Benoit Duffort : Questions d'armements au sein de l'Union européenne
« L’Odyssée de l’administration européenne de la santé : une administration en quête de...
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L’ODYSSEE DE L’ADMINISTRATION EUROPEENNE DE LA SANTE :
UNE ADMINISTRATION EN QUETE DE LEADERSHIP
Il s'agit ici de montrer que l'institutionnalisation d'un secteur d'activité n'est possible que si
l'intervention dans ce secteur apparaît légitime à ceux qui y interviennent et à ceux qui
l'environnent. On verra en effet que, malgré les stratégies de légitimation qu'elle déploie,
l'administration européenne de la santé souffre d'un déficit de légitimité politique,
institutionnel et technique qui l'empêche d'assumer une fonction de leadership. Faute de
leadership les structures sanitaires de la Commission, comme leurs politiques, se révèlent
alors instables et bricolées en fonction d'évènements contingents au risque de créer un fossé
entre la capacité d'action de la Commission et les exigences auxquelles cette dernière est
soumise.
Suite aux crises de sécurité alimentaire, en particulier celle de l’encéphalopathie spongiforme
bovine (ESB), qui ont touché l’Europe dans les années 1990 et qui ont entraîné une mise en
cause de la “bienveillance” de la Commission envers les intérêts économiques face aux
impératifs sanitaires, la nouvelle Commission dirigée par Romano Prodi a transformé
l’ancienne Direction Générale Politique des consommateurs et protection de leur santé (ex
DG XXIV), en la DG Santé et protection du consommateur (la DG Sanco), consacrant ainsi
en termes de visibilité et de structures la nouvelle place accordée à la santé au sein de la
Commission. En regroupant une partie des services administratifs chargés de questions de
santé mais dispersés jusqu’alors dans de multiples DG, cette réorganisation avait pour objectif
d’accroître l’autonomie des politiques et des structures administratives sanitaires de la
Commission vis à vis des autres secteurs d’activités. Malgré les apparences la DG Sanco est
cependant loin de constituer une “DG Santé”. La DG Sanco, rassemblement de services
préexistants et hétéroclites, est en réalité à l'image du développement aléatoire des structures
administratives chargées de la santé à la Commission et de leurs politiques.
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Cette institutionnalisation chaotique de l’Europe de la santé1 s’explique notamment par la
difficulté des organes administratifs de la Commission en charge de ces questions à exercer
une fonction de leadership. Centrale dans l’analyse néo-institutionnaliste, cette fonction est
définie par J.G. March et J.P. Olsen comme 'that of an educator, stimulating and accepting
changing worldviews, redefining meanings, stimulating commitment' (1984 : 739). Par le
contrôle prolongé de l’information, des objectifs et de la coordination qu’il suppose, le
leadership est ce qui permet à une politique d’être décidée, engagée et ajustée de manière
cohérente (Elcock 2001). Ce rôle est normalement dévolu à la Commission, légalement, par
les traités, et pragmatiquement parce que c’est la seule institution du système politique
européen en mesure, a priori, de mener une politique sur le long terme (Nugent 2001). Or, les
organes sanitaires de la Commission sont confrontés à un triple déficit de légitimité – dont les
composantes s’entretiennent mutuellement – qui réduit leur autonomie et donc leur capacité
de leadership.
Les structures administratives chargées de la santé doivent d'abord faire face à des problèmes
habituels de légitimité politique qui renvoient à la fois à des fondements démocratiques
contestables et à la réticence des États Membres à se défaire d'un secteur d'activité au profit de
l'UE. Cette contrainte étatique se manifeste ici par l'adoption tardive d'un cadre juridique en
outre très limitatif. Alors que le traité d'Amsterdam a conservé l'article 3-o inséré par le traité
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1 Toute politique de santé est par définition une politique de santé publique puisque 'la santé publique est celle
qui est perçue en tant qu'objet, au niveau d'un groupe de population […] Elle n'implique pas seulement
l'organisation et l'administration des soins mais […] la prévention et […] la précaution' (Belpomme 2003: 4).
Néanmoins le langage courant et certains spécialistes emploient le terme de santé publique de façon restrictive.
Dans ce cas la santé publique ne renvoie qu'à la prévention (et à la précaution). C'est l'approche qui sera adoptée
ici. Trois raisons à cela. D'abord, aux échelles nationales et internationales on assiste à un mouvement
d'expansion des politiques de prévention et d'autonomisation vis à vis de l'organisation des soins. Ensuite, malgré
un lien certain, ces deux types d'activités relèvent de logiques différentes: sanitaire pour la prévention, sociale
pour les soins (Loriol 2002). Finalement, l'activité communautaire en matière de soins est beaucoup plus limitée
qu'en matière de prévention et de précaution. C'est aussi pourquoi les développements suivants mettront l'accent
sur la prévention et la précaution plutôt que sur l'organisation des soins.
�
de Maastricht et fixant comme objectif général de la Communauté une contribution à la
réalisation d'un niveau élevé de protection de la santé, il a quelque peu remanié l'article
unique du titre consacré à la santé publique. Or, malgré quelques avancées, le traité
d'Amsterdam continue de définir la santé publique de manière restrictive, en énumérant une
liste d'actions possibles et en excluant toute intervention dans les systèmes de soins. Par
ailleurs, le champ d'application des mesures contraignantes est étroitement borné et les
dispositions visant à empêcher l'expansion de l'activité communautaire abondent.
Cette attention particulière des gouvernements à la préservation de leurs compétences en
matière de santé résulte en premier lieu du fort potentiel légitimant de la santé dans la mesure
ou elle répond au double impératif de justice sociale et d'ordre public qui institue la légitimité
étatique. Ainsi, la santé fait partie intégrante de tout dispositif matériel et symbolique de
gouvernement (Fassin 1996). La vigilance des États envers le déplacement des activités de
santé vers le niveau communautaire tient ensuite aux spécificités de la santé publique. En
effet, celle-ci ne se limite pas au simple contrôle des maladies transmissibles. Aujourd'hui
dans les pays développés, les principaux déterminants de la santé ne sont effectivement plus
liés aux épidémies mais aux effets sociaux-économiques du développement et aux
comportements et styles de vie (WHO: 1997). L'intersectorialité est donc une des
caractéristiques des politiques de santé publique. Par exemple, on ne peut intervenir sur la
consommation de tabac, d'alcool ou sur la nutrition sans intervenir sur les politiques agricoles.
De même, la lutte contre les effets de la pauvreté sur la santé implique des actions au niveau
des politiques sociales, des politiques de l'emploi voire des politiques économiques. Ce
caractère transversal de la santé publique alimente donc les réticences des États à déléguer ce
type de compétences à l'UE dans la mesure où il existe un risque majeur de spill over
fonctionnel puisqu'une politique de santé publique 'can be assured only by taking further
action, which in turn create a further condition and need for more action, and so forth'
(Lindberg 1963 : 10).
Afin de contourner la contrainte étatique la Commission a eu recours à des stratégies
d’émancipation classiques comme le bench marking ou la soft law (Guigner 2001). Mais la
réticence des États n'est pas le seul obstacle au développement du leadership des structures
�
administratives chargées de la santé au sein de la Commission. L'apparition de ce leadership
est confronté à d'autres problèmes de légitimité plus originaux et peut être plus embarrassants.
D'une part, la légitimité des organes sanitaires de la Commission à exister et à intervenir est
contestée au sein même de la Commission. En raison de son caractère intersectoriel, la santé
est en effet en interaction permanente avec d'autres domaines d'activités qui portent parfois
des logiques contradictoires avec celles de santé mais qui sont plus légitimes et plus
puissantes qu'elles dans l'espace politique et administratif communautaire, il s'agit
essentiellement des logiques économiques. D’autre part, la capacité des organes sanitaires de
la Commission à institutionnaliser leur rôle est contrainte par l'existence d'arènes
concurrentes. Il existe en effet d'autres organisations internationales que l'UE capables de
traiter les enjeux sanitaires "européens", or ces organisations disposent d'un certain nombre
d'avantages – en particulier une capacité d'expertise – par rapport à la Commission qui
limitent la légitimité scientifique et la capacité de leadership de ses organes sanitaires. La
première partie de cet article sera ainsi consacrée à la présentation de ces obstacles et des
stratégies déployées par les organes sanitaires de la Commission pour accroître leur
autonomie. La seconde partie permettra quant à elle de relativiser l’efficacité de ces stratégies
d’émancipation. De fait, même si l’on assiste à une lente autonomisation de la santé au sein de
la Commission, devant la difficulté des structures chargées de la santé à développer une
fonction de leadership, le moteur des activités communautaires de santé est souvent exogène à
ces services et dépourvu de vision de long terme. Une analyse diachronique de la structuration
administrative de la santé au sein de la Commission met effectivement en évidence le
bricolage et l’importante perméabilité à la contingence de ces structures et des politiques dont
elles ont la charge.
I. Les stratégies d’affirmation d’un leadership administratif
Afin de construire leur leadership contesté de l'intérieur par les logiques économiques
défendues par certaines DG, et de l'extérieur par l'expertise alternative portée par certaines
organisations internationales, les organes sanitaires de la Commission ont développé deux
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stratégies comparables qui consistent à phagocyter leurs concurrents. La manœuvre s’effectue
en deux temps. Il s’agit d’abord de s'appuyer sur les institutions concurrentes afin de
s'enraciner en s'appuyant sur des légitimités déjà établies, avant de tenter ensuite de
s'émanciper des institutions rivales et, dans la mesure du possible, de s'imposer à elles.
I.1. La construction d'une légitimité institutionnelle
La santé confrontée à la vocation économique de la Communauté européenne
Si avant le traité de Maastricht la Communauté européenne ne possédait pas de compétences
sanitaires explicites, par effet de spillover elle a néanmoins engagé une activité dans ce
domaine dès son origine. D'abord, dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail puis
dans celui des médicaments, des professions de santé et dans une moindre mesure dans celui
de la protection maladie (Cassan 1989). Cette dynamique néo-fonctionnaliste d'intégration
porte toutefois en elle ses propres limites. S’il est certes simpliste d’opposer
systématiquement développement économique et protection de la santé, il faut cependant
reconnaître que la Communauté a longtemps privilégié une logique économique souvent peu
soucieuse des conséquences sanitaires, comme l'a montré la crise de l'ESB. On pourrait en
effet aisément multiplier les cas d'activités économiques nuisibles à la santé des citoyens
européens mais favorisées par la Communauté. Par exemple, par l’intermédiaire des fonds
structurels, la création d'infrastructures routières a accru la circulation intra-communautaire et
donc l'émission de gaz toxiques, dégradant ainsi indirectement la santé des citoyens européens
(Guyomard 1995). De même, la culture du Tabac reçoit environ un milliard d'euros par an de
subventions européennes, alors que le budget alloué au programme de santé publique l'Europe
contre le Cancer ne représente que 0.15% de cette somme (Rougemont 1999).
Les États protégeant leurs intérêts économiques sectoriels sont les adversaires les plus
déterminés pour les organes de la Commission qui cherchent à faire prévaloir les
considérations de santé sur les considérations économiques. Ces services doivent toutefois
régulièrement faire face à un autre acteur : la Commission elle-même. L’analyse néo-
�
institutionnaliste a en effet montré que vue de près 'an agency that appears to be a single
organization with a single will turns out to be several suborganizations with different wills'
(Pressman & Wildavski 1973: 92). Dès lors, 'les DG ont tendance à vouloir préserver ce
qu’elles considèrent comme leur sphère d’influence politique propre' (Cini 1996: 460).
Certes, les conflits de compétence existent mais ce sont les différences de priorité politiques
des DG qui donnent à la Commission son caractère multi-organisationnel (Cram 1994). En
l'occurrence, en raison du fort potentiel de contradiction entre les logiques économiques, qui
dominent dans la Communauté, et les logiques sanitaires, les organes de santé de la
Commission doivent régulièrement faire face à des oppositions à leurs projets au sein de la
Commission : 'Quasiment chaque décision de Sanco est contestée par la DG Entreprise ou la
DG Agriculture' (Entretien, DG Sanco, Mars 2001).
La difficulté à mener une action concertée, coordonnée et influente dans le domaine de la
santé est particulièrement importante car à cette nature multidimensionnelle de la
Commission s’ajoute une double fragmentation des services de santé de la Commission.
Fragmentation géographique d'abord, avec des services de la DG Sanco basés à Bruxelles et
d'autres à Luxembourg. Fragmentation institutionnelle, ensuite, avec des activités de santé
dispersées dans la plupart des autres DG. Jusqu'à peu ceux-ci ne possédaient en effet ni une
spécialisation ni une taille suffisante pour se faire entendre et porter une approche cohérente
de la santé dans la Communauté, nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article.
L’économicisation de la santé : adapter les politiques de santé à la matrice de la Communauté
européenne
M. Cini (1996) a montré que dans les années 1980, la DG XI (“Environnement”) était en
position de faiblesse par rapport aux autres DG en raison de ses moyens financiers et humains
réduits mais surtout en raison de ses priorités, éloignées des priorités dominantes de la
Commission axées sur l’amélioration de la compétitivité économique. Pour atteindre ses
objectifs cette DG a donc dû s’intégrer dans l’environnement économique qui l’entourait en
apportant la preuve de sa compatibilité avec les autres politiques de la Commission. En effet,
comme l'explique A. Héritier, 'by linking an issue with another issue which enjoys wide
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support, or by re-labelling it, its prospects of being accepted in the political arena may be
improved' (2001: 67). Les organes de la Commission chargés de la santé se sont trouvés
confrontés aux mêmes obstacles et aux mêmes rapports de force que ceux chargés de
l’environnement avant eux, et ils y ont répondu de la même façon, que cela soit dans le
domaine des systèmes de santé, dans celui de la santé sur le lieu de travail ou plus
étonnamment dans celui de la santé publique.
La Commission ne possède aucune compétence pour intervenir dans l’organisation des
systèmes de santé des États membres. L'article 152 du traité d'Amsterdam interdit même très
clairement toute intervention de la Communauté en la matière. Pourtant la Commission prend
régulièrement la parole sur ce sujet autour d'une idée récurrente : «la viabilité économique des
systèmes de santé des États Membres est menacée, la Communauté peut les sauver en
améliorant leur efficience» (par exemple Commission 1997:5). Ici la stratégie
d’économicisation est très proche de la soft law2, il est même possible de la considérer comme
l’une de ses variantes puisqu'il ne s’agit pas directement ici de s’intégrer à l’environnement
économique mais de préparer le terrain pour une action future. La signification donnée par les
fonctionnaires de la Commission à ces déclarations est explicite: 'De toutes façons nous
n’avons absolument aucune compétence […] Donc quand nous parlons des systèmes de santé
c’est juste une façon de se faire remarquer [...] Nous nous plaçons sous l’angle de la crise
financière tout simplement parce que c’est ça qui les préoccupe' (Entretien, DG Sanco, Mars
2001).
L'utilisation de l'économicisation par les fonctionnaires chargés de la santé et de la sécurité au
travail est quelque peu différente. L'enjeu n'est pas ici d'accroître ses compétences mais, plus
modestement, de pouvoir mettre en œuvre celles que l'on a déjà sans être confronté à
l'opposition d'une “DG économique”. Même si ces fonctionnaires croient sincèrement aux
vertus économiques d’une politique de protection de la santé sur le lieu de travail cela ne les
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2 Pour une présentation précise du concept de soft law voir M. Cini (2001).
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empêche effectivement pas de transformer consciemment ce discours en instrument
stratégique :
' Nous avons toujours défendu la position qu’une bonne gestion de la santé et de la
sécurité au travail est très rentable.[…] Mais c’est vrai que si nous insistons beaucoup,
trop selon certains, c’est parce que c’est une excellente ressource stratégique. Quand on
nous dit "attention à la réalité économique" on peut dire qu’au contraire on contribue au
développement économique de l’Europe' (Entretien, DG Emploi et Affaires Sociales,
Mars 2001).
Le lien entre la santé publique et la performance économique est moins évident que pour la
santé sur le lieu de travail ou les systèmes de santé. Néanmoins, la stratégie
d’économicisation de la santé a également été appliquée à la santé publique comme nous l'a
confirmé l'un des responsables de la santé publique à la Commission:
'Lier la santé et l’économie dans un cercle vertueux facilite l’acceptation de nos
politiques […] et cela nous donne une marge de manœuvre, sans ça les États et le reste
de la Commission passeraient leur temps à bloquer nos propositions' (Entretien, DG
Sanco, mars 2001).
Dans le première Communication de la Commission concernant la santé publique on trouvait
ainsi les propos suivants:
'Une action efficace peut empêcher des décès prématurés parmi la population qui
travaille, de même que des invalidités et des maladies chroniques avec les conséquences
qu’elles entraînent : absentéisme et incapacité de travailler ; elle peut améliorer la santé
et permettre de maîtriser la demande en matière de soins et de traitements médicaux.
Bref, la capacité productive de la Communauté peut être maximisée, et, en même temps,
les coûts de la maladie peuvent être réduits' (COM (1993) 559 final: 7).
Cette stratégie n'a pas encore été abandonnée, signe que la légitimité de l'intervention
communautaire en matière de santé publique est encore fragile. En effet, D. Byrne,
Commissaire européen chargé de la santé publique, déclarait récemment:
'Despite all the legal difficulty, economic anxiety and institutional concerns, this is a
moment to turn what currently looks like a problem, into a real opportunity. An
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opportunity to set out a positive political concept of health as fundamental to the
fulfilment of our personal and economic well being […]. A concept of health as both the
driver of our economic prosperity and as a source of renewal for citizenship and
governance alike' (Byrne 2001).
Si l'on reprend la distinction effectuée par Hay et Rosamond (2002) la stratégie
d’économicisation consiste alors à faire passer le thème de la performance économique des
politiques de santé de l'état de discours, i.e. de conviction, à l'état de rhétorique, i.e. au
déploiement stratégique du discours. La stratégie d’économicisation peut néanmoins avoir
différents objectifs. Elle peut d'abord être utilisée comme une déclinaison de la soft law, c’est
à dire être utilisée dans l’objectif d‘acquérir de nouvelles compétences. Ensuite, et c'est le cas
le plus fréquent, cette rhétorique peut être employée par des services dotés de peu de moyens
et marginalisés au sein de la Commission en raison de leurs objectifs éloignés de la matrice
économique de la Communauté européenne. Ces services doivent d’abord s’intégrer à leur
environnement avant d'espérer s'en émanciper, les DG les plus faibles ne peuvent en effet pas
se permettre de mettre à mal l’apparente cohérence de la Commission car elles n’ont pas les
moyens d’entrer dans un rapport de force leur permettant d’imposer leur point de vue. Dans
ce cas la stratégie d’économicisation n’est pas une stratégie offensive visant à accroître des
compétences, comme peut l’être la soft law, elle constitue plutôt une stratégie défensive
utilisée pour développer l’autonomie des services qui l’emploient.
Les outils de coordination : ajuster la matrice économique de la Communauté aux politiques
de santé
En parallèle à la stratégie d’économicisation, les organes sanitaires de la Commission ont reçu
le renfort de deux groupes de travail pouvant leur permettre, non plus d'intégrer l'économie
dans la santé, mais d'intégrer la santé dans l'économie. Il s'agit du Comité de Haut Niveau sur
la Santé (HLCH) et du Groupe Interservice sur la Santé (IGH). Le premier rassemble des
responsables des ministères nationaux de la santé et de la Commission. Ce groupe est avant
tout chargé de conseiller la Commission sur l'ensemble des questions de santé, il peut ainsi
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permettre à la Communauté de mieux coordonner ses politiques en donnant des conseils ou
des avis. L'IGH est quant à lui composé des représentants des différentes DG concernées par
les points abordés par les sous-groupes de ce comité. Il a directement pour objectif de
coordonner les politiques de la Commission afin d'éviter les doublons et d'intégrer les
exigences de santé dans les autres politiques comme le requière le traité. Dans ce cadre l'IGH
a déjà réalisé plusieurs rapports sur l'intégration des exigences de santé dans les autres
politiques et il a récemment mis en circulation, à destination de toutes les DG, un guide
pratique pour l'évaluation de l'impact des différentes politiques sur la santé (Commission
2001).
Aucune de ces entités n'ayant de pouvoir contraignant leur efficacité ne peut dès lors
s'appuyer que sur la bonne volonté des participants et de leurs DG respectives. A ce titre
l'évaluation de l'impact des politiques sur la santé est effectué par la DG d'origine et non par
les services qui s'occupent des questions de santé. Même si cette analyse est rendue publique
et s'effectue sur la base du guide fournit par l'IGH, les DG d'origine conservent une marge de
manœuvre importante notamment en raison des ressources humaines limitées des organes
sanitaires de la Commission qui les empêchent d'effectuer un contrôle poussé de ces auto-
évaluations. En réalité, la procédure formelle de consultation inter service (CIS) reste donc
souvent un moyen bien plus efficace que l'HLCH et l'IGH lorsqu'il s'agit, pour les organes
sanitaires de la Commission, d'introduire les exigences de santé dans les autres politiques.
Les membres de ces groupes leur reconnaissent toutefois une utilité qui peut jouer un rôle
important à moyen terme. En faisant se rencontrer les responsables des différentes DG
concernées par une politique on crée automatiquement des liens interpersonnels, de là un
réseau de personnes de contact pour les questions de santé se développe pour l'ensemble des
DG. Les contacts réguliers qui en résultent permettent alors aux responsables des questions de
santé d'avoir un accès plus rapide, plus précis et plus constant à l'information et à la décision
dans les autres DG. Plus que les groupes eux-même, ce sont donc ces liens informels qui
peuvent favoriser une meilleure coordination et une meilleure intégration des préoccupations
sanitaires. Pour l'heure c'est toutefois plus la santé qui intègre les considérations économiques
que l'économie qui intègre des préoccupations sanitaires.
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I.2. La construction d'une légitimité scientifique
La Commission confrontée à un espace international des organisations de santé saturé
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Parmi les multiples organisations internationales qui interviennent dans le domaine de la
santé (Koivusalo 1998) deux d'entre elles, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le
Conseil de l'Europe (CoE) posent problème à l'établissement du leadership de la Commission
en matière de santé publique3. La Commission, l'OMS et le CoE sont en effet en situation de
concurrence implicite sur plusieurs plans. D’abord, la concurrence peut être d’ordre
géographique, l’OMS est subdivisée et organise son action en fonction de bureaux régionaux,
or, elle possède un "Bureau Europe", basé à Copenhague, dont le champ géographique
d’activité, comme celui du CoE, correspond à peu près à l’ensemble des pays membres de
l’Union européenne et à ceux qui devraient l'intégrer lors des prochains élargissements. A
cette concurrence géographique s'ajoute une concurrence de compétence. A cet égard la
concurrence du CoE apparaît beaucoup plus limitée que celle de l’OMS. Le CoE est une
organisation internationale avant tout préoccupée par des questions éthiques, son activité dans
le domaine de la santé s'oriente donc essentiellement sur cet aspect (CoE 2002), l'OMS en tant
qu'organisation spécialisée dans la santé couvre quant à elle l'ensemble du champ de la santé
et elle possède en la matière des compétences très proches de celles de la Commission
européenne4.
Si ces organisations apparaissent comme des concurrentes de la Commission européenne c’est
cependant surtout parce que leur légitimité scientifique est bien plus importante que celle de
la Commission. Alors que l'intervention de la Commission dans la santé publique est
relativement récente, le CoE et l'OMS interviennent depuis longtemps dans ce domaine. Au
contraire de la Commission, ses deux rivales ont donc eu le temps de faire la preuve de leur
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3 On ne traitera ici que de la santé publique, cependant des logiques similaires sont également à l'œuvre dans
l'organisation des soins où l'OMS, l'OCDE et la Banque Mondiale jouent un rôle essentiel. A ce titre voir
Hassenteufel et al. (2000). 4 Voir l'article 2 de la Constitution de l'OMS.
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capacité à traiter les questions de santé publique. La légitimité de l’OMS découle également
du prestige de l’ONU dont elle constitue une agence spécialisée, ce qui lui permet de recruter
les meilleurs spécialistes. Après avoir confié les questions de santé à des généralistes, la
Commission s'est elle aussi dotée de spécialistes particulièrement compétents. Toutefois, le
poids de la structure bureaucratique et les procédures législatives de l'UE contraignent ces
spécialistes à devenir avant tout des administrateurs et donc à ne pouvoir exploiter pleinement
leurs compétences techniques.
En outre, la légitimité technique des services sanitaires de la Commission souffre encore de
l'approche de la santé développée par cette institution, une approche indissociable des critères
et des logiques économiques :
' Pour les gens de la Commission européenne l’OMS est un truc de scandinaves, de
puritains du nord. Et pour l’OMS, la Commission cherche à développer une approche
commerciale' (Entretien, Président d'un lobby de santé publique, février 2001).
Les fonctionnaires européens chargés de la santé sont effectivement pris entre la nécessité de
s’intégrer à leur environnement communautaire axé sur l’économie et la nécessité de
privilégier des logiques proprement sanitaires afin que la Commission soit reconnue, à l'image
de l'OMS, comme un véritable acteur international du secteur de la santé. La difficulté à
convaincre les milieux de la santé de la crédibilité de la Commission dans ce domaine est
d’autant plus grande que vue de l'extérieur la Commission apparaît monolithique, les avis
divergents entre DG ne sont jamais rendus publics. Dans le cas où une DG aura privilégié
l'économie sur la santé c'est l'ensemble de la Commission qui sera associée de façon négative
à cette décision par les acteurs du champ de la santé. Or, on a vu que l'intégration des
préoccupations de santé publique dans les autres politiques relevait encore largement d'un
objectif plutôt que d'un fait établi, les organes sanitaires doivent donc composer avec l’action
de leurs collègues. A ce sujet, M. Koivusalo (1998) évoque une récente résolution de l’OMS
sur la réglementation des médicaments de base qui s’est heurtée à de fortes pression du
secteur pharmaceutique soutenu par certaines DG "économiques" de la Commission
européenne au détriment de la crédibilité des DG axées sur les questions de santé.
�
Enfin, la légitimité technique de la Commission pâtit du caractère de construit supranational
de l’UE (Mossialos, Permanand 2000). En raison du pouvoir d'obligation des décisions de
l'UE, la Commission est beaucoup plus contrainte par les Etats membres, qui souhaitent
préserver leurs prérogatives, que ne l'est l'OMS ou le CoE. Les positions ou recommandations
de ces dernières ne pouvant avoir de force obligatoire imprévisible, elles ne menacent pas les
prérogatives de leurs Etats membres. Le CoE ou l'OMS sont donc généralement plus
promptes que l'UE à prendre des décisions. Celles-ci sont en outre souvent plus ambitieuses et
plus pertinentes que les propositions de la Commission qui doit composer avec les réticences
des Etats membres, ce qui aboutit régulièrement à des décisions de compromis, minimalistes
et imprécises. Pour ces différentes raisons, comme il nous l'a été confirmé à maintes reprises,
en cas de désaccord entre la Commission et le CoE ou l'OMS, ce sont ces deux dernières que
l'ensemble des acteurs du champ de la santé soutiendront5.
Construire une légitimité technique: intégration et création de forums techniques légitimes
La première tactique de la Commission pour faire face à cette situation a été de faire 'Cavalier
seul' (Mountford 1998: XII). Cette approche a été en tous points désastreuse, engendrant des
doublons de politiques publiques entre les organisations alors même que les politiques de la
Commission s’avéraient moins pertinentes que celles du CoE et surtout que celles de l’OMS.
Cette stratégie, qui menaçait l’existence même d’une intervention de la Commission dans la
santé, a été abandonnée au profit d’une coopération active avec ses deux concurrentes. Cette
coopération s'effectue par la participation, en tant qu'observateurs, des représentants de la
Commission aux prises de décisions dans ces organisations et par le biais d'échanges réguliers
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5 La Commission dispose cependant de certains avantages en comparaison avec l'OMS et le CoE. D’abord la
capacité financière de l'UE est nettement supérieure à celles des deux autres organisations. Ensuite, la possibilité
de contraindre les gouvernements qui peut certes être un désavantage peut dans certains cas devenir un avantage.
La crise de l'ESB a, par exemple, été traitée à partir d'instruments législatifs. Enfin, en tant qu'organisation
d'intégration régionale, l'UE à le potentiel pour traiter le caractère transversal de la santé publique en intégrant la
santé dans les autres politiques alors que l'OMS en particulier n'a pas la possibilité d'intervenir sur d'autres
politiques que les politiques de santé.
�
d'informations, de rencontres formelles ou informelles aux niveaux politiques et techniques et,
depuis la fin 2002, par le biais d'échanges de personnels6.
Cette pacification des rapports entre la Commission et ceux qu'ils convient désormais de
qualifier de partenaires se manifeste également par l'utilisation et la reprise fréquente des
travaux techniques et des prises de position de l'OMS et du CoE dans les travaux
préparatoires ou officiels des organes sanitaires de la Commission. De plus, les documents
officiels provenant de ces services multiplient les références explicites à ces deux
organisations et à la coopération installée. Dans la justification et la présentation d'une récente
proposition de Directive, représentative de cette situation, on trouve ainsi les précisions
suivantes:
'This proposal for a Directive takes account of the most recent progress made and
agreements attained at international level, particularly within the World Health
Organization and the Council of Europe'; 'These specific provisions take into account
international standards (e.g. Council of Europe, World Health Organization…)'; 'The
Commission intends to collaborate closely with the Council of Europe when the
adaptations are developed, in order to ensure coherence with the recommendations it
develops in the same field' (COM (2002) 319 final: 15,16 & 17).
Le concept de communauté épistémique développé par P. Haas (1992) peut aider à
comprendre cette entreprise de rapprochement cognitif et institutionnel. Les communautés
épistémiques sont des réseaux de professionnels possédant une forte capacité d’expertise et
des compétences largement reconnues dans un domaine particulier ce qui leur permet d'être
régulièrement sollicitées par les décideurs. Or, on peut considérer que l’OMS et dans une
moindre mesure le CoE constituent des communautés épistémiques. En s'insérant dans ces
communautés les administrateurs de la santé à la Commission pourront donc s’appuyer sur
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6 Par l'intermédiaire d'échanges de lettres en 1972 et en 1982 puis par une déclaration d'intention conjointe en
1992, l'OMS et la Commission avaient déjà entrepris une coopération bilatérale mais, c'est surtout après le
nouvel échange de lettres du 14 décembre 2000 que la collaboration a véritablement été engagée. De la même
façon des lettres ont été échangées entre le CoE et la Commission en 1987, puis en 1996, afin d'engager une
coopération mais celle-ci n'est devenue réellement effective qu'à partir de la déclaration conjointe d'avril 2001.
�
une légitimité scientifique déjà constituée et accroître ainsi leur capacité de leadership auprès
des acteurs non gouvernementaux du secteur de la santé et, directement ou non, auprès des
États membres et des autres DG.
Tout en prenant appui sur l’OMS et le CoE, les structures sanitaires de la Commission se
construisent un réseau de soutien qui pourrait à terme leur permettre de s’émanciper de leurs
multiples tuteurs. A l'image de ce qui a été fait dans de nombreux secteurs, les administrateurs
de la santé cherchent à accroître leur autonomie en créant ce que l'un de nos interlocuteur à la
DG Sanco qualifie de "lobbying positif". En organisant des colloques, des séminaires ou des
forums, la Commission s'insère dans des réseaux d'acteurs voire les crée s'ils n'existaient pas
auparavant. Dans un rapport d'échange politique ces groupes apportent à la Commission une
expertise autonome vis à vis de celle des gouvernements et, en l'occurrence, vis à vis de celles
l'OMS et du CoE, en retour la Commission apporte aux groupes un accès à la décision et dans
certains cas un financement. Le forum européen de la santé, dont la première session à eu lieu
en Novembre 2001, est tout à fait emblématique de ce phénomène puisqu'il sert de mécanisme
d'information et de consultation des personnes et des groupes concernés par l'activité
communautaire en matière de santé. Cette stratégie ayant déjà été très souvent présentée et
analysée dans la littérature, nous ne nous y attarderont pas plus7. Si cette manœuvre réussit
certains membres de l'OMS interrogés estiment qu'à très long terme la Commission pourrait
tenir lieu de bureau régional à l'OMS à l'image de la Pan American Health Organization
(PAHO) pour les continents Nord et Sud Américains.
II. Une organisation administrative contingente et bricolée
Dépourvus de légitimité, donc de leadership, les organes sanitaires de la Commission sont
contraints de suivre la construction de l’Europe de la santé plutôt que de la mener. Or, n'étant
pas gouvernés par des préoccupations techniques sanitaires, mais se développant tour à tour
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7 Pour une explication détaillée de ce type de stratégie on pourra par exemple se référer à S. Mazey (1995).
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en réaction aux agendas économique, politique et médiatique, la structuration administrative
de la Commission en matière de santé, comme les politiques menées dans ce domaine,
relèvent plus de la contingence et du bricolage que d'une planification stratégique8, ce qui
contrarie en retour la capacité des organes sanitaires de la Commission à établir leur
crédibilité et leur leadership.
II.1. Les premiers pas de l'administration européenne de la santé sous la tutelle de
l'économie et du social
Avant le traité d'Amsterdam la quasi-totalité des DG étaient impliquées dans des questions de
santé. Cette dispersion des compétences est le parfait miroir des premiers pas de l'Europe de
santé: la santé n’était pas un objectif en soi mais une étape nécessaire à la réalisation des
objectifs, essentiellement économiques, des différentes DG (Cassan 1989). Dépourvue de
base juridique et accessoire aux autres politiques, aucun des échelons communautaires ne lui
était consacré en propre, hormis la Direction Santé et sécurité au travail placée au sein de la
DG Emploi, Relation industrielles et Affaires sociales (ex-DG V). Située à Luxembourg et
créée au milieu des années soixante, cette Direction était à l’origine chargée de traiter les
problèmes de santé liés à la CECA et au traité Euratom, elle possédait ainsi des unités menant
des actions contre les maladies liées à l’exploitation des mines ou luttant contre les effets des
radiations. Si cette Direction a longtemps été l’organe de la Commission le plus spécialisé
dans le traitement des questions de santé, il convient, à double titre, de ne pas surestimer son
rôle en la matière. D’une part, l’intitulé Direction Santé et sécurité au travail reflète tout à fait
les priorités de son activité qui se concentrait principalement sur l’élaboration de standards de
sécurité protégeant les travailleurs plutôt que sur la protection de la santé de la population.
D’autre part, les objectifs de cette Direction étaient, comme dans les autres services en charge
de questions de santé à cette époque, surdéterminés par des considérations économiques, dans
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8 La notion de bricolage renvoie à 'un ensemble d'activités visant à résoudre certains problèmes […] survenant
en fonction d'un calendrier relativement contingent […], au moyen de savoir-faire, d'outils, de technologies
disponibles mais plus ou moins appropriés, voire incertains' (Garraud 2000: 224).
�
la mesure où ils s'inscrivaient essentiellement dans des logiques de développement
économique et de réduction du dumping social ou sanitaire.
Jusqu’au milieu des années 1990, l’intégration du secteur de la santé s’est donc trouvée
enfermée dans un cercle vicieux de déficit de leadership au niveau des logiques et au niveau
institutionnel, ce déficit résultant du caractère anarchique de l’effet spillover qui a introduit la
santé dans la Communauté européenne. Les politiques de santé de la Communauté étaient
subordonnées et résultaient de l’activité économique communautaire, dès lors l’activité
sanitaire communautaire se trouvait dispersée au sein des différentes politiques à caractère
économique et des structures administratives qui les menaient et, aucun échelon administratif
d’importance se concentrant sur la santé, la Commission n'avaient ni le pouvoir symbolique ni
les moyens humains de porter et de prendre en charge la santé comme objectif spécifique,
celle-ci était alors condamnée à n’exister qu’à la marge en fonction des nécessités de
l’intégration économique. Seule une impulsion extérieure à la Commission pouvait donc
modifier la situation.
Cet élan fut donné par les programmes l’Europe contre le Cancer et l’Europe contre le Sida
qui ont lancé un long processus, aujourd'hui encore inachevé, de développement d'une
cohésion de l'organisation sanitaire de la Commission. Résultant d'initiatives du Président
Mitterrand motivées par des raisons personnelles et politiques (Randall 2000), plutôt que par
des justifications techniques déployées en réalité a posteriori, ces programmes de santé
publique, respectivement mis en place en 1987 et 1991, ont été appliqués avant même que la
Communauté n'acquière de compétences explicites en la matière. La mise en oeuvre de ces
programmes a été confiée à une unité créée pour l'occasion et placée par défaut au sein de la
Direction Santé et sécurité au travail, dans la mesure où cette dernière était la plus directement
engagée dans les questions de santé. Ce processus de structuration administrative de la santé
s'est poursuivi avec l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, qui donnait pour la première
fois des compétences de santé publique à la Communauté (article 129). Cet événement a
légitimé l'action des fonctionnaires de la Commission chargés de la santé et leur a permis
d'enclencher une rapide émancipation vis à vis de la santé au travail et donc des
considérations économiques. Concrètement, cela s’est manifesté par l’inversion du rapport
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entre le nombre d’unités consacrées à la santé au travail et le nombre d’unités consacrées à la
santé publique. En 1998, ces dernières étaient devenues majoritaires au sein de cette
Direction. En toute logique, l’intitulé de la Direction a évolué de Santé et sécurité au
travail vers Santé publique et sécurité au travail, consacrant ainsi la nouvelle place accordée
à la santé publique. Isolée au sein des affaires sociales qui mobilisaient cinq des six Directions
opérationnelles de la DG V avant la réorganisation Prodi, le sanitaire restait néanmoins
soumis au social en termes de priorité politique, de visibilité, d'objectifs, et de moyens. Après
être apparue comme un résidu de la politique économique communautaire, la politique et
l'administration communautaire de la santé étaient donc devenues en quelques sortes un
appendice de la politique sociale malgré une certaine institutionnalisation administrative et
juridique grâce à des impulsions politiques.
II.2. La DG Sanco: une DG focalisée sur la sécurité alimentaire
La crise de la “vache folle”, qui faisait suite à d'autres crises de sécurité alimentaire, a
engendré des modifications notables dans le traitement de la santé par la Communauté. Au
niveau juridique d'abord, l'article 152 du traité d'Amsterdam a remplacé l'article 129 du traité
de Maastricht et a étendu, précisé et renforcé les compétences communautaires en matière de
santé publique. Au niveau administratif ensuite, les services de la Commission ont été
restructurés pour répondre aux crises de sécurité alimentaire. Suite aux critiques concernant le
monopole de la DG Agriculture sur la sécurité alimentaire, cette dernière a été placée sous
l’autorité de la DG Politique des Consommateurs (DG-XXIV). Celle-ci devint alors en 1997
la DG Politique des consommateurs et protection de leur santé, traduisant le nouveau poids
accordé à la santé. Devant l'existence de cette nouvelle DG et après l’augmentation des
compétences communautaires en matière de santé publique par le traité d’Amsterdam, le
maintien en l’état de la Direction Santé publique et sécurité au travail apparaissait de moins
en moins pertinent, d’abord en raison du rôle toujours plus mineur joué par la sécurité au
travail, ensuite en raison de l'inadéquation entre la santé publique et son environnement
administratif. A la suite de l'adoption de l'organigramme de la Commission Prodi, la santé
publique est alors sortie des compétences de la DG Emploi pour entrer, sous la forme d'une
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Direction – la Direction Santé publique – dans celles de la DG XXIV rénovée9. Organisée
autour d’activités sanitaires, la DG XXIV devint ainsi la DG Santé et protection des
consommateurs (DG Sanco).
La naissance de la DG Sanco a été un symbole fort adressé à l’ensemble des institutions
communautaires, Commission comprise, de l’intérêt à accorder dorénavant aux
préoccupations sanitaires. L’agrégation des Directions qui ont été regroupées dans Sanco et le
recrutement de nouveaux fonctionnaires ont fait en outre de la DG Sanco une des DG les plus
dotées en personnel, donc une des DG les plus aptes à peser sur le sens général de l’activité
communautaire, brisant ainsi le cercle vicieux dans lequel était enfermée “la politique
communautaire de santé” qui voulait qu’aucun organe de la Commission ne soit assez
spécialisé et puissant pour la porter. En outre, en rapprochant un certain nombre d'activités de
santé, la Commission a diminué les inconvénients liés à la fragmentation des compétences en
réduisant la concurrence entre ses organes et le nombre d’opposants potentiels aux
propositions à caractère sanitaire émanant de la Commission. Pour reprendre l’analyse de G.
Fuchs (1994), la fragmentation des compétences pose effectivement problème au
développement d’un secteur donné en raison de la concurrence qu’elle entraîne sur les
frontières d’autorité, sur les stratégies à appliquer, sur les priorités à définir ou entre les
réseaux de soutien.
Les crises sanitaires ont donc entraîné une réorganisation administrative de la Commission
européenne débouchant sur une DG presque exclusivement consacrée à la gestion de dossiers
sanitaires, ce qui a eu à la fois des effets symboliques importants et des effets matériels
remarquables. Cette évolution de la place de la santé dans l’organigramme de la Commission
ne peut toutefois pas s’inscrire dans un cadre d'explication néo-institutionnaliste puisqu’il
n'est pas possible d'affirmer que les fonctionnaires européens chargés de la santé ont exploité
les crises sanitaires afin d’influencer les réorganisations successives de leurs services dans un
sens favorable. Ces derniers, encore trop faibles, ont, au contraire, subit des décisions
éminemment politiques et largement déterminées par le contexte extérieur comme le
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9 Voir en annexe 1 le schéma récapitulatif de l’évolution de la santé publique dans l’organigramme de la
Commission.
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confessait implicitement D. Byrne (2000), Commissaire de la DG Sanco, lorsqu'il déclarait le
16 mai 2000 devant le Parlement européen:
'I made very clear at the time of my appointment that our policy on health protection
must not be guided by the latest newspaper headline or the most recent crisis. Instead it
must look at the full range of policies which impact on health'.
Cependant, malgré les apparences, la DG Sanco est loin de constituer une “DG Santé”. En
effet de nombreuses activités sanitaires essentielles, comme la recherche médicale ou les
produits médicaux, restent sous le contrôle d'autres DG (Merkel & Huëbel 1999). Surtout, à
l'image des nouvelles dispositions du traité d'Amsterdam, l'approche de la santé portée par la
DG Sanco est très circonscrite. L'analyse de l’organigramme de cette DG montre
effectivement que sur les sept Directions que comporte actuellement la DG Sanco, quatre sont
presque exclusivement affectées à la sécurité alimentaire et une reste dévolue à la protection
des consommateurs. On constate donc que, de la même façon que la santé publique avait
asphyxié la Direction Santé et sécurité au travail, la sécurité alimentaire a phagocyté
l’ancienne DG XXIV en absorbant la politique des consommateurs. La santé publique n'est
représentée quant à elle que par la Direction Santé publique. La protection de la santé, et en
particulier la sécurité alimentaire, qui n'est qu'une des composantes des politiques de santé
publique, et qui en l'occurrence s'applique avant tout au consommateur, est donc quasi-
hégémonique dans la DG Sanco.
Outre le déséquilibre entre les moyens techniques que l’organigramme de la DG permet de
percevoir, les moyens politiques de la DG Sanco sont de fait largement focalisés sur la
sécurité alimentaire, ce qui a valu au Commissaire responsable de cette DG, le surnom de
“Commissaire ESB”. A ce titre, un chef d'unité de la Direction G nous précisait: 'Quand
Byrne est arrivé il était très intéressé par la santé publique mais il a été piégé tout de suite.
Dioxine, ESB, fièvre aphteuse, il ne fait que de la santé alimentaire […] il est pris dans les
événements' (Entretien, DG Sanco, Mars 2001). Il ne faut pas négliger par ailleurs l'intérêt
pour la carrière d'un Commissaire de gérer un dossier doté d'une telle visibilité.
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Les priorités de leur Commissaire ne constituent pas la seule difficulté que rencontrent les
fonctionnaires de la Direction Santé publique de la DG Sanco pour accéder au niveau
décisionnel. Lors de la mise en accusation de la Commission Santer il a été reproché aux
Commissaires de ne pas être suffisamment attentifs à l’activité des services dont ils exercent
la responsabilité politique. En réponse à ces critiques Romano Prodi a notamment décidé de
redéployer les bureaux des Commissaires dans les bâtiments abritant les DG sous leur autorité
alors qu’auparavant les Commissaires étaient rassemblés dans un immeuble spécifique. La
santé publique n’a pas bénéficié de ce changement. En effet, les bureaux de la DG Sanco,
comme ceux de D. Byrne, sont situés à Bruxelles mais, pour des raisons historiques et
politiques, ceux de la Direction Santé publique se trouvent à Luxembourg10. Alors que ce
bricolage a été maintes fois dénoncé – en particulier par le Parlement européen (Mountford
1998) et par la Commission elle même (Commission-Chantraine 2000) – la situation n'a
toujours pas été modifiée. Cet éparpillement porte effectivement préjudice aux organes de
santé publique, ceux-ci étant éloignés de leur représentant politique, c'est à dire leur
Commissaire, installé à Bruxelles, en même temps qu'ils sont écartés du centre de décision
communautaire et de l'accès aux discussions informelles qui s'y tiennent en permanence. Cette
situation serait dommageable pour n’importe quel secteur d’activité mais elle l’est
particulièrement pour la santé publique en raison de son caractère éminemment intersectoriel
qui nécessite des relations constantes avec les autres DG. Mais les logiques politiques ont
encore une fois été plus fortes que les impératifs techniques puisque, afin de maintenir
Luxembourg comme centre politique européen, le gouvernement Luxembourgeois n'a pas
autorisé le transfert de la Direction Santé publique à Bruxelles.
Si la santé publique n’était certes pas la priorité de la DG Emploi, la création de la DG Sanco
n'a donc pas permis pour autant à la santé publique d'approfondir la visibilité et
l’indépendance qu’elle commençait à acquérir dans la DG Emploi. La sécurité alimentaire a
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10 La situation géographique de l'actuelle Direction Santé publique est liée à son insertion originelle dans la
Direction chargée de la sécurité et de la santé au travail, l'emplacement de celle-ci ayant été fixé en 1965 par une
décision des chefs de gouvernements exigeant que la protection sanitaire se trouve à Luxembourg, (Décision
67/446/CEE, 67/30/Euratom, Journal officiel n° B 152 du 13/07/1967 p. 0018 – 0020).
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été la seule à profiter de la réorganisation administrative de la Commission. L’activité de la
DG Sanco n’est pas motivée avant tout par la santé de la population, c’est à dire par la santé
publique, mais par celle du consommateur. L’intitulé de la DG Sanco, Santé et protection des
consommateurs, qui est resté relativement long malgré la volonté du Président Prodi de
raccourcir et de simplifier les noms des DG11, n’est donc pas anodin. Il est aussi révélateur
que l’organigramme du caractère d'artefact de la DG Sanco, bricolée à partir d'éléments
hétéroclites12.
La création de la DG Sanco plutôt que de favoriser le développement de l’activité de santé
publique de la Commission a donc au contraire constitué – au moins dans un premier temps –
un frein à l'institutionnalisation du rôle de la Commission en matière de santé, puisque la
politique communautaire de santé a dû se contenter d'être une politique de protection des
consommateurs (Lefebvre 1999). Illustrant ainsi 'la co-présence permanente dans la sphère
communautaire de l’actualité immédiate et du projet non encore réalisé' (Lequesne, Smith,
1997:175).
II.3. Vers une DG santé?
La fenêtre d'opportunité (Kingdon 1984) ouverte par les crises de sécurité alimentaire s'est en
fait ouverte en deux temps puisqu'il a fallu attendre que ces crises ne monopolisent plus les
agendas médiatiques et politiques pour que les structures de la Commission chargées de la
santé parviennent à insuffler de la pertinence et de la cohérence à leur rôle. Sur le plan
législatif d'abord, les membres de ces services, qui ont profité d'une plus grande implication
de leur Commissaire, sont parvenus à faire adopter des directives importantes dans le domaine
de la lutte contre le tabagisme (Directive 2001/37/EC) et dans celui de la qualité et de la
sécurité du sang humain (Directive 2002/98/EC), d'autres devraient suivre rapidement
notamment dans le domaine des tissus et des cellules d'origine humaine. Ces évènements
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11 Sur les objectifs de la réorganisation de la Commission par le Président Prodi voir Nugent N. (2001: 134-135). 12 L'existence de trois entrées distinctes pour la sécurité alimentaire, les consommateurs et la santé publique sur
la page d'accueil du site Internet de la Commission est elle aussi significative de l'hétérogénéité des composantes
de la DG Sanco.
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semblent prouver que, dans un contexte favorable ou à tout le moins non défavorable, les
stratégies de légitimation développées par la Commission peuvent porter leur fruits.
L'adoption pour la période 2003-2008 d'un nouveau programme d'action dans le domaine de
la santé publique (Décision n°1786/2002/EC) vient en outre confirmer et soutenir l'émergence
d'un leadership de l'administration européenne de la santé. Ce programme a effectivement
pour objectif explicite de mettre fin à l'approche verticale de la santé publique adoptée
jusqu'alors par la Commission. Dans ce cadre, les organes sanitaires de la Commission étaient
structurés en fonction des maladies et les traitaient individuellement, sans réflexion globale,
au risque de certaines incohérences et répétitions car certaines maladies comportent des
éléments transversaux aux unités qui en ont la charge. L'approche proposée par le nouveau
programme est au contraire basée sur trois objectifs généraux et horizontaux, ce qui devrait
donner lieu à une activité de santé publique plus cohérente13.
Par ailleurs, à partir de l'été 2003, la Commission va entreprendre une lente mais significative
réorganisation administrative afin d'améliorer la pertinence et la cohérence de ses politiques
de santé publique. Cette réorganisation commencera par la création à Bruxelles d'une, voire
de deux unités chargées des questions législatives, internationales et intersectorielles. Ceci
dans le but de favoriser le travail législatif en matière de santé publique et l'intégration des
politiques de santé dans les autres politiques de la Communauté. Ce réaménagement risque
toutefois d'engendrer un certain flou puisque les services chargés de la gestion du programme
de santé publique, qui seront eux aussi réorganisés en fonction des objectifs de ce programme,
resteront à moyen terme à Luxembourg. Ils seront aidés dans leur fonction par une Agence
exécutive qui sera prochainement mise en place et qui devrait permettre aux fonctionnaires de
la Commission d'abandonner un certain nombre de tâches administratives au profit de tâches
plus techniques. A terme, c'est à dire probablement pas avant 2006, cette Agence et d'autres
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13 Ces trois objectifs sont :
a) améliorer l'information et les connaissances en vue d'une meilleure santé publique
b) renforcer la capacité à réagir rapidement et de manière coordonnée aux menaces pour la santé
c) promouvoir la santé et prévenir les maladies en prenant en compte les facteurs déterminants pour la santé à
travers toutes les politiques et activités.
�
services seront insérés dans un Centre européen indépendant pour la prévention et le contrôle
des maladies basé sur le modèle du Center for Disease Control and Prevention (CDC)
d'Atlanta.
Citant un officiel de la DG Relations extérieures, N. Nugent et S. Saurugger écrivent :
'Administration will always oppose its own reorganization. The Commission is not an
exception in this context' (2002: 355). L'affirmation est sans aucun doute pertinente lorsque
les membres de l'organisation sont satisfaits de leur situation. Le cas étudié ici montre en
revanche que lorsque l'organisation dessert ses membres ceux-ci n'hésiteront pas à réclamer
une réorganisation. Même si un certain nombre d'opposition peuvent apparaître sur des détails
très pragmatiques, chacun, parmi les administrateurs de la santé, souhaite depuis longtemps
une réorganisation de la Commission et est favorable à la future structuration présentée ci-
dessus. Malgré les multiples obstacles qui se posent à l'enracinement du rôle de la
Commission en matière de santé et qui ont contraint ce domaine d'activité à évoluer de façon
peu cohérente au gré de priorités politiques et médiatiques à la rationalité contestable, les
organes sanitaires de la Commission parviennent donc, peu à peu, à institutionnaliser leur rôle
et à insuffler une cohérence à cette intégration chaotique.
Si les avancées organisationnelles à venir traduisent l'avènement d'un certain leadership il ne
faut cependant pas conclure à l'affirmation certaine d'un leadership de l'administration
européenne de la santé puisqu'il a fallu attendre l'apaisement des crises de sécurité alimentaire
pour que la santé publique réapparaisse sur la scène communautaire. Le leadership de
l'administration communautaire de la santé ne sera avéré que lorsque cette administration aura
remporté une épreuve de force, par exemple parvenir à freiner à une DG “économique”, et
sera parvenue à mettre fin à l'instabilité chronique de son organisation. Or, la faiblesse du
leadership de l'administration européenne de la santé pourrait connaître d'autres illustrations
dans un avenir proche à la faveur de nouvelles structurations administratives contingentes et
bricolées. Ainsi, à la suite du prochain élargissement de l'UE et malgré les souhaits de la
Convention européenne, le nombre de Commissaires sera vraisemblablement augmenté afin
que chaque nationalité soit représentée à ce poste, il faudra donc augmenter le nombre de
�
portefeuilles en conséquence (Nugent 2001: 104). A ce titre la création d'une DG Santé est de
plus en plus souvent évoquée dans les couloirs de la Commission14, ce qui remettrait en cause
l'ensemble des évolutions prévues.
Grâce à la mise en place de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) qui va
attirer vers elle une partie importante des activités relatives à la sécurité alimentaire et à
l'arrivée d'autres activités d'ordre sanitaire cette DG ressemblera vraisemblablement beaucoup
plus à une DG Santé que ce n'est le cas pour la DG Sanco. Cependant, la nouvelle DG sera
comme la DG Sanco très probablement constituée à partir de services existant déjà dans
d'autres DG, ce qui, dans un premier temps, ne manquera pas de conférer à nouveau un
caractère bricolé à cette DG Santé.
Conclusion : Du risque de capability-expectation gap
A partir de la supposition béhavioriste selon laquelle toute entité cherche à développer son
pouvoir et son autonomie, les analyses néo-institutionnalistes de la Commission ont largement
démontré que celle-ci pouvait, relativement aisément, assumer un rôle de "principal" (Stone
Sweet, Caporaso 1998). De nombreuses études empiriques ont en effet insisté sur la capacité
de la Commission à se comporter en entrepreneur politique et à étendre ses compétences et,
plus généralement, celles de l'UE (Mazey 1995). Selon G. Majone (2002) cet accroissement
continu des tâches de l'UE plutôt que de la renforcer la mettrait en péril: en privilégiant la
quantité des compétences à leur qualité la Commission aurait créé elle-même le capability–
expectation gap qui la menacerait (Cram 2001). Faute de ressources administratives,
budgétaires et techniques suffisantes, la Commission ne serait effectivement pas en mesure
d'assumer nombre de compétences qu'elle a pourtant réclamées ce qui ébranle sa crédibilité et
son autorité.
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14 Par exemple dans le cadre de la restructuration générale des services de la Commission à Luxembourg et du
transfert d'une partie d'entre aux à Bruxelles, en novembre 2002 les syndicats de la Commission ont proposé un
organigramme pour une future DG Santé basée à Luxembourg.
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L'administration européenne de la santé est elle aussi confrontée au risque de capability-
expectation gap de façon tout à fait frappante, celui-ci est d'autant plus dangereux pour elle
qu'il existe déjà des arènes internationales prêtes à se substituer à la Commission pour la
gestion des dossiers sanitaires. Ainsi, les activités confiées aux organes sanitaires de la
Commission augmentent régulièrement, alors que le Parlement européen s'insurge
fréquemment contre le sous financement du programme de santé publique (Randall 2001),
que l'organisation inefficiente et les effectifs limités de la Direction Santé publique sont
souvent dénoncés (Mountford 1998), et que la base juridique apparaît inadaptée (Flynn 1997).
Cependant, à la différence des autres secteurs, ce ne sont pas ici les stratégies émancipatrices
des organes de la Commission qui creusent le fossé entre leurs compétences et leur moyens de
les mettre en œuvre. Cet article a en effet montré que dans la mesure où l'administration
européenne de la santé n'est pas encore parvenue à établir son leadership, ce sont des éléments
politiques et/ou contingents qui sont à l'origine de l'extension progressive des compétences
sanitaires communautaires, et qui, faute de consensus ou de volonté politique, imposent aux
organes sanitaires de la Commission une gestion bricolée de leurs tâches15. Si pour le secteur
de la santé la logique de développement du capability-expectation gap est particulière car
subie, les effets de cette situation sur l'autorité et la crédibilité de la Commission sont
néanmoins les mêmes que dans d'autres domaines. En complément indissociable d'un effort
de légitimation politique, institutionnel et technique, la construction du leadership de
l'administration européenne de la santé passe donc inévitablement par l'aptitude de ses
membres à se comporter en purposeful opportunists (Cram 1993) orientés vers le maintien
d'un équilibre entre la quantité et la qualité de leurs activités. Conscient de cet enjeu, Padraig
Flynn, Commissaire européen chargé de la santé dans la Commission Santer, déclarait ainsi:
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15 On pourra citer, en plus des exemple précédemment évoqués, l'introduction par le Parlement européen d'un
programme de lutte contre la maladie d'Alzheimer qui va entamer le budget déjà faible alloué à la santé publique
(Mossialos, Permanand 2000), ou encore l'introduction par le Conseil d'un programme de lutte contre le bio-
terrorisme en réaction aux attaques terroristes sur les Etats-Unis le 11 septembre 2001.
�
‘It is essential that we [target] our limited resources to particular areas. […] Let's not lose
our sense of direction by trying to tackle too many different issues or cover too many separate
agendas, however important each of them may be’ (Randall 2001:130).
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Adoption des Adaptation au traité Adaptation au traité Crise deprogrammes Cancer et Sida de Maastricht d'Amsterdam l'ESB
Activités principales des unités :Ruptures essentielles dans
Santé et sécurité au travail l'organisation de la Commission
Santé publique
(DG Sanco)
Annexe I. Evolution de la santé publique dans la structure interne de la Commission
DG Emploi et Affaires Sociales (ex-DG V)DG Santé et Protection
du Consommateur
Direction Santé et sécurité au travail
Selon les périodes
Direction Santé et sécurité au travail
Direction Santé publique et sécurité au travail
Direction Santé publiqueDirection Santé publique et sécurité au travail
L'unité reste dans l'ex- DG V