Assemblages diagnostiques du syndrome X fragile: gène, symptômes et biosocialité [Diagnostic...

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UNIVERSITE DE LAUSANNE FACULTE DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES SESSION DE JUILLET 2003 ASSEMBLAGES DIAGNOSTIQUES DU SYNDROME X FRAGILE : GENE, SYMPTOMES ET ‘BIOSOCIALITE’ Mémoire en sciences sociales Présenté par Vincent Pidoux Directeur : Francesco Panese

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UNIVERSITE DE LAUSANNEFACULTE DES SCIENCES SOCIALESET POLITIQUES SESSION DE JUILLET 2003

ASSEMBLAGES DIAGNOSTIQUES DU SYNDROME X FRAGILE :GENE, SYMPTOMES ET ‘BIOSOCIALITE’

Mémoire en sciences sociales

Présenté par Vincent Pidoux

Directeur : Francesco Panese

I. INTRODUCTION……………………………………………………………………………….

1. Différences et multiplicité……………………………………………………………………..2. Assemblages…………………………………………………………………………………...

II. TERRAIN ET PRINCIPES METHODOLOGIQUES…………………………………………

III. LE SYNDROME X FRAGILE………………………………………………………………..

1. Un gène et des symptômes…………………………………………………………………….2. Test de laboratoire et conseil génétique……………………………………………………….3. Syndrome de Martin-Bell et syndrome X fragile : quelques repères historiques……………..4. Sa place dans le spectre nosologique………………………………………………………….

IV. LE LABORATOIRE. LIEU DE (RE)PRODUCTION ET DE LISIBILITE DU “GENE PATHOLOGIQUE”…………………………………………………………………………...

1. Connaissance et travail des formes vitales…………………………………………………….2. Inscriptions et inscripteurs : les « appareils font le travail »…………………………………..3. Résultat et interprétation : maîtrise du doute et construction d’évidence……………………..4. Laboratoire et clinique : quels liens ?………………………………………………………….

V. LA CLINIQUE. ARBRES, SIGNES ET CLASSIFICATIONS……………………………….

1. Introduction……………………………………………………………………………………2. La génétique médicale entre clinique et laboratoire…………………………………………...3. Diagnostic et suivi pédiatriques : le X fragile, une cause superflue ?………………………...4. De la maladie au handicap…………………………………………………………………….

VI. LES « ENFANTS X FRAGILE », LES PARENTS ET LEUR ORGANISATION : PRATIQUES, IDENTITES ET BIOSOCIALITE…………………………………………….

1. X fragile et syndrome………………………………………………………………………….2. Des parents acteurs et mobilisateurs de sens : famille, parenté et identités…………………...3. Associations et groupes de soutien ou l’émergence d’une nouvelle socialité…………………

3.1 Formes vitales, génétique et famille………………………………………….………..3.2 Vie pratique et “compétences du quotidien”………………………………….……….3.3 Présence biomédicale et normalisation……………………………………….………..3.4 Les associations de parents. Identités individuelles et collectives, recherche et

politique………………………………………………………………………………..4. Conclusion……………………………………………………………………………………..

VII. CONCLUSION……………………………………………………………………………….

Références………………………………………………………………………………………….Annexe……………………………………………………………………………………………..

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I. INTRODUCTION

Comme chaque jour de la semaine, F., docteur en biologie, se rend à son laboratoirede diagnostic moléculaire. Ce mercredi matin, elle sort du four à hybridation lamembrane de nylon qui a tourné toute la nuit dans le tambour et sur laquelle lapréparation de 50 microlitres de solution contenant les sondes radioactives,l’amorce, l’enzyme de restriction et le liquide tampon s’est fixée. Ce qui préoccupeF., c’est la qualité du résultat de l’hybridation. Avant de s’en assurer, elle lave lamembrane avec un liquide permettant d’évacuer les éventuels résidus pour évitertout bruit de fond qui gênerait la lecture finale. Pour le moment, on ne voit rien surla membrane, pas de trace, pas d’indication. Pour ça, elle devra attendre vendredi.Elle prévoit que la membrane sera sèche cet après-midi ; elle pourra ainsi l’exposersur un négatif photo. Elle sait que la semaine prochaine, l’exposition sera bonne etpourra être interprétée. Les résultats du test seront retranscrits sous forme de rapportet transmis au médecin demandeur. Mais pour l’instant, elle dispose de peu detemps. Elle doit suivre, avec l’aide de son seul laborantin, une demande lourde quiafflue dans son laboratoire de diagnostic moléculaire. Elle a trois digestionsenzymatiques à terminer au plus vite car un autre test l’attend.

C., jeune mère, s’affaire dans son appartement. Elle attend nerveusement un appeltéléphonique et ressasse les souvenirs heureux de la grossesse qu’elle a mis à termevoilà deux ans pour son second enfant et se rappelle de quelle manière elle avaitperçu, comme mue par un instinct maternel déjà si sensible à la première vue de sonfils, que quelque chose n’allait pas chez lui, sur lui, dans lui. Quelque chosed’indescriptible, une sensation, un doute impalpable, une appréhension. La sonneriedu téléphone la tire soudain de ses pensées. C’est la psychologue de l’unité dedéveloppement du CHUV qui a une nouvelle à lui annoncer. On veut la voir au plusvite. La mère reste confiante ; après un test négatif du syndrome de Down et unbilan de développement peu encourageant mais non alarmant, elle voit mal queltrouble pourrait avoir son fils. Le test livrera pourtant un résultat positif. Résultatqui soude le sort de son fils et le sien à un terme, “ syndrome ”, une lettre, un X etson qualificatif : “ fragile ”. Le fils est porteur d’une mutation d’un gène transmisepar sa mère qui est la cause de son retard mental. Aucun pronostic précis ne peutêtre apporté à son état mental et physique, à ses futures capacités et limites.

Le Dr J., pédiatre qui consulte à Lausanne, a débuté sa journée par la rencontre deparents inquiétés par l’état général de leur enfant de 3 ans qui manifeste certainsretards soulignés par la quasi obsédante comparaison quotidienne entre leur fils etd’autres enfants de son âge de leur part et de celle de parents amis. Il s’exprimemal, présente manifestement un retard dans la capacité à se mouvoir et de fréquentsmanques d’attention et de concentration l’empêchent de se consacrer pleinement ettranquillement à des jeux de son âge. Les parents avouent être passés par l’unité dedéveloppement du CHUV, il y a une année, pour un bilan du développement sansgrande surprise : l’enfant ne présentait pas de retard significatif. Après un entretienavec les parents et un examen clinique de l’enfant, le Dr J. constate effectivement

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une série de ce qui pourrait être des troubles neurologiques mineurs. Il proposed’investiguer son apparent trouble en recourant à des examens complémentaires,tels que certains tests de la cognition et d’autres examens de sensibilité et demotricité. Au besoin, précise-t-il aux parents, il pourra préconiser de voir unspécialiste en lien avec le symptôme majeur présenté, pour pouvoir préciser lanature du trouble. Le médecin n’écarte pas non plus la possibilité de déléguerl’investigation à un médecin spécialiste en génétique, bien qu’il estime que tropd’éléments manquent pour pouvoir se rendre sur la voie génétique. Il doit toutd’abord poursuivre son investigation en se penchant sur l’histoire des maladiessurvenues dans la famille de l’enfant.

Une jeune maman, nord-américaine, s’est inscrite sur la liste d’un forum de soutienet d’information dédié au syndrome X fragile et propose dans un message adresséautomatiquement à tous ses adhérents de bien vouloir se mobiliser à l’instar de safamille qui n’hésite pas à organiser des ventes de charité, une pièce de théâtre pourles gens de sa ville, ou à lancer des demandes de dons dans le MacDonald du coin,toujours dans le but de rassembler de l’argent, qui sera reversé à la Fondation pourla recherche sur le syndrome X fragile. Elle suit régulièrement et avec un grandintérêt, tous les développements de la recherche scientifique qui touchent de près lesyndrome dont est atteint son fils de 6 ans, avec l’espoir toujours renouvelé qu’unethérapie voie le jour. Ses sources d’information sont Internet en premier lieu, àtravers le forum notamment, où ponctuellement circulent des comptes rendus detelle ou telle recherche. Elle reçoit également quatre fois par année la lettred’information de la Fondation qui gère les fonds réunis destinés à la recherchebiomédicale. Cette publication fait état des “ major research advances ” et consacreune large part à la description des équipes de chercheurs subventionnés ainsi qu’àl’annonce des futures rencontres scientifiques et mondaines (gala, bal de charitéavec guest star…).

Les quatre tableaux, récits de quatre vécus au quotidien, ont en commun une chose :un gène ; que l’on tente de reconnaître dans un échantillon de sang, dont ondécouvre l’existence de sa mutation et les conséquences plus ou moins lourdes chezses enfants, dont on cherche à endiguer les effets cliniques d’ordre comportemental,psychomoteur ou verbal. Il mobilise également des familles, des gens de bonnevolonté qui détiennent un certain pouvoir d’action et de décision, par exemple àtravers le fonds qu’ils ont mis sur pied, dédié à la recherche visant à développer unethérapie. Certaines familles et parents, réunis en association, peuvent choisir derétribuer telle ou telle équipe de scientifiques et jouent ainsi un rôle central dans ladétermination de ce qui leur est pertinent et ce qui est viable financièrement : à laclé le montant promis, attribué à l’équipe qui saura le mieux convaincre les parentsdécideurs tout autant que la communauté scientifique du bien fondé de leur projet.Ce gène est le gène FMR-1 (pour Fragile X Mental Retardation 1), responsable dusyndrome X fragile, avec sa mutation et son mode de transmission particuliers. Ilest, à l’instar du gène de la dystrophie musculaire de Duchenne, comme l’indiquentRabeharisoa et Callon dans leur ouvrage consacré à l’AFM, “ un lien qui réunit tousces groupes, pourtant si différents. Il est plus qu’une référence commune, il est ce

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qu’ils partagent, ce qu’ils ont en commun, ce qui fait que leurs identités, leursactivités sont irrémédiablement dépendantes les unes des autres, arrimées les unsaux autres ” (Rabeharisoa, Callon, 1999 : 177). En d’autres termes, il “ tisse le liensocial, il devient un opérateur de solidarité puissant et original ” (ibid.). Ce gène estaussi “ un puissant opérateur de traduction qui participe à la constitution d’undiscours partagé, compréhensible par tous malgré sa technicité. Il est également unformidable démultiplicateur de présence, opérateur d’ubiquité. Les malades sont,par gènes interposés, dans les laboratoires des chercheurs et dans les protocoles dediagnostic par ADN ” (ibid.). Un gène qui est en même temps cause organique dumalheur et de la maladie, “ the key symbol, the embodiment of fate, the evil locus ”et “ the site of hope ” (Rabinow, 1999 : 39).

Le constat que nous livrent Rabeharisoa et Callon à la fin de leur ouvrage qui dresseun portrait fouillé de l’AFM et de son organisation en réseau créateur de formesoriginales d’apprentissages mutuels et de coopérations fructueuses et inédites, nousle prendrons comme point de départ de notre travail. Il nous paraît clair que le gènedont il sera question est au centre de la formation de tissu social entre les acteurs,mais nous voulons montrer en quoi il est cela et en quoi il pourrait aussi être autrechose ; quelque chose de plus, de complémentaire, de différent, dans sa formeorganique même et donc dans ce qu’il “implique” et ce qu’il produit dans lesespaces de son intelligibilité.

1. Différences et multiplicité

Un autre point de départ, celui de l’argument du livre de Berg et Mol (1998) estaussi le nôtre : “ medicine is not a coherent whole. It is not a unity. It is, rather, anamalgam of thoughts, a mixture of habits, an assemblage of techniques. Medicine isa heterogeneous coalition of ways of handling bodies, studying pictures, makingnumbers, conducting conversations. Wherever you look, in hospitals, in clinics, inlaboratories, in general practitioners’ offices - there is multiplicity. There ismultiplicity even inside medicine’s biomedical “core” ” (Berg, Mol : 1998 : 3).

Dans ce sens, Canguilhelm souligne également la multiplicité de la médecine, dansson article sur la puissance et les limites de sa rationalité : “ la médecine n’est-ellepas perçue comme science à l'I.N.S.E.R.M., au C.N.R.S., à l'Institut Pasteur, commepratique et technique dans un service hospitalier de réanimation, comme objet deconsommation et éventuellement de réclamations, dans les bureaux de la SécuritéSociale, et comme tout cela à la fois dans un Laboratoire de produitspharmaceutiques  ? ” (1983 : 398). Cependant plus que de perceptions différentesde la médecine, c’est de pratiques différentes de la médecine qu’il s’agit, de lamédecine même. Elle est tout ce que décrivent Berg et Mol et Canguilhem. Ellel’est tour à tour ou simultanément, dans le même lieu ou dans des lieux différents.Quant à la “ profession médicale ” qu’une certaine tradition en sociologie de lamédecine a utilisé en tant qu’unité d’analyse et a présenté comme une entitéhomogène, elle n’est pas moins multiple que la médecine elle-même. Notre travaill’attestera.

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Comme le fait pertinemment remarquer Anne Kerr dans son article consacré à lafibrose cystique et aux liens qu’elle entretient avec l’infertilité masculine :

“ Few social analyses of genetics consider how genes and mutations are identified,explanations developped, tests deployed, and research and clinical practices entwined. Thedifferent ways in which scientists interpret evidence and construct facts, and how they dealwith these differences, also remain hidden. This is particularly true of established diseases,with apparently stable explanations and descriptions - as opposed to more controversialdeficiences, such as those studied by behavioral geneticists. […] The assumptions andevidence involved in the genetic explanation for single-gene Mendelian diseases […] tendnot to be questioned ” (Kerr, 2000 : 848).

Anne Kerr aborde dans son article ces points dont elle déplore l’absence dans denombreuses études sociales de la génétique et de la médecine. Nous voudrions fairede même avec une maladie génétique que l’on pourrait décrire comme “ établie ”,bien que ce ne fût longtemps pas le cas. Nous le verrons en détail dans le troisièmechapitre : la maladie retenue entre dans la catégorie des maladies à gène simple,mais son hérédité n’est pas mendélienne, c’est-à-dire liée aux lois classiques dedominance et de récessivité des gènes. En outre, notre objet d’étude n’a rien despectaculaire, n’est pas traversé de controverses flagrantes qui perdureraient. Demême, il ne sera pas question de figures centrales de chercheurs ou de personnagesscientifiques dont il faudrait comprendre le parcours pour mieux saisir les enjeux dela maladie. Nous suivrons une maladie génétique dans les différents lieux et auxdifférents moments de sa “production”. Maladie génétique dont le diagnosticgénétique n’est pas le seul, d’où l’idée d’assemblages diagnostiques, que nousallons préciser.

2. Assemblages

Notre travail abordera tant les aspects techniques et matériels de la maladie et deson diagnostic que les aspects “côté patients” (maladie vécue, univers de sens et devaleur, socialité), ce que beaucoup d’études se consacrant aux premiers rechignent àaborder ou ne traitent que superficiellement, sans chercher les liens entre ceux-ci etceux-là. Nous pensons au contraire, à la suite de Canguilhem, qu’“ il est impossibled’annuler dans l’objectivité du savoir médical la subjectivité de l’expérience vécuedu malade ” (Canguilhem, 1983 : 409).

Nous avons retenu puis écarté la notion de topographie (Mol, 1995) comme outilpermettant de rendre compte de ces aspects-là et de leurs liens. Elle s’avère être enfait une métaphore géographique d’utilisation difficile et sujette à des controversesinternes à la discipline même qui l’a introduite. Elle nous semblait à première vuepouvoir exprimer l’idée de lieux où se produisent et s’articulent des trajectoires, à lafois de diagnostics et de prises en charge. C’est sans doute le cas. Cependant, si latopographie contient les notions de lieu et de trajectoire et “ se propose decartographier la coexistence ” (A. Mol, 1995 : 286), elle ne permet pas pour autantde faire figurer dans un même terme le matériel et l’idéel, l’épistémique etl’axiologique et de les articuler. Ce que la notion d’assemblage fait, selon nous.

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Pourquoi “ assemblage ” ? Son sens est à chercher dans ce qu’en a dit Rabinow,notamment dans son livre sur l’ “ ADN français ” (1999). Selon lui, “ what we areconfronted with is less a matter of “belief” or epochal change than of an altered setof elements (some new, some old) and their configuration in practice ” (Rabinow,1999 : 11). Et d’ajouter : “ what is at issue today are assemblages in the process ofre-formation, ones that seek to bring together health and identity, wealth andsovereignity, knowledge and values ” (Rabinow, 1999 : 12 ; nous soulignons).“ Consequently, poursuit-il, we are witnessing, and engaged in, contestations overhow technologies of (social and bodily) recombination are to be aligned withtechnologies of signification ” (ibid.). Les questions qui se posent dès lors sont :“ what forms are emerging ? What practices are embedding and embodyingthem ? ” (ibid. Nous soulignons). Plus loin dans son ouvrage, Rabinow livre unélément qui précise le mécanisme de l’émergence de ces nouvelles formes :

“ From time to time, and always in time, new forms emerge that catalyze previouslyexisting actors, things, temporalities, or spatialities into a new mode of existence, a newassemblage, one that makes things work in a different manner and produces and instantiatesnew capacities. A form/event makes many other things more or less suddenly conceivable ”(Rabinow, 1999 : 180).

Ces nouveaux assemblages incluent des trajectoires, des itinéraires personnels,biographiques. Ils incluent également de nouveaux savoirs qui s’approprient etredéfinissent à la fois la vie organique et la “vie vécue” et soumettent lestrajectoires individuelles, les maladies vécues à l’épreuve de leur force dominatriceépaulée par les techniques, l’Etat et la possibilité même d’intervenir sur le vivant,de le modifier. Si ces assemblages émergent de nouvelles formes, il fauteffectivement se demander quelles sont ces formes et de quelle manière ellespeuvent lier le sens, le social et le biologique. C’est ce que nous tenterons de faireau niveau de la production du diagnostic d’une maladie génétique.

Pourquoi “ assemblage diagnostique ” ? Le deuxième terme est à prendre en tantqu’adjectif qui qualifie le premier et en tant que dérivé du nom (donc “ relatif audiagnostic ”). Dans le premier cas, le petit Robert nous dit : “ qui permet dedéterminer une maladie ”, comme on le dirait d’un signe. Le terme vient du grecdiagnôstikos, “ apte à discerner ”. Ce qui signifie que les assemblages dont il seraquestion dans notre travail devraient permettre le discernement d’une maladie, celledu X fragile. D’autre part, les assemblages en question sont liés au diagnostic. Ilssont des assemblages de diagnostics de diverses “origines” avec leur pertinence,donc leurs évidences, leurs connaissances et re-connaissances de ce qui sera réunisous le nom d’une maladie. Ainsi pourrait-on parler d’assemblage d’assemblagesvisant à la connaissance et au discernement mais aussi à l’action, à une prise encharge quelle que soit la maladie, incurable ou non, génétique ou non. Le diagnosticest avant tout une pratique ou plutôt un ensemble de pratiques qui se fait au traverset au moyen d’objets matériels et abstraits, d’institutions, de techniques et desavoirs. C’est aussi une histoire d’un patient, un itinéraire de douleur, d’anxiété, dedoutes. Le diagnostic s’inscrit dans la durée et dans l’espace : “ even thoughindividual patients are diagnosed within local settings, diagnostic decisions are notsimply local events, since […] treating patients requires continuity across time and

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space ” (Keating & Cambrosio, 2000a : 106). Si c’est effectivement le cas dusyndrome X fragile, il faut cependant d’ores et déjà noter qu’il n’est pas question detraitement en vue d’une guérison. On ne peut en effet soigner les causes, maiséventuellement les manifestations cliniques corrélées à la cause génétique.

Le diagnostic contient le visage du futur, il n’est pas un moment unique qui sonnele glas de l’ignorance pour laisser place à une connaissance exhaustive de lamaladie qui dictera le mode d’intervention thérapeutique. Il est un processus, voireun ensemble de processus, qui contient en lui les possibilités de la prise en charge.Faire la genèse du diagnostic, c’est faire la genèse des prises en charge qui endécoulent. Aborder des diagnostics et leurs assemblages, leurs modes d’inscription,de classification et d’interprétation n’implique donc nullement de ne parler que desdiagnostics, mais au contraire de les traiter dans leur extension, à savoir dans cequ’ils sont intrinsèquement et en puissance. C’est pourquoi nous allons nousattarder sur les formes organiques qu’ils réunissent et qui les rendent possibles,ainsi que sur les formes de vie, la socialité qu’ils dessinent et qui les dessine enquelques espaces de discours - au sens que Foucault lui donne : “ une violence quenous faisons aux choses, en tout cas […] une pratique que nous leur imposons1

(1971 : 55) - choisis parmi une multitude que le cadre de notre travail ne nouspermet pas d’aborder de manière exhaustive. Nous avons donc fait un choix detraiter tel “ lieu pratiqué ” (de Certeau, 1990 : 173) plutôt qu’un autre, en fonctionde ce qui a été possible de réaliser comme ethnographie du syndrome X fragile àLausanne principalement, avec les contraintes que l’on connaît (au niveaunotamment de l’accessibilité des informateurs). En d’autres termes, tout a été fait etconduit avec les moyens qu’on a consenti à nous laisser prendre.Il s’agit de l’espace2 de la clinique (celui du pédiatre et du médecin généticien), dulaboratoire et de l’organisation des parents d’enfants atteints du syndrome X fragileen associations et groupes de soutien. Ces trois espaces s’étendent sur le “ spectredu diagnostic ” (Mol, 2000 : 84). Parmi eux, on trouve les pratiques des non-médecins, non-professionnels de la santé et non-scientifiques, puisqu’ellesparticipent aux assemblages. Pas question donc de s’enfermer dans une dichotomiequi met certains acteurs du côté de l’ignorance et de la passivité et en placentd’autres du côté de la connaissance et de l’action. La démarche et les outilsconceptuels retenus pour mener à bien notre travail mettent en exergue un modèlede la négociation - dont notre terrain devrait préciser la forme - voire de laconfrontation, de l’échange et de la coexistence. Ce qui est particulièrement vraipour la notion d’“ objet-frontière ” de Star et Griesemer (1989) dont nous feronsusage. D’autre part, ils visent à ne pas réduire “ the debate to the presence ofdifferent social worlds or professional segments, each characterized by a distinctiveshared identity ” (Keating et Cambrosio, 2000b : 340)3. 1 On peut lire également que “ les discours doivent être traités comme des pratiques discontinues,qui se croisent, se jouxtent parfois, mais aussi bien s’ignorent ou s’excluent ” (Foucault, 1971 : 54-55).2 “ L’espace est un lieu pratiqué ”, nous dit de Certeau, livrant l’exemple de la rue qui,“ géométriquement définie par un urbanisme est transformée en espace par des marcheurs ” et de lalecture qui est “ l’espace produit par la pratique du lieu que constitue un système de signes - unécrit ” (1990 : 173).3 Star et Griesemer parlent eux de “ social worlds ” sans pour autant axer leur attention sur desmondes professionnels différents. Au contraire ils insistent sur l’existence d’une série “ of very

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C’est donc à l’aide notamment de la notion de “ biosocialité ” (Rabinow), d’unedistinction centrale entre “ mode d’intelligibilité ” et “ registre de pertinence ” et àpartir du postulat d’une reconfiguration des rapports entre registres de la vie, c’est-à-dire entre bios et zôê, - la “vie vécue” et le “ simple fait de vivre ” (Agamben,1997 : 9) ou “ vie nue4 ” - entre des formes de vie et des formes vitales que nousvoulons cerner ces assemblages biomédicaux multiples dans et autour d’unemaladie spécifique ou plutôt d’un syndrome : celui du X fragile.

Ces notions invitent à se centrer avant tout sur l’analyse de pratiques, de dispositifset de discours. En effet, l’objet-frontière ne fait pas appel à des “ représentations ”dont certains sociologues et psychosociologues sont friands. Il met en scène desobjets tant concrets qu’abstraits. Star et Griesemer le décrivent de la manièresuivante :

“ These objects […] both inhabit several intersecting social worlds and satisfy theinformational requirements of each of them. Boundary objects are objects which are bothplastic enough to adapt to local needs and the constraints of the several parties employingthem, yet robust enough to maintain a common identity across sites. They are weaklystructured in common use, and become strongly structured in individual use.[…]. Theyhave different meanings in different social worlds but their structure is common enough tomore than one world to make them recognizable […] (Star et Griesemer, 1989 : 393).

Les deux notions de “ modes d’intelligibilité ” et de “ registres de pertinence ” seconjuguent quant à elles au travers de matérialités et de pratiques effectives quifondent des regards, des “grilles de lecture”. Le terme de registre de pertinenceintroduit également la notion de signification, de sens partagé.

La vie et le vivant “finissent” de tisser des liens entre le matériel et la signification.Le vivant est avant tout porteur du sens que des regards “formés aux biomédecines”et leurs dispositifs lui attribuent, sens historiquement fondé comme dominant. Lavie et ses formes se remplissent du sens des expériences propres et de l’expériencedu vivant, de la maladie vécue qui nous rappelle dans l’ordre de la souffrance, doncdu charnel. À ce propos, nous avons évoqué sans l’expliciter les termes de formesvitales, de vie organique, de formes de vie et de “vie vécue”. Ces distinctionsrejoignent ce qu’a écrit Giorgio Agamben à propos du double registre de la vie,celui de la bios et et de la zôê que l’on retrouve dans l’Antiquité et dont il montreles réarticulations inédites du XXème siècle, apparues avec ce que Foucault anommé la “ biopolitique ”. Il écrit : “ l’introduction de la zôê dans la sphère de la different visions stemming from the intersection of participating social worlds ” (1989 : 396). Quiinclut, en ce qui les concerne, “ amateur naturalists, professional biologists, the general public,philanthropists, conservationists, university administrators, preparators and taxidermists, and eventhe animals which became the research specimens ” (ibid.). Nous listerons également les acteurs enprésence, cependant nous ne chercherons pas à décrire spécifiquement leurs “visions“ mais bienplutôt leurs pratiques et savoirs. C’est pourquoi nous adopterons non pas la notion de mondessociaux introduite en 1978 par A. Strauss mais celle de community of practice (de Lave et Wenger),semblable mais permettant d’insister, à dessein, sur la notion de pratique et donc d’inclure danscelle-ci les activités liées et issues de la “vie organique”. Nous aurons l’occasion de constater que lacommunauté est multiple, une “non-entité”, perméable, ouverte, aux frontières mouvantes.4 Le terme est de Walter Benjamin, il est repris par Agamben.

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polis, la politisation de la vie nue comme telle, constitue l’événement décisif de lamodernité et marque une transformation radicale des catégories politico-philosophiques de la pensée classique ” (Agamben, 1997 : 12). Agamben préciseque “ l’espace de la vie nue, situé à l’origine en marge de l’organisation politique,finit progressivement par coïncider avec l’espace politique, où exclusion etinclusion, extérieur et intérieur, bios et zôê, droit et fait, entrent dans une zoned’indifférenciation irréductible ” (ibid. : 17).

Nous préférerons à la distinction bios-zôê, celle de formes de vie - formes vitales,où le deuxième terme ne renvoie pas, à l’instar de la zôê, à la notion d’animalité,non pertinente en ce qui nous concerne. Quant à la forme de vie, notion introduitepar Wittgenstein - reprise et prolongée par d’autres auteurs - a été destinée, àl’origine, à l’analyse du langage, de son usage et de son sens. Wittgenstein l’a faiten décrivant ses fameux “ jeux de langage ” qui sont “ les pratiques, les activités,les actions et les réactions propres aux contextes caractéristiques dont fait partiel’usage canonique d’un mot ” (Hacker, 2000 : 16). Tout “ jeu de langage ” s'inscritdans une forme de vie, schéma de comportement ou “ comportement effectif dansune situation ” (P. Ricoeur), qui lui dicte son usage. En d’autres termes, les jeux delangage constituent des activités qui gouvernent tant les relations des hommes entreeux que leurs rapports au monde. Ils s'organisent en un réseau complexe dépendantd'une “forme de vie”, d'une pratique sociale, historiquement et culturellementdéterminée.En ce qui nous concerne, nous retiendrons de la forme de vie son sens le plusextensif, que l’on doit prinicpalement à David Bloor, la dépeignant commedébordant le langage pour s’étendre à l’organisation socio-cognitive même desacteurs impliqués. En cela, elle prolonge la bios des Grecs, qui était “ la forme ou lafaçon de vivre propre à un individu ou à un groupe ” (Agamben, 1997 : 9).

L’étude ethnographique (et noso-graphique) que nous proposons à partir de cesespaces et à l’aide de ces notions aura pour tâche de cerner et décrire les contoursdes pratiques, de leurs “noso-logiques” (des logiques de classification ou“classifiantes” de la maladie) et leurs “socio-logiques” à l’œuvre. Ce qui impliquede se pencher sur les univers sémantiques partagés ou non entre les différentsacteurs impliqués dans les pérégrinations du syndrome X fragile.Notre attention sera donc inévitablement attirée par la génétique moléculaire,discipline qui prend une part considérable dans les “ changements majeurs ” décritspar Rabinow : “ major changes have been taking place in understanding,manipulating, representing, and intervening in life-forms and forms of life in boththe scientific and the social senses ” (Rabinow, 1999 : 13). Notre parcours se devrade montrer en quoi ces changements interviennent dans les espaces et temporalitésmultiples d’une maladie génétique.

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II. TERRAIN ET PRINCIPES METHODOLOGIQUES

Le cadre méthodologique et le cadre de recueil de données de notre travail sontlarges ou plutôt mobiles. Volontairement, nous nous sommes déplacés et rendus surdifférents sites, avons rencontré différents acteurs et avons récolté des donnéesdisparates, nombreuses, diverses, avons utilisé différents médias et supports(Internet, le téléphone, le face-à-face, des publications) et puisé à des sourceshétérogènes : courriers électroniques, sites web, revues spécialisées, livres etarticles pour parents, manuels pour étudiants, dictionnaires spécialisés, vade-mecumpour médecins, répertoires, tableaux, figures. Notre quête de matériau à analysers’est nourrie des canaux par lesquels nos sujets interrogés et enquêtéscommuniquent, échangent, s’informent ; ce sont leurs outils de communication etd’interactions du quotidien que nous avons saisis le temps d’une recherche. S’ajouteà cette panoplie une série d’outils précieux à l’ethnographe, certaines stratégies ettechniques “de terrain” : l’entretien, l’observation, la question naïve et lecommentaire éclairé, la remarque qui fait réagir et le propos qui fait douter. Ladistance aussi, le rapport de circonstance à l’étrangeté et au nouveau, à l’inconnu ouau peu connu, distance travaillée et position intermédiaire mesurée de l’observateur,de l’enquêteur5. L’ethnologue se retrouve d’ailleurs dans un milieu “ exotique ” où,comme le soulignent Latour et Woolgar dans La vie de laboratoire, il a affaire à“ des gens qui sont plus forts, plus diserts, plus riches, plus influents dans leurpropre monde universitaire qu’il ne l’est lui-même ” (1996 : 25). Le mélange d’unecertaine culture générale scientifique qui le rend somme toute assez familier de sonobjet d’étude à un flou certain et une méconnaissance patente des pratiqueseffectives des scientifiques qu’il aura à observer, ajouté à cela son immersion dansun monde dont les acteurs ont un capital symbolique, social et économique dansune large mesure supérieurs à l’observateur confère à l’entreprise de terrainethnologique “ rapatrié ” un goût d’originalité qu’il se doit de gérer avec soins. Toutcela en vue de comprendre et de cerner des cultures scientifiques et biomédicaleslocales, des pratiques rarement réflexives, des discours et des explications souventdifficiles à formuler de la part des scientifiques et des médecins, trop ancrés dansl’implicite, l’évidence scientifique, la preuve intrinsèque “paresseuse” du “ c’est-écrit-dans-tous-les-manuels ” et le “ tout-le-monde-sait-que-c’est-ainsi ” qui asouvent la fonction plus ou moins explicite de renvoyer l’ethnographe à ses chèresétudes “ scientifiques ”.

Ces outils, il a fallu les affiner et les retravailler sans cesse face à chaque grouped’informateurs, voire lors de chaque entrevue ou observation au sein de l’un des 3“mondes” étudiés. “Mondes” au sein desquels la catégorie d’informateur se révèlenuancée et ne donne pas constamment lieu à ce que la description faite ci-dessusmentionne. Nous avons en effet été confrontés à des personnes de différents statuts,aux rôles contrastés et dont les pratiques s’articulent entre elles en réseaux plus ou

5 “ L’observateur occupe […] une position médiane entre celle du novice (cas idéal qui n’existe pas)et celle du membre de l’équipe (plus il s’intègre, moins il parvient à communiquer utilement avec lacommunauté de ses collègues observateurs) ” (Latour & Woolgar, 1996 : 34).

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moins denses, implicites, inconscients6. Il s’agit de médecins généticiens, debiologistes moléculaires, de laborantins, de pédiatres, de parents d’enfants atteintsdu syndrome X fragile et de fondateurs/présidents d’association de malades (quisont en l’occurrence des parents d’enfants atteints). Autant de rôles et de pratiquesqui construisent un type de maladie, une série de classifications, articulent desformes vitales et créent une socialité inédite sans doute, liées et dépendantes ducontexte local, institutionnel, médico-sanitaire et socio-culturel, tout à la foisémergeant de ces contextes et créateurs de ceux-ci.

D’autres outils nous ont été utiles dans notre recherche et son compte rendu, outilsqui sont en fait des principes de base que nous avons tenté de suivre. Il s’agitnotamment des principes de symétrie et de réflexivité. La symétrie implique de“ traiter également et dans les mêmes termes la nature et la société ” (Latour,Woolgar, 1996 : 21-22) et de ne pas s’occuper uniquement de la vérité, au détrimentde ce qui serait faux. Il ne s’agira donc pas ici de “ croire dur comme fer ” à lanature “ afin de mieux expliquer ” la société, “ croire bravement aux classessociales afin de douter mieux de la physique… ” (Latour & Woolgar, 1996 : 22).Un autre principe, sous forme d’injonction “morale” : “ que leur langage ne soit paston métalangage ” (ibid. : 25), requiert de la part du chercheur une méfiance dulangage des scientifiques, de leurs éventuelles envolées éthico-philosophiques quicouvrent les pratiques. Il n’en va pas tout à fait de même pour les parents, dont lestémoignages recueillis n’ont certes pas valeur de donnée toute faite, mais nousapportent des éléments importants sur leurs pratiques et habitudes. Notons encoreque l’injonction de méfiance s’applique différemment selon que nous avons affaireà des médecins professeurs, associés ou installés en pratique privée, à desscientifiques de laboratoires confirmés ou non, à des parents plus ou moinsinformés et “philosophes”.

Nous retiendrons également que la médecine et la biologie peuvent être considéréesen tant que pratiques culturelles où, entre autres, l’écrit est central, tant dans lelaboratoire que dans le cabinet médical, de par sa qualité : ces disciplines requièrentun “ style ” d’écriture, possèdent des “ arts de faire ”, des “ codes littéraires ” ainsique des dispositifs techniques qui les permettent.

Notre enquête a été mise au point dans une optique de mode expérimental ouvert,peu attaché à la quantité de matériau réuni et à la systématisation des processus decollecte. Une bonne définition du mode adopté nous est donnée par Paul Rabinow :“ an experimental mode of inquiry is one where one confronts a problem whoseanswer is not known in advance rather than already having answers and thenseeking a problem ” (Rabinow, 1999 : 174). Et comme ce dernier dans son ouvrage

6 Ils peuvent être inconscients car ce sont bien les pratiques qui en sont les facteurs d’apparition etd’articulation. Comme l’a montré Wittgenstein, “ le langage […] est un raffinement, “aucommencement était l’action” ” (cité par Hacker, 2000 : 57). Notre langage est une extension“facultative” de nos actions et comportements. Cette constatation sera retenue comme un desprincipes méthodologiques. Il ne sera donc plus fait mention du statut de “ conscient ” ou“ inconscient ” et “ dit ”, “ non-dit ”, ce qui importe ce sont les actions et ce que nous en disons.

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French DNA, notre travail “ contains no totalities, formal systems, encompassingfields, epochs, worldviews, universal subjects ” (ibid. : 175).La base de notre travail s’appuie sur trois grands “ axes empiriques ” :

1) Un certain nombre d’entretiens ont été réalisés dans le but de s’informer demanière générale de certains thèmes (génétique médicale, syndrome X fragile, testsmoléculaires, les parents et leurs enfants porteurs du syndrome, les associations) etdans un deuxième temps afin d’approfondir certaines questions et de mener nosinterlocuteurs du côté de ce qui devenait au fur et à mesure de nos réflexions, de noslectures et entrevues, la charpente de notre travail. Tous les intervenants humains etnon humains ont donc participé à sa construction, ou pour employer une autremétaphore, chacun a contribué à l’établissement d’une carte qui finalement nous aservi à mieux comprendre le territoire exploré (ou la “ jungle des faits ” selon laformule de Latour et Woolgar, 1996 : 32) dans lequel nous entrions alors “ à tâtons[…] sans posséder de carte ” (ibid.).Un ou plusieurs entretiens ont été effectués avec :2 médecins généticiens ; 1 biologiste moléculaire ; 1 mère de deux enfants atteintspar le syndrome X fragile présidente de l’Association romande des malades Xfragile, 1 mère de 2 adultes atteints du syndrome X fragile et un pédiatre installé àl’Hôpital Nestlé à Lausanne.

2) Une courte visite d’un laboratoire d’analyse privé a été effectuée à Lausanne etun autre terrain ethnographique a été fait dans un laboratoire de diagnosticmoléculaire du CHUV aux moyens humains et matériels limités, puisqu’il secompose en tout et pour tout d’une biologiste moléculaire (avec titre de docteur) etd’un laborantin diplômé. Ce dernier laboratoire de biologie appliquée – donc limitéstrictement à la réalisation d’une trentaine de tests moléculaires de maladiesgénétiques - gère un budget alloué par le Canton de Vaud et facture ses prestationsauprès des médecins demandeurs (il s’agit pour la plupart de médecins installés enville et des médecins généticiens qui consultent à la Division autonome degénétique médicale sise à la maternité du CHUV). Nous verrons ultérieurement dequelles étapes est constitué un test du syndrome X fragile et quels “ inscripteurs ”interviennent dans la – relativement lente – production du résultat.

3) Nous avons également eu l’occasion de compiler un nombre considérable de e-mails échangés dans le cadre d’un forum spécifiquement dédié au syndrome Xfragile, de type “list server” où ses membres envoient leur message à une adressecommune qui le “ multiplie ” et le dessert à l’adresse e-mail de tous les autresmembres de la liste. Ce forum est une initiative de la FRAXA Research Foundation,fondation américaine qui a pour but premier de financer périodiquement desrecherches de spécialistes dans le domaine, recherches qui sont le reflet des intérêtsdes décideurs (les parents fondateurs avant tout et un comité scientifique) et de leurbut ultime : découvrir un moyen de soigner ce syndrome et l’éradiquer. Ce forumcompte des membres américains avant tout. Nous nous sommes inscrits durant unmois et avons envoyé un petit questionnaire (8 questions) aux membres de la liste etavons obtenu 23 réponses parmi lesquelles 3 personnes nous ont invitées à lesrecontacter personnellement au cas où nous aurions eu d’autres questions. Chosefaite, puisque nous leur avons soumis d’autres questions auxquelles les 3 ont

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répondu. Nous aurons l’occasion de détailler le contenu des e-mails reçus ainsi queles réponses au “questionnaire” envoyé à toute la liste au cours de notre travail,selon les besoins.Quant à la “validité” des témoignages et des questions, remarques et observationsfaites par les parents d’enfants atteints du syndrome par le biais du forum,mentionnons simplement qu’ils semblent appartenir à ce que David Le Bretonappelle l’“ extrême contemporain ”, défini comme suit : “ Nous entendons par“extrême contemporain” les entreprises aujourd’hui les plus inédites, celle qui nousmettent déjà un pied dans l’avenir au niveau du quotidien ou de la technoscience,celles qui induisent des ruptures anthropologiques provoquant le trouble de nossociétés ” (Le Breton, 1999 : 8).Non pas que les parents en soient le moteur ou les acteurs centraux, mais ils“baignent” indéniablement dans une culture médico-scientifique “à la pointe” de larecherche où des essais et des prises de décision parfois extrêmes ont lieu, portéspar une culture de consommation sanitaire forte et un processus de médicalisationde la société et de “généticisation” des maladies avancés. Ces aspectstransparaissent dans les avis, les pratiques décrites et le suivi médical des enfantsatteints. Rappelons encore que les groupes d’intérêt et autre lobbies ont un pouvoirinstitutionnellement, socialement et historiquement très ancré dans la politiqueaméricaine et l’on ressent cette particularité au travers des messages qui témoignentd’une forte capacité à se mobiliser, à revendiquer des différences et à obtenir des“ajustements” en fonction de celles-ci et à défendre des intérêts communs. D’autrepart, les usages européens en matière d’Internet ne sont pas les mêmes, et sansdoute sont-ils moins “démocratisés“ et moins “féminisés” qu’aux Etats-Unis (parmiles e-mails retenus plus de 60% des intervenants sont des femmes).

Ces particularités socio-culturelles ne nous ont pas pour autant empêché de nousservir de cet apport d’informations non négligeable nous permettant de pointer lesmodes de vie, formes de vie, quel que soit leur lieu de création. Nous avons doncfait le choix de suivre un mois d’échanges de courrier électronique entre citoyensaméricains en sachant que de telles pratiques (faites avec une telle implication etrégularité) n’existaient pas en Europe, mais toujours en gardant à l’esprit qu’ellespourraient constituer un horizon possible pour des associations de malades enSuisse ou ailleurs en Europe.Le mois de fréquentation passive7 du forum consacré au syndrome X fragile nous aavant tout permis de nous insérer au cœur d’une “ communauté virtuelle8 ” auxproblèmes bien réels et a permis – peut-être paradoxalement – de se rapprocher despréoccupations quotidiennes de mères dévouées et promptes à tout essayer poursoulager, aider, comprendre, soutenir et éduquer leur enfant malade en partageantleurs soucis et répondant à des demandes précises de mères désemparées ou 7 Outre les deux séries de questions envoyées, nous avons endossé le rôle d’“observateur” passif, cequi consistait en une relève quotidienne du courrier électronique reçu des participants au forum, celasur notre compte e-mail personnel. Ajoutons que le forum est libre d’accès (après inscription) etqu’il n’est pas partagé en différents “ thèmes ” proposés auxquels chacun peut apporter sacontribution. Chacun est libre de dire ce qu’il veut et de répondre à qui il veut, toujours en renvoyantson courrier à l’adresse principale qui se charge de les distribuer à tous les membres.8 Où chacun s’appelle par son nom ou son prénom. Il n’est donc fait à aucun moment usage depseudonymes, chacun partageant son adresse e-mail personnelle, et à tout moment, il est possibled’envoyer un courrier individuel ciblé pour une personne en particulier.

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simplement avides de connaître les pratiques des autres. Cette plate-forme derencontres de gens “ qui se comprennent ” et veulent mieux faire connaître lamaladie qui touche leurs bambins nous a semblé être une bonne clé d’entrée à lacompréhension des constructions de nouvelles formes de socialité qui s’articulentdans et autour de maladies génétiques dont le résultat positif du test moléculaire faitfigure d’annonce, d’amorce de changement, ne se réduisant pas cependant à unbouleversement instantané et irréversible, un basculement dont le pivot est lerésultat du test. La transition, comme nous le verrons, fait appel à différentsrecadrages, reconsidérations a posteriori et reformulations de multiples paramètressociaux, médicaux et psychologiques au sein de la famille notamment. Deschangements pour lesquels il nous a été possible de récolter des informations par lebiais de ce forum, mais dont l’extension (ou l’induction, l’inférence) à d’autressphères culturelles ne pourra être faite qu’à la condition de garder à l’espritl’existence de différences telles que celles dont nous avons fait état ci-dessus. C’esten connaissant les différences que peuvent être dégagées des permanences, desinvariants.

En ce qui concerne les chiffres, nous avons relevé, en un mois, environ 200courriers parvenus à notre adresse électronique, ce qui représente une moyennequotidienne de 6, 66 messages, avec une dispersion allant de 1 à 21 messagesquotidiens. La liste compte environ 500 inscrits, parmi lesquels, de toute évidence,un bon nombre ne consultent pas régulièrement leur boîte à courrier électronique,se sont “ lassés ” de le faire quotidiennement et “ abandonnent ” leur adresse,parfois créée pour l’occasion uniquement. Sur ces 500 adhérents, on compte 305adresses appartenant à des femmes (61%), 93 à des hommes (18.6%) et pour 8%des inscrits (soit 40) y figure soit le nom de famille uniquement ou les deuxprénoms des conjoints. Enfin, une soixantaine d’adresses ne sont pas identifiables,aucun prénom n’y apparaissant9.Nous n’irons pas plus loin dans les chiffres, notre but n’étant pas de tirer desavantes statistiques de cette enquête, mais bien plutôt d’en souligner, dans les“grandes lignes”, les thèmes récurrents et mobilisateurs.

9 Les “non-identifiés” sont aussi ceux à qui nous n’avons pas pu “attribuer de sexe”, étant peufamiliers avec certains prénoms américains.

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III. LE SYNDROME X FRAGILE

Une description10 du syndrome X fragile s’impose. Elle devrait éclairer les raisonsdu choix d’une telle maladie héréditaire. Il ne s’agira pas de faire un traité médical àce propos, reprenant bout à bout ce qui a été écrit dans la littérature spécialisée,quoiqu’il faille inévitablement utiliser certains termes médicaux précis pour ledécrire (que nous expliciterons au fil du texte, en évitant tout usage abusif quil’asphyxierait) pour savoir de quoi il retourne, mieux comprendre ses particularités,biologiques notamment, et permettre d’aborder la socialité qui l’habite. Lesnombreux renvois en bas de page de cette partie ont, pour la plupart, fonction de“métalangage”.

1. Un gène et des symptômes

Le syndrome X fragile, appelé aussi syndrome de Martin-Bell, en référence auxdeux médecins qui ont, les premiers, établi un lien entre la présence de nombreuxcas de retard mental dans une famille étudiée et un mode de transmission particulierlié au sexe11, concerne environ un garçon sur 4000 et une fille sur 8000, avectoutefois une variation importante des estimations faites dans différentes étudesépidémiologiques au cours de l’histoire du syndrome et de ses modes de détection12.

10 Les informations livrées à propos du syndrome X fragile puisent à différentes sources spécialisées,notamment Schorderet (1992), Mornet & Simon-Bouy (1996), Serre (2002), Kaplan & Delpech(1993), Weatherall (1991), les sites www.orpha.net et www.geneclinics.org ainsi que plusieursarticles de l’Encyclopaedia Universalis (version 7, DVD-Rom).11 On leur attribue, à tort, la première description clinique du syndrome. En effet, “ going back to theoriginal description, one would discover that Martin and Bell had not delineated a syndrome at all,but rather a condition of “pure“ mental retardation, without comment on testicular size ” (Neri etOpitz, 2000 : 229). C’est 30 ans après sa publication que l’étude de Martin et Bell sera reconsidéréesous l’angle de la cytogénétique (analyse des cellules et de leurs chromosomes par caryotypenotamment) et que sera souligné le lien entre un phénomène de fragilité du chromosome X et lagénéalogie familiale étudiée par les deux médecins. C’est à ce moment que le syndrome devientconnu accompagné de leur deux noms.12Les ajustements des fréquences au cours de l’histoire du syndrome dépendent à la fois des outils dediagnostic qui sont à disposition à un moment donné, des cadres méthodologiques ainsi que descontextes nationaux dans lesquels sont effectuées les études épidémiologiques. Au final, lesestimations varient dans la littérature médicale “ selon les auteurs ” (Mornet et Simon-Bouy, 1996 :814). La fréquence a été notamment revue à la baisse depuis l’isolation du gène “responsable“ dusyndrome en 1991. Les estimations précédant cette “découverte“ du gène impliqué mentionnaientune fréquence de 1/1250 garçons affectés (et la moitié pour les filles, soit 1/2500). Ces chiffres sontencore souvent cités dans la littérature actuelle. Or de récentes études (1996-1997) font étatd’estimations allant entre 1/4000 et 1/6250 pour les garçons et approximativement la moitié moinspour les filles. Ces différences s’expliquent notamment par le fait que les estimations d’avant 1991se basaient sur une détection cytogénétique de la présence ou non d’une cassure sur le bras long duchromosome X, analyse difficile et coûteuse présentant de nombreux faux-négatifs ou faux-positifset incluant des individus dont les sites chromosomiques fragiles n’étaient pas ceux liés au syndromebien que localisés très près du site de ce dernier. Une autre analyse, cette fois moléculaire, n’était pasplus en mesure de distinguer ces différents sites fragiles, car limitée à la mise en évidence de liaisonsentre le gène de la maladie (pas encore isolé) et des marqueurs moléculaires voisins de celui-ci.Notons encore qu’en 1992 (nous ignorons ce qu’il en est actuellement) aucune étudeépidémiologique n’avait été réalisée en Suisse, ce qui obligeait de se référer à des résultats de lalittérature mondiale (Schorderet, 1992 : 465).

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Ces estimations font de ce syndrome la première cause de retard mental héréditaireet la deuxième en ce qui concerne le retard mental, après la trisomie 21 (ousyndrome de Down).

Le terme “syndrome” (du grec sundromê, “ concours ”, “ réunion ”) se définit parun faisceau de symptômes qu’on retrouve avec une fréquence irrégulière selon lescas et dont les origines sont diverses (le syndrome se distingue théoriquement de lamaladie due – en principe – à une cause spécifique). Dans le cas du syndrome Xfragile, le spectre symptomatologique est large et ne se laisse pas réduire àl’expression unique et exclusive de telles ou telles manifestations pathologiques. Ila cependant été reconnu un ensemble de symptômes dont la présence (simultanéeou non) chez la personne concourt à retenir le syndrome X fragile comme un desdiagnostics possibles, ce que l’analyse moléculaire pourra notamment confirmer.Ces manifestations phénotypiques qui jouent un rôle de signe d’appel sont, chez lesgarçons avant tout, au niveau psychosomatique, un retard mental de sévéritévariable associé à des traits morphologiques particuliers : un visage allongé, desoreilles proéminentes, une mâchoire inférieure massive et parfois des lèvrescharnues. Au niveau des organes sexuels mâles, on peut constater, souvent enpériode d’adolescence, une hypertrophie des testicules (ou macro-orchidie). Enoutre, l’apparition de ces traits cliniques reste étroitement liée à la puberté. On peutainsi distinguer différents changements intervenant entre les stades pré-pubère etpost-pubère. Si, au cours de la petite enfance, on peut noter chez certains garçons(et filles dans une moindre mesure) un retard de développement qui va del’acquisition tardive du langage à des retards moteurs plus ou moins marqués :position assise à 10 mois, marche à 20-21, difficulté de coordination desmouvements, peuvent apparaître plus tard – et toujours selon un développement etune évolution qui relève de l’idiosyncrasie13 - un comportement autistique, destroubles et déficits d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou uneimpulsivité qui rend difficile le contact avec les autres. À l’âge pubertaire et post-pubertaire peuvent survenir certains comportements tels qu’une timidité marquée,un regard fuyant, un strabisme plus ou moins prononcé et éventuellement des gestesrépétitifs (secouer ses mains, se balancer d’avant en arrière). Encore une fois,l’omniprésence pouvant supplanter la théorique “ éventualité ” et le “ signeoccasionnel ”. Ce type de comportements paraît même, pour certains médecins, êtreun indice plus clair de la présence du syndrome chez l’enfant que ses traitsproprement physiques. Telle est la position d’un médecin, Dr Hagermann, cité inBarnes (1989 : 171) : “ It is more the behavioral phenotype - hand flapping, handbiting, hyperactivity, and poor eye contact - that clue you into Fragile X ”. Et

13 Aucune liste exhaustive ne peut être établie pour ce syndrome, c’est d’ailleurs le cas pourbeaucoup d’autres syndromes et maladies, pour lesquels il n’est possible que de rendre compte d’unmaximum de signes et de symptômes observés, quelle que soit leur fréquence d’apparition. Letableau clinique de chaque malade est unique. Pour le X fragile, le site web des maladies ditesorphelines www.orpha.net recense pas moins de 26 signes cliniques (à ne pas confondre,théoriquement, avec les symptômes qui sont ressentis par le malade et décrits par lui, alors que lesigne est constaté par le médecin. Les deux termes ne s’excluent pas et souvent les symptômes et lessignes se recoupent, bien que les mots du médecin et ceux du patient pour nommer les maux nesoient pas les mêmes tout comme leurs formes de classification et d’appréhension). 26 signesgradués en “ très fréquent ”, “ fréquent ” et “ occasionnel ”.

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Barnes de continuer : “ These signs are most common in young boys, who may alsobe diagnosed as autistic ” (ibid.). L’un n’excluant pas l’autre.

Le cas des filles est différent. Le retard mental rencontré chez des filles atteintes dusyndrome est souvent moins sévère et prend des formes plus subtiles au cours dudéveloppement, affectant par exemple le raisonnement logique (se traduisantnotamment par des difficultés scolaires) ou certaines compétences langagières. Lesmanifestations au niveau morphologique ne sont pas les mêmes que chez lesgarçons, elles sont souvent plus “douces” voire inexistantes.

Le syndrome est donc caractérisé par l’association d’un grand nombre possible departicularités physiques, comportementales et cognitives, dont l’agencement, lasuccession, la présence ou le caractère labile sont à souligner. Le diagnosticclinique ne se fait donc pas sans détour par la recherche d’éléments extérieurs telsque l’existence d’une histoire familiale particulière avec des antécédents de retardmental avéré, quelle qu’en soit la cause. Le recours à la généalogie du patient estainsi un outil supplémentaire pour le médecin généraliste, pédiatre, neurologue,psychiatre ou généticien pour établir un diagnostic qui débrouille le cas d’un patientet permette d’entrevoir parmi la vaste étendue des maladies et syndromes dont leretard mental est une composante manifeste qu’il s’agit bel et bien du syndrome Xfragile.

Quant au registre thérapeutique, nous l’avons déjà évoqué, il n’existe pas detraitement étiologique (qui s’attaque directement aux causes) du syndrome Xfragile. Cependant une prise en charge médicale, éducative et psychosocialeaméliore sans doute les conditions de vie du patient, permettant entre autresd’endiguer, de soulager et de réduire les diverses manifestations phénotypiques parun recours à des médicaments, des thérapies comportementales, du langage, de lamotricité, etc.

Penchons-nous à présent sur les bases moléculaires du syndrome lié auchromosome X. Si le syndrome X fragile s’exprime cliniquement par un largespectre de symptômes14 que l’on retrouve dans de nombreuses autres maladies (cequi est particulièrement vrai pour le retard mental), au niveau génétique il possède

14 Dans la littérature, nous avons souvent relevé une description des symptômes dont la précision etl’étendue semblent proportionnelles à la “technicité“ de l’article publié, notamment lorsqu’il s’agitde biologie moléculaire. En effet, un article issu d’une recherche pointue en biologie moléculaire dusyndrome X fragile se contentera de relever en une phrase stéréotypée au début de l’article, que “ lesyndrome X fragile est la forme la plus fréquente [the most common form] de retard mental familial/ héréditaire ” en se référant - parfois - au premier chercheur qui l’a attesté (l’article date de 1985).Sans transition, l’auteur passe à la présentation des résultats de sa recherche, dans un article dense etcourt. Le cas ne se reproduira pas dans une revue de pédiatrie par exemple, où une plus large placesera laissée aux descriptions cliniques. On entrevoit ici une esquisse des différents modes declassification selon des paramètres qu’il reste à préciser. Modes qui, soit dit en passant, ne sont pasimperméables entre eux, la recherche fondamentale ayant recours à la clinique notamment pour seconstituer des cohortes ou échantillons de “ malades phénotypiques ” pour enquêter sur leursparticularités génotypiques et réciproquement. Un exemple de coexistence et d’échange est évoquépar Annemarie Mol au sujet de l’anémie (1995) et de l’athérosclérose (2000 et 2002).

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des caractéristiques singulières qu’il ne partage qu’avec une petite dizaine d’autresmaladies.

L’“ anomalie ”, le “ défaut ” ou l’“ erreur ” (nous reviendrons sur ces termes)moléculaire à l’origine de la maladie est connue, il s’agit d’une multiplicationanormale d’une petite séquence de trois bases, ou triplet15 CGG (cytosine, guanine,guanine), dans la région du site fragile situé à l’extrémité du bras long duchromosome X. Le mécanisme de cette expansion à géométrie variable (se faisant àla méiose et à la mitose16) est probablement un “ dérapage réplicatif ” (slipped-strand mispairing), “ mécanisme […] proposé pour expliquer l’instabilité decertaines régions du génome comportant une succession de courts motifs répétés. Ils’agit d’accidents de réplication […] favorisant une amplification ou une réductiondu nombre de répétitions ” (Kaplan-Delpech, 1993 : 297). Il s’agit d’un type de“ pathologie génique17 ” (ibid.), également dénommé “ mutation dynamique ”, qui aété reconnu dans plusieurs maladies. La mutation est dynamique car différente entreles membres d’une même “ fratrie ” et évoluant entre deux générations jusqu’àengendrer le phénotype clinique. La particularité du syndrome X fragile est d’êtreen tête – historiquement parlant - d’une liste qui comptait, en 1996, 10 exemples demaladies et syndromes à mutations dynamiques, dans les domaines cliniques lesplus variés (Mornet et Simon-Bouy, 1996). Notons que si l’instabilité d’uneséquence répétée de trois bases est la cause de ces 10 exemples, ceux-ci divergentsur d’autres critères. Par exemple, le triplet “coupable” est, pour chacune de cesmaladies, situé sur des chromosomes différents. Il peut prendre place dans unerégion non codante (c’est le cas pour le syndrome X fragile) ou, au contraire,entraîner un allongement de la séquence transcrite du gène (ce qui se produit pour lachorée de Huntington). La taille de la séquence pour laquelle apparaissent les signescliniques ainsi que la nature même du triplet varient selon les “ affections18 ”.L’augmentation du nombre de triplets au fil des générations se traduit, dans le casdu syndrome X fragile, par une augmentation du risque pour la descendance19. 15 Il se trouve sur une chaîne d’acide désoxyribonucléique (ADN). Le triplet est l’élémentfondamental du code génétique, il code pour un seul acide aminé.16 La méiose correspond à la division cellulaire des gamètes (ovule et spermatozoïde) et la mitose estun mode de division cellulaire indirecte caractérisé par une série de modifications dans la chromatinedu noyau.17 Nous reviendrons sur ces termes rencontrés dans la littérature biomédicale évoquant l’erreur, lapathologie du gène ou du génome, la mutation pathologique, la cassure, l’anomalie et l’anormal quisemblent construire une “pathologie morphologique” du gène s’apparentant au registremacroscopique de la pathologie (anatomie pathologique) notamment. Et laisse ainsi entrevoir un va-et-vient entre un registre “micrométrique“ (on mesure l’expansion de la mutation, ceci à l’échelledes composants de l’ADN c’est-à-dire en nanomètres) et un registre macro-scopique, où l’on voitune anomalie, l’on décèle un “ gène pathologique ”, cause d’une pathologie clinique cette foiseffectivement observable au niveau de l’individu. L’individu (donc indivisé) malade est rendu“dividu” (donc divisé) en autant de “gènes malades“ à la fois vus et mesurés. Nous verrons par lasuite que les techniques diagnostiques participent de cette oscillation.À ce propos, une piste intéressante est le nom même du syndrome qui de par son qualificatif defragile concède à un chromosome la possibilité d’être ce qu’une ossature ou un organe estpotentiellement ou ce qu’un vase en porcelaine de Chine est indéniablement.18 C’est le terme général qui désigne tout processus morbide, “ abstraction faite de ses causes ” selonle Dictionnaire des termes de médecine de Garnier et Delamare.19 Cette modification du phénotype clinique en fonction du nombre de triplets est appelée“ phénomène d’anticipation ”

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Autrement dit, la pénétrance de la maladie (c’est-à-dire la fréquence des sujets quiprésentent les signes cliniques de l’affection parmi ceux qui sont porteurs de lamutation) semble augmenter au fil des générations.

L’expansion des triplets se produit en plusieurs étapes :- Chez le sujet sain, l’ADN porte, au niveau de ce site particulier du génome, un

nombre de répétitions du triplet CGG variant de 6 à 60 selon les individus.- Chez les hommes normaux transmetteurs ainsi que chez les femmes

conductrices non symptomatiques, l’ADN présente de 50 à 200 répétitions dutriplet CGG. Cette augmentation est appelée “prémutation”.

- Les sujets atteints du syndrome X fragile portent plus de 200 répétitionsassociées à une méthylation20 du gène FMR-1 qui n’est alors plus exprimé(Serre et alii, 2002 : 121). L’association de ces deux “ anomalies ” constitue unemutation complète. La méthylation de cette région, spécifique de l’ADN despatients atteints du syndrome X fragile, est toujours associée à l’extinction del’expression du gène FMR-1.

On distingue donc 2 phénomènes propres à l’étape de mutation complète :1. L’amplification de la séquence CGG de plus de 200 répétitions, responsabled’une difficulté de réplication de l’ADN se traduisant par un retard deréplication et une “ cassure ” visible en cytogénétique.2. La méthylation de cette région.

En d’autres termes, le triplet CGG est répété un nombre de fois “ normal ” si larépétition est comprise entre 6 et 60 fois. Elle indique une prémutation si elle sesitue entre 50 et 200, et une mutation complète si elle se situe en dessus de 200.Lors de la prémutation, le gène est exprimé normalement mais la séquence CGG aacquis une instabilité importante qui se traduit par un passage à la mutationcomplète dans les générations suivantes. Il y a donc un effet de seuil au-delà duquell’amplification devient “ pathologique”21.

La mutation complète est rencontrée chez des garçons dont le grand-père, hommenormal transmetteur, a transmis la prémutation à sa fille. En règle générale, lenombre de “copies” n’augmente pas d’un homme normal transmetteur à sa fille, quielle est une vectrice obligatoire. Ce n’est qu’à la génération suivante, à la méioseféminine, que le passage de prémutation à mutation complète se produira, donnantalors lieu à un enfant atteint22.Relevons que, outre une variation interindividuelle (entre les générations) dunombre de répétitions de triplets chez les individus prémutés et surtout mutés, l’on aaffaire à une “ variabilité intra-individuelle avec une multitude d’allongements 20 La méthylation est l’attachement d’un ou plusieurs groupe(s) methyl sur l’ADN et plusprécisément sur les bases de cytosine. Elle est corrélée à une transcription du gène réduite et pourraitêtre le mécanisme principal de l’inactivation du chromosome X.21 Nous pourrions dire “pathogène” dans le sens où la transformation génétique conduit àl’expression d’un trouble visible au niveau clinique, qui à ce niveau-là sera effectivement unepathologie.22 La mutation complète passe obligatoirement par une méiose féminine. Les méioses masculines nepossèdent pas d’effet multiplicateur (on ignore pourquoi). Il ne transmet donc jamais la mutationcomplète.

21

différents d’une cellule à l’autre, indiquant une instabilité importante de cetteséquence au cours du développement du zygote ” (Serre et alii, 2002 : 121).

En résumé, le syndrome peut concerner :

- Des garçons exprimant la maladie (la mutation est complète avechyperméthylation du gène FMR-1)

- Des hommes transmetteurs sains (présence d’une pré-mutation)- Des filles exprimant la maladie (la mutation étant complète avec

hyperméthylation du gène FMR-1)- Des femmes vectrices saines (présence de la pré-mutation). Une femme sur 700

est dans cette situation.

Le mode de transmission inhabituel de la maladie a laissé présager qu’elle avaitpour origine un mécanisme moléculaire singulier. En effet, bien que transmise parle chromosome X, cette affection ne se laisse pas réduire à une maladie“ classique ” dominante ou récessive liée au sexe. On note, par exemple, que 20 %des hommes porteurs de la mutation ne présentent aucun des signes cliniques de lamaladie. Ce sont les “ hommes transmetteurs sains ”.De même, les filles de ces hommes normaux transmetteurs sont “indemnes”. Ce nesont que les fils (ou les filles) de ces dernières qui présenteront un risque élevéd’être atteint(e)s. Parmi les femmes conductrices, environ un tiers présentent unretard mental plus ou moins prononcé.

En outre, c’est la taille de la prémutation chez la mère qui détermine le passage à lamutation complète chez ses enfants : plus la pré-mutation de la mère a une tailleimportante, plus le risque que son enfant porte la mutation complète est élevé. Lenombre de triplets existant dans une prémutation présente donc une valeurpronostique : plus ce chiffre est important, plus le risque d’expansion à lagénération ultérieure s’accroît.

La génétique du syndrome X fragile est complexe, cela d’autant plus il y a unedizaine d’années lorsqu’a été mis au point un test moléculaire fiable. Depuis, lesboîtes noires ont été verrouillées et le syndrome ne pose plus de problème majeuractuellement, en ce qui concerne la pratique des tests avant tout23. Comme lementionne Jean-Louis Serre, “ la génétique très particulière du syndrome de l’Xfragile a des fondements moléculaires précis qui commencent à être bien comprismalgré quelques zones d’ombres ” (Serre et alii, 2002 : 122). Par exemple, “ lafonction de la protéine FMR-1 n’a pas encore été explorée ” (Kaplan, Delpech,1993 : 408). Et nul ne sait si l’existence d’une séquence soumise à amplificationsuffit à déclencher le processus pathologique ou si des séquences adjacentes jouentun rôle dans le déterminisme des affections.

De ce qui a été présenté, il nous paraît important de retenir qu’il existe, au sein desmécanismes moléculaires complexes du syndrome X fragile, des variabilités à la 23 En ce qui concerne la recherche, beaucoup de moyens sont actuellement déployés dans ledomaine de l’étude des protéines.

22

fois inter et intra-individuelles et que la mère joue un rôle déterminant dans latransmission du syndrome. Retenons aussi que l’exclusivité de la méiose fémininepour accomplir le passage d’une prémutation à une mutation complète ainsi quel’intervention de la méthylation sont propres aux mutations liées au syndrome Xfragile.

2. Test de laboratoire et conseil génétique

Actuellement, le test de laboratoire qui atteste la présence ou l’absence d’unemutation de l’allèle (un des 2 gènes d’une paire de chromosomes homologues)s’effectue par analyse directe de l’“ anomalie ”. On apprend dans un ouvrage deréférence pour les étudiants en médecine qu’un certain Mac Kusik, “ éminentgénéticien, a appelé de façon appropriée le diagnostic génétique direct : biopsiediagnostique du génome humain ” (Robbins et al., 2000 : 220). On remarque unefois encore le glissement du vocabulaire vers l’anatomie (pathologique). Cette“biopsie” donc, se fait à l’aide des outils de la biochimie et du génie génétique : dessondes moléculaires24 du gène FMR-1 permettent de distinguer l’ensemble desstatuts possibles dans les deux sexes (normal, muté, prémuté). La méthode reposesur la technique de Southern25 et l’utilisation de 2 enzymes de restriction26 dontl’une permet de détecter la méthylation associée à la mutation complète. Le résultatest obtenu en 8 à 15 jours, après une série d’étapes d’inscriptions produites par desinscripteurs (Latour et Woolgar, 1996).La plupart des laboratoires ont aussi développé une méthode utilisant la PolymeraseChain Reaction (PCR) afin de mesurer sur un gel d’électrophorèse la taille despetites prémutations, paramètre important dans la prédiction de la stabilité de laséquence CGG et dans la définition du statut de “ transmetteur sain ” ou “ nontransmetteur ” des membres de la famille proche d’un patient27. La méthode estcertes moins coûteuse que le Southern blot, mais l’amplification des allèles mutésest difficile. La PCR reste donc un outil complémentaire, qui permet de reconnaîtretous les garçons non atteints et 65% des filles non atteintes (Serre et alii, 2002 :127-128).

24 Une sonde génétique ou moléculaire est une séquence d’acide nucléique marquée (radioactivementou non) obtenue par clonage qui permet de repérer un gène spécifique, la sonde s’hybridant avec saséquence complémentaire.25 Il s’agit d’un “blotting“(de l’anglais blot, substantif signifiant “ tache, rature, pâté ”) qui est, dansle domaine de la biochimie et de la biologie moléculaire le transfert sur une membrane de nylon (oude nitrocellulose) d’un résultat d’une migration de brins d’ADN par électrophorèse. Transfert sefaisant, le plus souvent, d’un gel d’agarose à la membrane. Le blotting en question a été mis au pointpar Southern en 1976, d’où son nom.26 L’enzyme est une substance protéinique capable d’activer une réaction chimique définie. Uneenzyme de restriction a la propriété de pouvoir couper les chaînes d’ADN en des sites précispermettant d’isoler et de détacher des fragments d’ADN (avec leurs gènes). Elle est à la base de cequ’on a appelé les “ manipulations génétiques ”.27 Comme nous le verrons plus loin, le laboratoire de diagnostic moléculaire du CHUV ne l’a pas faitpour diverses raisons, parmi lesquelles les difficultés inhérentes à la PCR même (grande sensibilité,“construction“ de sa fiabilité parfois périlleuse et sujette à changements) et ses méthodesd’utilisation qui nécessitent un temps de mise au point remarquable.

23

L’ADN de la patiente ou du patient qui doit être analysé est extrait d’un échantillonde sang ou de villosités choriales28 dans le cas d’un test prénatal, disponible pour cetype de syndrome, qui peut concerner les parents qui ont une mutation ouprémutation (la mère) avérée et dans le cas où l’anomalie serait déjà connue dans lafamille. Il s’agit alors de savoir si le fœtus a une mutation complète de l’allèle.L’analyse prénatale d’ADN peut se faire également à partir d’un extrait du liquideamniotique par amniocentèse entre les 16 et 18èmes semaines de gestation. Quant auprélèvement des villosités choriales, il s’effectue entre les 10 et 20èmes semaines degestation. Soulignons qu'à partir de ces prélèvements, seule la taille del’amplification peut être étudiée, et non la méthylation.On apprend de Jean-Louis Serre qu'un “ diagnostic préimplantatoire est en cours demise au point ” (Serre et alii, 2002 :129).

En matière de tests moléculaire et cytogénétique, à en croire Kaplan et Delpech, “le diagnostic par analyse génotypique directe de la mutation est beaucoup plussensible et spécifique que l’analyse cytogénétique, et l’a complètement supplantée ”(Kaplan, Delpech : 408). En effet, le test cytogénétique par caryotype demandebeaucoup de temps et n’est pas spécifique à cette “ lésion ” du chromosome X,puisque le caryotype est une mise en carte de tous les chromosomes. Il s’agit doncpar la suite de focaliser son attention sur le X, dont la “ cassure ” au bout du braslong ne sera visible qu’à certaines conditions (dans un milieu pauvre en acidefolique), ce qui fait dire à une cytogénéticienne que nous avons contactée qu’il faut“ tricher un peu pour voir la présence d’un site fragile sur le X ”.

Quant au conseil génétique, il consiste en une consultation suivie ou ponctuelle lorsde laquelle un médecin (le plus souvent un médecin généticien) rencontre desparents ou futurs parents qui souhaitent être informés des éventuels risquesd’apparition ou de présence de telle ou telle maladie héréditaire, en sachant qu’elleest ou pourrait se retrouver dans leur famille. Là aussi une grande diversité des casde figure existe en ce qui concerne le syndrome du X fragile, selon l’histoirefamiliale en termes de maladies héréditaires, selon la situation qui prévaut etdéclenche la nécessité d’un conseil. Ce type de paramètres engage différentesrecherches généalogiques et moléculaires. Il peut s’agir :

- De chercher à confirmer l’existence de la mutation chez un patient atteint deretard mental si, dans la famille, le syndrome de l’X fragile est déjà connu etdiagnostiqué par cytogénétique ou biologie moléculaire.

- De savoir si une femme en âge de procréer est conductrice.- De rechercher la mutation chez un enfant présentant un retard mental ou des

troubles du comportement.- De rechercher la mutation parce que la cytogénétique met en évidence une

cassure sur l’extrémité du bras long du chromosome X à l’occasion d’uncaryotype standard pour un patient avec retard mental.

Le syndrome X fragile a aussi été mis en évidence dans certaines famillesuniquement par l’existence d’une fille présentant un retard mental modéré.

28 Ces villosités se situent sur la membrane externe de l’œuf, appelée chorion.

24

Notons que l’outil premier du “ conseiller ” est le recours à l’arbre généalogique(medical pedigree), “ even in the age of the new genetics ” (Martin Richards, cité inNukaga & Cambrosio, 1997 : 29) dont le mode d’investigation implique une sériede traductions “ from a web of oral narratives to a sequence of visual inscriptionswhich, in turn, become part of larger inscriptions connecting medical pedigrees tothe visual display of cytogenetic or molecular biological test results ” (Nukaga &Cambrosio, 1997 : 29-30). La parole reste cependant au centre de la consultation.Dans un premier temps, en effet, le généticien doit s’enquérir de la raison d’unetelle consultation, s’informer de l’histoire familiale avec d’éventuels examenscliniques et de laboratoire étendus aux membres de la famille suspectés d’êtreporteurs sains voire affectés.

Enfin, en ce qui concerne le test prénatal, le conseil génétique est plutôt délicat, car,bien que l’affection soit directement liée à la taille de l’amplification, la limite entreprémutation et mutation complète est moins claire si l'on ne dispose pas del'indication de la méthylation. Une autre difficulté inhérente au mode d'expressiondifférencié selon les sexes du syndrome X fragile concerne les filles porteusesd’une mutation complète. Seulement 60 % d’entre elles présenteront un retardmental, et ni homme ni machine n'est en mesure de les distinguer. Le choixreviendra aux parents attendant une fille dont la "pathologie" du gène est avéréemais dont la pathologie phénotypique pourra peut-être (à 40%) ne pas se présenter,seulement si ce choix est de lui laisser sa chance de ne pas s'exprimer.

3. Syndrome de Martin-Bell et syndrome X fragile : quelques repères historiques

La première description d’une présence étendue de retard mental dans une famillevraisemblablement lié au chromosome X, qui sera plus tard nommé le syndrome Xfragile remonte à 1943, date de la publication d'un article signé par deux médecins,J. Purdon Martin et Julia Bell présentant les résultats d’une étude menée surdifférents fronts et sur laquelle nous voulons nous arrêter brièvement. Leur articledébute ainsi :

“ The following history of imbecility in eleven males of two generations was broughtto our notice some years ago when a child aged eighteen months […] was brought tothe outpatient department at the National Hospital by his mother who suspected thathe was showing the signs of mental deficiency which she had already seen developin some of the sons of her sisters ; […]. The mother of the patient was intelligent andwas much concerned about the family history ; she provided at that time completeinformation regarding her own branch of the family and obtained the collaborationof her aunt in working out the extended pedigree ” (Martin, Bell, 1943 : 154).

Cet extrait apporte plusieurs éléments sur les conditions réunies ayant permis auxdeux médecins de réaliser leur étude : une femme, préoccupée de l’état dedéveloppement de son enfant de 18 mois au vu de sa situation familiale et portantun intérêt certain à l’histoire de sa famille, se traduisant notamment par laréalisation d’un arbre généalogique détaillé, qui s’avérera être un guideindispensable à la compréhension médicale de la maladie mentale touchant ces 11

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hommes. À cette rencontre de circonstances, s’ajoutera un examen cliniqueapprofondi de ces 11 personnes (tour à tour membres d’une même famille etpatients dont l’examen devrait permettre de dégager ce qui les assemble et leurressemble et ce qui les sépare) et un examen sous l’angle psychosocial. Ainsi, nesont-ils pas “ anti-social ” (Martin, Bell, 1943 : 154) et sont-ils “ clean in theirhabits ” (ibid.). Un passage en revue de leur santé mentale est fait, tout commel’établissement de leur âge mental (entre 2 et 4 ans, tout au long des 17 annéesqu’aura duré l’observation de la famille). L’examen clinique ne révèlera pasd’anormalités physiques ou de signes distinctifs quant aux traits du visage ou à laforme de leur tête29. Puis vient le tour des membres de la famille, séparés en deuxbranches dont l’une apporte plus de renseignements que l’autre. Ils sont auscultés etécoutés à propos de leur vie et de leurs rapports avec les autres membres de lafamille. Il en ressort qu’une mort prématurée a enlevé un nombre important de sesmembres et qu’au moins 2 filles sont présentées par la famille comme “ arriérées ”(backward), incapables de faire “ the simplest arithmetic ” (ibid. : 156). La positiond’une femme en particulier est décrite par les médecins comme centrale au sein del’arbre familial, “ for if the defect here described is sex-linked she represents theprobable means of its introduction into this family ” (ibid.), cependant trop peud’éléments ont pu être rassemblés à son sujet.À l’aide de cette enquête multidirectionnelle, les deux médecins en viennent àémettre l’hypothèse d’une défection mentale due à un gène récessif lié auchromosome X, “ in spite of certain difficulties ” (Martin, Bell, 1943 : 157),principalement d’ordre logique, car hors modèle mendelien “classique”. Ce qui lescontraint, d’une certaine manière, à manipuler de nouveaux mots permettant unegestion de l’inconnu et de l’équivoque : en constatant que deux filles d’une mèreporteuse (saine) d’un gène lié au sexe (“ a sex-linked gene ”) sont indemnes alorsmême que leurs frères sont sévèrement atteints, la notion de “ suppression del’action d’un gène ” s’impose, dont la cause serait “ the presence of somecontrolling factor ” (ibid. : 156). Le gène se fait également “ incompletelyrecessive ”, expliquant partiellement la diversité de l’atteinte sur le plan tantphysique et mental que lié au sexe. Finalement, dans un résumé livré à la fin del’article, l’hypothèse devient l’affaire d’un certain facteur de contrôle source de lasuppression “ of the disease in them [i.e de deux frères présentés comme normaux ;nous soulignons] without affecting their liability to transmit it ” (ibid. : 157).

Cette brève analyse du cas de l’étude de Martin et Bell nous semble dessinerquelques contours des premiers lieux pratiqués du syndrome identifié 26 annéesplus tard en tant que “ fragilité d’une partie du chromosome X ” et nous donne uneidée de ce qu’offrira la “nouvelle génétique”, que l’on doit notamment à Watson etCrick qui, en 1953, identifient l’ADN comme matériau génétique de base.“Nouvelle génétique” qui ne change pas radicalement la donne, mais apporte sansdoute un élément supplémentaire aux assemblages diagnostiques et introduit dansle(s) lieu(x) pratiqué(s) du laboratoire une “ culture matérielle ” (Lock, Young etCambrosio, 2000 : 8, 47) de production de formes vitales nouvelles, tel que le gèneFMR-1. 29 Martin et Bell rapportent cependant de leurs notes d’observation quelques indications isolées:“ Strong build, big face and jaw ” pour un d’entre eux, “ Does not resemble any of his cousins ” pourun autre.

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Alors que les années 50 voient l'apparition de la technique du caryotype avecnotamment dès 1959 la possibilité d'établir un diagnostic cytogénétiqued’anomalies chromosomiques30 et dès 1965 celle de produire un caryotype fœtal àpartir du liquide amniotique, c'est en 1969 que H. A. Lubs publie un article danslequel il associe les cas de retard mental présents au sein d’une famille à un siteparticulier (et plus précisément constricté) sur le chromosome X.C’est donc au tour de Lubs de produire l’arbre généalogique d’une famille (dont 12membres furent examinés, desquels des cellules furent prélevées et étudiées), qu’ilaccompagnera d’une analyse cytogénétique par caryotype et de son traitementstatistique afin d’éclaircir l’épineuse question de l’hérédité de ce qui devenait lesyndrome X fragile31. Son étude a mis en avant une constriction à l’extrémité dubras long du chromosome X, objet d’étude central (il est fait mention plus d’unecinquantaine de fois de ce chromosome dans l’article de Lubs), et qu’il nommera“ marqueur ” (marker), dont la mise en évidence a permis “ the identification of theX chromosome in males and both X chromosomes in heterozygous females for thefirst time ” (Lubs, 1969 : 243) tout en ayant, selon lui, comme conséquencemédicale la plus immédiate de pouvoir offrir “ amniocentesis and therapeuticabortion to two women in this family if the marker chromosome is found in a malefetus ” (ibid.).

Relevons que c’est dans ce contexte de l’émergence de la cytogénétique et son outildiagnostique, le caryotype, que la Division autonome de génétique médicale de cequi était alors l’Hôpital cantonal vaudois a vu le jour, en 1967. Le Prof. EmileGauthier, alors chef du Service de pédiatrie, avait senti le besoin de faire de lagénétique médicale et de créer une structure, d’abord rattachée à la pédiatrie puisautonome, du point de vue administratif puis de facto. C’est Arnaldo Catti, unpédiatre, qui a été chargé de faire de la cytogénétique. Le généticien que nous avonsrencontré nous explique :

Il sortait alors de l’équipe qui avait découvert la trisomie 21 à Paris en 59. Il a fait unstage là-bas pour apprendre la technologie puis il a commencé, comme on commenceces choses, un petit peu en…presque en cachette, parce que les moyens et…laconviction n’était peut-être pas aussi forte qu’elle pourrait l’être aujourd’hui.

Petit à petit, la division s’est étoffée, pour devenir finalement une structurecomplète qui offre ses services sur 4 plans, ce qui constitue l’activité de base engénétique médicale : le conseil génétique; la partie cytogénétique; la partiemoléculaire; les dépistages.

30 On “inventera” par ce biais, la même année, la première grande maladie chromosomique : latrisomie 21.31 Notons que c’est en 1981 qu’une étude ré-explore la “famille de Martin-Bell” et montre que leshommes atteints à l’échelle phénotypique étaient porteurs de la fragilité du X. C’est ainsi quel’identité entre les syndromes du X Fragile et de Martin-Bell fut formellement établie. De la mêmemanière, en 1984, “ Lubs did a follow-up study on the family of his patients and found that they hadthe Martin-Bell syndrome with macro-orchidism ” (Neri et Opitz, 2000 : 230). Une marque de lanon-linéarité de la recherche biomédicale et de l’intrication des registres d’appréhension des corps.

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À la fin des années 70, la recherche autour des formes de retard mental liées auchromosome X s’étend et s’organise en un champ distinct à l’intérieur desdisciplines de la génétique humaine et médicale. Les chercheurs tentent d’établir lespectre des gènes liés à X à la base de déficiences mentales.

En 1980, le terme de “new genetics” est pour la première fois utilisé par DavidComings, éditeur du American Journal of Human Genetics, “ in commenting on apaper that outlined a novel approach to using DNA analysis for mapping the humangenome, and hence had great clinical potential ” (Weatherall, 1991 : 2). Cette“ nouvelle génétique ” fait son entrée en médecine quelques années plus tard, dansle but d’établir des diagnostics avant tout.

L’ADN est arrivé en médecine, en génétique médicale, dans les années 87-90.Evidemment que ça existait avant, mais la technologie était encore un peu compliquéepour l’appliquer aux diagnostics. Donc ça fait une quinzaine d’années qu’on acommencé à balbutier.

Le médecin généticien installé dans le privé.

Quant au syndrome X fragile, ce que les biologistes et médecins généticiensprésentent comme l’instant clef de sa compréhension “arrive” voire, tel qu’ils ledécrivent “fait irruption” en 1991, où “ everything (almost everything) becamesuddenly clear in the Spring of 1991 when three independant groups […] came upwith the gene of the fragile X syndrome, FMR-1 and with the brand-new concept ofinstability of a triplet (CGG) repeat as a mutational mechanism causing anticipationand distortion of the classic mendelian pattern of inheritance ” (Neri et Opitz, 2000 :231. Nous soulignons). Voici comment deux généticiens cliniciens et chercheursayant pris part aux débuts de l’“aventure moléculaire” du syndrome X fragile nousdépeignent une science - meilleure - faisant irruption d’un cercle de chercheurs telun Eurêka ! jaillissant de l’esprit savant d’un Archimède, effet soutenu par laconvergence des résultats de trois groupes de chercheurs (Scandinave, Australien etFrançais) publiés tous les trois en 1991. Neri nous fait également part d’un récit dumessager qu’il fut au cours d’une rencontre entre généticiens, participant de l’idéed’une science “spectaculaire” arrachée de ses conditions de production : “ Onepersonal recollection of that exhilarating moment is that of rushing to a geneticmeeting in Southern Italy, holding a hardly legible and incomplete telefax copy ofthe Verkerk paper [i.e l’équipe scandinave], and annoucing to a puzzled audiencethat yes, human genes can also mutate by just becoming bigger than they normallyare ” (Neri et Opitz, 2000 : 231. Nous soulignons). Notons l’usage, dans lasubordonnée finale, du discours indirect libre (il annonce que oui les gènes humainspeuvent aussi muter…) accentuant l’effet de déclaration dans son récit et renforcedu même coup notre analogie entre l’événement et un Archimède parcourant nu lesrues de Syracuse (au sud de l’Italie donc) en vociférant le fameux Eurêka ! .L’auteur est à la fois produit et prisonnier du mythe “ qui se moque descontradictions pourvu qu’il installe une sécurité euphorique ” (Barthes, 1957 : 87).

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Le gène responsable du syndrome “naquit” donc en suivant la “ nouvellegénétique ”, c’est-à-dire une démarche de génétique inverse32 où la connaissance del’ “ anomalie ” cytogénétique a servi de point de départ et de fil conducteur. C’est àl’aide des trois principes centraux du génie génétique (ou méthode desrecombinants d’ADN), à savoir l’hybridation spécifique avec les sondes ou lesamorces, la coupure spécifique par des enzymes de restriction et le clonagemoléculaire, que les chercheurs ont isolé des marqueurs dans la région fragile,toujours plus proches du gène recherché, permettant par la suite d’envisager undiagnostic prénatal génotypique indirect. Une sonde de la région a ensuite permis demettre en évidence, à proximité de la région méthylée, une séquence d’ADNinstable, dont la taille se trouve amplifiée chez les malades. Deux mécanismes ontété mis en évidence à propos desquels une controverse verra le jour (c’est-à-direqu’elle aura un certain écho dans la littérature spécialisée, de nombreuses autressont sans doute intervenues au cours de la recherche), impliquant les équipesfrançaise - de Strasbourg avec Jean-Louis Mandel - et australienne - sous ladirection de Grant Sutherland - quant à la succession de leur apparition et de leurrôle déterminant les symptômes du syndrome. L’un concerne le changement detaille du chromosome X et l’autre une série de modifications liée à la méthylationdurant l’“ impression génomique ” (genomic imprinting). Alors que Sutherland“ sees no role at all for imprinting ” et prétend que “ the change in size ofchromosomes is adequate for explaining all of fragile X genetics ”, Mandel admetcertes que l’imprinting est un facteur déterminant dans l’apparition des symptômesdu X fragile, “ but says that the issue of which comes first - the changes inmethylation or the changes in size - has not yeet been resolved ” (Hoffmann, 1991 :1070).

Quelle que fût l’issue du règlement de cette controverse et de toutes les autres quiont animé les laboratoires, il faut souligner que les nouveaux objets et énoncésprésentés dans les publications de 1991, outre le fait d’avoir été solidifiés par larésolution de ces controverses (qui est “ la cause d’une représentation stable de lanature, et non sa conséquence ” [Latour, 1989 : 627]) sont le résultat de mises àcontribution à la fois d’objets anciens réifiés et sédimentés “ dont chacun fut unobjet nouveau à un moment donné et en un lieu donné ” (Latour, 1989 : 225),notamment les outils des méthodes propres au génie génétique mentionnés ci-dessus : PCR, Southern blot, électrophorèse, sondes, enzymes de restriction (outilsbiochimiques) et d’objets, énoncés et méthodes anciens à réifier car peu stables, quisont, entre autres, ceux de Martin-Bell et Lubs : généalogie familiale, lien entreretard mental et site constricté sur le chromosome X, examen clinique33. Chaqueancien objet est d’ailleurs actualisé et doit correspondre à un degré de pertinenceélevé pour le scientifique qui en fera usage, au prix de se voir écarté et rejeté dans le

32 Elle est inverse car elle s’intéresse à une maladie génétique en partant de l’isolement de son ou sesgènes pour s’interroger ensuite sur la structure de la protéine qui en dépend, alors que dans lagénétique classique on aboutit au gène en partant de sa protéine.

33 Trois “objets“ qui auront nécessité une stabilisation forte, incluant un polissage drastique desdoutes, imprécisions et de leur caractère hypothétique que laissaient entrevoir leur usage de la partde Martin-Bell et Lubs dans leur publication.

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cas où il ne le serait pas suffisamment dans un nouveau cadre épistémique commecelui de la biologie moléculaire.

À travers la description de quelques jalons historiques de la recherche autour dusyndrome X fragile, nous avons souhaité montrer que le syndrome a été pris dansdes réseaux multiples de modes d’intelligibilité, des réseaux scientifiques quichacun construit à partir d’un cadre épistémique une série d’énoncés, d’outils,d’évidences et de preuves à la fois nouveaux et stabilisés, “mis en boîte noire” etréifiés. L’intérêt de la démarche est certes de montrer ce qu’il en était mais avanttout d’utiliser ces éléments pour éclairer ce qu’il en est actuellement. Où un nombred’acteurs important est en jeu et agit dans la création et la régulation (parclassification, par truchement de différents modes d’intelligibilité et de registres depertinence renouvelés à la lumière d’une situation spécifique ou d’une compilationde cas similaires) des formes vitales et des formes de vie du syndrome X fragile.Ces acteurs sont : les chercheurs médecins et biologistes dont les controverses, lespublications, les outils conceptuels et matériels constituent autant de manières deconstruire une intelligibilité pertinente du X fragile pour eux. Mais ce sont aussi desmédecins cliniciens : des neurologues, pédiatres et pédopsychiatres, généticiens etnéonatologues. Les autres acteurs - humains - sont les parents, les psychologues(que l’on trouve dans les unités de développement des maternités principalement),les éducateurs et enseignants spécialisés, les assistants sociaux. Les acteurscollectifs sont les assurances privées et publiques (l’A.I, l’assurance maladie), lasanté publique (l’Etat, la Confédération via l’OFSP), des institutions spécialisées(école, foyer, ateliers protégés), et des services itinérants d’aide aux parents et auxenfants atteints. Ils reviendront à tour de rôle et ensemble dans les parties suivantes.Avant cela, nous souhaitons brièvement revenir sur la particularité du syndromedont il est question dans ce travail, dans une perspective plus large et comparative.

4. Sa place dans le spectre nosologique

Aborder un tel syndrome, c’est se placer dans un cadre nosologique à la foisparticulier et très hétérogène. “Le X fragile” fait l’objet de diverses classificationsselon que l’on se place du côté de la structure moléculaire de la maladie, du côté deson hérédité ou du principal trait clinique qu’il peut engendrer, le retard mental.Elles soulignent la diversité des formes organiques que l’on rencontre dans cettemaladie et permettent de mieux connaître sa place dans le très large éventail desmaladies génétiques34 et des maladies non génétiques qui ont le retard mentalcomme signe dominant.

On distingue premièrement quatre types de troubles d’ordre génétique :

1. Mendéliens2. Chromosomiques (cytogénétiques)3. Liés à un seul gène avec héritage non-classique4. Multifactoriels 34 L’anglais parle de “ genetic disorders ” ce qui n’équivaut pas au terme français “ maladiegénétique ”, pourtant largement usité. Nous pourrions le traduire par “ trouble ” ou “ désordre ”, ceque nous ne ferons pas systématiquement.

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Le syndrome X fragile appartient clairement à la 3ème catégorie. Il est lié auchromosome X, mais ne suit pas le mode de transmission mendélien. Il existequatre sous-catégories caractérisées par leur non-conformité au modèle mendéliende dominance-récessivité. Le syndrome X fragile est l’archétype de la sous-catégorie “mutations avec répétition de triplets” (dont font partie, entre autres, lachorée de Huntington et la dystrophie myotonique ou maladie de Steinert ). Ce typede mutation “ dynamique ” et, partant, la génétique du syndrome X fragile, est une“ hérésie pour le généticien ” (heresy to human geneticist) selon les termes dubiologiste Charles Laird (Université de Washington à Seattle) [cité in Hoffman,1991 : 1070]. En effet, “ son hérédité particulière a laissé les chercheurs perplexespendant de nombreuses années ” (Waridel, 1998 : 9). Le nouveau concept, quiinclut et met en exergue l’instabilité du génome humain, a en fait permisd’expliquer les troublantes données produites aussi bien par la recherche que par laclinique. Le médecin généticien de Lausanne le confirme :

Il y a une dizaine d’années, on se trouvait devant des arbres généalogiques assezincompréhensibles. “ Ce n’est pas Mendel quand même, ça ne ressemble pas tout àfait. Pourquoi ça sort là, etc. ” Et grâce à cette notion, à cette découverte, c’estsimple, l’explication est très forte.

Le nouveau mécanisme mutationnel proposé a en outre modifié la conception de lagénétique humaine classique fondée sur la transmission d’une mutation pathogènesans modification d’une génération à une autre (mutation dite ponctuelle).

Un autre paramètre de classification de maladies génétiques dont fait partie lesyndrome X fragile est celui du retard mental. Nous ne voulons pas ici nous arrêtersur des questions de frontière entre normal et pathologique quant au développementcognitif et des facultés intellectuelles. Difficile en effet de déterminer ce qu’est unretard mental et ce qu’est une norme dans le développement cognitif, de savoir quiest retardé et qui ne l’est pas. Contentons-nous de remarquer que le moyen qui a étéadopté pour établir des distinctions entre le normal et l’“anormal” sur le plan dudéveloppement mental et même pour graduer numériquement, et par stades,l’anormalité et la normalité est le test du quotient intellectuel (QI). Le test a denombreuses variantes et connaît des homologues destinés à rendre compte de l’âgemental. Nous savons donc que le retard mental “ is most commonly classified onthe basis of IQ ” (Toniolo, 2000 : 221), et qu’il se présente dès la petite enfancebien qu’il soit mieux diagnostiqué au cours de l’âge scolaire. Au niveauépidémiologique, “ from 2 to 3% of the human population has learning andbehavior disabilities and an IQ less than 70 ” (ibid.). Dans la moitié des cas,l’étiologie reste indéterminée.

Une grande et hétérogène catégorie de retard mental est celle dite XLMR, pour X-linked mental retardation ou retard mental lié au chromosome X. En effet, commenous l’apprend Roger Stevenson (de Greenwood, Caroline du Sud), “ although it isassumed that genes that influence cognitive function are ubiquitous in the humangenome, to date, more such genes have been found on the X chromosome than onany other comparable segment of the autosomes ” (2000 : 174). Ce sont environ 130syndromes “XLMR” qui ont été identifiés. 25 gènes ont été cartographiés et clonés,

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55 autres ont été cartographiés mais non clonés (ibid.). “ Currently, close to 200different gene loci on the X chromosome have been associated with mentalretardation. This number is certain to increase as the X chromosome is fullysequenced, the genes partitioned, and their functions determined ” (ibid.).De tels syndromes de retard mental lié à X trouvent un critère de catégorisationdans la présence ou l’absence de traits cliniques distincts en plus du constant retardmental (de présence constante mais d’intensité variable!). Chez certains patients,aucun signe clinique particulier outre le retard mental ne peut être décelé. De telscas sont appelés retard mental lié à X non-syndromal (nonsyndromal XLMR).Notons enfin que si l’on nomme le plus fréquemment le syndrome qui nousconcerne dans ce travail “ X fragile ”, il en existe cependant plusieurs formes, dontla plus répandue - celle qui se superpose au terme “générique” que nous employons- est le syndrome FRAXA dont le gène FMR-1 est muté. Les deux autres formessont le FRAXE et le FRAXF dont les gènes sont situés sur le bras long duchromosome X, à côté du FMR-1.

Les causes connues de retard mental ne se limitent de toute évidence pas à desfacteurs génétiques. Voici quelques-unes des plus fréquentes causes héréditaires etnon héréditaires, génétiques et non génétiques, afin de brosser un portrait plusprécis de la pluralité des affections au centre desquelles se retrouve le retard mental.On distingue :

1. Les causes prénatales2. Les causes périnatales3. Les causes postnatales

1. Outre le syndrome X fragile, les causes prénatales sont nombreuses :

- Aberrations chromosomiques : trisomie 21, trisomie 13, trisomie 18, syndromedu cri du chat, syndrome de Turner, syndrome de Klinefelter, entre autres. Endehors de ces syndromes, des aberrations mineures des chromosomes sontobservées dans 7 % des cas de retard mental inexpliqué.

- Anomalies congénitales du système nerveux telles que la dystrophiemyotonique de Steinert.

- Troubles héréditaires du métabolisme : par exemple, la phénylcétonurie,maladie enzymatique due à la dégradation d’un acide aminé (par défautd’enzyme) à la place de se voir transformé en un autre acide aminé. Il en résulteune accumulation pathogène dans le sang conduisant à une dégradationprogressive du cerveau. Son dépistage est systématique en Suisse depuis 1965(au 4ème jour de vie). L’incidence est de 1 cas sur 15000, ce qui est très peu, maisun traitement existe pour les nouveau-nés qui en sont atteints.

- Infections in utero : rubéole, cytomégalovirus, toxoplasmose, syphilis.- Médicaments tératogènes pris par la mère.- Syndrome d'alcoolisme fœtal (enfant né d’une mère alcoolique) : association

d'arriération mentale, microcéphalie, microphtalmie, anomalies faciales, parfoismalformations cardiaques.

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2. Sont des causes périnatales de retard mental :

- Une prématurité sans soins appropriés- L’anoxie (absence dans le temps de l’apport d’oxygène dans les tissus)- L’hémorragie cérébrale et d’autres complications périnatales

3. Finalement, pour les causes postnatales on trouve entre autres :

- Les méningites et les encéphalites- Les intoxications par le plomb ou le mercure- Les traumatismes crâniens chez le nourrisson ou le jeune enfant- La malnutrition. Cette dernière, souvent associée à l’infection, est une cause

fréquente d’arriération mentale dans les pays “en voie de développement”.

Le syndrome X fragile trouve donc une place très restreinte comme facteurd’explication causale. Il est par contre un facteur explicatif relativement importantlors de transmission particulière d’un retard mental à travers les générations. Laconnaissance du génotype reste cependant, de manière générale, un facteurd’explication très limité de tel ou tel phénotype. La présence d’une “croyance” dansla force explicative du génotype réside sans doute en grande partie dans les rapportsambigus qu’entretiennent les différents registres d’appréhension des formes vitales.Un balancement permanent entre le registre macroscopique et le registremicroscopique s’inscrit dans la courte histoire de la recherche biomédicale - labiomédecine est une invention de l’après deuxième guerre mondiale - et se retrouveprincipalement dans la biologie moléculaire, dont un principe explicatiffondamental réside dans la “forme” de la molécule. En 1949, Linus Pauling publieson fameux article “Sickle cell anemia, a molecular disease” dans lequelclairement l’usage du registre anatomique est introduit comme facteur d’explicationdu registre moléculaire :

“ Per Pauling l’anemia falciforme non è una malattia dovuta a una molecola […], ma a unamalattia della molecola. L’applicazione del termine malattia a una molecola […] è quiusato nel senso del linguaggio comune, esattamente come si parla di malattia di cuore o deipolmoni. L’idea di base è che l’emoglobina vada considerata come un organo su scalamolecolare, che può essere “malato” come un qualsiasi altro organo. Ciò corrisponde ad unaspetto teorico centrale nella biologia molecolare, l’idea che le proteine possano essereconsiderate organi, il cui comportamento non viene spiegato fisiologicamente, con unafunzione, ma con una struttura ” (Fantini, 1992 : 433-434).

Ainsi, “ la struttura delle macromolecule, la loro “forma”, svolge a livellomolecolare lo stesso ruolo degli organi morfologici studiati dall’anatomia classica ”(Fantini, 1992 : 434-435).

La superposition des fonctions et des structures organiques d’échelles totalementopposées ou le balancement entre les échelles a lieu également dans le cas dusyndrome X fragile, principalement chez les chercheurs, les parents d’enfantsatteints et certains professionnels de la santé.

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Le syndrome que nous avons décidé de retenir en tant qu’objet d’étude de nouveauxassemblages dans les biomédecines contemporaines est en fin de compteparadoxal : s’il fait l’objet de nombreux tests génétiques35, il est par contre malconnu des professionnels de la santé. Ils sont peu ou mal informés de sesparticularités et des besoins spécifiques des enfants et adultes qui en sont atteints.La raison de ce que d’aucuns fustigent comme une lacune importante dans lesystème global de la santé publique est à chercher dans les caractéristiquesgénotypiques et phénotypiques, qui ne “parlent pas d’elles-mêmes”, qui ne sont pasmutuellement réductibles les unes aux autres. Et sans doute chaque acteur et grouped’acteurs construisent-ils leur pertinence du syndrome à travers leurs pratiques sansnécessairement “voir de X fragile” dans les maladies qu’ils observent, vivent,prennent en charge ou “pratiquent”. Nous verrons ce qu’il en est dans la prochainepartie, consacrée au laboratoire d’analyse.

35 Il s’agit du test le plus fréquemment effectué au sein de la division de génétique médicale duCHUV (96 tests pour l’année 2001).

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IV. LE LABORATOIRE. LIEU DE (RE)PRODUCTION ET DE LISIBILITE DU “GENE PATHOLOGIQUE”

Nous nous sommes rendus dans deux laboratoires, évoqués dans la partie II (p. 13)Ils sont un lieu que l’on peut opposer au laboratoire de recherche fondamentale,avant tout sur le plan de leur mission et des fonctions qu’ils remplissent. En effet, àl’inverse du laboratoire de recherche, le laboratoire d’analyse (moléculaire) met enscène un dispositif de services ; il est au service de la médecine clinique. Il reçoitdes commandes de tests à réaliser dans les meilleurs délais qui doivent être dequalité optimale. En outre, son rapport aux formes vitales est particulier. Voyons enquoi36.

1. Connaissance et travail des formes vitales

Le laboratoire exploré n’est certes pas un laboratoire de recherche “fondamentale”,mais le vivant y est aussi manipulé : la digestion d’enzymes, le marquage denucléotides, l’hybridation sont des “outils vivants” où le vivant transforme et esttransformé. Cependant, les formes vitales sont là, il n’y a pas de création àproprement parler de nouvelles formes. L’innovation est inexistante puisque lesdispositifs d’analyse reproduisent des étapes connues et standardisées, qui ontpermis de créer de nouvelles formes vitales, celles-là mêmes dont on cherche laprésence ou l’absence (la mutation et la méthylation du gène FMR-1). Nouspourrions dire qu’on y “travaille” les organismes, le vivant et l’on travaille aveceux. On confirme, renforce et éprouve une stabilité des faits naturels que leslaboratoires de recherche ont mise sur pied, ont façonnée grâce notamment, commenous l’avons vu, aux controverses réglées et à la cristallisation et mise en boîtenoire d’énoncés et d’outils nouveaux à l’aide de leurs homologues anciens, eux-mêmes anciennement nouveaux. L’espace du laboratoire de diagnostic moléculaireest donc celui des faits stabilisés et connus. La routine est installée dans ses murs.Les divers outils auxquels on a recours dans ce laboratoire servent à l’applicationd’une science construite et non controversée - elle ne l’est plus. Il est d’ailleursintéressant de constater que les collaborations avec les laboratoires de recherche“fondamentale” sont quasi inexistantes. Parmi les quelques rares liens, il fautcompter les publications spécialisées qui leur permettent de se “ mettre à jour ”avant tout sur le plan des méthodes employées. Car c’est au niveau des méthodesd’utilisation des outils-boîtes noires et de leur mise au point que coexistent certainespratiques de stabilisation, de standardisation et de gestion de la cohérence qui sefont au travers de certains “ bricolages ” ou agencements tenant compte des moyensalloués, du nombre de collaborateurs - directement proportionnel aux moyensfinanciers à disposition - et de leurs qualifications, de la charge de travail, donc dela demande de tests à réaliser. Quant aux techniques utilisées, comme nous l’avonsvu pour le test du X fragile, la PCR et le Southern blot sont au centre du laboratoire.Elles demandent des efforts certains pour leur mise au point, leur “domestication”.En effet, comme le soulignent K. Jordan et M. Lynch dans leur article consacré aux 36 Nous nous focaliserons sur le terrain fait dans le laboratoire de la Division autonome de génétiquemédicale, quoique les interventions du médecin généticien qui ponctueront le texte aient été faiteslors de la visite de son cabinet-laboratoire.

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processus de dissémination, standardisation et routinisation de la technique de PCR,“ the performance of the technique is far more contingent and complicated than onewould imagine from the enthusiastic descriptions in the trade and popularliteratures ”. Et d’ajouter : “ the design and use of the technique can vary incountless ways ” (1998 : 783). Les procédures sont liées à de nombreuxparamètres : les étapes changent en fonction de la séquence d’ADN “investiguée”,de la quantité de l’échantillon et des outils retenus. Quant aux méthodesd’application,

vous êtes obligés de mettre au point vous-mêmes une méthodologie, de prouverqu’elle est efficace, de faire des contrôles, c’est ça que j’entends par rechercheméthodologique. Adaptation d’une découverte plus fondamentale à un service qui estle diagnostic. Ce n’est pas automatique, vous êtes obligé de bosser dans votrelaboratoire, de mettre du monde dessus, de faire des essais, jusqu’au moment où vousêtes sûrs que la technique marche et après vous l’appliquez…à moins que la recette,quelqu’un l’ait déjà mise au point, et je dis, allez, je la reprends telle quelle, mais jedevrai quand même la modifier, parce que c’est jamais… On doit mettre au point laméthode pour l’appliquer. Et ça, ça prend quand même du temps, ce sont destâtonnements.

L’explication vient du médecin généticien installé dans le privé depuis peu37. Voicice qu’il nous dit d’autre :

V.P. : Y a-t-il des différences entre les techniques et les méthodes d’application,entre par exemple le CHUV et vous ?G.P. : Certainement, l’objectif cherché est bien le même, des diagnostics précis, maisles technologies, les techniques peuvent peut-être différer. Et ça c’est valable pourdes choses où il n’y a pas de mise au point commerciale de test, quand le test n’estpas commercialisé. Dans ce cas, ça veut dire que toute la recherche méthodologiquea été faite par une boîte qui vend après le produit. Donc vous n’avez presque qu’àl’appliquer. Mais c’est selon, il n’y a pas de kit pour tout.V.P. : Il y a donc des entreprises qui mettent à disposition…G.P. : Pour certains tests génétiques, et là s’il sont bien faits, tout le monde lesachète, même les grands hôpitaux, quitte à dépenser un peu d’argent.

En ce qui concerne le test du X fragile, le laboratoire de la Division autonome degénétique médicale utilise un kit de marquage des sondes, composé de la solutionavec l’amorce, une solution tampon, une enzyme et de l’ADN standard (de hareng).Ce kit, conservé dans un congélateur, est utilisé pour tous les marquages de sondesau moyen de radioactivité. Mais il ne permet pas de faire l’économie de la mise aupoint de méthodes, comme on l’apprend de la biologiste responsable :

V.P. : Pour le test du X fragile, vous avez dû mettre au point une méthode ?F.T. : C’est des tests qui sont décrits de toute manière dans la littérature, mais entrece qui est écrit et puis l’application pratique, il y a des petites différences qu’il fautmettre en marche.

37 C’est d’ailleurs le premier et le seul à l’avoir fait en Suisse, l’entreprise étant périlleuse au vu del’ampleur de l’investissement pour mettre sur pied un laboratoire de génétique comprenant unservice de cytogénétique, de diagnostic moléculaire et de conseil génétique ; mais la demande esteffective et le sera sans doute de manière toujours croissante.

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V. P. : Mettre en marche, c’est-à-dire ?F.T. : Et bien, l’appliquer aux conditions de laboratoire, trouver les bonnesconditions de travail qui correspondent à notre manière de travailler.

La méthode n’est ainsi pas mise sur pied une fois pour toutes : “ Il faut bricoler, ilfaut suivre. On regarde comment ça fonctionne et s’il y a quelque chose qui ne jouepas, on change, on adapte ”.

Appliquer une méthode aux conditions de laboratoire et de travail dans celui-ci,c’est avant tout gérer une “ flexibilité procédurale ”, décrite par Jordan et Lynch.Cette flexibilité nous disent-ils “ has to do with selections of alternative materialsand instruments, precautionary steps and prophylactic architectures, the scale andrepetitiveness of operations, and the methods and mechanisms for coordinating andstandardizing practices. It implicates, and is implicated by, many features of thelocal economy at a specific production site, including the recruitment and trainingof staff and the costs and regulations involved ” (1998 : 784). Et chaque techniquede biologie moléculaire est flexible au niveau de sa procédure d’application. Ce quiexplique pourquoi chaque laboratoire d’analyse produit son propre protocole desétapes à suivre et des méthodes à respecter38.Une telle flexibilité peut être aussi synonyme de fragilité. C’est particulièrementvrai pour la PCR, dont la flexibilité est aussi une difficulté non dissimulée pour sesutilisateurs. Pour le syndrome X fragile, nous avions vu que son utilisation étaitpossible de manière complémentaire au Southern blot et avions simplement évoquéle fait qu’au sein du laboratoire de diagnostic moléculaire du CHUV, elle n’était pasutilisée. Les raisons apparaissent dans cet extrait d’entretien avec sa responsable :

F.T : Le Southern nous apporte beaucoup d’informations et on en reste là, parceque…V.P. : C’est suffisamment long ?F.T. : C’est ça, et puis... c’est long et coûteux ; la PCR ce n’est pas aussi coûteux,mais c’est difficile à mettre au point, c’est délicat.V.P. : Le Southern blot est-il donc le meilleur moyen technique ? F.T. : Pour ça, oui, c’est tout à fait suffisant.V.P. : Y a -t-il de nouvelles perspectives d’amélioration de ce test ?F.T. : Eh bien les perspectives, ce serait de remplacer la radioactivité par d’autresproduits.V.P. : C’est tout ? Et dans la démarche ?F.T. : Bon la PCR, c’est très précis, mais ça ne remplace pas ça de toute manière.V.P. : C’est précis, mais vous ne le faites pas ?F.T. : On ne le fait pas, parce que la mise au point est compliquée, très longue, prendbeaucoup de temps, et puis c’est assez aléatoire et on n’a pas de temps. Et en plus,avec la PCR, on ne peut pas avoir toutes les informations qu’on a là-dessus, parexemple la méthylation, la non méthylation. Et la prémutation, je crois que ça ne sort

38 Il n’y a pas de protocole standardisé pour tous les laboratoires romands par exemple. Chacundécide des instruments qu’il va utiliser pour tel ou tel test et de quelle manière. L’autonomie est doncentière. Cependant la Société Suisse de Génétique Médicale propose depuis quelques années des“guidelines”. Cette nouveauté n’implique nullement d’unification des démarches. Chacun en fait cequ’il veut : “ après chacun fait de toute manière comme il l’entend, on choisit ce qu’on veut” nousdit la biologiste du laboratoire de diagnostic moléculaire.

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pas très bien… On n’arrive pas à sortir toutes les informations qu’on a là. Il fautrevenir en arrière … 

En outre, pour le test du syndrome X fragile, le fragment d’ADN ne doit pas êtretrop grand. Et les allèles du gène (dont on cherche le statut de mutation) de plus de61 triplets ne s’amplifient pas correctement (Waridel, 1998 : 27).

La PCR pose indéniablement problème pour ce type de test d’une part, mais aussine s’insère-t-elle pas aisément dans une petite “ économie de performance ” (oupetit environnement de science appliquée) où là elle est utilisée pour desapplications moins standardisées que dans un environnement d’applicationsindustrielles à grande échelle (c’est-à-dire aussi à grands budgets). Jordan et Lynchrapportent de telles observations où les “ praticiens ” décrivent “ a far morecapricious technique than in the more industrial applications. In these environments,it is common to hear complaints about “PCR Hell” ” (1998 : 786).

Si la technique varie avec les conditions de pratique, c’est également le cas pour lesproblèmes. Leur apparition et leur nature varient selon les tests à effectuer et selonla technique employée pour les réaliser, mais ce n’est pas pour autant que celle-ciest “balayée” des pratiques de laboratoire. L’exemple de la PCR est évocateurpuisqu’elle reste au centre du laboratoire, en l’occurrence pour remplir la fonctionindispensable d’amplificateur d’ADN. Preuve en est sa position toute particulièredans l’espace du laboratoire de diagnostic : en effet, dans un couloir étroit, lapremière porte de gauche donne accès à la “ salle de la PCR ” comme on nous l’aprésentée lorsque nous passions devant. Nous n’y avons pas eu accès, pour desraisons de risque de “contamination” de l’ADN. La porte vitrée reste donc fermée etchaque collaborateur troque sa blouse de travail pour une autre dont l’usage estexclusivement réservé au travail dans la “ salle de la PCR ”, par précaution, pouréviter toute importation d’ADN qui ne serait pas celui du patient testé. Le dispositifqui permet de réaliser un Southern blot, entre autres, se situe quant à lui dans lapièce d’à côté. “ Il n’y a vraiment rien de spectaculaire, alors vraiment rien ” nousprévient la responsable, avant de nous y faire entrer. “ Il n’y a pas trop demachines ” me répond-elle lorsque je me renseigne de leur présence. Dans la salle,elle nous montre ce qu’elle a fait le matin même, nous décrit les étapes :

“ Maintenant je suis en train de digérer, en fin d’après-midi, je vais mettre sur le gel et jelaisse migrer jusqu’à demain. Demain ça fait mercredi, mercredi à jeudi, il y aura letransfert. Et la semaine prochaine on aura la radioactivité ”.

2. Inscriptions et inscripteurs : “ les appareils font le travail ”

Nous sommes revenus deux fois dans le laboratoire, pour suivre le test en traind’être fait et en train de se faire : en effet, chaque étape est composée d’un nombrelimité de gestes, qui prennent au laborantin ou à la biologiste entre quelquesminutes à une demi-heure, le reste “se fait tout seul” ou plutôt est fait par lesappareils qui composent le dispositif instrumental du laboratoire, sans oublier letravail même du vivant sur le vivant : “ tout se passe en effet comme si lebiochimiste et le généticien prêtaient aux éléments du patrimoine héréditaire leursavoir de chimiste et de généticien, comme si les enzymes étaient censées connaître

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ou devoir connaître les réactions selon lesquelles la chimie analyse leur action ”(Canguilhem, 1999 : 209)39. Car, faut-il le rappeler, avec Rheinberger, “ the centraltools of recombinant DNA work […] are not sophisticated analytical and electronicmachinery. They are themselves macromolecules that work and perform in the wetenvironment of the cell ” (Rheinberger, 2000 : 24).

Chaque processus est donc amorcé par les actes du laborantin ou de la biologisteavant d’être poursuivi par ceux des machines et des outils biochimiques, durantplusieurs heures en général, et pendant la nuit en particulier ; le lendemain, il“suffit” de constater que le travail s’est bien fait, bien que tout dépende de lapréparation de la veille : précision, bons paramètres, bonnes quantités, bonsétalonnages, etc. Ces processus ou ces étapes sont : l’extraction de l’ADN desglobules blancs40, la digestion enzymatique de l’ADN dans les mini-éprouvettes41,la migration de l’ADN sur gel d’agarose par électrophorèse, la coloration de l’ADNune fois migré avec du bromure d’éthidium (le tout est visualisé aux UV etphotographié, on peut ainsi se faire une idée de l’avancement de la migration), letransfert sur la membrane42, le marquage des sondes dans les mini-éprouvettes,l’hybridation des sondes marquées par radioactivité avec l’ADN migré et transférésur la membrane qui se fait dans le four à hybrider43 et enfin l’exposition aux rayonsX de la membrane enfermée dans une boîte.L’interprétation du statut de la mutation chez le patient testé se fait sur la base durésultat de ce long processus (le tout prend environ deux semaines, avec desvariations au niveau de la durée de la migration, du transfert, de l’hybridation et del’exposition dont dépendra la qualité de lisibilité des résultats). Ce résultat seconstruit par une série de transformations de “marquages” par des inscripteurs, ausens de Latour et Woolgar : sous le mot “ inscripteurs ” se rassemble “ tout élémentd’un montage ou tout agencement d’appareils capable de transformer une substancematérielle en un chiffre ou un diagramme directement utilisable par l’un de ceux quiappartiennent à l’espace “bureau” ” (Latour, Woolgar, 1996 : 42). En l’occurrence,le diagramme directement utilisable est une autoradiographie44 du résultat de toutesles étapes précédentes : d’une boîte noire sort une autoradiographie issue de 39 La remarque de Canguilhem est pertinente en ce qui concerne les “outils vivants”, bien qu’elles’applique dans son ouvrage à constater la confusion entre la pensée et la nature introduite par lenouveau concept en pathologie d’erreur. Il est donc question de maladie et non pas directement detechnique de laboratoire.40 À partir du double échantillon de sang du patient. Deux fois 5 ml suffisent.41 Les 2 enzymes de restriction sont choisies pour leur capacité de couper l’ADN double brin à l’endroit spécifique voulu. La digestion, donc le processus de découpage sélectif se fait dans unincubateur réglé à 37°C.42 Le transfert - blotting- est fait de manière assez artisanale : un bac en plastique dans lequel onsuperpose, dans l’ordre, la solution tampon, la plaque de gel d’agarose, la membrane en nylon, unpapier buvard humide, un papier buvard sec, une grosse couche de papier essuie-mains, un carreaude vitre et tout au-dessus on pose un poids. Par effet de capillarité, l’ADN fixé sur le gel va êtreentraîné vers le haut par la solution tampon et se déposera sur la membrane. Le lendemain dutransfert, l’ADN est fixé sur la membrane grâce à la chaleur d’un four à UV.43 Lors de l’hybridation, donc de la mise ensemble de deux ADN de sources différentes (dont celledu patient), la sonde connue qui s’hybride avec la séquence complémentaire du gène recherché va sefixer.44 Le préfixe “auto-” confirme ce que nous disions de l’autoproduction partielle des inscriptions. Onpeut aussi comprendre par là que “ la science et la technique font le travail ” et livrent des résultatsd’un travail sur des formes vitales (extrait d’ADN) à partir de formes vitales (enzymes, nucléotides).

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l’exposition aux rayons X de la membrane-de-nylon-avec-l’ADN-migré-transféré-hybridé.Cet ADN-migré-transféré-hybridé a donc subi la transformation de l’hybridation, iln’est plus à proprement parlé l’ADN du patient dont on cherche à infirmer lediagnostic du syndrome X fragile que le médecin demandeur soupçonne, au vu deses traits physiques, de son retard mental avéré ou/et de la présence d’autres cas deretard mental ou de syndrome X fragile dans la famille. Dans ce sens, on pourraitvoir dans cette transformation partielle l’émergence d’une nouvelle forme vitale.Mais selon nous, la nouvelle forme vitale pertinente et en permanence réactualisée àtravers le test dont nous venons de décrire les étapes est dans ce que cet ADN peutrévéler : la mutation du gène. En outre, l’ADN travaillé et transformé ne révèle rienen soi, c’est sous forme de traces, de traînées dessinant des bandes disposées côtes àcôtes (voir figures 1 et 2 en annexe ; la première est tirée d’un article scientifique etla seconde d’un livre consacré aux diagnostics génétiques) fixées sur un filmsensible qu’il constitue la base matérielle à une lecture du normal et dupathologique. Nous sommes dans un registre du “ scopique ” ; l’“erreur génétique”donc la “pathologie moléculaire”, c’est la tache trop longue visée par la biologistesur l’image, tache qui sera aussi mesurée (une échelle graduée en kilobase, unité delongueur équivalant à la séquence de 1’000 paires de bases a été placée, lors del’exposition, à côté du tracé des bandes). Le recours aux deux registres du“ scopique ” et du “ métrique ”, quasi simultané ou successif déterminera la naturenormale ou anormale de cette tache et donc la nature de la mutation parmi les troiscas de figures possibles, spécifiques aux maladies génétiques à mutations ditesdynamiques : l’absence de mutation, la présence d’une pré-mutation ou celle de lamutation complète. Trois possibilités qui s’expriment à la fois en termes de nombrede répétitions de triplets, de taille mesurée des traînées obtenues et de taille estiméeà l’œil nu de ces bandes45. L’œil qui intervient en premier lieu par la lecture ducliché autoradiographique jauge, mesure et donc sait. Le résultat de la batterie detransformations et d’inscriptions faites par et avec l’ADN du patient donne à voir età savoir.

F.T. : On peut estimer la taille, on sait que c’est 5.2 [kb] ici, on a une échelle, uneéchelle là [montre sur photo de l’électrophorèse], on pourrait la reporter et vouspouvez estimer la taille. Et la taille indique le nombre de triplets, le nombre derépétitions. En tout cas, 50 triplets, ce serait normal, bon on voit des fois une légèreaugmentation, jusque là ou là, ça dépend [elle montre la radiographie].V.P. : La différence entre prémuté et muté est ténue …est-ce que vous la voyez ?F.T. : On voit s’il y a une prémutation, c’est sûr, ça sort de la ligne de base. C’estsuffisamment précis pour ça.

Ce regard n’est toutefois pas à l’abri du doute, de l’incertitude et des difficultésd’interprétation.

45 Le nombre de répétitions est évoqué et compté en général par un médecin généticien et unbiologiste, les deux autres termes concernent le biologiste ou le médecin généticien qui fait le test.Les parents reprennent les termes de “ muté ” “ pré-muté ” pour expliquer le statut de leur fille ou deleur fils. Nous verrons plus loin ce qu’ils impliquent du point de vue des classifications, de lacomparaison et des discours quotidiens.

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3. Résultat et interprétation : maîtrise du doute et construction d’évidence

Le dispositif instrumental, au travers de son produit final, rend visible ce qui nel’était pas. Il rend aussi potentiellement lisible le visible, c’est-à-dire interprétable etdonc source d’une connaissance, ou plutôt d’une reconnaissance car il redistribue cequi a été établi dans un espace défini (celui de la recherche). Ce point le rapprochedu tableau utilisé par la clinique - et décrit par Foucault (1997 : 113-114) - en ceciqu’“ il ne fait rien connaître ; il permet tout au plus de reconnaître ” (114).Potentiellement, car c’est le regard et ses conventions portés sur l’image qui vareconnaître la nature de la mutation. Cependant, cette reconnaissance n’est pasreconnaissante au dispositif de son apport indispensable. En effet, la biologisteévacue totalement les conditions matérielles de la production de cettereconnaissance lors de la lecture et n’y a plus recours en cas d’éventuels problèmes.Donc les étapes de la constitution d’un cliché à interpréter ne sont pas remises endoute, une fois les contrôles de validation de la démarche et des résultats effectués,tout le dispositif du laboratoire est oublié. En fait, bien qu’il se fasse oublier àl’inverse du cliché qui lui va dans le bureau de la biologiste, il est dans celui-ci.Tout le dispositif est contenu dans l’inscription ultime - le cliché - qui sera prisecomme unique support de reconnaissance. Tous les processus, les démarches, lesdispositifs techniques sont “ réifiés ” dans un nouveau document qui fera à lui seull’objet de toutes les attentions. Aucun doute ne sera émis au sujet des étapes, de lafiabilité des machines, de la compétence du personnel, des moyens à disposition,voire de la qualité même du produit fini. Comme le dit Boullier dans son travail quidécrit la pratique de la radiologie comme un enchaînement de transformations entreun patient-à-examiner et un cliché-à-interpréter, “ produire des images […] c’ests’en faire le porte-parole privilégié, puisque tous les autres porte-parole devrontraisonner à partir de la description figée qu’est l’image produite ” (Boullier, 1995 :27). C’est ainsi que la biologiste livrera un rapport de la lecture du cliché aumédecin demandeur. En cas de doute de sa part ou de demande de précision de lapart du patient, le cliché final leur sera fourni. Le médecin pourra donc livrer salecture, son explication et ses précisions à partir de la même image.

Et si l’interprétation peut poser problème, ce sera pour la simple raison que le casprésenté par le cliché est difficile. On est renvoyé ici à des particularités génétiquesd’une famille et à “ses” schémas de transmission de gène peu clairs. Lesparticularités individuelles sont donc parfois difficiles à “cadrer”, c’est-à-direqu’elles n’entrent pas toutes dans le cadre de la théorie, basée sur la compilation decorrélations statistiques entre le génotype et le phénotype46. Une telle tension entre“ théorie ” et “ réalité ” - celle de chaque individu - peut être réduite notamment parl’élargissement des investigations au niveau de la famille et de sa généalogie. Soitplusieurs échantillons de sang sont prélevés chez les membres de la même famillepotentiellement concernés par le syndrome, ce qu’un arbre généalogique aura pu 46 “ Si le patient n’a pas de symptômes avec 150 répétitions et le suivant la même chose, etc., on diraque jusqu’à 150 ou 190 ou 200, ça n’apporte pas de conséquence directe ou conséquence nonmesurable. Il y a des incertitudes, c’est de la biologie, mais il faut bien donner des critères, sinon onne peut plus rien faire, si on ne met pas des seuils. Ce n’est pas arbitraire, de dire “ bon si je prends100 patients qui ont 200 trucs, il y en a un seul qui a un symptôme, ou bien il y a personne, alors ques’il y en a 205, ils sont tous symptomatiques et bien je fixe ma barrière et voilà ”, ce n'est pasarbitraire. C’est statistique : compilation et comparaison ” (Le médecin généticien).

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établir au préalable47, soit la recherche généalogique se fera dans le cabinet dugénéticien à la suite de la mise en évidence par test génétique d’une prémutationchez un membre de la famille.

La nature dynamique de la mutation, avec son stade intermédiaire, pose toujoursproblème, “parce que ce n’est jamais noir et jamais blanc, la zone grise est plus oumoins étalée selon les gens ”, nous dit la biologiste. Ainsi peut-il être difficileparfois de distinguer une large prémutation d’une petite expansion complète. Dansce cas, c’est le statut de la méthylation de l’allèle qui prend toute son importance.

Quel que soit le problème d’interprétation du cliché ou de compréhension de lasituation de la famille, il faut aboutir sur un résultat univoque : il n’y a pas demutation, il y a pré-mutation ou il y a mutation complète. Comme le souligne legénéticien, “ il faut éviter les situations où c’est une probabilité que vous allezrecevoir. Il faut que vous ayez une certitude ”. “ Si le labo est trop lent ou imprécisou l’information trop vague, moi en tant que médecin, je dis “je ne vais plus chezeux, je ne peux pas recevoir de messages contradictoires, non, non, je veux desmessages clairs”, parce qu’après il faut le transmettre à la personne et si ce n’est pasclair, ça ne va pas ”. Quant aux patients, “ ce qu’ils veulent c’est un résultat fiable,précis, rapide. Le reste, ils ne savent pas ce qu’il se passe. Moi non plus je nevoudrais pas savoir tout ce qui se passe, ça ne me sert à rien ”. En effet, ils nesavent pas ce qui se produit dans la boîte noire qu’est le laboratoire d’analyse. Ilsignorent les pratiques qui s’y déroulent, ils ne soupçonnent pas l’importance del’écrit, de la trace, de l’inscription. Leur échantillon de sang, par exemple, porte unnuméro reporté sur chaque feuille de protocole, sur chaque éprouvette, sur chaqueplaquette. C’est pour “ assurer la traçabilité, ça, maintenant c’est sacro-saint ”, nousdit-on. De nombreuses traces écrites qui terminent en une série de traces sur uncliché radiographique. Puis intervient le regard expert de la biologiste, seule dansson bureau. Ce qui compte à ce moment, c’est à la fois la qualité du visible (uncliché avec un minimum de “ bruit de fond ”) indispensable à une bonne lecture, laconnaissance du sexe du patient qui permet d’orienter l’interprétation s’il y a lieu dele faire et l’attention du regard, sa bonne disposition à évaluer et à mesurer la tailledes bandes.

Le rapport destiné au médecin fait subir une dernière transformation à la donnée dedépart (l’échantillon de sang) : le résultat est univoque et la réduction à la“ théorie ” est complète, on revient au schéma conceptuel clé de la maladie àmutation dynamique : aucune mutation, une pré-mutation ou une mutationcomplète. On est en plein dans le registre génétique ou moléculaire et à ce stade, iln’explique rien de la maladie. Il n’est pas question de syndrome, ni même defragilité de l’extrémité du bras long du chromosome X. Il a été question tour à tourdans ce parcours de laboratoire, d’ADN, de gène, de répétition de triplet,d’expansion de la taille de l’allèle, de taille de bandes sur un cliché radiographique.Les modes d’intelligibilité du laboratoire ne vont ni jusqu’au syndrome ni jusqu’au

47 Cela dit, un arbre généalogique peut souligner la présence de retard mental non spécifique dans lafamille et non pas spécifiquement un ou des cas de syndrome X fragile, cela est particulièrementvalable pour toutes les généalogies qui incluent des membres nés avant l’apparition d’une des formesde test du syndrome X fragile.

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chromosome. Tracé par le dispositif instrumental et procédural, par le regard et sesconventions, le registre de pertinence n’inclut pas les symptômes multiples, il neretient pas la clinique, pas plus que la cytogénétique. La génétique construitl’intelligibilité de la mutation par le biais de ce qui fait sens dans un tel laboratoire :la précision, la qualité, la fiabilité - les trois doivent être suffisantes comme il a étémentionné à plusieurs reprises - l’inscription, l’écrit, la reproductibilité, la taille, lenombre, le regard. La forme vitale est ainsi rendue lisible au travers d’uneimbrication entre “regard moléculaire”, dispositif technique et contexte socio-technique et bioscientifique.

4. Laboratoire et clinique : quels liens ?

Le syndrome X fragile n’est en fin de compte pas construit dans l’espace dulaboratoire. Une partie de lui-même y est cependant reproduite (sur la base derésultats de la recherche fondamentale) et reconnue : son diagnostic étiologique48.C’est donc une re-connaissance partielle du syndrome, à savoir son originegénétique, qui est en jeu dans le laboratoire. Cette re-connaissance n’est pas àproprement parler un diagnostic, elle est un “montage technico-épistémique” qui seconstitue comme élément d’un assemblage diagnostique plus complexe. Le testmoléculaire reconnaît certes la mutation qui est la cause du syndrome, mais il ne“ connaît ” pas “ à travers ” - au sens étymologique du terme diagnostic - le corps etses symptômes, au-delà mais au moyen de ceux-ci. Si l’on admet que le“ diagnostic s’établit par un jeu dynamique et constant entre la réalité, la taxonomieet la technique, entre ce qu’il y a “à voir”, ce que nous “voyons”, et ce “avec quoinous voyons” ” (Peitzman & Maulitz, 1999 : 169), il faut se demander pour le casdu syndrome du X fragile ce qu’il y a à voir, ce que nous voyons, ce qui le classe,quelles techniques y participent et par quelles médiations nous le voyons. Il devientalors indéniable que l’intervention du laboratoire n’est pas complète, elle ne suffitpas à éclairer le phénotype, d’autant plus dans le cas du syndrome X fragile où, bienqu’il soit de cause monogénique, les symptômes sont multiples et variés et où aucunsigne n’est pathognomonique49. Dans le laboratoire, le syndrome est donné à voir àtravers ses composantes étiologiques génétiques transformées d’un état organique àune présentation matérielle de ses traits pertinents pour la biologiste (des traînéeslisibles par un regard expert). Les étapes du laboratoire le classent finalement entant que cliché-à-interpréter et en tant que donnée devant se superposer à la“théorie”. On ne voit donc pas de traits cliniques. Existe-t-il un lien avec laclinique ? Quel est le lien entre le laboratoire et la clinique, puisque la biologisteelle-même assure - “ et heureusement ” nous confie-t-elle - n’avoir aucun contactavec les patients ? Outre le rapport du résultat adressé au médecin, circulant d’unespace à l’autre et outre l’échantillon de sang du patient qui parcourt le laboratoireen subissant des transformations jusqu’à l’image que la biologiste tient entre sesmains, c’est du côté des normes mêmes du laboratoire qu’il faut chercher, de ses“normes de vérité”. En effet, la constitution des 3 statuts de non-mutation, pré-mutation, mutation dépend d’un “syndrome X fragile clinique”, tout comme celui-cine peut se passer du “syndrome X fragile de laboratoire”. Au niveau de la 48 Qui vise la connaissance de la cause de l’affection.49 Un signe pathognomonique, dans le jargon médical, est un signe qui ne se rencontre que dans unemaladie définie et qui suffit à lui seul à la caractériser et à établir un diagnostic.

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recherche, la présence de symptômes chez un grand nombre de cas a été considéréeà la lumière d’une analyse moléculaire qui a déterminé un lien causal entre laprésence de symptômes (en particulier le retard mental et le macro-orchidisme chezles hommes post-pubères) et la présence de différents stades de mutations. Lanature de la mutation a somme toute été construite comme signe unique et univoquede la présence du syndrome X fragile50.En ce qui concerne la pré-mutation, c’est la taille de l’expansion de l’allèle qui sera,chez la femme, le meilleur point de contact avec la clinique, puisque descorrélations fortes entre génotype et phénotype ont souligné leur interdépendance :comme nous l’avons vu, la taille est proportionnelle à la gravité de l’expressionphénotypique.

Un autre point de rencontre entre le laboratoire et la clinique se retrouve dansl’arbre généalogique, “ omnipresent, essential and yet taken for granted and almostinvisible ” (Nukaga, Cambrosio, 1997 : 33). Il accompagne souvent dans despublications liées au syndrome X fragile l’image reproduite du clichéradiographique (cf. figure 1 en annexe). L’arbre renvoie non seulement au conseilgénétique mais également à la parenté, reconstituée dans un registre médical depertinence. Tant l’arbre que le cliché, résultats d’une série de transformations et detraductions, se retrouvent destinés au diagnostic (dans le sens le plus large que nouslui avons attribué) en tant que données stabilisées relevant de l’évidencebiomédicale.

L’étape du laboratoire, bien qu’irréductible à la clinique, partage donc des objets-frontière avec celle-ci - le cliché, l’arbre, la mutation - qui chacun à sa façon semodule pour intervenir pertinemment dans chaque lieu, sous des regards différents,dans des machines différentes et par des pratiques distinctes. Autant d’objetsconcrets et abstraits qui débordent les frontières des disciplines, des lieux pratiquéset celles, dans notre texte, imposées par les contraintes de l’écrit.

Ayant tenté de parcourir la re-production et la re-connaissance des formes vitales ausein d’un petit laboratoire de biologie appliquée, nous souhaitons sortir de ce lieu etemmener avec nous les éléments participant aux assemblages diagnostiques dusyndrome X fragile.

50 Le nom même de la maladie est le reflet des diverses conventions du regard (bio)médical à traversl’histoire de la maladie. En d’autres termes, il exprime les trois “registres épistémiques” qui l’ontconstruits comme entité nosologique : le “ syndrome ” renvoie à la deuxième étape de sa description,au niveau clinique (il a fallu réunir des symptômes sous l’étiquette d’une maladie), le “ X ” renvoieaux premiers soupçons de Martin et Bell quant à la possible existence d’une maladie commune dansla famille étudiée, liée à X. Et le qualificatif “ fragile ” fait référence à la cytogénétique et à l’étudedes chromosomes. Le registre actuel (moléculaire) ne fait pas son “apparition” dans le nom de lamaladie bien qu’il soit le moyen “rationnel” et efficient (rapport coût - efficacité) - mais non exclusif- de la détecter. “ Dans le jargon, une fois que vous avez un terme, il doit résister ” nous dit legénéticien interrogé.

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V. LA CLINIQUE. ARBRES, SIGNES ET CLASSIFICATIONS

1. Introduction

À ce stade de notre travail, il serait judicieux de préciser quels assemblagesdiagnostiques il s’agit de dégager de notre séjour en laboratoire dont le chapitreprécédent rend compte. La séparation en chapitre que nous avons choisi d’adoptercontribue à faire penser que chaque partie - et notamment la précédente - est unisolat à la fois dans notre travail et dans la réalité. Or ce découpage ne doit pas êtresaisi comme un “calque” de la réalité du syndrome X fragile. Bien au contraire,nous devons rappeler à quel point sa réalité est multiple et à quel point les pratiquesdu X fragile s’assemblent en formes originales soulignant la coexistence d’unepluralité d’univers sémantiques construits par et autour des pratiques. Ces universétant issus, entre autres, des classifications et interprétations que les pratiquesgénèrent de manière concomitante à leur propre apparition.Cependant, la mise en réseau de ces pratiques, les croisements des communautés depratique, font se rencontrer les classifications et les “logiques classifiantes” quiagissent sur la maladie, les formes vitales et les formes de vie. Ces logiques étantdivergentes, les accords se font par négociations et se concluent autour des objets-frontière dont le contenu est suffisamment malléable et plastique pour qu’il contenteles acteurs impliqués.Alors qu’en est-il du laboratoire et ses épistémès structurants que les dispositifsmatériels en place participent à renforcer ? Qu’en est-il de lui et ses alliés hors deson espace réduit des quatre murs qui le délimitent ? Que fait-il “à” la clinique ?Quelles pratiques entrent dans les autres lieux pratiqués ? Que font-elles ? Unpremier élément de réponse va dans le sens d’une diffusion des logiques declassification biologique et moléculaire de la maladie dans les sphères, qui, a priori,ne partagent pas ces mêmes “noso-logiques”, leur registre de pertinence necoïncidant pas avec celui qu’elles véhiculent. Entrons donc dans le cabinet dupraticien51 clinicien, celui du généticien tout d’abord, puis dans celui du pédiatreafin de voir ce qui se passe et de savoir à quel saint se vouent leurs pratiques. Noussuivrons ensuite les pérégrinations du syndrome dans les espaces multiples dessinéspar les pratiques - notamment d’association - des parents.

L’ordre de passage des deux médecins en fonction notamment de leur spécialitérespecte un souci de notre part de parcourir le spectre diagnostique du syndrome Xfragile d’une extrémité à l’autre, sur le plan de l’intervention et de l’investissementgraduels décroissants de discours construisant une cohérence sémantique dusyndrome qui tient d’un registre génétique étoffé52. Une extrémité étant la recherchefondamentale proprement moléculaire dont un des moments-clé est la mise au point

51 Précisons que nous n’avons pas eu l’occasion de suivre de consultation. On connaît le problèmeque pose le secret médical aux ethnographes avides - de façon légitime vu sa portée heuristique -d’observation directe de la pratique médicale. Nous avons dû nous contenter de “recomposer” lapratique médicale de chaque médecin à partir du récit du praticien justement, avec toutes lesprécautions “morales”qu’impose un tel exercice (évoquées en page 12).52 Gradation décroissante que nous retenons pour l’instant plus comme une hypothèse, uneproposition que les prochaines étapes de notre travail devraient confirmer ou infirmer partiellement.

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d’un test qui permettra un diagnostic étiologique. L’autre se constituant des espacesd’organisation des parents chez qui la présence diffuse d’un “registre du génétique”,comme nous le verrons ultérieurement, est modulée - tout comme le contenu mêmedu registre - en fonction de leurs propres activités, desquelles transparaissent desregistres de pertinence et des modes d’intelligibilité qui puisent tour à tour dansl’univers du vivant et celui de la vie. Entre ces deux extrémités, on retrouve lelaboratoire, la génétique médicale et la pédiatrie53.

Précisons que la gradation - arbitraire et changeante - du spectre diagnostique dusyndrome X fragile en fonction du degré d’intervention d’un “épistémè génétique”mettant en avant le “travail” sur le génome humain s’aligne sur une remontée desformes vitales vers les formes de vie.

Notre démarche ne vise donc pas directement à suivre chronologiquement les étapesdiagnostiques par lesquelles peuvent passer des enfants, dont le cheminement prenddes formes innombrables selon qu’ils présentent tel ou tel symptôme, à un certainmoment de leur développement plutôt qu’à un autre. Le début d’une investigationétiologique peut en effet débuter dès la naissance, déclenchée par le premierexamen clinique du nouveau-né, ce qui est rare dans le cas du X fragile54 - voireavant même l’accouchement, dans le cas où la présence d’un retard mentalspécifique ou non dans la famille interpellerait les futurs parents. Cependant, lesschémas “classiques”, c’est-à-dire les plus répandus, de trajectoires diagnostiquessont ceux où une prise en charge sans connaissance de la cause des troubles est faiteen fonction justement de la nature des troubles phénotypiques. La première étapeest souvent celle où les troubles sont perçus par les parents à travers leur propreregistre de pertinence, exprimés en termes de retard (par comparaison avec d’autresenfants du même âge). De ce premier signe d’appel dépendra en partie le recours àtel ou tel médecin ou autre professionnel de la santé. Il s’agit cependant souvent dumédecin généraliste “de famille” ou du pédiatre. Ce dernier déléguera laresponsabilité, en accord avec les parents, d’investiguer plus à fond la cause destroubles ou de préciser un diagnostic “phénoménologique” (qui guidera une prise encharge thérapeutique ciblée) à tel ou tel spécialiste, dont la liste n’est pas infinie ence qui concerne le syndrome du X fragile. Il pourra s’agir d’un médecin généticien,d’un pédopsychiatre, d’un neurologue ou neuropédiatre ou d’un homologue plusexpérimenté dans ce domaine. Souvent ces médecins consultent en milieuhospitalier.Ces derniers ou le médecin de premier recours pourront adresser, au besoin, l’enfantà telle ou telle spécialité dite paramédicale (les parents pouvant évidemment s’yrendre de leur propre initiative, entre l’une des étapes décrites) : logopédiste,psycho-motricien, ergothérapeute, physiothérapeute mais aussi psychologue etpsychothérapeute. Les recours multiples et réguliers à ces acteurs dépendent de lavolonté du médecin et de celle des parents, dont la variabilité de l’investissementpour améliorer les capacités de leur enfant, soulager ses maux et lui rendre “ une vievivable ” est patente.  53 En ce qui concerne les acteurs “enquêtés”. Entre les deux extrêmités interviennent aussi tous lesacteurs impliqués, une fois ou l’autre, selon les symptômes décelés chez l’enfant. Une gradation deces acteurs selon le critère retenu pourrait également être fait.54 L’âge moyen de l’enfant dont on découvre le syndrome X fragile serait en Europe de 4 ans.

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Poursuivons notre remontée en nous rendant chez les cliniciens.

2. La génétique médicale entre clinique et laboratoire

De façon générale, il n’est pas difficile d’admettre que la clinique et le laboratoireentretiennent un rapport de complémentarité; la fin du chapitre IV est à ce titre unbon exemple. Toutefois, la différence essentielle réside sans conteste dans laprésence physique des patients ; en effet, “ clinicians see patients in the wards.While their clinical experience gives them a good idea of the specific disease fromwhich the patient is suffering, laboratory results are required in order to confirm,rectify or specify the initial diagnosis ” (Keating & Cambrosio, 2000a : 18). Nousavons vu cependant que pour le cas du syndrome X fragile, si l’expérience duclinicien joue un rôle certain dans l’activité du regroupement hiérarchisé etjudicieux des signes physiques, elle ne fait pas tout. De même manière, le recours àd’éventuels protocoles, algorithmes, check-list et autres moyens “rationalisants”d’aide au diagnostic ne mène pas sur la voie royale de la connaissance du type et dunom de l’affection55. De tels procédés peuvent toutefois mener à une prescriptiond’un test moléculaire spécifique. En arriver là est tout de même le résultat d’unemise à l’écart de nombreux autres troubles qui incluent des symptômes seretrouvant chez certains des patients atteints du syndrome X fragile.

Il n’y a donc pas de marche à suivre “toute faite” pour déceler cliniquement lesyndrome. Cependant, le médecin généticien bénéficie d’aides substantielles à la“ connaissance à travers ” les corps, au diagnostic donc. Il dispose pour se penchersur l’étiologie du syndrome de la présence du patient, d’un arbre généalogique de lafamille de celui-ci et du test de laboratoire. De plus, les parents se rendent rarementchez le médecin généticien de leur propre chef, le/la psychologue ou le médecintraitant aura soupçonné préalablement la présence d’une affection d’ordregénétique. Revient donc au médecin généticien le rôle d’établir le lien entre lephénotype observé et le génotype, puis d’évoquer avec le patient et sa famille lesrisques de transmission.

Vous prescrivez l’examen qui vous paraît le plus adéquat et ça c’est vraiment partout,dans tous les domaines de la médecine qu’on fait ça. Mais là, il y a quelques réservesà avoir parce qu’il y a des implications assez ambiguës dans tout ça, on pose undiagnostic, mais ce diagnostic après va s’éparpiller dans la famille, il y a une autrepersonne qui risque d’avoir, etc. Donc il faut quand même quelques précautions.

Parmi les innombrables maladies génétiques dont le phénotype est assimilable àcelui observé chez le patient pris en charge, le médecin généticien ne tâtonne paspar hasard dans telle ou telle direction : “ le X fragile ne se cherche pas à l’aveugle,

55 Par exemple, le site web de la National Fragile X Foundation propose une checklist pour lesmédecins (non nécessairement généticiens) ou autres professionnels de la santé proposant un série de13 signes dont il faut attester la présence (ce qui donne 2 points par signe présent), la présence dansle passé ou le degré “à la limite” (à quoi il faut attribuer 1 point) ou l’absence (0 point). Le nombrede points attribués à chacun des signes est additionné et comparé à des statistiques établies pardifférentes études : 45% des hommes avec un total de 16 points ou plus et 60% des hommes avec untotal de 19 ou plus se sont avérés être atteints du syndrome. Là aussi la clinique et le laboratoire ontdû échanger leurs données, se croiser et s’informer mutuellement.

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il faut une anamnèse, une histoire familiale ” nous dit-on. C’est en fait l’arbregénéalogique, que nous avons déjà abordé, qui permettra de faire le choix pertinentet efficient du test à effectuer. Arbre qui à la fois raconte et résume l’histoirefamiliale en termes médicaux pertinents. Nous l’avons vu avec Lubs, Martin etBell : l’assemblage de l’examen clinique, de l’arbre généalogique et du testgénétique porte le trouble non spécifique à la lumière de la reconnaissance du typed’affection formulé dans le registre de la génétique moléculaire. Ici clairement lesregistres coopèrent56.

Si le test moléculaire permet rétrospectivement de comprendre les risques liés àl’hérédité de l’affection, il est toutefois plus difficile de le concevoir commeidentificateur de symptômes à venir ou opérateur pronostique. En effet, comme lerelève pertinemment Dorothy Nelkin dans son article sur la “ dynamique sociale dutest génétique ” pour lequel elle se focalise sur le syndrome X fragile, “ a genetictest is hardly necessary to identifiy behavioral symptoms of hyperactivity orlearning problems ”. Elle ajoute : “ identifying the genotype is essentially irrelevant.The appeal of genetic testing, then raises some puzzling questions. Why do peopleseek genetic explanations of learning difficulties or behavioral problems if they donot lead to therapeutic solutions ? What shapes public expectations about themeaning of genetic diagnosis ? ” (1996 : 543). Si Nelkin apporte une réponse enabordant le pouvoir culturel du gène (en tant qu’icône de notre époque, construit etrelayé notamment par les médias, aux Etats-Unis avant tout), le généticien, quant àlui, nous fait partager un autre point de vue sur la question :

Si vous allez jusqu’au diagnostic, vous pouvez d’une part lever cette angoisse, direau moins “les médecins savent, ils m’ont expliqué, ils ont compris”. C’estthérapeutique ça, pas pour l’enfant, mais pour sa mère ou ses parents, sa famille. Cen’est pas rien. […] Lever le mystère apporte déjà un réconfort, je ne dis pas uneguérison, un réconfort sensible aux parents, ils savent au moins, mais en même tempss’ils apprennent que c’est une affaire héréditaire transmise involontairement par lamère, ça peut être culpabilisant, d’où la présence d’un médecin qui doit bienexpliquer les choses, répondre aux questions, faire comprendre que la dame, elle n’ypeut rien. Il faut beaucoup accompagner.

Le diagnostic étiologique serait donc un moyen de connaître la maladie au plusprofond de l’individu et permettrait de rassurer les parents (nous reviendrons sur cespoints). Cependant, le test ne parle pas im-médiatement aux parents, il faut apporterdes explications que le résultat du test ne contient pas (du moins pour les parents,car pour le médecin généticien, il amène et confirme tout un faisceaud’informations, notamment en ce qui concerne l’hérédité de la maladie). Cesexplications faut-il encore les exposer de manière à ce que les parents lescomprennent. Ce qui ne va pas de soi. En effet, “ geneticists talk in terms of risksand probability. As much research has demonstrated, some of their clients have agood deal of difficulty in making human sense of what they are talking about ”(Richards, 1996 : 269). Quant aux parents, ils “parlent” de parenté (kinship), quielle “ does not include the random element inherent in biological explanations ” 56 Notons que l’ordre des types d’intervention ne dépend pas seulement de leur pertinence à unmoment donné, mais aussi des coûts qu’ils engendrent. C’est pourquoi le recours au test génétiqueest rarement proposé comme premier moyen d’investigation.

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(Richards, 1996 : 270). Ainsi rencontre-t-on des réactions diverses de la part desparents, souvent désemparés par ce qui “ leur arrive ”, à eux et à leur(s) enfant(s).

Le généticien ne m’a pas été d’un grand secours. Il a été très pessimiste quant aufutur de mon fils. Me relatant plutôt des statistiques au lieu de prendre “ le cas ” demon fils individuellement.

Une mère de deux enfants atteints du syndrome

One time, after diagnosis, I met a geneticist, she stated that no knowledge ofprospective cure and no way of knowing my son’s potential.

S., mère d’un garçon atteint du syndrome

We choose not to play the counseling game and rather just adapt our lives accordingto OUR specific needs. Fragile-X children are so different and we grew tired veryquickly of them [les “counsellors”] being grouped as “they”. We chose to live ourlife and work on our particular problems and challenges on a day to day basis. Thecounselors we did talk to in early years were depressing and negative and not veryhopeful to our son.

Les parents d’un garçon atteint du syndrome

On le voit, le registre de pertinence biomédical du médecin généticien se fonde surla notion de risque et de probabilité. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. En effet,face à un résultat déjà stabilisé dans le laboratoire, le médecin généticien ne livrerapas de probabilité. Bien que la normalité du laboratoire, comme nous l’avons vu,repose sur des statistiques et des fréquences d’apparition, le résultat sera univoque.Ce qui le sera moins sont le phénotype futur et sa gravité. Dans ce cas, lesprobabilités et les risques prennent tout leur sens. Ici un paradoxe émerge. Ou plutôtqu’un paradoxe, ne serait-ce pas une propriété de la génétique médicale, gérant sondouble rapport envers le laboratoire et le patient, sa fonction de “fournisseur” deconseil génétique et endossant le rôle de l’annonce - voire de la production - desrésultats, clairs et univoques ? Les pratiques de génétique médicale le montrent, ilest à la fois question de risque et de probabilité, de compilation statistique et depatient individuel, unique, souffrant physiquement et/ou de manque deconnaissances, de détails, de pronostic, d’explications, de soutien. Manque que lagénétique médicale devrait pouvoir combler, notamment en tenant compte desregistres de pertinence des patients et de leur entourage.

Finalement, avec la génétique médicale, il se pourrait bien que la connaissance dusyndrome X fragile soit la plus complète. Elle traverse les registres et articule lesformes vitales et les formes de vie. Elle en est à mi-chemin. Toutefois, les formesde vie probables discutées voire prévues par la génétique médicale ne sont lerésultat que d’assemblages diagnostiques dont les composantes pertinentes sontavant tout d’ordre causal, moléculaire et généalogique (dans le sens d’indicateur etde descripteur médical des trajectoires héréditaires de la maladie). Anne Kerr l’asouligné :

“ Although geneticists often invoke their balanced approach to nature and nurture andchallenge simplistic expressions such as “the gene for…”, they tend to emphasize thefundamental role of genes in determining human health and behavior, and characterize their

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work as a series of steps where genes are identified, genetic tests and treatments aredevelopped, and diseases are eliminated ” (Kerr, 2000 : 849).

Nous verrons que les parents organisés en association autour (ou plutôt à partir) dusyndrome partagent ces termes dont non seulement le contenu diffère mais aussi lespratiques qui les forment et dont elles sont issues. Il ne s’agit pas ici, nous lerépétons, de faire état de divergences de point de vue ou de perspective entrespécialités, entre mondes incompatibles et d’en conclure à de trop nombreusesdifférences - ou disparités - irréductibles. Il n’est pas non plus question de s’arrêterau constat de la multiplicité du syndrome X fragile. Certes, il est “fait” et pratiquéde “différentes manières” par de nombreux acteurs et se fait par assemblages dediagnostics et d’éléments diagnostiques. Mais il est aussi construit par desassemblages toujours changeants et redéfinis entre “registres de la vie”, entre levivant de la science, la “ vie nue ” et les formes de vie. Ceux-ci n’étant pas au-dehors des assemblages diagnostiques mais en eux, en tant que composantes.Voyons maintenant ce qu’il en est du “pur” clinicien, ici représenté par le pédiatre.

3. Diagnostic et suivi pédiatriques : le X fragile, une cause superflue ?

Dans le cas de la pédiatrie, qu’elle soit neurologique, psychiatrique ou générale, lafamille est moins sollicitée par des instruments et outils qui la remodèlent dans unregistre de pertinence biomédical, à l’instar de l’arbre généalogique, bien qu’ellepuisse y avoir recours, généralement en vue de confirmer ou d’écarter uneéventuelle hypothèse de maladie génétique, qui se suivrait, dans le cas d’une fortesuspicion, d’une consultation avec un médecin généticien. Plus fréquemment fait-onappel à un dispositif tel que le “regard clinique” (décrit dans son épaisseurhistorique par Foucault en 1963), à des instruments-types plus ou moins spécifiquesde telle ou telle sous-spécialité en pédiatrie : tests d’évaluation de l’âge mental,certains “jeux” pour identifier d’éventuels retards de développement cognitif oumoteurs, etc. Mais une constante demeure : “ what is needed, indeed indispensablefor clinical diagnosis, is that there be a patient-body. This must be present. And itmust cooperate ” (Mol, 2002 : 24). L’enfant coopère donc en jouant, en étantprésent face au médecin et faisant ce qu’il lui demande d’effectuer.

Le pédiatre peut jouer de multiples rôles : médecin de premier recours57,intermédiaire ou d“étape clinique” avant que les parents ne se dirigent, surrecommandation de celui-ci, vers un médecin généticien, ce qui peut d’ailleurs seproduire après de nombreuses années de recherches diagnostiques vaines dans desregistres médicaux parfois très divers. Il peut également remplir le rôle de soutien etde médecin de “second recours”, c’est-à-dire qui intervient après la phase décriteplus haut, celle “de l’arbre et du test”. C’est à la fois le rôle d’investigateur de lanature du trouble constaté et celui du suivi de la “maladie-handicap” qui nousintéresse ici (nous reviendrons sur la distinction entre les deux termes et leurrapprochement).

57 Ce qui n’est pas toujours le cas pour le syndrome X fragile, où, selon l’âge de l’enfant dont ledéveloppement général inquiète les parents, d’autres professionnels de la santé et du social peuventintervenir de façon précoce et donc “devancer” le pédiatre dans ce rôle-ci.

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Chez l’enfant qui est déjà passé par un des divers “canaux” de prise en charge oudont la consultation chez le pédiatre en est la première “entrée”, ce dernier récolterades données à son sujet, lors d’une anamnèse “classique” qui inclut des questionssur les raisons de la consultation, les antécédents familiaux, les antécédentsmédicaux, l’alimentation et l’hygiène de vie, des questions (adressées aux parentsou à l’enfant selon son âge58) relatives au développement somatique de l’enfant et àson développement psychomoteur (vision, audition, développement affectif,cognitif, etc.). Le pédiatre pourra entrer en contact avec les éventuels autresprofessionnels de la santé (y compris psychologues du développement) qui auraientdéjà vu l’enfant. L’examen clinique comprend des données chiffrées (taille, poids),une appréciation générale de l’enfant (propreté, signes de maltraitance par exemple)et pour l’examen somatique une série de gestes techniques “de routine”(auscultation pulmonaire, percussion, palpations et autres inspections) qui visent àcontrôler l’état des différents appareils (cardio-vasculaire, respiratoire, digestif, etc.)et à apprécier les éventuels dysfonctionnements des principaux organes.L’observation de la stature, de la morphologie de l’enfant est centrale en vue dedéceler une éventuelle anomalie de forme, une déformation, une malformation oude détecter une asymétrie des membres inférieurs ou supérieurs. Une autre partie del’examen clinique comprend une appréciation du système nerveux, dont l’état deconscience, la motricité globale et fine, la sensibilité, la vision des couleurs serontmesurés, jaugés, évalués et reportés par écrit.Tous ces moments de la consultation, ce “ battement régulier de la parole et duregard ” (Foucault, 1997 : 112), de la question et de l’observation et ces inscriptionsqui en sont issues sont autant d’éléments susceptibles de livrer une série de signesdiagnostiques, de pistes de connaissance du trouble, sans jamais circonscriresûrement et durablement la totalité du phénomène morbide. “ La descriptibilitétotale est un horizon présent et reculé ” (Foucault, 1997 : 116).

Le syndrome X fragile n’est pas cliniquement descriptible de manière exhaustive.On peut être conduit à le faire figurer dans un diagnostic différentiel59, selon lessignes réunis à partir de l’examen clinique dont chaque donnée est comparée à des“ constantes vitales ” ou valeurs normales sous forme de tables, tableaux oucourbes. Toute mesure ou donnée anormale n’est pas nécessairement un signediagnostique, mais elle permet une certaine focalisation sur un phénomène quipourra l’être. Pour le syndrome X fragile, le médecin clinicien se rapprochera sansconteste de son diagnostic s’il constate des valeurs anormales à ces différentsniveaux : le développement psychomoteur, le niveau cognitif, le langage, l’attentionet le pouvoir de concentration. Les données de l’examen physique varieront selonl’âge, mais elles pourront contenir des “ dépassements de normes ” tant au niveaude l’observation du faciès, du volume testiculaire qu’au niveau de la taille.Différents tests peuvent attester l’existence de certains de ces problèmes - de retard

58 La pédiatrie distingue en principe 4 stades selon l’âge : le nouvau-né, le nourrisson (de 2 à 14mois), le petit enfant (de 15 mois à 4 ans), l’enfant d’âge scolaire (de 5 à 10-12 ans) et l’adolescent(de 13 à 18 ans). À chaque groupe d’âge correspond un certain protocole de l’examen clinique.59 Il consiste à poser plusieurs diagnostics possibles et éliminer les affections voisines de celle quesouhaite identifier le médecin, ceci au fur et à mesure de l’apport de nouvelles données (issues d’undes moments décrits ci-dessus ou d’examens complémentaires).

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pour la plupart - que les parents auront souvent déjà relevé et pour lesquels ilsauront éventuellement pris les premières mesures qui s’imposaient. De plus, laprécision non pas d’un diagnostic mais de symptômes dont la présence est attestéepar leur écart mesuré, évalué, estimé à une norme et dont la prégnance est unfacteur de leur hiérarchisation permettra au médecin et aux parents de cibler uneprise en charge spécifique qui répond à des besoins de l’enfant. À ce stade, lesparamètres étiologiques d’ordre génétique n’entrent pas en ligne de compte dans laconnaissance globale du trouble. Ce sont ici uniquement les symptômes quiremplissent une fonction d’opérateur de prise en charge.

Dès lors la question se pose : est-ce suffisant d’établir un diagnostic quasifragmenté en autant de signes décelés par le médecin ? Une conclusion mettant enavant la pluralité de symptômes concomitants suffit-elle à engager une prise encharge de l’enfant ? Le pédiatre que nous avons rencontré répond clairement : oui.Le registre clinique ne semble pas “considérer” comme pertinente la connaissancecausale du trouble présenté par le syndrome X fragile. Le diagnostic étiologique,nous l’avons vu plus haut, permet de rassurer les parents, de leur donner une clefd’explication aux troubles multiples de l’enfant, il permet aussi de considérer lesrisques liés à l’hérédité du syndrome. Cependant, il n’indique que très peu dechoses au clinicien. En d’autres termes, le diagnostic clinique n’intègre pas lediagnostic étiologique dans son schéma d’appréhension des signes. Ceux-ci sontsans doute liés à une cause “profonde”, mais son ignorance ne freine pas la prise encharge thérapeutique, qui elle n’aura pas d’influence sur les causes de la maladie(c’est une des particularités des maladies génétiques face au schéma classique detraitement).

Il n’y a pas de rapport avec l’étiologie pour moi. C’est un phénomène qu’on retrouvedans toute une série d’autres troubles génétiques, ce n’est pas propre au X fragile[…] Et ce n’est pas le X fragile que l’on traite. On répond à un besoin de l’enfant,pas à un besoin de X fragile. Ce n’est pas pareil.

Le pédiatre consultant à l’Hôpital Nestlé

Est-ce à dire que le diagnostic génétique n’est d’aucune aide pour le clinicien ? Pasexactement : “ le résultat ne va pas changer directement l’offre d’interventionauprès de l’enfant, mais il va quand même changer tous les messages qu’on vadonner à la famille. On pourra aussi leur indiquer dans quel contexte l’enfant va sedévelopper ” nous dit le même pédiatre. Et d’ajouter : “ le X fragile peut expliquerles difficultés qu’il a, mais il reste une personne unique, donc nous devonsessentiellement tenir compte de ses compétences, de ses interactions, de ce qu’ilpeut donner ”.Le pédiatre soulève ici un point important : celui des classifications qu’opère lemédecin, où plutôt celles qu’il devrait éviter de faire étant donné que “ chaque êtreest unique ”. En effet, la plupart des cliniciens - les médecins généticiens compris -se défendent d’ “ enfermer les enfants/ patients dans un diagnostic ” et mettent engarde contre l’ “ étiquetage ” d’une maladie sur un patient, bien que “ pour lesparents ce soit assez tentant, parce qu’ainsi on a une explication pour tout ”, nousdit le pédiatre. Leur bonne volonté est patente, cependant ce n’est pas tant lesmédecins eux-mêmes qui procèdent par classification mais bien plutôt les pratiquesmédicales elles-mêmes. Les gestes techniques présentés ci-dessus, la parole, les

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questions de l’examen clinique, et pour les généticiens, l’arbre généalogique et letest génétique sont autant de dispositifs et procédures techniques, matériels etconceptuels qui discriminent, éliminent, évaluent, comptent, classent, écartent,incluent, séparent, ignorent, etc. Les classifications accompagnent les diagnostics.Keating et Cambrosio l’affirment : “ in medicine, classification is coincident withdiagnosis and the constitution and transformation of both diagnosis andclassification follow from and lead to changes in the knowledge of the entities thatare diagnosed/classified ” (2000a : 106). Le processus diagnostique lui-mêmeconsiste en un certain nombre de classifications. Classifications qui ne sont jamaisindividuelles ni même collectives ou générales. En effet, comme le précisentKeating et Cambrosio dans le même article, “ classification […] occurs at theintersection of individual and generic patients ” (ibid.).

Ces pratiques “classifiantes” agissent indéniablement sur la prise en charge del’enfant au même titre que les nombreux paramètres comme la connaissance ou nonconnaissance de la cause génétique des troubles, de la prise en compte ou non de lahiérarchisation du degré de manifestation de tel ou tel symptôme, l’âge de l’enfant,sa situation familiale (antécédents de retard mental, par exemple), voire au niveaumoléculaire le type de mutation et le nombre de répétitions de triplets. Nousprendrons deux exemples.

- L’âge auquel la cause du syndrome est identifiée joue un rôle dans la prise encharge. Si l’âge est déjà avancé (8-10 ans et plus) au moment de la “découverte”de la cause génétique du syndrome chez l’enfant, celle-ci n’aura pas l’effet d’unbouleversement dans la prise en charge, elle ne sera pas considérée comme uneirruption dans la vie déjà organisée de la famille. Des décisions auront étéprises, l’enfant sera déjà orienté dans son parcours scolaire, le suivi médical etparamédical sera déjà assuré. Tout cela au vu de la présence de symptômesuniquement. La connaissance de la nature du trouble par voie moléculaire vapermettre, pour sa part, de recibler ces prises en charge. De recadrer lesexigences éducatives, pédagogiques, et de confirmer la pertinence de telle outelle activité thérapeutique “de surface”, ou d’abandonner telle autre. Une mèrede deux enfants adultes (27 et 30 ans) dont la présence du X fragile a été avéréepar test génétique il y a 9 ans, nous a livré un récit de sa situation. En voici unextrait :

P. et M. ont toujours été suivis par un neurologue. Et on a fait beaucoup de thérapie[psychothérapie], on pensait que c’était parce que je m’occupais plus du premier etdonc que le 2ème avait des troubles de comportement et puis des difficultés delangage du fait qu’on voyageait beaucoup. Et puis après, lorsqu’on a découvertqu’ils étaient X fragile, on a mieux compris. […] Mais après le test, on ressent unecertaine culpabilité de ce qu’on a demandé au deuxième, on a été très exigeant, onl’a élevé pratiquement comme un enfant “normal”. Si j’avais su, je n’aurai peut-êtrepas été aussi exigeante, c’est vrai.[…]C’est important de faire le test, en tout cas nous ça nous a aidé, ça nous aide àprendre les bonnes décisions.

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- Quant à la prémutation caractérisée par une taille “intermédiaire” de lamutation, qui n’est pas “déclencheur” de symptômes, elle aura tout de mêmeune conséquence au niveau de la prise en charge : l’enfant porteur pourra, dèsl’âge adulte (ou avant), être suivi par un psychologue ou/et par le généticiendans la mesure où des informations doivent être apportées et des choix précisés :quel risque de transmission, connaissance des antécédents familiaux, désir deprocréer et compatibilité avec son statut de porteur de prémutation, etc.

À la suite de ces différentes considérations, il est difficile de contredire AnnemarieMol lorsqu’elle se penche sur les rapports entre diagnostics des différents sites de“fabrication” de l’athérosclérose (ceux de la clinique et de la pathologie) et qu’elleécrit : “ even if they go under the same name, the “diseases” diagnosed in differentsites, do not necessarily coincide. Instead of being aligned into coherence, inpractice reality is multiple ” (Mol, 2000 : 96). Toutefois, la réalité de la pratique, sielle est multiple et ne s’aligne pas dans la cohérence, n’est pas pour autantproductrice d’incohérence et d’incompatibilité entre les diagnostics. Certains lieuxpratiqués - tels que les associations de parents de malades - dans lesquels “ theclinic doesn’t take the lead ” (Mol, 2002 : 41) montrent au contraire un assemblageentre les dimensions des éléments diagnostiques, une intrication plus ou moinsforte, dont nous présenterons ici un exemple saillant, qui précisera notre propos etpermettra la transition vers notre dernière partie.

4. De la maladie au handicap

Fragile X syndrome is not a disease, we were never told that. You can’t catch frombeing near that person.

La remarque d’une mère nord-américaine participant au forum nous fait réfléchiraux termes employés et à employer au sujet du syndrome X fragile. La plupartdes parents et professionnels de la santé parlent simplement du “ X fragile ”, sanspréciser de quoi il s’agit. Cependant l’éventail des mots qui décrivent uneatteinte à la santé est large, en français et en anglais surtout. Un rapide passageen revue des termes que l’on rencontre n’est pas inutile. En anglais, on distinguela disease de la illness. Le premier terme renvoie au mal organique, à la maladied’un organe, d’un système, à une lésion physique. Il est l’objet premier dumédecin et ce dont se préoccupe la nosologie. La illness est la catégorie la plusfréquemment étudiée par les sciences sociales, c’est la maladie vécue, lessouffrances, le mal-être causés par la disease. D’autres termes apparaissent dansla littérature spécialisée, de vulgarisation, dans les discours des professionnels dela santé et des associations de malades. Une de celles-ci, l’AFM, sur le modèlede l’OMS, a établi une liste de troubles, considérés en tant que causes, en regarddesquels figurent les domaines responsables de leur prise en charge (pris commeconséquences des troubles) :

Lésion -> Domaine de la scienceDéficit -> Domaine de la médecineIncapacité -> Domaine de la réadaptationHandicap -> Domaine de l’insertion sociale

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“ Cette quadruple distinction présente l’avantage de couvrir de manière exhaustivel’ensemble des problèmes posés par les maladies génétiques tout en établissantentre eux une étroite interdépendance ” (Rabeharisoa, Callon, 1999 : 27).On ne peut donc réduire le syndrome X fragile à une seule “ maladie génétique ”.Le détour par la pédiatrie nous l’a montré. Cette “ médecine générale de l’enfant ”se préoccupe plus des besoins spécifiques de l’enfant et ne se laisse pas guider parun diagnostic étiologique d’ordre génétique. De plus, le terme même de maladiesemble poser problème. Le pédiatre rencontré nous le fait comprendre : “ pour le Xfragile, je n’aime pas l’idée de maladie ”. Alors que les catégories indéfinies detrouble et d’affection, communément utilisées en médecine, font l’impasse sur lapossibilité ou non de traiter, de soigner, d’éradiquer et de recouvrer la santé, lamaladie semble contenir en elle les espoirs de la guérison, du moins la possibilitéd’un traitement. D’autre part, l’idée de maladie comme quelque chose qui “ nousarrive ” ou “ qui nous saisit ”, souvent de manière subite, prédomine. Pourtant, dansle cas du syndrome qui nous intéresse, nous rejoignons ce qu’écrit Canguilhem dansses “ Nouvelles réflexions concernant le normal et le pathologique (1963-1966)60 ” :“ La maladie n'est pas une chute que l'on fait, une attaque à laquelle on cède, c'estun vice originaire de forme macromoléculaire ” (Canguilhem, 1999 : 210).

Le terme de maladie ne nous semble donc pas incompatible pour décrire lesyndrome. De plus, un traitement de “surface” est possible. La maladie en tant quelésion organique fait partie du répertoire du syndrome X fragile, nous l’avons vu,avec les “lésions du gène” que l’on trouve dans le registre de pertinence de larecherche et du laboratoire. Et finalement, la “ maladie ” recoupe les quatreregistres de la classification ci-dessus. Un exemple peut-être donné à partir du termede “ handicap ”, qui concerne le domaine de l’insertion sociale, dont s’occupeégalement la pédiatrie61.

Le pédiatre ne se contente pas de dégager les signes du trouble de l’enfant. Son rôleest aussi, outre l’éventuelle prescription d’un test génétique, celui du dialogue avecles parents, du soutien familial et de l’aide à la décision. Dans quelle école iral’enfant, quelle thérapie le soulagera le mieux, le pédiatre va donner son avis,diriger l’enfant et ses parents vers telle ou telle institution, fera appel à des services,etc. Ici la maladie relève clairement du registre du handicap, donc de l’insertionsociale de l’enfant et des parents, dans un réseau de prise en charge et desocialisation. Conjointement, le registre de l’incapacité sera abordé et desprescriptions de séances chez d’autres professionnels de la santé en fonction dessymptômes relevés et du souhait des parents seront prévues.

À ce titre, un service qui nous paraît intéressant est le BSPE, pour Service debesoins spéciaux pour la petite enfance, rattaché au CHUV. Un organisme uniqueen Suisse romande dont le principe de fonctionnement est l’intervention précoceauprès des parents dont un enfant présente des problèmes de maladie congénitale ou

60 Dont la partie qui nous intéresse aborde les affections liées à une “ erreur génétique ”.61 Bien qu’elle n’utilise pas le terme de handicap pour décrire aux parents le trouble de l’enfant avantun certain âge - grosso modo celui de la scolarisation. Ce “tabou” est sans doute lié au fait que leterme de handicap renvoie à la socialisation de l’enfant que l’on présenterait par ce terme commeproblématique quand bien même elle serait à peine commencée.

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chronique précoce. Ce sont les pédiatres et les psychologues et médecins de l’Unitéde Développement du CHUV qui préviennent le BSPE de l’existence de tels “cas”.

Cette prise en charge est tout ce qui concerne le côté administratif de la maladie. Ilfaut remplir un formulaire destiné à l’AI, annonçant la problématique de l’enfant.[…] D’où l’intervention du BSPE, une section de Pro Infirmis, dont le but est desoutenir, guider, conseiller les parents/familles ou pour simplement écouter lamère/le père en souffrance. Pour cela, une assistante sociale se déplace à votredomicile, à votre demande. […] Sans l’aide de ce service, j’aurais eu bien du mal àfaire face à tout ce côté “ paperasse ”.

La mère d’une fille et d’un garçon atteints du syndrome et présidente del’association X fragile de suisse romande (sise à Renens) évoque également un autreservice proposé en Suisse romande, le Service éducatif itinérant (SEI), pour lequel,

une éducatrice spécialisée vient au domicile des parents afin de “ combler leslacunes ” de l’enfant. Ce service dure jusqu’à l’entrée scolaire, mais il peut êtreprolongé jusqu’à ses 7 ans. En général, ce sont des séances qui durent une heure etce, une fois par semaine. Le SEI est pris en charge par l’AI.

La maladie est donc prise en charge en tant que handicap par le BSPE et va fairel’objet d’une aide sociale pour les parents, avant tout au niveau de la gestion“organisationnelle” et “administrative” de leur vie particulière avec un enfantprésentant une “ infirmité congénitale ”. Cette intervention peut avoir lieu avant letest moléculaire ou sitôt après l’annonce du résultat positif. Les deux cas de figureexistent pour le syndrome X fragile, mais l’intervention ne se fait pas dès lanaissance, au vu de la nature des symptômes avant tout d’ordre psychique etpsychomoteur, non observables précocement62.

L’intervention se fait sur plusieurs fronts et implique des acteurs hétérogènes. Lepédiatre peut jouer le rôle de centralisateur et de déclencheur de telles prises encharge, tout en restant celui qui s’occupe des symptômes pouvant être traités oudu moins contenus par des médicaments, c’est-à-dire ceux qui s’apparentent àdes déficits. À ce niveau-là, encore une fois, “ l’étiologie ne m’intéresse plus, onaura exactement les mêmes outils que pour n’importe quel autre trouble. Ce n’estpas spécifique à ce syndrome ”, précise le pédiatre.

Revenons aux termes que la langue anglaise propose pour signifier un trouble etdemandons-nous quelle articulation, quelle configuration existe entre les termesillness, disease et handicap dans le cas du syndrome X fragile. Il nous paraît clair,au vu de ce qui a été montré jusqu’ici, que les trois notions s’y imbriquent, elles ledécrivent et lui donnent forme. Elles impliquent des rapports entre la “vie vécue” etla “ vie nue ”, entre l’individu fait patient et la population de patients faite norme.

62 Le BSPE a d’ailleurs émergé à la suite d’une demande du service de néonatologie du CHUV. Laprise de contact avec les parents se fait donc pour les maladies graves et/ou chroniques précoces quel’on diagnostique peu de temps après la naissance ou pour les “infirmités congénitales” lourdesdécelées dès l’entrée dans la vie, tels que le syndrome de Down ou d’autres formes de maladiescongénitales ou hérédiataires dont les signes se manifestent très tôt.

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Leur articulation, toujours mouvante, au sein des registres déjà parcourus met enavant tantôt l’une tantôt l’autre. Et non seulement, comme le précise AnnemarieMol dans la conclusion de son article sur l’athérosclérose entre pathologie etclinique, “ a patient’s illness is not (only) located alongside the disease diagnosedby doctors, it (also) has a specific place within it (Mol, 2000 : 96), mais à la fois laillness et le handicap qu’elle peut être “en société” s’inscrivent dans et se fondentsur la disease, qu’elle soit reconnue dans les gènes ou qu’elle se manifeste auniveau phénoménologique.

Somme toute, la maladie du patient, sous ses formes organique, vécue et“sociale” est contenue effectivement et en puissance dans les assemblagesdiagnostiques du syndrome que dessinent le laboratoire, la génétique médicale etla clinique pédiatrique “classique”, sans qu’une de ses formes soit imputablespécifiquement à tel lieu pratiqué plutôt qu’à un autre, ou à tel registre plutôtqu’à un autre.

Enfin, en ce qui concerne les parents, ils vont “chercher” à obtenir un traitementefficace pour endiguer les symptômes de leur enfant et un diagnostic précis, doncétiologique, qui répondra à une attente de connaissance de la nature causale de lamaladie. La maladie sera ainsi construite sur un assemblage de deux registresprincipaux ; celui de la (re)connaissance du phénomène visible de la maladie etcelui de la (re)connaissance des caractéristiques “profondes”, génétiques dumême trouble. Leurs pratiques, comme nous le verrons, balancent entre ces deuxregistres tout en restant inscrites dans un registre de pertinence qui hiérarchise,réduit et essentialise, en vue de donner du sens là où il n’y en a pas de façoninhérente et de le partager lorsqu’il ne l’est pas.

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VI. LES “ ENFANTS X FRAGILE ”, LES PARENTS ET LEUR ORGANISATION. PRATIQUES, IDENTITES ET BIOSOCIALITE

Le diagnostic moléculaire assemble une inscription du vivant (les traces du clichéde laboratoire) et une inscription de la vie vécue dans un récit, une bio-graphie. Ilest donc doublement bio-graphique, les deux acceptions du terme “bio” quel’histoire lui a attribué (d’abord “vie vécue” puis vie en tant qu’objet de la science :le vivant) s’assemblant dans un même “moment”. Il assemble une matérialisationlisible des formes vitales avec une “matérialité” du vécu en puissance qui vas’exprimer au travers de pratiques - discursives ou non - inscrites dans destrajectoires de maladie particulières : choisir la meilleure prise en charge pourl’enfant, des soins ou thérapies ciblées, le mettre dans telle ou telle écolespécialisée, rencontrer des parents qui “vivent” le syndrome pour échanger desexpériences, pour s’informer, se réunir pour faire mieux connaître la maladie, etc.Autant de possibilités pour un gène dont l’inactivation complète est rendue lisiblepar des techniques qui sont à la fois techniques du vivant et techniques de la vie,puisqu’elles déterminent, même partiellement - avec le gène en question - des typesde prises en charge, des types nouveaux de socialité dont nous découvrirons ci-dessous les particularités.

Cependant tout n’est pas “décidé” par cet assemblage entre génétique, technique etvie vécue. À lui s’assemblent d’autres matérialités et d’autres réalités,“phénoménologiques” cette fois, décrites par la pratique clinique, dans le cabinet dugénéticien et à plus forte raison dans celui du pédiatre, comme nous venons de levoir. Elles jouent également dans la détermination des formes de vie nouvelles desfamilles concernées par le syndrome X fragile. Elles leur donne des moyensd’action de surface pourrions-nous dire (qui s’oppose aux profondeurs du “troublegénétique”, trouble ancré dans le gène) de soulagement des symptômes, par lerecours aux médicaments, par exemple (usage ciblé de neuroleptiques, anti-épileptiques, anxiolytiques, entre autres), à des thérapies psychiques,comportementales, dans le champ proprement clinique ou dans des espacesparamédicaux (donc non exclusivement liés à la pratique des deux spécialitésmédicales dont il a été question précédemment). Autant d’interventions possiblesqui dessinent des trajectoires de maladies particulières dans des assemblagesmatériels, institutionnels, professionnels, techniques, axiologiques, praxéologiqueset identitaires.

Précisions que le choix des parents existe, mais qu’il se fait sur un continuum limitédes possibles, qui fait écho à la nature même du gène muté et à la nature même desexpressions symptomatologiques cernées par le médecin clinicien et dans unecertaine mesure par les parents. En fait, les registres de pertinence des parents “sesaisissent” des traits de la nature - “pratiqués” par des techniques et des regardsspécifiques - et s’assemblent, donnant lieu à de nouvelles formes, de vienotamment.

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1. X fragile et syndrome

Le lien entre l’échelle chromosomique (désignée par le “ X ”), un qualificatif(“ fragile ”) et un faisceau de symptômes décrits par le patient, reconnus en tant quesignes par le médecin, observables à l’œil nu ou reconnaissables par différentesmédiations techniques dessine la complexité du syndrome dont il est question dansce travail. Les échelles et les modes d’intelligibilité qui les sous-tendent s’alignentcôte à côte pour former le nom d’une maladie. Nom qui, comme nous l’avons vu,comporte les éléments de l’histoire de son appréhension médicale et de ses modesde classification. Actuellement, nous pourrions dire que c’est le test moléculaire quia le “dernier mot”, qui le constitue comme un syndrome ancré dans le génétique etva au “fond des choses” ou autrement dit, au “fond des corps”. Mais nous avons vuégalement qu’il n’était qu’un élément d’assemblages multiples. Dans cette dernièrepartie, il ne s’agit pas de mettre les parents face à cette multiplicité qu’ils seraientcensés débrouiller ou avec laquelle ils devraient “composer”, face à desinformations qu’ils n’auraient pas participé à construire, qu’ils subiraient en tantque multiplicité irréductible, donc ingérable. Selon nous, au contraire, leurparticipation est au centre de ces assemblages diagnostiques. Ils ne font passeulement les frais d’une “ nouvelle forme vitale “pathologique” ” ou pathogènepour leur(s) enfant(s), devant s’adapter à l’irruption d’une nouvelle inattenduebouleversant radicalement leurs modes de vie, leurs pratiques et habitudes. Ils nesubissent pas (totalement). Ils coopèrent et donc co-assemblent. Pas nécessairementpar la force de leur volonté à comprendre et à agir, mais par celle de leurs pratiqueset habitudes qui en découlent et qui changent au cours des diagnostics multiplesinscrits dans des trajectoires d’enfants, chez qui tout d’abord “ quelque chosen’allait pas ”. À cela s’ajoute la constitution de nouvelles identités, forgées “sur” lediagnostic étiologique, se renforçant sur le terrain de la différenciation entregroupes d’appartenance, de ceux “qui en sont” et les autres.

La citation suivante, extraite du chapitre consacré au diagnostic de l’ouvragecollectif dirigé par Mirkò Grmek sur l’histoire de la pensée médicale (vol. 3), nousparaît partiellement vraie : “ au fur et à mesure que de nouvelles réalitésbiologiques, sociales et technologiques s’imposent aux médecins et aux malades,elles redessinent les méthodes et les habitudes par lesquelles on essaie de répondre àune question qui, elle, ne change pas […] : “qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?” ”(Peitzman & Maulitz, 1999 : 170). Partiellement, car plus qu’une impositionunilatérale de nouvelles “réalités” aux médecins et malades, il semble y avoirnégociation et imposition réciproque de “réalités” biologiques, sociales ettechnologiques co-construites, gérées et classées par le laboratoire (d’analyse et derecherche), les médecins, les malades et les parents de malades. C’est ce qui fait desdiagnostics des assemblages, contenant, comme nous le mentionnions tout au débutde notre travail, à la fois le visage du futur et les conditions matérielles, biologiques,techniques, épistémiques et socio-politiques qui le rendent possible.Reste à montrer comment s’organise ce futur. Nous verrons en quoi les assemblagesdiagnostiques se réactualisent, s’imbriquent et sont retravaillés par les discours desparents et leurs registres de pertinence.

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2. Des parents acteurs et mobilisateurs de sens : famille, parenté et identités

Pour le syndrome du X fragile, le diagnostic étiologique ne fait que rarementirruption dans la vie et la maladie vécue du patient, puisqu’“il doit attendre” lessignes d’appel que sont les symptômes (qui sont eux des objets-frontière entre lesespaces médical et familial), leur nature “décidant” partiellement de l’orientation dela prise en charge en vue de l’établissement du diagnostic. Il donne au médecinclinicien et aux parents un point d’ancrage dans le registre de l’intelligibilité duvivant et dans celui de sa signification. Les parents lui attribuent un pouvoird’explication a posteriori de tel ou tel trait de caractère qu’ils n’arrivaient pas àexpliquer en termes d’hérédité familiale issus d’un registre populaire - ou profane -de la transmission héréditaire de ressemblances. Il en va de même pour le mode detransmission du syndrome et son apparition. Une logique familiale “locale” prévautavant l’établissement du diagnostic étiologique et donc du nom de la maladie et deson mode de transmission. Comme l’écrit Martin Richards du Centre d’étude de lafamille de l’Université de Cambridge : “ family members try to make sense of thepattern of occurrence of the disorder they can observe in their family in terms oftheir previously held knowledge about inheritance. Not all members of a blood linewill develop a dominantly inherited condition, so it skips a generation, it appearsonly in first-born children, it is associated with particular physical or personalitytypes in the family, and so on ” (Richards, 1996 : 267). Cette logique préexiste audiagnostic, mais perdure souvent au-delà, dans une imbrication nouvelle entre unregistre de pertinence biomédical et un registre de pertinence familial.

C’est également le cas en ce qui concerne les symptômes comportementauxprésents avant toute intervention diagnostique clinique ou génétique : ils sontsouvent d’une étrangeté déconcertante pour la famille, alors même qu’ils“parleront” au médecin (sans pour autant, comme nous l’avons vu précédemment,le diriger nécessairement sur la piste du syndrome X fragile). Par exemple unerépétition continuelle des mêmes mots et des mêmes gestes et en particulierl’agitation des mains (stéréotypie, dans le jargon médical), une répétition fréquentedes mots que l’on prononce ou une imitation de la voix d’une personne qui setrouve en face (écholalie) sont des symptômes caractéristiques d’un retard mentalnon spécifique, jusqu’à ce que le résultat du test génétique fasse effectuer auxparents un regroupement des symptômes observés sous l’étiquette du “génotypepathologique” (le X fragile) :

Toutes ces caractéristiques me rassurent entre guillemets car je remarque que ça faittout à fait partie du problème du X fragile chez les adultes et les enfants.

La mère des deux adultes atteints du syndrome

Une autre tendance est celle de “symptômatiser” le réel, comme certains problèmesqui peuvent survenir à tout âge et concerner quiconque, et ainsi de les rapporter à laprésence du syndrome X fragile :

Concernant ma fille, au départ on avait décidé de faire le test sanguin du syndromeX-Fragile quand elle aurait atteint l’âge de 16 ans, c’est-à-dire juste un peu avant savie de femme. Mais vu ses problèmes en mathématiques en classe, ce qui est unsymptôme en rapport avec le syndrome chez une fille, nous avons décidé de lui faire,

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à elle aussi, le test de l’ADN, tout ceci afin de mieux l’aider scolairement et de mieuxcomprendre son “ blocage ” en maths.

La mère d’une fille et d’un fils atteint du syndrome

Dans ce cas-là, les problèmes en mathématiques deviennent symptômes en lienavec le syndrome. Ils trouvent également une explication “rationnelle” puisqueancrée dans les gènes ; on ne peut donc “ plus rien y faire ”. Cela met hors de causeles parents et leur éducation et d’une certaine manière la fille elle-même, puisquec’est le syndrome (donc le X fragile) qui “décide” et qui détermine l’apparition detels problèmes. Une mère américaine dont l’enfant et un cousin sont atteints dusyndrome nous a relaté par e-mail une anecdote qui a sa place ici :

My cousin has an older sister. When she found out she was a carrier of the gene... shechanged her major in college because she didn’t think she could probably doanything math related.

Précisons tout de même que les éventuelles difficultés en mathématiques - ou delogique en général - chez les filles atteintes du syndrome ne sont pas un symptômesignificatif, elles ne constituent pas un signe diagnostique. Tout comme d’autrestroubles corrélés au syndrome trouvent, à travers un “registre médical de pertinencenon médicale”, l’explication causale de leur présence dans ce dernier.

After getting the Fragile X diagnosis at almost 2 1/2 years old, we could look backon our sons life and make sense of behaviors that we considered “cute and unique toour son”, like hand flapping and jumping on his tippy toes, only to find that it wasn’tunique but that it was related to Fragile X. We always had a concern that our son’spalate was very high but thought nothing of it when the doctor said it was nothing tobe concerned about. Now we know that is related to Fragile X.

Cet extrait, issu du témoignage d’un couple nord-américain, nous livre un autreaspect de l’explication rétrospective de la particularité de l’enfant, ici considéréecomme un quasi-trait d’identité de l’enfant, une singularité acceptée, qualifiée endes termes positifs (cute et unique) : la “vérité” du diagnostic étiologique génétiquesupplante l’avis expert du médecin. Mais la connaissance de la part des parents dulien - qui n’est nullement établi - entre le résultat positif du test et la hauteur dupalais ne se fait pas toute seule, elle n’est pas immédiate. C’est au moyen d’Internet,fréquemment, ou par le biais d’autres parents concernés à qui l’on a dit que le lienétait direct, par exemple, que la lumière se fait, l’explication rationnalisante prendplace, sans la médiation du médecin.

L’explication qu’apporte le résultat positif (mutation complète) pour les parents,voire le soulagement, la certitude que rien n’a été mal fait ou entrepris de leur partentre la naissance et le résultat du test reviennent constamment lorsqu’on lesinterroge sur leurs réactions qui font suite à l’annonce du résultat :

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Dans un sens, j’ai été soulagée, surtout pour mon 2ème fils parce que je me suisbeaucoup culpabilisée en pensant que je l’avais délaissé. Ça m’a déculpabilisé desavoir qu’il avait un handicap63.

La mère des deux adultes atteints du syndrome

My feelings were : relief, in knowing that there is an explanation to everything wehad been going through over the years. After the first test came back negative[effectué en 1990, donc avant que le test génétique soit disponible], we accepted thatthis is who our son is. Getting the positive results [d’un test génétique fait il y a 3ans, à l’âge de 12 ans] helped us to help him. It gave us answers - we understand hisbehaviors and have been able to share these with his school who has taken greatstrides in keeping him in all regular classes with hos peers.

Teresa K. mère de Ian, 14ans

I was happy to know what the problem was. This way we could address ourconcerns, and problems, and keep from having to travel down the wrong roads,looking for answers.

S., mère d’un fils atteint du syndrome

My feelings were : relief, in finding a label for what made our son specialDeborah S., mère d’un fils atteint du syndrome

It gave me a diagnosis to get help for my son. Barbara D.

We were glad “it” had a name and we could look for ways to help him ! Kelly et Mark B., parents d’un fils atteint du syndrome

Actually I was relieved, because finally I knew what my son had and it wasn’tanything I’ve done during the pregnancy to have caused his disability.

Elizabeth H.I was very relieved that my [4] children’s issues weren’t a result of bad parenting onmy part, but, instead genetics.

Wendy Cl.

À première vue, ces témoignages contredisent l’assertion faite par Canguilhem, quidit pouvoir “ soutenir que la notion des erreurs organiques innées n'est rien moinsque rassurante ”. Il ajoute : “ il faut beaucoup de lucidité, jointe à un grand courage,pour ne pas préférer une idée de la maladie où quelque sentiment de culpabilitéindividuelle peut encore trouver place à une explication de la maladie qui enpulvérise et dissémine la causalité dans le génome familial, dans un héritage quel'héritier ne peut refuser puisque l'héritage et l'héritier ne font qu'un ” (Canguilhem,1999 : 211).Dans le cas du syndrome X fragile, le tableau dépeint n’est pas le même : la notionde “chromosome fragile” ou celle de “gène muté” semble rassurante comme nousvenons de le constater, dans la mesure où, pour reprendre une métaphore deCanguilhem, elle induit “ une faute de conduite sans faute de conducteur ” (1999 :

63 Le “ handicap ” est ici assimilé à un “trouble naturel” auquel on ne peut rien, donc source desoulagement.

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211). À première vue toujours, la responsabilité n’est imputable à personne mais augène même ou au chromosome X dont seule la “fragilité” est en cause. Commel’écrit Dorothy Nelkin, “ genetic explanations appear to be liberating to mothers ”(1996 : 545). Cependant, l’explication de la maladie ne “ pulvérise ” ni ne“ dissémine ” la causalité dans le génome familial, puisqu’elle passe par le mode detransmission particulier du syndrome et implique la mère, seule vectrice saine dontla “santé du gène” se perd lors de la transmission à sa descendance. La porteused’un gène muté en puissance transmet effectivement “ un héritage que l’héritier nepeut refuser ” parce qu’il achève d’être pathologique dans le corps de l’héritier.D’où un sentiment très prononcé de culpabilité individuelle de la part de la mère :

Il y’a un sentiment contradictoire. Je me sens à la fois soulagée et en même tempscoupable. Soulagée du fait que cela ne venait pas de l’éducation que je lui donne, ceque j’avais remis en cause à un moment donné, et coupable car je lui avais transmisune maladie. Cette culpabilité est une sensation étrange, car je ne me savais pasatteinte de cette maladie. Mais c’est un fait, je m’incrimine…

C., mère de deux enfants (un garçon et une fille) atteintsdu syndrome X fragile

I felt guilty for myself, about giving this to my child.Michelle R.

When I got the results I was upset, angry, hopeless, and felt guillty because I was thecarrier. These feelings lasted for about 3 days and then I decided that I had twochoices, we could sink into despair or get out and learn all we could about Fragile Xso that we could better help our son.

Sarah, mère d’un garçon atteint du syndrome

Il est effectivement question de responsabilité, de culpabilité, maternelle enl’occurrence. Le gène, le chromosome, ou “ it ”, “ this ”, aux contoursindéfinissables “s’installe” dans la famille et souvent la bouleverse, du moins enmodifie les rapports et les rôles. Il est en fait bien plus qu’une “ erreur organiqueinnée ” ou une entité biologique. Comme l’écrivent Nelkin et Lindee au sujet dugène dont la place est (aussi) au cœur de la culture américaine :

“ Though it refers to a biological construct and derives its cultural power from science, itssymbolic meaning is independant of biological definitions. The gene is, rather, a symbol, ametaphor, a convenient way to define personhood, identity, and relationships in sociallymeaningful ways. The gene is used, of course, to explain health and disease. But it is also away to talk about guilt and responsability, power and privilege, intellectual or emotionalstatus ” (1995 : 16).

Il est un symbole-clef. Il est aussi un objet-frontière dont le contenu varie souventde façon marquée entre le registre de pertinence familial et celui qui prévaut dansles bio-médecines. L’exemple de la mère à qui le généticien explique que c’est ellela porteuse et la “transmettrice” de la mutation est parlant. Alors que chez lemédecin généticien, son savoir médical, ses pratiques64, son univers sémantiqueparticipent d’une construction biomédicale de l’hérédité (occurrence, mode de 64 Nous pensons notamment à la pratique routinière de l’établissement d’arbres généalogiques,“ functioning as tools for the production of medical evidence ” (Nukaga, Cambrosio, 1997 : 30).

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transmission dominant, récessif, lié à X mais de manière “dynamique” ou non, etc.),la mère et son registre familial de pertinence en font un problème de filiation, deparenté (“kinship”), de transmission de qualités, et donc un problème deresponsabilité et de culpabilité. L’objet-frontière peut ainsi faire l’objet d’un “clash”ou d’un “gap” lorsque les principaux éléments du registre de pertinence desdifférents acteurs impliqués ne se recoupent pas, ne coïncident pas. Il perd doncmomentanément son statut d’objet-frontière. Cela dit, des négociations de sens sontpossibles afin de faciliter des ajustements. Par exemple, les pratiques du médecinpourront inclure des clefs de compréhension du registre du patient, ou plutôtpermettre des points de passage entre les deux registres, notamment au travers dulangage adopté, d’une attention fine et d’une empathie adaptée. C’est donc de laprofession même de médecin qu’il est question, de la définition des rapports entrepatient et médecin et de ce qui doit être intelligible pour chacun d’entre eux et cequi doit “ faire sens ” à tous les deux.

Les parents s’informent, ils veulent savoir, connaître, se renseigner tant à propos dela génétique du syndrome qu’en ce qui concerne le “ vivre avec ”, la gestion duquotidien. Ils ont des exigences dont les réponses viennent souvent par le biaisd’Internet et de groupes de soutien, d’associations. Ces informations que l’oncherche soi-même complètent celles données par le généticien ou par d’autresprofessionnels de la santé voire pallient leur absence ou leur approximation. Lepronostic du syndrome intéresse les parents sans aucun doute, cependant aucunmédecin ne peut en formuler un ; trop de variables interviennent. Des médecins s’yrisquent parfois et la réalité observée au cours des années le dément dans la plupartdes cas.

Il ne s’agit pas ici d’opposer des savants à des profanes, l’omniscience àl’ignorance, d’évaluer le taux “d’alphabétisation génétique”65 des parents ou encorede parler en termes de “ résistance ” ou de “ système de défense ” de la part desparents, comme le fait Martin Richards dans son article déjà cité (1996 : 270 et267). Le rapport des parents au médecin peut faire l’objet d’incompréhension, maispeut aussi être le lieu de significations partagées. Tout dépend du sens qu’on “met”dans chaque mot et de la façon de moduler leur usage, d’en faire varier le contenu.Ce qui nous intéresse plus ici, ce sont les échanges entre registres au travers desobjets-frontière. C’est aussi la co-construction d’évidences basées sur ces échanges,participant d’une constitution d’identités nouvelles. Mais ces identités sont avanttout forgées à travers les pratiques d’organisation et d’association entre parents,pratiques qui articulent les registres de pertinence biomédicaux, les assemblagesdiagnostiques issus des différents modes d’intelligibilité du vivant (cytogénétique,génétique moléculaire, clinique) et leurs propres registres fondés par leurs“expériences du vivant”, de la vie, de la maladie et du handicap.

65 Ce terme d’ “ alphabétisation ” se rencontre souvent dans le domaine informatique où certainsmédias, politiques ou professsionnels de l’informatique se préoccupent du taux d’ “ alphabétisationinformatique ” de la population, c’est-à-dire, plus que l’accès à l’informatique, la capacité àcomprendre et utiliser un outil informatique.

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3. Associations et groupes de soutien ou l’émergence d’une nouvelle socialité

Le syndrome est à la fois une pathologie (au sens d’une anatomie pathologique, tantau niveau microscopique que macroscopique) - rappelons qu’il figure dans unmanuel d’anatomie pathologique de référence (Robbins et al., 2000) - et unhandicap qui nécessite des aides financières, des dispositifs socio-sanitaires etéducatifs particuliers tels qu’un SEI, ainsi que le recours à l’AI. Il est à la fois unemutation génétique (dont la détection est du ressort des sciences biomédicales), uneincapacité d’employer une motricité fine (dont le psychomotricien s’occupera) et des’exprimer distinctement (ce qui relève de la compétence de l’orthophoniste oulogopédiste) et une déficience mentale (qui sera prise en charge par un psychologue,un enseignant spécialisé ou un médecin, en cas de troubles psychiques). Autantd’éléments qui recoupent la classification de l’OMS et de l’AFM et dont laprésence, parfois simultanée et toujours de différents degrés, réunit des parents quiveulent connaître l’expérience des autres parents, s’informer, partager un mêmemode d’existence centré sur le handicap, le déficit et la mutation génétique.Cela dit, le “plus petit dénominateur commun” à tous ces parents, c’est le gène, lamutation génétique, qui seule certifiera l’entrée de l’enfant dans la catégorie“ syndrome X fragile ”. Ce n’est pas la déficience, les symptômes ou le handicap,tous si différents d’un individu à l’autre, qui unissent et poussent les parents às’organiser, à s’associer. C’est bel et bien le gène FMR-1.Si la connaissance de la cause du syndrome X fragile n’est pas en soi un paramètreimportant pour le médecin clinicien, qui, comme nous l’avons vu, focalise sonattention sur la “phénoménologie” de la maladie, la connaissance de la maladie à unniveau génétique est par contre pour les parents un opérateur central de sens,d’identité individuelle et collective.

Dans un forum tel que celui que nous avons suivi et auquel nous avons adhérédurant un mois, les discussions des parents ont pour objet notamment lacomparaison des statuts de la maladie de leur(s) enfant(s). On veut savoir pourquoilui est ainsi alors qu’il n’a pas une “grande” mutation complète et pourquoi cettefille n’est atteinte que très légèrement alors que d’autres le sont plus. Le centred’intérêt, le pôle de socialité est le gène FMR-1 et son statut de mutation. Il crée ungroupe virtuel et physique de gens qui ne se seraient jamais côtoyés sans cela. Lesnouvelles formes vitales débordent le champ biomédical pour investir la sphèreprivée et publique et engendrent de nouvelles formes de vie qui n’ont de pareil quela singularité des assemblages diagnostiques qui les y ont amenées et les incluent,celles-là étant à l’image de ceux-ci : polyphoniques, multidirectionnelles, mais dontl’hétérogénéité ne doit pas cacher au sociologue l’indéniable présence d’invariants.

La présentation du forum dédié au syndrome X fragile sur son site hôte, celui de laFRAXA Research Foundation est claire : “ This is a virtual support and informationexchange group for all interested parties, including parents, other family members,educators, and medical professionals ”. De ce groupe de soutien et d’échanged’informations virtuel sont apparus en un mois de fréquentation quelques thèmesrécurrents, au cours des discussions quotidiennes. Nous avons retenu les thèmes quisont à la fois “matériau” à la constitution d’identités et de significations partagées et

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expression de celle-ci. Rassemblons-les dans un premier temps sous formed’étiquettes et de mots-clé. Il a été question de :

- Formes vitales : quelle mutation pour quel génotype ; comparaison duphénotype et du génotype des enfants, entre filles, entre garçons, et entre filleset garçons ; traits particuliers (autisme, hyperactivité) pour quel phénotype…

- Vie pratique, de tous les jours : problèmes éducatifs, scolaires, liés auxassurances, à la gestion administrative, à la “gestion” des symptômes(hyperactivité, agitation, automutilation, etc.), partage de “trucs”,développement de “compétences du quotidien”…

- Vécu, témoignages, sentiments, souffrance, solitude, confessions…- Vie “côté biomédecines” :

- La recherche fondamentale : information sur les recherchesen cours ; échanges à propos des espoirs qu’elles suscitent…- Questions médicales et “paramédicales” pratiques : quelmédecin, quels médicaments, quelles interventionsthérapeutiques en tout genre, quoi faire pour tel ou tel “typed’X fragile”…

- Identités, appartenances et rôles : famille, parents, réorganisations etbouleversements familiaux, de couple, rapports hommes-femmes…

- Vie associative et vie politique : pétitions, réunions, rassemblement de fonds,soutien en tant que membre ou non d’une association…

Précisons le contenu des principaux thèmes ainsi que leurs liens avec leurs“homologues” romands et avec notre problématique des assemblages diagnostiqueset de l’articulation entre formes de vie et formes vitales.

3.1 Formes vitales, génétique et famille 

Les références aux formes vitales et à leur “usage” quotidien ont été abordées plushaut dans le texte, à partir de nos entretiens, des réponses des membres du forum etde leurs témoignages récoltés. Ces éléments se retrouvent dans les “discussions”des parents via le forum, cependant à partir de celles-ci d’autres points sont àrelever et des éléments déjà mentionnés peuvent être précisés.

Les enfants sont souvent décrits par leurs parents comme “enfants X fragile”, car ilssont le lieu d’ancrage corporel, charnel d’une “ erreur ” moléculaire qui les habite ettransparaît au travers de “ comportements du X fragile ”. La maladie est donc à lafois maladie de la molécule et maladie de la personne. Ici prédomine un doublemouvement d’essentialisation de la maladie dans le corps à travers les gênes quil’habitent et le dirigent et de causalité directe, voire de superposition entre lamaladie du gène et celle du patient. Ce mouvement s’incorpore dans le patient, seretrouve dans les pratiques des chercheurs et des parents réunis et organisés enassociation. Il est plus rare, comme nous l’avons vu, dans le cadre clinique“classique”. Un terme le résume : réductionnisme génétique, discuté par Anne Kerr(2000) et différents auteurs qu’elle cite (notamment Alfred Tauber et SahotraSarkar, respectivement médecin et philosophe à l’Université de Boston etphilosophe à l’Université du Texas à Austin). “ Genetic reductionism is a common

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refrain in both public and professional accounts of genetics, spanning references tothe “book of life” or the “code of the codes” (as provided by the HGP) to continuedemphasis on the gentic basis of a range of disorders and conditions ” (Kerr, 2000 :849).

À l’image des gènes supposés qui coderaient pour un comportement spécifique (legène de la violence, de l’homosexualité, etc.), la réduction de certainscomportements des “ enfants X fragile ” à une causalité stricte et à leur sourcegénétique, c’est-à-dire au X (fragile) même ou au gène muté est courante. Or,comme nous le rappelle Stephen Jay Gould, “ genes influence many aspects ofhuman behavior, but we cannot say that such behavior is caused by genes in anydirect way. We cannot even claim that a given behavior is, say, 40% genetic and60% environmental […]. Genes and environment interact in a non additive way(cité par Nelkin et Lindee, 1995 : 10). Si l’élément le plus saillant du syndrome Xfragile est la présence d’un retard mental - que le gène même précise dans sonnom : FMR - le parcours qui consiste à remonter du génotype au phénotype envoyant dans celui-ci les “qualités” et surtout les “défauts” de celui-là comportequant à lui les autres éléments que les parents voient comme “comportementstypiques” du gène et donc de leur enfant.La plupart des parents lus et entendus ramènent “à leur manière” un modèlephénoménologique à un modèle étiologique d’ordre génétique. Leur grille delecture du corps est lié au registre moléculaire et au registre de causalité simple :“ ce phénomène vient du X fragile ”. Comme nous l’avons vu auparavant, c’est enpartie le registre de pertinence familial de l’hérédité ainsi que le registre biomédicalsaisi par les parents qui font du gène et du chromosome X le véhicule de laréduction du génotype au phénotype.

Cependant le réductionnisme génétique n’est pas l’apanage des discours. Il est,entre autres, complété par des discours opposant nature et culture : comme le faitremarquer Rayna Rapp, “ nature/culture oppositions […] are commonly found inthe ordinary language with which mentally retarded children are described byparents and professionals alike ” (Rapp, 2000 : 199).

Les parents du forum sont avides de savoir quelles manifestations symptomatiquesrelèvent du syndrome X fragile, si elles sont “ typiques ” ou imputables à d’autrescauses. Certains s’informent, se renseignent et d’autres apportent des éléments deréponses, enjoignent de se référer à tel ou tel site web, à tel ou tel ouvrage, se basentsur une expérience vécue qu’ils généraliseront ou au contraire dont ils soulignerontle caractère singulier. Un cas que l’on peut mentionner concernait la discussionautour de l’expression ambiguë du syndrome chez les filles. Le père d’une fille de 9ans dont l’apparence physique ne laisse rien transparaître de son syndrome est à larecherche d’informations au sujet du syndrome “version féminine” : “ what I amlooking for is someone who can explain if her symptoms are classic for fragile X orshould I be looking elsewhere for a smoking gun ”. Et de lister et décrire les signesqu’il a observés chez sa fille. Sa description inclut une créativité développéeopposée aux faibles aptitudes d’analyse à l’école et à la maison (compter,mémoriser des chiffres des figurines sur une carte à jouer), le manque de force dans

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les mains et les pieds, sa faible acuité visuelle (qu’il compare à la sienne propre),son regard fuyant, et son peu d’appétit. Il finit : “ I really want to know if thesetraits are common to girls of her age with fragile X ”.Son descriptif est proche de préoccupations d’autres parents concernés par unenfant présentant un certain degré de retard mental ou atteint du syndrome Xfragile. Par ailleurs, il inclut des interrogations communes à beaucoup de parents :nourriture, vue, problèmes scolaires. Son registre de pertinence n’est pas celui dugénéticien, ni celui du chercheur en génétique moléculaire. Il partage, en fait, avecles parents dont l’enfant serait mentalement déficient la particularité d’user de ceque Rapp appelle un “doubled discourse”, discours doublé ou double qui à la foisaccepte la différence et travaille à la normalisation (2000 : 197). Cela consiste à direque “ ma fille est différente des autres filles de son âge mais elle me ressemble, ellea ceci ou cela en commun avec moi. Elle semble aussi normale que moi ”.

D’autre part, les parents qui s’interrogent sur les rapports entre la connaissance dudiagnostic étiologique et les manifestations du syndrome ne peuvent que constaterl’étendue du spectre symptomatologique et se retrouver confrontés à unecomplexité croissante des classifications et catégories qui se croisent voires’interpénètrent.

My son has had a fragile X diagnosis for a long time. Just recently, he was diagnosedas autistic as well. This led me to do some thinking about the genetic diagnosis vs.skill/deficit levels that vary so much with our kids. To say that a child is fragile Xdoesn’t really say much about level of function. I wonder whether it would be usefulto the fragile-x community and to the doctors, therapists and school systems whowork with our kids, if all fragile X kids had a subdiagnosis describing stresstolerance, cognitive function, sensory sensitivity, perseveration, etc.

Cette mère pose la question de la pertinence d’un autre diagnostic, clinique cettefois-ci, qui permettrait de créer des sous-catégories du syndrome X fragile. Car lediagnostic étiologique est pour certains parents insuffisant. S’il explique la maladie,il ne précise pas la dimension fonctionnelle chez l’enfant atteint. La mère pose laquestion du diagnostic clinique qui permettrait d’affiner l’interventionthérapeutique, l’encadrement scolaire, les exigences éducatives ou le placementdans une institution adaptée. Le manque d’information clinique dont elle faitindirectement état trahit l’absence des composantes clinique et psychosociale ou“holistique” des assemblages diagnostiques du syndrome X fragile, où la génétique,en fin de compte, ne semble pas totalement imposer sa conception implicite de lavie (tant biologique que sociale) dans les discours des parents. Elle n’est passuffisante, tant pour les parents que pour le pédiatre, le psychiatre ou le neurologue.Elle intervient certes comme principe explicatif englobant et satisfaisant, mais ellene contient et ne précise pas la finesse des différences, l’expression différenciée,l’apparition insoupçonnée, l’aléatoire de la manifestation du symptôme. À lagénétique se greffe non pas une autre série de facteurs explicatifs, mais desprincipes de classification des phénomènes observables qui rendent compte de lafonction, de la capacité, de l’intensité, du déficit. Autant de classifications“officielles” et “officieuses” développées par tous les acteurs impliqués.

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3.2 Vie pratique et “compétences du quotidien” 

“ I’m on this list serve to gain information on research, techniques and strategiesthat have worked for other people ”. Cette phrase d’une mère membre du forumrésume les centres d’intérêt et les motivations des parents : information, recherche,techniques et stratégies. En effet, chacun lit les courriers électroniques et pose desquestions en vue de se faire une idée, de comparer des pratiques du quotidien, de serendre compte de ce qui marche et de ce qui ne fonctionne pas. Sous notre rubriquede la “vie pratique” se regroupent de nombreux thèmes de discussion, tous plus oumoins directement liés au syndrome et aux conditions d’existence des enfantsatteints : l’école, la nourriture (régimes particuliers), les assurances et lesautomatismes quotidiens, qui n’en sont pas pour les enfants atteints : se brosser lesdents, lacer ses chaussures, se laver, manger, dormir, se mouvoir. Ces momentscommuns et répétitifs rythment la journée et sollicitent des parents une attention etdes efforts constants.

Des conseils puisés des échanges informels entre “ parents X fragile ” ne peuvent seréaliser parfois que par voie électronique, certains parents nord américains n’ayantpas de réels contacts avec d’autres familles concernées par le syndrome. C’est dansce type de situation que le forum est le plus utile et prend une part importante dansla vie familiale. Ainsi, pour ses membres, l’appartenance à un groupe de personnesqui “ vivent la même chose ” se réalise-t-elle par contact via Internet et via lapresse, à travers, par exemple, la lecture d’une lettre d’information destinée à desparents d’enfant atteint du syndrome, décrivant une homologie structurale(Bourdieu, 1984 : 214)66 ou correspondance objective (ibid. : 215) entre desproducteurs d’informations spécialisées et un public particulier ou/et entre lesmembres éloignés de ce même public.

Les “compétences du quotidien” font la part belle aux discussions journalières surle forum. Elles sont sans doute à la fois le produit des échanges d’informations et lematériau de base à transmettre afin de permettre la constitution de nouvellescompétences et de nouveaux compétents. À cela s’ajoute une prépondérance desrécits de la maladie et de sa découverte et les témoignages de détresse psychique,relationnelle ou sociale. Le tout donne un lieu virtuel où chaque parent peut se voirconforté dans l’idée que les “ parents X fragile ” vivent la maladie à la fois demanière différente, chacun devant faire face à des manifestations variables de lamaladie, et de manière profondément semblable puisque le même gène muté estdans les corps et distingue in fine le porteur du gène FMR-1 muté du “normal”,voire le porteur sain du porteur atteint.

3.3 Présence biomédicale et normalisation

Un autre thème qui apparaît dans les discussions et que l’on retrouve chez lesparents rencontrés en Suisse romande est la présence du registre biomédical dansleurs discours, autrement dit leurs “compétences médicales”, décelables dans le 66 “ Les divisions internes du champ de production se reproduisent dans une offre automatiquement(et aussi pour une part consciemment) différenciée qui va au-devant des demandes automatiquement(et aussi consciemment) différenciées des différentes catégories de consommateurs ”

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vocabulaire employé et dans les références faites en termes médicaux. À ce propos,Rayna Rapp, partant de l’analyse des groupes constitués autour du syndrome deDown, souligne que “ paradoxically, […] medical world-view and resources figurelarge in the repertoire of such groups, even as they contest their exclusive dominionover definitions of disabled family members ” (Rapp, 2000 : 195).Les parents intègrent donc le langage de la biologie et de la médecine etoccasionnellement le contestent avec comme base les connaissances sociales, lesformes de vie développées par le vécu du syndrome du X fragile de leur enfant. Deplus, comme l’a montré Rapp dans le même article :

“ Modern community-based public institutions like early interventions programs and parentsupport groups offer powerful resources for parents to become scientifically literate as theyseek the best possible services and outcomes for their children. In the process, they alsonormalize biomedical definitions of the problems and solutions within which a disablingcondition is assimilated into family and community life ” (Rapp, 2000 : 205).

Rapp mentionne le double mouvement, déjà évoqué, du haut degréd’“ alphabétisation biomédicale ” des parents (et avant tout ceux qui ont leur placedans une organisation du type “association de malades”) assorti d’une propension àla normalisation se faisant par assimilation du registre biomédical dans la vie dugroupe, de la famille concernée.

Les parents disposent par ailleurs d’importantes ressources documentaires destinéesspécifiquement à répondre aux besoins des enfants et adultes atteints du syndromeet aux besoins des parents en matière d’information. Nous relèverons simplementl’existence d’un document de référence en anglais, “ The 2002 Official Parent'sSourceBook on Fragile X Syndrome ”, que l’éditeur (Barnes & Noble) présente ences termes :

This sourcebook has been created for parents who have decided to make education andInternet-based research an integral part of the treatment process. Although it givesinformation useful to doctors, caregivers and other health professionals, it also tells parentswhere and how to look for information covering virtually all topics related to fragile Xsyndrome, from the essentials to the most advanced areas of research.

L’étendue des informations livrées dans ce guide est à souligner67. Outre cette“bible”, il existe des sites web68 consacrés au syndrome qui répertorient des

67 Ce que nous faisons en reproduisant ci-dessous la table des matières :

Part I : The essentials Chapter 1. The Essentials on Fragile X Syndrome: GuidelinesChapter 2. Seeking Guidance

Part II : Additional resources and advanced materialChapter 3. Studies on Fragile X SyndromeChapter 4. Patents on Fragile X SyndromeChapter 5. Books on Fragile X SyndromeChapter 6. Multimedia on Fragile X SyndromeChapter 7. Periodicals and News on Fragile X SyndromeChapter 8. Physician Guidelines and DatabasesChapter 9. Dissertations on Fragile X Syndrome

Part III : Appendices Appendix A. Researching Your Child's MedicationsAppendix B. Researching Alternative Medicine

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ouvrages et articles recoupant tous les domaines d’intérêt des parents et desprofessionnels : génétique moléculaire du syndrome, diagnostic, suivi, aide auxparents, etc.

3.4 Les associations de parents. Identités individuelles et collectives, recherche et politique

Les ressources matérielles évoquées ci-dessus sont souvent mises à disposition oucréées par des personnes et des groupes de personnes que Rapp rassemble sous leterme d’ “ activistes ” (2000 : 202-205). Tous les parents n’en sont pas, loin s’enfaut. Mais il n’est pas moins vrai qu’un certain nombre de femmes et d’hommesdans chaque pays se mobilisent et s’organisent autour des nouvelles véritésdessinées par la génétique moléculaire. Vérités qui simultanément s’inscrivent dansla chair de leurs proches et au cœur de leur socialité. Pour décrire ce phénomène,Rabinow a introduit un terme, celui de “biosocialité” et a souligné “ the likelyformation of new group and individual identities and practices arising out of thesenew truths ” (1996 : 102). Il continue ainsi:

“ There already are, for example, neurofibromatosis groups whose members meet to sharetheir experiences, lobby for their disease, educate their children, redo their homeenvironment, and so on. That is what I mean by biosociality. I am not discussing somehypothetical gene for aggression or altruism. Rather, it is not hard to imagine groupsformed around the chromosome 17, locus 16,256, site 654,376 allele variant with a guaninesubstitution. Such groups will have medical specialists, laboratories, narratives, traditions,and a heavy panoply of pastoral keepers to help them experience, share, intervene, and"understand" their fate ” (ibid.).

Quant au nouveau rôle de la génétique, Rabinow le décrit dans les termes suivants :“ In the future, the new genetics […] will become […] a circulation network ofidentity terms and restriction loci, around which and through which a truly new typeof autoproduction will emerge, which I call “biosociality” ” (Rabinow, 1996 : 99).Il précise que dans la biosocialité “ nature will be modeled on culture understood aspractice. Nature will be known and remade through technique and will finallybecome artificial, just as culture becomes natural ” (ibid.)

En suivant ces propos, la biosocialité (dont on a somme toute déjà esquissé lespremiers traits en ce qui concerne le syndrome X fragile) se saisit de la nature, doncde la vie organique et la modèle par le biais des pratiques biomédicales et de cellesdes parents. Ces pratiques techniques et culturelles modèlent la nature à leur image.

Appendix C. Researching NutritionAppendix D. Finding Medical LibrariesAppendix E. Your Child's Rights and Insurance

68 On mentionnera : http://www.xfragile.org (le site de l’association française “ Mosaïques ”),http://www.fraxa.org (le site de la FRAXA research foundation, USA),http://www.nfxf.org/home.htm (le site de la National fragile X foundation, USA).

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Concernant la formation de groupes et de nouvelles identités individuelles etcollectives, les rapports entre formes vitales particulières du syndrome X fragile etformes de vie des parents s’organisent de telle manière que l’on voit apparaître destermes dévoilant une appartenance fondée sur des formes vitales, tels que “ familleX fragile ” (a Fragile X family), “ enfant X fragile ”, “ Fragile-Xer ”, aussi abrégé“ Fxer ” ou “ a full mutation boy ”. Si ces termes trahissent un indéniableréductionnisme génétique, ils ne se limitent pas à cette fonction. Ils sontrassembleurs et facteurs d’identité face à une altérité qui n’est pas “ comme nous ”.Cependant, les frontières sont mouvantes. Une fois de plus, les formes vitalesmêmes catégorisent et classent, par le biais des pratiques des médecins, desbiologistes et des parents et par le biais du test moléculaire. Un certain repli sur soi,un balancement répétitif du torse seront autant de signes tenant “moléculairement”au syndrome X fragile, mais pourront être pris conjointement comme traitautistique, d’où une possible ouverture vers les parents d’enfants autistes “purs”.Une inclusion temporaire d’autres groupes constitués sur la base de traitsmorphologiques, “génétiques”, comportementaux, etc., à la croisée des cheminstracés par les maladies.

Ces termes reflètent aussi des transformations de ce que Rabinow nomme formes declassification culturelle de bio-identité (“ forms of cultural classification ofbio-identity ” [1996 : 103]) telles que la “race”, le genre et l’âge. Il précise: “ [they]have not any more disappeared than medicalization and normalization have,although the meanings and the practices that constitute them certainly are changing” (ibid.). Et d’ajouter plus loin : “ post social-biological classifications will onlygradually colonize older cultural grids ”. Il ne sous-entend pas cependant que lesanciennes catégories resteront strictement les mêmes, au contraire :

“ In complicated and often insidious ways, the older categories may even take on arenewed force as the new genetics begins to spread not only in the obvious racism sorampant today but more subtly in studies of "blacks," alleged to have higher susceptibilityto tuberculosis. My argument is simply that these older cultural classifications will bejoined by a vast array of new ones, which will cross-cut, partially supersede, and eventuallyredefine the older categories in ways which are well worth monitoring ” (Rabinow, 1996a :103).

Dans les “mondes” du syndrome X fragile, et a fortiori au travers de la génétiquemoléculaire, la catégorie de genre subit indéniablement un changement de forme.Voyons quelles en sont les modalités. Les mères s’impliquent plus, au vu du tauxde participation des femmes au forum sur le web. Nous évoquions dans notre partiesur la méthode et le terrain l’apparente “démocratisation” de l’usage d’Internetavant tout aux Etats-Unis et de sa parité hommes-femmes, voire un déséquilibre enfaveur des femmes. La raison d’une telle présence des femmes dans ces forums esten fait intimement liée à la nature même du syndrome et de son mode detransmission qui passe par une méiose féminine. Le génome de la mère - donc lamère elle-même - intervient dans la “ responsabilité ” de la transmission. À la foisla génétique moléculaire, le médecin clinicien, le conjoint, la famille et l’entourageportent, par leurs discours, la mère au statut de “transmettrice” (pour la génétique etle médecin), “ responsable ” (le conjoint, la famille, l’entourage, la femme elle-même, voire le médecin) ou “ coupable ”, “ fautive ” (pour la femme elle-même,

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nous l’avons vu). En contrepartie, pourrions-nous dire, la mère est investie - et sesent investie - d’un rôle nouveau, voire d’une mission : s’informer et informer,comprendre et connaître, aider son enfant atteint et les autres parents et mèresconcernés par ce syndrome. Les messages du forum vont dans le sens de cettedualité de la mère à la fois “transmettrice”, donc “ responsable ” et valorisée en tantque mère dévouée, bonne, protectrice. Voici l’exemple d’une mère répondant à uneautre mère qui a fait part de sa solitude et de ses souffrances :

You are MOM. You will do everything in your power to make his life better andprotect him. That’s what a Mom does. We are doing the best we can with asometimes impossible situation. No one can really understand what lives are likeexcept for other people with Fragile X kids.

Il est question de compréhension, de compétences propres aux mères que seulesd’autres mères peuvent comprendre et saisir, échanger et partager. On peut donccomprendre que la femme ait un rôle et une position particuliers, notamment dans lacomposition de groupes dont l’identité tient de valeurs véhiculées par elle.

Penchons-nous à présent sur les associations de parents “pris par le syndrome Xfragile”. En exergue de chaque numéro du “ FRAXA update ”, publication qui a lieuquatre fois l’an, sous les auspices de la FRAXA Research Foundation, on peut lirecette fameuse citation de Margaret Mead :

“ Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world.Indeed, it’s the only thing that ever has ”.

Un étendard que de nombreux groupes minoritaires ou simplement de petite taillebrandissent comme une preuve du bien-fondé de leurs actions et de leur capacité dechangement et d’innovation69. Cette conscience est omniprésente dans les groupessitués aux Etats-Unis, qui ont une tradition très forte du lobbying associatif et desgroupes d’intérêts, menant leurs activités sur de nombreux fronts, notammentpolitique, donc législatif et économique. Comme le formule un message issu duforum :

“ Different parents want and like to be involved in different ways in legislativeadvocacy : either in going to rallies, sending e-mails or faxes, making phone calls, orsitting down and writing letters or articles and getting your family and friends to dothe same. This is the most effective way to get legislators’attention so theyunderstand what is most important to their constituents, what services that need to beprotected or strengthened, and to share your personal stories which makes all of thismore real to them. ”

De nombreux moyens sont bons pour changer le monde en faveur des minorités,des “ exclus ”, “ orphelins ” ou avant tout pour manifester sa présence - on pense

69 Un moteur de recherche (Google) sur Internet nous donne 11'100 pages web contenant à la fois lacitation et le nom de l’auteur. Un rapide parcours des premiers résultats nous renvoie à une petiteentreprise de matériel électronique (!), à un site médical, à une page web féministe et à des pagespolitiques.

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notamment à “ la marche des maladies rares ” organisée par l’Alliance des maladiesrares en France70 - et pour récolter des fonds - l’exemple le plus parlant car sansdoute le plus “performant” est le Téléthon.Les parents dont les enfants sont atteints du syndrome du X fragile ont une volontéforte de s’unir afin de venir à bout de l’incurabilité du syndrome71. La FRAXAResearch Foundation tente par tous les moyens de rassembler des fonds qu’ilsallouent à des chercheurs dont les projets sont axés sur la mise au point d’unethérapie, quelle qu’elle soit. L’espoir est immense, puisque les scientifiquesl’affirment depuis peu : le gène muté et sa méthylation empêchent l’expressiond’une protéine qui se répercute au niveau des connexions neuronales. Il serait doncpossible de pallier ce manque et cette absence d’expression, d’autant plus qu’ils’agit d’une maladie monogénique.Le conseil scientifique de la FRAXA Research Foundation72, qui compte dans sesrangs deux prix Nobel dont James Watson, ce qui lui assure une visibilité et unelégitimité incontestables auprès du public et des scientifiques, choisit les projetsdignes d’intérêts et les directeurs de la Fondation délient ou non les cordons de leurbourse73.Les deux associations suisses - l’une située à Renens et l’autres à Genève - ne sontévidemment pas aussi puissantes. Leur but est avant tout de distiller desinformations à propos du syndrome, auprès des parents qui en ont besoin et auprèsdes médias, de la population, voire des professionnels de la santé, qui bien souventen manquent. Il est indéniable que ces deux petites associations jouent un rôle degroupes de soutien local dont une des fonctions est d’offrir “ rich and reassuringresources for parents learning to normalize a child as a family member, not only asa medical diagnosis ” (Rapp, 2000 : 195).

La plupart du temps, ce sont des parents, grands-parents, voisines, proches ouétudiants qui me contactent (téléphone, mails, courrier) pour des renseignements.Autrement, des mamans me contactent juste pour parler, échanger, partager, étantdonné qu’on a ce “ point commun ”.

La présidente de l’association romande sise à Renens

70 Qui a lieu chaque année, à Paris principalement, à la même période que le fameux Téléthon.71 Notons qu’une grande partie des parents, notamment ceux rencontrés en Suisse romande,s’emploient à promouvoir plus ou moins activement le développement et l’amélioration des moyensqui permettent de “faciliter” la vie de leur enfant : moyens d’intégration scolaire, sociale, comme parexemple l’usage de téléthèses pour les enfants qui n’ont pas la parole, de nouveaux moyenspédagogiques et des connaissances plus fouillées des troubles comportementaux et psychiques afinde mieux comprendre les enfants atteints du syndrome et de pallier au mieux l’étendue et la gravitédes manifestations symptomatiques.72 Le “FRAXA scientific advisory board” se compose de 18 scientifiques, dont : James D. Watson,MD, Cold Spring Harbor Laboratory ; Eric Kandel, MD (Prix Nobel), Columbia University :Howard Hughes Medical Institute ; Herbert Lubs, MD, University of Miami School of Medicine.“ FRAXA is extremely indebted to our Board of Advisors. These prominent and very busyinvestigators volunteer their time to help us devise our strategies for advancing research and, perhapsmost important of all, they review and give expert opinion on all research proposals ”(www.fraxa.org).73 Ils sont au nombre de 10 : 9 parents (7 mères, 2 pères), un grand-père. Parmi eux un médecin, co-fondateur.

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Voilà comment cela se passe dans la majorité des cas en Suisse romande. Il n’y apas de réelle intention ou de réel phénomène de socialisation des parents parl’association, du moins à l’échelle modeste des deux associations romandes. Onassiste cependant à un regroupement plus ou moins diffus des pratiques des parentsdont l’identité commune se forme en grande partie, rappelons-le, sur la base dudiagnostic étiologique d’ordre génétique.

En France, 12 sections régionales réunies sous la tutelle de l’association nationale Xfragile “ Le Goéland ” ont des activités semblables à celles de Suisse romande (ellesentretiennent d’ailleurs des contacts ponctuels). Une autre association,“ Mosaïques ” s’est aussi fondée “sur le X fragile”. Ces deux associations ontcependant un ancrage institutionnel relativement fort. Elles font notamment partiede l’Alliance Maladies Rares, “ un collectif national d’associations agissant dansl’intérêt des malades74 ”, réunissant pas moins de 117 associations de malades. Etont eu l’occasion, par ce biais-là, de faire entendre leur voix auprès dugouvernement français.

Aux Etats-Unis, en matière d’action politique, d’ancrage institutionnel et de pouvoirdécisionnel (quant aux choix d’orientation de la recherche, à la définition despriorités) la FRAXA Research Foundation est sans doute l’association autour dusyndrome X fragile qui dispose de plus de ressources75. Outre le “ prestigieux ”conseil scientifique, elle fournit avant tout aux chercheurs des moyens financiersimportants. Son site web indique que “ FRAXA has funded almost $ 7 million ingrants and fellowships, at universities all over the world, in top-notch [= fam. “dugratin, select”] science, for medical research on fragile X aimed at treating or curingthe disorder ”. De plus elle a développé une “philosophie” de financement et unestratégie d’intéressement qui devance l’initiative étatique.

FRAXA's overall strategy is to "prime" NIH [National Institutes of Health] fundingfor fragile X with our own. Of course, FRAXA's funding will always be in smallamounts compared to what the NIH can appropriate, but there are two crucial reasonswhy FRAXA's direct funding of research is important :

- It may take several years to make Congress and the NIH fully aware of the impactof fragile X and the potential for treatment. We don't want to sit back and wait forthat to happen.

74 “ Au-delà de la diversité de ces maladies qui peuvent empêcher de bouger (myopathies…), de voir(rétinites…), de comprendre (X fragile…), de respirer (mucoviscidose...), des situations et difficultéscommunes existent qui permettent d’envisager une véritable politique publique dans des domainescomme la recherche biomédicale et le développement de médicaments, l’information et la formation,le diagnostic et la prise en charge sociale et médicale, la citoyenneté des personnes...L’Alliance entend être l’aiguillon et l’interlocuteur des pouvoirs publics pour une véritable prise encompte nationale, attendue par l’ensemble des associations représentatives des malades ” (extrait dusite www.alliance-maladies-rares.org).75 Fondation dont le but de fond est : “ to familiarize the medical community, the researchcommunity, the biotechnology community, the Congress, and the public with fragile X and theprogress being made towards its cure. We will build bridges between these and our coalition ofaffected families and, in the process, secure private and federal funding for fragile X research ”(extrait du site).

75

- NIH has a tendency to fund research that is in some way a "sure bet." NIH fundsprojects based on ideas that have already been shown to be successful and prefersprojects in which much of the work has already been done. In other words, NIHprefers "low-risk" ventures. The problem with this approach is that creative newideas often do not get funding. FRAXA's strategy is to identify and fund theseprojects - just so long as is neccesary to "jump-start" them to the point where theNIH might take over funding.

Une incontestable caractéristique de la biosocialité que créent ces associations etfondations et dont elles sont issues est de relever du biopouvoir, terme désignant cequi “ a fait du savoir-pouvoir un agent de transformation de la vie humaine ”(Foucault, cité in Rabinow, 1996 : 91). Pouvoir dont la “ plus haute fonction ” est“ d’investir la vie de part en part ” (Foucault, cité in Fassin, 2000). Ce biopouvoirne se résume pas à une action s’exerçant sous la forme des deux pôles que sontl’anatomo-politique du corps humain et la bio-politique, mais bien plutôt est-ilréactualisé (jamais de manière définitive, il y a toujours matière à tensions et àchangements) dans les pratiques et identités d’acteurs organisés, réalisant unenouvelle “ rationalité post-disciplinaire ” (Rabinow, 1996 : 91). En effet, lesassociations, issues pour une grande part des assemblages diagnostiques dont il aété question jusqu’ici, peuvent prendre la forme d’une bio-politique particulière quitisse des liens avec des pouvoirs tels que l’Etat, les médias ou les scientifiques. Labiosocialité articule en fait, pour reprendre le terme de Didier Fassin, des bio-logiques, à savoir des “ logiques sociales qui mettent le vivant et la vie à l’épreuvedu politique ” (Fassin, 2000). La biosocialité est ainsi caractérisée par latransversalité des “registres de la vie” et des “registres du politique”.

“ L’Alliance Maladies Rares, au fil des mois, devient un partenaire de plus en plusincontournable dans l’élaboration des politiques publiques de santé et de recherchequi concernent les maladies rares ainsi que dans les réflexions menées par différentsorganismes ou collectifs ”.

“ Les représentants de l’Alliance participent et interviennent régulièrement à denombreux colloques, réunions et manifestations diverses et entretiennent des contactsréguliers avec les ministères et les administrations : ministère de la santé, de larecherche (par exemple dans le cadre de la réflexion sur la mise en place de l’Institutdes Maladies Rares)… ”

“ L’Alliance est une des quatre associations de malades nommées au Journal Officieldu 9 juin 2001 à la commission d’évaluation des dispositifs médicaux ” (noussoulignons).

Récemment, aux Etats-Unis, (le 1er octore 2002) une résolution a été discutée à laChambre des représentants (députés) concernant le syndrome X fragile. Elle secompose de 4 points et demande à la Chambre des représentants qu’elle :

(1) Recognizes the devastating impact of fragile X on thousands of people in theUnited States and their families;(2) Calls on the National Institutes of Health, the Centers for Disease Control andPrevention, and other sources of Federal and private research funds to enhance andincrease their efforts and commitments to fragile X research;

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(3) Calls on medical schools and other health educators, medical societies andassociations, and Federal, State, and local health care facilities to promote researchthat will lead to a treatment and cure for fragile X;(4) Commends the goals and ideals of a National Fragile X Research Day andsupports interested groups in conducting appropriate ceremonies, activities, andprograms to demonstrate support for such a day.

[extrait du texte de la séance à la Chambre desreprésentants, Washington, reproduit sur le site dela FRAXA Research Foundation]

Au-delà des débats institutionnels sur les moyens à mobiliser pour informer,sensibiliser et lutter contre le syndrome, d’autres domaines interviennent oùd’autres problèmes surviennent et où les associations et autres groupes de soutienont la possibilité d’apporter leur aide ainsi que la somme des expériences vécues parleurs membres. En effet, si l’on a de bonnes raisons de penser que la biosocialitéinclut biopouvoir et bio-politique, il faut également se préoccuper des lieux de leuraction au-delà de la politique strictement délimitée par ses institutions.Il ne s’agit pas cependant de décrire des usages de diagnostics génétiques hors ducadre biomédical, tels qu’ils existent depuis la fin des années 80 aux USA, queDorothy Nelkin (avec Laurence Tancredi), entre autres, a très bien analysé dans sonDangerous diagnostics (1989). Des usages effectués dans des “ non-clinicalinstitutions ” (Nelkin & Tancredi, 1989 : 6) ou “ non-clinical contexts ” (Nelkin,1996 : 539), dont le succès est expliqué, selon Nelkin et Tancredi, par unerépercussion de l’acceptation de tels tests génétiques dans le milieu médical76. Lesexemples les plus éloquents se trouvent dans les écoles, dans le milieu desassurances, dans un cadre juridique et sur le lieu de travail. L’usage de tels testssoulève d’importantes questions éthiques que nous n’aborderons pas dans le cadrede ce travail. Notons simplement que dans ces contextes, s’il s’agit effectivementdes mêmes tests, ils ont cependant d’autres significations qui soulignent ladistinction entre le diagnostic individuel et le dépistage77.Ce dernier nous intéresse, puisqu’il est, outre un terme couramment utilisé par lesprofessionnels de la santé, une bio-logique. Il vise à détecter systématiquementcertaines affections non apparentes sur des collectifs ciblés (les femmes d’un certainâge, des enfants en âge scolaire, des groupes de travailleurs, etc.) ou éventuellementdans une population plus générale. C’est ce dont il est question dans les contextesnon-cliniques, mais il peut aussi s’agir de dépister des maladies latentes oueffectives mais non observables sur un plan phénoménologique chez le nouveau-né.Un des généticiens rencontrés nous livre une description et une explication de cettepratique :

Pour qu’on ait un maximum d’enfants qui naissent normaux, on s’est inventé ledépistage . Au départ, il n’y a pas de symptômes, la personne, le bébé, le fœtus n’a

76 “ Their acceptance in medical settings is encouraging their use outside the clinical context : ininsurance companies, in schools, in the workplace, in the courts ” (Nelkin & Tancredi, 1989 : 6).77 “ For example, when a parent concerned about symptoms brings a child to a doctor, tests are usedto identifiy the source of complaint. In contrast, in nonclinical contexts such as the military, theworkplace, and schools, tests are used as a way to screen from a given population those individualswho in some way deviate from a statistically derived norm ” (Nelkin, 1996 : 539).

77

rien. La maladie est pourtant considérée suffisamment fréquente et sérieuse pourqu’on la dépiste avant qu’elle survienne. Ce n’est pas nouveau le dépistage, il y en atoujours eu depuis que la médecine moderne existe. Un temps c’étaient lesradiographies, etc. C’est du dépistage, le patient n’a rien encore, on veut dépisteravant que ça ne soit trop tard, parce que la maladie commence de manière assezinsidieuse et quand elle se déclare c’est peut-être déjà un peu trop avancé.

Si l’on parle de maladie fréquente, cela évoque les statistiques qui établissentl’incidence de la maladie. Dans le cas où cette incidence ne serait pas suffisammentélevée, la pertinence d’un dépistage s’amoindrirait. Le seuil de pertinence dudépistage est un choix politique ; En Suisse, il est établi par l’Office fédéral de lasanté publique. Le médecin généticien poursuit :

Un des pré-requis en dépistage c’est que la maladie soit suffisamment courante etque le rapport, et ça c’est la santé publique qui décide, entre ce que je dépense et ceque j’évite soit raisonnable. Moi je n’aime pas faire la balance, d’un côté mettrel’argent et de l’autre un être humain, on ne peut pas, on ne doit pas.

On voit le problème que peut poser la prise d’une décision politique d’effectuer undépistage ou non auprès des nouveau-nés - voire au stade anténatal - sur la base depourcentages d’apparition aussi variables que ceux du syndrome X fragile. Le choixde l’effectuer ou non varie donc avec les contextes politico-sanitaires de chaquepays. Les associations de malades - du syndrome X fragile en l’occurrence - pourleur part, sont favorables à une intervention diagnostique précoce et généralisée, enfonction d’autres paramètres que la “simple” incidence ou l’efficience, tels que levécu de chacun, le droit de savoir, de choisir, etc78. C’est un combat qu’elles mènentnotamment au nom d’une égalité de traitement avec d’autres maladies causant unretard mental comme le syndrome de Down (dont le taux d’apparition augmentepour les femmes de près de 40 ans ; dans ce cas une amniocentèse est fortementrecommandée au cours de la grossesse).

Un autre domaine où l’on retrouve des bio-logiques et où l’étendue d’action ou depression exercée par les associations est limitée est celui des assurances privées oupubliques, comme l’assurance maladie, les assurances sociales et notammentl’assurance invalidité. Si les associations et autres groupes de soutien aux parentsaident ceux-ci dans leurs démarches souvent laborieuses afin d’obtenir telle ou telleaide de base ou complémentaire de la part de l’Etat, ou afin de faire remboursertelle ou telle activité thérapeutique principale ou annexe, elles se heurtentincontestablement à des modes de classification (ou logiques “classifiantes”) quipeuvent parfois poser problème79. 78 On notera tout de même que des mères entendues nous ont répété à quel point elles et leur(s)enfant(s) sont heureux, qu’il n’aurait pas fallu qu’elles puissent choisir de le(s) mettre au monde ounon (ceci donc en rapport avec la possibilité de faire un test pré-natal). Quant au dépistage néo-natal,il permettrait une prise en charge précoce et adéquate et de limiter les angoisses, les vaines tentativesde mettre un nom sur ce que l’enfant petit à petit développe de pathologique. Cependant, undiagnostic étiologique qui établit la présence d’un syndrome que le phénotype ne confirme pasencore, vu son caractère souvent tout à fait “normal” aux premiers mois de la vie, ne permettra pasune quelconque prise en charge, qui reste basée sur une intervention sur les symptômes cliniques.79 De nombreuses variations existent entre chaque pays (et entre les Etats, aussi bien pour les Etats-Unis que pour la Suisse), selon leurs sytèmes de sécurité sociale, tant du point de vue de la santé que

78

Une mère a relaté sur le forum ses démêlés avec son assurance maladie qui refusede couvrir des frais de thérapie rééducative privée :

“ They won’t cover it anymore because according to them, the coverage is for 90days after the “episode”. We all know that Fragile X is not a one time “episode” butrather a lifetime of challenges and issues, which occupational therapy can help.

Un autre cas problématique au sujet d’une prise en charge de séances d’orthophonierefusée par une assurance maladie américaine :

The insurance company says therapies are only covered if it’s to restore somethingthat was lost as a result of an accident or injury. Since he never had the ability tospeak before, they won’t cover it.

Audrey M.

Visiblement, certaines catégories qui distinguent le droit du non-droit à unremboursement ou à une allocation se fondent sur un registre de l’accident auxconséquences réversibles. Les assurances ne prennent pas comme base du jugementet de l’évaluation le cas singulier de la maladie et du handicap qui concerne chaqueassuré, elles construisent des classifications dont le rôle est de partager clairement leremboursable du non-remboursable, le normal du pathologique (ou de l’anormal) et,somme toute, le “bon malade” du “mauvais malade”.

En Suisse, de tels refus se produisent sans doute, cependant nous n’avons pas relevéd’exemple précis lors de nos différents entretiens.Ce sont plus les assurances sociales et notamment l’A.I qui nous intéressent. Pourbénéficier des prestations de l’A.I, les étapes sont nombreuses et l’évaluation del’état de santé du demandeur fouillée. Pour un enfant atteint du X fragile, sescapacités et son handicap sont mesurés et jaugés par le médecin traitant et soumis àl’appréciation des “décideurs”. Il s’agit de montrer la présence et la natured’ “ infirmités congénitales ”. Dès l’instant où l’on peut prouver que toute présenced’infirmité est congénitale, l’A.I entre en matière dans le remboursement des fraisoccasionnés par le handicap.

Les prestations se présentent sous formes de remboursements des mesuresmédicales ou/et des mesures de formation scolaire spéciale. Le registre depertinence de l’A.I. n’est pas seulement celui du médecin qui fournira lesinformations demandées pour son octroi. Il est exprimé non seulement en termes dequotient intellectuel80, de décibels pour les personnes atteintes de troubles de l’ouïeet de degré de gravité pour ce qui est des problèmes d’élocution et des handicapsphysiques. Pour les mesures médicales, des codes ont été établis, dont le documentles rassemblant (non accessible au public) s’intitule : "Codes pour la statistique des

des assurances sociales. Ici sont présentés des exemples tirés de situations suisses et nord-américaines, dont la caractéristique commune est de devoir contracter une assurance maladie privée.Toutefois, en Suisse, la contraction d’une telle assurance est obligatoire, aux Etats-Unis elle ne l’estpas. Toujours en Suisse, la caisse maladie choisie est tenue d'accepter tout candidat à l'assurance,dans la limite de son rayon d'activité.80 Pour les handicapés mentaux, il ne doit pas dépasser 75 pour pouvoir bénéficier des mesures departicipation aux frais de formation scolaire spéciale.

79

infirmités et des prestations". Voici l’exemple d’un garçon atteint du syndrome oùles deux codes renvoient à des symptômes non spécifiques :

Traitement de l’infirmité congénitale n°395 (= "Légers troubles moteurs cérébraux[traitement jusqu'à l'accomplissement de la deuxième année de vie"]).

Traitement de l’infirmité congénitale n°427 (="Strabisme et micro strabismeconcomitant unilatéral, lorsqu'il existe une amblyopie de 0,2 ou moins [aprèscorrection]).

Le registre d’appréhension des troubles est ici statistique et standardisé à travers descatégories aux frontières strictement délimitées. Elles sont cumulables et n’offrentpas de distinction étiologique fine. L’intérêt pour l’A.I. est de distinguer nettementl’infirmité congénitale de l’accident et de la maladie (chronique ou subite).

4. Conclusion

En guise de conclusion à cette partie, nous ne pouvons que relever la pluralité desregistres dans lesquels se construisent des évidences et des pertinences pour denombreux groupes d’acteurs et d’acteurs individuels, tous impliqués de près ou deloin par le syndrome X fragile. Les assurances et les politiques sanitaires sont desbio-logiques et des bio-pouvoirs qui imposent leurs noso-logiques et leurscatégories basées sur des expertises médicales et des questions d’amélioration,d’efficience, de rentabilité. Ils ont cependant leur place dans la formation denouvelles formes et dans la création d’univers sémantiques. D’autre part, lestensions se font sentir, car les logiques et les registres s’affrontent. Les groupesréunis par le syndrome X fragile créent des bio-logiques, forgent des identitésindividuelles et collectives à travers leurs pratiques, qui souvent diffèrent desregistres de la vie de ces “instances” et s’affrontent.

Enfin, pour reprendre et prolonger une formule de Foucault, si “ la médecine n’estpas constituée du total de ce qu’on peut dire de vrai sur la maladie ” (Foucault,1971 : 33) et que toute une “ tératologie du savoir ” (ibid. : 35) erre autour desvérités d’une discipline, la maladie, elle, n’est pas constituée de la somme de ce quedit de vrai et fait la médecine. D’autres lieux et moments de vérité de la maladieexistent et voient le jour par le biais d’assemblages multiples y incluant ce que dit etfait la médecine clinique, la génétique moléculaire, les associations de malades etleurs parents, l’Etat et bien d’autres. Leur articulation est instable et objet de luttescomme le rapport entre formes vitales et formes de vie qui les traverse.

80

VII. CONCLUSION

Tout au long de notre parcours, les formes de vie et les formes vitales décrites ontincontestablement montré des rapports originaux, une articulation qui relève del’intrication des formes de vie dans les formes vitales. Tous les objets, institutions,techniques, politiques, savoirs et pouvoirs rencontrés au gré de notre parcours sontautant de traductions du rapport entre les formes de vie et les formes vitales, designes de la fondation de celles-là sur celles-ci.Nous nous sommes particulièrement penchés sur les assemblages diagnostiques dusyndrome X fragile, qui articulent un rapport multiple et toujours mouvant entre lavie et le vivant, entre des formes vitales et des formes de vie. Le “moment”génétique de ces assemblages est le “reconnaisseur” des formes vitales etl’instigateur de formes de vie nouvelles. Il reconnaît celles-là et appelle celles-ci.De même, le “moment” clinique, phénoménologique, reconnaît les traits d’unemaladie (la disease) et contient la maladie vécue (la illness). Tous les deux sontcréateurs de formes de vie. Cependant, le dispositif de la clinique (pédiatrie) a unemoins grande propension à la création de formes de vie basées sur le registre de lagénétique moléculaire que ceux mis en place par la recherche, la génétiquemédicale et les associations de malades et de leurs parents. Ce qui tend à infirmernotre hypothèse d’une présence décroissante du registre génétique allant desdiscours de la recherche à ceux des associations, en passant par la génétiquemédicale et la pédiatrie. Le tableau est en fait plus complexe. La distinction entre unregistre de pertinence et un mode d’intelligibilité a permis, entre autres, de rendrecompte de cette complexité. Dans le domaine de la recherche, le plus souvent lesdeux coïncident. Pour la pédiatrie, la pertinence de la recherche en génétiquemoléculaire et celle de la génétique médicale ne sont siennes qu’à un certainmoment du suivi du patient (ou peuvent ne pas l’être). Quant aux parents, leurregistre de pertinence se base en partie seulement sur ceux des médecins et deschercheurs. En fait, l’inscription du registre génétique dans les pratiques des parentset de celles des médecins cliniciens se fait toujours partiellement. Elle est toujoursmatière à changements, à contestations et à tensions avec d’autres registres depertinence propres à chaque communauté de pratique. Les échanges sont toutefoisnombreux. Ils sont rendus possibles par les différents objets-frontière que nousavons rencontré (le gène FMR-1 et ses “stades” de mutation, le clichéradiographique, l’arbre généalogique, les symptômes). Ils contiennent les registresde pertinence de chaque acteur impliqué dans l’échange et les modulent de façon àce que, malgré les différences, un fond de signification soit partageable entre tous.Nous avons vu que ce n’est pas toujours le cas et que parfois une brèche s’installe,nécessitant des négociations à propos du sens investi dans l’objet-frontière.

En analysant l’émergence de nouvelles formes dans le registre de la vie, nous avonsdégagé et décrit de nouvelles formes de socialité, “ the rise of “biosociality” as aprime locus of identity ” (Rabinow, 1999 : 13) que le gène, le diagnostic génétiqueet la discipline qui les supportent génèrent. Non pas que la clinique, à travers sespratiques, son regard, ses discours, ne fonde ni identités, ni appartenances, nibiosocialité, mais elle le fait de manière indirecte. Pour paraphraser Rabinow, elle

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pourrait être le “ deuxième lieu d’identité ”, par croisement et ajout. Elle vised’abord à permettre des prises en charge spécifiques, des interventions ciblées etpeut, dans un deuxième temps, être le terreau d’une identification, de comparaisonset de rassemblements des enfants et de leurs parents à partir de ce qu’elle circonscritet nomme. En cela, la “clinique du syndrome X fragile”, participe à la constitutionde biosocialité originale et nuancée, formant des “sous-groupes” qui distinguent les“ enfants X fragile avec tels traits manifestes ” des “ enfants X fragile avec telsautres traits manifestes ” ou “ sans traits spécifiques ”. Sous-groupes dans lesquelsse créeront des réseaux ouverts de pratiques, d’échanges de compétences oud’“ apprentissages mutuels ” (Rabeharisoa & Callon, 1999 : 136).

La biosocialité basée sur de “ nouvelles identités individuelles et collectives et despratiques ” (Rabinow, 1996 : 102) s’est distinguée par la variété des “registres de lavie” qui la traversent et sur lesquels elle se construit. Les formes de vie, les formesvitales et leurs rapports, tous trois décrits dans notre travail, sont au fondement decette biosocialité.Nous avons brièvement abordé la politique comme registre articulant la “ vie nue ”et la “vie vécue” tout en les régissant. La “ biopolitique ” de Foucault procède decette articulation, cependant Agamben lui ajoute une dimension, à la fois inverse etconcomitante. En effet, écrit-il, “ nous ne sommes pas seulement des animaux dansla politique desquels est en jeu leur vie d’êtres vivants, selon l’expression deFoucault, mais aussi, inversement, des citoyens dans le corps naturel desquels est enjeu leur être politique même ” (Agamben, 1997 : 202). L’animal politique est aussiun citoyen “de chair”. La nature rejoint la politique (donc la culture). Dans lapolitique le vivant et la vie sont en jeu et inversement. Comme au sein desassemblages diagnostiques, c’est la vie, le vivant et la politique - entre autres - quis’articulent.La position de Rabinow sur la question des rapports non pas directement entre lanature et la politique, mais entre la nature et la culture est originale et fertile. Lasociologue Sarah Franklin (de Lancaster) relève, dans son article sur la “vie même”(“life itself”), qu’il retient “ a concept of the natural, only in inverted relation to thecultural - a nature that is “after” culture, in both senses of the term ” (Franklin,2000). Ainsi la nature viendrait-t-elle après la culture et celle-ci servirait de modèleà la nature. Le terme qui explique ce phénomène est celui d’“ autoproduction ”,autre caractéristique supplémentaire de la biosocialité (Rabinow, 1996 : 99).Tirons de notre “traversée” du syndrome X fragile un exemple qui puissecorrespondre aux constatations de Rabinow. Le laboratoire et ses liens avec laclinique et les associations de malades rend compte, nous semble-t-il, de cetteautoproduction.Nous avons souligné que les deux dispositifs clinique et de laboratoire s’articulentdans un mouvement d’interdépendance, au niveau de la recherche avant tout. Notreterrain a aussi su nous faire remarquer l’importance de l’engagement de certainsparents “ activistes ” en faveur des “ avancées de la science ”. Ils entrent de ce faitdans le processus même de la recherche, par exemple en la finançant ou eninvestissant l’espace de la recherche de leur propre corps, sous forme de dons detissus (de leur vivant ou non) par exemple81. L’exemple souligne la présence des 81 Pour le syndrome X fragile, cette pratique se fait notamment dans le cadre d’une collaborationentre deux universités nord-américaines et la FRAXA Research Foundation.

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malades et de leurs formes de vie à la base même de la production de “faits” et deformes vitales, elles-mêmes productrices de nouvelles formes de vie (comme nousl’avons montré tout au long de notre travail).À partir de cet exemple, nous pouvons dire que l’autoproduction équivaut aussi à unmouvement de circularité.

Il ne sera pas question ici de vérifier l’étendue de la validité des propos deRabinow. Nous constatons qu’ils s’appliquent à notre objet d’étude et soulignonspar là leur caractère nouveau, inédit, allant de pair avec l’émergence de ce que nousavons appelé, à la suite de nombreux auteurs spécialistes ou non, la nouvellegénétique. Notre remarque finale concernera la place de celle-ci dans lesbiomédecines.

“ L’ADN et la génétique, ça ne va pas s’arrêter là, ça explose ”, nous dit legénéticien installé en pratique privée. La preuve la plus vivante à Lausanne, outre lepôle de génomique qui concerne d’abord la recherche, est la transformation touterécente (octobre 2002) de la Division autonome de génétique médicale en unService de génétique médicale qui coïncide avec la nomination à sa tête de JacquesBeckmann, chercheur ayant vécu une grande partie de l’“ aventure française ” dudéchiffrage du génome analysée par Rabinow (Beckmann apparaît plusieurs foisdans son ouvrage de 1999). Ce Service n’est d’ailleurs qu’une étape de la créationd’un Institut lémanique de génétique médicale. Ses activités déborderont la sphèrede la reproduction et de la maternité avec ses spécialités médicales spécifiques(gynécologie, néonatologie, pédiatrie) pour traverser de nombreuses autresspécialités et sous-spécialités médicales, telles que l’ophtalmologie, l’oncologie oula psychiatrie. Spécialités qui n’avaient pas jusqu’ici intégré dans leur rang desunités ou des thèmes de recherche incluant la génétique moléculaire. Cette(re)lecture de maladies au travers de modes d’intelligibilité génétiques et de sesregistres de pertinence sera sans doute à la source de nouvelles pratiques,(re)connaissances, savoirs, pouvoirs, identités individuelles et collectives auxquelsnotre analyse ne pourra pas se superposer. D’autres maladies héréditaires ougénétiques mais non héréditaires ont en effet d’autres configurations biologiques,génétiques. Gageons qu’elles seront créatrices de “registres de la vie” à la foisdifférents et complémentaires de ceux du syndrome X fragile et feront l’objet defécondes recherches en études sociales des sciences et de la médecine.Ou disons simplement : à d’autres formes vitales, d’autres formes de vie. Etréciproquement.

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87

Annexe

Figure 1. Southern blot du syndrome X fragile avec arbre généalogique(tiré de Väisänen et al., Human Genetics, 1994, 93 : 145)

Figure 2. Southern blot du syndrome X fragile (tiré de Serre et al., 2002 : 127)

1 : fille porteuse d’une prémutation ; 2 : garçon porteur d’une mutation complète ;3 et 4 : garçons normaux ; 5 et 6 : filles normales.