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Direction des études Promotion 2006-2008 « Aristide BRIAND » « Options d’approfondissement » Groupe n° 10 : . « OPERATEURS PUBLICS ET CONCURRENCE » 4 élèves Février 2008 Exemplaire personnel de : M.

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Direction des étudesPromotion 2006-2008« Aristide BRIAND »

« Options d’approfondissement »

Groupe n° 10 :

.« OPERATEURS PUBLICS ET CONCURRENCE »

4 élèves

Février 2008

Exemplaire personnel de : M.

- Lettre de mission du groupe 10 -

Opérateurs publics et concurrence

Les autorités publiques, c’est-à-dire tant l’Etat que les collectivités territoriales, sont soumises au respect des principes de concurrence dans la conduite de leurs missions de service public. Ces principes relèvent à la fois du droit de la concurrence et du droit de la commande publique, et s’appliquent à toute entité publique intervenant sur un marché comme opérateur économique ou comme acheteur public.

Or, parce que là n’est pas leur objet, le droit de la concurrence et le droit de la commande publique sont en principe indifférents aux choix d’organisation interne des personnes publiques. Pourtant, cette liberté d’organisation s’exerce sous la contrainte de plus en plus exigeante du droit communautaire, dont l’objectif est d’ouvrir les marchés nationaux pour y garantir l’égal accès de toutes les entreprises. Or les notions communautaires d’« entreprise » ou de « marché concurrentiel » ne tiennent pas compte de la nature publique ou privée des entités considérées.

L’extension continue du champ d’application du droit de la concurrence d’une part, l’extension des obligations de mise en concurrence des opérateurs publics avec les opérateurs privés d’autre part, ne sont donc pas sans conséquences sur les choix nationaux en matière d’organisation des services publics : choix des opérateurs, modes de financement, fixation des obligations de service public, procédures de dévolution etc.

Les administrations sont donc amenées à redéfinir leurs relations avec les opérateurs publics. Les exigences communautaires de transparence et d’égalité de traitement affectent en effet les statuts et les modalités de recours à ces opérateurs lorsqu’ils interviennent sur le marché, notion dont les frontières peuvent apparaître incertaines.

Les modalités de l’action publique sont affectées par l’extension du champ d’application du droit de la concurrence :

La première question qui se pose est celle du degré de liberté dont bénéficient les opérateurs publics pour se livrer à des activités considérées comme économiques.

D’une part, lorsqu’ils le font, leur soumission au droit commun de la concurrence peut se traduire par des contraintes spécifiques, notamment par le biais du contrôle des aides d’Etat, au point que l’on peut se demander si la personnalité publique, voire la simple propriété publique de l’opérateur ne peuvent pas, dans certaines situations, constituer en elles-mêmes des aides d’Etat. Par ailleurs, l’obligation de séparation comptable entre les activités concurrentielles et les autres peut se transformer en obligation de séparation organique.

D’autre part, le contrôle des aides d’Etat et le principe de compensation stricte du coût des obligations de service public entrent en contradiction avec la logique de subventionnement de certains opérateurs publics.

L’extension des obligations de mise en concurrence et les nouvelles règles de la commande publique affectent elles aussi les opérateurs publics :

L’extension du champ des activités soumises à la mise en concurrence remet en question la capacité pour les autorités publiques de faire librement appel à un opérateur public, même créé dans ce but. Cette contrainte est renforcée par l’extension de la notion de pouvoir adjudicateur, qui implique une extension du champ d’application de la législation sur les marchés publics.

Par ailleurs, certaines formes de dévolution des services publics, par délégation de service public ou par attribution unilatérale de droits exclusifs, sont remises en question, puisque même en dehors du champ des marchés publics, les principes généraux du traité créent aussi des contraintes supplémentaires.

Face à ces difficultés, les voies pour échapper aux obligations de mise en concurrence semblent pour le moment étroites et incertaines : soit du fait de modalités particulières d’organisation de la relation entre l’autorité publique et l’opérateur public (opérateurs « internes » dans le cadre de la notion de « in house ») ; soit du fait de la nature particulière de l’activité de SP qui est confiée à l’opérateur public (activités considérées comme « non économiques »).

Sur toutes ces questions, le rapport s’attachera :

- à dégager, à partir d’une analyse de l’état du droit, les points qui posent problème, notamment les divergences entre droit interne et droit communautaire, ainsi que les potentielles évolutions juridiques ;

- à prendre la mesure des contraintes que représente, pour toutes les formes d’opérateurs publics et toutes les formes de relations avec leurs autorités de tutelle, la prise en compte des droits de la concurrence et de la commande publique ;

- enfin, à explorer les pistes d’évolution envisageables tant des cadres légaux national et communautaire que des statuts des opérateurs publics et de leurs relations avec leurs autorités de rattachement.

Ces conclusions se baseront sur l’analyse de l’état du droit et des positions des acteurs concernés dans différents secteurs d’activité, ainsi que sur des comparaisons avec la situation dans d’autres pays européens, soumis eux aussi à un droit de la concurrence et un droit de la commande publique largement issus du droit communautaire.

Les opérateurs publics pris en considération ne devront pas être limités aux personnes morales de droit public. Il conviendra d’en préciser le champ en identifiant ceux qui sont le plus affectés par les droits de la concurrence et de la commande publique, notamment en y ajoutant les personnes « parapubliques » (associations, fondations) ou encore certaines formes de sociétés publiques.

SOMMAIRE

1 LES CHAMPS D’APPLICATION DES DROITS DE LA CONCURRENCE ET DE LA COMMANDE PUBLIQUE TENDENT À S’ETENDRE ET A CONVERGER 8

1.1 Le droit de la concurrence s’impose à tous les opérateurs publics exerçant des « activités économiques » ............................................................................................................................................................... 8

1.1.1 La légitimité des opérateurs publics à intervenir sur le marché est entendue de manière large ................. 8 1.1.2 Le droit de la concurrence s’applique à tous les opérateurs publics qui interviennent sur un marché ....... 9 1.1.3 Le droit de la concurrence connaît deux exceptions : les activités de puissance publique et certaines

modalités de mise en œuvre de la solidarité ............................................................................................................ 10

1.2 Le droit de la commande publique impose une mise en concurrence de tous les opérateurs présents sur un marché ................................................................................................................................................................... 13

1.2.1 Les obligations de publicité et de transparence sont de plus en plus contraignantes pour tous les acteurs économiques ............................................................................................................................................................ 13

1.2.2 L’obligation de mise en concurrence connaît des exceptions pour les opérateurs directement contrôlés par l’administration (in house) ou n’intervenant pas sur un marché concurrentiel .................................................. 16

1.3 La convergence des notions utilisées par les droits de la concurrence et de la commande publique n’est sans conséquences ....................................................................................................................................................... 18

1.3.1 Les champs d’application des deux droits semblent converger, car les notions utilisées sont similaires 19 1.3.2 Pour les opérateurs publics, application du droit de la concurrence et mise en concurrence sont liées. ... 22

2 IMPACT DES OBLIGATIONS DE LA CONCURRENCE SUR LES OPÉRATEURS PUBLICS 26

2.1 Le droit de la concurrence exige une égale concurrence entre opérateurs publics et privés ................... 26 2.1.1 Les relations entre administrations et opérateurs publics sont encadrées par les règles de financement

des services d’intérêt économique général .............................................................................................................. 26 2.1.2 Sur un marché, les opérateurs publics doivent s’interdire toute pratique anti-concurrentielle ................. 27

2.2 L’impact du droit de la commande publique .............................................................................................. 29 2.2.1 Dans leur forme actuelle, les SEM françaises ne peuvent bénéficier de l’exception in house ................. 29 2.2.2 De même, certains établissements publics ne peuvent non plus y prétendre ............................................ 30

3 PISTES D’ÉVOLUTION POUR ADAPTER LE RECOURS AUX OPÉRATEURS PUBLICS 32

3.1 Limiter l’extension du champ d’application du droit de la concurrence ................................................... 33 3.1.1 Recenser avec précisions les secteurs menacés par des contentieux ......................................................... 33 3.1.2 Obtenir des aménagements dans l’application du droit de la concurrence. .............................................. 34 3.1.3 Enfin, promouvoir une interprétation large du champ des activités « non économiques » fondées sur la

solidarité .................................................................................................................................................................. 35

3.2 Adapter les opérateurs publics au droit de la concurrence ......................................................................... 36 3.2.1 Adapter le statut des EPIC pour leur permettre de continuer à évoluer en environnement concurrentiel 36 3.2.2 Préparer l’ensemble des opérateurs publics en diffusant une culture de la connaissance des coûts ......... 37

3.3 Dans les secteurs soumis à la commande publique, utiliser au mieux la possibilité de recourir à un « opérateur interne » .................................................................................................................................................. 38

3.3.1 La formule de l’établissement public in house permet de prévenir les risques de gestion de fait ........... 38

3.3.2 La formule de l’établissement public in house est pertinente dans certains domaines (agences nationales, opérateurs culturels) ................................................................................................................................................. 39

3.3.3 Au niveau local : explorer la piste de sociétés publiques in house et mettre en concurrence les partenaires privés lors de la constitution des SEM .................................................................................................. 40

3.3.4 Certaines formes de coopération public-public pourraient être préservées de la mise en concurrence par une législation communautaire ............................................................................................................................... 41

3.4 Exploiter davantage les autres dérogations à la mise en concurrence ....................................................... 42 3.4.1 Mieux utiliser les droits exclusifs comme exception à l’obligation de mise en concurrence .................. 42 3.4.2 Certaines exceptions au CMP pourraient éventuellement faire l’objet d’une utilisation accrue .............. 43 3.4.3 Défendre pour l’administration la liberté de choix in fine de son délégataire .......................................... 43

INTRODUCTION

La montée en puissance du droit de la concurrence a trouvé sa consécration dans la décision du Conseil d’Etat Million et Marais de 1997 : ce droit s’applique à l’ensemble de l’action administrative, notamment lorsqu’une autorité publique intervient sur un marché concurrentiel.

Cette soumission au droit de la concurrence inquiète car elle implique des changements d’organisation profonds dont une illustration est la réforme en cours de l’association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). L’AFPA intervient en effet sur un marché totalement ouvert au droit de la concurrence depuis un contentieux initié en 2000 par la fédération de la formation professionnelle. Les opérateurs privés de ce secteur sont désormais en droit non seulement d’exiger que l’AFPA élabore loyalement ses tarifs, sans l’aide de subventions indues, mais également que les missions qui lui sont confiées par les pouvoirs publics soient mises en concurrence, ce qui sera fait à partir de 2009.

1- L’infiltration du droit économique est de plus en plus poussée

Un mouvement de libéralisation ciblé avait été engagé après l’adoption de l’Acte unique européen, concernant dans un premier temps les industries de réseau, à fort contenu de service public (télécommunications, transports, énergie…). Avec la multiplication des litiges, ce droit s’étend progressivement à d’autres secteurs traditionnellement réservés à la puissance publique. Depuis le début des années 1990, période qui correspond à l’achèvement du marché intérieur, plusieurs modes de gestion publique sont devenus la cible d’attaque pour non respect des lois du marché. Le contentieux des aides d’Etat, qui était resté marginal pendant plusieurs décennies, est désormais aussi important, en volume, que celui des ententes et abus de position dominante, et 30 % des litiges portés devant le conseil de la concurrence sont désormais des contentieux de la commande publique.

Le droit de la concurrence a pour particularité d’être un droit concret, pragmatique, qui examine chaque marché hic et nunc au regard de son objectif final de lutte contre les distorsions entre acteurs économiques. Il connaît peu de frontières stables et de secteurs sanctuarisés a priori, comme les activités purement régaliennes (police, justice, défense nationale). Relève de ce droit chaque segment d’activité considéré comme rentable et investi par des entrepreneurs, au risque de menacer la sécurité juridique des opérateurs publics.

Les exigences de libre concurrence sont détaillées dans deux corpus juridiques distincts : le droit de la concurrence et le droit de la commande publique. S’ils développent bien souvent des notions proches, ces deux corpus demeurent cependant autonomes. Le droit de la concurrence, est avant tout un droit de l’égale concurrence et sanctionne les comportements anticoncurrentiels des entreprises. Il repose sur les articles 81 à 89 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) qui prohibent les ententes et les abus de position dominante et encadrent les aides d’Etat, ainsi que sur le code de commerce. Le droit de la commande publique repose quant à lui sur des principes différents. En droit communautaire, il se fonde essentiellement sur le principe de non-discrimination. En droit interne, il comprend en outre des exigences d’efficacité et de rationalité de l’achat public. Ce droit de la commande publique est constitué du droit des marchés publics (directives 2004/18 et 2004/17 et code des marchés publics) et du droit des contrats qui associent l’administration à des opérateurs économiques (concessions au sens communautaire, délégations de service public, contrats de partenariats, contrats d’occupation du domaine public voire contrats de subvention français).

Ces règles s’immiscent désormais dans l’ensemble de la sphère publique. Les conséquences sont particulièrement fortes sur cette forme privilégiée d’organisation de l’action publique que

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sont les « démembrements de l’administration » : les opérateurs publics n’interviennent plus uniquement dans des sphères réservées.

2- Le droit public économique influe sur de nombreuses formes d’organisation

Parce que là n’est pas leur objet, le droit de la concurrence et le droit de la commande publique sont en principe indifférents aux choix d’organisation interne des personnes publiques. Pourtant, ils créent des contraintes qui influent sur les modalités d’exercice de leurs missions : choix des opérateurs, modes de financement, fixation des obligations de service public, procédures de dévolution etc. Confrontés aux exigences de la concurrence, ces opérateurs publics doivent évoluer. Par opérateurs publics, il faut entendre l’ensemble des personnes morales distinctes de l’Etat et des collectivités territoriales, qui contribuent à l’exécution de ses missions et dont l’objet est de se voir confier la réalisation de prestations ou de missions pour le compte de la puissance publique et qui sont, pour se faire, soumis à un certain contrôle de la puissance publique.

Relèvent donc de cette catégorie l’ensemble des personnes morales de droit public autres que l’Etat et les collectivités territoriales, en particulier tous les établissements publics (établissements publics administratifs, EPA et établissements publics industriels et commerciaux, EPIC). Même si leur nature est ambivalente, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) constituent une forme d’opérateurs publics1. Parmi les personnes morales de droit privé, sont des opérateurs publics les associations parapubliques et certaines sociétés publiques2 : les sociétés d’économie mixte (SEM), instruments des collectivités territoriales et les sociétés nationales titulaires d’une mission de service public.

3- L’objectif de ce rapport est d’identifier les menaces qui pèsent sur certains opérateurs publics et les moyens à mettre en œuvre pour y faire face.

Il est démontré dans la première partie de ce rapport qu’un secteur d’activité soumis au droit de la concurrence sera conduit, à la demande de ses acteurs, à développer des procédures de mise en concurrence pour les missions dévolues par l’administration. La convergence des droits de la concurrence et de la commande publique est en cours dans les jurisprudences communautaires et internes. Elle se constate en pratique dans des domaines traditionnels d’intervention de l’Etat et des collectivités (formation professionnelle des adultes, mutuelles de la fonction publique, etc.).

Les exigences de ces deux droits ont des conséquences sur la relation qu’entretiennent les administrations publiques avec leurs opérateurs ainsi que sur les opérateurs eux-mêmes.

Pour pallier ces difficultés, plusieurs adaptations du droit et des pratiques seront proposées. Il s’agira de négocier des aménagements auprès des autorités communautaires, de s’adapter aux critères dérogatoires de l’opérateur interne (in house) et d’utiliser pleinement le pouvoir discrétionnaire dont dispose toujours l’administration dans certains domaines.

1 Les EPCI à fiscalité propre ont sans doute vocation, à terme, à devenir des collectivités territoriales. Sous leur forme actuelle, ils peuvent être considérés comme des opérateurs agissant pour le compte de leurs membres. 2 Les sociétés publiques sont les sociétés détenues à plus de 50 % par les collectivités publiques. Voir CE, 6 décembre 1996, Société Lambda.

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1 LES CHAMPS D’APPLICATION DES DROITS DE LA CONCURRENCE ET DE LA COMMANDE PUBLIQUE TENDENT À S’ETENDRE ET A CONVERGER

Le recours à des opérateurs publics est de plus en plus soumis aux exigences tant du droit de la concurrence que du droit de la commande publique, parce que leurs champs d’application sont entendus de manière extensive.

1.1 Le droit de la concurrence s’impose à tous les opérateurs publics exerçant des « activités économiques »

1.1.1 La légitimité des opérateurs publics à intervenir sur le marché est entendue de manière large

Le droit communautaire n’émet pas de condition de principe à l’intervention d’une entité publique sur un marché : elle peut intervenir de la même façon qu’un opérateur privé, sans restrictions particulières (neutralité du droit communautaire au sens de l’article 295 TCE). Au nom du principe de neutralité, les autorités communautaires laissent également libres les opérateurs publics, en charge d'activités sous monopole, de créer des filiales intervenant dans des activités concurrentielles.

En droit interne, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie encadre cette intervention pour les personnes publiques. Bien que régulièrement assoupli depuis ses premières formulations (CE, 29 mars 1901, Casanova et CE, 30 mai 1930, Commerce en détail de Nevers), le principe d’une justification spécifique de toute intervention économique des personnes publiques demeure. Ces dernières ne peuvent « prendre en charge une activité économique […] que dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie et du droit de la concurrence » ; « pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée »3. Les articles L. 2251-1 et L. 3231-1 du CGCT rappellent d’ailleurs le principe de liberté du commerce et de l’industrie et limitent l’intervention économique des communes à l’existence d’un intérêt public local.

Pour autant, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, comme le principe de spécialité, ont toujours été appliqués avec souplesse. L’intérêt public est compris au sens large et de manière extensive, la carence de l’initiative privée n’étant plus qu’une des justifications de l’intervention publique. Cette conception ouverte peut être illustrée par l’avis n°99A21 du Conseil de la Concurrence, selon lequel l’intervention publique peut être justifiée par la volonté « d’améliorer la rentabilité des investissements et la productivité des services ».

De ce fait, le principe de liberté du commerce et de l’industrie ne constitue plus, aujourd’hui, une réelle limitation à la légitimité des opérateurs publics à intervenir sur un marché.

3 CE, section, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence.8

1.1.2 Le droit de la concurrence s’applique à tous les opérateurs publics qui interviennent sur un marché

Le droit de la concurrence est indifférent à l’organisation interne des entités. Pour l’appliquer, seule compte la nature de l’activité.

Les entités publiques sont, au même titre que les entités privées, susceptibles d’être soumises au droit de la concurrence. Le chapitre 1 du titre VI du TCE, intitulé « Les règles de concurrence » (articles 81 à 89), s’applique aux « entreprises », qualification qui vaut pour toute « entité qui exerce une activité économique indépendamment du statut de cette entité et de son mode de financement »4. Par ailleurs, le fait que l’organisme soit à but non lucratif n’exonère pas à lui seul de la qualification d’entreprise. Tant la Commission que la CJCE le rappellent fréquemment5. Comme le droit communautaire, le droit interne a donc une approche fonctionnelle et non organique, s’intéressant à l’exercice d’une activité économique en dehors de toute référence « à la qualité de l’opérateur ou à la forme selon laquelle il intervient »6.

La Cour ne s’attache pas à la nature de l’entité pour la qualifier d’entreprise, mais examine la nature de ses activités, en cherchant à savoir si elles présentent un caractère économique. Constitue une « activité économique » toute activité qui consiste à :

- 1) offrir des biens et des services ; - 2) sur un marché7.

La nature de l’activité est donc appréciée en prenant en compte la manière dont elle est exercée : si l’opérateur public exerce son activité « sur un marché », c’est-à-dire comme le ferait un acteur privé à but lucratif, il exerce une activité économique. L’importance prise par le comportement de l’entité pour apprécier s’il s’agit d’une entreprise est bien illustrée par l’arrêt Albany, à propos d’un fonds de pension complémentaire néerlandais : du fait que ce dernier « détermine lui-même le montant des cotisations et des prestations » et que « le montant des prestations dépend des résultats financiers des placements qu'il effectue et pour lesquels il est soumis, à l'instar d'une compagnie d'assurances, au contrôle de la chambre des assurances », il « exerce une activité économique en concurrence avec les compagnies d'assurances »8.

La définition d’une activité économique a ainsi été entendue de manière extensive par la Cour. En effet, pour qualifier une activité d’économique, la Cour examine si cette activité est non seulement effectivement exercée, mais même simplement susceptible d’être exercée, du moins en principe, par un opérateur privé dans un but lucratif. Dans l’arrêt Höfner précité, la Cour rappelle qu’il existe des bureaux de placement de cadres qui effectuent une activité similaire à celle de l’agence pour l’emploi allemande.

Le droit interne utilise une conception similaire, retenant « toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait des personnes publiques, notamment dans le cadre des conventions de délégations de services publics » dans l’article 53

4 CJCE, 23/04/1991, Höfner et Elner c/Macrotron5 Voir par exemple Commission européenne, décision 92/521/CEE du 27 octobre 1992, dans une affaire concernant la distribution de forfaits touristiques lors de la Coupe du monde de football, en 1990 : « constitue une activité économique toute activité, même en dehors de la recherche de bénéfices, qui participe aux échanges économiques ».6 CA Paris, Académie d’Architecture, 8 février 20007 Par sa grande simplicité, le considérant de l’arrêt du 16 juin 1987, Commission c/ Italie, montre bien que cela emporte une soumission large des activités des entités publiques au droit de la concurrence : «L’Etat peut agir soit en exerçant l’autorité publique, soit en exerçant des activités économiques de caractère industriel ou commercial consistant à offrir des biens et services sur un marché ».8 CJCE, 21/09/1999, Albany, aff C-67/96, considérants 82 à 85.

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de l’ordonnance du 1er décembre 1986, aujourd’hui codifié à l’article L. 410-1 du Code de commerce.

Dans son avis du 12 juillet 2004 Service Emploi Entreprises (avis n° 04-A-13), le Conseil de la concurrence utilise la notion de « marché qui fonctionne de manière concurrentielle » . Le titre emploi-entreprise, dispositif simplifié de bulletin de paie géré par l’ACOSS, était contesté par les experts comptables et les sociétés de service spécialisées dans la gestion de la paie. Pour le Conseil de la concurrence, le titre emploi-entreprise, i.e. l’établissement d’un bulletin de salaire, qui est une obligation de droit privé, « est un service marchand pour lequel un marché existe et fonctionne de manière concurrentielle ». On retrouve ainsi le raisonnement de la CJCE, qui s’interroge sur la présence d’acteurs potentiels sur le marché.

Pour les opérateurs publics, cette acception large de la notion d’entreprise et la large extension du champ d’application du droit de la concurrence qui en résulte font qu’il n’est pas toujours évident de prendre conscience du fait qu’une partie de l’activité à laquelle ils se livrent constitue une activité économique.

1.1.3 Le droit de la concurrence connaît deux exceptions : les activités de puissance publique et certaines modalités de mise en œuvre de la solidarité

A ce stade semblent se dégager deux catégories d’opérateurs qui échappent au droit de la concurrence : les organismes exerçant des prérogatives de puissance publique et une partie des opérateurs actifs dans le champ social et éducatif. Ils ne sont pas considérés comme des entreprises, et échappent donc à l’application du droit de la concurrence, car ils ne sont pas regardée comme exerçant une activité « économique », i.e. une activité marchande.

La Commission en a d’ailleurs tiré les conséquences dans sa communication du 20 novembre 2007 sur les services d’intérêt général, rappelant que les « services non économiques », qui « comprennent par exemple les prérogatives étatiques traditionnelles, telles que la police, la justice et les régimes légaux de sécurité sociale, ne sont soumis ni à une législation communautaire spécifique, ni aux règles du traité relatives au marché intérieur et à la concurrence ».

Les explications théoriques à l’exclusion de ces activités du champ d’application du droit de la concurrence sont à rechercher dans le fait qu’elles ne correspondent pas aux critères traditionnels de l’activité marchande au sens du droit de la concurrence, car elles ne sont pas une « fourniture de biens et services » (c’est le cas des activités de puissance publique, comme la production de normes) ou ne sont pas réalisées sur un marché (c’est le cas des prestations sociales de solidarité, parce qu’il n’y a pas de réelle contrepartie). D’une manière plus générale, il est possible de voir, avec le professeur Decocq, que ces activités ont en commun de ne pas se prêter à un échange onéreux symétrique. Ainsi, la solidarité nationale exclut le droit de la concurrence car elle implique une « obligation d’entraide »9.

Par ailleurs, le critère de « l’exercice de la puissance publique » est utilisé dans d’autres domaines pour définir des exemptions à l’application du droit communautaire (ouverture des fonctions publiques, accès aux élections locales, limites à la liberté de circulation des travailleurs).

9 Souligné par l’auteur, in M-A. Frison-Roche et M-S. Payet, Droit de la concurrence, Dalloz, 2006, p 8210

1.1.3.1 L’exercice des prérogatives de puissance publique (édiction de normes, contrôle, usage de la contrainte) n’est pas soumis au droit de la concurrence

Il importe tout d’abord de distinguer l’entité en cause et les actes qu’elle édicte. Une entité qui exerce des prérogatives de puissance publique sera exclue du champ d’application du droit de la concurrence. En revanche, les actes pris par elle dans l’exercice de ces prérogatives de puissance publique sont logiquement soumis au respect des règles de la concurrence. Dans ce cas, ces règles ne constituent qu’un élément du bloc de légalité. La puissance publique, en tant qu’elle est garante de la légalité, est garante du bon fonctionnement du marché, et c’est à ce titre que ses actes normatifs sont soumis au respect du droit de la concurrence. Cette obligation, désormais bien encadrée, ne correspond pas directement à la problématique des opérateurs publics face à l’extension du champ d’application du droit de la concurrence (voir sur ce point l’ANNEXE n°3).

L’exercice de prérogatives de puissances publiques par un opérateur, lorsque ces activités ne sont pas détachables du reste des activités, a pour effet de placer cet opérateur hors du champ d’application du droit de la concurrence. Ce principe a été posé par la CJCE dans l’arrêt du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft c/Eurocontrol. Eurocontrol, organisation internationale chargée du contrôle aérien en Europe, assure « des missions d’intérêt général » ; son activité relative à la perception des redevances n’étant pas détachable des autres activités, la Cour conclut que « prises dans leur ensemble, les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique. Elles ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité ».

C’est l’exercice des prérogatives de puissance publique qui fait échapper au champ du droit de la concurrence, et non la nature de l’opérateur. L’activité de surveillance et d’intervention rapide destinée à protéger le domaine maritime contre les pollutions dues aux déversements accidentels d’hydrocarbures dans la mer, parce qu’elle se rattache par sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise à l’exercice de prérogatives relatives à la protection de l’environnement, « qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique », ne présente pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité, même si elle est confiée à un opérateur privé10.

Ce premier champ d’exceptions à l’application du droit de la concurrence est ainsi bien délimité tant en droit interne qu’en droit communautaire, car il correspond aux activités « purement régaliennes ». C’est le cas des missions de contrôle, de surveillance et de régulation, comme par exemple pour les agences financières de bassin, EPA dont la mission consiste, en vertu de la loi, à veiller à l’équilibre des ressources et des besoins en eau dans un bassin ou groupe de bassins déterminé11, ou encore des missions de recouvrement de cotisations obligatoires12.

Une analyse plus fine est nécessaire dans les cas d’opérateurs « à double visage » , pour lesquels il convient de distinguer, au sein d’une même entité, les activités d’entreprise et les 10 CJCE, 18/03/1997, Calì&Figli c/ Servizi ecologici Porto di Genova11 CE, 1er juin 1994, Letierce : « Considérant [...] que les règles fixées à l’article 90 du traité de Rome ne concernent que les « entreprises » [...] ; qu’en jugeant que la mission des agences financières de bassin ne consiste pas à intervenir sur un marché de biens ou de services et que ces agences ne constituent ainsi pas des « entreprises » et échappent dès lors au règles fixées par l’article 90 susmentionné, la Cour [d’administrative d’appel] n’a pas commis d’erreur de droit ».12 Voir, pour les URSSAF : Conseil de la concurrence, décision 03-D-48 du 22/10/2003.

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activités de puissance publique. Pour Aéroport de Paris, cela revient à traiter différemment les activités de gestion de l’aéroport et les activités administratives de régulation13. De même, lorsqu’une entreprise publique exerce à la fois une mission de service public et une activité de production, le Conseil de la concurrence est compétent pour connaître des activités commerciales ne mettant en jeu aucune prérogative de puissance publique14.

1.1.3.2 Certaines modalités de mise en œuvre de la solidarité ne sont pas des activités économiques

Ce deuxième ensemble « hors marché » du point de vue du droit de la concurrence a été défini en 1993 par la CJCE à propos de certaines prestations de sécurité sociale, dans l’arrêt Poucet et Pistre15 : « Les caisses de maladie ou les organismes du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social. Cette activité est, en effet, fondée sur le principe de la solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif. Les prestations versées sont des prestations légales et indépendantes du montant des cotisations. Il s’ensuit que cette activité n’est pas une activité économique et que, dès lors, les organismes qui en sont chargés ne constituent pas des entreprises au sens des articles 85 et 86 du Traité CE ».

C’est un faisceau d’indices qui détermine si le principe de solidarité est prédominant ou non dans le fonctionnement de ces activités, et non le caractère social des activités qui suffirait à exonérer l’entité de l’application du droit de la concurrence. Le caractère obligatoire de l’affiliation et l’absence de lien entre montant des cotisations et qualité des prestations paraissent déterminants16. Ainsi, l’institut national italien d’assurance contre les accidents du travail (INAIL) est soumis au contrôle de l’Etat, lequel fixe le montant des cotisations et impose une affiliation obligatoire. Il fonctionne donc selon le principe de la solidarité nationale et la Cour exclut que l’INAIL exerce une activité économique et le droit de la concurrence soit applicable17. En revanche, les organismes gérant un régime de retraite complémentaire et facultatif peuvent être qualifiés d’entreprises18.

Les mêmes critères sont retenus en droit interne, que ce soit par les juridictions administratives19 ou par les autorités de la concurrence, puisque la Cour de cassation se fonde sur la finalité sociale des régimes de sécurité sociale pour les exclure du champ d’application du droit de la concurrence20.

Selon un raisonnement similaire, la CJCE a par ailleurs considéré que l ’enseignement public lui non plus n’était généralement pas une « activité économique » 21. Les cours dispensés dans le cadre d’un système d’éducation nationale ne sont pas des « rémunérations » en contrepartie de

13 CJCE, 24 octobre 2002, Aéroports de Paris14 Voir décision 03-D-18 du 10 avril 2003 sur l’activité de cession de droits de diffusion du fonds audiovisuel de l’Institut National de l’Audiovisuel15 CJCE 17/02/1993, Poucet et Pistre, aff jointes C-159/91 et C-160/91.16 Voir les conclusions de l’avocat général Poiares Maduro présentées le 10 novembre 2005 et relatives à l’arrêt TPI, 4 mars 2003, FENIN, aff. T-319/99.17 CJCE, 22 janvier 2002, Cisal, aff. C-218/0018 Est par exemple une entreprise « un organisme à but non lucratif gérant un régime d’assurance vieillesse destiné à compléter un régime de base obligatoire, institué par la loi, à titre facultatif et fonctionnant dans le respect de règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d’adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de la capitalisation » (CJCE, 16/11/1995, FFSA).19 Voir par exemple CE, 12/02/1997, Fédération des mutuelles de France ou CE, 10/11/1999, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique et autres.20 Cass. Com. Ledu c/ CANCAVA, 06/04/1993 ; Cass. Com. Bonet c/ CANCAVA, 12/07/1993.21 Certes, dans ce cas, le questionnement est mené par rapport à la liberté de prestation de services et non au droit de la concurrence des articles 81 et suivants en tant que tel, mais les modes de raisonnement sont identiques et il est possible de penser que les effets le sont aussi ; voir ci-dessous le 1.3.1.

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« prestations », dans la mesure où « l’Etat n’entend pas s’engager dans des activités rémunérées, mais accomplit sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif » et, où le système « est, en règle générale, financé par le budget public », l’existence d’une contribution des élèves ou de leurs parents n’affectant pas la nature de cette activité22. La Cour a par la suite précisé que les cours dispensés par des établissements « financés pour l’essentiel par des fonds privés, notamment par les étudiants ou leurs parents, et qui cherchent à réaliser un bénéfice commercial » sont des services marchands23. Ainsi, de la même manière que dans le cas des prestations d’assurance sociale, ce sont les modalités particulières d’organisation des services sociaux en cause qui leur font perdre leur caractère d’activité économique.

De ces deux ensembles de jurisprudence se dégage l’idée que certaines des modalités de mise en œuvre de la solidarité, notamment nationale, échappent au droit de la concurrence. Bien qu’il soit difficile d’énoncer des critères sûrs, on retrouve néanmoins dans les deux cas :

- d’une part l’implication de la puissance publique dans la définition des modalités d’exercice de la solidarité ;

- d’autre part l’absence de relation directe entre prestation et rémunération, c’est-à-dire de « contrepartie » marchande .

1.2 Le droit de la commande publique impose une mise en concurrence de tous les opérateurs présents sur un marché

1.2.1 Les obligations de publicité et de transparence sont de plus en plus contraignantes pour tous les acteurs économiques

Le droit de la commande publique se traduit, essentiellement, par l’affirmation des principes de transparence et de non-discrimination comme par la détermination d’obligations procédurales de publicité et de mise en concurrence, plus ou moins contraignantes. D’ailleurs, le libre accès à la commande publique est en France un principe à valeur constitutionnelle24.

1.2.1.1 Le droit communautaire utilise une définition extensive des marchés publics, complétée par des obligations a minima pour les concessions

Le droit applicable repose essentiellement sur deux directives : la directive n°2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services et la directive n° 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. Ces directives retiennent une conception large du pouvoir adjudicateur (cf. ANNEXE 4) qui conduit à considérer la plupart des opérateurs publics comme des pouvoirs adjudicateurs.

Les autorités européennes retiennent également une définition extensive de la notion même de marché public qui désigne un ensemble de procédures contractuelles plus large que celui admis

22 CJCE Humbel, 27/09/1988, aff C-263/86.23 CJCE Wirth, 07/12/1993, aff C-109/92.24 Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 constitutionnalisant les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement et de transparence des procédures (considérants 10 et 18).

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en droit français25. La Cour de justice a ainsi jugé, dans l’affaire dite « affaire de la Scala »26, qu’une convention d’aménagement d’un quartier, avec la réalisation d’équipement publics constituait un marché public de travaux.

Depuis l’arrêt Telaustria (07/12/2000, aff C-324/98), la Cour tend à imposer des exigences minimales de transparence et de non-discrimination pour l’ensemble de la commande publique. Bien qu’exclues du champ des directives (à l’exception des concessions de travaux), les concessions, au sens du droit communautaire27, restent soumises au droit primaire et à ses grands principes, en particulier le principe de non-discrimination en raison de la nationalité. Cela « implique, notamment, une obligation de transparence » consistant « à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication ». La Commission, dans une communication du 29 avril 2000 (JOCE C 121 du 29.04.2000) rappelle également les dispositions communautaires applicables aux concessions : l'égalité de traitement (des règles du jeu connues de tous, et appliquées de manière uniforme), la transparence (un degré de publicité adéquat), la proportionnalité (interdiction d’exigences disproportionnées ou excessives dans le cahier des charges) et enfin la reconnaissance mutuelle.

Concernant la mise en oeuvre de l'arrêt Telaustria, dans des conclusions récentes, l'avocate générale Mme SHARPSTON (CJCE, 13 juillet 2007, Commission contre Italie concernant des concessions de paris hippiques et CJCE, 26 avril 2007, Commission contre Finlande concernant des contrats de marchés publics) considère que le degré de " publicité adéquate " doit s'apprécier au regard de la l'état de la concurrence du marché concerné, et n'implique pas nécessairement une publication. Elle en déduit que des contacts directs avec des candidats potentiels peuvent dans certains cas être suffisants. Au regard de cette analyse, la conception française de la procédure adaptée apparaît particulièrement contraignante.

Avec l’arrêt Ben Mousten Vestergaard de décembre 2001 , la Cour impose ces mêmes exigences minimales à la plupart des dérogations prévues par les directives. Il est ainsi des marchés dont le montant est inférieur aux seuils d’application des directives28. La communication de la Commission du 23 juin 2006 rappelle ainsi les obligations qui s’imposent aux marchés non soumis ou partiellement soumis aux directives. Elle détaille notamment les moyens de répondre à l’obligation de publicité adéquate, rappelant que cette obligation ne s’applique qu’aux marchés présentant un intérêt communautaire29 (voir sur ce point l’ANNEXE 6 relative au projet de directive sur les concessions).

1.2.1.2 Pour les opérateurs économiques français, la mise en concurrence est la règle « dès le premier euro »

La liberté de l’acheteur public est aussi contrainte par la transposition du droit communautaire, qui a conduit la France à réformer le code des marchés publics en 2001 , puis en 2004 et enfin en 2006 . Pour assurer sa bonne diffusion, le ministère de l'économie, des finances

25 La directive 2004/18 les définit (article 1er, point 2a) comme « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ».26 CJCE, 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti delle Province di Milano e Lodi27 En droit communautaire, une concession est un marché public, « à l'exception du fait que la contrepartie des travaux (ou des services) consiste soit uniquement dans le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service, soit dans ce droit assorti d'un prix. » (Directive 2004/18, article 1er point 3).28 CJCE, décembre 2001, affaire C-59/00, Ben Mousten Vestergaard29 Communication interprétative de la Commission relative au droit communautaire applicableaux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives «marchés publics», 23 juin 2006.

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et de l'industrie a publié un manuel d’application par le biais d’une circulaire en janvier 200430. Compte tenu de son importance (87 Mds d'euros, soit environ 5% du PIB en 2006), l’ensemble du secteur des marchés publics est sous étroite surveillance des instances communautaires. Enfin, seules certaines personnes publiques étant soumises au code des marchés français, une ordonnance spécifique31 ainsi que différentes lois sectorielles32 viennent le compléter pour les entités répondant aux critères européens du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice (comme de nombreux EPIC33).

Même en dessous des seuils, l’acheteur public est tenu de mettre les opérateurs en concurrence « dés le premier euro » , en vertu de la « procédure adaptée » introduite en droit interne en 200534. Cette nouvelle obligation, qui doit rester « proportionnée aux enjeux » mais n’a pas été clairement définie, menace la sécurité juridique de tous les marchés de gré à gré passés par les petites collectivités publiques, qui ont alors multiplié les guides de procédures internes pour s’y conformer. Dans sa décision Région Nord Pas de Calais du 7 octobre 2005 , le Conseil d’Etat a d’ailleurs posé des exigences pour ces marchés inférieurs au seuil de 90 000 € presque aussi fortes que celles qui existent pour les procédures formalisées, exerçant un contrôle approfondi sur les choix de support et de contenu de la publicité. Pour le marché de prestations de programmation pour l'antenne du Louvre à Lens, la publicité réalisée (la Voix du Nord, le site Internet de la région et le Moniteur des travaux publics) ne correspondait pas au marché concerné, les programmistes potentiellement intéressés exerçant leur activité sur un marché européen. En l'espèce, une publication au JOCE aurait été sans doute adaptée. La méthode décrite par le Conseil d'Etat invite tous les acheteurs publics à déterminer avec précision, à partir de l'objet du marché, le secteur concurrentiel concerné. Cette étude de marché, qui s'apparente à la recherche de concurrents potentiels, est en parfaite ligne avec l'objectif du respect du droit de la concurrence.

Pour les délégations de service public, la France est en avance sur le droit communautaire depuis la loi Sapin du 29 janvier 1993. Ainsi que le rappelle avec force l’arrêt Commune d’Aix en Provence du 6 avril 2007, tous les contrats de délégation doivent être mis en concurrence avec publicité préalable35, tant par l’Etat que par les collectivités locales, avant une libre discussion avec les candidats et le libre choix du délégataire « intuitu personae ». Aux termes de la loi du 11 décembre 2001, la délégation de service public désigne l'ensemble « des contrats par lesquels une personne de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service », le critère de la rémunération tirée de l’exploitation les distinguant des marchés de services. Néanmoins, la mise en concurrence est indépendante du niveau de participation de l’usager, la règle du financement « substantiel » du service par l’activité n’étant, par exemple, pas prise en compte par la Chambre régionale des comptes d’Ile de France pour l’application de la loi Sapin36.

30 Circulaire du 7 janvier 2004 publiée au JORF n°6 du 8 janvier 2004 31 Ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.32 Les dispositions des directives sont transposées, pour les personnes non soumises au code des marchés publics, par la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés modifiée par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite loi MURCEF, et par la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie et des transports.33 Mais aussi la Banque de France, des GIP, des GIE et certaines associations dans la mesure où ces organismes répondent à la définition de « pouvoir adjudicateur » au sens du droit communautaire.34 Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, modifiée par la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006. 35 Lorsque les collectivités publiques décident de confier un service public à un tiers, et « sauf si un texte en dispose autrement », « elles doivent en principe conclure avec un opérateur (…) un contrat de délégation de service public (…) ou un marché public de service »36 « Substantiel » ne signifiant par « majoritaire », et s’apprécie en fonction de l’activité de manière très souple

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En matière d’occupation domaniale, l’avis du conseil de la concurrence n° A4-A-19 du 21 octobre 2004 (sur la distribution de journaux gratuits) recommande que ces contrats fassent l’objet d’une révision régulière, avec une mise en concurrence, dès que les bénéficiaires évoluent sur un marché concurrentiels.

Le principe général est donc qu’un pouvoir adjudicateur, lorsqu’il fait appel à un opérateur externe à titre onéreux, doit organiser une mise en concurrence.

1.2.2 L’obligation de mise en concurrence connaît des exceptions pour les opérateurs directement contrôlés par l’administration (in house) ou n’intervenant pas sur un marché concurrentiel

Les directives de 2004 et le code des marchés ont prévu des exceptions très limitées à l'obligation de mise en concurrence ; il s'agit essentiellement des prestations pour lesquelles un marché concurrentiel n'existe pas : besoins très spécifiques de l'administration, oeuvre d'art, achat et location d'immeubles déjà bâtis, etc37 (voir détails en ANNEXE 5).

Selon une logique similaire, la jurisprudence a introduit deux cas de figure plus généraux dans lesquels la mise en concurrence n'a pas lieu d'être : d'une part, l'existence d'un opérateur si étroitement contrôlé par l'administration qu'il peut être regardé comme un mode de production interne, en quasi régie (in house), et d’autre part l'absence d'activité économique justifiant une mise en concurrence. La philosophie de ces deux exceptions est la même : il s'agit d'exceptions qui ne lèsent personne parce qu’il n’existe pas, pour le service considéré, de marché concurrentiel. Elles ne peuvent être regardées comme des entorses au fonctionnement normal du marché.

1.2.2.1 Les opérateurs sous contrôle direct (in house) n’ont pas à être mis en concurrence

Lorsque l’opérateur n’a pas de personnalité juridique distincte , il n’existe aucune obligation de mise en concurrence : l’administration peut traditionnellement se fournir en interne (CE 29 avril 1970, Société Unipain). Le droit communautaire n’impose d’ailleurs pas non plus de mise en concurrence lorsque sont en cause deux services relevant d’un même pouvoir adjudicateur (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, C-2603).

La jurisprudence de la CJCE sur les prestations « en interne » définit le cadre très strict dans lequel les opérateurs créés par les collectivités publiques peuvent être considérés comme des services internes de l’administration. Dans cette situation, les collectivités peuvent librement faire appel à leurs prestations sans avoir à organiser une mise en concurrence. Ainsi, dans l’affaire Teckal38, la question qui se posait à la Cour était de savoir si une commune pouvait recourir librement aux prestations d’un groupement intercommunal auquel elle participait sans avoir à le mettre en concurrence avec des opérateurs privés. A cette occasion, elle a défini les deux conditions cumulatives qui autorisent un pouvoir adjudicateur à recourir aux prestations d’un opérateur qui sera considéré comme un opérateur interne à l’administration (« in house ») :

- il doit exercer sur lui un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, - et l’opérateur doit consacrer l’essentiel de ses activités au pouvoir adjudicateur.

37 Voir notamment les articles 14 à 16 de la directive 2004/18.38 CJCE, 18/11/1999, Teckal, aff C-107/98.

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C’est donc la notion d’autonomie de la volonté des parties qui constitue le critère de référence pour distinguer le prestataire in house du prestataire extérieur à l’administration39.

En France, le Conseil d’Etat applique également cette exception. Est in house : - un « organisme dont l’objet statutaire exclusif est, sous réserve d’une diversification

purement accessoire, de gérer ce service »,- si les collectivités « exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu’elles

exercent sur [ses] propres services »40.Il faut noter que le Conseil d’Etat admet explicitement la possibilité d’un contrôle comparable

collectif, que la CJCE n’a pas encore énoncé.

1.2.2.2 Les opérateurs qui ne sont pas sur un marché concurrentiel n’auraient pas non plus à être mis en concurrence

Selon le Conseil d’Etat, les collectivités n’ont pas d’obligation de publicité lorsque, « eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquels il l’exerce, le tiers auquel elles s’adressent ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentie l » (CE 6 avril 2007, Commune d’Aix en Provence, 4ème considérant). Pour cette exception, les deux critères dégagés par le Conseil d’Etat sont donc :

- d’une part la « nature de l’activité » ;- d’autre part les « conditions particulières » d’exercice de cette activité.

Selon J. BOUCHER et F. LENICA, cette exception recouvre plusieurs hypothèses41 :

A/ Il s’agit tout d’abord de l’hypothèse où l’activité de l’opérateur public n’est pas une « activité économique ». Ainsi, dans l’avis sur les activités de la Fondation Jean-Moulin du 23 octobre 2003, le Conseil d’Etat relève que les « prestations à caractère non purement marchand » (crèches, restauration, centre de vacances, etc.), proposées aux agents du ministère de l’intérieur, ne présentent pas, « dans les conditions où elles sont mises en œuvre », le caractère « d’une activité économique ». On semble tendre vers un cumul de deux notions traditionnelle s . La notion d’« activité économique » rejoint celle du droit de la concurrence42, alors que la notion des « conditions d’exercice » rejoint les critères du service public administratif, qui n’est cependant pas cité expressément, en se référant au contexte administratif dans lesquels elles s’insèrent43.

L’application de ces deux critères, par faisceau d’indices, semble peu aisée . Par exemple, la Mission d’Appui aux contrats de partenariats publics-privés peut recevoir par décret, sans mise en concurrence, une mission exclusive de conseil aux collectivités locales pour la préparation de ces contrats car la mission d’ « appui dans la négociation des contrats » n’emporte pas d’« intervention sur un marché »44. Cependant, le Conseil n’apporte aucune justification à l’appui de cette déclaration.

39 Voir, notamment, les conclusions de l’avocat général LEGER pour l’affaire ARGE, CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-94/99.40 CE 6 avril 2007, Commune d’Aix en Provence, 5ème considérant.41 AJDA 21/05/2007, « Chroniques », p. 1020.42 Dans l’affaire de la Fondation Jean-Moulin, il s’agit d’une offre de service qui va au-delà des services « disponibles et directement accessibles, en terme de localisation et de prix, sur le marché », avec des « conditions d’octroi et de tarification [qui] les rendent accessibles à l’ensemble des agents, en particulier ceux à revenu modeste ».43 Ces prestations constituent en effet, selon les termes de l’arrêt, « un élément de la politique de gestion des ressources humaines » du ministère de l’intérieur.

44 CE Assemblée, 31 mai 2006, Ordre des Avocats au barreau de Paris.17

B/ Par ailleurs, sont aussi considérés les cas où l’opérateur n’est pas sur un « marché concurrentiel » parce qu’il n’est pas sur un marché contestable, soit parce qu’il bénéficie d’un droit exclusif, soit parce qu’il n’existe pas de bien substituable à celui qu’il fournit.

Cette seconde branche de l’exception permet de prendre en compte la spécificité de certains besoins de l’administration, parfois si forte que seul un opérateur public sera en mesure d’y répondre exactement. Il est cependant probable qu’elle ne concerne que des cas d’espèce très particuliers. Par ailleurs, son application risque d’être délicate : quels moyens l’administration devrait-elle mettre en œuvre pour prouver qu’un seul opérateur est effectivement en mesure de fournir le service demandé ? Quel sera le contrôle exercé sur ce point ? La difficulté majeure tient dans la définition concrète du « marché pertinent » à considérer pour déterminer s’il est ou non concurrentiel. De ce point de vue, les circonstances de l’espèce de l’arrêt Région Nord-Pas-de-Calais précité montrent bien que les administrations n’ont pas toujours conscience de l’existence d’une concurrence potentielle.

1.2.2.3 En droit interne, la subvention d’une activité d’initiative privée constitue une troisième catégorie d’exception

En France, le simple recours à la subvention d’une initiative privée permet un contournement des règles de mise en concurrence. Par exemple, la Cinémathèque française, qui gère un « service public culturel » (mission de sauvegarde du patrimoine, qui est d’intérêt général, et financement du Centre National de la Cinématographie), est néanmoins « née d’une initiative privée » . Comme aucune obligation (légale ou réglementaire) de conservation du patrimoine n’incombe à l’Etat, « la mission exercée par la Cinémathèque ne correspond pas à une dévolution de la part de la puissance publique d’une mission de service public. » La convention d’objectifs et de moyens passée entre l’Etat et la Cinémathèque n’est donc pas soumise aux règles de concurrence des délégations de service public45.

Pourtant, cette notion d’ « initiative privée » reste fragile . En effet, elle reste assez subjective et elle n’a été utilisée par le Conseil d’Etat que lors d’un avis. Les conclusions du commissaire du gouvernement dans l’affaire Commune d’Aix en Provence laissent entendre que cette piste pourrait, si elle devait se présenter devant une formation contentieuse, ne pas être validée. En effet, la frontière entre le régime du contrat de subvention (sans mise en concurrence) et celui du contrat de délégation (avec mise en concurrence) est floue. En témoignent par exemple les conventions de subventionnement des organismes assurant la protection sociale des fonctionnaires selon le décret n°2007-1373 du 19 septembre 2007, qui s’analysent comme des contrats de subventionnement attribués après mise en concurrence mais pourraient tout aussi bien être requalifiées en marchés publics de service46.

Même si une telle piste paraît trop peu sûre pour définir une exemption généralisée de mise en concurrence, elle peut néanmoins représenter une solution dans certaines situations.

1.3 La convergence des notions utilisées par les droits de la concurrence et de la commande publique n’est sans conséquences

45 Avis du Conseil d’Etat n° 370.169 du 18 mai 2004 sur la Cinémathèque française46 CF Jean-David Dreyfus, « L’appel à concurrence en matière de subventions aux mutuelles », AJDA 05/11/2007.

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1.3.1 Les champs d’application des deux droits semblent converger, car les notions utilisées sont similaires

A/ Les droits de la concurrence et de la commande publique se recoupent et sont appliqués de manière cumulative :

a- la commande publique peut avoir pour effet de placer un co-contractant en position dominante (même si seuls les abus en sont interdits) ou de lui verser une rémunération disproportionnée, requalifiable en aide d’Etat, éventuellement illégale47 ;

b- un organisme public doit toujours respecter le droit de la concurrence pour se présenter à un marché public, et ne pas présenter d’offre à un prix prédateur48 ;

c- des ententes pour le partage des offres à des marchés publics ont déjà été lourdement condamnées sur la base du droit de la concurrence49.

D’ailleurs, le juge administratif annule des marchés et des délégations de service public pour non respect du droit de la concurrence. Le Conseil d’Etat considère ainsi que les droits exclusifs accordés par délégations de service public peuvent être annulés s’ils conduisent automatiquement à des abus de position dominante (CE, 27 janvier 2007, Syndicat professionnel de la Géomatique). Cette décision précise qu’au stade de l’engagement des procédures de publicité, il « appartient à la personne publique responsable du marché public » de s’assurer « que les règles de libre concurrence sont effectivement respectées ». Il y a bien ici jonction entre les deux droits.

B/ Il existe un débat théorique pour savoir si le droit de la commande publique ne devrait pas être considéré comme un sous-ensemble du droit général de la concurrence. En Allemagne, les grandes lignes du droit des marchés publics sont intégrées dans le « code de la concurrence » (Gesetz gegen Wettbewerbbeschränkungen). En France, le droit de la concurrence s’impose déjà à tous les actes administratifs, qu’ils soient unilatéraux ou contractuels, c’est-à-dire aussi aux actes de commande publique50.

Plusieurs arguments plaident en faveur de cette solution, à commencer par le fait que les contrats de commande publique sont des actes marchands par nature, compte tenu de leur caractère onéreux et des activités concernés51. Par ailleurs, des distorsions de commande publique peuvent avoir des effets sur un marché. Lorsque plusieurs entreprises sont en compétition sur un marché, il ne serait pas normal que l'une d'elles puisse obtenir une commande publique sans mise en concurrence, avec tous les avantages qu'une telle position pourrait lui procurer, alors même que toutes doivent respecter l'ensemble du droit de la concurrence. Obtenir une commande publique sans concurrence serait considéré comme une entorse au droit de la concurrence général.

Les arguments en sens inverse sont tout aussi forts : a- les prémisses du droit de la commande publique sont différentes de ceux du droit de la

concurrence : il s’agit dans le premier cas de protéger les deniers publics et la variété du choix proposé à l’administration, lorsqu’elle a besoin de ce choix ;

b- l’Etat doit garder la faculté de contracter librement avec des acteurs en qui il a confiance ;

47 Voir par exemple CE, 27 février 2006, Compagnie Ryanair.48 CE, avis Jean Louis Bernard Consultant, 8 novembre 2000.49 Voir par exemple les décisions du conseil de la concurrence du 22 mars 2006 sur les travaux publics d’Ile de France, du 15 décembre 2005 sur les travaux routiers de Seine Maritime, du 23 janvier 2007 sur l’élimination des déchets en Seine- Maritime.50 CE, 1997, Million et Marais51 Voir les analyses de Grégory Kalflèche, AJDA 2007, p. 2420

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c- les collectivités publiques acheteuses ou délégatrices n’ont ni la vocation ni toujours les moyens d’être des régulateurs impartiaux du marché, et ce d’autant moins dans un contexte où les autorités de régulation sont justement séparées des autres activités des autorités publiques afin de renforcer leur crédibilité et leur efficacité.

Pour le moment, les deux droits restent appliqués de manière indépendante, comme le montre par exemple le fait que les notions d’ « entreprise » du droit de la concurrence et de « pouvoir adjudicateur » du droit de la commande publique sont toutes deux entendues de manière extensive, si bien qu’une entité peut très bien se retrouver à la fois entreprise et pouvoir adjudicateur, ce qui n’est pas intuitif.

C/ En revanche les notions cardinales utilisées dans les deux droits convergent : - la notion d’« entreprise » en droit de la concurrence (une entité sur un marché

concurrentiel) ; - la notion d’« opérateur sur un marché » , testé par le Conseil d’Etat, en droit de la mise en

concurrence.

Elles ont en commun d’être analysées au regard de celle d’ « activité économique », comprise en référence à l’existence d’une offre de biens et services sur un marché, et plusieurs indices indiquent que les jurisprudences communautaire et nationale pourraient les faire converger.

Ainsi, le Commissaire du Gouvernement, dans l’affaire Commune d’Aix-en-Provence, s’appuie explicitement sur les exceptions au droit de la concurrence pour en introduire, avec une définition plus large, dans le droit de la commande publique (p7 des conclusions).

En droit communautaire, la directive 2004/18 définit les marchés publics comme des contrats

onéreux conclus entre « un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs » (article 1, point 2a). L’emploi du terme « opérateur économique » fait immanquablement penser à la sémantique employée en matière de droit de la concurrence. Cependant, fidèle à l’indépendance des droits, la directive indique plus loin (art 1, point 8) que « le terme "opérateur économique" couvre à la fois les notions d'entrepreneur, fournisseur et prestataire de services. Il est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte. »

En second lieu, tant la notion d’entreprise au sens du droit communautaire que celles d’entrepreneur ou de fournisseur de services ont déjà l’une et l’autre été examinées en relation avec celle de « services » au sens des articles 43 et 49 TCE en matière de liberté d’établissement de prestation de services52. La jurisprudence de la Cour a montré que chacune des notions semble emporter les mêmes effets que celle de « services » ; il est donc raisonnable de penser qu’elles-mêmes tendent à se converger l’une vers l’autre.

Troisième indice : le rapprochement des notions employées dans le domaine du droit de la concurrence est explicitement établi par l’avocat général KOKOTT, dans ses conclusions sur l’affaire Auroux53 : « Dans le droit de la concurrence, la notion d’«entreprise» comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, étant considérée comme activité économique toute activité qui consiste à offrir des biens ou des services sur un marché donné. Cette définition peut être transposée au domaine des marchés publics. En effet, conformément aux objectifs de la directive 93/37, de contribuer à la réalisation de la liberté d’établissement et de la libre prestation des

52 Voir notamment la discussion sur ce point dans P. Thieffry, « Les services sociaux d’intérêt général sont-ils des entreprises ? », AJDA du 9 juillet 2007.53 15 juin 2006, aff. C-220/05, point 50.

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services et de faire se développer une concurrence effective dans le domaine des marchés publics, il convient de retenir une acception large de la notion d’entrepreneur également dans ce domaine. ». Or même si l’arrêt ne reprend pas explicitement cette analyse, la cour s’interroge sur la question de savoir si l’entité en cause peut être qualifiée d’entrepreneur. L’arrêt énonce en effet que la société d’équipement du département de la Loire, « en tant qu’opérateur économique actif sur le marché qui s’engage à réaliser les travaux prévus par la convention, est à qualifier d’entrepreneur au sens de la directive » (CJCE, Auroux précité).

Enfin, dans un arrêt récent, il semble que la CJCE se soit explicitement engagée dans cette voie en jugeant que des associations bénévoles de transport sanitaire relevaient de la réglementation des marchés publics au motif qu'elles exercent une activité économique et constituent des entreprises au regard de sa jurisprudence relative au droit de la concurrence54.

Certains auteurs y voient une fusion des notions, et en déduisent par exemple que l’ensemble des services sociaux seront exemptés de mise en concurrence du fait de l’exception, au nom de la solidarité, au droit de la concurrence55.

S’en s’avancer autant, il est à tout le moins possible de remarquer que le fait de s’appuyer sur des notions similaires fera que les deux droits devraient à l’avenir avoir des champs d’application similaires.

Le tableau ci-dessous récapitule, dans l’état actuel du droit, les activités exemptées de l’application du droit de la concurrence et celles exemptées du droit de la commande publique, dans la jurisprudence de la Cour et dans celle du Conseil d’Etat.

Exemption à la mise en concurrence Exemption du droit concurrence

In house Activité non économique Activités non économiques

CJCE

Pour la CJCE, une collectivité peut

attribuer à un tiers un marché public

ou une concession sans mise en

concurrence lorsque :

- elle exerce sur lui un contrôle

analogue à celui qu’elle exerce sur ses

propres services

- le tiers réalise avec la collectivité

qui le contrôle l’essentiel des ses

activités

NEANT

Si la CJCE acceptait d’exonérer de mise

en concurrence certaines activités, elle

pourrait les définir en suivant sa logique

traditionnelle d’exclusion des activités

non-économiques (ci-contre) tout en

acceptant l’exception supplémentaire des

« conditions particulières » introduite par

le Conseil d’Etat (ci-dessous)

Echanges bien et services sur un

marché (Commission c/ Italie,

1987 et CJCE, Höfner, 1991)

Sauf : puissance publique (CJCE,

1994, Eurocontrol) et prestations

sociales déconnectées du service

rendu (CJCE, 1993, Poucet et

Pistre)

54 CJCE, 29 novembre 2007, Commission c/ Italie, aff. C-119/06.55 P. Thieffry, « Une année en demi-teinte pour les services sociaux d’intérêt général », AJDA du 4 février 2008, p.176.

21

CE

Pour le Conseil d’Etat, une

collectivité peut déléguer un service

public sans mise en concurrence à un

tiers lorsque ce dernier est

- un « organisme dont l’objet

statutaire exclusif est, sous réserve

d’une diversification purement

accessoire, de gérer ce service »

- et si la collectivité « exerce sur cet

organisme un contrôle comparable à

celui qu’elle exerce sur [ses] propres

services »

Exception valable lorsque « plusieurs

collectivités publiques décident de

créer et de gérer ensemble un service

public »

(CE 6 avril 2007, Commune d’Aix en

Provence, 5ème considérant).

Les collectivités n’ont pas d’obligation de

publicité lorsque, « eu égard :

- à la nature de l’activité en cause

- et aux conditions particulières dans

lesquels il l’exerce,

le tiers auquel elles s’adressent ne

saurait être regardé comme un opérateur

sur un marché concurrentie l »

(CE 6 avril 2007, Commune d’Aix en

Provence, 4ème considérant).

Le CE adopte une position

similaire à celle de la CJCE, et

retient les même exceptions :

puissance publique (CE, 1994,

Letierce) et prestations sociale

déconnectées du service rendu

(CE, 1997, Fédération des

mutuelles de France)

1.3.2 Pour les opérateurs publics, application du droit de la concurrence et mise en concurrence sont liées.

Cette convergence des notions a, pour les opérateurs publics, une conséquence pratique importante : la libéralisation et l’introduction du droit de la concurrence annoncent l’arrivée de l’obligation de mise en concurrence liée au droit de la commande publique. De ce point de vue, même si les deux droits ont leurs logiques propres, il est utile d’analyser l’extension du droit de la concurrence et de ses exceptions pour anticiper les effets à venir du droit de la commande publique.

1.3.2.1 Le difficile recensement des monopoles menacés

Un recensement exhaustif est difficile, car seuls les grands principes sont connus et qu’ils s’appliquent en fonction du degré de maturité de chaque segment du marché. A partir des arrêts d’espèces, peut-on, avec un minimum de sécurité juridique, déclarer que certains secteurs français sont bien exemptés du droit de la concurrence ?

Le périmètre du droit de la concurrence est évolutif. En 1999, N. CHARBIT pouvait écrire : « On attend avec intérêt les positions que prendront les autorités européennes à l’égard de secteurs reposant sur la solidarité sociale (…) comme la santé (hôpitaux, cliniques) voire l’enseignement, où agissent de nombreux opérateurs privés sans le bénéfice de prérogatives de puissance publique »56. Après avoir remarqué que le droit de la concurrence s’impose à de plus en plus de services (placement de main d’œuvre, pompes funèbres, etc.), A. RACLET

56 Secteur public et droit de la concurrence, Joly Editions, 1999, p 4622

remarquait en 2002 que la même solution « devrait être étendue aux activités des hôpitaux, des centres de loisirs, des crèches, des cantines scolaires, des piscines, des théâtres municipaux »57.

Le danger est réel pour de nombreux opérateurs publics qui disposent aujourd’hui de monopoles de droit ou de fait dans ces secteurs. Certains établissements publics bénéficient de l’article L1411-12 du CGCT, prévu par la loi Sapin de 1993, qui permet des délégations de service publique sans concurrence « a) lorsque la loi institue un monopole au profit d'une entreprise ; b) Lorsque ce service est confié à un établissement public et à condition que l'activité déléguée figure expressément dans les statuts de l'établissement ». Cette dérogation vise en particulier certains services locaux à vocation sociale, comme les Caisses communales d’Action sociale (CCAS), les caisses des écoles, les maisons de retraite, etc. Ces EPL sont donc en situation de monopole.

Il existe enfin de nombreuses délégations de services publiques que des lois sectorielles ont exonérées de toute publicité. Il s'agit notamment des dévolutions par agréments administratifs qui existent, parmi les plus importants, pour les fédérations sportives (loi n° 84-610 du 16 juillet 1984), les établissements privés d'enseignement (art. L442-5ss du code de l'éducation), les établissements privés de santé (art. L 6161-5ss du code de la santé publique). Prévues par une loin du 13 juillet 1983, les prestations d’action sociale de la fondation Jean-Moulin envers les agents du ministère de l’intérieur entrent aussi dans cette catégorie.

Tous ces monopoles sont-ils menacés ? Dans son rapport de 2002, le Conseil d’Etat s’interrogeait sur la conventionalité de ces exceptions, qui « réservent évidemment les l'application des exigences (...) de l'arrêt Telaustria », comme le remarque, sans en tirer de conclusions définitives, François SENERS dans l'affaire Commune d'Aix-Provence58.

1.3.2.2 Esquisse de cartographie des secteurs les plus exposés à une mise en concurrence

Une jonction des deux droits (concurrence et commande publique) s’opère dans un nombre croissant de secteurs.

Il convient de remarquer tout d’abord que le risque d’une généralisation des procédures de mise en concurrence ne doit pas être exagéré. Pour les services publics gérés par des SEM, la règle est celle de la mise en concurrence depuis de nombreuses années. Elle concerne les métiers du tourisme, des transports, de l’assainissement, de la gestion d’évènements et d’infrastructures, etc. Sur les quelques 1100 SEM existant en France, 75% sont soumises à des appels d’offre systématiques. N’y échappe plus que le secteur de la construction, après la soumission des SEM d’aménagement à la loi Sapin en 2005. Le dynamisme de ce secteur n’en souffre pas : il se crée une quarantaine de SEM chaque année.

Pour les organismes de sécurité sociale, la jonction des deux droits est en cours, plusieurs années après l’arrêt Poucet et Pistre (CJCE 1993), qui applique le droit de la concurrence aux régimes complémentaires facultatifs, comme indiqué supra. En pratique, cela signifie que les mutuelles et les caisses de prévoyance de la fonction publique sont des entreprises soumises aux règles de la concurrence. Deux dispositions insérées dans la loi de modernisation de la Fonction Publique n° 2007-148 du 2 février 2007 vont ouvrir à la concurrence, sur demande de la Commission européenne, l’octroi des aides aux organismes complémentaires de l’assurance maladie. Fin 2007, plusieurs ministères ont déjà fait savoir qu’ils introduiraient une concurrence

57 Droit communautaire des affaires et prérogatives de puissance publique, La Nouvelle Bibliothèque des Thèses, Dalloz 2002, p 24758 Conclusions du Commissaire du Gouvernement, p4.

23

entre opérateurs en référençant un assureur issu du secteur lucratif à côté d’une mutuelle de fonctionnaires (voir ANNEXE 15).

Dans l’enseignement initial, l’exemption aux deux droits est acquise. L’enseignement public, scolaire et universitaire, est bien sanctuarisé du droit de la concurrence, en tout cas pour la formation initiale et dans la mesure où il n’exige pas une participation financière substantielle de ses élèves, les écoles privées étant en revanche des services marchands. La mise en concurrence des établissements de l’Education nationale n’est donc pas d’actualité.

La formation professionnelle continue, en revanche, relève bien des services marchands, même pour les formation dispensées par les lycées publics regroupés au sein des GRETA, qui doivent respecter l’ensemble des règles du droit de la concurrence et des aides d’Etat59. La mise en concurrence des opérateurs, inaugurée en 2001, s’achèvera en 2009 avec la décentralisation définitive des crédits de l’AFPA aux conseils régionaux (voir ANNEXE 13).

Hôpitaux publics et organismes HLM sont aujourd’hui dans une situation intermédiaire. Il s’agit dans les deux cas de services d’intérêt économique général, reconnus comme tels par la Commission européenne et éligibles au droit de la concurrence, qui cependant bénéficient de dérogation aux règles de notification des subventions, compte tenu du faible impact de ces dernières sur la concurrence (paquet « MONTI » de 2005). Dans ces deux secteurs, la soumission tardive (reconnue en 2005) et partielle (sans impacter les financements publics) de ces deux secteurs rend peu inquiétantes les lacunes des procédures de mise en concurrence. En effet, la carte hospitalière (les schémas régionaux d’organisation sanitaire) prévoit la dévolution des missions de services publics sans mise en concurrence des établissements entre eux, et la mise en concurrence des organismes HLM par les départements reste embryonnaire (voir ANNEXES 12 et 14 sur les hôpitaux et les HLM).

Enfin, le droit de la concurrence pourrait pénétrer plus largement l’ensemble du secteur culturel. Sur les quelques 78 opérateurs nationaux recensés par le ministère de la culture (Château de Versailles, musées et opéras parisiens, etc.), la plupart bénéficie d’une dévolution sans mise en concurrence, autorisée notamment par l’article 41 de la loi Sapin pour les établissements publics ad hoc. Persuadé que ces dérogations ne sont pas compatibles avec le droit communautaire, le ministère de la culture concentre ses efforts sur l’introduction de procédures de publicité et de mise en concurrence (quitte à reconduire les actuels bénéficiaires des délégations de service public). Une première étape a été franchie en 2006, non sans d’âpres difficultés internes, avec la mise en concurrence, par la Direction des musées de France, de l’association gestionnaire du Musée des Arts Déco, le Louvre ayant manifesté son intérêt pour la reprise de cette activité.

La Mairie de Paris s’est engagée dans une démarche analogue.

En 2007, l’arrêt Commune d’Aix en Provence est venu ralentir ces efforts d’ouverture à la concurrence. Dans sa circulaire du 2 octobre 2007, qui tire les enseignements de cet arrêt, la Secrétaire générale du ministère de la culture invite d’ailleurs expressément à l’imiter la dérogation accordée aux opérateurs « n’intervenant pas sur un marché concurrentiel » aux seuls cas répondant aux critères de la CJCE pour les « activités non économiques », critères présentés comme plus restrictifs. La circulaire invite donc à poursuivre les efforts de mises en concurrence et, là où cela n’est pas souhaitable, à n’utiliser que l’exception du in house.

59 Conseil de la Concurrence, avis n° 00-A31 du 12 décembre 2000.24

* * *

Il ressort de ce panorama que de plus en de secteurs d"activité et de services publics sont touchés par la pénétration du droit de la concurrence . Ce mouvement est à l'oeuvre depuis le début des années 1990 et s'accélère fortement ces dernières années. Des pans entiers d'activités de prestation de services, financés en France par les pouvoirs publics, ont été qualifiés d'activités économiques. Régimes complémentaires de sécurité sociale en 1993, formation professionnelle en 2000, HLM et hôpitaux en 2005 ne sont que des illustrations de ce phénomène, en réalité beaucoup plus large. Le droit de la concurrence s'immisce de manière très fine dans de nombreuses activités, qu'il découpe en fonction de son objectif de respect de la concurrence.

La mise en concurrence des opérateurs intervenant sur ces marchés accompagne logiquement

ce processus, mais de manière décalée. Les exemples étudiés montrent que la mise en concurrence n'est pas un réflexe spontané de l'administration : elle est introduite sur demande des instances communautaires (mutuelles des fonctionnaires) ou à l'occasion d'une décentralisation du pouvoir adjudicateur (formation professionnelle et HLM). Il faut aussi remarquer qu’elle ne survient qu'avec un temps de retard : 13 ans se sont écoulés entre l'arrêt Poucet et Pistre et la loi de modernisation de la fonction publique, qui introduit la mise en concurrence des mutuelles des fonctionnaires. Enfin, les hésitations à assujettir au droit de la concurrence certains domaines (HLM, hôpitaux) invitent à être très prudent quant à l'application des règles de mise en concurrence à tous les opérateurs qui y interviennent.

25

2 IMPACT DES OBLIGATIONS DE LA CONCURRENCE SUR LES OPÉRATEURS PUBLICS

Les contraintes imposées par le droit de la concurrence sont généralement bien connues, et bien respectées par les opérateurs français, après plusieurs décennies d’application. Les exigences de la commande publique, plus récentes sont en revanche porteuses de bouleversements plus importants.

2.1 Le droit de la concurrence exige une égale concurrence entre opérateurs publics et privés

2.1.1 Les relations entre administrations et opérateurs publics sont encadrées par les règles de financement des services d’intérêt économique général

La notion de services d’intérêt économique général (SIEG) apparaît à l’article 86-2 du traité CE qui stipule que « les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Le principal apport de l’article 86-2 réside dans la dérogation qu’il introduit. En effet, la soumission au droit de la concurrence est limitée par le fait qu’elle ne doit pas entraver « l’accomplissement des missions imparties ». Ces missions désignent les obligations de service public imposées aux opérateurs et visent des objectifs de cohésion sociale et territoriale. La qualification d’une activité de SIEG relève de chaque Etat membre et le contrôle de la Commission se limite à l’erreur manifeste. Ces prestations n’étant pas économiquement rentables, les autorités publiques peuvent être amenées à mettre en place des dispositifs de compensation au plus juste des obligations de service public. Une surcompensation serait en effet constitutive d’une aide d’Etat illégale dans la mesure où elle attribuerait un avantage concurrentiel indu à un opérateur économique.

La première méthode de compensation consiste à financer directement le surcoût des obligations de service public. Durant les années 1990, les règles de calcul et de périmètre de ces charges sont restées imprécises. Avec ses arrêts Ferring (22 novembre 2001) et Altmark (24 juillet 2003), la CJCE exige désormais systématiquement :

- d’une part que les obligations de service public et les paramètres de calcul aient été clairement définis de manière transparente, de préférence dans un texte ;

- d’autre part que les surcoûts compensés soient « économiquement justes » ; pour cela, lorsque que le choix de l’entreprise n’est pas réalisé à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, la compensation doit être déterminée « sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise bien gérée ».

A ces conditions, la compensation au plus juste des surcoûts engendrés par les missions de service public n’est pas regardée comme une aide d’Etat, et par conséquent n’est pas soumise à notification. La compensation n’interdit pas par ailleurs de dégager des bénéfices sur l’ensemble de l’activité. Il n’est d’ailleurs pas inutile de remarquer que la Cour, dans son arrêt Altmark,

26

marque clairement sa préférence pour une mise en concurrence, la compensation par une analyse des coûts n’étant qu’un pis-aller.

Il existe donc une abondante jurisprudence sur les modalités précises de calcul du coût des OSP60. Les compensations de ces coûts sont calculées pour les services publics nationaux par l’agence des participations de l’Etat, le ministère des finances, les ministères de tutelle ou les régulateurs sectoriels. Dans les services à réseaux ouverts à la concurrence (air, rail, électricité, gaz, etc.), il n’y a pas de subvention de service public mais une tarification intégrant les contraintes imposées à tous les opérateurs. Cette technique de compensation par les tarifs se retrouve dans les concessions de service public.

La deuxième méthode de compensation consiste en l’octroi de droits exclusifs qui permet à leurs bénéficiaires de financer les surcoûts liés aux OSP grâce aux revenus tirés des activités réservées61. La Commission affiche toutefois clairement sa préférence pour la formule de compensation monétaire des OSP.

2.1.2 Sur un marché, les opérateurs publics doivent s’interdire toute pratique anti-concurrentielle

2.1.2.1 Le droit de la concurrence impose une séparation comptable des activités

Le risque existe, pour une personne publique exerçant des missions de service public ainsi que des activités économiques sur un marché, de bénéficier de subventions croisées lui permettant de pratiquer, sur ses activités concurrentielles, des prix prédateurs. Afin d’éviter d’être sanctionnées pour abus de position dominante (prohibés par l’article 82 TCE et à l’article L. 420-2 du Code de commerce), les personnes publiques doivent donc établir, pour leurs activités concurrentielles, une comptabilité séparée. La directive européenne « Transparence » du 20 juillet 2000 attend des États membres qu’« ils disposent de données détaillées sur la structure financière et organisationnelle interne des entreprises publiques ou privées auxquelles des droits spéciaux ou exclusifs sont accordés, en particulier des comptes séparés et fiables concernant les différentes activités exercées par une même entreprise »62.

Les subventions croisées ne sont pas interdites en elles-mêmes (on pense en particulier aux diversifications à partir d’un métier historique, menées dans un premier temps sans être rentables), mais étroitement surveillées dans la mesure où elles ne doivent pas conduire à des prix de vente inférieurs aux coûts de production. La prohibition des prix prédateurs impose que soit mise en place une comptabilité analytique permettant de déterminer, pour les activités concurrentielles, le coût des produits ou prestations fournies. Lorsque le prix proposé par la personne publique est inférieur au coût variable (c’est-à-dire de ceux qui varient en fonction des

60 Pour mémoire, pour le détail des calculs du coût réel des OSP par la Commission et Conseil concurrence : - décision du 15 janvier 2002 sur le calcul des coûts de SP de la gestion du Livret Bleu par le Crédit Mutuel (annulé par le TPI en Janvier 2005 pour mauvais calcul du périmètre des aides) ;

- décision Commission 2001 Deutsche Post : méthode des coûts incrémentaux ;- décision Conseil de la cc, 5 mars 2001, Française des jeux ;- décision Conseil de la cc, régie départementale des passages d’eau de la Vendée ;- rapport Conseil de la cc, 2003 sur monopoles publics dans le jeu concurrentiel ;- décision Conseil de la cc, 22 décembre 2005, Monnaie de Paris ;- CE, Section, 10 décembre 2007 sur le prix du gaz naturel et le maintien de tarifs réglementés.

61 Voir par exemple CJCE 19/05/1993 Corbeau, C-320/9162 Directive 2000/52/CE de la Commission du 26 juillet 2000 modifiant la directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publique.

27

quantités produites), cela entraîne automatiquement la qualification par la CJCE d’abus de position dominante. Mais la Cour va plus loin, considérant que « des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, doivent être considérés comme abusifs lorsqu' ils sont fixés dans le cadre d' un plan ayant pour but d' éliminer un concurrent » (CJCE, juillet 1991, AKZO Chemie BV, affaire C-62/86).

Cette exigence, qui paraît légitime, est dans la pratique parfois difficile à mettre en œuvre. Cela suppose en effet que soit mise en place une comptabilité en coûts complets, comprenant une ventilation des frais généraux entre les activités de service publique et les activités concurrentielles. L’avis contentieux Société Jean-Louis Bernard Consultants rappelle que « le prix proposé (doit être) déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat » et que l’établissement public ne doit pas avoir « bénéficié pour déterminer le prix qu’il a proposé, d’un avantage découlant des ressources et des moyens qui lui sont attribués au titre de la mission de service public ». Il est pourtant difficile de répartir les coûts de structure entre différentes activités, les clefs de répartition des charges au sein d’une structure étant toujours des constructions imparfaites.

Ces exigences comptables peuvent conduire à renchérir les prix pour le consommateur final. L’IGN dispose ainsi de plusieurs avions afin de photographier chaque année une partie du territoire. Cette activité de service publique est financée par une subvention. Néanmoins, les années où les conditions climatiques sont favorables, des heures de vol restent disponibles sur l’appareil. Le coût marginal de location à une personne privée est alors très faible (rémunération du pilote et du carburant). Cependant, l’IGN, afin de ne pas se placer dans une situation anti-concurrentielle, loue l’appareil au coût moyen d’utilisation de l’appareil, et non au coût marginal, réalisant une marge substantielle. Néanmoins, l’intérêt de la comptabilité par activité est justement de relever les coûts qui dépassent ceux de l’entreprise dans son activité normale de production, pour ne pas fausser la liberté du commerce. Le rapport Nora avait souligné il y a quarante ans la nécessité d’un tel dispositif dans les entreprises publiques63.

Par ailleurs, le glissement conduisant de la séparation comptable à la séparation organique est un phénomène fréquent. Ainsi, l’établissement d’une comptabilité distincte pour la Direction des chantiers navals en 2000 devait annoncer sa transformation postérieure en une société distincte de la DGA. Les nombreux exemples de filialisation des activités concurrentielles par des établissements publics en sont une seconde illustration (SNCF, La Poste). Enfin l’organisation interne de certains opérateurs est directement impactée par les obligations de séparation juridiques entre les entreprises chargées des infrastructures et celles chargées de leur exploitation. La loi du 13 février 2007 a ainsi créé Réseau Ferré de France pour éviter d’éventuelles interférences avec la SNCF.

2.1.2.2 Le droit de la concurrence ne menace que la garantie illimitée dont bénéficient les établissements publics

Les principales caractéristiques des établissements publics (EPA et EPIC) ne présentent pas de difficultés au regard du droit de la concurrence. Ni leur régime de propriété publique, ni leur régime éventuel de comptabilité publique (exécution d’office des créances, prescription quadriennale des dettes), ni l’emploi d’agents fonctionnaires, ni l’absence de capital, ni leur régime fiscal ne constituent des avantages concurrentiels définitifs. L’ANNEXE 10 passe en

63 Pierre DELVOLVE, « Les entreprises publiques et le droit de la concurrence », colloque de l'Académie des Sciences morales et politiques, 2000, fondation Singer-Polignac.

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revue l’ensemble de ces avantages supposés au regard du droit de la concurrence. Cette annexe rappelle que les établissements publics sont aussi soumis à des sujétions particulières, comme le principe de spécialité et l’application des règles de la commande publique pour leurs achats.

Le seul argument contre les établissements publics retenu par la Commission est celui de la garantie illimité de l’Etat. Toutes les personnes publiques échappent aux procédures collectives (redressement et liquidation judiciaire) en vertu de l’article L 620-2 du Code de commerce introduit par la loi du 25 janvier 1985. En cas de cessation de paiement, c’est l’Etat qui serait responsable en dernier ressort du passif de l’établissement. Cette garantie illimitée de l’Etat entraînerait un avantage concurrentiel, apprécié différemment par les instances françaises et communautaires, même s’il ne semble pas avoir d’impact sur les notations financières des EPIC, qui varient plutôt en fonction de leur rentabilité. En effet, une société publique bénéficie souvent elle aussi de conditions préférentielles d’accès à l’emprunt.

Pour le Conseil de la concurrence, cette garantie entraîne un non assujettissement à l’assurance obligatoire d’insolvabilité, instituée par la loi du 27 décembre 1973 pour garantir les salaires en cas de cessation de paiement. En 1994, le Conseil de la Concurrence avait pris en considération cet avantage financier de la garantie illimitée, préconisant pour cette raison la filialisation des activités concurrentielles d’EDF-GDF afin de les rendre éligibles à ces procédures collectives en cas de difficultés financières64.

Pourtant, la Commission européenne estime que cette garantie entraîne un accès à l’emprunt à des conditions préférentielles. Elle a estimé récemment, par trois fois, que la garantie de l’Etat accordée aux EPIC, illimitée dans le temps et dans son montant, constituait un avantage pour le recours à l’emprunt incompatible avec le Traité. Les arguments présentés par la Commission sont repris en ANNEXE 10. De tous les avantages supposés d’un statut public, la Commission ne conteste donc que celui tiré de la garantie illimitée et gratuite, et n’impose en aucun cas un passage des EPIC en société anonyme.

2.2 L’impact du droit de la commande publique

Le premier impact est lié à la conception extensive de la notion de marché public, notamment de services (voir ci-dessus). En effet, les obligations du droit de la commande publique sont beaucoup plus contraignantes dans ce cas que dans celui des concessions (au sens communautaire), rendant les relations entre administrations et opérateurs publics plus procédurales.

L’unique motif permettant à un opérateur public d’échapper à une mise en concurrence, sur un marché concurrentiel, est l’exception in house . Un certain nombre d’opérateurs (SEM, EP, EPCI) devront donc à l’avenir s’adapter aux critères du in house posés par la jurisprudence.

2.2.1 Dans leur forme actuelle, les SEM françaises ne peuvent bénéficier de l’exception in house

64 Avis du conseil de la concurrence du 10 mai 1994, n° 94A1529

Les critères du in house imposent une rationalisation de l’utilisation des SEM comme instrument des politiques locales. Dans le prolongement de l’arrêt Teckal, la Cour a en effet considéré, dans l’affaire Stadt Halle, que la participation, même minoritaire, d’un acteur privé au capital d’une société d’économie mixte exclut la qualification de prestation in house, car elle exclut que le « pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » 65.

Les SEM, légalement constituées avec une participation privée, doivent donc être mises en concurrence. La Cour est très stricte sur ce point et la simple volonté d’un pouvoir adjudicateur d’ouvrir le capital d’une de ses filiales aux tiers du secteur privé exclut la relation « in house »66. L’avocate générale Juliana KOKOTT a justifié cette position par le fait que « la présence d’un tiers, personne privée, implique en effet toujours un minimum d’attention de la puissance publique envers les intérêts de ce tiers », ce qui empêcherait le pouvoir adjudicateur d’exercer un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services67.

L’arrêt Parking Brixen a étendu ce raisonnement aux concessions de services . Ainsi, une commune qui attribue la concession sans mise en concurrence d’un parking à une société locale qu’elle maîtrise encore à 100%, mais dont elle vient de modifier les statuts pour permettre une participation privée et élargir son périmètre d’activités, est en infraction avec le droit communautaire68.

Cette jurisprudence a des conséquences considérables sur la vie des collectivités dans de nombreux pays d’Europe puisqu’elle impose une mise en concurrence d’opérateurs auxquels les collectivités avaient pris l’habitude de recourir librement. Dans le même temps, cette jurisprudence a le mérite d’imposer cependant plus de clarté et de transparence.

2.2.2 De même, certains établissements publics ne peuvent non plus y prétendre

A/ Le caractère restrictif des conditions du in house rend délicates les relations existantes entre l’Etat et certains de ses opérateurs, en particulier dans le domaine social. Ainsi, concernant l’opérateur issu de la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, et qui prendra la forme d’un EPA, des craintes existent sur une éventuelle requalification en marché public de la convention signée avec l’Etat. En effet, le critère du « contrôle analogue », ne sera probablement pas rempli, compte tenu d’une codirection et d’un cofinancement de l’opérateur entre l’Etat et les partenaires sociaux, la convergence d’intérêts publics semblant difficile à plaider.

Le cas de cet opérateur est intéressant au regard d’un arrêt récent de la Cour de justice qui reconnaît le caractère de prestations in house aux marchés passés entre l’Etat espagnol ou les communautés autonomes et l’entreprise publique Tragsa, équivalent de l’Office national des forêts en France69. La Cour considère en effet que chaque autorité publique exerce sur la société un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services dans la mesure où Tragsa est tenue par ses statuts, établis par une loi et un décret royal, de réaliser les commandes qui lui sont confiées par les administrations et n’a pas la possibilité de fixer librement ses tarifs. En outre, Tragsa consacre l’essentiel de ses activités aux commandes passées par les autorités qui la contrôlent.

65 CJCE, Stadt Halle, 11 janvier 2005, aff. C-26/03.66 CJCE, Commission c/ Autriche, aff. C-29/04.67 Conclusions de l’avocat général KOKOTT, CJCE, 13 octobre 2005, Parking Brixen GmbH, aff. C-458/03).68 CJCE, 13 octobre 2005, Parking Brixen GmbH, aff. C-458/03.69 CJCE, 19 avril 2007, Asemfo c/Tragsa, aff. C-295/05.

30

L’arrêt Tragsa constitue donc la première illustration positive de la possibilité évoquée par la Cour dans son arrêt Carbotermo 70 de qualifier de marché in house les prestations d’un opérateur contrôlé conjointement par plusieurs autorités publiques. Il reste que le cas de Tragsa est très singulier et cette jurisprudence est donc à interpréter avec beaucoup de prudence (voir ANNEXE 8 sur la jurisprudence récente de la Cour relative au contrôle conjoint d’opérateurs in house.)

B/ L’attractivité de la notion communautaire de marchés publics questionne également certains dispositifs de l’intercommunalité en France. Une requalification en marchés publics de certaines techniques de mutualisation de services entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont elles sont membres serait en effet possible.

L’article L. 511-4-1-II du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit en effet que les services d’une commune peuvent être mis à disposition d’un EPCI dont elle est membre, et réciproquement, « lorsque cette mise à disposition présente un intérêt dans le cadre d’une bonne organisation des services ». L’objet de cette mesure de bonne gestion publique est de mutualiser des services, le plus souvent des services supports ou des services relevant de compétences partagées comme la voirie. Chaque mise à disposition se traduit par une convention entre la commune et l’EPCI.

La Commission européenne, qui vient d’adresser à la France un avis motivé sur le fondement de l’incompatibilité de ces dispositions du CGCT avec le droit communautaire, considère « que cette mise à disposition […] revient à attribuer de gré à gré un marché public aux services communaux ou aux services de la communauté territoriale sans respecter les procédures de passation prévues par le droit communautaire des marchés publics.»

La divergence d’analyse entre la France et la Commission sur la qualification des conventions de mises à disposition de services traduit bien la difficulté à tracer une ligne entre les services offerts sur le marché et donc soumis au droit commun de la commande publique et les dispositions relevant de l’organisation interne des personnes publiques71.

* * *

70 CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA et Consorzio Alisei, aff. C-340/04)71 Voir article de Jean-David DREYFUS, Autour des notions de bonne organisation des services et de prestation hors marché, AJDA du 8 octobre 2007, p. 1865 et article de Philippe COSSALTER, Les prestations internes à l’administration à l’épreuve du droit communautaire des marchés publics, Concurrences n°3 – 2006, p. 61

31

3 PISTES D’ÉVOLUTION POUR ADAPTER LE RECOURS AUX OPÉRATEURS PUBLICS

L’évolution des contraintes de la concurrence pour les opérateurs publics et leurs relations avec les administrations doit être anticipée selon une stratégie globale.

A/ Il est de toute manière nécessaire d’anticiper les contentieux à venir sur le mode de gestion français du secteur public au regard du droit de la concurrence, notamment dans le cas où la CJCE suivrait la Commission sur la garantie illimitée des établissements publics.

B/ Ainsi que nous l’avons vu en première partie, là où le droit de la concurrence s’étend, le droit de la commande publique, en ce qu’il est un droit de la mise en concurrence, tend lui aussi à s’imposer. L’exception in house à la mise en concurrence est bien délimitée. En revanche, est encore ouverte la question de la définition des cas où l’opérateur est exempté de mise en concurrence parce que ses activités sont « non économiques » :

- l’exception traditionnelle sur le fondement de l’exercice des prérogatives de puissance publique est bien délimitée ;

- en revanche, l’exception sur le fondement de certaines modalités d’exercice de la solidarité peut encore être élargie ;

- enfin, la piste ouverte par le Conseil d’Etat, qui prend en compte les modalités particulières d’exercice des activités lorsqu’elles impliquent que l’opérateur ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel, présente un intérêt certain et demande à être confirmée.

C/ Pour anticiper les conséquences de l’extension de la mise en concurrence, il est donc nécessaire :

- de faire reconnaître que sont sanctuarisés certains secteurs, les « îlots » du droit de la concurrence (prérogatives de puissance publique et certaines modalités d’exercice de la solidarité) d’une part, et de tenter de les étendre au maximum d’autre part, tout en se réservant la possibilité d’utiliser au cas par cas des solutions semblables à Aix-en-Provence;

- d’utiliser au mieux l’exception communautaire existante au droit de la commande publique, le in house, en tentant d’en étendre les critères d’une part et en créant des outils spécifiques y répondant d’autre part ;

- enfin, d’anticiper la mise en concurrence par principe de tous les opérateurs publics qui sont sur des marchés concurrentiels en utilisant des procédures de publicité adaptées d’une part et en sauvegardant le principe d’intuitu personae d’autre part.

La démarche a donc vocation à être appliquée en deux temps : - tout d’abord, limiter l’extension du champ d’application du droit de la concurrence et,

lorsqu’il s’étend, adapter les formes d’opérateurs publics (3.1/ et 3.2/) ;- ensuite, prévoir les adaptations au droit de la commande publique partout où s’étend le droit

de la concurrence, en exploitant au mieux les critères du in house lorsque l’on ne souhaite pas avoir à mettre en concurrence et, pour tout le reste, en utilisant les aménagement prévus aux procédures de publicité et de transparence (3.3/ et 3.4/).

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3.1 Limiter l’extension du champ d’application du droit de la concurrence

Cet axe d’action est doublement important dans la mesure où la limitation du champ d’application du droit de la concurrence contribuera aussi à limiter l’application du droit de la commande publique : ce sont les mêmes opérateurs qui bénéficient de cette double exemption.

La présidence française du conseil de l’Union européenne au deuxième semestre 2008 pourrait être l’occasion de concrétiser certaines des attentes françaises sur le sujet.

3.1.1 Recenser avec précisions les secteurs menacés par des contentieux

Il est fondamental de recenser les services publics et opérateurs qui peuvent connaître des difficultés d’adaptation au droit de la concurrence, et anticiper les obstacles que va poser dans certains domaines l’application du droit de la commande publique. Le dispositif Altmark comporte une menace à la marge pour certains services publics français structurellement déficitaires. En effet, certaines activités économiques perçoivent des subventions d’équilibre supérieures aux seules contraintes de service public (tarifs scolaires des musées, par ex.), qui seraient de facto illégales. Ce sont ces opérateurs qui sont parallèlement les plus vulnérables à une mise en concurrence.

Dans sa communication du 28 novembre 200572 (« paquet MONTI-KROES »), la Commission européenne détaille les conséquences de l’arrêt Altmark et précise les conditions de financement des services économiques d’intérêt général. Sans innover sur le fond, elle donne un délai de 18 mois aux Etats membres pour mettre en conformité et publier leurs régimes de subventions de service public.

Proposition : ce recensement, qui n’a pas encore été initié en France, doit être mené

rapidement en 2008, piloté par secrétariat général pour les affaires européennes (SGAE). Il doit être l’occasion de dresser une cartographie des secteurs menacés par le droit de la concurrence.

Compte tenu de la nature évolutive du droit de la concurrence, qui examine les pratiques des opérateurs sur leur marché à un instant donné et apprécie le degré de maturité de chaque marché hic et nunc, il convient d’organiser une veille sur les secteurs menacés par des contentieux, qui peuvent être initiés par la Commission européenne (veille des administrations centrales et de la Représentation permanente française à Bruxelles) mais aussi par des opérateurs locaux (veille des collectivités locales et des préfectures). Ces contentieux peuvent porter aussi bien sur le respect du droit de la concurrence que sur le respect du droit de la commande publique.

Proposition : une veille concernant la bonne application du droit de la concurrence doit être organisée dans les ministères, qui désigneront des correspondants ad hoc dans leurs administrations centrales et déconcentrées.

Afin de diffuser une « culture de la concurrence » au sein de l’entreprise, EDF et GDF ont mis en place des dispositifs complets de sensibilisation et de préparation au droit de la concurrence à tous les niveaux. Ce type d’initiative pourrait utilement être généralisé.

72 « L’encadrement communautaire des aides d’Etat sous forme de compensation de service public » (n° 2005/C-297/04, JOCE du 29-11-2005).

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Proposition : mettre en place un programme complet de sensibilisation piloté par les ministères en direction de leurs principaux opérateurs publics.

3.1.2 Obtenir des aménagements dans l’application du droit de la concurrence.

Il est primordial de consolider les exemptions au droit de la concurrence prévues pour certains secteurs considérés comme régaliens. Pour l’instant, la Commission ne reconnaît comme activités exonérées du droit de la concurrence que les services d’intérêt général dont elle donne trois illustrations : les activités de police, de justice et les régimes légaux de sécurité sociale73. Ces illustrations procèdent d’une déduction de la jurisprudence de la CJCE. La conséquence pour les Etats membres est qu’ils peuvent financer ces services régaliens sans avoir à se soumettre au régime contraignant des aides d’Etat.

Proposition : Des garanties formelles sur les secteurs des établissements scolaires et universitaires pourraient être demandées par la France à la Commission.

En complément, une approche sectorielle est toujours possible pour les secteurs dont l’ouverture à la concurrence est organisée à l’échelle communautaire.

L’exemple du règlement sur les obligations de service public (OSP) dans le secteur des transports urbains montre qu’il est possible d’obtenir, au cas par cas, des aménagements sectoriels tant par rapport au droit de la concurrence que par rapport au droit de la commande publique. Le règlement contient une définition des « opérateurs internes » spécifique à ce secteur, fondée sur le seul critère du contrôle analogue et complétée par un principe de réciprocité d’ouverture à la concurrence : un opérateur interne n’est exempté de mise en concurrence que s’il ne candidate pas lui-même (ou l’une de ses filiales) sur d’autres marchés74. Ce règlement nécessite d’ailleurs une refonte des textes qui régissent le secteur des transports en Ile-de-France.

Dans les autres domaines, la possibilité de négocier des aménagements au droit de la concurrence ne doit pas être négligée. En 2005, des aménagements ont été obtenus pour les hôpitaux et les HLM. La Commission a accepté d’exonérer les hôpitaux et HLM d’obligation de notification de leurs financements publics, tout en les considérant comme des SIEG soumis au droit de la concurrence. Dans le domaine de la culture, un premier résultat n’a pas pu être obtenu, comme le rappelle le rapport des députés DEROSIER et PHILIP du 26 octobre 200575. La France a également soutenu un amendement déposé par des parlementaires européens tendant à étendre le champ de l'exemption de notification aux entreprises culturelles et aux entreprises sociales d'insertion, ce que la Commission a refusé en 200576. Dans sa communication sur les services d’intérêt général de novembre 2007, la Commission réaffirme son refus d’étendre un tel aménagement, qu’elle réserve à ce stade aux seuls secteurs des hôpitaux et HLM.

73 « Les services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général, un nouvel engagement européen » (COM [725] final)74 Règlement n° 1370/2007 du 23/10/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route.75 Rapport d’information N° 2619 de l’Assemblée nationale sur Le financement des services d'intérêt général76 Voir décision 2005/842/CE de la Commission du 25 novembre 2005 concernant l’application des dispositions de l’article 86 § 2 du TCE aux aides d’Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de SIEG et article de Laetitia DRIGUEZ et Stéphane RODRIGUEZ, « Services sociaux d’intérêt général et droit communautaire », AJDA du 4 février 2008, p.191

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Une législation communautaire pourrait-elle aller plus loin, et exclure a priori certains secteurs du droit de la concurrence ? Une telle exclusion serait contraire à la nature même de ce droit, qui apprécie au cas par cas si un marché concurrentiel existe, et qui n’épargne à ce jour que les régimes légaux de sécurité sociale. Le champ de ce droit a d’ailleurs vocation à s’étendre, en fonction du degré de maturité de chaque marché, à un ensemble large de services sociaux : emploi, formation, logement social, soins de longue durée, etc. Il ressort de la communication du 20 novembre 2007 que la Commission n’envisage pas de proposer une législation sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG). La Commission considère en effet qu’ « un nombre croissant d’activités exercées quotidiennement par les services sociaux entrent désormais dans le champ d’application du droit communautaire, dans la mesure où elles sont considérées comme étant de nature économique. »77 Dans ce contexte, ces services sont soumis au régime de l’arrêt Altmark. Le soin est cependant laissé à la Cour de justice de continuer à définir au cas par cas des exceptions au droit de la concurrence dans le domaine des services sociaux. Cette situation ne paraît pas forcément satisfaisante, en termes notamment de sécurité juridique.

Proposition : adopter une démarche sectorielle pragmatique pour obtenir des aménagements secteur par secteur au fur et à mesure de leur ouverture à la concurrence.

3.1.3 Enfin, promouvoir une interprétation large du champ des activités « non économiques » fondées sur la solidarité

Le fait que leur activité soit qualifiée de « non économique » serait le meilleur moyen de sanctuariser la liberté de recours aux opérateurs. De ce point de vue, dans la mesure où la notion de « prérogatives de puissance publique » est relativement stabilisée en droit communautaire, la France a tout intérêt à promouvoir une interprétation la plus large possible de la notion de « solidarité » .

Ainsi, dans un arrêt sur une des catégories de caisses d’assurance-maladie allemandes, la Cour, après avoir examiné la déconnection entre cotisations et prestations, utilise ce considérant intéressant : « étant regroupées en une sorte de communauté fondée sur le principe de solidarité, qui leur permet d'opérer entre elles une péréquation des coûts et des risques, les caisses de maladie ne sont donc pas en concurrence entre elles ni avec des établissements privés »78.

Peut-on tirer cette notion vers une exception au droit de la concurrence fondée non plus sur la « solidarité » au sens de « solidarité nationale entre catégories d’individus », mais sur une solidarité organisationnelle entre entités ayant des buts communs ? Cela permettrait d’envisager une solution pour certains types de coopération entre collectivités, par exemple. Même si elle est très incertaine, cette voie mériterait d’être explorée plus avant. C’est d’ailleurs la manière dont les autorités allemandes du Bund et de certains Länder entendent la problématique de la coopération locale.

Proposition : tenter, dans le cadre notamment du « dialogue des juges », de promouvoir une interprétation « organisationnelle » de l’exception au droit de la concurrence sur le fondement de la mise en œuvre de la solidarité.

77 « Les services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général, un nouvel engagement européen » (COM [725] final)78 CJCE, 16/03/2004, AOK Verband, aff C-264/01, C-306/01, C-354/01 et C-355/01.

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3.2 Adapter les opérateurs publics au droit de la concurrence

3.2.1 Adapter le statut des EPIC pour leur permettre de continuer à évoluer en environnement concurrentiel

A/ Sous leur forme actuelle, les EPIC, lorsqu’ils interviennent sur des marchés entièrement libéralisés, semblent peu viables et finissent toujours, à terme, par être transformés en sociétés. Cependant, ce mouvement est bien plus du à des raisons stratégiques (souplesse du management, diversification des sources de financement) que juridiques. Pour l’APE, la transformation en société ne doit servir qu’à introduire une logique actionnariale (croissance internationale par échange de titres, mise sous surveillance par le marché, etc).

Si l’emploi d’agents publics est neutre du point de vue du droit de la concurrence, le débat doit se poursuivre sur le maintien d’agents publics dans certains SPIC. Les usagers sont-ils prêts à se passer d’agents publics, par exemple pour la distribution du courrier ou la surveillance des centrales nucléaires ? Les greffes des tribunaux de commerce, assurés par des entreprises privées, montrent qu’il n’y aurait aucune limite à l’emploi d’agents privés, même pour des services régaliens. Cependant, d’un point de vue politique et social, la question reste entière.

B/ En dehors de ce débat, les EPIC restent, dans de nombreux cas, des instruments de gestion efficaces. Leur statut ne nécessite que des adaptations à la marge pour être compatible avec les exigences du droit de la concurrence.

Il paraît souhaitable d’étendre le bénéfice de l’insaisissabilité à tous les actifs indispensables à la continuité du service public, tout en revenant, pour les EPIC, sur le principe de l’insaisissabilité des biens publics. Telle était d’ailleurs la solution de la Cour d’Appel de Paris en 198479. Cette solution s’étendrait par exemple aux matériels roulants des concessionnaires des services locaux de transport, sans risque de discrimination. Il s’agirait de protéger certains actifs (bus, tramways, etc.) de toute saisie par des créanciers et de prévenir les risques de paralysie du service public. Une autre solution serait de faire rentrer les EPIC dans le droit commun des procédures collectives, en modifiant l’article L 620-2 du code de commerce qui les en exclut.

Proposition : faire rentrer le régime des biens des EPIC dans un droit commun prenant en compte la protection des biens du service public.

En toute hypothèse, les établissements publics doivent surtout rémunérer la garantie implicite de l’Etat, comme le demande la Commission européenne, toutes les fois qu’ils exercent des activités concurrentielles.

Concernant EDF, la Commission a rappelé à plusieurs reprise que seule la garantie illimitée non rémunérée posait problème, non le statut d’EPIC lui-même et encore moins sa personnalité publique. Le Commissaire chargé de la concurrence a ainsi rappelé aux députés français le 10 juin 2003 que cette position n’entraînait nullement la privatisation d’EDF80. Il l’a répété devant les sénateurs français : « la transformation du statut d'EDF, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, va au-delà des exigences de la Commission européenne et elle répond au libre choix du

79 11 juillet 1984, GARP c/ SNCF80 Assemblée nationale, Rapport n°1004 d’enquête sur « La gestion des entreprises publiques », juillet 2003 ; Tome II, Audition de M. MONTI

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gouvernement français. Bien évidemment, la Commission européenne ne critique pas ce choix. Mais il faut être conscient qu'elle ne l'impose pas non plus »81.

Sur le modèle de la Caisse des Dépôts, la CGT proposait d’ailleurs une rémunération de cette garantie financière par EDF. Dans une déclaration du 21 juin 2004, le Secrétaire général de la CGT Bernard THIBAUT se fondait sur les propos du commissaire MONTI pour proposer une solution « euro compatible » permettant à EDF et GDF de conserver leur statut d’établissements publics : il suffisait qu’ils rémunèrent l’Etat en contrepartie de la garantie82. En Allemagne, un contentieux ouvert dès 2001 par la Commission contre la garantie accordée à certaines banques par l’Etat fédéral et les Länder a été clos sans privatisation, mais par l’abandon de la garantie pour les emprunts contractés à partir de 2005.

Comment chiffrer cette garantie qui est considérée comme illimitée par la Commission ?

Proposition : une piste serait sans doute de considérer le différentiel de taux de recours à l’emprunt, qui devra être facturé à l’établissement ou requalifié en subvention de service public (en application des critères de droit commun de l’arrêt Altmark).

3.2.2 Préparer l’ensemble des opérateurs publics en diffusant une culture de la connaissance des coûts

Comme nous l’avons vu, le droit de la concurrence impose aux opérateurs publics qui interviennent sur un marché concurrentiel de disposer d’une comptabilité analytique séparée. Certains opérateurs disposent depuis longtemps de tels outils ; l’IGN a ainsi développé une comptabilité analytique au début des années quatre-vingt pour des motifs de gestion. En revanche, pour d’autres opérateurs – essentiellement ceux pour lesquels les contraintes du droit de la concurrence sont apparues plus tardivement – cette exigence constitue un profond changement culturel, qui converge fortement avec la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Une telle démarche est en cours chez certains opérateurs publics, mais reste perfectible (par exemple dans le cas des GRETA). Elle ne permet pas uniquement de prévenir l’usage prohibé de subventions croisées, mais est en outre un puissant vecteur de modernisation et de rationalisation des dépenses publiques.

Proposition : l’instauration d’une comptabilité analytique doit être généralisée chez tous les opérateurs publics touchés par le droit de la concurrence à court ou moyen terme.

Toutefois, certains estiment que toute comptabilité analytique présente des insuffisances (cf supra). Ils plaident ainsi pour l’instauration d’un test de marché pour les entreprises publiques (quels seraient les prix proposés par une entreprise entièrement privée ?) qui semblerait plus à même de déterminer si les prix pratiqués constituent ou non un abus de position dominante. Cependant, une entreprise publique plus efficace qu’un acteur privé en arriverait à pratiquer artificiellement les prix du marché, désavantageant le consommateur (cas des tarifs réglementés d’EDF mis par en exergue par Marcel BOITEUX83).

81 Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 8 juin 2004, Audition de M.MONTI 82 Communiqué publié sur le site de la CGT : http://www.cgt.fr/internet/html/lire/?id_doc=826 : « C’est une procédure qui existe : depuis des années, l’État soumet la Caisse des Dépôts à un versement de ce type en contrepartie de la garantie accordée aux fonds d’épargne. Rien n’empêche d’appliquer à EDF et GDF cette méthode, ce qui clarifierait d’ailleurs les relations financières entre les entreprises et la puissance publique ».83 BOITEUX Marcel, « Les ambiguïtés de la concurrence », Futuribles 06/2007

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Proposition : l’usage du test de marché doit être évalué et utilisé avec précaution.

3.3 Dans les secteurs soumis à la commande publique, utiliser au mieux la possibilité de recourir à un « opérateur interne »

3.3.1 La formule de l’établissement public in house permet de prévenir les risques de gestion de fait

Un opérateur, lorsqu’il prend la forme d’une association para-publique, court un risque de gestion de fait. Si l’association in house est un simple démembrement de l’administration, qui y dispose « d‘un pouvoir majoritaire dans [ses] organes d’administration ou de surveillance, ou dispose d’un droit de regard et de suivi permanent sur [ses] décisions »84, les sommes allouées à l’association doivent alors regardées comme gérées en réalité par la collectivité publique, en méconnaissance du principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable. Leur requalification entraîne une déclaration de gestion de fait, avec la nécessité d’un remboursement ou d’une régularisation de la situation. Pour éviter la gestion de fait, les statuts ne devraient pas donner à la personne adjudicatrice un « pouvoir de direction à la fondation ». Mais cette situation ne correspondrait alors plus au critère du « contrôle analogue » posé par la jurisprudence pour la qualification d’une relation in house.

Pour le conseil d’Etat, la meilleure formule « in house » est donc celle de l’établissement public, qui permet « d’écarter pour l’avenir le risque de gestion de fait tout en conférant aux autorités administratives un pouvoir de direction, de suivi et de contrôle », comme indiqué dans son avis sur les activités de la fondation Jean Moulin.

La formule de l’établissement public est en effet aisément utilisable pour créer des opérateurs publics in house , à condition de respecter quelques règles. Cette formule présente un certain nombre d’avantages. S’agissant du critère portant sur le contrôle analogue, la tutelle exercée par la collectivité publique constitue un premier indice fort en ce sens. Le mode de composition de ses organes dirigeants, fixé dans l’acte de création, est de plus souvent conforme aux exigences posées par ce critère. En effet, dans la plupart des établissements publics, les membres du conseil d’administration, comme également le directeur, sont nommés par décret.

En revanche, les statuts ne garantissent pas a priori que l’établissement exerce l’essentiel de son activité avec la collectivité publique. Néanmoins, lorsque cette condition est réalisée, le principe de spécialité constitue une garantie solide permettant de s’assurer que les missions détaillées dans l’acte de création de l’établissement ne seront pas dépassées. De plus, la non participation d’une personne privée est assurée. L’arrêt Parking Brixen illustre d’ailleurs bien le risque d’une transformation d’un établissement public en société par action. Dans cet affaire, la transformation d’une « entreprise spéciale ayant pour fonction spécifique la prestation intégrée de services publics locaux » en société anonyme a fait perdre la qualification de in house, compte tenu de « l’élargissement de l’objet social » et de « l’ouverture obligatoire de la société à court terme à d’autres capitaux ». La formule de l’établissement public comporte cependant une limite naturelle : l’opérateur in house ne peut diversifier son activité.

84 Avis du Conseil d’Etat du 23 octobre 2003, Fondation Jean-Moulin38

Proposition : l’analyse doit donc être menée à la création de chaque établissement public : le souhaite-t-on in house, avec un monopole sur son activité, ou souhaite-t-on qu’il puisse se diversifier et se tourner vers d’autres clients ? Dans le deuxième cas, la formule in house n’est plus applicable et la dévolution de mission sans concurrence prohibée.

3.3.2 La formule de l’établissement public in house est pertinente dans certains domaines (agences nationales, opérateurs culturels)

La création d’agences sous forme d’établissements publics pour assurer des missions régaliennes doit rester une option ouverte aux administrations centrales. A titre d’illustration, la création de l’agence nationale des titres sécurisés (ANTS) a été décidée dans le but d’accélérer la mise en circulation des passeports biométriques exigés par l’administration américaine, alors que des retards importants avaient été constatés dans le lancement de leur production. Une plus grande autonomie budgétaire, la souplesse dans le recrutement, la possibilité d’intégrer de nombreuses fonctions sous une ligne hiérarchique unique (et sans dépendance envers les grandes directions d’un ministère), et la responsabilité personnelle dans la conduite du chantier du directeur de cette agence ont été les principaux apports du recours à la formule de l’EPA.

L’activité de ces agences peut évoluer dans le temps. A ce jour, les activités de l’ANTS sont éminemment régaliennes et ne risquent pas de fausser la concurrence avec d’éventuels opérateurs privés. Il n’est pas exclu que les activités de l’agence se diversifient ultérieurement vers d’autres clients, par exemple pour la réalisation de documents sécurisés. Dans ce cas, cette diversification ne sera plus compatible avec des missions confiées aujourd’hui de manière unilatérales, sauf à entrer dans le droit commun de la compensation des obligations de service public, de l’octroi de droits exclusifs et de la séparation comptable des activités.

Proposition : les établissements publics in house qui souhaitent diversifier leurs activités doivent être conscients des obligations liées à l’attribution d’un droit exclusif sur leur activité initiale.

Une solution alternative peut aussi consister à créer des agences en régie, sans dévolution de la personnalité morale. Le conseil de la modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007, chargé de piloter la revue générale des politiques publiques (RGPP) a ainsi proposé la création d’agences sans personnalité morale, sur le modèle suédois. La même tendance est à l’œuvre en Autriche et en Allemagne, avec un retour à la gestion en régie directe devant des règles du in house jugées trop restrictives.

Proposition : considérer ces nouvelles agences comme alternative pour créer un opérateur qui échappe à la mise en concurrence.

La formule de l’établissement public coopération culturelle (EPCC) permettrait aussi de répondre aux difficultés propres du secteur de la culture. Cette formule, créée en 2002 et modifiée en 2006, permet aux collectivités locales de recourir directement à un opérateur créé par leur soin, et de le subventionner sans mise en concurrence. Ce type de structure est expressément recommandé par la circulaire du ministère de la culture du 2 octobre 2007 comme solution lorsque le droit communautaire impose une mise en concurrence. Il permet de remplir les critères du in house, et donc d’éviter que les associations qui sont de simples émanations des collectivités locales n’encourent le risque d’une gestion de fait ou d’une requalification de leurs contrats de subvention en marchés publics ou en délégations de service public. De surcroît, vis-à-

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vis des instances communautaires, cette dérogation apparaît plus sûre que celle accordée aux établissements publics ad hoc par la loi Sapin. Son utilisation reste cependant embryonnaire.

Proposition : parce qu’il répond parfaitement aux critères du in house, le recours à la formule de l’EPCC doit être encouragée.

3.3.3 Au niveau local : explorer la piste de sociétés publiques in house et mettre en concurrence les partenaires privés lors de la constitution des SEM

A/ Des formes de sociétés in house peuvent être utiles dans certains cas.

Actuellement, les sociétés d’économie mixte locales (SEML), dans lesquelles la participation des collectivités locales plafonnée à 85 % du capital85, ne correspondent pas aux critères du in house. Il n’existe pour le moment aucune forme de société commerciale permettant un actionnariat public local à 100%.

Il pourrait donc être opportun de créer un nouveau format de sociétés publiques locales (SPL), en s’inspirant des exemples européens des Stadtwerke allemandes et autrichiennes ou des sociétés communales italiennes.

La propriété publique à 100% de telles sociétés ne garantira pas en lui-même le respect du critère de contrôle analogue. Il est probable qu’il faille prévoir un contrôle complémentaire de la collectivité, par exemple en s’inspirant de la solution adoptée par la municipalité de Vienne pour faire rentrer ses Stadtwerke dans le cadre du in house. Le statut des sociétés par actions (Aktiengesellschaften) autrichiennes prévoyant en principe l’autonomie du conseil d’administration, la commune conclut avec chacune de ses sociétés un « contrat de contrôle » (Beherrschungsvertrag) qui lui offre la possibilité d’adresser au conseil d’administration des injonctions. Ces dernières peuvent correspondre aux critères du « contrôle analogue ». De tels contrats individuels pourraient être prévus pour des SEM françaises.

Cependant, l’utilisation de tels opérateurs pourrait être détournée afin de déroger aux règles de la fonction publique territoriale. Surtout, les collectivités locales n’ont pas nécessairement à l’heure actuelle l’expertise nécessaire pour maîtriser seules une logique d’entreprise privée. Les raisons qui ont pu pousser à encadrer le statut des SEML demeurent, à savoir la participation obligatoire et conséquente d’un acteur privé pour garantir la viabilité économique des projets.

C’est pourquoi, si une telle solution devait être adoptée, il conviendrait de l’encadrer fortement et d’adopter une démarche progressive en créant au cas par cas des instruments ad hoc, en fonction des contentieux qui ouvrent certains secteurs non préparés à la concurrence. Les sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA) ont ainsi été crées en 200686 en réponse à l’arrêt Sogedis (Cour administrative d’appel de Bordeaux , 09/11/2004), qui a imposé une mise en concurrence lors de la passation des conventions d’aménagement. Ces sociétés répondent aux critères du in house, leur activité étant spécialisée et cantonnée au territoire de leurs actionnaires. Ce dispositif expérimental sera évalué au terme d’une période de 5 ans87.

85 Articles L. 1521-1 et suivants du CGCT86 Loi du 13/07/2006 portant engagement national pour le logement87 Cf le nouvel art. L. 237-1 du code de l’urbanisme ainsi créé. Il faut noter que, à la lumière de l’arrêt Auroux de la CJCE du 18/01/2007, il n’est pas certain que cet article règle le problème : les conventions d’aménagement y ont été requalifiées en marchés publics de travaux, et devraient donc être soumises aux obligations procédurales de la directive 2004/18 ; or les procédures spécifiques prévues pour leur adjudication sont inspirées de celles des DSP et non de celles du code des marchés publics.

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Proposition : en cas de contentieux ponctuel, créer par la loi une nouvelle forme de SEM à capital entièrement public, qui prévoirait un système de contrôle complet, à titre expérimental.

B/ Pour les sociétés locales avec partenaire privé, la Commission recommandera vraisemblablement que la mise en concurrence intervienne au stade de la sélection du partenaire privé pour la constitution du capital, rendant superflue une seconde adjudication, au stade de l’attribution du marché public ou de la concession. La Commission a été invitée par le Parlement européen et par certains Etats membres, au premier rang desquels l’Allemagne, à faire des propositions en ce sens. La communication interprétative portant sur les partenariats public-privé institutionnalisés (PPPI)88 devrait toutefois écarter l’option d’une législation générale sur le in-house.

Cette proposition pourrait être accueillie favorablement par la France. Le droit français devra être simplifié pour que la collectivité qui met en place une procédure transparente de sélection de son partenaire privé ne soit pas contrainte d’organiser, dans un second temps, une procédure de mise en concurrence pour l’attribution du marché ou de la concession elle-même. La Ville de Paris a testé une procédure de mise en concurrence pour sélectionner son partenaire dans une SEM, en vue de lui confier la gestion de la tour Eiffel. Elle a été obligée d’organiser une deuxième procédure de mise en concurrence pour attribuer la mission elle-même, qui s’est révélé être purement formelle.

Pour une collectivité locale, confier une mission à une société commerciale se ferait alors dans les conditions suivantes :

- si la collectivité entend ouvrir le capital de la société, elle devra procéder à une mise en concurrence, soit au stade de la sélection de l’actionnaire (option privilégiée par la Commission), soit au stade de l’adjudication du marché ou de la concession ;

- si la collectivité souhaite demeurer dans le cadre strict du « in house », tout en profitant des souplesses de gestion offertes par la forme sociétaire, elle devra en être l’unique actionnaire89.

En France, la Fédération des SEM est favorable à l’ouverture d’une telle option.

Proposition : soutenir la proposition communautaire de mise en concurrence des actionnaires au stade de la création de la SEM.

3.3.4 Certaines formes de coopération public-public pourraient être préservées de la mise en concurrence par une législation communautaire

Plus délicate pour la France est la question des EPCI. L’enjeu est de savoir dans quelle mesure les dispositifs nationaux de mises à disposition de services entre les communes et les EPCI pourraient s’inscrire dans l’exception du in-house. Une première option consisterait à nourrir la réflexion engagée par la Cour de justice sur la notion de « contrôle conjoint », exercé par plusieurs collectivités sur un opérateur in house. Il s’agirait de souligner l’intérêt et les potentialités des arrêts Carbotermo et Asemfo. Il n’est toutefois pas certain que la Cour assouplisse les conditions très restrictives énoncées dans ces arrêts. Une seconde option serait de soutenir l’idée d’une législation communautaire qui faciliterait certains types de coopérations

88 Elle devrait être publiée dans le courant du premier trimestre 200889 Ainsi, en Italie, la commune de Bari n’a pas été obligée de mettre en concurrence la société de transports publics qu’elle contrôle à cent pour cent et dont l’activité est limitée au territoire communal (CJCE, 6 avril 2006, Associazione Nazionale Autotrasporto Viaggiatori, aff. C-410/04)

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public-public, en les préservant de la mise en concurrence. La Commission n’a pas encore de position claire sur le sujet.

Proposition : la France pourrait s’associer aux autres Etats membres soucieux de préserver de la mise en concurrence certains dispositifs de coopération entre collectivités publiques (Allemagne, Espagne, Italie, Portugal notamment) pour faire valoir l’intérêt d’une présomption de relations in-house dans ce domaine.

3.4 Exploiter davantage les autres dérogations à la mise en concurrence

3.4.1 Mieux utiliser les droits exclusifs comme exception à l’obligation de mise en concurrence

L’exemple de l’Institut Géographique National (IGN) montre l’intérêt de définir, lorsque cela est techniquement ou économiquement justifié, un noyau dur d’activités pour lesquelles l’opérateur public est protégé par un droit exclusif. Cela lui permet de faire échapper une partie des relations avec l’opérateur aux contraintes de la commande publique. En effet, les directives 2004/18 et 2004/17 permettent l’attribution directe de marchés publics et services à des opérateurs publics bénéficiant de droits exclusifs conformes au traité90. Cette piste d’adaptation ne peut cependant avoir qu’une ampleur limitée. En effet, le champ d’application en est restreint, réservé par les directives 2004/18 et 2004/17 aux marchés publics de services. Cette dérogation doit être transposée avec précaution aux d’autres types de commandes publiques91. Par ailleurs, l’octroi de droits exclusifs doit être conforme au droit commun de la concurrence et répondre aux exigences de proportionnalité et de nécessité (voir ANNEXE 7).

Proposition : une revue générale des opérateurs publics, notamment de l’Etat, permettra de déterminer les entités susceptibles de bénéficier d’une telle mesure.

Par ailleurs, les modalités d’attribution de ces droits exclusifs pourraient être soumises à certaines obligations de transparence et de publicité92. Une manière de mieux garantir la conventionalité des droits exclusifs confiés aux opérateurs publics consisterait donc à s’efforcer de fonder le choix des titulaires sur des considérations objectives et non discriminatoires. Une telle démarche permettrait d’ailleurs de retrouver la logique sous-jacente à l’arrêt Höfner, car, tout en laissant l’administration relativement libre de recourir à un opérateur public ad hoc, elle introduirait sur ce dernier une certaine pression relative à l’efficience.

Proposition : introduire une mise en concurrence minimale dans certaines procédures d’octroi de droits exclusifs.

D’ailleurs, le juge français pourrait imposer une mise en concurrence préalable aux dévolutions de service public par acte unilatéral. La règle de mise en concurrence pour une DSP

90 Articles 18 de la directive 2004/18 et 23 de la directive 2004/17.91 Voir par exemple le point 83 des conclusions de l’avocat général sous l’arrêt Auroux du 18/01/2007, aff C-220/05, sur la troisième question préjudicielle posée à la CJCE : « on ne saurait s’abstenir de la procédure de la directive 93/37 au seul motif que, en application du droit national, une convention ne peut être conclue qu’avec certaines personnes morales et que celles-ci de toute manière devront appliquer les procédures de marchés publics ».92 La Cour a déjà fait savoir que les modalités d’attribution de droits exclusifs ou spéciaux doivent respecter les règles générales du traité, à savoir l’égalité de traitement, la transparence, et la reconnaissance mutuelle.

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connaît une exception en cas d’attribution par acte unilatéral, comme c’est le cas pour l’exploitation des services de transport en Ile de France (par décision d’inscription au plan régional de transport). Dans ce cas de figure, le conseil d’Etat a estimé que le référé pré-contractuel ne pouvait s’appliquer (CE, Commune de Rosny sous Bois, 13 juillet 2007). L’arrêt note cependant que la procédure de publicité et de mise en concurrence a été menée en amont, sans dire si son absence aurait été ou non un moyen opérant. Une clarification de la jurisprudence sur ce point serait sans doute bienvenue.

3.4.2 Certaines exceptions au CMP pourraient éventuellement faire l’objet d’une utilisation accrue

La directive 2004/18/CE comprend un certain nombre d’exceptions et de dérogations (cf. ANNEXE 5). L’article 31 énonce notamment les « cas justifiant le recours à la procédure négociée sans publication d'un avis de marché. ». Parmi ces dérogations, l’une d’entre elles doit être signalée, qui correspond au cas où « lorsque pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité, le marché ne peut être confié qu'à un opérateur économique déterminé ». Cette exception est reprise dans les codes des marchés publics de 2006, à l’article 35 II 8°. En revanche, elle ne figure pas dans la loi Sapin de 1993.

A première vue, l’exception prévue à l’article 35 II 8° du code des marchés publics pourrait donc permettre, à l’instar de la démarche du hors marché, de sanctuariser des prestations que le pouvoir adjudicateur estimerait n’être réalisables que par un seul opérateur. Toutefois, un tel raisonnement doit être nuancé à plusieurs égards. Il est important tout d’abord de préciser que cette exception découle de la théorie économique des biens non substituables. L’exemption pour motif artistique ne fait pas référence au secteur culturel, mais au simple fait qu’il est inutile de réaliser un appel d’offre pour acheter une toile précise. D’autre part, ce type de procédures présente un risque contentieux certain, le juge contrôlant étroitement la seconde condition, à savoir que seul un prestataire déterminé soit en mesure de satisfaire un besoin.

Néanmoins, de telles dispositions pourraient éventuellement être utilisées de manière plus large. Si le critère technique semble peu extensif, en revanche, il pourrait être envisageable d’utiliser davantage le critère artistique. Ainsi pour le cas du festival d’Aix en Provence, il est probable que l’entité en cause ne réalisait pas uniquement des prestations habituelles d’organisation de spectacles, mais était à l’origine d’une prestation artistique précise qu’aucun autre concurrent n’aurait pu réaliser à sa place, par exemple pour la sélection des artistes. Ainsi, sous réserve de l’acceptation par le juge d’une certaine plasticité de la dérogation, de telles dispositions pourraient offrir une marge de liberté supplémentaire aux pouvoirs adjudicateurs, et gagnerait donc à être inscrite dans la loi Sapin.

Proposition : examiner la possibilité de transposer par la loi ce mécanisme dérogatoire aux délégations de service public.

3.4.3 Défendre pour l’administration la liberté de choix in fine de son délégataire

Pour les délégations de service public, il n’existe aucun risque à généraliser la mise en concurrence, sinon celui de découvrir une meilleure offre, le principe de l’intuitu personnae étant protecteur de la liberté de choix de l’administration.

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La généralisation de la publicité ne devrait pas conduire à un contrôle par le juge administratif de l’application des critères de choix par la personne délégante. Pour les délégations de service public, la liberté de choix se justifie par la durée du contrat passé avec le délégataire (plusieurs décennies pour les concessions) et par la nature des prestations en jeux (les obligations de service public). Pourtant, les possibilités de recours contre ces contrats ont été élargies récemment. Une possibilité de recours de pleine juridiction (avec mesures de suspension, d’annulation, de compensation, etc.) est désormais ouverte à un concurrent évincé, après dévolution de la mission de service public93.

La France doit promouvoir cette liberté de choix dans le projet de directive sur les concessions. La France est officiellement favorable à l’adoption d’une directive sur les concessions de services qui devrait prendre pour modèle la loi Sapin. Cette conception se heurte au scepticisme de nombreux Etats membres, notamment d’Europe centrale qui ne connaissent pas dans leur droit le concept de délégation de service public. A l’opposé, la position anglaise est plus exigeante : elle conduirait à étendre aux délégations de services publics le formalisme des obligations de marchés publics, tant les préoccupations de coûts leurs sont prioritaires sur les considérations de libre organisation des personnes publiques. La France et l’Allemagne ont accepté le principe d’une directive, à condition que la liberté de choix du délégant y soit portée explicitement. La position française de défense de l’intuitu personnae doit être maintenue.

Il reste enfin possible de mieux utiliser le pouvoir discrétionnaire de l'administration dans l'octroi de subventions . Le régime des subventions permet de contourner les obligations de mise en concurrence qui ne s'imposent qu'aux délégations de service public et aux marchés. La subvention discrétionnaire reste possible en dehors des aides aux entreprises (encadrées par le régime des aides d'Etat) et en dehors des missions de service public, missions soit instaurées par la loi, soit constatées par le juge. Certes, le juge administratif a une conception extensive de la notion de service public. Il faut d'une part une mission d'intérêt général menée sous le contrôle de l'administration et, d'autre part, une mission exercée avec des prérogatives de puissance publique ou, au minimum, initiée par l'administration (CE UGC Ciné Cité, 5 octobre 2007). Cette conception laisse la possibilité de verser des « subventions sèches », hors mission de service public. Par exemple, la création d'un cinéma à Epinal par une SEM ne correspondant pas à une mission de service public, cette mission peut être confiée à la SEM sans mise en concurrence.

Proposition : Même pour les "subventions sèches", un minimum de publicité préalable pourrait être à terme la règle, soit sous la forme des régimes d’aides qui existent déjà pour les entreprises (une publication des règles d’éligibilité, avec ainsi une égalité de traitement maximale), soit sous la forme des appels à projets qui existent pour les subventions ponctuelles dans certains domaines (subventions pour la recherche, avec mise en concurrence des laboratoires).

93 Conseil d’Etat, Société Tropic Travaux Signalisation, 16 juillet 2007.44

CONCLUSION :

Le thème « Concurrence et organisation des personnes publiques» procédait sans doute d’une inquiétude. L’Etat et les collectivités locales confient traditionnellement de nombreuses missions à des opérateurs publics et para-publics, sans examen du marché potentiel qui risque d’en être ainsi perturbé. Désormais, la conjonction des droits de la concurrence et de la commande publique met en cause certaines de ces pratiques.

Il est en effet apparu que l’arrivée de concurrents potentiels sur un marché, et la soumission du secteur d’activité concerné au droit de la concurrence, entraînaient, à plus ou moins brève échéance, l’obligation de mettre les opérateurs publics de ce marché en concurrence. La première partie de ce rapport montre que cette convergence des droits se retrouve logiquement dans les jurisprudences communautaire et interne. Cette convergence s’introduit dans de nombreux secteurs : enseignement scolaire et universitaire, formation professionnelle, caisses de sécurité sociale et mutuelles, établissements hospitaliers, associations culturelles et organismes HLM. Les relations entre les administrations publiques et leurs opérateurs vont être durablement marquées par cette évolution.

Cette inquiétude ne s’est pas dissipée au fil de l’étude, mais elle s’est tempérée. Pour anticiper ces difficultés, plusieurs modes opératoires existent pour permettre les adaptations qui s’avèrent nécessaires dans certains secteurs. Pour soustraire tel ou tel opérateur d’une mise en concurrence trop brutale, plusieurs voies se révèlent praticables : négocier des aménagements à Bruxelles, adapter ses statuts et ses activités pour en faire un opérateur in house, utiliser pleinement les marges de manœuvre discrétionnaires dont bénéficie l’administration (octroi de droits exclusifs, aménagements du code des marchés, choix intuitu personae du délégataire, possibilité de certaines subventions directes).

La position de monopole de l’opérateur public n’est cependant pas toujours à rechercher. L’évolution générale, qui met les opérateurs publics sous tension et ouvre leurs marchés traditionnels peut en effet être une source de modernisation. Elle est autant un facteur de réforme qu’une épreuve, et ce changement doit aboutir à offrir un meilleur service à l’usager. La mise en concurrence n’est pas une fatalité que l’administration aurait à subir, à reculons ; elle peut parfois être recherchée pour elle-même.

La pression est de plus en plus forte depuis quelques années pour évaluer les coûts de la gestion interne et procéder à des externalisations lorsque les prestations du secteur privé sont moins onéreuses : Public Sector Comparator britannique, Fair Act américain de 1998, initiative (sans suite) de la commission en 2002 dans les transports94, procédure du « comparateur » des contrats de partenariats public-privé introduit par l’ordonnance du 17 avril 2004, et projet en cours de généralisation de ce type de contrats. Elle devrait être encore renforcée avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui vise à mesurer avec précision le coût réel des services de l’Etat. Or, dans bien des cas, la mise en concurrence ne constitue pas une obligation pour les collectivités publiques de choisir tel ou tel opérateur, mais un moyen pour évaluer les coûts et l’efficacité d’une production ou d’un service.

94 Règlement relatif à l’action des Etats membres en matière d’exigences de service public et à l’attribution de contrats de service public dans le domaine des transports de voyageurs par chemin de fer, par route et par voie navigable du 21 février 2002, COM(2002)107 final)

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