Voyages du corps: Journal parisien

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Vient de paraître Édition -Diffusion 5-7, rue de l’École Polytechnique 75005 Paris Tél. 01 40 46 79 20 (comptoir et renseignement libraires) Tél. 01 40 46 79 14 (manuscrits et fabrication) Tél. 01 40 46 79 22 (service de promotion) Fax 01 43 25 82 03 (commercial) FRONTIÈRES & ARTISTES Espace public, mobilité & (post)colonialisme en Méditerranée Sous la direction dÉric BONNET & François SOULAGES Collection : Local & Global ISBN : 978-2- 343-04914-4 janvier 2015 • 182 pages • Prix : 18 euros Quels rapports les artistes de la Méditerranée ont-ils avec les frontières et quels effets cela a-t-il non seulement sur eux- mêmes, mais surtout sur leurs œuvres, sur leurs créations, sur leurs réceptions ? En quoi la mobilité choisie ou obligée change-t-elle la donne, dans ces pays marqués par le colonialisme passé et, parfois, présent, par ses frontières remises en cause Yougoslavie, Palestine, Israël, Liban, Syrie, Libye, etc. ? Trois directions sont successivement explorées, à savoir les relations pour les artistes, leurs projets et leurs œuvres – entre, d’une part, les frontières et, d’autre part, la mobilité, le (post)colonialisme et l’espace public. Les exemples concrets, particuliers et singuliers permettent par induction de poser des hypothèses fécondes pour comprendre ces réalités complexes. Ce livre est une étape d’une vaste recherche dirigée sur les Frontières qui a publié une vingtaine de livres depuis 2012 dans le monde. Éric Bonnet (France) est artiste, membre de RETINA.International, Recherches esthétiques & théorétiques sur les images nouvelles et anciennes, Professeur des universités, directeur du laboratoire AIAC, Arts des images et art contemporain, membre du projet FRONTIÈRES, Labex Arts-H2H, Université Paris 8. François Soulages (France) est directeur de RETINA.International, Recherches esthétiques & théorétiques sur les images nouvelles et anciennes, et du projet FRONTIÈRES, Labex Arts-H2H, Professeur des universités, membre du laboratoire AIAC, Université Paris 8. Visitez notre site internet et commandez l’ouvrage en ligne : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45522 Vous pouvez aussi commander cet ouvrage chez votre libraire habituel

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VViieenntt ddee ppaarraaîîttrreeÉdition -Diffusion

5-7, rue de l’École Polytechnique 75005 Paris Tél. 01 40 46 79 20 (comptoir et renseignement libraires) Tél. 01 40 46 79 14 (manuscrits et fabrication) Tél. 01 40 46 79 22 (service de promotion) Fax 01 43 25 82 03 (commercial)

FRONTIÈRES & ARTISTES Espace public, mobilité & (post)colonialisme en Méditerranée

Sous la direction d’Éric BONNET & François SOULAGES

Collection : Local & Global ISBN : 978-2- 343-04914-4 • janvier 2015 • 182 pages • Prix : 18 euros

Quels rapports les artistes de la Méditerranée ont-ils avec les

frontières et quels effets cela a-t-il non seulement sur eux-

mêmes, mais surtout sur leurs œuvres, sur leurs créations, sur

leurs réceptions ? En quoi la mobilité – choisie ou obligée –

change-t-elle la donne, dans ces pays marqués par le

colonialisme passé et, parfois, présent, par ses frontières

remises en cause – Yougoslavie, Palestine, Israël, Liban, Syrie,

Libye, etc. ?

Trois directions sont successivement explorées, à savoir

les relations – pour les artistes, leurs projets et leurs œuvres –

entre, d’une part, les frontières et, d’autre part, la mobilité, le

(post)colonialisme et l’espace public. Les exemples concrets,

particuliers et singuliers permettent par induction de poser des

hypothèses fécondes pour comprendre ces réalités complexes.

Ce livre est une étape d’une vaste recherche dirigée sur les

Frontières qui a publié une vingtaine de livres depuis 2012 dans

le monde.

Éric Bonnet (France) est artiste, membre de RETINA.International, Recherches esthétiques &

théorétiques sur les images nouvelles et anciennes, Professeur des universités, directeur du laboratoire

AIAC, Arts des images et art contemporain, membre du projet FRONTIÈRES, Labex Arts-H2H,

Université Paris 8.

François Soulages (France) est directeur de RETINA.International, Recherches esthétiques &

théorétiques sur les images nouvelles et anciennes, et du projet FRONTIÈRES, Labex Arts-H2H,

Professeur des universités, membre du laboratoire AIAC, Université Paris 8.

Visitez notre site internet et commandez l’ouvrage en ligne :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45522 Vous pouvez aussi commander cet ouvrage chez votre libraire habituel

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

Les frontières méditerranéennes pour les artistes

Éric Bonnet & François Soulages

Frontières & mobilité

Ch. 1. Heureux qui, comme Ulysse…

François Soulages, France

Ch. 2. Violence et déplacement des figures

dans l’espace méditerranéen

Éric Bonnet, France

Ch. 3. La Méditerranée, départ & retour. Italie

France

Alejandro Erbetta, Argentine

Ch. 4. Voyages du corps, Journal parisien.

Grèce France

Panayotis Papadimitropoulos, Grèce

Frontières & (post)colonialisme

Ch. 5. De l’islamophilie au postorientalisme

L’art dans sa configuration postcoloniale

Evelyne Toussaint, France

Ch. 6. Bricoler l’incurable. Mohamed El Baz

Eddie Panier, France

Ch. 7. Détournement cartographique. Bouchra

Khalili

Fatma Touil, Tunisie

Ch. 8. Vit & travaille entre la France & la

Palestine.

Taysir Batniji

Sandrine Le Corre, France

Frontières & espace public

Ch. 9. Etre artiste dans l’espace public. Turquie

Asli Torcu & Eşref Yıldırım, Turquie

Ch. 10. Espace public & espace graphique.

Internet & les murs du Caire

Gary Burgi, France

Ch. 11. MuCEM et les plis de la Mer

Intérieure. France

Joachim Viana, Brésil

Ouverture

Le renouvellement de la recherche,

Eric Bonnet & François Soulages

Ont écrit dans ce livre

-------------------------------------------------------------------------------------------- BON DE COMMANDE À retourner à L’HARMATTAN, 7 rue de l’École Polytechnique 75005 Paris Veuillez me faire parvenir ....... exemplaire(s) du livre

FRONTIÈRES & ARTISTES Espace public, mobilité & (post)colonialisme en Méditerranée

Sous la direction d’Éric Bonnet & François Soulages

Au prix unitaire de 18 € + 3.50 € de frais de port, + 1 € de frais de port par ouvrage supplémentaire, soit un total de ........ €. NOM : ADRESSE : Ci-joint un chèque de ............ €. - en euros sur chèques domiciliés sur banque française. - par virement en euros sur notre CCP 20041 00001 2362544 N 020 11 Paris

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Afin de mieux vous orienter, nous vous invitons à consulter notre site Internet www.harmattan.fr rubrique : Les Librairies

Vous y trouverez nos coordonnées, horaires d’ouverture et les thématiques de chaque librairie

Voyages du corps, instants mobiles entre dedans & dehors :

Journal parisien.

La tâche de la philosophie de la photographie est

d’interroger les photographes sur la liberté, d’examiner

au plus près leur pratique en quête de liberté.

Vilém Flusser1

Journal parisien est un projet de livre qui a pu être réalisé grâce à

mes nombreux déplacements entre Paris et la Grèce. En effet je me suis

trouvé pour la première fois à Paris en 1982 après avoir terminé mes

études d’ingénieur à la prestigieuse école Polytechnique de

Thessalonique, ma ville natale. Durant mes études j’avais compris que je

n’étais pas fait pour le métier d’ingénieur et j’étais en train de chercher

une autre voie. Je voulais faire autre chose sans savoir ce que je voulais

exactement. Quant je suis arrivé a Paris j’étais donc dans une situation

critique : je devrais décider si je voulais faire carrière en tant qu’ingénieur

ou bien si j’allais me consacrer à l’art et plus spécifiquement à la

photographie

Le séjour parisien a été décisif dans la mesure où il m’a permis de

voir plus clair et d’approfondir les questions qui étaient les miennes :

« Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce qu’être artiste ? Pourrais-je être artiste

moi-même ? » Avec le recul et la distance, j’avais compris que ces

questions me fascinaient plus que la construction d’un pont ou d’un

building. Le questionnement artistique m’attirait plus que la carrière

d’ingénieur.

Journal parisien est donc le résultat de ces interrogations et la

confirmation que j’étais en train de changer de vie. Ce projet a été réalisé

en deux temps, la première fois entre 1988 et 1991, puis la deuxième fois

en 2012. Les photos qui composent ce Journal sont des images

polyphoniques générées par la combinaison des plusieurs photos et textes

qui relatent une triple investigation : l’investigation d’un gnôthi seauton

photographique, l’investigation du médium photographique et de ses

frontières et l’investigation de la ville et de ses habitants que je

découvrais par le biais de l’appareil.

Le centre de l’image représente des Parisiens, hommes et femmes,

selon la tradition classique de la photographie de rue en couleurs. Autour

de la photographie centrale, sont collées des images prises à l’intérieur de

mon logement d’étudiant à Paris, avec tout un désordre qui connote les

1 Vilém Flusser, Pour une philosophie de la photographie, éd. Circé, 1996, p. 87.

difficultés financières de cette vie ; ces images fonctionnent comme un

miroir de ce que j’étais à l’époque, miroir de ma propre vérité d’homme.

Avec ce dispositif formel je voulais représenter, à même l’image, la

tension entre un dedans et un dehors, interroger les frontières qui séparent

ces deux entités, afin d’ouvrir un dialogue entre eux. Le dedans est

délimité par ce qui se trouve dans le cadre, le dehors par ce qui se trouve

dans le hors-champ. Le dedans représente ce qui est réellement mis en

image dans un espace bidimensionnel, mais il peut aussi être ce qui est

contenu dans une boîte, dans une maison, dans un livre ; il participe aussi

de la vision intérieure. Le dedans relève d’une vision intellectuelle et

spirituelle alors que le dehors relève plutôt d’une vision que l’on pourrait

qualifier de corporelle.

Bien qu’au premier abord quelqu’un pourrait argumenter qu’il n’y a

aucune différence entre dedans et dehors, il y a, en ce qui me concerne,

un véritable schisme entre ces deux hypostases, radicalement différentes.

Journal parisien illustre ce grand fossé : entre ce que je ressentais et ce

que je voyais il y avait un décalage qui me suit jusqu’ à ce jour. La

grande différence entre dedans et dehors consiste en ce que le premier est

immatériel, tandis que le second est déterminé par la matérialité du

monde phénoménal. Le dedans est fragile et inquiétant avec un tas de

questions concernant le connais-toi toi-même, le dehors, du point de vue

du photographe, est rassurant. Il permet le dessaisissement de soi et sa

concrétisation dans les limites précises de l’objet extérieur photographié

par l’appareil.

Un troisième élément, qui fonctionne comme un lien entre le dedans

et le dehors, est le texte manuscrit, décrivant les activités et les pensées

du photographe, écrit sur le tirage photo, geste signifiant une humeur fort

iconoclaste. Ici le texte ne reflète pas simplement mes pensées, mais il est

un outil plastique parce que, comme il est écrit à la main, à même la

surface du papier photographique, il modifie à la fois la forme de l’image

et son contenu, la dotant de sens complémentaires.

Dans Journal parisien il y a un désir d’échapper à l’effet de localité

imposé par le cadre photographique, afin de représenter dans une image

complexe, plus de choses de ce qu’elle peut dire. Il s’agit de figurer un

désir de totalité, celui de capturer plus de vérité de ce qui est possible

habituellement par une photographie unique. Ce désir de totalité pousse

plus loin les frontières posées par les bords du fenêtre-cadre afin de créer

des images plus ouvertes, porteuses d’un maximum de sens.

Il embrasse non seulement ce qui se trouve devant l’objectif, le

dehors, mais aussi ce qu’il y a derrière l’appareil, et aussi ce qui se passe

derrière l’œil du photographe, dans un effort de figurer la totalité du

présent, tel qu’il est vécu par le sujet photographe. Mais qu’est-ce que le

présent du photographe, en effet ? C’est, tout d’abord, une date et une

heure qui englobent sujet et objet, le sujet photographe et l’objet

photographié. Le présent est un rapport réciproque entre un dedans et un

dehors. Il n’est pas une expérience à sens unique, un moment qui

appartient exclusivement au sujet ; il est en même temps un moment de la

ville. En d’autres termes, le présent vécu et subjectifié ouvre à l’essence

profonde de la vue, à un visible en rapport étroit avec la vie vécue dans

l’immédiateté du présent que l’on pourrait qualifier de «vie-sible »

photographique. Ce «vie-sible» met en corrélation le dedans et le dehors,

la vue, la vie, la pensée, l’existence.

La première image du Journal parisien a été réalisée le jeudi 14

janvier 1988, rue Caumartin, en face du magasin du Printemps. La

photographie centrale représente un ouvrier dans sa tenue de travail, qui

marche sur le trottoir. Les photos qui l’entourent ont été prises à

l’intérieur de l’appartement parisien que j’occupais à l’époque et on peut

lire le mot d’ordre qui traverse tout le projet : « J’ai envie de

photographier la vie ». L’intention artistique était donc très ambitieuse,

quasi utopique, parce que la vie en soi est a priori infigurable. « La vie »

signifiait, en ce qui me concerne, « ma vie » dans son rapport avec la ville

et ses habitants, leur rythme. Il s’est avéré, avec le temps, que Paris a été

le catalyseur qui m’a permis de mieux comprendre qui j’étais, quels

étaient mes pensées et mes désirs, bref ce que j’étais et ce dont j’étais

capable.

Dans cette image, on peut lire aussi, en haut à droite, une annotation

d’un livre de Kazantzakis, que je lisais à l’époque (« mon âme toute

entière est un cri et mon œuvre toute entière est l’interprétation de ce

cri »), tandis que dans la partie inférieure droite on perçoit la couverture

du Cinématisme d’Eisenstein, un grand théoricien et praticien du cinéma

auquel je m’identifiais à l’époque. Aussi, constatons-nous que ce journal

fonctionne un peu comme le sauveur de la mémoire. S’ils n’y avaient pas

les images, ces détails seraient sans doute oubliés, jetés aux poubelles de

la mémoire.

La deuxième image choisie pour illustrer cette communication a été

prise le 7 mai 1988 dans le quartier Barbès du 18e arrondissement et porte

une réflexion de Duane Michals qui a joué un rôle capital pour

l’élaboration du Journal parisien. Faisant mon apprentissage de la

photographie, j’ai découvert dans un livre des explications concernant sa

démarche photographique : « Mes désirs sont ma vraie vérité, écrivait

Michals. C’est pourquoi je ne puis me mettre dans la peau d’un autre et

traiter des fantasmes qui ne sont pas les miens. Les photographes

montrent habituellement la vie des autres, ils regardent des choses qu’ils

ne connaissent pas et qu’ils prétendent révéler. C’est très présomptueux.

Moi je ne parle que de moi, mon regard est purement introspectif…. »

Ce texte fut décisif pour le projet du Journal parisien. Sa remarque, étant

juste, ouvrait de nouvelles perspectives pour le jeune photographe qui

cherchait un terrain vierge à investir. Je me suis mis à travailler pour faire

une série d’images qui pourrait contredire l’assertion de Michals. Son

texte figure dans la partie supérieure de l’image.

Il est clair que ce projet n’aurait pas pu se faire en Grèce, dans ma

ville natale. A Paris, je découvrais un nouveau monde, une autre

civilisation ; je voyais des expositions et des concerts, je découvrais une

autre culture, que j’appellerais volontiers « culture de brouillard »,

différente de la culture du soleil, à laquelle j’étais habitué et dans laquelle

j’avais grandi, où tout était clair, de cette clarté aveuglante qui empêche

de voir et d’imaginer qu’il puisse avoir un autre monde derrière, une autre

issue. Cette culture du brouillard où les contours des objets étaient plus

ou moins flous et imprécis, était, en fin de compte, une culture de doute.

Elle m’a appris à ne pas me fier aux apparences et à me mettre en tête que

ce que je voyais pourrait être autre chose que ce que j’avais cru au

premier abord.

A Paris, tout était nouveau, moi aussi je devenais un homme

nouveau, j’avais mes acquis, mais je pouvais mettre le compteur à zéro et

commencer ce dont j’avais vraiment envie ; je pouvais me mettre à

travailler mes questions, j’avais découvert ma liberté. Ce journal est le

produit de cette liberté, la liberté du photographe, telle qu’elle est

évoquée par Flusser dans la citation en exergue au début de ce texte.

La troisième photo que je présente ici a été prise en face des

magasins du Printemps, en 1991. On peut lire le texte suivant, écrit à la

main, sur le tirage photographique: « Vendredi, 22 novembre 1991. Je

viens de terminer le livre de Dan Frank La Séparation, Prix Giraudot

1991 et je suis en train de lire Le Colosse de Maroussi d’Henry Miller,

Une femme dans la guerre de Christine Spengler, L’immortalité de

Kundera et L’Eté grec de Jacques Lacarrière. Je dois ensuite montrer mes

textes à Maria pour les corrections nécessaires, faire des reproductions de

ces textes, amener les films au labo pour les développer, prendre rendez-

vous aux Arts Décoratifs pour faire des tirages et des planches contacts,

faire photocopier ma maîtrise en 7 exemplaires, donner ma chaussure au

cordonnier, réparer la fuite d’eau, acheter un nouveau peigne, aller

chercher mon pantalon au pressing, photocopier la page 112-113 du

Tropic of Capricorn d’Henry Miller, commander chez Kodak 7 boîtes

15m TRI-X, 1 boîte 30m TMAX et 20 films EKTA 100PLUS. Enfin, il

faut que je trouve mon passeport parce que ce soir je pars pour

l’Allemagne pour le 60e anniversaire de la mère de G. »

Dans cette image une corrélation singulière s’établit entre les mots et

les images périphériques, entre ce qui est lisible et ce qui est visible. Tout

ce qui est raconté dans le texte est montré en image, jouant sur un effet

de tautologie, sur le plaisir de montrer et de nommer simultanément,

plaisir que j’ai découvert en produisant cette image. L’effet de tautologie

fonctionne comme un certificat d’authenticité. La coprésence du texte et

de l’image garantit la vérité absolue du récit.

Ce projet a été fini en 1991. Je l’ai présenté dans quelques galeries

de photographie et il avait un succès mitigé. Je l’ai mis donc de côté. Par

la suite, j’ai terminé mes études, j’ai travaillé comme photographe, j’ai

fait une thèse sur la photographie et j’ai publié un livre, Le sujet

photographique 2, dont je suis fier, puisque j’y ai mis tout ce que

m’avaient appris mes lectures et mes expériences photographiques

pendant des années. Entre-temps, j’avais obtenu un poste de maître de

conférences en photographie en Grèce et ainsi un nouveau chapitre a

commencé dans ma vie, ou plutôt une tout autre vie.

Avril 2012: Vingt ans après.

En tant qu’enseignant, en montrant la première partie (1988-1991)

du Journal parisien à mes étudiants, j’ai pu me rendre compte qu’il avait

un certain impact sur eux, ils m’en parlaient, ils se reconnaissaient dans

ce journal. Ainsi j’ai décidé d’en faire un petit livre et j’ai commencé à

travailler là-dessus. En 2012, alors que je me trouvais une nouvelle fois à

Paris, pour la semaine de Pâques, l’idée m’est venue de continuer ce

journal pendant la Semaine sainte, avant de clore définitivement ce projet.

Ce serait comme une sorte de bilan. Il était temps de voir ce qui s’était

passé pendant les années et en quoi j’avais progressé.

Cette idée de continuer mon journal, vingt ans après, m’est venue

quand je suis allé à la bibliothèque du 18e arrondissement à Paris pour

emprunter le Journal 3 de Delacroix afin d’en vérifier quelques passages.

J’ai commencé à lire le livre chez moi et c’est ainsi que le projet a été

actualisé. L’image suivante illustre ce moment. On peut y lire :

« Mercredi, 11 avril 2012. A la bibliothèque du 18e je retrouve le Journal

de Delacroix. Je l’emprunte une nouvelle fois pour lire certains passages

et je fais quelques photos avec les livres qui sont sur ma table de travail.

Ainsi je continue mon Journal Parisien vingt et un ans après. Je le

continue avant de clore définitivement ce chapitre. »

C’est étonnant que Delacroix ait tenu ce journal pendant vingt ans ou

plus. Delacroix n’était pas seulement un grand peintre ; il était aussi un

grand penseur, un artiste complet, comme il n’y en a pas aujourd’hui. Par

ailleurs, rappelons-nous combien il a été frappé par son voyage en Orient.

Il lui avait permis d’enrichir considérablement son répertoire de formes et

2 Panayotis Papadimitropoulos, Le sujet photographique, Paris, L’Harmattan, 2010.

3 Eugène Delacroix, Journal (1822-1863), Paris, Plon, 1966.

de couleurs. Ses « Femmes d’Alger dans leurs appartements» et ses

odalisques sont quelques tableaux que j’ai toujours en mémoire. Ce

voyage lui a permis aussi de se livrer à une comparaison entre l’Orient et

l’Occident. Confronté au rythme paisible de la vie africaine le peintre va

jusqu’ à réfuter les valeurs occidentales. Il notait, dans ses carnets, le 28

avril 1832: « Leur ignorance fait leur calme et leurs bonheur. Nous-

mêmes sommes-nous au bout de ce qu’une civilisation plus avancée peut

produire ? Ils sont plus près de la nature de mille manières […]. Nous

autres dans nos corsets, nos souliers étroits, nos gaines ridicules, nous

faisons pitié. La grâce se venge de notre science. »

L’étonnement de Delacroix, en arrivant au Maroc, est noté dans ce

qu’il écrivait en janvier 1832 : « Il faudrait avoir 20 bras et 48 heures par

journée pour faire passablement et donner une idée de tout cela. […] Je

suis comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu’il craint de voir

lui échapper ».

Cela m’a rappelé mon propre étonnement quand je me suis trouvé

pour la première fois à Paris. Et il est essentiel de noter l’importance de

ce regard frais qui s’instaure lorsqu’on découvre un pays ou une ville

pour la première fois. Ce « regard de la première fois » est ainsi décrite

par Anton Ehrenzweig : « La puissance des choses peintes, sonores,

écrites est à la proportion de leur fraîcheur. Il y a une force inestimable,

incomparable, des “premières impressions”; après elles, on tombe dans le

maniérisme, dans le procédé4.» Le regard frais, regard de la première fois,

constitue une libération pour le regard même, il est une solution aux

milles problèmes posés par les limites topographiques et culturelles d’un

« ici-et-maintenant » qui finit par réduire la « vie-sibilité » et

l’imagination du sujet-photographe. Cet « ici-et-maintenant », quand il

n’est pas accompagné d’un regard qui vise un horizon lointain, peut

devenir aveuglant. Certes, la fixation sur un point fixe est rassurante. Par

ailleurs, le sujet faisant abstraction du reste, de la vastitude infinie et

inquiétante du monde extérieur, peut, dans cette posture, réaliser de petits

miracles : je citerai l’exemple du miroir convergent, lequel peut mettre le

feu, lorsqu’on concentre les rayons du soleil sur le point fixe d’une

surface en papier.

En ce qui me concerne, le fait d’être concentré toujours sur la même

idée, sur le même projet, le fait de demeurer sur le même lieu finit par

étouffer le désir et le vouloir de l’art. L’ailleurs, bien que déstabilisant

dans un premier temps, impose, par la suite, un nouveau regard, ouvre de

nouvelles perspectives. Il est libérateur et propose des solutions aux

problèmes que pose le fait de demeurer dans le même lieu.

Le besoin de l’éloignement et de la distanciation me rappelle ce qui

se passe en mathématiques lorsqu’ on cherche à déterminer la position

d’un point dans l’espace. Selon le « paradoxe mathématicien », il faut

commencer à « penser autrement », il faut s’en éloigner pour parvenir à le

situer dans l’espace. Il faut créer un dispositif tri axial, tel qu’on le

perçoit dans l’espace à trois dimensions de la géométrie cartésienne qui

permette de déterminer sa position en mesurant ses projections dans les

axes y, x, z. La mobilité du corps de l’artiste crée des effets analogues.

Elle permet de penser autrement la vie, ses valeurs, les finalités. Elle

permet de renouveler le regard, la racine du Moi, l’identité, laquelle n’est

pas, comme on le croit, ce qui ne change jamais, mais ce qui permet de

rester soi-même tout en changeant régulièrement.

La dernière image est aussi la dernière de mon Journal parisien. Elle

évoque la disparition de mes parents en 2012. On y lit le commentaire

suivant : « Mercredi, 11 avril 2012. Au coin de la rue du Poteau et de la

rue Ordener, je croise cette femme qui me fait penser à ma mère. Si elle

n’avait pas fait cette opération du dos, elle marcherait encore comme

cette femme, elle sortirait dehors, elle prendrait plaisir à la vie. Cette

opération a été une erreur fatidique : elle l’a clouée au lit. Ma mère sera

décédée le 8 mai 2012 à 14 heures, trois mois après la mort de mon

père. »

4 Anton Ehrenzweig, L’Ordre caché de l’art, Paris, Gallimard, 1974, p. 21.

Cette image représente des instantanés pris, aussi bien à Paris qu’en

Grèce, à l’intérieur de la maison familiale où l’on perçoit la photographie

de mon père mort peu de temps auparavant, celle de ma mère jeune, ainsi

que des photos d’elle marchant dans l’appartement. Elle m’a rappelé un

« grand récit », le récit du « Jardin d’Hiver » de Rolland Barthes

évoquant la mémoire de sa mère. « J’ai perdu non pas l’indispensable,

mais l’irremplaçable », écrit Barthes dans ce fameux texte, fragment qui

figure dans la partie droite de mon image.

Journal parisien est dédié à la mémoire de mes parents. Ils étaient

tous les deux originaires du même village crétois et ils sont partis comme

ils avaient vécu, ensemble, toute leur vie.

Panayotis Papadimitropoulos