Post on 06-Feb-2023
Sommaire
Préface Michel Reddé 9
Xavier Deru, Discussion préalable autour du concept de consommation. Ricardo González Villaescusa 13
Se nourrir
L’essor des blés nus en France septentrionale : Véronique Zech-Matterne,systèmes de culture et commerce céréalier autour de Julian Wiethold et Bénédicte Pradatla conquête césarienne et dans les siècles qui suivent. avec la coll. de Françoise Toulemonde 23
Mouture de subsistance, d’appoint et artisanat alimentaire
de rendement. Les meules gallo-romaines entre villes
et campagnes dans le nord de la Gaule. Paul Picavet 51
Le matériel de mouture des habitats du Pôle d’activités Alexandre Audebert,du Griffon, à Barenton-Bugny et Laon (Aisne). Vincent Le Quellec 67
Les meules rotatives en territoire carnute :
provenances et consommation. Boris Robin 85
La consommation des poissons en France du nord à
la période romaine. Marqueur socio-culturel et Benoît Clavel etartefacts taphonomiques. Sébastien Lepetz 93
Coquillages des villes et coquillages des champs :
une enquête en cours. Anne Bardot-Cambot 109
La consommation des ressources animales en milieu rural :
quels indices pour quelle caractérisation de cet espace
socio-économique ? Tarek Oueslati 121
Consommer dans les campagnes de la Gaule romaineActes du Xe congrès de l’Association AGER
Sous la diretion de
Xavier Deru et Ricardo González Villaescusa
Le concept de « consommation » est vague et suspect. Vague, il l’est tout d’abord dans la classifica-
tion dichotomique des sites par beaucoup d’archéologues qui distinguent « sites de production »
d’une part, et d’autre part, « sites de consommation », c’est-à-dire tout le reste : aussi bien les sites
d’habitat ruraux, des agglomérations, des sanctuaires ou des nécropoles. Ensuite, « société de
consommation », « consumérisme » sont souvent employés dans un sens péjoratif. La consomma-
tion étant perçue soit comme une bouillie culturelle lorsqu’elle est de masse, soit comme un moyen
d’exclusion, de distinction quand elle est aux mains des élites. S’il est vrai que notre « société de
consommation » n’est pas comparable aux sociétés de l’Antiquité, une réflexion sur « la » société de
consommation peut nous aider à comprendre la « consommation », donc la production depuis un
autre point de vue, certes, moins habituel, de l’Antiquité.
Caractérisation de la consommation d’origine animale et Sophie Lefebvre,végétale dans une exploitation agropastorale du début de Emmanuelle Bonnaire, Samuel Lacroixl’Antiquité à Vitry-en-Artois (Pas-de-Calais). et Oscar Reverter-Gil 129
La diversité morphologique du porc en tant qu’indicateur
des mécanismes de gestion de l’élevage porcin et de
l’approvisionnement des villes romaines. Apport de l’analyse Tarek Oueslati,du contour des troisièmes molaires inférieures du porc. Catherine Cronier 151
Une économie de marché entre la ville de Tongres et
son arrière-pays ? Les exemples de la gestion des
ressources animales et de l’approvisionnement en Fabienne Pigière etcéramique. Annick Lepot 155
De la viande et des pots dans la proche campagne David Germinet,d’Avaricum (Bourges-Cher) : exemple de la villa Emmanuel Marot,de Lazenay et mise en perspective. Marilyne Salin 171
La céramique des quatre habitats du IIIe siècle du
« Pôle d’activité du Griffon » à Barenton-Bugny et
Laon (Aisne). Amélie Corsiez 181
La consommation alimentaire d’après la céramique en
Champagne : comparaisons raisonnées entre la capitale Anne Delor-Ahü,des Rèmes et son territoire. Pierre Mathelart 193
La consommation de denrées méditerranéennes dans les
milieux ruraux de la Cité des Tongres : le témoignage des
amphores. Noémie Nicolas 219
Se loger
La circulation des terres cuites architecturales dans le
sud-est de l’Entre-Sambre-et-Meuse et zones contiguës, Laurent Luppens etd’après la répartition des estampilles. Pierre Cattelain 227
Diffusion des tuiles dans le nord de la Gaule : Guillaume Lebrun,le cas de la région d’Orchies (Nord). Gilles Fronteau 249
Échanger
La monétarisation des grands domaines ruraux de
Gaule septentrionale : une problématique nouvelle. Jean-Marc Doyen 267
La circulation monétaire dans les campagnes du
Languedoc à l’époque gallo-romaine : une
première approche. Marie-Laure Berdeaux-Le Brazidec 277
Guillaume Varennes, Cécile Batigne-Vallet, Christine Bonnet,François Dumoulin, Karine Giry,Colette Laroche, Odile Leblanc,Guillaume Maza, Tony Silvino et
Apports de l’ACR Céramiques de cuisine d’époque l’ensemble des collaborateurs deromaine en région Rhône-Alpes et Sud-Bourgogne à l’ACR Céramiques de cuisine d’époque la question des faciès céramiques urbains et ruraux : romaine en région Rhône-Alpes et bilan, limites et perspectives. Sud-Bourgogne 291
Consommer à l’échelle du site et de la région
Matthieu Poux avec la coll. deBenjamin Clément, Thierry Argant,Fanny Blanc, Laurent Bouby,Aline Colombier, Thibaut Debize,Arnaud Galliegue, Amaury Gilles,Lucas Guillaud, Cindy Lemaistre,Marjorie Leperlier, Gaëlle Morillon,
Produire et consommer dans l’arrière-pays colonial de Margaux Tillier, Yves-Marie ToutinLugdunum et de Vienne : étude de cas. Aurélie Tripier 323
La Vulkaneifel occidentale comme lieu de consommation
et de production du Ier au IVe siècle. Peter Henrich 357
Résumés (français, anglais). 365
INTRODUCTION
La relation d’interdépendance qui unit une colonieà son territoire en matière d’approvisionnementsvivriers, d’échanges de services, de circulation desbiens et des personnes, correspond à une situationfréquemment observée en Italie, en Espagne et enNarbonnaise. Ce n’est pas le cas dans les TroisGaules, où le processus de colonisation est beaucoupplus limité, voire inexistant au-delà de la moyennevallée du Rhône. Sur le territoire français, une telleapproche ne peut guère s’appliquer qu’à l’envi -ronnement des colonies de Vienna et Lugdunum, dontl’économie et les productions de biens manufacturésont déjà fait l’objet de nombreuses étudesspécialisées : qu’il s’agisse de la vaisselle céramique,des lampes, de la verrerie, des matériaux deconstruction ou des décors ou de la métallurgie, ladécouverte d’ateliers, corrélée à l’analyse statistiquedes dépotoirs d’entrepôts et d’habitat, permettent defaire la part respective de productions locales etd’importations qui circulaient en milieu urbain1.
Ces travaux ont une portée plus universelle dansl’histoire de l’économie antique. Le rôle des grandshorrea de Vienne dans les circuits de l’annone estpostulé depuis longtemps, tout comme celui de plaquetournante dévolu à Lyon dans l’acheminement et laredistribution de denrées et de marchandises endirection du limes et à l’échelle de tout l’Empire,confirmé, s’il était besoin, par les découvertes
effectuées en 2004 sur le site portuaire du ParkingSaint-Georges2.
Cette dimension a longtemps occulté leur vocationde centre économique au niveau régional, rarementprise en compte dans les études existantes.Particulièrement emblématique est le dossier desamphores dites «� lyonnaises� », dont la forme estimitée de modèles de conteneurs à vin ou à poissonconnus dans la péninsule italique ou ibérique. Il estadmis, malgré l’absence de découverte d’atelier,qu’elles ont été produites à Lyon-même sur les bergesde la Saône et l’on a longtemps supposé, faute d’uneproduction locale qui n’avait jamais été attestée parles fouilles, qu’elles étaient exclusivement dédiées aureconditionnement de denrées importées en vrac3.Cette hypothèse, qui reste valide pour les saumures etles sauces de poisson, est battue en brèche par la miseen évidence de vignobles et d’exploitations vinicolessur différents sites de la région lyonnaise4.
Le vin ne représente qu’une facette du corpus dedonnées élaboré au cours des dernières décennies dansla plaine de Vaise ou sur le Plateau lyonnais, quiinvitent à reconsidérer l’économie de Lugdunum dansla perspective de son arrière-pays colonial.Indépendamment de la question de l’annone, lesgrands horrea de Vienne ont d’abord vocation àconcentrer et à stocker des productions céréalièresprovenant de toute la cité. Leur capacité, inégalée àl’échelle de l’Occident romain, donne la mesure des
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIÈRE-PAYS COLONIAL DE LUGDUNUM ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 1
*. — Matthieu POUX, professeur, Université Lumière Lyon 2, UMR5138, MSH-MOM.1. — Pour un aperçu synthétique des sites de production fouillés àLyon et Saint-Romain-en-Gal, voir en dernier lieu : DESBAT A.,« Artisanat et commerce à Lugdunum », dans LE MER, CHOMER, 2007,
p. 214-222 (avec bibliographie antérieure) ; LEBLANC O. dans FAURE-BRAC 2006, p. 432 sqq. (avec bibliographie antérieure).2. — AYALA 2013.3. — DESBAT, DANGRÉAUX 1997.4. — POUX et al., 2011.
REVUE DU NORD - N° 21 HORS SÉRIE COLLECTION ART ET ARCHÉOLOGIE - 2013, P. 000-000
MATTHIEU POUX* avec la coll.de BENJAMIN CLÉMENT,
THIERRY ARGANT, FANNY BLANC, LAURENT BOUBY, ALINE COLOMBIER, THIBAUT DEBIZE, ARNAUD GALLIEGUE, AMAURY GILLES, LUCAS GUILLAUD,
CINDY LEMAISTRE, MARJORIE LEPERLIER, GAËLLE MORILLON, MARGAUX TILLIER, YVES-MARIE TOUTIN, AURÉLIE TRIPIER
Produire et consommer dans l’arrière-pays colonial de Lugdunum et de Vienne : étude de cas
circuits d’approvisionnement mis en place à l’échellelocale, dont on ignore presque tout. La mise enévidence d’entrepôts de grande capacité en marge dela villa de Saint-Romain-de-Jalionas5, ainsi que, peut-être, sur le site de Panossas en Isère6, nous ramène àune réalité souvent reléguée au rang de la vulgatehistorique : en Gaule tempérée comme ailleurs, ladéduction de colonies découle moins d’opportunitéspolitiques ou d’impératifs stratégiques que d’unprogramme planifié d’exploitation et de commercia -lisation à grande échelle des ressources locales.
Les conditions d’une étude synthétique portant surles modalités de consommation des denrées etmarchandises en région lyonnaise ne sont malheureu -sement pas réunies. L’état d’avancement des recher -ches portant sur l’environnement rural des colonies deVienne et de Lyon est encore embryonnaire7. Hormisle vin, on ne peut guère mentionner que quelques
études thématiques, consacrées à la circulation descéramiques communes8 ou à la verrerie9. Leur portéeest limitée par le nombre restreint de grandsétablissements ruraux fouillés et documentés demanière exhaustive. À l’exception notable des villaede Saint-Romain-de-Jalionas10 et de beynost11, lesdonnées recueillies sont soit trop anciennes (LaGrange du bief à Anse, le Gâ à l’Isle-d’Abeau), soitencore inédites (Fleurieux sur l’Arbresle)12. Une priseen compte de la multitude de sites ruraux mis au jourpar l’archéologie préventive est d’un faible recours :leur fouille est souvent partielle et leurs sols,généralement très arasés, livrent peu d’aménagementset de mobiliers susceptibles d’entraîner une analysefonctionnelle ou économique. La cartographie dessites répertoriés dans la région (fig. 1) renvoie à desréalités archéologiques très différentes. Inégal etlacunaire, ce corpus en trompe-l’œil ne prête pas à
2 MATTHIEU POUx et AL.
5. — ROyET et al. 20066. — POUx, bORLENGHI et al. 2012.7. — Programme de recherche porté par l’UMR 5138 Archéologie etArchéométrie, consacré aux relations ville campagne et à laromanisation des élites dans la région de Lyon et Vienne (ELCOL).8. — bATIGNE-VALLET 2012.
9. — COLOMbIER en prép.10. — ROyET et al. 2006.11. — MOTTE, VICHERD 2008.12. — Un aperçu exhaustif des découvertes régionales dans FAURE-bRAC 2006 (Rhône), bERTRANDy, bLEU, JOSPIN, ROyET 2011 (Isère).
Ozon
Bou
rbre
Aqueduc de l'Yzeron
Aqueduc de la Brevenne
Aqueduc des Mont d'Or
Aqueduc du Gier
St-Laurent-d'Agny / Goiffieux
Vaugneray
Tassin
VaiseEcully
Anse Miolan
St-Cyr
Lentilly
Châtillon
Chessy
Decines
Genas
Corbas
Communay
Marennes
Ternay
Serezin
Feyzin
Solaize
BeynostLa Boisse
Meyzieu
Panossas
St-Romain-de-Jalionas
Leyrieu
Villette-d'Anthon
Le Gâ
Roche
Frontonas
St-Quentin-Fallavier
Veyssilieu
Siccieu
Bourgoin-Jallieu
Ludna
Crémieu
COLONIA VIENNA
COLONIA LUGDUNUM
N
0 5 km
Agglomérations
Villae et établissements ruraux
aqueducs
Voies principales
Limites supposées du territoire colonial
FIG. 1. — Périmètre supposé du territoire de Lyon et localisation de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny.
comparaisons statistiques, ni à une approchemulticritère, similaire à celle adoptée en Gauleméridionale.
Faute de mieux, le problème de la consommationde denrées, de biens manufacturés et de services enrégion lyonnaise peut être abordé à travers l’étudemonographique d’un seul gisement : celui deGoiffieux, à Saint-Laurent-d’Agny (Rhône), dont leséquipements et les mobiliers particulièrement richeset bien conservés ont été documentés de façon à peuprès exhaustive. Au-delà de son état de conservationexceptionnel, cette villa mise au jour entre 2008 et201113 se distingue par son statut particulièrementélevé : l’étendue des bâtiments, supérieure à deuxhectares, la qualité de leur architecture et de leursdécors (péristyle, bains privés, peintures, mosaïques),ainsi que la diversité des productions mises enévidence dans leur environnement proche, sont sanséquivalent à l’échelle régionale, à l’exception descomplexes palatiaux de La Grange du bief à Anse oudu Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas.
La villa de Goiffieux n’est assurément pasreprésentative de l’ensemble des établissementsruraux de statut médian ou inférieur recensés sur leterritoire, caractérisés par un moindre investissementarchitectural, un appareil productif plus modeste etdes contacts plus limités avec l’extérieur. Mais elleréunit, de par sa richesse, toute la palette desmarqueurs de consommation pris en compte dans cevolume et offre, par conséquent, un bon aperçu descircuits de production et d’échange qui se sont mis enplace dans les campagnes lyonnaises au début del’époque romaine.
1. L’exempLe de La VILLA de GoIffIeux à SaInt-Laurent-d’aGny
La villa de Goiffieux se démarque, en premier lieu,par sa situation privilégiée du point de vue del’exploitation des ressources agricoles et des voies decommunication. Installée au pied des Monts duLyonnais, en bordure orientale des contreforts duMassif central, elle est orientée en direction descolonies de Lugdunum et de Vienna, dont elle n’estéloignée que d’une vingtaine de kilomètres.Prolongement occidental de l’implantation colonialeétablie sur l’éperon de Fourvière, le Plateau lyonnaisoffre un paysage vallonné qui bénéficie d’un climatrelativement tempéré, propice à la polyculture(céréales, fruits et vigne). Ces qualités lui valent d’êtreconsidéré aujourd’hui encore comme le « verger de
Lyon », dédié à l’approvisionnement quotidien desmarchés urbains. La position de la villa, située àquelque centaines de mètres du tracé de l’aqueduc duGier, à courte distance du Rhône, à moins de deuxkilomètres d’un réseau de voies secondaires qui reliaitLugdunum et Vienne à Feurs14, offrait des facilitéspour le transport en gros des marchandises.
L’environnement archéologique de la villa est biendocumenté par les travaux consacrés par P. bernardaux occupations antiques du Plateau lyonnais15. Lacarte des entités d’époque romaine recensées dans cesecteur au fil des prospections et des diagnosticsmontre qu’elle s’inscrit dans un territoire occupé parun réseau très dense d’établissements rurauxd’importance variable. Le site de Goiffieux sedistingue nettement de la plupart d’entre eux entermes de richesse et de longévité (fig. 2). Occupé encontinu sur près d’un millénaire, entre la fin du IIe s.av. J.-C. et le Moyen Âge (xe s.), il se démarque, tousétats confondus, par l’ampleur de ses aménagementsarchitecturaux comme par l’abondance des mobiliersretrouvés. L’analyse se focalisera plus précisément surla période julio-claudienne au sens large, de la fin del’époque gauloise au début de l’époque flavienne(états 2 et 3).
Les premières occupations de la fin de l’époquegauloise (état 1, La Tène D1b-D2a) sont matérialiséespar un réseau de fossés associés à des constructionssur poteaux plantés à vocation domestique et agricole,caractéristiques d’un vaste établissement rural de type« ferme indigène » (fig. 3). La présence de nom-breuses amphores vinaires et de céramiques à vernisnoir importées d’Italie participent d’une premièrephase de « consommation » de biens importés qui estantérieure à la conquête romaine ; ils sont associés àdes céramiques de cuisson et de table d’origine locale,qui illustrent la transformation sur place de denréesalimentaires produites dans l’environnement prochede l’enclos.
La première villa d’époque romaine, implantée dèsles années 40-30 avant notre ère (état 2a, fig. 4), s’or-ganise autour d’une grande cour encadrée sur troiscôtés par des bâtiments en matériaux périssables, dontle plan lacunaire a été reconnu sur près d’un hectare.L’aile sud est occupée par des bâtiments à caractèrerésidentiel, les deux autres ailes par des constructionslégères abritant des foyers artisanaux et des espacesfonctionnels (pars rustica, i.e. agraria et vinaria)comprenant les vestiges d’un pressoir à vin à armaturede bois aménagé dès l’époque augustéenne. Au nord-
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 3
13. — POUx et al. 2008-2011 ; POUx et al. 2010, 2011 ; POUx, SILVINO,à paraître.
14. — FAURE-bRAC 2006, p. 78-79.15. — bERNARD 2009.
est de cet ensemble s’étend une zone de cultures maté-rialisée par un réseau très dense de fosses et de tran-chées de plantation. Un vignoble sur pergola de typevitis compluviata16, associé à d’autres fosses de plan-tation oblongues ou circulaires de nature indétermi-née, suggèrent l’existence de pratiques culturalesdiversifiées, viticoles, céréalières, maraîchères et frui-tières, dédiées à la commercialisation et/ou à l’alimen-tation des occupants du domaine.
Le faciès de consommation de la villa ne se dis-tingue guère de celui de l’état précédent, sinon par lamise en œuvre d’une production vinicole à relative-ment grande échelle si l’on en juge par la taille dupressoir. Le mode de construction des bâtiments, iden-tique à celui qui caractérise les premiers quartiersd’habitations de la colonie de Lugdunum, traduitquant à lui une forte influence des modèles urbains17.Hormis les amphores et la vaisselle fine importées
4 MATTHIEU POUx et AL.
16. — POUx et al. 2011. 17. — DESbAT 2005, p. 105 sq.
Site 1er s. av. Haut-Empire
Limite de commune
Voie romaine (tracé supposé)
Tracé d'aqueduc
Bas-Empire
A B C A B C A B C
CHAVANEL
BELLE-AIGUE
LES MORTIERES
LES BARROTIERES
GOIFFIEUXBAS-GERMANY
GERMANY
TALUYERS
SAINT-MARTIN-DE-CORNAS
LA GRIOTTE
TARTARAS
LE MARLOREL
LES GRANGES
MONTAGNY
FIG. 2. — environnement archéologique de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny. P. bernard, mémoire inédit.
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 5
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St-Laurent-d’ Agny Villa de “ Goiffieux”
Plan général (état 2011)
50 m
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foyer
habitat
habitat
fossé de drainage ?
accès
dépendances agricoles ?
enclos périphérique
FIG. 3. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 1.
6 MATTHIEU POUx et AL.
783100 783200 783300
783100 783200 783300
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St-Laurent-d’ Agny Villa de “ Goiffieux”
Plan général (état 2011)
50 m
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00
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0
pars urbana
cour
puits
pars rusticapars vinaria
pressoir
puits
jardin / vignoble
FIG. 4. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 2 (30/40 av. J.-C.-15/20 ap. J.-C.).
d’Italie, plusieurs deniers de la République frappésdans le contexte de la bataille d’Actium, d’une figu-rine-plaquette d’origine syrio-égyptienne et d’un fondd’amphorisque hellénistique en pâte de verre surnoyau d’argile, sont les seuls témoins d’échanges àlongue distance18.
Cette première villa fait place au milieu du règned’Auguste à une construction plus confortable, fondéesur des solins maçonnés et dotée de sols en terrazzo.Cette phase de réfection préfigure le caractère palatialde la villa du Ier s., qui marque incontestablement unerupture dans l’appréhension du statut du site et de sesoccupants : de simple domaine de rendement, la villase mue en un vaste complexe résidentiel (fig. 5),pourvu de tous les aménagements de confort et d’os-tentation connus en milieu urbain (péristyle, bains pri-vés, bassins d’agrément, cuisine). De ce point de vueet de par sa richesse documentaire, ce dernier état seprête mieux que tout autre à une étude des usages deconsommation en vigueur dans les campagnes lyon-naises au début du Haut-Empire.
Comme tous les grands domaines ruraux d’époqueromaine, la villa de Goiffieux est partie prenante d’uncircuit économique bidirectionnel (fig. 6) : àl’existence d’un appareil de production dédié àl’exploitation des ressources locales (vin, céréales,fourrage, viande, lait) et à leur exportation sur lesmarchés urbains, répond classiquement celle de bienset de services importés de l’extérieur, à courte,moyenne et longue distance (autres denrées, maté -riaux de construction et de décor, vaisselle, mobilier,instrumentum). La balance des importations et desexportations est d’autant plus difficile à quantifierqu’elle repose principalement sur une approchepositiviste privilégiant ce qui est conservé audétriment des biens périssables. La part prépondéranteaccordée aux pratiques alimentaires, aux biens deconsommation courant et à leurs vestiges « fossiles »(céramique, métal, tabletterie), tend à occulter celledes « services » immatériels. L’intervention d’ouvriersou d’artisans spécialisés, le recours à des savoir-faire,à des modèles culturels ou ornementaux empruntés àl’extérieur, constituent autant de facettes d’une autreforme de consommation plus difficile à appréhender àtravers les fouilles.
2. conStructIon et décorS : La marque deS ateLIerS urbaInS
La construction d’un domaine constitue le toutpremier acte de « consommation » imputable à sesoccupants après l’acquisition des terrains. Elle faitappel à des compétences architecturales, à des ateliers,à des techniques de décor et à des matériaux en grandepartie exogènes, qui représentent un investissementfinancier considérable ou un amortissement sur lelong terme.
2.1. De la terre à la pierre : diversification desressources
Comme indiqué plus haut, les matériaux et lestechniques mis en œuvre pour la construction de lapremière villa d’époque triumvirale (état 2a, 40-30 av.J.-C.) sont relativement sommaires : ses élévations enterre crue et ses sols en terre battue ne diffèrent pas, enapparence, de ceux de la ferme gauloise sous-jacente.
L’argile utilisée est probablement d’origine locale,tout comme les blocs de gneiss utilisés pour les solins– la forte teneur en paillettes de mica qui caractériseces deux matériaux trahit une origine géologique com-mune19. Il en est sans doute de même pour les bois deconstruction, qui ont pu être prélevés sur les contre-forts boisés des Monts du Lyonnais. Si leurs essencesn’ont pu être déterminées, on sait qu’une partie d’en-tre eux ont été récupérés après démantèlement de laferme d’époque gauloise : la datation dendro-chrono-logique d’une planche en chêne utilisée pour le cuve-lage d’un puits aménagé dans les années 40-30 av. J.-Ca montré qu’elle provenait d’un arbre abattu au plustard dans le dernier tiers du IIe s. av. J.-C.20. La mise enœuvre de ces matériaux ne requiert en principe aucuneintervention extérieure puisqu’elle relève, dans larégion comme ailleurs, d’une tradition architecturaleindigène qui est bien antérieure à la période romaine21.
Ce mode de construction s’en démarque pourtantpar plusieurs aspects : l’organisation des bâtiments,qui s’inspire dès l’origine des plans de villae italiquesà cour centrale, la présence de portiques de façade,leurs fondations sur solins en pierre non liée aumortier et surtout, la mise en œuvre de cloisons debrique d’adobe en lieu et place du torchis, sont autantd’apports exogènes qui induisent une nette rupture au
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 7
18. — POUx et al. 2010.19. — Les Monts du Lyonnais sont constitués de roches métamor-phiques appartenant au socle cristallin du Massif central. La villa estimplantée sur un substrat d’anatexites à biotite et à deux micas (cou-
ramment appelée gneiss à deux micas) qui présente une structure feuil-letée alternant lits clairs (feldspath) et sombres (mica). 20. — POUx et al. 2008-2011, rapport 2011.21. — De KLIJN et al. 1996.
8 MATTHIEU POUx et AL.
balnéaire
pressoir
bassin
cuisine
péristyle
aqueduc ?
jardins / vignoble
fossé
natatio
triclinium
moulin ?latrine
pars rustica ?
pars urbana
pars vinaria
Etat 3 (Auguste-Néron)
enclos
FIG. 5. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 3 (15/20-60/70 ap. J.-C.).
sein de la tradition architecturale locale. Ils font appelà de nouvelles techniques de construction qui ne sontattestées, à une date aussi haute, que dans les centresurbains de Vienne ou de Lugdunum22.
Quelle que soit l’origine, indigène ou coloniale, despremiers propriétaires de la villa, ils ont probablementeu recours aux mêmes corps de métier, rompus à l’ex-ploitation des ressources locales au sens large. Lestegulae et imbrices utilisées pour la couverture desbâtiments (fig. 7) figurent assurément parmi les maté-riaux importés, aucun four de tuilier n’ayant étéreconnu dans le périmètre immédiat de la villa23. Il enva peut-être de même pour les pierres des solins,puisque aucune carrière antique n’est signalée dans lesecteur, tandis que des sites d’extraction de gneiss etde granit sont bien attestés à Lyon dès le début du Ier s.ap. J.-C. (fig. 8)24.
Ces interventions extérieures sont encore plusmanifestes dans le second état d’époque augustéenne
(état 2b, 10 av.-15 ap. J.-C.). Désormais dotée de solset de solins maçonnés, l’aile résidentielle gagne enconfort et en technicité architecturale. Elle continuede faire appel majoritairement à des matériaux d’ori-gine régionale, comme le gneiss utilisé pour l’ensem-ble des maçonneries, extrait dans un secteur plus oumoins proche du Plateau lyonnais. Le mortier, proba-blement gâché sur place à en juger par les niveaux detravail mis en évidence pour les états postérieurs, estformé d’un granulat de sables et graviers morainiquesd’origine locale. Il est lié par une chaux de qualité,issue d’un calcaire pur. Ce matériau, qui ne seretrouve pas dans l’environnement proche de la villa,a sans doute été prélevé dans les monts d’Or ou plusprobablement, en basse ou en haute vallée du Rhône,avant d’être acheminé sur le chantier sous la forme deblocs de chaux vive25.
Cet état n’a livré aucune trace de décor, à l’excep-tion de quelques tesselles noir et blanc de forme longi-
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 9
22. — Les techniques de construction mises en œuvre (avec solins, solen terre battue et foyers au sol) sont identiques, par exemple, à celles dupremier état de la domus de la rue des Farges ou encore, des domusfouillées à l’ouest du pseudo-sanctuaire de Cybèle : DESbAT 1984,2005 ; CLÉMENT, à paraître.23. — CHAMOUx 2008.24. — Par exemple sur le site de Chapeau Rouge à Vaise (LE MER,CHOMER 2007, p. 192). En revanche, l’usage de moellons en gneiss
dans les maçonneries est rarement attesté à Lyon même. Il peut égale-ment être envisagé qu’une partie des pierres proviennent du terrasse-ment effectué sur le site au moment de la construction de la villa.25. — À Lugdunum, les constructions d’époque augustéenne utilisentsoit des calcaires du miocène (calcaire du Midi), provenant de la bassevallée du Rhône, soit du calcaire urgonien (Pierre de Seysel) dont lescarrières sont localisées dans la commune de Franclens (Haute-Savoie) : PHILIPPE, SAVAy-GUERRAz 1989 ; SAVAy-GUERRAz 1997.
Ressources locales
Architecture et décors• matériaux de construction Interventions extérieures :(terre, bois, pierre, marbre, TCA) • fournisseurs en matériaux
• mosaïques • artisans spécialisés• peintures murales • transferts de technologie• adduction et aménagements hydrauliques • modèles ornementaux• plomberie
Ressources locales
Pratiques alimentaires• installations culinaires (foyers, culinae) Importation de marchandises à• alimentation carnée (faune) • courte distance (colonie et territoire colonial)• alimentation végétale (carporestes) • moyenne distance (Civitas Segusiavorum/Lugdunensis)• céramiques culinaires et vaisselle de table • longue distance (autres provinces)• amphores et autres récipients de transport
Appareil de production• productions céréalières• élevage Exportation des productions locales à• production vinicole (vignoble, pressors • courte distance (colonie et territoire colonial)•production fruticole • moyenne distance (Civitas Segusiavorum/Lugdunensis)• fourrage • longue distance (autres provinces)• petit artisanat (métallurgie, textile...)
Consommation locale
FIG. 6. — Schéma théorique illustrant les principaux flux de production et d’échange attestés à l’échelle de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny.
ligne, vraisemblablement mises en œuvre pour l’amé-nagement de sols en opus signinum à semis de tes-selles. L’usage de calcaire blanc et de schiste noirimportés ne suffit pas à exclure qu’elles aient été tail-lées sur place. Quelques fragments de placage en mar-bre blanc, vraisemblablement importés d’Italie(Carrare, Luni ?), ont également été découverts dansdes fosses de démolition liées à la réfection de la villad’époque augustéenne (état 2b).
2.2. Main-d’œuvre qualifiée et matériaux importés
La situation évolue radicalement avec l’édificationde la villa palatiale de l’état 3. L’aile sud estintégralement reconstruite et intégrée dans undispositif architectural à péristyle encore plus prochedes modèles italiques contemporains.
La généralisation de la maçonnerie, jusqu’àl’élévation des murs périmétraux, va de pair avec unemonumentalisation du bâti et une diversification desapports de matériaux. Elle fait appel à des moellons degneiss de deux qualités différentes (beige et bleu) quiproviennent peut-être de carrières distinctes. Onconstate aussi une évolution dans le granulat utilisépour le mortier de chaux. Ce dernier est composé desable anguleux et de graviers provenant de l’exploita-tion d’arènes de gneiss à deux micas, présentent àproximité immédiate du site. Au même titre que lesmoellons, cette évolution traduit sans doute le débutde l’exploitation de l’environnement immédiat de lavilla pour sa construction à partir du Ier s. ap. J.-C. Cesable pourrait en partie provenir du concassage desdéblais rocheux livrés par les importants travaux deterrassement qui ont précédé l’implantation de sonaile nord.
La mise en œuvre des murs (opus incertum àinclusions de terres cuites architecturales en remploi)comme de certains sols (opus signinum à semis decrustae de marbre ou de calcaire) est très similaire àcelle observée dans les domus urbaines de Lugdunumet de Vienne26. L’analogie est flagrante en ce quiconcerne les colonnes maçonnées du péristyle, revê-tues de stuc et constituées de demi-colonnes (fig. 9)absolument identiques à ceux connus à la mêmeépoque à Lyon, rue des Farges (Maison auxMasques)27 ou dans le péristyle de la Maison auxXenia28.
10 MATTHIEU POUx et AL.
26. — Par exemple, dans le premier état de la Maison aux Xenia à Lyon(PLASSOT 1995) ou encore, dans certaines domus contemporaines deSaint-Romain-en-Gal (DESbAT 1994).
27. — DESbAT 1984, p. 45-47.28. — PLASSOT 1995.
FIG. 7. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, amas detuiles enfouis dans la cour après démantèlement des bâtiments
d’époque augustéenne (état 2).
FIG. 8. — Carrières de gneiss granitique à Lyon, Chapeau-Rouge. D’après Le Mer, Chomer 2007.
C’est sans doute dans le domaine de l’hydrauliquequ’elle est le plus manifeste. Le péristyle et les abordsde la villa d’époque augusto-tibérienne sont occupéspar plusieurs bassins d’agrément de taille importante,alimentés par un système sophistiqué de récupérationdes eaux de toiture et un petit aqueduc privatif mis enévidence au nord du domaine. Le plus petit d’entreeux, aménagé à l’intérieur même du péristyle, mesure5 m par 3 m ; le plus important, construit le long de lafaçade méridionale de la villa, pas moins de 58 m delong par 3 m de large. Un troisième bassin d’environ13 m par 7 m hors œuvre, identifié à une natatio,occupe l’avant-cour de la villa, qui pourrait corres-pondre à un espace de palestre ou de jardin. L’anglenord-est de la villa est occupé par des bains privés àitinéraire rétrograde alignant quatre pièces accolées,dont deux dotées d’une abside (tepidarium, calda-rium, frigidarium et praefurnium). Une petite cuisineest adossée à son mur nord : sa table de cuissonmaçonnée, pourvue de réserves à combustible voû-tées, communiquait probablement avec le praefur-nium adjacent29.
Tous ces aménagements, qui n’ont d’équivalent àune époque aussi haute que dans les centres urbains deLugdunum et de Vienne, ne sont pas seulement
l’expression de la richesse des propriétaires et d’unnouvel art de vivre. Leur plan, leurs modalités de miseen œuvre et la circulation de l’eau dans descanalisations maçonnées ou des conduites forcéesrelèvent d’une technologie de pointe qui requiertassurément l’intervention de corps de métiersspécialisés. Le balneum de type « pompéien »,caractérisé par un caldarium à schola labri et soliumopposés30, comme la culinamaçonnée qui le jouxte aunord31, procèdent de modèles architecturaux directe -ment importés d’Italie. Le grand bassin longiligne etla natatio renvoient eux aussi à des plans connus, àcette époque, en Italie ou en Narbonnaise32.
L’adoption de ces techniques principalementconnues en milieu urbain implique forcémentl’intervention d’artisans spécialisés, établis dans lepérimètre de la colonie. Leur existence et leur rayond’intervention sont bien documentés par l’épigraphielyonnaise, qui mentionne l’existence de plusieurs cor-porations liées aux métiers de la construction (fabri,tignarii, CIL xIII, 1939, 1956, 1957, 203)33. Certainsateliers sont spécialisés dans la réalisation de char-pentes et de toitures (artificum tectorum, CIL xIII,1734), de stucs (tectores, CIL xIII, 1983) ou encore,de fers de construction (fabricae ferrariae, CIL xIII,2036). Il y est explicitement question d’artisansexerçant « chez les Ségusiaves » (CIL xIII, 2013, inSegusiavis negotiantes), donc à l’extérieur de la villeet même de la colonie de Lugdunum stricto sensu.
Le degré de spécialisation de ces corps de métierimplique obligatoirement l’usage de matériauxadaptés, importés plutôt qu’acquis sur place – àl’exception, peut-être, des bois de construction et desmoellons. En l’absence d’analyses archéométriques,l’origine de certains d’entre eux est éclairée par derares témoignages épigraphiques. Quelques briques ettegulae découvertes sur le site, malheureusement horscontexte, comportent des estampilles qui renvoient àplusieurs ateliers régionaux (fig. 10). La marqueCLARIANVS, traditionnellement attribuée à un ate-lier de Saint-Clair-sur-Rhône34, provient d’une ou deplusieurs officine(s) éloignée(s) dont l’emplacementprécis reste indéterminé, mais peut-être localisé auxalentours de Vienne. Une fistule en plomb (fig. 11),mise en œuvre dans une cuve de foulage aménagée
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 11
29. — POUx et al., 2013.30. — bOUET et al. 2003.31. — POUx et al. 2013. Sa table à feu surélevée associée à deuxréserves à combustible voûtées correspond à un dispositif typiquementitalique attesté principalement en Campanie et dans de très rares cas enGaule, dans le cadre de domus urbaines ou de cuisines collectives ratta-chées à une schola : SALzA PRINA RICOTTI 1980 ; bOUET 2001. 32. — Le premier trouve des comparaisons à Caumont-sur-Durance,Plassac, Puissalicon, Tourves, Taradeau, Mercin et Vaux ou Aylesford-
Eccles sur l’Île de bretagne (GROS 2006, 328 sq.). Les natationes àescalier d’angle sont attestées principalement en Gaule Narbonnaise,dont la villa du Vernai à Saint-Romain-de Jalionas fournit un exempleproche (bOUET 2003). Quant au bassin du péristyle, il possède son pen-dant dans la plupart des domus suburbaines de Saint-Romain-en-Gal(FAURE-bRAC 2006). 33. — Corpus réuni et commenté par b. CLÉMENT, à paraître.34. — VERGUET 1974, p. 239 ; bOUET 1999, p. 188-189.
FIG. 9. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, briqueshémicirculaires constitutives d’une colonne maçonnée du péristyle d’époque augusto-tibérienne (état 3),
effondrée en place.
dans une phase ultérieure de la villa (état 4), est égale-ment d’origine viennoise : l’abréviation V(iennae)F(ecit) est précédée du nom d’un artisan, T. DomitiusMansuetus, qui semble avoir principalement exercésur la rive gauche du Rhône, c’est-à-dire, dans desterres situées à l’extérieur de la Cité de Vienne empié-tant sur le territoire de Lyon35.
Certains matériaux mis en œuvre au cours de cettephase (état 3) et de la suivante (état 4) ont une origineplus lointaine. Des fragments de placage en calcairefin peuvent être attribués à des carrières régionales(choin de Fay, pierre de Lucenay). D’autres corres-pondent à des marbres importés de Méditerranée :fragments de placage, de chapiteau corinthien et decorniche en marbre de Luni (Italie), fragment de pilas-tre cannelé en Jaune Antique originaire d’Afrique duNord, éléments de placage en marbre de Teos(Africano vert d’Asie Mineure), porphyre vert deGrèce, ou marbre de Karistos (Cipolin d’Eubée). Cesmatériaux rares n’ont certainement pas été acquis defaçon distincte, mais par lot, par l’intermédiaire demarbriers implantés sur les marchés urbains deLugdunum et de Vienne (fig. 12-13). Leur utilisationdans des constructions privées du début du Ier s. ap. J.-
C. est d’autant plus notable qu’elle est rarement attes-tée à Lyon avant l’époque claudienne36.
Parmi ces importations, une pièce retient plus parti-culièrement l’attention (fig. 14). Les restes fragmentésd’un labrum bipode à vasque rectangulaire moulurée,dont quelques exemplaires seulement ont été recensésà l’échelle de la Gaule, principalement dans les cen-tres urbains de Lyon, Augst, Autun ou Clermont-Ferrand. Réservée aux thermes publics ou aux richesdemeures patriciennes, cette forme de bassin d’originevraisemblablement grecque ne fait son apparition enItalie romaine qu’à l’époque augustéenne37.Contemporain des tous premiers exemplaires en mar-bre blanc importés en Gaule (Autun, Augst), le labrumde Goiffieux reflète l’acquisition ciblée d’un mobilierde luxe qui représente un véritable bien de « consom-mation », au sens actuel du terme.
2.3. L’empreinte stylistique des écoles lyonnaise etviennoise
Ces supports architecturaux ont conservé desdécors de sol et de paroi réalisés in situ, dont lacomplexité et la datation particulièrement précocerendent encore plus visible l’intervention des ateliersurbains et l’importation de modèles décoratifs exo -gènes.
Deux grands ensembles de peintures à décor figura-tif, de style et de facture relativement proches, ont étéreconnus dans l’emprise des bâtiments. Le premier,recueilli en position primaire sur le fond d’hypocaustedu caldarium des bains, date des origines de la villad’époque augusto-tibérienne (état 3). Ses caracté -ristiques (plinthes mouchetées imitant le marbre,
12 MATTHIEU POUx et AL.
35. — Plusieurs estampilles sur fistules en plomb, retrouvées sur unterritoire situé de part et d’autre des rives du Rhône, attestent de l’exis-tence de nombreux plumbarii exerçant dans un rayon de 30 km autourde la colonie de Vienne (COCHET, HANSEN 1986, p. 79). Cette estam-pille est également signalée à Irigny (69), sur la rive droite du Rhône.Voir en dernier lieu : RÉMy, MATHIEU, bRISSAUD 2012.36. — Entre la fondation de la colonie et le milieu du Ier s. ap. J.-C.,l’emploi du marbre à Lyon n’est attesté que sous la forme de plaques demarbre blanc, sans doute issu des carrières de Carrare (Luni voir
bardiglio). À partir de Claude, on assiste à une diversification desimportations avec l’apparition des marbres colorés qui supplantent enquantité les marbres blancs, aussi bien dans l’habitat que dans ledomaine public (informations inédites b. Clément, thèse en cours).37. — GASTON 2007, p. 305-318. Les exemplaires les plus précoces seconcentrent principalement en Campanie, notamment à Pompéi(forum, domus d’Obellius Firmus, de Vesonius Primus, de FabiusRufus, des Vettii).
FIG. 11. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, fistuleen plomb estampillée au nom du plumbarius viennois
t. domituus manusuetus (état 4).
FIG. 10. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, estampilles sur briques et tubuli (état 4).
panneaux verts, interpanneaux étroits à décor de can-délabre monochrome, empilant des motifs végétaux etde fins filets blanc sur fond noir, double bande deséparation et corniche stuquée) sont caractéristiques,en Gaule, des premiers témoignages de la diffusion duTroisième Style dit « sévère »38. bien que sa trame soitcommune à de nombreux décors contemporains, il sedistingue par l’usage dominant du vert-bleu dit « céla-don » (mélange d’une terre verte, glauconie ou céla-donite, et de bleu égyptien), une couleur bien particu-lière qui se retrouve de façon très locale à Lyoncomme à Vienne39. bien que signalée ponctuellementen Narbonnaise, sur l’Île Sainte-Marguerite et àNîmes40, elle est la signature d’ateliers régionaux dont
il est désormais établi qu’ils intervenaient en villecomme à la campagne.
Le second ensemble a été découvert en positionsecondaire, dans un remblai de construction sous-jacent aux bâtiments de l’état suivant (état 4). Sescaractéristiques sont proches du précédent (panneauxà dominante vert-bleu, interpanneaux noirs à candéla-bres végétalisants), mais relèvent d’un style nettementplus évolué : l’ajout de détails figuratifs, masqueshumains, oiseaux, autel, coussinet d’ombelle ousphinge, sont typiques d’une série de décors régio-naux issus du répertoire du Quatrième Style41. Unensemble de peintures, en particulier, lui correspond
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 13
38. — bARbET 2007, p. 53 sqq.39. — Par exemple rue des Farges, Maison augustéenne (10 av. J.-C.)ou à Saint-Romain-en-Gal, Maison des Dieux Océan (entre 20 et 60 ap.
J.-C.) : DESbAT 1984 ; DESbAT et al. 1994. 40. — bARbET 2007, p. 68 sqq.41. — bARbET 2007, p. 122 sqq.
SLA - Pilastre - Jaune antique (Chemtou - Tunisie)
SLA - Corniche - Luni (Italie)
SLA - Placage - Luni (Italie) SLA - Placage - Porfire vert(Grèce)
SLA - Placage - Brèche de Teos(Turquie)
SLA - Placage - Karystos(Eubée - Grèce)
FIG. 12. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, marbres importés (états 3 et 4).
presque entièrement, celui du quai Riondet à Vienne,daté de la deuxième moitié du Ier s. (fig. 15), dont lescandélabres s’organisent de la même façon (ombellesà festons et à coussinets, fûts rythmés par des bulbesornés de tiges à feuilles, oiseaux, motifs cordiformes).Outre la prédominance du vert-bleu, d’autres détailsrenvoient à la facture d’ateliers locaux, comme lesphiales ou les ombelles à coussinet vert foncé avecrehaut jaune, attestées exactement sous la mêmeforme à Lyon, clos de la Solitude42.
Malgré la présence de motifs plus largement diffu-sés comme les masques, la phiale ou encore lesoiseaux, attestés de la Narbonnaise à la belgique, cesdécors et la préférence donnée à la couleur verte ne serattachent en rien à ce qui se faisait à Rome ou enCampanie. Ils sont la marque d’un atelier ou d’unensemble d’ateliers basés dans la région, dont leséquipes exerçaient indifféremment dans les coloniesde Lyon, de Vienne et dans leurs territoires respectifs.Si leur exécution a pu être confiée à des artistes-pein-tres (pictores) établis dans l’une ou l’autre colonie, la
réalisation des enduits et corniches en stuc a dû faireappel au savoir-faire de ces tectores ségusiaves attes-tés par l’épigraphie lyonnaise (CIL xIII, 1983).
Cet état de la villa comporte également plusieursdécors de sol en opus tessellatum dont la réalisationparticipe d’influences techniques et iconographiquesplus larges. Dès le début du Ier s. ap. J.-C., ses bainssont revêtus d’un pavement bichrome à décord’écailles de poisson, qui renvoient à un modèlecourant à cette époque en Campanie. Les tessellesblanches sont constituées d’un calcaire d’importationqui a pu être taillé ou retaillé sur place, comme lesuggère leur présence dans les niveaux de travail lié àcet état (fig. 16).
Le sol d’un triclinium situé au centre de la brancheoccidentale du péristyle a livré un emblema demosaïque de 1,20 m de côté (fig. 17), présentant undécor figuré en opus quasi-vermiculatum représentantun buste de bacchus ou de silène paré de tous ses attri-buts dionysiaques (chlamide, thyrse, mitra et cou-ronne de lierre), encadré aux quatre coins par des
14 MATTHIEU POUx et AL.
42. — Ensemble inédit, étude en cours (b. CLÉMENT, M. LEPERLIER)
FIG. 13. — Origine des marbres importés dans la Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny (états 3 et 4).
masques de théâtre (silènes, bacchantes) et sur lesquatre côtés par des décors géométriques et végétauxen noir et blanc (palmettes, motifs floraux). La tech-nique du pavement, inséré dans un sol en « béton » dechaux blanc à gros éclats (opus crustatum) est précoceet renvoie d’emblée à des modèles grecs ou italiques,fréquemment copiés en Gaule, du Ier s. av. J.-C. auIIIe s. ap. J.-C.43. Sa trame centrée est plus rare et sem-ble s’inspirer d’un modèle connu à la même époque àPompéi, où elle est attestée à huit reprises, sous laforme d’un médaillon central aux lignes simples enca-
dré par des demi-cercles latéraux et des quarts de cer-cle angulaires. Le carton de Saint-Laurent-d’Agny estsimilaire par sa simplicité. Néanmoins, des carrés sesubstituent aux quarts de rond et médaillon central. Ilcompte parmi les exemples les plus précoces connusen Gaule, où il apparaît surtout à partir des IIe-IIIe s. ap.J.-C.44.
Certains traits ornementaux trahissent une mêmeorigine : c’est le cas de la palmette stylisée « en chan-delier », particulièrement populaire en Italie (Aquilée
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 15
43. — TOUTIN 2010. Voir par exemple Pompéi, Maison aux ChambresFleuries. En Gaule, on dénombre une quarantaine de pavements repre-nant ce même procédé, par exemple dans la Maison du Capricorne àGlanum (seconde moitié du Ier s. av. J.-C.), sur le site de la Médiathèqueà Narbonne (20-25 ap. J.-C.) ou rue Pasteur à Nîmes (Ier s.).
44. — TOUTIN 2010. Les vingt occurrences recensées diffèrent par unecomplication du dessin (tresses à 3 ou 4 brins… Lyon, Vienne et Saint-Romain-en-Gal) et une multiplication des compartiments (besançon,bavay…).
FIG. 14. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, labrum en marbre blanc à vasque rectangulaire d’origine italique(état 3). Parallèle : d’après gaston 2007.
16 MATTHIEU POUx et AL.
FIG. 15. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, ensemble pictural dans la tradition du IIIe style, lié à une réfection de la villaau Ier s. ap. J.-C. (états 3 et 4). Parallèle : peinture à candélabres du Quai Riondet à Vienne. D’après barbet 2007.
et Pompéi) mais attestée en Gaule à treize reprisesseulement, sur des mosaïques des IIe-IIIe s.45. Le motifde fleuron tournoyant est beaucoup plus fréquent46,
mais relève ici d’une création originale, puisque satige cordiforme est terminée par un bouton circulairequi constitue à ce jour un unicum. Quant aux bustesfigurés, leur thématique bachique relève évidemmentdu topos, adopté en milieu gaulois sur plus d’une qua-rantaine de mosaïques. Les proportions et traitementdu visage, ainsi que plusieurs détails (mitra, oreillespointues), détonent par rapport aux exemples plus tar-difs découverts à Lyon ou dans les Trois Gaules.
Daté de la fin du règne d’Auguste par lastratigraphie et par un as à l’autel de Lyon noyé enguise de dépôt de fondation dans son lit de pose, cepavement correspond à l’une des plus anciennes – sice n’est à la plus ancienne – mosaïques figurées poly-chromes de Gaule Lyonnaise (fig. 18). La rareté descomparaisons ne permet donc pas d’être catégoriquequant à son origine. Par la technique utilisée, la tramegéométrique centrée et son sujet iconographiquecanon, cette mosaïque traduit une forte influence ita-lique, transmise sur des cartons importés de Campanieou des premiers ateliers de Transalpine. Elle s’éman-cipe pourtant de ces modèles, à la fois par l’asso -ciation du noir et blanc à une polychromie soignée,
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 17
45. — TOUTIN 2010. Sa forme caractéristique en « chandelier », estbien attestée à Pompéi, ainsi qu’à Aix-en-Provence et à Vaison-la-Romaine, sur des pavements datés du Ier et du IIe s. ap. J.-C.46. — Sous sa forme rotative, il y est attesté à 36 reprises. On peut
noter que chaque exemplaire est une création unique, ayant chacun uneforme propre. Celui de Saint-Laurent compte parmi les exemples lesplus précoces (après brignon (Ier av. J.-C.) et Luc-en-Diois (40-30 avantnotre ère).
FIG. 16. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, tesselles de mosaïque dans un niveau de travail lié à la
construction des bâtiments de l’état 3.
FIG. 17. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, mosaïque polychrome à décor bacchique aménagée au centre d’un triclinium d’époque augusto-ti-
bérienne (état 3).
18 MATTHIEU POUx et AL.
Panneau central
Fleuron tournoyant Thématique bacchique
Palmettes
FIG. 18. — Carte de répartition des principaux motifs figuratifs présents sur la mosaïque. y.-M. Toutin.
l’introduction de motifs inédits (fleurons à boutons,traitement des personnages) et une certaine mala-dresse de l’exécution. Ces traits provinciaux suggèrentl’intervention d’une « main locale », probablementformée en Italie ou en Narbonnaise, dont le cercle declientèle s’étendait au-delà des centres urbains deLugdunum ou de Vienne.
3. conSommatIon aLImentaIre et accommodatIon deS reSSourceS LocaLeS
Les denrées alimentaires, appréhendées au traversdes écofacts (faune, carporestes) ou des céramiquesservant à leur conditionnement et à leur service,constitue le principal champ d’analyse des pratiquesde consommation au sens premier du terme. Dans lecadre d’un domaine rural dont on peut supposer qu’ilétait pour une large part autosuffisant, elle estévidemment indissociable de l’étude des productionset de l’exploitation des ressources locales.
3.1. Régime local et compléments exotiques
Les pratiques culinaires mises en évidence dans lavilla de Goiffieux ont été traitées dans le cadre d’unarticle récent47 consacré à l’espace de cuisine adosséaux bains d’époque augusto-tibérienne, à sesaménagements fonctionnels et aux reliefs alimentaires
qu’il a livrés (ossements, carporestes et assemblagescéramiques). La présence, inédite en milieu rural,d’une table à feu alimentée par le praefurnium adja-cent, témoigne d’une forte influence des modèlesarchitecturaux italiques. Elle va de pair avec l’adop-tion de nouveaux modes de préparation alimentaire,inconnus en Gaule préromaine, qui se reflètent égale-ment dans la composition des dépotoirs domestiqueset induisent eux-mêmes de nouveaux modes deconsommation.
Les déchets de préparation culinaire retrouvés sur lesol de la cuisine (membres ou extrémités de pattesissus des opérations de découpe, graines, pépins etpetits fragments de vases épargnés par un balayagerégulier du sol) documentent la consommation denombreuses espèces animales et végétales. Le facièsdéfini par l’étude des restes fauniques comporte unevingtaine de taxons (fig. 19, jeunes porcelets, volailleslièvres, petit gibier à plume et poissons de rivière) quicaractérisent en Gaule les tables les plus fortunées etles plus acculturées48. La faune consommée et rejetéeen contrebas des bâtiments ou dans des fosses creu-sées sous le sol des portiques se distingue de ce facièspar la présence de plus gros ossements et la prédomi-nance du bœuf, probablement élevé sur place49.
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 19
47. — POUx et al. 2013.48. — La prédilection pour la faune aviaire, en particulier, rappelle lesassemblages issus des « fosses à banquet » augustéennes du pseudo-sanctuaire de Cybèle à Lyon-Fourvière : FOREST dans DESbAT 2005,
p. 131.49. — Étude préliminaire de C. bochaton, rapport de fouille 2009(POUx et al. 2008-2011).
Taxon NR
Sus domesticus 39Caprinés 4Lepus sp. 44Musaraigne 1Rongeurs 2Microfaune 14Mammifères - indéterminés 62gallus gallus 59Columba livia 29Anser sp. 1turdus sp. 27Passériformes 8Oiseau déterminable 2Oiseau - indéterminés 197Oiseau - phalanges postérieures 455Poissons 46Nombre total de restes 990
FIG. 19. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, principales espèces animales attestées parl’étude archéozoologique des reliefs osseux découverts dans la culina
d’époque augusto-tibérienne (état 3).
Cette exigence de diversité s’assortit d’une nettepréférence pour les espèces endémiques qui ressorttrès bien de l’étude des carporestes (fig. 20) : lescéréales cultivées sur place (blé nu, seigle, orge polys-tique) y occupent une part dominante avec les pépinsde raisin provenant du vignoble fouillé au nord-est dela villa50. Ce qui ne saurait surprendre, dans undomaine rural dédié à la production agricole, fruitièreet vinicole, où la richesse des ressources locales palliela rareté des denrées exotiques servies sur les tablesurbaines et où toutes les denrées domestiques et leurssous-produits semblent avoir été mis à contribution(viande d’élevage, gibier, poisson, lait, œufs, céréales,fruits, miel…). À cet égard, un bon indice réside dansl’identification d’un petit moulin hydraulique associéà la cuisine, qui atteste la transformation sur place decéréales destinées à la fois à l’exportation et à laconsommation locale (fig. 21)51.
D’un point de vue strictement alimentaire, les seulsapports exogènes perceptibles dans l’emprise de lavilla sont matérialisés par les fragments d’amphores àvin (Dressel 1 ou Dressel 2-4 de la côte tyrrhénienne,
20 MATTHIEU POUx et AL.
50. — POUx et al. 2011.51. — POUx et al. 2008-2011, rapport 2010 ; POUx et al. 2013.
FIG. 21. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, restitution du balneum (à gauche), de la culina (à droite) et dumoulin hydraulique d’époque augusto-tibérienne (état 3).
FIG. 20. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, principales espèces végétales attestées parl’étude des carporestes découverts dans la culina d’époque augusto-tibérienne (état 3).
Taxons Noms NRvernaculaires
triticum aestivum/durum/turgidum blé nu 8Secale cereale seigle 2Hordeum vulgare orge polystique 2triticum sp. blé 2Cerealia céréales 21
Vitis vinifera vigne 172Pinus pinea pin pignon 1Corylus avellana noisetier 1Juglans type noyer 1Fruits indét. 3
Poaceae graminées 10Avena type avoine type 1Rubiaceae rubiacées 1Fabaceae fabacées 2Vicia sp. vesce 3Lathyrus vicia fève 1medicago sp. luzerne 1Chenopodiaceae chenopodiacées 2Carex sp. laîche 1Polygonum convolvulus renouées liseron 1
Lamboglia 2 de la côte adriatique, Dressel 2-4 massa-liète ou orientale) ou à defrutum de bétique (Haltern70), à huile d’olive (Dressel 20 de bétique), à sau-mures ou à sauces de poisson (Dressel 7-11 ou beltranIIa de bétique, Lyonnaise 3). L’importation en quanti-tés limitées de ces condiments et denrées exotiques,qui ne pouvaient être produits sur place, suffisait àaccommoder le régime local à la mode romaine. Leurrelative rareté est peut-être imputable à un système deredistribution et de vente au détail dans d’autresconteneurs moins bien identifiés52.
Certaines catégories de pots en céramique com-mune, fermés à l’aide d’un couvercle, ont théorique-ment pu servir au transport à plus courte distance dedenrées (pâtés, miel, fromages…) produites dansd’autres domaines et acquises sur les marchés régio-naux53. À l’inverse, et dans la mesure où ils sont biendocumentés à Lugdunum54, il est significatif d’obser-ver l’absence des fruits exotiques et l’extrême raretédes coquillages marins, qui se résument sur le site àquelques coquilles d’huître isolées.
3.2. Répertoire céramique : importationslointaines, variété des marchés régionaux
Les céramiques de table relèvent d’une forme deconsommation plus indirecte et participent plutôt del’achat de mobiliers et d’ustensiles domestiques, aumême titre que l’instrumentum en bronze, en fer ou enos. La romanisation du répertoire traditionnel accom-pagne notoirement celle de l’alimentation et se traduitpar l’apparition de nouvelles formes de vaisselle adap-tées aux recettes italiques (mortiers, patinae, mar-mites). Elle va naturellement de pair avec un recul descéramiques de facture locale au bénéfice de produc-tions de semi-luxe importées à plus ou moins longuedistance, qui peuvent être considérées comme un bonmarqueur des pratiques d’échange nouées à l’échelledu territoire colonial.
Comme pour les techniques et matériaux deconstruction, une nette évolution est perceptible entrel’époque triumvirale et augustéenne (état 2, 30-40 av.J.-C.) et la fin de l’époque julio-claudienne (état 3,15/20 - 60/70 ap. J.-C.).
Dans les premières décennies qui suivent lafondation de la villa, les productions locales et régio-nales sont, sans surprise, majoritaires au sein du vais-selier (tab. 1). Les cités de Lyon et Vienne fournissentla majorité des récipients de céramique commune
(claire calcaire, commune grise), sans qu’il soit possi-ble d’attribuer les vases à l’un ou l’autre centre de pro-duction55. Seul un ensemble de cruches à pâte clairenon calcaire (pâle fine) semble plutôt provenir des ate-liers de la Loire. L’origine des céramiques fines estétablie avec plus de précision. La plupart des sigilléesappartiennent aux productions lyonnaises de laMuette, tout comme les céramiques à paroi fine,notamment les gobelets d’Aco. Un seul gobelet « ditde type beuvray » appartient aux productions vien-noises. Les céramiques peintes de type « bol deRoanne » se répartissent de par leur pâte et leursdécors en deux groupes attribués, respectivement, auxateliers de Vienne et de la vallée de la Loire56, repré-sentés de façon équilibrée. Les productions à engobeargileux non grésé, aux formes soit imitées des sigil-lées italiques ou des campaniennes, soit plus origi-nales, sont également attribuables aux officines vien-noises. Aux productions régionales au sens largepeuvent également être rattachés quelques récipientsen terra nigra, originaires de la vallée de l’Allier57.
Les productions extrarégionales sont nettementminoritaires au sein du corpus et proviennent presqueexclusivement de la péninsule italique (fig. 22). Lescéramiques fines comprennent sigillées italiques(plats du service Ic et coupelles du service II), campa-niennes, gobelets tardo-républicains à lèvre concave.La céramique commune est représentée par des platset des couvercles à engobe rouge interne (VRP) ; lesamphores, par des conteneurs vinaires de type Dr 1b,Lamb. 2 et Dr 2/4, associés à quelques récipients à vinou à sauces de poisson (Dr 7/11), à huile (Dr 20) et àdefrutum (Halt. 70) de la péninsule ibérique. Un fondd’amphore Dr 2/4 documente l’importation de pro-ductions orientales.
Durant l’état suivant, d’époque tibéro-claudienne(état 3), les productions locales et régionales demeu-rent majoritaires, mais sont davantage concurrencéespar d’autres produits importés de toutes les provincesde l’Empire (tab. 2, fig. 23).
Les céramiques peintes sont toujours issues des ate-liers de Vienne et de la Loire, mais ces derniers occu-pent désormais une place majoritaire à hauteur d’envi-ron 60 % de l’effectif. La sigillée lyonnaise disparaîtau profit de productions extrarégionales issues desateliers du sud et dans une moindre mesure, du centrede la Gaule. Les céramiques à paroi fine sont presqueexclusivement issues des ateliers lyonnais de la butte,
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 21
52. — DESbAT, FOREST, bATIGNE-VALLET 200, p. 173.53. — On songe, par exemple, aux pots à col côtelé ou à épaule carénéede production lyonnaise ou encore, aux « pots à miel » de type Haltern56.54. — DESbAT, FOREST, bATIGNE-VALLET 2006, p. 171.
55. — Sur les productions respectives de ces deux cercles d’ateliers :DESbAT, GENIN 1996 ; DESbAT, SAVAy-GUERRAz 1986.56. — LAVENDHOMME, GUICHARD 1997, p. 115 sqq.57. — LALLEMAND 2005.
FIG. 22. — Origine des céramiques importées lors de la première phase d’occupation de la villa (état 2, seconde moitié du Ier s. av. J.-C.).
FIG. 23. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, carte illustrant l’origine des principales catégories céramiques d’origine régionale répertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3).
Roanne
Roanne
Goiffieux Vienne
Lyon
Roanne / Vienne
Vienne
4
Lyon / Vienne
Lyon
Vallée de l’ Allier
qui fournit de nombreux bols hémisphériques et gobe-lets ovoïdes. La terra nigra provient toujours de lavallée de l’Allier, à l’exception d’une jatte de grandmodule d’origine viennoise. Les ateliers de Lyon et deVienne fournissent encore la majorité du répertoiredes céramiques communes (claire calcaire ou com-mune grise), enrichi de nouvelles formes embléma-tiques du Ier s. ap. J.-C. (mortier à lèvre pendante,cruche à lèvre en bourrelet, marmite à lèvre moulu-rée). La céramique pâle fine issue des ateliers de laLoire est toujours présente, bien qu’en quantités négli-geables. On signale aussi la présence de jattes à lèvredébordante moulurée en céramique commune rougeproduites dans les environs de Roanne. Enfin, plu-sieurs amphores figurent désormais au rang des pro-ductions locales. Leur morphologie, qui s’inspire desproductions hispaniques, est caractéristique des pro-ductions lyonnaises du Ier s. ap. J.-C.58.
De nombreuses productions extra-régionales vien-nent compléter ce faciès (fig. 24). Le sud de la Gaulefournit une masse importante de formes sigilléesemblématiques du Ier s. ap. J.-C. Les premièresamphores gauloises (G1, G2, G3, G4 et G5) sont éga-lement présentes, parmi lesquelles figurent plusieurstessons d’origine marseillaise. D’Italie parviennentencore quelques récipients à revêtement interne, ainsique des amphores vinaires de type Dr 2/4. Les produc-tions hispaniques sont mieux représentées dans cetétat et livrent une grande variété d’amphores à huile(Dressel 20), à vin (beltran IIa), à defrutum (Haltern70) ou à sauces de poisson (Dressel 7-11) originairesde bétique. Elles sont associées à quelques fragmentsde céramique à paroi fine produites dans la péninsuleibérique. L’importation de productions orientales esttoujours marquée par quelques amphores vinaires detype Dressel 2-4, dont un exemplaire produit sur l’îlede Cos.
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 23
58. — DESbAT, DANGRÉAUx 1997.
État 2 État 3
Provenance NR NMI % NMI NR NMI % NMI
Locale/régionale 2937 264 91 13306 1362 88Peinte 189 20 7 603 120 8Imitation TS/Camp 67 14 5Sigillée lyonnaise 8 2 1Paroi fine 55 2 1 283 39 3terra nigra 3 1 0 129 33 2Sig. Centre Gaule 16 7 0Engobée 18 2 1 24 4 0Commune grise 1260 165 57 6191 906 58Claire calcaire 1192 44 15 5144 182 12Commune rouge 143 13 4 741 61 4Pâle fine 2 1 0 19 8 1Amphore (lyonnaise) 156 2 0
Gaule (hors région) 3 0 0 818 139 9Sig. Sud Gaule 475 128 8Plombifère 5 2 0Kaolinitique 1 0 0 95 4 0Amphore (gauloise) 214 5 0Amphore (marseillaise) 2 0 0 29 0 0
Italie 219 22 8 296 23 1Sigillée 15 8 3Paroi fine 20 4 1Campanienne 11 2 1VRP 17 4 1 67 16 1Amphore 156 4 1 229 7 0
Espagne 58 4 1 775 25 2Paroi fine 2 0 0Amphore (bétique) 55 4 1 765 25 2Amphore (Tarraconaise) 3 0 0 8 0 0
Orient 1 0 0 16 1 0Amphore 1 0 0 16 1 0
Total 3218 290 100 15211 1550 100
Tableau 1. —Comptage des principales catégories céramiques répertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3).
4. concLuSIonS
Ces vestiges matériels ne permettent d’appréhenderqu’un pan d’un faciès de consommation qui a puconcerner bien d’autres marchandises périssables,dont le sol n’a conservé aucune trace. Dans uncontexte culturel et économique qui ignore laconsommation en masse d’objets et de services à fortevaleur ajoutée (achat de vêtements, d’objets de luxeou de haute technologie), il semble néanmoins seréduire à quatre domaines principaux : la construc -tion, les décors, l’alimentation et l’équipementdomestique.
4.1. De l’investissement architectural aux biens deconsommation courants
L’investissement architectural au sens large, c’est-à-dire la mise en œuvre des bâtiments et de leurornementation, constitue le premier acte de« consommation » accompli par ses propriétaires et de
loin le plus significatif en termes de coût financier –après l’achat des terrains, qui n’entre pas en ligne de compte dans le cadre d’une assignatio.L’aménagement de luxueuses résidences dotées detous les équipements hydrauliques de confort etd’ostentation (adduction et distribution d’eau, bains,bassins) impose le recours à une main-d’œuvrehautement spécialisée, formée et installée au plus prèsdes centres urbains, ainsi qu’à des matériaux rares quine sont pas disponibles sur place.
Des produits transformés, comme les terres cuitesarchitecturales ou la chaux vive, le sable utilisécomme granulat, les placages en marbre ou en calcaireet peut-être même, les moellons de construction, sontautant d’apports exogènes dont le volume cumulé sechiffre en centaines de mètres cubes. Il était sansdoute moins onéreux de les transporter que de lesextraire sur place. La qualité du bâti et d’exécutiondes secteurs résidentiels de la villa s’accordent mal
24 MATTHIEU POUx et AL.
Lyon Vienne Loire Centre Gaule
Peintebol Per. 16 15 28
Paroi finebol hémisph. (Lyon 4.1) 2bol hémisph. (Lyon 5.1) 2bol hémisph. (Lyon 3) 2bol hémisph.(Lyon 2.1) 1bol hémisph. (Lyon 1.1) 2Loeschcke xIII 1Gobelet type beuvray 1Gobelet ovoïde 15
Terra nigraJatte Menez 71 1 4Coupelle Menez 89 7Plat Menez 28 7Coupe Menez 23 1
Sigillée 7
Claire calcaireCruche Halt. 45 12Cruche b. bandeau mouluré 24Cruche l. en bourrelet 14Mortier Halt. 59 11Mortie à lèvre pendante 16Pot Halt. 62 17Olpé l. bourrelet 6
Pâle fine 8
Commune grisePot col côtelé, ep. carénée 129Pot ép. carénée 10Plat bord droit 49Marmite l. moulurée 19
Commune rougeJatte à lèvre débordante moulurée 3
AmphoresLyon 3b 2
Tableau 2. —Comptage par origine des principales catégories céramiques d’origine régionalerépertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3).
avec un recours opportuniste au tout-venant local.Même pour les pierres, l’ouverture d’un front decarrière ne va pas de soi et ne va pas sans poser desproblèmes d’identification des gisements ou demaîtrise foncière. Certains matériaux bien spéci -fiques, comme les éléments de colonne, les tubuli oules tuiles, n’ont pu être fabriqués sur place à uneépoque aussi haute et sont strictement identiques àceux mis en œuvre à la même époque dans les centres-villes de Lyon et de Vienne. Les estampilles sur terrecuite, les sortes de marbre utilisées pour les placagesou le mobilier, renvoient à une grande variété de sitesproducteurs établis dans la région et bien au-delà. Ilsont difficilement pu faire l’objet d’un approvision -nement individuel et correspondent plutôt à des lots dedifférentes provenances, acquis par les artisans pourêtre redistribués à leur clientèle59.
Le même constat s’impose pour les peinturesmurales et les décors de sol en opus crustatum et
tessellatum. bien que réalisés par nature in situ, leurstyle et leur mode d’exécution portent la marque desateliers urbains de Lugdunum et/ou de Vienne, dont ilsdéploient tout le répertoire ornemental. Là encore, iln’est pas abusif d’invoquer la « consommation » decartons, de pigments, de matériaux calcaires et demain-d’œuvre qualifiée (tectores, pictores, tesselarii,gypsarii, marmorarii). C’est dans cette perspectivequ’il faut interpréter la commande, exceptionnelledans nos régions à l’époque augustéenne, d’unemosaïque à décor bachique très proche des modèlesitaliques, dont elle se distingue toutefois par plusieurstraits originaux. À l’instar de l’agencement desbassins ou du programme décoratif des bains, lesoptions retenues par le propriétaire des lieux enfonction de ses goûts esthétiques et de ses référencesculturelles procèdent, précisément, d’une attitudeconsumériste qui répond au concept contemporain de« customisation ».
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 25
59. — La fourniture de matériaux par les artisans du bâtiment estattestée, dans le domaine public, par la Lex parieti faciendo puteolana,reproduisant un contrat de construction relatif à la réfection en 105 av.J.-C. du temple de Sérapis à Pouzzoles (CIL x, 1781) : AUbERT 2003.
FIG. 24. — Origine des céramiques importées lors de la seconde phase d’occupation de la villa(état 3, Ier s. ap. J.-C.).
Cette observation peut être élargie à l’ameublementde luxe, tel le labrum en marbre blanc, probablementimporté de Campanie, qui ornait la salle tiède desbains, ainsi qu’à d’autres objets décoratifs ouutilitaires retrouvés dans la villa. Hormis la figurine-plaquette et l’amphorisque en verre liés à ses premiersétats, dont il est difficile d’établir s’ils ont été importésou rapportés d’Orient60, elle a également livréquelques artefacts en bronze, issus d’ateliersrégionaux ou plus éloignés : statuette d’Hercule,applique de trépied à tête négroïde, pièces de vaisselleacquis sur les marchés urbains, qui reflètent le« pouvoir d’achat » des propriétaires (fig. 25). Eneffet, la fouille n’a livré aucun indice de fabricationsur place d’objets manufacturés, à l’exception du petitartisanat textile (fusaïoles, fuseaux, aiguilles) et de lamétallurgie domestique, attestée par de petites
installations de forge probablement vouées àl’entretien et la réparation d’outils61. Quant aux objetsquotidiens de moindre valeur, comme les fibules et lesbracelets, les lampes ou encore la verrerie, ils relèventplutôt des « biens de consommation courants » aumême titre que les céramiques.
Côté alimentation, l’étude de la faune, descéramiques et des carporestes indique que la prioritéétait accordée aux ressources locales (vianded’élevage, gibier, céréales, vigne), complétées par unepart minoritaire de denrées et de condimentsexotiques, conditionnés en amphores ou dans d’autresconteneurs non identifiés à ce jour. Le répertoirecéramique révèle une grande diversité d’origines quireflète avant tout la variété des sourcesd’approvisionnement dont bénéficiaient les marchés
26 MATTHIEU POUx et AL.
60. — POUx et al. 2010.61. — Voir, à titre de comparaison, les ateliers de métallurgie qui enca-
drent la cour de la villa des Grandes Terres à beynost : MOTTE,VICHERD 2008.
FIG. 25. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, sélection de mobiliers en bronze : applique de trépied à tête négroïde (parallèle : nîmes, musée des Antiques), applique de robinet léontomorphe, statuette d’Hercule.
locaux. Ce recours majoritaire aux denrées produitessur place dans la villa, qui diffère des faciès deconsommation attestés dans les domus urbaines deVienne et de Lyon, est étroitement corrélé à safonction de domaine de rendement. Sa pars rustica oufructuaria comprend dès le début du Ier s. ap. J.-C. unpressoir à vin, un moulin hydraulique, une zoneculturale irriguée par un puits, puis par un aqueduc.Ces équipements suffisaient à pourvoir à tous lesbesoins en céréales, en fruits, en farine et en fourragepour le bétail qui fournissait la viande d’élevage. Sileur acquisition et la rétribution du personnel affecté àleur fonctionnement représentaient en eux-mêmes uneimportante charge financière, ils relèvent davantage
du « retour sur investissement » que de la consom -mation.
4.2. Gains de productivité, consommation ettransport de biens
Les données rassemblées à l’échelle du sitesoulignent, s’il était encore besoin, le statut dicho -tomique de la villa comme pôle de production autantque de consommation de biens ; ou pour reprendrel’équation établie par P. Ouzoulias, comme lieu del’otium et du fructum, au sein duquel les gains deproductivité sont investis dans l’amélioration du cadreet des conditions de vie des occupants (fig. 26)62. Sonévolution participe d’une surenchère commune à une
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 27
62. — OUzOULIAS 2006 et dans ce volume.
Villa de Goiffieux
Ateliers régionaux (non localisés) Exportations à longue distance(Lyonnaise, Belgique, limes rhénan)- vin- denrées agricoles
ViennaMarchandises et denrées :- vaisselle- marbres- terre-cuite architecturaleServices :- peintres- stucateurs- mosaistes- plumbarii
Importations à longue distance- vin et denrées exotiques (huile, sauces)- modèles ornementaux- mobilier en marbre (labrum)- techniques hydrauliques et vinicoles- petits objets (amphorisque)
Produits locaux (domaine et environnement proche)- bois et pierres de construction- argile, sable de construction- vin local- fruits, céréales, fourrage- gibier, pêche
LugdunumMarchandises et denrées :- condiments, vin (?)- vaisselle- marbres- terres cuites architecturales- Instrumentum- textilesServices :- peintres- stucateurs- mosaistes
Commerce (marchés locaux) - vin- produits agricoles- viande/salaisons- textiles
Cité ségusiave etMassif Central
Exportations à longue distance(Narbonnaise, Italie)- vin- denrées agricoles
limites supposées des perticae de Lyonet de Vienne
- matériaux de construction (pierre, chaux)- terres cuites architecturales- vaisselle
FIG. 26. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, carte schématique illustrant les principaux flux d’importation/d’exportation de biens et de services à courte, moyenne et longue distance.
majorité de villae du Haut-Empire, où la part de« consommation » en architecture et en équipementsde confort apparaît souvent supérieure à leurscapacités productives.
En tant qu’entreprise agricole dédiée pour une largepart à la production du vin, la villa de Goiffieux acontribué dès l’époque augustéenne à l’approvision -nement des marchés et à l’économie locale, dans desproportions qui restent toutefois difficiles àquantifier : cette part de produits exportée était loind’être négligeable à en juger par la taille de sonpressoir, dont l’installation coïncide chronologi -quement avec l’essor de la production d’amphoreslyonnaises63. Il faut aussi compter avec d’autresdenrées agricoles, produites et transformées sur placepour faire l’objet d’une commercialisation. Entémoigne la zone culturale recoupée de façon partielleau nord-est de la villa, à proximité d’une petiteinstallation de meunerie qui permettait l’exportationdes productions céréalières sous forme de farine64.Une part des revenus générés par ces activités ontmanifestement été réinvestis dans la consommation debiens et de services apportés de l’extérieur,contribuant à l’accroissement et à la monumentali -sation du domaine.
De par son rattachement au territoire de Lugdunumet les liens étroits qu’elle entretient avec son centreurbain, la villa de Goiffieux apporte un éclairage plusparticulier sur le mode de fonctionnement d’uneéconomie coloniale fondée, par nature, sur les liensd’interdépendance ville-campagne.
La présence, bien établie par l’épigraphie, dedécurions lyonnais inhumés à proximité de leurdomaine65, témoigne de l’investissement des notableslocaux dans l’économie rurale au sens large : del’exploitation des ressources vivrières (vin, céréales) àl’extraction des matériaux de construction (pierre detaille, marbres), en passant par les productionsmanufacturières extra-urbaines (céramiques, terrescuites architecturales, métallurgie), leur activitécombinait différents revenus tirés de la richessefoncière, de la mainmise sur l’exploitation des res-sources coloniales et d’un accès privilégié aux mar-
chés urbains66. À Lugdunum, l’exemple de ToutiusIncitatus, qui exerçait à la fois les fonctions de séviraugustal et de négociant en blé, est emblématique decette confusion d’intérêts (CIL xIII, 1972). La décou-verte, sur le site de la villa de La Dent à Meyzieux,d’une statuette figurant un personnage masculin por-tant une inscription « au Génie des bronziers deDiar », suggère qu’elle a pu héberger un collège d’ar-tisans métallurgistes67. Certains notables semblentmême avoir exercé une activité spécifique detransporteur en marchandises pondéreuses (vin,pierre), acheminées par voie fluviale ou terrestre dessites d’exploitation au centre de la colonie, quicontribuait également aux revenus des domaines68.
L’importation en milieu rural de biens et de servicesacquis sur ces mêmes marchés urbains est l’expres -sion matérielle des aller-retour qu’ils effectuaient enpermanence entre leur lieu d’activité et leursrésidences rurales, induits par l’alternance dunegotium et de l’otium. L’interpénétration des intérêtsqui ressort de ce schéma paraît transcender ladistinction établie par M. Finley entre « villesparasitaires » et « villes de consommation », bénéfi -ciant de rentes fiscales, respectivement, des ressour -ces vivrières prélevées sur la campagne environnante.Le cumul des statuts de cadre de l’administrationcoloniale, de propriétaire terrien, d’entrepreneur et detransporteur, procède d’une structure politico-économique qui ne diffère en rien de la situationobservée pour d’autres colonies contemporainescomme Narbonne ou béziers69. Elle caractérise, àl’époque julio-claudienne, un mode de gestion desdomaines qui est comparable à ceux attestés dans lapéninsule italique et caractérise les premièresexploitations coloniales implantées sur le territoiregaulois.
Eu égard à sa date de fondation très haute et à saposition dans la proche périphérie de Lugdunum, colo-nie déduite de droit romain, la villa de Goiffieux serange sans équivoque dans cette catégorie. Le statutcolonial des premières générations de propriétaires estclairement attesté par un titulus pictus sur tessond’amphore Dressel 2-4 de Marseille, issu d’une fosse
28 MATTHIEU POUx et AL.
63. — POUx et al. 2011.64. — POUx et al. 2013 : l’utilité d’un tel équipement ne peut seconcevoir dans le seul cadre des activités culinaires courantes, quiutilisaient de petits moulins à bras. 65. — POUx et al. 2011, p. 14-15 : aux inscriptions de La Guillotière etde Corbas, il faut ajouter celle du site des balmes sur le versant occi-dental de l’Île Crémieu en Isère, probablement lié au domaine d’undecurio Lugduni établi aux confins du territoire (CIL xII, 2375).66. — Pour un aperçu plus général de ces différentes activités àl’échelle des provinces gauloises, voir en dernier lieu : POLFER 1999 ;LEPETz, MATTERNE 2003.
67. — bÉAL 2008 : genio aerar (…) diarensium. Sa datation très tar-dive n’exclut pas l’installation tardive d’un groupe d’artisans aprèsl’abandon et la ruine de la villa.68. — bÉAL 2006-2007.69. — CHRISTOL, FÉDIèRE 1999, qui ont démontré que la présence desUsuleni narbonnais dans l’arrière-pays de la colonie était notammentliée à l’exploitation de manufactures tuilières gérées par leurs affran-chis. La fondation des entreprises vinicoles et des officines de potierimplantées sur le territoire colonial de Iulia Baeterrae participe dumême processus : MAUNÉ 1998.
dépotoir comblée au début du Ier s. ap. J.-C. (fig. 27) :la mention usuelle du négociant au génitif est suiviede celle du lieu d’origine du produit (qui a transité parle port d’Arles) et d’un nom au datif (Staius Regilius),généralement identifié au destinataire du produit70. Cedernier, dont on suppose qu’il résidait sur place, porteles tria nomina et un gentilice italique principalementattesté dans la moitié sud de la péninsule (Campanie,Apulie-Calabre)71. L’appartenance de sa famille aurang des coloni, voire, des premiers vétérans installés
sur le territoire de Lyon, est confirmée par la décou-verte de quelques pièces d’équipement militaired’époque augusto-tibérienne.
Cette origine explique sans doute pour une largepart la précocité et la spécificité des pratiques deconsommation reconnues sur le site avant l’époqueflavienne. La première implantation coloniale, fondéedans les années 40-30 avant notre ère (état 2), se mueen l’espace d’une génération en un domaine de rende-ment d’envergure (état 3), qui revêt d’emblée uncaractère résidentiel bien affirmé (état 3). La rapiditéde son accroissement en termes de taille, d’équipe-ment et de décoration des bâtiments, laisse supposerque ses propriétaires occupaient une position relative-ment élevée dans l’administration et/ou l’économiecoloniale. Leurs références culturelles éclairent aussile recours à des modèles architecturaux ou ornemen-taux typiquement italiques pour la décoration des sols,l’aménagement ou l’ameublement des bains et desbassins, qui ne trouvent aucun équivalent à cetteépoque dans les autres domaines ruraux recensés àl’échelle de la région et même, de toute laLyonnaise72.
4.3. Des circuits d’approvisionnement dédiés ?
Cet accès privilégié aux marchés de Lyon, deVienne, de Narbonnaise et d’Italie se lit aussi dansl’évolution rapide des approvisionnements en denréeset céramiques importées, observée entre l’implanta-tion de la première ferme coloniale et la constructionde la villa palatiale au début du Ier s. ap. J.-C. À un pre-mier faciès dominé par les céramiques d’originerégionale au sens large (vallées du Rhône, de la Loireet de l’Allier), marqué par les ateliers de Lyon et deVienne et associé à un flux d’importation presqueexclusivement italique, succède un faciès beaucoupplus varié, marqué par l’apparition des céramiquesfines extra-régionales, des sigillées de Gaule du Sudou du Centre qui supplantent progressivement les pro-ductions lyonnaises, l’apparition de nouvellesamphores d’origine locale (lyonnaise, gauloise, mar-seillaise) et la montée en puissance des productionshispaniques.
Cette diversification du répertoire n’a certes riend’exceptionnel et s’observe à la même époque danstoutes les villes et les campagnes de Gaule. La pré-
PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 29
70. — À l’exemple de deux tituli sur amphore à garum Dressel 7retrouvés dans une domus de Pompéi (Ix, 7, 20, CIL IV 5650), compor-tant un nom au datif désignant son propriétaire d. Caprasius Felix,également mentionné par un graffito retrouvé dans l’atrium ou encore,d’un titulus sur amphore à garum (scombri) sur amphore Vindonissa 86importée dans le camp de Mayence/Mogontiacum et adressée au légatqui en assurait le commandement, P. Pomponius Secundus (Ae 1996,1175, cf. Tacite, Annales, xII. 27, 28).
71. — POUx, à paraître. 72. — Voir à titre de comparaison : De KLIJN et al. 1996 ou pour la Citébiturige : GANDINI 2008. La présence de monnaies républicainesrarement attestées en Gaule et d’autres objets exotiques d’origineorientale (figurine-plaquette, amphorisque en verre) s’inscrit dans lemême contexte (POUx et al. 2010). Elle peut refléter l’origine dupropriétaire, aussi bien que son lien de proximité avec le marchéméditerranéen.
FIG. 27. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, tituluspictus sur tesson d’amphore dessel 2-4 marseillaise. en bas : Lyon, amphore gauloise 4 étiquetée au nom de
son destinataire Iulius Adiutor.D’après Faure-brac 2006.
sence de cette large palette de marchandises origi-naires aussi bien d’Orient que d’Italie, d’Espagne, deGaule méridionale ou centrale, de Lyon, de Vienne ouencore, de la vallée de la Loire, ne reflète rien d’autreque le dynamisme des réseaux commerciaux qui sesont mis en place dans la région sous le règned’Auguste. On se gardera, par conséquent, d’endéduire que les propriétaires de la villa entretenaientdes relations directes avec ces différents centres deproduction. Le seul constat qu’il convient d’en tirerest qu’ils semblent s’être approvisionnés indifférem-ment sur les marchés viennois aussi bien que lyonnais,voire, dans les centres urbains de la vallée de la Loireet ce, indépendamment de leur appartenance au terri-toire lyonnais (fig. 26).
Il semble néanmoins que certaines marchandisesont emprunté des voies plus spécifiques. Le tituluspictus sur amphore mentionné plus haut (fig. 27) pré-cise que le vin qu’elle contenait a été acheminé à sondestinataire depuis le port d’Arelate. Sa pâte micacée,caractéristique des productions massaliètes, permetd’affirmer qu’elle a été embarquée plutôt que condi-tionnée à Arles. Quelle que soit son origine exacte,elle témoigne d’une commande passée directementpar le consommateur auprès du producteur ou desnegotiatores chargés d’écouler sa production.
L’existence de cargaisons dédiées, faisant l’objetd’un acheminement suivi jusque dans les campagnes,prouve que les circuits commerciaux mis en placedans l’arrière-pays colonial ne reposaient pas unique-ment sur la diffusion massive de marchandises cou-rantes, mais aussi, sur des actes de consommationciblés et plus isolés. Cette pratique est attestée à Lyonpar un autre titulus sur amphore gauloise de type G4étiquetée au nom de Iulius Adiutor, destinataire d’unecuvée d’amineum réservée à son propre usage(fig. 27)73. Elle était sans doute l’apanage de person-nages influents aux réseaux très étendus, qui leur per-mettaient d’acquérir des marchandises rares par-delàles marchés locaux de Vienne et de Lyon. À Goiffieux,cette hypothèse pourrait être étendue au labrum enmarbre blanc d’origine campanienne (?) qui ornait lesbains, pièce d’importation unique en Gaule à cetteépoque. De là à l’appliquer aux cartons et à la main-d’œuvre spécialisée chargée de réaliser les décors dela villa, il n’y a qu’un pas que les études stylistiquesne permettent pas encore de franchir.
4.4. Du site au territoire : lacunes et perspectives
Dans son évolution ultérieure, qui succède à unincendie survenu au début de l’époque flavienne, la
villa de Goiffieux occupe une position plus communeen regard des autres domaines recensés dans la régionet dans les Trois Gaules. La débauche de dépensesinvesties à l’époque julio-claudienne dans l’architec -ture, l’hydraulique et les décors, cède la place à desinstallations beaucoup plus fonctionnelles. Occupépour une large part par des espaces de vinification etde stockage du vin, le corps central de la villareconstruit entre la fin du Ier et le début du IIe s. ap. J.-C. est dépourvu de bains et n’est doté que d’un seulbassin natatoire aux dimensions nettement restreintes(10 m par 5). Ses fondations beaucoup plus araséesont néanmoins livré des éléments de construction et dedécor (marbres, tubuli, second ensemble de peintures)qui attestent l’existence d’une pars urbana réduite àquelques centaines de mètres carrés, reléguée au-delàde son angle sud-est (fig. 28).
La mise en évidence d’au moins deux pressoirs,d’une cuve de foulage et de chais de grande capacitétémoigne, symétriquement, d’un net accroissement deson appareil productif qui semble se faire au détrimentde la partie résidentielle. Cette évolution a étéobservée dans d’autres villae coloniales de plan et destatut comparables. C’est par exemple le cas dugigantesque domaine vinicole de Vareilles dansl’Hérault, fondé dès le Ier s. av. J.-C. L’essor de laproduction au IIe s. ap. J.-C., que matérialise l’occu -pation de toute la surface disponible par des chais àdolia, semble aller de pair avec sa transformation enrésidence secondaire, occupée de façon temporairepar ses propriétaires et gérée par un vilicus résidantsur place74. Cette régression, qui témoigne d’un reculde la consommation de biens et de services au profitde l’appareil productif, n’est pourtant qu’apparente :loin de traduire un appauvrissement du domaine, elleindique seulement que les gains de productivité sontdésormais réinvestis ou « consommés » ailleurs, dansd’autres domaines plus importants ou plus proches del’agglomération lyonnaise.
Ces observations ne pourront être validées que pardes études réalisées à une échelle territoriale pluslarge. On se gardera de les généraliser, en l’absenced’analyse intra-site comparable, même si elles sontsusceptibles d’être étendues à d’autres villae etétablissements agricoles de statut comparable à celuide Goiffieux. Ainsi, par exemple, l’investissementarchitectural dont a bénéficié la villa de la Grange dubief à Anse (Rhône), avec ses vastes piècesmosaïquées, ses jardins en terrasse et son portique de150 m de long, est nettement supérieur et celui réalisédans la villa du Vernai à Saint-Romain de Jalionas
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73. — Ae 1988, 874 : Amin(eum) ve(tus) usib(us) Iuli(i) Adiutoris. 74. — MAUNÉ 2003.
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balnéaire
pressoir
pressoir-fouloir
aqueduc ?
pars urbana ?
chais ?
enclos
natatio
palestre ?
pars rustica
pars vinaria
enclos
Etat 4 (2e
- 3e
s.)
FIG. 28. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 4 (IIe-IIIe s. ap. J.-C.).
(Isère), au moins équivalent75. Les vestiges en coursde fouille sur le site des buissières à Panossas (Isère),interprétés comme ceux d’une villa de l’arrière-paysviennois, comportent des thermes monumentauxaménagés sur plus de 200 m2 et entièrement plaquésde marbre, qui représentent un engagement financier
considérable. Ils sont associés sur le même site à degrands bâtiments de stockage dotés de plancherssurélevés, identifié à des chais ou à des greniers. Leursurface supérieure à mille mètres carré suggère un rôlede centralisation des ressources agricoles locales,peut-être dans le cadre de l’annone76. Fouillée defaçon plus extensive, la villa du Vernai dispose elleaussi, d’un appareil productif important et diversifié,matérialisé entre autres par un horreum de capacitémoyenne une grande variété d’espèces élevées etcultivées sur place (bovins et porcins, céréales, vigneet fruits divers)77.
Les modalités de consommation en vigueur dansd’autres établissements de rang inférieur sont moinsfaciles à cerner. Les villae caractérisées par un plancomplexe mais moins étendu affichent, en règlegénérale, une déclinaison plus restreinte desmarqueurs attestés dans les domaines les mieuxpourvus. Certaines d’entre elles ont bénéficié d’uninvestissement architectural qui n’est pas négligeable,mais sans commune mesure : les bains de la villa desGrandes Terres à beynost, sont plus sommairementaménagés et associés à un seul bassin de taillemodeste, tandis que d’autres sites de plan comparable,comme les villae de La boisse ou de Meyzieu, ouencore, celle de Fleurieux-sur-l’Arbresle, n’ont livréaucune trace de tels équipements78. L’absence dedécors figurés, d’éléments d’hypocauste ou deplacages de marbre est à cet égard très révélatricemême en l’absence de fouilles (fig. 2). Les mobiliersexogènes et les biens de consommation de semi-luxe(sigillée, lampes, instrumentum en bronze) y sontégalement absents ou beaucoup plus rares. Demanière plus générale, les rares études consacrées auxamphores et céramiques en milieu rural confirmentque la part d’importations y est très en retrait parrapport à celle mise en évidence dans les habitatsurbains de Lugdunum et de Vienne.
Le degré de conservation des vestiges, très différentd’un site à l’autre, doit néanmoins inciter à laprudence. Une approche statistique multicritère,fondée sur le matériel de fouilles récentes, permettrapeut-être à terme d’opérer une hiérarchisationpertinente. Quant aux découvertes déjà recenséesisolément sur certaines villae, leur analyseapprofondie peut parfois réserver quelques surprises :tels ces restes de fruit exotique mis en évidence sur lavilla du Vernai (gourde calebasse), ou encore, le
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75. — ROyET et al. 2006 ; FAURE-bRAC 2006, p. 146 sqq.76. — POUx et al. 2012.77. — ROyET et al. 2006.
78. — MOTTE, VICHERD 2008 ; FAURE-bRAC 2006, p. 273 sqq. ; SILVINO
et al. 2011 ; S. MOTTE, rapport inédit.
FIG. 29. — Poisson en verre soufflé et statuette en bronze découverts sur le site de la villa de La dent à meyzieux.
D’après Faure-brac 2006 ; béal 2008.
poisson en verre soufflé de La Dent à Meyzieux, piècerare inconnue à Lyon-même qui fait écho à la statuettetrouvée sur le même site (fig. 29)79.
mots-clés : Gaule, colonie, villa, économie,ressources agraires, viticulture, matériaux deconstruction, décors, céramiques.
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