Éléments pour une étude de l'esthétique de l'époque visigothique

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LES STATUES D'ARTEMIS A EPHESE •ëk. Jean-Marie HOPPE

Transcript of Éléments pour une étude de l'esthétique de l'époque visigothique

L E S S T A T U E S D ' A R T E M I S A E P H E S E

•ëk.

J e a n - M a r i e H O P P E

j r

" . . . l e s s i g n e s u t i l i s é s e n j a m b e n t c u r i e u s e m e n tl e s s i è c l e s . . . . T o u t e f o i s , é t a n t d o n n é l e u rv a l e u r p a r l a n t e é m o t i o n n e l l e e t l e u r s i m p l i c i t é ,e n r a i s o n d e l e u r r é p é t i t i o n s u r u n e q u a n t i t éimmense d 'ob je ts don t beaucoup év idemment on td i s p a r u , i l n ' y a p a s d e r a i s o n d é c i s i v e à c eq u e l a v a l e u r r é e l l e d e c e s s i g n e s a i t p r o f o nd é m e n t v a r i é e n d é p i t d e l ' é c a r t d e t e m p sc o n s i d é r a b l e q u i l e s s é p a r e . "

O.BEIGBEDER, Lexique , p . 16 .

" C h a q u e i c o n o g r a p h i e , q u ' e l l e é m e r g e à t e l l eo u t e l l e d a t e e s t l e p r o d u i t d e s a l l u v i o n ss u c c e s s i v e s , e t e l l e e s t s o u v e n t d o u é e d e p l u sd e f i x i t é q u ' o n n e l e c r o i t . "

O.BEIGBEDER, Lexique , p.18.

k

2 .

T A B L E D E S M A T I E R E S

I . I N T R O D U C T I O N

II. DESCRIPTION SOMMAIRE

A . E 4 5

B . E 4 6

C . C o n c l u s i o n s

III. QUELQUES CONSIDERATIONS SUR LE TYPE DE L'EPHESIENNE

A. Origine du type religieux, son élaboration et lestypes p las t iques assoc iés

B . Sync ré t i sme

C. Quelques exemples de syncrétismes

1 . H é k a t e e t A r t é m i s2 . D i a n e e t A r t é m i s

IV. ELEMENTS DE REPRESENTATION. IMPLICATIONS SYMBOLIQUESDES DIFFERENTS ATTRIBUTS

A . T ê t e e t P o l o s

B . N i m b e

C. Ornements du cou et de la poitrine1 . L e s c o l l i e r s2. La guirlande de fleurs3 . L e s N i k è s4. Le zodiaque

D. La "Po l ymas t i e "

1 . L e s é l é m e n t s d i v e r s2 . L e s a c c e s s o i r e s3 . L e s o e u f s4 . L e s o r n e m e n t s5 . L e s f r u i t s6 . L e s s e i n s

a . n a t u r e l sb . a r t i fi c i e l s

7. Essai de chronologie et de typologie8 . O r i g i n e9 . S i g n i fi c a t i o n

E . L ' é p e n d y t è s

1. Les protomés d'animaux2 . L e s l i o n s3 . L e s t a u r e a u x4 . L e s a b e i l l e s5 . L e s r o s e t t e s6 . L e s t o r s e s d e f e m m e s

F . L e s a n i m a u x

3 .

m

V .

L e s l i o n s e t l e s c e r f s

CONCLUSIONS

V I . B I B L I O G R A P H I E

A . L i v r e s

B . R e v u e s

C . H i s t o i r e d e s r e l i g i o n s

V I I .

D . Encyc lopéd ies

RESOLUTIONS DES ABREVIATIONS EMPLOYEES

/ * ® V

4 .

I . I N T R O D U C T I O N

En 1956, la mission archéologique autrichienne, dirigée par Ef. Miltner^ (1)eut le grand bonheur de découvrir pour la première fois à Ephëse, trois exem

plaires de la statue de culte d'Artémis. Deux de ces exemplaires, remarquablement conservés, sont actuellement au musée de Selçuk oû nous avons pu lesv o i r .

Artémis a connu dans sa forme éphésienne un rayonnement important non

seulement en Asie mais aussi en Europe et en Afrique. Le type hellénistiquese révèle, au travers des nombreux exemplaires conservés dans les grandescollections européennes, d'une stabilité surprenante et n'a cessé d'attirerl 'attention, intrigant par son aspect complexe, presque tératologique, soll icitant les artistes de la Renaissance autant que les commentateurs modernes.Cette image de culte est au centre d'une abondante littérature.

Privé du climat religieux, du contexte qui a suscité cette réalisation pourle moins surprenante, il est donc normal qu'une bonne part du commentairetente de restituer le support mental aboli et c'est sans surprise, mais aussi

parfois sans plais i r, que l 'on voi t l ' imaginat ion, v ivement sol l ic i tée,meubler le silence des documents. Dès que l'on tente de replacer les exem

plaires connus en perspective, il n'est pas toujours aisé de faire la partdu certain et du supposé, du probable et du fantaisiste. Mais il n'en restepas moins nécessaire , malgré les risques d'erreurs, de supposer la probablesi l'on veut avoir une chance de saisir la structure du signifiant qui, sansdoute, n'apparaît original ou déroutant qu'à des yeux modernes.

Ce n'est pas ici le lieu, oD l'on peut débattre du problème de méthode que

pose de façon si aigile la symbolique et les études qui lui sont consacrées,ni de discuter de la valeur des résultats acquis par de pareilles recherches,mais, tout au long de ce travail, nous avons senti cette question perpétuellement posée. Dans un domaine, où le scepticisme est stérile et une tropgrande confiance illusoire, nous pensons qu'il faut, avec une inlassablepatience et une sage rigueur, s'acharner à répondre à cette question si l'onveut pouvoir articuler l 'histoire des religions avec une "sécurité"

(1) 44, 1959, col. 243 et suiv.; Anz Wien,94, 1957, pp. 24-25.

m s

suffisante, au même titre que les autres aspects de l'histoire. Danscette optique, nous croyons impensable qu'on puisse se priver de la

compréhension symbolique et de ses résonnances "sémantiques".

Qu'il nous soit permis d'exprimer à Monsieur le Professeur Ch. Delvoye,notre gratitude pour nous avoir proposé un sujet qui répondait si bienà notre voeu. Sujet qui a permis un travail de réflexion et un enri-chissement non d i rectement mesurable à l 'é ta lon scola i re. Ce fut pour

nous, intéressé depuis longtemps par le mode symbolique et son expressiond a n s l ' a r t , l ' i n t é r ê t m a j e u r d e c e t r a v a i l , h o r s , b i e n s û r, c e l u i p l u s

direct de répondre à une conjoncture particulière.

m ,

6 .

I I . D E S C R I P T I O N S O M M A I R E

Dans le cadre limité de ce travail, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaired'établir une description minutieuse des deux exemplaires que nous avons vuau musée de Selçuk. Nous étudierons plus loin en détails, les différentes

parties des statues et aurons alors l'occasion de préciser ce qui, dans cechapitre aurait pu rester vague. En outre, il existe des photographies quiprésentent, avec une qualité suffisante, les oeuvres sous des angles variéset soulignent, par l 'usage du gros plan, cerains aspects particuliers; ilest donc indispensable d'y recourir. Elles ont été publiées dans deux ouvragesconsacrés à l'Artémis d'Ephèse. En premier lieu, le catalogue dressé parH. Thiersch en 1935 (AE) rassemble deux cent soixante spécimens del'Ephésia et les décrit. L'auteur a limité son enquête au type hellénistique,représentation "canonique" de la divinité. Il est bien évident que la datede parution interdit d'y trouver les deux images qui nous retiendront

particulièrement. A ce stade du répertoire, les archéologques n'avaient pasencore trouvé de statue de ce type à Ephèse même. La deuxième étude (AEK) estdue à R. Fleischer. Publiée en 1973, les exceptionnelles découvertes de 1956

y figurent. Ce livre reprend - dans le texte mais pas toujours dans lesplanches - les éléments rassemblés par H. Thiersch et les reclasse. Il estparticulièrement utile parce qu'il se présente comme un état de la questionet regroupe la bibliographie qui se rapporte à chaque pièce. Comme l'ouvrageprécédent, il ne s'attache qu'au type "canonique". Nous nous sommes résolu àadopter la classification de R. Fleischer: nous désignerons la "grande"Artémis d'Ephèse par le numéro E 45 alors que la "belle" Artémis portera lenuméro E 46. Les planches qui les concernent dans ce livre sont: pour E 45les p:Tan:che"s 12 à 17 et pour E 46, 18 à 23 plus le frontispice.

A . E 4 5

Ce monument est en fait le deuxième découvert à Ephèse par la missionautrichienne. Du double de la "tail le naturelle", i l a été qualif ié parFr. Miltner de "grande" Artémis. Cet exemplaire, très bien conservé, est

particulièrement intéressant par le calathos qui le coiffe. Celui-ci, de

7 .

structure très élaborée, montre, au-dessus d'animaux fabuleux, trois façadesde temples ioniques. Le visage sévère, un peu épais, est encadré par unnimbe orné de protomés d'animaux ailés. La poitrine est richement décoréede colliers et d'une guirlande de fleurs. Cassés juste avant les coudes,les avant-bras manquent, les bras sont collés au corps, mais laissentdeviner la position des avant-bras qui étaient certainement pliés à angledroit. Dans le creux des coudes, deux petits lions se dressent et prennent

appuis, avec les pattes antérieures, sur la poitrine. Il n'y a pas de décoration de zodiaque, ni de Niké. Les "objets" ovoïdes s'étalent sur quatre

rangs jusqu'à la ceinture. Un tablier rigide engaine le bas de la statue,masquant les jambes à l 'avant . L 'a r r iè re découver t révè le le ch i ton aux

plis souples. La décoration abondante de la gaine est habituelle à ce type.^ L'ornementation se répartit dans des cartouches rectangulaires: protomés

d'animaux à l'avant, y compris des animaux non ailés, et sur les côtésa l t e r n e n t l e s t o r s e s d e f e m m e s a i l é e s a v e c d e s a b e i l l e s . D e s f l e u r o n s s o n t

représentés dans le bas. La statue est amputée de ses pieds, et puisque le^ socle manque, toute trace d'autres attributs a disparu. L'idole répond à la

loi du plan médian. La rigidité xoaniforme la classe dans le style archaisantet le calathos fournit par sa représentation architecturale un terminus

postquem de l'époque de Trajan. Le visage a été volontairement mutiléprobablement lors de la victoire du christianisme.

B . E 4 6

Cette statue "grandeur nature" est taillée dans un très beau marbre parien.La qualité particulière du visage et le bon état de conservation en font le

plus bel exemplaire de l'Artémis d'Ephèse trouvé à ce jour. Fr. Miltner,son inventeur, l'a surnommée la "belle" Artémis, appellation sous laquelled i f f é r e n t s c o m m e n t a t e u r s s e p l a i s e n t à l a d é s i g n e r. I l s ' a g i t , e n f a i t ,

d'une des nombreuses répliques de la divinité poliade probablement érigéeà l'époque d'Hadrien. Dépourvue de calathos, la tête est coiffée des troisbour re le ts des t inés à le sou ten i r ; de r r i è re la tê te , l e n imbe es t o rné de

protomés d'animaux mythiques ailés. La zone entre le cou et la poitrine estrichement décorée de collier, guirlande de fleurs. Les signes du zodiaqueet les Nikès sont traités en bas relief. En une position caractéristique,les bras collés au corps, les coudes articulent les avant-bras pliés à

angle droi t . Dans le creux du coude, deux paires de l ions ont t rouvé

refuge, collés à la poitrine et aux bras. Les poignets, les mains et - nousle savons par d'autres représentations - les attributs qui y sont attachés

8 .

^ n 'on t pas é té re t rouvés . Au t re é lément ca rac té r i san t ce t ype de l 'Ephés ia ,trois rangs "d'objets" ovoïdes de la taille de seins occupent la poitrinejusqu'à la taille. En dessous de celle-ci, la gaine enserre les deux jambesqui ne sont pas apparentes et donne à la statue un air rigide. Elle est

^ abondamment décorée sur le devant par des protomés d'animaux alignés parrang de trois, plus deux fleurs près des pieds; les côtés montrent alternativement des torses de femme ailées, des fleurs et des abeilles en bas relief;chaque signe figure individuellement dans un espace géométrique plus ou moins

^ r e c t a n g u l a i r e . L a g a i n e n ' e n t o u r e p a s c o m p l è t e m e n t l e b a s d e l a d i v i n i t é ,elle se présente comme un tablier qui laisse l'arrière libre. On y voit lechiton. Celui-ci sort dans le bas et couvre les pieds d'une "corolle"élégamment plissée. Les orteils en dépassent, posés sur les semelles de

^ s a n d a l e t t e s . L a s t a t u e s e p r é s e n t e l e s p i e d s j o i n t s d a n s u n e p o s i t i o n q u irépond en tout point à la loi du plan médian. Le style archaTsant donnel'impression d'une rigidité un peu massive, sans doute renforcée par l'abondance des o rnemen ts .

Artémis repose sur un socle. Il garde les sabots des cervidés qui devaient

flanquer la divinité, et deux curieux éléments, placés devant l'idole, seprésentent comme deux coupes renversées, traitées à la manière de la vannerie.

^ O n p e u t y v o i r l e s u p p o r t d e s é l é m e n t s m a n q u a n t s q u i d e v a i e n t d e s c e n d r e d e smains. Les photos ne révèlent pas les abondantes traces d'or, mais montrentau visage des traces de brisures volontaires, semblables à celles infligéesaux korês de l'acropole d'Athènes . (1)

m

G . C O N C L U S I O N S

La confrontation des deux exemplaires révèle rapidement leur similitude, mais,

plus encore, nous indique les limites laissées à la liberté de l'atelierchargé de la réalisation. Une certitude et des réserves.

/<%

La certitude d'abord de l'appartenance de deux exemplaires au type qualifié,

par Ch. Picard, de classique et, plus tard par H. Thiersch, de "canonique".Cette dernière expression s'est maintenant imposée. Les réserves portent sur

m —

(1) Ch. PICARD, M» 1962, p.93, "On sait qu'au temps même de la chrétienneScholastikia, le bretas du sanctuaire d'Hestia - la plus belle oeuvre -avait été "enterré" en quelque sorte, rituellement et que son souvenirfut toujours respecté. (Fr. MILTNER, IJ., p. 101, fig. 88, 89, pp. 102-103)".

9 .

la place que l'on doit accorder à de pareilles oeuvres. Les variantes quenous avons relevées dans la réalisation de deux exemplaires, sont des modifications de détails. La plus importante porte sur l'ornementation de lapoitrine: E 45 s'écarte légèrement du type "canonique" en ne présentant niles Nikès ni le zodiaque, remplacés par une riche parure de bijoux. Les typesphysiques diffèrent sans doute mais cela importe peu. Le sujet s'effacederrière le concept qu'il traduit, et alors que toute l'analyse tourne autourde la féminité et de ses implications, le regard passe sur l'idole sansqu'une seule fois la sensibilité ne soit éveillée. Si l'on veut bien excepterla "belle" Artémis que son visage moins "absent" place légèrement hors du lot,l'esprit seul est sollicité. Il n'est pas besoin ni de longue analyse ni depénétrantes considérations pour comprendre que l'oeuvre se situe en marge dudomaine esthétique. Oeuvre de commande, l'artiste qui a réalisé le premierexemplaire ne s'est préoccupé ni de traduire sa propre vision du monde ni md'exprimer ses sentiments, mais il a exécuté sa tâche en respectant au mieux,avec toute la maîtrise de sa technique, les consignes strictes du maître

m s

d'oeuvre. Contraint par un "cahier de charges" que l'on dirait surtoutsoucieux de ne rien oublier, l 'artiste s'est effacé derrière la volontéédifiante, didactique dirions-nous aujourd'hui, seule véritable créateurde cette remarquable cristallisation de la pensée religieuse. (1)

/ « S

Derrière la sécheresse de l'idole, par-delà l'objet, il y a un sens qui semontre et qui touche celui qui peut le décrypter. Si l'historien de l'artéprouve des sentiments, partagés, l'archéologue et, à travers lui, l'historiendes mentalités, plus particulièrement des religions, ne peut cacher sone n t h o u s i a s m e .

(1) R, FLEISCHER, p. 132.

1 0 .

III. QUELQUES CONSIDERATIONS SUR LE TYPE DE L'EPHESIENNE

"Le caractère étrange de cette image était de nature à impressionner lesesprits et favorisa sans doute l'extension du culte de la déesse, car c'estsous cette forme qu'elle s'est imposée à l'adoration des anciens et qu'elles'offre encore aujourd'hui à la curiosité des modernes." (1) Etrange, eneffet, cette idole dont la complexité est propre à dérouter un esprit rationnel.Et pourtant, coupés du contexte religieux dans lequel baignaient les anciens,nous devons essayer de compenser par une analyse aussi précise que possible,l'absence de tradition. Peut-être fut-il un temps, où la vue des symbolesseule suffisait à faire sentir globalement, dans toute son étendue, la valeurdivine d'Artémis Ephésia. Pour nous,modernes, nous devons nous livrer à

l'enquête analytique pour tenter de comprendre, puisqué aussi bien nul n'attendplus de nous une adhésion au signifié de l'image.

La complexité de la statue de culte laisse pressentir une lente maturationde l'idée religieuse. Dans ce domaine où, à la différence de l'expressionesthétique, la spontanéité est à exclure, un type plastique aussi abouti nepeut avoir été créé ex nihilo. Aussi, allons-nous, dans un premier temps,nous attacher non plus au type plastique lui-même, mais au type religieux et,pour le comprendre, à sa genèse. Nous aurons soin d'établir la progressionparallèle des types plastiques attestés par l'archéologie, ou plus simplementsupposés.

A. ORIGINE DU TYPE RELIGIEUX, SON ELABORATION ET LES TYPES PLASTIQUES ASSOCIES

Ch. Picard, dans son travail fondamental sur Ephèse et Claros, se livre à unexamen minutieux des découvertes archéologiques, (2) fruits des fouillesanglaises. Il en déduit un tableau évolutif que les commentateurs que nousavons rencontré, ne semblent pas contester fondamentalement. Sur les rivesdu Caystre, Artémis n'a pas été la première occupante; elle paraît bien être,au contraire, une déesse de substitution. (3)

(1) L. LACROIX , Reproductions, p. 192(2) EC, p. 452.(3) EC, pp. 451-452.

1 1 .

L'état des connaissances actuelles permet de déceler, à 1'origine, une

religion tout entière tournée vers une grande déité chtonienne dont l'aspectféminin en fait une Terre-Mère. (1) Cet aspect essentiel marquera définitivement le caractère d'Artémis pendant toute son évolution. (2) L'idée quel'on peut se faire de la Terre-Mère anatolienne se déduit de traces de culteet des divinités attestées qui en sont, en fait, autant d'hypostases. Elle

apparaît comme une divinité "topique" associée à une montagne. Par extension,elle règne sur les cavernes, les grottes et les eaux vives. On peut situerdes grottes sanctuaires près de lieux de cultes, et certaines sont encorefréquentées à l'époque romaine impériale. (3) Les eaux thermales serontplacées sous son égide, comme aussi les eaux mortes, lacs et marais. Elleétend son pouvoir sur le monde animal et végétal. Les autels sont sous lesarbres dont elle privilégie certaines essences, ce sera le pin, le chêne,le hêtre ou le cyprès. D'autre fois, elle se réfugie au sein des branches.(4)Potnia Thèrôn, elle est à l'origine d'une iconographie abondante. Debout,assise, imposant sa volonté aux fauves, on la voit d'autre fois représentéesous les formes de la Dame à la colombe, ou, comme en Crète, aux serpents.

Principe de la fécondité universelle, elle étend sa suzeraineté à la natureentière et aux hommes. L'époque néolithique assume un héritage, qu'attestentles "Vénus" stéatopyges, en l'enrichissant de composantes agraires. Puissancede la nature, elle assure la protection des espèces domestiques. (5) Régentedes moissons, elle veille à leur abondance et aux cycles saisonniers. Au plusprofond des entrailles de la terre, elle étend sa maîtrise au domaine infernal.Mort et Renaissance, les cultivateurs du Néolithique y voient une déesse"salutaire". Il est aisé de déceler l'abondante descendance d'un principe

mythogène aussi riche.

La cybèle des Phrygiens, bien que sous une forme évoluée, en est restéela proche parente. Tel est succintement brossé le portrait de la Terre-Mèreque les Cariens (6) ont primitivement honorée à Ephèse, de concert avec bten

( 1 ) p . 4 5 3 .(2) EC, p. 452; L. SECHAN , P. LEVEQUE-, Divinités, p. 359.(3) EC, pp. 453-454.(4) A AphrodisiaSj on adorait encore à l'époque antonine un arbre dont le

feuillage abritait la Grande-Mère, EC, p. 454, et H. GRAILLOT-, Cybèle,pp. 396-397.

(5) EC, p. 377.(6) EC, p. 455.

1 2 .

des peuples de la Méditerranée orientale. "Celle-ci avait été maîtresse dela nature et de la vie, déesse asiatique "Myrionyme", plus tard connue tantôtcotrane Ml, tantôt comme Rhéa, tantôt comme Cybébé ou comme Cybèle phrygienne".(l)

Ch; Picard propose (2) 1'enchaînement suivant :

a) Une période d'adoration de la Terre-Mère. Lieu de culte: la lagune duCaystre. Cette période coïncide encore avec l'époque des Amazones.

b) Floraison du culte de Létô, hypostase de la Terre-Mère à Ortygie (vallond'Arvalia) et sur le Coressos; période de l'association Létô-Apollon.

c) Localisation de la Terre-Mère à Ephèse sous le nom d'une déesse "topique"Oupis ou Opis. Lieu de culte: la lagune du Caystre.

Cette succession schématique appelle quelques informations complémentaires.

Tacite signale (3) que les ambassadeurs d'Ephèse font valoir, en réponse àune enquête de Tibère, que leurs plus anciennes traditions religieuses

renvoyent à Ortygie et au culte de Létô.

Ainsi, voit-on établie une tradition cultuelle au sud d'Ephèse sur les pentesde la montagne, lieu privilégié pour l'expression "topique" d'une Terre-Mèresous la forme de Létô. Il est intéressant de s'attarder un instant sur sa personnalité. H. Graillot écrit: (4) "Mais cette Létô, mère d'Apollon etd'Artémis, selon la mythologie grecque, protectrice des familles et gardiennedes tombes comme la Mêter des Phrygiens, n'est guère plus une Hellène qu'ellen'est une Phrygienne. Les Pamphyliens la rapprochent de leur Artémis Reine de

Perga; et il semble bien qu'elle soit une Sémite à peine grécisée, commetoutes les Artémis d'Anatolie... Elle serait donc venue par le sud... sansdoute aussi par Ephèse." Et pour supprimer toute équivoque sur la triadedélienne: "L'Artémis grecque, soeur d'Apollon et fille de Létô, s'estassimilée à cette déesse primitive d'essence égéenne et anatolienne, mais ilest bien certain qu'à l'origine, elle est indépendante de son frère et de samère avec qui elle constituera plus tard, la sainte famille délienne." (5)

( 1 ) p . 3 7 6 .( 2 ) p . 4 6 8 e t s u i v .( 3 ) p . 1 1 .(4) Cybèle, p. 391.(5) L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 359.

1 3 .

On peut supposer, semble-t-il, qu'un jeune dieu satellite de la déessecréto-carienne apparut dans la région d'Ephèse (1) donnant naissance au

couple Terre-Mère, dieu fils ou amant. Cette transformation favorisa l'apparition du couple Létô-Apollon. (2). Létô assume donc à Ephèse le rôle de ladéesse orientale "polyonyme de la fécondité et de la nature." (3)

Pendant que Létô cristallisait un premier foyer de culte sur le mont

Coressos, la plaine, les marais du Caystre nourissaient un autre avatar dela Terre-Mère attesté sous le nom d'Oupis. (4) Callimaque la présentecomme la déesse des premières Amazones. (5) Première hypostase de laGrande-Mère des cultes phrygiens, la tradition prétend que son image futtrouvée dans le marais, rendant ainsi évident la substitution de rôle. (6)Cette Dupis reçut le titre de "reine" ou de "dame". Cette appellation seraprobablement encore celle de l'Ephésia au-6ème siècle comme l'atteste laplus ancienne inscription de l'Artémision.

Ch. Picard conclut (7) qu'Oupis"a été à Ephèse, dès l'époque des Amazones (8)et sous une influence lydienne, le type divin intermédiaire qui a préparéle passage du culte de la Terre-Mère à celui d'Artémis." Cette déesse Oupisva subir un déclin parallèle à l'extension du culte artémisiaque. Vers lafin du -Sème siècle, elle disparait de l'Ionie d'Asie. Elle n'apparaîtra plusqu'épisodiqueiment, soit qu'on lui attribue une tombe à Délos dans lesenvirons de l'Artémision, soit qu'on en fasse une nourrice voire une nymphechasseresse. L'exemple d'Oupis nous a semblé important parce qu'il montre^ le fonctionnement de l'assimilation d'un type divin devenu secondaire.

(1) La formation de ce couple serait due aux influences étrangères, peut-êtredes Cimériens indo-européens, p. 548 et note 9; p. 549.

^ ( 2 ) p p . 4 5 5 - 4 5 6 , 5 4 6 .

(3) K, p. 549.(4) L. SECHAN, p.LEVEQUE , Divinités,p.359 :et l'on ne saurait oublier qu'une

des vierges hyperboréennes, intimement unies à l'Artémis de Délos, portaitle même nom d'Opis que le premier avatar de la Terre-Mère à Ephèse."A propos du rapport de l'Oupis anatolienne et des vierges hyperboréennes,v o i r p . 4 7 2 , n o t e 9 .

(5) EC, p. 453et note 2,Ch.PICARD propose une traduction de ce passage deT^ymne à Artémis dans REA, 42, 1940, p. 270.

(6) L.SECHAN , P.LEVEQUE , Divinités, p. 359.(7) K, p. 470.(8) Sans doute dès le -14ème siècle.

1 4 .

Nous pouvons reprendre l'évolution religieuse d'Ephèse. Vers 1045, Androcloset ses compagnons arrivent à Ephèse. Cet événement est, on s'en doute, capital. (1) A l'époque de l'installation ionienne, la puissance des Amazones est

^ à son décl in. (2) Nous pouvons croi re, avec Pausanias, qu'e l les n 'ont pasété les fondatrices du sanctuaire, et Ch. Picard suppose leur arrivée au momentoù le culte se déplaçait de la montagne vers la plaine du Caystre. Callimaqueles dit dansant sur le rivage autour d'un xoanon établi dans un chêne élevé.

^ La tradition encore, veut que les compagnons ioniens aient édifié le templed'Artémis. La situation complexe peut se résumer en quelques points.

- On peut supposer l'existence d'un sanctuaire primitif, coexistant sans

doute avec le sanctuaire de Létô sur la montagne, déjà peut-être avant

l'époque des Amazones.- Au -14ème siècle, les Amazones établies à Ephèse sacrifient dans la plaine.

Le culte s'adresse à un arbre, chêne sans doute. (3) Au -2ème millénaire,ce fut donc le centre des dévotions des différents groupes assemblés là

par l'histoire: Créto-Cariens et Méoniens de Lydie.- Au -llème siècle, les Ioniens maîtres des lieux semblent avoir respecté le

sanctuaire, sans doute même l'ont-ils enrichi. Il est probable que l'Agora^ con tempora ine fu t p roche du l i t t o ra l . On peu t supposer qu ' i l n ' y a pas eu

de rupture de culte et que la substitution de divinité s'est faite sansrévolution religieuse,ce qui permet de supposer que cette prise de succesionpar Artémis avait été préparée. (4)

- Les cultes ne désertent pas le marais sacré. Là, naquit la suite de temples

que l'archéologie peut décrire depuis le temple A établi sur le sablevierge au -Sème siècle. Ce temple A était encore un sanctuaire de l'arbrede type égéen comme celui des Amazones. (5)

La personnalité d'Artémis s'est imposée à la longue, assimilant à son profitles divinités secondaires, favorisée par les colons ioniens dès leur installation. Déesse hellénisée, elle resta maîtresse du Caystre. (6)

( 1 ) p . 4 6 8 .(2) K, p. 13.(3) Sous un hêtre d'après L. LACROIX, Reproductions, p. 190.( 4 ) p . 4 6 9 .(5) EC, p. 14.(6) K, p. 627.

1 5 .

Maintenant que nous avons pu retracer l'évolution des modèles religieux,nous allons tenter d'assembler les éléments de leur représentation. Le cultede l'antique Terre-Mère fut probablement aniconique et de fortes présomptionsautorisent l'hypothèse d'une idole "autopgyphe". (1) Le culte des pierres n'estpas un phénomène rare. M. Eliade en a étudié le sens et en a décrit lesdifférentes fonctions. (2) "Nous ne saurions dire si les hommes ont jamaisadoré les pierres en tant que pierres. La dévotion du primitif se rapporteen tout cas toujours à quelque chose d'autre, que la pierre incorpore etexprime. Un rocher, un caillou sont l'objet d'une respectueuse dévotionparce qu'ils représentent, ou imitent quelque chose parce qu'ils viennentde quelque part. La valeur sacrée est exclusivement due à ce quelque choseou à ce quelque part, jamais à leur existence même." "Dans sa grandeur(de la pierre, du caillou) et sa dureté, dans sa frome ou dans sa couleur,l'homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un mondeautre que le monde profane dont il fait partie." Nous retiendrons, outre laportée générale les mentions faites à 1'origine et à la couleur: "parcequ'elles viennent de quelque part", "dans sa forme et dans sa couleur".La tradition a conservé, même après l'instauration de l'Ephésia, les souvenirsde cette période. (3) Cette idole était prétendue d'origine céleste, et onrapportait l'avoir trouvée dans le Marais. L'origine céleste sera encorebrandie, bien plus tard, dans les luttes aigties qui opposèrent une Ephésia,déjà condamnée sous son apparente vigueur, aux menées missionnaires de Paul.Qui sait si à ce moment d'ailleurs, les partisans d'Artémis n'étaient pastrop heureux de faire valoir que les chrétiens n'avaient pas le monopoledu ciel? Quoiqu'il en soit, le fait, sans doute, eut assez d'importancepour être retranscrit dans les Actes des Apôtres où l'on lit: (4) "Ephésiens,quel est l'homme au monde qui ignore que la ville d'Ephèse est l'adoratricede la grande Artémis et de sa statue tombée du ciel?"

Que nous soyons en présence d'une hiérophanie lithique, nul doute. Pas plusqu'i l n'est fantaisiste de parler d'un météorite. Voilà donc qui expliqueraitl ' é lément révé la teur : la cou leur no i re . E t là encore , nous tenons des t races

( 1 ) p . 4 7 4 .(2) M. ELTADE, Traité, pp. 188 et suiv.(3) EC, p. 474.(4) Actes des Apôtres, XIX, 35.

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d'une tradition parfois incomprise dans ses manifestations les plus tardives.Plusieurs exemplaires du type "canoniqué' de l'Ephêsia, appartenant à la grandestatuaire, montrent que les parties découvertes du corps sont noires. (1)Or, il y a au moins un exemple de "pierre noire" dans les divinités apparentées:la "Pierre Noire" de la Grande-Mère phrygienne qui, de Pergame, vint à Romeen -204. De forme oblongue, elle tient lieu de visage à l'idole. (2) Lespassages auxquels nous renvoyons en note, fournissent d'autres exemples de

^ ces kéraunies et autres pierres trouvées dans des rivières. Nous relevonschez les commentateurs une certaine incompréhension des conséquences du

phénomène. Chez Ch. Picard, pour le moins, une inversion des intentionslorsqu'il écrit: "... par rappel du xoanon primitif (en ébène (?) ou enbois sombre), c'est le bronze ou quelque pierre noire qui formait le plussouvent le visage de la déesse". (3) Si, bien sûr, le "noir" des figurationstardives rappelait le xoanon primitif, ce n'est pas la pierre qui rappelait1'ébène, mais le bois sombre, la pierre. Pourtant dans le sillage deCh. Picard, cette idée a été reprise par W. Déonna avec plus d'assurance dansl'expression. (4) Et, pour terminer, R. Fleischer: (5) "On a reconnu depuislongtemps que cela avait pour but d'imiter la teinte sombre originale de lastatue cultuelle due au fait qu'elle était huilée régulièrement".

/ m t -

Un dernier élément de la tradition mérite d'être souligné. La pierre célestea été trouvée dans le marais. Le l ieu de la chute a certainement, en mil ieu

archaïque où tout signe est interprété, retenu l'attention, et marqué ladestination cultuelle, car, en effet, le marais est un lieu idéal pour une

hiérophanie de la Grande-Mère. "Le culte ne s'adresse pas à la pierre entant que substance matérielle, mais bien à l'esprit qui l'anime, au symbolequi le consacre". (6) Ainsi la pierre devint-elle le signifiant de la Terre-Mère. Les traditions abondent, qui soulignent les rapports des pierres avec

(1) H. THIERSCH, pi. I notamment, ou R. FLEISCHER, AEK,pl.ll . Bien quece ne soit pas le lieu d'en parler, on ne peut s'empecher de noter unesimilitude de plus avec les vierges noires. Ch. PICARD, 1937, p. 148,

^ note 2; la Vierge de Miséricorde, W. DEONNA, 1924, p. 22.(2) EC, p. 474 voir aussi sur les pierres et leur usage sacré: H. GRAILLOT,

Cybèle, p. 18, pp. 328 à 330.(3) EC, p. 530, note 8.(4) m, 1924, p. 13.

^ ( 5 ) p . 7 6 .

(6) M. ELIADE, Traité, p. 191.

1 7 .

la fécondité.(1) De la pierre au marais, une grande cohérence se dégagedonc de la première idole.

Après ce stade de litholâtrie, il semble qu'on arrive à un culte de l'Arbre:chêne, hêtre, cyprès, les essences favorisées sont diverses, mais on lesretrouvera bien plus tard à l'autre bout de la tradition. C'est ainsi queXénophon, lorsqu'il décida d'élever un xoanon à l'Artémis éphésienne, le fittailler dans du bois de cyprès, qu'il savait agréable entre tous à la déesse.Cette forme de culte à Oupis ne surprend pas pour une déité de la nature etde la végétation. C'est aussi, cette forme que durent connaître les compagnonsd'androclos au -llème siècle . (2)

A partir de cette époque. Ch. Picard note une lacune jusqu'au -Sème siècle, (3)où le culte se retrouve, mais cette fois organisé, autour du premier sanctuairerelevé par les anglais. Le manque de documentation est d'autant plus regrettable que cette époque a certainement vu la naissance de l'idole anthropomorphe.

(4)

Nous ne pouvons pas dans le cadre de ce travail reprendre les différentstypes trouvés dans les fouilles, pas plus que nous ne pouvons les analyseret les discuter. Nous nous bornerons donc à emprunter à Ch. Picard (5) lasuccession chronologique qu'il propose. (6)

A . C e r t a i n e m e n t a v a n t 7 0 0 ,

1) Déesse debout drapée, avec le voile de tête,2) Déesse à l'épervier,

B. Probablement avant 660,

1) La Dame au fuseau2) La Potnia Thérôn aux lions ailés.

Sans entrer dans les détails, quelques observations s'imposent. Dès avantle -Sème siècle, la déesse locale semble la fusion d'un certain nombred'influences, il ne faut donc pas attribuer de façon absolue à l'Ephésiatoutes les figurations retrouvées. Il est des types comme la Dame au fuseau

(1) M. ELIADE, Traité, p. 191 et suiv.(2) L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 357 et note 99.( 3 ) p . 4 7 5 .(4) p. 478 : "...où sous des influences vraisemblablement hittites, elle

avait reçu la forme et la figure d'une femme."( 5 ) p p . 4 7 5 e t s u i v .(6) Successoin apparente tout hypothétique

1 8 .

qùi ne lui correspondent vraisemblablement pas. La mère à l'enfant nu du-4ème siècle convient à Létô mieux qu'à la Vierge Artémis ce qui n'exclutnullement qu'elle ait accueil l i ce type auquel elle s'apparentait. Si ladifficulté de distinguer la déesse, des représentations des prêtresses, oudes fidèles (par exemple la statuette d'ivoire figurant une femme avec, surla tête, une hampe et un épervier) est réelle, on ne peut éliminer du classement de tels types qui renseignent, au moins pour une part, sur la personnalité de la divinité en reproduisant, par exemple, l 'appareil rituel desprocessions, où il n'était pas rare de voir les officiants revêtir le costumea t t r i b u é a u d i e u .

L'énumération ne serait pas complète si on n'y ajoutait d'autres types. Dansle trésor archaïque de 1'Artémision, on a relevé un nombre considérabled'offrandes. Celles-ci sont de la plus grande importance parce qu'elles"permettent de reconstituer, avec une suffisante certitude maints vestigesde cultes, superposés les uns aux autres en lonie, et plus ou moins fondus,plus tard dans une conventionnelle unité. De ce matériel, l'étude iconographique dégage quelques aspects nouveaux de la déesse: leur souvenir nesemblait conservé, dès l'époque archaïque, que par des attributs isolés»" (1)Ce sont les types aussi divers que la déesse à la double hache, la déesseaux serpents, la déesse abeille et la déesse à la fleur. Ch. Picard pense

que ces types divins sont à dater pour la plupart du -7ème siècle voire dela fin du -8ème siècle. A cette époque donc, subsistait un ensemble de

représentations divines dont chacune, en fait, s'apparentait, par un aspectessentiel, à la Terre-Mère dont Artémis avait pris la succession. (2)

Des imperfections dans les techniques de fouilles de S.T. Wood, rendentincertains les renseignements sur l'évolution du type divin après l'époquede Crésus. L'Artémision D -550 à -356) fut doté d'une statue de culteattribuée à Endoios. Malheureusement nous en ignorons tout. (3) Ch. Picardse range à l'idée que la statue de culte du -5ème siècle serait en faitxoanisanté. Il s'appuie pour cela sur le témoignage de Xénophon qui^à lafin du -5me siècle^ a vu la statue xoaniforme. Malheureusement, celui-ci

(1) EÇ, pp. 516-517.( 2 ) p . 5 2 4 .(3) On a bien sur émis diverses suppositions, L.LACROIX , Reproductions,

p. 190, note 4.

1 9 .

ne témoigne pas des attributs de la déesse, se limitant à signaler qu'elleétait couverte d'or. Ce xoanon devait appartenir au type debout drapé devenu

classique. Les modifications furent, par la suite, celles d'une conceptionnouvelle du symbolisme.

Nous en arrivons ainsi au type 'fcanonique"de l'Ephésia. Si nous avons décritune succession vraisemblable de types divins et de formes qui les "incarnent",- nous connaissons ainsi, grâce à l'archéologie, les différents modèles

archaïques de la déesse - force est de reconnaître qu'ils ne nous renseignent,en rien, sur la genèse du type "canonique". (1) A y regarder de plus près,la lacune est importante, car, en fait, on ne connaît pas plus le xoanondes Amazones que l'idole d'Endoios^et une des premières controverses portesur l'époque où est apparu le type qui matérialisa dans le monde la grandeArtémis dès Ephésiens. La réponse est plus simple pour les représentationsmonétaires. Ch. Picard (2) signale les cistophores de la cité vers -133.L'époque romaine, comme nous le savons, conservera ce type jusqu'au triomphedéfinitif du Christianisme. L. Lacroix qui s'est plus particulièrement penchésur le sujet, note aussi que la statue de culte n'apparaît qu'à une époquetardive sur les monnaies. Il ajoute qu'elles permettent de se rendre comptede la stabilité de la représentation depuis ce -2ème siècle jusqu'au règnede Gallien. (3)

Plus compliqué, le problème de la grande statuaire qui servit de modèle. Ilserait bien étonnant, pensons-nous, que la grande statue de culte n'ait paseu le type 'tanonique"bien avant sa reproduction sur les numéraires de lacité. Comment supposer en effet qu'on ait choisi de représenter la ville parune image qui n'eût pas été très bien connue? Partons une fois encore deCh. Picard (4) Il pose à la fois le problème de date et d'auteur ou plusexactement de parrainage pour admettre immédiatement l'impossibilitéd'avancer un fait précis. Reste la spéculation: "La formule du moins estassurément grecque, et sa complexité symbolique ne permet pas qu'on lafasse remonter logiquement avant l'époque du 3ème ou même du 2ème siècleantérieurement à notre ère". Pourtant, le relief de Tégée représentant le

(1) L. LACROIX, Reproductions, pp. 190-191.(2) EC, p. 526.(3) Reproductions, p. 188.(4) EÇ, p. 527,

/ m

2 0 .

Zeus Labraundos, carien également et fortement apparenté à l'Ephésia,polymaste comme elle, est daté en toute certitude de -351 -344. L'oeuvre peutêtre attribuée à l'atelier de Scopas qui travaillait alors au Mausoléed'Halicarnasse. Sur le relief mentionné, les plis du vêtement attestent lamarque d'une hellénisation et Ch. Picard ajoute: "Si l'on voulait imaginerla statue principale de l'Ephésia, dès la fondation de l'Artémision E (-350),on la restituerait d'après des documents de ce genre". W. Déonna a eul'occasion de s'élever contre l'argument relatif au symbolisme avancé parCh. Picard. (1) Il reprend aussi l'apparente contradiction mentionnée chezl'auteur d'Ephèse et Claros, entre la limite attribuée au type éphésien etla datation du Zeus Stratios et continue en faisant entendre ce qui, facilement, pourrait passer pour la voix du bon sens. Résumons: la statue s'élèvedans l'Artémision E, Praxitèle, Scopas, peut être même Bryaxis ont participéà la décoration. "Est-il vraiment impossible de supposer que l'image deculte date de cette époque et que rajeunissant la vieille idole selon legoût hellénique d'alors, elle soit due à l'un des artistes qui ont travailléà cet ensemble?" D'après les statues qu'il examine, il trouve au visage uncaractère praxitélien. Pourquoi une nouvelle statue de culte, plus tard, sansoccasion précise? Il termine 1'énumération des traits archaïques empruntésaux images antérieures par une série d'interrogations: "Faut-il croire qu'ilsaient été (les traits archaïques) patiemment rassemblés par un artiste récentpour en constituer pour la première fois un ensemble homogène? N'existaient-ilspas déjà réunis dans une ancienne idole? Ce sont là questions difficiles quin'ont pas encore reçu de réponse décisive." A. Laumonier, de son côté, nesemble pas vouloir trancher; il reprend en note (2) les suppositions déjàmentionnées de Ch. Picard, W. Déonna et L. Lacroix, en y ajoutant l'opinionde H. Gressmamqui rapproche aussi le Labraundos de l'Ephésia et pense quele type du xoanon ne peut être que très ancien. L. Lacroix (3) relève lestraits archaïques de xoanon et admet avec V. MUller, l'emprunt des élémentsessentiels du vêtement et de la parure aux antiques idoles. Pour V. Millier,"l'absence du type polymaste dans les découvertes de l'Artémision n'est pasun élément suffisant qui permette d'exclure l'idée de l'existence de ce typeà l'époque archaïque". L. Lacroix reprend l'idée que le symbolisme compliquédu nouveau xoanon indique la création hellénistique et accepte l'évaluation

( 1 ) 1 9 2 4 , p . 7 .(2) Cultes, p. 65, note 2.(3) Reproductions, p*191 et note 2; p. 192.

2 1 .

de Ch. Picard. (1) Assez récemment encore, (2) Ch. Picard a fait allusion àce problème. En parlant du livre de E. Akurgal, "Die Kunst Anatoliens vonHomer bis Alexander", il dit: "L'auteur d'après le titre de l'ouvrage sembleadmettre que la statue de culte en question (il s'agit de notre E 46) ait étéantérieure à Alexandre, bien qu'il la déclare seulement ... du temps d'Hadrien,ce qui n'est pas sûr".

Il semble bien que, dans l'état actuel de la documentation, il soit impos-sible d'avancer un argument décisif qui permette de trancher. Nous devonsdonc nous contenter de ces aperçus en forme d'interrogation.

B . S Y N C R E T I S M E

Si la détermination de l'époque, où est apparu le type de la grande statuede culte, semble conjecturale, le mécanisme qui aboutit à sa formation, faitl'unanimité. Tous les auteurs admettent que le nouveau xoanon, avec seséléments archaïques, provient de syncrétismes de modèles primitifs.

Nous croyons important d'examiner cette question de la mode archaTsante etdu syncrétisme. Puisque enfin nos deux statues appartiennent au monde romain,il serait bon de définir les mécanismes qui aboutirent, non seulement enGrèce mais aussi dans l'Empire, à imposer cette image de l'Artémis des

Ephésiens; il importe, même si nous ne pouvons qu'aborder superficiellementcette énorme question, de souligner quelques aspects qui rendirent possibleles syncré t ismes.

L'Artémis d'Ephèse est, comme d'autres, (3) "une oeuvre composite qui répondà des exigences cultuelles plutôt qu'à des préoccupations esthétiques." (4)Nous avons suff isamment noté le sens re l ig ieux vér i tab le de cet te importante

(1) Comme l'Aphrodite d'Aphrodias, Reproductions, p. 175.(2) M, II, 1962. p. 93.(3) L'Aphrodite d'Aphrodisi as , Zeus Héliopolitain, Zeus Stratios.(4) L. LACROIX, Reproductions, p. 191.

2 2 .

divinité (1) et insisté sur la reconnaissance de l'unité de l'essence divinequi s'exprimait sous la multiplicité des formes archaïques. (2)

Lors de cette phase archaïque, nous constatons, dans le périmètre religieux

d'Ephèse, une juxtaposition de modèles divins apparentés, qui tous renvoientau concept de la Terre-Mère, bien qu'ils soient pourvus d'attributs distinctifs.Cet ensemble religieux atteste sans doute, une variété d'influences ethniquessur les bords du Caystre, (3) influences combinées de l'Asie et de la Crète.(4)

La deuxième phase nous permet de supposer l'action de l'esprit de synthèsede l'hellénisme. (5) En favorisant Artémis, les Ioniens ont développé leculte d'une déesse qui n'était pas, nous l'avons vu, fondamentalement nouvelleet ils ont, par là même, accéléré l'assimilation des différences secondaires,matérialisée par la juxtaposition des attributs. Tout se passe comme sil 'unité idéale du sens religieux se traduisait dans l 'unité matérielle duxoanon en même temps que s'estompaient les personnalités accessoires du** panthéon. Le malaise qu'on éprouve en voyant la grande statue de culte, tient

pour une part dans l'impression d'unité factice qui s'en dégage; sans doute,les anciens syncrétismes restent-ils trop perceptibles. "Ce xoanon représenteen quelque sorte une unité matérielle, mais qui suppose toujours la mêmediversité de composantes; les termes du rapport ont changé, le rapportrestant le même". (6) Les religions - ioniennes, précise Ch. Picard, bieninutilement à notre avis- ont toujours été conservatrices. (7) "L'art

archaïque s'attachait peu en Egypte, en Asie, à la beauté des idoles, il a^ surtout visé à exprimer fidèlement et complètement les aspects et les attributs

de chaque divinité". (8) La mode archaïsante a gardé le même souci de fidélité,

(1) EC, p. 371 : "... d'autant qu'en cette ville, comme on l'a déjà marqué,T^Ephésia ne cessa jamais de ressembler par bien des traits à une Mèreanatolienne." et aussi pp. 466-467; A. LAUMONIER, Cultes, p. 32 :"Artémis d'Ephèse reste en effet le prototype de la Grande-Mère anatoliennehellénisée, d'après laquelle avec des variantes locales légitimes, on peutimaginer toutes nos Artémis cariennes et même nos Zeus cariens, héritiersd e l a G r a n d e - M è r e " .

( 2 ) p . 5 2 6 .(3) K, p. 537.(4) A. LAUMONIER-, Cultes, p. 675: "Dans ces deux localités (Ephèse et Claros),

le fond "créto-carien" a été mis en lumière, l'élément égéen et l'élément^ o r i e n t a l s ' y m ê l a n t d ' a u t a n t p l u s a i s é m e n t q u ' i l s s o n t d é j à p a r e n t s . "

(5) EC, p. 627.(6) EC, p. 537.(7) EC, p. 538.

. ( 8 ) E C , p . 5 3 1 .

2 3 .

la même obsession oserions-nous dire, de ne négliger aucun des aspects ouattributs épars, (1) mais elle a, en outre, tenu à exprimer l'unité. En uneffort desespéré de rationalité, elle a tenté une synthèse scrupuleuse.L'effort a porté sur la forme, le sentiment religieux l'avait depuis toujoursprécédé. Nous ne croyons pas qu'il y ait, dans la pensée syncrétiste, unevéritable rénovation de la vision religieuse, mais plutôt un effort pourtenter de résoudre les apparences d'émiettement des grands archétypes

religieux. (2) "Partout, les transformations ont été plus apparentes queprofondes. On dirait que dans le culte des divinités qui représentaientessentiellement la terre et ses forces, quelque chose avait pu passer de1'immuabilité éternelle de cette Nature, que maints poètes se sont plus à

représenter soumise au rythme régulier des saisons, mais comme indifférenteaux transformations humaines". (3)

Dans les oeuvres archaïsantes - et peut-être convient-il de parler de mode

plutôt que de style véritable (4) - les artistes empruntent certains thèmesà 1'archaïsme authentique, (5) sans doute ceux qui sont les plus significatifs,les plus aptes à transmettre l'intégrité de la personne divine. Le tradtiona-lisme religieux est un garant de la survie de certaines formes archaïques. (6)La raideur de la statue, le bas du corps engainé attestent "le caractère

primitif et local de la divinité. Nulle part, dans les civilisations plusavancées qui entourent cette région de l'Asie occidentale, il n'a existéà notre connaissance de xoana véritables, tels que nous les font connaîtrela tradition et les reconstitutions archaïsantes de l'époque gréco-romaine...Mais nulle part ne se trouve ce demi anthropomorphisme minéral ou végétalqui subsistera même en Grèce classique sous la forme des Hermès ou desDionysos - pilier ou masque. L'existence de pareils xoana également dans

(1) Ch. Picard, EC, p. 372: "Il semble ... que la part des fonctions primitives connues pour la déesse reste considérable; qu'elles aident singulièrement à reconstituer son aspect; que, même, elles détermineraientl'explication, en plusieurs cas, de syncrétismes postérieurs".

(2) L.LACROIX, Reproductions, p. 132, "... nous examinerons le témoignagedes monnaies sur les idoles de ces déesses asiatiques dont beaucoupétaient adorées sous les noms d'Artémis ou d'Aphrodite"; A. LAUMONIER,Cultes, p. 412, "On sait quelle difficulté on éprouve à identifier lesdi vi ni tés féminines des monnaies d'Asie mineure qui sont au fond desv a r a i a n t e s d e l a m ê m e d i v i n i t é "

(3) EC, p. 538.(4) L. LACROIX, Reproductions, p. 34.(5) L. LACROIX, Reproductions, p. 34.(6) L. LACROIX, Reproductions, pp.33 , 35.

2 4 .m

la Grèce propre s'accorde bien avec la tradition des Pélasges ou Lélèges^ dits autochtones antérieurs aux colonies crétoises". (1) L'attitude "mécanique"

des bras collés au corps et pliés à angle droit est un autre souvenir des

temps anciens. L. Lacroix note que l'image de l'Artémis d'Ephèse, telle quel'enseigne la numismatique, peut paraître archaïque, et seul l'examen de lagrande statuaire oblige à y voir l'expression d'un art abouti; ces "pastiches,produits d'une période où, par un retour vers le passé, on prêtait volontiersaux dieux les formes les plus étranges et les plus barbares". (2) Cetteréflexion en rejoint une autre formulée par Ch. Picard. (3) Ce chercheur g'é-tonne que l'on n'ait pas plus insisté sur la fortune singulière du renouvellement hellénistique de l'iconographie divine. Les artistes romains et, dansleur sillage bien des modernes, se sont complus dans les modèles nouveaux,

peut-être souffle Ch. Picard, "en raison meme de leur aspect plus tératolo-gique". "... La complication n'était pas aux origines mais dans les suites". (4)Peut-être serait- i l bon de garder à l 'esprit cette réflexion qui éclaire le

problème de l'évolution du type plastique.

Il y a dans l'utilisation de la symbolique, à cette époque, un effortintellectuel qui semble se tendre sous l'effet d'une dialectique. D'une

part, la volonté d'affirmer la puissance exclusive d'une divinité poliadeau détriment de divinités satel l i tes , et, d'autre part, le souci rel igieux

scrupuleux, conservateur, de n'oublier aucun aspect personnalisé par cesdivinités secondaires. Nous touchons du doigt un des rôles de la symbolique

qui est l 'expression unitaire, globale - total isante dir ions-nous - descaractères contradictoires: un effort pour résoudre le paradoxe apparentde l'unité dans la diversité. Le mécanisme de la symbolique, rendu à sa

transparence jjarles recherches de M. Eliade, (5) trouve ici une illustrationremarquable. Chaque déesse locale "tend à s'annexer toute la sacralitédisponible", d'autant plus facilement que les conditions historiques -domination d'Androclos - favorisent cet "impérialisme ". (6) "Cette tendance

(1) A. LAUMONIER, Cultes, pp. 72 et suiv.; L. LACROIX, Reproductions, p. 188.(2) L. LACROIX, op. cit., p. 35.

^ ( 3 ) 1 9 3 7 , p . 1 4 7 .

(4) Pour s'en convaincre, il suffit de feuilleter la partie du catalogue queH. THIERSCH consacre aux versions modernes de l'Artémis éphés i enne.Ch. PICARD illustre ses dire par l'exemple de l'évolution des représentations d'Hécate dont l'aspect canonique est devenu celui de la Trivia.Nous signalons que les mots soulignés dans la citation de Ch. PICARDle sont par nous.

2 5 .

annexionniste se retrouve dans la dialectique du symbole. Non pas seulementparce que tout symbolisme aspire à intégrer ou à unifier le plus grand nombrepossible de zones et de secteurs de l'expérience anthropocosmiques, mais

^ encore parce que tout symbole tend à identifier à soi le plus grand nombrepossible d'objets, de situations et de modalités." Il peut donc y avoir enun seul symbole la conjugaison de plusieurs systèmes de référence. Les articulations des secteurs lunaires et aquatiques dont relève le modèle éphésiende l'Artémis, harmonisent les thèmes de la Vie, de la Féminité, de la Fertilité.

Encore faut-il se garder d'interpréter cette "unification" comme une confusion.Très souvent, nous avons rencontré ce jugement. (1) Cette tendance qui agitau niveau des principes comme "une tendance à intégrer le "tout" dans unsystème, à réduire la multiplicité à une "situation" unique de la manière àla rendre du même coup le plus transparent possible" trouve sa matérialisationdans l'évolution formelle de notre déesse. Ainsi, est-on amené à considérerle syncrétisme comme un moment de la vie des symboles. "... il se trouve quec'est sous l'empire romain seulement, sauf quelques très rares exceptions,que nous y voyons apparaître les xoana les plus instructifs, à une époque oùle syncrétisme a déjà fait son oeuvre de fusion et de confusion. Mais l'étudefaite par Ch. Picard de l'Artémis d'Ephèse permet d'affirmer que cette accu-mulation d'attributs, cette complication des ornements et des costumes desimages d'ipixiue impériale ne sont qu'un simple retour, naturel après la périodeclassique limitatrice et humanisante, à une conception et une représentationprimitives beaucoup plus larges et symboliques. Nous avons donc raison d'uti-liser les documents archaîsants en lieu et place de documents archaïques quinous manquent". (2) Et nous lisons plus loin: "... un de ces syncrétismescurieux si cher à l'époque roamine, qui tend à rapprocher toutes les formesde divinité en une seule: ils ne font sans doute que traduire aux yeux sousforme concrète, non seulement les relations intimes des différentes régionsde l'Orient romain, mais aussi l'unité profonde et originelle de cette notionde divin que le sentiment parti culariste du peuple disperse sans cesse en

(1) A. LAUMONIER, Cultes, p. 29:"... le syncrétisme a déjà fait son oeuvre defusion et de confusion.", et Fr. LE ROUX, HRP, I, p. 782: "... du syncrétisme qui devait, un peu plus tard, devenir une des marques de ladécadence du paganisme antique."

(2) A. LAUMONIER, Cultes, p. 29 et note 1, sur les ressurgences, la valeuret le sens des syncrét ismes.

2 6 .

une multitude de formes locales, mais que le clergé instruit et théologientend toujours à recomposer selon les occasions que lui offrent les circonstances politiques ou sociales." (1)

C. QUELQUES EXEMPLES DE SYNCRETISMES (2)

Nous avons signalé les syncrétismes qui ont amené l'unification d'Artémisavec les différentes hypostases archaïques de la Terre-Mère. Nous allonstenter d'établir succinctement les rapports entre l'Artémis éphésienne etHékate d'une part, et la Diane romaine de l'autre.

1 . H E K AT E E T A RT E M I S

Certaines religions, indo-européennes notamment, ont pensé un principeféminin unique pour incarner la matière. Sa complexité s'est alorstraduite par le multiplicité des manifestations et des appellations dela divinité féminine indifférenciée. C'est la Mayà de l'Hindouisme ou la

Da/na irlandaise. A l'origine, les Grecs ont associé plus spécialementles différents aspects de la matière et leurs divinités, dégageant unesorte de tri partition de la personnalité globale: la matière physiquepuissante, luxuriante, débordante de force vitale, féconde, principeactif de la nature, du monde animal et végétal s'incarne en Artémis,mais aussi en Aphrodite ou en Démeter; la matière mentale, conquérantea trouvé sa forme sous les traits d'Athéna tandis que l'aspect psychique,

subti l , volontiers occulte s'est "concrétisé" dans la personnalitéd'Hékate. (3) Hékate appartient au monde invisible d'en-bas, monde infernaldes esprits, de l'errance redoutable des morts sans sépultures. Commetoute divinité féminine, déesse chtonienne, elle est parfaitement associéeau domaine lunaire, domaine contigii de la féminité. Ainsi voyons-nous une

(1) A. LAUMONIER, Cultes, p. 83 et note 3.(2) Devant la multiplicité des implications et la richesse du sujet, aborder

quelques éléments seulement peut paraître dérisoire. Toutefois, nousavons tenu à inclure ce paragraphe dans notre analyse parce que lesrapprochements suggérés éclairent davantage les caractères que soulignentl e s a t t r i b u t s .

(3) A. LAUMONIER, Cultes, p. 414.

2 8 .

les allusions dans les attributs d'Artémis, même sous la forme grecquede la chasseresse, carquois,flèche et arc. (1) S. Lunais remarque las i m i l i t u d e d e f o r m e e n t r e l ' a r c d e l a c h a s s e r e s s e e t l e c r o i s s a n t d e l a

déesse lunaire. (2) L'Artémis agraire et chtonienne, déesse lunaireassura très tôt la sécurité d'outre tombe, la protection des âmes. (3)Comme toutes les autres Mères anatoliennes, elle étend son pouvoir sur lanature visible autant que sur le monde invisible. (4) Comme Hékate, elleconnaît les Enfers. Les rapports qui la lient à Hermès sont des rapports

fonctionnels, un même rôle de psychopompe les apparente. Scopas a** représenté le d ieu au caducée sur une base de colonne de l 'Ar témis ion E

dans une scène de voyage des âmes . (5) H. Graillot signale des stèles de lapériode hellénistique, oû sont associés la Dame anatolienne et l'Hermèspsychopompe, et nous avons trouvé un document bulgare de l'époque romaine,où l'Artémis au chiton court figure flanquée d'un chien à côté d'un Hermès.Nous sommes un peu étonnés de lire sous la plume de l'auteur, D. Tsontchev:"Nous devons expliquer la liaison d'Hermès avec Artémis, ici, sur lesversants des Rhodopes où il y a toujours eu des conditions favorables

d'élevage, par le fait que ce sont là des divinités ayant de communscontacts avec l'élevage". (6) Peut-être, mais la présence du chien (7)aurait pu confirmer "la liaison" par "un fait" plus spécifiquement

religieux. Le chien appartient au domaine chtonien. (8) C'est l'animaldes Enfers, gardien des tombes en étroite relation avec Hékate. Sa présenceaux côtés d'Artémis montre bien le glissement, le syncrétisme qui s'est

opéré. (9) Il a gardé une valeur cosmique et reste attaché aux formesnouvelles de la Grande-Mère, soulignant son rôle dans l'au-delà, monded e s t é n è b r e s s o u t e r r a i n e s .

(1) L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 359.(2) Recherches, p. 129, note 35. Rapprochement réalisé aussi avec les cornes.

Nous n'avons pas le temps d'aborder cette question qui entrerait dans cetravai l s ' i l n 'avait le caractère l imité qui lui est impart i . Les cornes -aspect lunaire et aspect d'abondance - jouent un rôle important commeattribut et interviennent abondamment. Voir en outre W. DEONNA, REA,42, 1940, pp. 111-126.

(3) Ch. PICARD, EC, pp. 364 et 384; A. LAUMONIER, Cultes, p. 580, note 2:^ "Ciel et terre sont unis depuis l 'époque égéenne, à la fois dans leuraspect agricole et dans leur aspect eschatologique, qui pour les Anciensne fon t qu 'un . "

(4) A. LAUMONIER, Cultes, pp. 500 et 532.

^ (5) EC, p. 383 et note 10.(6) D. TSONTCHEV, ^,1,1962, pp. 195 à 197.(7) S. LUNAIS, Recherches, p. 128 et note 33.(8) Sur le chien voir le beau développement de A. LAUMONIER, Cultes, pp. 419-420.(9) L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 357, "Artémis infernale et lunaire.»

2 7 .

divinité féminine autant terrestre que lunaire se répandre en Carie, enAnatolie, dans le monde grec et romain. Le couple Hélios-Séléné, - forcecondensatrice, passive équilibrant le principe actif sublimisant - connudes Grecs, allait se traduire en Anatolie par le couple Artémis-Appolon.Dans cet immense creuset géographique, les traits vont s'unir sur lesbases communes. A. Laumonier (1) pense que le nom d'Hékate est d'originecarienne, d'autre part, on connaît le rôle de déesse universelle, omnipotente qu'elle tient en Béotie. Au 2ème, Sème siècle, on la retrouveassociée au Zeus Panamaros (2) de Lagina. L'identification Sarapis-Héliosavait favorisé la formation du couple, comme la pirésence d'Isis, lunaireet chtonienne. Hékate est parfois représentée sur un lion, le voile délimi tant un orbe au-dessus de la tê te . La s imi l i tude es t a lors f rappante

avec Cybèle. L'orbe se rencontre généralement associé aux déesses

perchées sur le dos d'un animal et souligne la valeur cosmique en symbolisant la voûte céleste. Le caractère lunaire particulièrement marquéd'Hékate s'est transmis à Artémis. (3) Les nombreuses représentationsde 1'Artémis d'Ephèse ont très souvent un croissant de lune, parfoisassocié au disque, sur la poitrine. Par la suite, cet élément simple seraremplacé par la représentation du zodiaque, mais le sens reste inchangé. (4)Nous pouvons d'ailleurs constater que dans un exemplaire "canonique" aussibeau que notre E 46, le croissant de lune a été figuré comme un bijouderrière la tête. Sa présence, à une époque tardive, rapelle un panimportant de la personnalité divine liée aux croyances de salut descultes agraires. La Lune dans l'antiquité passe pour être le séjour desâmes. (5) On a trouvé dans le trésor de l'Artémision d'Ephèse des croissantsde lune attestant l'ancienneté du rapprochement. (6) Les cultes astrauxde la religion hellénistique sont des ressurgences. Nous pouvons retrouver

(1) Cultes, p. 416.(2) Dans son acception de lumière du jour.(3) A. LAUMONIER, Cultes, p. 413.(4) ;R. FLEISCHER, p. 73.

(5) Notamment Traité, pp. 374 et suiv., particulièrement § 171.(6) A. LAUMONIER, Cultes, p. 440, exprime aussi cette même idée lorsqu'il

éc r i t : "Pou r chaque v i l l ageo i s , l e d i eu du v i l l age es t l e d i eu pa rexcellence ayant tous les attributs et tous les pouvoirs".

2 9 .

L'origire carienne d'Hékate, et le développement de son culte (1) enAnatolie, expliquent la transformation. En Lycie, elle est l'équivalentde Létô. En Carie, très anciennement à Millet, on l'associe à Apollon;

plus tard à Kos, à Hélios. Rien d'étonnant qu'à Ephèse, elle soit totalement assimilée à Artémis. (2) "Elle (Hékate) serait exactement le pendantde 1'Hélios rhodien... Leur assimilation respective à Apollon et Artémis

correspondrait à leur hellénisation (3); mais l'assimilation tardive deceux-ci à Hélios et à Séléné (4) ne serait qu'un retour de ces dieuxanatoliens, déjà hellénisés par les Achéens, à une noble origine célesteet "aryenne"! (5)

Laissons la parole à W. Déonna: (6) "Artémis a des attributions analogues:elle est une déesse de la fertilité terrestre; chasseresse, Potnia Thërôn,elle suscite la fécondité animale; vierge et protectrice des jeunes filles,elle préside aussi aux rites et aux conséquences du mariage, à leur accouchement (7) et veille sur la santé des enfants. Mais elle est aussi déessede la nuit, de la mort et elle est assimilée à Hékate, divinité du mondeinfernal." Un dernier mot de la détermination temporelle du syncrétismelunaire. Nous avons déjà signalé les croissants de lune découverts dansle trésor du temple A,(8) la valeur cosmique semble confirmée par laprésence dans ce trésor d'étoiles votives. En outre. Ch. Picard rapporteun passage d'Aristophane permettant de penser, avec réserve, que l'Ephesiaa été assimilée à la divinité lunaire des Perses dès l'époque des guerres

médiques. Les monnaies quant à elles montrent une assimilation Artémis,Séléné, assimilation grecque qui ne remonterait pas au-delà du -4èmesiècle. Pour W. Déonna, le rôle lunaire d'Artémis daterait du -Sème siècle

(1) A. LAUMONIER, Cultes, pp. 421-425.(2) Ch. PICARD, EC, pp.. 297, 324, les flambeaux accompagnant l'Ephésia

soulignent l'Tssimilation, comme ailleurs, le chien. Voir aussi p. 372e t l a n o t e 4 .

(3) Ch. PICARD, EC, p. 371.(4) La conception d'Artémis-Séléné est courante à basse époque. Elle est

admise notamment par les stoïciens. L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités,p. 357.

(5) A. LAUMONIER, Cultes, p. 425.( 6 ) 4 2 , 1 9 4 0 , p . 1 2 2 .(7) L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 363, note 96.(8) Ch. PICARD, EC, p. 368.

3 0 .

au plus tôt. (1) Plus récemment, A. Alfôldi (1960), donne l'associationHékate-Artémis-Séléné pour terminée au -Sème siècle. (2)

^ 2 . D I A N E E T A R T E M I S

Du côté romain, la situation n'apparaît pas moins complexe. La traditionrévèle au départ une "tripartition" du champ religieux entre Diane, Luneet Hécate. (3) Nous retrouvons le schéma connu qui place Lune au ciel,Diane sur la terre et Hécate aux enfers. Les glissements de sens rendentcette approche purement théorique. (4)

L'élément central des interférences parait bien être la personnalité deLune. (5) "Nous l'avons vu en étudiant le culte de la déesse astrale,rares sont les invocations où le Romain s'adresse uniquement à l'astredes nuits. Dans ses prières, il confond naturellement suivant les circons-tances Diane et la Lune, la Lune et Hécate, Hécate et Diane, voire

d'autres divinités à la personnalité lunaire moins fortement marquée."(6)L'association Hécate-Lune se comprend aisément par la parenté "sémantique",la Lune associée au royaume des morts "couvre" les activités de la^ magicienne infernale. Hécate est bien la "déesse à la triple forme", la

"déesse aux trois visages." (7)

(1) W. DEONNA, REA, 42, 1940, p. 122 et note 9.(2) A. ALFOLDI, 64, 1960, p . 143.(3) S. LUNAIS, Recherches, p. 119.(4) S. LUNAIS, op. cit., p. 119, formule une légère réserve: "Il faut noter

pourtant que certains vocables sont plus rarement utilisés dans descirconstances bien définies, ce qui montre que les trois formes de ladivinité ne sont pas toutes compatibles avec les trois domaines où sonpouvoir s'exerce, et que tous les noms que les écrivains lui attribuentne peuvent être intervertis sans risque de changer les nuances des t©<tes."Cette précision semble, d'après le reste de son analyse, toute relative.

(5) S. LUNAIS, Recherches, p. 121: "En d'autres termes l'assimilation entre^ D i a n e e t H é c a t e n e s e f a i t q u e p a r 1 ' i n t e r m é d i a i r e d e l e u r i d e n t i f i c a t i o n

commune à la Lune, même si elle se produit pour chacune de façon indépendan te . D 'a i l l eu rs l es to rches i n te rv iennen t dans ce t te mys té r i eusecérémonie comme symbole de la déesse lunaire, c'est-à-dire de l'astre quipersonnifie à la fois Diana lucifera et Hécate."

^ ( 6 ) S . L U N A I S , R e c h e r c h e s , p . 11 8 .(7) S. LUNAIS, op. cit., p. 119.

3 1 .

L'origine de Diane a été fort discutée. (1) S. Lunais la considère commelatine. Ne devant rien à la Grèce avant sa rencontre avec Artémis, elleserait primitivement étrangère â Rome. Le culte qui lui est rendu dansle sanctuaire d'Aricie révèle déjà un état complexe d'associations. (2)Ainsi le lac de Nemi, appelé Speculum Dianae, qui jouxte le lieu de cultetraduit le lien qui unit Diane, la Lune et l'eau. (3)

Les textes d'invocations, eux-mêmes, présentent une réelle imbrication destrois personnalités dont Diane reste incontestablement l'élément le plus

important. Quant aux exemples tirés de l'expression littéraire - où l'onnote, par exemple, le glissement du qualificatif triplex d'Hécate versDiane - ils sont possibles, outre les raisons de métrique poétique, (4) parce

qu'ils recouvrent en fait, un consensus plus large. (6)

A l'époque classique, Diane a complètement absorbé les caractéristiquesde Lune, (6) de plus nous avons noté les liens étroits, les fusionsopérées avec Hécate. Ajoutons encore quelques éléments: S. Lunais admetque Diane fut adorée dans les débuts de Rome, en tant que divinité des

montagnes, des bois, de la nature, et l'on conçoit facilement la traductionde ce trait sous la forme de la chasseresse. (7) De son côté, A. Alfôldiécrit : (8) "... la Diane latine était conçue comme une unité sous la

triple frome de la divinité chasseresse^de la déesse lunaire et de ladéesse de l'au-delà, Hécate. Ce mélange n'est pas une contamination du

(1) S. LUNAIS, op. cit., pp. 117 et 131, note 45; A. ALFOLDI, AJA, 64, 1960,pp. 142-143.

(2) S. LUNAIS, op. cit., p. 118: "Nul doute que cette déesse de la lumièrenocturne n'ait été très tôt assimilée au disque lunaire, avant même quen'interviennent à Rome les influences grecques."

(3) S. LUNAIS, op. cit., p. 127: "Comme l'action de la Lune s'exerce, avanttout sur l'eau dont l'astre tire sa nourriture, Diane règne aussi sur1'élément l iquide."

(4) S. LUNAIS, op. cit., p. 120, note 12.(5) S. LUNAIS, op. cit., p. 120, note 13: "En employant cet adjectif (triformis)

H o r a c e f a i t s a n s d o u t e a l l u s i o n à l ' a s s i m i l a t i o n c o m m u n é m e n t a d m i s e d e strois grandes déesses lunaires."

(6) S. LUNAIS, op. cit., p. 116.(7) S. LUNAIS, op. cit., pp. 116-117: "Un lien a pu se créer également dans

l'esprit des anciens entre l'arc de la chasseresse et le croissant del 'astre, au conmencement et à la f in de son cycle. Ce rapprochement entreD i a n e e t L u n a s e r a i t v r a i s e m b l a b l e m e n t i n t e r v e n u a v a n t l ' a s s i m i l a t i o n d eDiane à Artémis (assimilation qu'il aurait du reste facilitée)." L'assimilat ion de la chasseresse et de la Lune est abondamment citée, cf. parexemple pp. 122-123; la prière de la "nourrice d'Hyppolyte", p. 121 etsur tout p . 116, note 1 .

(8) A. ALFOLDI, AJA, 64, 1960, p. 140.

3 2 .

syncrétisme impérial tardif." La Lune apparaît parfois non comme unedivinité mais plutôt comme une hiérophanie de la divinité. (1)

On peut conclure partiellement avec S. Lunais (2) "..., et ces confusionsmultiples que nous avons notées au niveau du vocabulaire entre Diane, Luna,Hécate traduisent plutôt une juxtaposition de divinités qui se ressemblaientà l'origine par certains côtés et non une véritable assimilation. Il faudrait parler d'absorption plutôt que d'identification: la divinité la pluscomplexe finit par englober la plus simple de par sa complexité même."

Il y a donc un parallélisme entre l'absorption totale de Séléné parArtémis et l'enrichissement de la personnalité de Diane par Lune (3),évolution réalisée avant le stade final du syncrétisme Artémis-Diane. Cettedernière étape semble franchie dès -399. (4) Tite-Live mentionne Dianeavec Apollon et Latone. (5)

m ,

Les mondes grec et romain ont rétabli une "unité" de la perception dusentiment, religieux, le syncrétisme a joué en rassemblant les formessur la base des évidences, et, comme nous avons déjà pu le voir, ladiversité originelle n'est souvent visible que dans la variété desattributs et des cultes. La Lune qui a tant enrichi les fonctions

(1) S. LUNAIS, op. cit., p. 123: Ovide: nocturnae forma Dianae.(2) Op. cit., p. 126.(3) S. LUNAIS, op. cit. p. 137.(4) S. LUNAIS, op. cit., p. 126, note 26.(5) Sur Apollon et Latone, aux côtés de Diane, voir aussi S. LUNAIS, op. cit.

pp. 124-125. Il semble bien que l'introduction de ce frère solaire aitété facilitée par la présence, aux côtés de la déesse de la natqresauvage, d 'une div ini té i ta l ique, Virbius, qui , peronnif iant le Solei l ,établissait le l ien avec la divinité lunaire. S. LUNAIS, op. cit. ,p. 130.

3 3 .

d'Artémis-Diane (1), n'apparaît plus qu'à l 'état de traces, incorporéedans des cultes (2) qui ont pris le dessus, mais finalement jamais oubliéetelle que le montre bien l'iconographie.

(1) Une fois de plus, nous regrettons le caractère limité de ce travail quinous empêche de bien établir la cohérence des mythes et de leurs structures.Parmi les fonct ions " i lunaires" assumées dans les syncrét ismes Artémis-Diane, nous n'avons pu que faire allusion au rôle tenu dans les grossesses,l'enfantement, rôle a priori étonnant pour une déesse vierge et chaste,voir, par exemple, pour Diane, S. LUNAIS, op. cit., p. 120, note 13 ,p. 123 :"il (Cicéron) attribue aussi son rapport avec les accouchements à lamesure de la durée de grossesse en lunaison.", pp. 125, 127, citantApulée, p. 138: "La soeur de Phébus qui, en soulageant par les soinsappaisants les femmes en travail a suscité des peuples entiers, et qu'onvénère à présent dans le temple i l lustre d'Ephèse..pour Artémis,par exemple, L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, pp. 356 et suiv. §5,Ch. PICARD, pp. 369-373; mais également, nous aurions du insistersur la fonction de protectrice de la cité et des institutions, sereporter entre autre à S. LUNAIS, op. cit. , p. 117, note 3 à rapprocherde Ch. PICARD, EC,pp . 373 et surtout 374; S.LUNAIS, op. cit., pp. 124-125,132, 136; A. A.FULDI, 64, 1960, pp. 143-144; Ch. PICARD, EC, pp. 366-367, 548: "elle (la Terre-Mère) a été considérée enfin, un peu partoutcomme la source première de la vie politique..."; nous notons, toujoursà ce propos, que les exemplaires E 45 et E 46 ont été découverts dansle sanctuaire de Hestia Boulai a lors du dégagement du Prytaneion. Lastatue E 46 était dorée comme l'était un autre exemplaire dédié à laBoule et datant de 104, Ch. PICARD, EC, p. 527; Fr. MILTNER, Ephesos,p. 101: "Cette statue de la déesse virginale de la force fécondante,incarnant les représentations anatoliennes anciennes de la mère desdieux, montait la garde (à Ephëse) devant le sanctuaire du feu éternel."Il n'aurait pas fallu davantage négliger les rapports, si importants,avec l'agriculture : "C'est toi, déesse, qui, divisant à la mesure deta course mensuelle la route de l'année, emplis de riches moissons lestoits rustiques du laboureur." S. LUNAIS, op. cit., p. 125. Ainsi semarquent les fonctions régulatrices de la mesure du temps, de la croissance de la végétation (force végétative et protection des plantes) etde la fécondité. Le rapport avec les arbres que Diane entretient pourdes raisons semblables à celles analysées pour Artemisia les mêmesconséquences sur la configuration du culte. A. ALFOLDI, AJA,64, 1960,pp. 140-141; S. LUNAIS, op. cit.,pp. 124-125, 129, 133.

(2) S. LUNAIS, op. cit. p. 134 .

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m ,

3 4 .

I V . E L E M E N T S D E R E P R E S E N T A T I O N .

^ I M P L I C AT I O N S S Y M B O L I Q U E S D E S D I F F E R E N T S AT T R I B U T S

A . T E T E E T P O L O S

W. Déonna, dans un article de 1924, (1) écrit que le visage de la déesse estnettement praxitélien. Cette opinion a été combattue, â bon droit selonR. Fleischer, (2) par E. Lichtenecker. En fait, peu d'exemplaires de la grandestatuaire ont conservé leur tête, et là où la conservation permet une compara ison , la d i f fé rence en t re e l les es t te l le qu 'on ne peut en rapprocher deuxd'un exemplaire commun. (3) Sans doute, est-ce la raison pour laquelle nousrencontrons si peu de commentaires sur le visage.

En 1956, on eut la chance que les deux exemplaires découverts à Ephèse eussent

gardé leur tête. Ces deux exemplaires se distinguent particulièrement del'ensemble des documents. Les physionomies sont arrondies, l'air, particuliè-rement calme et serein; des cheveux sont visibles aux tempes. E 46 est la têtela mieux conservée. D'après R. Fleischer, (4) cette oeuvre rappelle lesréalisations du style sévère. N'y-a-t-il pas jusqu'à l'ombre de ce sourire

"archaïque" qui anime la bouche, détend le visage et lui donne une expressionde douceur hautaine? Déjà, Fr. Miltner avait relevé une étonnante ressemblanceavec la statue de Tripoli E 60 qui avait été datée de l'époque d'Hadrien alorsqu'il jugeait E 46 un peu plus jeune. Si la tête de la "grande" Artémis E 45est plus endommagée, (5) on peut s'assurer néanmoins qu'elle se rattache, parses traits sévères, au même groupe ainsi formé. Le fait d'avoir trouvé cesoeuvres à Ephèse permet de penser qu'elles se rattachent à la meilleuretradition. Cette transmission à une époque avancée des traits du "classique

précoce" ou de "l'archaïque tardif" n'est rien moins qu'étonnante.M ) —

(1) M, 1924, pp. 5 à 23.( 2 ) p . 4 7 .(3) R. FLEISCHER, p . 117.

« ( 4 ) p . 4 6 .

(5) Il semble qu'on ait martelé volontairement ces deux visages et qu'on sesoit contenté de ces légères mutiliations. Ch. PICARD, RA, I, 1962,p. 105, note 1: "C'est pourquoi, la chrétienne ScholastWia fit renverserla statue. Mais "les décombres restèrent intacts à leur place, car lesecret de la foi mystique enveloppait encore l'image renversée de ladivinité. (FR. MILTNER, Ephésos, p. 101)"., note 2 : "Dans une zone contigiie^une autre s tatue ae l 'Lpnesia, presque întacte, grandeur nature, de la déessetutélaire et patronne,sculptée de façon exquise en marbre parien, a ététrouvée comme inhumée soigneusement entourée de terre (Archaeologia, p. 210-211, fig. 3). C'est celle qu'on a baptisée la belle Artémis (fin de lapériode romaine impériale)."

3 5 .

La parure de ces têtes est simple. Toutes deux, bien que différemment, laissentvoir la chevelure aux tempes. E 45: quatre tresses de longueurs croissantesdecendent sur l'oreille où pend une boucle élaborée à partir d'un disque (oud'une sphère?), d'un motif en croissant et de pendeloques. E 46: la boucled'orei l le est très légère, sans doute la copie d'un frui t , l 'orei l le estaussi partiellement masquée par quelques mèches de cheveux. Le front des deux

représentations est pratiquement caché par un ornement qui sert, sans doute,de support au calathos: sur E 45, un bandeau presque sur les sourcils, ornéde petits cercles, supporte deux tores, tandis que notre Artémis E 46 porte untrès élégant bandeau formé de deux rangs de rosettes et supportant trois tores

larges, incisés obliquement, en sens alternés. (1)

L'étude du polos ne concerne que E 45, étant absente chez E 46. Cet élémentest remarquable à plus d'un titre. D'abord parce qu'il caractérise un typede divinité. Tous les auteurs s'accordent, avec W. Déonna, pour signaler queles images de culte accusent leur "caractère oriental par un haut calathos". (2)Mais en même temps que l'appartenance géographique, le polos semble aussi

sou l igner une fonc t ion : "Le ca rac tè re ch ton ien . . . es t en tou t cas év iden t :flambeau, lampe. Polos." (3) et encore: "Sur le polos bien connu des grandesdéesses et des dieux chtoniens, nous n'avons pas à insister." (4) Pour Artémis,

revenons-y au contraire, car il est tout à fait remarquable à un autre égard.L'aspect en est puissant, élaboré avec excès. L. Lacroix (5) en parle commed'un "échaffaudage compliqué". Ch. Picard (6) avait déjà signalé une petite

figurine, déesse ou prêtresse vêtue du costume de la déesse avec ses attributs.^ Parée pour une procession, elle porte rituellement sur la tète une enseigne

divine suivant une pratique égyptienne. "Le transport d'objets sacrés poséssur la tète des officiants est bien connu tant en Egypte qu'en Asie, par les

figurines de consécration de Dounghi, par exemple, qui supportent un calathos."La silhouette générale est celle d'un cône tronqué inversé. On y a répartil'ornementation sur trois niveaux. Un socle supporte un premier niveau, où

(1) Est-ce un rappel simplifié du type signalé par Ch. PICARD, EC, p. 488:"Les modes les plus intéressantes pour la coiffure sont celT¥s qui nousmontrent par exemple l'emploi d'un calathos triplement diadémé à l'avant."?

( 2 ) 1 9 2 4 , p . 1 1 .(3) A. LAUMONIER, Cultes, p. 412.(4) op. cit., p. 413.(5) Reproductions, p. 142.(6) EC, p. 495; plus loin p. 528, il y voit une "dérivation bizarre du simple

m a t à 1 ' o i s e a u " .

3 6 .

figurent des griffons (très endommagés) les ailes repliées. Le deuxième étageest occupé par des sirènes aux ailes amplement déployées sous un arc. L'arc dela partie centrale est un bandeau décoré de perles alors que les arcs, au-dessusdes sirènes latérales, sont formés de quatre tores concentriques. Enfin, le toutest couronné par un ensemble architectural. Ce monument, assujetti à la tête

par un jeu de tenon et de mortaise, posait évidemment un problème d'interprétation. L'analyse pertinente de cet ensemble quelque peu extravagant a été

faite, dès 1937, par F. Chapouthier. (1) Différentes comparaisons l'amènent àpenser que ces oeuvres se rattachent à l'époque des Antonins. W. Amelung, lepremier, (2) avait bien vu que la déesse portait parfois un temple sur la tête.(3)Or, l'exemplaire examiné par F. Chapouthier - comme E 45 d'ailleurs - présenteune curieuse imbrication de trois bâtiments. On distingue, en effet, trois

façades tétrastyles. Rassemblant ce qui était connu - l'important travail deH. Thiersch était déjà publié - l'auteur distingue deux types d'agencementsdes temples: un type A selon lequel les axes médians des façades sont perpendiculaires et un B où ils sont parallèles. (E 45 est coiffée de trois façadestétrastyles agencées selon A). Dans le type A, la partie postérieure ne comportea u c u n e c o l o n n a d e .

Les monnaies ont aidé à tracer une évolution et à préciser le sens de la représentation. Sous Antonin, trois édifices voisinent sur les représentations; au

centre, le temple d'Artémis vu de face, et de part et d'autre les templesimpériaux de profil. Ces trois edifices signalent à l'admiration des contemporains Ephèse comme la ville trois fois néocore: la néocorie de la déesse etdeux néocories impériales. F. Chapouthier propose là une explication d'autantplus satisfaisante qu'il a pu s'appuyer sur une recherche précédente quimontrait que la déesse poliade recevait le plus souvent le temple de lanéocorie sur ses mains étendues sauf si l'effigie tenait déjà un emblème, auquelcas le temple figurait ailleurs. L'auteur en déduit que "T'Ephésienne, raidiedans sa gaine, les bras collés au corps et les mains tout occupées des Kléidès,accueillit sur les coussinets de sa tête d'emblème de la triple néocorie.(4)J. Keil de son côté avait montré que dans l'expression triple néocorie, ilf a l l a i t compte r l e cu l te de la déesse .

(1) REA, 40, 1938, pp. 125 et suiv.(2) 0^, 12, 1909, pp. 172-173.(3) Aucune divinité du paganisme gréco-romain ne porte un temple sur la tête.(4) F. CHAPOUTHIER. OP- cit., p. 131.

3 7 .

Le spécimen E 45, de par sa grande taille, a permis une représentation plus

précise des détails architecturaux. Ainsi, peut-on s'assurer que les chapiteaux représentés sont bien tous de type ionique comme le supposait F. Chapoutl j rEn outre, nous observons la représentation d'un disque au centre du fronton.P. Hommel (2) se réfère au fronton du nouvel Artémission, connu grâce auxmonnaies: deux figures lèvent les bras vers un disque central. Le cercle estidentifié par P. Hommel comme étant la Lune. On fera le rapprochement avec ladécoration d'un tombeau rupestre d'Arslankaya: deux lions debout tiennent un

m

disque au-dessus de la tête de Cybèle. De Cybèle aussi, nous ne pouvons nousempêcher de rapprocher le sphinx (3) â l'allure triomphante du 2ème niveau.L'arc qui l'entoure et dont la représentation est si pregnante, peut se rap

procher de l'orbe caractéristique de la Grande-Déesse, et nous ne croyons pasexagérer de faire remarquer que l'arc joint les deux ailes comme l'orbe jointles mains dans les représentations traditionnelles.

Nous signalons un dernier élément sur lequel nous reviendrons dans un autre

paragraphe. L'arrière de la tête de l'exemplaire E 46 montre un grand croissantlunaire sous quatre tresses engainées jusqu'à mi-hauteur.

B . N I M B E

Le nimbe figure sur nos deux exemplaires, également bien représenté. Il apparaî t comme un fond à l 'a r r ière de la tê te , e t i l descend vers les épaules.

Les bords supérieurs sont arrondis. Dix protomés d'animaux y sont représentéesen haut relief, réparties à part égale de chaque côté du visage, et étagées dehaut en bas pour répondre à la loi de la meilleure occupation de l'espace.Nous nous pencherons sur le sens des protomés dans l'étude de 1'épendytès, oùel les f igurent de même.

(1) Op. cit., p. 132 .(2) R. FLEISCHER, p. 67.(3) W. DEONNA avait déjà signalé la présence de cet animal au même endroit,

RA, 1924, p. 13.

m ,

3 8 .

Remarquons toutefois, qu'ici, à la différence de la gaine, ne sont représentésque des animaux composites fabuleux, comme si à cet endroit privilégié de lareprésentation divine, ne pouvaient figurer que des êtres associés au surnaturelinfernal. (1) Pour H. Thiersch,d'après L. Lacroix, le nimbe est constitué par lechiton ramené sur la tête comme un capuchon. Ch. Picard rapporte l'interprétation de G. Hogarth. (2) Elle repose sur l'idée d'une dérivation de représentations archaïques mal comprises, et, par la suite, reproduites inexactement.Pour justifier cette hypothèse, il part de figurations de la Potnia Tërôn de

type archaïque, retrouvées notamment à Ephèse, dont les ailes en faucilledites "hit t i tes" auraient été les vict imes d'une fausse interprétation.Ch. Picard ne va pas jusqu'à infirmer l'hypothèse de G. Hogarth. Il objectetoutefois, que 'fl'ornement interprété comme ailes dorsales atrophiées seprolonge sur certaines représentations au-dessous du torse de la déesse." (3)Dérivation encore, mais cette fois, à partir du voile disposé en demi-cercle,comme un dais, au-dessus de la tête de la Grande-Mère asiatique représentée

sur des cylindres hittites. L'essentiel est dit, i l reste à supposer que les

"concepteurs" de l'image de culte aient voulu occuper l'orbe ainsi délimité,par la représentation d'attributs. On voit donc Ch. Picard faire dériver lenimbe d'un voile de tête. Et, ici, se place une petite discussion entrecommentateurs et une grande spéculation dont W. Déonna, avec l'érudition quile caractérise, a tiré de séduisants aspects. L. Lacroix, sans explication,affirme d'une manière aussi brève que catégorique, l'absence de voile chezl'Ephésienne. (4) Tous les autres, parlent de ce voile comme d'une évidence. (5)

Mais W. Déonrailui accorde une attention particulière. (6) "On ne saurait refuserle voile à la déesse d'Ephèse". Il attire l'attention sur le fait que le voilea pu être réel, placé sur la statue et tenu écarté par les mains. Ce rqpel d'uiepratique encore courante de nos jours, résoud la contradiction entre lesgrandes statues de culte qui n'auraient pas conservé la pièce d'étoffe et les

L. LACROIX y voit des griffons. Reproductions, p. 190.EC, p. 528.

EC, p. 529. Il y refait allusion dans la note I, p. 535: "... sur despTaques de fond qui sont comme un souvenir des primitives ailes."Reproductions, p. 143. Un peu avant, il signale que le voile est l'ornementle plus caractéristique - comme le calathos - des idoles de divinitésasiatiques. Reproductions, p. 142. Il ne ressent pas la nécessité d'expliquerc e t t e a p p a r e n t e c o n t r a d i c t i o n .

Ch. Picard, EC, p. 488: "Plusieurs figurines ont gardé le voile de tête quiétait devenu~~3epuis l'époque hittite attribut essentiel de la coiffure dedéesse." W. Déonna, 1924, p. 13, "Un voile couvre le revers de la tête,descend sur les côtés au-dessous des bras". Ch. Picard, encore, CRAI, 1956,p. 96.RA, 1924, p. 17 et suiv.

3 9 .

représentations monétaires ou encore certaines petites statues où le voile estreprésenté. L'Ephésia porterait donc un voile, tenu écarté en un geste chargéde symbole. Le vêtement, image du monde a une valeur cosmique. Lorsqu'il

figurait sur la statue, de par le geste même, il englobait les animaux attributsfigurés aux côtés de la déesse, et offrait une image totalisante, véritablerichesse du mythe.

C. ORNEMENTS DU COU ET DE LA POITRINE

La partie de 1'image cultuelle qui s'étend du cou aux "seins" est richementdécorée. Une zone, couverte d'ornements figuratifs, est bordée vers le basd'une guirlande de fleurs, au-dessous de laquelle se trouve, parfois» unechaîne avec des pendentifs en forme de "glands". En outre, il y a souvent unechaîne autour du cou. Ce schéma correspond à la description du type "canonique",suivant E. Lichtenecker. (1) Ce type peut être complété par des femmes ailées,comparées aux Nikës, qui trouvent également place dans la zone de la poitrine.

m »

1 . L e s c o l l i e r s

D'après R. Fleischer, le type "canonique" de l'Artémis éphésienne porte, commecollier, un ruban simple et lisse. Il cite en exemple E 46 de Selçuk. L'examende la photographie, publiée en frontispice de son livre, nous invite à uneautre interprétation: il pourrait s'agir d'un Isitel marquant la limite del'ornement et du cou, séparant le vêtement de la chair. Nous émettons lesmêmes doutes à l'examen de la planche 15, montrant un gros plan de E 45, où

plus encore, la forme arquée nous fait penser au bord souple d'un vêtement.

L'exemplaire E 45 possède une parure de cou particulièrement riche: au-dessusd'un rang de perles avec des pendentifs alternativement ronds et en forme de"glands", (2) se trouve un collier très élégant, "ras de cou", formé delosanges légèrement arqués. Cet ornement est le seul point qui écarte la "grande"Ephésia du type "canonique". E. Lichtenecker a montré que la parure du cou estbeaucoup plus développée dans les types "particuliers", auxquels manquentalors, soit la guirlande de fleurs, soit le décors figuratif, comme E 45 qui,

( 1 ) R . F l e i s c h e r , p . 6 3 .(2) Ch. Picard, EC, p. 12. Lês glands ne sont-ils pas là pour nous rappeler, que

le xoanon primitif avait été dressé, par les Amazones, dans un chêne.

4 0 .

pour le reste, est strictement "canonique".

Sous la couronne de f leurs, que nous trai terons plus loin, E 45 présente une

ornementation végétale (?) élaborée. Les photographies dont nous disposons nem ,

nous permettent pas d'identifier sa nature exacte.

2. La guirlande de fleurs

E. Lichtenecker tient la guirlande d'immortelles pour une caractéristique dutype "canonique". D'après J. Murr, Ch. Picard et E. Lichtenecker-nous ajouteronsH. Thiersch- il y a une relation entre l'Ephesia et l'immortelle, relation qui nelu i est pas par t icu l ière, semble- t - i l .

Ch. Picard (1) établit le rapprochement avec une déesse à la fleur, type ancienm

de la religion crétoise. Sous une forme primitive, l'Artémis a été un esprit dela végétation. Elle a établi des rapports privilégiés avec l 'arbre. (2)Des jardins d'iranortelles lui étaient consacrés, et l'on pense, connaissantles propriétés des "simples", qu'elle était guériseuse à ses heures. Une potnian'est-elle pas signalée comme Dame au pavot? (3)

De la forme massive de la guirlande, E. Lichtenecker pense pouvoir conclure

qu'elle était reprise, dans la plastique, au début de l'époque hellénistique.m ,

Pour R. Fleischer cette opinion n'est pas fondée. A une époque ancienne, il est

probable que les suppliants aient offert à l'Ephésia des guirlandes véritables.

3. Les Nikès (4)

La zone semi-circulaire de la poitrine, limitée vers le bas par la guirlandede fleurs, est occupée par deux ou quatre êtres féminins généralement ailés -E 46 en compte 4. Ces êtres sont désignés dans la littérature par le terme Nikès.

(1) EÇ. pp. 523-524.(2) Voir ci-dessus, le chêne, mais aussi le cyprès: Xénophon y fit tailler le

xoanon, pour lu i ê t re agréable .

(3) Ch. Picard, op. cit.^p. 524, notes 2 et 3.(4) Rappelons que ce paragraphe ne concerne pas l'explaire E 45.

41 .

Toujours disposées symétriquement, elles sont vêtues du long chiton, rabattusur l ' avan t , avec ce in tu re hau te . On les a ass imi lés à la "Vic to i re " romaine .

On remarque, qu'à la différence du groupe à 2 Nikès, celui, où il y a 4 représentations, est entouré d'une guirlande entière de signes du zodiaque.E. Lichtenecker considère les Nikès comme purement hellénistiques. Eli a, d'autre

part, constaté que des types plus anciens que le type "canonique", montrent detelles figures ailées, non pas sur la parure de la poitrine, mais à côté d'elle.Une recherche de P. Hommel complète cette observation. Il considère ces êtres** comme des demi-dieux, d'origine orientale, accompagnateurs ou accompagnatricesde la divinité, qui plus tard, ont été confondus avec des Nikès, Génies ouautres Eros. On peut supposer que l'évolution s'est développée de la manièresuivante: les Nikès, représentées en relief dans la parure de poitrine, ont

remplacé les Nikès représentées en ronde bosse sur les bras, ces dernières nesont rien d'autre, que les accompagnatrices primitivement séparées de l'imagecultuelle, et qui, plus tard, furent intégrées à celle-ci. Ceci rencontreparfaitement l'hypothèse de Ch. Picard, d'après laquelle l'image cultuelle del'Artémis d'Ephèse, dans sa forme tardive, réunit une masse d'éléments particuliers qui, à l'origine, étaient séparés les uns des autres. (1) Tout ceci ne

s'oppose pas à l'idée qu'on ait, plus tard, assimilé les accompagnatrices àla "Victoire" de l'époque romaine, dont rien extérieurement, ne les distingue.

4. Le Zodiaque

E 46 présente une série de signes zodiacaux disposés en demi-cercle, àl'extérieur de la guirlande de fleurs- Le nombre de signes représentés estvariable, mais le plus grand nombre est atteint dans notre exemplaire de Selçuk.La représentation du cancer est f igurée an centre. Exceptionnelle» la "belle"

Ephésia E 46 dont le Zodiaque d'étend sur presque toute l'année alors que,généra lement , i l es t cen t ré sur les mo is d 'é té .

Les commentateurs ont émis diverses suppositions pour tenter de définir sur

quoi reposait le décor. Les idées émises vont du pectoral à la broderie.R. Fleischer se demande, si ce n'est pas une représentation de "l'artldessurfaces" (2) : la "grande" Ephésia E 45 montre sur la partie visible du chiton.

(1) P. 527: "L'Ephésia classique, non seulement réunit aussi la plupart deces types mais les assemble pour en composer sa propre figure".

(2) AEK, pp. 71-72.

4 2 .

sur les épaules et le haut du bras, un décor de fond avec des éléments en

p a n n e a u x .

Le Zodiaque n'apaprait pas dans l'art grec avant l'héllénisme tardif. Des sourcesm

l i t téraires y font toutefois a l lusion corrane décorat ion de vêtement au -Sème

siècle. E. Lichtenecker montre aussi que le Zodiaque aurait remplacé, dans la

figuration, le croissant, ou le croissant plus disque, comme symbole cosmique.L. Lacroix (1) pense que les signes du Zodiaque montrent qu'il appartient à

m

Artémis de régler le cours des astres et de présider au retour de saisons . (2)

D . L A P O LY M A S T I E "

Nous abordons la caractéristique de l'Ephésia qui, sans aucun doute, a le

plus attiré l'attention et suscité le plus grand nombre de commentairesdivers. R. Fleischer a, scrupuleusement, passé en revue l'abondante littératureoù fourmillent, pèle-mèilie, les observations précieuses autant que précises etles spéculations les plus fantaisistes.

Une fois de plus, pour tenter d'approcher d'une solution, les deux spécimensde Selçuk ne pourront être séparés de la totalité de la documentation, mais

devront, bien au contraire, trouver leur place dans une perspective d'ensemble.Toutefois, ce travail étant limité, nous n'entrerons pas dans le détail des^ c o m p a r a i s o n s .

Prenons la description de R. Fleischer. (3) Il s'agit de formes qui semblent

plus molles que fermes, ovales, disposées sur plusieurs rangs ( E 45: 4,E 46: 3). En position alternée d'un rag à l'autre, elles s'organisent commedes écailles. Les rangées de "seins" sont arquées (E 46) comme le collier oule Zodiaque, ou plus rarement horizontales ( E 45 ). Il manque presque toujours -c'est bien le cas de E 45, E 46 - la caractéristique principale de seins véritables, à savoir le mamelon. Parfois, le volume varie, soit qu'il diminue de

(1) Reproductions, p. 192.(2) N'est-ce pas l'abeille qui retrouva et réveilla le Télépinou hittite?

Voir à ce propos le paragraphe consacré à l'abeille.

( 3 ) p . 7 4 .

4 3 .

haut en bas, soit, plus fréquetrrient, que la rangée inférieure paraisse atrophiée,voire quasi masquée par la rangée immédiatement supérieure - comme sur E 45.Nous ajouterons qu'il nous semble que le modèle E 46 présente une diminutionde la taille, du centre vers les côtés, semblable à la disposition des perlesd'un collier. Normalement, les "seins" ne couvrent que le buste. Ces masses

globuleuses semblent sortir de dessous le vêtement, et si, dans certains cas,elles sont visiblement fixées sur l'étoffe du vêtement (1), les autres oeuvresconservées ne permettent pas de conclure, si nous devons les considérercomme fixées sur une étoffe, ou sur un autre fond. Mais on distingue nettement

pour E 45 - E 46 qu'une pièce d'étoffe à bord ondulé s'étend dans la partiesupérieure jusqu'à elles. Généralement la dernière rangée s'arrête à 1'épendytës.En aucun cas, les statues ne permettent de supposer que la parure du buste et

1'épendytës soient d'une seule pièce. (2)

C'est autour de ces quelques constatations que gravitent toutes les hypothèses.Nous avons essayé de les classer dans un ordre à peu près clair. Mais ladifficulté n'est pas mince. Certains auteurs, comme W. Déonna et Ch. Picard,se sont engagés à différentes reprises et, bien souvent, dans des sens relativement divergents. D'autres prennent appui sur des considérations acceptables,se laissent aller ensuite à une joyeuse fantaisie; (3) sans oublier ceux qui

n'éprouvent aucune difficulté à se ranger à un avis, tout en maintenant deshypothèses contraires. (4)

Les interprétations se divisent d'abord en seins et non seins. Les seins

peuvent être naturels ou artificiels. La catégorie "non seins" regroupe cinqensembles importants: oeufs, fruits, ornements, accessoires, auxquels viennent

s 'ad jo indre des é léments d ivers .

(1) op. ci t . pl . 3-4.(2) R. FLEISCHER, AEK, p. 79 rejette catégoriquement l'interprétation de

Ch. PICARD qui considère les "seins" multiples comme une partie de1'Ependytës. Opposition confirmée par E 46 - E 45.

(3) H. Th. BOSSERT pense que l'image de culte était un météorite. Lorsqu'ilfut anthropomorphisé, on interpréta les reliefs quiliil portait comme des"seins". AEK, p. 83. V.C.C. COLLUM veut voir, dans l'Artémis d'Ephèse,une divinité polymaste et androgyne. Il interprète la statuette E 99 deLondres, comme une grappe de raisins humains qui poussent sur un arbre!AEK, p. 84.

(4) R. MERKELBACH s'est prononcé pour de véritables seins nourriciers, touten appuyant aussi une interprétation suivant laquelle i l s'agirait d'oeufs,de raiisins, de noix et de glands. AEK, p. 77.

4 4 .

1 . E l é m e n t s d i v e r s

E. Ohlemutz explique les formes analogues de la statuette de Cybèle de Vienne:(1)ce seraient les "flammèches" magiques que l'on retrouve au Moyen Age sur les

images de Marie et les manteaux du couronnement. R. Fleischer ne voit aucuneraison de transposer cette interprétation sur un détail de vêtement de l'antiquité qui n'y ressemble qu'extérieurement.

W. Helck rapproche les "seins" des pustules de figurines sumériennes ancienneset de la peau de panthère de la déesse de Çatal Huyuk, ornements mal interprétésp a r l a s u i t e .

J. Wiesner a vu, dans les ornements circulaires d'idoles cappadociennes, desétats primitifs de la polymastie; H. Th. Bossert a émis une idée analogue.R. Fleischer oppose (2) à cela, le fait que les cercles en question sont disposésarbitrairement sur la surface de ces idoles et sont dispersés, tandis que les"seins" de l'Artémis d'Ephèse forment toujours un ensemble bien distinct,

symétrique et disposé en rangées.

A. Evans, enfin, voulait voir, dans un vase d'argile d'Hagia Triada sur lequelsont appliqués de petits cônes en relief, une divinité féminine aux seinsmultiples et, par conséquent, un premier état de l'Artémis d'Ephèse. W. Déonnas'était déjà opposé à cela. (3)

2 . A c c e s s o i r e s

Ch. Picard, en 1922, (4) pense que "ces faux seins seraient donc des ornementssacrés dérivant du pectoral égyptien et du plastron à ornements saillants desd i v i n i t é s b a b y l o n i e n n e s " .

( 1 ) p l . 5 8 .( 2 ) p p . 8 4 - 8 5 .(3) REG, 28, 1915, p. 337.

(4) EC, p. 530 et note 9.

4 5 .

H.V. Steuben propose, comme autre origine possible, un "bouclier à bosses".Une hypothèse analogue se trouve déjà chez Lietzmann, pour qui les seins

proviennent de rangées de protubérances métalliques, dont il n'examine pas,de façon plus approfondie, la signification. K. Priimm et K. Hoenn se sont

également exprimés de façon analogue,

3 . L e s o e u f s

Avec cette série d'hypothèses, nous entrons, sans doute, dans un champ d'ex

pl icat ions plus sol ide.

Fr. Miltner (1) a interprété les "seins", sans en donner la raison, comme desoeufs fixés sur un pourpoint.

Au relevé de R. Fleischer, nous ajoutons G.E. Bean (2) qui, sans argumenter,se range "à la plus récente opinion", les oeufs étant un symbole de fertilité.

A. Wotschitzky (3) écrit que "les objets semblables à des oeufs, ... sontmaintenant correctement interprétés comme des oeufs d'autruche". L'argumentsuit: "Les oeufs d'autruche symbole de fertilité, peuvent encore être trouvés

aujourd'hui dans presque chaque église de village grec". D'après R. Fleischer,cette hypothèse à laquelle s'est opposé Ch. Picard, (4) avec raison semble-t-il,est suffisamment réfutée par le fait que les "seins" pendent mollement et nesont pas fermes comme des oeufs.

Il reste l'interprétation de W.M. Ramsay. L'image cultuelle de l'Ephésia esten forme d'abeille, et la plus grande partie du corps est une peau remplied'oeufs. Les "seins" sont, par conséquent, interprétés comme des oeufsd ' a b e i l l e .

(1) Ephésos, p. 101 on lit: "La caractéristique particulière de l'Artémisd'Ephèse est le décor de la poitrine: un plastron avec des oeufs".Réponse de Ch. PICARD - d'où nous avons extrait cette traduction deFr. MILTNER - dans M, I, 1962, p. 105.

(2) G.E. BEAN, Aegean Turkey, p. 167.(3) Archaeology , 14, 1961, p. 211.(4) m, 1, 1962, pp. 105-106.

4 6 .

Nous aurons l'occasion de revenir sur les rapports étroits qui lient l'Ephésiaet l'abeille. Cette hypothèse, apparemment bizarre, nous semble, à y regarderde plus près, avoir au moins le mérite de se rapporter étroitement au caractèredivin. Ne s'adressait -on pas à l'Ephésia en l'appelant "Reine"? L'énorme fécondité de l'insecte, dont toute la ruche procède et dépend, et qui.,y occupe cette

place privilégiée, n'est-elle pas à l'image de cette grande divinité de lafécondité, Grande-Mère dispensatrice de vie, dont tout résulte, et qui protège,et règne si fermement sur la cité? Nous sommes évidenrient conscient que laséduction qu'exerce ce rapporchement ne fonde en rien sa légitimité.Toutefois, il nous semble que la réserve, exprimée par Ch. Seltman quant à lapetite taille des oeufs d'abeille, n'a que peu de poids. Il est possible, eneffet, de penser que le principe de l'exagération des dimensions, tel qu'étudié,par W. Déonna, (1) pourrait trouver ici, une bonne illustration. En bref, lesoeufs - peut-être ne faut-il pas être plus précis en l'absence de démonstrationsprobantes - ont, comme nous l'avons déjà dit, l'avantage d'entrer dans la logiquedu "système" religieux de l'Ephésia.

4 . L e s o r n e m e n t s

Ce groupe est quantitativement plus important, mais aussi un des plus réfutés.Citons R. Fleischer: "La grande majorité des tentatives d'explications partent,au contraire, de l'idée que des ornements anciens, qui, à l'origine, étaientd'une autre nature, ont été mal interprétés et ont pris, peu à peu, l'aspectde "seins". R. Fleischer attribue la paternité de cette théorie à A. Furtw'ângler.L. Lacroix, qui ne cite pas ce dernier dans sa note sur la polymastie (2),

exprime la même idée: "Peut-être les ornements avaient-ils, à l'originetout-au-moins, une signification différente de celle que nous leur attribuonsaujourd'hui, d'après le témoignage d'auteurs de basse époque". (3)

( 1 ) 2 8 , 1 9 1 5 , p . 2 8 9 e t s u i v.(2) Reproductions, p. 144, note 7.(3) Op. cit.^ p. 144.

4 7 .

Lorsqu'on examine le catalogue rassemblé par H. Thiersch, on constate, en effet,que les mamelons qui tiennent une si grande place dans la discussion de l'interprétation "seins", n'apparaissent systématiquement que dans les reproductionspostérieures à l'antiquité. R. Fleischer ne relève l'existence de mamelonsdans les exemplaires antiques, que dans trois cas, dont il semble, aprèsanalyse, que deux tout au plus puissent être retenus et R. Fleischer ajoute:"Pour les artistes de la Renaissance et pour les plus anciens chercheurs, lesobjets en question sont de nombreux seins féminins véritables, qui symbolisentla force dispensatrice de vie et nourricière de la Grande-Mère, déesse de lan a t u r e " .

Si A. Furtwangler ne donnait pas de preuves à l'appui de son hypothèse, d'autreschercheurs furent plus précis. Et d'abord, les tenants de l'évolution d'un icollier. H. Seyrig, étudiant le Zeus Labraundos,divinité "polymaste" fortementapparentée à l'Ephésienne, carienne comme elle, (1) pense à la déformation d'uncollier à "bulles". "Un ornement semblable, mais amplifié aux dimensionsd'un pectoral d'apparat sur lequel une multitude de bulles stylisées avaientpris l'apparence de mamelons pendant en rangs serrés, explique la polymastiaillusoire d'Artémis éphésienne, et celle plus étrnage encore, de Zeus Stratioslui-même". (2) Il pensait à des porte-amulettes et localisait ces ornements dansle domaine caro-lydien. A cela A. La^onier (3) répond que la transformationen seins a été intentionnelle et remarque que cette représentation s'insèredans une série comprenant d'autres divinités à seins multiples.

^ M. Meurer (1914) pense que les "seins" et le pectoral forment un tout avec les

guirlandes. Cela n'apparaît pas sur les sculptures. Les "seins" ne seraientque la déformation de la partie inférieure d'un pectoral, comme les pendantsen forme de pétales de fleurs des plastrons de l'Ancien Empire égyptien. Il yaurait donc un processus de transformation de la forme naturelle en ornement,comme, par exemple, la plante se transforme en moulure. Mutation progressive,les " se ins " se ra ien t l ' abou t i ssemen t d 'une l ongue évo lu t i on .

(1) A. LAUMONIER, Cultes, pp. 45, 101.(2) Ciité : dans. L» LACROIX, Reproductions, p. 144, note 7.(3) Cultes, p. 76.

4 8 .

D'une façon analogue,cl.Picard leur attribuait comme origine les lourdes chaînesde cou qu'on pendait aux anciennes images cultuelles. La théorie des chaînesde cou avait déjà été avancée par W. Déonna. (1). Dès 1919, V. Muller a

opposé un argument de poids contre la théorie des chaînes de cou. L'évolution,supposée par M. Meurer, repose sur une déformation qui ne s'expliquerait quedans le cas de terres cuites qui portent de telles chaînes. Or, ce ne sont pasles terres cuites qui ont déterminé l'évolution de l'image cultuelle del'Artémis d'Ephèse. L'examen des statuettes montre souvent sur les épaules, lesgrandes fibules auxquelles les chaînes sont suspendues, et dont l'Artémisd'Ephèse ne présente aucune trace. Autre indice jugé défavorable, le fait queles deux éléments apparaissent simultanément sur certains exemplaires destypes non "canoniques". De telles chaînes avec de grands pendentifs, qui parfois,rappellent superficiellement des seins, se rencontrent encore à l'époqueimpériale. V. Muller lui-même voyait dans les "seins" des ornements sacrésqu'il rapprochait - sans raisons suffisantes - de cuirasses mycéniennes, despécimens provenant de Chypre et de Babylone, même des ornements de poitrine

du culte de Cybèle.

Nous avons regroupé, sous cette étiquette, une série de suppositions basées aussisur la dérivation. Ch. Seltman a souligné l'importance, à Ephèse, du palmier etde la palme. La représentation en est fréquente sur les monnaies. St. Karwiesecomplète l'argumentation de Ch. Seltman: la palme a disparu des monnaiesprécisément à l'époque où l'image cultuelle y apparaissait. Il en conclutque la palme était une sorte de substitut de la déesse elle-même. En considérant Dionysos couvert de raisins sur une peinture de Pompéi, Ch. Seltman

pense que les divinités étaient parfois couvertes de fruits qui leur étaientconsacrés. Il s'agissait donc de dattes. Sur l'Artémis d'Ephèse originale, les"dattes" auraient été en or tandis que sur les copies en marbre, les formesseraient dorées. Or, ceci n'est pas exact. Chez la "belle" Ephésia E 46 qui,

(1) R. FLEISCHER, pp. 79-80.

4 9 .

précisément, était en grande partie dorée, les "seins" ne portent pas de traced'or. St. Karwiese avait pareillement conclu, citant dattes et dorure prétenduesde l'exemplaire E 46. Exception faite de rose sur une statuette en terre cuite,il n'y a aucune trace de couleur sur les seins des spécimens connus de l'Ephésia.Enfin, R. Fleischer, se basant sur les formes des dattes et des "seins",rejette la similitude, mais, mieux encore, il rejette le rapprochement supposéavec le palmier qui contrairement à d'autres arbres et plantes n'est pratiquementjamais associé à l'Artémis d'Ephèse. Si Létô, à Ortygie lors de la naissance des^ jumeauxa étreint un palmier, il y voit une correspondance avec la seule déesse

grecque, et si, enfin, les images cultuelles sont faites en général du bois del'arbre consacré à la divinité concernée, le bois de palmier ne se retrouve pasnon plus parmi les essences que la tradition antique cite pour l'image cultuelledont nous nous occupons.

Ainsi en avons-nous terminé avec les hypothèses qui rejettent l'idée de seins.

6 . L e s s e i n s

a . N a t u r e l s

Nous pensons qu'il est vain de chercher à établir des rapports entre lagrande image de culte du type "canonique" et des cas réels de polymastie(G. Furlani, 1931 y a pourtant fait allusions). W. Déonna (1) a dressé unebibliographie, relevant les cas de polymastie "assez fréquents dans lanature", mais il s'empresse d'ajouter: (2) "Mais quand on rencontre cettemalformation dans les récits mythologiques, dans les contes populaireset dans les formes figurées de l'art, il faut de garder de la considérercomme étant la traduction d'un cas pathologique".

Nous n'avons conservé que deux passages d'auteurs anciens d'époque tardive,chrétiens qui plus est, et, si on peut conclure de ces textes que lesauteurs y ont vu des seins véritables, il est nécessaire de tenir comptede leur appartenance religieuse qui les pousse à mettre en évidence lesmonstruosités d'une Ephésienne qui s'est opposée longtemps et opiniâtrement

z —

( 1 ) 2 8 , 1 9 1 5 , p . 3 3 5 , n o t e 6 .(2) Op. cit., p. 336.

5 0 .

au christianisme. Rappelons aussi les artistes de la Renaissance déjàsignalés.(l) L'idée qu'il s'agissait de seins véritables de la déesse estencore défendue par quelques chercheurs récents: A.B. Cook, (1914-1940),L.R. Farnell, 1911, G. Wilke, 1913 et F. Chapouthier, 1935. Les critiques^ émises contre l'idée de seins véritables reposent sur des arguments solides.

Dans plusieurs représentations de l'Ephésienne qui nous sont parvenues enbon état, les parties visibles du corps (tête, cou, mains, pieds) sedistinguent du reste parce qu'elles sont faites d'une pierre sombre, fixéeséparément. (2) Le sens probable de ce chromatisme ne doit pas être discutéici, mais il permet de constater que les "seins" ne sont jamais "sombres"ce qui pousse à conclure qu'ils ne sont pas considérés comme de la peau nue.Nous constatons aussi que les mamelons manquent à presque tous les exemplaires^ antiques. (3) Enfin, semble s'opposer aux seins véritables, leur représentation sur un denier de 49 av. J.C. en même temps que les "ornements" que nousenvisageons.

Qu'il nous soit permis de ne pas partager l'opinion de R. Fleischer quiécrit: (4) "Dans les copies sculptées il n'est guère possible de discernerde véritables seins féminins en raison de la surcharge d'ornements sur lapoitrine". Il nous apparaît en effet comme fort peu vraisemblable que le .^ sculpteur, maître de son ciseau, n'ait pu, pour la raison évoquée, marquerla poitrine nue ou vêtue, s'il avait tenu à différencier les éléments,alors que le graveur dont le travail est rendu considérablement plus délicatpar l'exiguité du champ et la difficulté de restituer un modelé, y est arrivé.

m .

Nous pressentons pour notre part une intention délibérée.

R. Fleischer formule encore une objection que nous dirions d'ordre "stylistique". "La forme des objets en question est en général plus ou moins molleet pendante. Une poitrine féminine pendante n'est pour ainsi dire jamaisreprésentée dans l'art antique, si ce n'est dans des "grotesques".

Nous pensons donc pouvoir conclure de ces aperçus qu'il ne s'agit pas deseins véritables. Aussi allons-nous chercher, à d'autres sources, d'autres

poss ib i l i t é s .

(1) H. iTHIERSCH,(2) R. FLEISCHER, AEK,pl. 2 (E 2).

H. THIERSCH, p l . 1 , p l . 5 , p l . 13.

(3) R. FLEISCHER' discute les trois exceptions AEK, p. 76.( 4 ) p . 7 6 .

5 1 .

b . A r t i fi c i e l s

Dès 1834, W.G. Becker avançait la possibilité que les seins n'aient pas étéceux de la déesse mais plutôt des mamelles d'animaux fixées sur un vêtement.W. Déonna, dans une très intéressante étude sur la genèse des monstres (1)a très sérieusement étudié les ornements. Il met en évidence le principede "répétition d'intensité". L'accumulation d' organes devait avoir un effet

"magique" favorable à la fécondité. Bien documenté, il cite, entre autrescas étrangers, une déesse mexicaine ainsi que des représentations d'une

m ,

"déesse mère gallo-romaine à six seins, à propos de laquelle R. Fleischer semontre réticent y voyant plutôt un sphinx.

Dans un autre travail, (2) toutefois, W. Déonna a pensé qu'il pourrait

s'agir d'une transformation d'ornements. Mais s'il parle de "transformationerronée des ornements pectoraux en mamelles", il n'argumente pas. Il secontente de remarquer: "On notera de plus que le premier rang commence à lahauteur des coudes, c'est-à-dire trop bas pour des seins véritables".

m

Ce groupe de chercheurs se rallie à l ' idée qu'il s'agit de seins artificielsne faisant pas part ie du corps de la déesse.

/ • s

H. Thiersch, que ses travaux ont amené bien naturellement à penser à la

question, nous pose un problème. Nous avons en effet relevé une contradictionchez les auteurs qui l 'uti l isent. L. Lacroix: (3) "D'après H. Thiersch, i l

s 'ag i ra i t , non pas de "mamel les" , mais de col l iers superposés: Ependytésm s

und Ephod, p. 27, n. 1. En réalité, "mamelles" et colliers semblent biense confondre". Par contre R. Fleischer: (4) "Thiersch n'a malheureusementpas vécu assez longtemps pour s'exprimer à ce sujet, mais dans une annoncedu deuxième volume de son ouvrage sur l'Artémis d'Ephèse qu'il préparait,il parle (E.E. p. 59) des "curieux appendices de la poitrine" comme d'un"symbole" caractéristique de la maternité qui surpasse tout dans la nature"et R. Fleischer d'en conclure: "il pensait donc également à des imitationsde seins appliqués art i f iciel lement."

( 1 ) 2 8 , 1 9 1 5 , p . 2 8 8 e t s u i v.( 2 ) 1 9 2 4 , p . 1 1 .(3) Reproductions, p. 144, note 6.^ ( 4 ) p . 7 7 .

5 2 .

L. Wooley de son côté souligne la présence traditionnelle de seins multiplesdans l ' iconographie asiatique. J. Przyluski parle de seins artificiels quiseraient fixés sur une cuirasse, tandis que M. Del court les voit fixés surl ' é t o f f e d i v ê t e m e n t .

Et R. Fleischer de conclure son état de la question:" Aucune des nombreuses

tentatives d'explication ne donne entière satisfaction".

7. Essai de chronologie et de typologie

^ R. Fleischer se fonde sur les travaux de E. Lichtenecker. Celle-ci a remarqué

quelques détails importants qui résultent de la confrontation des diversexempla i res.

^ La disposition des seins se présente sous trois formes. Dans le type "canonique",

les rangées de seins sont arquées, tandis que, dans quelques exemplaires detypes "particuliers", elles sont horizontales et descendent plus bas. Lesseins d'autres d'exemplaires forment un triangle posé sur la pointe. A ce^ dernier cas appartiennent la statuette d'Athènes F 3 (.l),,le relief de ZeusLabraundos de Tégée K 3, daté des années 351-344 av. J.C., une monnaie deGortyne de 66 av. J.C. (2) et la statuette de Cybèle de Vienne.(3)

Si nous pensons que ces précisions sont nécessaires, nous n'entrerons pasdans le détail de la discussion. Des quatre exemplaires cités, l'un est encore

classique tardif, trois datent du 2ëme ou du 1er siècle av. J.C. Il n'est doncguère douteux que le triangle sur la pointe représente la forme la plusancienne des seins, forme remplacée ensuite par les rangées arquées. Et on

peut croire que les types "particuliers", qui remontent à des représentationsprécanoniques de l'Ephésia, constituent, avec les rangées horizontales de"seins", le l ien typologique entre la forme triangulaire primitive et les

m ,

( 1 ) R . FLE ISCHER, p l . 3 -4 .(2 ) R. FLEISCHER, p l . 53-C.( 3 ) R . F L E I S C H E R , p l . 5 8 .

m

5 3 .

rangées arquées postér ieures. R. Fleischer fai t remarquer que, dans les exem

plaires considérés, le nombre de "seins" augmente de bas en haut d'une unitépar rangée. D'après les constatations appliquées à E 45 et E 46 dont nous nousoccupons plus spécialement, faut-il voir une antériorité du spécimen E 45(rangées horizontales mais sans progression numérique) par rapport au spécimenE 46 (rangées arquées) ou bien, vu l'époque tardive certaine des deux spécimens,convient-il simplement de retenir pour E 45 la trace d'un souvenir sans signi

fication, ou encore un archaïsme de plus dans la forme archaïsante?

La forme triangulaire a été considérée par E. Lichtenecker comme générale enAsie mineure, mais non spécialement caractéristique de l'Artémis éphésienne.

S'y rattachent en effet jusqu'à présent Cybèle et le Zeus Labraundos. La statuette E 3 et la monnaie de Gortyne pourraient figurer une déesse apparentéeà 1'Ephésienne. Il en résulte deux conclusions possibles:

- La disposition en triangle était en usage dans le classicisme tardif et

l'hellénisme - et sans doute même plus tôt - et était déjà tombée en désuétude sous l'Empire romain.

- L'Artémis d'Ephèse pourrait tout aussi bien avoir possédé, aux époques

classiques et hellénistiques, les rangées de seins horizontales, placéesbas, (1) mais ne devenant pas plus étroit vers le bas comme dans les types"particuliers". La statuette E 58 (2) prouve l'existence de cette forme dèsl'hellénisme tardif, et on pourrait admettre dans ce cas, que la dispositionen triangle serait un phénomène parallèle chez le Zeus Labraundos, danscertains cas chez Cybèle, et peut-être encore d'autres divinités comme E 3.

Ces confrontations et analyses ne permettent pas d'affirmer de façon certaine

que la forme triangulaire resprésente la forme primitive de la polymastie de1 'EphéSia. Aut re observat ion: sur la s ta tuet te d 'Athènes E 3, les se ins setrouvent directement sur le vêtement, alors que les seins de la Cybèle de

Vienne se trouvent sur un tablier triangulaire séparé.

Ces observations rapportées, alors qu'elles ne concernent pas directement nosdeux modèles, ne sont pas une digression gratuite, elles permettent de

(1) Se rappeler la terre cuite de Cyrénaïque du musée du Louvre dont parlaitW. D E O N N A , 1 9 2 4 , fi g . 3 .

(2 ) R . FLEISCHER, p l . 33 .

5 4 .

pressentir tout le travail d'élaboration qui a abouti aux formes "canoniques"des grands exemplaires de culte dans leur type le plus achevé.

m u

8 . O r i g i n e

Il est compliqué de déterminer sur la base de la documentation actuellem

jusqu'où ces ornements peuvent remonter dans le temps. La limite de tempssupérieur doit provisoirement correspondre au relief de Tégée, soit 351-344 avantJ.C. Mais, par delà l'exploitation des documents, les auteurs expriment desconvictions. E. Lichtenecker affirme que déjà l'ancienne image cultuelle quiexistait avant la fondation d'Endoios devait les porter. V. fTûller "voit" detels ornements sur l'image cultuelle d'Endoios tandis que Lippold semble êtrele seul à repousser cette hypothèse. R. Fleischer, aussi, pense qu'il estprobable que les seins, quelle que soit leur origine, remontent à une époqueantérieure au-4ème siècle. A. Laumonier aborde ce problème ^ans l'étude deZeus Stratios. A partir du relief de Tégée, "témoignage le plus ancien quenous possédions au sujet des organes adventices, communs à l'Artémis d'Ephèseet au Zeus Carien", il souligne la présence des "six seins disposés en trianglepar-dessus le chiton". Pour lui, "l'artiste grec toujours soucieux d'atténuerla barbarie du modèle, a réduit le nombre de ces protubérances au minimum,et les a disposées selon une symétire décorative, la pointe du triangle enbas comme celle d'un pectoral". (1) Conclusion directe: il croit que la disposition triangulaire n'est pas la plus ancienne représentation de la polymastia,et que celle-ci a été figurée avant le relief de Tégée. Il en déduit aussiqu'il ne s'agit pas d'une représentation d'origine grecque, comprenons-la commeasiatique. (2) Plus loin, (3) il revient sur la question, et, faisant allusionau relief de Tégée - "or le symbole remonte au moins au IVème siècle et il n'ya aucune raison de ne pas croire, coirone l'a indiqué W. Déonna, qu'il remonte

(1) A. LAUMONIER, Cul tes,p. 65.(2) Voir note 1, page suivante.(3) Op. cit., p. 76.

m

5 5 .

beaucoup plus haut" - il pense que le vieux xoanon s'est imposé aux artistesclassiques malgré leur peu de goDt pour les "monstruosités orientales". (1)

W. Déonna semble assez isolé (2) lorqu'il prétend que l'origine n'est pas

anatolienne, mais grecque, et qu'il est inutile de supposer que les Grecsaient repris l ' idée de la mult ipl ication d'organes aux orientaux, alors qu'i lsont très bien pu l'appliquer d'eux-mêmes. Pour l'ensemble des auteurs, il

(1) L. WOOLLEY, L'art ancien du Moyen Orient, Paris, Albin Michel, 1961(Coll. L'Art dans le Monde): "Dans la Diane d'Ephèse, que diverses copiesde la statue nous ont maintenant rendue familière, un visage conforme autype grec surmonte le coprs aux seins multiples qui était traditionneldans l'iconographie asiatique, mais qui aurait choqué tout artiste grecautant qu'il nous choque." Extrait cité dans Ch. PICARD, RA, I, 1962, p.104.

(2) Toutefois récemment. Ch. PICARD écrit:"Sur un point seulement, je me séparerais un peu des vues exprimées par le grand orientaliste anglais.Fallait- i l donc, pour expliquer la mult ipl ication, en quelque sorteépiphahique, des organes nutritifs et du pouvoir maternel, propre auxdéesses-mères, songer seulement à l'Orient? Peut-être ceux qui voudront

bbien faire porter leurs regards vers certaines statuettes fémininespréhistoriques, comme la Véiius de Lespugue (Haute-Garonne),ou celle,en serpentine, qui provient de Savignano (Modène) concevront-ils au mieuxla raison, éternelle et essentielle, des naïves "multiplications de puissance", dont l'art - préhistorique, archaïque, classique même, voiremoderne! - de l'homme, cet éternel primitif, a pu vouloir user, avecplus ou moins d'art, mais toujours selon le même instinct naturel.",RA, I, 1962, p. 106. Ceci, toutefois, ne semble pas diminuer la portée dece qu'il écrivait: p. 372: "On peut donc constituer comme un faisceaude charges adventices, plus ou moins tardivement ajoutées à celles quidérivaient du caractère primitif de l'Ephésia. Dans ce groupe, toutporte quelque trace des idées helléniques. Faut-il ne voir pourtant quec e t t e c r i s t a l l i s a t i o n , a s s e z r é c e n t e , a u t o u r d u f o n d s a n c i e n d e l a l i t u r g i e ,et doit-on penser, comme JESSEN, par exemple, que les traits sous lesquelsnous apparaît l'Ephésia sont tous d'invention grecque? Nous n'en sommespoint convaincu. Il semble, au contraire, que la part des fonctionsprimitives connues pour la déesse reste considérable; qu'elles aidentsingulièrement à reconstituer son aspect; que, même, elles détermineraientl'explication, en plusieurs cas, de syncrétismes postérieurs." Parmi lesautéurs qui insistent sûr le caractère oriental, citons: G.E. BEAN, AegeanTurkey, p. 167: "Artémis d'Ephèse ne devint jamais une déesse véritable-ment grecque mais conserva toujours une grande part de sa nature orientale.Son caractère non-grec est suffisamment évident au-travers de ses représentations artisitques." ; L. SECHAN, P. LEVEQUE, Divinités, p. 358:"...ce n'est pas le moins frappant que son nom ait été retrouvé sous laforme Artimus dans des inscriptions lydiennes, associées à celui d'Apollon.On peut tenir pour assuré que la "Dame aux Fauves" comme l'appelle encorel'Iliade, se rattache essentiellement à la Grande-Mère asianique etégéenne qui reste bien reconnaissable à nos yeux dans les deux principauxcultes d'Artémis: celui de Délos et surtout celui d'Ephèse au voisinage del'Apollon de Klaros." "L'Ephésienne dans le sein de laquelle des élémentsde toute sorte, égéens, asianiques, sémitiques, étaient venu se confondre, serépandit dans tout le monde antique et les Phocéens l'introduisirentjusqu'à Marseil le... mais jusqu'à basse époque, les traits primitifsresteront nets dans l'Ephésienne témoin ces curieuses représentations oùelle paraît le poitrine couverte d'un plastron aux multiples mamelles ensouvenir de ses lointaines origines de déesse de la fécondité."

5 6 .

semble que la question pose peu de problèmes. Laissons conclure ce point parR. Fleischer: (1) "Les seins doivent avoir été un élément des images cultuelles,

répandu dans le domaine carien et lydien, élément si important que, même dansles représentations hellénisées, on ne pouvait l'abandonner. De mênfeque le Polos,il identifiait celui ou celle qui les portait comme une divinité d'Asie mineured'une certaine espèce'^ Et plus loin: "Avant le 4ème siècle avant J.C., la tracede ces ornements se perd dans l'obscurité".

9 . S i g n i fi c a t i o n

"L'interprétation de ces accessoires une fois précisée, la convention resteintéressante par elle-même, et doit être expliquée". (2) "On lui avait laissédu moins, un peu en sautoir son plastron postiche de déesse polymaste,symbole et insigne le plus distinctif et curieux pour les modernes". Ainsis'exprime Ch. Picard, (3) à l'unisson avec tant d'autres. La polymastia, par-delà Artémis d'Ephèse, désigne aussi, nous l'avons vu, le caractère orientalde la divinité. Plus profondément, c'est encore Picard qui trouve la plusjuste expression du sens réel: (4) "Il faut considérer que la multiplicationdes seins sur la poitrine d'une statue de culte n'avait pas pour objet d'attirerl'attention des fidèles sur le caractère de nourrice que l'on aurait vouludonner, par exemple soit à 1'Artémis d'Ephèse, soit plus bizarrement encoreau dieu mâle carien. On tentait de signifier que les divinités mâles oufemelles dotées de ces postiches, étaient fécondes et que leur culte répandaitl'abondance. L'idée est assurément primitive: elle se relie à ceraines figurations asiatiques (tiares à cornes multiples) et, comme l'a vu W. Déonna, àtoutes les conceptions qui ont engendré les monstres dans l'art antique parmultiplication et amplification des organes de puissance."

Cette citation répond on ne peut plus parfaitement à l'objection de M. Meurerqui récusait l'idée de "seins" parce que, dans le cas, disait-il, oO ils'agissait précisément de la nourricière de tous les êtres vivants, la représ e n t a t i o n d e s m a m e l o n s a u r a i t é t é e s s e n t i e l l e !

( 1 ) p . 8 8 .(2) Ch. PICARD, p. 531.(3) C^,1956, p. 89.(4) EC, pp. 531-532.

5 7 .

Féconditié et abondance. Seul, semble-t-i1, H. Seyrig, 1928, rejette l'idéede fécondité, sans doute gêné par l'idée de polymastie d'un dieu mâle!Mais A. Laumonier (1) n'accepte pas ses arguments et affirme: "... on ne peutnier que la déformation ne soit intentionnelle... ni par suite réfuserd'admettre un rapport ... entre ce symbole de la fécondité féminine et la

personnalité du dieu de Labraunda". L. Lacroix (2) affirme, tout aussi nettement,son opinion: "Les multiples mamelles - quelle que soit la signification

primitive de ces singuliers ornements - symbolisent son inépuisable fécondité".

Multiples sont les recoupements proposés avec la culte et les rites, quiéclairent les rapports seins-fécondité avec l'image de culte; tout aussinombreuses les traces préhelléniques . (3) Ch. Picard (4) pense qu'un des

aspects le plus particulier du service primitif des Amazones était précisément le dévoilement de la poitrine. Attesté à Gnossos suivant une mode

préhellenique, il y voit la marque d'un culte de fécondité agraire. La coutumecrétoise aurait pu évoluer vers le dévoilement d'un seul sein et aurait

peut-être influencé ainsi la croyance en l'autre coupé. A. Laumonier (5)reprend cette idée de la nudité pectorale. Il signale que cette pratiques'est prolongée jusqu'à l'époque hellénistique dans les fêtes grecques etorientales en l'honneur de divinités agraires. Les Amazones au sein nu sesitueraient dans la tradition égéenne qu'elles perpétueraient au service de

l'Ephésienne, encore marquée de son rôle de Potnia égéenne primitive. Etl'évolution de cette habitude cultuelle qui n'aurait plus été comprise à

l'époque grecque archaïque, aboutirait, sous la pression aussi peut-êtred'autres règles morales, à des seins postiches, multipliés à la manièred ' é l é m e n t s d é c o r a t i f s .

Les Amazones sont fondamentalement associées <aux cultes niétroaques (6) etCh. Picard va jusqu'à écrire : "... d'expliquer pourquoi elles ont été,

(1) Cultes, p. 76.(2) Reproductions, p. 192.(3) A. LAUMONIER, Cultes, p. 425: "... et ne se rattacherait-elle (Hékate)

pas au fonds "proto-indo-européen" qu'on se plait à reconnaître de plusen plus dans l'Egée et 1'Anatolie?"

( 4 ) 4 2 , 1 9 4 0 , p . 2 7 7 .(5) Cultes, p. 77.(6) Ch. PICARD, 42, 1940, p. 277.

m

5 8 .

m

sans doute ailleurs qu'à Ephèse même, les premières servantes d'une multi-m a m m i a " !

R. Fleischer est peut-être un peu excessif quand il déclare: (1) "En ce quiconcerne la signification des seins, il ne semble pas encore possible actuellement d'aller au-delà des spéculations", car, en fin de compte, quand setaisent les monuments figurés, n'est-il pas temps de se mettre à l'écouted'autres disciplines. Sans avoir la prétention d'apporter des éléments desolution, la lecture de ces observations très souvent précises, nous amèneà formuler quelques considérations. Nous pensons qu'il s'agit en effet de seins

postiches, mais il est surprenant de constater qu'aucun auteur n'a relevé queles seins véritables de la grande déesse de la fécondité ne sont jamais

représentés, si l'on veut bien excepter le denier de -49. Comme nous avons eul'occasion de l 'écrire, nous croyons cette "omission" intentionnelle. Rienn'est gratuit dans 1'éléboration d'une image de culte de cette importance, (2)et l'analyse montre, abondamment, la cohérence de la pensée religieuse. Uneautre surprise nous vient: l'absence de recours aux ressources de l'histoire

comparée des religions. Tout au plus voit-on de rares chercheurs s'évertuerà trouver des images semblables dans d'autres pays, voire d'autres continents,

pensant ainsi légitimer leur sujet, (3) tandis qu'aucun ne fait appel auxautres religions, non plus en attendant la solution des images qu'elles

proposent, mais, cette fois, en observant les mécanismes religieux qu'ellesmontrent parfois plus clairement. Telle nous semble être pourtant la véritable richesse offerte par l 'histoire comparée des religions.

Avec les Celtes, vers qui nous nous tournons pour amorcer un début de

rapprochement, nous restons dans le domaine indo-européen.

Oghma, dieu terrible, maître de la magie est aussi le dieu-Père comme Varunaou Uranus, mais comme eux il "paie" son pouvoir de .:générateijrLumvensel :c'est le dieu castré. Il semble bien qu'il y ait un principe "théologique"du monde indo-européen selon lequel une divinité "paie" son pouvoir par lamutilation de l'organe de ce pouvoir. C'est ce que l'on peut appeler

( 1 ) p . 8 7 .(2) Ch. PICARD, EC, p. 531: "L'art archaïque s'attachait peu en Egypte, en

As ie , à la beauté des ido les , i l a sur tou t v isé à expr imer f idè lement e tcomplètement les aspects et les attributs de chaque divinité."

(3) Or nous sommes tout près de penser avec A. LAUMONIER, Cul tes, p. 340,qu'il "est parfaitement vain de croire qu'on explique un dieu en leramenant à un autre prétendu plus ancien" et nous ajouterions volontierà un autre, étranger.

5 9 .

la mutilation compensatoire. Pour être un dieu voyant, Odin s'est arraché unoeil. Un autre exemple va plus loin. Nuadha est chez les Irlandais le dieu

guerrier et, en même temps, le dieu roi. L'organe essentiel est donc la maindroite. Guerrier ne lui sert-elle pas à tenir l 'épée et la lance, roi, n'est-elle pas dispensatrice de largess%? On peut s'attendre suivant le principe dela mutilation compensatoire à sa perte. Ainsi en est-il à la bataille de

Moytura, dans une guerre que mène Nuadha lors de la 5ème invasion de l'Irlande.I l es t l e d ieu mancho t . Ma is i c i l ' h i s to i re con t i nue . Fo rcé d 'abd ique r à

cause de son infirmité, il est remplacé par Breas, despote sans largesses.Lassé de la tyranie, Goibhne, dieu forgeron, aidé du dieu médecin préparela guéri son. Il en résulte une prothèse en argent. S'ensuit le rétablissementde Nuadha dans sa divine royauté. Qu'est cette prothèse, sinon l'organe parfait

puisque réalisé par les dieux en métal inaltérable? Nous n'épiloguerons paslonguement. Ne peut-on voir, dans le cas qui nous occupe, l'application demécanismœde la religion indo-européenne que l'on voit jouer tant chez les Celtes

qu'aux Indes? Est-il trop fantaisiste de supposer, pour les .organes qui nousoccupent, une semblable histoire. Déesse de la fécondité, Artémis d'Ephèsen'a-t-elle pas été victime d'une mutilation compensatoire, et le plastron deseins postiches n'est-il pas la restitution de sa puissance, restitution oùle principe de répétition d'intensité, supposé par W. Déonna, façonnerait

l'organe parfait? De tels rapprochements énoncés ici restent sans valeur. Ilfaudrait une recherche sérieuse pour les fonder et notamment examiner d'autrescas de mutilation. Nous avons intentionnellement tenu pour terminer des hypothèses qui auraient dû figurer plus haut parce que nous pensons qu'on pourrait

y t rouver argument.

D'après R. Eisler et A.W. Persson, il s'agit des seins sacrifiés par lesAmazones. R. Fleischer rétorque: "Soit, un sein féminin coupé ressembleraitau moins à des formes qui pendent mollement, mais où sont restés les mamelons?"De cette dernière observation, nous rapprocherons Ch. Picard (1) : "... qu'unvêtement d'apparat, garni de mamelles sans papilles postiches."

E. Lichtenecker y voit un ornement sacré qui est expliqué par la "répétitiond'intensité" de W. Déonna. Elle prend pour base la mutilation d'un sein chezles Amazones, qui est rapprochée de la castration dans le culte d'Attis. Il

( 1 ) 4 2 , 1 9 4 0 , p . 2 7 8 .

6 0 .

s'est agi, à l 'origine, de garnitures pendantes formées de seins artif iciels,

que portaient d'abord les participants à des cérémonies du culte et qui plustard ont été transférés sur l'image cultuelle elle-même. On établit ici un

parallèle avec la fête indienne de Bhaiwana. Les pendants seraient anciens,mais n'auraient été représentés que tardivement parce qu'ils constituaientune partie détachée du costume, et, surtout, à cause de leur fonction magique.En fait, les allusions à des mutilations réelles ou symboliques, mais toujoursrituelles, fourmillent chez plusieurs auteurs, mais leur analyse sort den o t r e s u j e t .

E . L ' E P E N D Y T E S

Si la poitrine de l'Ephésia a retenu longuement et abondamment les commentateurs, la pièce vestimentaire envisagée ici lui donne une silhouette tout à

^ f a i t c a r a c t é r i s t i q u e .

Le bas du corps et les jambes sont couverts d'un tablier en forme d'étui. Ilest m^tenu autour de la taille par une ceinture qui présente une ornemen-tat ion part icul ièrement r iche (f leurs, rosettes et abei l les al ternent) sur

l'exemplaire E 45. Ce vêtement laisse l'arrière découvert par où se voit lechiton à plis. (1) Cette gaine, raide en apparence, enveloppante, est divis%en rectangles, régulièrement répartis sur la surface, par des Ij^gtels. Si nous

^ c o n s i d é r o n s q u e l a s u r f a c e s ' a r t i c u l e e n t r o i s z o n e s - u n e c e n t r a l e s u r l edevant et deux latérales - nous pouvons faire quelques constatations rapides.Sur les deux exemplaires E 45 et E 46 les listels de bordure, qui marquent lalimite avec le chiton sont lisses. (2) Par contre, E 45 et E 46 diffèrent

^ p a r l e s l i s t e l s q u i d é t e r m i n e n t l e s r e c t a n g l e s . P o u r l e s z o n e s l a t é r a l e s q u enous avons distinguées plus haut, les listels sont plats pourlle modèle E 46,alors qu'ils prennent un aspect cordé pour l'autre. Dans les deux cas, ils se

présentent comme des cadres juxtaposés. Chaque rectangle est donc séparé deson voisin par une raie médiane. Mais alors que le système est aussi employédans la zone centrale du spécimen E 45 - et y détermine des rectangleshorizontaux sauf dans le bas où le rétrécissement de la gaine nous rapproche

(1) Fr. MILTNER, Ephésos, p. lOlpl. 89.(2) R. FLCiSCHER, pl l . 12 b, 13, 19, 21.

6 1 .

du carré - la zone centrale sur E 46 n'est pas "cloisonnée", seul l'alignementdes protomés d'animaux crée un rythme régulier. La gaine s'arrête à hauteurdes chevilles et laisse échapper les plis de la tunique qui s'évase en corollesur les pieds nus. Cette observation n'est valable que pour la "bellé'Artémis

puisque le socle de E 45 manque, ainsi que les pieds. Dans les rectangles dela gaine formant cartouche - y compris la zone centrale de E 46 - des attributs

symboliques se détachent en ronde-bosse: protomés d'animaux, abeilles, fleurset griffons. La zone centrale est réservée aux protomés d'animaux. Elles se

présentent rangées par trois de front - sur E 45 le dernier rectangle n'encompte que deux - réparties en six niveaux. Un septième sur E 46 est frappéde deux fleurons, motif absent dans la zone centrale sur E 45, et nous ne

pensons pas que la partie amputée de la statue ait pu en contenir. En effet,l'observation de la planche 12 b du livre de R. Fleischer nous montre lelistel plat de la fin de la gaine. Sur les deux exemplaires, si nous voyons enhaut les protomés de lions et en bas de taureaux (?), la comparaison nerévèle pas un ordre déterminé; à noter, toutefois que les animaux ailés

occupent les rangs supérieurs. Y aurait-il échelonnement symbolique du "ciel"à l a " t e r r e " d u " s u r r é e l " a u c r é é ?

Les zones latérales sont symétriques. Une confrontation montre le rectangle

supérieur, sur la hanche de l'exemplaire E 45 occupé par un parailélilipèdebrisé. Il ne semble pas avoir été orné par le sculpteur. Peut-on supposer unusage fonctionnel - peut-être un endroit de fixation? Cet élément est en toutcas propre à E 45. Dans nos deux exemplaires, de haut en bas, alternent unbuste de femme ailée - sur lequel nous reviendrons - et l'abeille. Le dernierrang est occupé par une fleur. Si l'on tient compte du rang en moins surE 45 (6 au lieu de 7) et du premier rectangle non utilisé à une fin symbolique,les "loges" supplémentaires de E 46 ont permis d'intercaler des "fleurons".

Il n'est plus possible d'aborder la question de 1'épendytès sans se référerà l'ouvrage de H. Thiersch: Ependytès und Ephod. (1) Pour l'auteur, il y asurtout au 2ème et Sème siècles en Asie Mineure, Syrie, Palestine un type

de statue de culte en vêtement d'apparat qui, chez notre Artémis, prend laforme décrite du tablier. Ce vêtement, sous une forme quelque peu différente,

(l)Nous nous référons pour en parler à l'article bibliographique que lui aconsacré J. GRODECKI dans RA, 10, 1937, pp. 149 et suiv.

m

6 2 .

entoure le corps de Jupiter Heliopolitain. Très souvent la parure est richementornée de motifs symboliques. H. Thiersch le signale, dès le milieu du -6ème

siècle, représenté sur des vases attiques sans ornement, mais simplement diviséen carrés. Il émet la supposition que l'Athéna de l'Acropole en était vêtueen -550 et -520. Ce n'est que plus tard que le Péplos purement attique remplacera le vêtement de goût ionien. En Carie, il n'y a donc rien d'étonnant à ce

qu'Aphrodite en soit vêtue. Toutefois, le Jupiter Héliopolitain et l 'Artémisd'Ephèse passent pour deux divinités presque toujours revêtues, dans leursreprésentations, de ce vêtement rituel. Mais il est avant tout l'apparattraditionnel de la grande divinité féminine de l'Asie Mineure, Terre-Mère

préhellénique, dont les différents noms signalent les avatars de Lydie àBabylone. N'en voit-on pas aussi vêtue l'Héra samienne? Il n'est donc pasétonnant qu'Artémis dans son type Ephésien y soit liée. H. Thiersch signalela rapide diffusion de 1'épendytés, porté aussi sur des vases à figures

rouges du -5ème siècle par Dionysos. Mais ce dieu n'est-il pas passé par laPhrygie lors de ses voyages?

L'épendytés, toutefois, répond à une fonction précise. Il n'est pas portédans la vie courante par les siiiiples mortels, mais il est réservé à un usage

significatif par ceux même qui devaient s'identifier rituellement à ladivinité, soit pour accomplir le culte, soit pour appeler sur eux la protection.Aussi, le retrouverons-nous normalement sur les Amazones, pans ces cas, ilest orné, tout comme celui porté par Artémis, de rosaces et d'abeilles.H. Thiersch rapproche 1'épendytés d'une pièce du vêtement acerdotal du

grand prêtre d'Israël: 1'éphode dont l'analyse sémantique permet de mettreen évidence le rôle "médiatisant": pariellement vêtu, le grand prêtre peut,dans les circonstances graves, recevoir une inspiration. Ce même aspect durôle de 1'épendytés a été signalé plus haut, mais on peut y ajouter lareprésentation d'Antiochos I de Commagène qui, ainsi revêtu, apparaît avecZeus, Héraclès ou Apollon, divinisé et conversant parmi ces égaux. Cet ornementsacerdotal marque bien la médiation entre le profane et le sacré, quand il estporté par des "mortels". Et lorsque H. Thiersch rapporte que ce vêtement peutaussi distinguer une divinité prophétique ou son prêtre, nous ne nous en étonnons pas. Ch. Picard (1) a montré suffisamment comment l'Apollon clarien a

(1) EC, pp. 455 et suiv.

6 3 .

succédé à la Terre-Mère. Quant à l'origine du type, H. Thiersch pense à unedérivation du revêtement métallique de 1'ancien xoanon. Xoanon d'Artémis !d'Ephèse recouvert d'or. Quoiqu'il en soit, nous sommes en présence d'unvêtement hiératique provenant des provinces ioniennes dont l'origine probabler e m o n t e a u - d e l à d u - 7 è m e s i è c l e . M a i s l e s d i f f é r e n t s c o m m e n t a t e u r s o n t n o t é

d'autres observations. Ils n'ont pas manqué d'établir les rapprochements entre

l'aspect de pilier monolithe du xoanon et la signification d'une part de lacolonne et d'autre part de l'arbre. Dans une note intéressante, L. Lacroix (1)'**' aborde la question du xoanon. Le terme xoanon est employé, par les archéolo-

logues, pour désigner un "incunable" de la sculpture grecque, alors que chezles anciens, le mot désigne des oeuvres les plus diverses réalisées dans desmatières et à des époques les plus variées. Il faut attendre Pausanias pourun emploi plus limité du mot: une statue de divinité taillée dans le bois,;maisTJasnécessairement archaïque, s' i l n'est précisé par l 'adjectif arcaion. I l sefait que souvent ces statues de bois étaient primitives, d'où l'évolution dumot. G.E. Bean, (2) entre autres, écrit que la fusion des membres inférieursdonne à la statue une allure de pilier. H. Graillot: (3) "D'autres part lescolonnes ou piliers qui s'érigent près de la Mêter, bétyles modernisés, dansses temples de Smyrne, de Métropolis, d'Ionie, d'Orthosia de Carie, rappellent

que jadis la divinité résidait dans des piliers aniconiques". A. Laumonier (4)enrichit la liaison: "(Les Dioscures) sont placés sur un autel à guirlande, depart et d'autre d'une colonnette d'une forme très particulière: effi lée versle bas et sans base, avec un chapiteau fait de deux petites barres parallèles

horizontales; elle évoque une colonne crétoise, symbolique d'une Terre-Mèreavec deux assesseurs masculins". Ceci peut être rapproché, d'une statuerécemment découverte de Cybèle entre deux musiciens. (5) Ces citations

soulignent, d'une part les rapports qui peuvent s'établir entre une forme etun signifié aussi riche que le concept religieux de la Terre-Mère, et d'autrepart que, dans une statue de culte, les éléments qui fixent l'apparence nesont pas gratuits, même si, pour ménager un certain scepticisme, on peut

admettre que leur cohérence repose parfois sur une "mémoire" qui n'est pas

(1) Reproductions, p. 30, note 2.(2) Aegean Turkey, p. 167.(3) Cybèle, p. 394; mais aussi Ch. PICARD, EC, p. 487: "... libéré de la

raideur de bétyle aniconique, symbole primitif de la Grande-Mère."^ ( 4 ) C u l t e s , p . 5 1 3 .

(5) m, I, p. 303.

6 4 .

évidente. Les rapports avec l'arbre font l'objet de plus de commentaires.H. Graillot encore: (1) "Son culte reste lié de même à celui des arbres et des

plantes... Dans les légendes métroaques de l'Anatolie, l'arbre occupe autantde place, sinon plus que la pierre et l'eau... Beaucoup d'autels sont dédiésau pied d'arbres sacrés, pins, chênes, cyprès qui portent à l'instar desstatues cu l tue l les des at t r ibuts symbol iques de la d iv in i té . sur ses eff ig iesde l'époque impériale, la Dame tient en main un rameau souvenir atténué mais

persistant d'un âge où l'arbre était Dieu." L. Séchan et P. Lévêque (2)n'écrivent-ils pas: "on peut discerner dans certains cultes péloponésiensd'Artémis des vestiges de dendrolâtrie, dont il subsiste également des tracesà Délos et à Ephèse." La note 99 reprend l'hypothèse du sanctuaire primitiféphésien réservé à un culte de l'arbre.

Chez Ch. Picard, (3) l'affirmation des rapports est maintes fois répétée.Il écrit (4) "Xénophon qui a vu l'Ephésia à la fin du Vème siècle ... laisseentendre que l'idole était encore en son temps xoaniforme... elle devaitressembler encore plus ou moins à la déesse arbre" et aussi (5) "de nombreuxtraits signalent l'intervention de la déesse, à Ephèse, comme régulatrice dela vie végétale", et "l'Ephésia est une déesse de l'arbre." On ne peut être

p lus c la i r.

L'ornementation symbolique de 1'épendytès décrit sur le mode "didactique"différents aspects du caractère de la divinité. L'abondance de la figurationanimale nous rappelle qu'Artémis éphésienne est la grande héritière de laPothia affirmant sa puissance sur le monde animal. (6) Manière simple, sinonvraiment élégante, de concrétiser visuellement l'idée de sa maîtrise, derassembler autour d'elles les attributs épars des représentations primitives.Belle réussite de la pensée syncrétique. Ch. Picard (7) constate que lesfouilles ont permis de retrouver, dans les couches profondes des Artémisia

(1) Cybèle, p. 396.(2) Divinités, p. 357.(3) notamment, pp. 12-13, 488.(4) Opi cit., p. 526.(5) Op. cit., p. 377.(6) Fr. MILTNER, Ephésos, p. 101: "Tout le décor de la statue a pour but

d'exprimer la puissance de la déesse sur tous les animaux et sa force defécondité emplissant et vivifiant le monde entier." Voir aussi G.E. BEAN,Aegean Turkey, p. 167.

(7) EC, p. 535.

m

6 5 .

antérieurs à Crésus, presque tous les symboles de la gaine, et d'énumérerles représentations les plus fréquentes: l ions, l ions ai lés, gri ffons,

sphinx, sirènes, taureaux, cerfs. Nous reprendrons séparément les motifs etleurs implicationSj mais ils indiquent tous les rapports avec les types ori-ginaux de la déesse. Rassemblés ici, ils marquent en une vision synthétique,l'aboutissement de la lente évolution du type.

1. Les protomés d'animaux

Les "loges" de la partie antérieure sont occupées par des protomés d'animauxrée ls e t myth iques.

R. Fleischer (1) pense que ces représentations ne sont pas issues du goûtorientalisant général, mais bien, que les animaux hybrides, connus en Grèce

depuis bien avant le -7ème siècle, ont été remis à l'honneur par les courantsarchaîsants qui se manifestent depuis la fin du -5ème siècle. On peut, eneffet, trouver des origines assyriennes, néohittites ou autres sans pouvoirpréciser ni déduire quoique se soit. Aborder la question de la genèse desmonstres et de leurs rapports avec Artémis nous entraînerait beaucoup trop

M )

loin. Mais peut-être les l ions ai lés et les gr i ffons indiquent- i ls l 'aspecti l i u m i n e u x m a i s a u s s i i n f e r n a l d e l a D é e s s e ?

2 . L e s l i o n s

Nous aborderons plus loin cette question.

3 . L e s t a u r e a u x

Les traces de l'importance du taureau ne sont pas nombreuses à Ephèse.Toutefois, il est presque certain qu'il a été attaché étroitement au cultearchaïque. (2) Animal dompté par la Potnia de Colophon, il fut par excellence

( 1 ) p . 9 8 .(2) Ch. PICARD, EC, p. 536.

6 6 .

l'animal des sacrifices de la Grande-Mère; associé à Artémis Tauropolos, ilest attesté dans les jeux sacrés d'Ephése jusqu'à l'époque romaine, lointainsouvenir de la chasse et du Taurobole rituel. (1) Une corne votive en or a étéretrouvée dans le trésor des Artemisia archaïques. Le taureau était doncassocié dés l'origine du culte. Les taureaux sculptés sur les tambours desbases des colonnes du temple D semblent y faire allusion. (2)

4 . L e s a b e i l l e s

L'abeille est certainement, sauf pour les spécialistes, un élément discret dela mythologie- et par là, inattendu sur la gaine de l'Ephésia. Pourtant denombreux exemplaires figurent parmi les ex voto exhumés à Ephése: piècesd'ofévrerie, breloques. Le sens n'est pas sûr, et, dans son livre Ephése etClaros, Ch. Picard revient sur ce problème dans différents chapitres. (3)

Que ce soit en Crète, ou dans l'Orient égyptien, on trouve l'abeille présente,très souvent dans un contexte religieux. A Théra.où se font sentir les influenceségéennes, les démons abeilles sont attestés cbpuis le -6éme siècle. Mais c'està Camiros - où joue l'influence crétoise - qu'on a fait la découverte quinous semble la plus intéressante pour notre propos. On y a trouvé une image

zoomorphe de déesse abeille décorant un collier d'électrum avec la représentation de la Dame aux lions. Nous avons là une première trace de l'associationd'une grande déesse et d'un type devenu peut-être secondaire. On signale iaussi (4) une monnaie d'Anemurium frappée d'un xoanon qui semble bien représenter une véritable déesse abeille au corps annelé.

Ch. Picard, dans une description de ces découvertes, rapproche un buste de ladéesse abe i l le de ce lu i d 'une Ar témis-Anaî t is se pro longeant sous la ce in ture

par un ventre annelé. Le dos est orné d'ailes en faucille comme bien desdérivés de la déesse-mère, notamment Hécate, les bras s'écartent du corps dans

(1) Op. cit., p. 355.(2) Op. cit. p. 355, note 8.(3) pp. 183 et suiv., pp. 230 et suiv., pp. 522-523.(4) Op. cit., p. 523, note 2.

m

6 7 .

l'attitude d'une Maîtresse des fauves. Comme dans d'autres cas plus sûrs -nous pensons à Oupis - il aurait pu exister à Ephèse une déesse abeille - ouune forme abeille d'un principe divin - qui, vers le -6ëme siècle, se serait

agrégé par syncrétisme à Artémis. Les prêtresses de cette déesse auraientgardé le nom théophore après la perte d'indépendance de la divinité. Ch. Picarda aussi rejeté l ' interprétation totémique, pas plus qu'i l ne croit pouvoirconsidérer les Melissai comme des devineresses interprétant l'avenir à Ephèse,bien que des Melissai aient été mêlées à l'histoire de la mantique de Delphe.Il n'y avait pas d'oracle officiel à Ephèse, Claros sa voisine suffisant àa s s u m e r c e r ô l e .

Mais il n'en reste pas moins que l'abeille est attestée, apparaissant sur lesmonnaies de la c i té . Dans la l i t té ra ture ion ienne, on t rouve le mythe mont rant

les Muses abeilles guidant l'installation d'Androclos à Ephèse. 0. Gruppe

(1906 et suivantes) reconnaît qœ ce mythe n'est qu'une transcription alexandrine d'une vieille légende cultuelle mal interprétée. Il y a un faisceau dedocuments: monnaies, (1) mythes, abeilles votives dans les dépôts desArtémisi a archaïques et la présence de prêtresses Melissai, attestée pourdivers cultes - Rhéa, Déméter, Cybèles - apparentés à celui d'Ephèse. Plus lesassociations déjà signalées sur des bijoux. En 1940, dans un article des Mélanges

Radet,(2) Ch. Picard revient sur le problème. Sa conviction - encore hésitantedans Ephèse et Claros sur une origine orientale de la déesse abeille, et surl'existence très hypothétique des prêtresses Melissai à Ephèse - s'estaffermie. A quoi est-ce dû? L'existence d'une déesse abeille et son rayonnementen Crète, à Ephèse et dans le monde Ionien oriental sont mieux attestés, etCh. Picard place décidément cette déesse dans les avatars de la déesse-mère,Potnia d'Asie, et il souligne dans une note (3) que cette déesse montre sesseins aussi. Ceci renforce l'hypothèse du nom théophore des prêtresses,et^d'autre part, il revient sur l'existence de la présence l'abeille sur lesmonnaies de la vi l le, et ce dès avant -545.

(1) par exemple L. LACROIX, Reproductions, p. 179.( 2 ) 4 2 , 1 9 4 0 , p p . 2 7 0 e t s u i v.(3) Op. cit. p. 280, note 3.

m ,

6 8 .

Mais surtout, il fait appel à un mythe hittite du -ISème siècle. Ce mythe (1)met en scène la disparition saisonnière du dieu de l'orage qui plonge lemonde divin et humain dans la crainte de la disette. Après différents

événements, la grande déesse-mère envoie l'abeille à la recherche du dieu;elle seule sera capable de le retrouver. Ce mythe souligne certainséléments: la liaison déesse-mère/abeille que nous rencontrons une fois encoreet le rôle de l'abeille dans un mythe agraire - donc aussi de fécondité -de mort et de renaissance, sous forme saisonnière: disparition gestation de

i m ,

la terre. Remarquons que l'abeille est un animal à apparition cyclique, unanimal qui "survit". L'animal retrouve le dieu de l'orage - ce dernier n'est-il

pas comme ses emblables un dieu fécondant? - dans une forêt - dans la versionque nous signalons - ou une grotte, supposée par Ch. Picard dans l'autreversion. Quoiqu'il en soit un lieu caché - grotte et forêt ont des sens

symboliques proches - lié à la terre. Pensons à Coré disparue aux Enfers,car beaucoup de ressemblances unissent ces mythes de même nature. Ch. Picardrelève aussi le rôle des piqûres purificatrices des abeilles qui précèdent

m

le réveil du dieu. On pourrait ajouter^au relevé^le thème du sommeil. La nes'arrête pas la richesse des possibilités. Ch. Pi<;ard rapproche ce mythe decelui des abeilles nourricières et protectrice de Zeus enfant, réfugié encrête dans la grotte sacrée du mont Ida. Crète - mont - grotte - abeille -m è r e d e d i e u - r ô l e n o u r r i c i e r : u n e n o u v e l l e c o h é r e n c e . I l r e l è v e e n c o r e

l'association mythologique des Courètes et des Mélissai: éléments qui seretrouvent côte à côte à Ephèse. "Nous avons là Courètes, Amazones, Mélissai,trois divers types rassemblés à Ephèse de ces sociétés initiatiques masculinesou féminines..." (2) Si nous avons détaillé sur un point précis, l'évolutionde la pensée de ce remarquable chercheur, ce n'est pas pour "tirer à la

ligne", mais nous pensons que l'exemple convenait pour montrer l'élaborationd'une hypothèse solide, solide parce que reposant - et mettant en évidence àla fois - sur la cohérence des structures mythologiques. S'étant trouvée à

Ephèse en compagnie de cette forme de la déesse-mère, Artémis dont le culteprit la supprématie, l'a assimilée comme elle le fit avec les autres formes,

*

(1) On en lira une autre version dans MRP, I, pp. 287-288. Version légèrementdifférente surtout par les lacunes de la fin. Moins de précisions y sontrappor tées .

(2) Op. cit., p. 282.

m .

6 9 .

parce qu'elle renvoyait au moins partiellement aux mêmes signifiés. Ce"partiellement" a paru suffisant pour que l'esprit religeux transfrome la déesseabeille en déesse secondaire puis en simple attribut figurant sur la gaine du

type "canonique".

5 . L e s r o s e t t e s

Peu d'inf ormations sur ce thème. Il semble boudé par les commentateurs.Faut-il y voir un symbole en relation avec les astres? Faut-il tenter un

rapprochement avec 1'épendytès du Zeus d'Héliopolis où les astres tiennent^ une place indéniable? Nous n'avons remarqué aucune constante dans leur

représentation, ni leur nombre ni le nombre de pétales. Plus simplement, cetattribut est-il représenté pour rappeler que l 'Artémis primitive est un

esprit de la végétation qui régne sur la nature?

6 . L e s t o r s e s d e f e m m e s

Nous ne savons trop quel nom donner à cet élément composite. Il s'agit, enfait, d'un torse féminin ailé, représenté nu dans les exemplaires quenous étudions, mais qui peu parfois être vêtu du péplos. Le modèle reprissur E 45 est coiffé d'un polos qui n'existe pas sur celui de la gaine deE 46. Les bras pendent le long du corps, et les mains semblent prendre appuisur un élément végétal qui tient du rinceau et de la double feuille delotus. L'impression nettement suggérée par cette attitude est que le torsesort, émerge de cette "coupe" végétale. Le polos signifie certainement quenous sommes en présence d'un être divin; le polos est, selon V. Mùller, lacouronne des dieux grecs. (1) La tendance générale - bien que discutée -serait de voir dans cet être un dérivé de la déesse-mère. La grande déesse

(1) R. FLELSCHER. P. 101, note 5.

m s

7 0 .

orientale, souvent accompagnée de griffons. Le parèdre mâle de cette divinitéserait Sabazios. Et l'on sait que Sabazios est un dieu traco-phrygien que l'ontrouve associé au culte de Cybèle. (1) Nous pensons pouvoir retenir qu'il

s'agit donc d'une représentation d'une Mal tresse des animaux, en particulierassociée aux griffons, assimilée généralement à Ephèse avec Artémis.

F . L E S A N I M A U X

La grande Artémis E 45 a été retrouvée sans son socle et sans les animaux

qui, probablement, y figuraient. Par contre, l'exemplaire E 46 est plusm ,

complet. Sur son jocle se distingue nettement les sabots des cervidés quid e v a i e n t l a fl a n q u e r.

Les animaux sont abondamment présents dans le cortège d'attributs dem

1'Artémis d'Ephèse. Ils renvoient probablement au sens le plus ancien del'idée qu'elle concrétisait^sens qu'ils précisaient sans doute suivant leurnature. L'image centrale est certainement Ta Potnia Théfôn, souveraine desfauves empruntée à l'Asie orientale. L'antropomorphisation et les progrès de

m , l'art la privèrent de ses ailes. (2) Déesse-mère, elle a gardé, comme déjàdans la religion minoenne, l'attitude dressée, le geste protecteur. De

Babylone , de la Crète, elle vint accompagnée du lion. On la voit, l'animalsur les genoux, fréquemment représentée en lonie à partir du -Sème siècleet notamment à Ephèse. Serpents et colombes l'accompagnent dans l'artcypro-mycénien. Serpent encore, dans le culte métroaque de l'Anatolie romaine.Comment s'étonner de l'importance de ces attributs chez 1'Ephésienne, principalehéritière,sur les bords du Caystre, de ces grands concepts religieux? Artémis

/ m , ^exprime son droit divin d'abord par "sa suzeraineté sur les fauves, les oiseaux,les serpents". (3) Elle marque ainsi son pouvoir civilisateur, les fauvessont domptés.

(1) II, 1962, p 101.(2) H. GRAILLOT, Cybèle, p. 397.(3) Ch. PICARD, EC, p. 455 et aussi p. 547.

7 1 .

L e s l i o n s e t l e s c e r f s

Presque omniprésent dans ce secteur de la mythologie, le lion est un symbolecomplexe. (1) On le trouve, depuis la Potnia, associée à toutes celles quihéritèrent de son caractère, à tous les avatars de la grande-mère. Il est de

Cybèle, l'animal favori, et figure parmi les animaux traditionnels d'Hékate.Déjà chez les Hi t t i tes e t les Nourr i tes , i l es t assoc ié à la Grande-Déesse.Autant de formes qui en Asie Mineure sont des variantes de la même divinité. (2)

Un petit pilier en or, à tête de lion, a été retrouvé dans les couches

archaïques de l'Artémision d'Ephèse. (3) L'or souligne la parenté zodiacaledu lion. Symbole ambigu de caractère solaire, (4), il prendra tout son sensdans le mithraîsme; (5) sans doute devenu symbole de puissance divine,

acquerrar't-il un sens protecteur. (6) Mais il est aussi - et ceci relèveplus directement de notre propos - en rapport étroit avec le symbolismelunaire et chtonien, deux grands caractères de notre déesse. (7) Nousconnaissons une représentation de Némée (8) assise sur un lion. (9) Le liond e N é m é e s o r t a i t a u s s i d e S é l é n é .

Quant aux rapports avec l 'Au-Delà et le monde des Enfers, i l ne faut pas y

(1) A. LAUMONIER, Cultes, p. 580, note 2.(2) A. LAUMONIER, Cultes, p. 412.(3) Ch. PICARD, EC, p. 535, note 4.(4) On le trouve associé à Apollon, frère d'Artémis et comme elle, successeur

de la Grande-Mère; notamment A. LAUMONIER, Cultes, p. 579 et note 2pour l'identité au dieu Soleil anatolien depuis le 7ème siècle.

(5) F. CUMONT, OJH, 12, 1909, p. 214 "Dans le sybolisme des cultes orientauxet spécialement dans celui des bas reliefs de Mithra, le lion est lereprésentant du principe igné " aridae et ardenteis naturae".

(6) A. LAUMONIER, Cultes, pp. 579-580.(7) Ces aspects seront étudiés plus loin, tenons-les ici pour acquis.(8) Némée fille de Zeus et de Séléné.(9) A. LAUMONIER, Cultes, p. 411, note 4.

m

A

7 2 .

voir une incompatibilité avec l'aspect solaire. (1) On connaît la liaison6é-Hélios - dans une formule de serment dont l'origine est peut-être anatolienne ■et les associations - "tardives sans doute mais récurrentes" - Sarapis-Hélios,Plouton-Hélios (2)

Le lion aussi est le Fauve, docile, maté, représenté sous la forme double,

symétrique à la manière de la héral dique,de part et d'autre de la déessepacificatrice. Nous constatons à l'examen des exemplaires E 45 et E 46 que lesfauves se sont réfugiés, ayant perdu toute agressivité, sur les avant-brasde la divinité. L'exemple était déjà connu. (3) Ch. Picard a pu en déduire uneévolution séduisante. (4) Dans le type récent, l'Ephésia, si elle reste encoreassociée aux animaux, ne les tient plus aux poings. "L'idée de la lutte

primitive était peu à peu disparue". Cela eut deux conséquences: les lionsprivés de leur importance ont été exilés sur les avant-bras de la déesse,alors qu'ils étaient remplacés à ses côtés par des cervidés inoffensifs,compagnons de la chasseresse. C'est aussi ce que pense W. Déonna lorsqu'ilécrit: "Pacifiques, ils évoquent cependant l'ancienne Potnia Thérôn et sesont peu à peu substitués aux lions, aux taureaux et autres animaux qu'elledomptait jadis". (5) "Les cervidés sont rares autour de la Potnia Thérônarchaïque." (6) Cette constatation renforce l'hypothèse de Ch. Picard quisouligne toutefois que l'Ionie du nord n'a pas ignoré le cerf dans les âgesanciens. L'idée de la lutte primitive disparaissant, progressivement remplacéepar l'image hellénique de l'Artémis chasseresse, il est normal de rencontrerle cerf plus souvent associé à la statue de l'Ephésia. (7) Mais qu'est-ce

que ce cerf que l'on retrouve aussi comme attribut d'Apollon? (8) " Le cerf ...n'est pas plus ici que là, un souvenir de l'Ephésia mais un attribut typiquede la divinité anatolienne, mâle ou femelle depuis les temps les plus reculés

(1) A. LAUMONIER, op. cit., p. 580.(2) A. LAUMONIER, op. cit., p. 580, note 2.(3) W. AMELUNG, 12, 1909, p. 174.( 4 ) p . 5 3 4 .( 5 ) 1 9 2 4 , p . 1 5 .(6) Ch. PICARD, EC, p. 536, note 7.(7) Ch. PICARD, EC, p. 536.(8) Force est de constater que cet animal est constamment dans le sillage

d u l i o n .

m .

7 3 .

jusqu'à l'époque romaine." Ainsi s'exprime A. Laumonier. (1)

En 104, une Ephésia consacrée à la Boulé est représentée entourée de deuxcerfs affrontés. (2) Cela semble un modèle courant. Semblable est, sans doute,la statuette dont parle W. Déonna, (3) mais il précise que les animaux ontla tête levée vers Artémis. N'a-t-on pas l'impression d'une variante de la

représentation de l'arbre de vie? M. Eliade (4) cite lies ornementations debaptistère où l'arbre de vie voisine avec le cerf et y voit une imagearchaïque de la rénovation cyclique. Le cerf est un symbole de la rénovation,de la création continuelle, justement à cause du renouvellement périodiquede sesbois. En outre, il signale que dans la tradition grecque le cerf estlié au serpent, qu'il mange pour se rajeunir. L'intimité des deux animaux estd'ordre cosmologique. Sur des plans différents - l'un lié au feu et à l'aurore,l'autre chtonien - ils sont tous deux, expression du renouvellement périodique:

"L'opposition cerf (ou aigle) - serpent est plutôt l'image dynamique d'une"paire d'opposés" qu' i l s 'agit de réintégrer."

La Dame aux serpents a existé, en Crète notamment, exprimant un aspect de laDame aux fauves. D'autres relations existent qui permettent de pressentir les

rapports du cerf avec le caractère divin d'Artémis. Cernunos porte des boisde cerf marquant ainsi sa qualité de dieu de l'abondance. Dans les mystères

he l lén iques , les adep tes por teo i , ! l a s ta tue de Démeter ou de Koré ,des peaux de cerf"'pour entrer en communication avec 1 ' au-del à. (5 )

. Avec l'examen de ces animaux et de leur sens supposé, nous voici parvenu auterme de l'analyse des grandes statues d'Artémis à Ephèse.

(1) Cultes, p. 606.(2) Ch. PICARD, EC, p. 537, rapporte l'analyse de G. HOGARTH qui relève Tes

différences entre ces interprétations et la dompteuse des fauves: l'animaln'est plus saisi par les mains de la déesse et forme avec elle un groupehéraldique qu' i l juge d'espr i t décorat i f .

( 3 ) 1 9 2 4 , p . 1 4 .(4) Images et Symboles, p.216, note 5.

(5) 0. BEIGBEDER, Lexique, p. 143.

V. CONCLUSIONS

Les deux exemplaires de l'Artémis d'Ephèse du musée de Selçuk (E 45-E 46)

qui ont servi de support à notre analyse, appartiennent à ce que différentsauteurs appellent le type "canonique". Confrontés aux autres exemplairesde la grande statuaire, il semble actuellement impossible de conclureà la provenance d'un même atelier. (1) Par contre, il est permis de pen

ser, avec beaucoup de vraisemblance, que "les répliques du groupe principalsont si proches les unes des autres qu'on peut les ramener à un type

unique bien déterminé, précisément l'image cultuelle elle-même, dans sadernière forme, devenue "canonique".(2)

La "grande" Ephésia E 45 est dépourvue de l'ornementation de poitrine

(Nikès accompagnatrices et Zodiaque) et se place, ainsi un peu en dehorsdu type dont elle suit le canon sur tous les autres points. L'analyse de

l'implantation des seins (seins situés bas et sur une ligne horizontale),l'absence de Zodiaque, pourraient éventuellement constituer des éléments

plaidant en faveur d'une antériorité - légère sans doute - du modèle E 45.Toutefois, la présence sur le calathos de la représentation de la triplenéocorie affirme un terminus postquem , et nous serions enclin à interpréter la typologie des seins et l'absence de Zodiaque comme des références

supplémentaires à l'archaïsme introduites par la mode archaîsante. SiE.Lichtenecker a raison de voir, dans ces éléments des types "particuliers",une preuve de leur antériorité par rapport au type "canonique'^ nous pensons

que notre supposition peut d'autant mieux se justifier qu'à l'époque tousces exemplaires, et leur évolution, étaient bien connus.

Tentons de cerner l'image de culte de notre déesse sur la base des ren

seignements réco l tés.

L'image était en bois. L'essence reste imprécise: ébëne pour Pline,bois de vigne,ou encore cyprès pour Xénophon qui la sélectionne pour sa

représentation. D'autres arbres ont été concernés par le culte: le chêneet l'orme. L'imprécision des sources se comprend par le fait que le bois

:i) R.FLEISCHER, AEK, p.117.[2) R.FLEISCHER, AEK, p.117.

7 5 .

n'apparaissait pas: d'une part les parties visibles du corps se limitaient au visage, aux mains et aux pieds, et d'autre part ces partiesvis ibles étaient noires. I l est d 'a i l leurs s igni f icat i f à ce propos

que l'auteur le plus précis, à savoir Xénophon, soit justement le seulqui ait dû choisir une essence pour la réalisation d'une statue de culte.

Les parties visibles du corps étaient noires. Nous avons dit à ce proposce que nous pensions des raisons invoquées, en accord parfois avec les

sources anciennes. Il nous paraît possible de croire à la volonté d'ex

pression d'une tradit ion l i thique dont le contexte s' intègre parfaitementà la structure religieuse de la divinité. I l n'est pas invraisemblablede supposer qu'un stade antérieur ait conservé, dans le processus d'an-

thropomorphisation, un glyphe noir intégré par exemple à la place duv isage.

La taille était problablement plus grande que nature. (1)

On peut imaginer le polos, à l'origine, divisé en cases sur le modèled'une statuette de bois de Samos de l'époque archaïque, (2) orné peut-être plus tard des protomés d'animaux fantastiques pour, finalement,

aboutir, sous Trajan ou Hadrien, au type architectural.

Le nimbe porteur de protomés est sans doute une dérivation d'une pièced'étoffe différente du manteau-voile. Il est impossible de déterminersi l'Ephésia portait à l'origine ce manteau-voile, comme presque toutesles images de culte des divinités féminines anatoliennes; pourtant,cette hypothèse paraît vraisemblable et il n'est pas inutile de rappelerl'avis de W.Déonna: (3) "Si la plupart des statues d'Artémis éphésiennene l ' indiquent pas, c 'est qu' i l était peut-être réel, placé sur el les,tenu écarté par les mains; les graveurs de monnaies, eux, ne l'ont pasoub l i é . " Ce r t a i nes s t a tue t t es de t e r r e cu i t e l e r ep résen te auss i , e t

ceci est un élément qui prend toute sa valeur, si l'on pense aux pra

tiques religieuses encore actuellement visibles. Les statuettes marialesde plâtre, comme les statuettes de terre cuite, sont de modestes exem

plaires à usage domestique qui donnent de la représentation une imagecomplète, alors que les statues destinées au culte, dans les sanctuairespar exemple, sont richement parées de vêtements. Si l'on admet l'idée

(1) R.FLEISCHER, AEK, p.122.(2) R.FLEISCHER, AEK, pl.84b et p.122.(3) W.DEONNA, M, 1924, p.18.

7 6 .

de W.Déonna, on peut donc penser que l'Artémis d'Ephèse faisait aussile ges te de dévo i lement , s i souven t a t t r ibué aux d iv in i tés fémin ines .

Vêtements et geste auraient alors été unis par la même valeur symbo

lique: l'affirmation du rôle cosmique. Ce "manteau du monde" auraitenglobé les animaux associés : l ions et cer fs . "Les cer fs semblent

protégés par le manteau fécond, sortir en quelque sorte de lui, émanerdu grand corps divin qu'est la Nature-Mère. C'est pour cette raison,

semble-t-il, et non seulement par commodité technique, que, dès l'archaïsme, le décorateur représente les animaux et emblèmes cosmiquesnon seulement à côté de la déesse, maîtresse des éléments et des bêtes,

mais peints ou en relief sur sa robe même... Pensée universelle qued'assimiler le décor du vêtement porté par la nature anthropomorphisée,au décor du monde...Il faut tenir compte de ce sens possible en étudiantles monuments antiques et distinguer les cas où l'ornementation duvêtement n'a qu'une valeur décorative de ceux où elle symbolise la nature

cosmique de la d iv in i té . Car ce vêtement est la sur face sur laquel le

passent les images des éléments, où se déroulent les actions des dieuxet des hommes, le miroir du monde." (1)1'idée d'une représentation

peinte qui évolue vers le relief de plus en plus accusé est aussiexprimé par R.Fleischer.(2)

La"belle" Ephésia porte des rubans derrière la tète qui,sans doute,é t a i e n t e n c o n t i n u i t é a v e c u n b a n d e a u f r o n t a l .

Parmi les ornements de la poitrine, il est possible que la guirlandede fleurs ait parfois été constituée de fleurs réelles ce qui expli

querait leur absence sur certains exemplaires jugés plus anciens. Nousavons signalé l'évolution possible suivie par les accompagnatrices de la

déesse, qui, séparées à l'origine, se retrouvèrent sous forme de "Nikès"sur la poitrine du type "canonique". Le Zodiaque est, très généralement,considéré comme une représentation d'époque hellénistique qui a rem

placé un autre symbole cosmique: le pendentif en forme de croissantde lune ou le croissant de lune plus le disque. A noter que les terrescuites conserveront le motif initial parce que leur technique et leur

petite taille rendaient impossible la représentation plus complexe d'unZodiaque. (3)

(1) W.DEONNA, M, 1924, pp.21-22.(2) AEK, p.122: "Ici aussi des figures qui à l'origine étaient plus plates

furent t ransformées en protomés."(3) R.FLEISCHER, AEK, p.73.

7 7 .

Les seins ne sont pas des seins féminins véritables, mais ils ne sont

pas non plus une transformation tardive ou une addition syncrétique. Enfa i t , i l s ex is ta ient dès la deux ième moi t ié du -4 ème s ièc le e t sansdoute reprenaient-ils une tradition beaucoup plus ancienne. Un essai ty

pologique peut être esquissé. A l'origine, placés bas, disposés sur unel igne ho r i zon ta le , i l s on t é té p lacés , sous l 'Emp i re , p lus hau t su r une

ligne arquée. Peut-être que la forme en triangle dressé sur la pointea précédé cette évolution^à moins qu'elle n'ait appartenu plus spécialement à des divinités apparentées. Il est actuellement impossibled'établir le sens et l'origine exacte de cet élément. Le rapprochement

que nous nous sommes permis de suggérer ne pourrait acquérir unequelconque valeur qu'après des recherches sur les traces de survie destraditions indo-européennes notamment dans l'étude des pratiques dem u t i l a t i o n .

L'épendytës avec les protomés d'animaux était, comme l'a démontréH.Thiersch, un vêtement d'apparat, porté également dans certaines con-

ditionsjrituelles, par les prêtres. Des plaques d'or l'enrichissaienttelles qu'on peut les imaginer sur les divinités mésopotamiennes. Ceci

explique, sans doute, qu'à la fin du -5 ème siècle, Xénophon ait décritle xoanon couvert d'or, mais il est probable que les protomés aient étéd'un relief moinsaccentué qu'à l'époque impériale. Les exemplaires E 45E 46 montrent clairementjque ce vêtement ressemblait à un tablier portésur un chiton. Les animaux fabuleux, qui apparaissent aussi sur lenimbe et le polos, depuis très longtemps dans l'imagerie des peuplesanatoliens, sont peut-être une adjonction de type archaisant de l'époquehellénistique ou impériale. Rien ne permet d'affirmer qu'ils ornaientl'ancien xoanon. Par contre, R. Fleischer affirme que la "femme auxsarments" -que nous avons simplement appelée "Torse de femme"- , aucontraire, est certainement une addition d'époque hellénistique". (1)

Les animaux associés -tels les cerfs qui entretiennent depuis trèslongtemps des rapports étroits avec la déesse- ne flanquent la statue,selon R. Fleischer toujours, que depuis l'époque de Trajan ou d'Hadrien.Les lions qu'Artémis porte sur les bras appartiennent au plus tôt àl 'époque hel lénist ique.

(1) R. FLEISCHER, p. 123.

7 8 .

n semble donc que les répliques d'époque impériale donnent une image assez

précise de la statue de culte de l'Ephésia. Nous pouvons l'imaginer dans lamême attitude archaïque, débarrassée des cerfs et des lions, un polos simpli-fié sur la tête, portant chaînes, guirlande et probablement un croissant surla poitrine. Les seins s'arrêtaient à la taille, le bas du corps engainédans le tablier rituel. La tail le devait être plus grande que la tail led'un individu normal conformément aux usages d'une plastique, devenuemonumentale depuis le fin du -7ême siècle.

E. Lichtenecker, en accord avec les chercheurs les plus anciens, admet

qu'à l'origine la représentation cultuelle était aniconique. (1)Nous conclurons en précisant que les études modernes soutiennent l'idéequ'après le stade aniconique, trois images cultuelles se seraient succédées à savoir l ' idole primitive, la statue cultuelle d'Endoios et enfinl'oeuvre hellénistique qui servit de base à toutes les répliques conservées.Pour cette dernière, E. Lichtenecker pense que "les ornements sacrés

éphémères de l'image cultuelle ont été transposés dans le matériau."Or, les sources anciennes et la fête du Daitis, au cours de laquellela statue était nourrie, lavée et habillée, tendent à prouver que lexoanon était réellement vêtu. Donc l'hypothèse de E. Lichtenecker ne peut

s'appliquer qu'aux copies de la statue cultuelle et nous admettrons quel'original a vraisemblablement porté jusqu'au bout ses bijoux et sesvêtements véritables. Les changements au cours du temps ne sont peut-être,en fait, que des changements de garde-robe d'un xoanon primitif conservéavec le plus grand soin. Au terme d'une longue évolution, l'image impérialenous permet de saisir l'intensité des syncrétismes qui ont dû jouer.

Presque tous les éléments et accessoires qui composent l'image se ramènentà des pièces vestimentaires dont la présence n'est en rien gratuite.Leur accumulation n'a d'autre but que de manifester concrètement lecaractère de la d iv in i té e t les domaines de ses fonct ions. La parure

de l'Ephésia s'est formée de façon "organique", et les commentateurs,comme R. Fleischer, pensent que les transformations ont porté sur desdétails plutôt que sur la conception fondamentale, idée qui s'appuie

(1) ce que rejette R. FLEISCHER, AEK, p. 124, sans argumenter, semble-t-il.

7 9 .

sur le traditiopji lisme religieux. Si les représentations du deuxièmesiècle montrent des variations, elles sont dues, suppose-t-on, au fait

qu'on copiait une parure éphémère d'une statue conservée dans le sanctuaire,et non pas un moulage précis de la statue de culte.

Quoiqu'il en soit, les multiples incertitudes, et les grandes lacunesde la documentation, nous condamnent aux hypothèses. La réalité restedissoute dans le silence archéologique.

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/ m ^

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V I . B I B L I O G R A P H I E

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1 . R . F L E I S C H E R : n ° 6 .N o u s n ' a v o n s p a s l u l ' e n t i è r e t é d e l ' o u v r a g e , m a i s s e u l e m e n tl e s p p . 6 3 - 8 9 e t 11 6 - 1 3 6 .

2 . S . L U N A I S : n ° 1 2 .N o u s n ' a v o n s p r i s c o n n a i s s a n c e q u e d u c h a p i t r e 6 : " L aD i a n e l u n a i r e " , p p . 11 6 - 1 3 9 .

2" A_B!r9B9§_d§§_r§Dy9l§-§D_b§s_de_2age.

N o u s r e n v o y o n s à l ' a u t e u r d ' u n e é t u d e c i t é e , d a n s l e c a so ù n o u s a v o n s p u c o n s u l t e r l e d o c u m e n t . C h a q u e f o i s q u ' i ln o u s a é t é i m p o s s i b l e d e p r e n d r e d i r e c t e m e n t c o n n a i s s a n c ed e s t r a v a u x , n o u s r e n v o y o n s à l ' a u t e u r q u i e n a f a i t l ed é p o u i l l e m e n t . A i n s i , p o u r l e s s o u r c e s a n c i e n n e s , n o u sa v o n s t o u j o u r s p r é c i s é l ' e n d r o i t o û e l l e s s o n t c i t é e s ,m a i s n o u s n ' a v o n s j a m a i s m e n t i o n n é l ' o r i g i n e d e l ' e x t r a i tC e c i , n o u s l ' e s p é r o n s , p e m e t t r a d ' é v i t e r t o u t e é q u i v o q u e .

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V I I . R E S O L U T I O N D E S A B R E V I AT I O N S E M P L O Y E E S

Le numéro renvoie à la mention bibl iographique correspondante,

G . E . B E A N , A e g e a n T u r k e y 4

0 . B E I G B E D E R , L e x i q u e 4 8

M . E L I A D E , I m a g e s e t s y m b o l e s 4 9

M . E L I A D E , T r a i t é 5 0

R . F L E I S C H E R , ^ 6H . G R A I L L O T , C y b è l e 7

L . L A C R O I X , R e p r o d u c t i o n s 9

A . L A U M O N I E R , C u l t e s 1 0

S . L U N A I S , R e c h e r c h e s 1 2

F r . M I L T N E R , E p h e s o s 1 5

C h . P I C A R D , E C 1 6

L . S E C H A N , P. L E V E Q U E , D i v i n i t é s 1 7H . T H I E R S C H , ^ 1 8H . T H I E R S C H , E E 1 9

AJA : Amer ican Journal o f ArchaeologyAnz Wien : Anzeiger der osterreichischen Akademie der Wissenschaften,

phi 1osophisch-historische KlasseCRAI : Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres• • ' '

OJH : Jahreshefte des osterreichischen archaologischen Inst i tutes in WienR A : R e v u e a r c h é o l o g i q u e

R E A : R e v u e d e s é t u d e s a n c i e n n e s

R E G : R e v u e d e s é t u d e s g r e c q u e s