" La nature du savoir sociologique : considérations sur la conception wébérienne " (2006...

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LA NATURE DU SAVOIR SOCIOLOGIQUE : CONSIDÉRATIONS SUR LA CONCEPTION WEBERIENNE. Paru in L’Année sociologique, 2006, vol. 56/2, pp. 369-388. Quels sont les effets cognitifs de l’abstraction scientifique dans le domaine de la sociologie 1 ? Il n’est évidemment pas question, ici, de réitérer une enquête maintes fois effectuée et, moins encore, de trancher entre les différentes réponses apportées à chaque fois. On voudrait seulement (et c’est déjà d’une ambition sans doute excessive) faire retour sur la conception weberienne dans ce domaine. La démarche d’abstraction est en effet centrale dans la méthodologie weberienne, dans la mesure où son auteur affirme, d'une part, que l’objet sociologique (à l’instar de tout objet scientifique) n’est jamais « donné » au chercheur qui doit le constituer à partir d’un matériau empirique essentiellement chaotique et insignifiant et, d'autre part, que cet objet n’est pas autre chose que des significations collectives qui ne peuvent elles-mêmes être appréhendées qu’à partir des significations qu’elles ont pour l’observateur, le sociologue. On abordera ici deux questions : celle, d'une part, de la nature de l’objet sociologique tel que celui-ci ressort de la méthodologie weberienne, et celle, d'autre part, de la nature du savoir produit par la même méthodologie à propos de cet objet. Dans un dernier temps, on montrera, à travers un exemple choisi dans la littérature sociologique contemporaine, les fourvoiements qui menacent un usage mal contrôlé de cette méthodologie. Signalons enfin que le choix d’un abord des Essais sur la théorie de la science par ce qu’ils ne sont pas principalement – c'est-à-dire une méthodologie – permettra peut-être d’éviter de s’enliser dans les apories épistémologiques souvent suscitées par un texte difficile et parfois obscur. I – Weber insiste avec force sur le caractère « empirique » des disciplines scientifiques qu’il subsume sous le nom de science sociale [Sozialwissenschaft]. 1 Cet article reprend et développe le texte d’une communication faite lors du Colloque organisé sur le thème « L’explication en sociologie : quels sont les niveaux d’abstraction légitime ? » par l’Université de Nancy 2, les 17, 18 et 19 octobre 2005.

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LA NATURE DU SAVOIR SOCIOLOGIQUE :

CONSIDÉRATIONS SUR LA CONCEPTION WEBERIENNE.

Paru in L’Année sociologique, 2006, vol. 56/2, pp. 369-388.

Quels sont les effets cognitifs de l’abstraction scientifique dans le domaine

de la sociologie1 ? Il n’est évidemment pas question, ici, de réitérer une enquête

maintes fois effectuée et, moins encore, de trancher entre les différentes réponses

apportées à chaque fois. On voudrait seulement (et c’est déjà d’une ambition sans

doute excessive) faire retour sur la conception weberienne dans ce domaine. La

démarche d’abstraction est en effet centrale dans la méthodologie weberienne,

dans la mesure où son auteur affirme, d'une part, que l’objet sociologique (à

l’instar de tout objet scientifique) n’est jamais « donné » au chercheur qui doit le

constituer à partir d’un matériau empirique essentiellement chaotique et

insignifiant et, d'autre part, que cet objet n’est pas autre chose que des

significations collectives qui ne peuvent elles-mêmes être appréhendées qu’à

partir des significations qu’elles ont pour l’observateur, le sociologue.

On abordera ici deux questions : celle, d'une part, de la nature de l’objet

sociologique tel que celui-ci ressort de la méthodologie weberienne, et celle,

d'autre part, de la nature du savoir produit par la même méthodologie à propos de

cet objet. Dans un dernier temps, on montrera, à travers un exemple choisi dans

la littérature sociologique contemporaine, les fourvoiements qui menacent un

usage mal contrôlé de cette méthodologie. Signalons enfin que le choix d’un abord

des Essais sur la théorie de la science par ce qu’ils ne sont pas principalement –

c'est-à-dire une méthodologie – permettra peut-être d’éviter de s’enliser dans les

apories épistémologiques souvent suscitées par un texte difficile et parfois obscur.

I – Weber insiste avec force sur le caractère « empirique » des disciplines

scientifiques qu’il subsume sous le nom de science sociale [Sozialwissenschaft].

1 Cet article reprend et développe le texte d’une communication faite lors du Colloque organisé sur le thème « L’explication en sociologie : quels sont les niveaux d’abstraction légitime ? » par l’Université de Nancy 2, les 17, 18 et 19 octobre 2005.

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Celle-ci ne peut admettre comme objet que des phénomènes empiriques, et tant

leur explication que la validation de cette explication doivent être empiriquement

fondées. Il s’agit pour lui, à l’évidence, de soustraire les sciences sociales et, plus

généralement, les « sciences de la culture » à des fondements purement

conceptuels, à la pure spéculation interprétative, aux jugements de valeurs et

aux vaticinations socio-politiques. Bref, selon les mots mêmes de Weber, « la

science que nous pratiquons est une science de la réalité

[Wirklichkeitswissenschaft] » 2 – tout le reste n’étant qu’ « exercices à base de

concepts collectifs dont le spectre rôde toujours » faute de procéder directement

de l’action d’ « individus singuliers » [Einzelnen] 3.

Pour ce faire, le matériau ne manque pas. Il serait même surabondant dans

la mesure où il est constitué d’une infinité de conduites humaines (physiques et

morales) et des objets (matériels et symboliques) qui en résultent. Ces

« événements » discontinus, diversifiés à l’extrême et perpétuellement produits et

reproduits (« une diversité absolument infinie de coexistences et de successions

d’événements qui apparaissent et disparaissent » 4) sont dépourvus du moindre

principe d’organisation interne et, donc, de sens intrinsèque. La réalité sociale

empirique, décrite poétiquement par Weber comme un « chaos » traversé par le

« flux du devenir », est donc incapable d’offrir au sociologue des objets

substantiels. La seule réalité immédiatement objectivable est celle d’actions

individuelles qui produisent un monde social bien réel mais qui ne se laisse pas

classifier ou spécifier de manière univoque et stable. En d’autres termes, le sens

propre du monde social (pas plus, d’ailleurs, que celui du monde « naturel ») n’est

2 WEBER Max, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales » (1904), Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 152. Voir aussi : « Le point de départ de l’intérêt que nous portons aux sciences sociales est indubitablement la configuration réelle, donc singulière de la vie culturelle et sociale qui nous environne (…). », Ibid., p. 155, souligné dans le texte.

3 « [s]i, au bout du compte, je suis moi-même devenu sociologue (…), c'est essentiellement pour mettre un terme à la pratique qui hante encore les lieux et qui consiste à travailler avec des concepts de collectifs [Kollektivbegriffe]. En d'autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut se pratiquer qu’en partant de l’action d'un, de plusieurs ou d’un grand nombre d’individus, par conséquent de manière strictement ‘individualiste’ quant à la méthode. » in « Max Weber à Robert Liefmann (lettre du 9.03.1920, traduite par J.-P. Grossein) », Revue française de sociologie, 46-4, 2005, p. 923 (souligné dans le texte).

4 WEBER Max, Op. cit., p. 153.

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ni donné ni à découvrir – ou, plus exactement, est en permanence produit par les

acteurs sociaux qui le découvrent en même temps qu’ils le construisent. Les faits

sociaux ne sont pas des champignons que l’on rencontre sous ses pas et que l’on

cueille, ou que l’on peut découvrir si on sait les chercher. S’ils ont bien une

existence a priori, c'est-à-dire extérieure au chercheur, ils sont dépourvus des

signes d’identification qui permettraient de les reconnaître – comme chez

Durkheim, par exemple, avec le double critère de l’extériorité et de la contrainte5.

Le sociologue weberien se trouve donc face à une réalité sociale qui n’a pas

de signification intrinsèque et qui, de ce fait, ne peut lui offrir spontanément ni

objet ni problématique. Il n’existe pas de phénomènes sociaux qui s’imposent

immédiatement à son observation et à son investigation. Pourtant, s’il se livre

nonobstant à l’activité sociologique, c’est bien parce qu’il est parvenu à constituer

l’objet de cette activité selon un principe subjectif – parce qu’il a pu introduire un

ordre quelconque dans le « chaos ».

Le sociologue (mais c’est également vrai de l’historien ou de l’économiste)

est en effet animé par ce que Weber appelle des « intérêts de connaissance »

[Erkenntnisinteresse] 6, c'est-à-dire qu’il est porteur d’une demande cognitive qui

reflète des enjeux personnels ou, le plus souvent, collectifs – pour un groupe

social donné, à une époque donnée et dans un lieu donné. Ces enjeux sont

évidemment fonction d’un « rapport aux valeurs » [Wertbeziehung] particulier du

sociologue et d’une partie de ses contemporains, rapport qui définit et hiérarchise

les objectifs de toute représentation et de toute conduite sociales. La réalité

sociale n’est donc pas vraiment muette ; disons plutôt qu’elle ne sait s’exprimer

que dans le langage de son observateur. Et c’est, comme on le sait, en

sélectionnant parmi l’infinité d’évènements qui s’offrent à lui ceux qui, seuls, ont

pour lui (ou ses commanditaires) une « signification culturelle » 7, que ce dernier

va définir son objet d’étude – et ce de manière totalement arbitraire.

5 DURKHEIM Émile, Les Règles de la méthode sociologique [1895], Paris, P.U.F., 1995.

6 WEBER Max, Op. cit., p. 140.

7 « La réalité empirique est culture à nos yeux parce que et en tant que nous la rapportons à des idées de valeurs, elle embrasse les éléments de la réalité et exclusivement cette sorte d’éléments qui acquièrent une signification pour nous par ce rapport aux valeurs. », Ibid., p. 159, souligné dans le texte.

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Weber nous rappelle donc – et c’est un point essentiel – qu’il n’y a pas

d’objet sociologique (ou historique) sans problématique socio-culturelle donnée.

Et ce rappel va bien au-delà de la prescription bachelardienne de construction de

l’objet, voire du perspectivisme saussurien. Cette problématique, le sociologue la

projette en quelque sorte sur le monde socio-historique, et c’est cette projection

qui va permettre de révéler les phénomènes sociaux qui vont constituer ses objets

théoriques. Dans une telle perspective, la distinction habituelle entre l’objet et la

problématique de recherche devient sans grande pertinence : l’objet n’est pas

construit indépendamment de la question qui lui est posée. (On constatera au

passage que cette opération de constitution de l’objet n’est nullement inductive,

qu’elle ne crée pas cet objet à partir du donné empirique mais bien à partir d’une

question – celle qui naît d’un rapport aux valeurs et, donc, d’un intérêt de

connaissance spécifiques chez le sociologue.) C’est ainsi que des éléments a priori

insignifiants et discontinus de la réalité sociale sont sélectionnés puis assemblés

pour constituer un ensemble phénoménal significatif – qu’il s’agisse du

catholicisme médiéval, de l’artisanat urbain ou de la domination charismatique,

toutes entités qui n’ont évidemment pas d’autre réalité que celle que le chercheur

leur confère à titre temporaire et pour satisfaire son « intérêt de connaissance »

tant sur le plan intellectuel que sur le plan culturel.

La question qui se pose ici est celle de la nature exacte de l’objet ainsi

construit. Cette construction est-elle, d’un point de vue empirique, totalement

arbitraire – « subjective » – ou bien a-t-elle aussi une base objective et laquelle ?

La méthode weberienne est-elle, comme on a pu le prétendre parfois 8 en

l’opposant radicalement au positivisme, un nominalisme absolu ?

Une lecture trop rapide des Essais sur la théorie de la science pourrait

laisser penser que, pour utiliser une formule célèbre, le sociologue « ne s’autorise

que de lui-même » lorsqu’il construit son objet en sélectionnant puis en

assemblant des éléments épars et individuellement non significatifs d’une réalité

empirique totalement amorphe. Weber n’écrit-il pas lui-même que « ce qui devient

objet de recherche ainsi que les limites de cette recherche au sein de l’infinité des

8 GURVITCH Georges, Traité de Sociologie/I, Paris, P.U.F., 1962, en part. pp. 15 et 58.

5

connexions causales, ce sont les idées de valeurs dominant le savant et une époque

qui les déterminent » 9 ? Mais, dans le même temps, ne serait-ce pas négliger la

définition donnée plus tard de la sociologie dans Économie et société, selon

laquelle la vocation de cette discipline est l’étude des régularités sociales10 ?

Malgré l’irréductible insignifiance du donné empirique, Weber a bien le

sentiment que les intérêts et les valeurs du sociologue ne peuvent pas constituer

le seul et unique principe d’organisation de ce chaos. S’il est vrai que la condition

pour qu’un phénomène social soit tenu pour un objet de recherche légitime est

qu’il revête une « signification culturelle » pour le sociologue (ou, c’est souvent la

même chose, pour certains de ses contemporains), cette signification ne peut pas

reposer sur les seules valeurs signifiées : elle doit aussi renvoyer à un objet

signifiant ! Dans le cas contraire, l’objectivation sociologique se réduirait à pure

herméneutique close, ou encore à un solipsisme, un peu comme la lecture dans

du marc de café. En d’autres termes, il faut, pour décider du caractère

culturellement significatif d’un phénomène social, que ce phénomène ait été

préalablement identifié.

Weber reconnaît sans difficulté que, à l’instar de ce qui se pratique dans les

sciences naturelles ainsi que chez les tenants d’une sociologie positiviste, il est

parfaitement légitime de rechercher inductivement des régularités empiriques

dans le but d’ordonner le chaos empirique à travers des « lois » de divers types. Il

est d’ailleurs pleinement favorable – il le répète à l’envi – à la conquête de cette

« connaissance nomologique » 11 qui s’avèrera indispensable au sociologue à la

9 WEBER Max, Op. cit., p. 171, c’est nous qui soulignons. Voir également : « On ne saurait jamais déduire d’une étude sans présuppositions […] du donné empirique ce qui prend à nos yeux une signification. Au contraire la constatation de cette signification est la présupposition qui fait que quelque chose devient objet de l’investigation. », Ibid., p. 160, souligné dans le texte. Ou encore : « La qualité d’un événement qui nous le fait considérer comme un phénomène ‘social et économique’ n’est pas un attribut qui, comme tel, lui est ‘objectivement’ inhérent. Elle se laisse plutôt déterminer par la direction de l’intérêt de notre connaissance telle qu’elle résulte de l’importance culturelle spécifique que nous accordons à l’événement en question dans le cas particulier. », Ibid., p. 140, souligné dans le texte.

10 « La sociologie […] élabore des concepts de types et elle est en quête de règles générales du devenir. Elle s'oppose à l'histoire qui a pour objet l'analyse et l'imputation causale d'actes, de structures et de personnalités individuelles, culturellement importantes. » (WEBER Max, Économie et société/I [1920], Paris, Plon (« Agora »), 1995, T. I, p. 48, souligné dans le texte.)

11 Par exemple : « (…) il n’est, en général, pas possible de faire une imputation valable d’une conséquence singulière quelconque sans le secours de la connaissance ‘nomologique’, c'est-à-dire

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fois pour la formulation de ses hypothèses et pour conduire la phase probatoire

de l’explication. Il n’y a donc, de sa part, aucune forme de proscription

nomothétique ; il n’y a que l’affirmation constante de l’insuffisance de la seule

explication (déductive-)nomologique dans une domaine de la réalité où l’on peut –

par une démarche « compréhensive » – remonter non seulement à des conduites

mais aussi à leurs « motifs », c'est-à-dire à certaines de leurs causes12.

Mais il y a plus encore. Il semble en effet, à bien le lire, que Weber situe le

travail nomothétique à l’origine même du processus de constitution de l’objet

sociologique. Cela apparaît clairement lorsqu’il écrit que le but de la sociologie est

« la connaissance de la signification culturelle et des rapports de causalité de la

réalité concrète, grâce à des recherches portant sur ce qui se répète conformément à

des lois »13. C’est peut-être parce que Weber aborde toujours la question des

« lois » de façon négative (pour affirmer qu’elles ne sont pas le « but » mais

seulement un « moyen » de la recherche sociologique14) que l’on a généralement

négligé ces passages où il affirme clairement que c’est bien l’observation de

régularités empiriques qui est au commencement de l’entreprise sociologique. Il

en est ainsi dans la phrase suivante qui prend tout son sens méthodologique si

l’on en supprime la forme restrictive : « L’établissement de ces ‘lois’ et ‘facteurs’

(hypothétiques) ne constituerait jamais que la première des multiples opérations

auxquelles nous conduirait la connaissance que nous nous efforçons

d’atteindre »15. Et c’est bien là, de fait, le protocole suivi par Weber dans L’Éthique

protestante et l’esprit du capitalisme dont le prologue est constitué par la mise en

sans la connaissance de régularités des connexions causales. » (WEBER Max, Essais sur la théorie de la science, Op. cit., p. 164, souligné dans le texte.)

12 On ne peut, à cet égard, que partager le jugement de Catherine COLLIOT-THÉLÈNE (in « Expliquer/comprendre : relecture d’une controverse », Espaces Temps, 2004 (84/85/86), pp. 6-23), selon lequel « […] il est urgent d’arracher définitivement son œuvre [celle de M. Weber] aux volontés annexionnistes de la philosophie herméneutique (voire de la phénoménologie quand celle-ci lie son sort à l’herméneutique) » (p. 15).

13 WEBER Max, Essais sur la théorie de la science, Op. cit., p.157, c’est nous qui soulignons la dernière partie de la phrase.

14 Ibid., p. 163.

15 Ibid., p. 158, souligné dans le texte.

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évidence d’une corrélation positive entre appartenance à la religion protestante et

participation au monde industriel en Allemagne16.

Ainsi, si toute régularité empirique (qu’il désigne souvent par le terme très

large et évidemment abusif de « lois »17) ne constitue pas nécessairement un

phénomène social, tout phénomène social manifeste nécessairement une certaine

régularité empirique18. On pourrait, sur ce point, faire tenir la position de Weber

dans trois propositions : d'une part, tout phénomène social manifeste, ou s’inscrit

dans, une régularité empirique (sinon, il ne s’agit que d’un événement historique

singulier, ou encore d’une conduite non sociale) ; d’autre part, une telle régularité

empirique n’intéresse le sociologue que si elle revêt pour celui-ci, hic et nunc, une

« signification culturelle » ; enfin et surtout, aucune « loi » ne livrera jamais le sens

d’un phénomène social19 et, donc, aucune connaissance purement nomologique

ne peut permettre cette « compréhension » dans laquelle consiste et à laquelle vise

la démarche sociologique afin d’appréhender le « sens subjectivement visé » des

conduites sociales. (Le seul problème, pour le lecteur, est que Weber emploie le

même terme de « signification culturelle » [Kulturbedeutung] dans – au moins –

deux sens distincts : d'une part, l’intérêt culturel pour le sociologue et, d'autre

part, le sens de l’action des acteurs20 ; et ce n’est pas parce que les deux peuvent

facilement se rejoindre qu’il faut les confondre…)

C’est donc par une opération d’abstraction de nature sélective ou, mieux

encore, élective que le sociologue weberien détermine et constitue son objet

puisqu’il s’agit de désigner, parmi les événements empiriques de nature

16 WEBER Max, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-05], Paris, Gallimard, 2004.

17 Nous nous permettons de renvoyer à notre : CUIN Charles-Henry, « Esistono leggi sociologiche ? » in BORLANDI Massimo et SCIOLLA L. (Éd.), La Spiegazione sociologica. Metodi, tendenze, problemi, Bologna, Il Mulino, 2005, pp. 33-44.

18 Cette régularité ne provient pas, comme chez Durkheim, du caractère « institutionnalisé » de conduites « contraintes » par les mêmes normes mais, outre « l’usage » et « la coutume », de « l’intérêt mutuel » – c'est-à-dire d’ « une orientation purement rationnelle en finalité de l’activité des divers individus d’après des expectations similaires. » (WEBER Max, Économie et société, Op. cit., T. I, p. 62, souligné dans le texte.)

19 « La signification de la structure d’un phénomène culturel et le fondement de cette signification ne se laissent titrer d’aucun système de lois, si parfait soit-il, pas plus qu’ils n’y trouvent leur justification ou leur intelligibilité, car ils présupposent les rapport des phénomènes culturels à des idées de valeur [Beziehung auf Wertideen]. » (WEBER Max, Essais sur la théorie de la science, Op. cit., p. 159.)

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hétérogène offerts à l’observation ceux qui présentent, tout à la fois, la régularité

d’une conduite collective et une importance culturelle directe ou indirecte pour

l’observateur. Il reste évidemment à savoir si ces régularités sont purement

empiriques ou si elles sont elles-mêmes constituées ex post. Dans une perspective

néo-kantienne, c’est très certainement la deuxième hypothèse qui est la bonne : il

n’existe de régularités que construites par l’observateur en fonction de ses

objectifs, de ses critères et des instruments d’observation et de mesure dont il

dispose. Sans doute existe-t-il bien, selon les lieux et les époques, certains

phénomènes collectifs empiriquement identifiables comme tels et dont l’objectivité

est indépendante de l’observateur. Il s’agit de ces entités socioculturelles

construites par les acteurs, de « représentations de quelque chose (…) qui flotte

dans la tête des hommes réels »21 et par lesquelles ils désignent à leur façon

certains produits de l’interaction sociale : l’État, la ville, la famille ou encore

l’Église catholique. Pourtant, le sociologue qui les prendrait, en l’état, comme

objet n’étudierait en fait que des « prénotions » durkheimiennes dont il pourrait

sans doute donner une description rigoureuse mais dont l’analyse ne livrerait

rien d’autre que l’état momentané des représentations collectives d’un groupe

social plus ou moins large. Or, toute la différence entre les ambitions respectives

d’un Durkheim et d’un Weber réside en ceci que, tandis que le premier cherche à

atteindre l’ « essence » de ce que le sens commun désigne comme un phénomène

social (par exemple, la « réalité » sociologique du châtiment, de l’éducation ou du

suicide, par opposition avec la définition « vulgaire » correspondante), le second

vise au contraire la signification de ces notions pour les acteurs qui les forgent et

les utilisent. En sorte que le sociologue weberien n’invalide pas ces

représentations spontanées dans la mesure où elles « orientent » les conduites

des acteurs22, mais reste particulièrement attentif au fait qu’elles ne constituent

pas nécessairement (et, à dire vrai, ne constituent que rarement) des effets

20 WEBER Max, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », Op. cit. 21 WEBER Max, Économie et société/I, Op. cit., p. 42, souligné dans le texte.

22 « (…) ces structures comme telles ont une importance causale fort considérable, souvent même dominante, pour le déroulement de l’activité des hommes réels », Ibid., p. 42.

9

collectifs émergents de conduites « réelles » et qu’elles peuvent fort bien n’exister

en tant que phénomènes sociaux que « dans la tête » des acteurs23.

L’objet sociologique weberien possède donc des caractéristiques toutes

particulières. Il est évidemment, comme tout objet scientifique, un objet « virtuel »

mais qui, paradoxalement, n’a pas pour vocation d’être en correspondance avec la

réalité empirique et les objets « réels » qu’elle exhibe de façon discontinue et

insignifiante24. Sa sous-détermination empirique est très accentuée – non

seulement du fait de son caractère « générique » mais aussi et surtout parce qu’il

ne constitue pas, en fin de compte, le véritable objectif cognitif du chercheur. En

effet, ce dernier cherche moins, comme on va le voir, à « expliquer » un objet

empirique (c'est-à-dire à en appréhender l’essence) qu’à reconstituer un

processus historique particulier en lien avec cet objet (c'est-à-dire à répondre à

une question de type « pourquoi ? »).

II – Quelle est, maintenant, la nature du savoir sociologique produit ? Le

but du sociologue est bien, chez Weber, d’expliquer les phénomènes sociaux par

la signification subjective des conduites dont ils procèdent. Toutefois, si les

phénomènes sociaux sont bien le résultat émergent de ces conduites et si ces

conduites ont (presque) toujours un sens subjectif pour leurs acteurs, elles ne

procèdent ni toujours ni nécessairement de ce sens – pour des raisons

généreusement exposées par Weber, largement commentées et, donc, bien

connues – même si beaucoup d’analyses empiriques qui se prétendent

« compréhensives » n’en tiennent pas toujours compte…25 En outre, les acteurs

eux-mêmes ne sont pas toujours directement accessibles (c’est le cas auquel

l’historien se trouve généralement confronté). Enfin, les processus d’agrégation

dont résultent ces phénomènes leur confèrent souvent, pour des raisons bien

23 Par exemple, un État peut fort bien n’avoir plus d’existence que juridique, ou une règle morale n’avoir jamais été appliquée par quiconque.

24 Sur la distinction entre objet virtuel et objet réel, voir : GRANGER Gilles-Gaston, La Vérification, Paris, Odile Jacob, 1993.

25 Pour une développement de cette critique, voir : CUIN Charles-Henry, Ce que (ne) font (pas) les sociologues. Petit essai d’épistémologie critique, Genève, Librairie Droz, 2000 (en part. Chap. VI).

10

connues26, des caractéristiques relativement indépendantes de celles des

conduites dont ils résultent. Les phénomènes (macro-) sociaux ne sont donc pas

toujours immédiatement explicables – et ils le sont même fort rarement – par leur

sens subjectif.

C’est pour résoudre cette antinomie que Weber élabore la méthode de

l’« idéaltype » [Idealtypus] 27. Celui-ci n’est nullement un substitut conceptuel de

la réalité ou d’un de ses segments (d’une « chose » dirait Durkheim). Il est

essentiellement une image mentale possible du type de conduites collectives dont le

phénomène étudié est un produit. La méthode consiste, dans les cas les mieux

opérants, à construire le phénomène étudié comme s’il résultait de l’agrégation et

de l’enchaînement de conduites orientées par une « rationalité en finalité »

[Zweckrationalität] – pour la simple et bonne raison que ce type de conduite est le

plus aisément compréhensible de façon directe pour un observateur extérieur.

Mais, parce que l’on ne peut pas préjuger du sens « réel » des conduites

collectives, l’idéaltype doit être systématiquement comparé à la réalité empirique.

L’idéaltype, qui ne saurait constituer une hypothèse relative à la nature du

phénomène étudié, constitue donc plutôt un instrument permettant de faire des

hypothèses – non sur la nature de ce phénomène (qui reste à jamais inconnue)

mais sur les causes sociales (« culturelles ») de ce phénomène28. L’objet ainsi

construit ne renvoie en effet qu’à des actions et, à travers elles, aux « raisons » des

acteurs et, donc, aux « causes » du phénomène auquel il correspond.

Mais, ce faisant et pour des raisons proprement méthodologiques, l’objectif

weberien se trouve partiellement abandonné. Il importe en effet de bien voir que

l’idéaltype ne permet pas d’accéder aux « motifs » subjectifs des acteurs dans la

mesure où sa construction concerne non pas des significations individuelles (le

sens donné par les acteurs à leurs conduites) mais seulement leur produit

collectif. Ainsi, la procédure propre à la méthode idéaltypique fait que

26 BOUDON Raymond, Effets pervers et ordre social, Paris, P.U.F., 1977, et La Logique du social, Paris, Hachette, 1979.

27 Nous utilisons, dans ce texte, la transposition française du mot allemand Idealtypus.

28 COENEN-HUTHER Jacques, « Le type idéal comme instrument de la recherche sociologique », Revue française de sociologie, 44-3, 2003, pp. 531-547.

11

l’imputation d’une signification aux conduites renvoie nécessairement à des

causes objectives et non à des raisons subjectives – à des « motifs ». L’observateur

ne peut en effet rendre compte que de ce qu’il peut observer empiriquement, c'est-

à-dire du déroulement réel de l’action, et non des motifs qui restent cachés dans

le for intérieur des acteurs et qui doivent être reconstruits. La procédure place

l’interprète non face à des acteurs mais face à des actions et à leurs cours. Au

contraire des acteurs qui, même lorsqu’ils sont accessibles et interrogeables, ne

sont pas nécessairement disposés à – ou capables de – révéler leurs « motifs »

subjectifs, les cours d’actions s’offrent sinon totalement du moins sans grande

ambiguïté à l’observation.

Ainsi, pour reprendre un exemple fameux de Jaspers, la comparaison de

l’événement de la gifle maternelle avec un idéaltype de la mère « rationnelle en

finalité » pourra me convaincre que la mère « réelle » a agi sous le coup de

l’émotion si j’observe par ailleurs que l’enfant n’arrête généralement pas de

pleurer quand on le gifle et que, de surcroît, la mère était alors rouge de colère.

Mais je ne saurai sans doute jamais si cette émotion était due au caractère

insupportable des cris de l’enfant, à un sentiment inconscient de culpabilité de la

mère ou encore au fait que le père venait de la quitter… – même si je l’interroge

sur ce point29.

En toute rigueur, la méthode de l’idéaltype ne permet donc d’atteindre

(dans les meilleurs des cas) que des causes objectives du cours d’action emprunté

par un acteur – pour la simple raison que l’idéaltype est un tableau d’actions et

non pas un tableau d’acteurs et que, en outre, c’est de l’action déjà accomplie qui

est référée à l’idéaltype30. Il est, bien sûr, toujours possible, pour des raisons

théoriques parfaitement justifiables par ailleurs31, de poser en principe que les

29 Voir, sur ce point : CUIN Charles-Henry, « Sociologie sans paroles : Durkheim et le discours des acteurs », in BORLANDI Massimo et CHERKAOUI Mohamed (Éd.), Le Suicide. Un siècle après Durkheim, Paris, P.U.F. (“Sociologies”), 2000, pp. 125-146.

30 Nous voulons signifier par là que le phénomène étudié est non seulement un effet « émergent » de conduites dont l’intention originelle peut être (et est généralement) étrangère aux conséquences collectives produites, mais aussi et encore que les cours d’action connaissent des modifications continuelles qui rendent quasiment impossible de les imputer à un nombre fini de « motifs » subjectifs. Selon la formule frappante de Colette MOREUX (« Weber et la question de l’idéologie », Sociologie et sociétés, XIV-2, octobre 1982, pp. 9-31), « Comment tirer un modèle unique et cohérent d’un chaos de comportements liés chaotiquement à un chaos de motifs ? »

31 BOUDON Raymond, Raison, bonnes raisons, Paris, P.U.F., 2003.

12

causes objectives de l’action sont réductibles à ses raisons subjectives. Mais on a

aussi le droit de continuer à douter que l’ « éthique protestante » ait

nécessairement joué un rôle quelconque dans le développement du capitalisme

occidental32.

Toutefois, si la méthode idéaltypique ne permet pas toujours d’assurer la

validité d’une explication et, a fortiori, d’une explication par le « sens visé », elle

permet en revanche d’écarter raisonnablement certaines hypothèses relatives à la

nature des conduites. Je peux – aujourd’hui – expliquer par « compréhension

directe [aktuelle] » que l’entrepreneur capitaliste cherche à faire du profit et en

réinvestisse une certaine partie, car il s’agit là d’une action parfaitement

rationnelle en finalité. En revanche, il m’est plus difficile de comprendre d’emblée

pourquoi le calviniste du XVIè s. travaille aussi durement et ne profite pas du

fruit de son travail. Soit il est fou, soit il est pervers. Si je fais plutôt l’hypothèse

qu’il est rationnel et qu’il doit alors avoir de bonnes raisons de faire ce qu’il fait, il

semble alors évident que ces raisons ne sont pas de type utilitaire mais bien,

selon la typologie weberienne, de type « axiologique ».

Le savoir que la méthode weberienne permet d’atteindre n’est donc pas

négligeable, même s’il est de nature très différente de celui que les méthodes

positivistes sinon atteignent, du moins prétendent atteindre. Grâce à la procédure

liée à l’emploi de l’idéaltype, cette méthode permet essentiellement de proposer

des hypothèses fortement étayées empiriquement sur l’explication des

phénomènes sociaux. Si l’on veut être un peu précis, il semble possible de parler

d’un savoir conjectural non gratuit qui est moins relatif à l’explication générale d’un

phénomène empirique qu’à la solution d’une énigme spécifique. Cette formulation

réclame évidemment quelques justifications.

Le sociologue weberien, parce qu’il ne dispose pas d’un objet empirique

constitué indépendamment d’un point de vue de connaissance et de valeur

particulier, n’est en mesure ni de le décrire de façon réaliste ni d’en définir

l’essence – qu’il s’agisse du capitalisme, de l’école républicaine ou encore de la foi

chrétienne. Il peut, en revanche, tenter de répondre à des questions spécifiques

32 DISSELKAMP Annette, L’Éthique protestante de Max Weber, Paris, P.U.F., 1994.

13

relatives à certaines caractéristiques partielles de la réalité empirique. Ainsi, s’il

ne saurait répondre aux questions de type « qu’est-ce que ? » (le capitalisme, etc.),

il est parfaitement à même d’avancer des hypothèses solides relatives à des

questions de type « pourquoi ? ». Pourquoi le capitalisme occidental s’est-il plus

rapidement développé dans les sociétés protestantes que dans les autres ?

Pourquoi l’école républicaine manifeste-t-elle une telle propension à sanctionner

scolairement les inégalités sociales ? Etc.

On pourrait donc soutenir sans contradiction ni incohérence que, dans la

perspective weberienne, l’objet sociologique n’existe pas, au sens où il aurait une

existence, même conceptuelle, clairement et définitivement identifiable. Dans

l’épistémologie positiviste, le statut de l’objet scientifique est clair. Il est un

phénomène naturel et l’explication de ce phénomène, si elle est convenablement

conduite, revêt une valeur de vérité intemporelle puisque c’est bien, dans ce cas,

une partie de « la nature » qui se trouve mise au jour. Lorsque Durkheim aborde

l’explication sociologique du suicide ou du châtiment, il affirme tenir un discours

sur quelque chose qui existe dans la nature. Sans doute l’objet du discours

scientifique a-t-il été préalablement élaboré, mais c’est à la fois pour le dégager de

la gangue culturelle dans laquelle il est parfois presque entièrement pris, et pour

donner naissance à un concept dont la signification est intégralement explicitée

et qui, par là, est réputé réaliser une adéquation quasi totale entre le concept (la

réalité scientifique) et sa signification (la réalité empirique). (Il reste, en fait, bien

évident que les « définitions préalables » durkheimiennes doivent leur valeur

heuristique aux présupposés théoriques qui les rendent possibles, plus qu’à la

seule induction empirique33.) Le sociologue weberien, lui, demeure indéfiniment

en quête de la définition d’un objet qui se situe plutôt dans la tension existant

entre une réalité empirique et un idéaltype qui ne peut pas en proposer d’autre

représentation que désespérément irréaliste.

33 C’est ce que reconnaît François-André ISAMBERT (« De la définition. Réflexions sur la stratégie durkheimienne de détermination de l’objet », L’Année sociologique, XXII, 1982, pp. 163-192) lorsqu’il affirme qu’ « il n’est donc pas outrecuidant de voir dans les définitions préalables de Durkheim en réalité de premières hypothèses théoriques, ou plus exactement le produit de toute une construction hypothético-déductive, où effectivement le ‘caractère extérieur’ joue un rôle fondamental, mais en supposant en arrière-fond une théorie déjà ébauchée ». (p. 177)

14

L’épistémologie weberienne place ainsi le chercheur devant le redoutable

paradoxe selon lequel on pourrait expliquer un phénomène social sans qu’il soit

cependant possible d’en donner une définition substantielle. Pourtant, le

paradoxe est facilement levé si l’on accepte, avec Weber, de considérer tout

phénomène social comme de l’action objectivée34 : dans cette perspective, en effet,

autant ces phénomènes ne sont que des « idéaux » culturels plus ou moins

conceptualisés (et qui « flottent dans la tête » des acteurs, voire des sociologues

eux-mêmes), autant les conduites qui s’y rapportent (pour les constituer ou pour

s’y régler) sont bien, comme nous l’avons noté plus haut, observables et

analysables. Ainsi, « expliquer » la magie revient à expliquer pourquoi des

individus la pratiquent, et non pas à tenter de déterminer ce qui en constituerait

l’être essentiel, la « vraie nature » 35. Dans une perspective « actionniste », la

magie n’existe que parce que des individus la pratiquent ; elle n’est donc pas

autre chose que la somme des « raisons » pour lesquelles ces pratiques

individuelles existent. Chercher à répondre à la question « qu’est-ce que la

magie ? » (pour savoir, par exemple, si elle se différencie – et en quoi – de la

religion ou de la science) reviendrait ainsi à chercher à définir un objet qui

n’existe que parce qu’on l’a défini comme tel… La question est donc plutôt celle

de savoir pourquoi des individus se livrent à certaines conduites qui semblent

être partiellement ou totalement dépourvues de rationalité aux yeux de certains

observateurs qui, pour cela, les qualifient de « magiques »36. Quant à la différence

entre (par exemple) la magie et la religion, elle est évidemment tout entière

indiquée par celle qui existe entre les définitions respectives qu’anthropologues et

sociologues en donnent – sans toujours prendre garde à ne pas glisser de

34 L’expression, empruntée à Philippe RAYNAUD (Max Weber et les dilemmes de la raison moderne [1987], Paris, P.U.F., 1996), pourrait prêter à confusion si l’on ne précisait pas que cette « objectivité » des phénomènes (macro-) sociaux ne doit pas être entendue de façon réaliste (par exemple, comme dans le « chosisme » durkheimien) mais seulement comme signifiant que ces phénomènes revêtent une réalité pour les acteurs.

35 C’est ce que montre, avec brio et au terme d’une enquête particulièrement bien informée, Pascal SANCHEZ dans sa Thèse : Les théories explicatives de la magie : les sciences sociales à l’épreuve d’une croyance collective, Thèse de Doctorat de Sociologie (ss. la dir. de R. Boudon), Université Paris-IV, ronéo, 2005, 749 p.

36 Voir, pour un abord « cognitif » de la question des croyances et des pratiques magiques : BOUDON Raymond, Le Sens des valeurs, Paris, P.U.F., 1999 et Raison, bonnes raisons, Op. cit.

15

définitions nominales vers des définitions réalistes. Identifier l’entreprise cognitive

weberienne à une « sociologie de l’action » n’est donc pas une vaine expression :

s’il est vrai que toute réalité sociale n’est qu’action, alors la sociologie doit

rabattre l’analyse des phénomènes sociaux sur l’analyse des conduites et des

interactions dont, aux yeux de l’observateur, ils procèdent. L’épistémologie

weberienne précède donc, dans ce domaine comme dans bien d’autres, celle de

Karl Popper qui nous enseignera que les questions de type « Qu’est-ce que ? »

doivent être rejetées par l’esprit scientifique. La première le fait au nom du

caractère purement nominal des définitions conceptuelles, le second pour lutter

contre un essentialisme stérilisant37. Mais l’une et l’autre nous permettent de

dépasser le paralogisme selon lequel on peut expliquer un phénomène collectif

sans en connaître nécessairement la nature essentielle.

Aussi pourrait-on affirmer successivement que :

1 - les idéaltypes weberiens ne constituent pas les objets de la recherche du

sociologue : ils n’en constituent qu’un instrument (ils ne sont, si l’on accepte

l’expression, que des « objets méthodologiques ») ;

2 - dans la méthodologie weberienne, l’objet sociologique n’existe donc pas

comme une entité – même virtuelle – descriptible et analysable en tant que telle ;

il existe d’abord comme une énigme empirique à résoudre (ce n’est pas tant le

capitalisme que l’on cherche à expliquer que, par exemple, pourquoi il s’est

développé ici plus ou mieux que là) ;

3 - en conséquence, le sociologue ne peut rien affirmer scientifiquement sur

la nature d’un phénomène social quelconque ; il ne peut que se prononcer, et

seulement en termes probabilistes, sur l’explication de certaines dimensions de ce

phénomène.

37 POPPER Karl, Le Réalisme et la science, Paris, Hermann, 1990. « (…) je rejette toute les questions du type ‘Qu’est-ce que ?’ – autrement dit les questions qui concernent ce qu’est une chose, son essence, sa vraie nature.(…) Cette conception animiste n’explique rien, mais elle a conduit certains essentialistes (comme Newton), à fuir les propriétés relationnelles, telle la gravitation, et à croire, pour des raisons considérées comme valides a priori, que toute explication satisfaisante doit se fonder sur des propriétés inhérentes (par opposition aux propriétés relationnelles). » (pp. 155-156, souligné dans le texte.)

16

III – On peut, pour illustrer ce dernier propos par un exemple significatif,

examiner rapidement les effets de connaissance d’une recherche célèbre où

d’aucuns ont naguère voulu voir une analyse réaliste du système scolaire

français. De fait, ce que les auteurs de La Reproduction38 étudient n’est sans

doute rien moins que l’idéaltype d’un système scolaire lorsque – et seulement

lorsque – il est conçu et construit comme un instrument de « reproduction

sociale ». L’erreur serait donc bien d’identifier une réalité sociale particulière

historiquement et spatialement située (ici, l’École française des années soixante) à

l’un de ses idéaltypes. Ce faisant, on prendrait pour la réalité ce qui n’en est

qu’une interprétation possible si l’on se place d’un « point de vue de valeurs »

particulier.

Or, le seul enseignement qui nous est fourni par La Reproduction est qu’il

existe bien, dans la structure et le fonctionnement du système scolaire français,

un certain nombre de traits qui pourraient permettre d’expliquer les effets

« reproductifs » de ce système. En effet, la confrontation de l’objet empirique à un

idéaltype construit en référence à un fonctionnement rationnel de « reproduction

sociale » révèle une grande proximité entre les deux éléments de la comparaison.

(Pour le dire autrement : si les acteurs du système scolaire avaient voulu qu’il

fonctionne ainsi qu’il fonctionne, ils ne l’auraient pas conçu autrement.) Mais

cette proximité d'une part ne signifie pas une identité et, d'autre part, ne peut pas

être analysée comme résultant nécessairement d’une intention des acteurs et,

moins encore, d’une « intention » du système lui-même. Se vérifie ici le risque que

l’on prend à déduire mécaniquement les intentions des acteurs, toujours

inaccessibles à l’analyste, de l’analyse du produit de leurs actions et d’en faire

ainsi les « causes » du phénomène étudié39.

Cette proximité entre l’objet empirique et l’objet méthodologique (un

idéaltype) signifie seulement que l’École possède certaines des caractéristiques

structurelles qui sont susceptibles (Weber parlerait de « chances ») de rendre

38 BOURDIEU Pierre et Jean-Claude PASSERON, La Reproduction ; éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris, Minuit, 1970.

39 Weber lui-même n’aurait jamais affirmé que les Puritains du XVIème siècle avaient l’intention de créer le capitalisme !

17

compte des phénomènes de reproduction sociale qui s’y jouent. Elle ne signifie

aucunement ni qu’elle puisse être réduite à ces caractéristiques structurelles ni

que ces potentialités soient nécessairement actualisées et produisent de la

reproduction. En effet, ces caractéristiques favorables à la reproduction ne sont

pas – en principe – exclusives d’autres caractéristiques qui, elles, permettraient

au contraire de rendre compte de phénomènes non plus de « reproduction » mais

bien d’ « émancipation » (ou encore de mobilité scolaire ascendante). Ainsi,

d’autres chercheurs porteurs d’autres « intérêts sociaux » et animés de valeurs

différentes pourraient fort bien élaborer une autre problématique relative non plus

à l’explication des phénomènes de reproduction sociale engendrés par l’École

mais à celle des phénomènes de promotion sociale qui s’y jouent également – et

dans des proportions d’autant plus significatives que, à l’époque où cette

recherche fut menée, ces phénomènes prenaient une importance croissante 40.

Mais, bien sûr, il eût fallu pour cela ne pas rejeter purement et simplement

l’évidence empirique de l’accroissement de la mobilité sociale inter-

générationnelle, et qu’il ne considèrent pas non plus les « succès » scolaires des

plus défavorisés comme résiduels et, donc, insignifiants41.

Mais ce n’est pas tout. La thèse cardinale, même si elle reste implicite, des

auteurs de La Reproduction semble bien être que les effets de « reproduction »

qu’ils dénoncent possèdent des conséquences fonctionnelles pour le maintien

d’un statu quo social qui serait favorable tout à la fois aux intérêts des classes

dominantes de la société et à ceux des acteurs (les enseignants) du système

scolaire lui-même. On est là dans un « hyper-fonctionnalisme » qui veut que tout

phénomène social ne soit pas seulement une conséquence d’un fonctionnement

mais l’objectif visé par une fonction42. (« Si c’est ainsi que ça fonctionne, c’est que

c’est fait pour fonctionner ainsi ! ») Et c’est sans doute ceci qui explique que l’on

ait pu tenter d’imposer l’idéaltype de l’ « École reproductrice » comme une

définition ontologique du système scolaire français de la fin des années soixante,

et que l’on ait ainsi réduit l’École au modèle théorique construit dans La

40 Voir, sur ce point : CUIN Charles-Henry, « La sociologie et la mobilité sociale : les énigmes du cas français », Revue française de sociologie, XXXVI, 1, 1995, pp. 33–60.

41 À l’aune quantitative du phénomène, Durkheim n’aurait jamais dû s’intéresser au suicide…

18

Reproduction. C’est là, sans doute, une négligence particulièrement regrettable de

la leçon weberienne qui enseigne pourtant ad nauseam qu’aucun concept

idéaltypique n’est assimilable à la réalité empirique qu’il a pour vocation

d’expliquer.

*

* *

L’épistémologie weberienne nous représente l’espace sociologique comme

une métaphore de l’espace social. Le sociologue, tout comme l’acteur social, y agit

en fonction des significations qu’il y décèle et qui sont elles aussi fonction

d’ « idées de valeur ». Mais cette démarche qui, chez l’acteur, possède une portée

pratique reste, chez le sociologue, à visée essentiellement cognitive. S'il s’agit bien,

pour ce dernier, de connaître les représentations et les croyances qui orientent

l’action sociale, cette connaissance n’est jamais indifférente à l’objet à connaître ;

au contraire, elle est culturellement motivée par des « intérêts » sociaux (y

compris des « intérêts de valeurs ») qui, dans le même temps, en suscitent la

recherche et en orientent les procédures de découverte. Chez l’un comme chez

l’autre, les significations recherchées ne se trouvent dans l’objet à connaître ou

dans les situations objectives de l’action mais bien dans l’environnement culturel

du sujet43. Quand Weber évoque la « signification culturelle » qu’un phénomène

social revêt pour les acteurs, il fait référence aux motivations subjectives des

conduites qui, dans la mesure où leur agrégation donne lieu à ce phénomène,

s’objectivent en lui. Et quant il évoque – en utilisant exactement la même

expression (« Kulturbedeutung ») – la « signification culturelle » qu’un phénomène

social revêt pour le sociologue, il fait référence aux motivations tout aussi

42 BOURRICAUD François, « Contre le sociologisme : une critique et des propositions », Revue française de sociologie, XVI (suppl.), 1975, pp. 583-603. 43 Herbert G. BLUMER (Symbolic Interactionism, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1969) développera cette conception proprement weberienne selon laquelle les significations ne sont inhérentes ni aux choses ni aux sujets. Les sujets ne sont ni des traducteurs (de signes que les choses leur

19

subjectives qui amènent celui-ci à constituer en objet d’étude un fragment de la

réalité empirique. Ainsi, le processus par lequel le sociologue constitue sa

problématique cognitive est de même nature que celui par lequel les acteurs

sociaux constituent leur problématique pratique. Ce qui différencie, pour

l’essentiel, le « sujet épistémique » qu’est le sociologue du « sujet égocentrique »

qu’est tout acteur social44, ne peut donc résider que dans la procédure active et

réflexive du « rapport aux valeurs » (Wertbeziehung)45 qui, généralement

inexistante chez l’acteur, devient chez le sociologue un principe méthodologique

de construction de son objet et de relativisation de ses résultats analytiques –

relativisation consistant à indexer ces résultats au point de vue particulier qui les

a suscités et produits.

Si l’entreprise weberienne s’avérait être tout entière dirigée, ainsi qu’on a

pu l’affirmer, par une « problématique » de la culture et de la civilisation, et ne

s’intéressait que par épithèse au social et à « la société » 46 (mais il faudrait alors

rendre raison de la publication, même posthume, de Économie et société !), les

problèmes méthodologiques que nous avons mis au jour et soulignés ne seraient

pas bien graves. Si, en revanche, on estime pouvoir lire Weber comme un

authentique sociologue47, alors la portée et les limites mêmes de sa méthode

invitent ses collègues tout à la fois à justifier et à modérer leurs ambitions en

prenant, grâce à elle, la mesure tant du possible (qui est vaste) que du

chimérique (qui n’est jamais très loin).

enverraient) ni des herméneutes autonomes. Ils produisent des significations des choses en raison de et grâce à l’ « univers symbolique » qui leur est commun.

44 Nous empruntons cette distinction à : PIAGET Jean, Épistémologie des sciences de l'homme, Paris, Gallimard, 1970.

45 Nous nous référons ici à l’interprétation donnée par Julien FREUND (Sociologie de Max Weber, Paris, P.U.F., 1966) du « rapport aux valeurs » (Wertbeziehung) comme procédure méthodologique d’objectivation, par le chercheur, de son rapport personnel à certaines valeurs dans le but d’expliciter les « motifs » subjectifs de sa recherche au plan de sa problématique, de ses hypothèses et, donc, de ses résultats.

46 « ‘Intellectuellement’, Weber et la sociologie actuelle vivent chacun de son côté, sans contact. Une sociologie dont le courant dominant a incontestablement comme objet primordial la ‘société’, qui, dans son orientation devenue essentielle, veut explicitement être ‘sociologie et uniquement sociologie’ une tendance qui […] s’oppose expressément à la sociologie ‘historico-existentialiste’, ne peut pas du tout suivre les traces de Weber. » (HENNIS Wilhelm, La Problématique de Max Weber, Paris, P.U.F., 1996, p. 73.). Voir, pour une analyse dans cette veine : WATIER Patrick, « M. Weber : analyste et critique de la modernité », Sociétés, n° 66, 1999/4, pp. 73-93.

47 CHAZEL François, Aux fondements de la sociologie, Paris, P.U.F., 2000 (voir le chap. 1 : « Comment faut-il interpréter l’œuvre de Weber ? », pp. 17-47).

20

L’enseignement le plus rassurant de la méthodologie (mais aussi de

l’épistémologie) weberienne est en effet que la sociologie n’est susceptible de

donner réponse qu’aux questions qu’on lui pose, et à condition de préciser que

ces réponses ne sont qu’hypothétiques et que ces questions sont de type explicatif

et nullement de type ontologique. Le tout sans préjudice du caractère

éventuellement différent, voire contradictoire, des réponses qu’elle pourrait

donner à d’autres questions si on les lui posait. En fait, son trait le plus

désenchanteur est bien que le savoir sociologique, relatif et partiel comme il l’est,

exclut toute affirmation dogmatique et, par là, ne peut constituer qu’une

ressource très fragile pour l’action48. La leçon weberienne n’est donc pas tout à

fait négligeable pour un monde sociologique auquel il peut arriver de naturaliser

outre mesure tant les objets qu’il construit que les explications qu’il propose et

qui, par ailleurs, n’est pas toujours totalement attentif au fait que, entre les

phénomènes étudiés et les discours des acteurs, s’intercalent des processus

d’agrégation ou de composition où se situent sans doute les véritables enjeux de

l’analyse sociologique puisque c’est à travers ces processus que s’opère la

transformation bien mystérieuse des « motifs » en « réalités sociales ».

Charles-Henry CUIN Université Victor Segalen-Bordeaux 2 LAPSAC [email protected]

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– , Raison, bonnes raisons, Paris, P.U.F., 2003.

48 WEBER Max, Le Savant et le politique, Op. cit.

21

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22

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