[2013] Un contrat de location d’une maison en arabe (P. Brux. Inv. E. 8449)

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188 NAÏM VANTHIEGHEM Chronique d’Égypte LXXXVIII (2013), fasc. 175 – doi: 10.1484/J.CDE.1.103394 (*) Je remercie M. Luc Delvaux, conservateur de la section égyptienne des Musées royaux d’Art et d’Histoire, qui a non seulement facilité mon travail, mais m’a aussi autorisé publier le contrat de location. Werner Diem, Sylvie Denoix et Jelle Bruning ont bien voulu relire et commenter une première version de cet article. La base de données «Comparing Arabic Legal Documents» (CALD) m’a été d’un précieux secours; cet outil est développé par Christian Müller et son équipe à Paris (IRHT), dans le cadre du projet européen ERC FP7 «Islamic Law Materialized - Le droit musulman et sa matérialisation», auquel je suis moi-même associé. (1) On trouvera une brève présentation de ces textes dans A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs du monastère d’apa Apollô de Baouît conservés aux Musées royaux d’Art et d’His- toire de Bruxelles (Bruxelles, 2007), p. 26. (2) Sur A. Demulling (1884-1941), voir A. MARTIN & M. RASSART-DEBERGH, «Tissus coptes des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles (don Demulling)», CdÉ 80 (2005), pp. 375-388, en part. pp. 375-379; A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 15-17. (3) Sur les dons d’A. Demulling, voir A. MARTIN, Introd. à P. Bingen 22; A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 17-19; 25-26. Un contrat de location d’une maison en arabe (P. Brux. Inv. E. 8449) La collection égyptienne des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles abrite une dizaine de papyrus et papiers arabes, dont seuls quelques protocoles bilingues ont à ce jour été publiés (P. Brux. Bawit 56-59, grec-arabe)∞∞( 1 ). En établissant l’inventaire de ce fonds (voir Annexe), j’ai pu identifier un intéressant contrat de location d’une maison, écrit sur papier et datable de ∂u al-Ìigga 298 h. (août 911); j’en propose ici l’édition.  *  * Les modalités d’acquisition des documents arabes de Bruxelles ne sont pas précisées dans l’inventaire sur fiches du fonds, qui se borne générale- ment à la date d’enregistrement des pièces. Plusieurs indices pointent tou- tefois en direction d’A. Demulling∞∞( 2 ), industriel français établi à Abou Kourgas, qui fit bénéficier les Musées de deux dons au moins, entre 1927 et 1929∞∞( 3 ).

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NAÏM VANTHIEGHEM

Chronique d’Égypte LXXXVIII (2013), fasc. 175 – doi: 10.1484/J.CDE.1.103394

(*) Je remercie M. Luc Delvaux, conservateur de la section égyptienne des Musées royaux d’Art et d’Histoire, qui a non seulement facilité mon travail, mais m’a aussi autorisé publier le contrat de location. Werner Diem, Sylvie Denoix et Jelle Bruning ont bien voulu relire et commenter une première version de cet article. La base de données «Comparing Arabic Legal Documents» (CALD) m’a été d’un précieux secours; cet outil est développé par Christian Müller et son équipe à Paris (IRHT), dans le cadre du projet européen ERC FP7 «Islamic Law Materialized - Le droit musulman et sa matérialisation», auquel je suis moi-même associé.

(1) On trouvera une brève présentation de ces textes dans A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs du monastère d’apa Apollô de Baouît conservés aux Musées royaux d’Art et d’His-toire de Bruxelles (Bruxelles, 2007), p. 26.

(2) Sur A. Demulling (1884-1941), voir A. MARTIN & M. RASSART-DEBERGH, «Tissus coptes des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles (don Demulling)», CdÉ 80 (2005), pp. 375-388, en part. pp. 375-379; A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 15-17.

(3) Sur les dons d’A. Demulling, voir A. MARTIN, Introd. à P. Bingen 22; A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 17-19; 25-26.

Un contrat de location d’une maison en arabe (P. Brux. Inv. E. 8449)

La collection égyptienne des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles abrite une dizaine de papyrus et papiers arabes, dont seuls quelques protocoles bilingues ont à ce jour été publiés (P. Brux. Bawit 56-59, grec-arabe)∞∞(1). En établissant l’inventaire de ce fonds (voir Annexe), j’ai pu identifier un intéressant contrat de location d’une maison, écrit sur papier et datable de ∂u al-Ìigga 298 h. (août 911); j’en propose ici l’édition.

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Les modalités d’acquisition des documents arabes de Bruxelles ne sont pas précisées dans l’inventaire sur fiches du fonds, qui se borne générale-ment à la date d’enregistrement des pièces. Plusieurs indices pointent tou-tefois en direction d’A. Demulling∞∞(2), industriel français établi à Abou Kourgas, qui fit bénéficier les Musées de deux dons au moins, entre 1927 et 1929∞∞(3).

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UN CONTRAT DE LOCATION D’UNE MAISON EN ARABE (P. BRUX. INV. E. 8449)

(4) Voir M. HOMBERT, «Les papyrus de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth», CdÉ 5 (1930), pp. 269-271, en part. p. 269: «Quant à la langue, à côté des documents coptes et grecs, qui forment la presque totalité, se trouvent quelques textes arabes».

(5) Voir M. HOMBERT, «Les papyrus» [n. 4], p. 269: «En ce qui concerne la matière, signalons que quatre textes sont écrits sur papier, deux sur parchemin». Les quatre pièces écrites sur papier sont: P. Brux. Inv. E. 6346; 8183; 9532; 9465. L’inventaire indique qu’un cinquième texte, P. Brux. Inv. E. 6347, est également rédigé sur papier. Cependant, cette pièce est depuis longtemps manquante. En examinant de plus près les informations données par la fiche de l’Inv. E. 6347, on constate qu’elles correspondent en tous points à la description de P. Brux. Inv. E. 8183. Ces deux pièces n’en font donc sans doute qu’une seule; celle-ci aura été inventoriée par erreur deux fois. Il n’y a bien que quatre papiers dans la collection; il convient de corriger l’information donnée dans A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 20, n. 23; 25.

(6) Voir A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], pp. 17-18.

M. Hombert, qui vécut de près les événements, signale de manière explicite la présence de textes arabes parmi les pièces offertes par A. Demulling∞∞(4). Les protocoles bilingues déjà mentionnés font assuré-ment partie du «lot Demulling», comme l’a montré A. Delattre; on peut sans risque leur associer les autres papyrus arabes enregistrés dans l’inventaire en même temps que des papyrus coptes du «lot Demulling». En outre, il ne fait pas de doute que les papiers arabes du fonds bruxel-lois proviennent du même lot: en effet, il n’existe que quatre papiers dans la collection, et M. Hombert précisait justement que quatre docu-ments du «lot Demulling» étaient rédigés sur papier∞∞(5). Enfin, selon les informations fournies par le donateur lui-même, les pièces offertes par A. Demulling provenaient pour une part d’al-Asmunayn, pour une autre part peut-être du Fayoum∞∞(6), — deux provenances qui figureront à plu-sieurs reprises dans mon inventaire (si l’on veut bien considérer que le site de Baouît est voisin d’al-Asmunayn).

Il semble donc probable que tous les textes arabes présents dans la col-lection des Musées y sont arrivés à la faveur des dons d’A. Demulling, entre 1927 et 1929. Comme dans le cas des documents grecs et coptes, leur inscription à l’inventaire s’échelonna sur plusieurs décennies; l’en-semble ne fut complètement inventorié qu’en 2003.

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P. Brux. Inv. E. 8449, inventorié en 1980, est l’un des quatre docu-ments rédigés sur papier que compte la collection de Bruxelles. Il provient d’al-Asmunayn ou de sa région (le nom de cette ville apparaissant à la l. 2). Le document n’est pas conservé sur toute sa largeur et le début du

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(7) Sur la location en droit musulman, on pourra en général consulter D. SANTILLANA, Istituzioni di diritto musulmano malichita con riguardo anche al sistema sciafiita (Rome, 1925-1938), II, pp. 232-285; R. BRUNSCHVIG, «Propriétaire et locataire en droit musulman médiéval (jusque vers 1200)», Studia islamica 52 (1980), pp. 5-40. Sur les contrats de location conservés sur papyrus et sur papier, voir Y. RAGIB, «Deux baux de maisons d’Égypte médiévale», AnIsl 25 (1990), pp. 119-126, en part. pp. 119-120.

(8) Sur cette question, voir E. GROB, Documentary Arabic Private and Business Letters on Papyrus: Form and Function, Content and Context (Berlin - New York, 2010), pp. 11-13.

(9) Édité par N. ABBOTT, «A Ninth-Century Fragment of the ‘Thousand Nights’», JNES 8 (1949), pp. 129-164.

(10) Édité par A. GROHMANN, «Arabische Papyri aus den Staatlichen Museen zu Ber-lin», Der Islam 22 (1934), pp. 1-68, n° 10.

(11) La photographie que je joins à la publication a été prise en 1980; le papier a depuis quelque peu souffert de son exposition à la lumière, dans les salles des Musées.

texte manque. Les ll. 4-6 sont cependant caractéristiques de ce que l’on trouve dans les baux∞∞(7). Le document présente un formulaire rare, qui, en certains endroits, se distingue des contrats de location contemporains (en particulier aux ll. 8-10). Il est par ailleurs écrit sur papier, alors que ce support ne se généralise en Égypte qu’à partir du deuxième quart du Xe siècle∞∞(8). Ceci fait du texte de Bruxelles l’un des plus anciens docu-ments rédigés sur papier précisément datés, après P. Chic. Oriental Insti-tute Inv. 17618 (septembre-octobre 879)∞∞(9), P. Hamb. Arab. I 12-13 (906-907) et P. Berol. Inv. 15052 (908)∞∞(10).

P. Brux. Inv. E. 8449 11,5 × 10,5 cm (Région d’)al-AsmunaynPapier oriental FIG. 1∞∞(11) ∂u al-Ìigga 298 (août 911)

Coupon de papier oriental de couleur brun clair. L’encre de couleur noire à l’origine, a viré au brun ocre. Le document est incomplet: la marge inférieure ainsi que la marge de droite ont disparu. Sur la base des restitu-tions, on peut affirmer qu’il manque environ un tiers du document à droite; en bas, il ne manque que les deux témoignages, soit deux à trois lignes d’écriture. Le document devait donc à l’origine mesurer environ 15 × 15 cm. On discerne trois plis distants de 3 cm. Leur examen permet de reconstituer exactement la manière dont il a été plié: d’abord en deux, puis à nouveau en deux. L’écriture est soigneusement exécutée; certaines lettres sont même pourvues de points diacritiques.

Un bailleur, dont le nom est perdu, loue à un homme originaire d’As-mun, un certain Bula, la moitié d’une maison, et ce pour une période de douze mois consécutifs. Au terme du contrat, le preneur de bail devra restituer le bien loué dans l’état où il l’a trouvé.

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UN CONTRAT DE LOCATION D’UNE MAISON EN ARABE (P. BRUX. INV. E. 8449)

[بسم الله الرحمن الرحيم] [هذا ما اكرى فلان بن فلان بولة بن فلان] الساكن مدينة اشمون التي من صعيد مصر

النصف من المنزل الذي ] . يعرف بمخبزة ابو ذر احمد بن علي في الدار داخل ]

الـ . ا. ات [وتستغنى شهرة هذا المنزل عن تحد]يده في موضعه سنة كاملة اثنا عشر شهرا متواليات

[اولهن شهر توت سنة تسع وتسعين ومـ]ـائتين وانقضاوهن سلخ مسرى الجاري في أهلة 5سنة ثلاثمائة

[بكذا دينار فاذا انقضت هذه السـ]ـنة المذكورة في هذا الكتاب كان على بولة رد المنزل اليه اثنا] عشر سهما شائعة غير مقسومة من اربعة وعشرين سهما ] وجميع مـ]ـا يعرف له و ينسب اليه كما قبضه وسكنه واقر بولة بن ] ]. [.] . المستاجر بجميع ما في هذا الكتاب في صحة [فلان

[عقله وبدنه وجواز امره بعد ان قرى عليه فعرفه واقر بفهمـ]ـه وبمعرفة ما فيه حرفا حرفا 10وذلك

. . . . . . . [ [ في شهر ذي الحجة من سنة ثمانية وتسعين ومائتين _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

2 صعيد 3 ٮعرف - ٮمخٮره 4 ٮحد]يده - سنه - اثٮا 5 سنه ٦ كان - بوله 7 غٮر - مقسومه 8 ٮعرف - ٮٮسب - اليه - اقر - بں 9 ٮحميع - كٮاب 10 معرفه

«Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux. Voici ce qu’a donné en location Untel fils d’Untel à Bula fils d’Untel, qui demeure dans la ville d’Asmun, ville qui est en Haute-Égypte, (à savoir) la moitié de la maison qui … connue comme étant la boulangerie d’Abu Δarr }AÌmad fils de ¨Ali sur le domaine à l’intérieur de … — cette maison est bien connue et ne nécessite pas de description. (Il l’a donnée en location) pour la durée d’une année complète de douze mois consécutifs, dont le premier est le mois de Tut de l’année deux cent quatre-vingt-dix-neuf et le terme la fin du mois de Misra qui se poursuit dans les nouvelles lunes de l’année trois-cents, pour … dinars. Passée cette année précisée dans ce contrat, il incombera à Bula de lui rendre la maison … douze parts comme propriété commune et indivise sur vingt-quatre parts … et tout ce qui lui appartient et s’y rapporte, comme il l’a reçue et habitée. Bula fils d’Untel … le pre-neur de bail a reconnu tout ce qui se trouve dans ce contrat dans la pléni-tude de ses facultés mentales et physiques et sa capacité juridique. Après qu’on lui a lu (l’acte), il l’a compris et a reconnu l’avoir compris et en avoir pris connaissance mot à mot, cela au mois de ∂u al-Ìigga de l’année deux cent quatre-vingt-dix-huit …»

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2 Les contrats de location arabes des VIIIe et IXe siècles commencent en géné-ral par les mots ha∂a ma }akra fulan ibn fulan fulan ibn fulan («voici ce qu’a donné en location Untel fils d’Untel à Untel fils d’Untel»), à l’instar d’ailleurs de ce qui se fait dans les contrats grecs avec le verbe misqów («donner en location»), tandis que les contrats de location des siècles sui-vants débutent traditionnellement par les mots ha∂a ma ista’gara fulan ibn fulan min fulan ibn fulan («voici ce qu’a pris en location Untel fils d’Untel de la part d’Untel fils d’Untel»); sur cette question, voir M.H. THUNG, Arabische juristische Urkunden aus der Papyrussammlung der Öster-reichischen Nationalbibliothek (Munich - Leipzig, 2006), pp. 79-80. On notera enfin qu’on trouve un troisième formulaire, passé inaperçu, dans

FIG. 1. — P. Brux. Inv. E. 8449.

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UN CONTRAT DE LOCATION D’UNE MAISON EN ARABE (P. BRUX. INV. E. 8449)

deux contrats de location (APEL II 92, 2 [IXe siècle] et P. Chrest. Khoury II 24, 2 [993]), dont les premiers mots sont ha∂a ma ktara fulan ibn fulan min fulan ibn fulan («voici ce qu’a pris en location Untel fils d’Untel de la part d’Untel fils d’Untel»). Dans le document de Bruxelles, vu la date de rédaction de la pièce, c’est très vraisemblablement l’ancien formulaire ha∂a ma }akra … («voici ce qu’a donné en location») qui a été utilisé.

Le nom du locataire Bula fils d’Untel apparaît plus loin aux ll. 6 et 8. Le nom Bula est bien évidemment la transcription arabe du nom Paul, sous sa forme copte paule.

On trouve dans les textes la forme transitive al-sakin madinat ka∂a («qui habite la ville de …»), comme dans P. Chrest. Khoury II 7, 2, et très rare-ment la forme intransitive al-sakin bi-madinat ka∂a («qui habite dans la ville de …»), comme dans P. Berol. Inv. 12789, 2 (édité dans A. GROH-MANN, «Arabische Papyri aus den Staatlichen Museen …», [n. 10], n° 9).

Quelques autres documents arabes, notamment CPR XXVI 24, 2 et P. Vente 25, 3, ajoutent au nom de la ville, en particulier dans le cas d’al-Asmunayn, le qualificatif allati min Òa¨id MiÒr («qui est de Haute-Égypte») ou min ar∂ Òa¨id MiÒr («de la terre de Haute-Égypte»).

3 La kunya Abu Δarr n’est pas attestée, à ma connaissance, dans les docu-ments. On la trouve néanmoins dans le nom de l’un des compagnons de la première heure du prophète MuÌammad: le célèbre Abu Δarr al-Gifari al-Kinani (sur ce personnage, voir EI2 s.v. Abu Dharr al-Ghifari).

3-4 Le droit musulman enjoint en principe aux contractants, qu’il s’agisse de vente ou de location, de décrire le bien qui est l’objet du contrat. Dans notre document, on ne trouve aucune description de la localisation du bien, car celle-ci est jugée superflue (cf. l. 4); cette omission volontaire se ren-contre dans plusieurs contrats de location contemporains. Voir à ce sujet, M.H. THUNG, Arabische juristische Urkunden, p. 85, qui en recense quelques exemples.

Sur l’expression sana kamila ‘i†na ¨asara sahran mutawaliyat («pour la durée d’une année complète de douze mois consécutifs»), voir M.H. THUNG, Arabische juristische Urkunden, p. 85, qui donne quelques parallèles.

5 Puisque le terme du bail échoit le dernier mois de l’année copte, le 30 Misra (Mesorj) de l’année hégirienne 300 (912-913), soit le 23 août 912, et que la durée du bail est d’une année, le bail ne pouvait débuter que le 1er Tut (Qwq) de l’année hégirienne précédente, soit l’année 299 (911-912). Le contrat devait donc courir sur une période comprise entre le 30 août 911 et le 23 août 912. On notera que deux contrats de locations arabes dressés pour une année vont du 1er Qwq au 30 Mesorj; cf. P. Chrest. Khoury I 63, 6 et CPR XXVI 13, 10-11.

Le moyen arabe que l’on lit dans les documents est en principe dépourvu de système de déclinaison. La forme de maÒ∂ar inqi∂a’uhunna est intéres-sante en ce qu’elle présente une trace évidente de marque de déclinaison, la désinence -u du nominatif. Ceci montre chez l’auteur de ce texte une volonté d’écrire dans une langue qui tend vers l’arabe standard ou clas-sique (cf. aussi le parallèle P. Berol. Inv. 12789, 5). Sur l’absence de

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ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

marque de déclinaison dans les papyrus, voir S. HOPKINS, Studies in the Grammar of Early Arabic. Based upon Papyri Datable to Before 300 A. H./912 A. D. (Oxford 1984), p. 155, §161.

L’expression al-gari fi ahillat sanat ka∂a wa-ka∂a signifie littéralement «qui court dans les nouvelles lunes de l’année …», et donc «qui court sur les mois lunaires de l’année …». Le contrat donne cette précision dans la mesure où les mois utilisés pour définir la durée de la location sont des mois coptes (solaires) alors que l’année utilisée est l’année hégirienne. Sur cette expression, voir M.H. THUNG, Arabische juristische Urkunden, p. 85.

6-8 Ce passage indique qu’à la fin du bail, le preneur devra restituer le bien loué dans l’état où il l’a trouvé, c’est-à-dire en bon état, avec tout ce qui appartient à la propriété (cf. D. SANTILLANA, Istituzioni di diritto [n. 7], II, pp. 243-244, §107). La formule usuelle fa’i∂a inqa∂at ha∂ihi al-sana kana ¨ala fulan ibn fulan radd al-¨ayn }ila fulan ibn fulan Ìaliyatan min al-sukkan … kama qaba∂ahu wa-sakanahu («et quand cette année s’achèvera, il incombera à Untel fils d’Untel de rendre le bien à Untel fils d’Untel, vide de ses habitants … dans l’état où il l’a reçu et habité») est quelque peu différente de ce que l’on trouve dans le papier de Bruxelles. Pour des paral-lèles à cette formule, voir par ex. CPR XXVI 13, 15-17; P. Chrest. Khoury II 24, 9-11; 38 10-12 et P. Ryl. I, IX 4, 16-20. On notera enfin que l’on trouve dans les contrats de location écrits en grec et en copte des formules fort semblables, preuve s’il en faut qu’il existe entre les contrats grecs, coptes et arabes des continuités dans les pratiques notariales. La différence essentielle est que le contrat grec est exprimé à la 1e personne du singulier là où le contrat arabe emploie la 3e personne. Pour quelques formules parallèles, voir par exemple P. Kramer 15, 13-16 kaì metà tòn xrónon taútjv t±v misqÉs(ew)v paradÉsw soi tò aûtò Ømisu mérov pásjv t±v aût±v oîkeíav metà pantòv aût±v toÕ dikaíou Üv pareíljfa (1e moitié du VIIe siècle) («passé le délai de cette location, je te rendrai la même moitié de toute cette même maison avec tous ses droits comme je l’ai reçue») et P. Stras. 338, 20-21 par[ad]Ésw üm⁄n toùv aûtoùv tópouv sùn qúraiv [k]aì kleisì Üv parélabon (29 août-27 septembre 550) («je vous rendrai les mêmes lieux avec leurs portes et leurs clés comme je l’ai reçue»). Pour des parallèles en copte, voir T.S. RICHTER, «Koptische Mietverträge über Gebäude und Teile von Gebäuden», JJP 32 (2002), pp. 113-168, en part. pp. 153-154, §4.7.

7 La mention des douze parts sur vingt-quatre, qui correspond à la moitié de la maison, est ici difficile à comprendre. On trouve généralement ce genre de mention dans la détermination du bien vendu ou du bien loué (voir sur la question Y. RAGIB, Actes de vente d’esclaves et d’animaux d’Égypte médiévale [Le Caire, 2002-2006], II, p. 19, §47), mais guère dans les clauses. On peut néanmoins supposer, vu le contexte, que le contrat enjoi-gnait ici au preneur de rendre, une fois le bail expiré, l’intégralité des douze parts de la maison qu’il avait louée.

8 La formule wa-gami¨ ma yu¨raf lahu wa-yunsab }ilayhi («et tout ce qui lui appartient et s’y rapporte») permet d’éviter de passer en revue l’ensemble

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UN CONTRAT DE LOCATION D’UNE MAISON EN ARABE (P. BRUX. INV. E. 8449)

des éléments qui se rapportent à une propriété, par exemple ses portes, son jardin …

Il est tout à fait inhabituel de trouver à la fin d’un contrat de location une reconnaissance introduite par le verbe ‘aqarra. On trouve néanmoins un parallèle dans CPR XXVI 13, 17-19, où le bailleur reconnaît avoir reçu une partie de l’argent du loyer.

9-10 Il est étonnant de trouver ici une formule qui rappelle que le preneur de bail agit «dans la plénitude de ses facultés mentales et physiques et sa capacité juridique» (fi ÒiÌÌat ¨aqlihi wa-badanihi wa-gawaz ‘amrihi). On trouve ces formules en général au début des contrats. C’est la présence du verbe ‘aqarra («il reconnaît») qui doit avoir ici entraîné cette anomalie.

10 La restitution [ba¨d }an quri’a ¨alayhi fa{arrafa wa-’aqarra fi-fahmi-]hi wa-bi-ma¨rifat ma fihi Ìarfan Ìarfan («Après qu’on lui a lu (l’acte), il l’a compris et a reconnu l’avoir compris et en avoir pris connaissance mot à mot») se base sur un document contemporain, P. New York Metrop. Museum Inv. 348.1.A, 1, 7; 2, 19-20; 3, 8 [cf. P. SIJPESTEIJN, «Profit Fol-lowing Responsability. A Leaf from the Records of a Third/Ninth Century Tax-Collecting Agent with an Appended Checklist of Editions of Arabic Papyri», JJP 31 (2001), pp. 91-132]. Il était de coutume de lire l’acte aux contractants, lesquels devaient reconnaître en avoir compris le sens (cf. Y. RAGIB, Actes de vente …, II, p. 116, §307). Si les contractants ne compre-naient pas l’arabe, on devait recourir à des interprètes (cf. A. DELATTRE, B. LIEBRENZ, T.S. RICHTER & N. VANTHIEGHEM, «Écrire en copte et en arabe. Le cas de deux lettres bilingues», CdÉ 87 [2012], pp. 170-188, en part. pp. 171-172 et n. 7).

11 Si les termes du bail sont souvent exprimés au moyen des mois coptes, la date qui figure au bas d’un acte est en principe toujours exprimée au moyen des mois arabes. Puisque le bail commençait le 1er Tut 299, le contrat doit avoir été écrit au moins quelques jours auparavant, comme dans le cas de CPR XXVI 13, rédigé huit jours (le 22 août 1012) avant le début du bail (le 30 août 1012). Le 1er Tut 299 tombe le 2 du premier mois de l’année hégirienne, le mois de muÌarram. Le document pouvait donc être daté du 1er muÌarram 299, ou plus vraisemblablement, si l’on tient compte de l’in-tervalle de temps entre la rédaction de CPR XXVI 13 et le début du bail, à la fin du mois de ∂u al-Ìigga de l’année hégirienne 298.

Aspirant F.R.S. – FNRS Naïm VANTHIEGHEM Université Libre de Bruxelles

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ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

ANNEXE. — INVENTAIRE DES PIÈCES ARABES DE LA COLLECTION DE BRUXELLES (P. Brux. Inv. …)

E. 6346 Inédit. 14 × 12,5 cm. Fayoum (?), Xe-XIe siècles. Au recto, une lettre copte en dialecte fayoumique. Au verso, une

lettre arabe complète qui se limite à une basmala et à la formule épistolaire waÒalat ruq¨atukum ya sayyidi wa-mawlaya ’a†ala llah baqakum wa-ga¨alani fidakum («Votre lettre, mon seigneur et maître, m’est parvenue — que Dieu prolonge votre existence et puisse-t-il me faire vous servir de rançon dans le mal»).

E. 6347 verso Inédit. L’objet a été perdu, puis réinventorié sous le numéro P. Brux. Inv. E. 8183 (cf. supra, n. 6). 8 × 11 cm. Baouît (?) (cf. A. DELATTRE, Papyrus coptes et grecs [n. 1], p. 26), Xe-XIe siècles.

Au recto et au verso, un texte liturgique grec. Au verso, au bas du texte liturgique, 3 lignes d’écriture arabe. On peut lire après la basmala, le début d’une lettre wa-kitabi }ilayka ya sayyidi wa-mawlaya wa-ra’isi }a†ala llah baqaka wa-’adama ¨izzaka wa-ta’yidaka … («La lettre qui t’est adressée, ô mon seigneur, maître et mon patron, - que Dieu prolonge ton existence et fasse durer ta force et ton soutien …»).

E. 8179 recto = P. Brux. Bawit 57. Protocole bilingue grec-arabe, réutilisé pour écrire un ordre de

l’économe, bilingue grec-copte (= P. Brux. Bawit 44).

E. 8183 verso Voir P. Brux. Inv. E. 6347 verso.

E. 8449 Édité ci-dessus. Papier. 11,5 × 10,5 cm. (Région d’)al-Asmu-nayn, août 911.

Contrat de location d’une maison.

E. 9418 (b) Inédit. Papyrus. 5,3 × 10,5 cm. Provenance inconnue, IXe siècle. Au recto (↓), 2 lignes d’écriture. Au verso (←), reste d’une

adresse (?). Il s’agit sans doute d’une lettre.

E. 9419 recto = P. Brux. Bawit 58. Protocole bilingue grec-arabe, réutilisé pour écrire un ordre de

paiement bilingue grec-copte (= P. Brux. Bawit 9).

E. 9449 recto = P. Brux. Bawit 59. Protocole bilingue grec-arabe, suivi du début d’un contrat copte,

réutilisé pour écrire un ordre de paiement bilingue grec-copte (= P. Brux. Bawit 17).

E. 9451 recto = P. Brux. Bawit 56. Protocole bilingue grec-arabe, réutilisé pour écrire un ordre de

paiement bilingue grec-copte (= P. Brux. Bawit 19).

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UN CONTRAT DE LOCATION D’UNE MAISON EN ARABE (P. BRUX. INV. E. 8449)

E. 9461 Inédit. Papyrus. 7,5 × 7 cm. Provenance inconnue, IXe siècle. Au recto (↓), 4 lignes d’écriture; on lit la formule épistolaire

gu¨iltu fida’aka («puissé-je te servir de rançon < dans le mal >»). Au verso (←), 5 lignes d’écriture; on trouve un reçu pour le Ìarag daté de 260 h. (873-874).

E 9462 Inédit. Papyrus. 11,5 × 7,5 cm. Fayoum (à en juger par le formu-laire du reçu de taxe), IXe siècle.

5 lignes d’écriture au recto; verso (↓) vierge. On y trouve les restes d’un reçu de taxe commençant par les mots bara’a li-.

E. 9463 Inédit. Papyrus 10,5 × 11,5 cm. Fayoum (à en juger par le formu-laire du reçu de taxe), IXe siècle.

Au recto (↓), 5 lignes d’écriture. On y lit les restes d’une lettre qui a été recoupée. Au verso (←), 7 lignes d’écriture. On y trouve un reçu de taxe, commençant par les mots bara’a li- et daté de rabi¨ I 284 h. (avril-mai 897).

E. 9464 Inédit. Papyrus. 15 × 17,2 cm. Provenance inconnue, IXe siècle. Au recto (↓), 14 lignes d’écriture; au verso (←), 17 lignes d’écri-

ture. La nature du document ne se laisse pas comprendre.

E. 9465 Inédit. Papier. 9,6 × 5,5 cm. Provenance inconnue, XIe-XIIe siècles. Au recto, 16 lignes d’écriture; au verso, 19 lignes. On y lit les

restes d’un texte littéraire non identifié.

E. 9466 Inédit. Papier. 14,9 × 16,1 cm. Provenance inconnue, Xe-XIe siècles. Au recto et au verso, entre 8 et 10 lignes d’écriture par colonne.

On y trouve les restes d’une liste répartie sur quatre colonnes.

E. 9531 Inédit. Papyrus. 4,4 × 3,5 cm. Provenance inconnue, VIIIe-IXe siècles. 5 lignes d’écriture au recto (←); verso (↓) vierge. On peut lire le

nom Abu IsÌaq et la forme verbale }an taÌrug («que tu sortes»). Tout porte à croire qu’il s’agit des restes d’une lettre.

E. 9532 Inédit. Papier. 4,6 × 10,8 cm. Provenance inconnue, Xe siècle. Au recto, 2 lignes d’écriture. Verso vierge. On y lit la fin d’une

lettre, entre autres les mots }a†ala llah baqaka wa-’adama ¨izzaka («Que Dieu prolonge ton existence et qu’il fasse durer ta force»).