ANNE SAROSY L'application de la photographie en archéologie : L'exemple de la Grande Fouille de...

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UNIVERSITÉ PARIS IV – SORBONNE UFR 03 – Histoire de l’art et Archéologie Mémoire de MASTER 1 Présenté par Anne SAROSY Année Universitaire 2013 – 2014 L’APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE EN ARCHÉOLOGIE : L’EXEMPLE DE LA GRANDE FOUILLE DE DELPHES (1892 – 1903) Texte Sous la direction de M. Thierry Laugée et de Mme Hélène Brun 1

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UNIVERSITÉ PARIS IV – SORBONNE

UFR 03 – Histoire de l’art et Archéologie

Mémoire de MASTER 1

Présenté par Anne SAROSY

Année Universitaire 2013 – 2014

L’APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE EN ARCHÉOLOGIE   : L’EXEMPLE DE

LA GRANDE FOUILLE DE DELPHES (1892 – 1903)

Texte

Sous la direction de M. Thierry Laugée et de Mme Hélène Brun

1

Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu mes professeurs, Mme

Hélène Brun et M. Thierry Laugée. Je profite de ces quelques

phrases pour leur faire part de toute ma reconnaissance pour

leur aide, leur attention, leur écoute, leur suivi et leur

patience. Je tiens aussi à faire part de toute ma gratitude à

M. Alexandre Mazarakis qui a pu me conseiller au long de ce

travail.

Je souhaite remercier M. Alexandre Farnoux pour son

accueil à l’École française d’Athènes. Je voudrais exprimer ma

gratitude à M. Philippe Collet qui m’a fait largement profiter

de sa connaissance et de sa grande expérience en tant que

photographe de l’École française d’Athènes. Mes plus sincères

remerciements vont aussi à Mme Calliopi Christophi, responsable

de la photothèque de l’École, qui m’a guidée au sein des

différentes collections et qui m’a permis d’étudier le fonds de

la Grande Fouille de Delphes dans les meilleures conditions. Je

tiens à exprimer ma reconnaissance à Mme Anne Rohfritsch,

2

responsable des archives, qui m’a gracieusement permis

d’accéder aux archives administratives de l’École.

Pour m’avoir proposé son aide, extrêmement précieuse, je

voudrais exprimer toute ma reconnaissance et toute mon

affection à M. Erwin Aureillan, qui a dû s’armer de patience

pour relire mon travail.

Enfin, j’exprime toute ma gratitude à mes parents pour

m’avoir toujours soutenue dans mes choix d’études. Je remercie

particulièrement ma mère, Mme Christine Fournier pour m’avoir

accompagnée et soutenue durant la rédaction de ce travail. I

wish to thank my father, Mr Paul Sarosy, for supporting me

during my studies. I hope that one day you will be able to read

this work in french.

Table des matières

Remerciements................................................1Abréviations.................................................3Introduction.................................................4I. La photographie : un nouvel instrument de travail pour les archéologues.................................................9A. Mise en place de la photographie scientifique.................91. Une généralisation de la pratique...........................92. Conditions d’une photographie scientifique.................143. Une réponse aux exigences des nouvelles méthodologies de fouilles......................................................20

3

B) Les multiples applications de la photographie à Delphes......221. La photographie comme témoin : une vocation documentaire. . .222. Les finalités pédagogiques : les envois à l’Académie.......24

C) Les paradoxes de l’objectivité photographique................271. La machine et le photographe : façade d’une objectivité photographique................................................27

II. Photographier La Grande Fouille de Delphes..............34A) L’organisation des fouilles et le témoignage de leurs réalisations....................................................341. Le matériel photographique : de nouvelles exigences........342. Les épreuves photographiques : un témoignage de la fouille en elle-même.....................................................393. Les références aux prises de vue dans le Journal de la Grande Fouille.......................................................44

B) Photographier le vivant......................................511. Le témoignage d’un métier..................................522. Les trois moments de la prise de vue (le Journal de la Grande Fouille) : témoignage du métier de photographe ?..............563. Le choix de témoigner de son expérience : le caractère ethnologique..................................................63

C) Des prises de vue à la mise en place réfléchie...............681. Intervention du photographe dans la mise en scène..........682. Rendre compte de l’information : des méthodes empiriques. . .713. Intervention manuelle sur le cliché en vue de la publication74

III. L’édition, un développement pour la photographie.......78A) L’exploitation de la photographie dans les publications scientifiques : l’illustration dans le BCH, CRAI et Les fouilles de Delphes..........................................................781. Utilité et fonctions.......................................782. L’image et le texte : la question des légendes et commentaires..............................................................833. Variété des utilisations de l’image : publication et envois pour le CRAI..................................................88

B) L’industrie photographique au service de l’EfA...............901. Les nouveaux procédés photomécaniques utilisés par l’EfA. . .902. Les studios de photographie et d’impression de l’EfA.......933. Une autre présentation des clichés : leur projection pendant les séances de l’Institut de correspondance hellénique........95

Conclusion.................................................100Bibliographie..............................................103

4

Abréviations

BCH : Bulletin de correspondance hellénique

CRAI : Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-

Lettres

EfA : École française d’Athènes

EPHE : École Pratique des Hautes Etudes

ICH : Institut de correspondance hellénique

MDAI : Mitteilungen des Deutschen Archäogischen Instituts

5

Introduction

En 1839, Arago1 présente l’invention de Daguerre à

l’Académie des sciences : « [..] chacun [songe] à l’immense

parti qu’on aurait pu tirer, pendant l’expédition d’Égypte,

d’un moyen de reproduction aussi exact et si prompt […]

». Ainsi, Arago salue l’apparition du médium photographique et

introduit d’emblée les possibilités d’application de celui-ci

au domaine archéologique. Par la présentation de l’éminent

membre de l’Académie, la photographie se trouve, dès ses

balbutiements, rattachée à l’entreprise scientifique et se

présente comme l’un des catalyseurs de l’archéologie moderne en

Grèce au XIXe siècle. Le fonds photographique qui fait l’objet

de la présente étude s’impose comme la mémoire vive, par ses

mille six cents quatorze plaques de verres, du plus important

chantier jamais entrepris à l’époque : la Grande Fouille de

Delphes ayant lieu de 1892 à 1903, sous la responsabilité de

Théophile Homolle (1848 – 1925), Directeur de l’École Française

d’Athènes (EfA) de 1890 à 1903. Celui-ci s’entoure de nombreux

1 ARAGO, François, « Le Daguerréotype » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, séance du lundi 19 août 1839, p. 257.

6

de membres de l’École comme Paul Perdrizet, Paul Fournier et

Émile Bourguet. Le fonds apparaît désormais comme un élément

constitutif du patrimoine delphique et un exemple de sa

réappropriation par l’EfA. L’étude de ce fonds attire en

premier lieu notre attention par son ambivalence et la

multitude de questionnements qu’il soulève. En effet, les

conditions de prises de vue frappent par leur homogénéité

puisque la grande majorité des clichés ont exclusivement été

réalisés sur le site de Delphes -village de Castri compris-

contrairement aux précédentes expériences photo-archéologiques

de Prangey ou Perrot2 destinées à la documentation de leurs

voyages scientifiques. Les images réalisées à Delphes sont

l’œuvre d’un nombre restreint d’opérateurs et la pluralité des

sujets étudiés trouve son fil conducteur dans l’omniprésence

des principaux acteurs delphiques. L’homogénéité du fonds et

son étendue chronologique facilitent une étude raisonnée de

l’intégration de la photographie à la discipline archéologique.

Paradoxalement ces caractéristiques n’ont d’égal que la variété

des sujets représentés puisque l’ambition documentaire de la

fouille est sans précédent : plus de deux-mille clichés sont

produits et demeurent présents sous la forme de plaques de

verre depuis plus d’un siècle dans la photothèque de l’EfA. Le

chantier de Delphes fut l’une des premières grandes entreprises

de l’École, fondée en 1846, qui se donne comme objectif une

exploration systématique du site. On comprend aisément que la

photographie y ait joué un rôle prépondérant. Delphes s’impose

2 PERROT, Georges, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de la Mysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont, exécutée en 1861 et publiée sous les auspices du ministère de l’Instruction publique, Firmin – Didot frères, Paris, 1862 [392 p.].

7

comme un reflet de l’évolution des techniques archéologiques et

semble symptomatique des bouleversements que connaît la

discipline à la fin du XIXe. En effet, Delphes a connu les

récits de voyageurs du début du XIXe siècle, les aquarelles et

la suprématie du dessin avant de connaître les avancées

techniques liées à la Grande Fouille. Si le dessin demeure un

outil privilégié de l’archéologue, la chambre photographique ne

cesse d’accroître son rôle et sa présence sur le chantier, puis

au sein des publications scientifiques quand vient l’heure de

rapporter les connaissances extraites de la campagne delphique.

Afin de mener cette étude sur le fonds photographique

delphique, nous avons examiné à la photothèque de l’École les

clichés développés, les plaques de verre étant conservés avec

la plus grande vigilance dans des salles froides. Nous vous

prions de vous rapporter au catalogue présent en annexe pour

compléter cette étude.

Afin d’orienter l’étude qui nous incombe, il convient de

répertorier les précédents travaux accordés au fonds

photographique de la Grande Fouille de Delphes. On peut en

premier lieu signaler deux thèses doctorales, celle de P.

Folliot, G. Réveillac et A. Chéné3 publiée en 1986 et celle

d’A. Lacoste4 soutenue en 2008. Si les deux ouvrages ne se

donnent pas la Grande Fouille de Delphes pour sujet exclusif,

ils s’attachent tous deux au dialogue entre photographie et3 FOLLIOT, Philippe, RÉVEILLAC, Gérard et CHÉNÉ, Antoine, De la photographie enarchéologie, Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille, 1986 [300 f.].4 LACOSTE, Anne, La photographie et les sciences de l'Antiquité en Orient dans la seconde moitiédu XIXe siècle d'après l'étude des fonds photographiques de la Bibliothèque de l'Institut de France,thèse pour obtenir le grade de docteur de l'Université de Paris IVSorbonne, 2008 [1 034p.].

8

archéologie et à leurs enrichissements mutuels. La présente

étude prend connaissance de ces travaux pour supposer que,

davantage qu’un enrichissement, il existe un véritable trajet

commun entre l’essor de la photographie scientifique et de

l’archéologie institutionnelle. Il nous faut désormais traiter

des ouvrages ayant trait à la Grande Fouille afin de compléter

et replacer les hypothèses d’influences de la photographie sur

l’archéologie dans le cas précis de Delphes. En 1988, Olivier

Picard, directeur de l’Ecole de 1981 à 1992, confie à G.

Réveillac le soin d’une mission exploratoire du fonds

photographique de l’Ecole. Cette recherche est présente dans

les archives sous le titre Rapport de mission exploratoire de G. Réveillac5.

La recherche prend la forme d’un état des lieux général en vue

d’une restauration future du fonds. Il s’agit d’une étude

d’échantillonnage réalisée sur huit-cent négatifs de plaques de

verres exhumés au hasard. Ce premier rapport s’enrichit l’année

suivante d’un second, intitulé Le fonds photographique ancien de l’Ecole

Française d’Athènes – la « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903)6, rédigé par

G. Réveillac et s’attachant au cas précis de Delphes

probablement dans le cadre de la commémoration du centenaire du

chantier ayant lieu trois ans plus tard. La poursuite du

travail d’inventaire et la préoccupation de durabilité du fonds

trouve sa réalisation dans le rapport de Bertrand Lavrédine :

Mission sur la conservation des photographies de l’Ecole Française d’Athènes7.

5 RÉVEILLAC, Gérard, Rapport de mission exploratoire, Dossier Administratif 4.4,carton n5 : collection de photographies (1989 – 1992), 1988 [4 p.].6 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’École française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), Dossier Administratif 4.4, carton n5 :collection de photographies (1989 – 1992), 1989 [45 p.].7 LAVÉDRINE, Bertrand, Mission sur la conservation des photographies de l’École françaised’Athènes réalisée entre le 25 juin et le 2 juillet 1992, Dossier Administratif 4.4, carton

9

Ingénieur au Centre de Recherche de la Conservation des

Documents Graphiques, il produit un rapport bien plus précis

sur la natures des différentes altérations présent dans le

fonds général et en favorise l’exploitation documentaire. Si

l’intitulé du rapport paraît introduire à une étude d’ordre

général, celui-ci est publié au moment du centenaire de la

Grande Fouilles de Delphes ; il y accorde ainsi une importance

particulière qui s’inscrit dans la volonté de réappropriation

du fonds photographique. L’année 1992 correspond à une plongée

de la communauté archéologique dans l’univers de la Grande

Fouille. L’ouvrage le plus représentatif de cette tendance est

certainement La redécouverte de Delphes8, ouvrage à l’intitulé sans

équivoque. Celui-ci s’appuie sur le rapport de G. Réveillac de

1989 dont il constitue l’aboutissement auprès de la communauté

scientifique par la publication des conclusions qui y étaient

apportées. L’article « Photographies de la Grande Fouille9 » 

élève de manière inédite les clichés réalisés de 1892 à 1903 au

rang de strict objet d’étude. En 1996, Philippe Collet publie

l’article « Photographie et archéologie : des chemins

inverses10 » qui s’attache à retracer les étapes de

l’institutionnalisation de la photographie au sein de l’EfA.

Les clichés relatifs à la Grande Fouille y prennent une part

prépondérante et font de Delphes le moment décisif de

l’application de la photographie au domaine archéologique. n5 : collection de photographies (1989 – 1992), 1992 [4 p.].8 PICARD, Olivier [dir.], La redécouverte de Delphes, École française d’Athènes,Athènes, Eforeia arhaiotētōn Delfōn, Paris, de Boccard, 1992 [291 p.].9 RÉVEILLAC, Gérard, « Photographies de la Grande Fouille » dans LaRedécouverte de Delphes, pp. 180-193. 10 COLLET, Philippe, « La photographie et l’archéologie : des cheminsinverses » dans le Bulletin de correspondance hellénique, volume 120, numéro 1,Athènes, École française d’Athènes, 1996, pp. 325-344.

10

En 1846 est fondée l’Ecole Française d’Athènes, placée en

1874 sous l’autorité de l’Académie des Inscriptions et Belles-

Lettres. L’apparition du médium photographique précède la

création de l’Ecole d’à peine sept années. Pour autant, la

collaboration avec l’outil photographique prend son essor plus

tardivement puisque les albums photographiques pionniers de G.

Perrot11 et E. Renan12 sont respectivement publiés en 1862 et

1874. Il faut attendre le passage du statut de la photographie

comme communication artistique à celui de langage scientifique.

En effet, dès 1839, les grands monuments de l’Antiquité grecque

deviennent les sujets des premières vues photographiques comme

l’illustrent les travaux de Pierre Gustave Gaspard Joly de

Lotbinière. Ces vues, avec celles réalisées par Guillaume de

Prangey, bien que plus pittoresques que scientifiques, vont

permettre d’envisager l’étendue des applications de la

photographie quant à la documentation, l’enregistrement,

l’archivage ou l’analyse des vestiges archéologiques. Aussi

l’ambivalence de la photographie entre vocation esthétique et

application scientifique doit-elle être questionnée.

L’archéologie du XIXe semblait avoir déjà résolu le paradoxe de

travaux réalisés par une technique artistique dans un but

scientifique par l’usage du dessin, alors médium exclusif de la

promotion des découvertes. Ce précédent offre une porte

d’entrée à la photographie au sein du milieu archéologique,

11 PERROT, Georges, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de la Mysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont, exécutée en 1861 et publiée sous les auspices du ministère de l’Instruction publique, Firmin – Didot frères, Paris, 1862 [392 p.].12 RENAN, Ernest, Mission de Phénicie, Paris, Impr. impériale, 1864-1874 [884

p.].

11

d’ores et déjà rompu à la transdisciplinarité, à la

collaboration des techniques. Dès les prémices de l’utilisation

de la chambre photographique en milieu archéologique, l’intérêt

des spécialistes et des novices pour l’exotisme des clichés

réalisés joue le rôle de caisse de résonnance des travaux

archéologiques dans les capitales européennes. En effet la

multiplication de gravures d’après photographies dans des

revues telles L’Illustration ou A travers le monde atteste l’engouement

des scientifiques et du public pour le support photographique.

Peut-on pour autant limiter l’application de la photographie à

la promotion des missions archéologiques ? Le cas de Delphes

suggère une implication bien plus large de la photographie lors

de la Grande Fouille qui s’étend sur plus de dix ans, de 1892 à

1903. Si l’intérêt pour l’image géographique et sensationnelle

constitue un terrain fertile à la présence de l’outil

photographique sur le chantier de fouille, les missions

réalisées au cours de la seconde moitié du XIXe siècle ne

cessent de révéler les nombreuses facettes de l’application de

la photographie à l’archéologie. Aussi la « scientifisation »

de la photographie et de l’archéologie semblent appartenir à un

même mouvement qui s’étend sur une même période. Dès lors, une

fois leur concomitance établie, quelle a été l’influence de la

photographie dans le trajet commun qu’elle parcourt avec

l’archéologie vers leur définition moderne, scientifique ?

Comment la photographie a-t-elle imposé son caractère

scientifique lorsque les expériences récentes et sa vocation

artistique première semblent signaler la fragilité de

12

l’objectivité photographique et des connaissances qui en

découlent ?

Aussi, dans quelle mesure la photographie s’impose-t-elle,

par ses différentes applications et résonances au sein de la

communauté savante, comme l’instrument privilégié d’une

archéologie qui affirme son caractère institutionnel et

scientifique ? Le cas de Delphes est choisi comme lieu de ce

questionnement en ce qu’il inaugure la collaboration intensive

du médium photographique avec une recherche archéologique

enrichie de nouvelles méthodologies.

Afin de déterminer les conditions d’intégration de la

photographie aux travaux archéologiques, les bouleversements

qu’elle opère et les possibilités qu’elle offre, il nous faut

en premier lieu étudier le contexte d’une généralisation de la

pratique au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Les

conditions sont-elles alors réunies pour que la chambre

photographique soit considérée comme un nouvel instrument pour

les archéologues ? Ce semble être le cas à Delphes lors de la

Grande Fouille qui apparaît comme le catalyseur des définitions

de la photographie scientifique à cette période. Le site

delphique s’impose également comme le lieu de l’expérimentation

des différentes applications de la photographie à

l’archéologie. Aussi l’exemple de Delphes sera au cœur du

deuxième temps de notre étude puisqu’il s’agira de considérer

le témoignage photographique du chantier de la Grande Fouille

afin d’envisager une analyse détaillée des photographies tant

13

par la prise de vue que par les traitements et publications

dont elle font l’objet. Enfin, on s’attachera à déterminer les

modalités de l’exploitation des clichés au sein des

publications scientifiques telles que le BCH, le CRAI et Les

fouilles de Delphes.

I. La photographie : un nouvel instrument de travail pour les archéologues

A. Mise en place de la photographie scientifique

Afin de déterminer les facteurs ainsi que les tenants et

les aboutissants de la mise en application de la photographie à

la discipline archéologique, considérons en premier lieu le

contexte d’une généralisation de la pratique à la fin du XIXe

siècle. Existe-t-il une volonté de créer une norme dans la

création du genre de la photographie dite scientifique ? Enfin

nous verrons dans quelle mesure l’outil photographique répond

il aux exigences des nouvelles méthodologies de fouilles

introduites à cette époque à la pratique archéologique ?

14

1. Une généralisation de la pratique

Aussi, déterminons dans quel environnement l’ambition

d’une photographie scientifique prend racine. Cette question

suggère l’étude des manuels photographiques appliqués aux

sciences à travers l’étude de l’ouvrage d’Eugène Trutat publié

en 1879, La photographie appliquée à l’archéologie13. E. Trutat (1840 –

1910), directeur du Musée d’Histoire Naturelle de Toulouse,

utilise la photographie dans ses voyages d’études dans les

Pyrénées, et l'applique à la géologie et à l’archéologie. Il

écrit de nombreux manuels techniques et ouvrages sur les

applications scientifiques de la photographie, particulièrement

à l’histoire naturelle14. L’ouvrage rapporte un état de la

connaissance des années 1875 – 1880 sur la technique

photographique tout en retranscrivant l’expérience de ses

prédécesseurs. Il renseigne en outre les lecteurs de l’époque

sur les dernières nouveautés photographiques. E. Trutat donne

des conseils et son point de vue quant à l’application de la

photographie en archéologie. On peut souligner l’intérêt que

porte E. Trutat à l’application de la photographie à

l’épigraphie. Pour l’auteur, l’épigraphie et la photographie

représentent le symbole même de l’apport considérable que

peuvent avoir les prises de vue pour les recherches

archéologiques. L’intérêt de la photographie pour les

recherches épigraphiques et la somme d’inscriptions présentes à

Delphes en font le lieu privilégié de la mesure de l’influence13 TRUTAT, Eugène, La photographie appliquée à l’archéologie : reproduction des monuments,œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, Paris, Gauthier – Villars, 1879 [139p.].14 TRUTAT, Eugène, La photographie appliquée à l’histoire naturelle, Paris, Gauthier –Villard, 1884 [225 p.].

15

de la photographie sur l’archéologie. On peut citer le CAT 147,

représentant une inscription du Stade, pour illustrer cette

approche. Ainsi, Trutat se place en précurseur de l’utilisation

du cliché photographique en tant que support, puisqu’avant les

années 1880 les études publiées ne sont que très rarement

illustrées15. On peut d’ailleurs noter que les études

épigraphiques ne sont pas complétées par des dessins dans les

corpus épigraphiques. Trutat est -de manière pionnière-

conscient de l’apport des clichés pour les corpus. Il salue le

fait « que l’archéologue puisse emporter avec lui à loisir une

représentation du sujet douteux16 ». On peut constater la

modernité de son propos lorsqu’il prétend que face à une

photographie chaque épigraphiste pourra donner sa propre

interprétation et ne dépendra pas de l’opinion d’un seul. E.

Trutat considère la photographie comme un support documentaire,

un instrument de travail aisément transportable qui facilite le

travail du chercheur. L’ambition de cet ouvrage est d’enseigner

aux archéologues la pratique de la photographie afin de créer

des images qu’ils pourront publier par la suite. La démarche

d’E. Trutat peut être mise en parallèle avec celle de P.

Foliot, G. Réveillac et A. Chêne17 qui cherchent à rapprocher

la pratique des photographes de celle des archéologues afin que

ces deux corps de métiers apprennent à mettre en commun leur

savoir pour créer une image normalisée, scientifique.

15 En effet, le Bulletin de correspondance hellénique n’est illustré qu’àpartir de 1878. Voir III, A, 1 : « Utilité et fonctions de l’exploitationde la photographie dans les publications scientifiques ».16 TRUTAT, Eugène, La photographie appliquée à l’archéologie : reproduction des monuments,œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, p. 2. 17 FOLLIOT, Philippe, RÉVEILLAC, et Gérard CHÉNÉ, Antoine, De la photographie enarchéologie, Aix, Université d’Aix – Marseille, 1986 [300 f.].

16

Le savant devient photographe et participe ainsi à la mise

en place de la photographie appliquée à la science bien mieux

que lorsqu’il devait diriger un photographe. On assiste

conjointement à l’apparition d’une nouvelle génération de

savants formés à l’École Française d’Athènes qui se

familiarisent avec la photographie et les nouvelles formes de

documentations par l’intermédiaire de manuels, traités et

publications scientifiques consultables à la bibliothèque18.

Nous avons examiné les inventaires des bibliothèques de l’École

française d’Athènes. Ceux-ci s’avèrent cependant trop

lacunaires pour nous aider dans la recherche des ouvrages

traitant de photographie alors accessibles aux membres de

l’École. Néanmoins, nous savons que l’institution recevait la

presse étrangère, particulièrement les journaux français, et

que de part son attachement à l’Académie, l’École se devait

d’être informée des progrès scientifiques, notamment

photographiques. Pour les scientifiques ou photographes du

XIXème siècle on peut observer que l’intérêt premier qui

résulte de la pratique photographique est « l’exactitude

mathématique19 » qu’elle procure. Cette précision est en fait

d’une grande utilité pour les études de l’Antiquité en tant que

science moderne. Paul Martellière20 (1830 – 1921), dans son

18 LACOSTE, Anne, La photographie et les sciences de l'Antiquité en Orient dans la seconde moitiédu XIXe siècle d'après l'étude des fonds photographiques de la Bibliothèque de l'Institut de France,thèse pour obtenir le grade de docteur de l'Université de Paris IVSorbonne, 2008, pp. 202-209. 19 MARTELLIÈRE, Paul, « De la Photographie comme complément des étudesphotographiques » dans Bulletin de la Société archéologique et littéraire du Vendômois, TomeXVIII, 3ème trimestre 1879, Vendôme, Lemercier & Fils, p. 216. 20 Un des membres de la Société archéologique du Vendômois (société fondée en 1862qui publie depuis sa création un bulletin annuel sur l’archéologie).

17

intervention, « De la Photographie comme complément des études

archéologiques21 » fait une description particulièrement

simplificatrice de la pratique, ce qui nous laisse penser qu’il

souhaite promouvoir l’initiative :

« Si le public savait que la photographie est la

chose la plus simple du monde, et que le premier venu

peut avec un peu de soin obtenir des résultats

satisfaisants, il manquerait volontiers de respect au

photographe, qui ne l’entend pas ainsi.22 »

Nous pouvons ainsi observer que la pratique photographique se

généralise peu à peu en France, et qu’elle devient un outil que

les promoteurs de ce mouvement décrivent comme étant

accessible. Trutat constate le développement de la pratique

dans le milieu archéologique mais contrairement à Martellière,

il en évoque aussi les résultats limités, dus au manque de

préparation et d’expérience : « Un cliché est encore chose

assez facile à obtenir, mais il faut de toute nécessité faire

un véritable apprentissage pour arriver à des résultats

convenables.23 » Le manuel renseigne de manière détaillée sur

la pratique de la photographie à l’époque. Il comprend en

premier lieu la description du matériel adapté aux conditions

d’utilisation en voyage ou en studio. Il décrit ensuite la

chambre et le pied, soulignant l’importance d’une rigidité

suffisante de ce dernier afin d’éviter les vibrations21 MARTELLIÈRE, Paul, « De la Photographie comme complément des étudesphotographiques » dans Bulletin de la Société archéologique et littéraire du Vendômois, p.215-223.22 MARTELLIÈRE, Paul, « De la Photographie comme complément des étudesphotographiques » dans Bulletin de la Société archéologique et littéraire du Vendômois,p.222. 23 TRUTAT, Eugène, La photographie appliquée à l’archéologie : reproduction des monuments,œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, p. 27.

18

occasionnant des épreuves floues. Certaines catégories de verre

étant susceptibles de se ternir, il recommande de les conserver

dans une atmosphère sèche et de les préserver de brusques

changements de température, ainsi que d’éviter de les ballotter

lors des déplacements. Quant aux négatifs, E. Trutat favorise

la demi–plaque (13 x 18 cm) pour les voyages, format moyen

s’adaptant à quasiment tous les sujets et entraînant moins de

complications que le transport de formats plus imposants. On

remarque que les deux formats les plus utilisés pour la Grande

Fouille de Delphes sont le 13 x 18 et le 18 x 24 cm.

Suite à ces considérations d’ordre général, l’ouvrage est

divisé en cinq catégories, chacune étant illustrée par une

lithophotographie : monuments, objets, sculpture, inscriptions

et manuscrits. Trutat prend en compte les différentes

compositions et les matériaux pour chaque élément, et tout

particulièrement pour l’épigraphie. Il décrit les effets à

obtenir dans le but de mieux représenter l’objet photographié,

se référant souvent à des manuels techniques de photographes.

Il cite notamment Blanquart-Evrard24 (1802 – 1872) afin de

définir l’éclairage nécessaire pour la photographie de

monuments, une des principales difficultés. Les vues d’ensemble

demandent une lumière vive afin d’avoir des ombres portées

donnant du relief aux parties saillantes et d’obtenir des

effets de perspective bien adoucis. Les éclairages doivent être

obliques pour mettre en relief les masses sans tomber dans

l’exagération de l’allongement des ombres portées, comme on

24 BANQUART-EVRARD, Louis-Désiré, Traité de photographe sur papier, Paris,Chevalier, 1651 [199 p.].

19

peut le voir sur le CAT 061. Les sculptures au contraire

nécessitent une lumière large et douce pour obtenir le modelé

de l’épreuve : le CAT 140 en est l’exemple même. Trutat précise

aussi la taille des épreuves la plus adaptée, la manœuvre des

appareils, lesquels doivent être généralement positionnés à

moitié de la hauteur totale du sujet, ainsi que la mise au

point et le temps de pose. Enfin, la description des principaux

procédés disponibles attestent encore de la diversité des

utilisations à cette période : négatif papier, collodion

humide, collodion sec, procédé au gélatino-bromure d’argent. Le

collodion sec semble être le plus employé et est recommandé

pour le voyageur mais Trutat annonce aussi les plaques

émulsionnées au gélatino-bromure préparées et fournies par le

commerce, et recommande tout particulièrement celles de Jacques

Garcin (18..-19.. ?) à Lyon25, plaques sèches au gélatino-

bromure d’argent excellentes et d’un prix inférieur à toutes

les autres préparations. Le procédé au gélatino-bromure

d’argent profite tout particulièrement au développement de la

photographie dans les missions. Les plaques sèches préparées à

l’avance rendent ainsi la tente inutile et éliminent toutes les

manipulations chimiques des procédés précédents, simplifiant

dans une grande mesure le bagage du voyageur, et surtout

réduisent considérablement le coût de la production. Ainsi,

grâce à la brièveté des opérations nécessaires et du temps

d’exposition, la pratique devient plus spontanée et élargit les

possibilités ainsi que les sujets. Ce nouveau procédé assure

25 Photographe ayant participé à l’Exposition Universelle de 1894. VoirArchives municipales de Lyon, 925 Wp 299, carton n°81/2, dossier 4, piècen° 25-26.

20

l’indépendance du scientifique qui est à même de maîtriser la

production et de trouver dans cette méthode un auxiliaire

précieux pour ses recherches. Cependant, la photographie

constitue toujours un excédent de bagages important et fragile,

et le procédé nécessite certaines précautions. Le voyage est à

l’époque  sécurisé et banalisé mais l’utilisation de la

photographie en complique les conditions du fait de la lourdeur

de son dispositif. Les difficultés sont nombreuses : lenteur

des déplacements et importance des distances, du climat,

conditions de travail limitées par la chaleur et le vent,

difficulté de préservation du matériel photographique. En

effet, la chaleur et la poussière s’avèrent être de véritables

fléaux. Les solutions chimiques utilisées s’évaporent sous la

chaleur, et la poussière complique les opérations. La chaleur

et l’humidité déforment les chambres et lorsque le matériel est

endommagé, il est difficile à remplacer. La photographie est à

l’époque un véritable défi, nécessaire pour la progression de

l’archéologie scientifique.

Si le savant n’en est pas l’auteur, il en dirige les

opérations, assurant ainsi l’intérêt scientifique de cette

production. L’invention du procédé au gélatino-bromure

d’argent26 par le physicien anglais, le Docteur Richard Leach

Maddox27 (1816 – 1902) date de 1871. Il permet la préparation

des négatifs en avance. Les premières émulsions sensibilisées

en usine et vendues prêtes à l’emploi sont distribuées dans le

26 MADDOX, Richard Leach, « An experiment with Gelatino Bromide » dans TheBritish Journal of Photography, volume 18, Londres, 8 Septembre 1871, pp. 422-423. 27 [Anonyme], « Obituary of the year : Richard Leach Maddox, M.D. » dans TheBritish Journal of Photography, 1903, p. 478.

21

commerce vers 1878. Le procédé, par sa simplicité et son faible

coût, supplée le collodion à partir des années 1880. Si la

réforme théorique des sciences de l'antiquité en tant que

sciences modernes intègre déjà l'outil photographique dès la

décennie 1860, le succès de ces premières applications reste

toutefois limité. C'est que la production des épreuves est

encore trop onéreuse et imparfaite et en restreint la

diffusion. En revanche, à partir de 1880, la pratique

photographique se généralise au sein des milieux archéologiques

sous l'impulsion d'une nouvelle génération de savants aux

compétences multidisciplinaires sortis des rangs de l'Ecole

Française d'Athènes ou de Rome, ou encore de l'EPHE. Hommes de

terrain, ils incarnent l'ère moderne de la discipline et

s'appuient sur les récents travaux d'E. Trutat et de P.

Martellière publiés en 1879. La photographie devient l'outil

privilégié de leur méthodologie tandis que l'amélioration des

procédés de développement encourage la publication des clichés.

Dès lors les conditions et les normes d'une

photographie scientifique doivent être mises en places.

2. Conditions d’une photographie scientifique

La photographie a pour premier effet de préciser la

typologie des différents types de matériel archéologique avant

de définir les codes d'une prise de vue scientifique et

d'imposer une approche documentaire et rigoureuse aux

22

opérateurs qui en sont responsables. Gérard Réveillac dans son

rapport28 a compté le nombre de clichés par thèmes29 :

- Sculpture (637 clichés)

- Architecture – site – fouilles (301 clichés)

- Epigraphie (201 clichés)

- Objets divers (187 clichés)

- Architectonique (116 clichés)

- Objets en céramique (98 clichés)

- Peinture – décor (52 clichés)

- Ethnographie (22 clichés + 81 clichés des fouilles qui

peuvent être considérés comme ethnographiques)

Cette classification du fonds delphique permet de noter les

intérêts majeurs de l’utilisation de la photographie pour le

chantier de la Grande Fouille. Cette classification a permis à

Gérard Réveillac d’étudier les techniques employées en vue de

son étude sur la conservation du fonds30. Il est important de

noter que ces thèmes correspondent aussi au classement des

clichés dans les catalogues et inventaires anciens, présents à

la photothèque de l’École française d’Athènes. Ces catalogues

ne sont qu’une tentative d’inventaire de la première partie du

XXème siècle et ne répertorient pas tous les clichés. Mais on

peut observer que le registre « A », conservé à l’École

française d’Athènes, recense la plupart des photographies de la

partie « architecture – site – fouilles ».

28 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), Dossier Administratif 4.4, EcoleFrançaise d’Athènes, Athènes, 1989, [45 p.].29 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 15.30 RÉVEILLAC, Gérard, Rapport de mission exploratoire, École française d’Athènes,Dossier Administratif 4.4, 1988 [4 p.].

23

Les photographies de sculptures représentent la large

majorité des prises de vue de la Grande Fouille selon G.

Réveillac. Les photographies prises dans un contexte

archéologique et qui sont les plus connues du grand public sont

celles des découvertes. En effet, de nombreux musées, notamment

celui de Delphes, utilisent dans leurs scénographies des

clichés d’archives représentant la mise au jour des objets

présentés. Les clichés CAT 131 et CAT 138, représentant

respectivement la découverte de l’Antinoüs et celle de Cléobis,

témoignent de cet intérêt pour l’objet au moment de relève. Une

autre série importante présente des objets photographiés à même

le site ; il est possible de distinguer, avec plus de

difficulté, des fragments de bas-reliefs ou rondes-bosses,

après nettoyage. On peut citer les CAT 032 et CAT 035, prises

de vue du chantier des Athéniens effectuées à la fin de la

campagne. Ces dernières donnent un aperçu de l’apparence du

site en pleine fouille. Une troisième partie de ces clichés est

celle qui a recours à l’utilisation d’un studio photographique

improvisé sur le site, que nous pouvons illustrer par deux

prises de vue, les CAT 133 et CAT 139. On peut y voir un tissu

sombre utilisé afin d’isoler l’objet (pour éviter, ou au

contraire faciliter le détourage prépublication). L’opération

de la prise de vue est ici très réfléchie. Les objets sont

orientés à la lumière du jour. À partir de 1903, ce genre de

prise de vue est effectué dans le nouveau musée de Delphes. Les

sculptures en relief, telles les métopes ou les décors de

frises, se voient dotées d’un traitement chimique à fort indice

24

de révélateurs, ce qui les transforme en clichés très

contrastés ; par exemple, la photographie du décor ionique du

Trésor de Marseille (CAT 126), que l’on peut citer même si la

prise de vue a été effectuée en intérieur. Nous constatons une

volonté de montrer les détails et de donner une lisibilité des

motifs.

Les photographies considérées par Réveillac comme

« photographies de fouilles » nous renseignent sur la vie de

chantier (comme par exemple la nécessité de faire appel aux

forces militaires, CAT 037), sur les infrastructures présentes

(comme l’utilisation des voies Decauville visibles sur le

cliché CAT 020) et sur les méthodes de fouilles. La lecture du

Journal de la Grande Fouille (1892-1902)31 permet d’approfondir

la connaissance sur les conditions de travail pendant la Grande

Fouille. Nous voyons des hommes sur une grande partie des

clichés de cet ensemble. C’est pourquoi on peut considérer

certaines de ces photographies comme des témoignages

ethnologiques. Les ouvriers posent sur la plupart des

photographies, soit pour donner une échelle humaine au sujet

archéologique concerné, soit pour respecter la contrainte du

temps de pose, même s’il avoisine une seconde à la fin du

XIXème siècle. Il y a peu de photographies de structures car à

part le mur polygonal, les structures découvertes ne sont pas

assez hautes pour mettre en œuvre les bascules et décentrements

que proposent les chambres photographiques. C’est souvent

pendant le dégagement ou pour l’intérêt de la localisation

31 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), École française d’Athènes, [576p.].

25

géographique que ces structures sont photographiées comme

l’Hémicycle d’Argos (CAT 029). Nous pouvons ajouter, à

caractère informatif, que l’anastylose du Trésor des Athéniens

(de 1903 à 1906) a été très photographiée, notamment grâce aux

chambres photographiques à bascule comme nous pouvons le voir

sur les CAT 231 et 233. Cela prouve que les photographes

avaient la possibilité d’utiliser à ce dessein leurs chambres

photographiques mais que l’absence de sujets de grande ampleur

ne leur permettait pas d’utiliser les bascules et

décentrements. Le terme « photographie de fouilles » peut

surprendre les archéologues d’aujourd’hui car elles ne

présentent pas les mêmes prérogatives. En effet, à la fin du

XIXème siècle, l’archéologie ne se préoccupe pas encore de la

stratigraphie et les prises de vue semblent s’intéresser aux

problèmes de topographie. Ainsi, nous pouvons observer que la

plupart des vue de l’esplanade du temple s’attachent à montrer

la relation étroite qui existait entre l’ancien village de

Castri et les fouilles en cours, comme les CAT 036 et CAT 061

l’attestent également. Les photographies de fouilles sont

prises de loin, dans un souci de montrer l’organisation de la

fouille en elle même. 

Le rapport de G. Réveillac32 dénombre 201 clichés

représentant 332 inscriptions (certains clichés regroupent

plusieurs fragments épigraphiques). On observe une bonne

technique pour la prise de vue des fragments épigraphiques ; la

lumière frisante est une obligation pour une bonne lecture de

32 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903).

26

ces fragments, comme le montre le CAT 147, représentant une

inscription du Stade. Henri Weil33 ( 1818 – 1909) évoque le

bilan des fouilles :

« Les fouilles de Delphes, poursuivies avec tant de

succès par notre Ecole d’Athènes ont mis au jour,

outre le Pean d’Aristonoos, d’autres textes poétiques

que M. Homolle a bien voulu nous communiquer. Après

avoir travaillé sur des copies […] nous avons reçu

des photographies qui reproduisent assez fidèlement

l’état des pierres34. »

On peut dire ainsi que la photographie bénéficie d’une large

place dans l’étude du matériel archéologique, notamment

épigraphique. Or, Delphes est un site d’une richesse

épigraphique absolue et on peut rappeler l’intérêt de Trutat

pour le traitement photographique du matériel épigraphique35.

La catégorie des « photographies d’objets » regroupe tous

les objets ne rentrant pas dans un autre classement. Nous

constatons que les conventions photographiques, ayant pour but

de donner une idée de l’objet dans son entièreté, étaient déjà

présentes à la fin du XIXème siècle. En effet, certains objets

vont être photographiés d’en haut, comme par exemple la série

de lampes à huile (CAT 142). Pour la photographie de pièces

architectoniques, la technique de prise de vue s’apparente à

33 Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Voir PERROT,Georges, « Notice sur la vie et les travaux de Henri Weil » dans Comptesrendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles, 1910, volume 54, n8, pp. 708-762. 34 WEIL, Henri, Études de littérature et de rythmique grecques : textes littéraires sur papyrus etsur pierre, Paris, Hachette, 1902, p. 33. 35 Voir I, A, 1 : « Une généralisation de la pratique ».

27

celle utilisée pour le matériel épigraphique et pour les

reliefs comme en témoigne la recherche d’une lumière frisante,

capable de montrer sur la photographie publiée, ou même

seulement développée, la complexité du décor et des détails.

Sur la photographie CAT 126, c’est la grande maîtrise de la

lumière qui permet de révéler toute la précision du travail du

décor ionique par exemple. Pour ce qui est de la photographie

d’objets en céramique, on remarque un effort de réunion de

plusieurs objets par planche, comme pour le cliché CAT 141, à

moins qu’un détail ne puisse justifier une prise de vue

rapprochée, par exemple le décor d’un morceau de lécythe (CAT

144). On ne peut s’empêcher de se demander pour quelle raison

les archéologues ont-ils décidé de réunir plusieurs types

d’objets en céramique, tous différents, sur la même planche.

Le cliché CAT 141 nous invite à penser que c’est un choix

typologique, tout comme les clichés CAT 175 et CAT 176, même si

ces derniers ont été visiblement photographiés ensemble pour

l’étude numismatique de Svoronos36. Il ne semble pas y avoir eu

de prises de vue de matériel trouvé à un même endroit, la

fouille par étude stratigraphique n’apparaissant qu’au XXème

siècle. Les clichés de peintures et décors représentent

essentiellement les peintures byzantines des églises qui

allaient être détruites à Castri et sur le site de Marmaria au

moment des fouilles (ancien monastère du gymnase, église de la

Panaghia et l’église Saint Nicolas). Les photographies comme

les CAT 127 et CAT 128 ont été faites à la lumière naturelle,

sans flash, et ont donc nécessité un temps de pose assez

36 SVORONOS, Ioannis, « Nomismatiki ton Delphon » dans Bulletin de CorrespondanceHellénique 1896, vol. 20, pp. 5-54.

28

conséquent. On peut penser que les archéologues, conscients de

la destruction imminente de ces églises, ont considéré qu’il

était de leur devoir de conserver une trace de ces ouvrages. Le

cliché CAT 086 représentant la mosaïque des thermes de l’Est

est fort utile pour les archéologues car même si la mosaïque

n’a pas été détruite, elle a fortement souffert au cours du

XXème siècle et c’est la seule photographie la représentant

avant sa détérioration. Enfin, les photographies à caractère

ethnographique sont les moins nombreuses du fonds

photographique (il n’y en a que 22, mais on peut ajouter à ce

nombre une centaine de clichés de fouilles dont certains

éléments s’apparentent à une dimension ethnographique). Ce sont

les photographies dont on se souvient le mieux, celles qui sont

le plus publiées actuellement car elles constituent non

seulement un témoignage sur la Grèce du siècle dernier, mais

également sur les premières grandes fouilles archéologiques.

En dépit de la grande diversité des sujets représentés,

l’aspect principal se dégageant du fonds photographique de la

Grande Fouille de Delphes est l’approche documentaire des

photographes. Ces derniers sont au service de l’archéologie et

se doivent d’être très rigoureux vis à vis de la clarté et de

la précision de la représentation. Afin d’assurer le résultat

des explorations, le Comité des Travaux Historiques et

Scientifiques aux Correspondants du Ministère de l’Instruction

Publique publie en 1890 Recherche des antiquités dans le Nord de l’Afrique.

Conseils aux archéologues et aux voyageurs37, ce qui permet la

37 [Anonyme], Recherche des antiquités dans le Nord de l’Afrique. Conseils aux archéologues et auxvoyageurs. Instructions adressées par le Comité des travaux historiques et scientifiques aux

29

constitution d’une photographie spécifique aux études

scientifiques. Un chapitre de l’introduction, rédigé par Henri

Saladin (1851 – 1923), architecte et photographe, est consacré

à la pratique scientifique38. Ses instructions sont bien plus

concises que celles d’E. Trutat, puisqu’il est écrit dans un

contexte d’archéologie nord-africaine, mais présente les

exigences spécifiques d’une photographie scientifique. Comme

les manuels étudiés précédemment, il souligne l’importance de

la lumière qu’il est primordial d’adapter au sujet. Saladin

insiste sur la nécessité de l’inclusion d’une échelle de

grandeur, en disposant un mètre près de l’objet photographié

tel que bas–relief, monument ou inscription. Les statuettes et

petits objets doivent être représentés sur différents angles

(face, profil et face postérieure) afin d’en assurer

l’originalité du style. La même démarche est à suivre en ce qui

concerne les monuments dont les reproductions doivent

comprendre des vues directes, des vues d’angles intérieurs et

extérieurs, ainsi que des détails. Enfin, les photographies

doivent être complétées par les mesures exactes (verticales,

horizontales et de profondeur) repérées sur des points bien

définis, quelques cotes de hauteur (colonne, entablement) et le

relevé du plan de l’édifice. Si les instructions des différents

comités sont souvent respectées, la consigne concernant

l’insertion d’une échelle de grandeur ne l’est pas toujours, ou

du moins très rarement. La photographie CAT 109 représentant

correspondants du ministère de l’Instruction Publique, Paris, E. Leroux, 1890 [252 p.]. 38 SALADIN, Henri, « Photographie » dans Recherche des antiquités dans le Nord del’Afrique. Conseils aux archéologues et aux voyageurs. Instructions adressées par le Comité destravaux historiques et scientifiques aux correspondants du ministère de l’Instruction Publique,Paris, E. Leroux, 1890, pp. 10-15.

30

l’angle sud-est du Temple intègre un élément d’échelle de

grandeur. Les dimensions peuvent être relevées et intégrées

dans les descriptions et légendes de certaines planches, comme

les photographies CAT 193, CAT 197 et CAT 198, publiées dans la

série des Fouilles de Delphes. En revanche, on peut noter l’effort

de placer une présence humaine, ce qui permet d’apprécier la

taille des monuments reproduits. Ces échelles humaines sont

visibles sur les clichés CAT 036 ou CAT 092 : les hommes

permettent de mettre en valeur respectivement le Portique des

Athéniens et la tribune centrale du Stade.

L’amélioration des procédés photographiques permet de

produire des clichés très nets : l’image se perfectionne grâce

à la mise au point d’objectifs adaptés aux différentes prises

de vue. L’invention du flash permet désormais l’application de

la photographie dans des lieux obscurs, inaccessibles

jusqu’alors : ainsi, l’intérieur d’un tombeau romain souterrain

peut être photographié dans les meilleures conditions (CAT

117). On remarque qu’il s’agit des débuts de l’application du

flash et que sa maîtrise n’est pas excellente, les ombres

n’étant pas modérées comme le montre le CAT 117, représentant

grâce à la technique l’éclairage artificiel. Si on ne sait quel

type de flash les membres de la mission delphique utilisent, il

se peut que ce soit à la technique du flash à ampoules

magnésium. En observant le cliché, on s’aperçoit que le premier

plan est trop éclairé alors que le fond reste trop sombre : la

technique n’est pas tout à fait contrôlée par l’opérateur. En

revanche, les photographies CAT 127 et CAT 128 sont réalisées

31

de manière plus réussie. Ces clichés d’intérieur représentent

les peintures byzantines de l’église de la Panaghia : il est en

effet essentiel que les peintures soient parfaitement

appréciables. On peut penser que le temps de pose a été plus

long pour la réalisation de ces clichés, afin de capturer

précisément les éléments. L’obturateur est laissé ouvert plus

longtemps, ce qui rend la photographie plus lumineuse, et ici,

plus nette.  

Grâce à la typologie mise en place par G. Réveillac des

photographies réalisées durant la Grande fouille on observe la

grande diversité des éléments sujets aux prises de vue ainsi

que la volonté de traiter ceux-ci de manière scientifique,

c'est-à-dire normée, codifiée. Les Instructions du Rapport du Comité des

travaux historiques et scientifiques entérinent les spécificités d'un

cliché scientifique et les techniques devant être appliquées à

la prise de vue des différents types de matériel archéologique.

Parallèlement, les avancées proprement techniques du médium

renforcent la présence et l'intérêt de l'opérateur dans le

cadre des travaux sur le chantier et au-delà. Il s'agit dès

lors d'analyser les enrichissements mutuels voire le trajet

commun de l'archéologie qui s'institutionnalise et de la

photographie qui gagne ses galons d'outil scientifique.

3. Une réponse aux exigences des nouvelles méthodologies de fouilles

La photographie est désormais présente sur les grands

chantiers de fouilles, dont Delphes est le parfait exemple ; il

32

s’agit à présent de comprendre le complexe étudié dans son

entité et d’assurer le relevé de toutes les données suivant des

principes d’observation rigoureux. Le XIXème siècle marque

l’institutionnalisation de l’archéologie. Ce changement

s’accompagne de nouvelles méthodologies de fouilles, plus

organisées. En effet, l’archéologie est une destruction

méthodique et organisée. Il est par conséquent nécessaire

d’enregistrer le plus précisément les différents états de la

fouille. C’est une nouvelle pensée qui prend place, et se

construit autour de cette question de l’enregistrement. Delphes

s’inscrit pleinement dans cette évolution car c’est le

développement de missions permanentes qui permet à

l’archéologie de prendre son essor. La photographie devient

l’un des auxiliaires les plus utiles aux sciences de

l’observation, dont fait partie l’archéologie. Les hommes de

sciences promulguent le medium et valorisent son caractère

irrécusable, son exactitude mathématique qui répond aux

nouvelles exigences des études de l’Antiquité. La photographie

assure le succès de la fouille par l’importance et la précision

de la documentation recueillie. Les clichés sont souvent

comparés aux copies manuelles utilisées auparavant, cela

atteste de la primauté des travaux photographiques. Rodolphe

Radau39 (1835 – 1911) s’y réfère d’ailleurs en 1878 dans son

ouvrage sur la photographie et ses applications scientifiques,

La photographie et ses applications scientifiques40 :

39 Un scientifique travaillant notamment dans le domaine des mathématiqueset de l’astronomie. 40 RADEAU, Rodolphe, La photographie et ses applications scientifiques, Paris, Gauthier-Villars, 1878 [115 p.].

33

« Insister sur les avantages que l’archéologue retire

de la production photographique des monuments est

superflu. Qu’on songe seulement au temps qu’il

faudrait à un dessinateur, même habile, pour

reproduire tant bien que mal les hiéroglyphes qui

couvrent tel monument de Memphis ou Karnak ! Les

planches qui accompagnent des ouvrages comme la

célèbre Exploration de l’Asie Mineure41 de M. Georges Perrot,

la Mission de Phénicie42 de M. Renan, ou Milet, par MM.

Rayet et Thomas, sont là pour démontrer l’importance

de cette application.43 »

La stratigraphie se généralise dans les études

archéologiques à partir des années 1870. En effet, cette

nouvelle méthodologie de l’archéologie était utilisée pour les

sciences de la nature, notamment appliquée à la préhistoire. La

collaboration des architectes, déjà décisive pour réaliser les

relevés précis et exacts des constructions ainsi que leurs

restaurations ou anastyloses, est primordiale dans cette

nouvelle pratique puisqu’ils mettent au point la méthode

stratigraphique d’exploration des sites. On peut citer une des

premières utilisations de cette pratique, entreprise par

l’archéologue allemand Ernst Curtius44 (1814 – 1896), assisté

41 PERROT, Georges, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de laMysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont, exécutée en 1861 et publiée sous les auspices duministère de l’Instrucion publique, Firmin-Didot frères, Paris, 1862 [392 p.].42 RENAN, Ernest, Mission de Phénicie, Paris, Impr. impériale, 1864-1874 [884p.].43 RADEAU, Rodolphe, La photographie et ses applications scientifiques, Paris, Gauthier-Villars, 1878, p. 41. 44 Archéologue et historien classique entreprenant des campagnes de fouillesà Olympie à partir de 1875.

34

de l’architecte Friedrich Adler45 (1827 – 1908), en 1875 pour

les fouilles d’Olympie. La stratigraphie du site est

soigneusement réalisée et étudiée. Tous les monuments

découverts sont préservés et conservés dans un petit musée

construit à cet effet au moment des fouilles. L’archéologie se

rapproche de l’aspect matériel de l’histoire humaine et

s’émancipe des textes. Son étude se caractérise par trois

champs complémentaires d’investigation : l’observation du sol,

la typologie et la fonction des objets. La méthode de la

stratigraphie, empruntée aux sciences de la nature, s’impose à

partir des années 1880 en devenant un des principes de datation

archéologique. De plus, tous les produits de l’activité humaine

sont pris en compte dans ce renouveau de l’archéologie. L’étude

comparative devient une des méthodes des archéologues pour

étudier un objet et il est à noter que la photographie facilite

grandement ces opérations. Des sortes de classements selon la

typologie des objets apparaissent. Ces derniers vont être

décrits et classés en ensembles significatifs dans l’espace et

le temps ainsi que selon leurs fonctions, incluant leur

identification, leur mode de fabrication et leur unité.

L’archéologie fait face à un renouveau, qui la hisse au rang de

science de la nature. L’intégration de la photographie joue un

rôle décisif dans l’essor de l’archéologie moderne. Comme outil

d’enregistrement, elle assure la mise en place d’une

méthodologie scientifique sur le terrain, tant dans le domaine

des fouilles que de la conservation et de la restauration. Le

45 Architecte ayant travaillé avec E. Curtius en Asie Mineure puis à Olympieoù il prend la direction du chantier. Il est un des architectes a avoirréalisé le Musée Archéologique d’Olympie en 1885.

35

médium permet de reproduire rapidement tous les objets exhumés,

de figurer le plan précis des monuments et sites, et d’en

enregistrer le relevé et la description des différentes étapes

des travaux. Ces premières collaborations de la photographie

dans les missions scientifiques consacrent le medium comme l’un

des auxiliaires les plus précieux des sciences d’observation.

Son caractère irrécusable et son exactitude mathématique

répondent aux nouvelles exigences des études de l’antiquité qui

s’élaborent comme sciences modernes dans la seconde moitié du

XIXe siècle. Ces trois phases sont intimement liées : c’est la

confrontation avec l’objet qui détermine les éléments

techniques à utiliser, et de là dépend la plus ou moins large

utilisation que l’on fera de l’image.

On a analysé les trajets communs de la photographie

scientifique et de l'archéologie institutionnelle à la lumière

des nouvelles méthodologies de fouilles telles que la mise en

place de missions permanentes et l'introduction de la

stratigraphie. On note ainsi le rôle majeur de la chambre

photographique qui s'impose comme médium figurant parmi les

plus précieux auxiliaires nécessaires aux sciences de

l'observation auxquelles l'archéologie s'intègre à la fin du

XIXe.

B) Les multiples applications de la photographie à Delphes

La Grande Fouille de Delphes se révèle en tant que

laboratoire de l'utilisation de la photographie scientifique à

36

grande échelle dont elle est l'un des premiers et des plus

marquants exemples. L'outil photographique s'impose alors comme

élément à vocation documentaire, tant dans le suivi des

différentes étapes du chantier que dans une finalité

pédagogique et institutionnelle puisqu'elle permet la promotion

des travaux archéologiques et des conclusions qui s'y

rapportent auprès de l'Académie.

1. La photographie comme témoin : une vocation documentaire

La photographie est dès son invention associée aux

découvertes archéologiques, de part sa vocation

documentaire comme tel que François Arago46 (1786 – 1853)

l’expose lors de son discours de 1839 qui officialise

l’apparition du médium auprès de la communauté scientifique.

Ainsi, la photographie est utile à l’archéologie car elle

permet de témoigner des différents états. Ces témoignages sont

utiles à l’archéologue non seulement pour effectuer ses

recherches, mais également pour appuyer ses arguments lors de

séminaires ou de séances à l’Académie de France notamment. La

photographie est, dans ce cas-là, considérée comme un témoin

irréfutable. Ainsi, pour la séance du 5 juin 1896, Théophile

Homolle envoie une lettre et des photographies pour exposer aux

académiciens les découvertes de Delphes, notamment une statue

de bronze.

« Je demande la permission de refaire ici, sur les

photographies que j’ai l’honneur de soumettre à

l’Académie, l’examen que j’ai fait à Delphes sur46 Astronome, physicien et homme politique français.

37

l’original ; d’exposer et de justifier les

conclusions qui m’ont paru et me semblent encore

résulter de cette étude, en ajoutant à ma lettre les

détails et les preuves qui y manquaient.47 »

La photographie est ici utilisée par Homolle comme un élément

prouvant l’exactitude de ses conclusions. Sa simple existence

suffit pour éliminer un doute quelconque. Elle devient ici une

preuve indiscutable, attestant l’état d’une découverte située

dans un autre pays et pouvant le transmettre dans un autre

contexte d’études. Si elle peut constituer une preuve

indiscutable, elle peut également constituer la mémoire, voire

l’unique mémoire d’une découverte ayant disparu depuis. Cette

fonction concerne un très grand nombre d’images utilisées par

les chercheurs. On peut alors observer des états différents

d’un même site ou monument. Cette capacité se révèle en

adéquation avec la définition même de la fouille

archéologique : une destruction systématique organisée. Elle ne

reste dans la mémoire des chercheurs que grâce à l’abondante

documentation photographique qui fait revivre les différentes

phases et apporte de nombreux témoignages de l’existence des

structures comme des objets dans leur contexte. La photographie

devient substitut d’une réalité disparue. Ainsi, le cliché CAT

86 représente la Mosaïque des Thermes de l’Est. Il fait partie

des photographies qui témoignent d’un état qui s’est détérioré

ou qui a été détruit par la suite. Cette photographie a été

prise en perspective. On peut se douter qu’elle a nécessité un

47 Homolle Théophile, « Statue de bronze découverte à Delphes, séance du 5juin 1896 » dans Comptes rendus de l’Académie des Belles lettres et inscriptions, volume 40,numéro 4, 1896 p. 363.

38

temps de pose assez long, de manière à rendre compte des

détails. La mosaïque a été fortement endommagée par le temps et

cette photographie est la seule preuve de son état antérieur.

Ainsi, la photographie peut non seulement témoigner de l’état

ou de la présence d’un vestige pour la recherche des

archéologues qui ont pris ce cliché, mais aussi pour les futurs

archéologues qui s’intéresseront à ce site. Les clichés CAT 127

et CAT 128 représentent quant à eux les peintures byzantines

des églises qui ont été détruites à Castri et sur le site de

Marmaria au moment des fouilles. Il s’agit de l’ancien

monastère du Gymnase, de l’Église de la Panaghia et de l’Église

de Saint Nicolas. Nos deux exemples représentent l’intérieur de

l’Église de la Panaghia. Ces photographies sont faites en

lumière du jour : elles ont sans doute nécessité un temps de

pose assez long, et sont prises par les archéologues

conscients de la destruction prochaine de ces lieux de cultes.

Mais ce genre d’étude exhaustive est courant pendant des

fouilles archéologiques. Les archéologues s’intéressent et se

documentent sur les sites et vestiges aux alentours de la

fouille. Théophile Homolle témoigne de cet intérêt dans un

article « Le Gymnase de Delphes » dans lequel il décrit

l’Église de la Panaghia48 :

« L’Eglise de la Panaghia était entièrement couverte

de peintures et conservait presque intacte sa

décoration ; nous avons photographié tous les sujets

ou personnages isolés et fait enlever les morceaux

les plus intéressants pour le musée byzantin

48 HOMOLLE, Théophile, « Le gymnase de Delphes » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 23, 1899, p. 561.

39

d’Athènes. M. Colin a pris copie de toutes les

inscriptions qui accompagnaient les peintures, ainsi

que les graffites qui s’y sont ajoutés au cours du

siècle. Deux inscriptions peintes à fresque dans des

écussons entourés de feuillage, l’une au dessus de la

porte principale, l’autre au dessus de la porte

secondaire de droite, font connaître la date de la

construction de l’église actuelle et le nom de son

décorateur. »

Ainsi, la chambre photographique se révèle être un précieux

outil sur le site delphique. Il remplit une fonction à vocation

documentaire puisqu'il fait état des différentes étapes du

chantier et permet en outre d'assurer, avec le Journal de la

Grande Fouille, la mémoire de certaines découvertes telle la

Mosaïque des Thermes de l'Est. Enfin la photographie, ainsi que

les nouveaux procédés de développement, permettent

l'exportation des clichés dans un autre contexte d'étude hors

du pays dans lequel se déroulent les fouilles. Par ces

multiples applications, la photographie acquiert à Delphes une

qualité de témoin irréfutable dans les conclusions apportées

par les membres de l’École française d’Athènes.

2. Les finalités pédagogiques : les envois à l’Académie

La photographie s'impose de plus comme un gage

d'authenticité des découvertes et de véracité des études qui

s'y rapportent quand vient l'heure de leur présentation auprès

40

de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. En 187449,

l’Académie voit sa fonction se modifier vers celle de conseil

et de tutelle pour les services archéologiques français. Mais

l’institution reste à l’initiative de la recherche, et

notamment de sa promotion, en participant au contrôle

scientifique des grands instituts français de recherche à

l’étranger comme l’École française d’Athènes, mais aussi de

Rome et du Caire. Les nombreuses communications et rapports qui

sont adressés à l’Académie attestent de son rôle consultatif.

Cette dernière publie les comptes rendus des séances, nommées

Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sous

l’autorité du Secrétaire perpétuel. On y trouve la publication

des discours, envoyés sous forme de rapports, de Théophile

Homolle, traitant des avancements et des recherches sur le site

de Delphes.

Par exemple, l’article « Dernières découvertes à Delphes » :

« M. Homolle expose les découvertes faites à Delphes

pendant le mois de juillet dernier et présente les

photographies de nouvelles métopes du trésor des

Athéniens. Le déblaiement du temple d’Apollon est

commencé et sera poursuivi dès la reprise des

travaux, en octobre prochain. Il rend compte des

difficultés qui ont amené la suspension des travaux ;

elles auraient été causées par le mauvais vouloir et

les abus de pouvoir de l’inspecteur grec ; elles ont

49 Date de la création de la Commission des missions par le Ministère del’Instruction Publique : nouvel organe décisionnaire sur l’attribution desmissions, rôle qu’assurait l’Académie depuis 1850.

41

été rapidement levées, grâce à un esprit réciproque

de conciliation, par le rappel de l’inspecteur.50 »

L’envoi des photographies est utile pour la présentation de son

discours scientifique à l’Académie. Les images constituent ses

meilleures alliées dans sa quête d’obtention de crédits :

Homolle accompagne presque chaque rapport de photographies. Les

archéologues ne peuvent se permettre de venir à Paris pour

présenter les progrès de leurs recherches et se doivent donc

d’envoyer fréquemment des rapports. Afin d’en faciliter

l’explication, les archéologues de Delphes demandent à un

membre de l’Académie de lire leur communication et de présenter

les documents annexes telles que les photographies. Par

exemple, en 1894, Homolle charge Henri Weil de montrer l’état

des recherches delphiques sur le sujet des textes poétiques51 :

« Des photographies et des estampages, envoyés par M.

Homolle, ont été mis sous les yeux de l’Académie. M.

Henri Weil, qui en avait reçu communication

auparavant, s’est occupé de la constitution et de

l’explication de ces précieux textes. »

La photographie devient un outil de communication des

informations lors de ces séances de consultation à l’Académie

des Inscriptions et Belles-Lettres. Ici, la méthode

photographique est considérée comme un outil utile à l’étude à

distance. La photographie permet de faciliter la compréhension

et le travail des groupes de recherche situés à Paris.50 HOMOLLE, Théophile, « Dernières découvertes à Delphes » dans Comptesrendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1893, volume 37, numéro5, pp. 290-291.51 WEIL, Henri, « Textes poétiques découverts à Delphes par l’Écolefrançaise d’Athènes » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions etBelles-Lettres, 1894, volume 38, pp. 15-16.

42

L’archéologie est considérée comme porteuse d’une mission

éducative et est tenue de dévoiler au monde les résultats de

ses découvertes, et ce n’est que par son association avec la

photographie qu’elle parvient à des résultats probants. Lors

des séances, les membres de l’Académie utilisent les

photographies envoyées pour illustrer les discours

scientifiques sur Delphes. La seule caractéristique commune à

toutes les images du fonds photographique étudié est qu’elles

sont toutes au service d’une même discipline scientifique.

Cependant les images peuvent échapper à la spécificité d’un

discours pour entrer dans un autre : en effet un archéologue,

un ethnologue et un photographe peuvent utiliser la même

photographie, par exemple celle représentant le déblaiement de

l’escalier du théâtre (CAT 070) pour éclairer le sens de leur

propre discours. L’image reste identique mais les commentaires

qui en seront issus sont différents. L’archéologue se

concentrera sur la structure de l’escalier du théâtre, en

effaçant de son analyse la présence de l’ouvrier. On remarque

que le titre donné à l’École française d’Athènes omet de citer

cette présence : « Déblaiement de l’escalier du théâtre ».

L’ethnologue, quant à lui, se focalisera essentiellement sur la

figure de l’ouvrier grec et le photographe axera sa recherche

sur la mise au point du photographe sur l’ouvrier et donc sur

le manque de netteté des escaliers et des deux blocs du premier

plan, et sur la grande maîtrise de l’utilisation de la lumière.

Ces images peuvent également servir, dans le cadre d’une seule

discipline, ici l’archéologie, plusieurs discours spécialisés.

Ainsi, le cliché représentant deux blocs du Trésor de Marseille

43

(CAT 126) peut provoquer plusieurs discours. La première

perspective est de considérer les blocs comme faisant partie

d’une construction et de les commenter en tant que tels. Le

titre donné par l’École française d’Athènes, « Décor ionique du

Trésor de Marseille », insiste sur cet attachement. Le second

discours possible peut être celui du spécialiste en

architecture qui s’intéresse à ces blocs et les sort du

contexte de la fouille dans le but de les étudier

indépendamment. Le troisième discours peut être celui de

l’épigraphiste (mais pas dans le cas particulier de ces blocs)

à supposer que, sur une des faces de ces blocs, apparaissent

des inscriptions. La même image de base peut donc rendre des

services divers et complémentaires : les différentes

spécialisations de l’archéologie sont alors mises en œuvre. Les

séances de l’Académie sont tenues par les membres spécialisés

en toutes matières et la photographie est l’outil le plus utile

à ces sessions de travail en groupe.

Si la reproduction photographique permet d’instaurer un

dialogue régulier et facilité entre scientifiques et

institutions, la réception favorable et le crédit dont

jouissent les clichés de l’époque renforcent encore le lien

entre les hommes de terrain et leurs pairs de l'Académie. 

C) Les paradoxes de l’objectivité photographique

Il faut ainsi analyser les éléments qui permettent à

la  photographie de la fin du XIXe d'être au dessus de tout

44

soupçon de subjectivité. La machine et le photographe forment

alors la façade d'une objectivité photographique supposée

incontestable.

1. La machine et le photographe : façade d’une objectivité photographique

La Grande Fouille de Delphes est conduite à une période où

l’objectivité n’est pas encore remise en cause. En effet, la

technique photographique est consacrée par l’Institut de

France, une des plus puissantes institutions scientifiques du

XIXe siècle. Cette pratique est présentée comme une création

scientifique et trouve dans cette sphère savante l’un de ses

principaux champs d’application. On peut citer Victor Regnault

(1810 – 1878), Président de l’Académie des Sciences et de la

Société française de Photographie, qui se passionne pour la

photographie tout en étant un grand homme de science.

L’Académie des Sciences – qui a participé à la création de la

photographie – a un rôle déterminant dans le développement et

le succès de cette dernière. Les nombreux articles publiés dans

les différents Comptes rendus de l’Académie témoignent de

l’enthousiasme des scientifiques. La photographie a pour

spécificité le caractère mécanique de son processus

d’enregistrement. Le XIXe siècle étant le siècle de l’émulation

scientifique, il est impossible pour les savants ou amateurs de

photographie de remettre en cause l’objectivité d’une machine

créée dans un contexte scientifique. En effet, pour les

savants, les vue doivent pouvoir se substituer à l’observation

directe. On observe pourtant une volonté de l’Académie de

45

préciser l’homogénéité des prises de vue. L’Académie se rend

compte que les photographes sont loin d’avoir une formation

historique d’une parfaite rigueur. En effet, leurs différents

statuts, compétences et motivations sont très divers. Elle va

donc chercher à pallier la subjectivité dont le photographe ne

peut se défaire en rédigeant des instructions précises qui

viennent guider le choix des opérateurs sur le terrain. La

vocation documentaire de la photographie est mise à l’honneur.

La confiance en la photographie au XIXe siècle est

unanime. La photographie est vue comme un témoin irréfutable :

les sciences peuvent s’appuyer de plus en plus sur l’image

photographique pour appuyer leur discours. Cette confiance est

infinie : la photographie apporte une caution scientifique dans

la publication. Nous pouvons citer le fait que la Justice

considère la photographie comme preuve : les premières

photographies ayant valeur de pièce à conviction ont été faites

pendant la Commune de Paris en 1870. Le rôle premier de la

photographie est celui de témoin irréfutable de la réalité

physique des objets. On peut expliquer le fait que la

photographie soit considérée comme un témoin irréfutable par le

caractère singulier du négatif. Il est impossible de le créer

de façon artificielle et donc il témoigne d’une réalité

physique. L’intervention de l’homme ne peut agir que sur une

image positive (une copie obtenue après le tirage d’une

pellicule négative), ce qui veut dire que l’intervention ne

peut être effectuée que sur un vrai cliché, d’une façon

ponctuelle. La conformité possède des limites : l’objectivité

46

est strictement incommunicable car elle est individuelle. Une

objectivité collective est impossible. La précision est ce qui

séduit particulièrement les archéologues mais l’objectivité ne

sera remise en cause qu'à partir du XXe siècle. Un paradoxe

intéressant est présent dans la volonté d’utiliser la

photographie en archéologie. À l’époque de la Grande Fouille où

la confiance vis-à-vis de la photographie est la plus unanime,

l’archéologie ne l’utilise presque jamais à des fins

descriptives sur le terrain, mais surtout à des fins

documentaires. En revanche, plus tard, lorsque l'on aura

réalisé qu’une photographie donne une image différente du réel,

l’archéologue souhaitera l’utiliser comme une mémoire, afin de

décrire parfaitement la réalité.

On peut ainsi considérer la période de la Grande Fouille

de Delphes comme un âge d'or de l'objectivité photographique

qui n'est pas encore sujet à caution comme ce sera le cas au

cours du XXe siècle. Dans un contexte de positivisme

scientifique, comment remettre en cause l'objectivité d'une

machine ? Les prises de vue bénéficient d'un crédit sans bornes

et s'imposent comme un substitut à l'observation directe.

L'Académie cherche néanmoins à écarter toute subjectivité de

l'opérateur en rédigeant de nombreux précis de photographie

destinés à une application sur le terrain. De manière

paradoxale c'est en s’intéressant à la figure de l'opérateur et

en nuançant l'objectivité photographique que les clichés vont

acquérir une dimension supplémentaire : une utilisation

consciente et non plus uniquement documentaire. 2.

47

L’archéologue – photographe à Delphes

On pose alors la question de savoir qui est l'opérateur à

Delphes et comment évolue son statut ? En effet celui-ci va

passer de celui d'anonyme à celui d'un intervenant salué par la

communauté scientifique. Les archéologues plébiscitent le

travail des photographes mais ne citent jamais leurs noms : on

peut dire que le statut de photographe est de plus en plus

reconnu. La liberté consciente de ce dernier est l’une des

questions les plus importantes de la méthode photographique. Le

cadrage est un des exemples de la série de choix raisonnés

auxquels le photographe est confronté, ce qui prouve qu’il ne

se contente pas d’enregistrer une image mais y réfléchit.

Ainsi, une photographie est définie par un certain nombre de

choix conscients ou inconscients. Mais pour la photographie

archéologique, ces choix devront être conscients si

l’archéologue désire faire un cliché destiné à appuyer une

démonstration. Les choix des différents paramètres, celui du

point de vue, de l’objectif, de l’éclairage, et du choix de

techniques particulières, sont mis au service du but recherché

par le scientifique qui cherche à démontrer une thèse, aidé

d’un document. La non neutralité du procédé photographique a

pour but de servir les objectifs du scientifique quand celui-ci

veut faire état de ses convictions. P. Folliot, G. Réveillac et

A. Chéné les appellent photographies « démonstrations »52.

52 FOLLIOT, Philippe, RÉVEILLAC, et Gérard CHÉNÉ, Antoine, De la photographie enarchéologie, Aix, Université d’Aix – Marseille, 1986, p. 259. 

48

Comme nous l’avons déjà étudié, la photographie sur le

site de Delphes a une vocation documentaire. Les vues doivent

idéalement, par leur caractère mécanique et donc irréprochable

comme on le pense au XIXe siècle53, pouvoir se substituer à

l’observation directe pour les savants. Les opérateurs des

missions photographiques diverses, n’ayant pas de formation

historique approfondie, utilisent des instructions précises.

Ces dernières, rédigées par l’Académie, transforment les prises

de vue éparses en une stratégie scientifique en dotant la

photographie d’une double visée : fournir une documentation

scientifiquement correcte et assurer une qualité apte à la

publication. Ce n’est pas le cas de la Grande Fouille de

Delphes car les opérateurs semblent être les membres de l’École

française d’Athènes, mais le travail des opérateurs spécialisés

enrichie d’une rigueur scientifique la photographie de mission.

A ce titre, on peut citer le travail de Jules Delbet, le

photographe de la mission d’exploration archéologique de

Georges Perrot de 186154. J. Delbet est un médecin qui se

charge entièrement de l’exploitation photographique de la

mission. Devant la limite des crédits accordés par le ministère

de l’Instruction Publique pour cette mission, la photographie

n’est pas une priorité. Si Delbet n’est qu’un photographe

amateur, il met tout en œuvre pour fournir une importante

documentation permettant l’étude exhaustive des monuments

étudiés sur place. Les archéologues ont donc un rôle important

53 Voir I, C, 1 : « La machine et le photographe : façade d’uneobjectivité »54 PERROT, Georges, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de laMysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont, exécutée en 1861 et publiée sous les auspices duministère de l’Instruction publique, Firmin-Didot frères, Paris, 1862 [392 p.].

49

dans les prises de vue ; si ces dernières sont réfléchies en

fonction de leur recherches, elles deviennent des arguments

d’autorités. Comme le note G. Réveillac55 : « Ce sont sans

doute les archéologues qui sont les auteurs de la plupart de

ces clichés, car on trouve dans la manière de photographier les

objets la volonté d’en donner une image facilitant la

description, sans ombres importantes et gênantes ».

Il ne subsiste que très peu de témoignages écrits sur les

débuts de la photographie à l’École française d’Athènes. Les

renseignements dans les journaux de fouilles sont très vagues,

les noms des photographes ne sont jamais précisés. Par exemple,

P. Perdrizet écrit le 17 mai 1894 dans Le Journal de la Grande

Fouille, « deux photographies ont été prises depuis le perron

de l’éphore56 ». Ainsi, les auteurs des prises de vue ne sont

pas connus, on ne sait même pas si les grandes fouilles comme

celle de Delphes utilisaient les services d’un photographe. Il

paraît peu probable que ce soit le cas pour la Grande Fouille

de Delphes. En effet les archives nous fournissent les noms des

membres et des salariés de l’École française d’Athènes et il ne

semble pas y avoir eu de photographe spécifique. En dépit des

renseignements lacunaires, il se pourrait que Henri Convert, le

conducteur des travaux, soit l’auteur d’un nombre important de

prises de vue pendant la Grande Fouille :

« L’Ecole ne saurait taire ce qu’elle doit, sous ce

rapport, au conducteur technique des travaux. Henri

55 COLLET, Philippe, « La photographie et l’archéologie : des cheminsinverses » dans le Bulletin de Correspondance Hellénique, p. 327. 56 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 143.

50

Convert fut pour elle un collaborateur précieux. Ses

fonctions étaient multiples. Achat de matériel,

installation des voies, construction des

baraquements, organisation des ateliers et des

cantines, direction des chantiers (embauchage,

surveillance, paie), outillage, traction,

comptabilité, il cumulait les spécialités les plus

complexes du métier de l’ingénieur. En outre,

dessinateur et photographe, il prenait des croquis,

levait des plans, exécutait des clichés. Jamais, si

lourde que fût la charge, ses qualités de labeur,

d’invention, de courage ne fléchirent. Sans lui, sans

la connaissance éprouvée qu’il avait de la langue et

du caractère grecs, sans l’ascendant qu’il exerçait

sur les ouvriers, sans la vigueur habile et prudente

avec laquelle il paya de sa personne, les

discussions, les conflits, les grèves eussent fait

durer des années ce qui prit déjà tant de mois.

L’homme de dévouement, d’énergie et de coup d’œil que

fut Henri Convert a sa place marquée dans le bulletin

de conquête.57»

A part le paragraphe précédant traitant de la personnalité de

Convert dans L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes58 de Georges

Radet, il n'existe que très peu de références faites à ce

dernier dans les sources de la Grande Fouille. Anne Jacquemin59

57 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 312.58 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901 [492 p.].59 JACQUEMIN, Anne, « En feuilletant le Journal de la Grande Fouille » dansLa Redécouverte de Delphes, p. 151.

51

nous renseigne sur la fonction de Convert – que nous

connaissons déjà grâce à l’ouvrage de Georges Radet : en effet,

sur la stèle commémorative de l’achèvement des fouilles on peut

y voir inscrit « Fouilles de Delphes / octobre 1892 – mai

1903 » : «  Henri Convert conducteur technique ». Convert est

un des piliers de la Grande Fouille mais sa carrière ne

s’arrête pas là : Théophile Homolle l’envoie à Délos où les

références à son activité de photographe sont plus promulgués,

notamment dans les Comptes rendus de l’Académie des

Inscriptions et Belles-Lettres. Par exemple, L. Couve en 1894

parle déjà du travail de Convert à Délos mais en précisant

qu’il est attaché à la Grande Fouille de Delphes :

« M. Conve fait passer ensuite sous les yeux de

l’Académie un grand nombre de photographies, avec des

plans et des dessins faits par M.Convert, ingénieur

des fouilles de Delphes60 ».

Convert étant connu pour ses talents de photographe, il est

appelé à Délos. Comme Perdrizet, il ne prend pas que des prises

de vue à Delphes mais dans toute la Grèce, selon les besoins de

l’École française d’Athènes à laquelle il est rattaché. En 1896

dans les mêmes Comptes rendus existe une allusion à Convert

mais il s’agit surtout d’une reconnaissance de son talent de

photographe :

« M. Convers [sic], ingénieur attaché aux fouilles de

Delphes et excellent photographe. Les pièces les plus

60 COUVE, Louis, « Fouilles sur l’Île de Délos » dans Comptes rendus des séancesde l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, volume 38, numéro 6, Paris, Académie desInscriptions et Belles-Lettres, 1894, p. 419.

52

intéressantes et les mieux conservées sont ainsi

reproduites dans des fac-similés très fidèles61 ».

Cette citation est extraite d’un rapport sur les livres offerts

à l’Académie ; malheureusement pour nous, elle ne fait pas

référence à un ouvrage sur Delphes dont on aurait pu savoir de

quelles prises de vue Convert était l’auteur, mais d’un ouvrage

sur l’Acropole, Catalogue des bronzes trouvés sur l’Acropole d’Athènes par

M.A. de Ridder62. La dernière référence aux photographies de

Henri Convert concerne aussi Délos : en 1905, dans une note

d’A. Jardé63 sur les fouilles de Délos, il remercie le

photographe : « […] c’est à M. Convert que je dois les

photographies et les plans qui accompagnent cet article ». On

suppose encore qu’à sa première activité de dessinateur,

Convert associe la photographie.

L’étude comparative des prises de vue de la fouille de

Délos64 montre que c’est après la Grande Fouille de Delphes,

vers 1905, que l’École française d’Athènes prend l’habitude de

signaler le nom de l’auteur sur le négatif. Par exemple, sur

une vue de Délos de 1906, on peut voir en bas à droite le nom

de « Ducourtioux G. ». Ainsi, contrairement aux auteurs des

61 [Anonyme], « Livres offerts » dans Comptes rendus des séances de l’Académie desInscriptions et Belles-Lettres, volume 40, numéro 3, Paris, Académie des Inscriptionset Belles-Lettres, 1896, pp. 185.62 RIDDER, André de, Catalogue des bronzes trouvés sur l’Acropole d’Athènes, Paris, E.Thorin, 1896 [362 p.].63 JARDÉ, Auguste, « Fouilles de Délos, exécutées aux frais de M. le Duc deLoubat (1903) » dans Bulletin de correspondance hellénique, 1905, volume 29, p. 5. 64 Si l’École française d’Athènes a commencé ses fouilles à Délos dès 1873,c’est au début du XXe, en 1903, que le site bénéficie d’une série decampagnes annuelles grâce à la dotation financière du mécène JosephFlorimont, duc de Loubat (1831 – 1927) mais aussi grâce à l’implication deTh. Homolle et de M. Holleaux.

53

dessins et des plans qui sont toujours mentionnés dans les

remerciements des publications ou même sur la planche imprimée,

les noms des photographes ne sont pas révélés. Cela peut nous

laisser penser que le métier de photographe est moins

honorable, et que les opérateurs ne méritent pas de

remerciements dans les publications. Mais on peut aussi

admettre que les auteurs des prises de vue, qui sont des

photographes amateurs mais surtout des archéologues, ne sont

pas cités car comparée à leur travail sur le chantier, leur

tâche photographique est insignifiante. Les auteurs des clichés

ne sont reconnus qu’après la Grande Fouille, lorsque l’École

française commence à engager des photographes professionnels

comme G. Ducourtioux. La figure d’H. Convert peut être prise

comme témoin de ce changement : ce n’est que par Georges Radet

que nous savons qu’il a pris beaucoup de clichés sur la Grande

Fouille mais il existe plus de références à son activité de

photographe pour Délos.

On a analysé le contexte propice à la généralisation de la

pratique photographique et déterminé les conditions

d'intégration du médium aux travaux archéologiques. Pour la

suite de notre raisonnement, le lien avec le site de Delphes

s'opère aisément puisque la grande fouille apparaît comme le

cadre et le moteur des définitions comme des applications de la

photographie scientifique au temps de ses balbutiements.

Considérons ainsi le témoignage photographique de grande

ampleur que nous livrent les clichés réalisés à Delphes. Une

fois analysées les fonctions accordées au médium

54

photographique, il faudra se livrer à une analyse détaillée des

images quant à leurs prises de vue ainsi qu'aux traitements et

publications dont elle font l'objet. 

55

II. Photographier La Grande Fouille de Delphes

A) L’organisation des fouilles et le témoignage de leurs réalisations

Après avoir répondu aux nouvelles exigences d'une

archéologie modernisée par l'investissement dans un matériel

photographique qui se perfectionne, il s'agit de rendre compte

du terrain delphique, du matériel découvert ainsi que des

spécificités de l'organisation et de la réalisation d'un

chantier de très grande ampleur : la Grande Fouille. Enfin,

l'étude des références aux prises de vue dans le Journal de la

Grande Fouille met en lumière la considérable inflation du

nombre de clichés et les connaissances qui en sont extraites.

1. Le matériel photographique : de nouvelles exigences

Si la photographie peut être rapidement considérée comme

un procédé aux nombreuses ressources, il existe encore de

nombreuses limites à la fin du XIXe siècle. Ainsi, les

restrictions du matériel photographique en empêchent la

complète exploitation. Nous pouvons citer la lettre de

56

Théophile Homolle adressée en 1894 au Ministre de l’Instruction

publique, des Beaux-Arts et des cultes65 :

« Depuis, les découvertes se sont renouvelées presque

de jour en jour : je me borne aujourd’hui à vous

adresser seulement une photographie, car nous nous

sommes trouvés à court de plaques. »

Cette phrase prouve le caractère insoluble de la situation. Le

matériel photographique intervenant dans l’exploitation et la

diffusion des études est d’une importance primordiale. Les

contraintes matérielles sont nombreuses mais nous permettent de

louer les efforts des archéologues pour l’utilisation de la

photographie. La prise de vue est méritoire : le matériel

photographique peut facilement peser plus de trente

kilogrammes. Le photographe doit préparer les plaques lui-même,

ces dernières sont d’ailleurs très fragiles. Il n’est pas rare

de casser des plaques, comme nous pouvons le voir sur le cliché

CAT 008 : la plaque s’est brisée après la prise de vue. Une

batterie de précautions permet de lutter contre ce genre

d’incidents de sorte que les archéologues sont généralement

satisfaits du résultat.

L’intégralité du fonds photographique est constitué de

photographies développées avec le procédé au gélatino-bromure

d’argent sur plaque de verre. Cette technique est

commercialisée à la fin des années 1870. Les chercheurs ayant

travaillé à cette invention sont W.H. Harisson, Richard Leach

65 HOMOLLE, Théophile, « Rapport au Ministre de l’Instruction publique, desBeaux-Arts et des cultes, au sujet des fouilles de Delphes » dans Comptesrendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, volume 38, numéro 3, 1894, p. 208.

57

Maddox, puis John Burgess et Richard Kennett66 mais c’est à un

médecin anglais, R. L. Maddox, qu’il revient d’introduire un

nouveau type de plaques sèches efficaces. Il annonce, le 8

septembre 1871, dans le British Journal of Photography67, l’utilisation

d’une solution chaude de gélatine mélangée à du bromure de

cadmium et à du nitrate d’argent, étendue sur une plaque de

verre et séchée. La sensibilité de ces plaques étant toujours

faible, la technique est perfectionnée par Richard Kennett en

1874 et surtout par Charles Harper Bennett (1840 – 1927)68, qui

en 1878, décide de conserver plusieurs jours l’émulsion à une

température de 32C avant le lavage. C’est cette nouvelle

manière de préparer l’émulsion qui permet un gain de

sensibilité considérable. La prise de vue se fait en moins

d’une seconde, introduisant l’instantané en photographie, ce

qui élimine l’obligation d’utiliser des supports comme les

trépieds. Toutefois, en analysant le CAT 135, on remarque qu’à

Delphes les chambres photographiques sont placées sur pieds.

Les premières plaques prêtes à l’emploi sortent à Londres en

1878 sous la marque Wratten et Wainwright69 et sont disponibles

dans d’autres pays dès 1879. La caractéristique de cette

technique est de pouvoir être préparée à l’avance mais aussi

d’être utilisable longtemps (rendu possible par des plaques

bien plus sensibles que le procédé au collodion) ; cette

66 CARTIER-BRESSON, Anne, Vocabulaire technique de la photographie, Paris, ÉditionsMarval, 2008, p. 70 67 MADDOX, Richard Leach, « An experiment with Gelatino Bromide » dans TheBritish Journal of Photography, volume 18, Londres, 8 Septembre 1871, pp. 422-423. 68 Photographe anglais. 69 Frederick Charles Luther Wratten (1840 – 1926) et Henry Wainwright(18..- ?) fondent en 1877 leur entreprise à Croydon, Royaume – Uni. VoirPhotographic news a weekly record of the progress of photography, Londres, Cassell,Petter and Galpin, v. 40, num. 36, 03/07/1896.

58

spécificité du produit fait entrer la photographie dans l’ère

industrielle en lui offrant de nouvelles possibilités de

commercialisation. La technique du gélatino-bromure d’argent

sur plaque de verre est une des techniques les plus utilisées

jusque dans les années 1930 et leur fabrication ne cessera

qu’en 1950-1960. La simplicité d’usage de cette technique

entraîne un nombre grandissant d’amateurs mais aussi de

clichés. On peut remarquer que la photothèque de l’École

française d’Athènes regorge de plus de 14 000 plaques de

verres. Les plaques de verres sont préparées d’une manière

spécifique70 : dans une dissolution chaude de gélatine, on

ajoute du bromure alcalin et du nitrate d’argent de manière à

conserver un excès de bromure d’argent, très sensible à la

lumière et qui reste en suspension. En se refroidissant, cette

émulsion se transforme en gelée, qui est découpée pour être

lavée, puis refondue et coulée sur le verre. Ces plaques de

verre restent sensibles pendant plusieurs mois. Elles sont

exposées en chambre noire lors de la prise de vue, puis

développées immédiatement ou plusieurs jours après. Comme toute

technique photographique, celle-ci subit des altérations

spécifiques. La présence d’humidité peut rapidement provoquer

l’apparition d’un miroir d’argent sur les bords ou la totalité

du négatif, cette altération peut être causée par l’emballage

ou le contact avec l’air. Cet état était fréquent pour les

clichés, ce qui entraînait le recadrage de la plupart des

images avant la publication. Par exemple, nous observons sur le

cliché CAT 034 que le cadre (notamment le bord inférieur-droit)

70 EDER, Josef –Maria, Théorie et pratique du procédé au gélatino-bromure d’argent, Paris,Gauthier-Villars, 1883 [267 p.].

59

est légèrement plus sombre qu’il ne devrait l’être. La gélatine

est également un terrain très favorable pour les micro-

organismes lorsque l’humidité relative est supérieure à 60.

Les variations de température et d’humidité, provoquant des

tensions de la couche de gélatine, peuvent amener celle-ci à se

craqueler, en formant des fragments en croissants de lune, et à

se détacher du support de verre : les bords du cliché CAT 137

ont connu cette dégradation.

C’est au commencement de la fouille de Delphes que l’École

française d’Athènes s’est dotée d’un important matériel

photographique. Néanmoins cela ne veut pas dire que les

archéologues, avant cette date, n’avaient pas accès à la

photographie. Une citation du membre Antoine Grenier (1823 –

1881), reprise par Radet, nous le prouve : « Nous avons passé

ces deux derniers jours à nous daguerréotyper71 ». Grenier

écrit cela le 26 février 1848, des décennies avant la Grande

Fouille et la dotation de chambres photographiques à l’EfA. Il

semblerait qu’avant cette date les archéologues utilisaient

leur propre matériel photographique. Leurs initiatives sont à

saluer car elles sont considérées comme les prémices de la

recherche photographique. Théophile Homolle comprend l’intérêt

des nouvelles techniques pour l’étude, la publication et la

pédagogie. L’École lui doit de posséder à partir de ce moment

un véritable outillage topographique et photographique complet.

A partir de ce moment, l’École va se charger d’améliorer et

d’entretenir son matériel. Comme nous l’apprenons dans le

71 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 43.

60

rapport de Réveillac72, plusieurs chambres photographiques de

cette époque sont assez bien datées comme la chambre 13 x 18.

Ainsi, la chambre Sanderson dite « Chamonard » (du nom d’un de

ses plus fervents utilisateurs73) date de 1890-1893. Le rapport

de Réveillac74 fait état de deux chambres de formats

différents, du type de celles qui furent utilisées pour la

fouille de Delphes. Premièrement, nous pouvons voir la chambre

18 x 24, sans marque, et trois châssis. Ce modèle possède un

système de décentrements et de bascules. Elle est équipée d’un

objectif anastigmat Zeiss75 de 285 mm gravé « E. Krauss Paris »

vissé sur une monture « Ilex Optical co, Rochester N.Y.76 »,

d’un diaphragme à lamelles de F 5 à F 25 et d’un obturateur à

rideau. L’anastigmat est un objectif photographique mis au

point par Paul Rudolph chez Zeiss en 1890 : sa principale

caractéristique est sa capacité à corriger les aberrations

sphériques des objectifs précédents. E. Krauss77 est une

72 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 13.73 Joseph Chamonard (1887 – 1936), membre de l’École ayant travaillé àDelphes pendant la première décennie du XXème siècle. Voir FOUCART, PaulFrançois, « Les grands mystères d’Éleusis » dans Mémoires de l’Institut de France,tome 37, partie 1, 1904, p. 125 ; SEYRIQ, Albert, « Nouvellesarchéologiques » dans Syria, Paris, Geuthner, 1937, pp. 411-413. 74 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), fig. 1, p. 13.75 Carl Zeiss (1816 – 1888) est un ingénieur-opticien allemand qui, en 1872,découvre avec Ersnt Abbe (1840 – 1905), la condition des sinus d’Abbe.Cette condition est importante pour s’assurer que la qualité des images nechute pas trop brusquement en dehors de l’axe optique. Les lentilles sontde meilleure qualité. 76 Ilex Manufacturing Co. est un des trois fournisseurs principaux desEtats-Unis. La société est fondée en 1910. Voir LAHUE, Kalton C., Glass, Brass,and Chrome : The American 35mm Miniature Camera, University of Oklahoma Press,2002, p. 341. 77 Eugen Krauss, photographe allemand vendant du matériel photographique àParis. Voir KRAUSS, Eugen, Le Photo-Revolver Krauss : Gebrauchsanleitung der Firma,Paris, Krauss, 1923 [11 p.].

61

société de matériel photographique, fondée à la fin des années

1880. La compagnie bénéficie d’un permis de produire les

objectifs photographiques de Carl Zeiss. Si la chambre a pu

être utilisée sur le chantier de fouille, on peut en conclure

qu’elle a subi plusieurs modifications : par exemple, la

monture Ilex Optical co. de l’objectif est postérieure à la

Grande Fouille de Delphes. Deuxièmement, il s’agit d’une

chambre 13 x 18 de la marque Derogy78. Elle possède

pareillement un système de décentrements et de bascules et est

équipée d’un objectif avec diaphragme à lamelles incorporé de F

8 à F 44 gravé « Derogy » mais sans obturateur. L’École

française d’Athènes se dotant de chambres photographiques ayant

la particularité, contrairement aux appareils portatifs de

l’ère industrielle, de posséder des bascules arrières et des

décentrements permettant de redresser les perceptives, facilite

grandement l’examen des vestiges photographiés. L’École

complète les chambres photographiques par l’achat

d’accessoires, visibles par l’étude des inventaires79. Deux

voiles noirs sont acquis en 1892, tout comme dix châssis.

L’institution achète aussi du matériel pour permettre la mise

en place d’un laboratoire photographique rudimentaire : des

cuves pour le développement des plaques et des entonnoirs sont

ainsi achetés dans cette optique. Ainsi, les photographies sont

traitées sur place à Delphes dès le commencement de la Grande

Fouille, au moins pour le développement du négatif. En effet,

ce n’est qu’en 1893 qu’on voit apparaître sur le cahier

78 Un opticien constructeur de Paris, ayant sa boutique au 33 quai del’Horloge. 79 Cahier d’inventaire (1892), pp. 10-11, Annexe 1 dans Le fonds photographiqueancien de l’école française d’Athènes – La « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903).

62

d’inventaire la mention de « châssis-presse 18 x 24», qui est

un cadre dans lequel sont placés le négatif et le papier

photosensible afin d’obtenir le positif d’une photographie. La

chambre Sanderson nommée « Chamonard » est équipée d’un niveau

à bulles. Si sa présence n’est pas attestée sur le chantier

delphique, cet accessoire s’applique parfaitement à l’usage

archéologique, pour faciliter la précision des clichés. Les

niveaux à bulle sont associés à l’architecture, les

archéologues cherchent à rendre la technique photographique la

plus exacte possible. Trois formats sont principalement

utilisés pour la Grande Fouille de Delphes : le 13 x 18, le 18

x 24 et enfin le 21 x 27. Les archéologues préfèrent

l’utilisation de la demi-plaque, la 13 x 18 cm, notamment pour

son faible encombrement. D’autre part, l’utilisation de ce

format précis est utile car il permet, à l’aide d’un cadre

mobile, de réaliser des clichés stéréoscopiques destinés à la

projection80. Mais nous n’avons pas trouvé de photographies

présentant les caractéristiques de la stéréoscopie (deux points

de vue, gauche et droit, de la même scène). Cette pratique ne

semble pas avoir été utilisée par l’École française d’Athènes.

On peut se poser la question du développement. En effet, si

nous ne connaissons pas exactement les auteurs des prises de

vue, nous sommes encore moins renseignés sur l’action du

développement. G. Réveillac, dans son rapport, constate que la

médiocrité du traitement des clichés permet d’affirmer qu’il ne

s’agit pas d’un travail de professionnel. Ainsi, les auteurs

des photographies, qu’il s’agisse de fouilleurs, d’architectes

80 Voir III, B, 3 : «  Une autre présentation des clichés : leur projectionpendant les séances de l’Institut de correspondance hellénique ».

63

ou de photographes amateurs, assurent probablement eux-mêmes le

travail du traitement des négatifs. Nous pouvons citer G.

Réveillac parlant des catastrophes lors du développement

chimique : « On ne peut que regretter que la phase de

laboratoire n’ait pas été à la hauteur de celle de la prise de

vue81 ». La prise de vue archéologique à la fin du XIXe siècle,

notamment à Delphes, est une spécialisation. Comme nous l’avons

vu, les manuels fleurissent – notamment ceux d’Eugène Trutat

que nous avons étudiés précédemment – et la prise de cliché

devient une action réfléchie. L’éclairage est un des facteurs

les plus importants à étudier pour réussir sa photographie.

Ainsi, un ciel couvert permet de donner le maximum de détails

dans les ombres, alors qu’un soleil fort donne du relief. Une

lumière douce est fortement conseillée pour la prise de

sculptures.

Ainsi, la prise de vue à la fin du XIXe siècle relève

d’une véritable entreprise méritoire en raison du poids du

matériel et des affectations multiples et variées que subissent

les plaques de verres. Pourtant, la fréquence des découvertes

et des clichés est telle que T. Homolle déplore le manque de

plaques vierges dans sa lettre au Ministre de l’Instruction

Publique, des Beaux-arts et du Culte. C’est sous l’autorité du

directeur de l’EfA que l’Ecole se dote d’une véritable

artillerie photographique et topographique alors que les

générations précédentes pratiquaient la photographie à l’aide

81 Citation de Gérard Réveillac dans COLLET, Philippe, « La photographie etl’archéologie : des chemins inverses » dans le Bulletin de CorrespondanceHellénique, volume 120, numéro 1, Athènes, École française d’Athènes, 1996,p. 239.

64

de leur propre matériel. En outre, les avancées techniques

permettant notamment une prise de vue instantanée ainsi que

l’amélioration des procédés de développement accroissent

considérablement le nombre de clichés effectués sur la Grande

Fouille.

2. Les épreuves photographiques : un témoignage de la fouille en elle-même

Aussi les photographies ne se bornent-elles plus seulement

aux découvertes du matériel archéologique mais constituent

également un précieux témoin de l’organisation de la fouille,

une nouveauté permettant d’en figer les grandes étapes telles

que la mise en place des voies de Decauville ou encore la

destruction du village qu’on appellera désormais le vieux

Castri.

L’énormité de la masse des terres à évacuer, sur une pente

très raide, explique que la Grande Fouille de Delphes ait fait

appel à des ingénieurs. Les voies Decauville sont construites

dès le début de la fouille : plus de 1 800 mètres de voies sont

construites pour accueillir les cinquante-sept wagonnets et les

animaux de trait nécessaires. Cette nouvelle infrastructure,

mise au point par H. Convert, fait l’objet de nombreuses prises

de vue. En effet, on peut observer un certain nombre de clichés

dont les points de vue diffèrent. Premièrement nous pouvons

nous attarder sur les vues plongeantes, illustrées par les CAT

018 et CAT 020 : le photographe, se plaçant en haut du site

delphique, cherche à rendre compte de l’ampleur de la fouille.

65

On peut voir un effort de cadrage pour le CAT 018. En effet,

l’oblique de la route permet de montrer l’organisation de la

fouille dans la partie inférieure gauche du cliché. Sont

visibles des ouvriers en train de travailler, particulièrement

grâce au contraste de leurs silhouettes sur la route blanche.

La partie supérieure droite permet de situer le site dans un

paysage : le vide se situe à quelques mètres de la route, comme

pour toutes les routes de montagne. On peut voir la vallée du

Pleistos, la photographie est prise du Nord-Ouest. Cette

photographie n’est pas une photographie d’art mais le travail

de cadrage avec la diagonale des voies permet de témoigner de

l’organisation de la fouille tout en présentant une réflexion

de la part du photographe quant à la prise de vue. Le cliché

CAT 020, dont la compréhension de la topographie du site est le

sujet, est une plongée, mais d’un point de vue plus latéral que

le précédent. Ce cliché permet de comprendre les différentes

routes qui parcourent le site, le fractionnant en terrasses

pour le rendre plus facilement accessible. Cette photographie

nous renseigne sur le fonctionnement des voies Decauville : on

distingue les voies montantes et descendantes. Les wagonnets

descendants (à gauche) sont poussés à bras d’hommes qui

disposaient d’un frein, alors que ceux remontant (à droite)

sont accrochés en groupes et tirés par un cheval. Le

photographe a pris du recul et a choisi son point de vue de

façon à pouvoir montrer la situation du village par rapport aux

fouilles, la vue est prise de l’Ouest. Les autres vues

témoignant de l’infrastructure de Decauville sont prises sur le

site, face aux voies. En effet, on remarque que le photographe

66

installe sa chambre photographique sur la voie ou du moins sur

son bas-côté (CAT 021). Il y a également des vues où la

présence des voies Decauville est jugée moins importante et ne

semble pas en être le sujet principal malgré leur présence

(comme pour les CAT 096 et CAT 025). A part pour le cliché CAT

021, le photographe se place au niveau des hommes présents sur

le chantier. La hauteur de la chambre photographique permet de

donner l’impression d’avoir été prise à hauteur des yeux. Le

cliché CAT 025 permet de voir au plus près le fonctionnement

des voies Decauville : ce sont des wagonnets, que les ouvriers

remplissent de terre, tirés par des animaux (principalement des

chevaux). Les récipients des wagonnets sont mobiles et

permettent de faire tomber la terre à moindre effort par leur

système de bascule. La typographie de ce site de montagne pose

le problème du déblaiement. C’est par le cliché CAT 007 que

l’on peut voir la solution trouvée par les archéologues de la

Grande Fouille. Une décharge est montée pour faire tomber les

déblais dans le Pleistos. Cette glissière est située à

l’extrémité Ouest de la troisième voie et dans l’axe de la

deuxième. Elle présente une pente de 0,77 m par mètre sur 26 m,

ainsi qu’on le voit sur un dessin en profil de Convert82. Le

photographe choisit un point de vue latéral pour sa prise de

vue. Il facilite notre compréhension de l’infrastructure, et en

prenant un peu de recul, permet à la structure d’être visible

par un fort contraste avec le ciel, presque blanc. On peut voir

aux pieds de la décharge un groupe d’ouvriers avec un âne

utilisé pour les déblaiements. Le cadrage de la photographie ne

permet pas de voir le tas de terre déchargé, mais on peut82 CONVERT, Henri, Plan de la glissière, Legs Tournaire, numéro 15261, EfA.

67

imaginer qu’il est situé sur le flanc inférieur de la montagne.

Le nombre important de clichés représentant les voies de

Decauville rendent compte de l’importance de ces

infrastructures pour la fouille. Homolle écrit en 1893 : « Le

total des déblais atteint 28 500 m3 qui ont été transportés à

plus de 650 mètres pour épargner à la fois les cultures

modernes et les ruines antiques83 ». L’ampleur du chantier de

Delphes est impressionnante. Les archives conservées à

l’Institut de France84 nous apprennent que d’avril à août 1895,

environ deux-cent ouvriers, Grecs, Italiens et Ottomans,

travaillent dix heures par jour, sur plusieurs chantiers

couvrant plus de deux hectares. Soixante-quinze wagonnets

remontés par une petite dizaine de chevaux fonctionnent sur 4

km de voies. Les ouvriers transportent 115 748 wagonnets à la

décharge pendant l’année 1895. A la fin de 1896, c’est un total

de 386 561 wagonnets qui ont été comptabilisés depuis 1892,

représentant 193 280 m3 de terres. Le cubage pouvait atteindre

400 m3 par jour85.

Nous observerons plus tard86 les clichés pris du vieux

village de Castri, ainsi que ceux de la reconstruction du

village moderne. En revanche, l’interaction visible sur les

photographies entre les fouilles et le vieux village de Castri

est intéressante à noter dans le cadre de la représentation de83 HOMOLLE, Théophile, « Institut de Correspondance Hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, volume 17, numéro 2, 1893, p. 611. 84 Carton Ms 3855 « Vues des fouilles de Delphes » dans les archives Homollede la Bibliothèque de l’Institut de France. 85 HELLMANN, Marie-Christine [dir.], Un siècle d’archéologie française à Delphes : Delphesaux sources d’Apollon, Paris, CNRS, 1992, p. 16. 86 Voir II, B, 3 « Le choix de témoigner de son expérience : le caractèreethnologique »

68

l’organisation des fouilles. Les clichés CAT 036 et CAT 061

illustrent bien ce propos. Premièrement, nous pouvons observer

sur la photographie CAT 036 que pendant le dégagement du mur

polygonal, une terrasse servant de soubassement aux maisons du

village est encore en place, ainsi que les dites habitations.

La prise de vue est faite à la fin de 1892 ou au début de 1893,

au commencement de la Grande Fouille, ce qui explique la

présence des maisons. Le photographe décide de prendre une vue

générale, sans se rapprocher de la figure humaine87, afin de

faire apparaître cette interaction peu commune d’un village de

paysans grecs et de vestiges datant de l’Antiquité grecque. Le

cliché CAT 061 est également une vue générale montrant cette

interaction entre Castri et les fouilles. A la photothèque de

l’École française d’Athènes, cette photographie porte comme

titre : Base de Gélos mais les vestiges antiques ne sont visibles

que dans la partie inférieure. Le cliché représente aux deux

tiers le village de Castri et la manière dont ce dernier

s’appuie sur la montagne. On peut voir que les fouilles créent

une sorte de terrassement. La Grande Fouille de Delphes a un

impact considérable sur le village de Castri : en le déplaçant

tout d’abord, et ensuite en changeant la typologie du terrain

du vieux village. La photographie témoigne de ces changements.

On peut affirmer, par les différents choix de cadrages, que les

photographes souhaitaient témoigner de cette interaction.

87 Ce personnage serait Henri Convert d’après la légende de la photothèquede l’École française d’Athènes. Voir II, B, 1 « Le témoignage d’unmétier ».

69

Les archéologues, en documentant leurs fouilles, peuvent

prendre deux sortes de photographies : des photographies

préparées sur lesquelles les ouvriers posent et où on ne les

voit pas réellement travailler, et des photographies plus

improvisées, prises sur le vif. Il est important de rappeler la

présence de temps de poses conséquents qui nous obligent à

relativiser la notion de « pris sur le vif ». Il existe des

photographies où les fouilles sont représentées de manière plus

« véridiques », dans le sens où le site n’est pas débarrassé de

ses outils entre autres. Ainsi, sur le cliché CAT 005, nous

pouvons apercevoir des pioches, des paniers servant à

transporter la terre. La terre n’est pas nettoyée, ne nous

laissant donc pas voir le site d’une façon très nette. Le

cliché CAT 049 nous laisse apercevoir des pioches sur le côté

droit, et la figure humaine étant de dos, nous ne pouvons donc

pas savoir s’il s’agit d’un archéologue ou d’un ouvrier. Ces

épreuves photographiques témoignent de la fouille en elle-même

et de la manière de creuser, principalement avec des pioches.

Il s’agit pour le CAT 005 de premières démolitions et pour le

CAT 049 de déblaiements, ce qui justifie l’utilisation de

pioches. Il n’existe pas de photographies où l’on peut voir

d’autres outils, tels que les piochons, utilisés pour d’autres

situations. Le cliché CAT 070 montre un ouvrier en pleine

action transportant un panier rempli de terre, on peut

s’interroger sur le caractère posé de cette photographie.

S’agit-il d’une rare photographie où le temps de pose a permis

la représentation d’un sujet en mouvement sans pour autant être

floue ? Ou bien s’agit-il d’une image « mise en scène » pour

70

laquelle le photographe a fait poser l’ouvrier de manière très

réfléchie afin qu’il paraisse en plein mouvement ? La première

hypothèse semble être la plus plausible. En effet,

l’inclinaison de la tête et la représentation de l’effort sont

trop étudiées ; les autres photographies sur lesquelles

apparaissent les ouvriers ne sont pas autant travaillées. Le

photographe semble avoir souhaité réaliser le portrait d’un

ouvrier, et pourtant cela ne semble pas être le sujet de la

photographie. Le titre donné par la photothèque de l’École

française d’Athènes est Déblaiement de l’escalier du théâtre : l’action

de l’ouvrier en est le véritable sujet. Les clichés CAT 029 et

CAT 136 sont des photographies où le chantier est le véritable

sujet. En effet, même si les ouvriers ne sont pas en mouvement,

mais immobiles pour le besoin du temps de pose ou pour une

autre raison, on peut voir à quoi ressemblait le chantier

pendant la Grande Fouille. L’ouvrier du CAT 029 au premier plan

actionne le frein des wagonnets Decauville, remplis à l’aide de

couffins. La vie de chantier est aussi représentée par des

photographies à la mise en place plus réfléchie, les

photographes y font poser les ouvriers. Les clichés CAT 096 et

CAT 123 ont été pris pour témoigner de la fouille, mais pas de

l’activité des ouvriers car leurs poses sont complètement

factices. Néanmoins ces poses permettent de nous renseigner sur

l’habillement des ouvriers : on voit qu’ils portent des

vêtements couvrant presque la totalité de leurs corps. On peut

se rendre compte du nombre important d’ouvriers sur le cliché

CAT 096 par exemple. En effet, le stade a mobilisé un nombre

assez élevé d’ouvriers, ce qui s’explique notamment par la

71

grande superficie de ce secteur de fouille. Les épreuves

photographiques peuvent témoigner de la vie de chantier comme

le montre par exemple le CAT 013, la photo de groupe des

ouvriers. Ce genre de photographie de groupe est important, il

en existe pour chaque chantier. En regardant en parallèle le

cliché CAT 124, représentant les membres de l’École française

d’Athènes, on peut se demander s’il existe une différenciation

réfléchie entre ces deux groupes photographiés. Premièrement,

dans le CAT 013, il ne semble pas y avoir d’archéologues. Il ne

s’agit donc pas d’une photographie regroupant tous les acteurs

de la Grande Fouille. La photographie « officielle » des

protagonistes de cette fouille est le CAT 124, où l’on retrouve

E. Pontremoli88 devant L. Sortais89 (tous deux Grand Prix de

Rome), Th. Homolle devant l’ingénieur H. Convert, l’architecte

H. Eustache90 devant les archéologues E. Bourguet et G.

Millet91. Sortais et Eustache ayant voyagé en Grèce et en

Turquie avec Millet et Tournaire, il est possible que ce

dernier, non visible ici, soit l’auteur du cliché92. La Grande

Fouille ayant duré près d’une décennie, les ouvriers se sont

relayés, le CAT 013 est vraisemblablement une photographie

faite pour illustrer une saison de fouille. Cependant il semble

que les archéologues n’ont fait ce genre de photographie qu’une

88 Emmanuel Pontremoli (1865 – 1956) est architecte français, Grand prix deRome en 1890. Voir « Fonds Pontremoli » dans Catalogue des collections, vol. II, 1890-1970, Paris, Académie de Paris, 1997, p. 307-318. 89 Louis Sortais (1860 – 1911), Grand prix de Rome en 1890 (ex-æquo). 90 Henri Eustache (1861 - ?), Grand prix de Rome en 1891. 91 Gabriel Millet (1867 – 1952), membre de l’École française d’Athènes. VoirLANTIER, Raymond, « Éloge funèbre de M. Gabriel Millet, membre ordinaire »dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1953, volume97, numéro 2, pp. 164-169. 92 HELLMANN, Marie-Christine [dir.], Un siècle d’archéologie française à Delphes : Delphesaux sources d’Apollon, Paris, CNRS, 1992, p. 16.

72

seule fois. Ainsi, par leur anonymat, ces ouvriers représentent

l’ensemble des hommes qui ont participé à ce chantier. La vie

communautaire est illustrée par le cliché CAT 171. Il s’agit

d’une photographie témoignant de l’intégration des archéologues

français à la culture grecque. Au vu du caractère exceptionnel

de ce genre de représentation, il s’agit d’une fête castriote

ou du moins grecque, à laquelle les membres de l’École

française d’Athènes ont participé. On peut y voir des membres

déguisés en evzones, soldats grecs, au premier plan. Les

Français et les Grecs sont rassemblés sur cette photographie.

Si les dernières photographies illustrent le côté agréable

de la fouille, il n’en est pas de même pour le CAT 037. En

effet, la fouille de Delphes ne se déroule pas dans les

meilleures conditions : les ouvriers de Castri refusent de

poursuivre le travail et l’armée est obligée d’intervenir. On

ne retrouve pas de traces photographiques de ces déconvenues

dans les archives de l’École, mis à part le cliché CAT 037.

Cette photographie montre que le photographe a eu recours aux

soldats pour servir d’échelle. Les soldats ne sont visibles que

de loin, mais sont très reconnaissables. Nous pouvons déjà

constater que, si la photographie rend compte de la vérité,

toute vérité n’est pas bonne à dire.

On constate donc l’ampleur des informations que nous

livrent les épreuves photographiques quant à l’organisation de

la Grande Fouille et aux différents temps forts qui l’ont

ponctuée. Si les photographies renseignent en elles-mêmes sur

le contexte des fouilles de l’époque, elles constituent en

73

outre un précieux appui pour les rédacteurs du Journal de la

Grande Fouille. Il s’agit alors d’analyser la fréquence des

références aux prises de vue dans l’ouvrage qui s’impose comme

le témoin exhaustif de la mission delphique.

3. Les références aux prises de vue dans le Journal de la Grande Fouille

Le Journal de la Grande Fouille93 est une source

manuscrite, conservée dans les archives de l’École française

d’Athènes. Il s’agit d’un journal, parfois lacunaire, dans

lequel les archéologues rendent compte de leurs avancements

quotidiens. Nous connaissions déjà les noms des archéologues

ayant contribué à la Grande Fouille, mais pas ceux des

rédacteurs du Journal. Lorsque ce dernier devint une pièce

d’archive, Charles Picard y ajouta des commentaires afin d'en

faciliter la lecture. Ses annotations sont facilement

reconnaissables grâce à l’encre violette : sur la table des

matières94 sont inscrits les noms des auteurs et les dates de

leur présence à Delphes :

- L. Couve : campagne d’octobre – novembre 1892

- E. Bourguet : 17 avril – 2 mai 1893

- L. Couve : 3 mai – 9 novembre 1893

- P. Perdrizet : 16 avril – 9 juin 1894 ; 9 aout – 6

septembre 1894 ; 2 octobre – 24 octobre 1894

93 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), École française d’Athènes,DELPHES 2-C DPH 23, [576 p.].94 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p.1.

74

- E. Bourguet : 11 juin – 8 aout 1894

- P. Jouguet : 7 septembre – 1er octobre 1894

- P. Perdrizet : 29 avril – 28 juin 1895 ; 28 aout – 13

octobre 1895

- G. Colin : 1er juillet – 27 aout  1895 ; 14 octobre –

7 novembre 1895

- P. Fournier : 16 avril – 21 mai 1896 ; 30 mai – 23

juin 1896 ; 30 juin – 1 er octobre 1896

- P. Perdrizet : 23 mai – 29 mai 1896

- G. Colin : 25 juin – 29 juin 1896

- G. Colin : 13 juin – 30 aout 1898

- J. Laurent et D. Brizemur : 29 avril – 22 aout 1901

Ces dates et noms d’auteurs nous aident à contextualiser

certaines prises de vue, même si les auteurs des photographies

ne sont pas nécessairement les archéologues responsables. Cette

archive est toujours d’actualité : il en existe une copie à la

maison de fouilles de Delphes; les archéologues peuvent le

consulter pour mieux connaître les découvertes de la Grande

Fouille, pour approfondir leur connaissances concernant le

contexte de celle-ci, très peu présent dans les écrits des

Fouilles de Delphes. Le Journal a fait l’objet d’un article d’Anne

Jacquemin95, le présentant comme un outil historiographique

pour les historiens s’intéressant à la Grande Fouille. Pour

nous, il s’agit de confronter le Journal au fonds

photographique constitué au même moment par les mêmes

personnes. On ne dénombre que dix-huit références à la

95 JACQUEMIN, Anne, « En feuilletant le Journal de la Grande Fouille » dansLa redécouverte de Delphes, pp.149-179.

75

photographie dans le journal mais elles sont nos seules sources

sur les prises de vue. Par ailleurs, la lecture du Journal de

la Grande Fouille fournit de précieuses informations pour

étudier le fonds photographique. Selon A. Jacquemin, il est

considéré comme un support provisoire comme en témoigne le

verso de la page de couverture (en face de la table des

matières page 1), sur lequel est recopiée l’inscription d’un

fragment épigraphique, trouvé le 12 avril 1901. Ce n’est

évidemment pas la fonction du journal, mais celle des notes et

des photographies qui les accompagnent. Le journal sert à

référencer toutes ces notes et photographies : les informations

présentes dans le Journal permettent aux archéologues de s’y

reporter. Nous pouvons signaler que ce manuscrit appartient au

genre nouveau du journal de fouille et que pour se constituer,

il emprunte nombre de codes et d’éléments au genre du journal

de voyage. Il comporte parfois des croquis, des plans

esquissés, des énumérations d’objets et des retranscriptions

d’épisodes importants tels que les découvertes. Paul Perdrizet

le désigne même sous le nom de « registre » le 28 mai 189696 ;

aussi le terme de « journal » n’apparaît-il jamais. Cette

source est donc considérée comme un registre de référence,

auquel il faut se rapporter pour exploiter au mieux les

découvertes de la fouille. En examinant la liste de registre97

du début du Journal, il est possible d’y voir un début de

catalogue dont les auteurs des prises de vue utilisent le

principe. Il inventorie dix-neuf objets (ou groupes d’objets) ;

96 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 471.97 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 2 : deux feuilles deregistre avec dix-neuf entrées collées sur la page 2.

76

leur classement vient fixer les grandes catégories de

matériel : la céramique (vases, figurines et statues),

l’architecture, le marbre (sculpture et architecture), le

bronze, la numismatique et enfin l’épigraphie. Cette volonté de

classement renvoie aux clichés CAT 130 (une figurine), CAT 134

(plusieurs figurines), CAT 141 (quatre vases à décor

géométriques), CAT 142 (dix-huit lampes à huile), CAT 143

(divers objets en bronze) et enfin CAT 144 (un fragment de

céramique). Certains archéologues sont des spécialistes de ces

thèmes : par exemple, L. Couve et E. Bourguet sont des

épigraphistes. On peut se demander si les intérêts respectifs

des archéologues sont perceptibles dans leur utilisation de la

photographie. Mais pour répondre à cette question, il faudrait

pouvoir attribuer les prises de vue à leurs auteurs, ce qui

s’avère presque impossible. Pourtant les dix-huit références

présentes dans le Journal de la Grande Fouille peuvent nous

éclairer sur certains points.

La première campagne référencée dans le Journal de la

Grande Fouille est celle de L. Couve, travaillant d’octobre

1892 à novembre 1892. Le chantier se situe au-dessous de la

Stoa des Athéniens, se plaçant dans la continuité des travaux

de B. Haussollier de 1880. La campagne est très brève et il n’y

a aucune référence faite par L. Couve à la photographie.

Pourtant il y a des photographies présentes dans notre

catalogue, dont la datation et les sujets représentés les

rattachent à cette campagne. La photographie CAT 002,

représentant l’ancien village, aurait été vraisemblablement

77

prise pendant l’été 1892. Elle n’aurait donc pas été référencée

par Couve dans son chapitre sur sa campagne hivernale mais elle

fait office d’annonciatrice de la Grande Fouille. En revanche,

les clichés CAT 005 et CAT 023 représentant respectivement les

premières démolitions et la fouille de l’Aire ont été prises

lors de la campagne de Couve. L’archéologue qui pose au milieu

de ses ouvriers sur le cliché CAT 023 pourrait être Louis Couve

puisque c’est ce dernier qui est en charge de cette campagne.

On peut se demander si le cliché CAT 036 où l’homme pourrait

être Convert a été pris pendant cette première campagne ou plus

tard, début 1893.

E. Bourguet retranscrit la deuxième campagne de fouille,

qui a lieu du 17 avril 1893 au 2 mai 1893. Son texte n’est que

très peu précis, cependant à la date du samedi 22 avril 189398,

nous pouvons voir la première référence au travail

photographique du chantier : « pris photographie du chantier :

voie du bas, [emplacement] Kanello. Liberis ». Une annotation

au crayon à papier à été effectuée concernant cette note : il

s’agit des annotations faites par M.-E. Notara, une archiviste

de l’École française d’Athènes, qui travailla sur le Journal en

197399. En face de la note de E. Bourguet, M.-E. Notara corrige

l’information par cette annotation : « 23 avril Photogr.

Chantier ». « Liberis » fait référence à une des maisons du

vieux Delphes, appartenant à G. Liberis100. Bourguet utilise la

98 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 13.99 JACQUEMIN, Anne, « En feuilletant le Journal de la Grande Fouille » dansRedécouverte de Delphes, p. 149.100 Cadastre et Catalogue des habitants de Delphes, carton Ms 3860 « Plandes fouilles de Delphes, les environs, le Parnasse… » dans archives Homolle

78

maison Liberis en tant que référence topographique, renvoyant

à l’emplacement du Trésor des Athéniens. Dans sa publication de

1932, « Les comptes du IVe siècle101 » on remarque qu’il utilise

trois fois cette référence topographique pour l’étude de

fragments épigraphiques. En revanche, concernant le mot

« Kanello »  employé dans l’annonce de projet photographique

par Bourguet en avril 1893, n’ayant pas trouvé de mention dans

nos recherches, nous pouvons imaginer qu’il s’agit également

d’une référence topographique établie d’après une maison d’un

castriote nommé Kanello. Bourguet annonce des photographies des

« voies du bas » : il doit être question de prises de vue

représentant les nouvelles voies Decauville achetées dès 1892

par l’École française d’Athènes. Les notes de Bourguet dans le

Journal de la Grande Fouille sont très succinctes mais on note

au 16 mai une notice consacrée à la découverte de la tête du

Sphinx des Naxiens. Or, la photographie CAT 186, représentant

les fragments du sphinx retrouvés au pied du mur pélasgique, a

été prise quelques temps après la découverte au vu de sa

situation sur le chantier. Nous savons que le sphinx n’a pas

été laissé sur le chantier très longtemps car il a fait l’objet

de plusieurs études photographiques en intérieur et d’un

moulage pour le Musée du Louvre102. Parmi les moyens de

diffusion rapide des résultats des fouilles delphiques, on

remarque en effet une large utilisation des moulages en

plâtre : par exemple, la façade Ouest du Trésor de Siphnos est

reconstituée en 1900 dans l’atelier de moulage du Musée du

de la Bibliothèque de l’Institut de France. 101 BOURGUET, Émile, Les comptes du IVe siècle dans Fouilles de Delphes, 1932 [357 p.].102 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p.45.

79

Louvre et est exposée trois fois dans Paris (Exposition

universelle de Paris, sur le palier d’un des escaliers du

Louvre puis enfin dans la cour vitrée de l’École des Beaux-

Arts). Pour en revenir au CAT 186, on peut se demander pourquoi

Bourguet n’inscrit pas la prise de vue dans le journal : était-

il vraiment nécessaire de donner la description de cette

découverte par écrit alors que celle-ci avait précisément été

photographiée sur son lieu de découverte ? Bourguet est un

épigraphiste, il est intéressant de confronter cet intérêt avec

les photographies. Sa spécialité est perceptible dans le

Journal : en effet, il détaille plus ou moins les inscriptions

trouvées. Si l’archéologue n’est pas l’auteur des

photographies, est-ce lui qui guide l’opérateur ? Dans ce cas,

pouvons-nous trouver une corrélation entre l’intérêt que porte

Bourguet à l’épigraphie et les photographies faites pendant ces

campagnes ? La campagne de 1893 semble nous indiquer que non,

mais il faut étudier sa deuxième campagne de fouilles, faite

l’année suivante. La campagne de fouille suivante, qui est

celle de Couve, dure du 3 mai au 9 novembre 1893, ce qui est

considérable ; mais cet archéologue ne fait jamais référence

aux prises de vue effectuées sur son chantier, s'il en a été

faites, ce qui est tout de même probable. Il ne cite pas une

seule fois la méthode photographique lors de l’écriture de ses

notes dans le Journal.

P. Perdrizet est le membre de l’École française d’Athènes

qui détaille le plus ses fouilles. Ce souci de précision vient

apporter tout au long de la Grande Fouille une dizaine de

80

références aux prises de vues dans le Journal. En 1894, il est

chargé plusieurs fois  de la bonne tenue du journal : une

première fois du 16 avril au 9 juin, puis du 9 août au 6

septembre, et enfin du 2 octobre au 24 octobre. Au long de sa

rédaction, on peut s’apercevoir qu’il hésite entre l’inventaire

détaillé et le compte rendu de la fouille103. C’est certainement

pour cette raison qu’il est le plus grand collaborateur du

Journal. Son souci du détail le rend plus à même de répertorier

les prises de vue, ce qui prouve que la photographie fait

partie intégrante du chantier de fouille. La première référence

à la photographie faite par Perdrizet date du lundi 7 mai

1894104, on y lit : « Aujourd’hui on a photographié les fouilles

devant le fronton O.- Devant le fronton E. – et depuis le

parvis du temple, le grand mur du Moyen-Âge qui descendait le

long du côté N. » En face, sur la page précédente, on peut voir

une annotation de M.-E. Notara, l’archiviste de l’École

française d’Athènes : « Photographies du temple. Fronton O. »,

qui vient faire écho à l’écrit de Perdrizet. L’archiviste

semble s’être concentré sur les photographies du Fronton Ouest

uniquement. Le jeudi 17 mai 1894105, Perdrizet écrit : « Deux

photographies ont été prises depuis le perron de la maison de

l’éphore : l’une donnera la vue générale du chantier du bas,

et, au bout, le trésor des Siphniens ; l’autre le monument

semi-circulaire des Argiens ». Il s’agit de la référence la

plus connue des chercheurs. En effet, ces photographies sont

parmi les seules à avoir été précisément identifiées : la

103 JACQUEMIN, Anne, « En feuilletant le Journal de la Grande Fouille », p.154.104 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 127.105 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 143.

81

première, la vue du chantier du bas avec le trésor des

Siphniens correspond au cliché CAT 033 alors que la deuxième,

représentant l’Hémicycle d’Argos, est la photographie CAT 029.

Ces clichés ont été pris à la suite, on remarque que les

ouvriers n’ont que très peu changé de place. On observe que

pendant la fouille du Trésor de Sicyone l’hémicycle des Rois

d’Argos est déjà dégagé. On peut remarquer que Perdrizet

emploie le futur : en effet, la prise de vue à la fin du XIXe

siècle ne permet pas un développement immédiat. Perdrizet

connaît les sujets photographiés, il en a peut-être même

commandé les prises de vue, mais n’ayant pas vu le résultat sur

plaque de verre il doit se limiter à l’utilisation du futur.

Cet emploi donne tout son sens à l’action de photographier, qui

passe aussi par le lent développement. Si Perdrizet n’assistait

pas à la prise de vue, il en a tout de même été informé par le

photographe. Cette mention du 17 mai 1894 a été soulignée, ce

qui témoigne de son importance, et annotée106 par Picard. Il ne

reprend que les noms des monuments photographiés, ce qui lui

permet de pouvoir s’y référer plus facilement. La lecture du

Journal nous révèle que quelques jours plus tard, le 24 mai

1894107, Perdrizet voulant réfléchir sur ses trouvailles,

propose une reconstitution de la frise du trésor des Siphniens.

Il illustre le Journal de croquis pour préciser ses recherches.

Ainsi, ce trésor fait partie des préoccupations de Perdrizet à

la fin mai 1894 et il décide de l’intégrer à une prise de vue

(CAT 033). La même année, E. Bourguet reprend son chantier du

11 juin au 8 août (1894). Il note dans le journal deux séries

106 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 143. 107 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 155.

82

de prises de vue durant son chantier. La première série est

faite le jeudi 26 juillet 1894108 : « Photographies du chantier

du haut (plateformes d’accès en avant du temple, N.E. ; et

opisthodomes) ». C’est la première référence photographique à

laquelle Picard ne prête pas attention. S'il n’est pas possible

d’identifier les photographies, il doit s’agir de photographies

faites en 1894 représentant la rampe du Temple ; nous pouvons

citer le cliché CAT 049 : le sujet et la date correspondent

mais ce n’est en fait pas la prise de vue du 26 juillet 1894.

La seconde photographie dont fait état E. Bourguet date du

samedi 4 août 1894109 :

« A l’E des offrandes de Gélon, le mur de mauvaise

époque qui vient perpendiculairement à la ligne du

pilastre et de la colonne trouvés le 30 juillet, et

qui empêche de dégager l’autre colonne (ou les autres

colonnes) qui peuvent faire suite à celle là, doit

être bientôt démoli. Il a été photographié

aujourd’hui.»

La caractérisation « mauvaise époque » est intéressante, fixant

les objectifs de la Grande Fouille au monde hellénique. Nous

sommes en présence d’une des premières références à l’utilité

photographique dans le Journal : la méthode photographique

permet de garder une trace de ce mur condamné à la destruction.

Perdrizet continue du 2 au 24 octobre la fouille qu’il avait

commencée au printemps de la même année. Il note encore une

référence à la prise de vue sur le chantier le jeudi 18 octobre

108 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 219.  109 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 229.

83

1894110 : « M. Convert prend 2 photographies, l’une du Grand

autel (regardant le N., l’autre de la face orientale du temple,

a regardé le N.E. » Pour la première fois, une source donne le

nom d’un des opérateurs des prises de vues : M. Convert111, le

conducteur technique. La lecture du rapport fait ce jour-là

permet de nous éclairer sur les conditions de vie de chantier.

En effet, le 18 octobre, les ouvriers démolissent les maisons

près de l’église, on peut deviner que ce travail ne nécessite

pas de surveillance particulière. Ce temps libre a-t-il

favorisé la décision de Convert de faire des prises de vues ?

Toujours est-il que la photographie peut être faite après la

fouille, sans la présence des ouvriers. Les chantiers se

succèdent entre Bourguet et Jouguet mais on ne retrouve aucune

mention de prises de vue. En revanche, en 1895, Perdrizet fait

référence à six prises de vue. Au jeudi 9 mai 1895112, Perdrizet

mentionne une photographie, mais le paragraphe est illisible.

Quelques jours plus tard, le samedi 11 mai 1895113 il écrit :

« Deux photographies sont prises, l’une des tombeaux romains,

l’autre des tombeaux byzantins (Pythia) ». Le 16 mai 1895114, il

s’agit d’une « photographie de l’Hellinico, depuis la Voie

Sacrée, avant le remblayage ». Perdrizet et les autres

archéologues précisent très souvent l’axe de la prise de vue,

de manière à pouvoir en faciliter l’identification et la

datation : ce qui prouve que ces photographies sont destinées à

être manipulées par des connaisseurs de Delphes et confirme

110 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 271.111 Voir II, B, 1 « Le témoignage d’un métier » 112 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 293.113 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 295.114 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 299.

84

leur valeur scientifique. En lisant la page du 16 mai 1895, on

remarque qu’il peut ne pas exister de rapport entre le travail

des ouvriers et celui du photographe puisque les ouvriers

fouillent « l’église et le théâtre ». Le lundi 20 mai 1895115,

Perdrizet note : « Photographie, le matin, du chantier du N.E.

du [mot illisible] - & du chantier à l’O. de l’École

française ». Cette mention n’est pas écrite de la même main

que le reste de la page et est inscrite au crayon à papier. La

précision concernant l’heure ne permet pas à l’archiviste M.-E.

Notara d’avoir noté cette référence. Le doute est permis, on

peut se demander s’il ne s’agit pas d’un autre archéologue ou

même de l’opérateur des prises de vue. En l’espace d’un mois,

Perdrizet donne cinq références photographiques dans le Journal

de la Grande Fouille : il se peut qu’un photographe amateur ait

été présent à ce moment-là ou bien que Perdrizet ait demandé et

répertorié plus de photographies qu'à son habitude. Quelques

jours plus tard, le samedi 8 juin 1895116, Perdrizet fait état

d’une autre prise de vue mais la mention illisible ne permet

que de deviner le mot « photographie ». En octobre 1895,

Perdrizet mentionne par deux fois l’utilisation des chambres

photographiques sur le site : une première le mercredi 2

octobre 1895117 au Temple et une deuxième série plus importante

faite le mercredi 9 octobre 1895118. La première série annonce :

« Le déblaiement et le travail d’aménagement poursuivis au

temple amènent la découverte de nouvelles [mots illisibles] du

temple, tant sur les dalles de calcaire que sur les blocs de

115 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 301. 116 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 319.117 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 407.118 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 411.

85

tuf. Des photographies en sont prises. » Il s’agit des

photographies de découvertes, alors que l’imposante série du 9

octobre semble être bien plus importante : « Photographies du

chantier (Théâtre ; E. du Théâtre ; chantier du contrebas de

l’Hellenico) ». Il semblerait que l’opérateur ait profité de la

mise en œuvre de sa chambre photographique pour faire état des

résultats des recherches sur une grande partie du chantier.

On a vu dans quelle mesure la photographie s’impose en

tant que témoin des multiples facettes de la Grande Fouille

lorsque les précédentes missions étaient dans l’obligation de

borner leur témoignage aux médiums écrits tels que le Journal de

Fouille. Celui-ci se voit désormais enrichi des références aux

prises de vue permettant une connaissance illustrée des travaux

et du contexte dans lequel ils s’inscrivent. C’est en premier

lieu l’évolution des procédés mécaniques qui permet

l’accroissement exponentiel du nombre de clichés destinés aux

découvertes mais également, et c’est une nouveauté, l’accès à

une vision précise de l’organisation des fouilles et des

événements qui l’agitent. Aussi l’apparition des chambres

photographiques sur le chantier permet-elle un élargissement du

regard porté sur celui-ci.

B) Photographier le vivant

Restent encore les facettes non moins cruciales de la

pratique et de l’attitude de l’archéologue ainsi que celle du

photographe. Ces deux aspects sont renseignés par les nombreux

clichés qui s’y rapportent. C’est la photographie qui semble

86

apporter la réponse la plus précise à ceux qui s’intéressent à

la figure de l’archéologue en Grèce à la fin du XIXe siècle et

à la figure de l’auxiliaire qui désormais l’accompagne. Bien

que certaines photographies soient posées et soient l’objet

d’une mise en scène, la plupart permettent une connaissance

sans filtre du contexte de fouille et de ses acteurs.

Contrairement aux rapports écrits à vocation rétrospective, la

photographie autorise une approche descriptive d’un instant

pris sur le vif sans traitement a posteriori de son auteur.

L’outil photographique, dans sa capacité à élargir le champ de

ses sujets au delà du matériel archéologique, livre également

une véritable connaissance ethnologique. Avec la photographie,

une approche quasi-exhaustive des différents aspects du

chantier devient possible. Au delà de son strict intérêt

archéologique, elle capture le vivant.

1. Le témoignage d’un métier

Interrogeons-nous à présent sur le témoignage du métier

d’archéologue rendu par la photographie. Que représente le fait

d’être archéologue en Grèce à la fin du XIXe siècle ? Les

épreuves photographiques apportent un éclairage sur cette

fonction.

Premièrement, le cliché CAT 124 présente presque tous les

membres de l’Ecole française d’Athènes, comme nous l’avons vu

précédemment119. Cette photographie nous informe d’une

complicité naturelle ou peut-être factice. Le cliché est du

moins une preuve de leur présence collective sur le chantier de119 Voir II, A, 2 : « Conditions d’une photographie scientifique ».

87

fouille. Les politiques extérieures ont un grand impact sur les

fouilles. En effet, Georges Radet nous apprend120 que « entravée

par la guerre gréco – turque, la campagne de 1897, à part

quelques sondages, ne comporta que des travaux d’aménagement ».

Ainsi, comme nous l’avons déjà souligné, le métier

d’archéologue ne se résume pas à fouiller. Il s’agit de

coordonner, d’aménager et d’équiper le site. G. Radet nous

renseigne ensuite sur les principales actions entreprises cette

année-là : « restauration de l’entrée du stade, toilette

générale du champ de fouilles, rapprochement des morceaux épars

d’architecture ou de sculpture, remontage des caryatides,

installation méthodique du Musée.121 »

La situation géographique de Delphes ne facilite pas la

tâche des archéologues. En effet, le site se situe en montagne,

sur un terrain accidenté. On peut citer G. Radet :

« Matériellement d’abord, les fouilles ont été

dirigées d’une façon remarquable. A cette altitude,

sur un terrain aussi violemment accidenté, avec une

population d’un caractère âpre et difficile, en

présence d’obstacles sans cesse renaissants et

toujours imprévus, dont ceux-là seuls qui ont vécu en

Orient peuvent soupçonner la variété énervante, il

fallait une singulière pratique des pays neufs pour

120 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 311. 121 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 311.

88

tout mettre, rapidement et sûrement, à pied

d’œuvre.122 »

La localisation de Delphes mais surtout la difficile

accessibilité du site est à prendre en compte dans notre étude,

même si on retrouve cette caractéristique dans nombre des sites

fouillés en Grèce. Théophile Homolle répertorie les différentes

tâches des différents membres ou archéologues. Ainsi, comme

nous l’avons déjà observé123, la figure d’Henri Convert est à

retenir pour la logistique interne de la Grande Fouille de

Delphes, mais il n’est pas le seul :

« Scientifiquement, M. Homolle sut grouper autour de

lui une élite de talents rares. Tournaire,

l’architecte des fouilles, lui apporta cette union

intime du savoir et du goût, qui est la marque

distinctive des successeurs de Blouet à l’Académie de

France. Il y a lieu de se féliciter que le plan de

publication de Delphes appelle un artiste de cette

valeur à collaborer dès les premières pages. Couve,

qui ouvrit les chantiers, Bourguet, Perdrizet, qui

suivirent de près, Colin, Fournier, Laurent, qui

furent associés aux dernières campagnes, n’ont pas

moins bien mérité d’Apollon. Les uns eurent la

conscience patiente et robuste ; d’autres, la

vivacité souple et lucide ; tous, l’amour de l’École

et la foi dans la mission à remplir.124 »

122 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 311. 123 Voir I, C, 2 : « L’archéologue – photographe à Delphes ».124 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 312-313.

89

Les archéologues doivent également faire preuve de diplomatie

constante à l’égard de la population locale. Les prémices de la

Grande Fouille, qui ont été marquées par plus d’une décennie de

négociations, peuvent se ressentir à Delphes pendant la

fouille. Ainsi, comme nous l’avons vu sur le CAT 037, les

archéologues ont dû faire appel aux forces de l’ordre. Le

métier d’archéologue peut relever d’une certaine habileté

politique.

L’archéologue ne participe pas à la fouille véritable :

les membres de l’École française d’Athènes vont en effet

engager des ouvriers et se contenter de surveiller les

différents secteurs. Ainsi, sur le cliché CAT 241 représentant

une vue d’ensemble, nous pouvons observer la différence de

tâches exécutées par les ouvriers, et celles incombant aux

archéologues. L’archéologue est installé à une table en bordure

du chantier, ici du stade. Il semblerait que cette table lui

serve pour écrire, peut être le Journal de la Grande Fouille.

En effet, les différents archéologues remplissent ce journal le

plus souvent sur le chantier. L’homme n’est pas reconnaissable,

il est cependant identifiable en tant qu’archéologue de par sa

position, mais aussi grâce à son habillement : il porte une

veste claire et un chapeau pour se protéger du soleil. Les

ouvriers, eux, posent pour le photographe, contrairement à

l’archéologue et à l’homme de dos qui semble interagir avec

l’archéologue. Ils sont en plein travail, l'un d'eux porte un

panier rempli de terre sur son dos. Grâce à cette photographie,

90

nous pouvons imaginer la vie de chantier des archéologues à

Delphes : ils s’occupent de l’organisation et de superviser.

Leurs notes sont très utiles pour leurs recherches et

publications. Il semblerait qu’ils délèguent une responsabilité

à un ouvrier, peut être celui qui se tient devant l’archéologue

assis ; ou peut-être demandent-ils aux différents ouvriers de

venir leur rendre compte de leurs découvertes, rapports dont

ils se serviront pour leurs notes. La première hypothèse est la

plus plausible, les archéologues ne formant pas tous les

ouvriers à l’archéologie, mais un seul d'entre eux, qu'ils

nomment responsable. Ainsi, le métier d’archéologue de terrain

est complété par des recherches et des publications. Le cliché

représentant l’Adyton du Temple, CAT 045, montre la façon dont

la recherche est concomitante avec le travail d’archéologue, et

comment la photographie peut le prouver. En effet, nous

distinguons les annotations sur la photographie, inscrites en

vue de la publication et de la diffusion des recherches.

Chaque lettre correspond à un bloc de l’Adyton et permet de

faciliter le commentaire de ce vestige. Le cliché CAT 057, une

vue de la terrasse Est, montre un archéologue non identifiable

au milieu des nombreux blocs architecturaux de la terrasse. Les

nombreux morceaux de sculpture découverts dans la zone du Nord-

Est du Temple ont été alignés dans un début d’inventaire et

d’étude. Cette photographie prouve le besoin de se familiariser

avec les objets en vue de les étudier.

91

Lors d’une conférence reproduite dans le Journal of the Royal

Institute of British Architects125, Homolle déclare :

«  Après avoir exhumé les monuments, nous étions

tenus d’en assurer la conservation, d’en faciliter

l’accès, d’en rendre l’intelligence aisée aux

amateurs, comme aux savants. […] Quand la

restauration n’était pas possible en original, nous

l’avons faite en moulages, afin de parler aux yeux et

de replacer les œuvres d’art dans les conditions où

leurs auteurs avaient entendu qu’elles fussent

vues. ».

Le rôle de l’archéologue n’est pas seulement d’exhumer et

d’étudier des vestiges anciens mais aussi de les présenter à un

public. On peut renvoyer au CAT 192, une photographie prise

dans le Musée de Delphes, qui présente la colonne des Naxiens

restaurée. Cette idée est importante pour Homolle qui cherche à

présenter la Fouille de Delphes au grand public par l’usage de

la photographie notamment. Ce dernier profite de l’intérêt du

public français pour l’archéologie pour présenter à travers le

journal L’Illustration126 le site de Delphes. L’article est largement

illustré par des gravures réalisées d’après des dessins, mais

également d’après des photographies du fonds. En effet, les

lecteurs profitent de reproductions par la gravure de trois

photographies d’Antinoüs. On peut noter la volonté de présenter

cette statue, pourtant romaine, au grand public. C’est

125 HOMOLLE, Théophile, « Le trésor de Cnide, et les monuments de l’artIonien à Delphes » dans Royal Institute of British Architects Journal, 1904, pp. 29-42. 126 SAGLIO, André, « Les fouilles de l’ancienne Delphes » dans L’Illustration,samedi 8 décembre 1894, pp. 480-481.

92

d’ailleurs la photographie CAT 131, la découverte de

l’Antinoüs, qui devient la plus connue du fonds photographique.

Si ce n’est pas la photographie la plus représentative du

travail de normalisation de la photographie pour une

application archéologique, elle est devenue de nos jours une

parabole du dialogue entre les âges. Le manque de netteté du

visage des ouvriers semble interroger le spectateur et le

confronter à un questionnement sur le temps. Cette

photographie, jamais publiée du temps de la Grande Fouille, car

ne répondant pas aux codes de la photographie archéologique,

est maintenant le cliché le plus demandé à la photothèque de

l’École française d’Athènes.

Ainsi, le témoignage photographique de la fouille

delphique permet d’éloigner la fonction de l’archéologue de son

image d’Epinal de grand explorateur qui prédomine au XIXe

siècle de celle de l’archéologue-chercheur qui lui est

supplantée au XXe siècle. En effet, si l’archéologue ne

participe pas directement aux fouilles, sa fonction ne se borne

pas à la supervision des travaux des ouvriers qu’il dirige. Son

rôle peut même revêtir un aspect politique comme ce fut le cas

avec l’intervention militaire du tout début de la Grande

Fouille ou encore le ralentissement du chantier lié à la guerre

gréco-turque de 1897. En outre, sans avoir la certitude de

l’implication totale et exclusive de H. Convert dans les prises

de vue, la figure de l’archéologue se confond encore à la fin

du XIXe siècle avec celle du photographe. Le travail d’A.

Jacquemin dans son article «  En feuilletant le Journal de la

93

Grande Fouille » livre de précieux renseignements sur la

fonction et les modalités du travail photographique à Delphes.

2. Les trois moments de la prise de vue (le Journal de la Grande Fouille) : témoignage du métier de photographe ?

Les images des grandes découvertes de la Grande Fouille de

Delphes et des autres fouilles du XIXe siècle sont ancrées dans

la culture populaire. Ces prises de vue de découvertes

archéologiques renvoient aux photographies des grands

explorateurs, celles-ci faisant partie de l’inconscient

collectif. Les archéologues des premières grandes fouilles

organisées, dont la Grande Fouille fait partie, sont associés à

cette tradition de la découverte fantaisiste. Mais nous devons

souligner la différence majeure entre les grands explorateurs

et l’archéologie institutionnelle : les conditions sont bien

plus propices à la collecte d’informations lors des fouilles.

Les clichés de la Grande Fouille amènent à se questionner

sur la manière de représenter les découvertes archéologiques.

A. Jacquemin127 dans son article «  En feuilletant le Journal de

la Grande Fouille » met en lumière les trois moments de la

prise de vue pour cette fonction photographique. La première

occasion pour la prise de vue est celle de la découverte. La

deuxième catégorie de photographies est celle qui représente

les découvertes à même le site peu de temps après leur mise au

jour. Enfin, elles sont photographiées après la mise en

127 JACQUEMIN, Anne, « En feuilletant le Journal de la Grande Fouille » dansLa redécouverte de Delphes, pp. 149-179.

94

condition du matériel ; il s’agit de photographies plus

professionnelles, ou du moins à la composition très arrangée.

Les clichés de la Grande Fouille soulignent une fonction

photographique primordiale au XIXe siècle : celle

d’immortaliser l’archéologue à côté de sa découverte. Ainsi,

lors de la mise au jour de Cléobis, partie intégrante du groupe

des Jumeaux argiens (CAT 137), Homolle pose pour la prise de vue.

Le choix de sa pose est intéressant : en effet, il décide de

tourner la tête vers la statue. Ce soin accordé à la pose

présage la future utilisation de ce cliché à des fins de

promotion personnelle. Homolle sait que ses découvertes lui

permettront d’accéder à des fonds financiers, notamment à

l’Académie des Belles-Lettres. Sa pose nous permet de souligner

cette construction d’image en vue d’une diffusion. La

photographie n’est pas prise à l’instant t de la découverte,

mais dans les moments qui l’ont suivi. En effet, il est fort

probable que Homolle n’ait pas été présent à cet instant

précis, mais plutôt qu’il ait été appelé immédiatement. Le

photographe a attendu que la sculpture, le Biton, soit dégagée

et identifiable pour installer sa chambre photographique. Les

hommes présents autour de ce dernier ne sont pas de simples

fouilleurs comme on peut le déduire non seulement par leur

habillement mais aussi par leur présence autour de la grande

découverte. Cette photographie ne correspond pas au moment de

la découverte par les fouilleurs, mais à celui de l’analyse

primaire des archéologues. On peut même s’interroger sur cette

hypothèse. En effet, il serait plus probable que le moment de

95

l’analyse primaire ait été fait avant de prendre la

photographie. Cette prise de vue permet aux archéologues de

rejouer cette séquence. Homolle va noter à ce moment-là, la

« choquante maladresse » de sa facture, ou encore que « la cage

thoracique, les flancs, l’abdomen et le ventre également mal

venus »128. Homolle ne laisse pas paraître son sentiment de

malaise devant la statue qu’il contemple pour la photographie,

il se comporte en archéologue intéressé par toute découverte,

qu’elle soit mineure ou majeure. L’un des principaux intérêts

du Journal de la Grande Fouille est de donner une idée des

premières réactions pendant les découvertes. Le Journal relate

les découvertes des Jumeaux Argiens, jamais nommés Cléobis et

Biton, mais « statue d’Apollon » et « torse masculin

archaïque ». Pour la découverte de Cléobis, on peut voir la note

suivante au jour du 28 mai 1894129 :

«  Dans le mur d’une maison, à l’avancement de la

voie du bas […] on trouve la partie inférieure d’un

torse masculin archaïque : les bras étaient collés au

corps »

On peut souligner qu’il n’y a pas de mention de la prise de vue

à cette entrée du 28 mai 1894. L’analyse n’est que sommaire, il

s’agit d’identifier rapidement la découverte par son lieu de

mise au jour et par une référence à son aspect physique. Le

Journal de la Grande Fouille permet de retrouver facilement les

objets découverts par une note concise. Le cliché CAT 138,

appelé Découverte de « Cléobis », est un autre exemple de

128 Collet, Philippe, « La photographie et l’archéologie : des cheminsinverses » dans Bulletin de correspondance hellénique, vol. 120, 1996, p. 327. 129 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 161.

96

photographie prise d’une découverte encore en terre. Le titre

de la photographie a été écrit postérieurement, comme pour les

autres clichés de ce fonds photographique. C’est pourquoi nous

n’intégrons pas l’analyse des titres à notre étude. L’auteur du

titre a confondu les deux Jumeaux argiens : Cléobis et Biton ;

or, ce cliché CAT 138 représente Biton et non pas Cléobis.

Comme nous l’avons dit ci-dessus, les archéologues de la Grande

Fouille ne nomment pas dans le Journal de la Grande Fouille les

Jumeaux argiens mais les intitule « Apollons archaïques130 ». Le

lieu de découverte et son contexte sont très importants dans

les notes du Journal, ils nous permettent, dans notre étude, de

comprendre la photographie. En effet, on peut remarquer que les

fouilleurs ou archéologues ont placé une planche de bois pour

soutenir la statue. Ils souhaitaient la conserver in situ, dans

la position précise dans laquelle elle avait été découverte peu

de temps auparavant. Sur ce cliché on peut remarquer l’absence

de présence humaine. Cette photographie a été prise avec un

contraste appuyé, ce qui fait ressortir la blancheur du marbre

par rapport à la terre. Un autre cliché (CAT 163) représente

une découverte de statue, celle de l’Aurige, le jour de sa mise

au jour, le 28 Avril 1896. Cette photographie présente la

statue toujours en terre, mais dégagée. La statue n’a pas été

retrouvée verticale, contrairement aux Jumeaux d’Argos qui se

prêtaient bien à la photographie de démonstration par leur

positionnement. La partie basse de l’Aurige, horizontale, ne

facilite pas la prise de vue. En effet, le fait qu’elle soit

horizontale sur le sol ne nous permet pas de bien l’observer

sur une première photographie de découverte. Les chambres130 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 161.

97

photographiques, malgré leur basculement, ne permettent pas de

prendre une photographie aérienne. Ainsi le photographe est

contraint de réfléchir à une autre photographie de découverte.

Cette photographie n’est pas très bien cadrée, les hommes sont

coupés. Cela peut s’expliquer par différentes hypothèses : le

photographe, dans son empressement, n’a pas bien cadré, ou bien

le cliché a subi des modifications, et afin de pouvoir se

focaliser davantage sur l’Aurige, l’auteur de ces modifications

s’est vu dans l’obligation de couper des figures humaines.

Ainsi, comme nous allons le voir131, les modifications de

l’image sont nombreuses et changent la perception que nous

pouvons avoir de ces photographies. Nous pouvons citer les

clichés CAT 182 et CAT 183, respectivement des agrandissements

des photographies étudiées précédemment. En effet, ces

modifications touchent à des éléments caractéristiques des

clichés, comme ici le cadrage, lequel entraîne une analyse

formelle différente.

Le deuxième moment de la prise de vue est celui qui vient

après la découverte et avant la mise en condition des vestiges.

Cela ne veut pas dire que le matériel ne soit pas nettoyé ;

bien au contraire, on peut noter un effort de dégager toute la

terre des découvertes. Ces photographies sont prises à même le

site, les découvertes sont dressées sur leur base ou bien

contre un mur. Ces clichés peuvent être utilisés immédiatement

131 Voir II, C, 3 : « Intervention manuelle sur le cliché en vue de lapublication ».

98

en vue d’un rapport ou dans un but pédagogique. On peut ainsi

lire dans le Bulletin de correspondance hellénique en 1893132 :

« M. Homolle annonce ensuite le commencement des

fouilles de Delphes et en communique les premiers

résultats avec des plans de chantier et les

photographies des inscriptions et des monuments

figurés découverts jusqu’à ce jour »

Les photographies auxquelles fait référence cet article sont

prises peu de temps après le début des fouilles ; on peut donc

se douter qu’il n’y a pas encore de lieu, comme le Musée qui

sera établi en 1903, qui permette de prendre des vues de

manière plus élaborée. La photographie représentant les

fragments du Sphinx (CAT 186) est un bon exemple de

photographie prise quelques temps après la découverte. Les

archéologues ont réfléchi à l’aspect physique du Sphinx dès sa

découverte : les différents fragments sont vite remontés. On

remarque que le Sphinx est pris de profil pour permettre à la

photographie de le représenter intégralement, dans l’entièreté

de ses détails. Le cliché CAT 059 de l’emplacement de la

fouille des Trésors, à l’Ouest du Temple, représente la

fouille en cours : on peut voir des ouvriers en plein travail.

Un groupe d’hommes, sur la droite, est en pleine étude

épigraphique. Ils sont penchés sur un bloc et on peut observer

que leur habillement est différent de celui des fouilleurs –

notamment celui du premier plan qui est pieds nus et en

haillons – en effet, ils portent des vestes, des chemises et on

peut même identifier sur le chercheur du milieu des bottes en

132 HOMOLLE, Théophile, « Institut de Correspondance hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 17, 1893, p. 181.

99

cuir. Cette photographie témoigne de l’étude des archéologues

sur le site. En prenant une loupe pour étudier cette

photographie, on peut discerner des inscriptions sur les blocs

du premier plan. Ainsi l’étude se fait directement sur le site,

comme on peut le voir sur le CAT 057. Un élément intéressant

qui émane du fonds photographique est à noter ici, dans le

cadre d’une photographie prise directement sur les sites après

la découverte, mais nous ne nous pencherons pas sur cette

question qui fera l’objet d’une analyse133. Les clichés CAT 133

et CAT 140 représentent des statues entièrement dégagées et

déjà traitées comme matériel archéologique. La photographie CAT

133 montre l’effort que fait le photographe pour avoir des

prises de vues les plus professionnelles possible, malgré les

conditions précaires qu’offre le site de Delphes. Les

archéologues réfléchissent à une manière de représenter au

mieux, le plus scientifiquement possible, ces statues. La mise

en place d’un fond noir, un drap porté à bout de bras par deux

hommes, est ce qui se rapproche le plus d’un studio

photographique. La deuxième photographie est celle d’une statue

d’Apollon Citharède. On observe sur celle-ci que la statue est

référencée ; en effet elle porte la marque « 1876 » sur sa

base. On ne sait pas si elle est située dans son emplacement

d’origine mais elle est posée sur une base plus importante,

certainement pas d’origine.

Les photographies les plus élaborées sont celles qui ne

sont pas effectuées sur la fouille. Elles sont prises dans un

contexte muséal à partir de 1903. Avant cette date, les133 Voir II, C, 1 : « Intervention du photographe dans la mise en scène ».

100

photographies les plus réfléchies – c’est à dire fabriquées

pour mettre en valeur un objet archéologique – sont prises à la

Maison de fouilles ou bien à Athènes lorsque certaines y sont

envoyées. Sur le cliché CAT 126, représentant un décor ionique

du Trésor de Marseille, nous pouvons voir que la photographie

est réfléchie. Les deux fragments ne sont pas placés de manière

véridique, les deux blocs sont placés l’un sur l’autre pour le

cadrage de la photographie. On peut voir un socle pour soutenir

les deux blocs. On voit une attention particulière portée à la

lumière ; cette attention est aussi perceptible sur les

photographies prises sur le site, mais les possibilités

qu’offre la lumière en intérieur sont bien plus importantes. La

lumière est frisante, afin de faire ressortir les reliefs de la

taille. Une photographie de diverses statuettes, CAT 134, est

semblable au cliché étudié précédemment (CAT 126). On remarque

que les statuettes sont prises en intérieur, posées sur des

planches de bois. Le photographe a réfléchi à l’axe de

positionnement de chaque statuette pour exploiter au mieux son

aspect. Ainsi, les statues représentant des corps ou des bustes

humains sont face à la caméra, alors que la tête de cheval est

placée presque de trois-quarts, de façon à mieux rendre compte

de son aspect. On peut noter que les statuettes sont regroupées

pour plus de rapidité et par mesure d’économie. L’Aurige, dont

nous avons étudié la photographie de découverte (CAT 163), est

placé à l’abri des regards, comme nous pouvons le voir sur les

deux clichés à l’entrée CAT 178. L’Aurige est redressé,

réassemblé et placé devant un fond noir à l’intérieur d’une

réserve avant d’être visible au Musée de Delphes. La prise de

101

vue est imparfaite, en effet nous pouvons observer que malgré

l’effort de placer un fond noir pour détourer la statue de

bronze, le champ de la caméra intègre des éléments étrangers à

l’étude. Ces deux prises de vues sont envoyées à l’Académie des

Inscriptions et Belles-Lettres pour les comptes rendus que

Théophile Homolle se devait d’illustrer. Cette planche prouve

le caractère peu conventionnel des envois à l’Académie : les

photographies peuvent être celles de fouilles, imparfaites, et

se doivent de retranscrire la réalité de la fouille. Cette même

statue est photographiée à nouveau dans un cadre muséal. Le

Musée de Delphes est inauguré en 1903134, c’est à dire à la fin

de la Grande Fouille de Delphes. Le cliché CAT 161 montre la

statue de l’Aurige sur son socle de marbre dans le Musée. On

peut d’ailleurs voir, coupé par le cadrage de la photographie,

la patte de l’un des chevaux. Le photographe s’est-il efforcé

d’utiliser au mieux la lumière venant du côté supérieur gauche

pour faire ressortir les plis du chiton ? Nous pouvons

observer, par nos analyses de statues delphiques, que les

photographes de la Grande Fouille de Delphes ne privilégient

pas les plans rapprochés des statues. Ils préfèrent rendre

compte de l’aspect de la statue en entier afin de pouvoir en

faire une analyse plus importante. Ceci peut s’expliquer par le

fait qu’il est plus exceptionnel à la fin du XIXe de prendre

plusieurs photographies d’un même matériel archéologique.

Ainsi, les photographes ne peuvent se permettre de prendre un

134 Le musée est inauguré le 2 mai 1903, dessiné par l’architecte AlbertTournaire (1862 – 1958) et financé par le philanthrope Andréas Syngrós(1830 – 1899). Le premier musée est rudimentaire, ne compte que six sallesoù les œuvres ne sont pas placées de manière thématique ni chronologique.La construction d’un nouveau bâtiment commence en 1935.

102

plan rapproché, ainsi que plusieurs autres vues du même sujet.

Toutefois nous observons que la Colonne des Danseuses est une

exception : en effet, le cliché du CAT 132 représente un plan

rapproché d’une des figures féminines de profil. Les détails de

sa coiffure, mais également ceux de son visage, sont ainsi très

visibles et rendent mieux compte du travail de taille. Cinq

photographies présentes dans notre catalogue nous permettent de

nous intéresser aux clichés d’études, pris après le

conditionnement du matériel et le travail de typologie. En

effet, les épreuves représentant quatre vases à décor

géométrique (CAT 141) et la série de lampes à huile (CAT 142)

ont été prises après une classification effectuée selon leur

fonction et leur aspect. Ces typologies permettent d’étudier

plus rapidement les objets par comparaison, mais on perd toute

information – à moins de les avoir référencés individuellement

– sur leur provenance géographique. Ainsi, la série des lampes

à huile va rassembler toutes les lampes retrouvées sur le site

de Delphes, mais sans inclure à l’étude les différentes strates

(et donc la datation) et les différentes localisations. On ne

peut donc pas savoir si les archéologues ont répertorié les

différentes lampes à huiles avec leurs informations

respectives. La planche de divers objets en bronze (CAT 143) ne

résulte pas d’une typologie fonctionnelle mais d’une typologie

effectuée par type de matériel : ici, le bronze. Ces différents

objets n’ont sans doute rien à voir entre eux mais sont

réunis ; les archéologues peuvent, grâce à ce rassemblement,

observer les différentes techniques du travail du bronze. Les

conventions qui existent aujourd’hui pour la photographie de

103

petits objets (monnaies ou lampes à huile par exemple), que

l’on considère comme « à deux dimensions » et qui sont, comme

tels, photographiés en vue de dessus, étaient déjà mises en

pratique à la fin du siècle dernier. Les archéologues, par la

mise en condition du matériel archéologique, peuvent prendre du

temps à observer et à analyser des détails de décors par

exemple, comme pour le cliché CAT 144 qui représente le décor

d’un morceau de lécythe. Le photographe choisit le plan

rapproché pour traiter au mieux ce tesson de céramique et la

focalisation en est parfaite. Il n’y a pas beaucoup de plans

rapprochés dans le fonds photographique de la Grande Fouille.

En effet, le photographe préfère prendre de la statuaire plutôt

que des objets – bien moins présents dans le fonds - et les

fragments de céramiques ne sont pas au centre des

préoccupations archéologiques de la Grande Fouille. Les

rassemblements de matériel archéologique sur une seule épreuve

prouve le caractère exceptionnel de la photographie et le

besoin de faire des économies. Le petit autel à brûle parfum du

CAT 145 montre bien le besoin de restriction dont fait l’objet

la photographie. Le photographe sépare sa planche de 18 x 24 cm

en demi plaques de 18 x 12 cm. Ces deux clichés ont le même

sujet mais le photographe choisit de montrer deux faces

différentes. On a affaire à un manque de rationalité pour ce

cliché : en effet, l’emploi de l’espace est mauvais ; l’autel

n’est pas assez proche de l’objectif pour permettre un bon

discernement des scènes l’illustrant, en dépit du fait que le

photographe avait séparé sa planche de 18 x 24 cm en vue d’une

étude optimale des différentes scènes. Enfin, le cliché CAT 148

104

illustre le soin accordé à la mise en condition du matériel

archéologique et aux photographies qui en résultent.

L’épigraphie oblige le photographe à se soucier davantage de la

lumière. En effet, aussi bien sur le terrain qu’en atelier, les

auteurs des prises de vues doivent utiliser la lumière frisante

nécessaire à la bonne lecture. Cette photographie CAT 148 est

prise devant un fond sombre, le photographe a très bien utilisé

la lumière mais nous pouvons remarquer que le point de vue est

légèrement trop haut.

En raison de l’incertitude qui règne alors quant aux

frontières entre la figure de l’archéologue et celle du

photographe, l’article d’A. Jacquemin et notre propre étude

relative aux fonctions du photographe sur le chantier

renseignent également sur le mode opératoire des archéologues.

On sait ainsi que l’étude épigraphique était le plus souvent

effectuée à même le site. Pour ce qui est du strict travail de

prise de vue on distingue les trois temps d’A. Jacquemin qui

répondent à des impératifs différents d’utilisation des

clichés. Le premier est une prise en terre au moment de la

découverte. Il est le premier outil pédagogique disponible à

l’envoi à l’Académie ou à l’insertion au Journal de la Grande

Fouille. Le deuxième temps est celui d’un premier nettoyage du

matériel et d’une mise en place rudimentaire, à même le site.

Ces clichés étant destinés à l’étude ou au détourage en vue de

la publication de ceux-ci. Enfin le troisième temps est celui

de l’immortalisation définitive du matériel qui constitue en

quelque sorte la photographie officielle. Elle est effectuée en

105

dehors du site de fouille, dans le musée de Delphes à partir de

1903 et au sein de la maison de fouille antérieurement à la

construction de celui-ci ou encore à Athènes où le matériel est

parfois envoyé.

3. Le choix de témoigner de son expérience : le caractère ethnologique

Hormis les clichés qui nous informent sur les activités de

l’archéologue et du photographe sur le site delphique, on

compte nombre d’entre eux adjacents à la photographie du

matériel ou de l’organisation de la fouille. Il s’agit

d’analyser ces photographies à caractère ethnologique qui

constituent un élargissement supplémentaire à l’étude

delphique. Le fonds photographique de la Grande Fouille de

Delphes présente une spécificité qui fait aujourd’hui sa

renommée. En effet, le grand public s’intéressant de plus en

plus à l’anthropologie, l’étude de l’Homme et de ses multiples

spécificités culturelles est devenue au cours du XXe une

discipline à part entière. Pourtant, lorsque les prises de vues

sont faites pendant la Grande Fouille, les archéologues ne s’en

soucient pas autant. En examinant le fonds, nous remarquons

toutefois un certain intérêt pour la vie des habitants de

Castri, ainsi qu’une volonté d’observation des coutumes

locales. Selon le rapport de G. Réveillac135, les photographies

à caractère ethnographique sont les moins nombreuses du fonds :

ce dernier en dénombre vingt-deux. Il précise cependant qu’on

135 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 15.

106

peut aussi qualifier d’ethnographiques certaines photographies

qui ont pour objet la fouille, ce qui élève le nombre à cent

trois prises de vues ethnographiques. En effet, les

photographies des hommes qui travaillent sur le chantier et qui

révèlent leurs vêtements et leurs outils constituent un

témoignage sociologique, comme les vues du village de Castri,

dont les maisons peuvent intéresser une vision ethnologique et

sociologique. Il n’existe qu’une vue (CAT 037) rapportant un

épisode spécifique de la vie du village : les soldats faisant

évacuer le site lors des émeutes de 1892. C’est la seule

photographie que l’on puisse qualifier d’historique,

puisqu’elle témoigne de l’intervention militaire par la

présence de deux soldats sur le Portique des Athéniens. Peu de

temps après l’ouverture du chantier, le 10 octobre 1892, un

conflit éclate avec la population de Castri qui s’oppose à tout

travail avant le paiement de l’indemnité accordée pour leur

expropriation :

« On eut à réprimer une émeute des habitants : les

chantiers furent envahis, les équipes dispersées, les

déblaiements interrompus. On ne put les reprendre que

l’année suivante, de haute lutte, sous la protection

de la force armée.136 »

Les prises de vues du fonds photographique sont assez

évocatrices de la vie des habitants de Castri, notamment de

leur expropriation illustrée par les vues des maisons du vieux

Castri, puis de celles du nouveau Castri. En effet, l’ancien

136 RADET, Georges, L’histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Paris, Fontemoing,1901, p. 307.

107

village de Castri se situe à l’emplacement de l’actuel site de

Delphes. Les clichés CAT 002 et CAT 003 donnent une idée de

l’ampleur de la perturbation que l’ouverture du chantier de

fouille a provoqué dans la vie de village. En effet, le CAT 002

montre son étendue avant la fouille, et il suffit de comparer

avec des vues plus tardives comme le CAT 020, pour se rendre

compte de l’état de destruction du vieux village. La prise de

vue du CAT 002 a en effet été prise au tout début de

l’ouverture du chantier, sans doute en été 1892 ; on peut voir

au centre du cliché des ouvriers commençant à travailler sur le

chantier de l’Aire. Sur le CAT 003 (dont le visuel n’est

malheureusement pas présent dans notre catalogue), qui

représente comme le CAT 002 une vue du village, on peut

distinguer en bas du cliché une équipe d’ouvriers qui

travaillent sur l’installation des voies Decauville. Les

photographies CAT 005 et CAT 008 sont prises à la même période,

en 1892. L’état des chantiers nous montre qu’il s’agit des

premières démolitions au regard du niveau de la terre. Nous

avons une vue du nouveau village de Castri, CAT 017, qui est

prise de la même manière, de loin. Cette photographie montre

les premières maisons du nouveau village. Ces maisons sont

aujourd’hui plus que centenaires, on remarque qu’elles sont

toutes très proches les unes des autres. De nos jours ces

bâtisses sont au centre du village, qui s’est légèrement étendu

au cours du XXe siècle. Cette vue nous permet d’observer le

développement qui s’est effectué pendant un siècle dans le

village, ainsi que l’environnement naturel du site. Par exemple

sur ce cliché nous pouvons – à l’aide d’une loupe placée dans

108

le fond – voir qu’Itéa n’est qu’un village et que le Parnasse

ne connaît pas encore sa future exploitation de bauxite137.

Quelques clichés permettent d’avoir une idée de la vie très

modeste que connaissaient les castriotes. En effet, la maison

de Castri, sujet de la prise de vue CAT 006, semble miséreuse.

En choisissant à dessein cette maison, le photographe cherche à

donner une impression d’extrême pauvreté. Bien sûr, cette

masure a réellement existé mais en décidant de centrer sa

chambre photographique uniquement sur cette maison en bois, on

peut se demander si le photographe ne cherche pas à en faire

une figure représentative, archétypale de toutes les autres

maisons. Toutefois, sur le même cliché, la maison de droite ne

nous semble pas si délabrée : elle est en pierre. Les autres

vues du village semblent confirmer cette hypothèse car les

maisons sont construites dans des matériaux moins précaires,

plus durables, comme le montre la vue de la Fontaine (CAT 009)

et celle de plusieurs maisons de Castri (CAT 011). On peut voir

que les bâtisses sont faites de pierres, de manière à isoler du

froid pendant l’hiver. En effet, les murs de pierres présentent

une forte inertie, emmagasinant la chaleur intérieure et la

restituant. L’été, l’inertie thermique permet de conserver les

températures fraîches de la nuit tout au long de la journée. On

remarque que les toits des maisons (même la plus miséreuse du

cliché CAT 006) sont couverts par des tuiles. Cette technique

limite les déperditions de la chaleur, grâce à une isolation

continue et durable. Castri se situe en effet dans la montagne,

et il n’est pas rare qu’il neige à cet endroit. Dans une

137 CHASSAING, Monique, « Le complexe industriel d’aluminium de Grèce » dansMéditerranée, volume 7, numéro 4, 1966, pp. 295-311.

109

optique de préservation de la mémoire de l’ancien village, la

photographie joue également un rôle d’importance. Il ne reste

que ces plaques de verres pour conserver la mémoire de l’ancien

village détruit. P. Amandry écrit en 1981 : « Castri a disparu

de la mémoire des vivants : les derniers Delphiens qui avaient

joué dans les rues du village sont morts il y a une dizaine

d’années.138 » Le CAT 009 nous montre l’omniprésence de Delphes

dans le village de Castri : elle représente la fontaine où la

Pythie était censée boire de l’eau de source afin de rendre un

oracle. Elle correspond au numéro 335 du plan Convert139.

L’équipement photographique mis en place sur la Grande Fouille

permet de préserver l’image de ce que les ambitions

archéologiques ont détruit. Les archéologues, par leurs

différents cadastres140, cherchent à garder une trace de ce

vieux Castri. Dans ce cas précis l’utilisation de la

photographie inaugure une discipline archéologique responsable,

même lorsque la destruction est inévitable.

Les plaques de verres représentant l’Église Saint Nicolas

du vieux Castri (CAT 004) et la procession des habitants pour

un mariage (CAT 014) sont deux témoignages de la vie culturelle

des castriotes. La photographie de l’église témoigne surtout de

l’apparence d’un lieu de culte utilisé au XIXe siècle en Grèce.

Cependant, il n’existe pas d’étude approfondie sur ce bâtiment

138 AMANDRY, Pierre, « Chronique delphique » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 105, numéro 2, 1981, p. 747. 139 HOMOLLE, Théophile, « Topographie de Delphes » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 21, 1897, Pl. XIV-XV. 140 HOMOLLE, Théophile, « Topographie de Delphes » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 21, 1897, Plan Convert : Pl XIV-XV et plan Tournaire de1896 : Pl. XVII.

110

ou sur les rites pratiqués. Par exemple, on regrette l’absence

d’indication concernant le lieu de l’espace funéraire. Les

auteurs des prises de vues s’intéressent à la vie quotidienne

des castriotes, mais ne peuvent en faire un sujet d’étude à

part entière. La photographie CAT 014 est l’un des clichés les

plus connus du fonds photographique. Ceci peut s’expliquer par

le fait que le port du costume traditionnel est une des

caractéristiques les plus pittoresques, avec ses chemises

bouffantes et fustanelles (la jupe plissée traditionnelle). À

l’époque de la Grande Fouille, cette photographie n’est jamais

publiée : elle a été prise pour témoigner des coutumes

grecques, mais son sujet ne peut s’intégrer à un discours

scientifique de la fin du XIXe - début XXe. De nos jours, le

grand public raffole de ces vues folkloriques. En effet, les

photographies les plus regardées un siècle plus tard sont

celles qui intègrent des éléments humains, donnant à ces images

un caractère pittoresque. On observe ainsi un intérêt

rétroactif pour ce type de clichés permis par les chambres

photographiques, alors que les traces écrites auraient pu

éluder ce genre d’informations, ne permettant que peu de

renseignements sur des éléments adjacents qui ne font pas

strictement partie du matériel archéologique. Il existe dans le

fonds photographique plus d’une dizaine de clichés où l’on voit

que le photographe s’est particulièrement concentré sur les

figures anonymes des ouvriers du chantier. Si le sujet n’en est

pas essentiellement les ouvriers, sujet trop pauvre pour faire

face aux sujets nobles tels que les vestiges découverts, cette

masse ouvrière permet d’illustrer au mieux la fouille et le

111

labeur accompli. Les auteurs des photographies utilisent les

figures anonymes des ouvriers grecs pour mettre le site en

valeur : par comparaison, ces hommes deviennent dans certains

cas les modèles des photographes. La seule photographie sur

laquelle les ouvriers constituent le sujet principal est le

cliché CAT 013 : il représente les ouvriers sur la terrasse

supérieur du Gymnase. On peut dénombrer un peu plus de quatre

vingt dix ouvriers placés en deux rangées bien distinctes. Le

cliché a été bien pensé, l’auteur de la prise de vue cherche à

montrer le visage de chacun des ouvriers : certains vont donc

se mettre plus loin, sur un tas de terre, afin de surplomber

légèrement l’assistance (sur la droite). Cinq ouvriers grimpent

dans l’arbre central et y prennent la pose : il s’agit donc

d’une photographie peu formelle, et l’on pardonne cette prise

de liberté. Ce cliché peut toutefois être très officiel : il

témoigne de l’étendue du site et de la main d’œuvre. Il peut

très bien avoir été montré à l’École française d’Athènes par

fierté, mais nous ne sommes pas en position de l’affirmer.

Cette plaque de verre se place au début de la tradition de la

photographie de groupe pour commémorer une fouille. On remarque

qu’au premier plan, volontairement excentré sur la gauche, un

petit groupe se démarque de la masse ouvrière, notamment par

leurs vêtements : il s’agit des archéologues de l’École. Ils

sont coiffés de canotiers et habillés de vestons et de nœud

papillons, contrastant beaucoup avec les habits plus simples

des ouvriers. Ces derniers sont habillés de costumes

traditionnels grecs divers. En effet, le monde hellénique

comporte une multitude de styles vestimentaires, que l’on peut

112

qualifier de costumes populaires et traditionnels. Après

l’indépendance de la Grèce141, les habits changent, influencés

par les costumes des villes : on remarque une uniformisation.

Le costume rural subit la même évolution. Les costumes locaux

sont à présent associés aux évènements importants, et cette

photographie en fait partie. On peut voir des ouvriers en

chemises, en plastrons et vestes mais surtout en fustanelles,

celles-ci donnant au cliché un caractère très typique. Sur les

clichés CAT 070, CAT 092, CAT 096 et CAT 123 on peut voir plus

facilement les vêtements des ouvriers de Delphes, composés

principalement de chemises blanches, de plastrons, de

fustanelles mais aussi de pantalons souples en tissu. Le cliché

CAT 092 permet de voir un homme grec en fustanelle assis et

posant dans la tribune centrale du stade. On peut se demander

si le photographe, pour rajouter du cachet à sa prise de vue,

n’a pas choisi cet ouvrier à cause de sa fustanelle. Le

pittoresque du cliché serait fabriqué de toute pièce. Les

autres photographies sur lesquelles il est possible d’observer

les ouvriers de plus près sont celles des découvertes. En

effet, sur les clichés CAT 131, CAT 137 et CAT 163, les

ouvriers sont pris en photographie pour assurer la véracité de

la découverte142. Les archéologues, s’ils prennent les prises de

vue, sont aussi les sujets de quelques photographies. Nous

avons déjà pu analyser143 le cliché CAT 124 représentant T.

Homolle et les autres membres. La photographie représentant les

141 Guerre d’indépendance de la Grèce : 1821-1830. 142 Voir II, B, 2 : « Les trois moments de la prise de vue (le Journal de laGrande Fouille) : témoignage du métier de photographe ? ».143 Voir II, A, 2 : «  Les épreuves photographiques : un témoignage de lafouille en elle-même ».

113

ouvriers (CAT 013), observée ci-dessus, représentait également

les membres. Il existe en autre un autre cliché montrant les

castriotes et quelques archéologues français lors d’une fête à

Castri (CAT 171). Ce cliché représente les membres D.

Brizemur144, J. Laurent145 et le belge J. de Mot146 en evzones au

centre. Ils ont donc fait des efforts d’intégration pendant

cette fête, ou bien tout simplement ont-ils tenté de créer le

cliché le plus pittoresque possible. Comme précédemment

étudié147, le Journal de la Grande Fouille permet de se rendre

compte de la vie quotidienne de chantier à Delphes. Mais ce

journal manuscrit constitue également un témoignage du

bouleversement provoqué par l’archéologie sur un village grec,

ainsi que de la fin d’une civilisation paysanne. Castri devient

en effet progressivement un village d’accueil pour les

touristes.

L’étude des photographies relatives à la fouille de

Delphes nous a permis en premier lieu de préciser les fonctions

de l’archéologue au moment charnière de la fin du XIXe siècle :

lorsque son statut oscille encore entre celui d’explorateur et

celui d’archéologue scientifique dans le sens moderne qu’il

revêt encore aujourd’hui. L’étude des clichés a permis en outre

l’analyse des divers moments de prises de vue du matériel et

renseigne également sur le métier balbutiant de photographe

144 Daniel Brizemur, membre de l’EfA ayant travaillé sur la Nécropole deDelphes (mémoire présenté à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettresen 1901). Voir Ms DELPHES 5-BRI, Institut de France. 145 Joseph Laurent (1870 – 1955). 146 Jean de Mot (1876 - 1918), membre étranger de l’École de 1900 à 1902. 147 Voir II, A, 3 : « Les références aux prises de vue dans le Journal de laGrande Fouille ».

114

scientifique, celui-ci étant encore si fortement rattaché à

celui de l’archéologue que la distinction des deux figures est

parfois impossible en raison du très grand nombre de clichés

anonymes. Enfin, les prises de vue adjacentes au travail

archéologique ont forgé la postérité ethnologique de certaines

photographies. Si celles-ci pouvaient paraître anecdotique au

moment de leur développement, le XXe siècle et son intérêt

prononcé pour l’étude ethnographique leur donnent leurs lettres

de noblesse. Ainsi la photographie sur le chantier delphique

permet-elle la réunion, le syncrétisme, des informations

désormais liées par un seul et même médium.

C) Des prises de vue à la mise en place réfléchie

Il s’agit dès lors d’analyser le trajet des différentes

étapes de la production d’un cliché scientifique, des prises de

vue à la mise en place réfléchie du sujet au sein de son

environnement. La nécessité de la mise en valeur du matériel

archéologique rend l’intervention du photographe nécessaire

dans la production des clichés. Il doit en outre faire face aux

difficultés techniques de l’outil photographique de l’époque ;

face aux déboires des apprentis opérateurs se met en place une

méthode empirique. Enfin, la dernière étape de l’intervention

du photographe a lieu lors des interventions manuelles sur le

cliché développé, en vue de la publication de celui-ci.

1. Intervention du photographe dans la mise en scène

115

Si toute photographie répond à la vision du photographe et

à ses traductions techniques (cadrage, mise au point,

profondeur de champs…), certaines subissent une intervention

plus intrusive de l’opérateur par une réelle volonté de mise en

scène et de mise en valeur du matériel archéologique. En effet,

presque tous les clichés du fonds ont été pris par un

photographe, lequel, par sa seule présence, modifie son sujet.

Par exemple, les hommes fouillant le Trésor des Athéniens se

retournent pour la prise de vue (CAT 226). Ainsi, l’action

d’installer une chambre photographique devant un sujet donné

devient une intervention dans le cadre de la prise de vue. Le

cliché CAT 135, représentant une chambre photographique sur son

pied au milieu des morceaux de la colonne d’Achante à coté des

rails de Decauville, montre la place prise par le matériel

photographique. Bien sûr, le photographe ne peut influer sur le

contexte environnemental du site de Delphes, mais les

photographies de paysages, comme les deux vues du Stade en 1896

(CAT 235), témoignent des exigences techniques de l’opérateur

et des codes de prises de vue associés au genre du paysage.

Selon Gérard Réveillac, la plupart des 637 clichés de

statuaire148 ont été réalisés à l’aide d’un studio

photographique précaire à même le site149. Il ne s’agit pas

d’une infrastructure éphémère construite sur le site, mais de

l’utilisation de quelques éléments qui font office

d’accessoires photographiques. Nous ne connaissons pas les148 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 15.149 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 17.

116

détails des éléments utilisés car ils ne sont pas inclus dans

le cadrage de la prise de vue, toutefois nous pouvons penser

que l’École française d’Athènes achète des accessoires

photographiques comme elle se munit de matériel de plus en plus

perfectionné. Par l’étude des inventaires150, nous pouvons en

effet observer qu’elle se dote d’instruments scientifiques tels

que des graphomètres, tachéomètres, niveaux de collimateur,

goniomètres et microscopes. Le principal accessoire du studio

photographique est un drap noir qui permet de mettre en valeur

le matériel archéologique. Le fonds de tissu sombre vient

isoler l’objet de son contexte afin d’éviter un détourage du

cliché pour la publication, ou au contraire pour le faciliter.

Ce drap noir est visible sur deux clichés (CAT 133 et CAT 139)

où l’on peut voir clairement que le photographe a dressé sa

chambre photographique à même le site. En effet, sur le cliché

CAT 133 nous voyons la statue posée directement sur la terre de

Delphes alors que sur le CAT 139 le chantier et un ouvrier sont

visibles derrière le torse photographié. Le studio

photographique a pour vocation d’isoler les sujets

photographiés, les statues, afin de pouvoir les photographier

dans des contextes plus acceptables. Un des codes de la

photographie archéologique publiée est l’isolement du sujet

afin d’éviter que des éléments extérieurs à l’objet de l’étude

ne viennent en entraver l’examen. Sur le cliché CAT 133 on peut

observer que pour tendre le drap noir, deux hommes se sont

hissés sur des chaises de chaque côté de la statue. Il s’agit

150 « Extrait des pages 10 à 13 du cahier d’inventaire (1892) » dansRÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La « GrandeFouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 13.

117

d’une statue entièrement dégagée et déjà traitée comme du

matériel archéologique. On peut s’interroger sur l’action de la

mise en valeur : les photographies archéologiques sont-elles

prises pour faire valoir le matériel ? En examinant les

photographies prises dans ce contexte de studio photographique,

on remarque qu’essentiellement les sculptures de ronde-bosse151

ont bénéficié de ce traitement. Est-ce parce que la statuaire

doit faire l’objet d’une photographie esthétique et non pas

technique ? En effet, on peut voir une différence de traitement

d’image entre cette série et celle des petits objets152 (CAT

141, CAT 142, CAT 143, CAT 144 et Cat 145). Ces derniers ont

également été pris dans un contexte de studio photographique

mais certainement en intérieur après considération de leur

composition et de l’utilisation de la lumière. Ils semblent

avoir été pris de manière bien plus scientifique, de face ou de

hauteur, sans mise en valeur apparente, si ce n’est pour le

traitement de la lumière. Ainsi, les CAT 133 et CAT 139 peuvent

être considérés comme des photographies esthétiques prises dans

un contexte scientifique et archéologique. L’analyse du CAT

139, représentant la statue de Sisyphe II, issue du monument de

Daochos, permet de nous intéresser à la question de la

réception de la statuaire antique au XIXe siècle. On remarque

que le drap utilisé normalement pour séparer le sujet du fond

du cadrage (comme pour le CAT 133) n’est pas tendu. Le

photographe, en décidant de mettre en scène la statue de

Sisyphe II de cette façon, est motivé par un désir de rattacher

151 RÉVEILLAC, Gérard, « Photographies de la Grande Fouille » dans LaRedécouverte de Delphes, pp. 185. 152 Voir I, A, 2 : « Conditions d’une photographie scientifique ».

118

cette statuaire antique à l’idée que s’en fait la sphère

artistique du XIXe siècle. En effet, les plâtres de sculptures

antiques, une fois exposés à Paris, ont une visée pédagogique

et participent à la formation du goût des artistes153. Par

exemple, l’assemblage en plâtre du sphinx des Naxiens est

exposé au Musée du Louvre comme le montre le CAT 190. La

photographie de la statue de Sisyphe II est une œuvre qui

témoigne de l’importance que prend l’Antiquité au sein des

arts. Il s’agit d’une idée que se fait le XIXe de l’Antiquité,

promue par l’Académie des beaux-arts, avec des canons

spécifiques comme l’importance du nu anatomique. Le torse

faisant l’objet de la prise de vue est éclairé de manière à

mettre en valeur le travail du sculpteur et la beauté d’un

corps nu. Le drap noir n’est pas placé en fond mais il devient

un accessoire photographique. Ce n’est donc pas une

photographie qui s’attache à représenter son objet de la

manière la plus objective possible, sans la ternir d’une vision

personnelle du photographe ou de l’archéologue. Le CAT 139 est

au contraire une photographie qui a été mise en scène afin de

permettre au photographe de montrer sa propre vision de la

statue.

Ainsi, on constate que le premier degré de l’intervention

du photographe réside dans la simple présence de l’opérateur et

de sa chambre photographique ; ils ne passent pas inaperçus

auprès des ouvriers de la grande fouille et modifient ainsi le

153 MEKOUAR, Mouna. – « Étudier ou rêver l’antique : Félix Ravaisson Mollienet la reproduction de la statuaire antique » dans Images Re-vues, Paris, INHA,numéro 1, 2005.

119

cadre par leur changement de posture, tout imprégnés qu’ils

sont de l’intérêt porté à l’appareil. La modification technique

du cadre a lieu à l’aide des accessoires qui permettent de

répondre aux codes de la photographie scientifique : le sujet

est isolé par un drap noir présent sur de nombreux clichés,

particulièrement ceux traitant de sculptures en ronde-bosse. On

a aussi vu que le traitement des clichés de statuaire répondait

également aux conventions en vigueur à la fin du XIXe siècle,

notamment celles véhiculées par l’Académie. Cette intervention,

afin d’assurer la bonne réception des clichés auprès de la

communauté scientifique de l’époque, se fait parfois au prix

d’une objectivité moindre.

2. Rendre compte de l’information : des méthodes empiriques

Dans la même optique, les photographes d’alors établissent

leurs méthodes empiriques afin de réaliser le meilleur cliché

possible. L’étude du rapport réalisé par G. Réveillac nous

informe des difficultés que rencontrent les opérateurs de

l’époque. Le traitement chimique des clichés, tout comme la

mise au point ou le cadrage relèvent encore du défi face à la

nouveauté de l’outil.

L’action de prise de vue sur un chantier a pour volonté

primordiale de capter une information donnée et d’en rendre

compte sur les clichés pris. Les photographes de la Grande

Fouille ne sont pas connus, nous ne pouvons savoir s’il s’agit

d’amateurs ou de professionnels. Les ouvrages comme le manuel

120

de Trutat154 informent l’apprenti opérateur mais l’apprentissage

empirique est indispensable. G. Réveillac, dans son rapport155,

s’intéresse à évaluer la qualité technique d’un certain nombre

de prises de vue : il se charge de classer par critères définis

(comme par exemple « surexposé » ou « netteté insuffisante »)

les 1066 plaques de verres appartenant au fonds photographique

de la Grande Fouille de Delphes. Ici, il ne s’agit pas de

hiérarchiser subjectivement les différentes prises de vue mais

d’observer les difficultés techniques que rencontrent les

opérateurs sur le chantier. Sur les huit critères imposés par

Réveillac, les six premiers critères s’intéressent au rapport

existant entre la prise de vue et le traitement chimique des

clichés. La notion de traitement chimique ne restreint pas

l’étude aux difficultés rencontrées pendant le développement,

mais également à la pose pour la prise de vue. Les deux

derniers critères, quant à eux, sont le résultat de

l’intervention de l’auteur de la prise de vue avant le

traitement : la mise au point et le cadrage.

Critères Nombre de clichés1 Surexposé 2652 Contrasté 2703 Sous-exposé 1254 Doux 35

154 TRUTAT, Eugène, La photographie appliquée à l’archéologie : reproduction des monuments,œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, Paris, Gauthier – Villars, 1879 [135p.].155 RÉVEILLAC, Gérard, « Evaluation qualitative du fonds considéré du pointde vue photographique » dans Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes– La « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 9.

121

5 Voilé 576 Zones de développement 277 Netteté insuffisante 1888 Mauvais cadrage 70

La surexposition des clichés tient de l’apprentissage à tâtons

des opérateurs : ces derniers se fient à leur propre expérience

pour analyser la luminosité pour la prise de vue. Il en est de

même pour les clichés trop contrastés. Par exemple, le CAT 032,

si le sujet est net et reconnaissable (le chantier du Trésor

des Athéniens), la luminosité du ciel n’est pas assez prise en

compte : le détail du contour du flanc de la montagne est noyé

dans le ciel. Le fort contraste sur beaucoup de clichés est

sans doute le résultat de l’emploi de révélateurs dont la

composition favorise de grands écarts de valeur dans l’image

négative. Selon G. Réveillac156, les ouvrages techniques de

cette époque proposent des formules de révélateurs dont le

choix et le dosage des réducteurs peuvent provoquer des images

très contrastées. Les sous-expositions peuvent également

s’expliquer par un manque de maîtrise dans la détermination de

l’exposition. Si elles sont moins nombreuses c’est parce que

les auteurs des prises de vue préféraient alors, par mesure de

sécurité, poser plus longtemps. Un cliché surexposé est, du

moins jusqu’à une certaine limite, tirable alors qu’une forte

sous-exposition rend le cliché inutilisable. Les clichés

« doux » et ceux qui présentent des « zones de développement »

résultent d’un développement trop court. Le manque de netteté156 RÉVEILLAC, Gérard, « Evaluation qualitative du fonds considéré du pointde vue photographique » dans Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes– La « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 10.

122

est l’une des difficultés liées à une mauvaise maîtrise du

matériel photographique mais également à des mouvements non

contrôlés de l’appareil photographique. Selon G. Réveillac, il

y aurait deux clichés totalement flous157 présents dans le fonds

delphique mais le manque d’information les concernant les

rendent insignifiants. Le manque de profondeur de champ est une

des causes principales de netteté insuffisante concernant

certains clichés : si de nos jours les photographes utilisent

beaucoup le « flou artistique » pour mettre en valeur un sujet

spécifique, les photographies à caractère scientifique ne

peuvent se le permettre. Les marches inférieures du cliché CAT

070 ne sont pas assez nettes car l’opérateur s’est concentré

sur l’ouvrier en train de marcher. Dans certains cas, ce sont

les sujets en mouvement qui rendent le cliché flou car la

vitesse d’obturation est trop rapide : c’est le cas du cliché

représentant la découverte de l’Antinoüs. En effet les ouvriers

ont tourné la tête en même temps vers le photographe pendant le

temps de prise de cliché pour le CAT 131. Les boîtes

photographiques à l’époque de la Grande Fouille peuvent être

portées par le photographe mais on remarque sur le CAT 135 que

l’École française a investi dans des chambres à pieds. Le souci

de netteté pour l’exploitation archéologique des clichés oblige

les opérateurs à utiliser des temps de pose certainement plus

longs et c’est pour cela que les pieds sont conseillés sur le

chantier. Les voiles peuvent être soit partiels soit

généralisés et ils peuvent résulter d’un châssis prenant

157 RÉVEILLAC, Gérard, « Evaluation qualitative du fonds considéré du pointde vue photographique » dans Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes– La « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 10.

123

légèrement la lumière du jour avant ou pendant l’exposition de

la prise de vue, mais aussi d’une arrivée de lumière pendant le

développement ou avant le fixage. Enfin, certaines prises de

vue présentent un mauvais cadrage : le sujet ou une partie du

sujet est coupé par le cadre sur un bord ou il est plus ou

moins de travers, ceci étant le résultat d’une mauvaise

appréciation à la visée. On peut citer par exemple le CAT 163,

la découverte de la partie basse du corps de l’Aurige le 28

avril 1896. A moins que la plaque de verre n’ait subi un

recadrage ou un agrandissement, la prise de vue est mal

cadrée : les têtes des ouvriers sont coupées et l’Aurige

n’occupe que le coin inférieur gauche du cliché. L’opérateur,

dans l’excitation de la découverte, n’a probablement pas pu

réfléchir à sa composition : la norme des photographies de

découvertes est de placer le vestige au centre, bien visible,

et de capter l’interaction entre les fouilleurs et leur

découverte. Le classement fait par G. Réveillac permet donc de

se rendre compte du tâtonnement des photographes sur la fouille

par l’observation des difficultés qu’ils ont pu rencontrer. Les

photographies présentes dans notre catalogue ne sont pas un

reflet véridique du fonds dans sa totalité : en effet, il

s’agit des photographies les plus accessibles à la photothèque

de l’École française d’Athènes. Il y a eu un choix esthétique

en amont pour ne pas exposer les mauvaises prises de vue. Par

exemple, nous n’avons pas pu voir les deux photographies floues

dont parle G. Réveillac158. Les photographies trouvées dans les

158 RÉVEILLAC, Gérard, « Evaluation qualitative du fonds considéré du pointde vue photographique » dans Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes– La « Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 10.

124

publications, quant à elles, ont étés choisies pour leur

qualité. Nous pouvons aussi citer la méthode empirique

expérimentée par les photographes concernant l’épigraphie :

même si Trutat159 conseille l’utilisation de la lumière frisante

pour faciliter la lecture de blocs épigraphiques, les

opérateurs ont dû vérifier la technique en se servant de leurs

propres expériences.

Après avoir vérifié l’ampleur des difficultés techniques

rencontrées par les photographes de l’époque, il nous faut

analyser la dernière étape de l’intervention de ceux-ci :

l’ensemble des opérations nécessaires à la publication des

clichés. Bien loin du débat contemporain sur l’utilisation de

la retouche, celle-ci fait d’ores et déjà débat parmi la

communauté photographique d’alors.

3. Intervention manuelle sur le cliché en vue de la publication

Les photographies du fonds de la Grande Fouille de Delphes

subissent des interventions manuelles bénignes qui répondent à

un souci de bonne présentation de l’image publiée, ou du moins

présentée. Les retouches constituent un sujet de discorde entre

les différents utilisateurs de la photographie à la fin du XIXe

siècle ; en effet l’intervention manuelle produit différents

discours selon les photographes : « D’autres photographes

159 TRUTAT, Eugène, « Inscriptions » dans La photographie appliquée à l’archéologie :reproduction des monuments, œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, pp. 75-77.

125

employèrent la retouche avec hésitation, quelquefois même en

s’excusant d’en faire usage160 ».

Généralement, il s’agit de retouches sur les images négatives

quand le format de la plaque de verre est supérieur à 6 x 9 cm.

Sur des plaques inférieures à ce format, les retouches sont

faites sur des agrandissements positifs mais les interventions

se limitent ordinairement au détourage161. Or, s’il n’y a que

très peu de plaques de format 6,5 x 9 cm dans le fonds

delphique162, il n’y a aucune plaque inférieure à ce format :

les retouches auraient donc toutes été faites sur les négatifs.

La lecture de L’art de retoucher les négatifs photographiques163, publié en

1892, apporte des précisions sur la manière de retoucher les

plaques de verres de gélatinobromure d’argent :

« […] il vaut mieux retoucher sur la couche de

gélatine et vernir ensuite le négatif quand cette

retouche est terminée. Tous les portraitistes savent

parfaitement que le travail exécuté de cette manière

est plus agréable, plus rapide, plus fin, et la

retouche est assurément protégée dans les opérations

subséquentes de l’impression des négatifs. De plus,

si elle n’est pas suffisante sur la couche de

160 KLARY, Charles, L’art de retoucher les négatifs photographiques, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1891, p. XII. 161 LAVÉDRINE, Bertrand (sous la dir. de), «  Les négatifs sur support deverre » dans Reconnaître et conserver les photographies anciennes, Paris, CTHS, 2009,pp. 243-263.162 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 4.163 KLARY, Charles, L’art de retoucher les négatifs photographiques, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1891 [86 p.].

126

gélatine, elle peut être complétée sur la couche de

vernis.164 »

Si les photographies étudiées ne sont pas des portraits, il en

est de même pour les retouches : le vernissage du négatif est

très commun. La plus importante des interventions manuelles est

le détourage : il est utilisé très fréquemment en vue des

publications. Cette intervention s’attache à isoler une partie

du cliché : soit le sujet du fond, soit l’élément d’un

ensemble. Nous pouvons observer l’opération du détourage sur le

cliché CAT 225 mais le détail est si précis que nous pouvons

nous demander s’il pourrait s’agir d’une photographie prise en

intérieur sur un fond sombre. Si la deuxième hypothèse est

privilégiée, il n’est pas impossible que pour uniformiser le

fond noir, un opérateur ait pu appliquer de la gouache au

pinceau par exemple. En effet, l’opération du détourage est

faite à la crocéine ou à la gouache. La crocéine est un

colorant utilisé dans le domaine de la photographie165. Ne

pouvant pas observer les plaques de verres de la photothèque de

l’École française d’Athènes, c’est l’analyse de Réveillac166 qui

permet l’étude des retouches sur les plaques de verre du fonds

delphique. Il a constaté la présence de toutes les

interventions manuelles possibles sur un échantillonnage de 128

négatifs sur plaques de verres du fonds photographique de la

Grande Fouille. Il répertorie les différentes interventions

manuelles visibles dans le fonds : il cite bien sûr l’opération

164KLARY, Charles, L’art de retoucher les négatifs photographiques, p. 22.165 VILLAIN, A., « Procédé de photo-teinture » dans Paris-Photographe, Paris,Office général de Photographie, Num. 7, 1892, p. 292.166 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 11.

127

du détourage, mais également des retouches au crayon et des

repiques. Les retouches au crayon sont utilisées pour combler

les ombres trop fortes ou cacher les détails indésirables

présents sur la photographie. Selon le manuel de l’artiste

photographe C. Klary (1837 – 19.. ?), le choix du type de

crayon pour cette opération est primordial :

« Le retoucheur de négatifs doit prendre le plus

grand soin dans le choix de ses crayons. Ceci est

jusqu’à un certain point une difficulté, car peu de

fabricants produisent des mines de plomb d’une

qualité uniforme. Les crayons dont on se sert pour

retoucher doivent être d’une fabrication très fine et

très serrée, bien montés et absolument dénués de

grains.167 »

La précision est essentielle pour les retouches car il ne doit

pas y avoir de traces visibles sur la photographie positive

afin de ne pas gêner le lecteur. La troisième opération de

retouche est l’opération de la repique. Il s’agit de cacher les

traces occasionnées par les poussières sur les surfaces

sensibles à l’aide d’une gouache plus ou moins diluée. Les

opérateurs peuvent utiliser de la crocéine ou de l’encre rouge

inactinique (une encre qui n’agit pas sur le négatif sensible).

Ils appliquent leur solution dans les blancs, appelés piqûres,

provoquées par le dépôt de poussière avant le développement de

la plaque. En effet, la spécificité du procédé au

gélatinobromure d’argent est de pouvoir être traité un certain

temps après la prise de vue. Or, sur un chantier archéologique,

la poussière est très fréquente et il n’est donc pas rare167 KLARY, Charles, L’art de retoucher les négatifs photographiques, pp. 3-4.

128

qu’une plaque subisse des altérations provoquées par la

poussière. Ces différentes interventions sur les plaques

négatives sont faites en vue d’une publication et on peut

penser que certaines retouches ont été faites dans le

laboratoire qui se chargeait de la publication de ces mêmes

clichés. Mais il n’y a aucune mention de tels services sur les

factures de ces studios photographiques. Selon G. Réveillac,

certaines de ces retouches [sont manifestement l’œuvre de

personnes peu qualifiées pour faire ce genre de travail]168, ce

qui nous amène à penser que pour certains cas, ces retouches

ont été faites pendant le développement, sur le site de Delphes

ou à l’École française d’Athènes.

La question de la retouche peut nous amener à nous

questionner sur le statut du recadrage : s’agit-il d’une

retouche ? Il est ainsi question d’une intervention manuelle

sur le cliché tiré. Par exemple, on peut voir que les deux

volumes de Fouilles de Delphes169 utilisant le même cliché

représentant le Sphinx des Naxiens ne l’ont pas publié sous le

même format : le format du CAT 186 est bien plus rectangulaire

que celui du CAT 234. Les opérations d’agrandissement

appartiennent au même groupe d’interventions manuelles que les

recadrages. Ainsi, le CAT 182, représentant l’ « Apollon A »

(Biton) et publié en 1909, est un agrandissement du cliché CAT

138. La perte de qualité n’est pas une résultante de168 RÉVEILLAC, Gérard, Le fonds photographique ancien de l’école Française d’Athènes – La« Grande Fouille » de Delphes (1892 – 1903), p. 11.169 Le CAT 234  est visible dans AMANDRY, Pierre, La Colonne des Naxiens et lePortique des Athéniens dans Fouilles de Delphes, 153, fig.2, Pl. II. ; et le CAT 186est issu de : HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îlesdans Fouilles de Delphes, 1909, p. 41, fig. 16.

129

l’agrandissement mais plutôt du procédé photomécanique mis en

place pour la publication. On voit que c’est la statue en elle-

même qui est mise en lumière alors que son environnement de

découverte est coupé. Il en est de même pour la publication du

cliché représentant la découverte du 28 mai 1894 (CAT 137) : le

contexte de découverte est minimisé dans l’agrandissement

publié (CAT 183). En revanche, on peut noter que cet

agrandissement ne centre pas son image sur la statue mais

plutôt sur le dialogue des regards entre les archéologues et la

statue.

On a ainsi étudié les multiples applications de la

photographie sur la Grande Fouille de Delphes, notamment à

travers ses fonctions de cristallisation et de témoignage de

l'organisation et des réalisations du chantier. La présence et

l'influence de l'outil photographique a été mesuré tant par la

fréquence des références aux prises de vue au sein du Journal

de la Grande Fouille que par son intérêt pour l'étude

ethnologique contemporaine. Il a enfin été question de

l'intervention de l'opérateur en amont du cliché et une fois

son développement réalisé. Aussi notre développement precedent

a-t-il abordé les différents traitements appliqués aux clichés

en vue de leur publication. C'est que l'exploitation de la

photographie au sein des publications scientifiques ayant trait

à Delphes se présente comme la deuxième vie des clichés et

forme le leg sur lequel la présente étude prend appui. Il

s'agit désormais d'étudier les résonances contemporaines à la

fouille et celles, actuelles des photographies delphiques dans

130

la communauté scientifique. Quels sont les ouvrages ayant

garanti l'impact des clichés à l'époque, au cours du XXe siècle

et actuellement ? Quels en ont été les ressorts ? 

III. L’édition, un développement pour la photographie

A) L’exploitation de la photographie dans les publicationsscientifiques : l’illustration dans le BCH, CRAI et Les fouilles de Delphes

Les prises de vue ne sauraient se limiter à la fonction

représentative et médiatrice qu'elles assurent entre le lieu du

chantier et le foyer scientifique dont l'Académie est le

centre. Au delà des échanges entre archéologues et

institutions, la photographie va cristalliser les

représentations de la Grande Fouille, notamment au sein des

publications scientifiques telles que le BCH, le CRAI ou encore

Les Fouilles de Delphes. 

1. Utilité et fonctions

Pour un chercheur, publier est la concrétisation d’un

travail, l’aboutissement logique d’une recherche : c’est en

effet la proposition d’un état des connaissances sur un sujet

précis à un moment donné. Publier est avant tout un acte de

communication qui suppose un rapport entre celui qui publie, ce

131

rapport prenant la forme d’un message ou d’un enseignement, et

le lecteur, le receveur de l’information. L’image propose au

regard du lecteur une série d’informations ayant pour but de

servir le discours écrit par l’archéologue chercheur.

L’illustration dans les publications scientifiques vient

répondre à une nécessité de représentation des sujets étudiés.

Ce n’est pourtant pas la seule fonction des photographies

exploitées dans les volumes. Premièrement, la traduction

dimensionnelle des objets est la fonction principale en ce qui

concerne l’exploitation de la photographie dans ce contexte :

il s’agit de montrer l’objet étudié. C’est une proposition de

prise de contact visuel avec ce dernier. À l’époque de la

Grande Fouille, la photographie est considérée comme la preuve

de l’existence de ce qu’elle représente. Deuxièmement,

l’utilité de ces photographies publiées consiste à éclairer et

à conforter le discours du chercheur. En effet, bien qu’elle

puisse être considérée comme un argument d’autorité, la

technique photographique devient l’appui visuel d’une

démonstration, devenant la preuve de la véracité de cette

dernière. Ainsi l’illustration dans des publications peut-elle

aider à rendre le texte plus agréable à lire. Nous pouvons

citer les mots d’un dessinateur et graveur du XIXe siècle,

Jules Adeline, qui constate que les impressions d’images

« séduisent au premier coup d’œil et forcent l’attention des

plus distraits170 ». Enfin, l’utilisation des photographies dans

ce contexte de publication permet au lecteur de s’interroger

170 ADELINE, Jules, Les Arts de la reproduction vulgarisés, Paris, Librairie-Imprimerieréunis, 1894 [p. 305].

132

lui-même sur l’objet, même si le discours le condamne à ne se

concentrer que sur une des dimensions qu’elle apporte. Il est

important de noter que les photographies qui apparaissent sur

une publication sont le résultat d’un choix spécifique : en

effet ce dernier répond aux prérogatives des démonstrations du

chercheur. Par exemple, T. Reinach, dans son article « La

musique des hymnes de Delphes171 » publie une héliogravure des

blocs épigraphiques (CAT 172), mais également des

retranscriptions et des études musicales172. Si la publication

des fragments photographiés ne sert pas le discours

scientifique, elle permet à Reinach de présenter l’objet

d’étude au lecteur. La photographie apparaît dans le Bulletin de

Correspondance Hellénique en 1878, alors que le bulletin n’est

édité que depuis 1877. Les techniques d’impression permettaient

de les diffuser, bien que, pour une raison inconnue, la

première année ne compte pas de photographies publiées, mais

uniquement des dessins et des gravures. Le Bulletin de

Correspondance Hellénique compte en moyenne une quinzaine de

planches jusqu’à l’apparition de la similigravure en 1895 et

près de 80 photographies publiées en moyenne par tome ensuite.

On remarque cependant que la rédaction du bulletin choisit de

poursuivre de façon très circonstanciée la parution de planches

en héliographie pour les objets les plus précieux. Cette

politique est d’ailleurs compréhensible lorsque l’on examine

d’un œil critique les premières publications en similigravure

171 REINACH, Théodore, « La musique des hymnes de Delphes » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 17, 1893, pp. 584-610. 172 REINACH, Théodore, « La musique des hymnes de Delphes » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 17, 1893, p. 591. : « Le ton phrygiendiatonique ».

133

qui ne devaient certainement pas donner entière satisfaction au

Comité de Rédaction. On peut citer un article de Louis Couve

dans le premier volume du Bulletin où est utilisé le procédé

(le volume 19 de 1895). Il n’y a pas d’articles traitant de

Delphes utilisant la similigravure dans ce volume et c’est

pourquoi nous renvoyons à l’article « Fouilles à Délos173 ». La

figure 1174, représentant quatre petits masques de stuc, est

reproduite dans le texte grâce à la technique de la

similigravure. Une baisse de qualité importante résulte de

cette reproduction en demi-teintes par une série de points en

relief régulièrement espacés : le tramage de la photographie

peut déformer l’image si par exemple elle est trop agrandie.

L’étude de l’illustration dans le Bulletin de Correspondance Hellénique

nous permet de nous pencher sur la question de l’utilisation de

la photographie dans la publication en rapport avec la Grande

Fouille de Delphes. On remarque qu’Homolle, responsable du

chantier de Delphes mais aussi Directeur de l’École française

d’Athènes, ainsi que les autres membres de rédaction comme

Emile Bourguet ou Louis Couve, utilisent très vite la

photographie pour illustrer les articles, parallèlement au

dessin. Les premiers articles concernant Delphes apparaissent

en 1893 dans le BCH et constituent une dizaine d’articles par

volume jusqu'à la fin de la Grande Fouille. Le Bulletin a pour

vocation de publier le rapport d’activité de l’École française

d’Athènes par des chroniques de fouilles, mais aussi par les

travaux des membres et anciens membres de l’École. Delphes, par

173 COUVE, Louis, « Fouilles à Délos » dans Bulletin de correspondance hellénique,volume 19, 1895, pp. 460-519. 174 COUVE, Louis, « Fouilles à Délos » dans Bulletin de correspondance hellénique,volume 19, 1895, Figure 1, Stucs de Délos, p. 473.

134

son importance au sein de l’École, tient une place primordiale

dans les BCH de l’époque. En analysant le contenu des articles

concernant la Grande Fouille, on remarque que la plupart sont

des analyses épigraphiques. Ceci s’explique par le large corpus

d’inscriptions que présente Delphes au grand bonheur des

épigraphistes comme L. Couve et E. Bourguet175. Ces articles ne

présentent que rarement des photographies publiées : la copie

des inscriptions permet d’étudier plus lisiblement le texte. La

retranscription reste une étude subjective en elle-même et

peut changer considérablement selon le chercheur. Les

archéologues en sont pleinement conscients mais ils ne peuvent

se permettre de n’utiliser que des clichés publiés car la

mauvaise qualité de ces derniers en rend la lecture extrêmement

difficile. Ainsi, dans « La musique des hymnes de Delphes176 »,

la retranscription de Couve a attiré les suspicions de Reinach

alors que les estampages et photographies confirmaient la

véracité de sa lecture :

« L’introduction dans la mélodie d’une note étrangère

[…] est un fait nouveau, si nouveau qu’avant d’avoir

dans les mains les photographies et les estampages,

j’avais hésité à y croire […] ; le témoignage des

documents, qu’on a sous les yeux, ne laisse aucun

doute sur l’exactitude de la lecture de M. Couve177 ».

La photographie peut être sujette à controverse car sans

éclairage adapté au bloc épigraphique, ce dernier peut se175 E. Bourguet devient par la suite Directeur d’études pour l’épigraphie etles institutions grecques à l’École Pratique des Hautes Études. 176 REINACH, Théodore, « La musique des hymnes de Delphes » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 17, 1893, pp. 584-610. 177 REINACH, Théodore, « La musique des hymnes de Delphes » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 17, 1893, p. 599.

135

révéler illisible ou presque178. Par exemple, Émile Bourguet ne

peut joindre de photographies à son étude « Inscription de

Delphes179 » : « Il a été impossible de faire reproduire

mécaniquement l’inscription II ; la surface en est devenue

tellement lisse et les lettres, surtout dans la moitié droite,

sont si effacées, que ni l’estampage ni la photographie n’ont

donné de résultat180 ». Les archéologues chercheurs reçoivent

des photographies imprimées pour alimenter la documentation

destinée à la rédaction de leurs articles ; plus tard, pour la

publication, elles peuvent être associées aux articles en étant

reproduites dans les planches hors-texte. Si le chercheur n’a

pu examiner son matériel de visu et que, par conséquent, son

travail repose sur son impossibilité de l’étudier sans

photographie, sa documentation est très souvent publiée avec

l’article. Par exemple, Henri Weil avec son article « Nouveaux

fragments d’hymnes accompagnés de notes de musique181 », n’a pu

se rendre à Delphes pour examiner les blocs. En expliquant sa

manière de procéder quant à l’analyse de ces hymnes, Weil

écrit : « Après avoir travaillé sur des copies faites par deux

membres de l’École, M.M. Couve et Bourguet nous avons reçu

quelques rectifications, en partie prévues, de M. Homolle, et

enfin des photographies, qui reproduisent assez exactement

l’état des pierres182 ». Ces photographies sont reproduites en178 Voir II, C, 2 : « Rendre compte de l’information ».179 BOURGUET, Émile, « Inscription de Delphes [deux comptes du conseil etdes ΝΑΟΠΟΙΟΙ] » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 20, 1896, pp. 197– 241.180 BOURGUET, Émile, « Inscription de Delphes [deux comptes du conseil etdes ΝΑΟΠΟΙΟΙ] » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 20, 1896, p. 198.181 WEIL, Henri, « Nouveaux fragments d’hymnes accompagnés de notes demusique » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 17, 1893, pp. 569 – 583.182 WEIL, Henri, « Nouveaux fragments d’hymnes accompagnés de notes demusique » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 17, 1893, p. 569.

136

héliogravures à la fin de l’ouvrage. Elles permettent à Weil

d’analyser plastiquement l’objet : « L’inspection des

photographies fournit un indice matériel de la cohérence des

deux fragments183 ». Si les photographies permettent aux

chercheurs d’étudier le matériel archéologique, elles peuvent

aussi leur permettre de s’en servir comme preuves parlantes.

Par exemple, Reinach utilise cette véracité absolue dont fait

l’objet la photographie pour ne pas préciser son discours :

« Cette cantilène (…) se compose, dans son état

actuel des deux grands blocs A et B (planches XXI et

XXIbis), qui font partie du même ensemble : on ne peut

guère conserver de doute à cet égard en présence des

estampages et des photographies184 ».

La planche XXIbis est reproduite dans notre catalogue à l’entrée

CAT 172. Plus tard, Reinach utilise à nouveau la photographie

pour produire un argument d’autorité mais prévient le lecteur

quant à la nature de son argument, lequel n’apporte pas de

preuves exogènes à la photographie : « Chose grave, je dois

demander au lecteur, dans plusieurs cas, de me croire sur

parole ou de préférer mon témoignage, fondé à la fois sur

l’étude de l’estampage et sur celle de photographies directes,

aux indications de l’héliogravure, exécutée d’après l’estampage

seul185 ». La publication archéologique associe deux moyens

d’expressions : la photographie et le dessin, lesquels

deviennent rivaux. En effet, le dessin est progressivement183 WEIL, Henri, « Nouveaux fragments d’hymnes accompagnés de notes demusique » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 17, 1893, p. 571. 184 REINACH, Théodore, « La musique des hymnes de Delphes » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 17, 1893, p. 585. 185 REINACH, Théodore, « La musique du nouvel hymne de Delphes » dans Bulletinde correspondance hellénique, volume 18, 1894, p. 364.

137

remplacé par la photographie. Le dessin est toujours présent

dans le BCH mais cette technique n’est utilisée que

sporadiquement dans les publications. En revanche, les relevés

d’inscriptions et les plans sont toujours effectués par la

technique du dessin. On peut citer le Plan du village de

Castri-Delphes au début de la Grande Fouille publié pour

l’article « Topographie de Delphes186 » en 1897. Le plan187 est

dessiné par H. Convert à l’encre noire, rouge et bleue sur

papier, il mesure 90 x 61 cm. Le plan cadastral à l’échelle

1/1000 reproduit les parcelles construites et non construites,

les quelques restes antiques et les résultats des fouilles

antérieures. Le tracé des fouilles des voies Decauville y est

également matérialisé. Le plan est daté d’octobre 1892. Nous

pouvons noter la présence dans le fonds photographique de

Delphes d’une série de clichés représentés ici en CAT 168, CAT

169 et CAT 170 et ayant pour sujets différents plans de

Delphes, pris par Tournaire en 1893 et 1894188. Ils ont dû faire

l’objet de prises de vue afin d’être transportés plus

facilement.

Ainsi la photographie devient le support privilégié de la

véracité scientifique des découvertes et des recherches qui y

sont associées dans les publications archéologiques en général,

et à fortiori dans celles de Delphes qui correspondent au

moment d’intégration et d’essor de l’image dans les articles

186 Homolle, Théophile, « Topographie de Delphes » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 21, 1897, pp. 256-420, Pl XIV-XV. 187 CONVERT, Henri, Plans et dessins, Legs Tournaire, numéro 15262, EfA.188 Homolle, Théophile, « Topographie de Delphes » dans Bulletin de correspondancehellénique, volume 21, 1897, Pl. XVI.

138

scientifiques. La photographie supplante peu à peu le dessin

ou amène dans certain cas la collaboration des deux techniques

grâce à son avantage en gain de temps et en lisibilité. Cette

intégration de la photographie épouse le mouvement de

scientifisation des publications au XIXe siècle. Celles-ci

incorporent à leur discours de plus en plus d’éléments

techniques et la photographie vient renforcer cette dimension.

Dans le cas de l’épigraphie, la photographie ne sert pas

directement de support de lecture puisqu’on lui préfère le plus

souvent la retranscription du texte. Elle permet en revanche

d’authentifier celle-ci et s’inclut rapidement aux techniques

utilisées par l’épigraphiste aux côtés de l’estampage et du

charbonnage. Ainsi le BCH n’échappe-t-il pas au mouvement

global qui renforce la place qu’occupe la photographie dans les

publications scientifiques de la fin du XIXe.

2. L’image et le texte : la question des légendes et commentaires

L’intégration massive de la photographie aux publications

introduit également la problématique d’une cohabitation de

l’image et du texte. La mise en page devient une nouvelle

contrainte à laquelle les archéologues sont confrontés. La

bonne intégration des illustrations dans un discours est

primordiale pour ces scientifiques, et la publication des

clichés de la Grande Fouille prend une place de plus en plus

importante face aux dessins. L’image et le texte peuvent avoir

deux articulations différentes dans les revues scientifiques.

139

En effet, le premier cas de figure est l’utilisation de

planches en hors-texte : toutes les illustrations sont

concentrées à la fin de l’ouvrage. L’avantage premier est la

simplification de la mise en page et l’économie de

l’impression. En effet, les demi-teintes exigent généralement

une meilleure qualité de papier. Par exemple, les planches

représentant l’Aurige (CAT 179 et CAT 180) permettent à la

photographie d’être imprimée de la meilleure qualité possible,

ainsi qu’en grand format.

La deuxième manière consiste à intégrer les illustrations dans

le texte, ce qui rend l’ouvrage plus agréable à lire et plus

vivant. Le lecteur peut juger des objets décrits sans avoir à

se reporter constamment à la fin de l’ouvrage ou à des tomes

annexes. La lecture peut se dérouler sans que ne se rompe le

lien de compréhension entre le texte et l’image. La

similigravure va permettre l’intégration des images dans le

texte et non plus en annexe comme il en était coutume avec les

héliogravures.

L’image, pour pouvoir être comprise parfaitement, a besoin

d’être accompagnée de renseignements complémentaires car il y

a, entre le créateur de l’image et ses utilisateurs, une

rupture de compréhension189. Ce sont les informations

complémentaires à l’image qui vont établir ou orienter cette

compréhension. Ces ruptures de compréhension sont d’autant plus

importantes que les prises de vue n’ont pas été effectuées par

l’archéologue produisant un discours sur l’objet. Dans le cas

189 FOLLIOT, Philippe, RÉVEILLAC, et Gérard CHÉNÉ, Antoine, De la photographie enarchéologie, Aix, Université d’Aix – Marseille, 1986, p. 389.

140

de la Grande Fouille de Delphes, les archéologues et les

photographes semblent avoir collaboré ensemble, quand il ne

s’agissait pas d’une seule et même personne. Néanmoins, même

pour le commentaire le plus simple sur l’image d’un objet

photographié, il peut y avoir, de la part de celui qui regarde

la photographie, des degrés très divers de compréhension. C’est

pour une homogénéité de la reconnaissance de l’objet que des

commentaires accompagnent le plus souvent la photographie

publiée. Nous savons qu’au moment de la prise de vue sont notés

un certain nombre de renseignements sommaires, informations

nécessaires à une compréhension minimum de l’objet

photographié. Ces commentaires sont publiés dans le but de

permettre au chercheur d’effectuer une remise en situation une

fois le chantier terminé. Ainsi la photographie ne saurait se

suffire à elle-même. Par exemple, le samedi 4 août 1894, le

rédacteur du Journal de Fouille écrit :

« À l’E des offrandes de Gélon, le mur de mauvaise

époque qui vient perpendiculairement à la ligne du

pilastre et de la colonne trouvés le 30 juillet, et

qui empêche de dégager l’autre colonne (ou les autres

colonnes) qui peuvent faire suite à celle là, doit

être bientôt démoli. Il a été photographié

aujourd’hui.190 »

Bourguet écrit quelques informations importantes concernant ce

mur afin d’exploiter au mieux la prise de vue une fois

développée. Si les notes n’ont pas été inscrites spécifiquement

pour documenter la photographie, elles deviennent associées

l’une a l’autre. Dans le cas de l’archéologie, il est190 Journal de la Grande Fouille (1892-1902), p. 219.

141

primordial que l’archéologue, dans ses notes, relie les

références de la photographie avec d’autres éléments tels que

des dessins, des relevés topographiques et le rapport écrit du

travail de la journée. Les informations collectées sur le

terrain sont propres à chaque matériel découvert mais aussi à

l’archéologue. Il suffit de nous référer au Journal de la

Grande Fouille pour voir que les styles narratifs des

différents archéologues ne nous apportent pas les mêmes

informations. L’intérêt particulier que portent E. Bourguet et

L. Couve à l’épigraphie explique les mentions plus ou moins

détaillées des inscriptions. Ces informations peuvent donc être

très variées et intégrer une description sommaire de l’objet,

ses mesures, sa matière, son état de conservation, le lieu de

découverte, une précision sur la fouille, une datation de la

prise de vue… En revanche on peut observer qu’il n’y a pas de

numéros d’enregistrements de musées ou d’inventaires présents

dans les informations complémentaires. Par exemple, les clichés

CAT 192 et CAT 223 ont été pris dans le musée de Delphes et

intègrent cette information dans leurs légendes respectives :

« La colonne du sphinx restaurée, dans le Musée de Delphes –

d’après la photographie (n 24760) et avec l’autorisation de

MM. Alinari frères191 » et « Caryatide du Trésor de Siphnos

(Restauration en plâtre ; Musée de Delphes)192 ». Les auteurs

éclairent le lecteur sur le fait que les photographies ont été

prises en intérieur par la mention du lieu de la prise de vue.

En revanche, les photographies du sphinx (CAT 187 et CAT 191),

191 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 49, fig. 23.192 PICARD, Charles, Art archaïque (suite) : Les Trésors « ioniques » dans Fouilles de Delphes,1927, p. 27, fig. 33.

142

sûrement prises dans le Musée de Delphes, ont êtes détourées et

ne nécessitent pas d’informations complémentaires sur le lieu

de la prise de vue. Leurs légendes se contentent d’une

description très succincte de la photographie, respectivement :

« La tête du sphinx, de face, de profil et de profil perdu193 »

et « La tête du sphinx, vue par derrière194 ». C’est

l’orientation de la prise de vue qui est jugée importante de

citer pour la statue, afin de permettre aux lecteurs d’en faire

virtuellement le tour. Les indications d’ordre technique

varient en fonction de l’image et de son photographe, mais

également de l’archéologue qui l’utilise pour son discours.

Cependant c’est généralement la fonction ou la nature de

l’objet photographié qui est citée. Plus rarement apparaît le

contexte dans les commentaires de l’image. Les légendes ont

pour fonction de renseigner le lecteur sur l’illustration et

présente donc les informations les plus pertinentes concernant

cette image. Il ne s’agit pas d’indications sur la photographie

mais sur l’objet quelle représente, ce qui prouve qu’elle n’est

pas reconnue par elle-même et qu’elle n’existe que pour les

œuvres qu’elle représente. Pour certaines photographies

reproduites, il a été jugé important de placer une indication

de mesure pour rapporter l’aspect véritable de la photographie.

Sur les photographies publiées CAT 193, la base de

l’ « Apollon », CAT 197, les cuisses d’un Apollon archaïque et

enfin le CAT 198, représentant le torse d’ « Apollon », une

échelle a été faite. Concernant le CAT 193 l’échelle a été

193 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 42, fig. 17. 194 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 46, fig. 22.

143

représentée graphiquement par un trait gradué exprimant la

longueur de la base, alors que pour les CAT 193 et CAT 197

l’échelle est indiquée par le rapport entre la longueur réelle

et sa représentation sur la photographie, obligeant le lecteur

à mesurer par lui-même. Mais sans même mesurer, l’indication

d’une échelle permet de donner une idée de la longueur réelle

de la statue. On peut noter que si la photographie bénéficie

d’une confiance absolue à la fin du XIXe siècle, les

scientifiques inventent des moyens alternatifs afin de pallier

le défaut d’échelle sur la photographie du matériel

archéologique.

On accorde un degré de confiance infini à la photographie

car elle est reçue comme une représentation du réel. Il demeure

important de noter qu’une même photographie peut être lue très

différemment selon la légende qui l’accompagne. En effet, les

commentaires mettent l’accent sur un aspect spécifique de

l’image et en imposent une lecture particulière. Cette lecture

monopolise l’attention de l’observateur et ferme la porte à

d’autres lectures possibles. Si la photographie n’est jamais

remise en question à la fin du XIXe c’est parce que les moyens

de modification ne sont pas encore apparus – ou du moins ne

sont pas généralisés. Les seules interventions qu’utilisent les

photographes sont des retouches bénignes pour améliorer la

lecture de l’image195. Mais les images en elles-mêmes, comme

nous l’avons vu précédemment196, peuvent être des constructions

195 Voir II, C, 3 : « Intervention manuelle sur le cliché : en vue de lapublication ».196 Voir II, C, 1 : « Intervention du photographe dans la mise en scène ».

144

factices. Dans ce cas, c’est uniquement le texte accompagnant

les photographies qui pourra rétablir la vérité ou du moins

mentionner qu’il s’agit d’une construction de l’image. Par

exemple, la photographie CAT 123 représente un ouvrier fixant

un mur. Les différentes légendes inscrites sur le souple (fait

d’après la plaque de verre) conservé à l’École française

d’Athènes ne nous permet pas de localiser le lieu de la prise

de vue : plusieurs annotations barrées prouvent cette

incertitude : « Stade », « Fontaine », « Themenos de Neoptolème

( ??) » et « mur de la terrasse du fond ». C’est en raison du

manque de certitude des informations accompagnant ce cliché

qu’il n’a pas été publié, alors que la dernière légende

inscrite sur le souple le dote d’une anecdote très

intéressante : « Ouvrier analphabète faisant semblant de lire

une inscription sur un mur épigraphe ». Cette légende met en

lumière un aspect de la photographie qu’il n’aurait pas été

possible de connaître sans cette mention manuscrite. Il est

impossible de savoir qui a écrit ce commentaire : un archiviste

de l’École ? Le photographe ? Le fait que les autres

informations contenues sur le souple sont très incertaines

s’explique probablement par le fait qu’il doit s’agir d’une

personne étrangère à la Grande Fouille. En conclusion, on peut

dire que cette légende permet de déterminer un certain axe de

lecture, celui de la mise en scène et d’une volonté de

construction de l’information par les images.

La légende devient rapidement inséparable de la

photographie : il n’y a presque pas de photographies non

145

légendées dans les publications scientifiques. En effet,

l’objectif avoué de l’intégration de la photographie dans les

publications est de servir le texte. Il faut dans ce cas que la

photographie puisse être la plus lisible possible. Ainsi, les

légendes servent tout autant le discours scientifique. Si les

scientifiques cherchent à lui donner une consistance

scientifique, on remarque que les légendes ne sont pas

homogènes. Certaines ont pour fonction de décrire l’objet alors

que d’autres orientent la vision du lecteur. Par exemple, pour

le cliché publié de l’ « Apollon » (CAT 196), on remarque que

la légende, « Apollon » attribué à l’atelier de Chios »197 se

concentre sur l’attribution de l’objet étudié plutôt que sur

une autre caractéristique. Le discours d’Homolle sur la statue

donne d’autres informations qui auraient pu figurer dans la

légende, comme par exemple l’ars. Les légendes accompagnant les

photographies publiées peuvent préciser la nature de l’image.

Ainsi, le CAT 224 a pour légende, dans le volume des Fouilles de

Delphes sur l’Art archaïque198 : « trouvailles du 25 juin 1901 à

Marmaria (d’après une photographie ancienne) ». Cela implique

donc que la nature de l’image a changé et que la photographie

ancienne a donné naissance à cette image grâce à quelques

transformations. Les numéros se référant à chacun des blocs ont

été notés pour en faciliter la lecture et nous pouvons donc en

déduire qu’en vue de la publication, l’ancienne photographie a

fait l’objet d’un détourage. Cette image publiée n’ayant plus

l’apparence de la photographie originelle, il a été jugé

197 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque de Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 58, fig. 28.198 LA COSTE-MESSELIÈRE, Pierre de et PICARD, Charles, Art archaïque (fin) :Sculptures de temples dans Fouilles de Delphes, 1928, p. 7, fig,2.

146

important de le signaler dans la légende. Pourtant toutes les

légendes ne signalent pas les évolutions qui affectent les

photographies de la Grande Fouille. Par exemple les deux

gravures publiées par Théophile Homolle ne signalent pas

qu’elles ont été faites d’après photographies (CAT 185 et CAT

189). En effet, les légendes sont respectivement : « Vue du

trésor de Sicyone, prise de l’Est, en 1894199 » et « Le socle,

tel qu’il fut découvert en 1893, sur des terres rapportées et

avec un tambour de hasard200 ». On remarque une volonté

scientifique pour la première légende, reprenant les

informations d’identification de l’objet d’étude, alors que la

légende du CAT 189 n’est pas conforme aux légendes de revues

scientifiques. En effet, le contexte de découverte n’apparaît

que très rarement dans ces textes et encore moins dans les

légendes d’illustrations. On peut penser que si cette légende

anecdotique a pu être publiée, c’est parce que, sur la même

page201, figure une photographie (CAT 188) du même socle avec

une légende d’identification : « Le socle et les débris du

premier tambour de la colonne du sphinx ».

En conclusion, la recherche d’exhaustivité, la lisibilité

et la bonne traduction des formes sont les trois critères qui

doivent servir de base à la constitution d’une bonne

documentation photographique en archéologie. La légende

participe à cette transmission de l’information mais on199 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 19, fig. 10.200 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 44, fig. 20.201 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909, p. 44, fig. 19.

147

remarque que les types de renseignements communiqués ne sont

pas homogènes. En effet, malgré la volonté de rendre la

photographie la plus scientifique possible, les compléments

d’informations ne sont jamais les mêmes et ne permettent donc

pas une analyse de rigueur. Les légendes ne peuvent pas faire

partie d’une méthode scientifique car l’ensemble de canons

guidant le processus de production des connaissances

scientifiques n’est pas respecté. On peut noter aussi le manque

de certitude à l’égard de la fonction du texte accompagnant

l’image : doit-il servir à décrire l’image ? Ou bien est-ce son

rôle d’orienter le lecteur ? Ainsi l’impératif de faire

cohabiter le discours scientifique avec les photographies qui

jouent le rôle de pièce à conviction est une des questions qui

agite savants et éditeurs. Ceux-ci optent dans un premier temps

pour la publication d’héliogravures en annexe du volume,

technique alors prépondérante. L’arrivée et la démocratisation

du procédé de la similigravure en 1895 change la donne. Les

clichés peuvent désormais être intégrés au corps de texte.

C’est alors l’évolution technique qui préside au choix de mise

en forme des photographies. La photographie constitue ainsi le

point de rencontre de différents médiums : légendes, dessins,

relevés topographiques, extraits du journal de fouilles.

3. Variété des utilisations de l’image : publication et envois pour le CRAI

A la diversité des techniques qui viennent combler les

potentielles lacunes de la photographie, répondent et

s’adaptent les diverses utilisations dont elle fait l’objet.

148

Notre catalogue présente les clichés issus du fonds

photographique de la Grande Fouille de Delphes et inclut de

nombreuses images trouvées lors du dépouillement des diverses

publications liées à la fouille. Les photographies utilisées

pour la publication sont bien entendu issues du fonds

photographique ; cependant cette classification entre image

archivée et image publiée nous permet de nous interroger sur

les ressorts et les problématiques qui découlent de la volonté

de publication d’une image dans un contexte scientifique.

L’image est-elle faite pour être publiée ? Existe-t-il des

différences de traitement éditorial et technique suivant leurs

diverses applications ?

La typologie des publications, leur contexte de rédaction

et le public auquel elles s’adressent nous renseignent sur les

différences de traitement des photographies en vue de leur

réception par la communauté scientifique. Ainsi, on peut

premièrement différencier les publications du Comptes rendu des

séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (CRAI)

et de l’Institut de correspondance hellénique (ICH), des ouvrages tels

que le BCH et la série de publications Fouilles de Delphes. On

construit ces deux grands ensembles selon le traitement des

photographies qui y sont associées. En effet, le CRAI choisit

simplement de joindre au compte rendu des photographies dites

« brutes », c’est-à-dire envoyées à l’Académie sans traitement

particulier. Dans une optique similaire, l’ICH présente au

public scientifique les diapositives des photographies, elles

non plus sans traitement autre que leur projection qui en

149

diminue la qualité de lecture. Concernant le CRAI et l’ICH, il

s’agit en quelque sorte de la première vie des clichés, de leur

premier usage. Il est important de signaler que certaines

diapositives présentées à la vue du public de l’Institut lors

des séances sont ensuite publiées au sein du BCH. Même dans ces

cas précis, les photographies ne sont que la retranscription

des simples diapositives. On peut remarquer avec les

différentes études consacrées à l’Aurige et leurs supports

photographiques respectifs (CAT 178, CAT 179, CAT 180 et CAT

181), qu’il existe un certain intérêt pour les images

projetées. Si la lettre de Th. Homolle202 présente deux clichés

dits « bruts », c’est à dire non traités, son article suivant203

est illustré de trois photographies traitées en vue d’une

présentation. Les trois clichés (l’Aurige de face, de profil et

la base de l’ex-voto de Polyzalos) ont subi des détourages. On

ne sait quand le traitement de l’image a eu lieu, si Th.

Homolle a choisi ces photographies déjà traitées pour sa

présentation à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,

si le photographe l’a fait pour les diapositives ou si le

détourage a eu lieu en vue de la publication. En revanche le

BCH et la série Fouilles de Delphes ne poursuivent pas la même

ambition puisqu’il ne s’agit plus de simples comptes rendus ou

de séances, mais d’ouvrages destinés à une certaine pérennité

scientifique allant au-delà d’une information récapitulative

plus minimaliste. C’est pourquoi les photographies subissent un202 HOMOLLE, Théophile, « Lettre relative à la statue de bronze découverte àDelphes » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,1896, volume 40, numéro 3, pp. 186-188. 203 HOMOLLE, Théophile, « Statue de bronze découverte à Delphes, séance 5juin 1896, appendice » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions etBelles-Lettres, 1896, vol. 40, numéro 4, pp. 362-384.

150

réel travail d’édition dans le cadre de ces publications. Leur

traitement technique répond donc au souci de présentation de

ces ouvrages. Notons aussi que les images qu’on retrouve dans

le BCH font l’objet d’un traitement par l’héliogravure, comme

par exemple le détourage des blocs de marbre des Hymnes de

Delphes (CAT 172). Les clichés sont envoyés au préalable à

Paris au sein de maisons d’éditions réputées de l’époque, et

l’on retrouve ces héliographies compilées dans les planches du

BCH qui permettent une lecture exhaustive des images liées à la

Grande Fouille.

On a vu dans quelle mesure et pour quelles raisons la

photographie s’intègre massivement aux publications

archéologiques, et plus précisément delphiques. Il a dès lors

été imposé à la communauté scientifique de définir les

modalités de son intégration au discours des chercheurs. Il

s’agissait de compléter et de potentialiser les arguments

apportés par la photographie. Enfin, on a pu étudier la

diversité des utilisations des clichés au sein des revues

scientifiques et des comptes rendus qui font état de la Grande

Fouille de Delphes. Après s’être attaché aux différents

traitements éditoriaux de l’image, il faut désormais

s’intéresser au bouleversement technique des procédés

photomécaniques ayant eu lieu en amont et qui conditionnent

l’usage fait par l’Ecole française d’Athènes des prises de vue

du site delphique. En effet, quels sont les procédés utilisés

par l’École ? A qui fait-elle appel lorsque vient le moment de

la réalisation des clichés, puis celui de leur publication ? On

151

s’efforcera ainsi d’analyser la véritable industrie

photographique éclose à la fin du XIXe siècle ainsi que ses

relations avec l’Ecole Française d’Athènes.

B) L’industrie photographique au service de l’EfA

On constate ainsi que la photographie permet un mode de

représentation pédagogique et interactif de la fouille,

autorisant débats et dialogues objectifs de la part des

scientifiques rassemblés autour d'un cliché. Les séances de

l'Institut de correspondance hellénique sont le lieu de cette

exposition dynamique des prises de vue. 

1. Les nouveaux procédés photomécaniques utilisés par l’EfA

Le XIXe siècle voit une évolution des procédés

photomécaniques grâce à l’amélioration de l’imprimerie

photographique qui apparaît au début des années 1850. La Grande

Fouille de Delphes peut donc utiliser ces procédés qui ont eu

le temps de se perfectionner. L’industrie photographique fait

l’objet de nombreux progrès en devenant l’un des enjeux de

l’ère industrielle où le savoir doit être accessible à tous.

L’École française d’Athènes, en intégrant la photographie à ces

revues scientifiques, comme le Bulletin de correspondance hellénique ou

Les Fouilles de Delphes, bénéficie d’une plus grande diffusion des

images prises sur les chantiers. L’image acquiert désormais une

place prépondérante dans ces publications et bouleverse le

milieu de l’édition. Les progrès techniques des prises de vue

s’accompagnent d’une transformation radicale des procédés

152

d’impression. Les archéologues de la Grande Fouille de Delphes

utilisent le procédé du gélatinobromure d’argent sur plaque

sèche. Le temps des daguerréotypes et des calotypes est révolu.

L’utilisation de la plaque de verre, plus sensible à la lumière

que le papier et donc plus nette, oblige les opticiens à mettre

au point des objectifs bien plus performants. La qualité des

prises de vue s’améliore considérablement. Les procédés

photomécaniques se succèdent rapidement : la lithophotographie

en 1855, le procédé Poitevin de lithophotographie en 1867, la

photoglyptie en 1864 et enfin la phototypie de 1867, sans

compter les multiples travaux sur l’héliogravure tout au long

du XIXe siècle. Ces nouveaux procédés photomécaniques

deviennent de plus en plus économiques et permettent

d’accroître considérablement le nombre de photographies et de

les insérer dans le texte. On note malheureusement une baisse

générale de la qualité des images publiées. Comme nous l’avons

vu précédemment204, la similigravure est une technique

présentant de nombreux avantages mais pas celle de la qualité,

ceci est visible sur les clichés CAT 193, CAT 194, CAT 195 et

CAT 196 publiés en 1909 pour la collection Fouille de Delphes205,

Toutefois, si la qualité des clichés est toujours médiocre, les

procédés photomécaniques résolvent le problème de l’altération

des tirages et leur assurent une pérennité.

L’héliogravure et la similigravure sont les deux procédés

photomécaniques les plus utilisés pour imprimer les ouvrages

204 Voir III, A, 1 : « Utilité et fonctions de l'exploitation de laphotographie dans les publications scientifiques ». 205 HOMOLLE, Théophile, Art primitif, Art archaïque du Péloponnèse et des îles dans Fouilles deDelphes, 1909 [65 p.].

153

d’archéologie. L’héliogravure au grain est un moyen de

photomécanique pour obtenir un tirage en gravure taille-douce à

partir d’une plaque de cuivre qui a reçu auparavant l’empreinte

du cliché à reproduire. Il s’agit du même principe que la

gravure en creux de la taille-douce : les creux de la planche

de cuivre sont remplis d’encre. La surface de la planche est

ensuite essuyée, et l’encre restant dans les creux se dépose

sur le papier. Les ouvrages tels que le Bulletin de correspondance

hellénique illustrent des planches tirées en héliogravure de

bonne qualité mais en nombre restreint. L’héliogravure

contraint les illustrations à être toutes concentrées à la fin

du volume, dans un ensemble que l’on appelle les planches hors-

texte et qui regroupe toute l’illustration (dessins et

photographies). Ceci a l’avantage de simplifier la mise en page

et de rendre l’impression moins onéreuse. En effet, les demi-

teintes exigent une qualité de papier supérieur à celle

utilisée pour les textes. En 1895, la première similigravure

fait son apparition dans le Bulletin de Correspondance Hellénique à la

page 310206. Aucun des trois articles présentant des figures en

similigravure dans ce numéro ne traite de Delphes207, mais on

peut toutefois noter que le nombre d’images par article est

important. Par exemple, pour l’article « Fouilles à Délos208 »,

on dénombre dix-sept photographies reproduites par la206 ORSI, Paolo, « Sur une très antique statue de Mégara Hyblaea » dansBulletin de correspondance hellénique, volume 19, 1895, p. 310, fig. 1. 207 ORSI, Paolo, « Sur une très antique statue de Mégara Hyblaea » dansBulletin de correspondance hellénique, volume 19, 1895, pp. 307-317 ; MILLET,Gabriel, « Les monastères et les églises de Trébizonde » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 19, 1895, pp. 419-459 ; COUVE, Louis,« Fouilles à Délos » dans Bulletin de correspondance hellénique, volume 19, 1895,pp. 460-516. 208 COUVE, Louis, « Fouilles à Délos » dans Bulletin de correspondance hellénique,volume 19, 1895, pp. 460-516.

154

similigravure, ce qui est considérable. Mais c’est en 1896 que

la similigravure est définitivement adoptée car elle est alors

intégrée soit dans le texte, soit dans les planches en annexe à

la fin du volume. Même si cette nouvelle technique est

médiocre, elle permet au lecteur une plus grande aisance dans

la lecture, ne l’obligeant pas à se référer continuellement aux

planches regroupées en fin de volume. Pour le volume 20 (1896)

du Bulletin de correspondance hellénique, on remarque l’importance que

prend la similigravure. En effet, pour trente trois planches de

fin d’ouvrage (d’héliographie et phototypie) il y a quarante et

une similigravures dans le corps de texte. Les CAT 175 et CAT

176, deux planches de numismatique, sont toutes deux des

phototypies de la maison Rhomaïdes à Athènes. La phototypie

permet un rendu à modèle continu non tramé qui se présente

comme une alternative au procédé de similigravure. Toujours

cette même année, M. Homolle dans une note sur une inscription,

écrit :

« Comme d’ailleurs le texte n’est pas établi avec une

exactitude rigoureuse, que l’on diffère sur la

lecture, l’interprétation et la date, il vaut la

peine d’étudier à nouveau ce document, et pour en

faciliter l’examen, on en place ci-contre le fac-

similé photographique209 ».

Homolle gratifie ainsi la photographie de sa confiance,

notamment par l’amélioration de sa qualité de reproduction.

209 HOMOLLE, Théophile, « Le temps delphique du IVe siècle » dans Bulletin decorrespondance hellénique, volume 20, 1896, p. 678.

155

Le Bulletin de correspondance hellénique est la principale source

de promotion des fouilles de l’École française d’Athènes, mais

surtout de la Grande Fouille de Delphes. Par l’introduction de

la similigravure dans la revue scientifique, l’École française

d’Athènes témoigne de sa volonté d’utiliser de nouveaux

procédés photomécaniques afin de bénéficier d’avantages, tant

sur le plan économique que sur celui de la lisibilité.

2. Les studios de photographie et d’impression de l’EfA

L’avancée des procédés photomécaniques constitue un socle

solide pour la publication et le commentaire des photographies

effectuées sur le chantier de fouille, soit la seconde vie des

clichés. L’École française d’Athènes renforce encore cette

assise en faisant appel à des professionnels. Il s’agit

d’étudier à travers les archives comptables et financières de

l’École, les organismes auxquels elle a confié les précieux

clichés de fouilles en vue de leur projection ou de leur

publication au sein des revues scientifiques telles que le

Bulletin de correspondance hellénique, les comptes rendus de l’Institut

de correspondance hellénique ou encore les Comptes rendus des

séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

La photographie est perçue comme un investissement par

l’École française d’Athènes qui utilise une certaine part de

son budget pour financer ses besoins photographiques. Les

sources consultées pour cette étude ne mentionnent pas le

développement des plaques de verre, mais seulement leur

156

traitement pour une utilisation éditoriale. Les clichés publiés

ne sont pas très nombreux, ils restent luxueux mais

l’investissement en est assuré par la stabilité des épreuves

publiées. La photographie est devenue au cours du XIXe siècle

une industrie que l’École française d’Athènes convoque pour ses

propres besoins. La plupart des photographies publiées du fonds

de la Grande Fouille sont des héliogravures de la maison

parisienne Dujardin. Par exemple, le CAT 173 a été traité

photomécaniquement par l’entreprise Dujardin comme on peut voir

inscrit sur la planche : « Heliog. Dujardin Paris ». Le Bulletin

de Correspondance Hellénique a deux maison d’éditions jusqu’en

1895 : il s’agit d’Edouard Thorin210 à Paris et de Perris

frères211 à Athènes. Par la suite la maison d’édition

Fontemoing, située à Paris, devient la seule maison d’édition

du BCH. Le choix de publier en France plutôt qu’en Grèce peut

s’expliquer par la meilleure qualité des maisons d’édition à

Paris, ou bien par obligation à cause du rattachement de

l’École à l’Institut des Inscriptions et Belles-Lettres.

L’étude d’une facture212 de la maison P. Dujardin nous fournit

des renseignements sur celle-ci. C’est une manufacture située

au 28 rue Vavin dans le 6ème arrondissement de Paris, avec

succursale au 56 rue Notre-Dame des Champs. On peut lire sur la

facture :

« Gravure héliographique – imprimerie – galvanotype210E. Thorin et fils est une société d’édition parisienne s’occupantprincipalement d’ouvrages universitaires pendant la deuxième moitié duXIXème siècle. 211 Il semblerait que l’imprimeur des Bulletin de correspondance hellénique n’ait pasété localisé à Athènes. 212 Facture de P. Dujardin du 21 Août 1903 présente dans le versement desarchives comptables et financières de l’École française d’Athènes, Archivesnationales.

157

Médaille d’Or, Grands Prix, Exp. Universelles 1878,

1889, 1900

(Maison fondée en 1866) »

Il s’agit d’un en-tête à caractère publicitaire qui nous

informe sur la renommée de cette maison. La maison Dujardin est

fondée en 1866, pourtant Paul Dujardin ne débute son activité

d’héliograveur qu’en 1875, après avoir racheté le fonds de

Gustave Alexandre Dujardin. L’entreprise Dujardin est une

manufacture d’épreuves et de planches gravées par procédé

héliographique en taille douce. On peut noter qu’après avoir

reçu son premier prix en 1878, Paul Dujardin reçoit

personnellement la Légion d’Honneur213 et qu’il devient membre

de la Société française de photographie en 1879. Comme nous

l’avons pressenti auparavant, l’École française d’Athènes

choisit une des meilleures entreprises pour le traitement de

ses clichés,  en dépit des complications de transport. En effet

les envois sont eux-mêmes un investissement puisque par exemple

le surveillant de l’École fait état d’une réception de caisse

de planches gravées, coûtant 17,40 francs, le 6 juillet 1903214.

La manufacture Dujardin est très réputée, on peut néanmoins se

poser la question de la spécialisation de publication : l’École

française d’Athènes ne choisit pas aveuglément cette entreprise

pour tirer les photographies du fonds delphique. Dujardin est

rompu à la publication documentaire puisqu’il réalise à la même

période les héliogravures de l’ouvrage à vocation documentaire

La Normandie monumentale et pittoresque, édifices publics, églises, châteaux,

213 Dossier de Légion d'honneur, Archives nationales, LH/839/51.214 « Expéditions et transports », le 20 septembre 1902, Archivesnationales.

158

manoirs, etc215. A partir de 1893 ce n’est plus seulement Dujardin

qui réalise les impressions photomécaniques, on trouve aussi

les mentions de « Phototypie Brunner », « phototypie Berthaud »

et « Phototypie Rhomaïdes ». Les CAT 175 et CAT 176 sont des

phototypies exécutées par Rhomaïdes. L’établissement

photographique Rhomaïdes se situe à Athènes et est spécialisé

dans les tirages photomécaniques documentaires, comme le montre

deux publications contemporaines de la Grande Fouille produits

par les frères Rhomaïdes : Catalogue général des antiquités et des

principaux monuments modernes de la Grèce216 et Olympia : Hermès of

Praxiteles217. Cette entreprise tire aussi les phototypies des

ouvrages de l’Institut Allemand d’Archéologie, notamment le

journal annuel Mitteilungen des Deutschen Archäogischen Instituts (MDAI).

Les tirages photomécaniques de leur ouvrage Olympia sont aussi

des phototypies, on peut donc en conclure que l’entreprise en a

fait sa spécialité. Le traitement des photographies à usage

archéologique semble nécessiter un conditionnement spécifique

car l’École ne confie ces tâches qu’à des entreprises

distinctes. Sur le bordereau du 10 février 1904 concernant les

dépenses pour le Bulletin de Correspondance Hellénique218 on

note le nom « Ehrard Frères » pour l’impression des planches.

L’entreprise valorise sa spécialisation dans les travaux liés à

215 MAGRON, Henri, La Normandie monumentale et pittoresque, édifices publics, églises,châteaux, manoirs, etc., / Héliogravures de P. Dujardin, Le Havre, Lemasle, 1893-1899 [112 p.]. 216 RHOMAÏDES, frères, Catalogue général des antiquités et des principaux monumentsmodernes de la Grèce, Athènes, Anestis Constantinidis, 1892 [18 p.].217 RHOMAÏDES, Constantine, Olympia : Hermès of Praxiteles, Athènes, Rhomaïdesfrères, 1894 [33 p.].218 « Exercice 1903 : Bordereau des pièces justificatives des dépensesfaites par l’école Francaise d’Athènes pendant l’année 1903 [concernant leBulletin de correspondance hellénique] », versement des archives comptables etfinancières de l’École française d’Athènes, Archives nationales.

159

la discipline géographique comme on peut le voir sur l’en-tête

de leur facture du 10 octobre 1903219. Cette entreprise est

présente dans un autre bordereau220 à l’instar de Dujardin :

l’École française d’Athènes aurait donc diversifié les

entreprises sous-traitantes en charge du traitement des images.

Si Dujardin s’occupe principalement des héliogravures et autres

tirages photomécaniques, Ehrard s’attacherait davantage à la

gravure, probablement d’après photographies, comme les CAT 185

et CAT 189. Enfin, quand l’image est définitivement intégrée au

texte grâce au procédé de similigravure, la maison d’édition

Fontemoing se charge du traitement des photographies.

Apres avoir étudié l’avancée des procédés photomécaniques

sur lesquels l’Ecole française d’Athènes s’appuie et précisé

les principaux acteurs du traitement des clichés, attachons

nous à une voie supplémentaire d’utilisation des photographies

en dehors des sentiers de la publication scientifique. Il

s’agit de leur projection au sein des séances de l’Institut de

correspondance héllénique, à différencier des comptes rendus de

celles-ci, déjà étudiés précédemment.

3. Une autre présentation des clichés : leur projection pendantles séances de l’Institut de correspondance hellénique

Albert Dumont (1842 – 1884), directeur de l’École

française d’Athènes de 1875 à 1878, met en place l’Institut de

219 Facture de la société Erhard Frères, 29 Octobre 1903, versement desarchives comptables et financières de l’École française d’Athènes, Archivesnationales.220 « Exercice 1903, Bordereau N3 », versement des archives comptables etfinancières de l’École française d’Athènes, Archives nationales.

160

correspondance hellénique à partir de 1876. On peut citer

Homolle, qui en 1891 revient sur l’initiative de Dumont : « il

[Dumont] voulut placer un intermédiaire entre les chercheurs

isolés, les sociétés locales et les universités ou les

académies221 ». L’Institut de correspondance hellénique est

destiné à centraliser l’ensemble des découvertes archéologiques

réalisées dans le monde hellénique. Les membres de l’École

française d’Athènes ne sont pas les seuls intervenants compte

tenu du fait que sont invités des correspondants étrangers,

notamment grecs. Le dessein de cet institut est la création

d’un réseau francophile autour de l’École française

d’Athènes222. Homolle comprend l’importance scientifique de

l’Institut : les séances bimensuelles permettent aux

scientifiques de l’École de se réunir afin de discuter de

l’état des recherches en Grèce. Les séances garantissent

l’émulation scientifique et le dialogue autour des recherches

en cours. Homolle réinstaure l’Institut de correspondance

hellénique en 1891 : en effet il ne s’était pas tenu de séances

à l’École depuis 1878. Le discours d’Homolle est retranscrit

dans le Bulletin de correspondance hellénique223 et nous permet

ainsi de connaître ses motivations : « répandre […] par les

comptes rendus des réunions périodiques qu’il aurait tenues,

par le Bulletin qu’il aurait publié, dans le monde savant tout

221 HOMOLLE, Théophile, « Institut de correspondance hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 15, 1891, p. 431. 222 VALENTI, Catherine, « L’École française d’Athènes au cœur des relationsfranco-helleniques » dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, numéro 50-4,Paris, Belin, 2003/4, p.92 223 HOMOLLE, Théophile, « Institut de correspondance hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 15, 1891, pp. 431-440.

161

entier.224 » Il souhaite faciliter l’accès aux recherches au

corps scientifique international, afin que la science puisse

être partagée. Les séances de l’Institut sont par la suite très

souvent retranscrites dans le BCH mais aussi dans d’autres

revues, en France et en Grèce, comme dans le Journal des Débats225.

Le BCH résume les séances dans des articles intitulés

« Institut de correspondance hellénique », comme par exemple

les deux articles du volume 17 de 1893226 qui regroupent

plusieurs comptes rendus de séances. Mais à partir de 1900 on

remarque que les séances de l’Institut ne sont plus rapportées

de la même manière dans le Bulletin : en effet, chaque

intervenant écrit un article complet pour être publié dans le

BCH. Notre étude ne s’intéresse pas aux articles des

intervenants mais aux retranscriptions des séances ; ces

rapports sont les témoignages du déroulement de celles-ci. Ils

nous permettent de comprendre de quelle manière les

archéologues de la fin du XIXe travaillaient ensemble dans une

communauté française implantée à Athènes. Ces rapports ne

citent que rapidement l’organisation des séances ; on sait que

plusieurs intervenants dressent un état de leurs travaux afin

que le corps scientifique présent puisse ensuite débattre de

leurs recherches respectives. Le dialogue scientifique est tout

à fait primordial au sein de l’Institut de correspondance

224 HOMOLLE, Théophile, « Institut de correspondance hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 15, 1891, p. 431. 225 Par exemple, « L’Hymne à Apollon » dans Journal des Débats, Vendredi soir 15avril 1904, p. 3. 226 HOMOLLE, Théophile, « Institut de Correspondance Hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 17, 1893, pp. 181-187 et HOMOLLE, Théophile,« Institut de Correspondance Hellénique » dans Bulletin de correspondancehellénique, vol. 17, 1893, pp. 611-623.

162

hellénique, et dans ce contexte la photographie devient utile

pour rassembler les informations et en faciliter l’accès.

Nous savons par l’étude des comptes administratifs de l’École

française d’Athènes que l’Institut de correspondance

hellénique est l’un des treize pôles du budget accordé par le

Ministère de l’Instruction Publique en 1902 et en 1903227. Pour

le premier semestre de 1902 l’Institut reçoit un budget de

« 400228 » mais on ne sait s’il s’agit de francs ou de drachmes

alors que pour le premier semestre de 1903, l’École française

demande 133,70 francs229. Cette différence de budget peut

s’expliquer par le fait que le premier bordereau est calculé

en drachmes, mais vu qu’il s’agit d’une liste de dépenses

adressée au Ministère de l’Instruction Publique français, il

est peu probable que cette hypothèse soit véridique. L’étude

de ces archives comptables nous apporte des informations sur

l’organisation des réunions de l’Institut de correspondance

hellénique. Premièrement, la photographie y est très présente

car elle sert souvent de support aux intervenants pour

expliquer leurs recherches le plus clairement possible.

L’ « État N5 du Budget de 1902230 », relatif au matériel de

l’École française d’Athènes, répertorie les différentes

dépenses faites spécifiquement par l’Institut de227 Le versement des archives comptables et financières de l’Écolefrançaise d’Athènes, Archives nationales.228 « Budget 1902, Matériel Art. V, Fouilles de Delphes », versement desarchives comptables et financières de l’École française d’Athènes, Archivesnationales.229 « Compte d’Administration de l’exercice 1903 », versement des archivescomptables et financières de l’École française d’Athènes, Archivesnationales.230 « État N5 du Budget de 1902 », versement des archives comptables etfinancières de l’École française d’Athènes, Archives nationales.

163

correspondance hellénique : « Dépenses pour la tenue des

conférences, des dessins et projections ». Si l’impression et

la distribution des cartons d’invitations, la location des

chaises et la production de dessins sont les trois premiers

motifs de dépenses, la production de clichés pour les

projections représente la plus grosse dépense (581 drachmes).

L’Institut de correspondance hellénique utilise la

photographie pour promouvoir l’information mais à l’aide d’un

autre support : celui de la projection. Il s’agit d’une

présentation des clichés photographiques – issus du fonds

delphique ou non – novatrice et différente des techniques

d’impression photomécaniques que l’on a pu analyser. L’étude

des archives comptables231 nous renseigne sur l’organisation des

projections. En 1902, l’École fait l’achat d’une lanterne de

projection. Il s’agit d’une lanterne qui fonctionnait à l’aide

de deux lampes à arc, de la marque parisienne Radiguet-

Massiot. Des factures au nom de Rudolph Roher correspondent

aux premiers achats d’émulsions pour diapositives. On peut se

demander si les projections de diapositives existaient à

l’Institut de correspondance hellénique avant 1902. Le manque

d’information concernant la période pre-1902 nous prive de

tout renseignement. Mais si l’Ecole utilisait déjà ce médium,

c’est à partir de 1902 qu’elle en perfectionne son usage.

Deuxièmement, la présence de ces mentions de photographies

dans les archives comptables nous permet de savoir que c’est

l’École française d’Athènes qui prend en charge le coût de ces

séances scientifiques. Les archéologues présentant leurs

231 « Exercice 1902 », versement des archives comptables et financières del’École française d’Athènes, Archives nationales.

164

recherches se doivent de financer leurs interventions mais

bénéficient du dédommagement de l’institution. D’un point de

vue juridique il est probable que ces photographies

appartiennent à l’École, mais au nom de la recherche les

archéologues peuvent les utiliser très facilement pour

accompagner leurs travaux. La photothèque actuelle de l’École

recense plus de 13 800 diapositives : si elles ne datent pas

toutes de la fin du XIXe siècle – début du XXe siècle, il est

probable que la collection de diapositives ait commencé avec

les séances de l’Institut de Correspondance Hellénique.

Dans les comptes rendus des séances de l’Institut publiés

dans le Bulletin de correspondance hellénique, la manière dont

les clichés sont présentés n’est jamais mentionnée :

« M. Homolle annonce ensuite le commencement des

fouilles de Delphes, inaugurées le 10 octobre, et en

communique les premiers résultats, avec les plans du

chantier et les photographies des inscriptions et des

monuments figurés découverts jusqu’à ce jour232 »

Les photographies sont toujours des supports d’informations,

destinés à une meilleure compréhension du discours. Pour

autant ces clichés ne sont pas publiés dans le Bulletin pour

le lecteur : il s’agit de mentions de photographies réservées

aux séances de l’Institut. Les clichés sont présentés et

projetés pendant les séances afin que tous les scientifiques

présents puissent les analyser en même temps, dans une volonté

de cohésion scientifique. La présentation des clichés par

232 HOMOLLE, Théophile, « Institut de Correspondance Hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, vol. 17, 1893, p. 184.

165

projection est plus appropriée au dialogue entre les

différents membres présents ; par exemple pour la question de

la localisation du rocher de Sibylle et de l’Aire Sacrée sur

le site de Delphes, Homolle expose les différentes sources sur

lesquelles il s’est appuyé pour émettre l’hypothèse d’une

localisation entre le Trésor des Athéniens et l’angle Est du

mur polygonal :

« M. Homolle en croit reconnaître l’image assez

fidèle sur un vase peint représentant la fuite de

Léto devant le monstre, et dont il rapporte la

photographique du lieu233 »

Les différentes photographies projetées au cours de cette

séance permettent à l’assistance de comprendre la logique

d’Homolle et par conséquent à ce dernier d’appuyer sa

démonstration de la manière la plus scientifique possible. En

revanche, la photographie n’est pas toujours utilisée pour

démontrer des raisonnements scientifiques. Par exemple en 1894

la retranscription d’une intervention d’Homolle n’est pas

fidèle : on observe que l’auteur de l’article, Couve, prend

des libertés et se permet d’ajouter des commentaires, lesquels

n’étaient certainement pas issus du discours d’Homolle :

« M. Homolle décrit brièvement le Trésor des

Athéniens, découvert en 1893, ce monument vénérable

de la première guerre de l’Indépendance, de la

première victoire de l’Hellénisme : il en démontre, à

233 HOMOLLE, Théophile, « Institut de correspondance hellénique » dans Bulletinde correspondance hellénique, volume 17, 1893, p. 619.

166

l’aide des photographies et des moulages exposés dans

la salle, la rare perfection architecturale234 »

Les photographies projetées par Homolle n’avaient sûrement pas

pour objectif de montrer la beauté architecturale du Trésor

mais de servir un véritable discours archéologique. On peut

ajouter que l’auteur de ce rapport de séance réutilise

l’histoire antique au profit d’une filiation avec les

évènements de la Guerre d’indépendance grecque (1821 – 1830).

Le Trésor des Athéniens commémore en effet la Victoire de

Marathon, du début du Ve siècle av. J.C.

Conclusion

Ainsi avons-nous interrogé les apports et les conditions

d’intégration de la photographie à la discipline archéologique.234 COUVE, Louis, « Institut de correspondance hellénique » dans Bulletin decorrespondance hellénique, vol. 18, numéro 1, 1894, p. 173.

167

Le site de Delphes a constitué dans notre étude le prisme, le

laboratoire des diverses applications de la chambre

photographique aux recherches des archéologues qui, lors de la

Grande Fouille, expérimentent la scientifisation  et

l’institutionnalisation de leur discipline. Nous avons

déterminé dans quelles mesures et par quels facteurs la

photographie s’est imposée sur le chantier de fouilles. Il nous

a fallu également éclairer l’influence de son intégration aux

techniques archéologiques traditionnelles.

Dès les prémices de l’utilisation de la photographie en

milieu archéologique il existe le terreau nécessaire à

l’accroissement de son usage sur le site de fouilles. On

constate en effet une conjonction de facteurs propres à

favoriser son implantation pérenne. Le premier d’entre eux est

la demande grandissante de chambres photographiques que

plusieurs disciplines commencent à solliciter. Cette demande

permet et encourage le progrès technique. Celui-ci renforce

l’utilisation du médium au sein de la discipline archéologique

grâce à l’apparition -entre autres- de procédés de

développement moins couteux, ou encore de l’instantanéité des

clichés. On note en outre la rédaction de nombreux manuels

relatifs à l’application de la photographie. Enfin, la thèse

d’Anne Lacoste met en lumière la modernisation de la fonction

d’archéologue par une nouvelle génération de savants formés

dans les rangs de l’Ecole Française d’Athènes, de Rome ou

encore de ceux de l’EPHE, et qui se tournent vers la

photographie. L’EfA acquiert à la fin du XIXe et au moment de

168

la Grande Fouille de Delphes tout son poids et

s’institutionnalise davantage. Cependant, la précédente

génération pratiquait déjà la photographie de manière

personnelle à l’aide du daguerréotype. C’est la confluence de

facteurs tels le progrès technique, les manuels d’E. Trutat, de

la Martellière ou encore Maddox qui lient photographie et

archéologie et encouragent son usage. Dès lors, les conditions

d’une photographie scientifique vont être définies dans le

cadre d’une approche documentaire qui renforce l’ambition

exhaustive des recherches et commentaires effectués sur le

matériel archéologique. Cette approche permet en outre une

catégorisation de celui-ci, apporte une vision d’ensemble, un

panorama des découvertes. Si les codes adoptés par les

opérateurs spécialisés dans les prises de vues archéologiques

ne sont pas spécifiques à la discipline, ceux-ci reprennent à

leur avantage et adaptent les codes d’ordre général de la

photographie et les soumettent aux impératifs de

l’archéologie : c’est le cas de l’importance de la lumière en

épigraphie, ou de l’échelle humaine très souvent présente sur

les clichés. Ceux-ci permettent d’ailleurs le renforcement du

dialogue entre institutions puisqu’ils ont pour finalité

institutionnelle et pédagogique leur envoi à l’Académie des

Inscriptions et Belles-Lettres qui assure leur rayonnement au

sein de la communauté scientifique. Enfin, la chambre

photographique va définitivement s’associer aux travaux

archéologiques par la confiance unanime dans l’objectivité dont

elle jouit avant la remise en cause du XXe siècle. Après les

premières heures de sa généralisation viennent celles d’un

169

véritable âge d’or de la photographie et de son utilisation

scientifique.

La Grande Fouille de Delphes a été le lieu d’une inflation

photographique de grande ampleur. C’est pourquoi notre étude

s’est concentrée sur le témoignage photographique d’une fouille

sans précédent. On a ainsi vu comment et dans quelle mesure la

photographie a permis une représentation sans filtres du

chantier et de son organisation. L’un des investissements

réalisés par l’EfA -la photographie- met en valeur la totalité

des autres annoncant l’ampleur du chantier. Grâce à l’outil

photographique c’est également, après avoir changé en actes,

l’image de l’archéologue qui évolue pour s’éloigner du lot de

descriptions fantasmagoriques dont la profession faisait

l’objet. La présence de clichés ayant trait à la discipline

ethnologique vont en outre assurer la postérité du fonds

photographique delphique et permettre une contextualisation

fidèle des travaux qui prennent place dans une Grèce encore

chargée d’exotisme pour la majeure partie des savants siégeant

à Paris. La photographie permet l’entrée de la discipline

archéologique dans son ère moderne, tant dans les fonctions

effectives de l’archéologue que dans les consciences. Notre

étude s’est également attachée à l’analyse des différentes

étapes de la production d’un cliché scientifique qui livre de

précieuses informations sur l’intervention de l’opérateur dans

la mise en scène, puis sur le cliché développé en vue de sa

publication. Une véritable méthodologie photographique liée à

la discipline archéologique est fondée à partir des

170

enseignements empiriques tirés de l’expérimentation du médium à

Delphes.

Une fois l’utilisation de la photographie définitivement

intégrée aux méthodes traditionnelles de fouilles et d’études

du matériel, c’est la seconde vie des clichés réalisés à

Delphes par leur publication au sein du CRAI, du BCH ou dans

les Fouilles de Delphes qui retient notre attention. Celle-ci

permet de réaliser l’impact de l’introduction de la

photographie dans la sphère scientifique de la fin du XIXe,

friande de scientifisation et de précisions techniques. Les

reproductions photographiques deviennent le support privilégié

de la véracité scientifique, des découvertes et des recherches

qui y sont associées.

Ce sont ainsi les éléments d’une généralisation de la

pratique, d’un usage croissant du médium et l’ensemble des

externalités positives qu’elle engendre qui permettent de

répondre à notre interrogation sur la force de pénétration de

la photographie dans la discipline archéologique. L’apparition

du médium photographique se présente, par les multiples

applications qui en sont faites sur le site de Delphes, comme

l’un des catalyseurs décisifs de l’archéologie moderne,

scientifique et institutionnalisée qui émerge puis se

consolide, notamment en Grèce, dans les derniers temps du XIXe

siècle.

171

Bibliographie

Sources

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