Entre theorie et fiction - Cairn

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ENTRE THÉORIE ET FICTION Olivier Pot Le Seuil | « Le Genre humain » 2006/1 N° 45-46 | pages 21 à 71 ISSN 0293-0277 ISBN 9782020857918 DOI 10.3917/lgh.045.0021 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2006-1-page-21.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Le Seuil | Téléchargé le 17/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84) © Le Seuil | Téléchargé le 17/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

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ENTRE THÉORIE ET FICTION

Olivier Pot

Le Seuil | « Le Genre humain »

2006/1 N° 45-46 | pages 21 à 71 ISSN 0293-0277ISBN 9782020857918DOI 10.3917/lgh.045.0021

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2006-1-page-21.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Longtemps poètes, théologiens, philosophes puis roman-ciers ont rêvé de découvrir la source secrète du langage sou-vent confondue avec la première langue de l’humanité.

Quels sont les motifs de ce désir d’inventer des fables théo-riques pour saisir les origines de ce qui peut apparaîtrecomme la part la plus humaine de l’humain: le langage?

De Babel au parler des bêtes et des dieux, de l’enfant sauvageaux rêveries étymologiques, de Platon à Varron, d’Augustin àBalzac en passant par Herder, les auteurs de ce volume souli-gnent combien théorie et fiction, savoir et poétique sont iciétroitement imbriqués.

Sans oublier que, hier comme aujourd’hui, les querellessur la naissance du langage peuvent trouver leurs formu-lations lors de débats religieux, scientifiques et politiquessouvent associés dans une même course aux origines.

M. O.

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Olivier Pot

Entre théorie et fiction

«Au commencement, qu’est-ce qui (biffé a eu lieu) fut?»,Paul Klee1.«La métaphore de l’origine était impulsion à parler»,Herder, Traité de l’origine du langage2.

Article 2: La Société n’admet aucune communication concernant, soitl’origine du langage, soit la création d’une langue universelle.

L’interdiction de s’occuper des origines du langage que promulguel’article 2 des statuts de la Société de linguistique de Paris (SLP) endate du 8 mars 1866, semblerait devoir condamner par avance touterecherche sur la question des «origines du langage» et des mythesqui sont liés à cette question. Heureusement tel n’est pas le cas, àvrai dire pour des raisons plus légitimes que celles qui ont poussé unmembre de ladite société, Dufriche-Desgenettes, à demander dès le24 avril 1869 l’abrogation de l’article en question comme étant enréalité préjudiciable au développement de toute recherche linguis-tique. C’est qu’en l’occurrence le problème de l’origine du langagecrée moins une discrimination de droit entre approche scientifiqueet approche mythique du langage qu’elle ne révèle de fait des conflitsou des redistributions de rapports de force à l’intérieur d’un champinstitutionnel où le découpage des disciplines se donne pour l’orga-nisation et les contenus mêmes de la science3. À la vérité, le refus detoute réflexion sur l’origine du langage consacre l’inféodation de lalinguistique à l’anthropologie, rappelant du même coup que laSociété de linguistique de Paris est née du bon vouloir des anthro-pologues comme en témoigne l’article 1 des mêmes statuts de 1866:

Article premier: La Société de linguistique de Paris a pour but l’étudedes langues, celle des légendes, traditions, coutumes, documents, pou-vant éclairer la science ethnographique. Tout autre objet d’études estrigoureusement interdit.

Sous cette forme, le programme subit en particulier l’influence dePaul de Broca (1824-1880), qui fonde la Société d’anthropologie de

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Paris en 1859 dans l’intention d’appliquer à l’homme les théoriestransformistes et polygénistes (il ne croit pas à un berceau unique del’homo sapiens et préfère la séparation des «races» antérieures àl’hominisation) que ses collègues de la Société de biologie réser-vaient seulement aux espèces animales, soucieux qu’ils étaient de nepas s’engager sur le terrain sensible de la religion. C’est sans doutece qui explique l’absence du mot «religion» dans l’article premier,absence destinée à éviter, suppose Gabriel Bergounioux, que «lemessage évangélique n’en vienne à être confondu avec quelque toté-misme barbare». Mais surtout, le refus de prendre en considérationl’origine des langues allait dans le sens d’une consolidation desacquis du transformisme dans la mesure où «s’intéresser à lagenèse, c’était retrouver la confrontation des hypothèses concernantle monogénisme et le polygénisme»4. Par ailleurs l’intérêt pour lesproblèmes de l’aphasie qui se développe chez Broca dès 1860l’amène à construire une opposition entre la faculté de langage – qui,comme critère d’hominisation «faisant partie intégrante del’homme», est «aussi immuable que l’organe dont elle dépend» – et«le langage lui-même, qui est la manifestation de cette faculté» et«qui se modifie et se transforme au gré des événements»5. Une telledistinction qui prétend subordonner le fait linguistique au faitanthropologique et établir la primauté des caractères physiques surles caractères linguistiques6 devait donc nécessairement conduire àune dévalorisation de l’étude des langues. Comme le note GabrielBergounioux, «l’intérêt qu’il portait à l’universalité du système sym-bolique et à la neurologie le [Broca] vouait à manquer le change-ment de paradigme qui, dans le même temps, par un mouvementinverse, donnait la préséance à l’étude des langues, ou des famillesde langues, plutôt qu’au langage». En somme, la Société linguis-tique de Paris n’a rien à ses débuts d’une société linguistique au sensoù nous pourrions l’entendre aujourd’hui: son parti pris épistémo-logique ne l’invite guère à s’intéresser à la genèse des langues ni àleur création artificielle7.

Or dès 1866 les comparatistes vont s’imposer progressivement à latête de la Société. Ils parviendront ainsi dès 1876 à écarter la mytho-logie comparée qui apparaissait depuis Max Müller comme unediscipline de la linguistique. De même, ils procéderont à la réhabi-litation des langues, à la fois sur l’axe systématique (l’étude deslangues) et sur l’axe génétique («l’histoire du langage»). En consé-quence de quoi l’article 1 deviendra en 1876, lorsqu’il sera remaniépar la fusion des deux précédents:

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La Société de linguistique a pour objet l’étude des langues et l’histoiredu langage. Tout autre sujet d’études est rigoureusement interdit.

Dès lors, l’origine du langage peut redevenir une question incon-tournable de la linguistique, mais cette fois débarrassée des présup-posés anthropologiques qui l’hypothéquaient8. Reste que l’interditqui rejette la question de l’origine du langage hors du champ de lalinguistique, s’il est bien «la même chose que l’affirmation de l’au-tonomie de cette discipline» ainsi que le voudra Saussure, ne sepense de manière pertinente que d’un point de vue institutionnel:comme le remarque Sylvain Auroux en conclusion de son article surl’histoire «paradoxale» de cet interdit, une pareille «décision» n’apas de «véritable consistance théorique»; tout au contraire, «il estprobable que son principal contenu est un acte de négociationsociale. [Aussi] pour qu’un traitement quelconque de l’origine deslangues devienne acceptable, il faudrait que l’objet théorique de lalinguistique soit autrement institué»9.

Le langage, cet inconnu

La raison appelée à justifier et légitimer aujourd’hui un ensembled’études sur les origines du langage devrait ainsi de toute évidencerépondre à d’autres préoccupations, à d’autres «besoins» que ceuxque le linguiste professionnel peut faire valoir dans le cadre pure-ment institutionnel de sa discipline. Ce qui est signifié par laréflexion sur les origines et sur les mythes du langage, c’est à vraidire, et plus fondamentalement, le constat de l’absence de toutetransparence que le langage pourrait avoir à lui-même. «Le langagene fournit jamais de purs signes», écrivait Walter Benjamin dans unarticle de 1916 intitulé «Sur le langage en général et sur le langagehumain»10. Aussi, ces dernières années, vraisemblablement à lasuite de l’étude inaugurale de Michel Foucault sur la «folie gram-mairienne» de Jean-Pierre Brisset11, les historiens de la linguistiquen’ont pas dédaigné à la vérité de revisiter ces marges du savoir lin-guistique que sont les mythes ou les rêveries sur le langage: desouvrages comme l’anthologie de Jean Roudaut, consacrée auxPoètes et grammairiens au XVIIIe siècle, l’étude de Marina Yaguellosur Les Fous du langage, ou le collectif intitulé La Linguistique fan-tastique, édité par Jean-Claude Chevalier et Sylvain Auroux12, ontcontribué à remettre en selle, à défaut de les faire prendre totale-ment au sérieux, les spéculations les plus fantasques, extravagantes

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ou chimériques, parfois «surréalistes» qui traversent tant la théorieque la pratique linguistiques. Le reproche qui peut néanmoins êtrefait le plus souvent à ces exhumations, c’est d’accepter trop facile-ment la coupure épistémologique – héritée du positivisme duXIXe siècle – entre linguistique pré-scientifique et linguistique scien-tifique. Marina Yaguello n’évoque-t-elle pas, à propos de ses «fousdu langage», une philosophie du langage qui serait «antérieure à lalinguistique»13? Et dans Le Langage, cet inconnu, Julia Kristevaentérine une telle coupure lorsqu’elle présente la linguistique post-saussurienne comme «le levier d’une démystification là où s’instal-lent [habituellement] les idéologies et les religions». Et d’ajouteravec une sorte de condescendance pseudoscientifique: «C’est elle[la linguistique moderne] qui pose le langage comme objet descience, et nous apprend les lois de son fonctionnement»14. Mêmeun ouvrage d’historiographie de la linguistique aussi averti et ouvertà toutes les fictions scientifiques que l’est le livre désormais clas-sique de Daniel Droixhe, De l’origine du langage aux langues dumonde15, ne laisse pas d’être ambigu dans son intitulé s’il entendfaire prendre pour argent comptant la coupure qui s’opérera avec lesLumières entre approche mythique du langage (pour l’essentiel fon-dée sur la Bible) et approche historiciste dont le résultat serait larévolution «comparatiste». Dans ce transfert de la question de«l’origine du langage» aux «langues du monde», de l’«égocen-trisme» à l’«ethnocentrisme» linguistique, il y a peut-être moinsune vraie démystification qu’«une illusion de la bonne consciencelinguistique», comme le signale Guy Jucquois16. Mieux vaudrait lais-ser osciller librement les enjeux de la linguistique dans une conti-nuelle dialectisation d’explications hétérogènes qui seraient perçuesrétrospectivement comme synchrones et contemporaines ainsi quele même Daniel Droixhe l’a fait récemment en dédiant un colloque– rebaptisé La linguistique entre mythe et histoire17 – précisément àHans Aarsleff, dont on connaît sur ce point la forte méfiance àl’égard de l’impact que le rationalisme français a pu avoir sur lapériodisation en historiographie de la linguistique. La plus grandeprudence est de mise quand, par la force des choses, le savoir s’avèreêtre indissociable de l’illusion qu’il prétend dénoncer. Comme l’écritJean Starobinki, la «chasse aux évidences» que poursuit MauriceOlender dans Les Langues du Paradis18 vient «mettre en lumière […]la présence du mythe au sein même d’un discours qui prétendaitjeter la lumière rationnelle sur les formes révolues des croyancesmythiques et religieuses [et] montrer comment des hommes descience, de la meilleure foi du monde, ont pu se tromper»19. Aussi,

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assurément plus stimulante intellectuellement se voulait la positionadoptée par Émile Benveniste dans ses Problèmes de linguistiquegénérale: n’invitait-elle pas à tout le moins à considérer dansl’histoire de la pensée linguistique une continuité de problèmes dontrendent compte conjointement la philosophie et le mythe: «Lalinguistique occidentale prend naissance dans la philosophiegrecque20.» Tant il est vrai que, comme l’écrit Edward Sapir, «lors-qu’il s’agit de formes linguistiques, Platon va de pair avec le gardiende cochons de Macédoine, et Confucius avec le chasseur de têtesprimitif de l’Assam21».

Il conviendrait en conséquence de se méfier des hiérarchies decompétences lorsqu’elles portent sur une discipline où l’observateur(en l’espèce le linguiste) se trouve être en même temps le sujet del’observation en tant que locuteur et utilisateur premier du langage,et par voie de conséquence déjà détenteur d’un savoir «épilinguis-tique»22. Dans son livre Le Langage à l’âge classique, André Robineta bien jugé jusqu’à quel degré la réflexion sur le langage s’apparentechez Descartes à une rêverie linguistique: si dans le cas de l’enten-dement pur tel que le mettent en œuvre les Regulae, la connaissanceest dégagée de toute représentation, si la pensée, sans opération, estalors savoir, tout au contraire dans le cas de l’imagination parolièrequi domine Le Monde, le langage s’amuse à profiter des «ressem-blances» et des signatures, dans lesquelles Louis Marin voyait àjuste titre, s’agissant de Port-Royal, des investissements résiduelsde nature théologique23. Des «promesses» subsistent à l’état delatence dans l’inconscient du langage qui ne laissent pas d’agir en luià l’instar d’un «malin génie» que Descartes voudrait bien chassermais qui ne cesse d’œuvrer à son dérèglement ou à sa perversion24.En tout état de cause, il ne saurait y avoir pour Robinet un avant etun après dans le champ de la connaissance linguistique25. En bonneméthode, il conviendrait au contraire de distinguer soigneusementprogrès empirique d’un côté et sens de la valeur (Wertung) del’autre26. Il en irait ainsi de la linguistique comme de la sociologietelle que Max Weber la concevait: elle ne travaille que sur des hypo-thèses d’autant plus nécessaires qu’elles sont invérifiables, et se doitd’être pensée en conséquence comme un «idéaltype», comme unmodèle de compréhension parfaitement adapté à la situation de«probabilité» qui caractérise les sciences humaines (d’ailleurs jau-geables en termes de valeurs, Wertungen, et non de réalités), maissans prétendre jamais relever de l’empirie ou des faits, même si ellerepose effectivement sur des données factuelles et des procéduresd’enquête27. Si connaissances factuelles et injonctions de droit ne

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font pas toujours bon ménage, en matière de langage tout au moinsla théorie demeure le seul accès à l’expérience, comme l’avait déjàprévu Novalis: «Si la théorie devait s’appuyer sur l’expérience, ellen’existerait jamais. Une demi-théorie détourne de la Praxis, unethéorie complète la ramène à cette Praxis28.»

C’est pourquoi il n’y a pas d’inconvenance rédhibitoire à vouloirsouscrire au programme que propose Henri Meschonnic dans sonarticle «Sur Wittgenstein, philosophie du langage et poésie»29. Ilmanque encore, regrette en effet Meschonnic, toute «une dialecti-sation de la philosophie, de la linguistique et de la poétique, qui està faire». Le critique semble en l’espèce n’avoir en vue que la poésiealors qu’en réalité une généralisation de principe devrait s’imposer:ce qui émerge dans ce qui peut paraître des fictions, des mythes oudes fantaisies linguistiques, c’est une part du mystère du langageque le savoir objectif sur la langue se trouve dans la nécessité d’éva-cuer. Aussi Alain Rey, qui passe pourtant pour une figure sérieuse del’institution linguistique, ne répugne-t-il pas à voir dans lesrecherches souvent déconsidérées sur l’onomatopée familière à laBD une façon de rogner l’arbitraire du signe et de «toucher à lalangue» au sens de Mallarmé30. Meschonnic, qui cite le lexico-graphe, parle à cet égard d’un «inconscient de la linguistique» quiopérerait à l’intérieur même du savoir le plus «moderne».

L’onomatopée est un révélateur des théories et des pratiques. Un révé-lateur du social. Et de notre regard sur l’histoire des théories. Leuractualité est un indice de son actualité. C’est plus qu’une archéologiequ’on cherche dans le passé. C’est l’inconscient de la linguistiquemoderne31.

À coup sûr, les «anagrammes» de Saussure32 – et a fortiori sesexpertises sur la «langue martienne» de la spirite Hélène Smith33,ou encore ses conjectures onomastiques concernant la mythologiegermanique – ressortiraient à cet «inconscient linguistique» quin’est pas seulement l’envers de toute réflexion sur le langage, maissa condition suffisante, son horizon ou sa limite conceptuelle34. Il afallu à cet égard que triomphe le «structuralisme», allié pour l’occa-sion avec le «freudisme», pour que de telles recherches se révèlentne pas devoir être séparées a priori du reste de la réflexion du lin-guiste genevois35. En d’autres termes, la loi qui préside à toute pen-sée linguistique serait celle de la «dénégation positive»: «Je saisbien mais […]» Même pour qui est convaincu que «l’origine desmots se perd dans la nuit des temps», comme disait déjà Varron36,le «grand mythe séculaire [du cratylisme] qui veut que le langage

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imite les idées» (Barthes)37 n’en demeure pas moins le mode opé-ratoire, sinon de la science linguistique en particulier, en tout cas dela littérature et de toute pratique de la langue en général.Assurément, Jean Paulhan a été le premier à oser affirmer laconnexion obligée entre étymologie et usage littéraire. «La littéra-ture est du langage grossi»: tel est est le titre que Paulhan, au termed’un éloge soutenu du «cratylisme», donne en 1953 au chapitre VIII

de son essai intitulé La Preuve par l’étymologie38, «en sorte, explique-t-il, que l’examen de la littérature serait, suivant toute apparence, lameilleure voie pour parvenir jusqu’à la connaissance du langage39».Alors que dès 1930 – en même temps que l’Académie des sciencesrefuse d’entrer en matière sur la question de la «Quadrature ducercle40» – Meillet croit favoriser la cause du progrès en interdisantles recherches étymologiques, Paulhan soutient que l’étymologien’est pas autre chose que la rhétorique ou dans une acception pluslarge, la littérature. Le bénéfice du doute profite de même à la ques-tion de l’origine divine du langage que tout écrivain, par un viceimpénitent, ne cesse d’affirmer contre toute vraisemblance: «Il res-terait à chercher pourquoi cet écrivain se trouve naturellement portéà assigner à la langue dont il use une origine divine – au point queles sages réserves du linguiste, lors même qu’il ne les juge pasabsurdes, lui semblent nulles et non avenues41». Et Paulhan de seréférer en note aussi bien à Gobineau pour qui «les langues initiales(dont nos langues à nous n’offrent qu’une forme dégénérée) sontdivines ou héroïques» (De la vie individuelle), qu’à Mallarmé quivante «les débuts sacrés du langage» (Les Mots anglais), voire àRivarol pour qui l’activité mimologique n’est tout bien mesuré quel’état habituel du langage:

Les noms radicaux et primitifs auraient un rapport nécessaire avecl’objet nommé. La définition que nous sommes forcés de faire dechaque chose ne serait qu’une extension de ce nom primitif, lequel neserait lui-même qu’une définition très abrégée et parfaite de l’objet(De l’universalité de la langue française).

En somme, il y a un «complexe étymologique» qui relève del’attrait du «défendu» et qui représente comme la mauvaiseconscience liée à la nature rhétorique du langage:

Comme si l’étymologie exigeait, pour donner son plein, de nous lais-ser le change sur sa nature et que la rhétorique en général ne jouât plei-nement qu’à la condition de ne point nous apparaître comme telle. Ilsemblerait, de ce point de vue, qu’il dût se trouver en elle un secret, etcomme une part ésotérique42.

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Sans cette «culpabilité» qui tisserait à la vérité l’«envers» de ceque serait un «vœu ontologique», le langage ne saurait jamais nousapparaître dans la réalité de ses œuvres vives: telle est en effet lafonction des mythes que de nous faire oublier que le langage est lan-gage. Brice Parain a bien compris ce «bon usage» d’une mytholo-gie linguistique et en a donné les raisons qui pour l’essentiel tiennentà la valeur pragmatique des mots: «Personne ne peut démontrerque les mots signifient le réel; il faut y croire; c’est toute la théolo-gie.» Mais c’est ce que «d’abord le langage ne nous exprime pas, ilnous ordonne»43.

Genèse et/ou génétique

Faut-il comprendre par là que la question de l’origine du langagene saurait en aucun cas ressortir à une explication biologique?Genèse et génétique n’étant pas forcément synonymes en matière delangage, nous avons ainsi choisi de nous placer résolument et par unparti pris délibéré sur le terrain des «fictions théoriques» et des«représentations» plutôt que sur celui des hypothèses ou des «réa-lités» scientifiques qui ont fait brusquement retour – sans doute paspar hasard – dans le champ du savoir depuis une quinzaine d’an-nées, qu’il s’agisse de sciences dures (neurologie, biologie, anatomiecomparée, génétique, physiologie, éthologie animale, préhistoire)ou de sciences humaines qui se veulent plus ou moins méthodolo-giquement apparentées aux premières (anthropologie, linguistiquescognitivistes, sémiologie comparée, etc.)44. Parmi les sciences de lavie qui prétendent instaurer une nouvelle relation entre origine de lavie, origine du langage et stades de l’hominisation45, la génétiqueoccupe naturellement une position dominante. Par exemple, CeciliaLai et ses collègues du centre de génétique humaine du WellcomeTrust à Oxford annonçaient en 2001 dans la revue Nature que deuxcopies fonctionnelles du gène FOXP2 étaient nécessaires à l’acqui-sition du langage articulé et qu’à l’inverse les membres de la famille«KE», porteurs d’un gène mutant, montraient les plus grandes dif-ficultés à articuler46. En août 2002 la traque de FOXP2 a révélé àl’équipe de Svante Pääbo de l’Institut Max Planck de Leipzig l’exis-tence d’une capacité particulière à contrôler les mouvements duvisage et de la bouche, et donc à développer un langage parlé effi-cace, qui serait apparue chez l’homme il y a moins de 200 000 ans.En fait, l’approche génétique revisite et recycle avec ses moyens

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propres une thèse déjà développée au début des années 1970 par lelinguiste Philippe Lieberman et l’anatomiste Edmund Crelin: pources deux chercheurs américains, l’articulation humaine (soit la pos-sibilité de prononcer distinctement les trois sons «i», «a» et «ou»)serait liée à un développement du pharynx propre à l’Homo sapiens.Preuve qu’en la matière la science a de la peine à avoir le derniermot, cette explication purement physiologique (que partage aussiYves Coppens)47 a été contestée par les travaux de l’Institut de lacommunication parlée (ICP) de Grenoble (CNRS-INPG-universitéde Stendhal): selon Louis-Jean Boë, «la conformation du conduitvocal n’a que peu d’influence sur la réalisation des contrastes voca-liques maximaux, les mouvements des lèvres permettant de com-penser les différences anatomiques entre conduits vocaux». Laposition de Jean-Marie Hombert, du laboratoire dynamique du lan-gage de Lyon (CNRS-Université Louis-Lumière), se veut plus équili-brée: elle établit une distinction entre «la faculté d’émettre et dedécoder un signal acoustique» (faculté qui peut être très ancienne)et «la capacité à utiliser des messages sophistiqués» (capacité beau-coup plus récente qui caractérise le langage symbolique)48. Quant àl’approche anatomique traditionnelle, elle a été renouvelée dans lecadre de la langue originelle. Peut-on lier à l’évolution de la boîtecrânienne l’apparition d’un protolangage humain comparableaux pidgins ou aux créoles comme le veut par exemple DerekBickerton49? Assurément, ce serait établir, là, comme c’est souventle cas avec l’anatomie, une différenciation de valeur à l’intérieur desfamilles de langues sur le modèle de ce que faisait au début duXXe siècle l’ethnologue Lucien Lévy-Bruhl. Pour lui, l’absence demots abstraits ou génériques dans les langues des peuples primitifsaurait signifié l’inaptitude des locuteurs au raisonnement ou auxgénéralisations. Or, comme le rappelle Claude Hagège, «les traitsque l’on croit «simples» sont souvent définis par l’intuition du lin-guiste, telle que la façonne sa langue maternelle», alors qu’en réalité«certaines sociétés archaïques parlent des langues à morpho-syntaxe très touffue50». Il ne saurait y avoir d’échelle deslangues comme il ne saurait y avoir d’échelle de l’humanité: quandon parle du langage, le commencement, c’est déjà la fin.

Du côté des sciences humaines, la méthode comparatiste qui,depuis Jacob Grimm, s’était confinée au domaine indo-européen,reprend aujourd’hui du service dans l’éventualité de l’existenced’une langue originelle. Ne serait-il pas possible, à partir des«racines» communes à toutes les langues, de remonter à unehypothétique langue première comme le certifie Merritt Ruhlen

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dont l’Origine des langues, étayant ses conclusions sur la base de27 «racines mondiales51», a soulevé lors de sa parution en 1994 undébat que l’on avait cru enterré depuis longtemps, mais que réactivel’analyse génétique des populations? Or, est-il légitime, par uneextrapolation discutable et douteuse, d’exciper d’une communautéde gènes à une origine commune de la langue? Sylvain Auroux arappelé très justement que Franz Bopp, en décidant de limiter sonenquête au «mystère des racines», instaure «le geste épistémolo-gique inaugural» du comparatisme, qui «rejette la question de l’ori-gine des langues comme étant en dehors de son champ», les racinesn’étant «autre chose qu’un terme abstrait de comparaison quimesure les ressemblances» à l’intérieur d’une famille de langues. Enl’espèce, le vice méthodologique de Ruhlen consisterait à partir «desfamilles constituées» pour «appliquer aux familles reconstruites lemême traitement que celui que l’on appliquait aux éléments de lamême famille»52. Le risque de dérapage augmente encore lorsque larecherche de la langue première se réclame d’un présupposé philo-sophique à peine dissimulé tel que la théorie de l’innéisme cartésienlaquelle, revisitée par la neurologie, retrouve dans ce contexte unenouvelle utilité (pseudo-) scientifique. C’est ainsi que dans L’Instinctdu langage, Steven Pinker dénonce le «grand bazar des diversitéshumaines» propre au «relativisme culturel absolu» de l’anthropo-logie pour se faire l’apôtre du «générationnisme» chomskien: lalangue maternelle ne s’apprend pas, elle est un instinct qui impliquequ’elle existe dans l’esprit, mentalement, avant tout emploi53.L’enfant n’apprend pas à parler avec ses parents, c’est son cerveauqui lui dicte tout le «mentalais» (c’est ainsi que Pinker nomme cette«structure profonde» que l’imagerie cérébrale viendrait parfois«visualiser»). Car pour que nous éprouvions une insatisfaction dansl’expression, il faut bien qu’il y ait «un voulu dire» différent de cequi est dit; savoir une langue, c’est donc savoir traduire le «menta-lais» en séquences de mots et inversement. Et si les bébés ne possé-daient pas ce «mentalais» pour traduire du français en français, onne voit pas comment ils pourraient apprendre le français, ni mêmece que pourrait vouloir dire apprendre le français54. Dans AprèsBabel, George Steiner avait déjà dénoncé le risque de cet universa-lisme anti-babélien: si le langage humain se définit par la faculté dedire le contraire de la réalité, de dire ce qui n’est pas, hors de lacontrainte absolue de l’organique («Le génie propre de l’homme estle mensonge»), si le fait de pouvoir se projeter dans le virtuel est lafonction véritable du langage («L’homme est un mammifère quiemploie le futur du verbe être»), alors il conviendra de refuser toute

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science qui prétendrait normaliser le langage au nom d’une origineuniverselle: «Un monde d’universalité chomskienne serait le monded’un patois anglo-américain» qu’on nomme déjà «l’espéranto com-mercial». En d’autres termes, s’abstenir de poser l’origine autre-ment que sous la forme d’un mythe linguistique, c’est renoncer enmême temps à faire de l’étude du langage une science achevée:«Une linguistique authentique ne saurait être ni totale ni rigoureu-sement formelle»55. Heidegger allait plus loin encore en écrivant àHannah Arendt: «Sous l’appellation contrôlée de linguistique seconsomme la destruction de la parole.» Le silence désignerait-il endernier recours l’essence du langage56? En ce cas, le silence seraitpeut-être la seule manière d’aborder de jure la question de l’originedu langage dans la mesure où ce silence pointe le lieu purement vir-tuel de son accessibilité.

C’est donc sans état d’âme que nous avons renoncé à orchestrerune confrontation – non dénuée d’intérêt par ailleurs – entresciences humaines et sciences dures. Le précédent de deux collectifsqui se sont aventurés récemment à cette confrontation, les NewEssays on the Origin of Language de Jürgen Trabant et Sean Ward57,et Les Langues du monde de Sylvain Auroux58, nous a en effetconvaincus que les deux niveaux d’analyse ne se rejoignaient, métho-dologiquement et épistémologiquement, que si l’on se refusait défi-nitivement à vouloir les réconcilier: ce que le mythe dit des originesdu langage ne saurait ici recevoir confirmation des données externesau locuteur, car le mythe est en la circonstance ce que la parole ditde la parole, soit son «autoreprésentation». Divisé en trois sectionstrès inégales («Biological aspects of the question», «The first lan-guage», «Beyond biolinguistics»), le premier ouvrage s’organisesurtout autour des théories chomskiennes sans qu’on sache bien sices «new perspectives on an old academic question» renouvellenteffectivement le problème ou si elles sont elles-mêmes à répertorierau «musée de l’homme» des théories sur l’origine du langage.Seule, sur cette question, la contribution de Henri Meschonnic vientheureusement glisser in fine une touche de scepticisme en historici-sant le problème. Quant au second ouvrage, c’est avec un dosageplus subtilement modulé et une cohérence accrue qu’il fait se croi-ser les recherches des linguistes à vocation anatomiste avec les tra-vaux des linguistes de tendance historienne, selon une dichotomieassez fortement marquée. Une petite moitié du volume, regroupéesous la rubrique «La naissance du langage», donne la parole à lapremière catégorie avec les études de A. et H. Damasio, «Le cerveauet le langage», Luigi Cavalli-Sforza, «Des gènes, des peuples et

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des langues» et André Langaney, «La génétique des populations àl’appui de la linguistique». La deuxième section («L’histoire deslangues») fait le point sur la question traditionnelle des «familles delangues» au travers d’une série de recherches de terrain qu’inspireun comparatisme soit restreint (Colin Renfrew, «La dispersion deslangues indo-européennes» et Merritt Ruhlen, «Une nouvellefamille de langues: le déné-caucasien»), soit élargi (DavidPhillipson, «Les migrations des populations bantoues» et PeterBellwood, «La dispersion des langues astronésiennes»). Enfin, labrève section «L’aide informatique» semble vouloir attendre beau-coup des nouvelles technologies, qu’il s’agisse de la «traductionautomatique» (Maurice Gross) ou des procédures informatisées dedécryptage (M. Thouvenot, «Les dictionnaires électroniques pourl’écriture des Aztèques»). Moins hypothéqué par un parti pris«scientifique dur» que dans l’ouvrage précédent, le projet généraltémoigne néanmoins d’une même hésitation, sinon confusion,entre le recensement babélisant («les langues du monde» commel’annonce le titre) et la définition disciplinaire (la préface d’Aurouxs’intitule «Les sciences du langage»), entre le relativisme anthro-pologique et historique des sciences humaines et le positivisme dessciences dures.

Quant au collectif récemment édité sous la direction de Jean-Marie Hombert et d’Alexandrine Civard-Racinais, et intitulé Aux ori-gines des langues et du langage, Paris, Fayard, 2005, il semble dansl’ensemble moins assujetti aux «sciences dures»59. Outre la per-spective proprement historiographique que tracent les belles syn-thèses de Gabriel Bergounioux60 et de Marina Yaguello,61 l’ouvrageprend en compte les processus mentaux ou cognitifs dont l’investi-gation réclame une méthode plus phénoménologique: faculté de«narration» attribuée au langage (Bernard Victorri)62, interactionde la langue avec la «psychologie spontanée», c’est-à-dire la capa-cité à se représenter les états mentaux d’autrui (Dan Sperber etGloria Origgi63, Harriet Jisa64), enfin processus de création etd’émergence des langues créoles, vrai «laboratoire» linguistique(«Alaim Kihm»65). En tout état de cause, notre entreprise se distin-guera clairement là encore de ces orientations «douces». Car ce quinous intéresse, ce sont moins les réalités de la langue que les repré-sentations qui en ont été faites. Étant admis une fois pour toutesque ces représentations dessinent néanmoins l’«horizon d’attenteépistémologique» de toute approche de la langue, qu’elle soit scien-tifique ou non.

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Le deuil impossible de l’origine

Reste que l’usage heuristique et cognitif qui sera fait ici desmythes, des fictions ou des poétiques du langage requiert uneréflexion sur le concept d’«origine» lui-même. À cet égard, on nesaurait faire entièrement le «deuil de l’origine», pour reprendre letitre d’un livre de Régine Robin66. Car s’il est bien vrai que noussommes toujours en deçà ou au-delà de la langue, il n’est pas nonplus illégitime de voir avec Hannah Arendt dans l’origine moins unpoint de départ historique qu’une archê, une brèche ou une béance.Loin de se réduire à un moment ponctuel de l’histoire (ce qu’ellepeut être aussi en tant qu’hypothèse de travail), l’origine est unacte qui se répète; c’est pourquoi il est impossible de la penser entant que telle comme il est en retour tout aussi difficile de pensersans elle. Comme chez Nietzsche, la question du symptôme se sub-stitue ici à la question du fondement: le concept d’origine ne pres-crit en aucune façon de devoir rechercher un principe fondateur,mais plutôt d’élucider les conditions de production du sens67. Lagénéalogie – qu’elle soit de type historique ou mythique – se donnealors en même temps et de plein droit comme une sémiologie, unemanière de décrire et de signifier ce qu’il en est de l’action de lalangue, de son actualité.

«Le plus difficile à expliquer, c’est l’origine», disait Balzac dansson Discours sur l’immortalité de l’âme68: assurément, si l’on consi-dère l’origine comme une réalité historique plutôt que comme unefiction heuristique qui indique moins d’où vient la langue que d’oùelle parle. Comme si, en définitive, de la nécessité de poser cette ques-tion dépendaient tout à la fois la définition du langage et le sens deson exercice. Paul Ricœur qui invite, à la suite de la psychanalyse, àdissocier l’idée d’origine de toute idée de commencement dans letemps, propose à cet égard d’attribuer deux sens au mot origine69.D’une part, le terme renverrait à la notion d’évolution; d’autre part,il désignerait une procédure de légitimation comme le réclame toutrécit de commencement (au sens que lui donne Pierre Gibert)70. Ainsique le remarque Alain Rey, c’est d’ailleurs seulement ce second sensque connaît au Moyen Âge l’appellation origo dont se trouve bannietoute idée de descendance ou de généalogie au profit de celle de«surgissement», de «source» (origo fontium), en d’autres termesd’épiphanie, de révélation ou de création (ce qui exclut au fond quequelque chose existerait avant qu’elle ne surgisse)71. À vrai dire, lesdeux sens (évolution et fondation) doivent être pensés conjointement

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et concurremment sous la catégorie moderne de l’original. Ainsi,même s’il reconnaît que «la plupart des origines sont d’ordinairefabuleuses», Richard Simon n’entend pas parler de ces origines quitiennent de la fable mais, comme dit Jacques Lebrun, «du termetoujours repoussé en arrière, du travail même de la critique […].Richard Simon fait allusion à un état premier désigné comme l’ori-gine, comme ce qui était originairement: l’original est le but idéald’une “remontée” […]. Nous saisissons donc le caratère relatif, etpour ainsi dire asymptotique, de la notion d’origine commed’ailleurs de la notion d’authenticité qui lui est liée»72. Justementparce qu’elle est inaccessible, l’origine (ou plutôt l’originaire) appa-raît comme le critère de légitimation discriminant relativementauquel se mesure toute vérité ou authenticité73. Si donc l’originedevient une construction nécessaire à la linguistique (comme ellel’est du reste à la philosophie selon Max Loreau74), c’est pour autantque le symbole s’avère solidaire de la compréhension des phéno-mènes: comme le note Wolfgang Iser citant Cassirer, «il faut dunon-donné pour comprendre le donné, du symbole pour avoir accèsaux données empiriques»75. Toute théorie – au moins celle qui sedonne comme compréhension du monde – se voudra sinon vision-naire à tout le moins imaginaire76. En tout état de cause, pour sus-pecte qu’elle soit au regard de sa charge idéologique, la «nostalgiedes origines», pour parler comme Eliade77, n’en gagnerait pasmoins à être reconsidérée au plan de ses enjeux épistémolo-giques dans la mesure où la connaissance, d’un point de vue phé-noménologique, s’arc-boute sur les impératifs de la narration,comme l’a montré Ricœur dans Temps et récit à partir de l’analysedu couple providentiel mimêsis-muthos78. Si la science se trouvedans l’obligation de renoncer à prendre en compte l’origine parcequ’elle ne peut que travailler sur du stable79, l’origine se présenteraitdans la situation paradoxale de pouvoir seule «figurer» l’événementà l’état pur, autrement dit de donner un visage au «chaos», qui estla condition requise pour dépasser toute humanisation du mondeprocédant soit d’une explication morale soit d’une origine réelle:«Le caractère intégral du monde est de toute éternité celui duchaos», disait René Char lisant Nietzsche: «Il faut encore porter duchaos en soi pour pouvoir donner naissance à l’étoile errante80.» Aubout du compte, une vraie pensée de l’origine viserait à réconcilierla genèse et la structure de manière à faire de la transformation unedestructuration permanente: comme dit Michel Espagne, «la per-ception de la diachronie est avant tout une destructuration. Chaqueconstellation graphique est en train de se dissoudre. […] La genèse

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est un mystère des origines ou un mystère des fins, le rêve archéty-pique d’une transmutation radicale»81. Comme le récit de la fin, lerécit des origines donne à voir le moment présent de la langue qui,en se faisant et en se défaisant, advient.

«C’est une idée très fausse de croire qu’en matière de langage leproblème des origines diffère de celui des conditions permanentes»:la position de Ferdinand de Saussure, dans le Cours de linguistiquegénérale82, n’est en définitive pas si éloignée de la solution que pro-pose le mythe des origines lui-même. L’erreur est dans ce cas defigure de concevoir le langage comme une nomenclature et noncomme un système: ainsi que le dit une esquisse, «la plupart desconceptions que se font, ou du moins qu’offrent les philosophes dulangage, font songer à notre premier père Adam appelant près de luiles divers animaux et leur donnant à chacun leur nom»83. Saussurea bien vu que ce qui est originaire dans le langage, c’est la faculté deparler hic et nunc, soit ce qu’il appelle le système: «Ce n’est pas lelangage parlé qui est naturel à l’homme, mais la faculté de constituerune langue, c’est-à-dire un système de signes distincts correspon-dants à des idées distinctes84.» Ne faudrait-il pas en ce cas distin-guer, comme le fera Jespersen, entre origine du langage et origine dela parole, autrement dit entre origine «phylogénétique» et «originesymbolique (ou sémiotique)»85? Établir en somme des niveaux qua-litatifs, des ruptures et des sauts (voire une manière de salto mor-tale)86 qui ménagent la part respective donnée aux conditions«nécessaires» et aux conditions «suffisantes»? Ou mieux encore,comme le suggère Benveniste, admettre simplement que le langagenaît avec l’homme, qu’il ne peut être soustrait d’une définition del’être-homme? «Car l’homme n’a pas été créé deux fois, une foissans langue, et une fois avec le langage. L’émergence de l’Homo dansla série animale peut avoir été favorisée par sa structure corporelleou son organisation nerveuse; elle est due avant tout à sa faculté dereprésentation symbolique, source commune de la pensée, du lan-gage et de la société»87. C’était, après celle de Rousseau et de Herder,la position de Humboldt: «Nous sommes toujours portés à imagi-ner naïvement un temps originel au cours duquel un homme com-plet aurait rencontré son semblable, également complet; entre euxse serait progressivement formé le langage. C’est là pure rêverie.Nous ne trouvons jamais l’homme séparé du langage, ni ne le voyonsen train de l’inventer88.» Comme dit encore Benveniste, «c’est tou-jours un homme parlant que nous trouvons dans le monde»: le vraimythe, ce n’est pas en l’espèce «l’homme qui parle, mais l’hommequi serait muet»89.

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Dans une telle perspective, le concept d’origine n’aurait d’autrevocation, au regard de la réélaboration synchronique qu’il impose,que de rendre compte de l’hypothèse du système dans le sens oùpour Saussure, le problème de l’ontologie du langage ne saurait seposer réellement qu’au niveau de la matière des sons, seule réalitévéritablement perceptible mais qui précisément n’est pas à propre-ment parler de nature linguistique. Avec la phonologie, commenteSaussure, «nous sommes sortis de l’abstraction; pour la premièrefois apparaissent des éléments concrets, indécomposables, occupantun temps et une place dans la chaîne parlée»90. En tout état decause, ce que Saussure paraît suggérer en identifiant «l’origine»avec les «conditions permanentes» du langage, serait que la ques-tion de l’origine désigne le point aveugle de la langue que nous nepouvons saisir en propre ni dans la pratique de la langue ni dans unethéorie de la langue, mais dans ce que nous appellerions aujour-d’hui sa «figuralité». Hjelmslev pourra en déduire que la languen’est pas en premier lieu un système de signes mais un système defigures91.

Au regard d’une conception «figurale», l’origine ne saurait plusalors être un moment révolu du passé mais bien un «état naissant»,comme le suggère Georges Didi-Huberman:

Il faut comprendre que la problématique de «l’état naissant» n’a riend’une nostalgie dirigée seulement vers une origine pensée commesource perdue de toute chose […]. C’est lorsqu’il fait irruption dans leprésent – non comme la source lointaine, mais comme le «tourbillondans le fleuve», ainsi que Walter Benjamin le disait du concept d’ori-gine – que l’«état naissant» nous touche vraiment92.

Cette définition de l’origine comme le «tourbillon dans le fleuve»,qu’il emprunte sans doute à Nietzsche, Benjamin la formule dansl’introduction à l’Origine du drame baroque allemand, au momentoù, soucieux de renouveler la science en la rappelant à la métaphy-sique, il pose le Trauerspiel comme «une idée», se différenciant del’historicisme de l’histoire littéraire «essentiellement parce qu’ilprésuppose une unité là où ce dernier doit montrer la diversité».L’origine est à la fois dans l’histoire comme événement et hors del’histoire comme événementialité ouverte.

L’origine, bien qu’étant une catégorie tout à fait historique, n’a pour-tant rien à voir avec la genèse des choses. L’origine ne désigne pas ledevenir de ce qui est né, mais bien ce qui est en train de naître dans ledevenir et le déclin. L’origine est un tourbillon dans le fleuve du deve-nir, et elle entraîne dans son rythme la matière de ce qui est en train

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d’apparaître. L’origine ne se donne jamais à connaître dans l’existencenue, évidente, du factuel […]. Elle demande à être reconnue d’une partcomme une restauration, une restitution, d’autre part comme quelquechose qui est par là même inachevé, toujours ouvert […]. Par consé-quent l’origine n’émerge pas des faits constatés, mais elle touche à leurpré- et post-histoire93.

Parallèlement et pour les mêmes raisons, l’essai de jeunesse inti-tulé «Sur le langage en général et sur le langage humain» queBenjamin adresse sous forme de lettre à Gershom Scholem ennovembre 1916, expose une philosophie spéculative du langage ins-pirée à la fois des sources mystiques du judaïsme et de certains illu-ministes du XVIIIe siècle et du XIXe siècle (dont Hamann). Repriseintégralement dans le Trauerspiel, cette lecture du langage, qui uti-lise la Genèse pour sa valeur de principe et mode d’exploration,insiste sur l’«essence spirituelle du langage» compris comme révé-lation, don, «acte créateur» analogue à la Création du verbe divin.«Ce qui exclut la conception bourgeoise selon laquelle le motn’aurait avec la chose qu’un rapport accidentel et ne serait qu’unsigne des choses (ou de leur connaissance) posé en vertu d’une quel-conque convention»94. Certes, dans une étude plus tardive intitulée«Sur le pouvoir d’imitation», Benjamin révisera, dans un sensmatérialiste sa théorie du langage qui était restée pour lui unesource d’inspiration jusque dans les années 1930: le processus his-torique coïncide avec une généralisation du pouvoir mimétiqueobtenu par le moyen du langage et par la «liquidation de la magie»propre aux correspondances primitives95. Mais il n’est pas sûr que laconception mimétique ne soit pas en définitive de même nature quela dénomination adamique de la Genèse, comme le suggèrent les«Problèmes de sociologie du langage». Dans ce «compte rendu col-lectif» de 1935 qui fait l’état de la question en mobilisant d’unefaçon étonnante tout le savoir de son temps (de Saussure à Piaget,en passant par Husserl, Carnap, Bally, Vendryes, Cassirer ouBühler), l’auteur des Origines du drame baroque y désigne à nou-veau la question de l’«origine du langage» comme «le point defuite» des théories linguistiques et sociologiques.

Les problèmes cardinaux de la linguistique, tout comme ceux de lasociologie, se rejoignent dans l’interrogation sur l’origine du langage[…]. À tout le moins cette problématique se révélera comme le point defuite vers lequel se dirigent d’elles-mêmes les théories les plusdiverses96.

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Davantage encore, Benjamin n’ignore pas que, depuis leXVIIe siècle (ne cite-t-il pas Gryphius, Harsdoerffer, Rist et leurs dis-ciples de Nuremberg?) jusqu’à Herder, les réflexions sur l’originedu langage ont privilégié le «facteur onomatopéique»: repenséedans le cadre moderne d’une «physiognomonie de la langue,Sprachphysionomik», la «théorie mimétique au sens large» queMallarmé aurait déjà formulée97 apparaît en définitive comme leseul point de vue intelligible propre à formuler une problématiquegénérale sur la question.

La réflexion la moins critique s’est toujours portée vers une théorieonomatopéique de l’origine du langage. En revanche, la critique scien-tifique s’est attachée à limiter de façon essentielle l’importance du fac-teur onomatopéique, sans avoir réussi pourtant à dire d’aucunemanière le dernier mot sur le problème de l’origine en général […].Parmi toutes les constructions, par lesquelles les chercheurs ont tenté,depuis toujours, de surmonter les lacunes dans nos connaissances, [lathéorie de l’onomatopée] est la plus populaire – malgré la forme pri-mitive sous laquelle elle se présente et qui a depuis longtemps suc-combé à la critique scientifique – qui nous livre accès aux questionscentrales de la recherche actuelle98.

En somme, on n’a pas trouvé mieux que «l’onomatopée» pourrendre compte du fonctionnement originel du langage (Paulhan,nous l’avons vu, le disait à la même date de l’étymologie). C’est quele langage, face à la logique, se situerait plutôt du côté du mythe.Benjamin se réfère alors à Cassirer, Langage et mythe99, dont la pen-sée est influencée par Lévy-Bruhl:

Ce qui les distingue tous deux – concepts mythiques et concepts lin-guistiques – des concepts logiques, et qui permet de les rassemblerdans un «genre autonome», c’est d’abord le fait qu’ils semblent révé-ler une seule et même direction de la conception spirituelle, opposée àcelle que prend le mouvement de notre pensée théorique100.

La langue comme le mythe relèvent d’«un complexus mystique»qui se caractérise par la concentration – les «images-concepts» deLévy-Bruhl. Certes Benjamin, qui au demeurant se méfie de lanotion suspecte de «mentalité primitive» propre à Lévy-Bruhl101,sait-il parfaitement, en saussurien averti par la lecture de HenriDelacroix, que «l’origine du langage ne se confond pas avec l’originedes langues […]. Les langues “mères” n’ont rien de primitif. Ellesnous renseignent seulement sur les transformations que subit le lan-gage; elles ne nous indiquent pas comment il s’est créé […]. La seulebase que nous ayons, c’est l’analyse des conditions de possibilité du

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langage»102. Mais justement ces possibles de la langue ne se livrentque dans une conception, sinon «spiritualiste» comme dans les pre-miers écrits de Benjamin, à tout le moins «spirituelle», c’est-à-direprenant en compte l’intentionnalité créatrice. Dans la mesure où,orientée sur les valeurs au sens de Max Weber, elle évite «le positi-visme» (dont à vrai dire «le mysticisme sociologique de l’école dur-kheimienne ne semble que l’inévitable corrélatif»), la sociologie nefait que remplir les conditions «originelles» qui sont celles dumythe. Le postulat de «toute sociologie du langage» se formuleainsi: «dès que l’homme use du langage pour établir une relationvivante avec lui-même ou avec ses semblables, le langage n’est plusun instrument, n’est plus un moyen; il est une manifestation, unerévélation de notre essence la plus intime et du lien psychologiquequi nous lie à nous-mêmes et à nos semblables»103. Telle semble êtrela position finale de Benjamin. C’est également celle de la phéno-ménologie de Merleau-Ponty: renoncer à une vision instrumentaledu langage, c’est considérer ce dernier dans son autonomie et dansl’unité d’une intentionnalité, d’un «vouloir dire» […] «gouvernépar une logique actuelle».

La parole n’est pas un moyen au service d’une fin extérieure, elle a enelle-même sa règle d’emploi, sa morale, sa vue du monde, comme ungeste quelquefois porte toute la vérité d’un homme. […] Un langage quidonne notre perspective sur les choses et ménage en elles un reliefinaugure une discussion qui ne finit pas avec lui, suscite lui-même larecherche104.Du point de vue phénoménologique, c’est-à-dire pour le sujet parlant[…], la langue retrouve son unité: elle n’est plus le résultat chaotiquedes faits linguistiques indépendants, mais un système dont tous leséléments concourent à un effort d’expression unique tourné vers leprésent ou l’avenir, et donc gouverné par une logique actuelle105.

Les noces de Littérature et de Linguistique

Avant de se tourner vers la «sociologie du langage», l’auteur del’Origine du drame baroque allemand avait situé la question de l’ori-gine dans la connivence profonde du linguistique et de l’esthétique.En la matière, le véritable «chercheur» est celui qui «atteint cettefameuse situation moyenne entre le philosophe et l’artiste». Avec lephilosophe, il partagera le souci «d’effacer la simple réalité empi-rique» en proposant «une description du monde des idées telle quele monde empirique y entre de lui-même et s’y dissolve». Il rejointde l’autre côté l’artiste par «la tâche de la représentation» qu’il

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s’assigne puisque, comme ce dernier il «tente de dessiner une petiteimage du monde des idées et parce qu’il s’agit précisément d’uneanalogie, celle-ci aura une valeur définitive quel que soit le contexteprésent»106. Il y aurait donc dans l’art une démarche plus «élevéeque le point de vue d’un quelconque vérisme scientifique»: car siméthodologiquement «il importe moins de savoir si l’on peutrépondre scientifiquement à la question «comment les choses sesont-elles réellement passées?» que de savoir si on peut la poserscientifiquement»107, le pouvoir de représentation de l’artiste est àla vérité seul en mesure de faire jouer, en les concevant et en lesexpérimentant dans la fiction, les diverses modalités ou modélisa-tions des phénomènes. Aussi les mythes de la langue sont-ils pourtout écrivain des réalités inhérentes à son pouvoir d’expression, qu’ils’agisse de la langue adamique, de Babel ou de la Pentecôte. Parexemple, il est du domaine de l’expérience esthétique que la languede l’écrivain réactive comme sa scène originelle la langue adamique.Ainsi, pour le Barthes du Degré zéro de l’écriture, l’«état adamiquede l’écriture», c’est «d’être délivrée de la signification». Et dansla mesure où «le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’estd’obliger à dire. Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité laplus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir»108,la littérature (ou la fiction), qui ne souffre pas d’«asymbolisme»,oppose comme antidote au pouvoir fascisant de la langue ses poten-tialités créatrices, originales autant qu’originelles. Parallèlement,l’instance de l’écriture mime le moment de la babélisation deslangues: selon Nicolas Bouvier qui considère le mythe de Babelcomme une bénédiction, Dieu a instauré la division des languespour échapper à l’ennui de l’écriture109. Conversement, l’état per-manent de la langue est pour Amélie Nothomb celui de la langueuniverselle à la Pentecôte: «Pour moi il n’y avait pas des langues,mais une seule et grande langue dont on pouvait choisir les variantesjaponaise ou française, au gré de sa fantaisie. Je n’avais encorejamais entendu une langue que je ne comprenais pas.» La languen’a pas d’histoire ni de genèse: l’écrivain est toujours en traind’apprendre la langue, de l’expérimenter, il est toujours un infans:«Je suis écrivain: finalement je fais le même métier qu’à deux anset demi»110.

Il y a en particulier dans la poésie – héritière à cet égard dumythe111 – la conviction inaltérable, sinon d’une origine mysté-rieuse, tout au moins de l’existence d’un «originel langage desDieux», comme disait Montaigne112, d’une «langue des dieux»,comme dira Bonnefoy lorsqu’il tentera de cerner «l’origine de la

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parole»113. Encore ne faudrait-il pas réintroduire après coup, par unréflexe de scientificité déplacé, une autre forme de discriminationdans la complicité objective qui s’instaure pourtant entre linguisteset poètes. Dédiant conjointement à René Char et à André Martinetses Sept poètes et le langage, Georges Mounin imagine parfaitementmettre sur un pied d’égalité «l’intuition des poètes et le savoir deschercheurs» lorsqu’il déclare que «les formules éclatantes de RenéChar sur la poésie l’ont aidé à comprendre en linguiste l’usage poé-tique du langage, au moins autant que la linguistique l’a aidé à com-prendre plus pleinement le fonctionnement du langage poétique».Néanmoins il ne lui vient malheureusement pas à l’idée queces «formules éclatantes» – assimilées dans la foulée, en ce quiconcerne les Mots anglais de Mallarmé, aux «élucubrations duXVIIIe siècle sur l’origine et la méchanique des langues» – puissentjamais décrire le fonctionnement du langage en général alorsqu’elles ne parviennent pas à le faire pour le seul langage poétique:«Il faut donc dire aux poètes, et brutalement, qu’ils ne sont pasoutillés pour analyser cette production de la poésie dont ils ont le pri-vilège»114. Une telle négation qui cache une dénégation relève en faitd’une méconnaissance de la valeur heuristique et herméneutique dela poésie sur le terrain même qui est d’ailleurs le sien, celui del’«imaginaire» de la langue. Qu’elle soit «émithologique» (commeaurait dit Guillaume Postel), «myth(étym)ologique» (André Bla-vier115) ou «onomatopoétique» (Gérard Genette)116, la linguistiquede Nodier n’est pas étrangère à ce regain d’intérêt pour l’«imagi-naire» linguistique. Non seulement parce qu’elle se définit dans unordre propre dont la légitimité n’a pas à être démontrée ou improu-vée: comme dit Jean-François Jeandillou, les erreurs de Nodier nepeuvent être démenties, «elles demeurent, sub specie aeternitatis, deshérésies non falsifiables». Mais surtout parce que, en corollaire dela remarque précédente, elle permet d’ordonner conceptuellement lechamp des phénomènes linguistiques qui, du seul point de vue empi-rique, ne sauraient se sauver de leur propre chaos.

Fantastique et illusoire, un pareil corps de savoir [celui de laLinguistique selon Nodier] constitue proprement une science fiction– c’est-à-dire une poésie –, s’accommodant au mieux de la fiction denom qu’est, «littéralement» (Préface du Dictionnaire, 1818, p. 15),l’onomatopée fondatrice […]. C’est parce que la réalité des événementsapparaît chaotique et irrationnelle qu’il importe de récrire ce quel’auteur ne craint pas d’appeler une «histoire positive des faits de lalinguistique»117.

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L’origine du langage à travers les âges: des Grecs aux Modernes

Issues d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Genève les 8 et9 décembre 2000118 et complétées par des contributions sollicitéesensuite, les études réunies dans ce volume se sont toutes donné pourobjectif commun d’explorer les spéculations, les hypothèses, voireles rêveries qui se sont multipliées autour de la question des ori-gines du langage. Toutes retravaillent, dans leur ordre, des thèmesdevenus classiques: la babélisation des langues, l’existence de lalangue des dieux ou de la langue animale, l’expérience de l’enfantsauvage, le cratylisme et l’étymologie, l’opposition entre écriture etvoix, l’image de la langue comme monnaie et change… Si elles pri-vilégient les aspects théoriques des mythes du langage tels qu’ils setrouvent élaborés par des grammairiens comme Varron ou Dally,des théologiens comme Augustin, des philosophes ou penseurscomme Bacon, Herder, Court de Gébelin, des logiciens commeMarty, elles ne s’interdisent pas pour autant les mises en abîme qu’enont faites la littérature de fiction ou la poésie (la fable ésopique,Dante, Hölderlin ou Balzac).

Le sujet ayant par définition une portée à la fois historique et trans-disciplinaire, il impliquait d’associer à l’entreprise les meilleurs spé-cialistes qui ont abordé, dans leur domaine respectif et selon lespériodisations qui sont les leurs, les mythes et les fictions relatifs aux«origines du langage». Si, à toute époque, la question préjudicielle del’origine du langage a constitué un lien de droit et de fait entre philo-sophie, théologie, littérature, histoire des religions, histoire des idées,histoire de l’épistémologie, histoire de la linguistique, trois grands«moments» historiques méritaient néanmoins d’être retenus tantpour l’allégorie des dates qu’ils proposent que pour l’intensité de laréflexion qu’ils ont produite ou les coupures épistémologiques qu’ilsincarnent: sans nul doute, l’Antiquité, la Renaissance et le Siècle desLumières ont accordé une importance heuristique de premier rangaux mythes du langage, et ce n’est pas une coïncidence si ces troisépoques constituèrent aussi des percées dans le domaine des sciencesdu langage, d’autant plus que les réflexions qu’elles développent sesituent dans une forme de dialogue entre elles, ou à tout le moins dansune continuité d’inspiration qui les font interagir à distance.

Chez les Grecs, nous assure Philippe Borgeaud119, la parole n’avaiten soi rien de divin: elle était au contraire considérée comme une

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simple technê toujours prête à verser dans l’art de la sophistique oude l’illusionnisme. En revanche, elle hante les espaces frontaliersentre culture et nature: des êtres situés à la limite de l’animalité(satyres par exemple) se mettent à parler tantôt grec (comme leSilène de Midas) tantôt un langage intelligible fait de cris ou degémissements (comme Pan), lorsqu’ils ne s’enferment pas dans lemutisme obstiné dont témoignent les hommes sauvages des îlesSatyrides. À la vérité c’est le langage des bêtes, bien plus que le lan-gage humain, que la mythologie grecque retient et valorise: ainsi ledevin Mélampous ou Apollonios de Tyane communiquent-ils avecles oiseaux pour tirer d’eux leur savoir. En déclarant que les ani-maux peuvent posséder les organes phonatoires leur permettant deproférer des sons articulés (phonai), mais n’ont pas la capacité deconversation (dialektikos) qui est propre à l’homme, Aristote a sansdoute contribué à promouvoir les oiseaux au rang d’interprètes dela langue des dieux, tenue pour une sorte de langage intérieur, ainsique le voudront plus tard les stoïciens et Augustin. En tout état decause, les Grecs, qui ignorent à l’évidence Babel, ne conçoiventguère de mythe d’origine de la parole (l’identification Hermès-Thotles amène à s’intéresser plutôt à l’origine de l’écriture), pas plusqu’ils n’opèrent de différenciation entre la langue des hommes et lalangue des dieux, laquelle n’a du reste aucune fonction créatricecomme en sera doté plus tard le logos des stoïciens ou des néo-platoniciens. Il est vrai que des référents peuvent parfois recevoir desdénominations différentes dans la langue des dieux, mais il s’agitsurtout alors d’un jeu poétique, d’un exercice virtuose de décryptage(la parole théurgique – d’inspiration plus égyptienne – n’apparaîtraque plus tard, avec Jamblique). Car même si l’invention des appel-lations divines peut apparaître comme la condition de naissance dela mythologie, l’homme n’a aucun moyen de connaître, comme ditle Cratyle, les noms que les dieux se donnent entre eux, d’autant plusque ces dénominations changent à l’exemple de leurs identités ou deleurs formes. L’étymologie ne concernera dans cette hypothèse quel’efficacité du rituel selon une distinction – reprise par Jamblique –qui vise à sauvegarder la double exigence d’une vérité universelle etdes spécificités locales.

Comme le souligne René Amacker120, les fragments de Varron àpropos du langage donnent une vision tout aussi peu cohérente etguère systématique des origines du latin, dont l’invention est impu-tée tantôt à l’autorité d’un roi (Romulus), tantôt à l’action d’un créa-teur (impositor) que ce «nomothète» soit anonyme, unique ou

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multiple. Quant à l’interprétation stoïcienne telle qu’Augustin larapporte en faisant silence sur les interprétations chrétiennes(langue adamique, épisode de Babel), elle cherche pour sa part àmotiver le signe en recourant à l’iconicité des mots originels: l’ono-matopée s’engendre par la «mimêsis sonore d’un objet sonore», parla «synesthésie» ou encore par une sorte de correspondance pré-établie (plus curieux est chez saint Augustin lui-même le procédé«phonosymbolique» chargé de décalquer la signification de la qua-lité intrinsèque du son vocal). Tout à l’opposé, les théories épicu-riennes que Lucrèce met en scène dans ses fictions narratives ferontporter l’accent sur la nature intersubjective et contractuelle du lan-gage, dont la création repose sur les obligations collectives. Cecritère de sociabilisation reçoit d’ailleurs des interprétations diver-gentes à l’intérieur même de la philosophie épicurienne: alorsqu’Épicure insiste sur le rôle de l’expression individuelle destinée às’étendre par la suite à la collectivité, Lucrèce prend position pourune activité sémiotique primaire qui, au regard du critère du besoin(utilitas), rapproche le cri des animaux et la voix humaine dans unecontinuité et une identité postulées par la conception atomistique dela natura rerum.

Dans ces conditions, une certaine «modernité linguistique» pren-drait alors naissance avec la contradiction – qu’examine CurzioChiesa121 – entre la version donnée par la Divine Comédie (qui veutqu’Adam lui-même déclare renoncer à faire de la langue primitiveune exception par rapport aux autres langues) et la version antérieuredu De vulgari eloquentia (où le problème de l’origine du langagedemeure hypothéqué par l’interdit qui oblige à conserver la langueadamique jusqu’au Christ). Dans cette seconde hypothèse, la«langue vulgaire» serait la prima locutio, l’idiome universel et spon-tané, contrairement à la grammatica (le latin) qui n’accède à cetteuniversalité que par art et artifice. Contrairement à l’ange et àl’animal qui n’ont pas besoin de langage (sur cet objet, Dante romptà la fois avec Aristote et Thomas d’Aquin), ce serait donc la diversité,la variabilité et l’imprévisibilité de l’homme qui constituent sonlangage. En adoptant la thèse stoïcienne qui dénie le langage aux ani-maux de manière à faire du critère de mutabilité linguistique un fon-dement anthropologique (la langue change autant que l’être humains’avère être muable), Dante semble conférer une valeur inaugurale,constitutive et fondatrice à l’infinité des désirs de l’homme désormaiscomprise non dans le sens négatif des platoniciens ou des épicuriens,mais conformément à la thèse chrétienne de Numésius qui voit dans

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cette infinitude une preuve de la liberté de l’homme. Thèse qui pré-figure à notre avis, par-delà le néoplatonisme Renaissant (pour Picde la Mirandole, l’«homme-protée» est ut deus), l’anthropologielinguistique du XIXe siècle telle que l’inaugure Herder. À la suited’Avicenne qui liait d’une façon explicite l’infinité des désirs à expri-mer et le caractère arbitraire des sons, Dante n’hésite pas à voirdans la puissance combinatoire de la langue humaine la réponse laplus adéquate à la démultiplication existentielle des désirs, commesi en définitive cette puissance combinatoire (qui respecte audemeurant le critère syntaxique des stoïciens: parler, loqui, c’estplacer, locare, les mots dans un ordre nouveau) se révélait être par-tie prenante et intégrale de «la puissance créatrice illimitée» del’homme. Il est vrai que, d’un autre côté, Dante s’oblige à penser quela langue – une forme de langage infuse par Dieu – est concréée(concreata) avec l’âme d’Adam. Aussi, la langue d’Adam reflétera sonétat de premier homme: ce n’est pas une langue maternelle, collec-tive, changeante, mais une langue qui dure, à la vérité non parce quela forma locutionis serait la cause formelle du langage (en effet, lacapacité linguistique demeurera intacte après Babel), mais parcequ’il s’agit là d’une langue véritablement innée, une langue toute faiteet inscrite dans l’âme d’Adam. Aussi le traité du De vulgari s’effor-çait-il de conserver les deux termes de l’alternative que constituentcréation divine et fabrication humaine du langage, langue miracu-lée et langue naturelle. S’inspirant d’Augustin, Dante fera en consé-quence de la langue hébraïque post-babélienne à la fois unesurvivance de la langue adamique et une langue comme les autres (etnon plus une langue mère), à la fois une langue morte et artificiellecomme l’était le latin et qui conserve l’identité première, et unelangue condamnée à la mutabilité. À la vérité, la palinodie d’Adamdans le Chant XXVI du Paradis résoudra cette contradiction en faisantremonter cette mutation à l’apparition même de la langue de grâce(la perfection adamique n’aura duré tout compte fait qu’un bref ins-tant), l’épisode de Babel ne survenant que pour allégoriser «aprèscoup» cette corruption par définition fondamentale et par anticipa-tion déjà originelle. S’il demeurait ainsi impératif pour Dante demaintenir, comme l’avait fait Raban Maur, une symétrie entre Adamet le Christ qui, dans la perspective du salut, doivent parler tousdeux la même langue en dépit de la vicissitude naturelle inhérente àtoute langue, il est d’autant plus convaincant que ce soit en défini-tive dans la Divine Comédie, et non dans le Traité, que Danteconsacre, par la bouche d’Adam, l’autonomie anthropologique de lalangue. La linguistique est bien l’affaire des poètes.

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En tout état de cause, ce que prétendent montrer les mythes d’ori-gine, ne serait-ce pas qu’en fin de compte la perte de l’origine est unechance bien plus qu’un malheur ou une malédiction, et la babélisa-tion des langues une felix culpa? Claude-Gilbert Dubois122 sedemande à juste titre si la tradition chrétienne du Moyen Âge et dela Renaissance n’a pas commis en réalité un contresens en attri-buant à une faute originelle la dispersion des langues après Babel.De fait, loin de vouloir privilégier l’unité comme le fait le platonisme,la Genèse semble au contraire promouvoir résolument l’idée d’unemultiplication qui ne conduirait cependant en aucun cas à la divi-sion, où la confusion des langues serait tenue pour un facteur deprospérité et de développement. Alors que l’erreur de Nembrod, encroyant pouvoir se «faire un nom» (ou se nommer bien que depuisAdam, l’homme ne pût que nommer les autres, mais jamais se nom-mer lui-même), avait pour résultat négatif de fixer l’humanité en unpoint limité de la terre tandis que la diversité et la pluralité sontl’apanage de l’humanité, l’édification de la tour définit à la fois lesprogrès techniques et leurs limites, proposant une sorte de «remèdedans le mal» où prévaut, quelle que soit la nature monogénétique oupolygénétique des hypothèses auxquelles elle apporte tour à tour sacaution, la nécessité de la multiplicité linguistique selon un schémade rédemption dont l’épisode néotestamentaire de la Pentecôte offrele mythe complémentaire.

Pour sa part, Marie-Luce Demonet123 situe la question de l’originedu langage sur un autre axe de discrimination que l’oppositionlangue sacrée/langue humaine. Le geste inaugural de la Renaissanceaura donc été de remettre en cause l’ordre de succession entre appa-rition de la parole («logocentrisme») et invention de l’écriture(«graphocentrisme»). Ainsi, le jésuite belge Hermann Hugo (1588-1629) rêve, dans son Prima scribendi origine (1617), d’une écritureuniverselle définie sur le modèle des idéogrammes chinois et quipourrait réunir toutes les nations dans une sorte de pax linguistica.L’entreprise de Hugo, qui vise à la «désubordination de l’écriture»érigée désormais en un code indépendant et possédant un statut àpart entière, s’inscrit dans la continuité immédiate de la secondescolastique des terministes ou des scotistes qui, à la suite de Pierred’Ailly, prônent la dépendance stricte de l’écriture par rapport auconcept: le mot prononcé, le mot écrit et la statue d’Hercule sont enquelque sorte «synonymes», le rapport entre écriture et peinture(ou sculpture) aboutissant à une conception proprement visuelle de

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la représentation. Mais la position du jésuite se trouve renforcée, àla même époque, par la tradition ésotérique (kabbale et théorie dessignatures) soucieuse également de promouvoir l’écriture mais sansimpliquer bien sûr le pouvoir magique des images, lesquelles évo-luent plutôt du côté des systèmes symboliques que sont les écritures«chiffrées» ou codées. Faut-il comprendre que la valorisation del’écriture à partir de la Renaissance serait comme une manière deressaisir l’origine de la parole dans une économie fonctionnelle etatemporelle du signe symbolique?

L’enfance serait-elle alors cette origine, à la fois perdue, oubliée,mais toujours peut-être de retour du langage? En interrogeant lecélèbre «embrayeur» qui situe l’énonciation des contes et des fablesdans la proximité de la parole animale, Michel Jourde124 semble enquelque sorte vouloir relire Humboldt à travers Giorgio Agamben:l’origine de la langue n’est autre chose que son actualisation. Et sil’origine est bien une fable, c’est-à-dire la parole même, y a-t-il mieuxque la fable (ésopique) elle-même pour le suggérer? À y regarder deprès, l’origine est moins celle du langage que celle de la communi-cation ou du dialogue (de la parole) comme en témoignent les verbesphoneô, homophôneo, employés pour désigner le partage de laparole entre hommes et bêtes à l’âge d’or. S’accorder, vivre en paix,parler ensemble, s’entretenir ou se convenir, l’âge du langage est enréalité l’âge de l’écoute, du dialogue. Plus précisément de la «prisede parole», seule capable d’opérer dans le temps présent une ouver-ture à la fois vers un temps antérieur et un temps à venir. Or cettefaculté de communication, Ésope l’acquiert pour lui-même dès lorsque, muet de naissance, il en arrivera à passer, le jour où il vomit desfigues, de l’oralité à la verbalité: la Vita du fabuliste ne raconte plusalors une origine du langage mais une accession au langage com-prise comme une expérience physique «ancrée dans une situation etdans un corps, située donc dans une «historicité». Une gerbe detextes que Michel Jourde tresse avec quatre auteurs de laRenaissance viendront faire nœud à l’impossible datation de ce«temps où les bêtes parlaient», que ce temps soit imminent («Il n’ya pas trois jours», ou «deux heures», comme disent Rabelais ouDu Fail) ou qu’il appartienne simplement à un présent qui s’ignore(comme chez Des Périers ou Cervantès). «Temps historique» (celuide la société), «temps biographique» (de l’avènement du «Je») et«temps d’énonciation (quel temps me faut-il pour parler?)», l’ins-tance originelle du discours que mettent en scène les fables est «à lafois un temps lointain et proche, un temps perdu et toujours possible

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à retrouver par la parole». Bref le temps de l’enfance, comme il a étéannoncé, temps du mutisme (infans) mais temps qui pourtant necesse de parler de nous et en nous.

Comme le montre Nadine Vanwelkenhuyzen125, la quête des ori-gines du langage dans l’exégèse du XVIIe siècle poursuit la décons-truction critique du paradigme biblique amorcée à la Renaissancesous ses deux formes, protestante (l’hébreu langue-mère) et catho-lique (le don divin du langage). Dans le premier cas, le pluri-linguisme de Babel n’est plus perçu ni vécu comme un châtiment,d’autant plus que, selon Annius de Viterbe, la dissémination a déjàlieu au moment du Déluge avec le thème polygénétique des ano-nymes «noachides». Au début du XVIIe siècle, A. Torniello monte enépingle l’injonction biblique de la multiplication que contrecarrel’érection de la Tour. Aussi l’hébreu (la langue d’Heber) n’est-il plusqu’une langue comme les autres. Chez le théologien réforméGiovanni Diodati, chez Lorenzo da Brindisi ou chez Fausto Sozzini,c’est l’homme qui crée en conséquence le langage, donnant ainsi àla notion d’«origine» un sens délibérément profane: Adam neconnaîtra des animaux auxquels il donne un nom que les qualitésqui tombent sous l’évidence des sens et de l’expérience (la notion de«raison commune», de ratio communis, remplace celle de «languematrice»). Dans la foulée, Ferdinandio di Diano (1626) reprendtous les arguments des «médecins physiciens» (comme diraitLaurent Joubert) qui peuvent se déduire de l’anatomie phonatoire,de l’examen de la langue des animaux ou des sourds, etc., pourdévelopper un relativisme sceptique clouant au pilori tout impéria-lisme linguistique. Au contraire de ce qui se passe dans le Nord oùl’hébreu langue mère cède ses prérogatives à un prototype abstraitidentifié à la langue autochtone, l’étruscomanie et l’autonomie dela langue indigène n’engendreront jamais de velléités véritablementdominatrices chez les théoriciens italiens: la théorie du «catastro-phisme» fournira à ces derniers la nouvelle fiction heuristique quiréorientera le primat des origines vers une conception de la mixitécaractérisant la langue vulgaire, où se mêlent identité nationale etvariation linguistique.

Le philosophe et mystique Hamann fut, comme chacun sait, lecontradicteur de Herder lors de la querelle que suscita, au crépus-cule des Lumières, le concours de l’Académie de Berlin. DanielDroixhe126 donne une traduction et une interprétation du Dernieravis et testament du chevalier de Rose-Croix sur l’origine divine et

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humaine du langage. À la vérité, la «surnaturalisation» de l’originedu langage conduit paradoxalement à l’affirmation de l’historicitélittérale et radicale de l’homme aux divers plans corrélés de l’ali-mentation, de la langue et du sexe. La découverte de la langue imi-tative, qui se produit par analogie avec le «grognement» des porcschez les premiers hommes, démystifie ainsi les constructions ration-nelles des Lumières. De même la réduction de la pensée à une ori-gine sexuelle (la composante civilisatrice de la sexualité était déjàaffirmée par Condillac et Tetens) vise à condamner, sous la figure del’«Hercule Gaulois», l’éloquence séductrice et superficielle des phi-losophes, selon un système de couplages où se taire et recevoir for-ment les vrais modèles respectivement à l’œuvre dans l’ordre dulangage et de la sexualité. Finalement Hamann prolongerait, davan-tage encore que Rousseau et Kant, l’anthropologie des Lumièresdans la mesure où cette vraie mystique et parodie de l’évolution-nisme déduit de l’existence de l’animalité – réputée constituerprimitivement la condition de l’homme – la promesse d’une authen-tique humanité appelée à se construire par un jeu de suppléances (de«dangereux suppléments», aurait dit Rousseau) et d’oppositions.

Les commentateurs, toujours aussi nombreux, du Traité de l’ori-gine du langage (Abhandung über den Ursprung der Sprache) pren-nent rarement le temps ou la peine de s’interroger en véritablesphilologues sur les significations multiples, complexes et probléma-tiques que peuvent revêtir chez Herder la notion et la catégorie del’«origine». Tout en se refusant à voir là une influence néoplatoni-cienne, Wolfgang Pross127 fait état d’une source identifiable dans untraité de Damascius dont Herder nous a laissé une copie manuscriteen grec. Davantage qu’une source à proprement parler, l’extrait dupère de l’Église remplit le rôle d’une «table d’orientation» dans lasolution des apories auxquelles Herder se trouve confronté tout aulong de ses recherches sur le langage. Si l’Essai sur la poésie lyriquedistinguait, sur le modèle des sciences de la vie, l’origine (genèse), lecommencement (formation d’un type) et la naissance (méta-morphose), le Traité circonscrit pour sa part l’existence de l’hommeà l’univers réel dont il fait partie en vertu d’une palingénésie conti-nuelle: «Je deviens ce que je suis. Ich werde was ich bin». L’hommeest «inné à soi-même», et l’idée d’origine cède la place à celle desmodifications, ou des «évolutions des forces qui sont en nous».Comme Charles de Brosses, Herder considère alors que l’homme, entant qu’animal, possède déjà toutes les facultés propres à développerle langage d’une façon unitaire et synthétique. Or la notion de l’Un

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qui serait tout, Herder la trouve moins chez Spinoza que chezDamascius, sur lequel la lecture du Hermes de James Harris avaitattiré son attention. Donc, selon cette notion, Dieu a abdiqué sonpouvoir en faveur de l’autonomie de la Création et l’homme inven-tera désormais le langage «par la disposition entière de toutes lesforces humaines» qui se manifestent dans «l’unique force positivede la pensée», l’image fameuse de l’os sublime d’Ovide se trouvantretravaillée par l’anthropologie de Daubenton, qui fait de la «direc-tion verticale» une caractéristique de l’homme devenu, en compa-raison des autres espèces animales, le «premier affranchi de laCréation» (Leibniz). Par la suite, Herder renforcera l’importancedes faits physiologiques ou anatomiques (importance que tempèretoutefois la métaphore du cerveau qualifié de «fleur céleste») audétriment de la psychologie elle-même. Finalement, Herder, en lec-teur de Harris et de Damascius, combinera une vision aristotéli-cienne (l’homme est situé dans la contingence) et stoïcienne(la raison et la nature sont identifiées). L’«Un humain» du néo-platonisme, l’«Un de l’âme» ou cet «Un qui se trouve en nous»(Damascius) établira une médiation entre les deux extrêmes de l’êtreet du devenir: néanmoins, ce sera bien chez Herder la nature phy-sique de l’homme qui organise «la disposition entière de toutes lesforces humaines», cautionnant par là l’origine immanente à elle-même du langage128.

Parmi les «rêveries» qui prétendent renouveler la science du lan-gage en dépassant les apories des Lumières, il faut assurémentcompter la «somme» systématique et conséquente de Court deGébelin. Anne-Marie Mercier-Faivre129 se pose la question du «pourquoi» de cette œuvre et des raisons multiples (philosophiques, lin-guistiques, mythographiques ou poétiques) qui motivent les erreurs-errances étymologiques, aussi hasardeuses que laborieuses,auxquelles se livre son auteur. Indissociable de la vie et de la per-sonne de ce penseur protestant, proche des Physiocrates, tout à lafois franc-maçon et mesmérien, la «science nouvelle» (l’expressionrappelle Vico) s’inscrit dans le courant émergent de l’«anthropolo-gie» telle que la définissent Alexandre César de Chavannes ouJ. B. Robinet, en tous les cas dans une intention plus associative etunitaire que différentielle (dans la pensée naturaliste des Lumières,il y a «une chaîne continue qui lie tout à l’homme» dans une conver-gence des «séries physiques» et des «séries morales»). Optant pourune origine divine du langage (en créant les organes vocaux del’homme, Dieu a programmé de facto l’apparition de la parole),

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Gébelin considère le langage (de même d’ailleurs que la sociabilité,ou la capacité imitatrice) comme une faculté virtuelle, existant àl’état de «germe», l’homme et la nature baignant en quelque sortedans le langage. Tout respectueux qu’il soit des récits bibliques,Gébelin refuse pourtant la malédiction de Babel qui condamneraitles efforts de l’humanité (Babel représente la première société légale,celle des agriculteurs, que la dissémination post-babélienne ne faitqu’étendre à l’ensemble du monde). Partisan de l’hypothèse celtiqueen ce qui concerne la langue mère (les druides ont sauvegardél’idiome primitif), Court de Gébelin définit l’étymologie non commela dérivation linguistique mais bien plus véritablement comme «laconnaissance du rapport des mots entre eux et de leur rapport avecla nature même des choses». En souvenir de Rousseau, les racinessont des caractères imitatifs qui se répartissent, entre voyelles pourles sensations et consonnes pour les idées, le tout formant «unalphabet naturel, immuable et universel de vingt et une lettres»(pour sauver la prééminence celtique, Gébelin admet à cet égarddeux ordres de perfection, celle de la nature et celle de la culture).C’est ainsi que l’histoire de Cadmos, le fondateur de Thèbes,explique la position du A comme première lettre de l’alphabet, toutel’histoire des «temps fabuleux» étant finalisée au demeurant par ladécouverte de l’agriculture et de l’astronomie, que supportent unevision irénique du monde et une lecture poétique du langage.

Gerda Hassler130 regroupe trois ensembles de questions qui, entreLumières et Romantisme, feront évoluer les discussions de la lin-guistique «de l’origine des langues aux langues du monde»(Droixhe). Évoquant les concours académiques de la fin du siècle,Gerda Hassler revalorise ainsi des textes quelque peu éclipsés parl’Essai de Herder comme le mémoire de Michaëlis de 1759 qui, cen-tré sur la question du «génie de la langue», déplace déjà en amontla question de la philologie vers celle de l’anthropologie telle que laformulera le concours de 1771. Les manuscrits recensés par GerdaHassler montrent comment, sous l’influence de Condillac, le langagearticulé se conçoit, dans le prolongement du geste, comme imitationdes sons (des animaux), option méthodologique qui développe enmême temps un «empirisme hypothétique» fondé sur la diversitédes langues (notamment exotiques) et sur la différenciation destraits culturels (comme chez l’Italien Soave) plus que sur la capaciténaturelle et universelle de parler. Aussi en 1792 le concours del’Académie invitera-t-il à la comparaison entre les langues dontl’évaluation, comme chez Jenisch, se fera surtout en fonction de

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critères politiques et économiques. D’où, dans un deuxième temps,l’apparition des classifications des langues telles que les entrepren-dra, pour le domaine amérindien et roman, Hervàs (qui privilégiecomme processus de différenciation «l’artifice grammatical» priscomme l’invariant des familles de langues): elle viendra éclipser laquestion de l’origine du langage au profit de la recherche étymolo-gique (comme chez Rask qui s’inspire de Turgot). Quant auxIdéologues, ils ne tarderont pas à remplacer la quête de la langue ori-ginelle par celle d’une langue analytique, dont l’histoire des langagesrévèle qu’elle est une optimalisation progressive des caractèresd’abstraction et des valeurs prosaïques de la langue même si, pourJean-François Thurot par exemple, le langage artificiel ainsi définirésulte d’un instinct qui lui confère le statut d’«un fait primitif»(du reste tout hypothétique). Les Idéologues refuseront néanmoinsl’explication condillacienne de l’idée comme «sensation transfor-mée» (un fait ne saurait se transformer en fait, ni le résultat êtreidentique à la cause) et maintiendront un niveau de réflexion séparéde la sensation, assurant du même coup la continuité de la concep-tion linguistique des Lumières à celle du dix-neuvième siècle. LesCollections de langues, pour leur part, n’accorderont pas à l’avenirdavantage d’importance au problème de l’origine du langage: ladescription de Pallas sera poursuivie par Hervàs qui déduit de l’exis-tence de l’arbitraire du signe l’origine divine du langage (la naturede l’homme qui est partout la même devant produire en tous lieuxdes effets semblables, il n’y aurait pas de langues différentes sansintervention divine). Et si ce n’est pas l’un des moindres paradoxesque le précurseur de la linguistique historique et comparatiste fassereposer sa démonstration sur les données bibliques comme la dis-persion des langues après Babel, en tout état de cause l’empirismepurement hypothétique des Lumières (comme la fiction des deuxenfants sauvages) a basculé vers un véritable empirisme fondé surles faits de langue observables.

Selon Antoine Raybaud131, la fin des Lumières dessinerait deuxréponses à la malédiction de Babel: l’une, inspirée de Herder pris icicomme répondant allégorique, se déclinerait comme la recherchedes langues du Paradis ou de la langue primitive, qui travaillera lesromantiques français de Chateaubriand à Hugo; l’autre, qui est fon-dée sur les savoirs requis et sur de nouvelles hypothèses de travail– et qui triomphera avec Champollion – initierait une démarche de«reconnaissance de l’altérité et de la multiplicité toujours recon-vertibles» et non plus «de réduction de l’étrangeté». Révolution

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culturelle, affirme Antoine Raybaud, dans laquelle la poésie joueraitsa partie comme orchestration de la rumeur et des mille voix dumonde. D’un côté donc, l’idée herdérienne selon laquelle le bruisse-ment de la langue, chez cet être d’ouïe et d’écoute qu’est l’homme,résonne (et raisonne) en harmonie avec le bruissement universel dela nature, trouverait son exploitation dans l’analyse que faitSenancour du «ranz des vaches» (fragment de texte ainsi nomméqui sert d’illustration à l’étude intitulée De l’expression romantique):le retour à la «langue primitive» se double du rejet de la civilisation,de la conservation subsidiaire des origines sous la forme de «ves-tiges» (de «débris», chez Herder) et d’une «épiphanie de l’ouïe»(«l’acoustique de l’âme, die Akustik der Seele», disait Novalis). Aumutisme des langues historiques, à l’énigme du Sphinx, lesContemplations de Hugo opposeront ainsi le «poème inouï de lacréation», la grande voix lyrique, intarissable, de la nature. D’unautre côté, c’est avec cette vision réductrice des langues, avec cet«universalisme linguistique» qui hypothèque leur diversitéculturelle que rompra la démarche d’un Champollion profondémentpersuadé que toute langue humaine est digne d’inventaire, et sus-ceptible de donner lieu à un savoir. Les découvertes paléonto-logiques de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire sur la diversificationdes organisations animales, qui se perd dans la nuit des temps,viennent ici rejoindre étrangement le projet philologique de Cham-pollion. Partant d’un matériau hétéroclite, l’égyptologue français selivrera à une reconstitution de ce que Mauss appellera le «fait socialtotal»; et il fera revivre les configurations culturelles et historiques,particulières, singulières et uniques dans une sorte de Résurrectiondes Morts. Désormais, dans ce «retournement de Babel», ce n’estplus la voix de la nature mais l’épigraphie qui parle aux poètes,comme le montre la méditation de Chateaubriand au cimetière juifdu Lido à Venise. Ou comme chez Hugo ces descentes chez lesmorts, ces «nekuiai» poétiques, qui révèlent «cette Babel dumonde» dans les assemblages et les stratifications des empires etdes cultures. Ou encore chez Flaubert La Tentation de saint Antoinequi est comme la mise en perspective, le panoptikon (et non plusson harmonie sonore), de la pluralité.

En dépit de la montée de la philologie et de la linguistique compa-rée, les grammairiens du XIXe siècle n’abandonneront pas pourautant, tant s’en faut, les fictions sur les origines du langage. PierreSwiggers132 exhume pour notre grand bonheur le cas de NicolasDally (né en 1795) qui, à côté d’ouvrages d’ethnographie, de géo-

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graphie et d’anthologies de récits de voyage, est l’auteur de deuxgrammaires. Il est vrai que c’est significativement dans les notes debas de page de son Essai de grammaire générale que Dally se réserve,comme honteusement, de développer ses fantaisies étymologiques,voire ses théories «naturalistes» concernant la langue primitive.À l’époque où Nodier écrit son Dictionnaire des onomatopées, Dallys’enferme dans des conceptions «glottogénétiques» reposant à lafois sur une systématisation philosophique et sur la collecte de don-nées ethnographiques et, ce qui est le plus intéressant et novateur,sur une mécanique universelle du mouvement qui n’est pas sansrappeler les spéculations contemporaines sur le couple «action etréaction» (Dally est le fondateur de la «Cinésiologie ou science dumouvement» qui lui donnera un nom dans le domaine de l’éduca-tion physique). Par ailleurs la classification des sciences qu’il pro-pose bien avant Wundt fait de la philosophie la science la plusenglobante dans la mesure où elle promeut «l’aperception des rap-ports entre les propriétés physiques et les idées» selon des degrés decomplexification qui font de «l’histoire de la philosophie ou de l’his-toire de l’histoire de la philosophie» d’une certaine manière «la rai-son de la raison». Concrètement, la formation des langues vérifierale principe familier aux Idéologues selon lequel l’homme ne par-vient que progressivement à «une conscience pure de ses sensa-tions». À l’étape primitive régie par la symbolisation «expressive»et «globaliste» succédera l’état de société qui donne naissance aulangage «analytique», le langage parlé consistant en l’espèce dansl’association d’une marque d’«exclamation» (exprimant «la pre-mière sensation») et d’une marque «représentative («le phénomènequi lui a donné naissance») selon un ordre d’enchaînement allant«du physique au physique, puis du physique au moral, enfin dumoral au moral». Par la décomposition des premiers mots en élé-ments simples qu’il combine dans tous les sens, le locuteur en arriveainsi dans un premier temps à promouvoir les signes d’idées indivi-duelles au rang de signes d’idées collectives, générales et abstraites,puis dans un second temps à différencier ces derniers signes dansune sorte de langue des calculs que ne manque pas d’exemplifier uneabondante documentation ethnographique. Tous comptes faits, lesfantaisies de Dally relèvent d’un syncrétisme grammatical où,méthodologiquement, se télescopent sans apparence de contradic-tion sensualisme condillacien, épistémologie idéologique, réalismemathématique, mimétisme symbolique universel et relativismelinguistique.

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La question de l’origine n’acquerrait-elle donc une légitimitéscientifique qu’en tant que fiction linguistique? En tout état decause, qu’une poésie des origines soit consubstantielle à l’originede la poésie, c’est ce que semble nous suggérer Bernard Böschen-stein133. De même que ses contemporains les indo-européanistes pla-ceront l’origine du langage sur les hauteurs abruptes de l’Himalaya,c’est dans un paysage montagneux, plus précisément dans la naturealpestre, qu’Hölderlin place «l’antique chaos créateur», cette«béance» ou ce mélange originel qui, prenant un sens humain parl’analogie entre la révolution du monde et la révolution politique,précède toute différenciation des temps. Dans ce scénario, la «voix»du Rhin dessine le spectre de la poésie, originaire de l’Orient qui luidonne le feu premier de l’enthousiasme mais condamnée aussi àrenoncer à ce statut originel, qu’elle médiatisera et actualisera parfragments dans l’économie de l’espace culturel occidental. Mais celangage initial, cette énergie première que le Rhin investit dans lafondation de cités, Rousseau – «ce nouveau Dionysos» selonHölderlin – les traduit dans l’état premier de méditation solitaire etd’affranchissement poétique intérieur dont témoigne la «Cinquièmerêverie». Car ce que cherche en réalité Hölderlin, dans le doubleéloge conjugué du Rhin et de Rousseau, c’est la possibilité de«recommencer, pour la première fois depuis les Grecs, à chanter ànouveau d’une façon originelle», weil wir, seit den Griechen, wiederangefangen […] eigentlich originell zu singen. Source du chant autantque chant de la source, l’«hymne au Rhin» transforme l’origine enprogramme, le commencement en vocation.

Comme Court de Gébelin à qui l’expression servait d’épigraphepour le dictionnaire étymologique de la langue française en 1778,Balzac aime l’«aventure de l’étude des mots» dont il charge le héroséponyme de son roman Louis Lambert. Pour Olivier Pot134, cette fic-tion intellectuelle procède à une expérimentation romanesque qui,entre savoir scientifique et intuition mystique, articulerait théorielinguistique et gnoséologie agnostique dans le dessein affiché dedépasser l’aporie héritée des Lumières: c’est au prix d’un jeu tou-jours actualisé d’action et de réaction (selon le principe analysé parJean Starobinski) où interagissent subjectivité et objectivité, idéa-lisme et sensualisme, que le mythe de l’origine divine du langagecautionne de ses virtualités le mystère de la formation de la pensée,dont le point d’émergence historique se perd désormais dans lestemps obscurs et inaccessibles de l’humanité. À cet égard, LouisLambert vérifie au niveau de son destin personnel et tragique la

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théorie de la «puissance» ou de la «force» créatrice du langage queBalzac pouvait trouver, sinon chez Humboldt, tout au moins chezMaine de Biran. Ou mieux encore chez un certain… Henri Lambertqui est son répondant allégorique dans l’histoire de la linguistique.

Que la question de l’origine du langage ne s’arrête de loin pas avecl’article 2 des statuts de la Société de linguistique de Paris, c’est ceque démontre assurément l’étude inédite qu’Anne-MargueriteFryba-Reber135 consacre à la thèse de doctorat d’Anton Marty, Überden Ursprung der Sprache (Sur l’origine du langage), parue en 1875.Élève de Brentano à Vienne dont il suit les cours avec Husserl, Freudou Masaryk, professeur de philosophie d’abord à l’université deCzernowitz puis à Prague où il aura pour auditeurs Brod, Kafka etMathesius, le Suisse Anton Marty dessine avec ce premier ouvrageun tournant significatif dans l’approche du problème: il quitte ledomaine de l’anthropologie ou de la psychologie pour entrer deplain-pied dans la philosophie du langage, comme en témoigne laréception mouvementée de ses thèses chez Steinthal, Jaberg, Funkeou Tobler. Pour Marty, il faut choisir entre la théorie du nativisme(fondé sur la notion du «son réflexe») et l’empirisme (qui impliqueune formation intentionnelle, absichtlich, du langage). Dans lesfaits, l’homme a utilisé au départ des signes naturels qui, employés«intentionnellement» par voie d’analogie, d’association ou de répé-tition, en viennent finalement à désigner des états psychiques. C’esten somme «par l’exploitation ininterrompue d’un système phoniquepar les locuteurs en situation de communication» que s’opère lepassage des signes naturels aux signes conventionnels, puis auxsignes syncatégorématiques qui construisent la syntaxe, toutes opé-rations qui présupposent la valorisation du langage phonique audétriment de la langue des gestes. Il est significatif que Marty, bienavant Saussure, crédite Humboldt d’avoir ramené la question del’origine du langage («D’où vient la langue?») à celle de son fonc-tionnement («Qu’est-ce que la langue?», « À quoi la langue sert-elle?»). La conception téléologique qu’il propose a le doubleavantage de combiner le point de vue génétique (l’intentionnalité)sans tomber toutefois dans l’arbitraire du conventionnalisme absolu(le système de la langue échappe à toute programmation ou planifi-cation volontariste).

Le volume se clôt sur un échange entre Maurice Olender et JeanStarobinski à propos de l’analogie langue/monnaie136. Le dialogue aréellement eu lieu, et prolonge une intervention faite par Maurice

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Olender en 2000 et publiée dans Starobinski en mouvement sous letitre «Quelques images de la monnaie des langues»137. La questionne concerne pas à proprement parler l’origine du langage mais enrelève par sa nature mythique et imaginaire: Maurice Olenders’interroge sur les pouvoirs de falsification des mots qui, à l’instar desmonnaies, sont susceptibles de détruire le «lien social», de mettreà mal les formes civiques de «l’échange», de «porter atteinte à dessignes politiques qui constituent une part inhérente à l’humain».L’enquête menée par Maurice Olender nous entraîne dans les aven-tures et les avatars du mot monnaie à travers les siècles, la littératureet la philosophie, depuis le nomisma des Grecs qui implique le«partage légal» (nomos) ou la moneta des Latins (associée à la«Concorde», Moneta est aussi la Mère des Muses); jusqu’à Valéry(dont l’anthropologie «décline le rôle du langage dans ses liens avecla valeur fiduciaire, Fiducia) ou encore Paul Celan (où la métaphorede la monnaie dit le souffle vital de la langue, Atemmünze); enpassant bien sûr par le théoricien de l’économie qu’est NicoleOresme (XIVe siècle), Nicolas Copernic (XVIe siècle) ou Rivarol («leslangues sont les vraies médailles de l’histoire»). Changer de «nom»et changer de «monnaie» sont des opérations identiques; le «faux-monnayeur» s’en prend directement «à Dieu et à la nature», per-vertit l’ensemble du système des valeurs, et de surcroît violel’intimité même des membres de la communauté. Il n’y a pas jus-qu’au Prince (à l’Autorité) qui ne soit soumis à la loi de l’échange:s’il peut battre monnaie, il n’est ni le maître ni le propriétaire de cequi «appartient à la communauté et aux personnes singulières»(Nicole Oresme). Marquée du sceau de la monnaie, la leçon delinguistique tourne à la leçon de démocratie: comme dit Michaëlis,«les mots ne sauraient perdre leur signification reçue sans leconsentement du peuple. Le langage est un État démocratique».

L’interprète – inter-pretium, c’est «le marchandage, le prix fixé paraccord commun» – pourrait être le garant de l’équivalence et de laconvention sociale. Mais dans les occurrences analysées par JeanStarobinski, c’est plutôt la «fausse monnaie» qui reluit d’un éclatsingulier, ambivalent, séducteur. Montaigne, qui dénonce dans lesopinions humaines la prépondérance de l’utilité («usage») à l’en-contre du «bon alloy», invite pourtant au «réalisme politique»lorsque, au nom de son scepticisme radical, la «fauce monnoye» luiparaît seule instaurer une apparence de consensus et en définitivesauvegarder la paix publique (la loi de Gresham autorisera plus tardaussi, pour des raisons économiques, «une certaine tricherie sur letitre de la monnaie»). Leçon que Rousseau annotera et retiendra

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mais pour faire dériver «l’homologie parole/monnaie» en directionde «l’homologie mensonge/fausse monnaie». Car entre la monnaieet le langage subsiste une différence de poids: la monnaie possèdeune certaine réalité substantielle, la parole, elle, n’est que du vent,comme le prouve le cortège des bouffons et parasites qui, dePanurge au Neveu de Rameau, se paient de mots, donnent de laparole pour argent comptant. Encore faudrait-il être sûr qu’il existeune «valeur monétaire intrinsèque». Ce qui est aussi la questionposée au langage, au langage d’origine.

Qu’elles soient mythologiques, philosophiques, poétiques ouromanesques, l’ensemble des «genèses conceptuelles» dont cevolume redéploie le prisme en fonction de périodisations variableset dans la diversité de leurs contextes épistémologiques, ne sauraientêtre reléguées d’un seul coup au musée archéologique de la linguis-tique. Tout au contraire elles se révèlent – sans doute parce quejustement elles se présentent comme «infalsifiables» – être indis-sociables du savoir que nous pouvons avoir de la langue. Si des «fic-tions heuristiques» qu’elles proposent il ne peut rien être conclu dedéfinitif quant à l’origine vraie de la langue, elles n’ont pas moinsde pertinence dans leur domaine d’application que d’autres modesde connaissance qui se prétendraient «scientifiques».

Tant il y a qu’en matière de langage le savoir de l’origine n’est pastrès différent de l’histoire des hypothèses qui cherchent à mettre enscène cette origine, à la faire parler pour nous.

Post-scriptum

Au moment de mettre le présent volume sous presse, nous appre-nons la disparition de Jean-Pierre Vernant. C’est pour nous l’occa-sion de rappeler que ce savant connaisseur de la pensée grecques’est toujours montré attentif et sensible aux imbrications et auxchevauchements, parfois imperceptibles, souvent problématiques,du muthos et du logos. Ainsi, en 1989, Jean-Pierre Vernant énonçaitdéjà par avance, sur le mode précieux pour nous de la confessionautobiographique et du témoignage, les présupposés méthodo-logiques qui ont guidé tout au long notre introduction. À savoir

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la forte implication et compromission de l’imaginaire, à tout lemoins au regard des sciences humaines et des disciplines liées aulangage, dans la constitution, le devenir et l’avenir de la rationalitéscientifique:

Les hommes de ma génération, philosophes, linguistes, historiens,anthropologues, partagent au départ une même certitude. Ils saventque, pour mener à bien, dans leur domaine, le travail de recherche, illeur faut renoncer aux rêveries que suscitent la nostalgie des originesou la foi rassurante en une vocation providentielle de l’histoire. Quand,sous la férule de mon maître, I. Meyerson, j’assurais, dans ma jeu-nesse, le secrétariat de rédaction du Journal de psychologie, fondé parJanet et Dumas, j’avais fait mienne, pour l’appliquer à la lettre auxarticles que nous recevions, la règle que, dès sa fondation, la Société delinguistique avait formulée en son article 2: n’admettre aucune com-munication concernant l’origine du langage. D’un côté, l’enquêtescientifique sur les diverses langues, le langage, la pensée, les civilisa-tions; de l’autre, les fables sur le parler originel ou sur les fins ultimesde l’aventure humaine. Entre les procédures strictes de la démarcherationnelle et les fantaisies naïves de l’imaginaire mythique, la cou-pure nous semblait nette, tranchée, définitive.C’est notre assurance qui était naïve. Nous avions un peu vite oubliéqu’au même titre que le bon sens de Descartes l’imagination est, chezl’homme, la chose du monde la plus généralement partagée […]. Lesdiverses formes de rationalité scientifique s’élaborent en même tempsqu’elles construisent, dans chaque discipline, leur objet propre et leursméthodes spécifiques d’investigation. Les domaines que le savant sepropose d’explorer ne sont jamais, dans les sciences humaines, desterres vierges, mais des continents dont la carte est déjà dressée par latradition et que la pensée religieuse a depuis longtemps parcourus enen fixant les voies d’accès et les itinéraires. En outre, quand un cher-cheur entreprend de promouvoir un nouveau champ d’études, les pro-blèmes qu’il est conduit à se poser au cours de son enquête sonttoujours plus ou moins l’écho des grandes interrogations qui tra-vaillent le corps social dans son ensemble, concernant son identité, lepassé où il s’enracine, ses responsabilités présentes, l’avenir dont il estporteur138.

Une telle lucidité ne saurait être que l’aboutissement d’un par-cours intellectuel alliant la conviction profonde avec la responsabi-lité critique. En tout état de cause elle est le prélude le plus appropriéque l’on pouvait souhaiter pour ce volume consacré aux «Originesdu langage».

O. P.

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NOTES

1. «Am Anfang was (geschah biffé) war?», Paul Klee, Histoire naturelle infinie(Unendliche Naturgeschichte), in Écrits sur l’Art, Bâle et Stuttgart, éd. Jürg Spiller,Schwabe & Co Verlag, éd. française Dessain et Toira, Paris, 1977, t. II, p. 13.

2. «Die Metapher des Anfangs war Drang zu sprechen», Herder, Abhandlung überden Ursprung der Sprache, 1772, trad. fr. dans Herder, Traité de l’origine du langage,Paris, éd. Denise Modigliani, Presses Universitaires de France, 1992, p. 94.

3. Voir pour le contexte immédiat Gabriel Bergounioux, «Aux origines de la sociétéde linguistique de Paris (1864-1876)», in Bulletin de la Société de Linguistique de Paris,t. XCI, 1996, fasc. I, p. 1-36, article dont nous nous inspirons de manière substantielle.Et pour un point de vue plus large, Sylvain Auroux, «La question de l’origine deslangues: ordres et raisons du rejet institutionnel», in Theorien vom Ursprung derSprache, Hrsg. von Joachim Gessinger et Wolfert von Rahden, Berlin, New York,De Gruyter, 1989, t. II, p. 122-150.

4. Gabriel Bergounioux, art. cité, p. 3.5. Piet Desmet, La Linguistique naturaliste en France (1867-1922). Nature, origine et

évolution du langage, Louvain-Paris, Peeters, 1996, p. 173.6. Piet Desmet, ibid., p. 175. Broca s’oppose à Chavée qui, «concluant de la poly-

genèse des langues à la polygenèse des races, avait fait des caractères linguistiques labase exclusive de la classification des races humaines» (ibid. p. 172). Pour Broca, il n’ya pas coïncidence entre le type de langue et le type physique.

7. Gabriel Bergounioux, art. cité, p. 3. Le refus de s’intéresser à la question deslangues universelles et à leur fabrication s’explique par la crainte d’«entrer dans lespolémiques espérantistes».

8. Sylvain Auroux, «Linguistique et anthropologie en France (1600-1900)», inHistoires de l’anthropologie: XVIe-XIXe siècles, Paris, Klincksieck, 1984, p. 291-318.

9. Sylvain Auroux, «La question de l’origine des langues», article cité, p. 145.10. Walter Benjamin, Œuvres, Paris, Gallimard, coll. «Folio Essais», p. 142-165.11. Jean-Pierre Brisset, La Grammaire logique, suivi de la Science de Dieu, Précédés

de 7 propos sur le 7e ange par Michel Foucault, Paris, Tchou, 1970. Voir aussi MarcDécimo, Jean-Pierre Brisset, prince des penseurs, inventeur, grammairien et prophète,Paris, Les Presses du réel, 2001.

12. Jean Roudaut, Poètes et grammairiens au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1971;Marina Yaguello, Les Fous du langage: des langues imaginaires et de leurs inventeurs,Paris, Éditions du Seuil, 1984, et plus récemment, Les Langues imaginaires: mythes,utopies, fantasmes, chimères et fictions linguistiques, Paris, Éditions du Seuil, 2006;Sylvain Auroux, Jean-Claude Chevalier (éd.), La Linguistique fantastique, Paris,J. Clims, Denoël, 1985. Ces ouvrages se situent dans la continuité du livre d’AndréBlavier, Les Fous littéraires, Paris, Veyrier, 1982, réédité par les Éditions des Cendres,Paris, 2001, qui s’inscrit lui-même dans une tradition inaugurée au début du XIXe sièclepar Charles Nodier notamment avec sa Bibliographie des fous: de quelques livres excen-triques, rééd. Paris, Éd. des Cendres, 2001.

13. Marina Yaguello, Les Fous du langage, op. cit., p. 50.14. Julia Kristeva, Le Langage, cet inconnu. Une initiation à la linguistique, Paris,

Éditions du Seuil, coll. «Points», 1981, p. 10.15. Daniel Droixhe, De l’origine du langage aux langues du monde. Études sur les XVIIe

et XVIIIe siècles, Tübingen, Narr, 1987.16. Guy Jucquois, De l’égocentrisme à l’ethnocentrisme ou Les illusions de la bonne

conscience linguistique, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1986.17. La Linguistique entre mythe et histoire, Actes des journées d’étude organisées les

4 et 5 juin 1991 à la Sorbonne en l’honneur de Hans Aarsleff, éd. Daniel Droixhe, ChantalGrelle, Münster, Nodus Publikationen, 1993.

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18. Maurice Olender, Les Langues du Paradis. Aryens et Sémites: un couple provi-dentiel, préf. de Jean-Pierre Vernant, 1989, édition revue et augmentée, Paris, Éditionsdu Seuil, coll. «Points Essais», n° 294, 2002. Sur les dérives «racistes» auxquellespeut conduire la confusion du mythe et de la science, voir «Les langues mégalo-manes», Le Genre humain, n° 21, Paris, Éditions du Seuil, 1990 et Maurice Olender,La Chasse aux évidences. Sur quelques formes de racisme entre mythe et histoire, Paris,Galaade Éditions, 2005.

19. Jean Starobinski, «Les langues du Paradis de Maurice Olender», in L’Infini,n° 32, hiver 1990, p. 30 et p. 34. J. Starobinski se livre lui-même à une amusante miseà nu de l’«inconscient scientifique» analysée par Françoise Balibar, «Les vaguesd’Eddington», in Critique, t. LX, p. 687-688, 2004, numéro spécial consacré à «JeanStarobinski», p. 631-641. Néanmoins, l’existence d’une «science impure» ne sauraitinnocenter «la fiction» qui elle aussi peut se faire «impure»; ainsi, à propos du«savant qui quitte le domaine de la science pour s’avancer dans celui de la fiction»,le critique ajoute: «Beaucoup diraient, aujourd’hui, que nous étions depuis toujoursdans la fiction, et que nous n’en sommes jamais sortis. On se serait donc toujourstrompé, ce qui équivaut à dire qu’on ne s’est jamais trompé? Je suis persuadé ducontraire.» Voir aussi ici même, p. 63, le témoignage de J.-P. Vernant.

20. Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, coll.«Tel», 1966, t. I, p. 18 sq.

21. Edward Sapir, «Herder’s Ursprung der Sprache», in Historiographica linguis-tica, 1984, XI, 3, p. 355-358. La position de Sapir tient compte des données anthropo-logiques.

22. L’«épilinguistique» (Antoine Culioli) désigne le savoir athéorique du sujet par-lant par contraste avec le savoir théorique que le linguistique traduit en métalangage.Or cette frontière entre «épilinguistique» et «métalinguistique» s’abolit d’une partavec la mise en cause de la notion de métalangage, et d’autre part du fait même ducaractère «autonymique» de la langue. Finalement, la connaissance linguistique res-sortit à la question du degré de conscience que possède le sujet parlant au niveau dusavoir qu’il peut avoir de sa langue, et non à une position de surplomb que le linguisteoccuperait par rapport à ce même sujet parlant qui, en l’espèce, est aussi lui-même.C’est ce que découvre le «second Wittgenstein» qui abandonne le logicisme pourl’étude de la «langue naturelle», voir Antonia Soulez, Wittgenstein et le tournant gram-matical, Paris, PUF, 2004.

23. Louis Marin, La Critique du discours: sur la Logique de Port-Royal et les Penséesde Pascal, Paris, Éditions de Minuit, 1975.

24. Voir Marc Crépon, Les Promesses du langage: Benjamin, Rosenzweig, Heidegger,Paris, J. Vrin, 2001 et Le Malin Génie des langues: Nietzsche, Heidegger, Rosenzweig,Paris, J. Vrin, 2000. Voir aussi plus généralement «Ce que les philosophes disent de leurlangue? que reste-t-il du “génie” des langues», Rue Descartes, n° 26, Paris, PUF, 1999.

25. André Robinet, Le Langage à l’âge classique, Paris, Klincksieck, 1978, p. 115. Voiraussi p. 86-88, «L’expérience du langage, modèle de l’analyse psycho-physiologique».

26. Wolfgang Pross, Jean Pauls geschichtliche Stellung, Tübingen, M. NiemeyerVerlag, 1975, p. 133 sq.

27. Voir sur la position de Weber l’excellente mise au point de la Bibliothèqued’Humanisme et Renaissance, 56, 1, p. 157 sq.

28. «Wenn die Theorie auf die Erfahrung warten sollte, so käme sie nie zu stande.Halbe Theorie führt von der Praxis ab – Ganze zu ihr zurück», cité par S. Hausdörfer,«Die Sprache ist Delphie. Sprachursprungstheorie […] bei Novalis, Friedrich Schle-gel und Friedrich Hölderlin», in Theorien vom Ursprung der Sprache. Hrsg. von J. Ges-singer et W. von Rahden. Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1989, Bd. II, p. 468.

29. Henri Meschonnic, «Poésie sans réponse», in Pour la poétique, V, Paris,Gallimard, 1978, p. 60.

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30. Alain Rey, Les Spectres de la bande. Essai sur la B. D., Paris, Éditions de Minuit,1978, p. 18.

31. Henri Meschonnic, «La Nature dans la voix», Introduction à Charles Nodier,Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, Mauvezin, Trans-Europ-Repress,1984, p. 86.

32. Voir Jean Starobinski, Les Mots sous les mots, Paris, Gallimard, 1971. À la ratio-nalité du Cours, Michel Deguy oppose la «folie» des anagrammes définie comme«l’attirance en réponse à l’appel […] du sans-fond de la rumeur propre à la langue,appel de l’infinité propre à la langue auscultée pour elle-même, dans son jeu le plusnécessaire et gratuit», «La folie de Saussure», in Critique, janvier 1969, p. 22. Voiraussi le numéro spécial intitulé «Les deux Saussure», Recherches, n° 16, Fontenay-sous-Bois, Cerfi, septembre 1974, et Peter Wunderli, Ferdinand de Saussure und dieAnagramme. Linguistik und Literatur, Tübingen, Niemeyer, 1972.

33. On sait que Saussure n’a pas dédaigné une approche parapsychologique de l’ori-gine du langage comme son contemporain Victor Henry, Le Langage martien. Étudeanalytique de la genèse d’une langue dans un cas de glossolalie somnambulique, Paris,Maisonneuve, 1901, et Antinomies linguistiques; Le langage martien, Paris, Études pré-sentées par Victor Henry, F. Alcan, 1896, rééd. avec un avant-propos de Jean-LouisChiss et Christian Puech, Louvain-Paris, Peeters, 2001.

34. Pour une critique du recours constant aux notions d’«origine» ou de «primiti-visme» chez Freud voir néanmoins Émile Benveniste, «Remarques sur la fonction dulangage dans la découverte freudienne», in Problèmes de linguistique générale, op. cit.,p. 83.

35. Voir Jean-Claude Milner, L’Amour de la langue, Paris, Éditions du Seuil, 1978.36. Cité dans Maurice Olender, «Politiques de l’étymologie», Au nom du sens.

Autour de l’œuvre d’Umberto Eco, Colloque de Cerisy, éd. Jean Petitot et Paolo Fabri,Paris, Grasset, 2000, p. 218.

37. Roland Barthes, «Proust et les noms», in To Honor R. Jakobson, La Haye,Mouton, 1967, p. 50.

38. Jean Paulhan, La Preuve par l’étymologie, Paris, Éditions de Minuit, 1953, rééd.Le Temps qu’il fait, 1988, p. 19-20.

39. Ibid., p. 109.40. Ibid., p. 46.41. Ibid., p. 56-57.42. Ibid., p. 82.43. Brice Parain, De fil en aiguille, Paris, Gallimard, 1960, p. 19 et p. 192.44. Pour ce qui suit, je me suis inspiré librement de quelques revues scientifiques

qui ont fait le point sur les théories les plus récentes concernant l’origine du langage:le numéro hors-série de Sciences et avenir, n° 125, décembre 2000/janvier 2001, «Lalangue d’Homo erectus»; Science & vie, hors-série n° 227, juin 2004, Du langage auxlangues: découvertes, questions d’origine, éd. Jean-Pierre Icikovics, Paris, ExcelsiorPublications, 2004; Le Temps stratégique, n° 94, juillet-août 2000, «Les mystères dulangage». Pour une discussion pondérée et critique de ces méthodes voir GuyJucquois, Pourquoi les hommes parlent-ils? L’origine du langage humain, Louvain-la-Neuve, Classe des Lettres, Académie royale de Belgique, 2000, qui recense les diversesapproches actuelles en sciences biologiques, embryologie, neurologie, génétique despopulations, paléontologie, éthologie, paléolinguistique ou paléoanthropologie du lan-gage. Voir aussi Marcel Locquin, Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques?,Paris, Albin Michel, 2002 et Jean-Louis Dessalles, Aux origines du langage: une histoirenaturelle de la parole, Paris, Hermès-Science, 2000.

45. Voir John Maynard Smith, Eörs Szathmàry, Les Origines de la vie: de la naissancede la vie à l’origine du langage, Paris, Dunod, 2000.

46. Voir Le Monde des 6 et 19 octobre 2001.

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47. Pour Yves Coppens, une période de sécheresse sévère, vers 2,5 à 3 millionsd’années, aurait entraîné une transformation des voies respiratoires supérieures de nosancêtres et par voie de conséquence un développement de leurs facultés phonatoires.

48. Voir sur ces derniers développements du problème Le Monde du vendredi 9 mai2003. L’approche «génétique» s’accommode facilement d’une vision raciologique,voir Luigi Luca Cavalli-Sforza, Gènes, peuples et langues, Paris, Odile Jacob, 1996.

49. Derek Bickerton, Language and Human Behaviour, Londres, UCL Press, 1996.50. Cité par Marina Yaguello, Sciences et avenir, op. cit., p. 6.51. Merritt Ruhlen, L’Origine des langues: sur les traces de la langue mère, préf. d’André

Langaney, trad. fr. Pierre Bancel, Paris, Belin, 1996 et Gallimard, Folio Essais n° 487,2007. Cette hypothèse de travail avait déjà conduit à la reconstitution du «nostratique»du Russe Starostine.

52. Sylvain Auroux, Sciences et avenir, op. cit., p. 13.53. Steven Pinker, L’Instinct du langage, Paris, Odile Jacob, 1999.54. Voir dans Le Temps stratégique, op. cit., l’article de John Stewart, «L’esprit existe-

t-il? Scientifiquement le mystère reste entier», p. 25-35.55. George Steiner, Après Babel, une poétique du dire et de la traduction, Paris, Albin

Michel, 1978, passim.56. George Steiner, Langage et silence, Paris, Éditions du Seuil, 1969.57. News Essays on the Origin of Language, éd. Jürgen Trabant et Sean Ward, Berlin-

New York, Mouton de Gruyter, 2001.58. Les Langues du monde, éd. Sylvain Auroux, Bibliothèque pour la science, Paris,

Pour la science, 1999.59. Comme l’est encore, en revanche, le dernier numéro de Marges linguistiques,

n° 11 «The Origin of the Language Faculty and of Languages», éd. BéatriceFracchiolla, mai 2006. Cette livraison ne consacre au sujet que deux articles d’histo-riographie linguistique (sur le XVIIIe siècle et sur Saussure) tandis que les autres contri-butions se fondent sur des modèles sémiotiques, éthologiques, communicationnels(au sens large: «From Chemical Communication to Spoken Language», parB. Fracchiolla), et surtout génétiques.

60. «L’origine du langage: mythes et théories», p. 16-39.61. «L’invention des langues», p. 362-389 (sur les utopies linguistiques).62. «Les mystères de l’émergence du langage», p. 270-280.63. «Pourquoi parler, comment comprendre?», p. 236-253.64. «La langue façonne-t-elle le monde?», p. 254-269.65. «Les langues créoles», p. 390-427.66. Régine Robin, Le Deuil de l’origine. La langue en trop, la langue en moins, Saint-

Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1993.67. Comme dit Magali Bessone, De la Justice, Paris, GF Corpus, 2000, p. 76, en réfé-

rence à la Généalogie de la morale de Nietzsche, si «la question du symptôme se sub-stitue à celle du fondement» […] «c’est au présent que le généalogiste s’intéresse».

68. Honoré de Balzac, Discours sur l’immortalité de l’âme, in Œuvres diverses, Paris,«La Pléiade», Gallimard, t. 1, 1990, p. 536. Voir Anne-Marie Baron, Balzac ou les hié-roglyphes de l’imaginaire, Paris, Champion, 2002, p. 39.

69. Paul Ricœur, La Critique et la Conviction. Entretien avec François Azouvi et Marcde Launay, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 222 sq.

70. Pierre Gibert, Bible, mythes et récits de commencement, Paris, Éditions du Seuil,1986. La Bible impose des mythes d’origine du fait même de la nomination de son pre-mier livre: Genèse. Voir Claudine Pouillouin, Le Temps des origines. L’Éden, le Déluge,Paris, Champion, 1998 et «Commencements/Genèse», Graphè, n° 4, 1995 (sur laBible). Sur l’origine du langage dans la tradition de l’Islam, voir Abdelfattah Kilito, LaLangue d’Adam et autres essais, Casablanca, Les Éditions Toubkal, 1996.

71. Voir Alain Rey, «Entre création et révélation», in Sciences et avenir, op. cit., p. 92-93.

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72. Jacques Le Brun, La Jouissance et le Trouble. Recherches sur la littérature chré-tienne de l’Âge Classique, Genève, Droz, 2004, chap. IX, «Sens et portée du retour auxorigines dans l’œuvre de Richard Simon», p. 209-120. Voir aussi le ch. XXIII «DeL’Histoire critique du Vieux Testament à Totem et tabou, L’invention de l’origine (XVIIe-XXe siècle)», p. 561-611.

73. Le critère de légitimation appelle à différencier la «provenance» de l’«origine».Voir le collectif Herkunft und Ursprung. Historische und mythische Formen derLegitimation, éd. Peter Wunderli, Sigmaringen, Thorbeche, 1994, en particulierl’article de Peter Wunderli, «Sprachursprungstheorien in der Romania», p. 179-205.

74. Max Loreau, «La philosophie comme construction nécessaire du mythe d’ori-gine», in Le Temps de la réflexion, n° 1, octobre 1980. Voir aussi de Max Loreau,L’Attrait du commencement, Bruxelles, Les Éditions du Botanique, 1988 et La Genèsedu phénomène. Le Phénomène, le Logos, l’Origine, Paris, Éditions de Minuit, 1989(Première partie: «La parole, la vue, l’origine»). Voir aussi en général «L’origine», inRevue Corps écrit, Paris, PUF, 1990.

75. Wolfgang Iser, L’Acte de lecture: théorie de l’effet esthétique, Bruxelles,P. Mardaga, 1985, p. 117.

76. Voir le numéro de la revue Texte, 17/18, 1995, consacré à «L’Imaginaire de lathéorie». Voir aussi Hallyn, «Littérature et science», numéro spécial de Littérature, 82,1992.

77. Mircea Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, coll. «Folio Essais»,1971. Suspecte, assurément, que cette nostalgie: contre Heidegger qui prône le«dépassement» de la métaphysique par un retour «en deçà» de son origine, versl’originel, Theodor W. Adorno objectera à juste titre qu’après Auschwitz «l’horreur dela fin éclaire d’une façon aveuglante le mensonge des origines», Métaphysique. Conceptet problèmes, éd. Christophe David, Lausanne, Payot, 2006, p. 100.

78. Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Éditions du Seuil, coll. «Essais», 3 vol., 1983-1985. Selon Ricœur, le récit comporte trois rapports mimétiques (une «triple mimê-sis»): au temps agi et vécu, au temps propre de la mise en intrigue, au temps de lalecture. Voir aussi Henri Atlan, La narrazione delle origini, a cura di Lorena Preta,Rome, Laterza, 1991.

79. Voir Étienne Klein, Les Tactiques de Chronos, Paris, Flammarion, 2003.80. Voir Jean-Dominique Poli, Pour René Char. La place de l’origine, La Rochelle,

Rumeur des Âges, 1997. Pour les rapports entre science et fictions d’origine, lire lesouvrages de Henri Atlan: Les Étincelles du hasard, Paris, Éditions du Seuil, La librai-rie du XXIe siècle, 1999-2003; À tort et à raison: intercritique de la science et du mythe,Paris, Éditions du Seuil, coll. «Points Sciences», 1999, et La narrazione delle origini,H. Atlan et al., a cura di Lorena Preta, Rome-Bari, Laterza, 1991.

81. Michel Espagne, De l’archive au texte. Recherches d’histoire génétique, Paris,PUF, 1998, p. 50-51, qui se réfère aux Entretiens sur les notions de genèse et de struc-ture, éd. Maurice de Gandillac, Lucien Goldmann et Jean Piaget, Paris-La Haye,Mouton & Co, 1965. La comparaison est faite avec le cinéma qui insiste sur le bascu-lement entre deux images.

82. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Lausanne, Payot, 1974,p. 24.

83. Note autographe de F. de Saussure, CLG/E (I), p. 147, N12, n° 1086, reproduitepar Johannes Fehr, Saussure entre linguistique et sémiologie, Paris, PUF, 2000, p. 125-126. «Au chapitre IV de la Genèse, nous voyons Adam donner des noms», reprendailleurs Saussure, CLG/E (I), p. 147, N23. 3, n° 1085, ibid.

84. Saussure, op. cit., p. 166-167. Henri Delacroix, Le Langage et la Pensée, Paris,Alcan, 1930, p. 128, retravaille comme Saussure l’aporie de l’origine du langage (lecercle vicieux de Rousseau ou de Herder) dans le sens du système, du fonctionnementactuel de la langue: «L’histoire du langage n’atteint pas les origines, puisque le lan-

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gage est la condition de l’histoire.» De plus, «l’origine du langage ne se confond pasavec l’origine des langues. Les langues les plus anciennement connues, les langues“mères”, n’ont rien de primitif. Elles nous renseignent seulement sur les transforma-tions que subit le langage; elles ne nous indiquent pas comment il s’est créé. […] Laseule base que nous ayons, c’est l’analyse des conditions de possibilité du langage».Le laboratoire de la fiction et du mythe est une des façons les plus efficaces et les plusélégantes d’expérimenter les «possibilités du langage», ses potentialités originaires.

85. O. Jespersen, Progress in Language, Londres-New York, 1894. Voir ici même lacontribution de Pierre Swiggers qui se réfère à Jespersen.

86. Gérard Bucher, L’Imagination de l’origine, Paris, L’Harmattan, 2000, qui défendla nécessité et la possibilité d’une approche effective – démythifiée – de l’origine, parlede salto mortale propre à effectuer une articulation secrète entre les traces pures dusacré – l’extraction ritualisée des reliques – et la profération première de la parole.

87. Émile Benveniste, «Coup d’œil sur le développement de la linguistique» (1963),in Problèmes de linguistique générale, Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1966, t. I, p. 27.

88. Wilhelm von Humboldt, Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, éd.Pierre Caussat, Paris, Éditions du Seuil, 1974, p. 60. Pour Humboldt, la question del’origine du langage perd son sens génétique puisque chaque locuteur d’une langue estlui-même l’origine de sa langue, dans la mesure où le langage est une potentialité, uneenergeia (une activité en train de se faire), et jamais un ergon (une œuvre achevée).

89. Émile Benveniste, art. cit., ibid.90. Saussure, op. cit., p. 82.91. Acta Linguistica, n° 3, 1942-1943, p. 3.92. Georges Didi-Huberman, Être crâne. Lieu, contact, pensée, sculpture, Paris, Édi-

tions de Minuit, 2000, p. 49-50. Il s’agit, dans le contexte immédiat, de l’«irruptiondans le présent» de notre existence aléatoire et mortelle: «Par exemple, nous sommesbien familiarisés avec l’idée, ou l’image vague, idéalisée que notre «lieu de naissance»a été le ventre de notre mère. Mais il est plus difficile de nous familiariser avec le pré-sent d’une telle situation: difficile de regarder, chaque matin dans le miroir, notrepropre crâne comme le moulage – l’empreinte durcie par nos propres ans – du détroitgénital de maman.» (Ibid.)

93. Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, 1928, trad. S. Muller,Paris, Flammarion, 1985, p. 35 et p. 43-44. Voir aussi Berndt Stiegler, «La destructionde l’origine. Ernst Jünger et Walter Benjamin», in Littérature, n° 112, décembre 1998,p. 112-126.

94. Walter Benjamin, Œuvres, op. cit., t. I, p. 156. Sur la conception linguistique deBenjamin, voir Jean-Pierre Schobinger, Variationen zu Walter BenjaminsSprachmeditationen, Bâle-Stuttgart, Schwabe, 1979 et Winfried Menninghaus, WalterBenjamins Theorie der Sprachmagie, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1980. La traductionde Maurice de Gandillac, L’Homme, le Langage et la Culture, Paris, Denoël/Gonthier,Bibliothèque Médiations, 1974, contient, sous le sous-titre «De la politique à la sémio-logie», des textes comme Schriften, Illuminationen: Angelus Novus tirés de Mythe etviolence et de Poésie et révolution.

95. Walter Benjamin, Œuvres, op. cit., t. II, p. 359-363. L’idée sera aussi développéedans le texte intitulé Théorie de l’analogie.

96. Walter Benjamin, Œuvres, op. cit., t. III, p. 8.97. Tel est, semble-t-il, le mot de la fin dans la «Recenzion» de Benjamin, ibid.,

p. 41. Pour asseoir son idée d’une «physiognomonie de la langue», Benjamin se réfèreau rôle mimétique de la danse chez Mallarmé: «La danseuse n’est pas une femme quidanse […] mais une métaphore résumant l’un des aspects élémentaires de notre forme,glaive, coupe, fleurs, etc.», (la citation est tirée de Mallarmé, «Ballets», in Crayonnésau théâtre, Divagations, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. «La Pléiade», 1945,p. 304).

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98. Walter Benjamin, op. cit., p. 8-9, qui se réfère au livre de Paul Hankamer, DieSprache, ihr Begriff, ihre Deutung im sechszehnten und siebzehnten Jahrhundert, Bonn,Cohen, 1927.

99. Ernst Cassirer, Langage et mythe, 1929, trad. fr. Paris, Éditions de Minuit, 1973,p. 48-50.

100. Walter Benjamin, op. cit., p. 12-13.101. Car selon Olivier Leroy, dans La Raison primitive. Essais de réfutation de la

théorie du prélogisme, Paris, P. Geuthner, 1927, p. 94, cité par Benjamin, op. cit., p. 14,«le primitif de naguère était celui qui était proche du singe; aujourd’hui, le primitifest celui dont le langage se caractérise par «la richesse et la variété des formes».

102. Henri Delacroix, Le Langage et la Pensée, Paris, Alcan, 1930, p. 128 sq., cité parBenjamin, op. cit., p. 8.

103. Walter Benjamin, op. cit., p. 43, qui cite Kurt Goldstein, «L’analyse de l’apha-sie et l’étude de l’essence du langage», in Henri Delacroix et al., Psychologie du langage,Paris, Alcan, 1933, p. 495 sq.

104. Maurice Merleau-Ponty, «Le langage indirect et les voix du silence», in Signes,(1960), Paris, Gallimard, coll. «Folio Essais», 2001, p. 124-125.

105. Maurice Merleau-Ponty, «Sur la phénoménologie du langage», ibid. p. 130-131. Paul Ricœur avoue avoir été très impressionné par cet article de Merleau-Pontyparu en 1951, in La Critique et la Conviction. Entretien avec François Azouvi et Marc deLaunay, Paris, Hachette, Littérature Pluriel, 2001, p. 46.

106. Walter Benjamin, L’Origine du drame baroque, op. cit., p. 29. Cette «tâche dela représentation de l’idée» qui «n’est rien de moins que de dessiner cette image enréduction du monde» explique la fascination de Benjamin pour la «monadologie» deLeibniz (ibid., p. 46). Benjamin se souvient peut-être ici de Herder dont la philosophiede l’histoire se référait aussi au modèle monadologique «comme donnant les moyensde conférer tous ses droits à l’originalité des cultures, et ce, sans renoncer pour autantà l’horizon cosmopolitiste d’une communication interculturelle», Herder, Histoire etculture, Paris, GF Flammarion, 2000, Introduction d’Alain Renaut, p. 34.

107. Ibid., p. 39.108. Roland Barthes, La Leçon: leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire

du Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, Paris, Éditions du Seuil, 1978, rééd.coll. «Points», n° 205, 1989.

109. Nicolas Bouvier, L’Échappée belle: éloge de quelques pérégrins, Genève,Métropolis, 1996, p. 30.

110. Amélie Nothomb, Métaphysique des tubes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 86.111. Quelles que soient les cultures, semble-t-il, voir Marcel Detienne et Gilbert

Hamonic, La Déesse parole: quatre figures de la langue des dieux, Paris, Flammarion,1994 (articles de G. Charachidzé, M. Detienne, G. Hamonic, Ch. Malamoud etC. Severi).

112. Montaigne, Essais, III, 9, éd. Villey-Saulnier, Lausanne, La Guilde du Livre,1924, p. 995 (C).

113. Yves Bonnefoy, «L’origine de la parole», in Récits en rêve, Paris, Mercure deFrance, 1987, p. 186, évoque la «voix rauque» du théâtre qui est la «langue desdieux».

114. G. Mounin, Sept poètes et le langage, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1992, p. 10,21 et 15.

115. André Blavier, op. cit., p. 175- 269.116. Gérard Genette, «Onomatopoétique», in Mimologiques. Voyage en Cratylie,

Paris, Éditions du Seuil, 1976, p. 149-182.117. Jean-François Jeandillou, «De «l’étymologie immédiate» selon Charles

Nodier», in History of Linguistics in Texts and Concepts, Hrsg. G. Hassler etG. Volkmann, Nodus Publikationem, Munster, 2004, t. II, p. 589-600, nos citations

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p. 599 et p. 591. Voir aussi du même l’article sur Nodier dans Poétique, 129, 91-104.Voir aussi sur la valeur «décapante», critique et ironique, de la linguistique de Nodier,Henri de Vaulchier, Nodier et la lexicographie française, 1808-1844, Paris, Didier-Éru-dition, 1984, et Georges Zaragoza, Charles Nodier. Le dériseur censé, Paris, Klincksieck,1992.

118. Selon les usages il convient de remercier pour leur soutien le Décanat de laFaculté des lettres, le Département de langue et de littérature françaises modernes, leFonds général de l’Université de Genève, la Commission administrative de l’Universitéde Genève et La Société académique de Genève. Maurice Olender et Anne-MargueriteFryba-Reber m’ont aidé à relire les épreuves: je les en remercie à titre personnel.

119. «Variations grecques sur l’origine (mythique) du langage», p. 73-100.120. René Amacker, Aspects de la philosophie du langage à Rome. Varron, Lucrèce,

Augustin.» p. 101-118.121. «Dante et la langue du Paradis», p. 119-142.122. Claude-Gilbert Dubois, «Babel. Un tremplin vers l’avenir», p. 143-163.123. Marie-Luce Demonet, «Les origines comparées de l’écriture et de la parole à

la Renaissance», p. 165-182.124. Michel Jourde, «Le temps où les bêtes parlaient», p. 183-195.125. «La race des géants. Autochtonie et métissage dans la linguistique italienne de

la Renaissance», p. 197-212.126. Daniel Droixhe, «Le péché par la langue. Pour traduire Hamann», p. 213-234.127. Wolfgang Pross, «Apories et résolutions. À propos d’un manuscrit de Herder»,

p. 235-293.128. Nous remercions Madame Anne-Marguerite Fryba-Reber d’avoir gracieuse-

ment et scrupuleusement relu la contribution de Wolfgang Pross.129. Anne-Marie Mercier-Faivre, «Le Monde primitif de Court de Gébelin: poétique

pour une science nouvelle», p. 295-316.130. Gerda Hassler, «Diversité des langues à la fin du dix-huitième siècle», p. 317-343.131. Antoine Raybaud, «Herder ou Champollion? De la langue primitive au retour-

nement de Babel», p. 345-366.132. Pierre Swiggers, «Origine vocale et idéologique du langage: Nicolas Dally et

“la formation naturelle des langues”», p. 367-379.133. Bernard Böschenstein, «Le langage poétique de l’origine chez Hölderlin»,

p. 381-388.134. Olivier Pot, «Les noces de la linguistique et de la littérature, Louis Lambert de

Balzac», p. 389-490.135. Anne-Marguerite Fryba-Reber, «Postérité de Brentano et la linguistique suisse:

Anton Marty (1847-1914)», p. 491-522.136. Maurice Olender, «Lieux communs de l’intime: mot, monnaie et démocra-

tie» et Jean Starobinski, «Quand la parole promet de la monnaie. Échange avecMaurice Olender», p. 523-555.

137. Maurice Olender, Starobinski en mouvement, éd. M. Gagnebin et Ch. Savinel,Seyssel, Éditions Champ Vallon, 2001, p. 318-330.

138. Jean-Pierre Vernant, préface à M. Olender, Les Langues du Paradis, Paris,Gallimard-Le Seuil, collection «Hautes Études», 1989, rééd. Points Essais, 2002, p. 8-9.

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