Description et perception des lieux dans Notre Dame de Paris de Victor Hugo

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DESCRIPTION ET PERCEPTION DES LIEUX DANS NOTRE DAME DE PARIS DE VICTOR HUGO Essai de Valentina Alzati 1

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DESCRIPTION ET PERCEPTION DES LIEUX DANS NOTRE DAME DE PARIS DE VICTOR HUGO

Essai de Valentina Alzati

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1. INTRODUCTION

Selon Gérard Genette, « il peut sembler paradoxal de parler d'espace à propos de la littérature apparemment en effet, le mode d'existence d'une œuvre littéraire est essentiellement temporel, puisque l'acte de lecture par lequel nous réalisons l'être virtuel d'un texte écrit, cet acte, comme l'exécution d'une partition musicale, est faite d'une succession d'instants qui s'accomplit dans la durée, dans notre durée »1. Toutefois, même pour Genette, « on doit envisager la littérature dans ses rapports avec l'espace. Non pas seulement parce que la littérature, entre autre « sujets », parle aussi de l'espace, décrit des lieux, des demeures, des paysages, nous transporte, […] en imagination dans des contrées inconnues qu'elle nous donne un instant l'illusion de parcourir et d'habiter. »2 Ce rôle de la dimension spatiale dans le roman est seulement marginal et passif, la littérature et la critique doivent prendre en considération aussi une spatialité « active », « représentative » et « signifiant »3, une spatialité analogue à celle utilise par l'architecture. Dans ses essais qui vont sous le titre de Figures, Genette esquisse seulement le problème de cette spatialité active, parce que le roman qu'il a décidé d'analyser, c'est-à-dire La Recherche du temps perdu de Proust, se prêtait mieux à des réflexions sur le temps.

D'autres critiques, comme Lotman, au contraire, ont pu approfondir ce problème et ils voient l'espace comme l'une des structures fondamentales dans l'analyse d'un roman, parce qu'elle est « une forme productrice du sens », qui peut être étudiée selon différentes perspectives: culturelle et indépendante ou en rapport avec la focalisation sur le narrateur ou un personnage4. Les lieux, intérieurs ou extérieurs, peuvent devenir aussi le thème principal de la narration, comme, par exemple, dans A rebours.

Dans le roman que j'ai décidée d'analyser, Notre-Dame de Paris, écrit par Victor Hugo et publié pour la première fois en 1831, l'espace est un élément particulièrement significatif, parce qu'il n'est jamais indépendant, mais il est presque toujours lié à la focalisation sur un personnage ou sur le narrateur. Pour cette raison, à travers la description des lieux le lecteur peut pénétrer les idées du narrateur ou comprendre les motivations qui sont à la base des mouvements des actants. Déjà le titre du roman fait comprendre les lignes directrices le romancier veut suivre. La ville de Paris et la cathédrale gothique de Notre-Dame, les deux seuls éléments qui composent ce titre, ne sont pas simples scénarios où se déroule l'action, mais elles ont une signification plus profonde et une valeur symbolique, que j'analyserai dans cet essai. Dès maintenant, je peux dire que tous les lieux du roman sont reconstruits à travers un regard qui veut être celui de l'historien et qui dépend de l'influence de Walter Scott, mais aussi de la naissance du genre historique en tant que science, selon les idées de Michelet. Une autre raison qui pourrait avoir poussé l'auteur à rebâtir un Paris du passé est le fait que la culture romantique aspire à transporter les lecteurs dans un ailleurs, qui peut être spatial comme les Pays exotiques dans les romans de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, ou les Pays considérés exotiques, comme l'Italie ou l'Allemagne de Madame de Staël. Cet ailleurs peut être aussi temporel, comme Paris du XVe siècle de Victor Hugo, ou les deux ailleurs peuvent se combiner pour créer des effets originels comme dans le cas de Les Orientales d'Hugo ou de Salammbô de Gustave Flaubert.

Pour faire émerger la structure spatiale du roman et ses caractéristiques, je commencerai par l'analyse d'un grand lieu ouvert, la ville. Puis, je m'occuperai d'un lieu fermé fondamental: la cathédrale de Notre-Dame.

1 GENETTE Gérard: Figures II, Paris, Éditions du Seuil, (1969) pag. 43.2 GENETTE Gérard: Figures II, Paris, Éditions du Seuil (1969) pag. 43-44. 3 GENETTE Gérard: Figures II, Paris, Éditions du Seuil (1969) pag. 44.4 Cfr: LAMBERT Fernando: « Espace et narration: théorie et pratique ». In Etudes littéraires, vol 30, n°2, (1998),

pag. 111-121. Pour les réflexions sur la fonction et le rôle du narrateur et de la focalisation dans les descriptions: GENETTE Gérard: Figure III. Discorso del racconto, Torino, Einaudi, (1976).

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2. LA VILLE DE PARIS

Au XIXe siècle la ville commence à devenir un véritable paysage, à coté du lieu qui jusqu'à ce moment, avait été considéré comme le seul possible: la campagne.

Le paysage urbain vit sa consécration à travers les arts. Paris, capitale culturelle d'Europe, devient sujet des romans, mais aussi protagoniste de la naissante art de la photographie, et de la peinture. Par exemple, Nadar le choisit comme sujet pour les daguerréotypes et pour les premières photographies.

Le paysage urbain qui a une nature polyphonique, peut être vu selon deux perspectives fondamentales qui influencent profondément la façon dont il est décrit: une horizontale et une verticale. Dans les romans, les essais ou les poèmes (à partir de Les Tableaux parisiens de Charles Baudelaire), mais aussi dans le poème en prose, véritable genre né avec le paysage urbain, ces deux dimensions se mêlent pour produire des résultats différents.

La perspective horizontale est mise en scène dans la narration à travers les mouvements d'un personnage dans la ville. Souvent ce personnage peut être défini un flâneur, parce qu'il explore habituellement l'espace urbain avec une air de distraction, qui lui permet de découvrir des lieux cachés ou de franchir des seuils interdits aux autres individus. Le terme nait officiellement avec la poésie de Baudelaire et il aura sa consécration au XXe siècle avec la poésie surréaliste, mais déjà au XIXe siècle, dans les romans de Balzac, de Victor Hugo ou de Nerval, il y a des promeneurs qui, grâce à leur lien étroit avec l'espace urbain, peuvent être rapprochés au flâneur. La perspective horizontale présente la ville souvent comme un labyrinthe dangereux, comme celui de Dédale5 et pour cette raison elle provoque un sens de perte dans le promeneur.

La perspective verticale, au contraire, se manifeste avec l'introduction dans la narration de longues pauses descriptives qui prennent le nom de « vols d'oiseau » et qui permettent au romancier de peindre des tableaux complets, même si statiques, de la ville6. Ces tableaux peuvent être neutres ou influencés par la focalisation sur un personnage.

Toutes ces réflexions vaillent pour Notre-Dame de Paris, parce que la présentation de la ville du moyen âge est conduite à travers ces techniques narratives « inventées » au XIXe siècle. Ainsi, dans le roman c'est possible de trouver deux descriptions d'un Paris dédalique, l'une conduite à travers la focalisation sur Claude Frollo, archidiacre de la cathédrale de Notre-Dame, qui, en traversant la ville, cherche à fuir ses démons intimes; l'autre conduite à travers la focalisation sur Pierre Gringoire, poète et flâneur, qui, à cause de sa distraction et de la fatalité pénètre la Cour des Miracles, lieu de la ville, labyrinthique et semi-ouvert. A côté de cette dimension horizontale, il y a aussi divers représentations de la ville dans sa prospective verticale et ces deux images de Paris sont liées l'une à l'autre.

Je commencerai par analyser la ville dédalique vue selon la perspective de Claude Frollo.

On est dans le chapitre Fièvre (Chapitre I, Livre IX) et l'archidiacre vient d'exécuter la première partie de la sentence à laquelle La Esmeralda a été condamnée, qui consiste à « être menée dans un tombereau, en chemise, pieds nus, la corde au cou, devant le grand portail de Notre-Dame » pour faire amende (pag.462), avant d'être pendue en Place de Grève.

Puis, l'homme, complétement bouleversé par ses actions et incapable d'assister à l'exécution

5 Cfr: CHENET-Faugeras Françoise: « L'invention du paysage urbain ». In Romantisme, n°83 (1994) pp.27-38. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1994_num_24_83_5932 (novembre 2010).

6 Pour la différence entre description et pause descriptive: GENETTE Gérard: Figure III. Discorso del racconto, Torino, Einaudi, (1976), pag. 143-144-145.

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de la femme qu'il aime, abandonne l'église de Notre-Dame pour parcourir Paris:

Rentré dans la sacristie, il avait arraché l'aube, la chape et l'étole, avait tout jeté aux mains du bedeau stupéfait, s'était échappé par la porte dérobée du cloître, avait ordonné à un batelier du Terrain de le transporter sur la rive gauche de la Seine, et s'était enfoncé dans les rues montueuses de l'Université, ne sachant où il allait, rencontrant à chaque pas des bandes d'hommes et de femmes qui se pressaient joyeusement vers le pont Saint- Michel dans l'espoir d'arriver encore à temps pour voir pendre la sorcière, pâle, égaré, plus troublé, plus aveugle et plus farouche qu'un oiseau de nuit lâché et poursuivi par une troupe d'enfants en plein jour. Il ne savait plus où il était, ce qu'il pensait, si il rêvait. Il allait, il marchait, il courait, prenant toute rue au hasard, ne choisissant pas, seulement toujours poussé en avant par la Grève, par l'horrible Grève qu'il sentait confusément derrière lui.(pag. 507)

L'angoisse de l'archidiacre, qui conditionnera ses mouvements dans la ville mais aussi la caractérisation de la cathédrale où il retournera à la fin du parcours, est suggérée dès les premiers lignes de l'extrait grâce à l'action violente de l'arrachement. Cette action représente un acte blasphème contre les symboles sacrés qui marquent son appartenance à l'Église « il avait arraché l'aube, la chape et l'étole ». Le geste très fort a été provoqué par son âme bouleversé à cause du nouveau refusé de La Esmeralda («Veux-tu à de moi? Je puis encore te sauver!. Elle le regarda fixement: - Va t'en, démon! Ou je te dénonce.» pag.501) et il anticipe la fin de ce chapitre où Claude Frollo commettra un véritable sacrilège contre l'édifice saint de l'église de Notre-Dame: il prendra la lampe du bréviaire pour tenter de chasser ses démons (« Il se leva, et, comme il avait peur, il prit pour s'éclairer la lampe du bréviaire. C'était un sacrilège; mais il n'en état plus à regarder à si peu de chose » pag. 518). Dans cet extrait, la cathédrale devient le symbole de toute la communauté religieuse du moyen âge qui Claude Frollo est en train de refuser pour une vie de pêché.

Après avoir enlevé ses vêtements cléricaux il sort de Notre-Dame, qui se trouve sur l'île Notre-Dame au centre du fleuve, et il commence sa fuite. Avant tout il franchit la frontière de la Seine et passe de la rive droite à la rive gauche (« il avait ordonné à un batelier du Terrain de le transporter sur la rive gauche de la Seine ») . Ce passage est nécessaire parce que sur la rive droite il y a la Grève, « l'horrible Grève », la place où la bohémienne doit être pendue, le lieu où s'affolent les peurs que Frollo cherche à fuir.

Dans son parcours, l'archidiacre croise la foule, un personnage qui caractérise la physionomie de la ville: « rencontrant à chaque pas des bandes d'hommes et de femmes qui se pressaient joyeusement vers le pont Saint-Michel dans l'espoir d'arriver encore à temps pour voir pendre la sorcière ». Le narrateur remarque le grand nombre de personnes qui sont sur les rues à travers l'expression « à chaque pas » qui transmit une sensation d'oppression: la foule est tellement nombreuse qu'elle domine la ville. L'opposition entre l'archidiacre et les hommes et les femmes de Paris est soulignée par une comparaison: « pâle, égaré, plus troublé, plus aveugle et plus farouche qu'un oiseau de nuit lâché et poursuivi par une troupe d'enfants en plein jour ». Les Parisiens sont vus, d'une façon négative, comme des enfants méchants, sans règles et sans auto-conscience, qui poursuivent un oiseau innocent, parce que poussé par ses instincts. Ils sont assoiffés de sang, joyeux de voire la pendaison d'un autre être humain, et hideux comme la foule qui parcourt tout Le dernier jour d'un condamné à mort7, roman de Victor Hugo du 1829.

Cette foule laisse une impression si marquée dans l'imagination de l'archidiacre, qu'elle retournera dans les pensées de Frollo qui, de sa position d'âme supérieure, de savant et de génie

7 Pour la fonction de la foule dans les romans de Victor Hugo voir, par exemple: Jacques Seebacher: « Capitale de la violence: le Paris de Victor Hugo ». In Romantisme, n°42 (1990) pp.31-46. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1990_num_42_1_1726 (novembre 2010).

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romantique, qui se pose au dessus de l'humanité, la regarde avec mépris: « où la plus vile populace de Paris, les voleurs, les mendiants, les laquais étaient venus boire [du calice de la beauté d'Esmeralda] en commun un plaisir effronté, impur et dépravé. »(pag. 509). L'utilisation du terme populace est significative, parce que Victor Hugo affirme qu'il y a une différence entre foule et populace, c'est-à-dire, entre les deux composantes du peuple.8 Cette brève description a toutes les caractéristiques du style de Victor Hugo, parce que dans un seul long syntagme, les noms et les adjectifs s'accumulent en de longues listes qui transmettent une idée de confusion, mais qui contribuent aussi à créer une prose riche.

Pour ce qui concerne la ville, dans cet extrait le romancier fait émerger une qualité qui est typique de sa vision de Paris: le personnage ne maîtrise pas l'espace, mais il se laisse dominer par la violence des lieux qui l'entourent. En effet, ici Frollo marche « poussé en avant par la Grève », sa volonté est ainsi complétement annulée dans une ville violente et devenue hostile.

Après avoir franchi le fleuve, et être arrivé sur la rive gauche, l'archidiacre continue son parcours:

Il longea ainsi la montagne Sainte-Geneviève, et sortit enfin de la ville par la porte Saint-Victor. Il continua de s'enfuir, tant qu'il put voir en se retournant l'enceinte de tours de l'Université et les rares maisons du faubourg; mais lorsque enfin un pli du terrain lui eut dérobé en entier cet odieux Paris, quand il put s'en croire à cent lieues, dans les champs, dans un désert, il s'arrêta, et il lui sembla qu'il respirait. Alors des idées affreuses se pressèrent dans son esprit. Il revit clair dans son âme, et frissonna. (pag.508)

Le chemin est décrit avec une précision d'historien et, grâce à la richesse des détails donnés par le romancier, le lecteur peut le suivre sur un plan de Paris du 1482. Claude Frollo longe la Montagne Saint-Geneviève, dans la partie sud, la partie plus ancienne de la ville, celle où il y a aussi l'université et, il sort de Paris par la porte Saint-Victor. Puis, il marche vers le faubourg. Cette partie de la ville, encore peu peuplée à l'époque où le roman est situé (« les rares maisons du faubourg »), a commencé à se développer au XVIIIe siècle pour rejoindre son expansion complète au XIXe siècle, en devenant le lieu de Paris privilégié par l'aristocratie et la haute bourgeoisie, parce qu'en allant au faubourg, ces deux classes sociales avaient l'impression d'être hors Paris, en y étant proche au même temps. La structure de cette zone urbaine est différente par rapport à l'ancienne île de la cité, parce qu'ici les maisons, moins condensées qu'au centre, ont été bâties sur les faubourgs, c'est-à-dire, les grands axes routiers qui se prolongent de l'enceinte de Philippe Auguste9.

Dans cet extrait Paris est qualifié comme « odieux », parce que Claude Frollo pense que ses tensions émotives sont causées par la permanence en la ville. Ce rapport de haine avec l'espace urbain était déjà présent dans les œuvres du maître des romantiques, Jean-Jaques Rousseau et il retournera aussi dans le roman de Balzac, où le jugement sévère sur la ville sera accompagné par un sentiment de défi10. En réalité, l'archidiacre comprend vite (« Il revit clair dans son âme, et frissonna ») que ses démons continuent à demeurer dans ses pensées même hors ville, parce qu'ils ne font pas partie du décor urbain, mais ils sont dans son âme.

Dans le faubourg, le personnage peut avoir un contact avec la nature, thème cher à la poétique romantique:

8 Cfr: BERTHIER Patrick et JARRETY Michel: Histoire de la France littéraire, Modernités, XIXe-XXe siècle, Paris, édition PUF (2006) pag. 138.

9 Cfr: HAZAN Eric: L'invention de Paris. Il n'y a pas de pas perdus, Paris, édition du Seuil (2002) pag.147- 150.10 Cfr: HAZAN Eric: L'invention de Paris. Il n'y a pas de pas perdus, Paris, édition du Seuil (2002) pag. 550.

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Tandis que cet ouragan de désespoir bouleversait, brisait, arrachait, courbait, déracinait tout dans son âme, il regarda la nature autour de lui. À ses pieds, quelques poules fouillaient les broussailles en becquetant, les scarabées d'émail couraient au soleil, au-dessus de sa tête quelques croupes de nuées gris pommelé fuyaient dans un ciel bleu, à l'horizon la flèche de l'abbaye Saint-Victor perçait la courbe du coteau de son obélisque d'ardoise, et le meunier de la butte Copeaux regardait en sifflant tourner les ailes travailleuses de son moulin. Toute cette vie active, organisée, tranquille, reproduite autour de lui sous mille formes, lui fit mal. Il recommença à fuir. (pag.510)

Tout le passage est confié à la voix et au point de vue du narrateur. Avant tout, parce que le narrateur applique les philtres de la poétique romantique, les philtres de son encyclopédie, au paysage: la nature se charge ainsi des valeurs positives, suggérées à travers des détails comme les scarabées d'émail, brillants sous le soleil, et le ciel bleu et gris. La présence des insectes est particulièrement significative dans tout Notre-Dame de Paris: La Esmeralda est comparée à une libellule ou à une cigale (pag.181, pag. 143) à cause de sa diversité par rapport aux autres fille et l'araignée devient le symbole plus frappant de la fatalité qui guide l'action dans le roman (« Maître Jaques, laissez faire! C'est la fatalité! […] Maître Jaques! Maître Jaques! Laissez faire l'araignée » pag.410-411). Le second élément qui aide le lecteur à comprendre comme la description est focalisée sur le narrateur est la présence de la ville. Les monuments qui se profilent contre le ciel sont vus par le narrateur et pas par Frollo qui « regarde la nature autour de lui ». Les profils de l'abbaye de Saint-Victor avec son obélisque et du meunier de la butte Coupeaux restent comme un écran indélébile contre lequel le paysage naturel se dresse. Toutefois, dans les deux dernières lignes de l'extrait, la focalisation est clairement sur le personnage, parce que la nature, si positive et pleine de vie, angoisse l'archidiacre qui continue à fuir: «Toute cette vie active, organisée, tranquille, reproduite autour de lui sous mille formes, lui fit mal. Il recommença à fuir ».

Ce paysage naturel se lie à l'âme bouleversée de Claude Frollo, en créant une opposition. Le bouleversement, comparé à un « ouragan de désespoir » du personnage est total et, pour souligner encore mieux la force de cette perturbation, l'écrivain utilise une série de verbes: « bouleverser, briser, arracher, courber, déraciner ». Ces actions, qui appartiennent au champ sémantique des phénomènes atmosphériques violents, se succèdent en climax ascendant. Avec le terme climax on définit « une progression de termes qui se succèdent jusqu'à arriver à un point culminant »11. Grâce à ces verbes et au terme « ouragan » Hugo crée une métaphore filée, liée au monde de la nature sauvage, pour introduire la description d'un paysage d'âme, en opposition avec le paysage organisé qui entoure le personnage.

Pendant que le jour s'efface, le chemin tortueux de Frollo continue et l'archidiacre croit avoir perdu la bonne direction. Cette sensation est donnée par le fait que Paris, dans la vision de Victor Hugo, n'a pas un véritable centre ni politique ni architectural et donc il devient un espace inquiétant. Cette ville prive d'un point fixe est très proche à la ville du XIXe siècle:

Cependant le jour continuait de baisser. L'être vivant qui existait encore en lui songea confusément au retour. Il se croyait loin de Paris; mais, en s'orientant, il s'aperçut qu'il n'avait fait que tourner l'enceinte de l'Université. La flèche de Saint-Sulpice et les trois hautes aiguilles de Saint-Germain-des-Prés dépassaient l'horizon à sa droite. Il se dirigea de ce côté. Quand il entendit le qui-vive des hommes d'armes de l'abbé autour de la circonvallation crénelée de Saint-Germain, il se détourna, prit un sentier qui s'offrit à lui entre le moulin de l'abbaye et la maladrerie du bourg, et au bout de quelques instants se trouva sur la lisière du Pré-aux-Clercs. (pag.511-512)

11 D'après la définition de « climax » dans ROBERT Paul: Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Texte remanié et amplifié sous la direction de Debove-Rey Josette et Rey Alain, Paris, Édition SEJER, 2011.

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Claude Frollo a marché vers le nord de la ville, poussé, comme un animal confus, par une force mystérieuse. L'animalité de l'archidiacre est suggérée par l'expression « L'être vivant qui existait encore en lui songea confusément au retour. », dans ce syntagme la confusion et la déperdition retournent grâce à l'utilisation de l'adverbe. La force mystérieuse qui a éloigné le personnage de la ville pour l'amener dans la nature, à fin de découvrir comme mi dans la campagne, ni dans la ville, il trouvera la paix, est une force centrifuge parce que maintenant elle repousse le personnage dans son véritable environ: la ville. Cette force, que pour Victor Hugo est la fatalité et que pour Balzac sera la providence ou la force de la passion, poussera Claude Frollo jusqu'au point de départ: la cathédrale, faux centre historique et culturel du moyen âge.

Toutefois, avant de retourner à Notre-Dame, le parcours de l'archidiacre va se rallonger pour éviter les lieux les plus peuplés de la ville comme l'Université et le bourg Saint-Germain, parce qu' « il voulait ne rentrer dans les rues que le plus tard possible » à fin d'éviter la foule. Ainsi, « Il longe le Pré-aux-Clercs, prend le sentier désert qui le sépare du Dieu-Neuf, et arrive enfin au bord de l'eau. » (pag.512). Claude Frollo, ici comme dans d'autres points du roman, traverse le centre ville seulement pendant la nuit, quand les rues sont plus ou moins vides et les ténèbres peuvent l'aider à se cacher. Grâce à cette attitude solitaire et sinistre, la ville se transforme dans une anti-ville, une sort de cimetière où c'est possible de rencontrer des fantômes. Et le personnage devient lui-aussi un fantôme, dont les perceptions influencent la description de Paris, parce que les lieux qu'il traverse ou qu'il visite sont caractérisés par la solitude et la mort. Par exemple, dans le chapitre Le moine bourru (Chapitre VII, Livre VII) il traverse des rues désertes, sombres et laides. En plus il catalyse autour de lui tous les aspects négatifs de l'espace urbain. Par exemple, toujours dans le chapitre Le moine bourru, on lit que l'archidiacre abandonne son frère sur le pavé pour suivre Phœbus « L'homme au manteau, qui n'avait cessé de le suivre, s'arrêta un moment devant l'écolier gisant, comme si une indécision l'agitait; puis, poussant un profond soupir, il s'éloigna aussi à la suite du capitaine. » (pag.422). Au delà de la référence religieuse (Frollo peut être comparé à Caïn qui a tué son frère Abel), l'indifférence pour les souffrants et les malheureux est une caractéristique des personnages qui habitent Paris dans les romans de Victor Hugo, mais aussi de Zola ou dans les nouvelles de Maupassant.

Retourné sur la rive droite, la ville est décrite à travers des éléments qui la rendent monstrueuse et presque diabolique:

Le soleil était couché derrière la haute Tour de Nesle. C'était l'instant du crépuscule. Le ciel était blanc, l'eau de la rivière était blanche. Entre ces deux blancheurs, la rive gauche de la Seine, sur laquelle il avait les yeux fixés, projetait sa masse sombre, et, de plus en plus amincie par la perspective, s'enfonçait dans les brumes de l'horizon comme une flèche noire. Elle était chargée de maisons, dont on ne distinguait que la silhouette obscure, vivement relevée en ténèbres sur le fond clair du ciel et de l'eau. (pag.512)

L'opposition plus évidente dans ce morceau de texte est celle de la lumière et de l'ombre: le soleil est en train de coucher et il projette des reflets blancs sur le ciel et sur la rive droite de la Seine. Toutefois, ce royaume du blanc composé par éléments exclusivement naturels et qui peut ressembler à la vision classique des Cieux, est sali par la présence d'une masse noire: la rive gauche.

Le parallélisme entre le paysage fluvial et le royaume Céleste n'est pas casuel. Jeff Gilniat, dans un article dédié à Victor Hugo et à Notre-Dame de Paris, affirme que: « Les termes ténèbres et lumière qui apparaissent si souvent dans le roman reçoivent toute leur force de la Bible. »12

12 GILNIAT, Jeff: «Notre-Dame de Paris (Victor Hugo)». In Nos Cahiers. Lëtzebuerger Zäitschrëft fir Kultur, Luxembourg, 25(2004), n° 4, pp. 70. http://www.victor-hugo.lu/cgi-bin/baseportal.pl?htx=/textes&txts=det&Id==12 (janvier 2011).

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Cette caractérisation particulière des rives peut avoir deux fonctions différentes. Avant tout, la vision de la rive gauche, comme la partie plus sombre de la ville, se lie aux idées politiques que le romancier insère dans sa narration et, en second lieu, c'est à partir de ce moment que la description sera dominée totalement par la « fièvre » de Frollo.

A travers Notre-Dame de Paris, Victor Hugo veut démontrer que la fin du moyen âge, période où le roman est situé, est une époque de transition comme le XIXe siècle. Un âge caractérisé par une profonde évolution politique et sociale, parce que vers la fin du XVe siècle la société française est passée d'une structure féodale dominée par l'abus des privilèges de la nubilité et du clergé vers une structure plus démocratique. La démocratisation de la société est aussi un processus culturel, un passage de l'architecture à la littérature: Claude Frollo, dans le chapitre Ceci tuera cela (chapitre II du Livre V), critique l'invention de l'imprimerie. La phrase plus significative de ce chapitre est sans doute « le livre tuera l'édifice» (pag. 280) et, à travers cette maxime, l'archidiacre veut exprimer une idée moderne selon laquelle les livres imprimés porteront à la disparition des hommes « mages » capables de comprendre et de lire les détails exotériques, qui sont une partie fondamentale des cathédrales. Toutefois, Claude Frollo, à différence de Victor Hugo, n'est pas favorable à ce changement de la société, parce qu'il le privera de ses privilèges13.

La rive gauche est la rive plus ancienne et c'est pour cette raison que le narrateur la décrit comme sombre, tandis que la rive droite est la rive plus moderne, alors elle est vue selon une qualification et une lumière plus positive. Il y a aussi une seconde raison qui peut aider le lecteur à comprendre pourquoi les deux rives sont décrites d'une façon si différente, et elle liée à la focalisation sur Frollo. En effet, la rive gauche est la plus peuplée, celle où il y a la foule parisienne que l'archidiacre déteste.

La Tour de Nesle, tour de l'ancienne enceinte de Philippe Auguste, est noire et elle se métamorphose en devenant « un immense obélisque noir » ou un clocher, comme celui de Strasbourg, isolé entre « les deux nappes blanches du ciel et de la rivière » (pag. 512-513), ainsi un monument civil change de rôle pour ressembler à un édifice religieux, mais, la comparaison avec le clocher n'est pas parfaite, à cause de l'angoisse de l'archidiacre, qui bouleverse complétement la prospective entre terre et ciel: « Seulement ici c'était Claude qui était debout et l'obélisque qui était couché; mais comme la rivière, en reflétant le ciel, prolongeait l'abîme au-dessous de lui, l'immense promontoire semblait aussi hardiment élancé dans le vide que toute flèche de cathédrale; et l'impression était la même. »(pag.513). La confusion entre l'au-dessus et l'au-dessous est une confusion soit spatiale que morale. L'abîme, crée par l'ombre da la Tour et rendu plus profond par le jeu de reflets entre eau et ciel, qui s'ouvre sous le pied du personnage est le symbole de la porte de l'Enfer qui, dans la morale chrétienne s'ouvrira pour accueillir l'âme damné de l'archidiacre. Cet abîme, grâce à la présence du fleuve, a aussi une autre fonction, qui, à partir de la poésie baroque, a été attribuée à l'eau, à travers la narration du mythe de Narcisse. Le fleuve, avec sa profondeur mystérieuse, son eau toujours changeante et sa capacité de restituer l'image de la personne qui s'y reflète dedans, est comme une mise en abîme de la profondeur des peurs humaines ou, dans le cas de Claude Frollo, de ses démons. L'eau, même dans ce cas, crée un double « soi » insaisissable et inconnaissable, mais désirable parce qu'il encharne les pulsions plus profondes de l'âme humaine et c'est à cause de cette double attraction/répulsion que l'eau provoque dans l'homme une vertige14. Ici, pour Frollo la vertige est une vertige démoniaque et, à travers la focalisation sur ce personnage troublé, la tour/obélisque/clocher n'a plus rien d'humain, mais elle devient une tour diabolique:

Cette impression avait même cela d'étrange et de plus profond, que c'était bien le clocher de

13 D'après: BROMBERT Victor M.: « Hugo, l'édifice du livre ». In Romantisme, 1984, n°44, pp. 49-56. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1984_num_14_44_4692.

14 Cfr: GENETTE Gérard: Figures I, Paris, Editions du seuil, (1966) pag. 24-28.

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Strasbourg, mais le clocher de Strasbourg haut de deux lieues, quelque chose d'inouï, de gigantesque, d'incommensurable, un édifice comme nul œil humain n'en a vu, une tour de Babel. Les cheminées des maisons, les créneaux des murailles, les pignons taillés des toits, la flèche des Augustins, la Tour de Nesle, toutes ces saillies qui ébréchaient le profil du colossal obélisque, ajoutaient à l'illusion en jouant bizarrement à l'œil les découpures d'une sculpture touffue et fantastique. (pag. 513)

Le clocher est devenu la Seine, subit l'influence de l'encyclopédie, vaste, du personnage, parce qu'il devient une énorme tour de Babel, qui se situe bien dans une capitale qui est une nouvelle Babylone. L'impression angoissante est renforcée par la présence d'autres éléments de la ville comme les cheminées des maisons, les créneaux des murailles, les pignons taillés des toits, la flèche des Augustins et la Tour de Nesle, qui perdent leur tangibilité pour devenir des ombres qui renforcent l'épaisseur de l'illusion monstrueuse. Même si les éléments monstrueux ou mythologiques caractérisent tout Paris pour Victor Hugo, ici le sens d'angoisse est donné par la perception à travers le regard de Frollo.

Cette illusion est une véritable hallucination, qui détruit l'espace urbain en le rendant un pôle infernal: « Claude, dans l'état d'hallucination où il se trouvait, crut voir, voir de ses yeux vivants, le clocher de l'enfer » et les lumières de la ville deviennent « de porches de l'immense fournaise intérieure ». Toujours selon le modèle de l'hallucination diabolique même les sons, les voix et les rumeurs sont « des cris » et des « râles. » (pag.513). Dans cette description on trouve une confirmation à la théorie qui veut l'archidiacre un Commendateur, comme celui du Don Juan de Mozart, venu de l'enfer pour porter la confusion sur terre.

L'archidiacre retourne dans les rues. En premier lieu il arrive « au coin de la rue de la Barillerie » (pag. 514), poussé par « le trousseau des squelettes de Montfaucon » (pag.514), où les morts étaient enterrés. Puis, éperdu et, encore une fois, sans direction, il arrive près du pont Saint-Michel. Le lecteur sait que cet endroit de Paris est particulièrement important pour le développement du roman parce que près du pont Saint-Michel, il y a la maison de la Falourdel où Phœbus avait donné rendez-vous à La Esmeralda et où il avait été frappé par l'archidiacre. C'est possible de dire que le drame de la jeune bohémienne, mais aussi du prêtre est commencé dans ce lieu fermé de la ville.

Il est presque arrivé à la fin de son parcours. Il voit son frère Jehan en compagnie d'une fille de joie chez la Falourdel et il retourne brusquement à la réalité de la vie, ainsi il retourne à la cathédrale: « L'archidiacre alors se releva, et courut tout d'une haleine vers Notre-Dame, dont il voyait les tours énormes surgir dans l'ombre, comme des inquiétantes masses noires au-dessus des maisons. » ( pag. 516), où son parcours termine.

La second parcours significatif qui permet de voir la ville dans une perspective horizontale et géométrique, est celui du flâneur et anti-héros Pierre Gringoire. Il est un flâneur parce qu'il a un rapport étroit avec l'espace urbain: les marches-pieds sont son lit et les rues sont ses sœurs. Le poète pénètre dans la Cour des Miracles, lieu « redoutable », dont la description permet au narrateur-historien de démontrer ses capacités évocatoires du passé et qui est décrit dans toutes ses parties, dans La cruche cassée (Chapitre VI, Livre II).

Le chapitre ne s'ouvre pas ex abrupto sur la description de la Cour, parce que, Hugo veut suivre, même si ironiquement le schéma classique à la base des romans d'aventure grecs et de la Renaissance: le héros doit accomplir un parcours initiatique avant de parvenir au lieu magique, où il y aurait des obstacles à battre où une révélation à cueillir.

Après l'échec de son mystère au Palais de Justice, Gringoire « n'ose pas » rentrer dans son logis, rue Grenier-sur- l'Eau, vis-à-vis le Port-au Foin et « ayant tous le parvis de Paris à son choix pour gîte », il décide d'aller rue de la Savaterie où il avait remarqué « un marche-pied à monter sur

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mule […] qui aurait été, dans l'occasion, un fort excellent oreiller pour un mendiant ou pour un poète. » Après avoir eu cette idée il marche vers son gîte élu pour a nuit, mais, « comme il se préparait à traverser la place du Palais pour gagner le tortueux labyrinthe de la Cité, où serpentent toutes ces vieilles sœurs, les rues de la Barillerie, de la Vieille-Draperie, de la Savaterie, de la Juiverie, etc. » puis il décide de « prendre le pont Saint-Michel », puis le Pont au Change et enfin le pont Neuf. (pag. 130-131). Comme les flâneurs de Nerval ou de Balzac, le poète, qui est « pratique des rues de Paris » (pag.148), explore la ville, principalement, pendant la nuit, mais, à différence des protagonistes de leurs récits, le poète crée par Hugo marche dans une ville sombre, qui peut devenir « une tortueuse labyrinthe », hostile aux aspirations de l'artiste. Gringoire décide d'aller vers la Place de Grève. Ici il voit La Esmeralda qui danse et il est frappé par cette « nymphe, » cette « déesse », cette « bacchante » (pag.138), et dans ces appellatives que le poète donne à la jeune il émerge toute la culture classique du philosophe. La procession de Pape des Fous arrive à la Place et Gringoire, qui n'a pas oublié le fait que l'élection de ce Pape a complétement gâché la réprésentation de son mystère, commence à fuir. Dans le chapitre Les inconvénients de suivre une jolie femme le soir dans les rues (Chapitre IV, Livre II), Gringoire est en train de suivre La Esmeralda, parce qu'il n'a pas encore trouvé un lieu convenable pour coucher et il « avait remarqué que rien n' est propice à la rêverie comme de suivre une jolie femme sans savoir où elle va » (pag.148). Le terme « rêverie » est ici significatif parce qu'il est le mot clé du flâneur. Le parcours de la bohémienne et du poète s'articule « dans ce dédale inextricable de ruelles, de carrefours et de culs-de-sac, qui environne l'ancien sépulcre de Saints-Innocents, et qui ressemble à un écheveau de fil brouillé par un chat » (pag.150). A différence de Frollo, Gringoire, philosophe qui aime étudier le genre humain, explore les rues de la ville, parce qu'il n'a pas peur de croiser la foule.

Pendant cette promenade nocturne, deux hommes, inconnus par le poète, tente d'enlever La Esmeralda et Gringoire, qui n'est pas un homme d'action est jeté par terre et là il reste jusqu'à la fin de l'attaque. Après le moment de confusion, Gringoire pense dormir sur le marche-pied où la sort l'a jeté, mais il est dérangé par un groupe d'enfants et il commence à courir:

Après avoir couru à toutes jambes pendant quelque temps, sans savoir où, donnant de la tête à maint coin de rue, enjambant maint ruisseau, traversant mainte ruelle, maint cul-de-sac, maint carrefour, cherchant fuite et passage à travers tous les méandres du vieux pavé des Halles, explorant dans sa peur panique ce que le beau latin des chartes appelle tota via, cheminum et viaria, notre poète s'arrêta tout à coup, d'essoufflement d'abord, puis saisi en quelque sorte au collet par un dilemme qui venait de surgir dans son esprit.15(pag.158)

Le poète, même si son mouvement est rapide et confus, bouge toujours dans le quartier des Halles, alors, dès la fin de la représentation de son mystère au Palais de Justice, il a traversé une grande portion de Paris. La ville du moyen âge, décrite dans cet extrait, est caractérisée par le manque d'un plan urbanistique précis: rues, ruisseaux, ruelles, culs-de-sac et carrefours se succèdent sans un ordre établi. Cette confusion est soulignée aussi par le poète Gringoire qui exclame: « Maudits soient les carrefours! c'est le diable qui les a faits à l'image de sa fourche » (pag.159). La confusion domine aussi l'espace urbain réel jusqu'à l'époque de Hausmann qui décide de faire bâtir de larges boulevards pour rendre Paris un lieu plus sûr pour ses habitants et pour empêcher aux parisiens de bâtir les barricades. En réalité le renouvellement urbanistique laisse Hugo (et tous les parisiens en général) plutôt sceptique, parce que la restructuration des rues et des habitations rend la ville un territoire tout à découvrir et qui suscite intérêt et curiosité, mais aussi un sentiment de perte.

Clairement un mouvement sans une direction, dans une ville sans un plan, fait par un personnage distrait, penseur et philosophe comme Pierre Gringoire ne peut avoir qu'une

15 L'italique est dans le texte de Victor Hugo.

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conséquence: il se perd. Il cherche à « revenir sur ces pas », mais tout est vain, il a perdu l'orientation dans le « dédalus de l'hôtel des Tournelles » (pag.159). Dans ce petit extrait retourne l'idée d'une ville dédalique.

Tout à coup, le poète voit une lumière et, pensant avoir retrouvé la petite chapelle de la Vierge qu'il avait dûe abandonner, il marche vers cette direction: « À peine avait-il fait quelques pas dans la longue ruelle, laquelle était en pente, non pavée, et de plus en plus boueuse et inclinée, qu'il remarqua quelque chose d'assez singulier. Elle n'était pas déserte. » (pag.159). Ici il y a une description des rues de Paris à l'époque. Le détail le plus significatif que le lecteur doit retenir de cette description est celui relatif à la présence de la boue, élément dominant de la ville aussi dans les romans de Balzac ou les nouvelles de Maupassant, mais, qui, dans Notre-Dame de Paris se lie à l'un des thèmes qui parcourent le roman: celui de l'alchimie. En effet c'est Pierre Gringoire qui exclame: « la boue de Paris est particulièrement puante. Elle doit renfermer beaucoup de sel volatil et nitreux. C'est, du reste, l'opinion de maître Nicolas Flamel et des hermétiques...» (pag. 155); en faisant une référence explicite à l'alchimiste le plus important du moyen âge, le romancier lie la ville à cette grande-mère de la science moderne.

Cette rue qui n'est pas une bonne rue bourgeoise de la fin du XIXe siècle est habitée par des êtres qui ressemblent à des insectes. « Elle n'était pas déserte. Çà et là, dans sa longueur, rampaient je ne sais quelles masses vagues et informes, se dirigeant toutes vers la lueur qui vacillait au bout de la rue, comme ces lourds insectes qui se traînent la nuit de brin d'herbe en brin d'herbe vers un feu de pâtre. » (pag. 159-160). Dans cette description c'est clair comme la rue est « le symbole plus frappant, de la vie urbaine et des milieux populaires »16. Gringoire continue à avancer et tôt ces animaux se révèlent être des hommes misérables, laids et déformes, dont le lecteur peut lire une description détaillée:

Et puis, à mesure qu'il s'enfonçait dans la rue, culs-de-jatte, aveugles, boiteux, pullulaient autour de lui, et des manchots, et des borgnes, et des lépreux avec leurs plaies, qui sortant des maisons, qui des petites rues adjacentes, qui des soupiraux des caves, hurlant, beuglant, glapissant, tous clopin-clopant, cahin-caha, se ruant vers la lumière, et vautrés dans la fange comme des limaces après la pluie. (pag. 161)

Les créatures qui suivent le poète sont « culs-de-jatte, aveugles, boiteux , manchots et borgnes » qui « pullulent » autour de Gringoire comme animaux horribles et, pour augmenter cette confusion entre le monde des humains et celui des insectes, le romancier ajoute une comparaison avec les limaces. A travers cette comparaison, le motif du monde animal s'insère à nouveau dans la narration du mouvement dans l'espace. La présence de ces êtres humains difformes est l'exemple plus évident du réalisme créaturel qui est très présent dans le roman. Avec ce terme, Auerbach indique une forme de réalisme populaire, nait au moyen âge et dont le représentant plus important est Dante Alighieri avec La Divina Commedia, qui a une préférence pour tous les sujets sales et laids et pour tous les détails du corps humain, parce que le modèle de ce type de réalisme est donné par la crucifixion de Christ et par la valeur du corps dans les Écritures Saintes17. Victor Hugo utilise ce type de réalisme d'une façon ironique, grâce à la comparaison, pour décrire la populace et pour caractériser les rues.

A la fin, le poète arrive à l'extrémité de la rue où il y a une place: le parcours de cet anti-

16 Cfr: ROBERT Paul: Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Texte remanié et amplifié sous la direction de Debove-Rey Josette et Rey Alain, Paris, Édition SEJER, 2011, pag. 2280.

17 Cfr: AUERBACH Erich: Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale. Paris, Éditions Gallimard, 1968. Pag. 253 et suivantes.

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chévalier est terminé et il arrive finalement au lieu magique, but de son aventure.

Tous les mouvements de Gringoire pour arriver ici n'ont pas été volontaires. Avant tout il a dû changer son chemin pour fuir la procession, puis il a commencé à suivre La Esmeralda sans une raison précise, comme s'il était lié avec un fil à la jeune bohémienne et, surtout, à la chèvre; il a fuit, sans un plan des garçons menaçants, puis il a été pris par les faux malades qui l'ont poussé vers la Cour. Ceci est un autre exemple de la force de la fatalité.

« Elle [la rue] débouchait sur une place immense, où mille lumières éparses vacillaient dans le brouillard confus de la nuit. Gringoire s'y jeta, espérant échapper par la vitesse de ses jambes aux trois spectres infirmes qui s'étaient cramponnés à lui. » (pag. 162) La place, immense, est caractérisée par une lumière intense, la même lumière que le poète avait vue dès le commencement de son parcours. Angoissé par la vision de ce lieu, qui est qualifié à travers très peu d'éléments comme le brouillard et « les mille lumières éparses » mais aussi « vacillantes », il voudrait retourner sur ses pas, mais chaque mouvement est impossible: le poète a été pris dans le réseau de la Cour de Miracle comme la mouche dans la toile de l'araignée. Cette lumière qui ressemble à celle qu'il y aurait dans la cathédrale de Notre-Dame, illuminée seulement par les bougies, donne l'impression que toute la ville est « voilée par la nuit (de la cathédrale?), et que la lumière du feu – cierges, torches, incendies – éclaire les lieux nocturnes, comme si toutes ces localités étaient entrées sous les arcades de Notre-Dame. »18

Le narrateur donne une longue description complète de ce vaste espace:

cercle magique où les officiers du Châtelet et les sergents de la prévôté qui s'y aventuraient disparaissaient en miettes; cité des voleurs, hideuse verrue à la face de Paris; égout d'où s'échappait chaque matin, et où revenait croupir chaque nuit ce ruisseau de vices, de mendicité et de vagabondage toujours débordé dans les rues des capitales; ruche monstrueuse où rentraient le soir avec leur butin tous les frelons de l'ordre social; hôpital menteur où le bohémien, le moine défroqué, l'écolier perdu, les vauriens de toutes les nations, espagnols, italiens, allemands, de toutes les religions, juifs, chrétiens, mahométans, idolâtres, couverts de plaies fardées, mendiants le jour, se transfiguraient la nuit en brigands; immense vestiaire, en un mot, où s'habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris. (pag. 162-163)

Avant tout la Cour des Miracles est définie comme un lieu ouvert et fermé en même temps, parce qu'elle est un « cercle magique où les officiers du Châtelet et les sergents de la prévôté » ne peuvent pas y accéder. A travers l'adjectif « magique » le romancier peut porter jusqu'à la fin le parallélisme entre la promenade du poète et l'aventure chevaleresque. La population de ce lieu, « bohémien, moine défroqué, écoliers perdus [comme Jehan Frollo du Moulin, frère de l'archidiacre], vauriens de toutes les nations, espagnols, italiens, allemands, de toutes les religions, juifs, chrétiens, mahométans, idolâtres, couverts de plaies fardées, mendiants le jour, se transfiguraient la nuit en brigands », est peinte à travers le style typique de l'auteur. Dans une seule, longue, période grammaticale, Hugo accumule les noms et les adjectifs pour donner vie à la Cour des Miracles. La répétition de l'adjectif « tout » et la précision qu'Hugo utilise pour faire un inventaire de toutes les races et toutes les religions dans la Cour, donne un sens oppression, qui correspond à l'atmosphère que le poète Gringoire respire dans ce lieu. La vile populace confinée dans ce lieu magique la nuit, sort pour envahir le pavé pendant le jour.

La figure géométrique du cercle qu'ouvre cet extrait a une symbologie intéressante parce

18 GILNIAT, Jeff: «Notre-Dame de Paris (Victor Hugo)». In Nos Cahiers. Lëtzebuerger Zäitschrëft fir Kultur, Luxembourg, 25(2004), n° 4, pp. 72. http://www.victor-hugo.lu/cgi-bin/baseportal.pl?htx=/textes&txts=det&Id==12 (janvier 2011).

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qu'elle représente les cercles de l'enfer comme dans la mythologie classique, pour renforcer l'idée que le poète est en train de faire un voyage aventureux dans le royaume des morts. En plus, le cercle est le lien entre ce lieu et la cathédrale de Notre-Dame dont la rose est un cercle.

La description continue:

C'était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait. On entendait des rires aigus, des vagissements d'enfants, des voix de femmes. Les mains, les têtes de cette foule, noires sur le fond lumineux, y découpaient mille gestes bizarres. Par moments, sur le sol, où tremblait la clarté des feux, mêlée à de grandes ombres indéfinies, on pouvait voir passer un chien qui ressemblait à un homme, un homme qui ressemblait à un chien. Les limites des races et des espèces semblaient s'effacer dans cette cité comme dans un pandémonium. (pag. 163)

La Cour est une « place irrégulière et mal pavée ». La présence du pavé lie ce quartier dans la ville, où les limites et les frontières sont effacés et où des feux démoniaques brillent, au reste de Paris « comme toutes les places de Paris alors ». Le pavé est particulièrement significatif dans toute la production de Victor Hugo, parce qu'il est un symbole de la révolution du peuple qui commence toujours sur les rues mal pavées de la ville19. Le lieu, où « des groupes étranges fourmillent », encore une fois comme des insectes, est caractérisé par une confusion totale, transmise aussi à travers le langage, parce que dans ce paragraphe, le romancier utilise des mots comme « mêlée », « indéfinies », pour caractériser les feux et les ombres et « pandémonium », mot qui résume toute la Cour des Miracles. La ville triomphale des monuments historiques comme Notre-Dame, ou de grands lieux ouverts ici est absente en faveur d'une ville plus populaire. La place, endroit fondamental avec la taverne (Le lecteur n'a peut-être pas oublié qu'une partie de la Cour des Miracles était enclose par l'ancien mur d'enceinte de la ville, dont bon nombre de tours commençaient dès cette époque à tomber en ruine. L'une de ces tours avait été convertie en lieu de plaisir par les truands » (pag.567). Encore ici, la taverne, lieu où les gitans organiseront leur attaque à Notre-Dame, au pouvoir, est un cercle) pour qui y habite, grâce à la lumière, devient un « nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fantastique »(pag.164). Dans ce petit segment descriptif les adjectifs sont nombreux et ils caractérisent très précisément cet univers inconnu de Paris.

Le poète, dans ce monde inconnu et nouveau, est en péril parce que les truands décident de l'amener chez leur roi. Cette menace fait sortir Gringoire du monde de l'imagination où il est resté jusqu'à ce moment et qui a influencé aussi sa vision de l'espace, pour le reporter sur terre, dans la réalité, qui est aussi une réalité spatiale douée d'un ordre humain et pas démoniaque. Il comprend que « les monstres » sont en réalité des hommes et qu'il est en train de marcher dans le boue et pas dans un fleuve infernal (« Il fallut bien s'apercevoir qu'il ne marchait pas dans le Styx mais dans la boue, qu'il n'était pas coudoyé par des démons mais pas des voleurs » pag.165).

Le lieu où le roi de Thunes réside marque une nouvelle étape dans le retour à la réalité parce que, tandis que Gringoire s'approche au trône du roi, il regard ce qui l'entoure et « en examinant l'orgie de plus près et avec plus de sang-froid » il se retrouve dans un cabaret et pas dans un sabbat. Après cette réflexion du poète, le romancier spécifique mieux la sensation du personnage: « La Cour des Miracles n'était en effet qu'un cabaret, mais un cabaret de brigands, tout aussi rouge de sang que de vin » (pag.165). Finalement une autre place s'ouvre et le poète a un autre aperçu:

Autour d'un grand feu qui brûlait sur une large dalle ronde, et qui pénétrait de ses flammes les tiges

19 Cfr: HUGO Victor: Notre Dame de Paris, Milano, Edizioni Oscar Mondadori (2007). Introduzione di Victor Brombert, pag. VII.

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rougies d'un trépied vide pour le moment, quelques tables vermoulues étaient dressées, çà et là, au hasard, sans que le moindre laquais géomètre eût daigné ajuster leur parallélisme ou veiller à ce qu'au moins elles ne se coupassent pas à des angles trop inusités. Sur ces tables reluisaient quelques pots ruisselants de vin et de cervoise, et autour de ces pots se groupaient force visages bachiques, empourprés de feu et de vin.[...] Toutes circonstances qui, deux siècles plus tard, semblèrent si ridicules à la cour, comme dit Sauval, qu'elles servirent de passe-temps au roi et d'entrée au ballet royal de La Nuit, divisé en quatre parties et dansé sur le théâtre du Petit-Bourbon «Jamais, ajoute un témoin oculaire de 1653, les subites métamorphoses de la Cour des Miracles n'ont été plus heureusement représentées. Benserade nous y prépara par des vers assez galants.» (pag. 165-166)

Gringoire découvre maintenant la source de la lumière qui l'avait attiré vers la Cour au débout du chapitre et, dans cette lumière chaude et inquiétante, il voit un lieu désordonné, sans aucune géométrie précise. Tous les sens sont sollicités d'une façon négative: la vue, par la vision de fausses blessés, des femmes laides et, plus en général, par la vision de toute la masse d'habitants de la Cour. Même l'ouïe est violé par des sons désagréables («Le gros rire éclatait partout, et la chanson obscène. Chacun tirait à soi, glosant et jurant sans écouter le voisin. » «Quelques enfants étaient mêlés à cette orgie. L'enfant volé, qui pleurait et criait. » pag. 166. Seulement pour citer quelques exemples). A travers ces éléments négatifs qui sont adjoints à la description spatiale, la confusion embrasse aussi les habitants du lieu. Pour terminer, c'est nécessaire de remarquer la référence à Sauval, source fondamentale pour la production de Hugo.

Parmi cette confusion spatiale et morale même le roi est adéquat au milieu sur lequel il règne. Avant tout il est assis sur « Un tonneau» (pag.167) et il est un mendiant, mais pas un mendiant quelconque: il est Clopin Trouillefou, celui qui a dérangé la représentation théâtrale de Gringoire au Palais de Justice.

La Cour des Miracles, quartier folklorique, a une correspondance avec un quartier réel de la ville de Paris: Les Halles. Parce que les deux quartiers « si innestano quale escrescenza grottesca sul corpo cavo della città »20 et la symétrie entre ces deux quartiers, celui inventé et celui réel, est claire dans la description de la Cour des Miracles, parce que les Halles sont « un égout d'où s'échappe chaque matin, et où revient croupir chaque nuit ce ruisseau de vices, de mendicité et de vagabondage toujours débordé dans les rues de la capitale » (pag.162). Dans les Halles comme dans la Cour des Miracles le peuple trouve la force pour mener une révolution au pouvoir publique: tant le régime politique, que la loi qui emprisonne La Esmeralda. Les Halles est un quartier ancien, né comme un lieu de marché déjà à partir de l'époque de Louis XI et il a toujours été un problème sociale et urbanistique dans la physionomie de la ville parce qu'il était, comme la Cour des Miracles, le lieu de la prostitution, du vol et de la dégradation sociale. Un premier tentative de réformation des Halles a été fait sous Henri II, puis c'est au débout du Second Empire que Baltard décide d'abattre partiellement le quartier. Toutefois, pour une résolution définitive du problème « Halles » les parisiens ont dû attendre jusqu'en 1970 quand le quartier a été complétement abattu et à sa place on a bâti le Forum, un quartier commercial. Les tentatives de réforme ou la destruction des Halles ont toujours trouvé des opposés dans les écrivains. A partir de Sauval, en passant pour Zola21, ce quartier a été le lieu privilégié pour situer des romans, lieu de triomphe décadent par excellence et c'est pour cette raison que les artistes se sont opposés à la destruction d'un des lieux le plus significatif pour l'historie de la ville.22 On doit ajouter qu'après 1970 les romanciers ont situé

20 SCAIOLA Anna Maria : « Dalle Halles al Forum. Parabola romanzesca di un quartiere parigino ». Dans A.A V.V.: Itinerari urbani. L’immagine della città nella letteratura Francese dal Cinquecento al Duemila,Roma, Bulzoni, (2005) pag. 99.

21 Dans Le Ventre de Paris, par exemple, la structure de verre et acier des Halles exalte l'imagination du protagoniste, en plus, cette partie du quartier est comparé à une cathédrale.

22 Les informations sur l'évolution des Halles et sur son importance pour la physionomie de la ville ont été prises de: HAZAN Eric: L'invention de Paris. Il n'y a pas de pas perdus, Paris, édition du Seuil (2002) ; SCAIOLA Anna

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des romans, surtout des noirs, dans le Forum des Halles, mais le vieil quartier est resté dans la cœur des Parisiens.

Jusqu'à ce point j'ai analysé deux Paris dédaliques et diaboliques, vu de dedans, d'en bas. Les deux descriptions sont très différentes parce que les personnages qui perçoivent la ville sont très différents. Claude Frollo représente la religion catholique puritaine, celle de tête et pas de cœur, qui se base sur le sens de la culpabilité. Toutefois, à côté de ce manque de vocation, Frollo a aussi une culture religieuse très vaste, alors il applique ses filtres à la ville qui se caractérise à travers la présence des spectres et une Tour de Babel. Les mouvements de ce personnage sont guidés par ses fantômes incarnés par la Place de Grève, autre espace parisien « chargé de sang »23, qui a été détruit pendant le XIXe siècle, pour tenter d'effacer les signes de la Révolution.

Au contraire, Pierre Gringoire est le philosophe, alter-ego de l'auteur, porteur d'une culture plus évolue que celle du moyen âge, une culture qui est chargée d'images classiques. Avant tout, pour lui la Cour des Miracles est un lieu magique et, même lorsque la peur lui provoque une hallucination, celle ci est caractérisée par le fleuve Styx ou les démons. La comparaison avec les péripéties du chevalier est aussi particulièrement significative, parce qu'elle renforce l'idée de cette parenté entre Gringoire et la culture de la Renaissance. A travers deux différents perceptions, Victor Hugo a donné à ses lecteurs deux différents visions de la même ville. Toutefois, au delà des différences culturelles, ces deux Paris ont des éléments en commun: la présence de la foule, l'alternance de lumière et d'ombres, qui a toujours une valeur spirituelle, l'absence d'un centre, ou la nature presque satanique de certains espaces urbains. Ainsi, « le lecteur qui suit les personnages dans leurs parcours peut avoir l’impression de se trouver à l’intérieur d’un espace limité, articulé et clos. D’où vient cette impression? On observe dans les descriptions des lieux la répétition de certains motifs, comme si ces lieux faisaient parties intégrantes du manteau d’un seul édifice. »24 Pour Jeff cet édifice est la cathédrale de Notre Dame, et, en effet, la centralité de ce monument dans le roman de Victor Hugo est évident surtout pour ce qui concerne la vision d'en haut de la ville.

Même si Victor Hugo a dédié un chapitre spécifique, Paris à vol d'oiseau (Chapitre II, Livre III) à ce procédé artistique de définition du paysage urbain, dans cet essai je préfère étudier seulement l'incipit de ce chapitre et trois autres extraits qui illustrent la même technique, parce qu'ils me permettront de réfléchir, encore une fois, sur la valeur de la perception de Paris.

En général, on peut remarquer comme les descriptions de la ville d'en haut sont bien répandues dans toute la production de Victor Hugo: dans Le dernier jour d'un condamné à mort,(Chapitre XXXVI) il y a un souvenir du protagoniste qui évoque une vision d'ensemble de Paris à partir dès tours de Notre-Dame, où il était monté pendant son enfance; tandis que, dans Les Misérables, il y a, parmi les chapitres qui ont la ville comme thème principal, celui de Paris à vol d'hibou, où Jean Valjean observe la capitale française pour remarquer les changements provoqués par la guerre citoyenne, dont le symbole plus frappant est la barricade.

Dans Notre Dame de Paris, une première ville « au vol d'oiseau » est située dans le chapitre Un maladroit ami (Chapitre IV, Livre X).

Quasimodo est dans la cathédrale lieu d'asile pour La Esmeralda. Le sonneur de cloches ne dort pas et il est en train de faire sa ronde. Il arrive « jusque le sommet de la tour septentrionale, et là, posant sur les plombs sa lanterne sourde bien fermée, il s'était mis à regarder Paris » (pag.578).

Maria : « Dalle Halles al Forum. Parabola romanzesca di un quartiere parigino ». Dans A.A V.V.: Itinerari urbani. L’immagine della città nella letteratura Francese dal Cinquecento al Duemila,Roma, Bulzoni, (2005).

23 Jacques Seebacher: « Capitale de la violence: le Paris de Victor Hugo ». In Romantisme, n°42 (1990) pp.31-46. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1990_num_42_1_1726 (novembre 2010).

24 GILNIAT, Jeff: «Notre-Dame de Paris (Victor Hugo)». In Nos Cahiers. Lëtzebuerger Zäitschrëft fir Kultur, Luxembourg, 25(2004), n° 4, pp. 69.http://www.victor-hugo.lu/cgi-bin/baseportal.pl?htx=/textes&txts=det&Id==12 (janvier 2011).

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Après il y a la description de la ville:

La nuit, nous l'avons déjà dit, était fort obscure. Paris, qui n'était, pour ainsi dire, pas éclairé à cette époque, présentait à l'œil un amas confus de masses noires, coupé çà et là par la courbe blanchâtre de la Seine. Quasimodo n'y voyait plus de lumière qu'à une fenêtre d'un édifice éloigné dont le vague et sombre profil se dessinait bien au-dessus des toits, du côté de la porte Saint-Antoine. Là aussi il y avait quelqu'un qui veillait.(pag.578)

Avant tout le narrateur donne une notion historique et picturale de la ville: à l'époque elle n'était pas éclairée. Toutefois, l'utilisation de l'incise « pour ainsi dire » suggère au lecteur, surtout aux lecteurs contemporains de Victor Hugo qu'en réalité la ville n'était pas complétement immergée dans le noir. Dans ce faible éclairage urbain, les maisons sont des masses noires et la Seine, qui est toujours présente dans ces descriptions de Paris, parce que la ville, à l'époque où le roman est situé, était contenue, presque totalement dans l'enceinte de Charles V, alors, elle était plus proche du fleuve, qui est comme un ruban blanchâtre. Ce panorama rappelle la vue du sultan dans Les Orientales. La seule lumière forte et jaunâtre, qui émerge dans cette vision d'en haut est celle qui philtre d'une fenêtre près de la porte Saint-Antoine, où il y a quelqu'un qui veille. Le lecteur connaît très bien l'identité de cet homme: c'est le roi de France Louis XI (Le retrait où dit ses heures Monsieur Louis de France, chapitre V , Livre Dixième). Cette sensibilité, presque artistique, qui appuie l'attention sur les ombres et la lumière, est un héritage des artistes flamands comme Rembrandt et elle peut être considérée comme la mère du mouvement impressionniste qui émergera en France vers a fin du siècle.

Quasimodo, chien gardien du trésor alchimique qu'est La Esmeralda25, conservé dans la cathédrale, continue à scruter la ville et sous son regard Paris se décompose:

Tout à coup, tandis qu'il scrutait la grande ville de cet œil que la nature, par une sorte de compensation, avait fait si perçant qu'il pouvait presque suppléer aux autres organes qui manquaient à Quasimodo, il lui parut que la silhouette du quai de la Vieille-Pelleterie avait quelque chose de singulier, qu'il y avait un mouvement sur ce point, que la ligne du parapet détachée en noir sur la blancheur de l'eau n'était pas droite et tranquille semblablement à celle des autres quais, mais qu'elle ondulait au regard comme les vagues d'un fleuve ou comme les têtes d'une foule en marche. (pag. 578-579)

Quasimodo, avec « des yeux d'artiste », des yeux perçants que la nature lui a donné pour compenser ses difformités, déchiffre la ville mieux que son maître Frollo, en effet, même si dans un premier moment il pense que le quai de la Vieille-Pelleterie est en train de s'animer et de devenir une partie de la Seine, puis, il se rend compte que, peut-être, le mouvement est dû à la présence d'une foule en marche. Cette prise de conscience est suggérée par la comparaison, « ou comme les têtes d'une foule en marche ». Le mouvement bouge et il semble venir vers la Cité, vers la cathédrale:

Au moment où Quasimodo s'épuisait en conjectures, il lui sembla que le mouvement reparaissait dans la rue du Parvis qui se prolonge dans la Cité perpendiculairement à la façade de Notre-Dame. Enfin, si épaisse que fût l'obscurité, il vit une tête de colonne déboucher par cette rue et en un instant se répandre dans la place une foule dont on ne pouvait rien distinguer dans les ténèbres sinon que

25 Cfr: Introduction à cure de GOETZ ADRIEN à Notre-Dame de Paris, Paris, Editions Gallimard (2009).

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c'était une foule.(pag. 579)

Jusqu'à ce moment le mouvement a été indistinct et le romancier l'a inséré dans la ville d'en haut parce qu'il lui a donné un aspect plus inquiétant, fuyant et vif. Dans ce dernier extrait, au contraire, le mouvement se spécifique mieux en prenant l'aspect d'une véritable foule. Toutefois, en donnant que tout le paysage est vu à partir de la focalisation sur Quasimodo, le lecteur, qui suit le regard du personnage dans cette découvert du panorama, ne connaît pas l'identité des membres qui composent ce groupe. En plus, le narrateur dissémine de fausses pistes pour son lecteur en l'appelant une « procession singulière » (pag.579), où, le terme « procession » évoque une atmosphère religieuse.

Le moment est critique et Quasimodo ne sait pas ce qu'il doit faire parce que la position de Notre-Dame dans la ville ne donne aucune possibilité de fuite aux personnages qu'y habitent: « Devait-il éveiller l'égyptienne? la faire évader? Par où? Les rues étaient investies, l'église était acculée à la rivière. Pas de bateau! » (pag.579). L'espace géographique où Notre-Dame se trouve empêche l'action, en plus on voit ici comme Notre-Dame prend un aspect, qui émergera seulement d'une façon marginale dans les descriptions de ce lieu en tant que lieu fermé: l'église peut devenir aussi une prison de laquelle est difficile évader, un lieu inquiétant.

La foule est en train de grandir et elle commence à occuper complétement le Parvis de Notre-Dame, et, c'est en ce moment qu'une lumière plus vive commence à briller « Tout à coup une lumière brilla, et en un instant sept ou huit torches allumées se promenèrent sur les têtes, en secouant dans l'ombre leurs touffes de flammes. »(pag.580). Grâce à la clarté produite par ces torches menaçantes, parce que « secouantes dans l'ombre », le Parvis prend vit et Quasimodo peut finalement distinguer les membres de cette foule, « Quasimodo vit alors distinctement moutonner dans le Parvis un effrayant troupeau d'hommes et de femmes en haillons, armés de faulx, de piques, de serpes, de pertuisanes dont les mille pointes étincelaient ». Les armes augmente la tension de Quasimodo qui ne comprend pas qu'est ce que c'est en train de passer, mais, il peut déjà supposer que le moment sera dramatique. L'horreur que cette foule suscite, augmente encore grâce à la description: « Çà et là, des fourches noires faisaient des cornes à ces faces hideuses. » Maintenant le sonneur se souvient d'avoir vu ces faces le jour de son élection à Pape des Fous: ils sont les gitans, les voleurs et les filous qui habitent la Cour des Miracles.

Clopin Trouillefou, chef de cette armée « va ranger sa troupe en bataille », mais, le mouvement de ce « général prudent » et des ses hommes sont limités par la conformation particulière du Parvis:

La base de ce triangle s'appuyait au fond de la place, de manière à barrer la rue du Parvis; un des côtés regardait l'Hôtel-Dieu, l'autre la rue Saint-Pierre-aux-Boeufs. Clopin Trouillefou s'était placé au sommet, avec le duc d'Égypte, notre ami Jehan, et les sabouleux les plus hardis. (pag.581)

Le centre ville, se retrouve ainsi complétement envahie par « sa plus vile populace », qui devient une barricade humaine.

Même si le narrateur souligne: « Ce n'était point chose très rare dans les villes du moyen âge qu'une entreprise comme celle que les truands tentaient en ce moment sur Notre-Dame. » (pag.581), le lecteur cultivé, le lecteur qu'Hugo considère le narrataire privilégié de son historie, peut retrouver dans cette image ancienne, des éléments modernes et bien connus.

La barricade, symbole par excellence de la guerre urbaine, a toujours joué un rôle fondamental dans l'historie parisienne. Au delà de cette barricade humaine inventée par Victor

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Hugo, les premières barricades historiques sont apparues dans la ville de Paris pendant les guerres de religion et on pourrait faire remonter la toute première barricade à l'an 1588 quand les Parisiens ont contrasté les troupes d' Henri III. Puis, en 1648, pendant les années difficiles de la Fronde, on ne peut pas oublier les barricades dressées en une nuit et qui ont vu la mobilisation de tous les citoyens.

Cette forme « d'architecture » réapparaitre en 1827. Après la victoire de l'opposition libérale à Paris, la foule occupe la rue Saint-Denis en engageant une bataille avec la police. Ce combat anticipe les révolutions bourgeoises de 1830 et 1848. En particulière, en 1830, le lendemain de la publication des ordonnances contre la presse et sur la loi électorale, lorsque la police se présente en rue de Richelieu pour briser le temple de l'imprimerie, les ouvriers, déjà renvoyés par les imprimeurs, sortent de Paris pour protester. Dans très peu de jours, les étudiants s'adjoint aux ouvriers et la proteste dégénère dans une véritable révolte qui envahie tout Paris: rue Saint-Denis, le Louvre et la place Vandôme.

Toutefois, l'époque d'or de la barricade coïncide avec cette époque de violence et des révoltes qui commence en 1848 pour s'achever avec la Commune en 1871. Même ces barricades entreront dans l'imaginaire de mon auteur. En effet, elles influenceront un autre chef d'œuvre de Victor Hugo, c'est-à-dire Le Misérables: elles seront fondamentales pour l'épisode dramatique, et pathétique, de la mort de Gavroche26.

Dans cette description de Paris à vol d'oiseau, que j'ai à peine analysée, le romancier utilise la technique cinématographique du zoom et la description après avoir peint toute Paris, s'achève sur la façade de la cathédrale.

Sur Quasimodo se focalise aussi une autre vision de la ville de haut. On est dans le chapitre La creatura bella bianco vestita27 (Chapitre II, Livre XI), l'un de derniers chapitres du roman. Quasimodo va tuer l'archidiacre Claude Frollo en le jetant dès les Tours de Notre-Dame, mais, tandis qu'il est en train d'assassiner son maître il regarde le Parvis:

Dans cet immense horizon qui prenait tant d'aspects autour de lui, sa contemplation était concentrée sur un point unique. […] Il était visiblement dans une de ces minutes violentes de la vie où l'on ne sentirait pas la terre crouler. Les yeux invariablement fixés sur un certain lieu, il demeurait immobile et silencieux; et ce silence et cette immobilité avaient quelque chose de si redoutable que le sauvage sonneur frémissait devant et n'osait s'y heurter. Seulement, et c'était encore une manière d'interroger l'archidiacre, il suivit la direction de son rayon visuel, et de cette façon le regard du malheureux sourd tomba sur la place de Grève.(pag.689)

Quasimodo suit le regard de son père adoptif et les deux hommes fixent les yeux sur la Place de Grève où La Esmeralda va être pendue. Le pouvoir de domination spatiale qui nait de la vue d'en haut est ici complétement rendu vain par la force de la passion qui pousse les personnages à concentrer les regards sur un seul point de l'immense paysage urbain.

Le second «Paris à vol d'oiseau » est celui de Claude Frollo. L'archidiacre est monté sur la Tour de Notre-Dame avant de pénétrer dans sa cellule d'alchimiste et il regarde le parvis. On est dans le chapitre Qu'un prêtre est un philosophe sont deux (Chapitre II, Livre VII):

Tout Paris était sous ses pieds, avec les mille flèches de ses édifices et son circulaire horizon de

26 Toutes les informations liées à l'importance et à l'évolution historique de la barricade sont prises de HAZAN Eric: L'invention de Paris. Il n'y a pas de pas perdus, Paris, édition du Seuil (2002) pag. 303-310.

27 Le titre de ce chapitre reprend un vers de la Divina Commedia de Dante, pour souligner la pureté de La Esmeralda, qui, comme un agneau va être sacrifiée sur la Place de Grève.

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molles collines, avec son fleuve qui serpente sous ses ponts et son peuple qui ondule dans ses rues, avec le nuage de ses fumées, avec la chaîne montueuse de ses toits qui presse Notre-Dame de ses mailles redoublées. Mais dans toute cette ville, l'archidiacre ne regardait qu'un point du pavé, la place du Parvis; dans toute cette foule, qu'une figure, la bohémienne. (pag. 375)

Comme dans l'extrait précédent, le personnage pourrait dominer, avec son regard, toute la ville, mais, en réalité, c'est le narrateur qui, grâce à une technique presque cinématographique de zoom, décrit avant tout les molles collines, le fleuve, le peuple et les rues, puis, la focalisation retourne sur Claude Frollo qui est intéressé seulement à la bohémienne. Toute l'énorme puissance humaine du regard qui permet de dominer l'espace urbain, est vanifiée parce qu'elle est concentrée sur la jeune fille. Le pouvoir « magique » de la bohémienne, le pouvoir du Eros, est ainsi fort qu'il guide la perception spatiale de Frollo vers elle. Le regard de l'archidiacre a, lui-aussi, un pouvoir, celui du Thanatos. Le pouvoir de la mort, en se concentrant sur La Esmeralda provoquera l'épilogue tragique du roman. En effet, à côté de la fatalité, c'est la passion de l'archidiacre la motivation qui fait procéder l'action et, ici, la passion érotique se manifeste très bien dans la description de l'espace.

La troisième vue d'en haut est celle de la bohémienne, de La Esmeralda. On est dans Grès et cristal (Chapitre IV, Livre IX), elle a appris à s'adapter à sa nouvelle vie de recluse dans la cathédrale, mais, un matin, elle monte sur les Tours et d'ici elle regarde la place:

Un jour enfin, un matin, la Esmeralda s'était avancée jusqu'au bord du toit et regardait dans la place par-dessus la toiture aiguë de Saint-Jean-le-Rond. Quasimodo était là, derrière elle. Il se plaçait ainsi de lui-même, afin d'épargner le plus possible à la jeune fille le déplaisir de le voir. Tout à coup la bohémienne tressaillit, une larme et un éclair de joie brillèrent à la fois dans ses yeux, elle s'agenouilla au bord du toit et tendit ses bras avec angoisse vers la place en criant: «Phoebus! viens! viens! un mot, un seul mot, au nom du ciel! Phoebus! Phoebus!» Sa voix, son visage, son geste, toute sa personne avaient l'expression déchirante d'un naufragé qui fait le signal de détresse au joyeux navire qui passe au loin dans un rayon de soleil à l'horizon. (pag. 533)

Le regard plus attentif de l'amante (c'est Balzac qui dit que les amants voient plus que les autres personnes) déchiffre et explore la ville pour chercher l'être aimé et, tout le reste n'existe plus. Paris, ville polyphonique change à nouveau pour devenir le lieu de l'amour pur ou passionné par excellence. Cette qualification sera reprise par Maupassant dans des contes comme Yvette et, grâce à la force de l'amour, le personnage sent qu'il pourra aussi aimer cet espace étrange. La comparaison avec le navire est significative parce qu'elle renverse la symbologie spatiale. La ville, avec les ondulations de la foule et ses dangers, comme la loi qui voudrait pendre la bohémienne, se preste mieux à être définie comme un océan, tandis que la cathédrale avec ses murs et son inviolabilité est plus proche à un navire. Toutefois, à cause de la passion amoureuse les deux lieux s'échangent.

La dernière vue d'en haut qu'il y a dans le roman est celle du narrateur. On est dans le chapitre Paris à vol d'oiseau (Chapitre II, Livre III) et le romancier monte idéalement sur l'une de deux Tours de la cathédrale, après avoir « tâtonné longtemps dans la ténébreuse spirale qui perce perpendiculairement l'épaisse muraille des clochers » enfin il débouche sur l'une des deux hautes plates-formes, inondées de jour et d'air » (pag. 204). Ce parcours pour découvrir la ville est une sort d'ascèse dès ténèbres jusqu'au dehors où la lumière envahit le paysage. Cette scène sera reprise par Rodenbach dans Le Carillonneur où Joris Borluut monte sur son carillon et là il contemple Bruges ayant la sensation d'être au dessus du monde. Dans Notre-Dame de Paris, le narrateur monte, lui-aussi, sur la Tour, mais les motivations qui provoquent les deux mouvements sont différentes. Tandis que Joris veut s'éloigner de Bruges, la ville morte, le narrateur de Victor Hugo monte pour pouvoir s'immerger dans l'espace urbain:

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C'était un beau tableau que celui qui se déroulait à la fois de toutes parts sous vos yeux; un spectacle sui generis, dont peuvent aisément se faire une idée ceux de nos lecteurs qui ont eu le bonheur de voir une ville gothique entière, complète, homogène, comme il en reste encore quelques-unes, Nuremberg en Bavière, Vittoria en Espagne; ou même de plus petits échantillons, pourvu qu'ils soient bien conservés, Vitré en Bretagne, Nordhausen en Prusse.

Le Paris d'il y a trois cent cinquante ans, le Paris du quinzième siècle était déjà une ville géante. Nous nous trompons en général, nous autres Parisiens, sur le terrain que nous croyons avoir gagné depuis. Paris, depuis Louis XI, ne s'est pas accru de beaucoup plus d'un tiers. Il a, certes, bien plus perdu en beauté qu'il n'a gagné en grandeur. (pag. 204-207)

Avant tout le narrateur se réfère directement aux lecteurs parce que, pour pouvoir comprendre la physionomie d'une ville gothique comme Paris, ils doivent avoir visité l'une d'autres villes gothiques qui, au XIXe siècle, étaient restées en Europe. Le pouvoir visif et évocateur du narrateur se concentre totalement sur la ville. Après avoir abandonné la prospective verticale, il passe à décrire Paris d'un point de vue horizontal, parce que cette direction fonctionne mieux pour présenter l'évolution du lieu d'un point de vue temporel. En effet, pendant tout le chapitre les descriptions des lieux se mêlent à l'évocation des époques où ces lieux ont été bâtis. Le chapitre présente une personnification de la ville, qu'ici est un « géant », « né, dans cette vieille île de la Cité qui a la forme d'un berceau » (pag.207). Cette vision de l'espace urbain permet au narrateur de pouvoir affirmer définitivement la nature composite de la ville qui est formée par « trois aspects parfaitement à part. Dans la Cité abonde les églises, dans la Ville les palais, dans l'Université les collèges » (pag.210). Cette nature multiforme se réfléchit dans la présence de multiples juridictions communales. (pag.210).

La dernière phrase, « Il [Paris] a, certes, bien plus perdu en beauté, qu'il n'a gagné en grandeur », nous introduit à un argument que je traitera plus diffusément dans la partie de cet essai, dédiée au lieu fermé de Notre-Dame: la reconstruction et les renouvellements qui trahissent l'esprit de monument.

Le fait que toutes les vues d'en haut sont conduites à partir des Tours de Notre-Dame est important parce que la cathédrale est le centre du roman et le centre de la vie religieuse du moyen âge.

Cette gravure de Paris est particulièrement significative parce qu'elle peint bien la ville avec Notre-Dame au centre, les maisons et les monuments qui s'affolent dans le centre ville et l'enceinte.

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3- UN LIEU FERMÉ FONDAMENTAL: NOTRE-DAME

Le lieu fermé plus important dans le roman est sans doute la cathédrale et, en effet on pourrait affirmer, comme fait Adrien Goetz que « La France de Louis XI sert [seulement] de décor à une cathédrale vieillie, habitée par un peuple de personnages qui ne comprennent déjà plus les significations mystérieuses et mystiques du monument autour duquel gravitent leurs existences »28 Paris est, selon Goetz, presque seulement un décor pour faire ressurgir la silhouette d'un monument qui est présent dans la plupart des panoramas de la ville.

Par exemple, Claude Frollo ouvre la fenêtre de sa cellule dans le cloître et il montre au Roi et à son médecin une vue de Paris: « Et ouvrant la fenêtre de la cellule, il désigna du doigt l'immense église de Notre-Dame, qui, découpant sur un ciel étoilé la silhouette noire de ses deux tours, de ses côtes de pierre et de sa croupe monstrueuse, semblait un énorme sphinx à deux têtes assis au milieu de la ville. (pag.279) ». Le seul détail significatif de ce panorama est la cathédrale, un sphinx avec deux têtes, qui sont ses deux Tours.

La cathédrale, dans le roman, perd presque totalement sa valeur religieuse pour se charger d'autres qualifications et caractéristiques. Par exemple, elle est l'idée d'une maison pour Quasimodo (« Notre-Dame avait été successivement pour lui, selon qu'il grandissait et se développait, l'œuf, le nid, la maison , la patrie, l'univers » pag. 247), d'un lieu d'asile pour La Esmeralda (« À Notre-Dame, c'était une cellule [pour les condamnés] établie sur les combles des bas côtés sous les arcs-boutants, en regard du cloître. » (pag.521) « C'est là qu'après sa course effrénée et triomphale sur les tours et les galeries, Quasimodo avait déposé la Esmeralda » pag.522), ou, encore, elle devient l'exemple plus évident de la destruction moderne, opérée par « les hommes d'art »29 (pag. 193) au nom du nouveau goût. L'italique est utilisé par Hugo pour marquer son ironie face à ces personnages « stupides » qui ont « tué l'art magnifique » que « les Vandales avaient produit » (pag.197).

La cathédrale de Paris, dont la construction a été laborieuse et très longue, a été restaurée suivant des principes néogothiques, assez créatifs, vers le milieu du XIXe siècle par Eugène Viollet- le Duc, et cette restauration a porté, à la destruction de « ce colosse de saint Christophe, proverbial parmi les statues au même titre que la grand'salle du Palais parmi les salles, que le flèche de Strasbourg parmi les clochers » (pag.195) et à la construction des gargouilles, mais déjà en 1830 elle représentait l'un des exemples le plus alarmant de la disparition de l'art gothique originelle 30. A travers le roman Victor Hugo, qui veut être un restaurateur et un conservateur des antiquités, exactement comme tous les autres romanciers qui se sont dédiés au genre historique, veut tenter une véritable restauration du passé et du monument, capable de reporter la cathédrale à la splendeur qu'elle avait en 1482. Ce désir est exprimé dès la préface que l'auteur fait à l'œuvre dans l'édition du 1831:

Il y a quelques années qu'en visitant, ou, pour mieux dire, en furetant Notre-Dame, l'auteur de ce livre trouva, dans un recoin obscur de l'une des tours ce mot, gravé à la main sur le mur:

ANÁГKН.

28 GOETZ Adrien: Notre-Dame de Paris. 1482 Un roman des images. Préface à HUGO Victor Notre- Dame de Paris, Paris, Éditions Gallimard (2009), pag. 9-10.

29 L'italique est dans le texte d'Hugo. 30 DIETERLE Bernard: « Un gothique restauré. Littérature, architecture et restauration dans Notre Dame de Paris ». In

Das Visuelle Gedächtnis der Literatur (1999) pag. 204-211 http://crm.revues.org//index2495.html (novembre 2010).

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Ces majuscules grecques, noires de vétusté et assez profondément entaillées dans la pierre, je ne sais quels signes propres à la calligraphie gothique empreints dans leurs formes et dans leurs attitudes, comme pour révéler que c'était une main du moyen âge qui les avait écrites là, surtout le sens lugubre et fatal qu'elles renferment, frappèrent vivement l'auteur.[...] (pag59)

Le roman s'ouvre ainsi sur un ensemble de signes qui forment un mot grec. Comme dira Jehan Frollo dans le chapitre ANÁГKН (Chapitre IV, Livre VII), après avoir remarqué le mot sur le mur de la cellule de son frère Claude, « il eût été bien plus simple d'écrire Fatum. Tout le monde n'est pas obligé de savoir le grec » (pag. 396), comme tout le monde n'est pas obligé de savoir le latin. Toutefois, ce mot grec, écrit avec une calligraphie gothique qui plonge le lecteur dans le moyen âge, est en ouverture du roman parce que les signes qui le composent sont une représentation excellente du roman: « H, c'est en effet la façade de la cathédrale avec ses deux tours; A c'est le portail rayé par la barre transversale du tympan, c'est aussi l'intérieur de la nef vue en coupe; Г c'est le gibet de Montfaucon et de la place de Grève; K c'est l'angle de réflexion égal à l'angle d'incidence, une des clefs de la géométrie; N c'est la porte fermée avec sa barre diagonale »31. Un mot est ainsi suffisant pour esquisser les lieux qui domineront la narration et pour introduire la géométrie, science à la base de la construction de la cathédrale. Mais, cette écriture, composée par des signes, a disparu parce que le mur a été « badigeonné ou gratté » (pag.59), ainsi le romancier écrit Notre Dame de Paris pour donner immortalité à cette écriture gothique et aux hommes qui ont habité l'époque médiévale. En plus, l'anankè est « l'aveu qu'une force supérieure qui maîtrise la plume avant que l'écrivain la reconduise. Par un retournement vertigineux, le troisième terme lié au signe qu'est le livre nous ramène en-deçà de sa création, avant le roman et avant la cathédrale, à ce point d'origine où tout a commencé »32. Le livre est la cathédrale et les deux œuvres d'art sont semblables parce qu'ils sont deux monuments immortels qui parlent de l'homme et parce qu'elles sont soumises à la fatalité.

Après cette introduction, le romancier s'acharne contre ses contemporains: « Car c'est ainsi qu'on agit depuis tantôt deux cents ans avec les merveilleuses églises du moyen âge. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prêtre les badigeonne, l'architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les démolit. » (pag.59).

Même si le poète a cette ambition de devenir un constructeur, les descriptions de l'intérieur de la cathédrale sont limitées, fragmentées et éparpillées, parce que, comme tout le reste de la ville, aussi les monuments subissent un procès de décomposition.

La seule partie de ce monument qui est décrite plusieurs fois avec une attention maniaque est le seul détail visible du dehors: la façade. Cette frontière, pas imperméable et qui ne qui sépare et protège la cathédrale de la ville est importante parce qu'elle est la seule partie de cet édifice visible par la foule

La première description que le narrateur fait de cette frontière se trouve dans le chapitre Suite de Claude Frollo (Chapitre V, Livre IV). Après avoir décrit le personnage de l'archidiacre et avoir résumé son histoire, le narrateur introduit cette description de la façade de Notre-Dame conduite selon la focalisation sur Frollo:

Il est certain encore que l'archidiacre s'était épris d'une passion singulière pour le portail symbolique

31 GOETZ Adrien: Notre-Dame de Paris. 1482 Un roman des images. Préface à HUGO Victor Notre- Dame de Paris, Paris, Éditions Gallimard (2009), pag. 16-17.

32 Cfr: CHAREST Nelson: « Lecture aujourd'hui de Notre-Dame de Paris ». In Etudes littéraires, vol.37, n°2 (2006) pag.78. http: //id. erudit.org/iderudit/013672ar ( novembre 2010) .

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de Notre-Dame, cette page de grimoire écrite en pierre par l'évêque Guillaume de Paris, lequel a sans doute été damné pour avoir attaché un si infernal frontispice au saint poème que chante éternellement le reste de l'édifice. L'archidiacre Claude passait aussi pour avoir approfondi le colosse de saint Christophe et cette longue statue énigmatique qui se dressait alors à l'entrée du parvis et que le peuple appelait dans ses dérisions Monsieur Legris. Mais, ce que tout le monde avait pu remarquer, c'étaient les interminables heures qu'il employait souvent, assis sur le parapet du parvis, à contempler les sculptures du portail, examinant tantôt les vierges folles avec leurs lampes renversées, tantôt les vierges sages avec leurs lampes droites; d'autres fois calculant l'angle du regard de ce corbeau qui tient au portail de gauche et qui regarde dans l'église un point mystérieux où est certainement cachée la pierre philosophale, si elle n'est pas dans la cave de Nicolas Flamel. (pag. 261)

L'archidiacre, maître alchimiste, est le savant qui peut lire et déchiffrer les signes cachés qui font de Notre Dame un véritable « livre exotérique et magique ». Grâce à la focalisation sur ce personnage, le narrateur peut définir la façade comme « une page de grimoire écrite en pierre par l'évêque Guillaume de Paris ». Cette comparaison avec la page écrite a plusieurs fonctions. Avant tout elle lie le monument au système de signes qu'est la page écrite du roman, puis elle a une référence importante avec la culture du moyen âge où les édifices religieux étaient considérés des Bibbia Pauperum, c'est-à-dire, des lieux ou les peuples pouvaient lire les Écritures Saintes. Toutefois, dans la prospective de Claude Frollo, la façade n'est pas un simple livre, mais un grimoire, c'est-à-dire un écrit magique et, en effet, sur l'église l'archidiacre ne lit pas des scènes de la Bible, mais il concentre son attention sur le colosse de Christophe, une statue énigmatique, sur les vierges sages et les vierges folles, symbole fortement ambigu qui, dans un roman décadent comme Le Carillonneur de Georges Rodenbach représenteront la luxure (« Pourtant elle l’attira, l’obséda de visions charnelles. Il y avait des femmes renversées dans le bronze, avec des attitudes provocantes, des inflexions de corps, des clairs de lune d’extase sur le visage… Les unes offraient leur bouche en forme de coupe ; d’autres tendaient leurs cheveux comme un piège. » pag.4033). Ou encore, le regard se renferme sur le corbeau, qui est lié à Nicolas Flamel. L'archidiacre voit plus que le peuple dans la façade parce qu'il la regarde avec un œil plus attentif. Claude Frollo comparera cette façade à « les pyramides dont parle l'ancien Hérodotus », à « la tour de briques de Babylone », à « l'immense sanctuaire de marbre blanc du temple indien d'Eklinga », ou au « temple de Salomon » (pag. 278) parce que tous ces monuments partagent la même fonction d'être livres sacrés de la Nature.

J'ai dit que les deux parcours dans la ville, la ville à vol d'oiseau vue par Quasimodo et la ville dédalique cueillie à travers l'angoisse de Frollo, terminent avec une image de la façade de la cathédrale, maintenant, je voudrais analyser ces deux images.

Avant tout celle qui achève le Paris de Frollo. On est dans le chapitre Fièvre (Chapitre I, Livre IX) et Claude Frollo retourne à la cathédrale:

Cependant il se hasarda à regarder l'église. La façade était sombre. Le ciel derrière étincelait d'étoiles. Le croissant de la lune, qui venait de s'envoler de l'horizon, était arrêté en ce moment au sommet de la tour de droite, et semblait s'être perché, comme un oiseau lumineux, au bord de la balustrade découpée en trèfles noirs.(pag. 516)

L'archidiacre a peur de regarder le lieu qu'il a fuit et où il a vu La Esmeralda mais, il prend du courage et il regarde, au moins, la façade de Notre-Dame. Elle est sombre, mais, comme dans un

33 RODENBACH Georges: Le Carillonneur, Paris, Éditions Flammarion, 1892, réedit par les Éditions du Boucher en 2008. http://www.leboucher.com/pdf/rodenbach/carillonneur.pdf (janvier 2011).

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daguerréotype, ou un des dessins insérés dans l'édition de 1844 du roman, la masse noire est alternée à la lumière de la lune et des étoiles. Cette lumière est une lumière poétique, parce qu'elle est qualifiée à travers une comparaison: la lune est comme un oiseau lumineux. Cette image contribue à donner une certaine allure poétique à un monument de la ville et, si on considère Notre-Dame comme une synecdoque de Paris, alors on peut dire que Paris est aussi la ville de la poésie. La synecdoque est une figure rhétorique qui consiste, dans ce cas, à prendre la partie pour le tout34.

Une autre description de la façade qui ressente, encore une fois, des tournures romantiques est celle qui achève la vision de Paris à vol d'oiseau.

On est dans le chapitre Un maladroit ami (Chapitre IV, Livre X). En voyant que les gitans attaquent sa Notre-Dame, le sonneur des cloches tente de défendre sa maison:

Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l'une toute noire, l'autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l'immensité de l'ombre qu'elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l'œil. Il y avait des guivres qui avaient l'air de rire, des gargouilles qu'on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu'on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. (pag. 592)

Même cette fois, la façade de la cathédrale présente des caractéristiques récurrentes dans l'imaginaire romantique en général et dans la poésie de Victor Hugo en particulier. L'église est un écran fantastique où les superstitions du peuple des bohémiens prennent forme. Dans une atmosphère où la lumière et les ombres créent des objets, comme dans un tableau de Rembrandt ou de Caravaggio, les sculptures qui décorent la cathédrale changent complétement de fonction: elles ne sont plus apotropaïques, parce qu'elles deviennent des monstres et, à guider cette armée des ténèbres il y a un « chauve-souris », dans lequel le lecteur reconnaît Quasimodo. Les monstres qui se réveillent pendant la nuit rappellent les démons Djinns dans la poésie homonyme d'Hugo contenue dans Les Orientales (« Hideuse armée De vampires et de dragons ! » (vv.51-52)). Ce feu qui peint en rouge les monstres en leur donnant le souffle de la vie, rappelle le feu qu'il y a déjà en ouverture du roman (Chapitre I, Livre I, La grand'salle) lorsque le narrateur explique pourquoi il est obligé de reconstruire pour le lecteur la sale du Grand Palais (Il est certain que, si Ravaillac n'avait point assassiné Henri IV, il n'y aurait point eu de pièces du procès de Ravaillac déposées au greffe du Palais de Justice; point de complices intéressés à faire disparaître lesdites pièces; partant, point d'incendiaires obligés, faute de meilleur moyen, à brûler le greffe pour brûler les pièces, et à brûler le Palais de Justice pour brûler le greffe; par conséquent enfin, point d'incendie de 1618. pag.7135). Ce choix n'est pas fortuite, mais elle illustre le procédé de construction du roman qui travaille, sur les parallélismes entre les lieux, les situations ou les personnages.

La façade de l'église n'est pas vue seulement pendant la nuit, mais, il y a aussi une image de la cathédrale cueillie par le narrateur au couché du soleil. Cette image se trouve dans le chapitre Du danger de confier son secret à une chèvre (Chapitre Premier, Livre Septième). La Esmeralda est retournée danser sur le Parvis de Notre-Dame. On est au printemps, à l'heure du couché du soleil:

34 D'après: Cfr: ROBERT Paul: Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Texte remanié et amplifié sous la direction de Debove-Rey Josette et Rey Alain, Paris, Édition SEJER, 2011, pag. 2487.

35 L'italique est dans mon texte.

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C'était une de ces journées de printemps qui ont tant de douceur et de beauté que tout Paris, répandu dans les places et les promenades, les fête comme des dimanches. Dans ces jours de clarté, de chaleur et de sérénité, il y a une certaine heure surtout où il faut admirer le portail de Notre-Dame. C'est le moment où le soleil, déjà incliné vers le couchant, regarde presque en face la cathédrale. Ses rayons, de plus en plus horizontaux, se retirent lentement du pavé de la place, et remontent le long de la façade à pic dont ils font saillir les mille rondes-bosses sur leur ombre, tandis que la grande rose centrale flamboie comme un œil de cyclope enflammé des réverbérations de la forge. (pag.355)

La façade de l'église est décrite d'une façon triomphante, les rayons du soleil bougent sur sa surface et la lumière transforme la rose centrale de l'église dans l'œil d'un cyclope. Cette attention picturale pour les mouvements du soleil, qui changent l'essence des objets anticipe les positions artistiques des impressionnistes qui rejoindront le succès vers la fin du siècle. Ici l'étude de ce phénomène visuel et artistique est limité à la production d'une belle image qui suggère, à travers la comparaison avec le cyclope, la majesté de la cathédrale. Au contraire, dans la production d'un romancier comme Proust, qui doit beaucoup à Notre-Dame de Paris, à partir de l'idée d'un roman cathédrale, la question de la lumière produira des effets bien plus profonds. Cette vision majestueuse de la grande rose centrale semble anticiper les images triomphantes et visionnaires de la ville pour Honoré de Balzac. Cette description est caractérisée par la présence du cercle dans la rose centrale.

Maintenant je peux passer à l'étude des aperçus de l'intérieur de l'église. Avant tout je veux examiner les endroits véritables qui constituent la cathédrale, puis je veux mettre en relief le rapport entre le sonneur des cloches et le monument, parce que ce rapport est fondamental pour comprendre les intentions de Victor Hugo, comme historien, enfin je passerai à l'analyse d'un lieu fermé inventé contenu dans Notre-Dame: la cellule de l'archidiacre.

Le premier aperçu de l'intérieur de la cathédrale est celui qu'on peut trouver dans le chapitre Qu'un prêtre et un philosophe sont deux (Chapitre II, Livre VII). Claude Frollo, amène Pierre Gringoire, qui, devenu bohémien, était sur le Parvis avec La Esmeralda, dans Notre Dame:

La cathédrale était déjà obscure et déserte. Les contre-nefs étaient pleines de ténèbres, et les lampes des chapelles commençaient à s'étoiler, tant les voûtes devenaient noires. Seulement la grande rose de la façade, dont les mille couleurs étaient trempées d'un rayon de soleil horizontal, reluisait dans l'ombre comme un fouillis de diamants et répercutait à l'autre bout de la nef son spectre éblouissant. (pag. 377)

Dans la pénombre et grâce à la lumière qui pénètre par la rose centrale, c'est possible de cueillir des détails comme les lampes dans les chapelles ou les voûtes: éléments qui sont présents dans les cathédrales gothiques. Cette description, pauvre et caractérisée par le silence et les ombres, rappelle la description de la cathédrale de Saint-Sauveur à Bruges, faite par Georges Rodenbach dans Les Carillonneur.

Dans le chapitre VI de la Deuxième partie, Godelieve et Joris veulent célébrer leur mariage d'amour, mais avant de narrer cette scène du mariage, le narrateur décrit l'intérieur de la cathédrale:

Elles s'identifiaient de plus en plus avec l'ombre commençante. Seuls, les vitraux irradiaient encore. Les rosaces faisaient la roue. C'étaient des paons bleus, d'orgueil immobile. Un vaste silence. On n'entendait que le crépitement de quelques bougies, le craquement intermittent du bois des confessionnaux ou des stalles, cette vague respiration des choses endormies. La polychromie ardente des murs et des colonnes se décolorait. Un crêpe invisible descendait sur tout. Une odeur d'encens

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fané, de gloire moisie, dépoussière des siècles régnait. Les visages des vieux tableaux mouraient. On pensait aux ossements des reliquaires. (pag. 127)36

L'église de Bruges et la cathédrale de Notre-Dame ont beaucoup d'éléments en commun. Avant tout elles sont deux cathédrales gothiques avec des voûtes et des chapelles et les deux intérieurs sont vus à travers les changements de couleur déterminés par les rayons du soleil couchant qui pénètrent par les vitraux colorés. Toutefois, au delà des éléments en commun, les deux tableaux présentent des différences importantes. L'église de Saint-Sauveur est qualifiée à travers un plus grand nombre de détails qui sollicitent tous les sens comme l'odorat et l'ouïe, mais, tout dans cette église rappelle une idée de mort qui est complétement absente dans la description de la cathédrale de Victor Hugo. Cette différence dépend des deux divers courants littéraires auxquels appartiennent les auteurs: Georges Rodenbach est un romancier décadent, tandis que Victor Hugo est un romancier romantique.

Les fragmentes continuent à s'accumuler dans le roman, ainsi un autre morceau de l'intérieur de Notre-Dame se trouve dans le chapitre Trois cœurs d'homme faits différemment (Chapitre VI, Livre VIII). Le char qui est en train de transporter la jeune bohémienne pour faire amende de ses péchés s'approche de la cathédrale:

Devant le portail central, il s'arrêta. L'escorte se rangea en bataille des deux côtés. La foule fit silence, et au milieu de ce silence plein de solennité et d'anxiété les deux battants de la grande porte tournèrent, comme d'eux-mêmes, sur leurs gonds qui grincèrent avec un bruit de fifre. Alors on vi t dans toute sa longueur la profonde église, sombre, tendue de deuil, à peine éclairée de quelques cierges scintillant au loin sur le maître-autel, ouverte comme une gueule de taverne au milieu de la place éblouissante de lumière. Tout au fond, dans l'ombre de l'abside, on entrevoyait une gigantesque croix d'argent, développée sur un drap noir qui tombait de la voûte au pavé. Toute la nef était déserte. Cependant on voyait remuer confusément quelques têtes de prêtres dans les stalles lointaines du chœur, et au moment où la grande porte s'ouvrit il s'échappa de l'église un chant grave, éclatant et monotone qui jetait comme par bouffées sur la tête de la condamnée des fragments de psaumes lugubres.(pag. 498)

36 RODENBACH Georges: Le Carillonneur, Paris, Éditions Flammarion, 1892, réedit par les Éditions du Boucher en 2008. http://www.leboucher.com/pdf/rodenbach/carillonneur.pdf (janvier 2011).

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La cathédrale au moyen âge est le lieu le plus sacré pour le peuple et, en effet, dans cette description les portes de l'église s'ouvrent seulement après que la foule a fait silence, pour se préparer à un moment solennel. Une certaine anxiété se propage parmi les peuples parce que, dans le roman, l'ouverture de la cathédrale aux personnages secondaires est un événement exceptionnel. L'ouverture des portes est narrée avec une lenteur qui permet d'augmenter cette sensation d'attente et, à la fin, la foule et le lecteur ont un aperçu global de l'intérieur de l'église. Une ombre funèbre, de chambre mortuaire, domine l'espace et seulement les bougies posées sur le maître-autel permettent de distinguer les détails: l'abside, la nef et le chœur. Le lieu intérieur, comparé à une grotte, est en opposition avec le lieu extérieur du parvis immergé dans un soleil éblouissant. Grâce à la comparaison avec la grotte et la chambre mortuaire, l'intérieur de la cathédrale partage les caractéristiques négatives typiques de tous les autres lieux fermés du roman: le Trou aux rats, crypte bâtie sous la Tour-Roland, lieu toujours immergé dans le noir où la recluse pleure la disparition de sa petite fille ou la prison où La Esmeralda est renfermée sous le Palais du Justice, lieu sombre et humide comme un cercueil. Toutes ces description partagent le même ton morne et lugubre.

L'idée de la mort se retrouve aussi dans cette autre description influencée par la fièvre de Frollo. On est dans le chapitre Fièvre, Claude Frollo est retourné dans la cathédrale et il marche long le nef pour arriver à sa cellule:

La porte du cloître était fermée. Mais l'archidiacre avait toujours sur lui la clef de la tour où était son laboratoire. Il s'en servit pour pénétrer dans l'église.

Il trouva dans l'église une obscurité et un silence de caverne. Aux grandes ombres qui tombaient de toutes parts à larges pans, il reconnut que les tentures de la cérémonie du matin n'avaient pas encore été enlevées. La grande croix d'argent scintillait au fond des ténèbres, saupoudrée de quelques points étincelants, comme la voie lactée de cette nuit de sépulcre. Les longues fenêtres du chœur montraient au-dessus de la draperie noire l'extrémité supérieure de leurs ogives, dont les vitraux, traversés d'un rayon de lune, n'avaient plus que les couleurs douteuses de la nuit, une espèce de violet, de blanc et de bleu dont on ne retrouve la teinte que sur la face des morts.(pag.516-517)

La cathédrale continue à avoir, même ici, les qualités partagées par les autres lieux fermés: elle est sombre et silencieuse, morne parce que les décors funèbres et la grande croix d'argent, qui est le signe plus évident du luxe qu'il y a dedans, caractérisants la cérémonie du matin n'ont pas été enlevés. La fièvre influence la description de cet intérieur qui devient un véritable sépulcre et les couleurs des vitraux s'éteignent devenant « violet, blanc et bleu » comme les visages des morts. La mort est partout, parce qu'elle est dans les pensées de Frollo qui croit La Esmeralda morte et déjà froide.

La fièvre continue son processus d'influence en transformant la cathédrale dans un cercle de damnés qui poursuivent l'archidiacre: « L'archidiacre, en apercevant tout autour du chœur ces blêmes pointes d'ogives, crut voir des mitres d'évêques damnés. Il ferma les yeux, et quand il les rouvrit, il crut que c'était un cercle de visages pâles qui le regardaient. » (pag.517). Les évêques avec des visages pâles sont une hallucination, une manifestation des sentiments de culpabilité de Claude Frollo qui est, lui-aussi, un moine damné. L'espace intérieur est de plus en plus en train de changer sous le regarde inquiet de l'archidiacre et, après cette vision qui est limitée aux ogives du chœur, la transformation montreuse se propage à tout l'église:

Il se mit à fuir à travers l'église. Alors il lui sembla que l'église aussi s'ébranlait, remuait, s'animait, vivait, que chaque grosse colonne devenait une patte énorme qui battait le sol de sa large spatule de pierre, et que la gigantesque cathédrale n'était plus qu'une sorte d'éléphant prodigieux qui soufflait et marchait avec ses piliers pour pieds, ses deux tours pour trompes et l'immense drap noir pour

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caparaçon. (pag. 517)

Dans cet extrait retourne une idée que le romancier a déjà exprimée quand il a comparé Notre-Dame à un sphinx, c'est-à-dire, la cathédrale est semblable à un animal monstrueux, ou à une créature mythique, dans ce cas à un éléphant. A travers ces comparaisons, le romancier se détache d'une vision précise et documentaire de la cathédrale, pour libérer son imagination.

Jusqu'ici les fragments de Notre-Dame ont été caractérisés par l'absence d'un véritable esprit religieux. Le romancier a pu éviter de parler de la fonction primaire du lieu sacré grâce à la focalisation sur les personnages qui voient la cathédrale: Claude Frollo, le savant qui est tête mais qui n'a pas du cœur, pour reprendre la distinction faite par Nathaniel Hawthorne dans The scarlet letter, voit Notre-Dame comme un livre; Quasimodo, l'homme proche à l'animal, voit la cathédrale comme un carapace ou comme un gîte et, enfin, le narrateur voit ce lieu fermé comme un lieu à reconstruire.

Le devoir de donner une dimension spirituelle au lieu sacré est donné à la bohémienne, fille sensible, cœur du roman.

On est dans le chapitre Grès et cristal et La Esmeralda a commencé à oublier les tragédies qui l'ont portée à demeurer dans Notre-Dame. Dans ce processus cathartique, l'église a un rôle fondamental:

Ajoutons que l'église, cette vaste église qui l'enveloppait toutes parts, qui la gardait, qui la sauvait, était elle-même un souverain calmant. Les lignes solennelles de cette architecture, l'attitude religieuse de tous les objets qui entouraient la jeune fille, les pensées pieuses et sereines qui se dégageaient, pour ainsi dire, de tous les pores de cette pierre, agissaient sur elle à son insu. L'édifice avait aussi des bruits d'une telle bénédiction et d'une telle majesté qu'ils assoupissaient cette âme malade. Le chant monotone des officiants, les réponses du peuple aux prêtres, quelquefois inarticulées, quelquefois tonnantes, l'harmonieux tressaillement des vitraux, l'orgue éclatant comme cent trompettes, les trois clochers bourdonnant comme des ruches de grosses abeilles, tout cet orchestre sur lequel bondissait une gamme gigantesque montant et descendant sans cesse d'une foule à un clocher, assourdissait sa mémoire, son imagination, sa douleur. Les cloches surtout la berçaient. C'était comme un magnétisme puissant que ces vastes appareils répandaient sur elle à larges flots. (pag. 531-531)

L'église est décrite à travers des éléments qui rappèlent les sens: la vue est rassérénée par « l'harmonieux tressaillement des vitraux », tandis que l'ouïe est apaisé par « des bruits de bénédiction et de majesté », et par « le chant monotone des officiants ». Les cloches et l'orgue représentent une concerte qui comme une drogue berce les défenses de la jeune en effaçant ses préoccupations. L'atmosphère religieuse pénètre aussi dans les murs de l'édifice qui devient poreux et absorbe toute la calme des offices pour la retransmettre à La Esmeralda. Le fait qu'une fille, élevée dans un milieu païen puisse ressentir les émotions de la religion se lie à la conception romantique du culte: le rapport avec Dieu est un rapport qui nait de l'âme et pas d'un ensemble de pratiques religieuses plus ou moins approuvées par l'église.

Quasimodo, sonneur des cloches, aimant de La Esmeralda, qui introduit cette fille à l'église qui peut soigner ses blessures, sort seulement deux fois de Notre-Dame, une fois pour convaincre Phœbus à aller visiter La Esmeralda, prisonnière dans la cathédrale et une fois pour mourir en tenant dans les bras la bohémienne.

Le lien, ainsi étroit, entre l'église et le jeune homme, est illustré dans le chapitre Immanis pecoris custos, immanior ipse (Chapitre III, Livre Quatrième). Dans les premiers lignes du chapitre

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le narrateur informe le lecteur que l'archidiacre de Josas, Claude Frollo, a adopté Quasimodo comme un fils et il l'a nommé sonneur des cloches et « avec le temps, il s'était formé un lien intime qui unissait le sonneur à l'église » :

Séparé à jamais du monde par la double fatalité de sa naissance inconnue et de sa nature difforme, emprisonné dès l'enfance dans ce double cercle infranchissable, le pauvre malheureux s'était accoutumé à ne rien voir dans ce monde au delà des religieuses murailles qui l'avaient recueilli à leur ombre. Notre-Dame avait été successivement pour lui, selon qu'il grandissait et se développait, l'œuf, le nid, la maison, la patrie, l'univers.

Et il est sûr qu'il y avait une sorte d'harmonie mystérieuse et préexistante entre cette créature et cet édifice. (pag.246-247)

Cet extrait aide à comprendre mieux le lien entre la cathédrale et le sonneur des cloches, lien presque incestueux et grotesque parce que la cathédrale est une mère mais aussi une amante pour le jeun homme37. Le destin de Quasimodo, comme le destin de Notre-Dame et celui du roman est soumis à la fatalité, en plus le jeune homme et le monument sont deux univers fermés, parce que le sonneur des cloches avait été « emprisonné dès l'enfance dans le double cercle infranchissable » de la nature difforme et de la naissance inconnue. Il a développé avec l'église « une sympathie instinctive et profonde » (pag. 247) fondée sur des « affinités magnétiques », expression qui fait écho aux Affinités électives de Goethe et qui souligne le rapport mystique entre l'homme et l'édifice. La cathédrale est devenue le carapace de Quasimodo d'une façon si intime et profonde que c'est suffisant de lire le portait du jeune homme fait par Jehan de Frollo dans le chapitre Une larme pour une goutte d'eau (Chapitre IV, Livre VI), pour comprendre la profondeur de l'influence de ce lieu sur le personnage que l'habite: «Venez voir, messieurs, mesdames! voici qu'on va flageller péremptoirement maître Quasimodo, le sonneur de mon frère monsieur l'archidiacre de Josas, un drôle d'architecture orientale, qui a le dos en dôme et les jambes en colonnes torses!» (pag.344).

Dans la présentation que l'étudiant fait de Quasimodo, le sonneur des cloches est comparé à une cathédrale orientale, une cathédrale composite et hybride, comme Notre-Dame de Paris que Victor Hugo décrit comme « un édifice de transition » (pag. 199).

Le narrateur ajoute que « non seulement son corps semblait s'être façonné selon la cathédrale, mais aussi son esprit » (pag. 248), parce que comme la cathédrale renferme des mystères alchimiques, difficiles à déchiffrer, aussi l'âme du sonneur des cloches est renfermée contre la réalité et seulement le maître Claude Frollo réussit à lire dans son fils adoptif.

L'influence entre Quasimodo et la cathédrale est réciproque, parce que grâce aux cloches, le jeun homme anime la pierre:

La présence de cet être extraordinaire faisait circuler dans toute la cathédrale je ne sais quel souffle de vie. Il semblait qu'il s'échappât de lui, du moins au dire des superstitions grossissantes de la foule, une émanation mystérieuse qui animait toutes les pierres de Notre-Dame et faisait palpiter les profondes entrailles de la vieille église. Il suffisait qu'on le sût là pour que l'on crût voir vivre et remuer les mille statues des galeries et des portails. Et de fait, la cathédrale semblait une créature docile et obéissante sous sa main; elle attendait sa volonté pour élever sa grosse voix; elle était possédée et remplie de Quasimodo comme d'un génie familier. On eût dit qu'il faisait respirer l'immense édifice. (pag. 253)

37 Cfr: HUGO Victor: Notre Dame de Paris, Milano, Edizioni Oscar Mondadori (2007). Introduzione di Victor Brombert, pag. XIX.

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L'essence de l'édifice était liée au moyen âge à Quasimodo. Lorsque ils cherchent à attaquer la cathédrale, les bohémiens pensent qu'elle est possédée par « l'esprit de Sabnac, le grand marquis, le démon des fortifications » (pag.593), ils ne peuvent pas savoir que ce démon est le sonneur des cloches, esprit qui, grâce à Gabrielle, Marie, Thibauld, Guillaume (pag.387) et les autres cloches anime l'église.

Le roman veut redonner la vie à ce lieu, à travers la création d'un passé mythique où Quasimodo peut retourner à sonner ses cloches. Pour Hugo cette est la véritable restauration: donner la vie à un lieu qui l'a perdue, récupérer la fonction religieuse originelle de l'église, et ne pas perdre les traditions du passé et les légendes liées à ce temps fabuleux. Le désir de ne pas perdre les églises comme lieux de culte sera une préoccupation qui traversera tout le XIXe et une partie du XXe siècle, en donnant que même Proust, en 1904 écrit un article (La mort des cathédrales) pour la défense des cathédrales. On peut dire que cet intérêt pour les monuments du passé et pour les cathédrales, nait ici avec Victor Hugo, mais il se développera grâce aux études des impressionnistes et de Ruskin. Ici il retourne encore l'idée d'une cathédrale morte et sans âme.

Et encore:

Il [Quasimodo] y était partout en effet, il se multipliait sur tous les points du monument. Tantôt on apercevait avec effroi au plus haut d'une des tours un nain bizarre qui grimpait, serpentait, rampait à quatre pattes, descendait en dehors sur l'abîme, sautelait de saillie en saillie, et allait fouiller dans le ventre de quelque gorgone sculptée; c'était Quasimodo dénichant des corbeaux. Tantôt on se heurtait dans un coin obscur de l'église à une sorte de chimère vivante, accroupie et renfrognée; c'était Quasimodo pensant. Tantôt on avisait sous un clocher une tête énorme et un paquet de membres désordonnés se balançant avec fureur au bout d'une corde; c'était Quasimodo sonnant les vêpres ou l'angélus. Souvent, la nuit, on voyait errer une forme hideuse sur la frêle balustrade découpée en dentelle qui couronne les tours et borde le pourtour de l'abside; c'était encore le bossu de Notre-Dame. Alors, disaient les voisines, toute l'église prenait quelque chose de fantastique, de surnaturel, d'horrible; des yeux et des bouches s'y ouvraient çà et là; on entendait aboyer les chiens, les guivres, les tarasques de pierre qui veillent jour et nuit, le cou tendu et la gueule ouverte, autour de la monstrueuse cathédrale; et si c'était une nuit de Noël, tandis que la grosse cloche qui semblait râler appelait les fidèles à la messe ardente de minuit, il y avait un tel air répandu sur la sombre façade qu'on eût dit que le grand portail dévorait la foule et que la rosace la regardait. Et tout cela venait de Quasimodo. L'Égypte l'eût pris pour le dieu de ce temple; le moyen âge l'en croyait le démon; il en était l'âme. (pag. 253-254)

Ce paragraphe est écrit selon le point de vue de la bourgeoisie parisienne qui habite près du Parvis de la cathédrale et qu'à cause de Quasimodo voit l'église comme un « monstre » avec « des yeux et des bouches », « une gueule ouverte » qui dévore et avec un rosace qui, comme l'œil d'un cyclope (pour reprendre une image que Victor Hugo a déjà utilisé) regarde les citoyens. La personnification de la cathédrale s'accompagne à une dépersonnalisation du sonneur des cloches qui est qualifié, en premier lieu comme une « chimère vivante », mais aussi comme le dieu que l'Égypte aurait attribué à ce temple. La référence à la terre des pharaons est utile pour conférer un caractère encore plus hybride à cet édifice, mais aussi pour commencer à suggérer la vrai nature du sonneur des cloches. Le jeune homme qui maintenant habite la cathédrale, a été abandonné par sa mère, une bohémienne, dans Notre-Dame, quand il avait quatre ans et ici on voit comme son destin a été, dès le début de sa vie indissolublement lié à ce lieu de culte. Pour comprendre l'importance de cette terre orientale dans cette passage, on doit penser que, pendant le moyen âge, il y avait la croyance commune que les bohémiens venaient de l'Égypte. Puis, il est défini comme un paquet de membres, avec une dépersonnalisation totale et encore, toujours continuant sur cette ligne, il est une simple « forme hideuse ».

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Une autre caractéristique intéressante de ce paragraphe est sans doute son style animé. Chaque phrase commence avec une conjonction: « Tantôt », « Souvent », « Alors » et « Et ». Cet enchainement rapproche le paragraphe à une poésie, parce qu'il lui donne du rythme. Cette poésie de la cathédrale, est le tentative plus intéressante que le romancier fait pour redonner de la vie à ce lieu parce qu'une fois disparu le sonneur des cloches, pour « ceux qui savent que Quasimodo a existé », la cathédrale est restée « déserte, inanimée, morte.», à cause de la disparition de « quelque chose ». Le corps de la cathédrale est « vide », seulement « un squelette » parce que l'esprit « l'a quitté »: « C'est comme un crâne où il y a encore des trous pour les yeux, mais plus de regard » (pag. 254). La comparaison avec le crâne peut être lue comme un Memento mori: l'homme meurt, mais la littérature est la seule capable de redonner la vie aux œuvres mortelles.

Ainsi, le procès qui veut réanimer l'espace urbain de l'époque ancienne rejoint ici son comble: le romancier a, avant tout, remédié aux erreurs des architectes en rabattant la structure, le squelette de Notre-Dame, puis il lui a donné la vie à travers la narration.

Après avoir examiné tous les lieux réels de la cathédrale et toutes les descriptions que le narrateur peut faire grâce au déplacement des points de vue, maintenant je voudrais réfléchir sur un lieu complétement inventé par Hugo: la cellule de l'archidiacre Claude Frollo.

Ce lieu fermé, étude de l'alchimiste, est vu par le frère de l'archidiacre, Jehan Frollo du Moulin, qui n'hésite pas à le définir « la logette aux sorcelleries » (pag.390). Le jeun étudiant va chez son frère parce qu'il a besoin d'argent pour visiter son amante et il sait qu'il le pourra trouver dans la cellule qui se trouve dans l'une de « deux tours qui regarde sur la Grève, tout à côté de cage aux cloches » (pag.262), en donnant l'importance de ce lieu pour comprendre le personnage qu'y habite et ses aspirations, le narrateur explique aussi son histoire: « Cette cellule avait été jadis pratiquée presque au sommet de la tour, parmi les nids de corbeaux, par l'évêque Hugo de Besançon, qui y avait maléficié dans son temps. » (pag.262). Dans cette brève digression, le narrateur informe le lecteur de la fonction de ce lieu.

Pour rejoindre cette cellule, Jehan Frollo doit accomplir un parcours ascensionnel difficile, comme le narrateur dit dans le chapitre ANÁГKН. Jehan arrive « sur la galerie à colonnettes » et ici il commence à « jurer contre l'interminable escalier » tandis qu'il reprend son « ascension par l'étroite porte de la tour septentrionale » qui, déjà au XIXe siècle était « interdit au public » (pag.390). L'impossibilité d'aller visiter ce lieu permet au narrateur de se délivrer de son rôle d'historien, obligé à une certaine fidélité aux faits. Jehan dépasse la « cage des cloches » pour arriver devant une porte que l'époque moderne a gâchée comme le narrateur dit: « Les personnes qui seraient curieuses aujourd'hui de visiter cette porte la reconnaîtront à cette inscription, gravée en lettres blanches dans la muraille noire: J'ADORE CORALIE, 1829. Signé UGÈNE. Signé est dans le texte. » (pag.391). Encore une fois, dans un contexte apparemment léger comme celui du parcours ce garçon, personnage ironique et bouffon, le narrateur souligne le rapport entre monument et écriture et il critique ses contemporains qui ont effacé le destin pour l'amour frivole de deux jeunes bourgeois.

Ce parcours ascensionnel difficile rappelle, d'une façon ironique, le parcours horizontale que Claude Frollo a dû faire pour arriver à acquérir ses connaissances, et le parcours de Pierre Gringoire pour accéder à un autre lieu magique comme la Cour des Miracles.

Finalement, le jeun étudiant ouvre la porte et, tandis que Claude est absorbé par ses pensées, il a tout le temps d'étudier ce refuge. Avant de donner une description selon le point de vue du jeun homme, l'écrivain insère un pastiche:

Quelque chose d'assez semblable à la cellule de Faust s'offrit à la vue de Jehan quand il eut hasardé

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sa tête par la porte entre-bâillée. C'était de même un réduit sombre et à peine éclairé. Il y avait aussi un grand fauteuil et une grande table, des compas, des alambics, des squelettes d'animaux pendus au plafond, une sphère roulant sur le pavé, des hippocéphales pêle-mêle avec des bocaux où tremblaient des feuilles d'or, des têtes de mort posées sur des vélins bigarrés de figures et de caractères, de gros manuscrits empilés tout ouverts sans pitié pour les angles cassants du parchemin, enfin, toutes les ordures de la science, et partout, sur ce fouillis, de la poussière et des toiles d'araignée; mais il n'y avait point de cercle de lettres lumineuses, point de docteur en extase contemplant la flamboyante vision comme l'aigle regarde son soleil.(pag. 390-391)

Dès la première ligne, Victor Hugo cite le Faust de Rembrandt, ainsi la description est influencée par la mémoire du tableau. L'insertion dans le roman d'une espèce de pastiche du tableau de l'artiste flamand, est significatif parce qu'il illustre le problème de la perception et de l'art visuel dans les romans. Ce problème nait au XIXe siècle grâce à la création des Salons, à la naissance de la critique d'art et aux problèmes de la descriptions de tableaux dans les romans.

On sait que la peinture, s'est toujours liée à la poésie à travers la figure rhétorique de l' ekkphrasis qui consiste à décrire des tableaux dans une passage narratif, mais, au XIXe siècle les descriptions artistiques commencent à devenir moins pures parce que les romanciers utilisent leur créativité pour élaborer l'inspiration qui leur vient du tableau. Cet intérêt pour la peinture nait du fait que cette forme d'art communique d'une façon plus immédiate que la littérature.

La référence à la peinture de l'artiste flamand arrive à exprimer directement, sans filtres, l'angoisse suscitée par ce lieu cabalistique, où la confusion domine partout. Des instruments délicats sont laissés dans la poudre et dans « les ordures de la science » et « L'ensemble de la logette présente un aspect général d'abandon et de délabrement; et le mauvais état des ustensiles laissait supposer que le maître était déjà depuis assez longtemps distrait de ses travaux par d'autres préoccupations » (pag. 393). Cet abandon est provoqué par la passion de Frollo pour La Esmeralda, qui néglige ses études comme Quasimodo néglige ses cloches. Sans doute ce lieu fermé, fortement influencé par la permanence de Frollo, est très particulier dans une cathédrale catholique, parce qu'il représente le mélange entre culture réelle, la religion, et culture mythique, l'alchimie.

Cette gravure représente Claude Frollo qui incide avec un compas l'une des écritures qui adornent le mur de sa cellule: des écritures cabalistiques.

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4-CONCLUSION

Après avoir examiner la façon dont Paris est décrite dans le roman, je pourrai approfondir les raisons qui ont poussé Victor Hugo à choisir la capitale comme lieu pour situer la narration. A cause des renouvellements architecturales et urbanistes, voulus par Hausmann et René Viollet-Le-Duc, la ville change complétement sa physionomie au XIXe siècle, en devenant une capitale moderne, mais un mystère même pour les parisiens qui y habitent. Victor Hugo ressente bien de cette atmosphère de perte et pour cette raison il cherche à donner à ses concitoyens un aperçu inédit de leur ville, qui pourrait les aider à connaître mieux le lieu où ils habitent.

La reconstruction de la cathédrale gothique est un autre point important dans la construction de l'espace du roman. Joëlle Prugnaud soutient que « Le XIXe siècle a inventé la cathédrale »38, parce qu'il a réinterprété ce lieu de culte en fonction des choix idéologiques de l'époque moderne. A partir de Victor Hugo d'autres auteurs comme Rodenbach, mais aussi comme Huysmans se sont dédiés à la reconstruction des monuments gothiques, pour dénoncer les dégâts causés par les restaurations ou pour chercher à redonner un sens religieux aux lieux de culte. Cet intérêt pour le gothique dépend aussi de la naissance du style néogothique, et de la culture Romantique qui, pour s'opposer au XVIIIe siècle, qui exaltait la science contre la religion, retourne au moyen âge et au rapport avec Dieux, qui est parfaitement illustré par le style gothique.

Au delà de la reconstruction de Paris et des monuments dont j'ai déjà parlé, ici je peux dire que le Paris de Victor Hugo n'est pas une ville pédagogique. Ce terme indique la fonction de l'espace urbain qui devient un « lieu de civilisation, promoteur de valeurs nouvelles, symbole du progrès pouvant mener à l'établissement d'une société plus solidaire »39. On peut retrouver une ville pédagogique dans des romans comme Francion au XVIIIe siècle, ou dans Le rouge et le noir de Stendhal et même les décadents ont considéré la ville comme un lieu d'apprentissage, comma dans Monsieur de Phocas, de Jean Lorrain. A travers la permanence en ville les personnages vont apprendre quelque chose, même grâce à des expériences négatives comme la désillusion sociale, de l'amour ou de la drogue. Le Paris de Victor Hugo n'est pas une ville pour apprendre, elle est une ville passionnée et violente.

Enfin, c'est nécessaire de dire quelque chose à propos des images qui ont accompagné plusieurs éditions de Notre-Dame de Paris: elles sont liées à la description de la ville parce qu'elles permettent de dessiner un espace urbain proche au diorama.

38 PRUGNAUD Joëlle: « L'image de l'architecture gothique dans la littérature fin-de-siècle ». In Cahiers de recherches médiévales et humanistes, n°2 (1996). http://crm.revues.org//index2495.html (décembre 2010)

39 PERNOT Denis: « Paris province pédagogique ». In Romantisme, 1994, n. 83°. La ville et son paysage. pp. 107-118.

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• Images:

Les gravures dans mon essai ont été prises de : HUGO Victor, Notre Dame de Paris, Édition illustrée d'après les dessins de MM. B. de Beaumont, L. Bolanger Danbigoy, T. Johannat, De Lemond, Meissocies, C. Bogneplan, De Budder, Steinbeil, Paris, Perrotin Éditeurs et Garnier Frères (1844).

Sitographie:

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