EXPLORATION ET PLANIFICATION DANS LE PROBLEME DES ANNEAUX CHINOIS : LA DECOUVERTE DES REGLES A...

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1 Exploration et planification EXPLORATION ET PLANIFICATION DANS LE PROBLEME DES ANNEAUX CHINOIS : LA DECOUVERTE DES REGLES A PARTIR DES PROPRIETES Olga MEGALAKAKI 1 et Charles TIJUS 2 1 Laboratoire ECCHAT, Université de Picardie 2 Laboratoire Cognition & Usages Université Paris 8 – St Denis 1 Olga Megalakaki, Laboratoire ECCHAT, Université de Picardie, Faculté Philosophie, Sciences Humaines et Sociales, Chemin du Thil, F80025 Amiens Cedex 1, France. 2 Charles Tijus, Laboratoire Cognition & Usages, Université Paris 8, 2 rue de la Liberté, F93526 St Denis cedex 02.

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Exploration et planification

EXPLORATION ET PLANIFICATIONDANS LE PROBLEME DES ANNEAUX CHINOIS :

LA DECOUVERTE DES REGLES A PARTIR DES PROPRIETES

Olga MEGALAKAKI1 et Charles TIJUS2

1 Laboratoire ECCHAT,Université de Picardie

2 Laboratoire Cognition & UsagesUniversité Paris 8 – St Denis

1 Olga Megalakaki, Laboratoire ECCHAT, Université de Picardie, Faculté Philosophie, Sciences Humaines et Sociales,Chemin du Thil, F80025 Amiens Cedex 1, France.2 Charles Tijus, Laboratoire Cognition & Usages, Université Paris 8, 2 rue de la Liberté, F93526 St Denis cedex 02.

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SUMMARY: Exploration and planning with the Chinese rings puzzle, discovering object properties.

Solving the Chinese Rings Puzzle (ChRP, or baguenaudier) consists of removing tokens of their placeaccording to a recursive rule. Contrary to other puzzle problems, as the Tower of Hanoi, ChRPproblem space is linear and 21 states path leading from the initial to the final state: to reach thegoal, it is enough to never return behind. However, in practice, participants put until 300 moves toChRP. We show that the heuristic “ reduce the distance that separates the current state from the goalstate (hill climbing)” and states informativeness are some of the factors explaining ChRP difficulty.

Key words: problem solving, exploration, planning, rules discovery, Chinese Rings Puzzle.

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Les études désormais classiques sur la résolution de problèmes de type puzzle (Newell et Simon,

1972 ; Simon, 1979 ; Ruiz et Newell, 1989 ; VanLehn, 1991 ; Anderson, Kushmerick et Lebiere,

1993 ; O’Hara et Payne, 1999 ; Davies, 2000 ; Del Missier et Fum, 2002 ; Altmann et Trafton, 2002 ;

Guimberteau, 2003) accordent une grande importance aux problèmes sémantiquement pauvres tels

que la Tour de Hanoi (TOH), les cannibales et missionnaires (C&M), les crapauds et grenouilles

(C&G), les anneaux chinois (PAC), etc. Le matériel de ces problèmes est simple et les instructions,

sous forme de règles données aux participants, sont également simples à comprendre. Utiliser des

problèmes sémantiquement pauvres, a longtemps été considéré comme une des possibilités de mettre

en évidence les processus de planification et les heuristiques de recherche du plus court chemin dans

l’espace des états du problème, sans l’intervention de connaissances.

Pour les théories de la résolution de problème basées sur la planification, la difficulté de

résolution est considérée comme relevant de la stratégie de recherche (Newell et Simon, 1972), elle-

même sous la dépendance de la capacité de la mémoire à court terme (Kotovsky, Hayes et Simon,

1985 ; Kotovsky et Fallside, 1989). Ainsi la plus ou moins grande difficulté à planifier de manière

rétroactive les coups à jouer, la plus ou moins grande difficulté à évaluer un coup selon le nombre de

comparaisons à faire, ou encore la quantité d’informations à mémoriser et le nombre d’opérations à

faire, sont autant de facteurs qui détermineraient la difficulté du problème.

Cette première approche classique de la résolution de problèmes, basée sur l’idée d’une

parfaite compréhension des instructions et sur la notion de charge mentale, a eu un indéniable succès,

mais elle se heurte à deux faits expérimentaux troublants.

Le premier fait expérimental concerne la difficulté qu’éprouvent les participants pour la

résolution du Problème des Anneaux Chinois (PAC). Le matériel de ce problème comporte cinq pions

qui doivent tous être ôtés selon une règle récursive donnée. L’espace problème est linéaire et

comporte 21 états différents. Selon la théorie de la planification, PAC devrait être le plus facile des

problèmes à résoudre puisque l’espace problème est linéaire et réduit à un seul chemin, le chemin de

la solution. Ainsi, un participant qui éviterait de défaire un coup joué (une des heuristiques majeures

des théories de la planification), mettrait 21 ou 41 coups pour résoudre ce problème, selon le premier

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coup joué (voir l’espace problème donné dans le tableau 1). Pourtant, PAC se trouve être parmi les

problèmes les plus difficiles, car il nécessite parfois plus de 500 coups (Kotovsky et Simon, 1990).

Alors, comment expliquer la grande difficulté de PAC qu’on trouve, par exemple, auprès de

participants qui résolvent le problème en mettant jusqu’à 850 coups ?

Le second fait expérimental concerne les problèmes isomorphes qui ont le même espace

problème mais un habillage sémantique différent. Ces problèmes isomorphes, qui devraient être

d’égale difficulté, présentent de fait de grandes différences dans le nombre de coups mis par les sujets

pour les résoudre. C'est le cas avec le problème des Cannibales et Missionnaires (C&M) lorsqu'on les

remplace simplement par des jetons blancs et noirs, ou encore par des gendarmes et des voleurs. Ce

phénomène se retrouve avec des isomorphes de la Tour de Hanoi (TOH) qui consistent, par exemple,

à remplir trois récipients avec de l'eau en mettant l'accent, soit sur le contenu (variable continue), soit

sur le niveau (variable discrète). Bien que 7 suffisent, les plus difficiles des problèmes TOH sont

résolus avec plus de 60 coups et les plus simples en moins de 12 coups (Kotovsky, Hayes et Simon,

1985; Richard, Clément et Tijus, 2002). Pour étudier la difficulté de PAC, Kotovsky et Simon (1990)

ont comparé la résolution de deux versions isomorphes. Dans la première version, il faut dégager cinq

anneaux, alors que la deuxième est une version graphique où les cinq anneaux sont remplacés par cinq

pions disposés sur une suite de cinq cases alignées avec un pion par case. Aucun sujet n’arrive à

résoudre la première version dans un laps de temps inférieur à deux heures, alors que tous les sujets

résolvent l’isomorphe graphique en une demi-heure. Les approches en termes de charge cognitive

n'expliquent pas à elles seules ces différences de difficulté de résolution qu’on trouve pour tous les

types de problèmes isomorphes.

La différence de difficulté dans la résolution des problèmes isomorphes ne peut pas

s’expliquer par la complexité de l’espace problème, mais plutôt par la difficulté qu’il y a à

comprendre "comment réaliser un changement d’état”  sur le matériel. Il est à signaler que

l’information sur "comment réaliser un changement d’état" est précisément celle qui est donnée dans

la consigne du problème et qui se révèle être ce que les participants découvrent en résolvant le

problème (Reber et Kotovsky, 1997 ; Zanga, Richard et Tijus, 2004).

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Reber et Kotovsky, (1997) et Zanga, Richard et Tijus, (2004) ont ainsi mis en évidence deux

phases caractéristiques de la résolution de problèmes : une première phase exploratoire, souvent

longue, avec beaucoup de coups illégaux, - c’est-à-dire qui ne respectent pas les règles données dans

la consigne -, et une deuxième phase brève pratiquement sans erreurs où les participants vont

directement au but. Pour ces auteurs, cette première phase exploratoire permet l’apprentissage de

"comment réaliser un changement d’état". Cet apprentissage est implicite dans la mesure où les

participants ne peuvent généralement pas verbaliser ce qu’ils ont découvert. Pour expliquer la

difficulté de résolution et cet apprentissage implicite, Richard (1982) et Richard, Poitrenaud et Tijus

(1993) ont avancé que les participants se donnent souvent des contraintes supplémentaires, elles aussi

implicites, en considérant que certains mouvements ne sont pas autorisés bien qu’ils soient légaux.

Pour le problème M&C, - qui consiste à faire traverser une rivière à des cannibales et missionnaires -,

une contrainte implicite est par exemple celle de ne pas mettre d’abord les cannibales sur la rive

d’arrivée. L’apprentissage consiste alors à se découvrir que certains changements d’état qu’on

envisageait interdits ou peu profitables à la résolution sont en fait nécessaires. Ce sont ces contraintes

implicites, ajoutées aux contraintes explicites données dans les instructions, qui rendent le problème

difficile. Leur suppression, qui élargit l’espace de recherche, et favorise la résolution, est

accompagnée d’un changement d’interprétation de « comment réaliser un changement d’état » dans la

mesure où les actions qui étaient jugées illicites ne le sont plus. Cette compréhension va s'acquérir lors

de la phase d'exploration, principalement lors des situations d’impasse générées par des contraintes

implicites. Les participants qui se trouvent dans une situation d’impasse, ne sachant plus quoi faire,

font alors des actions qu’ils pensent illégales et découvrent qu’elles ne le sont pas. Ces nouvelles

possibilités d'action les conduisent à changer leur représentation sur la façon de jouer. Ainsi, même

sémantiquement pauvres, les problèmes de planification apparaissent aussi comme des problèmes de

découvertes de règles.

Les contraintes implicites relèvent souvent du but. Kotovsky et Simon (1990) et Jeffries,

Polson, Razran et Atwood (1977) signalent ainsi que les participants choisissent d’aller dans des états

qui sont perceptivement proches du but, alors qu'en termes d'espace problème, ils s’éloignent du but.

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Cette contrainte du but sur la prise de décision, et qui va à l’encontre du détour caractéristique de la

résolution de problème, est aussi utilisée par Richard, Poitrenaud et Tijus, (1993) comme une des

contraintes implicites à éliminer pour apprendre à résoudre le problème. Elle correspond, dans

l'analyse "fins et moyens", à choisir parmi les coups possibles, celui qui rapproche du but. Les

participants auraient ainsi tendance à vouloir résoudre le problème en réduisant la distance qui sépare

l'état actuel de l'état but. Pour PAC, par exemple, une contrainte implicite majeure apportée par

l’atteinte du but est de ne pas ajouter de pions puisque le but est de les retirer. Pour résoudre le

problème PAC, les participants doivent découvrir une règle contre-intuitive : il faut parfois remettre

des pions pour pouvoir en ôter. Deux actions, mettre et ôter, sont alors requises pour se rapprocher du

but, la première qui peut sembler régressive et l’autre progressive.

Les contraintes liées au but pourraient aussi relever de la présence dans l’environnement

d’activateurs de sous-buts déduits de l ‘analyse « fins et moyens », - une proposition théorique

défendue par Mannes et Kintsch (1991) et Altmann et Trafton, (2002) -. Ainsi si au début de la

résolution, le but « enlever les cinq pions » se traduit par « enlever chacun des pions », la présence

d’un pion active par un effet d’amorçage le sous-but associé et déclenche sa réalisation. D’un autre

côté, l’état courant peut aussi être plus ou moins indicateur de la règle qui doit être découverte. Par

exemple, la règle de PAC est la suivante : « on peut ôter ou mettre un pion, s’il y a un pion à sa droite

et rien au-delà ». Cette règle ne peut pas être mise en correspondance avec l’état initial du problème

(tableau 1) qui comprend les cinq pions (OOOOO) puisqu’on ne peut pas dans cet état « mettre un

pion », ni « ôter un pion » de telle sorte qu’il y ait « un pion à sa droite et rien au-delà (tous les

emplacements plus à droite doivent être libres) ». En revanche, cette règle peut être facilement mise

en correspondance avec l’état 16 du tableau 1 (OOXXX) pour ôter le pion le plus à gauche et avec

l’état 15 (XOXXX) du même tableau pour mettre le pion le plus à gauche (O signifiant « présence du

pion à cet emplacement », X signifiant « absence du pion à cet emplacement »)

Notre point de vue sur la résolution des problèmes, de type puzzle, est que leur difficulté ne

provient pas que de la planification des actions à entreprendre pour atteindre le but, mais d’abord de la

compréhension du fonctionnement du matériel du problème qui est énoncé dans les règles de la

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consigne. Ainsi, bien qu’étant sémantiquement pauvres, ces problèmes sont difficiles à résoudre parce

que les règles énoncées dans les instructions ne sont pas comprises par les participants. Les règles

pourraient toutefois être découvertes par exploration en testant ce qu’il est possible de faire et de ne

pas faire, mais la focalisation sur le but diminue la possibilité de découvrir par l’action le

fonctionnement du matériel exprimé verbalement dans les règles de la consigne.

Pourquoi des règles supposées être simples sont-elles difficiles à comprendre ? Notre

hypothèse est qu’il s’agit de règles générales valables pour tous les états du problème si bien que leur

mise en correspondance avec l’état courant est plus ou moins évidente. Parmi les états du problème,

certains apparaissent comme des meilleurs exemples en ce qu’ils permettent d’instancier les règles.

Dans cette étude, nous rapportons les résultats de l'expérience que nous avons menée en

utilisant le problème PAC pour observer la facilitation apportée lorsqu’on amoindrit la focalisation sur

le but et la facilitation apportée par l’adéquation entre l’état visité et les règles du problème.

EXPERIENCE

Pour étudier l'exploration et la planification en résolution de problème et montrer le rôle de la

compréhension des actions nécessaires pour réaliser un changement d’état, nous avons utilisé une

version informatisée du PAC (tableau I).

< INSERER TABLEAU I >

Résoudre PAC consiste à ôter tous les pions de leur emplacement selon une règle récursive qui

stipule qu’on peut ôter ou mettre un pion, s’il y a un pion à sa droite et rien au-delà. Pour réaliser un

changement d’état, en respectant la règle, il faut parfois mettre des pions pour créer les conditions

nécessaires afin de pouvoir en enlever par la suite. Selon cette règle, le pion P1 constitue une

exception dans la mesure où il peut être ôté et mis sans aucune condition, puisque la condition d’avoir

un pion à sa droite ne peut être satisfaite. Le pion P2 ne peut être ôté ou mis que si le P1 est présent.

Les autres pions P3, P4 et P5 ne peuvent être ôtés, ou mis, que s’il y a un seul autre pion juste à leur

droite, les autres pions plus à droite étant absents. Le problème est résolu quand tous les

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emplacements sont vides. Dans PAC, à chaque état, il n’y a que deux coups possibles, sauf à l’état 31

(OXXXX ) et l’état final 0 (XXXXX) où un seul coup est possible (voir l’espace problème, tableau I).

Partant de l’état initial 21 (OOOOO), il y a 21 coups pour atteindre l’état final en prenant la bonne

direction et en ne revenant pas en arrière. En prenant la mauvaise direction, le nombre minimal de

coups s'accroît de 20 coups : 10 coups pour aller de l’état 21 à l’état 31, et 10 coups pour revenir à

l’état 21.

Nous avons programmé deux versions du problème PAC (une première version nommée un-

pion pour laquelle l’état initial est l’état 31 et une version nommée cinq-pion pour laquelle l’état

initial est l’état 31, tableau 1). Pour les deux versions, le problème est résolu lorsque tous les cinq

emplacements sont vides. L’expérience a été menée pour

(i) étudier la contrainte du but. Notre hypothèse est que la focalisation sur le but diminue la

performance parce que les participants essayent d’enlever des pions, avec une grande

réticence à en mettre pour en enlever. Si c’est le cas, alors les participants feront plus

d’erreurs lorsque le coup qui fait avancer vers le but est de mettre un pion que lorsqu’il

s’agit d’ôter un pion,

(ii) mettre à l'épreuve l'hypothèse que la contrainte du but est plus faible chez les participants

qui commencent la résolution du problème à l’état antérieur 31, parce qu’en allant de l’état

31 à l’état 21, ils devraient découvrir l’intérêt de mettre des pions pour en enlever. Notre

prédiction relative aux performances est que les participants qui débutent à l’état 31, alors

qu’ils ont un chemin plus long à parcourir, ne feront pas plus de coups pour résoudre le

problème que les participants qui débutent à l’état 21.

(iii) mettre en évidence le rôle du premier sous-but (état 16), ceci en menant une analyse fine

de la hiérarchie des sous-buts. Résoudre PAC consiste en effet à ôter le pion P5 (sous-but

1 ou Sb1), puis le pion P4 (Sb2), puis le pion P3 (Sb3), puis le pion P2 (Sb4), et enfin le

pion P1 (Sb5) selon la structure de sous-buts ci-dessous qui découle de la règle. Dans cette

structure, sont détaillés les coups préliminaires nécessaires pour réaliser chacun de ces

sous-buts, ainsi que les états correspondants.

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1. [Etat 16: OOXXX] Enlever P5 (Sb1)1.1. [Etat 20: OOOOX] Enlever P3

1.1.1. [Etat 21: OOOOO] Enlever P1 1.2. [Etat 18: OOXOO] Enlever P2

1.2.1. [Etat 19: OOXOX] Mettre P1 1.3. [Etat 17: OOXXO] Enlever P1

2. [Etat 8: XOOXX] Enlever P4 (Sb2) 2.1. [Etat 12: XOXOX] Mettre P3

2.1.1. [Etat 14: XOXXO] Mettre P2 2.1.1.1. [Etat 15: XOXXX] Mettre P1

2.1.2. [Etat 13: XOXOO] Enlever P12.2. [Etat 10: XOOOO] Enlever P2

2.2.1. [Etat 11: XOOOX] Mettre P1 2.3. [Etat 9: XOOXO] Enlever P1

3. [Etat 4: XXOOX] Enlever P3 (Sb3) 3.1. [Etat 6: XXOXO] Mettre P2

3.1.1. [Etat 7: XXOXX] Mettre P1 3.2. [Etat 5: XXOOO] Enlever P1

4. [Etat 2: XXXOO] Enlever P2 (Sb4) 4.1. [Etat 3: XXXOX] Mettre P1

5. [Etat 1: XXXXO] Enlever P1 (Sb5)

A partir de cette structure de buts, on se rend compte que l’état 16 (OOXXX), - qui permet la

réalisation du premier sous-but « enlever P5 », est le premier état rencontré qui est informatif pour la

compréhension de la règle « on peut ôter ou mettre un pion, s’il y a un pion à sa droite et rien au-

delà ». Ce n’est pas le cas avec les états qui précèdent. En effet, les états 21 (OOOOO), 20 (OOOOX),

19 (OOXOX), 18 (OOXOO) et 17 (OOXXO) ne permettent pas de comprendre ce que signifie « et

rien au-delà »parce qu’ils n’ont pas au moins deux emplacements vides à droite. Arriver à l’état 16 est

ainsi un point décisif dans le processus de la résolution. Si c’est ainsi, nous faisons l’hypothèse que la

principale difficulté du problème se situe lors de la réalisation de ce premier sous-but et que l’atteinte

de l’état correspondant, Etat 16, est suffisamment informatif pour que la consigne soit comprise et le

problème rapidement résolu.

Pour mener cette étude, nous comparons la performance de deux groupes de participants, un

groupe avec apprentissage, qui commence la résolution à l’état 31, et l’autre sans apprentissage qui

commence la résolution à l’état 21. En dupliquant de la sorte l’expérience de Kotovsky et Simon,

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(1990), nous analysons les données pour les deux groupes à partir de l'état 21 jusqu’à l’état final. La

principale différence entre notre travail et celui de Kotovsky et Simon est que nous analysons aussi

bien les mouvements légaux qui permettent de s’approcher au but ou de s’éloigner du but, que les

mouvements illégaux qui, par définition, n’aboutissent pas à un changement d’état.

METHODE

Participants

Quarante étudiants en deuxième année de psychologie de l'université d'Amiens, répartis en

deux groupes, ont participé à l’expérience. Le premier groupe, nommé un-Pion, a débuté avec un seul

pion (état 31) et le deuxième groupe, nommé cinq-Pions, a débuté avec cinq pions (état 21).

Matériel

Le matériel utilisé est une version informatisée du problème des Anneaux Chinois, dans un

environnement Macintosh (Frida II; Poitrenaud, 1991). Le logiciel de passation comprend à la fois

une interface interactive et des outils automatisés de création d'un fichier de recueil des données

répertoriées par action : le numéro de chaque action, le temps de réponse en 60ème de secondes, le

numéro du pion joué, le nouvel état obtenu lorsque l'action est légale, sinon l'indication que l'action

est illégale.

Procédure

Selon la condition expérimentale, sur l’écran de l’ordinateur apparaissent, soit cinq cases avec

un pion placé au 5ème emplacement et les quatre autres cases sont vides (condition un-Pion), soit cinq

cases remplies chacune par un pion (condition cinq-Pions). Les participants sont informés que le but

est d’ôter tous les pions de leur emplacement, mais qu’il n’est possible d’ôter ou de mettre un pion

que s’il y a un seul pion à sa droite et rien au-delà.

Pour mesurer les performances, nous avons considéré les coups illégaux, qui ne respectent pas

la consigne, ainsi que les coups légaux progressifs qui rapprochent du but (par exemple, aller de l'état

27 à l'état 26) et les coups légaux régressifs qui éloignent du but (par exemple, aller de l'état 27 à l'état

28). Lorsqu’un coup est légal progressif ou régressif, la transformation d’état est réalisée par le

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programme: les pions disparaissent ou apparaissent lorsque les participants cliquent avec la souris sur

l’un des cinq emplacements et que les conditions requises par la consigne sont remplies. Dans le cas

d’un coup illégal, lorsque les conditions requises par la consigne ne sont pas satisfaites,

l’emplacement joué se met en inverse vidéo pendant 1 seconde pour indiquer la prise en compte de

l’action et l'état reste inchangé.

RESULTATS

Pour résoudre le problème, le groupe un-Pion (de l’état 31 à l’état 0) a réalisé en moyenne 231 coups

(écart-type = 177.7) tandis que le groupe cinq-Pions (de l’état 21 à l’état 0) a réalisé en moyenne 297

coups (écart-type = 180.2). Cette différence n’est pas significative ; F (1, 38) = 1.34, ns. Rapporté au

nombre d’états à parcourir, le groupe un-Pion met en moyenne 7.5 coups (écart-type = 5.7) pour un

état à parcourir et le groupe cinq-Pions 14 coups (écart-type = 8.6). Cette différence est significative ;

F (1, 38) = 8.37, p = .006.

Pour les analyses qui suivent, les performances des deux groupes sont comparées de l’état 21 à

l’état 0, qui constitue la partie commune de la résolution pour les deux groupes. Pour le groupe cinq-

Pions, il s’agit de la totalité des données. Pour le groupe un-Pion, il s’agit de la partie finale du

protocole qui débute lorsque l’état 21 est atteint. Nous avons comptabilisé séparément le nombre de

coups pour réaliser successivement chacun des cinq buts d’ôter les pions 5, 4, 3, 2 et 1. Si un

participant réalise plusieurs fois un même sous-but, seule la première réalisation est comptabilisée.

Pour les cinq sous-buts, le groupe un-Pion a mis 149.7 coups (écart-type = 102.7) tandis que le groupe

cinq-Pions a réalisé en moyenne 235 coups (écart-type = 123). Cette différence est significative ; F (1,

38) = 5.69, p = .02.

Décomposition du problème en sous-buts

Le tableau II donne le nombre minimum de coups pour atteindre chacun de ces cinq sous-buts

et le nombre de coups mis par les participants des deux groupes.

<INSERER TABLEAU II>

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Un premier constat est que la difficulté de résolution, pour les groupes cinq-Pions et un-Pion,

ne concerne ni le sous-but Sb3 (respectivement, 6.8 et 8.1 coups au lieu de 4), ni le sous-but Sb4 (2.5

et 2.3 coups au lieu de 2), ni le sous-but Sb5 (1 coup). La difficulté provient de la réalisation du Sb2

(56 et 65 coups au lieu de 8 pour le groupe cinq-Pions et un-Pion) et surtout du Sb1 (169 et 73 coups

au lieu de 6). Cette constatation reste également valable pour les deux groupes réunis, puisque les

participants mettent globalement 121 coups pour réaliser le Sb1 (écart-type =112.2) et 61 coups pour

réaliser le Sb2 (écart-type = 59.7). Pourtant, au regard de l'espace problème, le Sb2, qui requiert 8

transformations d'état contre 6 pour le Sb1, devrait être le plus difficile à réaliser. C'est le contraire qui

est constaté et la différence est significative ; F(1, 38) = 9.42, p = .004.

Il y a également un effet d’interaction entre "groupes" (un-Pion, cinq-Pions) et "sous-buts"

(Sb1 et Sb2 ); F(1,38) = 7.29, p = .01. Alors que le groupe un-Pion ne met pas significativement plus

de coups pour arriver à Sb1 (73 coups) que pour arriver à Sb2 (65 coups) (F(1,19) = .40, ns), le

groupe cinq-Pions met respectivement 169 contre 56 coups, ; F(1,19) = 9.08, p = .007. Ainsi, le

groupe cinq-Pions met 7 fois plus de coups que le nombre minimal pour atteindre le Sb2 et 28 fois

plus de coups que le nombre minimal pour atteindre le Sb1. Le groupe un-Pion ne met que 12 fois

plus de coups que le nombre minimal requis pour atteindre Sb1.

La difficulté du problème réside dans la résolution du Sb1

Le nombre de coups pour le passage d’un sous-but à l’autre, - qui montre la capacité des

participants à décomposer le problème - , présente des différences de difficulté significatives selon le

groupe (fig. 1). Cette différence réside principalement dans la résolution du Sb1 : le nombre moyen de

coups est respectivement de 72.7 (écart-type = 55.2) et de 169 (écart-type = 133.9) pour le groupe un-

Pion et cinq-Pions, F (1, 38) = 8.85, p = .005.

< INSERER FIGURE 1 >

Cette différence de difficulté pour résoudre le Sb1 provient à son tour de la difficulté qu’il y a

à résoudre les sous-sous-buts préalables à sa propre réalisation (Sb1.1 : ôter P3, état 19 ; Sb1.2 : ôter

P2, état 17 ; Sb1.3 : ôter P1, état 16. Voir tableau III). La différence de résolution des sous-sous-buts

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pour les deux groupes confondus (M Sb1.1 = 50.6 ; M Sb 1.2 = 57.7 ; MSb 1.3 = 9.5) est significative :

F(2,38) = 6.33, p = .003. Le tableau III montre que Sb1.1 et Sb1.2 sont les plus difficiles à réaliser (51

coups et 58 coups respectivement pour les deux groupes confondus au lieu des 2 coups théoriques).

Le groupe un-Pion réussit ainsi mieux que le groupe cinq-Pions les Sb1.1 et Sb1.2, puisque le groupe

un-Pion fait 54 coups de moins pour le Sb1.1 et 48 coups de moins pour le Sb1.2 par rapport au

groupe cinq-Pions ; F(1,38) = 10.4, p = .002. L’interaction entre groupes et sous-buts n’est pas

significative ; F(2,38) = 2.42, ns.

<INSERER TABLEAU III>

La principale difficulté est celle de mettre des pions

La proportion d'erreurs commises sur les actions "mettre" et "ôter" sert à évaluer la prise en

compte par les participants de l'heuristique "ne pas s'éloigner du but" qui consiste à éviter de mettre

des pions. Cette proportion montre que pour passer d’un état à un autre, les participants des deux

groupes confondus ont plus de difficulté lorsqu’il faut mettre un pion que lorsqu’il s’agit d’enlever un

pion. A titre d’exemple, pour les deux groupes confondus, la différence de résolution entre enlever P1

(en moyenne 7,3 coups) et mettre P1 (en moyenne 38,3 coups) est significative ; F (1, 38) =11.5, p =

.002.

Globalement, qu'il s'agisse d'ôter ou mettre un pion pour passer d’un état à l’autre, le groupe

un-Pion met significativement moins de coups que le groupe cinq-Pions, respectivement 10.4 et 17.5

coups en moyenne, F (1, 38) = 6.66, p =.01.

Lorsqu’il s’agit d’enlever un pion, le groupe un-Pion met moins de coups que le groupe cinq-

Pions, respectivement 11 et 16 coups en moyenne, différence qui se relève non significative (fig. 2) ;

F(1, 38) = 1.6, ns. En revanche, lorsqu'il s’agit de mettre un pion, le groupe un-Pion met

significativement moins de coups que le groupe cinq-Pions, respectivement 10 et 19 coups en

moyenne, F (1, 38) = 3.67, p = .06 (fig. 2).

<INSERER FIGURE 2>

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La compréhension du problème

Pour évaluer la compréhension du problème, nous avons pris en compte le nombre de coups

légaux progressifs et le nombre de coups légaux régressifs.

L’analyse montre que le groupe un-Pion a fait proportionnellement plus de coups légaux

progressifs que le groupe cinq-Pions (moyenne un-Pion :.33 % (.1), cinq-Pions :.30% (.09)) et moins

de coups légaux régressifs que le groupe cinq-Pions (moyenne un-Pion : 15.6 % (.05), cinq-Pions :

19.4 % (.09)). Cette différence est significative, F (1, 26) = 4.82, p =.03.

Une analyse supplémentaire a été réalisée pour le groupe un-Pion en considérant l'espace des

états pour aller de l’état 31 (OXXXX), où seul le pion P5 est présent, jusqu'à l’état 21 (OOOOO) où

les cinq pions sont présents. Pour cette partie des protocoles, le nombre de coups varie de 39 à 220.

Cette partie de la résolution informe sur l’apprentissage du groupe un-Pion qui y découvre les

propriétés des états qui conditionnent l'action. Bien que pour cette partie de la résolution (aller de

l’état 31 à l’état 21), il faille "mettre" six fois et "enlever" seulement trois fois, on observe que les

participants mettent plus de coups pour réaliser les états où il faut "mettre" que pour les états où il faut

"enlever"; ce qui correspond ici encore à l’heuristique de "ne pas s'éloigner du but".

Enfin, nous avons comptabilisé le nombre de coups joués dans chaque état pour chacun des

deux groupes (fig. 3). La distribution du nombre de coups montre que, après la réalisation du Sb1 à

l’état 16, le nombre de coups diminue jusqu’à l’état final, prouvant ainsi qu’aucun des états compris

entre 16 et 0 ne constitue une situation d’impasse. Ceci provient selon nous de l’informativité de

l’état 16 qui est un état crucial dans l’espace problème en ce qu’il figure toutes les conditions de la

règle sans ambiguïté.

<INSERER FIGURE 3>

DISCUSSION ET CONCLUSION

Résoudre un problème consiste à atteindre un but mais d’abord, lorsqu'elles ne sont pas acquises, à

découvrir par exploration ses règles et ses contraintes. Exploration et planification bien que

complémentaires, peuvent difficilement être conduites simultanément dans la mesure où la

15

planification de l'atteinte du but peut bloquer le processus de découverte des règles. Et ceci parce que

se donner un but induit la planification d'actions qui visent à s'approcher à l'état final et de ne pas s'en

éloigner. De tels détours caractérisent la plupart de problèmes de type puzzle dont les règles

conduisent à des résolutions récursives qui nécessitent de s’écarter du but pour l’atteindre. Par

exemple, pour résoudre le problème des missionnaires et des cannibales, il faut d’abord mettre les

cannibales sur la rive où les missionnaires devront ensuite les rejoindre avec le risque de se faire

manger. Avec la tour d’Hanoi, également, afin de libérer un grand disque, il faut mettre le plus petit

disque à l’emplacement où il faudra mettre ce grand disque.

La nature récursive du problème, en obligeant à ajouter des pions pour en retirer, et en cela

conduisant à ce qu’on s'éloigne apparemment du but, fait de PAC un problème difficile. Il s’agit

toutefois d’un problème très difficile. Parmi les problèmes de type puzzle à résolution récursive, PAC

est l’un des plus difficiles: nos participants font jusqu'à 300 à 400 coups avant d'arriver à l'état final,

alors que 21 coups suffisent (ou 41 selon la condition expérimentale de départ). A cet égard, les

données que nous avons rapportées dans cette étude correspondent à celles qu'on trouve dans la

littérature (Kotovsky et Simon, 1990 ; Reber et Kotovsky, 1997 ; Zanga, 2001 ; Zanga, Richard et

Tijus, 2004) . Cette grande difficulté fournit aussi un grand nombre de données pour étudier

l’apprentissage de la résolution.

L’analyse des comportements de résolution montre que, globalement, nous pouvons

décomposer la résolution du problème PAC en deux phases distinctes. La première phase correspond

au chemin parcouru pour arriver à l’état 16 qui correspond à la réalisation du premier sous-but.

Pendant cette phase, les participants ont un comportement apparemment erratique au bout duquel ils

semblent finalement avoir compris « comment réaliser un changement d’état ». La deuxième phase

correspond au chemin parcouru à partir de l’état 16 jusqu'à l’état final et se caractérise par une

résolution rapide, avec peu de retours en arrière, qui mène les sujets directement au but. Sur ce point,

nous partageons les conclusions de Kotovsky et Simon (1990) et de Zanga, Richard et Tijus (2004)

selon lesquelles la première phase n’est pas une phase de planification (sinon il serait impossible

d’expliquer le grand nombre de coups pour arriver au premier sous-but et la résolution rapide). Elle

16

correspondrait plutôt à une phase d’exploration, les tentatives d’action échouant ou réussissant sans en

connaître les motifs. Cette phase aboutit à la compréhension des règles qui justifient les actions

nécessaires pour réaliser un changement d’état. Dans la deuxième phase, nous observons alors un

comportement de planification.

Le comportement erratique observé lors de la première phase d’exploration est manifestement

guidé par des contraintes additionnelles que se donnent les participants en considérant comme

interdites, ou sans intérêt, des actions qui sont légales et profitables.Se donner de telles contraintes

supplémentaires est un comportement qui a été observé par Richard (1982) et Richard, Poitrenaud et

Tijus (1993) pour le problème TDH. Ces contraintes implicites génèrent très souvent des situations

jugées par les participants comme étant des situations d’impasses. Ces situations sont toutefois utiles

pour la découverte de règles. Arriver à une situation d’impasse implicite signifie penser ne plus avoir

la possibilité de changer d’état. Ne sachant quoi faire, les participants réalisent alors des actions qu’ils

jugeaient jusque-là interdites, ou sans intérêt, et découvrent ainsi ce qu’il est possible de faire.

Une contrainte additionnelle est celle d’éviter de mettre des pions: la proportion d'erreurs

commises sur les actions "mettre" et "ôter" montre que les participants qui résolvent le PAC sont plus

réticents à mettre qu’à ôter. Ce que nous interprétons comme relevant de l'application de l'heuristique

"ne pas s'éloigner du but" qui est opérationnalisée par les participants en évitant de mettre des pions.

Les participants ont aussi tendance à vouloir ôter des pions pour obtenir des états perceptiblement plus

proches du but . Ce résultat, trouvé aussi par Zanga, Richard et Tijus (2004), montre que les

participants tentent d’abord de réduire l’écart au but et négligent ainsi l’exploration qui favorise la

compréhension des règles du problème. Dans une situation expérimentale où les sujets doivent prédire

le coup joué par l’ordinateur, la performance des sujets s’améliore, alors qu’elle s’amoindrit dans une

situation où ce sont les participants qui réalisent eux-mêmes les actions. Dans cette dernière situation,

les participants tentent de réduire l’écart apparent au but en enlevant des pions. Lorsque l’ordinateur

joue, les participants prédisent moins ce type de coups, en notant que l’ordinateur met souvent des

pions.

17

Une autre source de difficulté de la résolution du PAC est liée à la fonction de la contrainte du

but selon la situation expérimentale. Notre hypothèse était que la contrainte du but serait plus faible

chez les participants qui commencent la résolution du problème à l’état 31, parce qu’en allant de l’état

31 à l’état 21, ils découvrent l’intérêt de placer des pions pour en enlever. Comme Kotovsky et

Simon, (1990), nous avons trouvé une meilleure réussite pour le groupe un-Pion débutant à l'état 31

que pour le groupe cinq-Pions débutant à l’état 21. Les participants du groupe un-Pion, partant de

l’état 31, ne peuvent que mettre des pions et cela facilite la découverte et la compréhension de la

consigne. Le groupe un-Pion, étant de la sorte obligé à ne pas tenir compte de l'heuristique "ne pas

s'éloigner du but", et bien qu’ayant un chemin 50% plus long à parcourir pour atteindre l’état-but que

le groupe cinq-Pions, il ne fait pas 50% de coups de plus que le groupe cinq-Pions. Bien au contraire,

le nombre de coups réalisés globalement par le groupe un-Pion est légèrement inférieur au nombre de

coups réalisés par le groupe cinq-Pions (231 et 263 coups, respectivement).

Voyons comment de telles performances sont obtenues. Les participants du groupe un-Pion

ont eu beaucoup de difficulté à ajouter P1 à l'état OXOOX (rappelons que « O » correspond à la

présence du pion et « X » à son absence ). Partant de OXXXX, un comportement typique est d'essayer

d'ôter P5, le seul pion présent, puis de cliquer à l'emplacement de P4, de P3, de P2 et enfin de P1 qui

apparaît. Certains participants l'enlèvent et essayent à nouveau d'ôter P5. Mettre P1 étant la seule

action possible, ils se retrouvent dans l'état OXXOO où ils ont mis P2. Certains enlèvent P2, puis P1

puis essayent d'ôter P5 et recommencent, tandis que d'autres enlèvent seulement P1. Ceux-là sont

alors dans l'état OXXOX. Ils essayent d'ôter P2 et P5, cliquent sur P4 et P3 et mettent ainsi P3 et se

retrouvent dans l'état OXOOX. Dans cet état, ils évitent de remettre P1 parce que, pensons-nous, c'est

un pion qu'ils ont mis (s'éloignant apparemment du but) et qui a causé l'apparition de P2 (s'éloignant

encore plus du but), puis a causé celle de P3. Ajouter P1 ferait avoir 4 pions présents, alors qu'il faut

tous les ôter. De l'état 31 à l’état 21, l’état OXOOO est l'état qui apparaît le plus distant du but qui est

d’avoir ôté tous les pions. C’est aussi l’état le plus difficile à franchir. Ce faisant, c'est un état obligé

pour les participants du groupe un-Pion qui apprennent ainsi que mettre des pions permet d'en enlever.

18

Nous avons vu que la configuration d’un état, son apparence, est une source de difficulté. Une

dernière raison de la grande difficulté de résolution de PAC est la réalisation hiérarchique des sous-

buts. Nos analyses montrent que PAC est difficile à résoudre parce qu'il faut le décomposer en cinq

sous-buts hiérarchiques qui ne sont pas équivalents du point de vue de leur importance dans le

processus de résolution de ce problème. Pour résoudre PAC, il faut ôter chaque pion. Lorsque le pion

est le seul à être présent, le chemin le plus long est celui qui doit être parcouru pour ôter le pion P5, le

plus à gauche (OXXXX). Il faut, entre autres, pour cela repasser par l’état OOOOO, avec l’impression

d’être à nouveau à l’état initial, alors qu’on a progressé.

D’un autre côté, c’est aussi la configuration de certains états qui facilite l’apprentissage. Plus

précisément, l’état 16 (OOXXX) où le premier sous-but (ôter le pion P5) peut être réalisé, représente

un point clé dans le processus de la résolution pour PAC. Le plus souvent, c’est à cet état précis que

débute la seconde phase de résolution caractérisée par un cheminement rapide et quasiment optimal

vers le but. Ceci parce que la disposition des pions placés à l’état 16 est la première configuration qui

permette d’instancier et de comprendre la règle : "vous pouvez ôter ou mettre un pion" (P5), "s’il y a

un pion à sa droite" (P4), "et rien au-delà" (aucun pion aux positions 3, 2 et 1). C’est à partir de ce

moment-là que la majorité des sujets semblent découvrir la règle et passent à la deuxième phase de

résolution en ayant une planification adéquate.

On notera que ce résultat conforte l’idée d’action située défendue par Norman, (1993) dans la

mesure où c’est un état du dispositif externe, - un état « smart » -, qui semble favoriser la

compréhension du fonctionnement en fournissant une représentation externe adéquate de la consigne.

Il apparaît ainsi que la configuration des états, leur apparence, jouent un rôle dans la difficulté

du problème. Nous pensons que ce résultat est généralisable, tout d’abord aux effets de l’habillage

qu’on trouve lorsqu’on donne à résoudre des problèmes isomorphes : on observe de grandes

différences de difficulté Certains habillages sont probablement, plus que d’autres, des supports

externes à la compréhension des règles du problème lorsque le contenu des énoncés verbaux peut être

mis en correspondance avec ce qu’on perçoit du matériel. Pour le problème de la tour de Hanoi,

l’énoncé « ne pas mettre un disque sur un plus petit » dans une version où les disques ont des tailles

19

fixes et des emplacements variables, trouve une meilleure correspondance dans les propriétés visibles

du matériel que l’énoncé « ne pas donner à un disque la taille d’un disque plus à gauche » dans une

version où les disques ont des emplacements fixes et des tailles variables. Dans le premier cas, on

perçoit l’emplacement attribuable au disque alors que dans le second cas, on ne perçoit pas la taille

attribuable au disque.

Ce résultat de recherche est probablement généralisable à la résolution de problèmes

sémantiquement riches. Réservés à l’étude de la planification, les problèmes sémantiquement pauvres

ont parfois été jugés peu utiles pour l’étude des problèmes sémantiquement riches, à cause justement

de la nature sémantique de leurs différences. Dans la mesure où nous montrons que la résolution des

problèmes sémantiquement pauvres nécessite préalablement la découverte des relations de nature

sémantique entre les objets du problème, et qui sont exprimées dans les règles, nous avons alors un

terrain propice à l’étude des caractéristiques sémantiques de la résolution de problème.

En conclusion, notre approche est dans la lignée de celle qui a été défendue par Kotovsky et

Fallside (1989), dans une évolution dans l’explication des différences de la difficulté en résolution de

problème, depuis une explication en termes de charge mentale, vers une explication plutôt sémantique

de la construction de la représentation des prérequis au changement d’état. Ces prérequis sont les

propriétés des objets qui caractérisent les états à partir desquels on peut réaliser l’action. Autrement

dit, comprendre l’action, c’est comprendre d’abord les propriétés d'objets pertinentes pour l'action.

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RESUME

Contrairement aux autres problèmes récursifs de type puzzle, comme la Tour d'Hanoi, l’espace derecherche du problème des Anneaux Chinois (PAC ou baguenaudier) est linéaire : il n'y a qu'un seulchemin de 21 états qui mène de l'état initial à l'état final, si bien que pour atteindre le but, il suffit dene pas revenir en arrière. Or en pratique, PAC se révèle être un problème très difficile : lesparticipants mettent jusqu’à plus de 300 coups pour le résoudre. Nous montrons qu’une part de cettedifficulté provient de l’heuristique « ne pas s’éloigner du but » appliquée à la configuration des étatsmais que, d’autre part, la correspondance entre les règles du problème et la configuration des étatsfavorise l’apprentissage à partir de la découverte des propriétés pertinentes.

Mots clés : résolution de problème, exploration, planification, découverte de règles, problème desanneaux chinois.

22

LEGENDES DE FIGURES

Fig. 1 - Le nombre de coups pour réaliser chacun des sous-buts selon l’état initial (Un-pion ou Cinq-pions).

The number of moves to reach each of the sub-goals according to the initial state of the problem (One-token or Five-tokens).

Fig. 2 - Le nombre de coups pour ôter ou mettre un pion selon l’état initial (Un-pion ou Cinq-pions).

Number of moves for removing or adding a token according to the initial state of the problem (One-token or Five-tokens).

Fig. 3 - Nombre de coups pour chaque état du problème selon l’état initial (Un-pion ou Cinq-pions).

Number of moves for each state according to the initial state of the problem (One-token or Five-tokens).

23

LEGENDES DE TABLEAUX

TABLEAU I : L’espace problème des Anneaux Chinois ("O" correspond à la présence d’un pion,“X” à son absence). Tous les pions sont enlevés à l'état final (état 0).

The problem space for the Chinese Ring Puzzle. ("O" means that the token is present and "X" that itis absent). To reach the final state (state 0), the five token have to be removed.

TABLEAU II: Pour réaliser chaque sous-but, le nombre minimum de coups et le nombre de coupsselon l’état initial (Un-pion ou Cinq-pions).

For each of the sub-goals, the minimum number of moves and the average number of movesaccording to the initial state of the problem (One-token or Five-tokens).

TABLEAU III: Pour atteindre chaque sous-but du premier sous-but, le nombre minimum de coups etle nombre de coups selon l’état initial (Un-pion ou Cinq-pions)..

For each each of the sub-goals of the first subgoal, the minimum number of moves and number ofmoves according to the initial state of the problem (One-token or Five-tokens).

24

FIGURE 1

Nombre de coups

0

25

50 75

100125150

175

200

225

Sb1 Sb2 Sb3 Sb4 Sb5

Un-PionCinq-Pions

Sous-buts

25

FIGURE 2

Nombre de coups

68

1012141618202224

Enlever un pion Mettre un pion

Un-Pioncinq-Pions

26

Figure 3

27

TABLEAU I

Espace problèmeETATS Actions P5 P4 P3 P2 P1

31 mettre P1 O X X X X ETAT INITIAL ‘‘Un-Pion’’ 30 mettre P2 O X X X O29 ôter P1 O X X O O28 mettre P3 O X X O X27 mettre P1 O X O O X26 ôter P2 O X O O O25 ôter P1 O X O X O24 mettre P4 O X O X X23 mettre P1 O O O X X22 mettre P2 O O O X O21 ôter P1 O O O O O ETAT INITIAL ‘‘Cinq-Pions’’20 ôter P3 O O O O X19 mettre P1 O O X O X18 ôter P2 O O X O O17 ôter P1 O O X X O16 ôter P5 O O X X X Sous-but 115 mettre P1 X O X X X14 mettre P2 X O X X O13 ôter P1 X O X O O12 mettre P3 X O X O X11 mettre P1 X O O O X10 ôter P2 X O O O O9 ôter P1 X O O X O8 ôter P4 X O O X X Sous-but 27 mettre P1 X X O X X6 mettre P2 X X O X O5 ôter P1 X X O O O4 ôter P3 X X O O X Sous-but 33 mettre P1 X X X O X2 ôter P2 X X X O O Sous-but 41 ôter P1 X X X X O Sous-but 50 X X X X X ETAT FINAL

28

TABLEAU II

Sous-butsSb1 (ôter P5) Sb2 (ôter P4) Sb3 (ôter P3) Sb4 (ôter P2) Sb5 (ôter P1)

minimum 6 8 4 2 1

Moyenneun-Pion 72.7 65.5 8.1 2.3 1

cinq-Pions 169.1 55.9 6.8 2.5 1ensemble 120.9 60.7 7.4 2.4 1

Ecart-typeun-Pion 55.2 59 3.6 0.59 0

cinq-Pions 133.9 61.5 3.1 0.7 0ensemble 112.2 59.7 3.4 0.6 0

29

TABLEAU III

Sous-butsSb1.1 (ôter P3) Sb1.2 (ôter P2) Sb1.3 (ôter P1)

Minimum 2 2 1

Moyenneun-Pion 23.4 33.7 11.7cinq-Pions 77.7 81.7 7.3ensemble 50.6 57.7 9.5

Ecart-typeun-Pion 25.8 45.2 25.7cinq-Pions 106.4 95.2 17.7ensemble 81.2 77.5 21.9