Architecture militaire romaine

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REVUE DES ÉTUDES MILITAIRES ANCIENNES N O 4, 2007 L’ARCHITECTURE MILITAIRE ROMAINE DANS LE SYSTÈME DÉFENSIF DU LIMES TRIPOLITANUS OCCIDENTAL (SUD DE LA TUNISIE) HAGER KRIMI Nous avons conçu un projet qui s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les frontières romaines en Tunisie et sur les affaires militaires. Ainsi, dix ans de recherches sur le limes tripolitanus occidental et sur l’histoire militaire des romains en Afrique du nord ont abouti à une série de découvertes, d’inventaire de sites et de monuments militaires ainsi qu’à quelques réflexions concernant l’histoire militaire de l’Afrique méridionale. Il fallait répondre à deux questions : état de la question et problèmes d’identification. En effet, tout historien ayant entamé des études sur l’armée romaine d’Afrique se pose impérativement des questions sur l’archéologie militaire en général et son étude : quels sont les thèmes les plus abordés ou les problématiques omniprésentes ? On se pose des questions également sur les pionniers de cette discipline et sur les types de sources sur lesquels ils s’appuyaient. Comme nous le savons tous, l’histoire et l’archéologie se basent essentiellement et en premier sur les sources et les documents écrits. En second lieu, l’épigraphie peut être considérée comme une source très fiable. Enfin, les prospections et les fouilles archéologiques sont d’un grand secours puisqu’elles fournissent les preuves matérielles nécessaires et tant attendues. Pour commencer, nous avons constaté que les sources, quand elles abordent le sujet, le font dans un cadre très général, descriptif et peu spécifique, cependant riche en terminologie. Les études traitant du même sujet ont suivi les rares données fournies par les sources tout en essayant de les infirmer ou de les confirmer sur le terrain, mais toujours dans un cadre général spécifique à l’Afrique romaine. Quant aux travaux qui ont été effectués sur le territoire tunisien concernant le limes tripolitanus occidental en tant que secteur militaire stratégique, sans vouloir les juger, nous devons reconnaître qu’ils sont loin de nos attentes puisqu’ils ne fournissent pas de réponses claires à nos soucis concernant plusieurs points : - l’inventaire général et précis des sites et des édifices militaires romains ; - l’identification exacte et propre à chaque monument ou site ; - la typologie et la chronologie propre à chaque type d’ouvrage ; - la nature et le nombre des corps militaires ayant occupé chaque site ou monument ; - les différentes structures et les matériaux de construction correspondants ; - la stratégie militaire qui a engendré chaque type d’ouvrage. En commençant notre recherche, nous avons espéré que les questions les plus importantes seraient posées et les investigations entamées. Mais la situation s’avère encore plus difficile quand on découvre par les études ou par soi-même, que les recherches se sont appuyées sur des bases erronées. Ces erreurs ont surtout concerné l’inventaire et l’identification du patrimoine tunisien. Ainsi, jusque-là et en nous référant aux études disponibles, nous avons relevé les constats suivants :

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revue des études militaires anciennes no 4, 2007

L’architecture miLitaire romaine dans Le système défensif du limes tripolitanus

occidentaL (sud de La tunisie)

Hager Krimi

Nous avons conçu un projet qui s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les frontières romaines en Tunisie et sur les affaires militaires. Ainsi, dix ans de recherches sur le limes tripolitanus occidental et sur l’histoire militaire des romains en Afrique du nord ont abouti à une série de découvertes, d’inventaire de sites et de monuments militaires ainsi qu’à quelques réflexions concernant l’histoire militaire de l’Afrique méridionale. Il fallait répondre à deux questions : état de la question et problèmes d’identification.

En effet, tout historien ayant entamé des études sur l’armée romaine d’Afrique se pose impérativement des questions sur l’archéologie militaire en général et son étude : quels sont les thèmes les plus abordés ou les problématiques omniprésentes ? On se pose des questions également sur les pionniers de cette discipline et sur les types de sources sur lesquels ils s’appuyaient.

Comme nous le savons tous, l’histoire et l’archéologie se basent essentiellement et en premier sur les sources et les documents écrits. En second lieu, l’épigraphie peut être considérée comme une source très fiable. Enfin, les prospections et les fouilles archéologiques sont d’un grand secours puisqu’elles fournissent les preuves matérielles nécessaires et tant attendues.

Pour commencer, nous avons constaté que les sources, quand elles abordent le sujet, le font dans un cadre très général, descriptif et peu spécifique, cependant riche en terminologie. Les études traitant du même sujet ont suivi les rares données fournies par les sources tout en essayant de les infirmer ou de les confirmer sur le terrain, mais toujours dans un cadre général spécifique à l’Afrique romaine.

Quant aux travaux qui ont été effectués sur le territoire tunisien concernant le limes tripolitanus occidental en tant que secteur militaire stratégique, sans vouloir les juger, nous devons reconnaître qu’ils sont loin de nos attentes puisqu’ils ne fournissent pas de réponses claires à nos soucis concernant plusieurs points :- l’inventaire général et précis des sites et des édifices militaires romains ;- l’identification exacte et propre à chaque monument ou site ;- la typologie et la chronologie propre à chaque type d’ouvrage ;- la nature et le nombre des corps militaires ayant occupé chaque site ou monument ;- les différentes structures et les matériaux de construction correspondants ;- la stratégie militaire qui a engendré chaque type d’ouvrage.

En commençant notre recherche, nous avons espéré que les questions les plus importantes seraient posées et les investigations entamées. Mais la situation s’avère encore plus difficile quand on découvre par les études ou par soi-même, que les recherches se sont appuyées sur des bases erronées. Ces erreurs ont surtout concerné l’inventaire et l’identification du patrimoine tunisien. Ainsi, jusque-là et en nous référant aux études disponibles, nous avons relevé les constats suivants :

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- tout édifice non identifiable situé sur une voie romaine est considéré d’office comme un ouvrage militaire ;- tout site ayant livré une ou plusieurs inscriptions militaires et notamment des épitaphes militaires est identifié et classé en tant que tel ;- tout site militaire n’est souvent défini et daté que par rapport à son ultime phase d’occupation (qu’elle soit punique, romaine, byzantine, vandale ou musulmane) malgré l’existence de vestiges antérieurs apparents…

Quant à la typologie et à l’appellation propre à chaque ouvrage, en dehors des recherches faites sur les « limites d’Afrique », nous ne disposons pas d’études spécialisées concernant la terminologie et la typologie relatives aux sites militaires de l’Afrique. Les recherches se sont basées sur des données prédéfinies et des concepts hérités. En effet, les Romains eux-mêmes n’étaient pas très clairs et décidés quant aux notions de base de l’architecture militaire. L’Empire romain était très vaste, les provinces et les zones militaires avaient chacune ses diversités géographiques et ses spécificités architecturales. La stratégie militaire elle-même avait joué un grand rôle dans la conception et l’éla-boration des ouvrages militaires1. En Afrique, la guerre et la défense avaient nécessité une multitude d’ouvrages différents de ceux qu’on trouvait dans l’Occident ou dans l’Orient romain. Au fil du temps, les besoins défensifs ainsi que les moyens déployés augmentent ou diminuent et par conséquent, l’architecture militaire s’y est adaptée. La défense de l’Empire durant le Haut-Empire nécessitait des effectifs importants et donc des lieux de garnisons adéquats. Durant le Bas-Empire, c’est la défense des frontières qui a multiplié de plus en plus les ouvrages linéaires. Quand, à l’époque byzantine, les moyens ne permettaient pas la construction de nouveaux édifices, on a plutôt opté pour la fortification des cités et la consolidation des zones menacées par des citadelles à la place des monuments civils, notamment publics (forum, temples, marchés,…). De toute façon, les monuments militaires de cette époque allaient rarement aussi loin vers le sud.

Les témoignages

Les textes littéraires2 : ils ne sont pas très explicites et ne nous offrent pas de grandes descriptions des sites militaires romains. Ce sont surtout les batailles, les effectifs, la stratégie ou les armes qui faisaient couler de l’encre et suscitaient la polémique. L’architecture militaire occupait une petite place dans les écrits traditionnels, souvent sous forme de descriptions sommaires ou très vagues quand il s’agit de concept et de terminologie.

Pour ce qui est de la description des postes militaires, nous disposons de l’itiné-raire d’antonin qui nous donne un aperçu sommaire des postes fortifiés de la frontière. Pour l’époque postérieure à Dioclétien l’énumération de ces postes se trouve dans la notitia dignitatum (XXXI, 1-31).

L’épigraphie : en règle générale, l’espace utilisé par les militaires était organisé et réparti en zones bien définies. Pour l’Afrique, on a pris l’habitude de désigner ces zones par le terme limes, rarement attesté par les sources épigraphiques et qui désigne une « bande de terrain longue et étroite, découpée en plusieurs systèmes défensifs ». « Cette organisation

1. Y. Le Bohec, l’armée romaine sous le Haut-empire, Picard, 3e éd. rev. et augm., Paris, 2002, p. 157-194.2. Vitruve, De architectura ; table de peutinger ; itinéraire d’antonin ; notitia dignitatum ; Procope, De aedificiis.

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a évolué sur une longue durée, sur trois siècles […]. Cette organisation a également varié suivant les secteurs […]. Elle ne constitue pas une limite à ne pas franchir […]. »3.

La zone militaire ou le système défensif de la Tripolitaine occidentale (le Sud tunisien actuel) comprenait, depuis le Haut-Empire, les ouvrages militaires suivants : Ksar Ghilane (tisauar), Hr. Medeina, Hr. Mgarine, Ras el-Aïn (talalati), Remada (tillibari), Sidi Aoun, Sidi Md. Ben Aïssa (Vezereos), Ksar Benia Bel Khchab (Tataouine), Ksar Benia Guedah Ceder (Gabès), Ksar Tarcine, Hr. Guecirat (turris maniliorum), Hr. el-myâd, Hr. Khnafis4.

L’archéologie5 : il s’agit essentiellement de travaux d’explorations et de prospec-tions entamés au début du protectorat français en Tunisie par les brigades topogra-phiques de l’État Major. Ces premières explorations ont ouvert le chemin à quelques scientifiques, historiens, linguistes, spécialistes en stratégie militaire et autres. ces derniers étaient amenés à faire quelques recherches sur les ruines militaires les plus remarquables. Ainsi, nous disposons d’un long inventaire datant du début du xxe siècle, énumérant les différents sites militaires, notamment les sites du système défensif du limes tripolitanus occidental. Quelques fouilles archéologiques ont été également effectuées dans des camps romains tel que le camp de Remada par le Commandant Donau en 1914. D’autre part, des relevés topographiques sommaires ont été effectués pour plusieurs sites reconnus comme sites militaires.

Il faut constater que ces travaux anciens nous ont été d’un grand secours, vu la richesse de leur contenu et le contexte dans lequel ils ont été effectués (dans le cadre de la coloni-sation militaire française qui a fait appel à des connaisseurs de la stratégie et de l’archi-tecture militaire ; le but était de suivre les traces des romains et d’imiter leur stratégie afin de réussir l’avancée dans le désert). À partir de la deuxième moitié du xxe siècle, les ouvrages d’ensemble commencent à s’intéresser à l’archéologie militaire et entre autres à l’architecture : R. Cagnat, J. Baradez, P. Trousset, D. Mattingly, Y. Le Bohec, J. Napoli,…

La typologie générale

Le texte de Vitruve6, qui précise dans un style court et peu clair les règles générales pour une architecture militaire romaine idéale, concerne uniquement les villes fortifiées. On utilisera aussi le texte du pseudo-Hygin. Ces mêmes critères, rappelons-le, peuvent être appliqués à une architecture civile fortifiée. Bien évidemment, nous ne rencontrons

3. Y. Le Bohec, « Le rôle social et politique de l’armée romaine dans les provinces d’Afrique », dans G. Alföldy, B. Dobson, W. Eck (éds), Kaiser, Heer und Gesellschaft in der römischen Kaiserzeit, Gedenkschrift für eric Birley, Stuttgart, 2000, p. 216-217.4. Y. Le Bohec, ibid., p. 219. La liste publiée dans cet article est complétée par des travaux plus récents.5. V.H. Guérin, Voyage archéologique dans la régence de tunis I ; II, Paris, 1862 ; c. tissot, Géographie comparée de la province romaine d’afrique. exploration scientifique de la tunisie 2, Paris, 1888 ; r. cagnat, l’armée romaine d’afrique et l’occupation militaire de l’afrique sous les empereurs, Paris, 1912, 812 p. ; J. Baradez, Fossatum Africae, Paris, 1949 ; P. Salama, les voies romaines de l’afrique du nord, Alger, 1re éd., 1951 ; les « rapports de missions des brigades topographiques de l’armée de terre française et les cartes d’État-Major de l’Atlas archéologique de la Tunisie », dans l’archive de l’armée de terre de Vincennes, inven-taire dressé par Marc André Fabre et le brigadier Giberlon, sous référence 2 (H) 49 pour le Sud tunisien.6. Vitruve, De architectura I, V, 2-8, trad. de ch.-L. maufras, Panckoucke (éd.), 1847. Voir aussi Pseudo-Hygin, Des fortifications du camp, M. Lenoir (éd.), Les Belles Lettres, Paris, 1979.

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guère dans le récit de Vitruve les détails que nous rencontrons dans les récits tradi-tionnels d’histoire, les textes épigraphiques ou sur le terrain. En effet, l’auteur ne décrit pas de manière ciblée les différents types de camps romains et leurs annexes, nous manquons également d’informations sur les petits postes, les forteresses ou autres. Le but de cette étude sera de prendre en considération les différents témoignages et de les comparer afin d’aboutir à une typologie des ouvrages militaires romains de la partie occidentale du limes tripolitanus, en se basant essentiellement sur leur architecture.

Les camps romains étaient de trois sortes7 :- les camps d’étape : généralement des camps à forme rectangulaire ;- les camps d’été (castra æstiua), il s’agit de loci provisoires, installés pour protéger les haltes pendant le déroulement de la campagne, ils ne se composaient que d’un fossé peu profond et d’un rang de palissades plantées sur une petite escarpe ;- les camps d’hiver ou camps fixes8, castra hiberna, castra statiua, étaient défendus par un fossé large et profond, par un rempart de terre gazonnée ou en pierre flanqué de tours. L’emploi des tours rondes ou carrées dans les enceintes fixes des romains était général, car, selon la conception de Vitruve9, « les tours doivent être en saillie à l’exté-rieur, afin que si l’ennemi cherchait à escalader les murailles, il présentât ses flancs découverts aux traits qu’on lui lancerait des tours placées à droite et à gauche ».

Dans leurs camps retranchés, les Romains plaçaient souvent le long des remparts de distance en distance, des échafaudages de charpente qui servaient soit à placer des machines destinées à lancer des projectiles, soit de tours de guet pour prévenir l’arrivée de l’ennemi. Les bas-reliefs de la colonne Trajane présentent de nombreux exemples de ces sortes de constructions.

En règle générale et pour des raisons tactiques, le lieu est de préférence choisi en hauteur, l’accès doit être sûr et facile, il faut la présence d’une source d’eau, des prairies pour l’alimentation des hommes et des bêtes.

Le plan est toujours le même pour un camp permanent ou non, ce sont les techniques et les matériaux de construction qui diffèrent. Il est certes conçu pour permettre une construction rapide : les tribuns et les centurions, en plus des architectes, arpentent le terrain et fixent l’emplacement du praetorium (la résidence du général, un carré de 60 m de côté). On plantait un drapeau blanc au même emplacement pour servir de repère autour duquel s’organisait tout le camp : voies, tentes, forum et enceinte. Derrière l’enceinte un dégagement de près de 60 m est laissé libre afin de permettre les mouvements des unités et mettre les premières rangées de tentes à l’abri des attaques ennemies.

Des voies majeures, la via principalis et le decumanus, se coupent à angle droit devant le praetorium. Si le nombre de légions que le camp abrite est élevé, une via quintana parallèle à la via principalis est tracée. Les troupes d’élites formées de fantassins et de cavaliers campent de part et d’autre du praetorium. Les soldats ne commencent à aménager le camp que lorsque le plan est entièrement matérialisé au sol par des petits drapeaux de couleurs. Le fossé est creusé de façon à ce qu’un talus soit formé.

L’enceinte en règle générale, est toujours construite, même pour un campement provisoire. une fossa de coupe triangulaire est creusée tout autour, profonde de 2,25 m et large de 4,50 m. La terre est rejetée vers l’intérieur du camp de façon à former un

7. Y. Le Bohec, l’armée romaine…, cit. (n. 1), p. 140-143.8. ibid., p. 167-177.9. Vitruve, De architectura V, « Des fondements des murs et des tours », 2.

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talus (agger) de coupe trapézoïdale (5,25 m de large à la base, 2,75 m en haut, pour une hauteur de 1,25 m). Le talus lui-même servira de chemin de ronde puisqu’il est assez large pour laisser passer plusieurs hommes de front. Il est souvent surmonté d’une palissade (vallum), formée de pieux hauts d’environ 1,7 m et pointus aux deux bouts. Les portes sont au nombre de quatre et ne sont que de simples ouvertures dans le fossé. En avant de chaque ouverture, un fossé et un talus (sorte de chicanes appelées clauicula ou titulus selon leur forme) ferment le passage. Tous les 50 m, des postes d’hommes en armes sont prêts à intervenir. Le plan pré-établi était conçu dans l’idée de permettre en cas d’attaque à tous les légionnaires de se porter au point prévu sans ordre ou directive immédiate.

Pour les camps permanents ou semi-permanents, le plan est identique, quatre portes, une muraille et un fossé un peu plus profond. Pour l’ensemble de l’enceinte quatre portes sont prévues.

La typologie sur le limes tripolitanus occidental10

Il faut bien admettre que le cas de l’Afrique est particulier. En effet, et contrairement à ce que certaines études ont affirmées, les romains ne se sont pas toujours fiés aux plans préconçus, ils n’ont pas non plus construit leurs camps et leurs lieux de garnisons suivant un unique modèle appliqué à rome, en Occident et en Orient. L’Afrique avait ses spécifi-cités, sans oublier que les Romains, dès le début, ont suivi une politique d’extension et de conquête durant laquelle les guerres n’étaient ni successives ni durables11. Les Romains avançaient vers l’intérieur en adoptant une stratégie défensive qui nécessitait un tout nouveau type d’architecture qui associait les besoins des civils aux exigences militaires. un camp ou un poste militaire romain en Afrique est souvent conçu pour surveiller ou protéger une zone civile stratégiquement ou économiquement importante, il est rapidement transformé en site occupé par les vétérans et les civils après le départ des garnisons.

Notre étude des sites militaires romains nous a amenée à faire les constatations suivantes et à établir une typologie préliminaire des lieux de garnisons.

les camps (castra)

En règle générale, les camps des Romains avaient des plans quadrangulaires, avec quatre portes percées dans chacune des faces ; la porte principale avait le nom de préto-rienne, parce qu’elle s’ouvrait en face du praetorium, siège du chef du poste ; celle d’en face s’appelait décumane ; les deux latérales étaient appelées principalis dextra et principalis sinistra. Ces portes étaient défendues par des ouvrages avancés, appelés antemuralia procastria. Les officiers et les soldats logeaient dans des huttes en terre, en brique ou en bois, recouvertes de chaume ou de tuiles. Ce sont ces matériaux qui

10. J. Toutain, « Notes et documents sur les voies stratégiques et sur l’occupation militaire du Sud tunisien à l’époque romaine », dans BCtH, 1903, p. 272-409 ; m. Euzennat, « Quatre années de recherches sur la frontière romaine en Tunisie méridionale, dans Crai, 1972, p. 7-27 ; P. trousset, recherches sur le limes tripolitanus, du Chott el-Djerid à la frontière tuniso-libyenne, cnrS, Paris, 1974, 177 p. ; r. rebuffat, « À propos du limes tripolitanus », dans ra, 1980, p. 105-124.11. Y. Le Bohec, la troisième légion auguste, Paris, 1989, p. 335-488.

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expliquent la disparition de ces locaux, c’est pourquoi leurs traces ne sont jamais retrouvées par les archéologues.

Remada12 : ce poste est situé dans la Djeffara. Ses dimensions et son plan permettent aisément de le considérer comme camp du modèle romain classique. Il pouvait contenir une cohorte entière. Le camp a été fouillé en 1914 par le commandant Donau et les brigades topographiques du Sud (fig. 1). L’enceinte fait 200 m sur 150 m avec un réduit de 90 m sur 70 m dans l’angle sud-est (voir plan). une via principalis et un decumanus traversaient le camp et passaient devant le praetorium qui se trouvait au centre. D’après la date des pièces de monnaie et des objets archéologiques trouvés lors de la fouille de 1914, le camp de Remada a peut-être existé depuis l’époque des Antonins.

Ras el-Aïn ou Hr. Tlalet13 : ce camp, construit par Gallien, a été probablement trans-formé en castellum au ive siècle. Il s’agit d’une enceinte carrée de 80 m de côté, ayant quatre portes d’accès (fig. 2). une inscription14, surmontant la porte Nord, nous apprend que ce « camp » fut construit en 263-264, sous gallien, pour la VIIIe cohorte Fida ».

les fortins

Le terme romain castellum est très présent dans les récits traditionnels et dans l’épigraphie militaire romaine d’Afrique et sa signification reste incertaine.

Peut-on traduire le terme castellum par forteresse, fort ou fortin ? La plupart des spécialistes ont désigné les castella comme des forteresses sans justifier leur choix. En dehors de leur superficie, nous n’avons encore aucun justificatif architectural pour différencier les forteresses, forts, fortins de l’époque romaine. Qu’est-ce qu’un castellum romain ? La question reste posée et nous espérons avoir plus d’arguments scientifiques pour l’étudier. En nous basant sur les témoignages épigraphiques et sur

12. R. Donau, « Fouille de Remada », dans Crai, 1914, p. 275-476 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), p. 114-115 ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11), p. 439-441, p. 488.13. ibid, p. 465, p. 486-488 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), p. 98-10214. iltun 3 ; Lieutenant Lecoy De La marche, « recherche d’une voie romaine du golfe de gabès vers Ghadamès », dans BaC, 1894, p. 389 ; H. renault, « note sur l’inscription de ras el-Aïn et le “limes tripolitain”, dans BaC, 1901, p. 429-434 : « imp. Caes. p. licinius Gallienus pius Felix invictus aug. Germanicus persicus maximus pontifex maximus tr(i)b. p. Xii cos. V. p. p. procos. Castra coh. Viii Fidae opportuno loco a solo instituit operantibus fortissimis militibus suis ex limite tripolitano » ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11), p. 477, p. 486-487, et Id., les unités auxiliaires de l’armée romaine en afrique proconsulaire et numidie sous le Haut-empire, cnrS, Paris, 1989, p. 76 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), p. 99.

Fig. 1 Camp de Remada (d’après le rapport de Donau, 1914, arch. de l’InAA)

Fig. 2 Camp de Ras el-Aïn

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les spécificités architecturales, nous avons entamé un essai d’identification de quelques castella du système défensif du limes tripolitanus occidental dont les vestiges sont encore visibles (voir carte). Le vocabulaire nous aide davantage : castellum est un diminutif de castra, et c’est donc un « petit camp ».

a priori nous disposons de plusieurs types de castella, nous évoquerons deux types :- Les castella en forme de rectangles ou de carrés aux angles arrondis, dont la super-ficie ne dépasse pas les 50 m x 65 m comme à ras el-Aïn, Bir rhezen, et Hr. mgarine dans le Sud tunisien.- Des castella à casernements périphériques, comme à Hr. Benia Guedah-ceder (Gabès) et Hr. Benia bel-Khchab (Tataouine). Nous pouvons classer dans la même catégorie de forteresses Ksar Ghilane (tisauar), (fig. 3 et 3 bis), Hr. Khnafis et Hr. ras el-Oued Gordeb.

Hr. Ras-oued el-Gordab15 (à Tataouine) : ce poste est distant de 12 km à vol d’oiseau de ras el-Aïn. Il s’agit d’un petit castellum doté d’une seule porte d’entrée (sud-est) de 1,80 m de large ; un couloir de 3 m de largeur aboutit à une seconde porte (1 m de large) ; un autre couloir de 4 m de longueur et une troisième porte de 1,20 m d’ouverture donnent accès à des chambres et à une cour intérieure.

15. Lieutenant Moreau, « Le castellum de Ras-Oued-el-Gordab près de Ghoumrassen », dans BCtH, 1903, p. 369-376 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), p. xxx.

Fig. 3 bis Ksar Ghilane

Fig. 3 Ksar Ghilane

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Hr. Benia Guedah-Ceder16 : c’est un monument militaire imposant et conservé, situé au carrefour des routes commerciales de Gabès vers le Sahara. Le monument est accessible par une seule entrée, il n’était pas flanqué de bastions ou demi-bastions sur ses quatre coins. C’est un rectangle dont la face qui regarde vers le monde romain se compose simplement d’une forte muraille, dont les faces sud et ouest sont dotées de tours et dont la face orientale était protégée par une sorte de donjon. Les murs sont épais comme ceux de l’enceinte. La porte est compliquée d’un couloir à angles droits.

une forte tour à laquelle on accède par deux poternes s’élève au-dessus de l’entrée comme défense solide. ce fortin était un point important de la frontière ; ses écuries peuvent contenir de quinze à vingt chevaux (fig. 4 et 4 bis).

Ksar Benia Bel-Khcheb (près du village de Ouled Mahdi à Tataouine) : c’est un fortin de la belle époque qui aurait été remanié à l’époque byzantine. Il est entouré d’une enceinte carrée de 43 m de côté, flanquée de neuf tours (5 m de côté) dont deux commandent la porte d’entrée. une seule porte d’entrée à l’intérieur de l’enceinte prolongée par un couloir interne (2,40 m de large et 8,40 m de long) tournant deux fois à angle droit donne accès à une cour intérieure. Dans l’angle nord de la cour se trouvaient probablement les logements et les magasins de la garnison. Le castellum est entièrement bâti en grand appareil.

Hr. Khnafis : dans le sud-ouest tunisien, ce camp a la forme d’un rectangle de 35 m sur 25 m sans aucun flanquement, une entrée unique sur la face sud. La cour centrale est entièrement entourée de bâtiments indiquant une garnison plus nombreuse que celle d’Hr. Benia Guedah-Ceder. Les murs et l’enceinte sont bâtis en grand appareil.

Hr. El Myâd (dans la région de Gabès) : situé sur les hauteurs de Dj. Kharrouba, c’est un fortin de grand appareil avec bastions d’angles et demi-bastions sur les faces. Situé à 5 km au nord de Sidi Guenaou (à el-Hamma de Gabès) et à 20 km de tacapes, Hr. el-myâd avait 40 m de côté ; soigneusement construit et bastionné, il était également protégé à 30 m de ses faces par un fossé et une levée de terre (fig. 5).

Ksar Ghilane (Tisavar)17 : Construit en pleine dune au plus tard sous commode (180-192), le site correspond à une forteresse à caser-

16. Capitaine Donau, « Le castellum de Benia Guedah-Ceder. Fouille exécutée en 1904 », dans BCtH, 1904, p. 467-477.17. r. rebuffat, « À propos… », cit. (n. 10), p. 105-124 ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11), p. 439.

Fig. 4 Hr. Benia Guedah-Ceder

Fig. 4 bis Ksar Benia Guedah-Ceder

Fig. 5 Hr. el-Myâd

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nements périphériques. nous distingons les vestiges de trois édifices sur la butte de Ksar ghilane : la forteresse ; vers son angle sud-est, un édifice rectan-gulaire de 8,50 m sur environ 12 m ; en face de sa porte, un peu plus loin, plusieurs pièces en d’arc de cercle. En contrebas de la butte se trouvaient plusieurs édicules, parmi lesquels une chapelle de plan tréflé, qui contenait la dédicace au Génie de tisauar (fig 3 et 3 bis).

les centenaria18

une nouvelle catégorie d’ouvrages militaires est constituée par les centenaria. Il s’agit de fortins attestés par l’épigraphie de la Province de Tripolitaine relative au Bas-Empire. Le nom centenarium « est lié à la racine signifiant cent mais on ignore ce qui s’y trouvait en cent exemplaires »19. Parmi les cente-naria de la partie occidentale du limes tripolitanus attestés par l’épigraphie, nous citons :

Kasr tarcine (fig. 6). Identifié par une inscription comme centenarium tibubici20, le Ksar s’élève sur une hauteur de 10 m dominant l’oued el-Hallouf sur sa rive droite. Il s’agit d’un quadrilatère irrégulier formé d’un mur assez épais dont le chaperon a été arrondi pour rendre l’escalade difficile. un réduit central, planté à l’abri des murs, semble recouvrir des chambres voûtées. L’ensemble de l’ouvrage se compose donc d’un bâtiment carré de 15 m de côté, à cour intérieure, et d’une enceinte extérieure heptagonale de 110 m de long. Les angles sont arrondis ; dans la partie sud on aperçoit la porte d’accès demi-circulaire de l’ouvrage (d’une largeur de 1,20 m) suivie d’un couloir étroit de 3 m de longueur conduisant à la cour intérieure. La maçonnerie est constituée par des moellons assemblés soigneusement au béton de chaux. Aucune trace de pierres de taille dans tout le centenarium.

Ksar Tarcine paraît avoir été un ouvrage intermédiaire entre deux castella, celui de Hr. Khnafis au nord-ouest et celui de Hr. Benia Bel-Khegab à l’est-sud-est (fig. 7). Le centenarium est datable entre 297 et 305. Son plan général et son mode de construction sont très différents des castella, ce qui signifie que l’ouvrage appar-tenait à une époque différente et faisait partie d’une stratégie militaire vraisembla-blement nouvelle.

18. A.F. Elmayer, « The centenaria of Roman Tripolitania”, dans sls, 16, 1985, p. 77-84.19. Y. Le Bohec, « L’armée romaine d’Afrique de 375 à 439. Mythes et réalités », dans A. Lewin, P. Pellegrini (éds), the late roman army in the near east from Diocletian to the arab Consquest, proceedings of a Colloquium held at potenza, acerneza ans matera, italy, may 2005 (BAr Int. ser., 1717), 2007, p. 437.20. « Centenarium tibubuci, quod Valerius Vibianus v(ir) p(erfectissimus) initiari, aurelius Quintianus v(ir) p(erfectissimus), praeses provinciae tripolitanae, perfici curavit ».

Fig. 6 Centenarium tibubuci (Ksar

Tarcine)

Fig. 7 Hr. Benia Bel-Khegab

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les praesidia

On peut provisoirement admettre l’existence de deux catégories : les fortins renforcés par un fossé, et une petite série de fortins qu’on peut appeler praesidia composés d’un élément central entouré d’une enceinte en grand appareil. Le mot praesidium désigne une garnison.

Le poste de Sidi Aoun est désigné comme praesidium par une inscription qui a été trouvée dans les environs21 ; il a été construit sur l’ordre de Quintus anicius Faustus qui fut consul désigné en 198 et consul en 19922. Le personnage qui a construit le praesidium s’appelle aemilius emeritus ; c’était un préposé à la cohorte ii Flavia afrorum23. Il a été détaché de son aile d’origine (ala pannoniorum dans laquelle il était décurion). Le praesidium de Sidi Aoun était occupé par la IIe Cohorte d’Afri-cains et un numerus collatus.

les tours

Les tours ne sont pas forcément et dans tous les cas des édifices militaires ; il peut s’agir de tours ayant appartenu à des monuments ou sites civils. Concernant les tours militaires, dès la plus haute antiquité, leur utilité avait été reconnue afin de permettre de prendre les assiégeants en flanc lorsqu’ils voulaient battre les courtines. Les tours étaient munies de machines propres à lancer des traits ou des pierres. La situation des lieux modifiait souvent cette disposition quadrangulaire.

Les tours doivent être rondes ou polygonales : celles qui sont carrées croulent bientôt sous les efforts des machines, et les coups du bélier en brisent facilement les angles. Dans les tours rondes, au contraire, les pierres étant taillées en forme de coin ne peuvent souffrir des coups qui les poussent vers le centre. Lorsque les tours et les courtines sont terrassées, elles acquièrent une très grande force, parce que ni les mines, ni les béliers, ni les autres machines ne peuvent leur nuire24.

Plusieurs loci d’époque romaine prennent la toponymie latine de turris. Certaines de ces cités n’ont gardé aucune trace de tour jadis existante.

turris tamalleni25 : Telmine fut un castellum romain doté d’une tour imposante d’où sa toponymie actuelle ; Hr. guecirat, turris maniliorum arelliorum, semble avoir été par contre une tour civile.

Hr. Guecirat26 : un édifice romain de fonction confuse entre civile et militaire. L’épigraphie atteste la présence d’une tour en ce lieu. L’inscription le nommait turris maniliorum arelliorum. Son plan général et son architecture le replacent dans le rang des ouvrages civils malgré sa ressemblance avec les castella. Les ruines de Hr. El-Gueciret

21. Commandant Donau, « Recherches archéologiques effectuées par les officiers des territoires du Sud tunisien en 1907 », dans BCtH, 1909, p. 42-43 ; r. rebuffat, « À propos… », cit. (n. 10), p. 120-121.22. ilaf 9 = iltun 1 ; ils 9177 ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11), p. 393, 441 ; B.E. Thomasson, Fasti africani, Stockholm, 1996, p. 170-176.23. Y. Le Bohec, les unités auxiliaires…, cit. (n. 14), p. 67-70.24. Vitruve, De architectura V, 5.25. J. Toutain, « L’identification de la turris tamalleni et de l’itinéraire d’antonin », dans BnsaF, 1912, p. 286-292.26. Lieutenant Péricaud, P. Gauckler, « turris maniliorum arelliorum dans le massif des Matmata », dans BCtH, 1904, p. 259-269.

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(cette localité de l’Adbech à Matmata n’est mentionnée sur aucune feuille de la carte d’État major), se présentent sous la forme d’une construction carrée de 18 m de côté, dont l’enceinte extérieure est soigneusement établie en grand appareil, les cloisons intérieures en moellons. La porte s’ouvre au milieu du côté sud. L’entrée est coudée à angle droit, de manière à masquer l’intérieur. Elle donne accès à une cour centrale rectangulaire, bordée sur les trois côtés sud, ouest et nord par un portique couvert que soutenaient sept colonnes. Sur cette galerie de pourtour s’ouvraient trois appartements de deux pièces chacun, deux à l’ouest, un à l’est. Le côté nord est réservé aux écuries, divisées en trois box à deux lignes de trois mangeoires. Chacune de ces mangeoires servait pour deux chevaux affrontés. L’écurie pouvait recevoir en tout douze chevaux, trois dans chaque box latéral, six dans le central. Entre l’écurie et l’appartement de l’est, le plan indique une chambre rectangulaire longue de 3,70 m et large de 2 m, qui n’a ni portes ni fenêtres. On suppose que c’était un réservoir, recevant les eaux des terrains et pouvant servir à l’ali-mentation des occupants du site en cas de siège. La porte de l’édifice, projetée en avant de l’entrée, a été retrouvée presque tout entière. Les claveaux étaient ornés de figures en bas-relief (une représentation de la victoire ailée, un personnage une palme à la main, deux chevaux) (fig. 8 et 8 bis).

Nous pouvons constater que la réalité archéologique ne correspond pas toujours au vocabulaire romain et les termes latins n’ont pas souvent leurs synonymes français. Ainsi, on peut déduire que les castra désignent toutes sortes de camps, petits ou grands ; un castellum est un terme utilisé pour le petit camp ; praesidium correspond au français « garnison » sans aucune indication sur les effectifs concernés, sauf qu’ils étaient en général faibles.

mode de construction et matériaux

Concernant le mode de construction de ces ouvrages, nous pouvons constater deux types bien définis. L’un de grand appareil est employé pour les castella d’Hr. Benia, d’Hr. myâd, d’Hr. Knafis… ; les blocs extraits le plus souvent à peu de distance sont soigneusement taillés, puis mis en place par assises parfaitement régulières et d’épaisseur peu variable, souvent 0,50 m ; la longueur des blocs dépend souvent des dimensions générales de chaque castellum. Partout l’enceinte est d’un travail soigné, œuvre d’archi-

Fig. 8 Hr. guecirat

Fig. 8 bis Hr. guecirat

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tectes et d’ouvriers habiles, disposant de bons outils et de grandes techniques. L’enceinte est bastionnée lorsque les dimensions de l’ouvrage le comportent. Elle n’a qu’une seule entrée, mais cette porte est rarement sur la ligne de l’enceinte ; partout, un couloir suit la porte d’accès, il servait à piéger et à désorienter l’assaillant, comme à Hr. Benia. Cette spécificité architecturale qu’on trouve dans les deux Hr. Benia n’est pas conforme aux règles établies par Vitruve. On remarque ici que c’est vers la droite que se continue le couloir. En revanche, pour Vitruve :

les tours doivent s’avancer hors du mur, afin que lorsque l’ennemi s’en approche, celles qui sont à droite et à gauche lui donnent dans le flanc [il faut] faire en sorte que les chemins qui vont aux portes ne soient pas droits, mais qu’ils tournent à gauche de la porte ; car par ce moyen, les assiégeants présenteront le côté droit, qui n’est point couvert de boucliers […].

Or à Hr. Benia, non seulement le couloir tournait à droite, mais les créneaux encore visibles sont dans la muraille de gauche. À Hr. Khnafis, le passage est très détérioré, la porte est placée différemment mais il semble que la chambre dallée située à gauche de l’entrée soit celle des défenseurs chargés de garder le passage. Ce n’est certes pas sans motifs que les architectes de la région ont fait exception à la règle du maître. Les ennemis attendus étaient sous-estimés ou n’étaient peut-être pas aussi armés que le soldat romain.

Du point de vue architecturale, le deuxième type de constructions est notablement inférieur au précédent, bien que la maçonnerie ait été soignée et employant de bonnes techniques. L’espace correspond en général à un rectangle se rapprochant du carré, de 9,12 ou 15 m de côté. Les angles sont constitués par des pierres de tailles aussi bien travaillées que celles du premier type.

L’intérieur des fortins était presque entièrement divisé entre habitations, magasins, hangars, écuries, correspondant plus à un ouvrage ayant été occupé par des limitanei, les gardiens des frontières, que par des comitatenses, les troupes d’élite.

les ouvrages linéaires27

Le limes tripolitanus était très fréquenté par les convois militaires romains qui arpentaient les pistes, construisaient les voies et fixaient les frontières. malgré les siècles passés, les voies romaines construites par les militaires romains ont conservé leurs traces et leurs indices de base, à savoir les bornes milliaires ; de la sorte, les ruines des ouvrages militaires de toutes sortes (murailles, postes avancés, tours, castra, castella,…) sont facilement repérables sur le terrain.

un certain nombre de murs ont été repérés et inventoriés depuis gafsa jusqu’à la frontière libyenne. Ces murs ou murailles ont été souvent différemment interprétés, leur lecture pose problème aux historiens et archéologues qui les abordent. Il est important de mentionner que tous ces ouvrages ont été classés par les spécialistes modernes dans la catégorie des ouvrages militaires antiques. Or, à notre connais-

27. capitaine Winkler, « Extrait d’un itinéraire en tunisie », p. 149-153 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), 177 p. ; r. guéry, « chronologie de quelques établissements de la frontière romaine du Sud tunisien à partir de la céramique collectée sur les sites », dans studien zu den militärgrenzen roms, Vorträge des 13 internationalen limeskongresses, aalen, 1983, Stuttgart, 1986, p. 600-604 ; Y. Le Bohec, l’armée romaine, Paris, 1990, p. 159-164, 185-186 ; Id., « La genèse du limes dans les provinces de l’empire romain », dans rD, p. 308-330 ; P. trousset, « L’idée de frontière au Sahara et les données archéo-logiques », dans encyclopédie berbère, p. 47-78 ; J. napoli, recherches sur les fortifications linéaires romaines (CEFR, 229), Paris, 1997, 549 p.

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sance, les sources ne nous offrent pas les arguments et les preuves qui pourraient nous rassurer sur la nature et la datation de ces monuments.

Nous essaierons de présenter quelques-uns de ces ouvrages, notamment ceux que nous avons eu l’occasion de prospecter et d’examiner de près.

La pseudo muraille de Bir Oum Ali28 : À 2 km de Khanguet Oum Ali, sur la colline de Bir Oum Ali, on découvre à travers la gorge les vestiges bien conservés d’une « muraille » barrant le passage d’un sommet à l’autre de la gorge. Cet ouvrage qui a 3 m d’épaisseur, signalé par différents voyageurs et par les brigades topographiques et les spécialistes du limes29, correspond plus à un ouvrage hydraulique qu’à un ouvrage militaire (fig. 9 et 10). De plus nous avons examiné nous-mêmes les vestiges de petites citernes dans lesquelles

on rassemblait l’eau conduite par l’ouvrage dit militaire. Il s’agit bien d’un ouvrage hydraulique bâti probablement par des soldats romains dont certains sont inhumés dans la colline voisine, la colline Oum Ali. Par ailleurs, nous n’avons constaté aucun vestige d’un poste militaire, d’une tour, d’un castellum ou autre. Il s’agit d’une région agricole appelée en arabe Bled Segui (le pays de l’irrigation) ce qui explique bien la présence d’un ouvrage hydraulique depuis l’époque romaine pour récupérer l’eau nécessaire. Le versant de la colline où se situe l’ouvrage est appelé en toponymie arabe Magleb el-Ma (ce qui veut dire le point où l’eau arrive en abondance ou en grande quantité) .

La petite muraille de Soukra30 : à l’ouest du Fedjej, à environ 3 km de la route actuelle de Gafsa à Gabès, un seul chemin donne accès dans la plaine du Koudiat-Soukra (dans la Hamma de gabès) ; ce chemin passe entre les djebels Zitoun et Aïdoudi. L’entrée

28. m. Euzennat, « Quatre années de recherches… », cit. (n. 10), p. 21-23 ; P. trousset, « Les bornes du Bled Seghi », dans antafr, 12, 1978, p. 168-169 ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11), p. 405 ; J. Napoli, recherches sur les fortifications linéaires romaines, Rome, 1997, p. 69-70, p. 434-436.29. R. Cagnat, l’armée romaine d’afrique…, cit. (n. 5), 812 p. ; J. Baradez, Fossatum africae, Paris, 1949 ; P. trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), 177 p. ; Y. Le Bohec, la troisième légion…, cit. (n. 11) ; J. napoli, recherches sur les fortifications …, cit. (n. 28), 549 p.30. J. Napoli, ibid. p. 437.

Fig. 10 Bir Oum-Ali conduite hydraulique

Fig. 9 Colline et ouvrage

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du passage était défendue par un poste de surveillance, situé sur une petite élévation ; une muraille en pierre de taille en grès barrait le passage. Au Koudiat-Soukra, au pied du versant oriental de la petite élévation, on remarque les vestiges d’une tour romaine fortifiée peut-être à l’époque byzantine, des débris de poterie grisâtre et les traces d’une voie romaine venant de Mhamla et se dirigeant vers le chott Fedjej. C’est également dans cette région et non loin de la voie romaine du chott que nous avons découvert fortuitement un ensemble fort intéressant de bornes milliaires déplacées et égarées dans le désert31. L’ouvrage de Soukra correspond peut-être à un ouvrage militaire vu sa position, son archi-tecture et surtout sa proximité des postes de surveillances et des voies romaines.

La pseudo muraille du Djebel Tebaga32 : tantôt considérée comme une ligne de défense et tantôt comme une voie romaine, ce mur long de 17 km se trouve dans la région d’el-Hamma, à l’ouest de tacapes. C’est aussi une autre énigme, car nous ne sommes pas encore fixés à propos de sa datation et de sa fonctionnalité. S’agit-il vraiment d’un ouvrage d’époque romaine et peut-il avoir servi réellement pour des causes militaires ? nous n’en savons rien. La seule affirmation que nous pouvons donner, est qu’il s’agit bien d’un mur tel qu’il a été décrit sauf qu’il est en

31. H. Krimi, « Bornes milliaires du Sud tunisien », étude en cours prévue pour le colloque sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord, Caen, mai 2009.32. P. Trousset, recherches sur le limes…, cit. (n. 10), p. 62-67, 152-154, fig. 1, 9, 23, 24 ; Id., « note sur un type d’ouvrage linéaire du limes d’Afrique », dans BCtH, n.s. fasc. 17B, 1984, p. 383-398 ; J. napoli, recherches sur les fortifications …, cit. (n. 28), p. 71, 99, 442-447.

Fig. 13 Levée de terre à l’aval du Dj. Tebaga

Fig. 11 Pierres taillées à l’amont du Dj. Tebaga

Fig. 12 Partie érigée du mur de Dj. Tebaga

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petit appareil et en partie en forme de levée de terre sans utilisation de pierre ni de ciment. L’architecture et les matériaux de construction ne ressemblent pas à ce qui était d’usage chez les Romains, surtout quand il s’agit d’ouvrages militaires. Toute la solidité de l’ouvrage dépend de la crête naturelle sur laquelle il repose en amont. Les blocs taillés de taille moyenne ne sont présents qu’au sommet (fig. 11, 12,13).

Les habitants de la région, une petite communauté semi-nomade, appellent l’ouvrage « Hedhou », un mot arabe qui signifie la « ligne à suivre » et non pas Hadd, c’est-à-dire frontière, comme certains spécialistes ont précédemment expliqué. Il s’agit bien d’une « ligne » sinueuse sur un terrain très escarpé, tracée spécialement à une époque romaine ou préromaine. Qui a tracé cette ligne et quelles étaient ses intentions : militaires, économiques, politiques ? nous n’avons pas encore de réponses justifiées. nous pensons que cet ouvrage est loin d’être un ouvrage militaire. En effet, étant donné que nous sommes sur une voie de passage des caravanes commerciales venant du Sahara chargées de toutes sortes de produits précieux destinés à être livrés dans le port de la cité de tacapes, étant donné également que la région était parcourue par les tribus nomades jugées hostiles, l’état romain (ou ses prédécesseurs) avait établi un point d’accès pour ces caravanes et avait aménagé cet ouvrage linéaire pour les caravanes afin de leur éviter de s’éparpiller et de tomber entre les mains des pillards. Nous pensons que les caravanes empruntant cette ligne étaient bien évidemment escortées par des soldats romains jusqu’à la zone protégée la plus proche.

Cet ouvrage a donc joué plusieurs rôles mais à notre sens, le rôle le plus important fut la sécurité des caravanes et des sujets de l’empire, ceux qui étaient dans l’obligation de traverser la région. C’est une ligne servant de repère pour le ou les passages dont la sécurité est assurée par les soldats en garnison dans les différents postes et castella.

L’architecture militaire à l’époque tardive

Deux auteurs, Eumène et Ammien Marcellin33, parlent de réformes militaires à l’époque de Dioclétien et qui ont touché tout le monde romain et tous les domaines de l’armée y compris l’architecture. En effet, on s’accordait sur l’idée que Dioclétien avait pris des mesures qui ont touché à la vie militaire en général, suite à l’échec de l’armée romaine au iiie siècle. certains sont allés jusqu’à qualifier ces mesures de « réformes révolutionnaires ».

Ainsi la stratégie aurait été profondément modifiée par Dioclétien. Il aurait d’abord réorganisé l’armée des frontières, chaque province située en bordure de l’Empire recevant deux légions. Il aurait créé une armée mobile, le comitat. Il aurait installé une nouvelle stratégie défensive, la défense en profondeur, « defense in depth ».

Dans le domaine de l’architecture militaire, la réorganisation de la stratégie avait bien évidemment entraîné une réorganisation des ouvrages militaires et de leur archi-tecture. En effet, il semblerait que l’empereur Dioclétien avait fait construire de nombreux édifices supplémentaires pour abriter une armée plus nombreuse et répondre à une stratégie nouvelle. une autre nouveauté avait été accordée à Dioclétien, celle de l’invention d’un nouveau type de camp, souvent appelé « le camp dioclétianique ».

33. Eumène, pan. lat. V, 18 ; Ammien marcellin, Histoire XXIII, 5, 1-2.

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Il se caractérise par des tours d’angle carrées, des casernements périphériques et des principia placés contre le mur. Cette idée demeure très critiquée34 et il serait préfé-rable de parler de « réaction dioclétianique » face à la crise et de garder des réserves à propos des « réformes révolutionnaires » de cet empereur35. Des découvertes récentes, faites en Égypte, montrent que le type dit à tort « dioclétianique » y existait dès le iie siècle 36.

concernant l’Afrique, nous ne disposons que de rares études scientifiques sur la stratégie militaire et sur le système défensif du Bas-Empire37. Les « réformes » de Dioclétien ont-elles concerné l’architecture militaire en Afrique ?

L’épigraphie et l’archéologie ne nous donnent pas assez de renseignements. Pour l’instant on se range à l’idée de la plupart des spécialistes de l’armée romaine qui pensent que l’époque de Dioclétien n’a fait que poursuivre un mouvement engagé depuis des siècles, notamment les réformes de Septime Sévère qui est considéré comme un grand réformateur. De fait, on ne peut plus accepter l’hypothèse de l’invention, à son époque, d’un nouveau type de camp. L’existence de castella avec des bastions d’angle en saillie est attestée dès le iie siècle en Égypte et dès le début du iiie siècle en Afrique (Ksar Benia Guedah-Ceder, Ksar Benia Bel-Khchab). Le camp traditionnel du Haut-Empire se retrouve à ras el-Aïn qui date de la fin du iiie début du ive siècle.

Certes, le iiie siècle, à la suite de la grande crise et de l’instauration d’un régime plus militaire à la tête de l’empire, a été le siècle des modifications. ces modifications étaient progressives et relatives d’une partie de l’Empire à l’autre. Nous pouvons constater qu’en Tunisie par exemple, le camp de Ras el-Aïn a été transformé en fortin sous Gallien et non pas sous Dioclétien. Le centenarium de Ksar Tarcine vient conso-lider le système défensif déjà en place avant 297. Le ive siècle par contre n’a pas connu de bouleversements en Afrique ou ailleurs.

D’autre part, et au-delà de la période tétrarchique, il semble que les questions de la stratégie et de l’architecture militaire d’Afrique sont encore plus compliquées. En effet, selon une étude toute récente de Y. Le Bohec dans le cadre d’une lecture des témoignages épigraphiques et de la notitia dignitatum, chaque limes correspondait à une unité placée sous la responsabilité d’un praepositus limitis recevant les ordres du comte d’Afrique. Le camp de Remada, les castra tillibarensia, était occupé par l’ala ii Flauia afrorum38. thélepte était occupé par la légion ii Flauia Virtutis et une unité comitatensis.

Concernant les périodes tardives du Bas-Empire, notamment le ve siècle, notre source principale est la notitia dignitatum, qui doit être bien évidemment complétée par les inscriptions et les textes traditionnels. Mais il faut constater encore une fois que la situation militaire en Afrique était différente de la situation dans les autres

34. r. Fellman, « Le “camp de Dioclétien” à Palmyre et l’architecture militaire du Bas-Empire », dans mélanges p. Collart (Cahiers d’archéologie Romande, 5), Lausanne, p. 173-191 ; m. reddé, « Dioclétien et les fortifications militaires de l’Antiquité tardive », dans anttard, 3, 1995, p. 91-124.35. Y. Le Bohec, « Dioclétien et l’armée : réforme ou révolution ? », dans M. Buora, Miles romanus dal po al Danubio nel tardoantico, 17-19 mars 2000, Pordenone, 2002, p. 13-19.36. H. Cuvigny (éd.), la route de myos Hormos. l’armée romaine dans le désert oriental d’Égypte (Fouilles de l’IFAO, 48), Le caire, 2003, 2 vol., 687 p.37. Y. Le Bohec, « L’armée romaine d’Afrique de Dioclétien à Valentinien Ier », dans Id., c. Wolff (éds), l’armée romaine de Dioclétien à Valentinien ier (actes du congrès international de lyon, 12-14 septembre 2002), Lyon, 2004, p. 251-265 ; Y. Le Bohec, « L’armée romaine d’Afrique de 375 à 439… », cit. (n. 19), p. 431-441.38. Y. Le Bohec, « L’armée romaine d’Afrique de 375 à 439… », cit. (n. 19), p. 431-441.

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provinces. En effet, l’Afrique au ve siècle avait la réputation d’être une province relativement calme, prospère et non usurpée39.

La notitia dignitatum nous offre des détails sur la répartition géographique des secteurs stratégiques de l’Afrique, sur leurs commandements et sur les effectifs qui assuraient leur sécurité. Pour la Tripolitaine, la notice nous apprend que le secteur défensif de la tripolitaine était commandé par un duc à partir de la fin du ive siècle (environ 393) : u(ir) p(erfectissimus), dux et praeses prouinciae tripolitanae ou encore, dux limitis tripolitani. Comme pour le reste de l’Afrique, il semble que le secteur stratégique tripolitain était divisé en douze secteurs défensifs ou limites40. Ce texte ancien a été commenté et critiqué par un spécialiste de l’armée romaine, Y. Le Bohec41, dans le but de distinguer entre mythes et réalités concernant l’armée romaine d’Afrique durant l’Antiquité tardive. L’auteur n’aborde pas le sujet de l’architecture militaire de l’époque. Cependant, nous pensons que si la stratégie et la tactique ont connu des modifications, l’architecture a certes suivi le processus et a évolué en fonction.

tableau récapitulatif des sites militaires identifiés avec précision42

Sites Noms unités Datesras el-aïn VIIIe Cohorte Fida 263-264Remada IIe Cohorte d’Africains iie siècleThelepte praesidium IIIe Légion Auguste ier siècle

Sidi Aoun praesidium IIe Cohorte d’Africains et numerus collatus 197-198

Vezeros vexillation iie siècleKsar Ghelane castellum IIe Cohorte d’Africains iie siècleHr. Benia bel-Khchab castellumHr. Benia Guedah-Ceder castellumHr. Ras-el-Oued el-Gordab castellumHr. Guecirat turris iiie siècleHr. El-Myâd castellumHr. Khnafis castellumOum Ali Ire Cohorte de Chalcidéniens 163-164?Ksar Tarcine centenarium 297-305Thiges oppidum ier siècle ?

ConclusionL’établissement d’une typologie portant sur les camps militaires romains, du

Haut-Empire jusqu’à l’époque byzantine, permettra en quelque sorte de reconnaître les changements stratégiques durant ces périodes historiques. une stratégie militaire qui est passée d’une occupation très structurée durant le Haut-Empire (camps de légion-naires permanents) à une occupation ponctuellement plus légère mais plus serrée au

39. ibid., p. 431.40. ibid., p. 433-436.41. ibid., p. 431-441.42. La liste des sites militaires a été tirée essentiellement des travaux de Y. Le Bohec sur l’armée romaine d’Afrique : la troisième légion auguste, Paris, 1989 ; les unités auxiliaires de l’armée romaine en afrique proconsulaire et en numidie sous le Haut-empire, cnrS, Paris, 1989, 220 p.

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Bas-Empire (limes et ouvrages linéaires). À l’époque byzantine la stratégie militaire précoce a exigé une architecture militaire basée sur les fortifications des villes et des campagnes importantes et sur la construction de citadelles imposantes.

L’Afrique est originale par les stratégies défensives adoptées sur son territoire. La topographie africaine ne permettait pas aux Romains d’appuyer leur défense sur des obstacles naturels comme le Rhin, le Danube ou l’Euphrate en Europe et en Orient. Ils n’avaient pas non plus le moyen de barrer leur vaste frontière africaine par un mur continu, comme le mur d’Hadrien en Bretagne. Néanmoins, ils ont trouvé des solutions adaptées. On a longtemps prétendu que c’était là une stratégie du Bas-Empire. Or, dès la fin du iie siècle, une défense en profondeur a été installée progressivement dans la partie centrale de la tunisie et dans la région du Sud. un système défensif où les routes sont étroitement surveillées par des petits détachements dans des forteresses (castra), des forts et des fortins (centenaria et praesidia).

Nous pouvons déduire, au terme de cette étude préliminaire, que l’architecture militaire romaine en Tunisie s’est caractérisée durant le Haut-Empire et le Bas-Empire romains par la présence de systèmes défensifs dont les composantes militaires sont étroitement liées. Ces composantes ne sont autres que des ouvrages défensifs divers et bien positionnés le long d’un réseau routier très dense. Nous avons pu distinguer une première typologie constituée de trois éléments.- Deux camps conformes à la typologie des castra romains classiques : le camp de Remada et le camp de Ras el-Aïn. Les camps sont reconnus par leur plan général doté de quatre portes qui correspondent au croisement des deux voies qui traversent les castra, la via principalis et le decumanus.- un grand nombre de castella que nous avons prospectés et dont nous avons inventorié quelques exemples. Les castella ou petits camps se caractérisent par une superficie inférieure à celle des camps traditionnels, par une enceinte et par un seul accès à la partie centrale. Le tout est construit soigneusement en grand appareil.- un groupe d’ouvrages qui ne sont pas encore entièrement inventoriés et étudiés. Il s’agit de l’ensemble des petits postes militaires conçus pour la surveillance ou pour servir d’abris. Il s’agit des petits forts et des fortins appelés par l’épigraphie : cente-narium et praesidium.

Contrairement à l’époque byzantine dont les constructions militaires se distinguent facilement sur le terrain, les ouvrages soupçonnés d’un caractère militaire romain sont nombreux dans le sud tunisien, jadis le secteur occidental du limes tripolitanus, leur identification et leur étude nécessitent une prospection plus poussée et des relevés plus détaillés. La datation de ces ouvrages pose toujours problème et reflète la complexité et l’ambiguïté de la stratégie militaire romaine en Afrique durant une longue période.

Origine des documents.*Carte de P. Salama, les bornes milliaires de l’afrique proconsulaire.*Plans extraits des archives des missions scientifiques et des différentes publications des brigades topographiques ainsi que des publications de P. Trousset sur le limes tripolitanus occidental déjà cités dans les notes de bas de pages ; de Y. Le Bohec dans différentes publica-tions sur l’armée romaine d’Afrique.