En collaboration avec Laurence Croq (Paris X), Le rang et la fonction. Les marguilliers des...

Post on 12-Jan-2023

2 views 0 download

Transcript of En collaboration avec Laurence Croq (Paris X), Le rang et la fonction. Les marguilliers des...

1

Le rang et la fonction. Les marguilliers des paroisses parisiennes

à l’époque moderne1

Laurence CROQ et Nicolas LYON-CAEN [TM du chapitre : I De l’engagement nobiliaire à la désaffection 1. L’élaboration du système des rangs (v.1500-v.1650) 2. Le règne de Louis XIV et l’arrivée de l’aristocratie robine et militaire 3. L’insensible désengagement des marguilliers d’honneur 4. La robe, exception partielle II Les marguilliers bourgeois et la notabilité parisienne 1. Typologie des fabriques 2. Fabriques et échevinage 3. De moins en moins d’électeurs III Transferts de pouvoirs : de la direction du premier marguillier à une gestion collégiale sous le contrôle du curé 1. Un curé de plus en plus présent et puissant 2. Des nobles marginalisés et déclassés]

« Voyons, c’est un marchand, un bourgeois de Paris, un homme bien établi ; de

bonne foi, êtes vous son pareil, un homme qui est marguillier de sa paroisse ? Qu’appelez vous, Madame, marguillier de sa paroisse ? lui dis-je ; est-ce que mon

père ne l’a pas été de la sienne ? Est-ce que je pouvais manquer à l’être aussi, moi, si j’avais resté dans notre village au lieu de venir ici ?

Ah ! oui, dit-elle, mais il y a paroisse et paroisse, monsieur de la Vallée ! Eh ! Pardi, lui dis-je, je pense que notre saint est autant que le vôtre, Mme d’Alain,

saint Jacques vaut bien saint Gervais ! »

MARIVAUX, Le paysan de Paris, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 114.

Les fonctions conférées aux laïcs par l’Eglise devraient être partout revêtues de la même

dignité : le martyr Gervais n’est pas d’une autre essence que l’apôtre Jacques. En principe, le

marguillier d’une paroisse rurale accomplit les mêmes tâches que celui d’une paroisse urbaine, mais

en réalité, l’époque moderne offre une grande variété d’équilibre des pouvoirs entre les différents

acteurs de la paroisse que sont le curé, le clergé, les marguilliers et les fidèles2. La réalité matérielle

1 Nous remercions Robert Descimon de nous avoir permis de présenter les premiers résultats de cette enquête lors de son séminaire en 2006 et de nous avoir confié ses dossiers sur Saint-Jean-en-Grève et Saint-Etienne-du-Mont ainsi que les dépouillements de Denis Richet sur Saint-Séverin. Une première version de ce texte a bénéficié d’une relecture attentive de David Garrioch et Mathieu Marraud, dont les listes d’épiciers, de gardes et grands gardes de la draperie, de l’épicerie et de la mercerie ont grandement contribué à identifier les appartenances corporatives des marguilliers. 2 Anne BONZON, « La fabrique : une institution locale originale dans la France d’Ancien Régime », Historiens et géographes, t. CCCXLI, octobre 1993, p. 273-285. ID, « Sociologie religieuse et histoire sociale : la paroisse », Philippe

2

des tâches effectuées diffère et l’usage « civique » de la charge change sans doute en fonction des

populations concernées, encore que le redoublement par ce moyen d’une domination économique et

sociale préalable paraisse relativement fréquent3. Dans le monde des campagnes, au XVIIe siècle, le

recoupement entre communauté d’habitants et paroisse est un trait saillant : la fabrique se confond

avec l’institution municipale, quand elle existe4. On s’accorde aussi à souligner son importance

dans l’apprentissage des langages et usages politiques de la notabilité locale5. Dans les villes, la

situation apparaît plus complexe, en raison du foisonnement des corps, collèges et communautés qui

concourent à son gouvernement, depuis les métiers jusqu’aux municipalités6.

En 1789, Paris compte 52 paroisses, dont 11 dans la Cité. L’égale dignité des marguilliers va

de pair avec une hiérarchisation de fait. Les enjeux afférents à l’accession et à l’exercice de ces

charges s’intègrent dans la vie politique locale. Être marguillier n’est ni une affaire individuelle, ni

une fonction exceptionnelle, mais une expérience partagée par une minorité non négligeable de la

société. Chaque fabrique est dirigée par trois ou quatre marguilliers. L’institution fonctionne suivant

le principe de l’élection et de la rotation des charges : tous les ans, une cinquantaine d’individus —

au minimum — sont élus, qui resteront en charge au moins deux ans, tandis qu’on ne compte que

deux échevins et quatre consuls du tribunal de commerce élus chaque année.

La charge de marguillier est souvent la seule fonction honorifique exercée par les bourgeois

petits et moyens. Elle est aussi une étape du cursus honorum de l’élite des marchands et des juristes,

elle est enfin une des fonctions civiques exercées par les nobles citadins7. Au-delà de ces

différences, elle est un des honneurs urbains les moins valorisés. Les chroniqueurs en font rarement

état, à propos d’eux-mêmes ou de leurs relations, à l’exception du libraire Hardy dans la seconde

moitié du XVIIIe siècle8. Nicolas Versoris ne mentionne par exemple jamais le mot9. Devant le

BÜTTGEN et Christophe DUHAMELLE (éd.), Religion ou confession. Un bilan franco-allemand sur l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Colloquium et Ed. de la MSH, sl., 2010, p. 373-392. 3 Jean-Pierre BLAZY, Gonesse, la terre et les hommes des origines à la Révolution, Gonesse, chez l’auteur, 1982, p. 265. Antoine FOLLAIN, « Les communautés rurales en Normandie sous l’ancien régime. Identité communautaire, institutions du gouvernement local et solidarités », RHMC, t. XLV, n° 4, 1998, p. 691-721. 4 Jean JACQUART, La crise rurale en Île-de-France 1550-1670, Paris, Publications de la Sorbonne – Librairie Armand Colin, 1974, p. 556-595. Philippe GOUJARD, Un Catholicisme bien tempéré. La vie religieuse dans les paroisses de Normandie, 1680-1789, Paris, Éd. du CTHS, 1996. Jacques MARCADE, « Fabriques et fabriciens dans le diocèse de Poitiers au XVIIIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 4e série, t. XIII, 1975, p. 189-199, montre que, dans bon nombre de villages, c’est le curé seul qui gère les biens temporels de la paroisse. 5 Christian KERMOAL, Les notables du Trégor. Éveil à la culture politique et évolution dans les paroisses rurales (1770-1850), Rennes, PUR, 2002. 6 Voir par exemple Alain LOTTIN, « Les morts chassés de la cité. Les émeutes à Lille (1779) et à Cambrai (1786), lors du transfert des cimetières », dans : ID., Être et croire à Lille et en Flandre XVIe-XVIIIe siècle, Arras, Artois Presses Université, 2000, p. 111-166. 7 Jean-Marie LE GALL, « Porter le dais du Saint-Sacrement à Saint-Jacques de la Boucherie au XVIe siècle », dans : Claude GAUVARD et Jean-Louis ROBERT (éd.), Être parisien, Paris et Île-de-France. Mémoires, t. LV, 2004, p. 493-517. 8 Siméon-Prosper HARDY, Mes loisirs ou journal d'événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance (1753-1789), Daniel ROCHE et Pascal BASTIEN (dir.), Québec, Presses de l’université Laval, 2008-.

3

notaire ou le curé, les anciens marguilliers ne se prévalent pas de ce titre, alors que les anciens

échevins et consuls intègrent volontiers ces qualités dans leur titulature. Seules les épitaphes puis

les faire-part de décès en rappellent l’exercice. Les fabriques peuvent à bon droit passer pour le

premier échelon de la notabilité bourgeoise, la base de la « démocratie qualitative » suivant

l’expression d’André Berelowitch qui s’attache à réunir l’assentiment non de tous les individus

mais de ceux socialement qualifiés10. Ce sont dès lors les relations « qualitatives » entre les groupes

qui classent ou incorporent ces individus qu’il faut saisir pour expliquer les évolutions du système.

Il ne s’agira pas ici d’envisager l’ensemble des solidarités produites par les fabriques au sein

de la communauté des fidèles11, mais de déterminer comment fonctionne et évolue, à l’échelle de la

ville toute entière, ce qui s’apparente à un processus endogène de sélection et de classement au sein

de la population. Les aristocrates, les bourgeois et les gens du peuple sont inégalement répartis dans

l’espace parisien, le filtrage pour l’accès aux charges ne sélectionne pas dans les mêmes corpus. La

diversité des quartiers transparaît pourtant assez peu dans les listes de marguilliers, car toutes les

paroisses partagent les mêmes conceptions de la représentation sociale12. L’inégale répartition des

groupes sociaux dans l’espace n’empêche pas la mise en place de structures voisines d’une fabrique

à l’autre, les caractères sociaux spécifiques de chacune sont estompés par l’uniformité des

acteurs collectifs : nobles, bourgeois, corps socio-professionnels (Six-corps, notaires et avocats).

Le recrutement des fabriques, qui ne dépend donc que marginalement de la sociologie

paroissiale, est en revanche sensible aux mutations qui affectent la société et la vie politique locales.

Au XVIe siècle, les paroisses ne sont pas les seuls cadres locaux d’exercice du pouvoir, les quartiers

de la municipalité sont aussi animés par un grand nombre d’acteurs élus ou cooptés, les officiers de

la milice, les quartiniers, les dizeniers, les cinquanteniers. Mais, avec la Fronde, la milice

9 Gustave FAGNIEZ, Livre de raison de Me Nicolas Versoris, avocat au Parlement de Paris (1519-1530), Nogent-le-Rotrou, imp. Daupeley-Gouverneu, 1885. 10 André BERELOWITCH, La hiérarchie des égaux. La noblesse russe d’ancien régime XVIe-XVIIe siècles, Paris, Ed. du Seuil, 2001, p. 135 : « La décision ne dépendait que rarement de la majorité numérique : on recherchait plutôt le consensus considéré comme la méthode la plus sûre pour arriver à une solution satisfaisante. Consulter tous les membres de la communauté, leur assurer une représentation proportionnelle à leur nombre, ne constituait cependant pas une obligation. On se préoccupait surtout d’obtenir la participation des groupes qui comptaient [...]. Ce n’était donc pas une démocratie quantitative qui suppose l’égalité politique de tous les citoyens ; peut-être pourrait-on parler d’une démocratie qualitative ». 11 Martial STAUB, Les paroisses et la cité. Nuremberg du XIIIe siècle à la Réforme, Paris, Ed. de l’EHESS, 2003 ; Philippe SALVADORI, « Communauté catholique et société : fabriques et parrainages dans trois paroisses de Dijon (vers 1650-1750) », Annales de Bourgogne, t. LXXI, 1999, p. 139-156 (cit. p. 141). 12 L. CROQ, N. LYON-CAEN, « La notabilité parisienne entre la police et la ville : des définitions aux usages sociaux et politiques », dans : Laurence JEAN-MARIE (éd.), La notabilité urbaine Xe-XVIIIe siècles, Caen, Publications du CRHQ, coll. « Histoire urbaine », 2007, p. 125-157.

4

bourgeoise et le rôle politique local des officiers municipaux disparaissent13. Avec les corporations,

les fabriques restent un des rares lieux où les Parisiens peuvent faire leur apprentissage politique14.

L’institution de la fabrique, derrière une apparente stabilité, connaît en fait une profonde

mutation des relations entre ses différentes composantes (curé, marguilliers et paroissiens). Les

relations entre les nobles et les bourgeois d’une part, entre les laïcs et le clergé d’autre part, sont

bouleversées. La nouvelle donne permet de réinterroger la question des relations entre les élites et

de contextualiser le conflit janséniste qui met en scène, entre autres acteurs, ces marguilliers qui

résistent localement au « despotisme » clérical, tantôt soutenus par le Parlement, tantôt matés par un

gouvernement qui les perçoit comme des mutins15. Trois thèmes retiendront notre attention : les

modalités de l’implication des nobles dans la vie paroissiale, la sociologie bourgeoise des fabriques,

et l’évolution des pratiques de gestion des paroisses.

De l’engagement nobiliaire à la désaffection

Les règlements paroissiaux sont rares avant la seconde moitié du XVIIe siècle. Ils paraissent alors

constituer des créations sui generis, plus ou moins supervisées par l’évêché qui exerce un pouvoir

de surveillance et de validation qu’il finit par perdre au profit du Parlement. Au cours du

XVIIIe siècle, ce dernier considère qu’il s’agit là d’une matière mixte, temporelle et spirituelle (à

l’image des confréries, des sonneries de cloche, etc.) relevant de sa compétence. Si la collaboration

entre les autorités judiciaires et ecclésiastiques est souvent cordiale, les évêques sont clairement

placés dans une position subordonnée, dépourvus de pouvoir de police générale, prérogative des

parlements, alors que les cours se mêlent de plus en plus fréquemment de réguler le fonctionnement

des fabriques16. Mais les usages des paroisses se sont fixés antérieurement à toute intervention

judiciaire. La société parisienne a élaboré de manière autonome ses propres règles.

13 D. GARRIOCH, The Formation of the Parisian Bourgeoisie, 1690-1830, Cambridge-London, Harvard University Press, 1996, p. 102. Les charges de dizeniers et de cinquanteniers sont souvent vacantes. Les offices de quartiniers continuent à être recherchés car ils permettent d’accéder à l’échevinage, mais leurs détenteurs ne sont pas tenus de résider dans les quartiers qu’ils représentent, et ils ne convoquent plus guère de bourgeois mandés que pour l’élection municipale annuelle. Quant aux assemblées générales de ville, elles cessent après 1693. 14 David D. BIEN, « Old Regime Origins of Democratic Liberty », dans : Dale VAN KLEY (éd.), The French Idea of Freedom. The Old Regime and the Declaration of Rights of 1789, Stanford, Stanford University Press, 1994, p. 23-71. D. GARRIOCH, The Formation of the Parisian Bourgeoisie. 15 N. LYON-CAEN, La Boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2010. 16 Philippe PAYEN, Les Arrêts de règlements du parlement de Paris au XVIIIe siècle. Dimension et doctrine, Paris, PUF, 1997, p. 125-131.

5

L’élaboration du système des rangs (v.1500-v.1650)

Au Moyen-Âge, les marguilliers semblent égaux. Vers 1650, toutes les paroisses ou presque

les ont hiérarchisés en fonction de leur appartenance sociale. C’est la genèse de ce système, que

nous nommerons « 2+2 » ou « 1+3 » (voir tableau n°1), et ses évolutions que nous voudrions

éclairer. Il repose sur une dichotomie entre nobles et roturiers et sur des subdivisions internes à

chacun des deux ensembles.

Rares sont ainsi les fabriques qui ne comportent pas au moins une place, la première, pour

un noble. Vers 1700 environ, un tiers de l’effectif nobiliaire habite le Marais, moins de 10 % le

nord-ouest. Au cours du XVIIIe siècle, le faubourg Saint-Honoré connaît une progression

spectaculaire jusqu’à regrouper 40 % de l’effectif, le Marais demeurant le quartier de prédilection

des robins17. Les nobles d’épée continuent à élire domicile de préférence dans le faubourg Saint-

Germain, se mêlant parfois aux financiers dans le quart nord-ouest de la capitale. Mais les quartiers

sans noble sont rares : même à Saint-Médard, on trouve des écuyers.

Dans les paroisses où sont concentrés les nobles de robe et de finance et les avocats, les

fabriques distinguent les premier et second marguilliers des deux derniers. Elles comprennent donc

deux nobles (ou assimilés) et deux bourgeois. Les avocats, qui appartenaient au XVIe siècle à la

sphère d’équivalence sociale des officiers de justice, ont subi un déclassement, avéré dès le début

du XVIIe siècle, mais qui n’empêche pas leur maintien au second rang des fabriques. Saint-Merry qui

réserve, avant 1652, 3 places sur 4 à des nobles (le troisième, auditeur des Comptes ou secrétaire du

roi, a toujours comme avant-nom « noble homme »), passera ensuite à la représentation commune

2+2. Dans les paroisses où nobles et avocats sont plus rares, seul le premier marguillier se

différencie des trois autres (1+3). À Saint-Jacques-de-la-Boucherie, il existe dès le XVe siècle un

premier marguillier d’une catégorie sociale différente (typiquement un avocat , associé à trois

marchands) et pourvu d’un mandat plus long, même si sa durée reste variable18.

Les places ne sont toutefois pas encore rigoureusement assignées avant 1650. À Saint-

Eustache, exemple pourtant précoce d’un passage au 2+2 dès les années 1540, les entorses restent

courantes. En 1583 noble homme Nicolas Parent, secrétaire de la chambre du roi, apparaît en

troisième position entre un notaire et un marchand. Encore dans la première moitié du XVIIe siècle,

une profession ou une titulature n’est pas systématiquement associée à un rang et il est possible de

passer du second au premier. Messire Guillaume Perrochel, maître d'hôtel ordinaire du roi et maître

17 M. MARRAUD, La Noblesse de Paris, Paris, Ed. du Seuil, 2000, p. 107 ; Isabelle DEHRENS, « Le Marais néo-classique (1760-1790). Nouvelles constructions, nouvelle population », Cahiers du Crepif, t. LIX, juin 1997, p. 35-64. 18 Laurence FRITSCH-PINAUD, « La vie paroissiale à Saint-Jacques-de-la-Boucherie au XVe siècle », Paris et Île-de-France. Mémoires, t. XXXIII, 1982, p. 7-97 (cit. p. 28), variabilité notée également par Geneviève HOËTTICK-GADBOIS,

6

des Comptes, est second marguillier de Saint-Gervais en 1626 derrière messire Charles de Malon,

chevalier, seigneur de Bercy, président au Grand conseil ; il devient le premier l’année suivante

devant noble homme maître Martin Lyonne, trésorier des ligues des Suisses et Grisons. La

hiérarchie sociale est ainsi respectée, qui place un président de cour souveraine devant un simple

magistrat, puis un magistrat devant un financier. Cette marge de jeu des classements rappelle le

fonctionnement des confréries provençales (le premier recteur est noble, le second bourgeois et si

celui-ci est le premier, le deuxième est négociant)19.

Dans le second quart du XVIIe siècle s’impose une équivalence rigoureuse entre rang et état

social, conséquence probable de l’arrivée des robins du conseil du roi (maîtres des requêtes et

conseillers d’Etat), puis des ministres, aux premières places. La séparation entre marguilliers

d’honneur et comptables s’affirme. Le mouvement de différenciation touche tous les quartiers,

même si certaines paroisses y répugnent, comme Saint-Jacques-de-la-Boucherie qui s’accroche au

vieux modèle bourgeois « égalitariste », élisant des marchands contre des officiers et n’employant

que rarement et tardivement l’expression de « premier marguillier »20. Cette évolution trahit la

consolidation des nouvelles valeurs sociales cimentées par l’office royal autant que par

l’investissement religieux de la noblesse et de la magistrature dans la Réforme catholique. Celle-ci

contribue finalement à renforcer une légitimité paroissiale qu’elle avait d’abord débordée. Car si le

premier quart du XVIIe siècle est marqué par des fondations ou refondations d’établissements

réguliers, et le second par le foisonnement des compagnies particulières (Saint Sacrement, Sainte

Croix, Délivrance des prisonniers, etc.), sa seconde partie connaît en revanche une territorialisation

paroissiale accrue par le développement des charités locales placées sous la supervision de la

fabrique21.

« Les marguilliers, ‘chevilles ouvrières’ de la vie paroissiale d’après les visites archidiaconales de Josas (1458-1470) », RHEF, t. XCII, 2006, p. 25-46. 19 AN, S 3364, baux des 21 février 1627 et 2 novembre 1629 et S 3362, bail du 15 août 1627. Maurice AGULHON, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence. Essai sur la sociabilité méridionale, Paris, Fayard, 1968, p. 153. Sur les avant-noms, voir Fanny COSANDEY (éd.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’ancien régime, Paris, Ed. de l’EHESS, 2005. 20 R. DESCIMON, « L’échevinage parisien sous Henri IV (1594-1609). Autonomie urbaine, conflits politiques et exclusives sociales », dans : Jean-Philippe GENET et Neithard BULST (éd.), La Ville, la bourgeoisie et la genèse de l’Etat moderne, Paris, Éd. du CNRS, 1988, p. 113-150, part. p. 145-146 ; AN, LL 769, f. 31 (noël 1660) : « Mrs de Bragelongne et Simonet esleus marguilliers » et ibid., f. 112v (6 janvier 1706) : le conseiller des monnaies Duret a été élu « premier marguillier ». 21 Louis CHATELLIER, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987 ; Jacques DEPAUW, Spiritualité et pauvreté à Paris au XVIIe siècle, Paris, Boutique de l'histoire, 1999 ; Barbara B. DIEFENDORF, From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford, Oxford University Press, 2004.

7

Le règne de Louis XIV et l’arrivée de l’aristocratie robine et militaire

Deux phénomènes apparaissent sous Louis XIV : la rigidification des structures, à l’image

des échelles des municipalités languedociennes22, et l’aristocratisation du recrutement. À partir de la

Fronde, le système des rangs perd en effet de sa souplesse, et la structure 2+2 est reconnue comme

une norme. Furetière affirme ainsi qu’« il y a dans les grandes paroisses deux premiers marguillers,

ou marguillers d’honneur, qui sont d’ordinaire des officiers ; & deux marguillers comptables, qui

sont marchands ou bourgeois »23. Les petites fabriques continuent à n’avoir qu’un seul marguillier

d’honneur : le correcteur des comptes François Frezon est premier marguillier de Saint-Germain-le-

Vieil en 1678 et 1679, avec un horloger et deux marchands bourgeois de Paris24.

Par ailleurs, les premiers marguilliers sont de plus en plus recrutés dans l’élite nobiliaire.

L’implication de la haute robe est fortement affirmée d’un bout à l’autre du règne. À ce jeu, Saint-

Eustache est particulièrement favorisée par le nombre des ministres et secrétaires d’Etat qu’elle

choisit, en décalage avec la sociologie du quartier qui abrite plutôt la moyenne noblesse25 : le garde

des sceaux Chateauneuf (1632), le chancelier Séguier pendant près de 15 ans (1635-1649), Colbert,

les secrétaires d’Etat Phélypeaux de La Vrillière (1670-1672) et Colbert de Croissy (1681-1683), le

contrôleur général Desmaretz (1708-1714), le garde des sceaux Fleuriau d’Armenonville (1724-

1728). Dans le même temps, s’affirme la présence nouvelle de la grande noblesse d’épée,

particulièrement les ducs et pairs et maréchaux de France, à commencer par le faubourg Saint-

Germain : Saint-Sulpice élit en 1651 le duc de Liancourt, en 1662 le duc d’Uzès, pair de France, en

1666 le duc de Luynes, pair de France et Grand Fauconnier et enfin en 1684 le duc de Saint-Aignan.

Mais elle ne se limite pas aux quartiers prisées par la noblesse : même Saint-Jean-en-Grève est

concernée qui choisit successivement deux pairs, le duc d’Estrées (1651-1654), puis le duc de

Guise, Grand Chambellan (1656-1657).

Les motivations de cette intégration de la noblesse d’épée dans l’élite urbaine ne sont pas

unanimement partagées. Saint-Simon se montre extrêmement critique sur l’engagement du duc de

Guise, selon lui « le premier homme non seulement de sa dignité et de son état, mais de quelque

distinction, qui ait été marguillier d’honneur de sa paroisse pour s’attirer la bourgeoisie »26. La

22 M. AGULHON, p. 153 ; Pierre BONIN, « Système des avant-noms, système des échelles : logiques de taxinomie institutionnelle des consuls narbonnais (1557-1789) », Bulletin de la Société d'études scientifiques de l'Aude, t. CIII, 2003, p. 195-211 ; Id., Bourgeois, bourgeoisie et habitanage dans les villes du Languedoc sous l’Ancien régime, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 410-415. 23 Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel, La Haye-Rotterdam, 1690, t. 2, art. « Marguillier ». 24 AN, S 3355, 3 août 1678 et 27 octobre 1679. 25 Claude MICHAUD, « Rentes, rentiers et notaires en France à la fin du XVIIe siècle. Une approche informatique », RHMC, t. XXVI, octobre-décembre 1979, p. 638-658. 26 SAINT-SIMON, Mémoires, éd. A. de Boislisle, t. VI, Paris, Hachette, 1888, p. 418-420.

8

pratique se diffuse pourtant largement. Résulte-t-elle du désir de se constituer une clientèle

bourgeoise, particulièrement évidente pendant la Fronde : le duc de Beaufort se fait élire premier

marguillier de Saint-Nicolas-des-Champs en avril 1651, ce qui ne contribue pas peu à expliquer son

sobriquet de « roi des halles »27 ? Est-ce le désir de maintenir le lien entre la cour et la ville ? ou

celui de damer le pion aux grands robins auxquels ils sont confrontés dans la querelle du bonnet à

partir de 166128 ? Il faudrait pour cela disposer des procès-verbaux d’élection des marguilliers avec

le décompte des voix qui n’existent plus.

Au second rang, les marguilliers sont des magistrats moyens (auditeur des comptes) ou des

financiers (secrétaire du roi), des avocats, autant de nuances adaptant localement une norme qui ne

contredit pas les classements de la société globale. En 1772, les marguilliers de Saint-Roch

justifient encore la hiérarchisation des deux premières charges :

« On appelle à Saint-Roch marguillier secondaire celui qui est après le marguillier d’honneur, sans

fonction temporelle comme lui et avant le marguillier comptable. Les marguilliers d’honneurs sont

toujours les personnes du plus haut rang de la paroisse. C’est aujourd’hui M. le comte d’Egmont. Les

secondaires sont les citoyens relevés par l’éclat de leurs richesses et de leur état, après les personnes

les plus qualifiées. L’assemblée dont il s’agit fut convoquée par M. d’Alincourt, receveur général des

finances, alors marguillier secondaire.29 »

Pendant le règne de Louis XIV, les membres de l’élite sociale acceptent le nouveau système

de valeur promu par la Réforme catholique, ils ne dédaignent pas les charges de marguillier,

compatibles avec l’exercice d’autres fonctions, et partagent une culture commune où la robe et

l’épée tiennent le premier rang, la finance et les avocats le second, les bourgeois le troisième. La

hiérarchie fonctionnelle redouble la hiérarchie sociale, dans un contexte qui plus est paraliturgique

(les marguilliers restant des laïcs ordinaires), et « marque l’intégration conceptuelle d’un

ensemble » social30. Jusqu’aux années 1680, le catholicisme corporatif englobe toute la société

27 Olivier D’ORMESSON, Journal, éd. A. Chéruel, t. II, Paris, Imp. impériale, 1861, p. 769-770. Chéruel signale aussi ibid., n. 3 l’anonyme BnF, ms fr. 10274, Remarques journallieres et véritables de ce qui s’est passé dans Paris, f. 262 : « il s’était fait élire marguillier de Saint-Nicolas sa paroisse, dans laquelle il était fort aimé du menu peuple pour le voir aussi assidu aux moindres fonctions de cette charge qu’un simple bourgeois, tant il affectait la suprématie ». 28 R. DESCIMON, « Saint-Simon et les présidents à mortier », Cahiers Saint-Simon, t. XXVIII, 2000, p. 39-47. 29 BnF, FM-23948, Mémoire pour l’église de Saint-Roch contre le sieur Marduel, curé de cette paroisse, Paris, Knapen-Delaguette, 1772, p. 16 n. 1. 30 Louis DUMONT, Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1966, p. 318.

9

paroissiale. À l’image de la milice bourgeoise, la diversité des statuts et des conditions n’empêche

pas le sentiment de former un corps, exprimant une complémentarité dans la différence31.

L’insensible désengagement des marguilliers d’honneur

Le retrait progressif des nobles est commencé dès les années 1680 et se poursuit au cours du

siècle des Lumières, de manière plus tardive qu’à la confrérie Notre-Dame aux bourgeois32. S’il

n’affecte pas uniformément l’ensemble de l’espace parisien et si d’importants décalages sont

perceptibles, toutes les paroisses sont frappées. Les indices du désengagement nobiliaire vis-à-vis

des charges de premier et/ou de second marguilliers ne prennent jamais la forme d’un refus brutal33.

Ils sont parfois masqués par des processus de compensation, adaptations dans l’esprit de

l’institution plutôt qu’innovations de rupture.

Les premiers marguilliers sont rarement absents jusqu’aux années 1680, même pour la

passation d’actes ordinaires comme les baux de location de maisons. Puis leurs absences se

multiplient. À Saint-Sulpice, dès 1688 (date de la faillite de la fabrique), il n’y a généralement

qu’un seul des deux marguilliers d’honneur34, dont la présence devient épisodique à partir de 1739.

C’est globalement dans la décennie 1730 que le premier ou les deux premiers marguilliers

disparaissent des baux, même sous la forme du « avec... » qui parait à leur absence réelle (voir

infra). À Saint-Jean-en-Grève, vers 1735 (le prince de Rohan est alors marguillier d’honneur depuis

16 ans), une requête des marguilliers au procureur général précise que

« Le premier et le second marguilliers n’ont d’autres fonctions que celle de présider aux assemblées

avec Monsieur le curé lorsqu’ils jugent à propos de s’y trouver et de concourir par leurs conseils au

bien et sollicitation des affaires de la fabrique ; souvent on les continue plusieurs années selon qu’ils

paroissent le désirer et que cela peut être favorable à la fabrique.35 »

À Saint-Paul, c’est le mandat du duc de Richelieu entre 1731 et 1735 qui marque la rupture.

Il n’a assisté qu’à une séance sur dix, alors que ses prédécesseurs oscillaient entre huit et dix. Son

31 R. DESCIMON, « Le corps de ville et le système cérémoniel parisien au début de l'âge moderne », dans : Marc BOONE et Maarten PRAK (éd.), Statuts individuels, statuts corporatifs et statuts judiciaires dans les villes européennes (Moyen Age et Temps modernes), Louvain, Garant, 1996, p. 73-128. ID., « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales ESC, t. XLVIII, n° 4, juillet-août 1993, p. 885-906. 32 L. CROQ, « Le déclin de la confrérie Notre-Dame aux prêtres et aux bourgeois de Paris sous l’Ancien Régime », Paris et Île-de-France. Mémoires, t. L, 1999, p. 243-289. 33 AN, LL 769, f. 12v (6 janvier 1706) : le conseiller des monnaies Duret élu « premier marguillier » de Saint-Jacques-de-la-Boucherie décline l’offre car il pense s’installer à Compiègne. 34 Seule exception : Thierry Bignon, premier président du Grand conseil — et dirigeant de la confrérie Notre-Dame aux bourgeois —, premier marguillier de 1694 à 1696, est systématiquement présent. 35 BnF, ms Joly de Fleury 1587, f. 4.

10

exemple est contagieux : son successeur, le président de Maupeou (1736-1739), ne vient qu’aux

deux tiers des assemblées et, après lui, la fréquentation tombe en dessous du tiers. La dernière

mention de la présence du premier marguillier à Saint-Eustache (le duc d’Uzès) et à Saint-Roch (le

duc d’Antin) date de 1733, à Saint-Sauveur de 1736, à Saint-Nicolas-des-Champs de 1744.

Les premiers marguilliers, bientôt suivis des seconds, non seulement ne considèrent plus

comme un devoir de passer des baux, mais dédaignent encore les réunions, même en cas de décision

importante. Des années 1760 à la Révolution, les assemblées des fabriques ne réunissent

pratiquement que des marguilliers bourgeois, en charge et anciens. Des nobles continuent certes

d’être choisis, mais leur élection n’emporte pas d’engagement actif. Leur nom peut ainsi apparaître

sans traduire une réelle présence. À Saint-Merry, le duc de la Tremoille est, selon une liste

imprimée en 1781, premier marguillier depuis 176736. Mais son nom n’apparaît jamais, ni dans les

actes notariés, ni dans les procès-verbaux de réunion. De sorte qu’il est parfois difficile de savoir si

le premier marguillier est chroniquement absent ou bien si la charge est effectivement vacante.

Seule Saint-Germain-l’Auxerrois annonce clairement qu’elle n’a pas de premier marguillier en

1760, la place étant « vacante »37. Sa franchise révèle crûment que les nobles rechignent désormais

à exercer ces charges.

La désaffection des marguilliers d’honneur, amorcée dès les années 1680, est donc générale

dans les années 1740. Elle rend parfois caduque la solution inventée dans un premier temps pour les

conserver, l’allongement de la durée des mandats qui, allant à l’encontre du principe de la rotation,

restait exceptionnel. Ainsi, à Saint-Eustache, Jean-Baptiste Proust est-il deuxième marguillier de

1700 à 1719, alors que les élus précédents changeaient tous les 3 ans38. Cette prolongation des

mandats ne traduit pas une volonté d’accaparer les charges. Ce sont bien les assemblées qui

demandent aux marguilliers d’honneur de rester. Le 25 décembre 1747, la fabrique de Saint-André-

des-Arts remercie de ses bons services l’intendant des finances Le Pelletier de la Houssaye, puis le

« suppli[e] de vouloir bien les continuer et ses bons conseils pendant une longue suite d'années [...]

et de rester dans la fabrique », craignant que son successeur ne s’implique moins dans les affaires

paroissiales39. Si l’allongement de la durée des mandats permet le maintien d’individus investis, il

caractérise aussi les mandats des marguilliers « fantômes », tel que le prince de Rohan à Saint-Jean-

en-Grève. Il n’est donc pas une panacée au désengagement nobiliaire, mais en limite localement les

36 AN, MC, CI, 656, 25 décembre 1781, liste annexée aux délibérations des années 1781-1790. 37 AN, MC, XXIV, 768, 8 janvier 1760, procès-verbal avec état annexé des biens des pauvres honteux et malades ; même remarque dans un devis de sculpture (ibid., 775, 9 mars 1761). 38 Autre exemple, à Saint-Paul, le président d’Ormesson reste près de 20 ans (1770-1789). 39 AN, LL 690, f. 54 cité par S. de DAINVILLE-BARBICHE, p. 139-140.

11

conséquences. Cette distanciation se traduit dans les raisons avancées pour les démissions,

déménagement ou manque de temps le plus souvent, mais aussi dans l’absence de motivation de

certains départs40. La rupture avec les mandats ad tempus diminue le nombre des individus

impliqués dans la vie paroissiale en dehors des milieux bourgeois.

Les candidats aux charges de premiers marguilliers ne devaient donc pas être nombreux. A

Saint-Sulpice, on a recours au frère du curé (Jean Dulau, comte d'Allemans, gouverneur de

Doullens). Mais le désir de former communauté n’a pas disparu de la conscience des marguilliers. Il

est réaffirmé par ceux de Saint-Jacques-du-Haut-Pas en 1768 qui présentent certes au duc de

Chaulnes de « très humbles et très sincères remerciements de l’acceptation qu’il a bien voulu faire

de cette place » mais voudraient aussi « lui demander sa présence tant au banc de l’œuvre qu’en la

chambre du conseil de la ditte fabrique, et lui demander sa protection dans toutes les affaires qui

concernent ladite fabrique »41. La formule, réitérée en vain lors du choix du prince de Salm-Salm

l’année suivante, reste lettre morte. On épargne ces précisions au président Gilbert de Voisins, leur

successeur.

Rares sont finalement les fabriques qui osent adapter les structures de représentation de la

société à ce retrait, c’est-à-dire modifier le système des rangs en supprimant le premier ou le second

marguillier. Dans les fabriques dotées d’une structure 1+3, nous avons repéré trois tentatives. À

Saint-Étienne-du-Mont, l’expérience dure moins de dix ans : souvent bâtonniers, les avocats sont

élus au deuxième rang puis montent à la première place devenue vacante (Issaly en 1685, Nouët en

1690, Nivelle en 1691). En revanche, les paroisses de Saint-Leu-Saint-Gilles et de Saint-Jacques ont

maintenu leurs innovations. À Saint-Leu, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, quand il n’y a pas de

marguillier d’honneur, l’assemblée élit deux bourgeois par an. Le règlement donné par le Parlement

en 1734 impose le choix d’un marguillier d’honneur et de trois autres marguilliers, et il est appliqué

jusqu’en 1750. Après quoi, les marguilliers de Saint-Leu sont de nouveau quatre bourgeois42. À

Saint-Jacques-de-la Boucherie, depuis 1717, deux bourgeois sont élus chaque année, sauf entre

1733 et 1736. Les deux autres cas d’adaptation, dans des fabriques avec une structure 2+2 qui

devient 1+3, sont plus tardifs : à Saint-Sauveur, le passage est effectif vers 1740, à Saint-Séverin à

la fin des années 1760.

40 AN, LL 751A (Saint Gervais), f. 28r, 30 mars 1768, démission de l’abbé de Malezieux car il quitte la paroisse ; LL 863, f. 238v, 3 avril 1735 : « le duc de Tallar demandant à quitter la place de premier marguillier ». 41 AN, LL 796, f. 74, 22 janvier 1768. 42 BnF, ms fr. 21609, f. 29 : arrêt du Parlement qui règle « la forme dans laquelle on doit procéder aux élections des marguilliers dans l'église paroissiale de Saint Leu Saint Gilles à Paris », 13 août 1734.

12

Dans l’ensemble, les bourgeois n’ont pas aboli les formes sociales des fabriques telles

qu’elles avaient été instituées sous Louis XIV et ont géré les paroisses dans ce cadre désuet.

La robe, exception partielle

Quatre facteurs entremêlés expliquent les exceptions à cette désaffiliation, le devoir d’état

des robins, la tradition familiale, le jansénisme et le désir d’intégration des hommes nouveaux. Ils se

manifestent surtout dans le Marais, bastion robin43, et à Saint-Séverin. Dans cette dernière, sont

premiers marguilliers les conseillers au Parlement Rolland de Challerange (1749, 1755-1757, 1767-

1768), de Bèze de Lys (1764), Clément de Feillet (1770, 1775-1777), le maître des Comptes

Clément de Boissy (1782), le président au Parlement Le Rebours (1785). Cette emprise robine se

double d’une mainmise familiale. Les Clément sont intronisés dès leur installation sur la paroisse en

1767 : deux frères (dont l’un avait déjà été marguillier d’honneur à Saint-André) et leur neveu (Le

Rebours) sont successivement marguilliers d’honneur. Cet engagement n’est pas formel : il est

encore fréquent que les premiers et seconds marguilliers signent les actes et assistent aux

assemblées, prenant leur part du travail commun. Clément de Feillet est ainsi chargé en 1770 de

proposer un nouveau règlement pour les pauvres44. Et en 1776, l’archevêque invite à dîner la

famille pour lui demander son opinion sur leur futur pasteur. Les magistrats sont porteurs d’une

tradition d’investissement civique plus forte que les autres nobles, encore renforcée ici par un

jansénisme farouche, marque distinctive de la famille.

La fidélité aux institutions mixtes apparaît aussi dans un attachement double à la paroisse et

à la ville, enveloppée dans une forte dimension familiale. Robert Langlois de la Fortelle, président à

la chambre des comptes, marguillier de Saint-Gervais en 1733-1737, est conseiller de ville (1728-

1765) ; son frère Pierre, conseiller clerc au Parlement, est marguillier de la même paroisse de 1742

à 1746. Les conseillers clercs acceptent du reste plus facilement de participer à la vie paroissiale

(comme dans la confrérie Notre-Dame) : c’est le cas, encore à Saint-Gervais, de Charles-Antoine de

Malezieu (1762-1768). La règle vaut de même pour plusieurs prévôts des marchands. À Saint-

Nicolas-des-Champs, on trouve Turgot et Bernage, élus en 1744 et 1752 après avoir été prévôts,

respectivement en 1729-1740 et 1743-1758.

L’ancienneté de l’ancrage local vaut particulièrement pour les familles les plus prestigieuses

qui hésitent à l’abandonner. Louis Le Peletier de Mortefontaine, déjà cité, renoue avec une tradition

vieille d’un demi-siècle. Son arrière grand-père Claude, le contrôleur général des finances, fut

43 L. CROQ, « La noblesse de robe, la modernité et le Marais dans le Paris des Lumières », R. DESCIMON et Elie HADDAD (éd.), Épreuves de noblesse, Les expériences nobiliaires de la haute robe parisienne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Les Belles-Lettres, 2010, p. 257-275.

13

premier marguillier de Saint-Gervais dans les années 1680, tout comme son grand-père Louis en

1700. D’ailleurs, quand son oncle, l’ancien premier président Louis III Le Peletier de Rosambo,

meurt en 1770 dans sa retraite des Chartreux, il est inhumé dans le caveau de famille45. On peut

retrouver cette attitude dans des familles moins prestigieuses. Les Pasquier s’implantent à Saint-

Leu-Saint-Gilles vers 1670 et s’y maintiennent jusqu’à la Révolution. Louis Pasquier, contrôleur au

grenier à sel, échevin en 1671, est premier marguillier en 1675-1677 ; Denis, trésorier général des

finances au bureau de la généralité de Paris, l’est aussi en 1692 ; lui succède en 1693 Louis II,

lieutenant particulier civil et assesseur criminel au Châtelet ; Denis-Louis, conseiller au Parlement

depuis 1718, a été « nommé pour premier marguillier par l'arrêt [du Parlement] du 22 décembre

1733 »46. Ceci dit, cette attitude ne recouvre pas nécessairement une présence assidue à la

fabrique : à Saint-Paul, les d’Ormesson font de la figuration (à peine une signature par an).

Une coloration janséniste caractérise également nombre de ces marguilliers d’honneur qui

s’impliquent dans la vie paroissiale, par exemple à Saint-Merry à la place de second marguillier. Le

payeur des rentes Defays, en charge de 1766 à 1771 (au moins), est le frère d’un gestionnaire des

bonnes œuvres jansénistes. Et dans les années 1780, le conseiller au Châtelet Lalourcé est le fils

d’un avocat célèbre pour ses attaques contre les jésuites. Quelques généreux donateurs de la Boîte à

Perrette, la caisse secrète de financement des jansénistes, se signalent également : le président des

Comptes Le Mairat en 1773 auquel la fabrique de Saint-Gervais tresse des louanges, « encore

éblouy de la profusion de ses amitiés et des rares vertus […] dont le souvenir ne s’éteindra jamais

parmi nous », ou son successeur, le maître des requêtes Guéau de Gravelle, marquis de

Reverseaux47.

La quête d’un premier marguillier rencontre parfois un désir d’intégration chez les hommes

nouveaux. Le cas est flagrant à Saint-Merry : après le procureur général au Grand conseil Angran

d’Alleray, les paroissiens nomment en 1750 un simple conseiller au Parlement issu d’une famille

anoblie de fraîche date48 ; de 1751 à 1763, Manneville est toujours présent aux assemblées et à la

passation des baux. A Saint-Louis-en-l’Île, le premier marguillier, Severt, doyen de la

Grand’Chambre, siège systématiquement depuis son élection en 1759. Mais c’est un « dévot des

44 AN, LL 933, registre des délibérations de Saint-Séverin, 8 septembre 1770, f. 59v. 45 S.-P. HARDY, t. I, p. 587, 22 janvier 1770. Michel ANTOINE, L’administration et le gouvernement sous Louis XV. Dictionnaire biographique, Paris, Ed. du CNRS, 1978, p. 165-167 et François BLUCHE, Les Magistrats du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Economica, 1986, p. 82. Autres exemples : les Lefevre d’Ormesson à Saint-Paul (lorsque l’intendant des finances démissionne, il est remplacé par son frère), et les Joly de Fleury à Saint-Séverin jusqu’en 1740. 46 BnF, ms fr. 21609, f. 29, Arrêt [sur les] élections des marguilliers dans l'église paroissiale de Saint Leu Saint Gilles à Paris, 13 août 1734. 47 AN, LL 751, f. 114 (21 novembre 1773) ; N. LYON-CAEN, « La Boîte à Perrette. Le financement des œuvres jansénistes au XVIIIe siècle », Paris et Île-de-France. Mémoires, t. LVII, 2006, p. 7-41. 48 F. BLUCHE, p. 327, n. 52 : Victor-François de Manneville de Belledalle appartient à une famille anoblie après 1715.

14

jésuites », une fidélité passée de mode dans la société parisienne à cette date, et son enterrement en

1769, est littéralement boudé : seuls quatre procureurs y assistent49. Son investissement provient

peut-être d’une démarche qui identifie dans les fabriques une forme d’intégration à la vie de la

capitale et la clef d’une reconnaissance sociale. Severt est en effet le fils d’un financier (seconde

génération noble).

Les recherches de Robert Descimon, conduites à partir des évolutions de l’échevinage et du

Parlement, ont montré combien la communauté urbaine, qui réunissait bourgeois et nobles au XVIe

siècle, se scinde progressivement depuis la Ligue. La monarchie qui propose de nouveaux biens,

charges, offices et titres contribue à installer des différences structurelles entre des groupes qui

trouvaient auparavant leur unité dans le partage du pouvoir urbain50. Ce creusement des différences

sociales au sein des élites semble engendrer (le lien de cause à effet n’est pas certain) au cours du

XVIe siècle un processus de hiérarchisation des marguilliers à travers le système des rangs

honorifiques attribués aux élus, chacun y tenant le sien en fonction de son état. Mais, sous le règne

de Louis XIV encore, les fabriques constituent des lieux de pouvoir partagé et de mixité sociale,

faisant cohabiter sans les confondre différentes strates des élites. C’est à l’aube des Lumières

qu’elles subissent une crise de recrutement, le XVIIIe siècle s’apparentant à une longue et chaotique

chronique du désinvestissement nobiliaire vis-à-vis de ces formes traditionnelles de sociabilité. Le

départ des nobles des fabriques va de pair avec leur désengagement de la vie municipale51 et laisse

le champ libre à un monde réputé uniforme, la bourgeoisie, néanmoins travaillé de forts clivages

économiques et sociaux. Ce mouvement n’est pas une spécificité parisienne : en Provence, les

notables (certes plus modestes que les ducs et pairs) se détournent des confréries, et en Picardie ou

en Normandie, des instances municipales qu’ils fréquentaient auparavant52. Au cours du siècle, et

malgré l’urbanisation croissante de la noblesse, quelque chose a donc changé dans les conceptions

des rôles respectifs des élites.

49 S.-P. HARDY, t. I, p. 549-550, 5 décembre 1769. 50 R. DESCIMON, « The ‘Bourgeoise seconde’ : social differentiation in the parisian municipal oligarchy in the sixteeenth century, 1500-1610 », French History, t. XVII, n° 4, 2003, p. 388-424. 51 L. CROQ, « Droit, société et politique. La confusion des concepts et des identités pendant la période pré-révolutionnaire à Paris », dans : C. GAUVARD et J.-L. ROBERT (éd.), Être parisien, p. 63-80. M. MARRAUD, De la Ville à l’Etat. La bourgeoisie parisienne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 2009. 52 M. AGULHON, p. 145-146 ; François-Joseph RUGGIU, Les Elites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, L’Harmattan, 1997, p. 257-265.

15

Les marguilliers bourgeois et la notabilité parisienne

Les marguilliers bourgeois sont soit des juristes, dont les professions sont précisées dans les

actes, soit des marchands, qui se présentent le plus souvent comme « marchand bourgeois de

Paris ». Cette qualité peut même désigner collectivement l’ensemble du groupe, comme à Saint-

Jacques et à Saint-Leu jusqu’aux années 1750. Elle est très prisée par les marchands des Six-corps

— les six principales corporations marchandes (merciers, drapiers, épiciers-apothicaires, bonnetiers,

orfèvres et pelletiers) qui représentent au moins la moitié de l’échantillon — 694 sur 1449 — (voir

tableau n°2). Mais les marchands de vin et de riches artisans revêtent aussi ce titre qui confère ainsi

une égale dignité à tous.

Un patronyme apparaît rarement plus de deux fois dans la liste des marguilliers d’une

paroisse. Le coût élevé de l’établissement dans les Six-corps, les faillites comme les ascensions

sociales limitent l’appropriation familiale par une même génération comme la transmission d’une

position dominante d’une génération à une autre, avant comme après 1750. De ce fait, organismes

charitables mis à part, on ne constate guère d’accaparement des fabriques par quelques familles —

un phénomène que David Garrioch a au contraire repéré à Saint-Médard, Saint-Hyppolite et Saint-

Martin avant 1750, sans doute parce que le vivier dans lequel les marguilliers de ces paroisses

périphériques peuvent être choisis demeure restreint53.

Pour la majorité des marguilliers, même ceux des Six-corps, cette fonction sera l’apogée de

leur inscription dans la notabilité. Le marchand mercier Philibert Fattoud, établi rue Saint-Martin,

est élu marguillier de Saint-Merry en 174954 ; au même moment il est battu aux élections des gardes

de son corps, puis derechef aux élections de 1752. Pour d’autres, elle ne sera qu’une étape de la

carrière des honneurs bourgeois, au même titre que les charges de garde des corporations ou de juré

des communautés de métiers, de magistrat au tribunal consulaire, ou encore les fonctions de

porteurs de châsse de reliques lors des processions55. Rares sont en effet les grands notables qui

n’ont pas été marguilliers de leur paroisse à un moment de leur vie. L’honneur et le pouvoir

conférés par la fonction compensent la lourde charge qu’elle représente — que du reste certains ne

53 D. GARRIOCH, The Formation of the Parisian Bourgeoisie, p. 63, 78 et 136. La moitié des 100 marguilliers de Saint-Médard entre 1690 et 1760 se partagent 15 noms de famille. 54 AN, MC, CXI, 552 bis, 25 décembre 1749, élection. 55 Remarques similaires dans Guy SAUPIN, « Une fabrique paroissiale nantaise au XVIIIe siècle : l’exemple de Sainte-Croix », dans : Marcel LAUNAY (éd.), Eglise et société dans l’Ouest atlantique du Moyen-Âge au XXe siècle, Nantes, Presses académiques de l’Ouest, 2000, p. 133-150.

16

supportent pas56 —, d’où son rappel systématique dans les épitaphes et les faire-part de décès

imprimés pour les funérailles57.

Typologie des fabriques

On peut distinguer trois types de fabriques.

Le premier ensemble est formé des paroisses de « la rive droite marchande » qui résiste depuis

le XVIe siècle « à l’ascension des gens du roi dans la capitale »58 : Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-

Eustache, Saint-Jacques-de-la-Boucherie et Saint-Leu. Les Six-corps y fournissent au minimum les

deux tiers des marguilliers (et jusqu’aux 4/5e à Saint-Germain). L’ostracisation des procureurs est la

règle. Saint-Leu se distingue toutefois par son ouverture aux autres corporations : François Gricourt,

marchand corroyeur, est marguillier en 1716, Louis Poitevin, fabriquant d’étoffes de soie, en 1764.

Cette caractéristique la rapproche du second groupe, celui des paroisses de la Cité et des

faubourgs, où la fabrique est un lieu de pouvoir partagé par de nombreux corps. Les Six-corps y

constituent la plus forte minorité, mais ne peuvent en accaparer la direction car leurs membres y

sont beaucoup moins nombreux que dans le cœur de la ville. L’ouverture se fait alors

essentiellement en direction des artisans et petits marchands, exclus de l’échevinage et du consulat.

Dans la Cité, elle profite aussi aux procureurs et à la basoche. Les effets de la compétition entre les

corps comme la structuration de la représentation paroissiale autour de quelques pôles apparaissent

donc nettement. Mais les carcans qui séparent les groupes inclus et exclus s’assouplissent dans les

lieux où leurs règles seraient difficilement applicables (Cité et faubourgs).

Enfin, les paroisses du Marais, de Saint-Séverin, Saint-Étienne-du-Mont et Saint-Sulpice,

sont mixtes. L’alternance entre hommes de loi et marchands aux troisième et quatrième rangs est de

rigueur ; elle fait écho à celle qui régit l’accès à l’échevinage selon laquelle, sur les quatre échevins,

il doit toujours y avoir deux marchands faisant ou ayant exercé la marchandise honorablement ou

bourgeois non officiers59. Dans ces fabriques, les notaires sont nombreux, mais le groupe dominant

56 AN, Y, 15 274, 7 août 1766, enquête au sujet du cadavre de Gabriel-François Bourgeois, déposition de Pretseille, metteur en œuvre : « led. sieur Bourgeois avoit été nommé marguillier de la paroisse de Sainte-Marie du Temple contre son gré, que cela luy a tout a fait tourné la teste » et il s’est jeté dans un puits. 57 Tel celui d’Edme Tesniere, « ancien consul, ancien grand garde de la mercerie, ancien commissaire des pauvres, doyen des marguilliers, doyen des administrateurs de la confrérie du Saint-Sacrement à Saint-Barthélémy, administrateur des hôpitaux des petites maisons et Trinité », qui est décédé rue des Fauconniers, le 21 juin 1742, et dont le corps est présenté à Saint-Paul, puis transporté et inhumé à Saint-Barthélémy. 58 J.-M. LE GALL, p. 503. 59 R. DESCIMON, « Le corps de ville et les élections échevinales à Paris aux XVIe et XVIIe siècles. Codification coutumière et pratiques sociales », Histoire, Economie et Société, 1994, p. 507-530 (cit. p. 511-512). L. CROQ, Les « bourgeois de Paris » au XVIIIe siècle : identification d’une catégorie sociale polymorphe, thèse univ. Paris I, 1997, t. I, p. 272-274. En 1763, les Six-corps demandent à nouveau l’exécution de cette règle, provoquant les réclamations des corps qui n’étaient pas représentés à l’échevinage, ou bien l’étaient exceptionnellement (procureurs des comptes,

17

est (sauf à Saint-Sulpice) celui des procureurs, étant donné les effectifs des deux professions (113

contre plus de 70060). Les procureurs sont aussi plus nombreux que les marchands des Six-corps qui

représentent seulement 25 à 40% des effectifs.

Du fait de ces monopoles corporatifs, les formes de la compétition sont transférées à

l’intérieur des communautés. Avant de devenir marguillier bourgeois, il faut normalement exercer

la charge de commissaire des pauvres (qui collecte dans sa paroisse la taxe des pauvres au profit du

Grand Bureau des pauvres). Un arrêt du Parlement en a même fait une obligation en 1728. Mais à

Saint-Merry, entre 1740 et 1771, sept personnes au moins ont été commissaires sans devenir

marguillier ; un même nombre de personnes a donc été élu marguillier sans avoir exercé la charge

de commissaire. Pour les trois notaires concernés, un plus jeune en évince un plus âgé mais doté

d’un plus faible capital social, pratique déjà attestée pour l’élection à la charge de syndic de la

profession sous Louis XIV61. Ainsi, en 1752, Nicolas-Jacques-Étienne Laisné, notaire depuis 1729,

est élu commissaire des pauvres ; l’année suivante, c’est Jean-François Guesnon, notaire depuis

1738, conseiller de ville reçu en 1740 (il sera échevin en 1755), qui devient marguillier. Les quatre

autres cas, chez les procureurs et les marchands, sont plus difficilement explicables.

Fabriques et échevinage

Ces pratiques de recrutement peuvent être comparées à celles en vigueur dans les autres

lieux de pouvoir urbain, particulièrement l’échevinage qui réunit lui aussi hommes de loi et

marchands.

Corps donnant accès aux lieux de pouvoir urbain (1670-1789)

Échevinage Consulat

Six-corps Oui Oui

Marchands libraires Non (demandent vainement

l’accès en 1763)

Oui, à partir de 1728

Marchands de vin 2 en 100 ans Oui, à partir de 1728

Marchands fabriquants Non 1 seul au XVIIIe siècle

Avocats Oui *

huissiers au Conseil, marchands de vin, libraires, procureurs et huissiers au Parlement, procureurs au Châtelet). Vainement. La municipalité reste fermée aux protestataires jusqu’à la Révolution. 60 R. DESCIMON, « Les auxiliaires de justice du Châtelet de Paris : aperçus sur l’économie du monde des offices ministériels (XVIe-XVIIIe siècle) », dans : Claire DOLAN (éd.), Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle, Québec, Presses de l’université Laval, 2005, p. 301-325 (cit. p. 304). 61 Marie-Françoise LIMON, Les notaires au Châtelet de Paris sous le règne de Louis XIV (étude institutionnelle et sociale), Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1992, p. 170 et 31.

18

Notaires Oui *

Procureurs au Châtelet et au

Parlement (mais pas à la chambre

des Comptes)

Non (demandent vainement

l’accès en 1763)

*

Commissaires au Châtelet Avant 1690, après 1770 *

À l’échevinage, le groupe des juristes est représenté par les avocats et les notaires, mais dans

les fabriques par les notaires et les procureurs. Au XVe siècle, certains procureurs et notaires étaient

marguilliers, par exemple à Saint-Germain-l’Auxerrois, puis ils ont disparu62. L’enrichissement et

l’érection des notaires en titre d’office en 1572 permettent leur incorporation, ils leur permettent de

bénéficier d’une promotion collective à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle63. Ils apparaissent

en 1643 à Saint-Sulpice, en 1650 à Saint-Merry, en 1655 à Saint-Gervais, en 1679 à Saint-André.

La concomitance avec leur accession à l’échevinage dans les années 1650 est frappante, alors que

les procureurs n’ont jamais réussi à en franchir les portes64. Après avoir vainement tenté, en

compagnie des payeurs des rentes, d’obtenir l’exemption de la charge de marguillier vers 1710

(peut-être pour viser les places de seconds marguilliers comme les avocats), les notaires sont élus

dans toutes les fabriques, même si Saint-Germain attend 1755 pour en choisir un65.

Les commissaires au Châtelet ont quant à eux disparu des fabriques, à peu près au même

moment qu’à l’Hôtel de Ville, dans les années 1690. Une sentence du Châtelet du 20 janvier 1685

décharge le commissaire Poiret de la charge de marguillier comptable de Sainte-Opportune. En

décembre 1693, Louis-Hiérôme Daminois, commissaire depuis 1690, est élu marguillier comptable

par l'assemblée de Saint-Roch ; une sentence du Châtelet du 27 février 1694 l’en dispense,

confirmée par un arrêt du Parlement du 27 novembre suivant66. Cela n’implique pas leur désintérêt

pour la vie paroissiale : Louis-Pierre Regnard s’occupe activement des affaires de Saint-Séverin67.

Dans les années 1770, les commissaires retrouvent le chemin de la municipalité mais pas des

fabriques.

62 Anne MASSONI, « Feu de bonne mémoire : piété et notoriété chez les Parisiens de Saint-Germain-l’Auxerrois au XVe et au début du XVIe siècle », Temporalités, t. I, 2004, p. 13-24. 63 R. DESCIMON, « Les notaires de Paris du XVIe au XVIIIe siècle : office, profession, archives », dans : Michel CASSAN (éd.), Offices et officiers moyens en France à l’époque moderne, Limoges, Pulim, 2004, p. 15-42 ; Hervé LEUWERS, L’Invention du barreau français, 1660-1830. La constitution nationale d’un groupe professionnel, Paris, Ed. de l’EHESS, 2006, p. 30-34. 64 M.-F. LIMON, p. 170. 65 AN, S 3491, état des archives de Saint-Roch, 1779, cote 39, arrêt imprimé du Parlement du 15 mars 1709 rendu entre le notaire Louis Moufle et les commissaires du grand bureau des pauvres ; BnF, F-23671 (787), arrêt du Parlement du 30 juillet 1710 qui condamne le notaire et payeur des rentes Louis-Joseph Le Berche, à accepter la charge de marguillier comptable de Sainte-Geneviève des Ardents. 66 BnF, ms fr. 21609, f. 22. 67 L. CROQ et N. LYON-CAEN, « La notabilité parisienne », p. 140-141.

19

La principale différence entre le recrutement des juristes à l’échevinage et dans les paroisses

tient à la place des avocats. Le déclassement social de ceux qui partageaient jusque-là la titulature

des magistrats des cours souveraines (« noble homme maître ») est apparu dès la fin du XVIe siècle.

Mais il ne se traduit pas par le passage du premier ou du second rang (où ils sont classés avec les

secrétaires du roi, auditeurs ou correcteurs des comptes ou les financiers) aux troisième et quatrième

rangs roturiers. Saint-Jacques-de-la-Boucherie se distingue comme un conservatoire des anciennes

valeurs en les plaçant au premier rang jusqu’aux années 1730. Les avocats de cette paroisse sont du

reste souvent parents de marchands. Ils sont aussi très assidus : l’avocat aux conseils Jacques

Boursier, premier marguillier, assiste aux 113 séances des années 1684-1686 sans aucune

absence68 ! Dans les autres paroisses, au XVIIIe siècle, les avocats ne conservent leur second rang

que sur la rive gauche (Saint-Séverin, Saint-Benoît, Saint-André, Saint-Étienne). Par leur

appartenance corporative, ils gardent de façon générale le sentiment d’une supériorité69,

partiellement reconnue par les autres institutions parisiennes (ils figurent en tête des listes de

notables de 1744), mais source de tension comme le reconnait Barbier, lui-même deuxième

marguillier de Saint-Séverin en 1725-1726 : « les avocats ne sont point aimés en général. On se

plaint de leur hauteur »70. Les avocats marguilliers comptables sont rarissimes, liés par parenté à la

marchandise. Louis-Augustin Gentil-Descarrières, marguillier de Sainte-Marguerite en 1746, et

Jean Gromaire de la Bapomerie, marguillier de Saint-Roch en 1749, sont gendres de merciers. Le

barreau, « un corps considérable qui refuse d’être du second ordre et à qui l’on conteste le

premier », éprouve un malaise certain à se situer au sein de l’univers corporatiste, préférant parier

sur la figure du désintéressement et sur des formes plus souples de structuration professionnelle71.

L’exclusion des artisans, prévue par les règlements de nombre de paroisses (articles 9 de

ceux de Saint-Leu de 1734 et Saint-Jean-en-Grève de 1737), fait aussi écho aux règles de

recrutement des bourgeois mandés pour les assemblées de ville : depuis l’édit de Compiègne de mai

1554, le quartinier doit convoquer huit personnes des plus notables de son quartier, « officiers du

roi, bourgeois et notables marchands non mécaniques ». Cette exigence est rappelée chaque année

dans le mandement adressé par la Ville aux quartiniers pour l’élection scabinale72. Cette norme est

68 AN, LL 771. 69 BnF, ms Joly de Fleury 2145, f. 64 : en 1759 le bâtonnier Phelippes de La Marnière « estime que les avocats immatriculés au Parlement sont du corps de la cour, qu’ainsy dans les cérémonies de telle nature qu’elles soient, ils doivent naturellement précéder tous officiers de magistrature inférieure ». 70 Edmond-Jean-François BARBIER, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV, Paris, Charpentier, t. III, 1858, p. 411. 71 Jean de LA BRUYERE, Les Caractères [1696], éd. Antoine Adam, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1975, p. 146 (De la ville, 5) ; Lucien KARPIK, Les Avocats. Entre l’Etat, le public et le marché : XIIIe-XXe siècle, Paris, Gallimard, 1995 ; H. LEUWERS. 72 R. DESCIMON, « Le corps de ville et les élections », p. 511.

20

commune aux marchands, aux nobles et aux parlementaires. En 1733, les marguilliers de Saint-Leu

expliquent qu’« on peut craindre qu’on ne cherche à dégouter les marguilliers d’honneur en leur

associant des sujets peu agréables et peu assortissans » et recommandent donc de ne choisir « aucun

commissaire des pauvres et marguillier comptable qui ne soit tiré des Six-corps des marchands ou

autres notables bourgeois sans qu’aucun artisan y puisse prétendre y être admis »73. De son côté, le

président Gilbert de Voisins, premier marguillier de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, exprime

brutalement en 1789 son dégoût d’être mêlé aux petits bourgeois en affirmant que « la fabrique

n’est composée que de la lie du peuple », s’agissant tout de même des maîtres artisans ou de petits

marchands74.

Si, du fait d’un consensus des élites, les fabriques refusent en théorie les artisans, celles du

troisième groupe (Cité et faubourgs) leur font une place et s’ouvrent à des exclus de la

municipalité : les procureurs, les marchands de vin et les libraires (qui ont accès au consulat dans la

deuxième moitié du XVIIIe siècle), et d’autres entrepreneurs. À cet égard, et contrairement à ce que

David Garrioch a observé dans les faubourgs de l’est, on ne constate aucune modernisation du

recrutement avec une ouverture à d’autres professions après 1750 : les normes sociales qui

encadrent le recrutement des marguilliers n’ont pas changé75. La période la plus innovante en la

matière a davantage été le règne de Louis XIV. L’accès des membres des professions médicales aux

fabriques en témoigne. Un docteur régent de la faculté de médecine est deuxième marguillier de

Saint-Étienne en 1708, un médecin marguillier de Saint-Germain-le-Vieil en 1711 ; trois

chirurgiens sont élus à Saint-Louis en 1654, 1662 et 1685 et à Saint-Roch, trois autres sont choisis

entre 1715 et 1740 ; Saint-Sulpice les admet même régulièrement. Les fabriques restent donc

globalement hermétiques à la reconnaissance sociale croissante de ces professions.

Les fabriques, structurées par les clivages corporatifs, sont des lieux où les équivalences

sociales sont construites, débattues, mises en pratique. La procédure de classement des individus

incorporés par l’assignation des rangs n’est donc pas le simple décalque d’un ordre social ou

économique transcendant. La surreprésentation des marchands des Six-corps comme le faible

nombre des marchands de vin, la rareté des chirurgiens, sont cohérents avec les normes de l’Hôtel

de Ville. Mais les écarts à ces normes permettent une ouverture à un monde moins homogène.

L’accessibilité différentielle des lieux de pouvoir urbains (échevinage, consulat et fabriques) permet

de distinguer trois groupes de notables dans l’ensemble des corps professionnels. Le noyau central

73 BnF, ms Joly de Fleury 1587, mémoire pour les marguilliers de Saint-Leu-Saint-Gilles, f. 99. 74 Joseph GRENTE, Une paroisse à Paris sous l’ancien régime, Saint-Jacques du Haut-Pas, Paris-Auteuil, Imp. des Orphelins-apprentis, 1897, p. 194 : en 1778, Gilbert de Voisins est marguillier avec des « bourgeois de Paris ».

21

est composé des Six-corps, des notaires et des avocats. Le deuxième cercle comprend les marchands

de vin, les libraires, et les procureurs. Le dernier groupe inclut les artisans et les marchands exclus

des groupes précédents. Petits, moyens et grands notables se côtoient dans les fabriques,

l’appartenance à une même institution atténuant temporairement les distinctions et les conflits qui

minent l’unité de la bourgeoisie, estompant légèrement la frontière qui cantonne les « mécaniques »

dans les milieux populaires et les isole du reste de la société bourgeoise.

De moins en moins d’électeurs

L’exclusion des mécaniques et des bourgeois de moindre envergure de la représentation

implique-t-elle également leur bannissement des assemblées électorales paroissiales ? La

démocratie qualitative veut-elle qu’on les associe aux élections-consensus qui désignent les

marguilliers ? Ceux-ci sont élus dans des assemblées générales qui se tiennent, selon les paroisses, à

Noël ou à Pâques le plus souvent. La documentation conservée ne permet pas de comparer aisément

les règles qui régissent les procédures (voir tableau n°3). Quelques remarques s’imposent

cependant. En France, l’exclusion des artisans est la norme dans les grandes paroisses urbaines, sauf

dans celles justement « qui ne sont presque composées que d’artisans »76, et constitue un principe

parlementaire durable. Le substitut de Saumur, qui doit réunir une assemblée pour déterminer

l’emplacement d’un nouveau cimetière, demande en 1785 au Procureur général comment il faut

comprendre l’expression « les habitants ». Joly de Fleury répond que « sous la dénomination de

notables habitans on entend ceux qui n’exercent pas d’arts mécaniques »77. Jamais en revanche les

règlements parisiens établis par le Parlement ne complètent la description des qualités requises par

l’exigence d’un niveau d’imposition, alors que c’est le cas pour d’autres paroisses dès la fin du

XVIIe siècle78.

Par ailleurs, qu’advient-il des nobles ? Au début du XVIIe siècle encore, toutes les élites

participent aux élections comme aux assemblées ordinaires. En 1611, à Saint-Eustache, une élection

rassemble marguilliers sortants, anciens, et notables paroissiens : y assistent un président et quatre

conseillers au Parlement, deux maîtres et un correcteur des comptes, un secrétaire du roi, l’avocat

général de la reine, un contrôleur des guerres, un trésorier de France, sept marchands, un procureur

75 D. GARRIOCH, The Formation of the Parisian Bourgeoisie, p. 126-128. 76 Daniel JOUSSE, Traité du gouvernement spirituel et temporel des paroisses, Paris, Debure, 1769, p. 123. 77 Jacqueline THIBAUT-PAYEN, Les morts, l’Église et l’État dans le ressort du parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éd. Fernand Lanore, 1977, p. 360. 78 D. JOUSSE, p. 123-124 : un arrêt de 1690 pour la paroisse d’Argenteuil précise que les plus notables habitants ne seront réputés tels « que quand ils sont cotisés à cent livres de taille & au-dessus » ; un autre arrêt de 1762 pour Notre-

22

et plusieurs bourgeois79. À la fin du XVIIe siècle en revanche, le corps électoral tend à se restreindre

au profit des anciens marguilliers, sans que les règlements n’entérinent officiellement ces mutations.

Le Parlement, qui reste attaché à la présence des nobles dans la vie paroissiale (il impose l’élection

d’un premier marguillier à Saint-Leu en 1740), insiste, dans l’énumération des qualités requises

pour participer à l’assemblée, sur les corps parmi lesquels se recrutent les deux premiers

marguilliers (dans les structures 2+2). Dans les paroisses marchandes (Saint-Jacques-de-la-

Boucherie et Saint-Eustache), les marguilliers continuent à être élus par des assemblées plus larges,

mais dont les nobles sont absents.

Les contestations de cet ordre des choses tendent à se multiplier à la fin de l’ancien régime.

Les traces de conflits avec le monde artisanal sont fort rares. Il faut attendre le 4 décembre 1790

pour voir une assemblée paroissiale, celle de Saint-Eustache, dénoncer l’élection des nouveaux

marguilliers, tous marchands, et réclamer leur désignation par tous les paroissiens80. Les entraves à

la domination bourgeoise viennent en fait surtout du clergé. Dans les années 1770-1780, les conflits

entre le curé et les marguilliers de Saint-Gervais et de Saint-Roch amènent le Parlement à prôner

l’ouverture de l’assemblée vers la grande noblesse pour tenter de briser la résistance des

marguilliers. Au même moment, pour mater la rébellion de quelques procureurs et marchands,

Saint-Gervais voit s’assembler deux marquis, deux comtes, un président et deux conseillers au

Parlement, un avocat général et un maître à la chambre des Comptes, un juge d’armes de la

noblesse (d’Hozier en personne), un officier des Gardes et un maréchal des camps81. C’est bien du

côté de ce clivage supérieur qu’il faut chercher la dynamique de l’institution et non vers la frontière

inférieure.

La répartition des places entre les différentes strates du monde bourgeois ne répond donc

nullement à une logique de représentation qualitative, du moins dans l’esprit des acteurs. Les

gestionnaires des fabriques tendent du reste à récuser ce vocabulaire. Pour ceux de Saint-Roch,

refusant dans les années 1780 la domination cléricale comme celle des grands notables de la

Chaussée d’Antin, il convient d’

Dame de Recouvrance à Orléans « ne regarde comme notables que ceux qui sont imposés à quinze livres de capitation & au-dessus ». 79 AN, L 643, 12 j, extrait des registres de la fabrique de Saint-Eustache, 26 décembre 1611 ; Alain BRUNHES, Une paroisse, ses notables, Saint-Eustache ès Halles de Paris. Etude d'histoire socio-religieuse sur la circonscription paroissiale, son développement, ses institutions et ses notables, du XVe au XVIIIe siècle, thèse de l’EHESS, 1981, 2 vol. 80 Frédéric BRAESCH, Procès-verbal de l’assemblée générale de la section des Postes, 4 décembre 1790-5 septembre 1792, Paris, Hachette, 1911, p. 4. 81 AN, LL 751, 12 avril 1778 ; Louis BROCHARD, Histoire de la paroisse de Saint-Gervais, Paris, Firmin-Didot, 1950, p. 244.

23

« écarter toute idée de mandat comme incompatible avec la nature des choses. Les fabriques ne sont

pas plus mandataires des paroissiens que les corps municipaux ne sont mandataires des habitans des

villes ; ce sont des corps établis dans l’Etat pour l’administration du temporel des églises, qui ont des

droits et se gouvernent par des règles qu’il a été nécessaires de leur donner suivant leurs fonctions ;

ils tiennent leur existence certaine et permanente du droit public et du consentement du

souverain.82 »

L’exercice des charges répond à une logique de participation à la vie publique, selon

l’antique image de la chaîne des corps développée encore en 1776 par l’avocat général Séguier83.

Ce n’est pas l’élection en soi qui confère le pouvoir : elle n’est qu’un processus collectif

d’attribution d’une responsabilité à celui à qui elle revient84. L’attachement aux anciennes valeurs

est resté fort chez une partie des bourgeois, mais son expression est restée exceptionnelle, cantonnée

dans les années pré-révolutionnaires.

Transferts de pouvoirs : de la direction du premier marguillier à une gestion

collégiale sous le contrôle du curé

Pareils débats auraient néanmoins été inimaginables un siècle auparavant, lorsque la

suprématie du premier marguillier n’était contestée par personne. Les différences croissantes de

grandeur, sociale et symbolique, entre marguilliers et curés influent sur l’ampleur et la nature de

leurs activités et creusent les tensions.

Au XVIIe siècle, la paroisse est dirigée, au temporel, par le marguillier d’honneur, mais

l’énumération des noms et qualités des trois ou quatre marguilliers est généralement ponctuée par

l’expression « tous marguilliers de ladite œuvre et fabrique » ou « tous marguilliers en charge ». Les

deux premiers marguilliers ont des devoirs spécifiques, ils doivent connaître les procédures

judiciaires et administratives85, ils confient aux bourgeois différentes tâches : en 1688 à Saint-Paul,

82 BnF, FM 23947, Mémoire pour les marguilliers comptable, en charge et anciens de l’œuvre et fabrique de l’église saint Roch, contre Monsieur le procureur général et contre le sieur Marduel, curé de l’église de saint Roch, Paris, Simon et Nyon, 1786, p. 31. 83 Jacques REVEL, « Les corps et communautés », dans : Keith BAKER (éd)., The French Révolution and the Creation of Modern Political Culture, t. I, The Political Culture of the Old Regime, Oxford-New York, Pergamon Press, 1987, p. 225-242. 84 Olivier CHRISTIN, « À quoi sert de voter aux XVIe-XVIIIe siècles ? », Actes de la recherche en sciences sociales, t. CXL, n° 4, 2001, p. 21-30. 85 « Depuis l'année 1544, il fut avisé par les paroissiens que serait utile et nécessaire d'avoir 4 marguilliers en lad. église et paroisse […], deux desquels seraient de longues robes, savoir celui de la plus haute qualité en 1er lieu pour servir de conseil, le second pour mener et conduire les affaires et procès de l’église et les deux autres bourgeois l'un desquels doit tenir le compte de la recette de tout le revenu de l’église et l'autre avoir le soin des quêtes et aide aux affaires dudit

24

Lamoignon et Brunet de Rancy chargent le nouvel élu, le notaire Denis Lange, de terminer

l’inventaire des titres de la fabrique commencé par son prédécesseur86.

Le premier marguillier est en outre doté d’un pouvoir de commandement, clairement énoncé

dans les règlements de Saint-Eustache et de Saint-Jean-en-Grève en 1669 et 167087 : les assemblées

générales ont été convoquées « par ordre » de celui-ci. Il peut même influer sur le choix des autres

marguilliers. Ainsi, à Saint-Paul en 1672, le sieur Marin, intendant des finances et premier

marguillier, choisit, comme le curé, le sieur de Faverolles pour second, mais refuse de ratifier le

choix de Picquet comme marguillier bourgeois, « ayant de l’incompatibilité qu’en même année

deux beaux-frères fussent marguilliers dans ladite paroisse, dont l’un fut l’ordonnateur & l’autre le

comptable, la recette se trouvant par année de 25 à 30 000 livres qui est un revenu considérable »88.

Il dirige les négociations en cas de conflit, comme à Saint-Sulpice pour l’établissement des limites

de la paroisse avec celles de Saint-Cosme89. Cette aptitude à jouer les arbitres lors des

affrontements, sans recourir à la justice, apparaît tout particulièrement lors des conflits entre curé et

marguilliers. À Saint-Paul « Monsieur de Fieubet de Launac premier marguillier d’honneur prit la

peine de […] porter [au curé] le 15 juin 1672 un mémoire de prétentions & de demandes »90.

Comme les fabriques sont rarement dotées de bureaux, les réunions se tiennent chez le premier

marguillier, ce que le règlement de Saint-Paul (1663) prévoit expressément91. À Saint-Gervais, une

assemblée réunissant les marguilliers en charge et une dizaine d’anciens se tient ainsi le 24 juin

1691 en l’hôtel d’Henri de Fourcy, président aux Enquêtes, ancien premier marguillier (de 1671 à

1674). Elle est menée par le correcteur des comptes et second marguillier Poussepin, car le duc

d’Aumont, premier marguillier, « était absent, retenu alors dans son gouvernement du Boullonais.

Mais, par lettre, il avait conseillé la conciliation. On résolut de suivre cet avis ». Et c’est Fourcy qui

est choisi comme arbitre par les deux parties. Pour des raisons diverses en effet, le marguillier

d’honneur ne réside pas toute l’année à Paris, mais son nom et sa qualité sont toujours mentionnés à

comptable et ne rien faire sans l'avis et consentement desdits deux autres ; lequel ordre a été observé et encore jusques aujourd'hui. » AN, S 3516, registre des revenus de Saint-Sulpice, août 1613. 86 AN, S 3478, inventaire de l’œuvre de Saint-Paul, délibération du 16 décembre 1688. 87 BnF, Lk7 7039, Règlements des droits et fonctions des officiers dépendants de la fabrique de […] Saint-Eustache à Paris, faits le 1er octobre 1669, et arrêtés par MM. les marguilliers en charge et anciens de ladite fabrique, en l'assemblée générale convoquée par l'ordre de Mgr Colbert, secrétaire d'État, premier marguillier de ladite paroisse, le 16 déc. de ladite année 1669 ; BnF, ms fr. 21609, f. 36, Reglemens des droits deubs à la fabrique de l'église paroissiale de Saint Jean en Grève à Paris aux mariages, convois, enterremens, bouts de l'an et chaires au Sermon, faits et arrestez par messieurs les marguilliers en charge et anciens de ladite fabrique, en l'assemblée générale, convoquée par ordre de M. de Breteuil […] premier marguillier [8 août 1670]. 88 BnF, F-23635(684), Arrêts du conseil d’Etat, rendus en faveur des marguilliers des paroisses de Saint Jean en Grève et Saint Paul portant règlement pour l’élection desdits marguilliers, 25 avril 1672. 89 AN, L 710, arrêt imprimé du Parlement du 18 janvier 1677 portant règlement des limites de la paroisse de Saint-Sulpice avec Saint-Cosme, mentionnant l’accord « fait et passé en l'hôtel dudit seigneur Talon, sis rue Saint Guillaume, l'an 1676, le 24 décembre ». 90 Bnf, Z-Thoisy 331, f. 102, p. 2-3.

25

la suite des présents92, son absence est généralement justifiée, et on précise parfois qu’il ratifiera

l’acte à son retour93. Le premier marguillier peut aussi manifester son intérêt par d’autres moyens.

Colbert, premier marguillier de Saint-Eustache en 1667-1669, est absent lors de la passation de

deux baux en octobre 1667 et septembre 1669. Mais il choisit le prédicateur de Carême en 1668.

Plus tard, « désireux d’offrir à Saint-Eustache […] une tenture de la Vie de saint Eustache, [il]

commandera à cet effet des dessins à Le Brun », avant de s’y faire inhumer. Sa veuve léguera

20 000 £ pour l’achèvement du portail94.

Les marguilliers bourgeois ne disposent donc d’aucune autonomie dans la majorité des

paroisses du centre (Saint-Jacques-de-la-Boucherie exceptée, qui a même forcé son curé à

abandonner au profit des marguilliers le « droict qu’il eust peu pretendre » sur une place assise95).

Leur gestion n’est pas toujours très rigoureuse, et les redditions de comptes sont parfois tardives,

voire inexistantes. Vers 1735, le curé de Saint-Jean-en-Grève réclame d’urgence au procureur

général un règlement pour la fabrique, arguant, entre autres, que trois marguilliers n’ont pas encore

rendu leurs comptes et qu’un quatrième est mort insolvable96.

Les avantages, même pécuniaires, retirés de l’exercice des charges de marguillier ne sont

pas négligeables. Nombreux sont ceux qui se font attribuer une chapelle, une sépulture sous le pavé

ou un banc, selon leur rang. À Saint-Gervais, une chapelle est cédée en 1606 à Antoine Le Camus,

seigneur de Jambville, premier marguillier en 1604-1605, qui est autorisé à la clore et à creuser un

caveau voûté pour s’y faire inhumer lui et les siens ; cette chapelle est cédée en 1683 au nouveau

premier marguillier, le contrôleur général des finances Le Peletier97. Les marguilliers ne sont certes

91 BnF, F-23635(684), arrêt du conseil d’État du 13 avril 1663. 92 AN, S 3335, dossier 3, bail du 18 novembre 1733 (Saint-Eustache) passé par Edme Samson, écuyer, secrétaire du roi, Jean Rahault et Marc-Antoine Nau, marchands bourgeois de Paris, « avec très haut et très illustre seigneur monseigneur le duc d'Uzès premier pair de France ». 93 L. BROCHARD, p. 224 ; AN, L 711 n°1, fondation de messes, 5 août 1663 : les marguilliers « seront tenus faire agrééer et ratifier ces présentes si besoin est, incontinent après qu'il [le duc d’Uzès, premier marguillier] sera de retour à Paris ». 94 AN, S 3335, dossier 3, S 3336 et LL 758 (Saints-Innocents), f. 195 v., note marginale précisant que : « Gendrot n’a pas presché ledit caresme a cause que Mr Collebert l’a souhaitté pour Saint Eustache et le RP Roüatin a presché au lieu de luy ». Nous remercions Isabelle Brian de nous avoir communiqué cette référence ; Alain MEROT, « Les paroisses parisiennes et les peintres dans la première moitié du XVIIe siècle : le rôle des fabriques », dans : Roland MOUSNIER et Jean MESNARD (éd.), L’Age d’or du mécénat (1598-1661), Paris, Éd. du CNRS, 1985, p. 186 ; Jean VILLAIN, La Fortune de Colbert, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 1994, p. 344-345. 95 AN, MC, II, 166, 19 mars 1641, transaction. Leur indépendance est connue. En 1653, Un marchand lyonnais « soi disant avoir charge des députéz élus par les paroissiens de Saint-Nizier » les requiert de lui déclarer les « formes, usages, manières et coustumes que eulx et leurs predecesseurs […] ont accoustumé de toutte ancienneté user en leur charge » (ibid., II, 196, 30 septembre 1653). 96 BnF, ms Joly de Fleury 1587, f. 2. 97 L. BROCHARD, Saint-Gervais ; AN, S 3491, constitution de rente, 7 janvier 1696. Sur les bancs et sépultures, voir L. CROQ, « Les mutations de la distinction sociale dans les églises paroissiales à Paris (des années 1680 à la

26

pas les seuls à être inhumés dans l’église, ni à écouter la messe assis en famille, mais on peut

admettre qu’ils sont prioritaires pour les attributions. Ils bénéficient de diverses exonérations. À

Saint-Séverin, la fabrique ne prélève aucun droit pour les sonneries, parements, poele, argenterie et

ouverture de terre lors des inhumations de marguilliers en charge ou anciens, de leurs femmes ou

enfants, de même pour le poele et les parements d’autel « qui seront fournis aux mariages desdits

marguilliers, de leurs femmes [sic] et de leurs enfants »98. Et quand Saint-Jacques-de-la-Boucherie

augmente les tarifs des inhumations, elle précise « bien entendu néanmoins que l’on ne touche ici

en aucune manière aux droits & aux exemptions de ceux qui, par leurs services généreux & gratuits

qu’ils ont rendus à cette église, ont mérité d’y être distingué par quelques privilèges»99.

Mais ceux-ci sont pensés avant tout comme des profits distinctifs. Car tout fonctionne

comme si l’implication dans la vie collective de la paroisse était une obligation remplie avec

diligence. Ce fonctionnement de la fabrique est cependant remis en cause par la présence plus

fréquente du curé et sa volonté de diriger la fabrique. La consolidation de la dignité curiale par le

catholicisme tridentin attise les conflits de préséance.

Un curé de plus en plus présent et puissant

La fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle sont marqués par une compétition entre le premier

marguillier et le curé qui apparaît plus ou moins précocement selon la personnalité du second, mais

devient nette pendant l’épiscopat de Noailles (1695-1729). La compétition pour la présidence des

assemblées apparaît dans les années 1690. À Saint-Gervais, les curés « jusqu’à la fin du XVIIe siècle

n’assistent qu’irrégulièrement aux assemblées ; leur signature ne vient que la seconde après celle du

premier marguillier d’honneur, autant que possible sur le même rang mais dans un espace

parcimonieusement réservé, et où le curé semble parfois s’être imposé ». Le différend qui oppose le

curé et la fabrique est réglé par deux compromis, l’un temporaire (24 juin 1691), l’autre définitif (29

mai 1692). Ces règlements diffèrent au moins sur un point, la préséance entre les marguilliers et le

curé. Dans le compromis de 1691, le curé est « maintenu dans son droit d’occuper la première place

à l’Œuvre et aux assemblées de la fabrique et de signer le premier » ; en revanche, la sentence

arbitrale de 1692 précise : « tant pour la place à l’œuvre que pour celle aux assemblées, il en sera

usé comme ci-devant, avec la même honnêteté. Et néanmoins la signature appartiendra à celuy de

Révolution) », dans : Laurence JEAN-MARIE et Christophe MANŒUVRIER (éd.), Distinction et supériorité sociale en Normandie et ailleurs (Moyen Âge et époque moderne), Caen, Publications du CRAHM, 2010, p. 81-104. 98 BnF, Z-Thoisy 331, f. 191-213, Règlement général pour les droits de la fabrique de l’église paroissiale de Saint Séverin à Paris, & des officiers d’icelle, quêtes & fonctions desdits officiers, 19 avril 1637. À Saint-Eustache, l’utilisation pour les cérémonies funéraires des « parements de velours noir, aux armes de feu Monsieur le cardinal de Richelieu » revient ordinairement à 36 livres, mais à 50 sols seulement pour les marguilliers. BnF, 4-LK7-7039, Règlements, ch. XXXVIII.

27

messieurs les marguilliers anciens qui présidera et recueillera les voix ». Avec ce second règlement,

appliqué jusqu’aux années 1770, le premier marguillier prend « la place du milieu […] comme

présidant l’assemblée », alors que le curé se place au coin du bureau, à droite des premiers

marguilliers100. A Saint-Étienne-du-Mont, les prieurs-curés, dont le rôle était honorifique dans la

seconde moitié du XVIIe siècle, affirment à partir de 1695 leur droit de présider le conseil de

fabrique101.

Mais c’est à Saint-Louis que le conflit est le plus durable. Le curé est généralement absent

lors des fondations établies par les paroissiens au XVIIe siècle ; la présence de Leullier, curé depuis

1693, est parfois signalée après l’énumération des quatre marguilliers avec la formule « en présence

du curé de la paroisse » ou plus rarement « en la présence et de l’agrément de ». En 1711, le curé est

nommé en premier dans un acte d’achat d’une maison par la fabrique. Entre 1719 et 1725, il est

tantôt la première, tantôt la dernière des personnes énumérées. A partir de 1726, quand il est

présent, son nom figure toujours en tête de liste dans les actes établis par la fabrique, sauf pendant la

période 1742-1749 où Jean-François Ogier, président au Parlement et surintendant de la maison de

Madame la dauphine, est marguillier d’honneur : le nom d’Ogier figure toujours en premier, celui

du curé le suit, avant ceux des autres marguilliers102. L’arrêt du Parlement portant règlement pour la

paroisse du 20 décembre 1749 donne définitivement au curé la première place dans les assemblées,

comme partout ailleurs103.

La solution de compromis que le Parlement impose dans les années 1730-1740 est en effet à

l’avantage des curés. Ils auront

« la première place dans toutes les assemblées, soit générales, soit particulières du bureau ordinaire ;

mais le premier marguillier y préside & recueille les suffrages […]. Le curé doit donner sa voix juste

avant celui qui préside, lequel conclut à la pluralité des suffrages, & s’il y avoit partage d ‘opinions,

la voix du premier marguillier doit prévaloir.104 »

99 BnF, Z-Thoisy 331, f. 171-177, extrait des registres des délibérations, 10 janvier 1688. 100 L. BROCHARD, p. 223, 225-226 et 248. 101 Anne CLEMENCET, « La vie et l'organisation d'une grande paroisse parisienne : Saint-Etienne-du-Mont aux XVIe et XVIIe siècles », Positions des thèses, Paris, École nationale des Chartes, 1973, p. 33-42 (cit. p. 37). 102 AN, L 675, et S 3424. 103 D. JOUSSE, p. 385. 104 Ibid., p. 125 d’après les règlements de Saint-Jean (1737), Saint-Louis (1749) et Saint-Jacques-de-la-Boucherie (1707).

28

Le curé devient ainsi une sorte de « premier marguillier perpétuel » comme l’affirme

crûment un maître traiteur, marguillier de Saint-Pierre-des-Arcis, en 1727105. Faut-il dès lors

s’étonner que les absences des nobles deviennent systématiques à partir de 1730 et que les curés

prennent soin de réclamer la présidence des assemblées en l’absence de premier marguillier106 ?

Dans le même temps, la distinction entre les marguilliers onéraires et honoraires qui fondait

la structuration des fabriques s’approfondit pour devenir une véritable ligne de fracture.

L’expression « marguilliers en charge » ne désigne plus généralement que les deux ou trois

marguilliers bourgeois (selon la structure 2+2 ou 1+3). La présentation des marguilliers de Saint-

Leu en 1736-1740 obéit à cette logique : l’énumération commence par Messire Guillaume Gouault

avocat général en la cour des monnaies, premier marguillier et se poursuit par trois noms de

marchands, « tous trois marguilliers en charge »107.

Au XVIIIe siècle, le fonctionnement de la fabrique est réformé, dans son esprit et sa pratique.

Le curé et les bourgeois, marguilliers en charge et anciens, forment une administration collégiale,

beaucoup plus égalitaire (à la mode de la démocratie corporative). Le travail des marguilliers est

encadré par une réglementation plus précise, les redditions de comptes deviennent régulières et les

initiatives personnelles sont limitées. Le souci de l’intérêt collectif, i. e. celui de la fabrique,

l’emporte : ainsi se justifient les adjudications de bancs puis de chaises aux enchères qui permettent

d’augmenter les revenus paroissiaux. Car les marguilliers qui concluent les actes n’agissent plus ès

qualités de marguilliers. En dehors des menues tâches, ils doivent détenir un pouvoir conféré par

une assemblée délibérative ad hoc : les baux mentionnent très souvent la date de la délibération

dans laquelle la décision appliquée par le marguillier a été votée. À cet égard, les conséquences de

la fermeture du corps électoral au XVIIIe siècle doivent être analysées prudemment. La qualité des

individus recrutés n’a pas changé, le turn-over est toujours aussi important car les marguilliers

bourgeois sont élus en général pour deux ans, trois ans dans quelques petites paroisses comme

105 BnF, F-23672 (557), Arrêt du parlement portant règlement général pour l’œuvre et fabrique de la paroisse de Saint-Pierre des Arcis, 31 décembre 1727. Le terme figure dans la requête de Vincent Babus du 29 mars 1727. À Saint-Pierre, trois marguilliers bourgeois sont en charge simultanément. 106 BnF, ms Joly de Fleury 1587, fol. 230, lettre de l’avocat du curé de Saint-Leu au procureur général, 8 août 1734 : « dans l’article projeté à cet égard vous avez réglé la présidence en faveur du premier marguillier comme c’est la règle et l’usage mais en cas d’absence de sa part vous l’adjugez au marguillier bourgeois qui le suit en rang ; or M. le curé de Saint Leu m’a fait remarquer que la constitution de notre paroisse répugne à cet ordre ; les marguilliers bourgeois sont issus des marchands, bons négociants pour la pluspart mais ineptes en affaires et moins capables encore de présider à aucunes assemblées c’est les réduire à l’impossible que de les mettre dans le cas de présider, d’ailleurs l’usage a toujours été que le curé présidat et opinat le premier ». L’article VI du règlement porté par l’arrêt du Parlement du 13 août 1734 affirme que « Le curé y aura la première place ainsi que dans les assemblées générales ; le premier marguillier présidera et recueillera les suffrages […]. Le curé donnera sa voix immédiatement avant celui qui présidera ». 107 AN, MC, X, 438, 21 octobre 1736, bail.

29

Saint-Pierre-des-Arcis, et ils ne sont jamais reconduits. Les décisions prises collégialement (curé,

marguilliers en charge et anciens) deviennent la règle, la conclusion des actes devant les notaires

n’est plus que l’exécution de décisions prises ailleurs. Les marguilliers disposent de mandats

impératifs, mais pas de leur paroisse. C’est, selon les marguilliers de Saint-Roch, le bureau qui

« constitue le corps de la fabrique ; les assemblées générales ne sont qu’une partie : leur objet n’est point d’agir

mais de consentir et d’autoriser certains actes qui excèdent l’administration ordinaire. Les notables ne sont que

délibérans et jamais agissans et ils ne peuvent délibérer valablement qu’avec ceux qui agissent, qu’avec le

corps chargé de l’administration.108 »

Le pouvoir est en amont, dans la structure collégiale de gouvernement qui leur a délégué une

tâche précise alors qu’au XVIIe siècle, si l’acte notarié était peut-être le résultat d’un débat préalable,

les marguilliers agissaient ès qualités, d’où la nécessité de mentionner l’accord des absents. Ce

nouvel ordre renforce la figure collective des anciens marguilliers qui s’est affirmée dès la fin du

XVIIe siècle109. Il trouve sa représentation symbolique dans la fusion du banc des marguilliers en

charge avec celui des anciens marguilliers.

Des nobles marginalisés et déclassés

L’institutionnalisation de la fabrique comme une administration marginalise le rôle des

fortes personnalités110. À Saint-Nicolas-des-Champs, les premiers marguilliers, souvent d’anciens

prévôts des marchands, n’interviennent absolument pas dans les querelles de la décennie 1755-1765

entre le curé et le bureau111. L’engagement des premiers marguilliers jansénistes aux côtés des

bourgeois reste même discret à Saint-Gervais. Dans les années 1770, le marquis de La Ravoye, le

président Le Mairat et le marquis de Reverseaux ne sont pas les leaders des querelles et ne

108 BnF, FM 23949, Second mémoire pour les marguilliers en charge, comptable et anciens de l’œuvre et fabrique de l’église Saint-Roch, contre M. le procureur général et contre le sieur Marduel curé de l’église de Saint-Roch, Paris, Simon et Nyon, 1786, p. 47. 109 Voir le conflit de préséance entre les avocats et les anciens marguilliers de Saint-Séverin en 1688 rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des principales audiences du parlement avec les arrêts qui y ont été rendus et plusieurs questions et règlemens, t. IV, 1658-1701, Paris, 1733, f. 101-104. 110 BnF, 4-FM-23 968, Mémoire pour les sieurs curé, marguilliers en charge et anciens marguilliers de la paroisse des SS. Innocents […] contre le sieur Guillaume Disnematin, marguillier comptable de ladite paroisse pour l'année 1733, se disant seul maître des droits actifs et passifs de la fabrique de cette paroisse, Paris, veuve d'Houry, 1734. « Guillaume Disnematin, […] étoit alors […] Marguillier Comptable […] : il se croyoit, à ce titre, chargé seul & indépendamment du Curé, des Marguilliers en charge, & des anciens Marguilliers, du poids du gouvernement, &é de l’administration de cette fabrique : il n’a cessé de répeter […] que c’est en sa personne seule que resident tous les droits actifs & passifs de la fabrique ». 111 BnF, ms Joly de Fleury 1569, et part. f. 422 : la police relève les noms de marguilliers en charge et anciens sans mentionner ni chercher à contacter les marguilliers d’honneur.

30

s’imposent pas non plus comme négociateurs112. Ils sont dépassés par la violence des bourgeois qui

ne partagent pas leur esprit de compromis et ne leur obéissent pas. Isolés dans un bureau où ils sont

minoritaires, ils ne peuvent imposer leur point de vue. Il faut l’intervention du Parlement pour

organiser le règlement du conflit. Sur la rive gauche, les magistrats jansénistes appuient en revanche

les marguilliers bourgeois. La qualité de magistrat offre en effet un moyen de pression efficace vis-

à-vis des ecclésiastiques. En 1741, Coste de Champeron, conseiller de Grand’Chambre et

marguillier d’honneur de Saint-André (1739-1742), emmène ses confrères rendre visite à leur

ancien vicaire, chassé par le nouveau curé. Il en profite ainsi pour se venger de ce dernier qui s’est

opposé à la nomination de son épouse comme supérieure des dames de charité113. Saint-Séverin

fournit nombre d’anecdotes comparables. La publicité de ces conflits ne doit pas faire oublier que

bon nombre de paroisses parisiennes n’en ont pas connu. Celles-ci ont des curés qui, plus ou moins

proches des jansénistes, cogèrent la fabrique avec les marguilliers dans un respect mutuel.

Les réticences de ces magistrats à intervenir, conjuguées à l’abstention des autres

marguilliers d’honneur, montrent une noblesse très en retrait de la vie paroissiale, qui ne considère

plus la fabrique comme un lieu de domination sociale. En témoigne le ton d’une lettre du duc de

Brissac, marguillier d’honneur de Saint-Sulpice, à la comtesse de Gisors, qui l’avait prié de

solliciter les juges du curé, Dulau-Dallemans, contre un compétiteur vers 1765,

« Ma seule, unique et essentielle déité veut donc que j’aille domquichotter pour les paroissiaux intérêts de sa

conscience couleur de rose ? Elle m’ordonne le rôle de valet de tragédie d’un schisme en faubourg Saint-

Germain, à moi qui galope une place dans Calais assiégé. L’équitable marguillier d’honneur d’un temple

commencé, doit porter par écrit ses sollicitations fondées sur l’amour des héroïnes de nos bandières

processionnales. Je n’ai vécu qu’avec nos drapeaux et nos étendards.114 »

Le militaire galant n’éprouve qu’un dédain narquois pour ce genre d’obligation.

Les nobles élus ne se joignent plus aux bourgeois que dans des circonstances

exceptionnelles. Ce sont celles qui concernent tout d’abord l’église comme bâtiment. À Saint-Roch,

le 13 août 1754, la première pierre de l’édifice des charniers est posée par le maréchal de Noailles,

ancien premier marguillier, le comte de Lamarck, premier marguillier, M. de Savalette garde du

trésor royal, ancien second et M. de Beaumont, secrétaire du roi et fermier général, second

112 L. BROCHARD, p. 235-242 : Reverseaux n’a pas assisté aux délibérations d’avril 1775 à mars 1777 et « ne semble pas avoir partagé l’acharnement de ses collègues de la fabrique contre le curé ». 113 René CERVEAU, Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la Vérité du XVIIIe siècle, t. VI, sl, 1767, p. 9-15 et Nouvelles ecclésiastiques, 27 novembre 1741, p. 189-190. 114 Correspondance littéraire, philosophique et critique, adressée á un souverain d’Allemagne, depuis 1765 jusqu’en 1768, par GRIMM et DIDEROT, 1e partie, t. V, Paris, 1813, p. 92-93. Sur l’affaire, voir S. de DAINVILLE-BARBICHE, p. 352 et 387.

31

marguillier115. La gestion des charités paroissiales les rassemble également. À Saint-Eustache,

Bernard de Boulainvilliers, prévôt de Paris, apparaît en 1767 dans une délibération concernant la

confrérie Notre-Dame de Bonsecours visant à assurer le logement des sœurs de la charité. Il est

aussi présent en 1776 lors de la prise de possession de la cure de Saint-Séverin par Cantuel de

Blémur, ancien premier vicaire de Saint-Eustache116.

Certains font des dons monétaires, comme s’ils répondaient à une obligation sociale

incontournable, sans toutefois en faire grand cas. Parmi les prérogatives des marguilliers figure en

effet celle de gratifier de ses largesses une fabrique qui « n’entend point se priver des petits

honoraires qu’elle est dans l’usage de recevoir tous les ans, tant de MM. les premiers et seconds

marguilliers que de messieurs les marguilliers comptables et en charge ». La récapitulation des

« menus dons » versés à Saint-Nicolas-des-Champs précise qu’en 1747, Turgot, à sa sortie de

charge de premier marguillier, a versé 1500 £ ; Marandon, ancien second, 2 000 £ en 1748 et

Bernage, ancien premier, 1500 £ en 1753117. Ces dons contraints sont monnaie courante mais loin

d’être anecdotiques : ils représentent une part mineure mais appréciable dans un budget d’environ

40 000 £ par an. L’évitement des frais des charges a été invoqué pour expliquer l’abandon par les

notables des confréries provençales, encore socialement très ouvertes au XVIIe siècle118. Mais à

Paris, les nobles à leur aise ne manquent pas et aucun ne reculerait devant une dépense de

représentation socialement valorisée, et qui correspondrait à leur rang. C’est en réalité l’espace de

ses devoirs d’état que la noblesse restreint.

Le refus de participer aux travaux délibératifs s’accompagne d’une fuite précoce des nobles

hors des églises paroissiales. Celles-ci sont des espaces répulsifs, dès le XVIIe siècle, à cause de la

puanteur due à la décomposition des cadavres119. Germain Brice résume leur dévalorisation en

notant que Saint-Merry est « triste et obscure & tres-malpropre, ainsi que la plupart des églises de

cette Ville, où on est plus négligent à cet égard, qu’en aucun endroit de la chrétienté, s’il est permis

de le dire »120. La moindre ferveur dévote de la vieille noblesse au siècle des Lumières achève de la

détourner des paroisses : le duc de Croÿ ne se rend à Saint-Sulpice que pour Pâques, comme le duc

115 AN, S 3491, état des archives de Saint-Roch. Autre exemple, à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, le président Gilbert de Voisins, premier marguillier, assiste à la bénédiction des quatre cloches de l’église en 1778 avec la duchesse de l’Infantado, épouse du prince de Salm-Salm, l’ancien premier marguillier. S.-P. HARDY, t. III, à paraître, 2 décembre 1778. 116 AN, S 3333, d. 3, 10 février 1767, délib. ; S. de DAINVILLE-BARBICHE, p. 303-304. 117 AN, S 3491, 13 avril 1760, délibération de la fabrique de Saint-Roch ; ibid., S 3453, Revenus et charges de Saint-Nicolas-des-Champs 1758, 11e chapitre. 118 M. AGULHON, p. 145-146. 119 AN, LL 771, f. 125v et suivants, 10 janvier 1683 ; BnF, Z-Thoisy 331, f. 171-177. 120 Germain BRICE, Description de la ville de Paris, Paris, François Fournier, 1713 (6e éd.), t. 2, p. 129.

32

de Duras à La Madeleine, le président d’Ormesson prie généralement aux Minimes, sauf pour les

grandes fêtes121.

Le déclassement des nobles dans les fabriques a probablement accéléré le processus de

détachement vis-à-vis de la communauté paroissiale. La réforme catholique a en effet promu deux

figures fonctionnelles, celles du curé et des marguilliers, et installé une nouvelle conception

hiérarchique : dans l’église, le clergé est supérieur aux laïcs, et les marguilliers sont supérieurs aux

autres fidèles. Cette construction idéologique induit une contradiction avec le principe ordinaire de

classement social fondé sur l’identité civile des individus, déterminée par leur naissance et leur

qualité sociale. La valorisation des curés et marguilliers entre en concurrence avec celle des nobles,

grands officiers et aristocrates confondus, dont la valeur, présentée ailleurs comme naturelle et

universelle, est désormais battue en brèche dans l’église paroissiale. L’option couvait depuis

longtemps. À Saint-Séverin, dès le milieu du XVIe siècle, la préséance est accordée dans les

assemblées tantôt aux marguilliers tantôt au curé et aux marguilliers, au détriment des droits de la

personne « la plus qualifiée » de la réunion (celle dont le rang dans la société est le plus élevé)122. À

Saint-Nicolas-du-Chardonnet, dans les années 1620-1640, « les marguilliers alloient toujours à

l’offrande et aux processions, quoi que les marguilliers comptables fussent souvent des marchands

de bois ou des boulangers après lesquels M. de Nesmond, président à mortier, M. Bignon, plusieurs

maîtres des requêtes et conseillers ne faisaient nulle difficulté de marcher »123.

Les nobles, comme simples fidèles, cèdent donc le pas aux marguilliers depuis le

XVIIe siècle. Au temps des Lumières, le compromis imposé par le Parlement donne la préséance aux

curés au détriment des premiers marguilliers, alors que la qualité sociale des curés connaît elle-

même un déclassement relatif ! Car l’archevêque de Paris, pour éradiquer le jansénisme, choisit des

hommes extérieurs aux réseaux de la notabilité parisienne et issus de la petite bourgeoisie124. La

Réforme catholique induit donc une sorte de révolution en inversant les rangs de la hiérarchie

ordinaire. La distorsion entre les qualités sociales des acteurs et le rang qu’elles leur confèrent dans

121 Annick PARDAILHE-GALABRUN, « Les déplacements des Parisiens dans la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles. Un essai de problématique », Histoire, économie, société, t. II, n° 2, 1983, p. 205-254. BOMBELLES, Journal, t. II, Genève, Droz, 1982, p. 40 évoque sa présence, le jour de Pâques 1785, dans cette « petite église et où il y avait fort peu de beau monde ». 122 AN, LL 936, registre de la fabrique de Saint-Séverin, ch. 2, cit. par Denis RICHET. 123 Philibert DESCOURVEAUX, Vie de Monsieur Bourdoise, premier prêtre de la communauté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris, Fournier, 1714, p. 95, cit. par Robert SAUZET, Les visites pastorales dans le diocèse de Chartres pendant la première moitié du XVIIe siècle. Essai de sociologie religieuse, Rome, Edizioni di storia e letteratura, Istituto per le ricerche di storia sociale e di storia religiosa, 1975, p. 198, n. 18. Pour Saint-Leu-Saint-Gilles, voir D. JOUSSE, p. 125-126 ; pour Saint-Séverin, voir N. NUPIED, f. 103. « Les marguillers vont les premiers à l’offrande, à la procession, & représentent tout le corps des paroissiens ». A. FURETIERE, Dictionnaire.

33

la société civile d’une part et leurs fonctions dans le cadre paroissial d’autre part, suscitent sans

doute plus de conflits silencieux que publics, à Paris comme en province. En 1687, les trésoriers de

France du bureau des finances de Tours, qui souhaitaient « précéder les fabriciers à l’adoration de la

croix, offertes et processions » dans l’église de Saint-Saturnin, sont désavoués par un arrêt du

conseil et renvoyés à l’exemplarité parisienne qui veut que « les fabriciers marchent immédiatement

après le clergé, sans que, pour quelque cause et prétexte que ce soit, ils laissent passer personne

entre eux et le clergé ». Refusant cette déchéance, ils choisissent de se retirer de toutes les

cérémonies de l’espace public125.

Par ailleurs, la logique du profit qui sous-tend nombre de décisions des fabriques n’est pas

celle des nobles qui mettent en avant non les droits issus de la naissance et de la qualité des

fonctions civiles. En 1714, le marquis de Béhon fait à la fabrique de Saint-Roch « un legs de deux

mille livres » qui, « outre les égards et les distinctions que mérite sa naissance », lui fait obtenir le

banc autrefois concédé au maréchal de Luxembourg126. Bientôt, le développement systématique des

concessions de bancs aux enchères mettra l’accent uniquement sur la richesse, au détriment de la

qualité sociale des acquéreurs, avant que les bancs raréfiés ne soient remplacés par des chaises127.

La ségrégation socio-spatiale à l’intérieur de l’église ne permet plus d’exprimer les distinctions

sociales inhérentes à la société civile.

Tous ces éléments ont sans doute joué un rôle dans la désaffection nobiliaire. Dans la

mesure toutefois où le phénomène ne concerne pas que les fabriques, mais est aussi avéré dans le

cadre municipal — les parlementaires sont de plus en plus rares parmi les bourgeois mandés et les

conseillers de ville de cour souveraine, remplacés d’abord par des magistrats des comptes puis par

des secrétaires du roi —, il faut prendre en compte d’autres facteurs. Le siècle des Lumières est

marqué par l’invention de nouvelles pratiques sociales. La bienfaisance (concerts charitables,

journaux, associations) se moque des limites paroissiales et participe du grand mouvement de

« désencellulement » de la ville128. Les salons et les loges franc-maçonnes (tableau n°4) sont des

lieux où les effets de distinction liés à la hiérarchie sociale sont exprimés plus subtilement, sans être

124 N. LYON-CAEN, La Boîte à Perrette ; ID, « Labrüe au paradis, chapeau aux enfers : les notables de Saint-Germain-l'Auxerrois face à leurs curés au XVIIIe siècle », RHEF, t. XCII, n° 228, p. 117-145. 125 François CAILLOU, Une administration royale d’Ancien Régime : le bureau des finances de Tours, Tours, Presses univ. François Rabelais, 2005, t. 2, p. 141 qui cite un arrêt du 26 avril 1687. 126 AN, LL 749, f. 74, 29 juillet 1714. 127 Bibl. Société de Port-Royal, LP 517 (128), Lettre d’un curé de Paris à un de ses amis sur la suppression des bancs dans les églises paroissiales, Paris, Desprez et Cavelier, 1752, p. 7. L. CROQ, « Les mutations de la distinction sociale ». 128 D. GARRIOCH, The Making of Revolutionary Paris, Berkeley, University of California Press, 2002.

34

abolis129. C’est en investissant ces nouveaux lieux qu’une partie de la noblesse réaffirme son

identité urbaine130. Mais la franc-maçonnerie n’attire guère à Paris que les nobles d’épée et de

finance, même marguilliers : les magistrats y sont rares, au contraire de Rouen où les

parlementaires, dédaigneux des charges de trésoriers des fabriques depuis 1720, siègent dans les

loges les plus élitistes, avec la haute bourgeoisie et les avocats131. Les robins parisiens préfèrent les

sociabilités mêlant hommes et femmes de leur monde. Dans la capitale, le refus de la mixité sociale

et la recherche de sociabilités entre égaux restent des valeurs fortes au milieu du XVIIIe siècle.

Comme le constate Paul Foucher, précepteur janséniste du duc de La Tremoille vers 1750 :

« Un homme de condition qui ne voit que des gens obscurs et des subalternes, est dès là décrié. On

juge avec beaucoup d’apparence qu’il cherche à se procurer des plaisirs faciles et à se satisfaire sans

contradiction. Au moins, est-il certain que cette affectation indique une certaine bassesse de

sentimens. On est gêné dans la bonne compagnie parce qu’on ne sent pas en état d’y tenir une place

convenable. On aime mieux dominer dans une troupe de complaisans, serviles adulateurs qui jamais

ne contredisent, qui previennent tous les goûts du chef de la société, et qui, par des vues intéressées,

applaudissent à toutes les sottises. Le moindre mal qui résulte de pareilles liaisons, c’est d’y prendre

un mauvais ton, un goût de sottes plaisanteries, un air d’ennuy et d’emprunt lors qu’on se trouve

avec des gens auxquels ont doit des égards et des prévenances.132 »

Le duc acceptera donc d’apparaître dans une liste imprimée comme marguillier d’honneur,

mais sans jamais se présenter à la fabrique pour siéger.

*

* *

Au XVIIe siècle, l’élite paroissiale regroupe la robe et la finance, bientôt rejointes par l’épée,

mais aussi la bonne bourgeoisie. La cour et la ville, le pouvoir central et les pouvoirs locaux ont

recours à des acteurs communs, les ministres et l’aristocratie ne dédaignent pas d’être marguilliers.

129 Antoine LILTI, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ; Catherine DUPRAT, « Pour l’amour de l’humanité ». Le temps des philanthropes : la philanthropie parisienne des Lumières à la monarchie de Juillet, Paris, Ed. du CTHS, 1993, 2 vol. 130 Pierre-Yves BEAUREPAIRE, Franc-maçonnerie et sociabilité. Les métamorphoses du lien social, XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Ed. maçonniques de France, 2003 ; M. MARRAUD, La noblesse de Paris et F.-J. RUGGIU, Les élites et les villes. 131 Olivier CHALINE, « Les parlementaires rouennais dans leur cité : rôle social et influence politique à la fin de l’Ancien Régime », dans : Claude-Isabelle BRELOT (éd.), Noblesses et villes (1780-1950), Tours, Presses de l’univ. de Tours, 1995, p. 34. 132 Jean-François LABOURDETTE, « Conseils à un duc de La Trémoïlle à son entrée dans le monde », Enquêtes et documents, t. II, 1973, p. 75-184.

35

La distance sociale n’empêche pas la sociabilité partagée. Une large minorité de la société urbaine

concourt au salut collectif, chacun selon son rang. La Réforme catholique, en renforçant le corps

fonctionnel des marguilliers, brise l’équivalence des hiérarchies qu’organisait le catholicisme

corporatif (c’est le fond de l’argument du Paysan de Paris). La promotion d’une dignité collective

inhérente au service de la communauté ecclésiale finit par entrer en contradiction avec les autres

principes de hiérarchisation sociale, de même qu’elle ne laisse pas indemne la relation entre clercs

et laïcs. L’hétérogénéité des principes de ces divers processus de classement se fait de plus en plus

gênante : selon qu’ils sont ou non mis en œuvre, la fabrique apparaît comme une institution binaire

(clergé/laïcs), ternaire (clergé/marguilliers/laïcs ou clergé/bourgeois/nobles), voire à quatre acteurs

(clergé/marguilliers/bourgeois/nobles).

Le règne de Louis XV voit l’éclatement de l’élite qui réunissait nobles et bourgeois, mais la

mémoire d’un gouvernement paroissial partagé n’a pas disparu. Vu des Lumières, le Grand siècle

apparaît comme le temps d’une harmonie sociale perdue. Jusqu’à la Révolution, l’absence des

nobles résonne comme un manque, comme un regret dans des institutions qui en apparence ne se

sont pas adaptées, puisqu’elles ont conservé les mêmes structures. Mais en réalité il y a bien eu

adaptation. Les bourgeois, non comme individus, mais dans un cadre collectif où les ambitions

personnelles peuvent difficilement s’exprimer, ont pris en charge la gestion locale des intérêts

communs délaissée par les nobles, d’épée mais aussi de robe. Les talents singuliers sont valorisés

s’ils sont mis au service de projets communs, et s’ils sont compatibles avec une gestion rigoureuse.

Le recrutement des fabriques s’uniformise, réunissant une étroite frange supérieure de l’artisanat et

de la judicature, la marchandise et le notariat. Personne ne semble mettre à profit la fabrique pour se

créer des réseaux clientélaires, sinon dans le cas spécifique des rapports entre marguilliers et clercs

de paroisse. La figure de proue de l’administration devient le curé, mais il est sous contrôle étroit

des laïcs, et du Parlement. Ces structures collégiales constituent des formes politiques nouvelles où

les bourgeois s’affirment comme la seule élite sociale et politique locale, à titre collectif et non pas

individuel.

A la fin de l’ancien régime, les normes sociales du recrutement des marguilliers sont

partagées en partie avec d’autres institutions. Elles sont encore mobilisées en 1789 lors du choix des

vingt électeurs titulaires de Paris. Seize d’entre eux avaient les qualités requises pour être élus

marguilliers. Sept auraient pu l’être au deuxième rang, les cinq avocats ainsi que le receveur général

des finances et le conseiller au Châtelet. Les neuf autres pouvaient être marguilliers bourgeois. Le

noyau central de la notabilité est le plus nombreux avec deux marchands merciers, un orfèvre, un

épicier, et deux notaires. Les corps moins notables (un marchand de vin, un libraire, un procureur au

Châtelet) complètent la représentation de la bourgeoisie. Bailly, Demeunier, Siéyès et Guillotin

36

étaient, du fait de leurs appartenances corporatives, exclus des fabriques. Mais Guillotin est l’auteur

du factum des Six-corps de 1789. Et les idées de Siéyès, qui avait déjà publié Qu’est-ce que le

Tiers-état ?, ne devaient pas déplaire aux notables parisiens pour qu’ils le choisissent comme un de

leurs représentants. Aucun artisan ne s’est en revanche glissé dans la députation parisienne dont le

recrutement est tout à fait conforme aux valeurs bourgeoises traditionnelles de la société parisienne,

l’entrée en politique des mécaniques qui sera une des conséquences de la Révolution a cependant

été préparée par leur participation à la vie de plusieurs paroisses.