à tout jamais confondue avec cette toute autre affaire qu'est la por-tée scientifique du structuralisme en tant que méthode" classique" des sciences sociales,produit d'une longue histoire. Car la vision tronquée du structuralisme qu'a produit cetteconfusion empêche ceux-là mêmes qui seraient les plus capables de le faire d'assumer sonhéritage scientifique.

Comme on vient de le suggérer, c'est notamment le cas de la théorie de la régulation quien déniant sa filiation structuraliste et en se présentant comme une simple forme d'institu-tionnalisme historique, s'est fixé des limites épistémologiques qui l'empêchent de monter engénéralité et force théorique. Elle ne peut, dans ces conditions, mobiliser pleinement ses res-sources méthodologiques "naturelles" pour construire une théorie des institutions qui lui soitpropre et se distingue d'une théorie de la structure. D'où cette difficulté qui la caractérise dese doter d'une conceptualisation des comportements économiques cohérente avec ses caté-gories macro-économiques. Certes la mobilisation par les régulationnistes des conceptsd'habitus et de champ développés par P. Bourdieu, concepts directement associés chez cedernier au développement d'une perspective ouvertement" structuraliste génétique", est por-teuse d'espoir en ce sens (Lordon, 1999), tout comme l'est le renouveau de la sociologieéconomique dont la théorie de la régulation est aussi une héritière (Steiner, 2001a)24.Mais ilreste aux régulationnistes à reconnaître ouvertement leur filiation structuraliste pour pouvoirmettre pleinement à profit les ressources cognitives qui ont été accumulées depuis plus d'unsiècle dans ce cadre épistémique.

Dans cette perspective, la mise à jour - fut-elle encore peu assurée - d'une structuration duchamp du structuralisme tel qu'il a pu se constituer dans les années 1950 à 1970 notammenten France acquiert toute son importance. C'est pourquoi on se risque dans le schéma 2 à enproposer une représentation qui, selon une structure isomorphe à celle du champ institutionna-liste, isole une série de trois pôles paradigmatiques. La modélisation présentée dans ce schémaappelle plusieurs remarques préalables.

Tout d'abord le schéma ne concerne que le structuralisme actif dans les sciences humaines.Ensuite, de même que son homologue relatif à l'institutionnalisme, il est censé valoir pour lesdifférentes sciences sociales, mais les paradigmes en concurrence relèvent dans son cas dedisciplines en amont des sciences sociales proprement dites. Ils ne sont pas issus de la socio-logie, de l'économie et de la science politique, mais de la linguistique, de la psychologie et dela philosophie, disciplines concernées au premier chef par la symbolisation des faits sociauxassociée à la fonction sémiotique qui spécifie l'être humain dans l'ensemble du monde vivant.Le schéma 2 enfm n'a de sens que parce que le champ du structuralisme est un espace socialoù une même conception générale de la structure est partagée. Cette conception commune quidonne son unité au champ ressort de la définition que Descombes donne du holisme structu-raI: la structure, ce sont les "relations qui sont au fondement du système", c'est le fait qu'on nepeut penser des éléments qu'en relation entre eux et qu'en tant que parties d'un tout. Cette idéede base peut alors être mobilisée et interprétée de diverses manières: statique et déterministeou dynamique et ouverte sur l'incertain et l'innovation, considérant la société comme totale-ment ou seulement partiellement structurée et structurable, rendant inutile l'idée même de su-jet ou faisant place à son intentionnalité, permettant d'atteindre des universaux ou mettant en

24. Il faut également saluer comme allant dans le sens d'un renouveau de la réflexion en ce domaine la ré-édition récente de la thèse d'A. Nicolaï (1960) (Steiner, 200 1b).

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lnstitutionnalismes et structuralismes

valeur des idiosyncrasies. Bret: à partir d'elle, la lutte pour le monopole de la représentationlégitime de la structure peut s'engager.

Schéma 2 : Le structuralisme comme champ de luttes entre structuralistesCulture

Systèmes designes

superstructure

Structuralismesémiotique

à la Lévi-Strauss

NatureSystèmes de

rapports sociauxInfrastructure

Structuralismephilosophique

à la Althusser

Structuralismegénétique

à la Piaget

DoctrineSystémisme

déterministe etformaliste

Comportementstructuré

-.....4 ~Méthode

Epistémologiegénétique et

dialectiqueComportement

structuré-structurant

Le schéma 2 met en avant deux axes fondamentaux de structuration de cette lutte à partird'oppositions binaires concernant: 1/ le statut épistémologique (et philosophique) duconcept de structure, celle-ci étant considérée soit comme l'explication ultime dans uneconception statique et systémique de la société, soit seulement comme une ressource métho-dologique dans une conception dynamique et non fonctionnaliste de la société où celle-ciévolue notamment en fonction des comportements des acteurs sociaux; 2/ l'ordre structurelqui est privilégié en tant qu'analyseur de la société et du comportement individuel ainsi quele type de filiation théorique qui en découle: lorsqu'est privilégié l'ordre des pratiques sym-boliques, le paradigme se situe dans la filiation de (de) Saussure et de la linguistique structu-rale et met en exergue des types de relations et de causalité communicationnels ; si sontprivilégiées les pratiques de transformation et de gestion des ressources "naturelles" (dontpour l'essentiel, la vie humaine), le paradigme se situera en revanche dans la tradition deMarx et de l'économie politique, la différenciation des relations sociales et la causalité étantalors conçues selon un modèle plutôt fonctionnel. Voyons cela d'un peu plus près.

La qualification de la première opposition (axe horizontal) est inférée de la distinctionentre structuralismes méthodique et idéologique. Dans la conception méthodique du structu-ralisme que défend par exemple Piaget, la structure est pensée comme un outil pour com-prendre un comportement humain dynamique et en permanente évolution. On est dans lestructurant tout autant que dans le structuré et l'être humain, bien que support de structures,est doté d'une intelligence et d'une faculté d'assimilation-accommodation vis-à-vis deschangements de son environnement. Celles-ci lui permettent, individuellement et/ou collec-tivement, d'orienter éventuellement les processus de structuration-déstructuration des rela-tions sociales et donc de s'inscrire dans des évolutions économiques, politiques, sociales etculturelles différenciées. Pour Bourdieu également, la sociologie structuraliste génétiquedoit permettre aux agents de prendre conscience des structures de domination qui s'imposentà eux via leur habitus et donc de s'en libérer, ce qui leur ouvre la possibilité d'orienter cons-

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Bruno Théret

ciemment par leur action l'évolution de la société dans un sens qui leur soit plus favorable25.On est ici aux antipodes du systémisme totalisant, anti-humaniste et anti-historiciste dustructuralisme purement philosophique à la Althusser. Pour ce dernier, l'être humain est ré-duit à n'être qu'un support passif des structures et comme tout est pré-structuré, l'histoiren'est plus que le déroulement d'un vaste programme machinique sans sujet ni fin, incorporédans l'inconscient des individus.

Face à cette opposition radicale, le structuralisme sémiotique à la Lévi-Strauss est dansune position intermédiaire. Il refuse d'un côté, on l'a vu, la conception systémiste d'une so-ciété totalement structurée et donc entièrement sujette au "causalisme structural". Mais d'unautre côté, il s'inscrit dans une quête philosophique des structures universelles de l'incons-cient et il tend alors à adopter une position déterministe à rebours du constructivisme piagé-tien et qui rejoint le structuralisme althussérien26. Cependant, cette recherche de ce qui estconstant et universel dans l'esprit humain passe par un travail sur des matériaux empiriqueset le développement d'analyses structurales concrètes de divers systèmes symboliques dansune grande diversité de sociétés. En cela le structuralisme sémiotique est aussi méthodiqueet génétique, il fait une place à la dialectique, à l'histoire et à la diversité des cultures; il seretrouve donc à nouveau du côté de Piagef7. Il est en effet contraint de partir des différencesentre sociétés et de mettre en œuvre une méthode comparative sophistiquée pour atteindrel'universel, celui-ci, dès lors qu'il est logé dans le structurel profond et non pas dans detrompeuses apparences, n'étant pas donné a priori mais devant être découvert et exhumé.

La signification de l'axe vertical, la seconde opposition structurale, est plus difficilementdéductible des typologies présentées ci-dessus. Néanmoins, en mobilisant un parallélismeavec le champ de l'institutionnalisme, on peut isoler un paradigme propre au structuralismesémiotique le différenciant radicalement des deux autres. Le second critère de différencia-tion des institutionnalismes, en effet, a trait à la nature des problèmes sociaux qui sont cen-sés être à l'origine des institutions: soit l'institution répond à un conflit social, soit ellesolutionne un problème de coordination interindividuelle. Par analogie, on peut considérerque ce qui oppose le structuralisme sémiotique aux autres structuralismes est aussi le typefondamental de problème théorique auquel la structure est supposée répondre. Pour la sé-miotique, le problème central est celui du sens (signification) produit par la structuration desystèmes de signes dont le langage est l'archétype, la société étant vue en tant que culture(assimilée par Lévi-Strauss à la superstructure de la société selon Marx) comme un ensem-ble de systèmes symboliques de communication entre les êtres et les groupes humains28.

25. Comme "c'est à travers l'illusion de la liberté à l'égard des déterminations sociales (...) que "liberté estdonnée aux déterminations sociales de s'exercer", "les lumières sont du côté de ceux qui font découvrir lesœillères". Ainsi "l'analyse des structures mentales est un instrument de libération: grâce aux instruments dela sociologie, on peut réaliser une des ambitions éternelles de la philosophie, qui est de connaître les struc-tures cognitives (...) et du même coup certaines des limites les mieux cachées de la pensée" (Bourdieu,1987, pp. 26-27).26. Lévi-Strauss est en fait proche de N. Chomsky et de son idée de "grammaire universelle", "équipementbiologique humain" au cœur de tout langage, "point de départ contenant tout d'avance", selon l'expressionde Piaget (1968, p. 77). L'opposition entre Chomski et Piaget sur l'innéité et donc l'universalité des structu-res linguistiques de l'esprit humain a fait l'objet de controverses entre eux et d'un débat très important (cf.Piaget, 1968, pp. 74-78 ; Chomsky, 1985, p. 195 et sv. ; Piatelli-Palmarini éd., 1979). D'une manière géné-rale, le structuralisme de Chomsky est proche de celui de Lévi-Strauss.27. On trouvera une caractérisation de cette ambivalence de Lévi-Strauss dans M. Godelier (1974). Pour sapart, L. Scubla avertit que "pour apprécier correctement le travail de Lévi-Strauss, il faut bien voir que saméthode est en grande partie indépendante de la philosophie qui l'accompagne. Et comme la seconde vientparfois gauchir la première, il faut apprendre à dissocier, dans la démarche scientifique, la part qui revientà une saine méthode, dont la fécondité n'est plus à démontrer, de celle qui provient d'a priori philosophi-ques beaucoup plus discutables et dont les effets stérilisants ne doivent pas être sous-estimés" (Scubla,1998, p. 65).28. "C'est Lévi-Strauss (...) qui a fait la tentative la plus féconde pour "interpréter la société dans son en-semble en fonction d'une théorie de la communication" (...). Il oriente ses efforts vers une science intégrée

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lnstitutionnalismes et structuralismes

Aussi l'échange emprunt de réciprocité est-il privilégié par rapport à la subordination pré-sente dans les relations d'ordre qui forment l'infrastructure et qui ne sont envisagées quecomme des relations de communication29; le symbolique engendre alors le social et non l'in-verse (Descombes, 1996, pp. 261-266). La linguistique structurale inspirée par les travauxpionniers de F. de Saussure se présente alors tout naturellement comme le paradigme scien-tifique clef pour la mise à jour, l'intelligence et la formalisation de telles structures.

Pour les structuralismes purement méthodique ou philosophique, il en va tout autrement.Ce n'est pas la linguistique structurale qui les inspire, car le problème qu'ils se posent enpriorité n'est pas celui du fonctionnement des pratiques symboliques, mais celui des prati-ques économiques et politiques qui découlent des modes de structuration de la société et dela psyché individuelle vues dans leurs dimensions matérielle (physique et physiologique) etsociale. Ils privilégient donc l'infrastructure de la société, tant à l'échelle de l'individu quidéveloppe son intelligence et accumule du savoir pour faire face aux problèmes que lui posela vie en société, qu'à l'échelle de la société où richesse et puissance apparaissent comme desenjeux pour la survie dans un environnement conflictuel. Cette infrastructure, c'est l'écono-mie, les rapports à la nature, aux bases matérielles physiques et biologiques de l'accumula-tion de richesse, de pouvoir et de savoir. En ce cas, ce sont moins les rapports decommunication entre les hommes, la culture, qui importent au premier chef que les rapportssociaux de domination médiatisés par la nature, rapports de production et de distribution, etrapports d'acquisition et d'accumulation de connaissances conditionnant l'accès aux posi-tions dans la production et la répartition. Ici l'agir, les relations d'interdépendance serontmoins de type communicationnel (c'est-à-dire n'impliquant pas de transferts de ressources)que de type fonctionnel, liés à la division technique et sociale du travail et des rôles sociaux.Comment s'étonner alors que la référence paradigmatique essentielle soit en ce cas Marx(et/ou Weber, notamment pour le systémisme structuro-fonctionnalisme à la Parsons) et nonplus de Saussure, un Marx qui est lu soit à la manière d'Althusser, soit à celle de Goldmann,Lefebvre et Piaget.

Conflits-alliances entre paradigmes et connexions croisées avec les institutionnalismes

La caractérisation dans le schéma 2 par des noms propres des trois pôles paradigmati-ques du structuralisme a néanmoins pour inconvénient de caricaturer les positions réellesdes auteurs utilisés comme marqueurs. Lévi-Strauss par exemple, dans ses écrits, n'est pasnon plus sans se référer à Marx et sans resituer son approche des systèmes symboliques dansune représentation du social qui est proche à certains égards de celle du structuralisme géné-tique. Certes sa philosophie le conduit à privilégier des situations de stabilité et non des dy-namiques, mais son structuralisme n'en est pas moins "morphogénétique" dans la mesure oùil se réfère "à l'idée de conflit générateur, c'est-à-dire à l'idée que toute structure provient duconflit de deux attracteurs antagonistes" (Scubla, 1998, p. Il).

Réciproquement Piaget et Lefebvre (dont il faut répéter qu'il est de fait, par son "histo-risme structurel", un structuraliste génétique) n'ignorent pas l'importance des systèmes designes dans la dialectique des structures sociales et des comportements individuels (cf. in-fra), ni l'apport de la linguistique. Ainsi Lefebvre peut consacrer un ouvrage entier à l'exa-men du comment la théorie du langage peut éclairer la théorie de la société (Lefebvre,1966). Piaget de son côté n'est pas sans flirter avec le paradigme sémiotique comme en té-

de la communication qui engloberait l'anthropologie sociale, l'économie et la linguistique ou, pour em-ployer un concept plus large, la sémiotique" (Jakobson, 1973, pp. 33-34).29. Un bon exemple en est fourni dans l'analyse des rapports de parenté où la femme, en tant que produc-trice de la vie, est uniquement considérée "objectivement" comme un message dans une communication, unmédium dans un échange entre deux lignages (celui du frère-oncle et celui du mari-père) nécessaire à la re-production de la société dès lors qu'il y prohibition de l'inceste et donc exigence de la circulation des fem-mes. La domination masculine que présuppose cette circulation et cette instrumentalisation des femmes nefait pas l'objet q'attention.

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Bruno Théret

moignent sa controverse avec Chomsky sur les structures linguistiques et le fait que sa théo-rie psychogénétique du moi autonome passe pour avoir largement inspiré la théorie haber-mas sienne de l'agir communicationnel (Freitag, 1991)30.Par ailleurs, bien qu'il se méfie del'influence de la philosophie sur la science, son structuralisme ne s'en inscrit pas moins dansune philosophie cohérente avec le constructivisme de son épistémologie (Freitag, 1991).

Ainsi, de la même façon que pour l'institutionnalisme, les trois grands paradigmes dustructuralisme s'opposent moins de facto qu'ils ne se combinent. Le champ du structuralismeest structuré par des relations de coopération/conflit entre ces paradigmes, relations qui sontle moteur de sa dynamique; ces relations sont articulées en une triade constitutive de lagrammaire du champ liant les trois mots clefs de son lexique: déterminisme, constructi-visme et communication. Isoler chacun de ces termes ne vaut que pour défmir les positionslimites servant à baliser les frontières du champ à l'intérieur desquelles se situent les diver-ses théories et analyses concrètes qui s'y positionnenf 1.

A cet égard, il importe de souligner que ce qui oppose de concert les structuralismes sé-miotique et génétique au structuralisme philosophique en les rapprochant plus particulière-ment de l'institutionnalisme historique est leur recours commun à la méthode d'analysestructurale. Les structuralismes à la Lévi-Strauss et à la Piaget mobilisent tous deux leconcept de structure pour rendre compte des faits sociaux individuels et collectifs à partir deleur observation soit dans un cadre comparatif (cas de l'anthropologie lévi-straussienne),

30. Pour Piaget, ce n'est pas seulement comme pour Bourdieu la sociologie qui est un instrument de libéra-tion, c'est d'abord la pensée logique ou formelle. Celle-ci en effet" fournit les instruments pour penser laliberté. Cette idée est engendrée à l'intérieur de la pensée formelle (raison théorique). La pensée formellesignifie la décentration systématique de la pensée infantile par rapport aux contextes immédiats de la réali-té concrète. Cette décentration signifie dans le même temps la conquête par le sujet de sa liberté. La penséeformelle ou hypothético-déductive est capable de se déprendre de ses modèles empiriques (monde réel) etde déduire (hypothétiquement) des mondes possibles. Le monde de la nature n'est pas un donné, régi pardes lois hétéronomes. Il est et doit être transformé selon la volonté de l'homme. Et ce qui vaut pour la na-ture vaut aussi pour la société. (...) (Ainsi) la pensée logique chez Piaget acquiert à son stade hypothético-déductif la capacité théorique de penser (la) liberté, en la généralisant au monde des hommes. Grâce à lapensée logique formelle, la conscience morale autonome (raison pratique) sait distinguer entre les lois de lanature et les lois sociales, elle sait se déprendre des contextes empiriques et penser des contextes possibles.C'est grâce aux catégories logico-formelles d'égalité et de réversibilité que l'idée de justice, centrale pour laraison pratique, peut être engendrée. L'autonomie morale du citoyen piagétien a comme condition de sapossibilité la genèse de la pensée hypothético-déductive ou formelle. (...) L'argumentation logique résulte,entre autres, de la nécessité d'élucider son propre point de vue, en prenant pour référence la connaissance etl'argumentation des autres. La pensée logique formelle cohérente résulte des confrontations, des conflits etéchanges intellectuels qui deviennent possibles et nécessaires à l'intérieur du groupe. Pour cela même, Pia-get caractérise, à l'origine, la pensée formelle de pensée «socialisée», communicable. La relation entre lapensée logique (raison théorique) et l'autonomie morale (raison pratique) est, alors, intrinsèque à la psy-chogenèse de cette dernière et non pas externe; elle n'est pas simple juxtaposition (comme chez Kant) maisessentiellement une relation dialectique" (Freitag, 1991, pp. 56-57).31. Pour le structuralisme comme pour l'institutionnalisme, la contradiction entre les dynamiques profes-sionnelle et scientifique est un élément clef de son évolution. La logique professionnelle pousse à la mono-polisation de la représentation légitime du vrai et du juste via l'institution d'une doxa qui conduit à unepolarisation scientifiquement réductrice sur un seul des paradigmes concurrents dans le champ; c'est ainsique le structuralisme en tant que champ a quasiment disparu quand son pôle philosophique doctrinaire en amonopolisé la représentation. La logique de la recherche implique au contraire l'hybridation des paradig-mes, l'adoption de positions au sein de la triade génératrice, là où peuvent être pris en compte les diversesdimensions du social isolées au sein de chaque paradigme. On trouve le reflet de ce conflit au sein du sous-champ du structuralisme génétique dans l'opposition entre les approches sociologique et psychologique.L'approche sociologique à la Bourdieu s'intéresse essentiellement à la dynamique professionnelle deschamps en faisant largement abstraction du contenu cognitif de l'enjeu sur lequel s'est constitué le champ.L'approche psychologique à la Piaget, qui s'attache au contraire essentiellement à ce contenu et à l'évolu-tion progressive du savoir scientifique sur le modèle de la construction de l'intelligence chez l'enfant, faitquant à elle, de fait, abstraction de la sociologie du champ et des enjeux de pouvoir découlant notammentdes relations entre champs scientifiques et champs économiques et politiques. Ici encore une fructificationréciproque des deux approches est nécessaire.

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Institutionnalismes et structuralismes

soit dans un cadre expérimental (cas de la psychologie piagétienne). A cette fin, ils se réfè-rent l'un comme l'autre à la fois à la logique formelle et à la logique dialectique, certes avecdes dosages différents selon que l'analyse est plutôt synchronique ou plutôt dynamique.

Sans doute le structuralisme génétique qui tend à privilégier le moment dynamique de lastructuration-déstructuration et moins celui de l'équilibration, et qui dans cette perspectivefait de la dialectique structures-comportements le moteur d'un changement structurel endo-gène en développant de la sorte un constructivisme, est-il a priori plus proche que le struc-turalisme sémiotique de l'institutionnalisme historique, que ce dernier soit considéré dans saforme évolutionniste à la Commons32 ou dans celle de la théorie de la régulation. Partant descontradictions, des conflits, le structuralisme génétique fait de leur régulation le principemême de la structuration, de l'émergence et de la stabilisation des structures. Il ouvre ainsiune place, rappelons-le, dans son dispositif théorique pour un concept d'institution vucomme forme de régulation endogène des conflits structuraux, mais aussi comme référencecognitive pour les individus en interaction.

En revanche, le structuralisme sémiotique, par le primat qu'il accorde à la culture et à ladimension symbolique des faits sociaux ainsi que par sa tendance à privilégier la stabilitétemporelle des règles33et à assimiler les rapports sociaux à des relations de communicationcodifiées, tend à s'apparenter plus directement au néo-institutionnalisme sociologique. Il estcohérent avec l'idée centrale de la théorie des organisations qui consiste à supposer que lecomportement humain est essentiellement dicté par la conformité à des schèmes stables dereprésentation de type culturel.

Pour autant la relation du structuralisme sémiotique à l'institutionnalisme historique n'estpas à négliger. D'abord parce qu'on la retrouve chez Commons quand celui-ci met au fon-dement de son économie institutionnelle la mise en regard les unes des autres de diversesformes de symbolisation (status économiques, droits juridiques et coutumes, obligationséthiques) des mêmes faits sociaux en établissant des traductions et "corrélations" entre elles(Théret, 2001). Ensuite parce que, dès lors qu'à l'instar de la théorie de la régulation, on ac-corde l'importance qu'il se doit aux formes institutionnelles de régulation (régimes de stabi-lisation momentanée des contradictions structurelles prévalant dans les phasesd'équilibration) et à leur différenciation spatiale, le structuralisme à la Lévi-Strauss fournitdes outils analytiques irremplaçables pour mener scientifiquement des comparaisons entreles variétés de ces régimes et de leurs configurations synchroniques (Théret, 1997). Rappe-lons que ces comparaisons sont souvent, dans les sciences sociales, la seule source accessi-ble d'expérience et donc la seule forme d'enquête scientifique possible, l'expérimentation envraie grandeur et toutes choses égales par ailleurs y étant inatteignable ou éthiquement inac-ceptable.

32. Dans Théret (2001), on a établi une connexion épistémologique entre le structuralisme génétique et lathéorie institutionnelle de Commons en montrant l/qu'il était possible d'interpréter la démarche d'ensemblede cet auteur comme relevant de l'épistémologie génétique développée par Piaget et caractéristique de sonstructuralisme méthodique, 2/que cette interprétation structuraliste permettait de considérer la démarche deCommons comme théoriquement bien structurée ainsi que de mettre à jour sa conception des structureséconomiques en relation avec sa vision des institutions et de la dynamique des comportements individuelset collectifs. On a également suggéré qu'il devait exister une parenté assez étroite qu'il conviendrait d'ex-plorer plus avant entre le structuralisme méthodique et le pragmatisme de C. S. Peirce sur lequel s'appuieexplicitement Commons pour développer sa théorie de l'économie institutionnelle (Bazzoli, 1999).33. Scubla montre qu'il y a dans l'analyse des mythes chez Lévi-Strauss "une tension non résolue entre unmodèle explicite et un modèle implicite: le modèle transformationnel de la mythologie, de type combina-toire, qui occupe le devant de la scène, et un modèle morpho génétique qui lui serait sous-jacent" (Scubla,1998, p. 68). Il s'intéresse de facto "moins au contenu, ou même à la structure interne des mythes, qu'auxrègles qui permettent de passer d'un mythe donné à un mythe adjacent et, de proche en proche, à l'ensemblede tous les autres mythes réels et possibles" (Scubla, 1998, p. 64).

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Bruno Théret

Cela dit) lorsqu'il est activé dans le cadre d'une philosophie universaliste naturaliste, lestructuralisme sémiotique apparaît avoir également partie liée avec l'institutionnalisme duchoix rationnel; considérer que l'individu est un être entièrement déterminé par une fonc-tion "naturelle" de maximisation de son utilité individuelle est en effet cohérent avec l'idéede l'existence d'une structure universelle et atemporelle de l'esprit humain. Cette connexionn'est somme toute qu'une forme d'expression de ce qui apparente les structuralismes de Lé-vi-Strauss et d'Althusser et les rapproche tous deux de l'ontologie individualiste utilitaristede l'économie standard ou standard élargie. Car l'homo œconomicus n'est pas un sujet et nes'inscrit pas dans une histoire. Il est agi par un comportement prédéterminé, programmédans sa psyché, et l'histoire qu'il nous raconte n'est que la chronique répétitive de la minimi-sation des coûts de transaction par une collection d'agents identiques.

Mais le structuralisme génétique entretient lui aussi des affmités électives tant avec lenéo-institutionnalisme sociologique qu'avec l'institutionnalisme du choix rationnel. D'un cô-té, en effet, il considère que le comportement se nourrit de ressources cognitives grâce aux-quelles l'individu interprète sa situation et agit conformément à cette représentation. Ainsiles individus, dont les cadres épistémiques évoluent par "assimilation" ou "accomodation"34au gré de leurs expériences des transformations de leur environnement, sont dotés d'une ca-pacité d'apprentissage. Or cette idée fait l'objet d'une attention toute particulière de la part dela théorie sociologique des organisations. De l'autre, le fait que Piaget considère la penséeformelle comme un instrument de "conquête par le sujet de sa liberté" est cohérent avecl'idée d'une construction des institutions à partir d'un calcul rationnel.

Ces connexions croisées montrent que pour le structuralisme tout autant que pour le néo-institutionnalisme les oppositions entre paradigmes vont de pair avec des contiguïtés. Ellesconduisent également à penser que le néo-institutionnalisme est un système théorique plusfaible que le structuralisme. En effet, bien que les variantes paradigmatiques de l'un et del'autre tendent à se recouper, on perd, en passant de l'un à l'autre, la méthodologie de l'ana-lyse structurale, méthodologie qui permet d'aller au-delà des limites de l'induction propresaux institutionnalismes historique et sociologique et de la pure déduction caractéristique del'institutionnalisme du choix rationnel. Par ailleurs, ce n'est qu'en montant en abstraction,comme dans le structuralisme, que la question de la médiation institutionnelle entre structu-res sociales et comportements individuels peut être abordée. Or il n'y a guère, on l'a vu pré-cédemment, que l'institutionnalisme d'obédience historique qui s'inscrive dans unquestionnement simultané concernant les structures sociales et mentales. Aussi peut-on direque l'interdépendance entre structuralisme et institutionnalisme est de type inclusif: le pre-mier a vocation à englober le second tant au plan de la méthode qu'au plan des concepts.

III. Structures et institutions: quelles relations conceptuelles?

L'étude des champs de l'institutionnalisme et du structuralisme vient de nous révéler cer-taines connexions d'ordre général entre eux qu'on ne saurait interpréter dans les termes d'unrecouvrement des deux champs, mais plutôt comme l'expression d'une différence de niveauxd'abstraction théorique et de rigueur méthodologique. En dépit de la confusion le plus sou-vent opérée entre les deux concepts, structures et institutions ne sauraient donc être vuscomme des termes quasi-équivalents. L'examen qu'on entreprend dans cette dernière partie

34. "Les structures préexistantes fonctionnent comme mécanismes d'absorption et d'intégration des expé-riences assimilées en se réorganisant (en se réaccommodant). Cette réorganisation interne (...) peut signi-fier une réintégration des éléments dans la structure préexistante, laissant la pensée au même niveau avecun gain de stabilité (abstraction réfléchie), de même qu'elle peut signifier un dépassement de la structurepréexistante, en réorganisant des éléments à un nouveau niveau, plus élevé et complexe, capable d'absor-ber, sans contradiction et conflits majeurs, les éléments nouveaux (abstraction réfléchissante") (Freitag,1991, p. 61). Dans le premier cas il y a simple "assimilation", tandis que dans le second, il y a "accommo-dation" .

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lnstitutionnalismes et structuralismes

de la manière dont est aménagée dans le structuralisme méthodique la relation entre structu-res et institutions cherche à le montrer plus précisément.

Historiquement, deux positionnements de cette relation peuvent être repérés. Le premier,défendu notamment par A. Nicolaï, veut que les structures soient réelles et objectives ets'imposent directement, c'est-à-dire sans médiation, aux individus qui en sont les supports(Nicolaï, 1960, p. 54). Il Y a alors des structures qui sont institutionnalisées et d'autre pas(Nicolaï, 1960, p. 68). Cette position élaborée dans les années 1950, en cohérence avec l'ins-titutionnalisme politico-juridique régnant à l'époque, est en décalage par rapport à l'état duchamp institutionnaliste actuel qui, on l'a vu, est fondé sur un accord général autour de l'idéeque les institutions peuvent être formelles ou informelles et ne se réduisent donc pas à cellesqui, reconnues officiellement, apparaissent objectivées et extérieures aux individus. Asso-cier la position de Nicolaï à une conception néo-institutionnaliste de l'institution reviendraità confondre structure et institution, reproche que, ironie de l'histoire, Nicolaï adresse à l'an-cien institutionnalisme américain (Nicolaï, 1960, pp. 174-175)35.

Aussi convient-il de considérer une secoinde position plus cohérente avec les dévelop-pements néo- institutionnalistes et qui est, selon nous, celle du structuralisme méthodiquecommun aux structuralismes génétique et sémiotique. Celle-ci, tout en maintenant l'idée ducaractère réel et objectif des structures, considère que les individus suivent des règles, seconforment à des normes qui sont des institutions et non l'expression directe des structures.Il y a bien action des structures sur les comportements mais pour saisir dialectiquement cetteaction, il faut introduire une médiation entre l'objectivité des structures et la subjectivité descomportements. En plagiant G. Simmel, on peut dire que les structures ne prennent la formede comportements individuels qu'à travers le jeu d'un "tiers élément idéel" s'intégrant à ladualité structures/comportements "sans s'y dissoudre", car les "contenus qui sont réalisésdans le monde objectif et d'autre part vivent en nous à titre de représentations subjectivespossèdent encore, par delà, une dignité idéelle spécifique" (Simmel, 1987, pp. 32-33). Cetiers élément idéel, ce sont les institutions formelles et informelles, formes qu'on peut dire àla fois infra-objectives et supra-subjectives parce qu'elles médiatisent la relation entre struc-tures sociales objectives et comportements individuels subjectifs. L'institution, par consé-quent, est ce qui est à la fois présent dans la structure et dans le comportement, présence quifait et exprime que celui-ci n'est pas le pur et simple reflet de celle-là.

L'institution comme tiers élément médiateur de la relation entre structureset comportements

Pour le structuralisme méthodique, la structure est une abstraction réelle. Elle ne peutêtre découverte que par abstraction car elle n'est pas directement accessible à la conscienceoù elle ne prend forme que sous la forme d'un système de relations dont elle peut seulementêtre extraite par formalisation du fonctionnement de ce système36. Elle n'en est pas moins

35. En fait Nicolaï interprète l'intentionnalisme des institutionnalistes américains comme un "volonta-risme", un renoncement au "déterminisme même sous sa forme atténuée du possibilisme" (Nicolaï, 1960, p.175). Pourtant, à la forme près, on croirait lire Commons, mais aussi Piaget et Bourdieu, quand il énoncequelques lignes plus loin que "les individus en même temps qu'objets de détermination, sont sujets cons-cients et volontaires de leur histoire. La société économique n'est ni immutabilité de rapports, ni collectioncontingente de relations interindividuelles. Elle est structures qui s'imposent et comportements qui s'adap-tent. Elle est à mi-chemin d'une nécessité qu'on se crée et d'une liberté que l'on conquiert" (Nicolaï, 1960,p. 176).36. Pour Piaget, le structuralisme méthodique ne s'en tient pas "au système des relations ou interactions ob-servables, considéré comme se suffisant à lui-même", mais recherche "l'explication de ce système dans unestructure sous-jacente qui en permette l'interprétation en quelque sorte déductive et qu'il s'agit de reconsti-tuer par la construction de modèles logico-mathématiques : (ainsi) (...) la structure ne rentre pas dans ledomaine des "faits" constatables et, en particulier, demeure "inconsciente" (...). Comme la causalité enphysique, la structure sociale doit être reconstituée déductivement et ne peut pas être constatée à titre dedonnée (...); (...) elle n'appartient pas à la conscience mais au comportement, et l'individu n'en acquiert

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Bruno Théret

réelle au sens où elIe est ce qui est inscrit au plus profond des choses et explique (ou estcensée expliquer) des phénomènes réels. Pour saisir cette réalité et objectivité de la struc-ture, la méthode structurale distingue alors trois niveaux d'analyse articulés: le niveau de lastructure, celui des modèles et celui des relations sociales proprement dites.

En effet, bien qu'aussi réelle que les formes phénoménales sous lesquelles elle apparaîtempiriquement, "la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité empirique, maisaux modèles construits d'après celle-ci", "les relations sociales" n'étant, quant à elles, que"la matière première employée pour la construction des modèles qui rendent manifeste lastructure sociale elle-même" (Lévi-Strauss, 1958-1974, pp. 331-332). "La notion de struc-ture se trouve ainsi liée à celle de modèle, le modèle constituant un intermédiaire nécessaireentre la réalité empirique et la découverte de la structure" (Marc-Lipiansky, 1973, pp. 38-39) . Toutefois, une fois passés les premiers stades de la "réduction structurale" par lesquels"on accède à la structure" par l'intermédiaire des formes modélisées des relations sociales, lestructuralisme méthodique opère un retournement en allant "de la structure au modèle"(Descombes, 1979, p. 106), ce dernier étant alors maintenant déduit de la structure. Lastructure est dorénavant ce qui fixe le cadre général dans lequel les modèles doivent prendreplace pour représenter de manière compréhensive et explicative les "relations sociales" ob-servables et ainsi "restituer (leur) contenu empirique" (Marc-Lipiansky, 1973, p. 132). Elledevient le réel conceptualisé, nouveau point de départ de l'analyse structurale, et les modèlesdoivent pouvoir en être déduits par des opérations logiques et ne plus être seulement inférésempiriquement.

La conception de la structure qui est au principe du structuralisme méthodique permetpar ailleurs de concevoir qu'une même structure puisse prendre la forme d'une pluralité demodèles et rendre ainsi compte de la variété des systèmes de relations observables s'inscri-vant dans un même cadre structurel37. En effet, outre le fait qu'elle doit "pouvoir donner lieuà une formalisation", une structure comprend "les trois caractères de totalité, de transforma-tions et d'autoréglage" (Piaget, 1968, pp. 6-7). Mais le fait que toute S1tructurese referme surelIe-même n'implique nulIement qu'elle ne puisse" entrer à titre de sous-structure dans unestructure plus large" (ibid., p. 14). Ainsi, chaque structure, en fonction du contexte structureldans lequel elle s'insère à titre de sous-structure et de sa "fonction" dans ce contexte38, estsusceptible de prendre plusieurs formes ou modèles spécifiques de stabilité (ou de viabilité)à partir desquels les dynamiques des relations observables peuvent être saisies et élucidées.Le structuralisme méthodique reconnaît donc bien de la sorte l'existence de "tiers élémentsidéels" entre les pratiques (les relations sociales observables) et, en tant que celles-ci consti-tuent une classe d'objets, leur structure générale. Cette dernière n'agit sur les comportementsobservables que par l'intermédiaire de ce qui la spécifie en fonction de son contexte d'ac-tion, c'est-à-dire de ses interdépendances avec d'autres structures qu'on saisit sous la formede ses "modèles" diversifiés de fonctionnement.

qu'une connaissance restreinte par des prises de conscience incomplètes s'effectuant à l'occasion des dés a-daptations" (Piaget, 1968, p. 83).37. C'est de cette définition de la structure que part F. Perroux pour évaluer en 1971 les travaux menés de-puis 1937 par "l'économie d'intention scientifique" à partir d'un rapprochement des "caractères des modèlesusuels des exigences de la structure définie par le structuralisme" (Perroux, 1971, p. 334). Cet auteur en ar-rive alors à redéfinir "l'économique (...) comme l'ensemble des luttes-concours, des conflits-coopérationsqui transforment l'homme par l'homme au moyen de choses comptabilisables" (ibid., p. 347), définition quin'est pas sans évoquer celle de l'économie institutionnelle de Commons.38. Certes, "une structure peut être décrite statiquement, puisqu'elle se conserve malgré sa perpétuelle acti-vité, mais elle est en principe dynamique puisqu'elle constitue la forme plus ou moins stable de transforma-tions continuelles. Considérée en son activité une structure "organisée" comporte donc un fonctionnementqui est l'expression des transformations qui la caractérisent. On appelle alors en général "fonction" le rôle(c'est-à-dire le secteur d'activité ou de fonctionnement) que joue une sous-structure par rapport au fonc-tionnement de la structure totale, et, par extension, l'action du fonctionnement total sur celui des sous-structures" (Piaget, 1968, p. 5).

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lnstitutionnalismes et structuralismes

On retrouve cette conception des "modèles" dans la théorie de la régulation où ils pren-nent le nom de formes institutionnelles ou de régimes régissant les comportements des ac-teurs sociaux (ou en formalisant les régularités) et représentant divers modes de stabilisationdes structures sociales (ou formes structurelles). La façon dont ces modèles ou formes insti-tutionnelles de la régulation se déduisent de la structure indiquent que la place dévolue àl'institution est d'abord interne à cette structure. Les formes institutionnelles prises par lastructure et qui correspondent à des modes d'articulation différents mais tous viables de seséléments constitutifs, sont en effet ce qui lui permet d'une part d'exister concrètement en tantque structure auto-régulée (c'est-à-dire de se reproduire en tant qu'invariant structurel dansle cadre d'un processus permanent de structuration-déstructuration), d'autre part de s'inscriredans les comportements.

On trouve également dans l'économie institutionnelle de Commons une conception pro-che de la structure et de la place qui est dévolue aux institutions en tant que médiation entrestructures et pratiques. Pour cet auteur en effet, la "formule" de la transaction, c'est-à-dire lastructure intime de toute transaction (relation sociale saisie au niveau interindividuel) ausens des structuralistes, intègre en son sein un "principe de répétition avec variation". C'estun système de transformations de relations conflictuelles en relations de coopération quicomporte ses propres lois, ses règles opérantes (working rules) dans le langage de Com-mons, lesquelles en conciliant conflit et coopération grâce au jeu d'un médium spécifiqueporteur d'incitations (la monnaie dans la transaction de marchandage - bargaining -, le droitdans celle de répartition - rationing - et l'éthique dans celle de direction - managing -) sontproductrices d'ordre et viabilisent la transaction comme totalité élémentaire auto-réglée(Théret, 2001). L'institution qui, pour Commons, se confond avec ces règles opérantes,fruits de l'action collective, n'est ainsi autre que la "loi" de la structure exprimée dans diverslangages (monétaire, juridique, moral)39. La formule du "collectif dynamique organisé"(going concern) - fIrme, collectivité administrative, association -, structure intégrant au titrede sous-structures les trois types de transaction que Commons juge suffisant de distinguerpour décrire l'ensemble des activités économiques, est aussi une "répétition attendue detransactions interdépendantes" (Commons, 1934, p. 738). Les institutions sont ici les règlesopérantes - contraignant ou stimulant les comportements - qui organisent l'interdépendancede types de transactions hétérogènes, voire fondées sur des logiques d'action contradictoires.Elles sont à la fois internes à la structure du going concern et externes à celles de ses tran-sactions internes qui, elles-mêmes, sont réglées de l'intérieur par des institutions propres. Apartir de là, la "formule" de tout going concern peut être déclinée en fonction de son envi-ronnement structurel en divers modèles idéal-typiques40.

Mais l'institution n'est pas la seule médiation par laquelle structure et comportementse déterminent mutuellement

La conception de la structure comme système de transformations auto-régulées, si ellepermet de mettre en évidence l'espace du jeu médiateur des institutions sur les comporte-ments et les formes de l'inscription de ce jeu dans la structure, ne nous indique pas claire-ment, cependant, la manière dont les structures, via les institutions et d'autres médiationséventuelles, agissent sur les comportements. Cette question n'est pas pour autant désertéepar le structuralisme méthodique qui nous propose là encore des réponses. Le schéma 3 l'il-lustre en décrivant la manière dont Piaget conçoit la dialectique de "traduction" entre desstructures objectives qui sont à la fois fonctionnelles (en tant qu'elles font système) et signi-fiantes dans leur environnement, et des comportements qui sont à la fois structurés et struc-turants, car influencés par des prises de conscience des effets structuraux. Son principalintérêt est de montrer que le problème de la relation entre structures et comportements ne

39. Cette définition n'est donc finalement qu'une simple généralisation du concept traditionnel politico-juridique d'institution.40. Pour un exemple relatif à la firme capitaliste, cf. Théret (à paraître).

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Bruno Théret

saurait être résolu par le seul recours au concept de règle ou d'institution, mais impliqueégalement de prendre en compte les valeurs et les symboles, les intérêts et les idées.

Pour Piaget, tout d'abord, la structure en tant que totalité organisée se réverbère nonseulement dans les comportements, mais aussi, via l'expérience vécue, dans lesconsciences: la structuration s'accompagne d'une "prise de conscience d'un ensemble denormes intellectuelles" qui s'imposent sous la forme de "systèmes de règles". Comme cetteprise de conscience, qu'elle soit formalisée ou non, socialisée ou pas, modifie à son tour laconduite, elle implique bien que les systèmes de règles médiatisent la relation entrestructures et comportements, et on retrouve ici la conception néo- institutionnalistesociologique du comportement comme suivi de règles et conformation aux institutions.Toutefois, le jeu de la structure sur le comportement implique également dans la conceptionpiagétienne d'autres médiations.

En effet, pour Piaget, le fonctionnement de la structure se traduit également dans le com-portement des individus sous des formes propres du fait qu'un système dual de valeurs s'im-pose aux agents supports de la structure en relation avec le double caractère qualitatif etquantitatif de ce fonctionnement. D'une part, la qualité du fonctionnement de la structure estassociée à des valeurs de finalité qui suscitent l'intérêt (au sens de motivation ou d'investis-sement affectif) des agents pour son fonctionnement et qui mettent en jeu une rationalité desmoyens par rapport aux fms. D'autre part, l'efficacité de ce fonctionnement en termes quan-titatifs est associée à des valeurs de rendement qui sont la source d'un autre type d'intérêt dela part des agents, intérêt fondé cette fois sur un calcul des gains et des pertes d'ordre éner-gétique reposant sur la rationalité formelle de la maximisation du bien-être et de la minimi-sation de l'effort.

Piaget fait ainsi place, en le dissociant du registre des règles, à un registre des valeurs setraduisant dans le comportement sous la forme non plus d'injonctions de caractère logiquemais de désirs ou motivations. Le comportement n'est plus directement et entièrementcommandé par les institutions-règles et peut alors être stratégique puisqu'il est également liéà des valeurs qui suscitent un double (qualitatif et quantitatif) intérêt ou désintérêt desagents pour le fonctionnement de la structure. Certes, dans la mesure où elles sont attribuéesà des règles de fonctionnement, on peut considérer que les valeurs sont associées à des insti-tutions. Néanmoins ces dernières sont d'un autre type ou niveau que les règles opérant direc-tement sur la subjectivité des agents.

Enfin, dans la mesure où une structure tire sa signification sociale non pas d'elle-mêmemais de son insertion dans son environnement, Piaget considère un troisième registre par le-quel la structure joue sur le comportement de ses agents supports, à savoir celui relatif à l'en-semble des systèmes de signes et des systèmes symboliques de "puissance" supérieure quimédiatisent l'action des institutions (comme la monnaie, le droit, la comptabilité, "l'idéologiedominante"). Ces systèmes symboliques, en tant que médias et formes de la prise de cons-cience de la signification des structures, permettent à celles-ci, par delà leur éventuelle hété-rogénéité, de faire système en co-évoluant ou en s'insérant dans des structures plus globales.Ils permettent à toute structure de prendre sa place dans la totalité sociale sans nécessairementy jouer un rôle fonctionnel, une cohérence sociétale étant reconstruite dans l'ordre symboliquesans que nécessairement on puisse retrouver la trace dans le monde réel d'un ordre socialstructuralement fonctionnel. La relation entre structures et comportements passe ici par le re-gistre des idéologies, idées, représentations, évaluations, croyan,ces et visions du monde quiconforment les conduites en jouant sur le degré d'adhésion aux règles instituées et sur l'idéeque les individus se font de leurs intérêts. Ces systèmes symboliques, une fois constitués, sonteux-mêmes des structures discursives autorégulées et connaissent donc des règles de gram-maire qui en assurent la cohérence et produisent des valeurs de fonctionnement à partir des-

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lnstitutionnalismes et structuralismes

queUes des intérêts individuels et coUectifs deviennent actifs4I. Ils sont ainsi tout autant struc-turés que structurants et ce sont donc également des formes institutionnelles, mais d'un troi-sième type différent des deux précédents relatifs aux règles et aux valeurs42.

SCHÉMA 3 : Traduction du langage objectif de description des structures en ter-mes de conduites humaines via les comportements agis par les structures et les prises

de conscience des sujets (d'après Piaget, 1966)

ro emes generaux(communs aux sciences de

1'homme)

ecanlsmes communsd'objectivation

Point de vue théorique et abstraitConceptualisation et formalisation

en:

=>tructure : systeme ouvert qUI se

conserve au travers d'un flux continueld'échanges avec l'extérieur, mais quin'en comporte pas moins un cycle serefermant sur lui-même (en tant queses éléments s'entretiennent par inte-ractions) et constitue la forme plus oumoins stable de transformations conti-nuelles

onction: ro e que Joue une sous-structure par rapport au fonctionne-ment de la structure totale, fonction-nement qui est, quant à lui,l'expression des transformations quicaractérisent cette structure.

Distinction de deux sortes d'utilitésfonctionnelles:

- utilités primaires (qualitatives - as-pect relationnel) internes (production)ou externe (échanges)

onctIonnementéquilibrées ou

- utilités secondaires (quantitatives -aspect énergétique) relatives au coûtou au gain afférents aux utilités pri-maires

rises en compte e a su JectlvlteRéverbération des comportements des

sujets en leur conscience via leurs expé-riences vécues

=>ysteme e reg es : tra uctlon par pnse

de conscience d'un ensemble de normes in-tellectuelles liée à la structuration entraî-nant des impressions de «nécessité»logique (exemple: structures linguistiques=> règles de grammaire)

D'où une dualité fondamentale entre:

- valeurs de finalité (moyens et fins),valeurs liées à la désirabilité (intérêt ausens qualitatif général) et déterminées pardes règles (normatives) ou des régulations(repérées par des régularités) ;

- valeurs de rendement (coûts et gains),valeurs liées à l'économicité (intérêt ausens de réglage énergétique accroissant lerendement de l'effort) et relevant de princi-pes de rationalité formelle

Conclusion

ysteme e signes: me la e a pnse econscience (représentation par la pensée)des significations, du sens: langage, ma-thématique (systèmes "à la première puis-sance");

Systèmes symboliques de puissance su-périeure (mythes, monnaie, droit, discoursscientifiques et philosophiques, etc.)

Pour Piaget donc, les structures ne sont pas présentes dans la conscience des sujets maisdans leur comportement. Toutefois les comportements des sujets se réverbèrent en leur cons-cience via leur expérience vécue et une prise de conscience concernant 1lIes règles reflétantl'auto-reproduction des structures, 2/tes valeurs qui renvoient aux modalités précises de leurs

41. On en trouvera un exemple d'analyse en termes de système symbolique du discours néo-libéral dansThéret (1994).42. On trouvera une conceptualisation régulationniste de ces systèmes symboliques en termes de régimesdes idées dans Lordon (1999).

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Bruno Théret

fonctionnements et 3/les signes et symboles qui leur donnent leurs significations dans la so-ciété globale. Cette prise de conscience modifie en retour le comportement des supports de lastructure en les transformant d'a~ents structurés en acteurs structurants, participant au proces-sus de structuration et l'orientant 3.

Il Y a donc à l'œuvre dans le structuralisme génétique à la Piaget une triade règles/valeurs/symboles dont on retrouve également la trace sous la forme du tryptique institutions/intérêts/idées chez certains tenants de l'institutionnalisme historique cherchant à penser le changementsocial44. La structure agit sur les comportements par l'intermédiaire de ces trois médiations.L'institution-règle est certes au cœur, car elle est ce par quoi l'équilibration des relations socia-les s'opère, ce qui transforme un processus de structuration/déstructuration en structure. Onpeut donc dire qu'elle produit la structure. Mais cette production se traduit dans le comporte-ment et la conscience des agents impliqués bien au delà de l'imposition ou de l'adhésion ausystème des règles stabilisant la structure. A la structuration est également associé l'intéresse-ment des individus au fonctionnement de la structure ainsi que la construction de systèmessymboliques qui donnent leur signification à cet intéressement et aux règles instituées. Si, enpremière approximation, on admet que les institutions sont les règles du jeu que représentetoute structure en tant que système de relations sociales, les intérêts sont les motivations àjouer ce jeu et la représentation ou l'idée qu'on se fait du jeu en relation avec le jeu social glo-bal en est l'enjeu (la construction d'un jeu en tant que système symbolique consistant à se re-présenter la valeur de ce jeu local en lui fixant une place cohérente dans le jeu global).

La règle du jeu fait le jeu, produit le jeu, mais n'est pas le jeu; on ne saurait donc confon-dre l'institution avec le fonctionnement de la structure. Car le jeu, c'est encore les joueurs avecleurs motivations à le jouer et les stratégies qu'ils déploient en fonction de leurs intérêts défi-nis dans le cadre des règles et en fonction de la distribution de départ des atouts valorisés dansle jeu. Le jeu, c'est enfin son enjeu symbolique, ce qui est en jeu dans le fait de la particularitéde ce jeu et qui n'a de sens que dans sa relation à son environnement. Et les trois éléments detoute structuration sociale que sont les institutions (règles), les intérêts (valeurs), les idées(symboles) doivent également être conçus simultanément dans leur autonomie et dans leursinterdépendances. Car les motivations à jouer un jeu dépendent de ses règles spécifiques et del'importance de son enjeu social. Réciproquement l'enjeu d'un jeu local dans le jeu global dé-pend des intérêts que suscitent le jeu local. De même les règles périclitent lorsqu'elles mena-cent le jeu de désaffection ou de perte de sens.

L'introduction de cette triade médiatrice de l'inscription de la structure dans les comporte-ments de ses agents supports, condition de sa reproduction en tant que telle et dans son envi-ronnement, ne constitue pas seulement un enrichissement évident de l'outillage conceptuelnécessaire à la saisie et à la compréhension des faits économiques et sociaux. Elle montre éga-lement que les affinités électives relevées dans cet article entre les deux cadres épistémiquesdu structuralisme et de l'institutionnalisme correspondent à des relations d'englobement du se-cond par le premier. Le structuralisme, dès lors qu'il est méthodique et génétique, englobe,contient et dépasse l'institutionnalisme, le questionnement sur les règles du jeu social, leur ge-nèse et leur efficacité. Il l'insère dans une problématique plus riche, théoriquement plus forte,plus dynamique, dans laquelle ce n'est plus seulement l'institution qui confoITIlele comporte-ment, mais tout aussi bien la structuration des intérêts à partir de systèmes de valeurs et celledes idées dans des systèmes symboliques qui agissent tant sur le degré d'adhésion aux institu-tions que sur la manière dont les intérêts sont construits, évalués et formulés.

43. "(...) le travail des consciences ne peut plus être négligé dès lors qu'il contribue à produire de la réalitésociale" (Lordon, 1999, p. 203). On devrait s'interroger sur les concepts d'habitus (Bourdieu) et d'hypothè-ses habituelles (Commons) pour savoir si on doit les réduire analytiquement à des formes purement institu-tionnelles ou si ils visent plutôt à exprimer une structuration synthétique de la psyché intégrant règles,intérêts et idées.44. Cf. par exemple lobert et Muller (1987), Muller et Surel (1998), Fouilleux (1999).

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Institutionnalismes et structuralismes

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