"Bearn o la sala de les nines" et "Bearn o la sala de las muñecas" de Llorenç Villalonga....

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1 BEARN O LA SALA DE LES NINES ET BEARN O LA SALA DE LAS MUÑECAS DE LLORENÇ VILLALONGA. MYSTÈRES AUTOUR DE LA LANGUE PREMIÈRE D’ÉCRITURE Aina López Montagut Université Paris Sorbonne Paris IV I. Llorenç Villalonga et son œuvre Llorenç Villalonga est un écrivain majorquin né à Palma de Mallorca le 1 er mars 1897. Il est le fils du militaire Miquel Villalonga i Muntaner et de la minorquaise Joana Pons i Marquès, et le frère de Miquel Villalonga i Pons, militaire et écrivain en langue espagnole. Dans la plupart de ses oeuvres, Llorenç Villalonga s’appuie sur des personnages réels comme dans Mort de Dama (1931) ou La novel·la de Palmira (1952), retravaillée sous le nom de Les ruïnes de Palmira (1972). Dans Bearn o La sala de les nines, nous trouvons également des éléments auto-biographiques, tout comme dans la suite de son écriture : Les Fures (1967), La « Virreyna » (1969) ainsi que des références critiques de la société de son temps comme c’est le cas dans La gran batuda (1968), La Lulú (1970), Lulú regina (1972) et Andrea Víctrix (1974). Villalonga ne commence pas immédiatement à écrire ; en effet il étudie la médecine. C’est un jeune angoissé, curieux et rebelle, qui a envie de découvrir les grandes villes, ce qui l'amène à s'éloigner de ses racines et de la culture insulaire du XIXe siècle. En 1924 il commence à écrire dans le journal majorquin El Día des articles abordant des sujets aussi bien politiques que culturels, ainsi que des contes qu'il publiera plus tard. Il n’hésite pas à se montrer plutôt hostile à la langue et à la culture catalanes dans ses publications malgré ses origines. Il signe ses premiers écrits sous le pseudonyme Dhey, nom qui apparaît également dans un premier temps comme le narrateur de Mort de Dama (1931). En 1927 il ouvre un cabinet à Palma de Mallorca, et peu après à la Clínica Peñaranda. De 1930 à 1934, il est secrétaire du Col·legi

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BEARN O LA SALA DE LES NINES ET BEARN O LA SALA DE LAS MUÑECAS DE

LLORENÇ VILLALONGA. MYSTÈRES AUTOUR DE LA LANGUE PREMIÈRE

D’ÉCRITURE

Aina López Montagut

Université Paris Sorbonne – Paris IV

I. Llorenç Villalonga et son œuvre

Llorenç Villalonga est un écrivain majorquin né à Palma de Mallorca le 1er mars 1897. Il est

le fils du militaire Miquel Villalonga i Muntaner et de la minorquaise Joana Pons i Marquès,

et le frère de Miquel Villalonga i Pons, militaire et écrivain en langue espagnole.

Dans la plupart de ses oeuvres, Llorenç Villalonga s’appuie sur des personnages réels comme

dans Mort de Dama (1931) ou La novel·la de Palmira (1952), retravaillée sous le nom de Les

ruïnes de Palmira (1972).

Dans Bearn o La sala de les nines, nous trouvons également des éléments auto-biographiques,

tout comme dans la suite de son écriture : Les Fures (1967), La « Virreyna » (1969) ainsi que

des références critiques de la société de son temps comme c’est le cas dans La gran batuda

(1968), La Lulú (1970), Lulú regina (1972) et Andrea Víctrix (1974).

Villalonga ne commence pas immédiatement à écrire ; en effet il étudie la médecine. C’est un

jeune angoissé, curieux et rebelle, qui a envie de découvrir les grandes villes, ce qui l'amène à

s'éloigner de ses racines et de la culture insulaire du XIXe siècle. En 1924 il commence à

écrire dans le journal majorquin El Día des articles abordant des sujets aussi bien politiques

que culturels, ainsi que des contes qu'il publiera plus tard. Il n’hésite pas à se montrer plutôt

hostile à la langue et à la culture catalanes dans ses publications malgré ses origines. Il signe

ses premiers écrits sous le pseudonyme Dhey, nom qui apparaît également dans un premier

temps comme le narrateur de Mort de Dama (1931). En 1927 il ouvre un cabinet à Palma de

Mallorca, et peu après à la Clínica Peñaranda. De 1930 à 1934, il est secrétaire du Col·legi

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Oficial de Metges des Baléares mais il se rendra assez vite compte que la littérature est sa

passion.

En 1929 il se rend à Paris pour se spécialiser en Psychiatrie et Thérapeutique Physique. Il y

approfondit ses connaissances des écrits français, en étudiant entre autres les œuvres de

Marcel Proust et d’Anatole France. Avant 1936, Llorenç Villalonga se montre hostile à ses

origines en s'entourant de personnes étrangères à l'île et en écrivant en 1931 sous le

pseudonyme Dhey le roman Mort de Dama dans lequel il critique les intellectuels majorquins.

En 1934, il publie le recueil Centro en y exposant son penchant pour le fascisme. En 1936 il

s'affilie à la Falange Española en disant qu’il est las des attaques à Palma de la part des

républicains et répond ainsi à l’invitation de son ami phalangiste Josep Moragues i Montlau.

Son frère Miquel est l'un des chefs du mouvement fasciste à Majorque.

Malgré ces penchants politiques, Villalonga se dit tout de même libéral et provoque quelques

tensions. Il semblerait qu'il se soit limité à faire son travail de médecin au sein de la Falange

Española et à écrire quelques articles.

Le 19 novembre 1936, il épouse Teresa Gelabert et tous deux s’installent à Binissalem, à

Majorque ; village qui sera, entre autres, l'une des inspirations pour la création du Bearn de

son roman Bearn o La sala de les nines. L'écrivain y aurait changé son attitude politique et il

se voit très rapidement censuré. Malgré cela, il tente de publier encore en espagnol. La

deuxième édition de Mort de Dama adaptée au catalan d’Andorre, frustre l’auteur qui est un

amant des variantes dialectales. Cela le pousse à publier en 1956 Bearn o La sala de las

muñecas, après la non obtention des prix Nadal et Ciutat de Barcelona. Dès 1961, alors qu'il

publie Bearn o La sala de les nines en catalan, son écriture devient celle d'un écrivain en

langue catalane et plus autobiographique : L'àngel rebel (1961), Falses memòries de Salvador

Orlan (1967), Les Fures (1967) et El misantrop (1972).

Pendant les années 60, il enseigne la littérature des écrivains majorquins et se rapproche donc

à nouveau des es origines. Il publie également de nombreux articles dans la presse : Destino et

El Correo Catalán.

Il décède à Palma de Mallorca le 28 janvier 1980.

Nous avons vu à travers cette brève biographie et la bibliographie de l’auteur, que ce dernier

n’a jamais eu une relation simple avec la langue catalane et les Pays Catalans dont il était

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originaire. C’est à ce sujet que l’écrivain, le journaliste et le critique littéraire Baltasar Porcel

lui pose, en 1970, deux questions dans une interview :

Vostè, també, ha estat falangista? [Baltasar Porcel]

—T'acab de dir que hi ha moment en què s'ha d'elegir. Sa història des meu falangisme és

senzillíssima: jo som homo de matisos i en mil nou-cents trenta-sis em vaig trobar, de cop,

que no hi havia mitges tintes: o roigs o blaus. No vaig dubtar. I no perquè m'agradessin molt

els blaus, sinó perquè, a Catalunya, com mos ha recordat fa poc en Gafim, la FAI1 havia

posat un cartell que deia: “Prohibido hablar en catalán”.

—S'ha fet catalanista, ara? [Baltasar Porcel]

—No. Però es meu llinatge ve des llevant peninsular, on hi ha dos pobles anomenats

Villalonga: un, en es Principat; s'altre, a València. Sa meva família, tot i havent-hi hagut

militars, com mon pare mateix, ha parlat sempre sa nostra llengua. Tal volta m'hauria

convengut —no diré agradat— ésser castellà. I en castellà escric a vegades. (Porcel 1970,

35-40).

Que peut-on en dire en ce qui concerne Bearn ?

II. L’oeuvre

La première édition de cette œuvre est en espagnol : Bearn o La sala de las muñecas, écrite en

1956, mais elle passe pratiquement inaperçue. En 1961 le texte catalan Bearn o La sala de les

nines est publié par El Club dels Novel·listes et en 1963 Llorenç Villalonga se voit

récompensé par le Premi de la Crítica et une reconnaissance de la part des autres écrivains.

Son roman est alors traduit dans la plupart des langues européennes ainsi qu’en chinois et en

vietnamien.

Bearn fait un mythe des expériences de jeunesse de l’auteur ainsi que de la société majorquine

en pleine mutation, « el mite de Bearn » : « En la creación villalonguiana […] el novelista

vive en su propia mitología » (Dolç 1970, 11).

Villalonga a quant à lui écrit sur Bearn qu’il s’agissait d’un « retrat, o si voleu el poema de

Mallorca. D'una certa Mallorca, és clar: la meva » (Villalonga 1980, quatrième de couverture). 1 F.A.I. : Federación Anarquista Ibérica. Crée en 1927, la FAI est une organisation fondée à Valence.

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L’œuvre de Bearn a été écrite à la suite du mariage de Llorenç Villalonga, après l’entrée en

crise de ses relations avec le fascisme, juste avant qu'il ne se décide à l'écrire en catalan. Des

passages des œuvres précédentes y refont par ailleurs une apparition.

Afin de mieux comprendre la problématique de l’écriture de Bearn, un ouvrage donne de

nombreuses indications : « Bearn o la sala de les nines », de Llorenç Villalonga, de Pere

Rosselló Bover.

Professeur de littérature catalane à la Universitat de les Illes Balears, Pere Rosselló Bover est

bien placé pour éclairer les lecteurs sur ce mystère qui entoure la langue d’écriture du roman.

Et quant à la question de la langue ? Que se passe-t-il avec Bearn ?

III. Bearn… mais en quelle langue ?

Bearn fut édité en espagnol en 1956 chez la maison d'éditions Atlante, à Palma de Majorque.

Il semblerait, d'après l’écrivain Jaume Vidal Alcover, cité par Rosselló Bover, que Bearn

devait paraître en catalan chez l'Editorial Selecta dans un premier temps, mais Villalonga

aurait eu des différents avec les éditeurs à cause de modifications linguistiques. Il aurait alors

repris son œuvre à l'Editorial Selecta en jurant qu'il n'écrirait plus en catalan. Pour cela il

aurait traduit son œuvre en espagnol. Elle fut donc éditée à Palma et le prologue écrit par

Camilo José Cela fut nuancé par Villalonga lui-même avec une note antérieure au prologue.

Semblava, darrerament, mostrar una definitiva inclinació a expressar-se, com sembla més

coherent, en català. Però, mentre anava escrivint la seva última novel·la, es publicà a

Barcelona la tercera edició de Mort de dama. El català amb què aquest llibre venia escrit

resultà irreconeixible pel mateix autor. No en tenia, tanmateix, tota la culpa l'editorial

barcelonina. Les primeres edicions -fetes a Mallorca i supervisades per no sé quin mestre de

la Llengua- eren igualment deplorables. Serviren, això no obstant, de model a l'última. Entre

autor i editor es creuaren unes cartes, per tal de resoldre una mica la qüestió, que no feren

més que empitjorar-la. Hi havia, a més, el precedent de La novel·la de Palmira, on tampoc es

respectaven les formes dialectals, que l'autor hauria volgut intactes a la part dialogada. El

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criteri que se seguí, tant en l'un com en l'altre llibre, fou, més que rigorista, desorientat.

L'autor, cansat i enfadat, traduí la part del llibre que duia escrita i l'acabà en castellà. (UOC).

Malgré la plus grande expansion linguistique de la langue espagnole dans la Péninsule, son

roman en version espagnole ne dépassa pas les frontières de l'île de Majorque, contrairement à

l’œuvre catalane qui fut imprimée plusieurs fois : « La primera edició catalana d’aquesta

novel·la fou publicada pel Club dels Novel·listes2 amb el títol simple de Bearn, i se n’han fet

diverses reimpressions. Amb anterioritat, n’havia aparegut la traducció castellana3, la qual

passà pràcticament desapercebuda » (Villalonga 1980, 11).

Villalonga affirma toujours qu'il avait d'abord écrit Bearn en catalan puis traduit en espagnol.

Cependant, d'après Baltasar Porcel, comme il le dit suite au décès de l'auteur, Villalonga

aurait écrit l'œuvre en espagnol, puis l’aurait traduite en catalan après avoir rencontré

l’écrivain Joan Sales i Vallès. Ceci provoqua une grande polémique en 1983.

Jaume Vidal Alcover, qui lui s'était occupé de la première édition de Bearn pour la maison

d'éditions Atlante, affirme qu'il vit Villalonga écrire le livre en catalan, mais que

l’autotraduction vers l’espagnol fut presque immédiate à la fin de la rédaction en catalan :

« Villalonga va escriure Bearn en català i, just a punt d'acabar-la, per unes raons del tot

explicades en el lloc citat del meu llibre [Vidal Alcover 1980], la va traduir al castellà i en

castellà va escriure les poques pàgines que li faltaven per acabar-la » (Vidal Alcover 1983,

cité par Rosselló Bover 1993, 32).

Llorenç Villalonga écrit pour le prologue de Primera aportació a l'epistolari de Llorenç

Villalonga : « En 1956, un editor local publicó Bearn traducida al castellano en una reducida

edición que no obtuvo difusión alguna […]. Desde entonces […] la novelística del autor

enmudece hasta 1956 en que publicó, conforme hemos dicho, la versión castellana de Bearn,

novela que yo situaría entre las cinco mejores de la postguerra » (Villalonga et Pomar 1984,

22-23) où il parle lui-même de traduction et de version à l'espagnol, ce qui voudrait dire que

Bearn o La sala de les nines serait l'œuvre originale.

2 Barcelona, 1961. 3 Barcelona, 1956.

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IV. Le texte

Nous allons à présent analyser quelques extraits et la solution envisagée par le traducteur

français, afin de voir à partir de quel texte travaille ce dernier lorsque la situation est

problématique entre le texte source en catalan et l’autotraduction en espagnol.

Comme tout autotraducteur qui se respecte, Llorenç Villalonga n’hésite pas à supprimer des

éléments, du plus petit comme une virgule au plus conséquent comme un passage en entier.

En voici un exemple :

Una cosa que no et vull amagar és que en aquest plet moral sols podré admetre una solució

que no s'oposi a les darreres voluntats del senyor i que en cas de sorgir una divergència em

reserv el dret d'acudir fins a Roma. Si el mateix Papa em negava el consentiment, em veuria

forçat a acatar els seus designis: emperò, si això hagués de succeir, deman i esper de la

Misericòrdia Divina que la mort véngui abans a alliberar-me de les meves tribulacions.

(Villalonga 1980, 19).

Ce paragraphe est complètement absent dans la version espagnole. Qu’en est-il pour la

traduction française ?

D. Fernández –Recatalà a choisi de respecter la présence du paragraphe en question et de le

reporter dans son intégralité en français, en en conservant l’idée principale mais en l’exposant

avec de différents termes :

Une dernière observation : ne sois pas effrayé de voir consigner en ces pages quelques

frivolités et quelques crudités. Tu dois prendre conscience de ce qu’il m’a fallu représenter le

maître tel qu’il fut dans sa vie, et à partir du moment où je soumets sa figure au jugement de

l’Église, je ne peindrai jamais assez fidèlement la réalité des faits, encore qu’au-delà de

toutes les incompréhensions imaginables, il reste Dieu, qui incarne la compréhension infinie.

(Villalonga 1986, 20).

Ainsi, le traducteur semble avoir considéré que l’œuvre source était la version en catalan,

puisque s’il s’était inspiré de la version espagnole il n’aurait pas traduit un paragraphe

inexistant.

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Parfois le traducteur peut ne pas supprimer ou rajouter un élément, mais avoir recours à ce

que nous appelons substitution, qu’elle soit majeure ou mineure et qui peut dans tous les cas

changer le sens de l’énoncé : « […] a un enfony del meu lligador, entre dues posts, hi ha dos

mil duros que el senyor em donà fa cosa de mig any [...] » (Villalonga, 1980, 16) a été traduit

en espagnol par « […] en un escondrijo de mi cuarto, lleno de papeles y trastos viejos,

guardo mil quinientos duros que el señor me entregó hace cosa de medio año [...] »

(Villalonga 1984, 8).

Dans le texte source, il s’agit de la somme de 2.000 « duros » alors que dans la version

espagnole on trouve une autre somme, soit 1.500 « duros ». Il s’agit donc d’une substitution

majeure. Soit Villalonga a décidé volontairement de changer le montant donné dans le texte

de départ, soit il s’agit d’une confusion lors de l’auto-traduction. Un autre élément attire notre

attention : « entre dues posts »4 devient en espagnol « lleno de papeles y trastos viejos ». Nous

avons en catalan une description spatiale d’où se trouve l’argent, alors qu’en espagnol l’auteur

nous propose une description de l’état dans lequel se trouve la zone décrite.

Dans la version française, nous trouvons à nouveau un rapprochement avec le texte catalan :

« […] dans une cachette de mon cagibi, entre deux étagères, se trouvent deux mille duros

que le maître m'a remis il fait près de six mois [...] » (Villalonga 1986, 16). En effet, « entre

dues posts » est rendu par « entre deux étagères » qui est son équivalent exact et la quantité

monétaire est elle aussi conservée.

En ce qui concerne « mig any » et « medio año », le traducteur en langue française a choisi

« six mois », qui convient sans doute mieux que par exemple « demi-année » qui ne se dira

pas en français.

Un deuxième exemple de cette situation linguistique serait celui-ci : « Els nebots arribaren

trenta-vuit hores després de la desgràcia […] » (Villalonga 1980, 15) traduit par « Los

sobrinos llegaron un día y medio después de la desgracia [...] » (Villalonga 1984, 7).

Alors qu'en catalan l’auteur évoque « trenta-vuit hores », nous trouvons dans la version

espagnole « un día y medio », soit 36 heures, donc deux de moins que celles écrites dans le

4 « Post » étant un objet en bois, ici une étagère.

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texte initial. A deux heures près, nous pourrions dire que cela n'est pas uns substitution

majeure ayant une incidence grave sur le sens de la phrase, mais pourquoi avoir modifié le

texte ? Peut-être Villalonga a-t-il tout simplement « arrondi » : « un día y medio » passe

probablement mieux que « treinta y ocho horas », il se peut que cela semble plus littéraire et

moins cartésien. Si nous nous intéressons désormais à ce que propose le texte français, nous

trouvons : « Les neveux arrivèrent trente-huit heures après le malheur [...] » (Villalonga

1986, 16), soit la même chose qu’en catalan. Le traducteur aurait tout aussi bien pu consulter

le texte espagnol et choisir d'alléger ce qui pouvait sembler plus « lourd » -mais plus précis-, à

savoir les « trenta-vuit hores ».

Les chiffres font sans doute partie des éléments dont la traduction ne pose jamais aucun

problème puisque les chiffres sont les mêmes dans toutes les langues. Bien que ces

changements d’unités chez Villalonga semblent surprenants, les situations dans lesquelles

l’auteur se permet justement de les modifier ne manquent pas dans son œuvre : « Jo mateix,

encarregat de guardar la casa, no dispòs d'una hora seguida [...] » (Villalonga 1980, 15)

traduit par « Yo mismo no disponía de dos horas seguidas [...] » (Villalonga 1984, 7).

Dans le texte en catalan, les deux virgules permettent d'introduire un énoncé précisant le rôle

du narrateur omniscient : « encarregat de guardar la casa ». Ce détail a été supprimé dans

l’auto-traduction, censurant ainsi la justification de l’emploi du temps chargé du maître de

maison.

D'autre part nous avons en catalan « una hora » et en espagnol « dos horas », nous passons du

simple au double, mais cela ne change apparemment rien au sens profond du discours. L’idée

que le narrateur est très occupé et n’a pas de temps pour lui est conservée.

En français, encore une fois, le traducteur respecte le premier choix d’écriture de Villalonga :

« Moi-même, chargé de garder la maison, je ne dispose pas d’une heure d’affilée […] »

(Villalonga 1986, 15).

Nous proposons pour finir quelques autres citations illustrant l’adaptation du texte source par

l’auto-traducteur.

Premier exemple : « […], com aniràs veient. Perquè, morts els senyors, tu éts l'única

persona que estim de cor i en qui puc confiar en les meves dificultats i tribulacions.

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Necessit exposar-te un cas de consciència. Pensa-ho […] (que, t'ho avís, et contorbaran i et

faran perdre la tranquil·litat) és cert que […] sense passar endavant » (Villalonga 1980, 16)

traduit par « […], como irás viendo. En el manuscrito adjunto he intentado exponer un caso

de conciencia. Piénsalo […] (que, te lo advierto, te conturbarán), estoy seguro que […] antes

de pasar adelante » (Villalonga 1984, 8).

Nous pouvons remarquer ici que Villalonga a choisi de ne pas traduire en espagnol la phrase

surlignée en gras dans l’extrait en catalan. Dans la phrase suivant le catalan « necessit » est

sans aucun doute plus fort que « he intentado » et a une autre valeur temporelle. Enfin, ce qui

en catalan était rajouté à la fin des parenthèses « i et faran perdre la tranquil.litat » disparaît en

espagnol. Le texte espagnol apparaît ici donc comme moins précis et plus généralisateur.

Deuxième exemple : « No podré oblidar mai […] » (Villalonga 1980, 16) rendu par « Siempre

recordaré […] » (Villalonga 1984, 8).

Dans ce cas la même idée est rendue et le même temps verbal est employé, cependant de deux

façons différentes : en catalan l’auteur a employé une double forme négative « no […] mai »

et la forme verbale « podré oblidar » alors qu’en espagnol nous avons les antonymes de

« podré oblidar » et de « mai » qui sont « siempre » et « recordaré ».

Troisième exemple : « He de reconèixer que el mòbil de la meva narració […] » (Villalonga

1980, 17) traduit par « He de reconocer, y así habremos de manifestarlo al señor Cardenal,

que el móvil de la exposición [...] » (Villalonga 1984, 9).

Contrairement au premier exemple, cas où le catalan était plus explicite que l’espagnol et la

version espagnole simplifiait le texte source, nous avons ici une explicitation en espagnol « y

así habremos de manifestarlo al señor Cardenal ».

Quatrième exemple : « […] amb un automòbil elèctric que ja ha mort dues ovelles »

(Villalonga 1980, 18) rendu par « […] con un automóvil eléctrico que corre como desbocado

y que ha matado ya dos ovejas » (Villalonga, 1984, 10).

Comme dans l’exemple précédent, l’espagnol est plus explicite que le catalan avec « que

corre como desbocado » qui explique la mort des deux animaux. En effet, dans la version

catalane, le lecteur ne peut pas être certain de ce qui a pu provoquer la mort des deux brebis :

s’agit-il d’un accident ou d’un fait volontaire ? La version espagnole répond à cette question.

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Conclusion

Il semblerait, d’après ce que nous avons montré dans cet exposé, que le texte source de

Villalonga soit celui en catalan. Certains doutent encore de cette version des faits, mais il se

pourrait pourtant qu’elle soit correcte si l’on observe par exemple le comportement des

traducteurs qui n’hésitent pas à consulter l’œuvre en catalan avant de rédiger leur travail.

Nous avons pu illustrer à travers les quelques extraits montrés que Villalonga n’hésite pas à

expliciter ou abréger son texte catalan lorsqu’il passe à l’espagnol, ce qui semble prouver

encore une fois la version d’une auto-traduction allant du catalan vers l’espagnol. Pour une

plus ample étude il faudrait éventuellement analyser les traductions dans d’autres langues

encore, sachant que les traducteurs peuvent tout aussi bien avoir consulté les deux versions.

Cependant une question se pose encore et toujours : comment savoir dans quel sens vont les

modifications ? Du catalan vers l’espagnol ou de l’espagnol vers le catalan ?

Bibliographie

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reacción », Novedades de la vida literaria, La Vanguardia española, p. 11.

Porcel, Baltasar (1970), « Llorenç Villalonga, com el lluç », Serra d’Or, n° 127, Barcelona,

any XII, p. 35-40.

Rosselló Bover, Pere (1993), “Bearn o la sala de les nines”, de Llorenç Villalonga,

Barcelona, Editorial Empúries.

UOC, Actualitat literària sobre Bearn o la sala de les nines de Llorenç Villalonga a LletrA, la

literatura catalana a internet de la Universitat Oberta de Catalunya,

http://lletra.uoc.edu/ca/obra/bearn-o-la-sala-de-les-nines-1956

Vidal Alcover, Jaume (1980), Llorenç Villalonga i la seva obra, Barcelona, Curial.

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Vidal Alcover, Jaume (6-IV-1983), Avui.

Villalonga, Llorenç (1980), Bearn o La sala de les nines, Barcelona, Edicions 62.

Villalonga, Lorenzo (1984), Bearn o La sala de las muñecas, Barcelona, Seix Barral.

Villalonga, Llorenç (1986), Béarn ou Le cabinet des poupées de cire (trad. Denis Fernández-

Recatalà), Paris, Acropole.

Villalonga, Llorenç/ Pomar, Jaume (1984), Primera aportació a l’espistolari de Llorenç

Villalonga, Mallorca, Antiga Imprenta Soler, Ciutat de Mallorca.