[Chapitre] Les pro, les anti et l'international : mobilisations autour de l'homosexualité en...

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Collective Mobilisations in Africa / Mobilisations collectives

en Afrique

Enough is Enough! / Ça suffit!

Edited by

Kadya TallMarie-Emmanuelle Pommerolle

Michel Cahen

LEIDEN | BOSTON

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Contents / Table des matières

Notes on Contributors vii

1 Introduction 1On the banality of mobilisation in Africa 1De la banalité des mobilisations en Afrique 19

Michel Cahen, Marie-Emmanuelle Pommerolle and Kadya Tall

Part 1Waithood or Youth Longing for Real Changes / De l’attente des jeunes et leurs formes de contestation

2 “Enough is enough!”: Youth Protests and Political Change in Africa 45Alcinda Honwana

3 Islam, jeunesse et trajectoires de mobilisation en Afrique de l’Ouest à l’ère néolibérale : un regard anthropologique 67

Benjamin Soares et Marie Nathalie Leblanc

4 Dieu, le Pape et la Sainte Vierge : un mouvement de contestation de l’Église catholique au Bénin 91

Kadya Tall

5 La trame politique des cultures urbaines : motifs dakarois 112Thomas Fouquet

Part 2When Social Minorities Demonstrate / Quand des minorités sociales manifestent

6 Colonialism and Fugitive Communities in West Central Africa, 1920–1955: Seeking Parallels with Maroon Societies 145

Alexander Keese

7 Mobilisations féminines en contexte autoritaire : la “dépolitisation” comme outil d’émancipation dans le Mali des années 1970 164

Ophélie Rillon

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contents

8 Les pro, les anti et l’international : mobilisations autour de l’homosexualité en Afrique de l’Ouest 183

Christophe Broqua

9 Changing Leadership Representations and Loss of Union Authority in South Africa’s Mineworkers’ Strikes 205

Raphaël Botiveau

Part 3Violence and State of Exception / Violence et état d’exception

10 Geographies of Violence: Urban Imaginaries in Douala 227Dominique Malaquais

11 Shadow of the State, Fear of Violence, and the Memory of 1991 : Marches and Riots in Bamako, Mali (1992-2011) 264

Johanna Siméant

12 Les “guerres électorales” et les mobilisations violentes au Congo-Brazzaville 282

Rémy Bazenguissa-Ganga

13 Mobilisation into and against Boko Haram in North-East Nigeria 305Adam Higazi

Index 359

For use by the Author only | © 2015 Koninklijke Brill NV© koninklijke brill nv, leiden, 2015 | doi 10.1163/9789004300002_009

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chapter 8

Les pro, les anti et l’international : mobilisations autour de l’homosexualité en Afrique de l’Ouest

Christophe Broqua

L’inflation de discours dénonçant l’homophobie en Afrique depuis la fin des années 2000 ajoute une pierre à la construction occidentale de ce continent comme terre de prédilection des fléaux. Dans de nombreux pays africains, l’ho­mosexualité s’est récemment vue transformée en problème public, provoquant souvent jusqu’à l’intervention du chef de l’État. Mais lorsque cette question émerge dans le débat public, la rupture du silence s’opère généralement selon un double processus d’affirmation et de condamnation, les deux registres se nourrissant mutuellement1. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène unilatéral d’hostilité ou de violence à l’égard des homosexuels, mais d’un processus inter­actionnel qui voit s’affronter des forces contraires. Dans certains cas, les mobi­lisations homosexuelles2, ou en faveur des homosexuels, succèdent à des expressions d’hostilité à l’homosexualité (comme avec la création d’Alterna­tives­Cameroun en 2006) ; dans d’autres cas, plus fréquents, ce sont ces mobi­lisations qui inspirent des réactions hostiles de la part d’acteurs différents : fractions diverses de la population, groupes organisés, médias, voire même chefs d’État (comme ce fut le cas au Zimbabwe en 1995 lors d’une controverse fameuse qui reste à certains égards inaugurale et paradigmatique).

En enquêtant sur les mobilisations collectives liées à l’homosexualité dans trois pays d’Afrique de l’Ouest francophone (Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal) entre 2003 et 2015, j’ai fait ce même constat de la polarisation des débats et des enga­gements. Des mobilisations homosexuelles ou de lutte contre le sida en faveur des homosexuels ont fait face, directement ou non, à des contre­mouvements, sous des formes et à des périodes différentes. Le cas du Mali ayant déjà fait l’objet d’une publication3, ce texte sera consacré aux exemples du Sénégal et de

1 Christophe Broqua, « L’émergence des minorités sexuelles dans l’espace public en Afrique », Politique africaine 126 (2012) : 5–23.

2 Par « mobilisations homosexuelles » j’entends l’engagement d’individus en tant qu’homo­sexuels soit dans le cadre de groupes « identitaires », soit dans celui de groupes généralistes de lutte contre le sida.

3 Christophe Broqua, « Les formes sociales de l’homosexualité masculine à Bamako dans une perspective comparée : entre tactiques et mobilisations collectives », Politique et sociétés 31 n° 2 (2012) : 113–144.

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la Côte d’Ivoire qui, malgré la différence des contextes et des formes prises par ces affrontements, présentent quelques traits communs permettant de penser plus généralement les logiques de la publicisation de l’homosexualité en Afrique4. L’approche comparée vise à permettre à la fois l’identification de singularités et une analyse plus générale. Contrairement au discours actuellement dominant sur l’homosexualité en Afrique, les formes d’hosti­lité qu’on y observe ne sauraient s’expliquer par une essence homophobe du  continent ; il importe de considérer que chaque pays a une histoire propre  et chercher plutôt à éclairer les conditions dans lesquelles sur­gissent  des expressions d’hostilité. Au­delà de cette première exigence de mieux en mieux reconnue, s’impose celle de tenir compte du processus dynamique qui lie presque partout expressions d’hostilité et mobilisa­tions homosexuelles. Envisagés souvent séparément, ces deux phénomènes doivent être pensés de concert par l’étude de leurs interactions conflic­tuelles5. En comparant des situations nationales contrastées où s’affrontent des mobilisations contraires, ce texte voudrait contribuer à une compréhen­sion plus générale de la façon dont se construisent les débats polarisés autours de l’homosexualité en Afrique6.

Sénégal : la question homosexuelle, entre politique et religion

Le Sénégal est considéré depuis la fin des années 2000 comme l’un des pays les plus « homophobes » d’Afrique francophone. Régulièrement, des homosexuels y sont condamnés par l’article 319 du Code pénal, alinéa 3 (issu de la loi 66–16 du 12 février 1966) qui prévoit que « sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe »7. Une enquête quantitative réalisée au début des années 2000 décrit les violences

4 Les débats publics sur lesquels porte ce texte concernent presque exclusivement l’homo­sexualité masculine, les lesbiennes étant très rarement évoquées, ou l’étant spécifiquement à des occasions précises. Dans la suite du texte, lorsque j’écrirai homosexuel/homosexualité il faudra entendre homosexuel/homosexualité masculin/e.

5 Voir, par exemple, Marc Epprecht, « “What an abomination, a rottenness of culture” : reflec­tions upon the gay rights movement in Southern Africa », Canadian Journal of Development Studies 22 n° 4 (2001) : 1089–1107.

6 Je remercie Peter Geschiere pour ses remarques sur une première version de ce texte.7 Fatou Kiné Camara, « Ce délit qui nous vient d’ailleurs : l’homosexualité dans le Code pénal

du Sénégal », Psychopathologie africaine 34 n° 3 (2007–2008) : 317–342.

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dont les homosexuels sont l’objet8. Impulsée par le Population Council, elle participe d’un début de publicisation de l’homosexualité au Sénégal. Elle est d’ailleurs réalisée grâce au concours de la première association homosexuelle créée à Dakar (et probablement en Afrique francophone) dès 1999, And Ligeey, dont les fondateurs cherchent alors à sensibiliser les associations et ong de lutte contre le sida au problème de l’épidémie dans leur groupe. Progressivement, des actions sont menées dans cette direction. Des responsables du Conseil national de lutte conte le sida (cnls) et de la Division sida du Ministère de la santé initient ensuite une nouvelle enquête visant à mesurer la prévalence du vih chez les homosexuels dans trois villes du Sénégal. Cette initiative inédite en Afrique confirme que ce groupe est beaucoup plus touché que la popula­tion générale (22 % contre 1 %)9. À cette période apparaissent de nouvelles associations homosexuelles de lutte contre le sida à Dakar et dans ses environs. Les résultats d’une nouvelle enquête réalisée en 2007 indiquent l’ampleur du phénomène : sur les 501 hommes interrogés, «  41 % se déclarent membres d’une  association [homosexuelle] » alors qu’ils n’étaient que 11 % lors de l’enquête précédente10.

Parallèlement, à partir de la fin des années 1990, l’homosexualité donne lieu à des mobilisations hostiles de la part de certains acteurs ou groupes religieux (dans un pays composé d’environ 95% de musulmans), au premier rang des­quels l’ong Jamra. Organisation islamique créée au début des années 1980, connue dès cette période par sa critique de l’homosexualité, elle devient la première structure religieuse à s’impliquer dans la lutte contre le sida au Sénégal à la fin des années 1980, puis elle met en place en 1993 une ong qui sera notamment chargée d’actions dans ce domaine. Elle est témoin dans ce contexte de l’attention progressivement accordée aux homosexuels par le cnls qui soutient à la fois les mobilisations religieuses et les actions menées auprès des populations « vulnérables ».

Au milieu de la décennie 2000, le Sénégal commence à être pointé du doigt par certains militants homosexuels occidentaux qui internationalisent leur cause. Lorsque la Journée mondiale contre l’homophobie est créée en 2005, ce pays est choisi comme exemple et un rassemblement est organisé devant son

8 Cheikh Ibrahima Niang et al., « “It’s raining stones” : stigma, violence and hiv vulnerabil­ity among men who have sex with men in Dakar, Senegal », Culture, Health and Sexuality 5 no 6 (2003) : 499–512.

9 Abdoulaye Sidibé Wade et al., « hiv infection and sexually transmitted infections among men who have sex with men in Senegal », aids 19 no 18 (2005) : 2133–2140.

10 Joseph Larmarange et al., « Homosexualité et bisexualité au Sénégal : une réalité multi­forme », Population 64 no 4 (2009) : 728, 748.

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ambassade à Paris. « Le Sénégal est dans la moyenne des 80 pays où l’homo­sexualité est réprimée. Bien sûr, c’est pire dans d’autres pays, mais à travers celui­ci, on s’adressait à tous les autres », explique le fondateur de la Journée11. L’année suivante, le comité d’organisation de la Journée lance l’appel « Pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité ».

Même si cela n’était pas visible aux yeux du plus grand nombre, c’est donc dans un contexte déjà polarisé que survient en 2008 une controverse publique d’une ampleur inédite autour de cette question. Le 1er février, le journal Icone publie les photos d’un mariage clandestin entre hommes, assorties de quelques articles mettant en garde contre le développement de l’homosexualité au Sénégal. Une enquête est alors diligentée par la Division des investigations criminelles (dic) et plusieurs des participants au mariage sont arrêtés. Lorsqu’ils sont relâchés quelques jours plus tard, la controverse redouble12. L’affaire cristallise d’emblée les oppositions qui entourent la question de l’homosexualité, donnant lieu à des nombreuses prises de position dans les médias et consacrant ainsi la transformation de cette question en pro­blème public.

Parmi les acteurs mobilisés, certains leaders musulmans saisissent immé­diatement l’occasion pour exprimer leur réprobation13, à quelque deux mois de la réunion à Dakar du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (oci) qui se tient en mars 2008. Si leur voix n’est pas nouvelle, son intensité s’accroît fortement. Le Collectif des associations islamiques du Sénégal (cais) et notamment l’imam Massamba Diop, alors vice­président de Jamra, appellent à placer l’affaire au cœur du sermon du vendredi qui suit la libération des hommes arrêtés. Le vendredi d’après, l’imam Mbaye Niang, député et leader du Mouvement de la réforme pour le développement social (mrds), un parti politique islamiste de l’opposition, organise une manifestation, en dépit de

11 « Journée mondiale contre l’homophobie : un bilan très positif », Le Quotidien de Têtu 18 mai 2005.

12 Pour un récit détaillé de cette affaire et de la suivante, voir Human Right Watch, Craindre pour sa vie : violences contre les hommes gays et perçus comme tels au Sénégal (New York : Human Rights Watch, 2010) ; International Gay and Lesbian Human Rights Commission, Words of Hate, Climate of Fear : Human Rights Violations and Challenges to the lgbt Movement in Senegal (New York : iglhrc, 2010). Sur leur médiatisation, voir aussi Institut Panos – Afrique de l’Ouest, L’homosexualité et l’homophobie dans les médias sénégalais : analyse de contenu (Dakar : Institut Panos, 2010) ; Ndèye Ndiagna Gning, « Une réalité complexe : sexualités entre hommes et prévention du sida au Sénégal. » (Thèse d’anthro­pologie sociale, Université de Bordeaux Segalen, 2013).

13 Codou Bop, Senegal : Homophobia and Islamic Political Manipulation (New York : Sexuality Policy Watch, « Working Papers » 4, 2008).

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l’absence d’autorisation de la préfecture ; elle sera sévèrement réprimée par les forces de l’ordre. Proche du pouvoir en place, le président de Jamra, Latif Guèye, condamne lui aussi très fermement l’homosexualité. En mars, plusieurs députés de l’opposition déposent une proposition de loi visant à durcir les peines contre l’homosexualité.

Mais les religieux ne sont pas les seuls à se faire entendre : d’autres acteurs locaux et, surtout, internationaux expriment leur indignation et se prononcent contre l’arrestation des homosexuels et contre l’article du Code pénal qui per­met de les condamner. De nombreux communiqués de presse sont publiés par des d’associations françaises (Aides, Sidaction et Act Up­Paris), des associa­tions africaines (Réseau Afrique 2000), des organisations internationales de défense des minorités sexuelles ou des droits humains, par exemple la Fédération internationale des droits de l’Homme (fidh) et ses organisations membres au Sénégal, dont toutefois, le président du Conseil national d’Amnesty Sénégal se désolidarise de la demande de révision du Code pénal sénégalais. Ainsi, cet événement va avoir pour conséquence d’ouvrir la question de la dépénalisation des actes homosexuels au Sénégal. Il trouve une caisse de réso­nance dans l’attention croissante accordée de l’extérieur au thème de l’homo­sexualité en Afrique. D’ailleurs 2008 est l’année où se développe le réseau Africagay contre le sida, créé par l’association française Aides et des associa­tions partenaires membres du Réseau Afrique 2000 ; sa visibilité maximale est atteinte au moment de la conférence internationale sur le sida à Mexico en août 2008, ce qui n’échappe pas aux médias sénégalais14.

Une seconde affaire, plus retentissante encore, a lieu à la fin de cette même année. Début décembre se déroule à Dakar la 15th International Conference on aids and stis in Africa (icasa) au cours de laquelle les minorités sexuelles bénéficient d’une visibilité sans précédent. Plusieurs membres des associa­tions homosexuelles de Dakar sont engagés dans l’organisation pratique de la conférence et sont présents chaque jour. Et, pour la première fois, un homo­sexuel africain intervient en tant que tel lors de la cérémonie de clôture de cette conférence. Cette visibilité est en même temps l’objet de vives critiques dans les médias sénégalais, notamment de la part de Jamra. Moins de deux semaines après la fin de la conférence, neuf membres de l’association homo­sexuelle de lutte contre le sida, Aides Sénégal (alors sans lien avec l’association française du même nom), sont arrêtés au domicile de son président. Ironie du

14 « Association d’homosexuels francophones : de hautes personnalités sénégalaises à la tête d’un réseau africain de dix pays » :  <http://www.leral.net/ASSOCIATION­D­HOMOSEXUELS ­FRANCOPHONES­De­hautes­personnalites­Senegalaises­a­la­tete­d­un­Reseau­africain ­de­dix­pays_a218.html>.

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calendrier, la veille, Rama Yade, secrétaire d’État aux Droits de l’Homme en France, présentait une déclaration relative aux droits de l’Homme, à l’orienta­tion sexuelle et à l’identité de genre devant l’Assemblée générale de l’onu. Les neuf inculpés sont condamnés à huit ans de prison, une peine plus lourde que celle requise par le procureur, non seulement par l’article 319 alinéa 3, mais aussi pour « association de malfaiteurs » (article 238). Cette nouvelle affaire provoque une mobilisation internationale d’une ampleur supérieure à la pré­cédente, en raison de la sévérité de la peine et de son caractère injuste. À Dakar, un comité informel de crise, principalement composé de membres d’ong, est créé afin de faire libérer les hommes emprisonnés. En même temps, de nom­breux acteurs internationaux et notamment français font entendre leur voix, dont la ministre Roselyne Bachelot, le maire de Paris Bertrand Delanoë, le conseiller régional Jean­Luc Romero ou l’association Aides. Ce qui est en parti­culier critiqué c’est l’attitude jugée contradictoire des pouvoirs publics sénéga­lais qui reçoivent des financements internationaux pour lutter contre le sida chez les homosexuels tout en permettant leur emprisonnement. Alors que les négociations entre certains acteurs locaux et le Ministre de la justice sont en passe d’aboutir à la libération des neuf détenus, Nicolas Sarkozy fait une inter­vention inopportune lors d’un conseil des ministres, provoquant l’indignation au Sénégal et rendant cette libération impossible. Elle aura finalement lieu quelques semaines plus tard, en avril 2009. À l’occasion de cette affaire, plu­sieurs personnalités, tels la juriste Fatou Kiné Camara ou le responsable de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), prennent publiquement position pour la dépénalisation de l’homosexualité, mais ils seront largement conspués. La pression des opposants est si forte que les par­tisans de la dépénalisation adoptent progressivement un mouvement de retrait. Cette question ne resurgit qu’après l’élection d’un nouveau président de la République en 2012.

Au moment de la campagne présidentielle, les accusations d’homosexualité fusent de toutes parts : après celles portées contre le fils d’Abdoulaye Wade, c’est le mouvement du 23 juin (M23) qui, ayant empêché la modification de la constitution sénégalaise en 2011, est accusé d’être infiltré par des homosexuels ; c’est ensuite au tour de Macky Sall d’être qualifié de «  candidat des homo­sexuels » après qu’il a fait une déclaration ambiguë au sujet d’une nécessaire « gestion responsable » de la question de l’homosexualité, laissant ainsi penser à certains partisans de la dépénalisation qu’il la mettrait en œuvre. Cependant, à l’occasion de l’arrestation en octobre 2012 du journaliste Tamsir Jupiter Ndiaye et de son partenaire, il est permis de constater que les mobilisations en faveur de la dépénalisation sont quasiment réduites à néant. Dans le « comité de veille » qui a fait suite au comité informel de crise et a continué à se réunir

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sous la houlette du cnls, certains représentants d’organismes de lutte contre le sida ou de défense des droits humains ont dit être contre cette loi ; mais seuls  deux présidents d’associations homosexuelles soutiennent publique­ment cette position. À l’occasion de cette nouvelle arrestation, le président de l’association Prudence, la seule au Sénégal dont les statuts officiels font men­tion d’homosexualité, témoigne à visage découvert dans une interview publiée sur  Internet en demandant la dépénalisation ; au cours de leur réunion suivante, les membres du comité de veille lui recommandent de ne plus s’exposer ainsi.

Ce débat est finalement clos au cours de l’année 2013, avec trois prises de position présidentielles et gouvernementales. Au mois de mars, une réunion organisée par l’Alliance nationale contre le sida (ancs) – l’une des principales organisations de lutte contre le sida au Sénégal –, rassemblant de nombreux acteurs du domaine, est l’occasion pour les deux présidents d’associations déjà cités de revendiquer une nouvelle fois la dépénalisation de l’homosexualité. Des journalistes en font état de manière déformée dans Le Populaire du 28 mars, affirmant qu’il s’agissait d’une « réunion secrète d’homosexuels », « pour pré­parer un plaidoyer à l’Assemblé nationale », ce qui provoque une importante controverse médiatique. Le 9 avril, l’imam Massamba Diop (président exécutif de Jamra) annonce la création d’un observatoire de veille et de défense des valeurs culturelles et religieuses appelé « Mbañ Gacce »15. L’ampleur prise par le débat oblige finalement le Président de la République à intervenir le 11 avril pour annoncer qu’il n’est pas prévu de dépénaliser l’homosexualité au Sénégal. Lors d’une conférence de presse organisée le 27 juin à l’occasion de la visite de Barack Obama, la question est à nouveau posée par un journaliste, suscitant la réitération de la position de Macky Sall. Enfin, début septembre, le problème resurgit lorsque le gouvernement est remplacé. Le nouveau ministre de la jus­tice, Sidiki Kaba, est montré du doigt pour avoir précédemment pris position en faveur de la dépénalisation ; il ne tarde pas à déclarer qu’il a été recruté pour  mettre en œuvre la politique du Président, indépendamment de ses propres opinions.

Au­delà de la question de la dépénalisation, c’est toute représentation publique de l’homosexualité qui est jugée condamnable par ceux qui se sont donnés pour mission de la combattre. En témoigne une dernière controverse survenue à l’occasion de la 11e Biennale de l’art africain contemporain, Dak­ Art, organisée à Dakar en mai et juin 2014, comptant plusieurs œuvres sur

15 En Wolof, cette expression qui peut être traduite par « là où la honte n’a pas sa place » est utilisée pour insister sur le fait qu’il ne faut pas faire honte à ses parents. Elle désigne aussi le rideau qui est placé à l’entrée d’une maison.

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l’homosexualité. Le 13 mai, un article est publié dans Le Monde, « Le Dak’Art en guerre contre l’homophobie ». L’information est ensuite reprise par des quoti­diens sénégalais. Le 2 juin, divers médias annoncent que suite à la mobilisation de Jamra et de Mbañ Gacce, les pouvoirs publics ont ordonné la fermeture des sites qui présentent des œuvres ayant trait à l’homosexualité. Ceci s’avérera faux, ces médias ayant repris les informations données par l’organisation et l’observatoire, mais cela aura néanmoins pour conséquence la fermeture « volontaire » des lieux d’exposition incriminés.

Côte d’Ivoire : un “îlot de tolérance” en crise ?

Contrairement au Code pénal sénégalais, la loi ivoirienne est muette sur l’ho­mosexualité. Telle qu’elle est décrite au début des années 1980 par deux socio­logues français, la population homosexuelle d’Abidjan (capitale économique) se fond dans la masse, l’orientation sexuelle n’occasionnant ni rejet ni proces­sus d’affirmation : « Finalement, les homosexuels s’intègrent dans la ville sans avoir eu à développer des stratégies particulières de défense, non plus qu’à construire des thèmes et une identité de revendication, si bien qu’un tableau social du “milieu” ne fait pas ressortir de traits bien singuliers »16.

Dans les années 1990, une association de travestis est créée, sans être offi­ciellement déclarée, autour de Barbara, figure de prou du « milieu » abidjanais de l’époque17. À la même période, le mouvement associatif de lutte contre le sida compte discrètement certains homosexuels qui ne font pas de leur orien­tation sexuelle un objet de militantisme18. La crise politique que le pays tra­verse à partir de la fin des années 1990 conditionne incontestablement le cours pris par la lutte contre l’épidémie dans ce pays, le plus touché d’Afrique de l’Ouest.

Une première association homosexuelle de lutte contre le sida, Arc­ en­ciel+, est créée en 2003 à Abidjan par quatre hommes dont l’un (que je nommerai Stéphane) avait déjà fait partie d’associations généralistes de lutte

16 Marc Le Pape et Claudine Vidal, « Libéralisme et vécus sexuels à Abidjan », Cahiers inter-nationaux de sociologie 76 (1984) : 116.

17 Philip Brooks et Laurent Bocahut, Woubi chéri [film documentaire] (Paris : Dominant 7, 1998).

18 Vinh­Kim Nguyen, « Uses and pleasures : sexual modernity, hiv/aids, and confessional technologies in a West African metropolis ». Dans Sex in Development : Science, Sexuality, and Morality in Global Perspective, dir. Vincanne Adams et Stacy Leigh Pigg (Durham : Duke University Press, 2005) : 245–267.

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contre l’épidémie. Au cours des six premières années, elle peine à se dévelop­per. Hébergée par une organisation préexistante par laquelle transitent les financements internationaux qu’elle reçoit, cette association ne réussit pas à s’autonomiser et reste peu visible. Son premier président et principal fonda­teur quitte rapidement le pays pour s’installer au Canada ; le second fait bien­tôt de même. En décembre 2009, l’élection d’un nouveau président à la tête de l’association, Claver Touré, suscite des résistances de la part des anciens diri­geants qui ne lui permettent pas d’exercer ses responsabilités. Mais, encouragé par divers partenaires locaux et internationaux dont il a gagné la confiance, ce nouveau président décide de créer une autre association, Alternative Côte d’Ivoire (aci), qui voit le jour en mars 2010.

En raison d’un contexte devenu favorable (soutiens internationaux et enga­gement des pouvoirs publics ivoiriens, qui créent en 2008 un Programme de lutte contre le sida chez les populations hautement vulnérables) et de la per­sonnalité forte du fondateur, l’association prend rapidement une certaine envergure. Dotée d’un siège ayant pignon sur rue, dans une zone plutôt rési­dentielle de la commune de Cocody, elle mène principalement des activités de lutte contre le sida grâce aux financements de bailleurs de fonds français (Sidaction) et américain (Heartland Alliance). Aucun adversaire ne fait obsta­cle à cette action associative, qui ne pâtit finalement que des divisions internes au mouvement. Pour preuve, le 23 mars 2012, le directeur d’aci fait la une du quotidien Le Jour avec ce titre occupant plus de la moitié de la page : « Claver Touré (président des homosexuels) explose : Des gens ont été tués parce qu’ils étaient pédés ». C’est l’occasion d’évaluer l’acceptation sociale de l’homosexua­lité en ce début de décennie 2010. Au cours de la décennie précédente, le pre­mier président de l’association Arc­en­ciel+ avait dû quitter la Côte d’Ivoire suite aux répercussions provoquées par une interview parue dans la presse. Dans le cas de Claver Touré, cette publication n’a suscité aucune réaction néga­tive, pas même des membres de sa famille, qui pourtant ont lu le journal.

Cependant, après trois ans d’existence, aci rencontre pour la première fois une forte hostilité au moment où elle reçoit un financement d’un montant de 30 millions fcfa (45 000 euros) de l’Ambassade de France, pour la mise en œuvre d’un projet relatif aux droits humains. Une signature de convention a lieu au siège de l’association le 25 juin 2013, où sont présents l’Ambassadeur de France, l’Ambassadeur d’Allemagne, la Vice­consul des États­Unis (l’ambassa­deur lui­même n’étant pas disponible) et des représentants des ministères ivoi­riens de la santé et de la justice. S’ensuit une controverse médiatique inédite au sujet de l’association et de l’attribution de cette subvention qui est perçue comme étant liée à l’actualité française du « mariage pour tous ». Le 6 juillet, le ministre ivoirien de la Fonction publique, Gnamien Konan, affirme que le

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mariage entre personnes de même sexe « va marquer la fin du monde »19. Le 8 juillet, le président ivoirien, Alassane Ouattara, est lui­même interrogé sur le sujet lors d’un déplacement à Korhogo ; il précise que le mariage homosexuel ne sera pas adopté en Côte d’Ivoire20.

Pourquoi donc, alors même que l’association n’avait jusqu’ici jamais rencon­tré d’obstacle, ce financement a­t­il suscité une telle hostilité ? Selon Claver Touré, cela découle directement de la médiatisation de la signature de la convention demandée par l’Ambassade de France. D’ordinaire, les actions menées en direction des homosexuels dans le pays, qu’elles soient le fait d’as­sociations ou des pouvoirs publics, ne sont pas publicisées. Ainsi de la pratique habituelle du Ministère de la Santé et de la lutte contre le sida (et de son pro­gramme dédié aux populations hautement vulnérables), dont un représentant était présent à la signature de la convention, mais sans que les services de l’am­bassade ne se soient pour autant intéressés à la façon dont le Ministère pro­cède habituellement lorsqu’il agit en direction du même groupe. De plus, le contexte de l’époque était particulièrement sensible puisque venait d’avoir lieu en France le débat houleux sur le « mariage pour tous », largement suivi par les habitants de Côte d’Ivoire. Claver Touré avait d’ailleurs mis en garde ses inter­locuteurs de l’Ambassade de France sur le risque de controverses, mais ils lui avaient répondu que cette médiatisation permettrait d’observer les réactions suscitées par la signature de la convention. C’est donc en connaissance de cause que le choix a été fait de médiatiser l’événement. Face aux remous médiatiques et à ses conséquences, Claver Touré explique après coup avoir eu peur pour sa sécurité et celle d’aci, mais il considère que cela a néanmoins été d’un grand bénéfice en raison de la publicité faite à l’association qui a ainsi vu se multiplier les adhésions suite à la controverse.

En fin d’année 2013, la situation semblait donc stabilisée. Le 21 janvier 2014, paraît même un article intitulé « La Côte d’Ivoire, îlot de tolérance dans un continent homophobe » dans le quotidien français Libération21 et sur de nom­breux sites Internet. Hasard ironique du calendrier là encore : depuis la veille, de nouveaux incidents ont commencé à se produire. Le 20 janvier au soir, alors que le directeur d’aci regagne le nouveau domicile qu’il occupe avec deux autres membres, une villa située à proximité du siège de l’association, des coups de sifflet se font entendre ; une soixantaine de riverains surgissent et se lancent dans une « opération casserole », encerclant le domicile, scandant des slogans tels que « la maison des pédés ! » et jetant des ordures dans la cour. Les

19 <http://news.abidjan.net/h/464916.html> (Consulté le 14 juillet 2014).20 <http://news.abidjan.net/h/464948.html> (Consulté le 14 juillet 2014).21 L’article a été depuis retiré du site de Libération.

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initiateurs de l’opération ont déposé une plainte le matin même. La police est prévenue ; elle finit par arriver sur les lieux après plus d’une heure d’attente. Le directeur d’aci se rend au commissariat, mais il ne peut déposer plainte ; est également présent, en uniforme, un commandant de la garde républicaine qui se trouvait parmi les manifestants mais en civil. Le lendemain, les militants reviennent au commissariat mais ne peuvent toujours pas déposer plainte. Ils écrivent un rapport qu’ils diffusent à tous leurs partenaires, y compris interna­tionaux. Le 22 janvier, les manifestations hostiles se poursuivent et gagnent à présent le siège de l’association. La police se contente de constater les dégâts. Le même scénario se répète les jours suivants. Le 25 janvier a lieu une nouvelle manifestation puis une attaque du siège qui, cette fois, est pillé et saccagé après que le gardien a été agressé, poussant alors Claver Touré à contacter l’am­bassadeur de France. Celui­ci s’adresse au Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité dont l’intervention immédiate permet non seulement la sécuri­sation  du siège, mais pour les militants d’enfin pouvoir déposer plainte au commissariat.

Selon le directeur d’aci, les exactions les plus graves commises à l’intérieur des locaux ne l’ont pas été par les riverains, mais par un gang résidant dans une commune voisine et connu pour ses méfaits, après avoir été engagé pour le faire par les initiateurs de la mobilisation22. Si Claver Touré se montre finale­ment indulgent à l’égard des riverains qui selon lui auraient été manipulés, il exprime un avis plus sévère sur les organismes de lutte contre le sida avec les­quels aci travaille localement. Trois semaines après les attaques, il publie sur Facebook un post enragé contre ces partenaires :

« Vraiment, ça ne coûte rien de venir à l’information vraie que de rester dans vos sièges royaux et divaguer. Soyez courageux pour une fois de votre vie et reconnaissez que vous n’avez pas été à la hauteur au lieu de vous morfondre dans votre petit coin nous accuser d’avoir internationa­lisé cette crise que vous auriez pu gérer localement mon œil ! Vous avez été pourtant prévenu et ce durant une semaine sans réaction aucune. Si à chaque fois, je devrais me tourner vers l’extérieur pour régler nos pro­blèmes, je le ferai et referai sans regret ».

claver touré, Facebook, 17 février 2014

Il déplore en effet l’absence quasi totale de réaction publique ou même privée de la part des partenaires locaux, pour l’essentiel acteurs de la lutte contre le sida : pas de visite au siège après l’attaque, aucune prise de position publique

22 « Le président des homosexuels fait des révélations », Le Soir, 30 janvier 2014.

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sur l’affaire. Après les faits, on lui conseille de confier la responsabilité de la réaction à cette crise au Réseau ivoirien des organisations de personnes vivant avec le vih (rip+) dont fait partie aci ; il sollicite alors le président du réseau qui n’aurait pas donné suite.

Quelques semaines après l’affaire, alors que la situation de l’association semble en voie de résolution, le contexte général montre des signes de dégra­dation. Au début du mois de mars, le principal bar gay d’Abidjan est victime d’une attaque par un groupe d’hommes armés de machettes et de gourdins qui pillent les lieux, dépouillent et blessent des clients. D’autres agressions ont lieu dans différents quartiers à la même période. En dépit de cette multiplication des gestes d’hostilité vis­à­vis de l’homosexualité, environ deux semaines après l’attaque du bar gay, la responsable d’une radio locale, à l’occasion d’un entre­tien sur les ondes de sa propre radio, témoigne de son goût pour les femmes, ce qui était déjà connu mais n’avait jamais été exprimé publiquement. C’est le premier coming out ivoirien de l’histoire récente.

Spécificités locales

Les crises survenues au Sénégal puis en Côte d’Ivoire, qui ont opposé partisans et opposants à la cause homosexuelle, ne sont pas des cas isolés en Afrique francophone. Par exemple, au Burundi, une loi a été votée en 2008 en réaction à l’émergence d’actions associatives en direction des homosexuels, selon ce qui avait été dit à Georges Kanuma, le principal militant gay burundais de l’époque23. Le Cameroun exemplifie on ne peut mieux ce processus puisque, depuis le début des années 2010, en même temps que des actes graves d’homo­phobie, on observe paradoxalement une multiplication des associations homosexuelles. Au Burkina Faso enfin, où la situation est longtemps restée calme, des manifestations ont été organisées en 2013 après que le gouverne­ment a octroyé un financement à des programmes de lutte contre le sida en direction des homosexuels.

Dans ces exemples, comme dans les deux cas exposés ici, les conditions de possibilité des crises ou controverses autour de l’homosexualité relèvent tout d’abord d’éléments propres au contexte local. En cela, chaque situation est unique et doit être examinée dans sa singularité. Ainsi, les logiques d’affronte­ments autour de la question de l’homosexualité ont pris des formes très diffé­rentes au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Au­delà de l’activité commune de lutte contre le sida, l’objet des mobilisations homosexuelles n’est pas exactement le

23 Communication personnelle, décembre 2008. Ce militant est décédé le 14 avril 2010.

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même, notamment en raison de contextes légaux différents. Au Sénégal, certains militants demandent la dépénalisation de l’homosexualité, tandis qu’en Côte d’Ivoire ce sont la protection des droits humains et l’inscription dans la loi ou la constitution de la prohibition des comportements homo­phobes qui  est réclamée. Aussi, lorsque le Président sénégalais en vient à s’exprimer publiquement, c’est pour se prononcer contre la dépénalisation, alors que de  son côté le Président ivoirien affirme son opposition au mariage  homosexuel. Cette prise de position ne reçoit d’ailleurs pas le même écho : au Sénégal, où la question de l’homosexualité sature régulière­ment  l’espace médiatique, les interventions du Président occupent l’intégra­lité de la  une des  quotidiens ; en Côte d’Ivoire, elles sont noyées parmi d’autres informations.

Au Sénégal, la décennie 2000, au cours de laquelle se sont déroulées les controverses autour de l’homosexualité a été marquée à la fois par une montée de l’islam politique et par un État défaillant. Dans ce contexte, l’homosexuel est progressivement devenu une figure repoussoir instrumentalisée de diverses manières dans le débat public, les positionnements sur l’homosexualité se trouvant imbriquées à des luttes de pouvoir au sein des champs politiques et religieux. Plus que les actes, c’est la visibilité homosexuelle qui est la cible prin­cipale des attaques et des critiques, y compris chez beaucoup d’acteurs du camp supposé bienveillant, par exemple dans le domaine de la lutte contre le sida. En Côte d’Ivoire, la situation doit d’abord être comprise à travers le prisme de la crise politique traversée par le pays depuis le début des années 2000 et de son rapport ambivalent à la France, en particulier depuis la crise postélectorale de 2010–2011 ; en effet, une bonne partie des partisans du président Laurent Gbagbo considère que l’ancienne puissance coloniale est responsable de son éviction. Quant au ressentiment contre aci, il a pour origine la médiatisation de la signature de la convention avec l’Ambassade de France, qui a d’un côté rendu possible une publicité inédite autour de l’association et, de l’autre, qui est surtout apparue comme une volonté de la France d’influer sur les normes sexuelles locales24.

En même temps que ces différences, les situations sénégalaise et ivoirienne présentent des points communs partagés également par d’autre pays, qui per­mettent d’examiner plus largement les logiques des mobilisations contraires autour de l’homosexualité en Afrique.

24 C’est par exemple ce qu’exprime ce titre en une : « Côte d’Ivoire : avec des millions de Fcfa : La France encourage l’homosexualité » (Soir Info, 27 juin 2013).

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Hétérogénéité des acteurs et des positions

Les mobilisations décrites ne se limitent pas à des «  mouvements sociaux » stricto sensu mais impliquent une myriade d’acteurs hétérogènes (dont au minimum un ou divers groupes homosexuels plus ou moins officiels) qui, autour d’un même problème, œuvrent en ordre parfois dispersé mais principa­lement dans deux sens contraires, si bien que l’on doit adopter ici une concep­tion élargie de la notion d’« opposing movements »25 que Tina Fetner définit comme « deux mouvements combattants l’un contre l’autre »26. Il ne s’agit pas systématiquement de groupes organisés ou institutionnalisés, loin de là, et parfois ce ne sont pas des groupes mais de simples individus. Au Sénégal, les personnes impliquées dans la publicisation de l’homosexualité ont été aussi diverses que des chercheurs, des avocats, des journalistes, des imams, des groupes d’agresseurs, etc. En Côte d’Ivoire, les acteurs mobilisés contre l’homo­sexualité ont été des riverains plus ou moins organisés, des gangs de rue, des agresseurs isolés, tandis que dans le camp opposé, outre les associations concernées, se trouvent certains journalistes ou une directrice de radio qui a fait son coming out.

À cette hétérogénéité des acteurs, s’ajoute celle des positions publiques sur les questions qui font l’objet de la polarisation. Contrairement à l’impression pouvant découler d’une observation rapide des débats, les positionnements des différents acteurs ne permettent pas toujours facilement de les séparer en pro et anti. De plus, des dissensions existent souvent au sein d’un même camp. Par exemple, au Sénégal, lorsqu’en mai 2009 le corps d’un homosexuel qui vient d’être mis en terre dans un cimetière de Thiès est exhumé par des per­sonnes hostiles à sa présence, et que la famille du défunt est obligée de l’enter­rer dans son jardin, certains opposants à l’homosexualité en viennent quand même à considérer qu’une limite a été dépassée. À Abidjan, plusieurs riverains ayant pris part à l’attaque du siège d’aci, lorsqu’ils ont appris à la fin qu’il s’agis­sait d’une ong, se sont alors considérés manipulés et se sont excusés.

25 Voir David S. Meyer et Suzanne Staggenborg, « Movements, countermovements, and the structure of political opportunity », The American Journal of Sociology 101 no 6 (1996) : 1628–1660 ; Mary Bernstein, « Celebration and suppression : the strategic uses of identity by the lesbian and gay movement », American Journal of Sociology 103 no 3 (1997) : 531–565 ; et Tina Fetner, « Working Anita Bryant : the impact of Christian anti­gay activism on lesbian and gay movement claims », Social Problems 48 n° 3 (2001) : 411–428.

26 Tina Fetner, How the Religious Right Shaped Lesbian and Gay Activism (Minneapolis : University of Minnesota Press, 2008) : xvi. Ma traduction, cb.

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Du côté de ceux qui œuvrent en direction des homosexuels, et donc qui en principe leur sont favorables, se manifestent parfois des opinions et des atti­tudes diverses. Dans les deux pays, une fracture existe entre les associations dites « identitaires » et le reste des organisations qui interviennent auprès des homosexuels en particulier dans le domaine de la lutte contre le sida. Au Sénégal, où le recours au droit n’est pas très répandu dans le domaine des mobilisations27, ces organisations ne sont pas toutes favorables à la dépénali­sation de l’homosexualité, et celles qui le sont se refusent à prendre publique­ment position sur le sujet, notamment, et peut­être même surtout au moment des controverses médiatiques. Lorsqu’en 2013 Le Populaire a publié des infor­mations sur une prétendue « réunion secrète d’homosexuels », qui était en fait une réunion de l’ancs ne portant pas spécifiquement sur l’homosexualité, aucun des responsables de l’organisation de ces journées ni l’association n’est intervenu publiquement pour rétablir la vérité, se conformant ainsi au prin­cipe fréquemment en vigueur au Sénégal consistant à ne pas répondre aux attaques pour laisser s’éteindre la controverse. Or, nous l’avons vu, ce silence a laissé le champ libre à l’intervention du Président de la République qui a défi­nitivement enterré toute possibilité de modifier le Code pénal. Cette règle implicite de ne pas répondre aux attaques connaît d’ailleurs des exceptions qui montrent qu’elle n’est sans doute pas aussi intangible qu’on le dit parfois. Par exemple, le 2 avril, Le Populaire fait paraître à la une un droit de réponse de la Raddho. Le 11 avril, le sociologue Mamadou Moustapha Wone publie sur Seneweb.com une tribune intitulée « Oui à la dépénalisation de l’homosexua­lité ! ». Le silence des associations ou ong sénégalaises intervenant auprès des homosexuels tient donc au fait de ne pas vouloir se prononcer publiquement sur le sujet. De même, en Côte d’Ivoire, les attaques contre aci ont fait appa­raître au grand jour les réticences des partenaires locaux à défendre publique­ment l’association. Un responsable d’ong sénégalaise, qui était de passage à Abidjan quelques semaines après les attaques, me disait au sujet du message rageur posté par Claver Touré sur Facebook que ce n’est pas la bonne façon de procéder ; il m’expliquait lui avoir dit ne pas savoir ce qu’il fallait faire pour résoudre ou éviter une telle crise, mais savoir ce qu’il ne faut pas faire, en l’oc­currence s’en prendre ainsi publiquement aux partenaires.

Les partenaires privilégiés des associations homosexuelles sont des organi­sations de lutte contre le sida qui ne partagent pas forcément leurs vues. Sur la nécessité de lutter contre l’épidémie, le consensus existe ; en revanche, sur la

27 Marième N’Diaye, « Le développement d’une mobilisation juridique dans le combat pour la cause des femmes : l’exemple de l’association des juristes sénégalaises (ajs) », Politique africaine 124 (2011) : 155–177.

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question des droits, ces organisations considèrent généralement que cela ne relève pas de leur mission. Mais ce n’est pas tout : ces organisations sont sou­vent celles par lesquelles transitent les financements internationaux qui sont octroyés aux associations identitaires, ce qui crée une situation de dépendance réciproque. Cela se traduit par un processus de dépolitisation au sens de James Ferguson qui évoque la « machine dépolitisante » de l’idéologie du développe­ment transformant les questions de société en problèmes techniques et non pas politiques28. Les organisations de lutte contre le sida qui œuvrent en direc­tion des homosexuels mais se refusent à soutenir publiquement les revendica­tions des militants, voire les incitent à ne pas se montrer revendicatifs, contribuent à dépolitiser la question homosexuelle. Elles ont besoin des asso­ciations identitaires comme partenaires techniques ou comme bassin de recrutement, mais préfèrent qu’elles se montrent discrètes sur la question des droits afin de ne pas créer de remous autour des activités et des intérêts qu’elles partagent. En somme, elles attendent d’elles une mobilisation sans protesta­tion29. Ce n’est pas un hasard si, fin juin 2014 en Côte d’Ivoire, les militants homosexuels trouvaient des alliés officiels pour la défense de leurs droits plu­tôt dans le milieu des organisations de défense des droits humains que dans le milieu de la lutte contre le sida.

Interdépendance des mobilisations contraires

Si les individus ou groupes mobilisés s’avèrent hétérogènes et si leurs positions se révèlent à l’examen moins polarisées qu’il n’y paraît à première vue, un cli­vage existe bel et bien chez les acteurs les plus saillants. Mais il présente lui aussi un caractère ambigu, en ce qu’il soumet les mobilisations contraires à une forme d’interdépendance : non seulement l’action de l’une peut être large­ment conditionnée par celle de l’autre, mais elle peut aussi lui bénéficier.

Tout d’abord, la confrontation à l’hostilité violente peut conduire certaines personnes au militantisme ; au Sénégal les deux militants homosexuels les plus renommés ont l’un et l’autre été confrontés à des expériences traumati­santes de violence qui ont non seulement changé le cours de leur vie mais qui

28 James Ferguson, The Anti-Politics Machine : “Development”, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho (Minneapolis : University of Minnesota Press, 1994 [1990]).

29 Johanna Siméant, « Protester / mobiliser / ne pas consentir : sur quelques avatars de la sociologie des mobilisations appliquée au continent africain », Revue internationale de politique comparée 20 no 2 (2013) : 125–143.

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sont incontestablement à l’origine de leur engagement. Par ailleurs, les oppo­sants à l’homosexualité au Sénégal dont l’engagement est déjà ancien n’ont jamais été aussi entendus et actifs que face aux actions militantes et aux reven­dications de dépénalisation. En même temps, les associations tirent profit de l’opposition qui s’exprime contre elles, en particulier sur le plan du soutien financier à l’échelle internationale. Dans l’un et l’autre pays, le contexte d’ho­mophobie attire des ressources. Au Sénégal, par exemple, les crises successives autour de l’homosexualité ont eu pour conséquences un développement expo­nentiel de contrats de consultance ou de recherche, souvent au profit de membres d’ong. En Côte d’Ivoire, les attaques contre aci ont permis d’étendre la renommée et les soutiens de l’association. Par ailleurs, lorsque Stéphane a subi une agression durant la crise postélectorale, il a été exfiltré dans un pays voisin et a bénéficié d’un contrat de consultance pour établir un bilan des exactions commises dans son pays contre les homosexuels.

Dans les deux pays, on peut considérer que chacun des deux camps béné­ficie de l’action de l’autre : les opposants à l’homosexualité imposent une limitation du champ des possibles (même si la barre n’est pas placée au même niveau en Côte d’Ivoire et au Sénégal), tandis que les mobilisations homosexuelles voient, à travers l’opposition qu’elles rencontrent, leur exis­tence reconnue et, plus largement, celle de l’homosexualité en Afrique. Toutefois, dans chacun des deux pays, un camp l’emporte sur l’autre. Au Sénégal, les mobilisations qui dominent à ce jour sont celles visant à empê­cher non seulement la dépénalisation mais aussi toute expression positive liée à l’homosexualité dans l’espace public. En Côte d’Ivoire aujourd’hui, ce sont clairement les mobilisations homosexuelles qui ont le mieux réussi à tirer profit de la situation.

Centralité du rapport à l’international

Au­delà des spécificités locales, l’une des dimensions qui conditionnent le plus fortement la construction des mobilisations contraires autour de l’homosexua­lité dans les deux pays est le rapport à l’international. Il ressort clairement des faits relatés plus haut que les controverses se déroulant dans des cadres natio­naux précis et en fonction d’eux se construisent aussi en grande partie en rela­tion avec l’international, à la fois comme contexte et comme acteur, et plus généralement comme figure de référence. Dans la littérature sur les mobilisa­tions collectives en Afrique, l’« international » apparaît comme l’espace privi­légié vers lequel est orientée l’action de différents militants agissant selon des

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logiques d’« extraversion »30. Cette dimension est bien présente dans les situa­tions décrites ici, mais le rôle de l’international ne s’y limite pas.

Il est tout d’abord un contexte, articulant différents éléments. Parmi eux, dans les pays francophones, figurent les débats hexagonaux sur le « mariage pour tous » en 2012 et 2013, qui ont été très suivis et ont permis de renforcer la représentation d’une différence fondamentale entre l’Afrique et le monde occi­dental sur les questions de sexualité et de conjugalité. De même qu’en France la controverse est l’occasion de faire valoir l’existence de valeurs différentes selon le critère « ethno­sexuel »31, dans les pays d’Afrique étudiés, cette ques­tion permet de tracer une frontière entre valeurs occidentales et valeurs afri­caines, renforçant ainsi une forme d’«  homoexotisme » (par opposition à l’« homonationalisme ») qui consiste à considérer que l’homosexualité n’existe qu’au­delà des frontières du pays ou du continent. Des échos directs de la polé­mique hexagonale se sont fait entendre dans les deux pays.

Au Sénégal, lorsque les débats sur la dépénalisation ont défrayé la chro­nique, ceux ayant trait au « mariage pour tous » se trouvaient en arrière fond. De nombreux commentaires témoignaient d’une confusion entre la question de la dépénalisation et celle de la reconnaissance légale des unions entre per­sonnes de même sexe, de bonne foi pour certains, mais parfois instrumentali­sée à dessein. Par exemple, après que Macky Sall a dénié tout projet de dépénalisation, un quotidien titre en une « Menacé d’asphyxie financière : le Sénégal résiste à la pression des lobbies homosexuels. Macky Sall exclut toute dépénalisation » (Direct Info, 12 avril 2013), avec comme illustration la photo­graphie d’une pancarte de manifestation «  Non au “mariage” homosexuel » prise à l’occasion des mobilisations contre le « mariage pour tous » en France. De même, en Côte d’Ivoire, durant les débats très houleux sur la réforme du Code de la Famille fin 2012, qui ont d’ailleurs provoqué un remaniement minis­tériel, une rumeur disait qu’elle avait pour but ultime la légalisation du mariage homosexuel, du fait de la soumission supposée du Président ivoirien aux exi­gences de la France, ce qui explique sans doute qu’il ait jugé également néces­saire de préciser que le pays n’adopterait pas une telle mesure au moment de la controverse liée à la subvention de l’Ambassade de France versée à aci.

30 Marie­Emmanuelle Pommerolle, « The extraversion of protest : conditions, history and use of the “international” in Africa », Review of African Political Economy 37 no 125 (2010) : 263–279.

31 Maxime Cervulle, « Les controverses autour du “mariage pour tous” dans la presse natio­nale quotidienne : du différentialisme ethno­sexuel comme registre d’opposition », L’Homme et la société 189–190 (2013) : 207–222.

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Dans les deux pays, et cela vaut probablement pour tous les pays franco­phones où l’actualité hexagonale est suivie de près, la médiatisation des débats relatifs au « mariage pour tous » en France ont rendu possible l’expression ren­forcée d’une hostilité à l’homosexualité, non seulement par désapprobation de la nouvelle loi, mais aussi parce que les nombreuses manifestations contre celle­ci ont permis de constater et d’utiliser comme argument le fait que « même en France » le désaccord existe face à un tel projet. À cela s’est ajouté un autre élément du contexte international : le renforcement de lois pénali­sant l’homosexualité dans plusieurs pays africains anglophones, dont le Nigeria et l’Ouganda, nourrissant chez certains, dans nos deux pays, l’idée qu’il s’agit là d’une réponse pertinente à apporter afin que les dérives des politiques hexago­nales ne les atteignent pas. S’il est commun à plusieurs situations nationales en Afrique, ce double contexte international les traverse différemment selon les cas ; par exemple, la situation franco­française aura évidemment plus d’impact sur les pays francophones et, parmi eux, sur les plus attentifs ou sensibles à l’actualité hexagonale.

L’international correspond ensuite à des acteurs. En effet, à différents moments, l’intervention de personnalités étrangères a été de nature à aggraver la situation dans les deux pays. Au Sénégal, ce sont avant tout les mobilisations internationales relatives aux arrestations en 2008 et 2009 qui ont suscité la réprobation de certains. Après la libération des neuf hommes incarcérés en 2009, Jamra écrit :

« Soutenus par des bras­longs sans visage, les homos partouzards de Mbao viennent de narguer notre justice, du fait du malheureux bâclage d’un dossier, qui constituait une occasion rêvée de faire comprendre aux activistes de la Métropole que le Sénégal n’est pas prêt de se laisser mener au pas dans le fonctionnement de sa justice souveraine. Et c’est bien mal­heureux que le dénouement obscur de cette non moins sombre affaire puisse donner l’impression que c’est “l’inadmissible ingérence de la France” qui aura fait ses effets »32.

De même en est­il des déclarations de Nicolas Sarkozy, puis de Barack Obama. En effet, certains membres d’associations de lutte contre le sida considèrent que, en donnant l’impression de vouloir imposer ses vues, celui­ci ne leur a pas

32 « Déclaration – Libération des homos partouzards de Mbao : Victoire (provisoire) du mensonge et de l’hypocrisie ! », 22 avril 2009 : <http://www.xibar.net/Declaration­Liberation­des­homos­partouzards­de­Mbao­Victoire­provisoire­du­mensonge­et­de­l­hypocrisie­_a15983.html>.

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rendu service ; les déclarations de l’un et de l’autre ont suscité une forte répro­bation et renforcé certaines positions d’hostilité à l’homosexualité au Sénégal. C’est aussi un article du Monde sur Dak’Art qui a fait réagir Jamra :

« …c’est surtout la relation tendancieuse et paternaliste qu’en a fait le res­pectable journal, Le Monde, qui aura outré plus d’un. Dans son édition du 13 mai 2014, le quotidien français s’est laissé aller à une titraille digne d’un journal de l’ère coloniale : “Le Dak’Art en guerre contre l’homophobie”. Ainsi donc nous serions, nous Sénégalais, selon la publication parisienne, des intolérants vis­à­ vis de cette déviance sexuelle ! Autrement dit de vils homophobes ! En lançant aussi péremptoirement cette “fatwa” contre la foi de millions de musulmans sénégalais, le quotidien Le Monde omet scandaleusement de se conformer à la bienséance du parallélisme des formes, relativement aux particularismes culturels respectifs des sociétés africaines et occidentales »33.

En Côte d’Ivoire, c’est incontestablement le financement octroyé à l’associa­tion aci par l’Ambassade de France qui a mis le feu aux poudres. Nous avons vu que, dans ce pays, la médiatisation de l’homosexualité ne pose pas en soi de problème : le directeur d’aci avait déjà fait la une d’un quotidien sans que cela n’ait porté à conséquence. C’est uniquement le financement de l’Ambassade de France qui a suscité l’indignation. Mais la question du recours à l’international divise aussi ceux qui œuvrent en direction des homosexuels, les organisations partenaires d’aci lui ayant reproché d’avoir « internationalisé » l’affaire dont elle était victime.

De ces différents exemples, il ressort qu’à travers l’homosexualité, ce qui est combattu au premier chef est ce qui est perçu comme une tentative d’ingé­rence de la part d’acteurs ou d’États occidentaux, bien sûr la France en premier lieu, mais aussi les États­Unis. L’argument fréquent en Afrique condamnant l’homosexualité en tant que comportement propre aux pays occidentaux ou « nantis » – pour reprendre le vocabulaire du directeur exécutif de Jamra34 –, ne traduit pas uniquement le rejet de certaines pratiques sexuelles mais une défiance plus large vis­à­vis des tentatives supposées d’imposition de normes occidentales, qui s’exprime de manière particulièrement sensible dans les

33 « Jamra & Mbañ Gacce saluent la décision de l’État de fermer tous les sites suspectés de promouvoir les unions contre­nature », 31 mai 2014 : <http://www.leral.net/Jamra­Mban ­Gacce­saluent­la­decision­de­l­Etat­de­fermer­tous­les­sites­suspectes­de­promouvoir ­les­unions­contre­nature_a114795.html>.

34 Entretien avec Bamar Guèye, 4 mars 2014.

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domaines du genre et de la sexualité, les États occidentaux, ces dernières années, ayant fait de ces normes le symbole revendiqué de leur modernité. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, comme dans bien d’autres pays d’Afrique, l’opposi­tion à l’homosexualité est aussi et peut­être surtout une opposition à l’impéria­lisme occidental.

Bibliographie

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