Créer un musée du sport pour rester dans l’actualité médiatique : l’exemple de...
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Créer un musée du sport pour rester dans l’actualité médiatique :
l’exemple de l’Association Sportive de Saint-Étienne Pascal Charroin & Loïc Szerdahelyi*
L’Association Sportive de Saint-Étienne est l’un des plus grands clubs du football
français, comme son palmarès l’atteste1. Elle a enthousiasmé les supporters de l’Hexagone,
notamment durant les années soixante-dix, au cours desquelles « l’épopée verte » est venue
redorer le blason du sport français, alors bien terne.
Pourtant, depuis 1981, l’A.S.S.E. n’a plus remporté de titres majeurs. Pire, elle a
connu à plusieurs reprises les affres de la Ligue 2 et a subi, de plein fouet, des scandales
retentissants qui ont structurellement mis à mal sa compétitivité et sa crédibilité, tant sportive
que financière (affaire de la « caisse noire », crise des « faux passeports »…). Néanmoins, le
club n’a pas sombré dans l’anonymat et le « flamme verte » ne s’est jamais vraiment éteinte.
La mythification du stade Geoffroy Guichard, baptisé « chaudron »2, l’enthousiasme et la
fidélité du public, tout comme l’attachement symbolique au « maillot vert » demeurent3. Cela
étant, d’autres clubs : Lyon4, Bordeaux, Marseille ou Paris lui volent, aujourd’hui, la vedette
sportive. Que ce soit dans la presse écrite, radiophonique, télévisée ou « informatisée »,
l’équipe verte ne fait plus la Une, sauf lorsqu’elle se confronte aux formations les plus en vue.
Si elle conserve encore son rang chez les plus anciens, les jeunes, eux, se passionnent
davantage pour le « haut du tableau », comme l’atteste la fréquentation des sites Internet
officiels.
L’une des manières de contrer publiquement ces concurrents du présent consiste à
convoquer le passé. Après plusieurs tentatives demeurées sans suite, les dirigeants du club ont
ainsi pris date de la création du musée de l’A.S.S.E., en accord avec la communauté
d’agglomération (« Saint-Étienne-Métropole »), le service d’Archives Municipales de Saint-
Étienne (« A.M.S.E. ») et l’Université Jean Monnet (« U.J.M. »). « Entretenir la mémoire,
commémorer, durer… en attendant des jours meilleurs » semble être le leitmotiv de la
« patrimonialisation » tout azimut, dont les grands clubs étrangers se sont fait une spécialité
depuis longtemps, mais en étoffant au présent, à la différence de l’A.S.S.E., leur palmarès
sportif5.
Cette étude a donc pour objet de s’interroger sur les conditions de convocation d’un
passé pour rester dans l’actualité médiatique. Faute de ne pouvoir occuper l’espace sportif
journalistique du présent, lié aux stricts résultats6, le club tente en effet de mettre en valeur
son patrimoine et sa mémoire. In fine, la communication déterminera les caractéristiques du
lien entre la réalité médiatique et la réalité sportive, entre les espoirs entretenus et les résultats
obtenus, entre le passé, le présent et l’avenir… autrement dit, s’interrogera sur les
* Pascal Charroin, Maître de Conférences, Département S.T.A.P.S.-Université Jean Monnet Saint-Étienne,
Chercheur au C.R.I.S.-Laboratoire d’Histoire du Sport-Université Claude Bernard Lyon I (E.A. 647) et Loïc
Szerdahelyi, Professeur d’E.P.S., Doctorant, Université Claude Bernard Lyon I, C.R.I.S.-L.A.R.H.R.A. 1 Charroin, Pascal, "Allez les Verts !"-De l'Épopée au Mythe : la mobilisation du public de l'Association Sportive
de Saint-Étienne, Lyon, Thèse de Doctorat en S.T.A.P.S., soutenue à l'U.F.R. S.T.A.P.S., Université Claude
Bernard Lyon I, samedi 12 novembre 1994, 394 p. et 153 p. d'Annexes. 2 Sur la dimension idéologique architecturale : Bolz, Daphné, Les arènes totalitaires Hitler, Mussolini et les jeux
du stade, Paris, C.N.R.S.-Editions, 2008, 341 p (coll. Histoire.). 3 Granjeon, Guillaume, Le peuple vert Histoire des publics de l’Association Sportive de Saint-Étienne 1945-2008
Des tribunes à l’image de la cité ? , 2007-2008, Université Jean Monnet Saint-Étienne-Faculté des Sciences
Humaines et Sociales-Département Histoire, Master 1 Professionnel : « Territoire Patrimoine et
Environnement », soutenance I.E.R.P. de Saint-Étienne, le 3 juillet 2008, 172 p. 4 Lé-Germain, Elisabeth, Le stade de Gerland, Mémoire D.E.A. S.T.A.P.S., U.F.R. S.T.A.P.S.-Lyon I, 1993, pp.
36-47. 5 Musées du sport, in Cahiers Espaces, n° 89, mai 2006, 166 p. 6 Chartier, Roger et Vigarello, Georges, Les trajectoires du sport Pratiques et spectacles, in Le Débat, n°19,
février 1982, pp. 35-41.
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caractéristiques d’une culture sportive. Si dans les grands clubs étrangers, le musée n’est
qu’un complément aux résultats sportifs, ici, il se substituerait à eux pour en compenser le
manque d’attractivité. Dans une société où la médiatisation du présent s’accommode bien du
caractère provisoire, temporaire et transitoire du sport, faire prospérer une démarche muséale,
telle n’est pas la moindre des contradictions que les acteurs en charge du projet tentent de
dépasser7. Certes, il est évident, comme l’a montré Pierre Bourdieu, que la population qui
fréquente les musées n’est pas la même que celle qui se rend dans les stades8. Néanmoins, ce
mariage entre culture populaire et culture cultivée, « classante » est possible. La présence
même du terme « musée » vient offrir un label patrimonialisant distinctif. De plus, la place de
la « Boutique des Verts », à la sortie du musée dans la maquette du projet, saura contenter le
supporter lambda épris de merchandising. Lier une pratique considérée comme vulgaire à un
usage distinctif est finalement l’une des préoccupations des acteurs du sport, faisant de
l’histoire un outil de communication médiatique pour assoire une légitimité et rendre
incontestable les usages du corps9.
Plus simplement, nous tenterons de décrire les étapes d’une telle entreprise et de
témoigner sur la naissance d’un projet de musée sportif, patrimoine encore marginal dans
l’Hexagone. Pourtant, les perspectives de recherches scientifiques, et notamment historiques,
qui mêlent analyse des archives de première main, des livres10, des articles de presse, des
témoignages oraux, des objets, des documents vidéo11, de l’iconographie, etc. sont
potentiellement riches de recensements et de catégorisations12.
Dans un premier temps, nous retracerons les origines d’un tel projet ainsi que les
conditions sine qua none de la « mise en patrimoine », qu’elle soit sportive ou pas. Dans un
deuxième moment, nous mettrons en exergue la pluralité matérielle et temporelle qui
caractérise le fonds archivistique. Enfin, nous déterminerons les enjeux sous-jacents à cette
entreprise de « patrimonialisation », en fonction de la position occupée par les acteurs
concernés.
7 Debray, Régis, Trace, forme ou message, in Les Cahiers de Médiologie, n°7, 1999, pp. 30-34. 8 Bourdieu, Pierre et Darbel, Alain, L'amour de l'art : les musées et leur public, Paris, Ed. de Minuit, 1966, 216
p. 9 Eisenberg, Christine, Lanfranchi, Pierre, Mason, Tony et Wahl, Alfred, FIFA 1904-2004 Le siècle du football,
Paris, Le Cherche Midi, 2004, 311 p. 10 Charreton, Pierre, Les fêtes du corps Histoire et tendances de la littérature à thème sportif en France 1870-
1970, Université de Saint-Étienne, C.I.E.R.E.C., Travaux XLV, 1985, 172 p. 11 Caumeil, Jean-Guy, Charroin, Pascal, Lignon, Fanny et Nourrisson, Didier, Fixité de l’image et mobilité des
corps. L’enseignement de l’éducation physique et des sports par le film, Saint-Étienne, P.U.S.E., 2009, 200 p. 12 Dagognet, François, Les outils de la réflexion, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la
connaissance, 1999 (coll. Les Empêcheurs de Tourner en Rond.).
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1976, Glasgow, ASSE – Bayern Munich : Présentation des équipes aux officiels, Photo Charly
Minassian
I) L’origine du projet et les conditions d’une mise en patrimoine
Le projet puise sa source auprès des acteurs et de leurs institutions. Des
collectionneurs privés passionnés, comme Alex Mahinc ou Jean Vieillard, voient dans la
création du musée un moyen de valorisation symbolique ou/et financière de leur travail de
recueil de données, sorte de récompense pour leur investissement affectif. Les salariés de
l’A.S.S.E., et notamment le Directeur de la Communication, Eric Fages, dès le milieu des
années quatre-vingt-dix, réactivent l’idée. Plus tardivement, en 2006, les responsables des
Archives Municipales de Saint-Étienne, puis les historiens de l’Université Jean Monnet leur
emboîtent le pas. Mais toutes ces personnes sont partiellement guidées dans leur démarche par
les événements. Ainsi, la mise en patrimoine apparaît comme un rempart contrecarrant des
résultats sportifs décevants et un « turn-over » perpétuel : aller-retour entre Ligue 1 et Ligue
2, succession de Présidents, changements de l’encadrement sportif, roulement de l’effectif
joueurs. Bref, la volonté de stabiliser le club démontre que volontarisme et déterminisme
forment le maillage d’une telle entreprise. La liberté des acteurs s’entrechoque avec les
circonstances objectives pour dessiner les contours de la mise en projet muséale.
Une fois le comité de pilotage constitué par le croisement des acteurs de ce réseau,
apparaît très rapidement la volonté, notamment des A.M.S.E., de poser les conditions
préalables à la réalisation concrète de cette « patrimonialisation ». Ainsi, au regard du corpus
existant et des réalisations de musées à caractère sportif, en particulier de ceux qui conservent
la mémoire des grands clubs européens, dix exigences semblent incontournables :
- la dimension mythique, exemplaire, légendaire, non reproductible, mais modélisable et
adaptable d’une histoire ;
- la puissance objective de la chose « patrimonialisable » ;
- la surface socialement occupée par le phénomène mis en scénographie ;
- l’existence de fonds baptismaux (le stade) et archivistiques (les murs du musée)
objectivant et « tangibilisant » le phénomène ;
- l’intérêt scientifique de ce dernier (problématique, évolution, innovations, continuités,
ruptures et saisie de la coulisse) ;
- l’impact économique du fait muséal ;
- le niveau des performances sportives du club concerné ;
- le caractère unique et rare de la chose exposée ;
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- la possibilité de conserver, de « sédentariser », tout autant que de « nomadiser » le fonds
patrimonial détenu par les A.M.S.E. ;
- la création d’une scénographie compréhensive, attractive et interactive13.
Au regard de ces exigences, la création du musée de l’A.S.S.E. paraît envisageable,
compte tenu que bon nombre de critères sont remplis par notre « objet »14. Pour n’en
développer que quelques-uns, on constate, par exemple, que le dépôt a déjà été plusieurs fois
« nomadisé », suite à l’exposition lors des Journées Européennes du Patrimoine en 2006. Pour
ce qui est du caractère rare et inédit, il n’existe pas d’autres musées de club de football en
France. L’A.S.S.E. est attachée au fait que celui-ci soit le premier, raison pour laquelle la
discrétion des membres du comité de pilotage a été exigée. Pour ce qui est de la scénographie,
la possession de nombreux documents vidéo et le caractère, par essence, ludique du football
s’accommodent très bien de la volonté de créer de l’interactivité entre la « chose
patrimonialisée » et les visiteurs. Enfin, l’intérêt économique du fait muséal n’est pas
contestable : la sortie du musée déboucherait sur l’entrée de la « Boutique des Verts » où se
vendent les produits dérivés du club. Le seul problème qui subsiste est celui du manque de
résultats sportifs, autrement dit de « l’entretien compétitif de la ferveur ». Mais, c’est
justement de cette condition qu’est venue l’idée du projet en lui-même. Pour tout dire, elle en
est même devenue la problématique centrale. Au final, l’A.S.S.E. ne remplit donc pas toutes
les conditions, mais elle s’en approche dans la plupart des cas, de fort près. Le travail qui
consiste à inventorier et à classer le fonds peut donc démarrer.
II) La diversité des supports
L’organisation du fonds, support du projet de musée, est le fruit d’une collaboration
tripartite entre l’A.S.S.E., les A.M.S.E. et l’U.J.M. Consultable aux A.M.S.E., il finalise un
vaste travail de classement et de conditionnement. Si le panel des archives, aujourd’hui
centralisées dans un répertoire numérique régulièrement réactualisé15, intéresse par sa
diversité matérielle et temporelle, l’intérêt de ce fonds tient aussi au fait qu’il est, pour
l’heure, le seul en France conservé dans un service public d’archives.
C’est sur cette base que nous nous sommes appuyés afin d’étudier les documents
disponibles, tout en les recodant en six catégories de manière à les différencier de façon
précise. Ainsi, diverses entrées permettent de classer la variété d’unités détenues.
L’iconographie rassemble des photos, négatifs, diapositives, caricatures, affiches, posters,
autocollants, cartes postales et autres vidéos. L’administration concerne tout ce qui procède de
l’activité interne du club. Les publications regroupent revues, journaux, ouvrages et autres
plaquettes éditées par l’A.S.S.E., pour le public. Si les objets sont définis par ce qui n’a jamais
été vendu (trophées, médailles, plaques, fanions de match, vêtements internes), la catégorie
merchandising, elle, s’applique aux biens vendus tels que des fanions de supporters, des
drapeaux, des disques, mais aussi des produits aussi hétéroclites qu’insolites : bretelles, pin’s,
savons, désodorisants, bouteilles d’eau de vie, etc. Enfin, les témoignages incluent les
entretiens oraux, lettres de supporters et correspondances personnelles de joueurs et
d’entraîneurs.
13 Bissonnier, Sylvain, Fages, Eric, Granger, Frédéric et Porte, Corinne, Note d’orientation pour la rédaction
d’un Programme Scientifique et Culturel (P.S.C.) pour le futur musée de l’A.S.S.E., in Archives Municipales de
Saint-Étienne et Institut des Etudes Régionales et des Patrimoines (E.A. 3723), 15 septembre 2006, 10 p. 14 Charroin, Pascal, Un football ouvrier dans le « chaudron » ? Le cas de l’A.S. Saint-Étienne, in Dietschy, Paul,
Pfeil, Ulrich et Paravicini, Wemer (sous la dir. de), Football et identité en France et en Allemagne, Lille,
Septentrion, 2009, 20 p. 15 Se référer au site Internet des Archives Municipales de Saint-Étienne, en particulier aux rubriques « Archives
privées » 60S et 66S : <http://www.archives.saint-etienne.fr/site/index.asp?rubrique=rechercheFonds5>. Il est
aussi possible de contacter directement aux Archives Municipales de Saint-Étienne : Corinne Porte ou Grégory
Charbonnier.
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1965, Stade Geoffroy Guichard, Un dimanche après-midi : la foule gradins du nord, Photo Charly
Minassian
Chaque cote a été comptabilisée comme une unité, mais une précaution
méthodologique s’impose et empêche la confrontation des différents types d’archives entre
eux. En effet, le classement juxtapose des cotes difficilement comparables, puisque celles-ci
peuvent être attribuées aussi bien à une seule photographie qu’à un groupement de dossiers
administratifs. Ainsi, pour éviter que des biais issus de l’énumération surabondante de cotes
allouées à des archives uniques ne viennent fausser la perspective, l’analyse devait donc être
effectuée selon d’autres critères.
C’est d’abord la période mise en lumière qui a retenu notre attention, à travers le
croisement de l’année avec le type de l’archive16. Là aussi, prudence et rigueur s’imposent
avant de s’engager dans l’administration de la preuve. Il faut dire que le travail archivistique
est loin d’être simple, lorsque des éléments se révèlent difficilement datables. Or certains se
sont immiscés dans le fonds. Certes peu nombreux, ils sont pourtant bien réels, identifiables
par des tranches d’années qui les situent dans le temps. Si le traitement de ce type de cote
n’est point aisé, le choix a été fait de comptabiliser l’ensemble des années pour ce type de
cote, tout en veillant à ce que les tranches déterminées couvrent réellement la période
considérée. Ces précisions méthodologiques apportées, venons-en aux résultats.
Entre 1927 et 1976, l’importance des archives consultables ne cesse d’augmenter. De
1927, année où le club omnisports de l’A.S. Casino fusionne avec l’Amicale Sporting Club
pour donner naissance à l’Association Sportive Stéphanoise (« A.S.S. »), laquelle devient
A.S.S.E. en 1933, à 1976, année de « l’épopée verte », l’ascension est impressionnante. Entre
sa naissance et sa finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions perdue contre le Bayern
Munich, le club passe d’une visibilité locale à une reconnaissance internationale.
16 Se référer au graphique : « Les années des archives croisées avec leur type ».
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Les années des archives croisées avec leur type
Puis s’engage une période où les archives sont moins nombreuses. Exception faite du
début des années quatre-vingts où l’A.S.S.E. est installée sur les sommets (3ème de Division 1
en 1980, champion et finaliste de la Coupe de France en 1981, vice champion et finaliste de la
Coupe de France en 1982), l’importance des archives disponibles décroît fortement de 1976 à
1984. La période est sombre pour le club, mis à mal par la nébuleuse affaire de la « caisse
noire » en 198217. Ternie, décriée, dégradée, l’A.S.S.E. doit se relever.
Une phase de reconstruction s’impose alors, période dont le point culminant apparaît
en 1999. Dans la lignée de la Coupe du Monde 1998, cette date n’est autre que l’année du titre
de Champion de France de Division 2, synonyme de remontée au plus haut niveau français.
Au sein de ce découpage apparaît cependant une zone temporelle plus trouble, entre 1990 et
1997. L’A.S.S.E. navigue alors dans les profondeurs du classement de Division 1, descendant
d’un échelon au terme de la saison 1995-1996 et flirtant même avec la relégation au niveau
inférieur les deux saisons suivantes. Depuis 1999, les archives se font plus rares, l’actualité
sportive n’étant que peu glorieuse, ainsi que l’illustrent, au début des années 2000, les trois
saisons successives passées en Ligue 218. Sans doute aussi, la transformation du statut
juridique du club qui passe de l’Association, à la S.E.M.S. et surtout à la S.A.O.S. et à la
S.A.S.P. privatise, « intimise » le fonds qui appartient en propre à l’entreprise et perd ainsi de
sa capacité de divulgation publique.
Finalement, les archives recueillies s’axent prioritairement sur les périodes fastes de
l’histoire du club, liant de fait actualité sportive et actualité médiatique19. Mentionnons en ce
sens que les « pics » de 1976 et 1999 ne sont pas le fait des archives dites « organiques »,
c’est-à-dire procédant de l'activité interne du club, mais de photos récupérées, achetées par ses
dirigeants. Or il est évident que les commanditaires sont plus attirés par les documents relatant
les périodes prospères. Mais, si l’année de l’archive attire rapidement l’œil, un deuxième
questionnement s’impose afin de cerner davantage le fonds.
Qui est à l’initiative des dépôts, versements ou dons d’archives ? Pour répondre à cette
interrogation, le type de l’archive a été croisé avec son origine20. Le résultat ne fait ici aucun
17 À noter qu’au moment de l’affaire de la « caisse noire », la justice fait saisir une partie des archives du club.
Cette période est également marquée par le départ de Roger Rocher, suite auquel, aux dires des témoins de
l’époque, beaucoup « se servent » dans les bureaux du club. Cela peut aussi expliquer, en partie, la baisse du
volume des archives. 18 En 2002, les appellations « Ligue 1 » et « Ligue 2 » remplacent « Division 1 » et « Division 2 ». L’élite du
football français, la « Ligue 1 », est, de nouveau, composée de 20 clubs. 19 À l’évidence, cela s’explique surtout par la typologie des documents conservés : beaucoup proviennent du
service « Communication et Développement » et peu d’autres secteurs. 20 Se référer au graphique : « L’origine des archives croisée avec leur type ».
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doute : c’est bien le club qui alimente majoritairement le recueil d’archives, et ce quel que soit
le type de ces dernières. L’A.S.S.E. ne semble donc manifester aucune volonté de
dissimulation. Certes, les archives les plus troublantes ou couvrant les périodes les moins
glorieuses sont peu nombreuses et parfois incomplètes. Pourtant, certaines « pièces » sont
bien présentes, disponibles, ainsi qu’en témoigne la collection des procès-verbaux des
assemblées générales et conseils d’administration de 1959 à 1996, dont 42 pages pour le 8
décembre 1982, date paroxystique de l’affaire de la « caisse noire » !
L’origine des archives croisée avec leur type
Dans une proportion moindre, une remarque s’impose concernant les archives privées,
issues de particuliers. À l’évidence, sans musée, l’attractivité médiatique de l’A.S.S.E. se
révèle insuffisante pour toucher le grand public et les collectionneurs. Le musée constitue
dans cette voie un instrument médiatique de labellisation, pouvant créer un « appel d’air »
pour d’autres dons et dépôts. Tel est le cas outre Manche, à Manchester-United, club au
palmarès national et international (dix-huit fois champion de Première League, trois fois
vainqueur de la Champion’s League et une fois de la Coupe Intercontinentale21), où les
premières donations privées sont devenues signifiantes suite à l’ouverture du musée, le 1er mai
1986. Autre point d’appui, à Marseille, où ce sont surtout les supporters qui font office
d’archivistes du club, bien que celui-ci soit particulièrement sensible à son histoire depuis
l’arrivée de Pape Diouf à la présidence, en 2004. La visibilité s’avère essentielle au
développement d’un club et de son musée, tout comme il est évident qu’elle s’en nourrit. Ce
n’est d’ailleurs que depuis les Journées du Patrimoine de 2006 que l’A.S.S.E. et les A.M.S.E. reçoivent des dons de particuliers.
Enfin, un dernier point mérite réflexion : comment sont collectées les archives ? La
provenance de celles-ci illustre leur complémentarité et rend compte de positions différentes
en fonction de l’origine22. Les archives privées sont globalement issues de dons. Si celles qui
sont publiques proviennent des versements des fonds municipaux (les délibérations du
Conseil Municipal, les dossiers de subventions, de contentieux ou de constructions), il en va
tout autrement pour les archives issues de l’A.S.S.E. En effet, dans l’optique du musée, le
club s’est exclusivement engagé sur un dépôt. Selon l’article 1915 du Code civil : « Le dépôt,
en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la
restituer en nature ». Il s’agit donc de la seule forme de remise n’entraînant pas transfert de
propriété, puisque le dépôt est un contrat par lequel le déposant confie son bien au dépositaire,
qui accepte de le garder… tout en s’engageant à le lui restituer, si demande en est faite. Les
raisons sont doubles. Si d’abord, le projet de musée doit permettre de récupérer rapidement
les archives disponibles, force est d’admettre par ailleurs que l’A.S.S.E. évolue dans un
21 À l’heure où nous écrivons ces lignes, Manchester United vient tout juste de remporter un à nouveau
championnat anglais mais aussi de perdre, malheureusement pour son palmarès, une finale de Champion’s
League contre le FC Barcelone. 22 Se référer au graphique : « La provenance des archives ».
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univers sportif où le contentieux ne surprend plus. Le club a donc pris ses précautions quant
aux conditions de dépôt, notamment du point de vue de la communication. Son accord
préalable et écrit est ainsi nécessaire pour consulter ou reproduire les archives. Le club peut
également demander à percevoir des droits. À n’en pas douter, le prisme muséal est ici
dessiné, l’intérêt de l’A.S.S.E. se révélant à la fois médiatique et commercial, ce qui n’est pas
le cas pour les autres institutions et les autres acteurs qui occupent une position parfois
divergente, parfois convergente.
La provenance des archives
III) Les positions des acteurs : différenciations et convergences
Le projet de musée prend forme par l’agrégation successive de plusieurs acteurs.
Comme l’illustre un diaporama de présentation retrouvé dans les versements des services, un
premier projet émerge en 1995. En 1996, les A.M.S.E. organisent une exposition de
photographies sur la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions perdue contre le
Bayern de Munich, alors même que l’équipe termine 19ème du championnat de France 1995-
1996 de Division 1. Reléguée au niveau inférieur, elle ne parvient pas à faire mieux que 17ème
la saison suivante. Le club nage alors en eaux troubles, mais la mise en image de sa période
faste ne cesse d’alimenter les mémoires. Le projet de musée resurgit à l’aube des années 2000,
lorsque l’A.S.S.E., fraîchement remontée parmi l’élite, est pleine d’ambition. Pourtant,
l’affaire des « faux passeports », durant la saison 2000-2001, vient contrecarrer la collecte de
documents. Les prémices du musée ne sont donc pas si nouvelles, mais c’est bien en 2006 que
le projet prend son envol. Là encore, la catalyse provient moins des résultats sportifs, puisque
l’A.S.S.E. navigue tant bien que mal dans la deuxième partie du classement de Ligue 1 (13ème
en 2005-2006, 11ème en 2006-2007), mais bien plus du trentième anniversaire de la Finale de
Glasgow et du soixante-quinzième anniversaire du stade Geoffroy Guichard. Le 15 mai 2006,
le Conseil Municipal vote ainsi, à l’unanimité, le dépôt des archives du club aux Archives
Municipales de la ville. Le projet est officiellement lancé, la convention de dépôt signée et les
différentes initiatives légitimées. Cette même année, pour les Journées Européennes du
Patrimoine, les Archives Municipales intitulent leur exposition : « A.S.S.E., un club, notre
patrimoine ». Plus qu’une vitrine, c’est un projet global qui est entrepris, mêlant différents
acteurs et institutions.
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1968, Hôtel de ville Saint-Étienne, Présentation Coupe de France, Herbin Batteux Bosquier
Rocher, Photo Charly Minassian
« L’épopée contre la recherche scientifique » pourrait être le sous-titre de ce
paragraphe. En effet, les acteurs en charge du projet ont des intérêts différents, divergents. Le
club, et en particulier Eric Fages, le Directeur de la Communication, souhaite exposer dans le
musée le beau, le positif, le « brillant » et cela pour des raisons de stratégie marketing et de
merchandising23. Les responsables des A.M.S.E. recherchent, eux, la quantité, le volume, les
« mètres linéaires », afin de légitimer le travail de recueil de fonds auprès des autorités
municipales. Les collectionneurs privés espèrent, de leur côté, valoriser financièrement ou/et
symboliquement leurs biens. Leur passion pour le club et les « coups de mains » donnés à ce
dernier, lors de différentes manifestations, méritent bien une forme de reconnaissance. Enfin,
les universitaires s’attellent à faire une analyse critique du phénomène en mêlant, tout à la
fois, souci du détail et recherche de la coulisse. Leur stratégie de publication les incite à
privilégier le dépouillement du fonds, au détriment du travail scénographique.
Du côté de l’A.S.S.E., il y a une volonté de promotionner le club et d’en donner une
image positive sur un mode romanesque, « épopesque », pour faire revivre « la fabuleuse
histoire de… »24. De l’autre, il y a les archivistes et les universitaires qui sont dans une
démarche plus scientifique et donc critique. Le risque étant que : soit est fait du beau, de
l’édulcoré et on répond à la stratégie de communication du club, soit s’opère un travail
historique, objectif au plan scientifique, mais qui risque de manquer sa cible au niveau de la
stratégie marketing. Finalement, un modus vivendi a été trouvé pour positionner les acteurs les
uns par rapport aux autres et ainsi résoudre la contradiction entre stratégie de communication
et rigueur historique. Ce qui sera exposé au niveau scénographique sera le « beau », véritable
vitrine en « On » du musée. Le merchandising aura toute sa place à la sortie qui donnera sur la
« Boutique des Verts ». La quantité « neutre », la collecte exhaustive, le recueil des données,
le classement, la préservation, le traitement intellectuel et matériel du fonds, la sauvegarde du
patrimoine, la mise à disposition d’une logistique de recherche seront confiés aux Archives
Municipales de la ville qui, en échange, seront mises en « On » par le club et gagneront ainsi
en visibilité. L’analyse historique, scientifique, critique, universitaire s’opèrera en « Off » du
musée, dans l’arrière cour, coulisse obscure ou « face cachée » de « l’exposition ». Les
23 Raspaud, Michel, Le patrimoine sportif : un capital touristique méconnu, in Damien, Marie-Hélène et Sobry,
Claude (sous la dir. De), Le tourisme industriel, le tourisme du savoir-faire ? , L’Harmattan, 2001, pp. 93-118 et
Raspaud, Michel, Mise en tourisme du patrimoine sportif bâti, in Les Cahiers Espaces, n°88 : Patrimoine sportif
et tourisme, mai 2006, pp. 24-35. 24 Durry, Jean et Dauzier, Pierre, Le chant du sport les plus beaux textes, Paris, La Table Ronde, 2006, 399 p.
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collectionneurs privés verront, eux, leur passion récompensée et exposée en public par les
légendes accompagnant les différents objets exposés. Finalement, de façon inconsciente,
automatique et irréfléchie, les différents acteurs sont tombés implicitement d’accord pour
édifier un « plus petit commun multiple ».
Si les positions des acteurs diffèrent donc selon leurs institutions respectives, elles
convergent néanmoins pour faire du musée de l’A.S.S.E. un véritable événement. Tous
s’accordent afin que ce projet soit une première dans le paysage du football français. Pour
autant, la démarche muséale porte-t-elle en elle les germes de l’événement, tel que le définit
Michel Winock25 ? Ce dernier propose en effet une grille de lecture qui mesure à la fois la
part du hasard et celle de la nécessité, des forces profondes agissant sur la longue durée. Il
suggère ainsi quatre variables permettant de définir un événement : l’intensité,
l’imprévisibilité, le retentissement et la créativité.
Si « l’intensité de l’événement est quasi quantifiable »26, le musée de l’A.S.S.E. peut
prétendre à faire événement. En effet, 7 194 unités iconographiques sont aujourd’hui
recensées, dont plus de 5 000 photographies, depuis 1927. Près de 60 mètres linéaires et
environ un millier d’articles viennent compléter ce large panel imagé, auxquels s’ajoute la
non moins importante diversité des objets, en particulier les trophées, éléments indispensables
pour tout musée d’un club de football, comme l’illustre « the trophy room » à Manchester.
L’intensité du projet est d’ailleurs amplifiée par l’histoire particulière de l’A.S.S.E., le lieu
géographique attribuant à ces chiffres un coefficient d’intensité singulier à Saint-Étienne. La
raison est simple : les mémoires de toute génération, en particulier « footballistiques », sont
stimulées à la moindre évocation de « l’épopée verte ».
Ensuite, et si par définition « le prévisible ne fait pas événement »27, l’effet de surprise
semble, à tous égards, nécessaire. Certes, le parcours récent de l’équipe est digne d’intérêt,
comme l’illustre la qualification, l’an passé, pour la Coupe européenne de l’U.E.F.A.
Pourtant, le club reste attaché à une image d’instabilité, marqué par des résultats le plus
souvent inférieurs aux ambitions affichées28. Dès lors, la question du musée ne peut être
considérée comme prioritaire, à l’heure où les regards sont tournés vers les clubs qui
réussissent mieux et plus régulièrement dans l’Hexagone, voire sur la scène européenne :
Lyon, Bordeaux, Marseille. L’imprévisibilité d’un musée de l’A.S.S.E. n’en serait donc que
plus grande, et ce d’autant plus si ce projet voit le jour avant celui d’autres clubs français.
L’Olympique de Marseille est, par exemple, engagé, depuis 2006, dans un programme intitulé
« O.M. patrimoine », dont l’objectif est de constituer un état général de tous les objets et
documents témoignant de l’histoire du club. De l’autre côté de la Manche, le musée de
Manchester-United n’est autre que le premier « opus » du football britannique. Or il semble
bien qu’entre imprévisibilité et retentissement, il n’y ait qu’un pas : si le musée mancunien a
attiré plus de 26 000 visiteurs la première année, il en reçoit aujourd’hui près de 300 000
chaque année, son succès ayant surpris nombre de personnes et forçant à un agrandissement
dès 1991, avant d’être déplacé en 1998 sur le côté nord de « Old Trafford »29.
Il n’y a donc d’événement que s’il parvient à la connaissance d’un grand nombre de
personnes30, ce qui est le cas du retentissement collégialement souhaité par les acteurs du
projet, tous émus à l’idée de revivre et de faire revivre. Or dans une société où les médias
prennent une part de plus en plus large dans la circulation de l’information, les moyens de
25 Winock, Michel, Qu’est-ce qu’un événement ? , in L’Histoire, n°268, Dossier : 10 journées qui ébranlèrent le
monde, septembre 2002, pp. 32-37. 26 Ibid., p. 34. 27 Ibid., p. 34. 28 Il n’est qu’à constater la lutte pour le maintien en Ligue 1 d’« une équipe fantomatique cette saison »
2008/2009 (La Tribune-Le Progrès, Chaque Lundi Les Sports, 1 juin 2009, p. 2), acquis lors de l’ultime journée. 29 Nom courant donné au stade de « United ». 30 Winock, Michel, Op. Cit., p. 34.
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communication ne manquent pas. L’hypothèse que la presse locale et nationale, sportive ou
non, ne manquerait pas de s’emparer de cette actualité, semble, pour le moins, plausible. Déjà,
les A.M.S.E. bénéficient d’un public élargi à travers des demandes ponctuelles émanant de
journaux locaux comme La Tribune-Le Progrès, La Gazette de la Loire ou de journaux
spécialisés tels Maillot Vert, les Cahiers du Football. De plus, alors que la radio favorise
l’immédiateté de l’information, la portée de la télévision ne peut pas être occultée. Là aussi,
les Archives Municipales ont déjà collaboré avec Onzéo, la chaîne du club, ainsi que la
télévision nationale, France 2, pour un reportage sur les maillots lors de l’émission
dominicale « France 2 Foot »31. Certes, le retentissement souhaité est loin d’être planétaire,
mais il est consistant au plan local et national.
Enfin, pour ce qui est de la « créativité » d’un musée de l’A.S.S.E., le recul fait ici trop
défaut. Il appartient donc aux historiens d’aujourd’hui et de demain de donner à cet
événement sa portée, son rôle et sa place dans l’évolution du club, voire de la ville. Pourtant,
une hypothèse s’avère de plus en plus prégnante : elle consiste à percevoir dans la création du
musée les jalons d’une ère nouvelle pour le club, ses dirigeants et ses supporters. En effet, un
patrimoine commun, matérialisé par le contenu du musée, peut constituer un point d’appui sur
un passé valorisé, mais consommé, base d’un regard tourné vers l’avenir.
Saison 1976-1977, Sofia – ASSE : Dominique Rocheteau, l’ange vert en pleine action, Photo
Charly Minassian
*
* *
Nous pouvons prétendre, à la suite de notre exposé, que créer un musée pour rester
dans l’actualité médiatique ne permet pas au club de revenir dans l’actualité sportive. Tout au
plus, il entretient la patience des supporters, il est un espoir, une perspective en attendant des
jours meilleurs. Il n’est donc qu’un moyen de différer, de conserver. Si l’actualité médiatique
est une façon de mettre en lumière, dans le présent, les gloires du passé, l’actualité sportive
n’est, en attendant, qu’un rêve que le musée peut contribuer à entretenir. De plus, ce dernier
est sans nul doute un média particulier dont l’une des fonctions est de chapeauter, au moins
partiellement, une démarche culturelle distinctive et un usage considéré comme vulgaire : le
« supporterisme » érigé, pour le coup, en art de vivre. De plus, l’écart entre le réel et le
symbolique, entre les résultats du présent et ceux espérés permet au musée de s’immiscer dans
la brèche en donnant à voir une perspective, un hypothétique avenir au club. Dès lors, une
alternative se fait jour : soit l’A.S.S.E. obtient des résultats sportifs, le musée conforte ceux-ci
31 Cette émission fut diffusée lors de la saison 2007/2008.
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et les dix critères édictés au début de notre développement sont remplis. Soit l’équipe obtient
des performances médiocres ou moyennes et le musée permet, au mieux, d’entretenir la
patience des « fans »32.
Des résultats sportifs même sporadiques, accompagnés d’une transmission
intergénérationnelle de la ferveur par l’oralité, permettent au mythe stéphanois de se réactiver.
Au contraire, avec la disparition des témoins de « l’épopée verte », l’absence de résultats
sportifs et l’unique présence des « héritiers de la deuxième ou de la troisième génération de la
fièvre verte », le mythe s’écroule et ne demeure que la légende. À croire que celle-ci s’incarne
dans la subjectivité, alors que celui-là se constitue structurellement (performances, musée,
stade… bâti). La première est humaine, alors que le second est matériel et circonstancié. Si les
témoins de « l’épopée » meurent, l’alimentation de la mobilisation, donc la médiatisation du
club, passe par des parenthèses sportives (aussi éphémères soient-elles) et par une
transmission parfaite de l’oralité intergénérationnelle.
Concernant les perspectives de recherche, une étude de type sémiologique devient
incontournable, tant l’iconographie, les photos et les articles de presse abondent. Si le cliché
sportif semble le plus représenté, viennent ensuite les photos officielles avec les sponsors, les
agapes, les photos de « couloirs », de « coulisses » et celles représentant d’autres sports que le
football. L’iconographie pourrait être approchée33 à travers la mesure de sa présence dans la
presse française : choisir soit un journal, soit une période particulière, soit un journaliste
d’abord indépendant, puis « adoubé » par le club34 et repérer les invariances et les ruptures.
Toutefois, la question principale (d’ailleurs posée au cours de notre communication)
concerne la scénographie : « Alors ce musée, va-t-il voir le jour ? » Il est bien inscrit dans les
projets de réfection du stade ou/et dans celui de la construction d’une nouvelle enceinte. Le
problème, c’est que Geoffroy Guichard est la propriété de « Saint-Étienne-Métropole » et que
les municipalités composant la communauté d’agglomération sont lourdement endettées, en
particulier la première d’entre elles (Saint-Étienne) qui l’est encore plus douloureusement… à
moins que le groupe « Bouygues-Vivendi » ne vienne combler les manques ? Mais, à ce jour,
une étape intermédiaire paraît plus réaliste : la constitution d’un musée virtuel sur Internet, ce
qui questionne l’historien quant à la méthodologie choisie pour aborder ce nouveau corpus…
Mots clef : Football, A.S. Saint-Étienne, Musée, Patrimoine, Média.
32 Chazaud, Pierre, La notion de patrimoine sportif Regard historique et politique, in Les Cahiers Espaces, n°88 :
Patrimoine sportif et tourisme, mai 2006, pp. 13-15 et Bromberger, Christian, De la notion de patrimoine sportif,
in Les Cahiers Espaces, n°88 : Patrimoine sportif et tourisme, mai 2006, pp. 8-12. 33 Guillain, Jean-Yves, Valorisation du patrimoine mobilier sportif, in Les Cahiers Espaces, n° 88, mai 2006, pp.
78-85 et Guillain, Jean-Yves, Les affiches sportives durant l’entre-deux-guerres 1919-1939, Thèse S.T.A.P.S.,
Université Claude Bernard Lyon 1, 2006. 34 Notamment Pierre Legalery.