La problématique de la couverture médiatique des grands programmes et initiatives...

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Youssoupha Mbengue. Problématique de la couverture médiatique des GISP dans la presse quotidienne africaine 1 La problématique de la couverture médiatique des grands programmes et initiatives socio-économiques panafricains dans la presse quotidienne en Afrique. Par : Youssoupha MBENGUE Dans la lancée du processus d’établissement de l’Union Africaine, la superstructure politique continentale, les dirigeants africains ont entrepris des initiatives dans de nombreux domaines prioritaires structurants (Investissements infrastructurels, bonne gouvernance, révolution agricole africaine, etc.) pour accompagner et encadrer le projet d’intégration politique. La pertinence technique et stratégique de ces initiatives ne semble souffrir d’aucun doute. Toutefois, leur appropriation pleine et entière par les parties prenantes, notamment les populations africaines a la base, est pour le moins problématique. Nous nous sommes alors demandé si une médiatisation efficace ne constituerait pas le « chainon manquant » du processus de popularisation des initiatives et réalisations panafricaines. Sur la base de la méthodologie de l’Analyse de Contenu, nous avons cherché à mesurer la visibilité médiatique de ces principales initiatives prises par les instances panafricaines dans la première décennie du XXIe siècle pour accélérer la transformation socio-économique du continent africain. Ainsi, en nous fondons sur un corpus documentaire constitué d’articles extraits de trois titres de la presse de référence au Burkina Faso, nous avons analysé systématiquement les articles relatifs à l’intégration africaine sur une période d’une trentaine de mois, entre janvier 2008 et juillet 2010. Les occurrences relatives aux programmes que sont le NEPAD 1 , le MAEP 2 et le PDDAA 3 ont été relevées et passées au peigne fin à l’aide d’une grille d’analyse spécifique. A l’arrivée, point de surprise ! Notre hypothèse de départ d’une faible présence médiatique des GISP 4 dans la presse burkinabè de référence, et par 1 Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique. Le sigle en Français, NOPADA, est rarement utilisé 2 Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs 3 Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture en Afrique 4 GISP: Grandes Initiatives Stratégiques Panafricaines. Le sigle est une création originale de l’auteur. extrapolation au-delà, semble s’être largement vérifiée. Comment et pourquoi ? 1. Rappel sur les GISP Parmi les Grandes Initiatives Stratégiques Panafricaines (GISP) se trouvent en bonne place le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP) et le Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture en Afrique (PDDAA). Toutes ces initiatives très ambitieuses, lancées dans le sillage de la création de l’Union Africaine, sont d’un très grand enjeu stratégique continental. En effet, malgré ses défis énormes sur le chemin du succès et des réalisations concrètes, le NEPAD qui a célébré en 2011 ses dix ans d’existence essaie tant bien que mal de garder le cap en s’ajustant au besoin. De même, le MAEP, initiative originale et exclusive, s’il en est, demeure, malgré quelques impairs, un processus salutaire pour les pays africains

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Youssoupha Mbengue. Problématique de la couverture médiatique des GISP dans la presse quotidienne africaine

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La problématique de la couverture médiatique des grands programmes et initiatives socio-économiques panafricains dans la presse quotidienne en Afrique.

Par : Youssoupha MBENGUE

Dans la lancée du processus d’établissement de l’Union Africaine, la superstructure politique continentale, les dirigeants africains ont entrepris des initiatives dans de nombreux domaines prioritaires structurants (Investissements infrastructurels, bonne gouvernance, révolution agricole africaine, etc.) pour accompagner et encadrer le projet d’intégration politique. La pertinence technique et stratégique de ces initiatives ne semble souffrir d’aucun doute. Toutefois, leur appropriation pleine et entière par les parties prenantes, notamment les populations africaines a la base, est pour le moins problématique.

Nous nous sommes alors demandé si une médiatisation efficace ne constituerait pas le « chainon manquant » du processus de popularisation des initiatives et réalisations panafricaines. Sur la base de la méthodologie de l’Analyse de Contenu, nous avons cherché à mesurer la visibilité médiatique de ces principales initiatives prises par les instances panafricaines dans la première décennie du XXIe siècle pour accélérer la transformation socio-économique du continent africain.

Ainsi, en nous fondons sur un corpus documentaire constitué d’articles extraits de trois titres de la presse de référence au Burkina Faso, nous avons analysé systématiquement les articles relatifs à l’intégration africaine sur une période d’une trentaine de mois, entre janvier 2008 et juillet 2010. Les occurrences relatives aux programmes que sont le NEPAD1, le MAEP2 et le PDDAA3 ont été relevées et passées au peigne fin à l’aide d’une grille d’analyse spécifique.

A l’arrivée, point de surprise ! Notre hypothèse de départ d’une faible présence médiatique des GISP4 dans la presse burkinabè de référence, et par

1 Nouveau Partenariat pour le Développement de

l’Afrique. Le sigle en Français, NOPADA, est rarement utilisé 2 Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs

3 Programme Détaillé pour le Développement de

l’Agriculture en Afrique 4 GISP: Grandes Initiatives Stratégiques

Panafricaines. Le sigle est une création originale de l’auteur.

extrapolation au-delà, semble s’être largement vérifiée. Comment et pourquoi ?

1. Rappel sur les GISP

Parmi les Grandes Initiatives Stratégiques Panafricaines (GISP) se trouvent en bonne place le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP) et le Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture en Afrique (PDDAA). Toutes ces initiatives très ambitieuses, lancées dans le sillage de la création de l’Union Africaine, sont d’un très grand enjeu stratégique continental. En effet, malgré ses défis énormes sur le chemin du succès et des réalisations concrètes, le NEPAD qui a célébré en 2011 ses dix ans d’existence essaie tant bien que mal de garder le cap en s’ajustant au besoin. De même, le MAEP, initiative originale et exclusive, s’il en est, demeure, malgré quelques impairs, un processus salutaire pour les pays africains

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dans la voie de la démocratisation et de la bonne gouvernance. Enfin, les experts de la question s’accordent généralement à reconnaitre la pertinence du cadre PDDAA/CAADP pour l’accélération de la croissance de l’Agriculture africaine. Et pour la première fois le secteur agricole africain est très bien positionné dans l’agenda du développement.

1.1 Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD)

Adopté par les dirigeants africains en juillet 2001 à Lusaka en Zambie, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD)5 est un cadre stratégique d’investissement multisectoriel qui, selon Dr Jean Ping6, est considéré comme le « pendant économique de l’UA »7. Initialement dénommé « Nouvelle Initiative Africaine (NIA) », le NEPAD a été conçu comme une réponse des Africains devant la pauvreté grandissante, le sous-développement et la marginalisation de leur continent face à la « mondialisation ». En effet, au moment de son lancement en 2001, la place de l’Afrique dans le commerce mondial était des plus marginales. Elle ne représentait que 1.8%, contre 3.1% en 1970 alors que le continent dispose d’énormes ressources naturelles et des atouts indéniables malgré les nombreux défis et contraintes. Des tentatives précédentes comme «le plan d’action de Lagos » de 1980, la traité d’Abuja de 1991, prévoyant une communauté économique africaine à l’horizon 2025, ou encore les programmes

5 Le sigle NEPAD donne normalement en Français

NOPADA mais ce dernier n’a eu guère de succès d’utilisation. Par conséquent pour des raisons pratiques, nous utiliserons pour les besoins de l’étude le sigle NEPAD. 6 Dr Jean Ping fut le président de la Commission de

l’Union Africaine d’avril 2008 à octobre 2012. 7 PING, Jean (2009). Et l’Afrique brillera de mille

feux, Paris, L’Harmattan, 300 p.

d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods, avaient largement montré leurs limites. C’est dans un tel contexte qu’est né le NEPAD qui est en réalité la fusion de deux projets initiaux à savoir le plan OMEGA de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade et le « Millenium Partnership for the African Recovery Programme 8» (MAP). Le MAP est l’œuvre initiale du président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki, qui la fut partager avec deux de ses pairs d’alors les présidents Olesegun Obasanjo du Nigeria et Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie. L’Egypte a été associée au processus. Toutefois, alors que le MAP avait une orientation plutôt politique axée sur la bonne gouvernance, le Plan OMEGA était de nature plus économique, « matérielle et infrastructurelle ».

L’ambition déclarée du NEPAD est de réussir « L’éradication de la pauvreté, la réalisation d’une croissance et d’un développement durable, l’intégration complète et profitable de l’Afrique dans l’économie mondiale et l’accélération de l’autonomisation des femmes ». Cela passe d’abord par trois conditions préalables indispensables à savoir : (i) la paix et la sécurité ; (ii) la bonne gouvernance et (iii) la régionalisation du développement. Une fois ces conditions remplies, le NEPAD préconise de mettre l’accent sur huit secteurs prioritaires tels que les infrastructures, l’industrie et l’énergie, l’agriculture, l’environnement, les technologies de l’information et de la communication. Les secteurs sociaux tels que l’Education et la santé ne seront pas laissés en rade. Le montant annuel des investissements sont très appréciables et sont de l’ordre de 64 milliards de dollars US dont 15% provenant des ressources

8 En français : « Programme de Renaissance de

l’Afrique pour le Millénaire »

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internes des pays africains. Ce qui autoriserait un taux de croissance annuelle de 7% qui cumulé pendant 15 ans sortirait l’Afrique de sa situation de pauvreté.

Aujourd’hui complètement intégré dans les instances de l’UA, pour sa mise en œuvre, le NEPAD est piloté par un comité des Chefs d’Etat et de Gouvernement qui rend directement compte à la Conférence de l’Union Africaine. Un comité de Pilotage de vingt Etats membres se charge du suivi et de l’évaluation des projets et programmes.

Si à son lancement, le NEPAD a suscité beaucoup d’enthousiasme de la part des dirigeants africains ainsi que des partenaires techniques et financiers, dix ans après, les résultats semblent se faire attendre encore. Il est reproché aux partenaires financiers de n’avoir pas respecté leurs engagements pourtant faits à grands renforts de publicité. De leur côté, certains « bailleurs de fonds » reprocheraient aux responsables du NEPAD un certain cafouillage institutionnel et des dysfonctionnements dans les mécanismes de montage, de mise en œuvre et d’évaluation des différents projets prévus. Le NEPAD est également critiqué pour son approche néolibérale et le manque d’implication de la société civile et des populations africaines à la base.

1.2 Le Mécanisme d’Evaluation par les Pairs (MAEP)

Le MAEP est également au départ une initiative des anciens présidents Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud et Olesegun Obasanjo du Nigeria. Il fut proposé pour la première fois en mars 2002 à Abuja, la capitale fédérale nigérienne. Le MAEP est destiné à « évaluer, à partir d’un code de bonne conduite, la situation des pays qui auront effectué des avancées significative

dans les domaines de la bonne gouvernance telle que préconisée par les institutions de Bretton Woods» (PING, 2009). Une telle auto-évaluation entre les pairs présidents est destinée à « exercer mutuellement une pression et une surveillance des uns par les autres et surtout d’octroyer un label de bonne gouvernance aux « bons élèves » ».

Le MAEP est né à la suite de la « Déclaration sur la démocratie et la bonne gouvernance démocratique, politique, économique et des entreprises » annexée au NEPAD lors du sommet de l’UA en juillet 2002 à Durban en Afrique du Sud. Si le sommet de Durban a consigné les principales étapes du mécanisme d’évaluation des pairs, C’est à Abuja en 2003 que le MAEP a été officiellement lancé avec la signature et l’entrée en vigueur immédiate du mémorandum d’entente qui sert de traité.

Inspiré d’un vaste éventail de principes, de traités, de normes africaines et internationales des droits de l’homme, l’évaluation du MAEP est basée sur un questionnaire subdivisé en quatre grandes rubriques que sont : la démocratie et la gouvernance politique ; gouvernance et gestion économique ; gouvernance des entreprises et développement socio-économique. Le processus se déroule en cinq étapes bien codifiées allant de l’auto-évaluation (1ère étape), la mission d’évaluation (2e étape), le rapport d’évaluation pays et modification du programme d’action (3e étape), l’évaluation par les pairs (4e étape) et enfin la publication du rapport et du programme d’action (5e et dernière étape).

Ainsi le MAEP est un processus rigoureux et participatif d’analyse des performances en matière de gouvernance et de développement socio-économique auquel

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les chefs d’Etat des pays candidats se voient soumis. Le rapport qui est rédigé à la suite du processus est soumis à l’appréciation d’un panel de chefs d’Etat en marge des sommets de l’UA. L’exercice donne lieu à un plan d’actions que le pays concerné à l’obligation de mettre en œuvre avant la prochaine évaluation. Au total, l’exercice s’étale sur environ trois ans avec des couts assez exorbitants liés principalement aux différentes missions d’évaluation. A ce jour, une trentaine de pays ont engagé le processus dont le Burkina Faso qui est l’un des pays pionniers à l’avoir complètement bouclé.

Le MAEP est reconnu comme une initiative permettant un partage d’expériences et de bonnes pratiques entre certains Etats africains très en avance sur les questions de gouvernance et les autres plutôt à la traine. Toutefois, certaines critiques portent sur la nécessité d’une implication réelle des populations à la base et de la société civile notamment des medias dès le début du processus à l’étape première de l’auto-évaluation. Une articulation entre le MAEP et les autres instruments de gouvernance économique des pays africains tels que le DSRP et les OMD semblent faire défaut pour le moment.

1.3 Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA ou CAADP)

Partant du constat que les principaux objectifs du développement durable de l’Afrique tels que préconisés par le NEPAD par exemple, ne peuvent être atteints sans la contribution décisive de l’Agriculture africaine, les dirigeants africains ont proposé un nouveau cadre devant assurer sa transformation. On considère que le secteur agricole est d’une grande importance en Afrique. Il y

occuperait le tiers du Produit Intérieur Brut (PIB) de la majorité des pays et emploierait jusqu’à 80% de la population active. Pour un pays comme le Burkina Faso, en 2011, le secteur agricole occupait 83% des emplois et 31% du PIB. Cependant malgré son importance, l’Agriculture en Afrique fait non seulement face à des défis énormes mais également a été très souvent négligée par les décideurs politiques et les partenaires au développement si l’on en juge sa part dans les programmes d’investissement des dernières décennies. Pour remédier à cela, fut lancé dans le sillage de l’UA et du NEPAD, le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA).

Lancé officiellement en 2003 à Maputo au Mozambique et concrètement démarré en 2006, le PDDAA/CAADP est un cadre stratégique dont l’objectif est d’éliminer la faim et de réduire la pauvreté grâce à l’Agriculture. Il ambitionne de la faire croitre annuellement au moins de 6%. Pour cela les investissements consentis par les budgets nationaux doivent être au moins de 10% par an. Le PDDAA/CAADP s’appuie sur quatre piliers que sont : (i) la gestion des terres et des eaux ; (ii) l’accès aux marchés ; (iii) la fourniture de produits vivriers et la lutte contre la faim et (iv) la recherche agricole, la diffusion et l’adoption des technologies. Dans un bilan dressé lors d’une réunion tenue en Mai 2012 au Kenya, il est apparu que 30 pays africains avaient signé les fameux compacts, 23 autres avaient des plans prêts à être signés.

Même s’il est une initiative purement africaine, le cadre stratégique sectoriel qu’est le PDDAA/CAADP a reçu le principe de soutien de la communauté internationale principalement les partenaires techniques et financiers qui y voient un moyen d’atteindre les fameux

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Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) promus par l’Organisation des Nations Unies. Dans le cadre du PDDAA, l’Union Africaine, à travers principalement le NEPAD, et ses CER9, collabore avec les partenaires techniques et financiers. Ce qui a permis l’établissement d’un fonds fiduciaire multi-donateurs abrité par la Banque mondiale. Un tel fonds permet de canaliser les contributions des « bailleurs de fonds » dans les opérations d’investissement en faveur des programmes agricoles au niveau des pays africains.

Dans son exécution, le PDDAA/CAADP n’a pas manqué de soulever des critiques. Il lui est généralement reproché de ne pas susciter une bonne compréhension et appropriation à la base au niveau des parties prenantes nationales. Sa médiatisation et sa bonne visibilité au niveau des populations notamment les producteurs laisseraient à désirer. De même, malgré l’enthousiasme suscité auprès des partenaires au développement qui se sont engagés à le soutenir, les contributions financières concrètes ne seraient pas à la hauteur.

2. Méthodologie de l’étude : Une analyse de contenu médiatique

Pour les besoins de notre étude, la méthodologie utilisée porte essentiellement sur une analyse de contenus médiatiques thématique catégorielle et évaluative. Cet outil de recherche a été appliqué selon un échantillonnage exhaustif à un corpus documentaire constitué d’articles de presse portant sur les institutions d’intégration africaine et extraits dans trois journaux quotidiens burkinabè de référence à savoir Le Pays, l’Observateur

9 CER: Communaute Economique Regionale

Paalga et Sidwaya, entre le 1er janvier 2008 et le 31 juillet 2010.

L’Analyse de Contenu (ADC) est un outil de recherche quantitative et qualitative permettant d’examiner méthodiquement et objectivement le contenu de certains documents comme les articles de presse. Berelson avait, dès les années 1950, résumé l’ADC selon la formule devenue célèbre : « l’analyse de contenu est une technique de recherche servant à l’analyse objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications »10. De par ses procédés, l’ADC permet d’aller au-delà des impressions immédiates du chercheur si l’on en croit Gérard Deréze (2009) selon qui : « qu’elle soit quantitative ou qualitative, l’analyse de contenu permet d’aller au-delà des impressions en mettant en place une procédure systématique d’analyse 11». De son côté J. de Bonville (2006) a montré que « Tout d’abord, choisir de mener une analyse de contenu c’est reconnaitre la signification sociale de la communication et des medias. Les messages qu’il est justifié de soumettre à l’analyse ont une structure, un but, une portée, des conséquences, etc. »12.

Notre première étape a consisté en un dépouillement systématique de tous les articles de presse publiés du 1er janvier 2008 au 31 juillet 2010 par les trois journaux quotidiens supports de notre étude à savoir l’Observateur Paalga, Sidwaya et le Pays. L’objectif poursuivi était ainsi de constituer notre corpus de

10

Berelson, B. (1971). Content analysis in communication research. Hafner, 220 p. (édition réimprimée). P.18 11

Deréze, G. (2009). Méthodes empiriques de recherche en communication. Bruxelles : De Boeck, 2009, 256 p. 12

BONVILLE, J. (2006). L’analyse de contenu des médias : de la problématique au traitement statistique. Bruxelles : De Boeck Université, 451 p.

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recherche par le recensement de tous les articles pertinents portant sur l’intégration africaine de manière générale et en particulier l’Union Africaine et les institutions communautaires sous-régionales.

Au total, sur les 1933 parutions cumulées des trois quotidiens-support dans la période concernée, quelques 300 articles portant sur l’Union Africaine et/ou les institutions communautaires régionales ont été extraits et analysés. La répartition des articles par titre de presse est la suivante :

On constate que l’organe privé l’Observateur Paalga, avec 36% du corpus, est le journal quotidien dans lequel est extrait le plus grand nombre d’articles relatifs à notre thématique à savoir l’intégration africaine. Ce journal est talonné de près par son homologue également privé Le Pays qui recueille plus du tiers (34,66%) alors que le quotidien gouvernemental Sidwaya arrive en dernière position avec moins de 30% des articles.

3. Constat d’une très faible couverture médiatique des GISP dans les medias de référence au Burkina Faso

Sur les 300 articles répertoriés, seuls 02 concernent le NEPAD, 02 le MAEP et aucun le CAADP. Ce qui, au total, pour toutes les trois initiatives cumulées, ne

représente qu’une présence de quatre (04) articles sur trois cents (300), soit une valeur relative de 1,03%. Il n’y a pas de doute qu’il s’agit là d’un chiffre dérisoire surtout rapporté à plus de deux années et demi de parution médiatique.

Cette faible présence médiatique est d’autant plus surprenante que le Burkina Faso, en tant que pays membre de l’Union Africaine, est partie prenante et leader majeur de toutes ses grandes initiatives. Mieux, le pays joue les premiers rôles dans beaucoup de ces programmes. C’est le cas du CAADP ou le pays fait partie des premiers à respecter les engagements panafricains par la signature de son compact et par l’attribution d’au moins 10% des ressources du budget national au secteur agricole. La surprise est encore plus grande concernant le MAEP tant le « Pays des hommes intègres » a joué un rôle pionnier dans cette initiative africaine qui promeut la démocratie et la bonne gouvernance dans les domaines à la fois politique et économique. Mieux le Burkina dispose dans le cadre du MAEP d’un secrétariat national permanent dirigé au moment de l’étude par un certain M. Jean Baptiste Natama13.

4. Les raisons possibles de la faible présence médiatique des GISP

La faiblesse de la visibilité médiatique s’expliquerait-elle par un désintérêt du lectorat et donc des populations, par des manquements au niveau de la presse ou simplement par des impairs et dysfonctionnements dans les stratégies de communication des sources institutionnelles ?

13

Jean Baptiste NATAMA deviendra plus tard Directeur de Cabinet (Chief of staff) de la présidente de la Commission de l’UA, Dr Nkosazana Dlamini ZUMA, avant de quitter finalement son poste.

050

100150200250300350

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MEDIATISATION, LE CHAINON MANQUANT DES GISP ?

Il convient de relever que depuis l’avènement de l’UA, des initiatives politiques et programmes socio-économiques fort intéressantes se sont multipliés. Ces cadres généraux qui visent à sortir l’Afrique des affres du sous-développement et de la mauvaise gouvernance ont été salués et quelquefois soutenus par les partenaires au développement en raison principalement de leur caractère structurant, innovant et prometteur. C’est le cas notable du NEPAD, du PDDAA, et et du MAEP pour ne citer que les plus en vue.

Cependant, c’est un secret de Polichinelle que ces programmes aussi intéressants et stratégiques qu’ils soient peinent à être popularisés de manière efficace afin que les véritables parties prenantes que sont les citoyens africains, particulièrement les populations à la base, puissent se les approprier. Ils restent largement méconnus de l’opinion publique africaine en dehors de certains cercles restreints constitués par les officiels et les experts. Il y a lieu de se demander si la médiation et l’implication pleines et efficaces des journalistes du cru, c’est-à-dire locaux, ne seraient pas le « missing link » du processus pour un aboutissement réussi de toutes ces initiatives. Une étude datant de 2003 sur le NEPAD14 et cité dans un article publié par une revue du CODESRIA semble abonder dans ce sens :

Evidemment, les journalistes et les medias de masse jouent potentiellement un rôle important dans le développement des connaissances et de la

14 Ndangam, L. et Kanyegirire, A. (2005). African

Media Coverage of NEPAD: Implications for Reporting Africa. Africa Media Review, 13, 1,41–60

compréhension des initiatives comme le NEPAD et, par ricochet, favorisent l’intégration, renforcent la coopération et solidifient l’Unité à travers l’Afrique15.

Par conséquent, il y a lieu d’interroger les stratégies de communication développées autour de ces grands projets panafricains pour les populariser auprès des citoyens africains. Visiblement les rencontres routinières institutionnelles sont loin de suffire pour susciter l’intérêt de la presse écrite et par ricochet le lectorat burkinabè et plus largement africain.

L’UA PRESQUE TOUJOURS REDUITE UNIQUEMENT A SON EXPRESSION POLITIQUE

L’analyse des thèmes abordés par les quotidiens fait ressortir une prééminence des questions politiques des lors que les journaux s’intéressent à l’Union Africaine et a l’actualité y afférente. Comme en témoigne les données du graphique ci-dessous.

On constate que les trois quarts (3/4) des articles publiés portent sur les questions purement politiques.

15

La traduction du texte original de l’anglais vers le français est de nous-même.

75%

16%

3% 2%

2%

2%

Politique

Education

Agriculture

Politique etSante

Politique etPresse

Culture

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La place prégnante du thème politique dans les articles sur l’Union africaine n’est point inattendue. En effet, en dépit des nombreuses initiatives d’ordre socio-économique telles que le NEPAD, le PDDAA voire le MAEP, pour le commun des citoyens africains donc aussi des burkinabè, l’Union Africaine reste et demeure avant tout une instance supranationale exclusivement, politique. L’existence d’une huitaine de départements sectoriels au sein de la Commission ainsi que de bureaux techniques spécialisés comme l’UA/SAFGRAD basée à Ouagadougou n’y fait rien. LA PROXIMITE INSTITUTIONNELLE

La répartition des articles entre les trois principales institutions d’intégration que sont l’Union africaine (UA), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) donne le graphique ci-dessous.

Si on cumule les articles portant sur les deux principales institutions sous régionales de l’Afrique de l’Ouest, on aboutit à un chiffre de 261 sur 317, soit

84,33%. En clair, plus de 4/5 de la couverture médiatique des principaux journaux burkinabé relative à l’intégration africaine est réservée aux institutions sous régionales de proximité au détriment de l’instance continentale que représente l’Union Africaine.

S’agit-il du principe de la loi Mc Lurg dite « principe de proximité »16 qui se vérifie avec succès ici ou doit-on également envisager d’autres facteurs explicatifs ?

Il convient de souligner que la loi de proximité, connue également dans le monde anglo-saxon comme la loi Mc Lurg, du nom d’une célèbre rédactrice en chef17, est un principe très cher en journalisme. A côté d’autres considérations essentielles telles que l’opportunité, l’impact, la controverse, la notoriété, l’actualité, l’intérêt ou l’insolite, l’approche de proximité détermine souvent la publication ou non d’une nouvelle.

Sous ce rapport, il est évident que sous un angle purement spatial voire social et psycho-affectif, les institutions communautaires sous régionales que sont l’UEMOA et la CEDEAO apparaissent plus proches au lectorat des journaux burkinabè comparativement à l’UA dont le siège se situe à Addis-Abeba en Ethiopie, a mille lieux du Kadiogo18. L’UEMOA qui regroupe huit pays essentiellement francophones de l’Afrique occidentale a son siège à Ouagadougou alors que la CEDEAO, fédérant quinze (15) pays de l’Afrique de l’Ouest et ayant son siège à

16

Le principe de proximité est plus connu dans le monde des medias francophones sous l’expression “Mort kilométrique” 17 Schlesinger P et Zeitlin E. (1997). Le chaînon

manquant. Le « professionnalisme » et le public. Sociologie de la communication, 1, 689-713.

18 Kadiogo est une province du Burkina Faso

abritant la capitale Ouagadougou.

0%

20%

40%

60%

80%

100%

UEMOACEDEAO UATotal

UEMOA, 39

CEDEAO, 42

UA, 32

Total, 113

UEMOA, 46

CEDEAO, 49

UA, 19

Total, 114

UEMOA, 36

CEDEAO, 49

UA, 5

Total, 90

SidwayaLe PaysObservateur Paalga

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Abuja au Nigéria, dispose de bureaux spécialisés dans la capitale burkinabè.

LA STRATEGIE DES « PERDIEM » ET LA TYRANIE DE L’ACTUALITE INSTITUTIONNELLE

Certes le principe de proximité journalistique est à l’œuvre selon toute vraisemblance dans le cas d’espèce. Toutefois, la proéminence de l’actualité institutionnelle semble confirmer que la couverture médiatique par les quotidiens n’est pas simplement motivée par le simple désir de satisfaire le lectorat par des informations de proximité. D’autant qu’une confirmation de ce principe de proximité commanderait que l’UEMAO devance la CEDEAO en terme de couverture médiatique. Ce qui n’est évidemment pas le cas ici au regard des données recueillies. Aussi, une explication plausible est la stratégie des « perdiems » et des publi-reportages déguisés pratiqués de manière relativement généralisée par les sources institutionnelles supranationales ici ou ailleurs en Afrique. Ainsi que le constate Taïrou BANGRE quand il dénonce « (…) la fragilisation d’une profession dont la seule alternative reste le «journalisme alimentaire» à travers la chasse aux per diem, l’application et l’officialisation d’une couverture rémunérée des événements, l’intégration du publi-reportage »19.

QUID DES GENRES JOURNALISTIQUES ?

L’exploitation des données de notre étude fait en outre ressortir l`utilisation de genres journalistiques nombreux et variés allant des articles de type « information stricte » aux articles de type « opinion extérieure » en passant par les

19

Bangré, Taïrou. (2008 ?). Le journalisme et la question de la responsabilité sociale dans les pays africains : nécessité d’appropriation des valeurs éthiques et déontologiques

« commentaires »20. De prime abord, on constate une certaine diversité et une variété des genres journalistiques à l`œuvre.

Ainsi, en se référant à la catégorisation proposée par Yves Agnès dans son manuel de journalisme (2008), les genres représentés concernent quasiment les cinq principaux types que sont : (i) les informations strictes (la brève, le filet, la synthèse, etc.) ; (ii) les récits (le reportage, le compte rendu, etc.) ; (iii) les commentaires (l’éditorial, le billet, etc.) ; (iv) les études (analyse, enquête, dossier, résumé de document) ; (v) les opinions extérieures (interview, la tribune libre, le communique, le courrier des lecteurs, etc.). Sous ce rapport, sur les trois cents articles répertoriés, une dizaine de genres différents sont relevés dans les trois quotidiens de références.

A l`analyse des données recueillies, plusieurs constats importants se dégagent dont une prééminence des catégories « informations strictes » et « commentaires », une quasi absence de la catégorie « études » et une faiblesse relative des genres de type « opinion extérieure ». Ainsi les genres comptes rendus (174 articles, 58% du total), reportages (47 articles, 15,66% du total), articles de synthèse (13 articles, 4,33% du total) qui relèvent de la catégorie « informations strictes » représentent dans notre corpus près de quatre articles sur cinq. Avec un pourcentage cumulé de 13% des 300 articles, les genres journalistiques classables dans la catégorie des « Commentaires » semblent relativement tirer leur épingle du jeu avec essentiellement les commentaires (34 articles, 11,33%) et les éditoriaux (5 20

Nous utilisons ici la typologie des genres journalistiques telle que proposée par Yves Agnès dans son Manuel de journalisme, Paris, la Découverte, 2008.

Youssoupha Mbengue. Problématique de la couverture médiatique des GISP dans la presse quotidienne africaine

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articles, 1,66%). Quant aux genres de type « Opinions Extérieures » comme les interviews (6 articles, 2%), les Communiqués (7 articles, 2,33%), les tribunes libres (2 articles, 0,66%) et les Foras des internautes (1 article, 0,33%), ils sont très peu représentés avec seulement 5,33 % du total. A contrario, les genres de type « Etudes » sont pratiquement absents. En effet, on ne retrouve ni dossier, ni enquête, encore moins des papiers d`analyse approfondie sur le thème de l`intégration africaine dans les trois journaux de référence.

Quelle lecture faut-il faire de ces différents constats ?

L’importance des comptes rendus (174 articles, 58% du total) ainsi que des reportages (47 articles, 15,33% du total) peut facilement s`expliquer par la grande couverture des actualités institutionnelles mentionnées plus haut. En effet, une bonne part de ces articles, publiés sur commande, sont assimilables à des publireportages déguisés. « L’ambiguïté fondamentale à relever est que les publi-reportages sont rarement identifiés comme tels dans la presse ou ils se mêlent aux articles d’information »21, écrivent Balima et Frère. Les cellules de communications des grandes organisations supranationales développent ainsi des stratégies adéquates dans le but de rendre leurs institutions visibles dans la sphère médiatique et publique. (…)

EN GUISE DE CONCLUSION… En dernière analyse, on peut considérer que malgré leur grand intérêt et leur importance stratégique, les programmes

21 Balima, S.-T. et Frère, M.-S. (2003). Médias et

communications sociales au Burkina Faso : approche socio-économique de la circulation de l'information. Paris : l’Hamattan, 341 p.

panafricains tels que le NEPAD, le MAEP ou le PDDAA font l’objet d’une faible visibilité médiatique au niveau des pays africains, a l’instar du Burkina Faso. Les informations relatives à ces importantes initiatives d’intégration socio-économique sont globalement négligées par la presse écrite locale africaine pour diverses raisons. (…) Une telle négligence se fait vraisemblablement au profit des nouvelles de proximité. Si elle existe, l’information sur les questions d’intégration se trouve généralement réduite à l’information politique ainsi qu’à l’actualité institutionnelle principalement des organisations sous régionales. De fait, ces grands programmes panafricains ne sont hélas pas suffisamment scrutés, interrogés, critiqués et évalués à force de dossiers d’enquête, d’investigation approfondie, de grands reportages, de titres à la « une » polémiques, etc. dans la presse quotidienne de référence burkinabè. Quelles sont les raisons d’une telle situation? Est-ce un biais professionnels de la part des medias, une insuffisance des stratégies de communication des instances supranationales concernées ou simplement un manque d’intérêt notoire du public-lecteur sur ces questions jugées , à tort ou à raison, éloignées des préoccupations quotidiennes et immédiates ? Des études approfondies pourraient contribuer d’avantage à éclaircir ces questionnements. Néanmoins, il apparait d’ores et déjà clair que la popularisation des activités et réalisations des instances panafricaines passe ipso facto par le développement de stratégies efficaces de médiatisation ciblant les principales parties prenantes dont les acteurs à la base et positionnant les medias locaux au cœur des dispositifs de communication.