'UMAR b al Khattab: l'autorite religieuse et morale.

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1 Cet article constitue la version nale des deux dernières conférences sur les quatre qui ont été données à l’École Pratique des Hautes Études de Paris, en janvier 2005. Les deux premières ont été publiées dans Arabica, ...... Je voudrais exprimer mes remerciements à Mohammad Ali Amir-Moezzi qui m’a invité et encouragé à les publier. Ces conférences sont basées sur ma thèse de doctorat 'Umar b. al-Kha††àb : Some aspects of his image as an ideal leader in the early Islamic traditions que j’ai préparée sous la direc- tion de U. Rubin, Tel-Aviv, 2002. L’article mentionné plus haut expose la méthodolo- gie selon laquelle les traditions ont été analysées. Les versets du Coran cités sont donnés dans la traduction française de M. Hamidullah. 2 Ibn Abì”ayba, Mußannaf, VI, 189 (30559). 3 ˇabarì, Ta"rì¢, VI, 587. 4 Ibn uzayma, a˙ì˙, II, 359 (1465). 'UMAR B. AL-AˇˇÀB: L’AUTORITÉ RELIGIEUSE ET MORALE 1 par AVRAHAM HAKIM Université de Tel-Aviv I. Un conit d’autorité : 'Umar et Mu˙ammad, fondateurs de la Sunna L’autorité spirituelle, religieuse et morale suprême en islam est le Prophète Mu˙ammad qui est identié et reconnu par la communauté comme étant son fondateur et son législateur ultime. Entre autres, il est considéré comme étant le fondateur de la loi orale, la Sunna, qui règle la vie quotidienne du croyant musulman. Cette loi est dénommée Sunnat Rasùl Allàh ou simplement al-Sunna. Toutefois, d’autres personnes, les compagnons du Prophète, les Ía˙àba, furent aussi reconnus par la tradition musulmane comme étant des législateurs légitimes qui ont formulé leurs propre lois. Ainsi nous trou- vons dans nos sources des expressions telles sunnat Abì Bakr al-rà“ida l-mahdiyya 2 , la Sunna bien guidée et bien dirigée de Abù Bakr, ou bien sunnat al-'Umarayn, la Sunna de Abù Bakr et de 'Umar 3 , ou même sun- nat Abì Bakr aw 'Umar aw 'Umàn aw 'Alì, c’est-à-dire celle des quatre premiers califes, les « biens guidés (vers le droit chemin) » (al-Rà“idùn) 4 . © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2006 Arabica, tome LIII,0 Also available online – www.brill.nl ARA_DS_738_1-37 8/18/06 7:46 PM Page 1

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1 Cet article constitue la version finale des deux dernières conférences sur les quatrequi ont été données à l’École Pratique des Hautes Études de Paris, en janvier 2005.Les deux premières ont été publiées dans Arabica, . . . . . . Je voudrais exprimer mesremerciements à Mohammad Ali Amir-Moezzi qui m’a invité et encouragé à les publier.Ces conférences sont basées sur ma thèse de doctorat 'Umar b. al-Kha††àb : Some aspectsof his image as an ideal leader in the early Islamic traditions que j’ai préparée sous la direc-tion de U. Rubin, Tel-Aviv, 2002. L’article mentionné plus haut expose la méthodolo-gie selon laquelle les traditions ont été analysées.

Les versets du Coran cités sont donnés dans la traduction française de M. Hamidullah.2 Ibn Abì ”ayba, Mußannaf, VI, 189 (30559).3 ˇabarì, Ta"rì¢, VI, 587.4 Ibn ›uzayma, ”a˙ì˙, II, 359 (1465).

'UMAR B. AL-›AˇˇÀB : L’AUTORITÉ RELIGIEUSE ET MORALE1

par

AVRAHAM HAKIM

Université de Tel-Aviv

I. Un conflit d’autorité : 'Umar et Mu˙ammad, fondateurs de la Sunna

L’autorité spirituelle, religieuse et morale suprême en islam est leProphète Mu˙ammad qui est identifié et reconnu par la communautécomme étant son fondateur et son législateur ultime. Entre autres, ilest considéré comme étant le fondateur de la loi orale, la Sunna, quirègle la vie quotidienne du croyant musulman. Cette loi est dénomméeSunnat Rasùl Allàh ou simplement al-Sunna.

Toutefois, d’autres personnes, les compagnons du Prophète, les Ía˙àba,furent aussi reconnus par la tradition musulmane comme étant deslégislateurs légitimes qui ont formulé leurs propre lois. Ainsi nous trou-vons dans nos sources des expressions telles sunnat Abì Bakr al-rà“ida

l-mahdiyya2, la Sunna bien guidée et bien dirigée de Abù Bakr, ou biensunnat al-'Umarayn, la Sunna de Abù Bakr et de 'Umar3, ou même sun-nat Abì Bakr aw 'Umar aw 'U∆màn aw 'Alì, c’est-à-dire celle des quatrepremiers califes, les « biens guidés (vers le droit chemin) » (al-Rà“idùn)4.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2006 Arabica, tome LIII,0Also available online – www.brill.nl

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5 Crone et Hinds, God’s Caliph, p. 43-57. Voir aussi Hakim : « Khalìfat Allàh ».6 Crone et Hinds, God’s Caliph, p. 22.7 Hakim, « Calife par la grâce de Dieu », p. 22-40.

Mais l’expression la plus commune dans ce contexte est Sunnat 'Umar

à laquelle cette partie de notre article est consacrée.Etant donné qu’il pouvait y avoir plus d’une autorité compétente, la

question qui se pose est de savoir si un conflit a pu se produire audébut de l’islam entre l’autorité du Prophète et celle de ses compa-gnons. Cette question a été posée par Crone et Hinds dans leur ouvrage,God’s Caliph, où la loi du calife s’oppose à la loi du Prophète. La thèseprincipale des auteurs et que à partir de l’époque des Umayyade, lescalifes se considéraient comme les seuls législateurs de la communautéet se donnaient le titre de « Califes de Dieu » (¢ulafà" Allàh), tandis queles savants et les docteurs de la loi affirmaient que le seul législateurde la communauté est le Prophète Mu˙ammad. Crone et Hinds ontfait une liste de tous les califes appelés « calife de Dieu », surtout dansla poésie, à partir de 'U∆màn b. 'Affàn, le troisième successeur deMu˙ammad5. Quant à 'Umar b. al-›a††àb, le second successeur deMuhammad, il fut considéré par les auteurs, comme le porte-paroledes savants musulmans, tout comme Abù Bakr. En conséquence, il nepouvait pas être représenté dans la tradition comme étant engagé dansun conflit d’autorité avec le Prophète6.

Notre but consiste ici à identifier et à décrire quelques traditions quirévèlent et exposent un conflit d’autorité au début de l’islam entre leProphète et son successeur le plus charismatique et le plus autoritaire,'Umar b. al-›a††àb, particulièrement en ce qui concerne leurs imagesde fondateurs de la Sunna.

Dans un article précédent, nous avons vu nous avons vu que 'Umarfut l’initiateur de la révélation de plusieurs versets coraniques, les muwà-faqàt.7 Toutefois, l’autorité religieuse et morale de 'Umar ne se limitepas seulement à son rôle dans l’élaboration du Livre Saint, la loi écrite ;les traditions citées dans cet article le décrivent comme ayant participéégalement à la fondation de la loi orale, la Sunna.

Plus que tous les autres compagnons de Mu˙ammad, 'Umar est pri-vilégié par des traditions le décrivant comme le seul modèle à respec-ter. Ce concept est évident dans l’expression attribuée au fameux exégèteMu[àhid b. ]abr (d. 102/720) selon laquelle : « Si les gens s’opposentles uns aux autres concernant un sujet quelconque, regardez regardez

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8 A˙mad, Fa∂à’il, I, 266 (349).9 Ibid., I, 264 (342).

10 Le Prophète est supposé avoir dit, entre autre, à cette occasion : « Apprenez demoi les rites de votre pèlerinage », Bayhaqì, Sunan, V, 125 (9307).

11 Goldziher, MS 1, p. 71-72.

ce que 'Umar avait fait et qu’il vous serve de modèle ( fa-nΩurù mà

ßana'a 'Umar fa-¢u≈ù bihi).8 ». Une expression semblable est attribuée à'Àmir al-”a'bì (m. 103-110/721-728)9.

La question qui se pose d’elle-même est pourquoi ces deux grandssavants du premier siècle de l’Hégire ne se sont pas conformés aumodèle supérieur du Prophète et ont choisi celui de 'Umar à sa place.Une réponse plausible peut être trouvée dans les traditions qui décri-vent 'Umar comme étant le seul compagnon dont le statut de fonda-teur de la Sunna est en concurrence avec celui du Prophète, l’autoritépar excellence de la loi musulmane.

Ainsi, une analyse des matériaux relatifs à 'Umar comme fondateurde la Sunna peut ajouter une nouvelle dimension à l’image élaborée parla tradition musulmane pour servir d’autorité religieuse et morale ultimedans l’islam en voie de constitution.

Une vue d’ensemble des traditions musulmanes à ce sujet représentela Sunna de 'Umar comme l’émule de la Sunna du Prophète, son com-plément, ou tout au moins son équivalent.

1. Deux Sunna-s qui s’opposent : Les sermons d’adieu

Le Prophète et 'Umar sont représentés lors du sermon d’adieu attri-bué à chacun d’eux comme ayant fondé deux Sunna, indépendammentl’une de l’autre. Approchant de leur fin et après avoir fait un dernierpèlerinage à la Mecque, tous les deux sont supposés, chacun en sontemps, avoir prononcé un dernier sermon. Dans ce sermon, toux deuxont légué leur testament moral et religieux à la communauté des croyants.

Mu˙ammad prononça son sermon pendant son dernier ˙a[[, au coursduquel il établit les cérémonies rituelles du pèlerinage10 et fit ses adieuxaux musulmans. Ce pèlerinage fut nommé ˙a[[at al-wadà', le Pèlerinagedes adieux. Les sources citent plusieurs versions de ce sermon. Ladiffusion de ces versions pourrait indiquer, comme l’a déjà remarquéGoldziher, que les différents textes du sermon ont été élaborés en fonc-tion d’intérêts divers, bien après le décès du Prophète11. Quoiqu’il ensoit, la tradition musulmane considère ce sermon comme le dernier

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12 Mu˙ibb al-Dìn al-ˇabarì, Óa[[at al-Mu߆afà, p. 91.13 Ibn Hi“àm, Sìra, IV, 191.14 Zubayrì, Óadì∆, fol. 54a ; Ibn ”abba, Ta"rì¢, III, 872. Voir aussi Ibn Sa'd, ˇaba-

qàt, III, 334 ; Óàkim, Mustadrak, III, 98 (4315).

testament de Mu˙ammad et en effet Ibn 'Abbàs est supposé avoir diten l’entendant : « Par Dieu, c’est pour sûr un testament à sa commu-nauté » (innahà la-waßiyya ilà ummatihi)12.

Dans la section concernant la Sunna et citée dans l’une des versionsdu sermon, le Prophète aurait dit : « Je vous ai laissé quelque chose detrès clair, le Livre de Dieu et la Sunna de Son Prophète. Si vous leursrestez fidèles vous ne vous égarerez jamais »13.

Quant au sermon de 'Umar, la Sunna est mentionnée dans la sec-tion où il dit : « En vérité, j’ai établi des lois et institué des ordonnan-ces pour vous et je vous ai menés en un chemin clair . . . à moins quevous ne déviez avec le peuple à droite ou à gauche » (Qad sanantu lakum

al-sunan wa fara∂tu lakum al-farà"i∂ wa taraktukum 'alà l-wàdi˙a . . . illà an

tamìlù bi-l-nàs yamìnan wa “amàlan). À la fin de ce mois, 'Umar fut assassiné14.

Dans le sermon de Mu˙ammad, le Livre de Dieu et la loi du Prophètesont mentionnés comme étant les deux guides exemplaires des croyantsvers le droit chemin. Mais comme on le remarque, dans le sermon de'Umar pas un mot n’est dit, ni à propos du Coran, ni à propos de laSunna du Prophète. En fait, 'Umar ne mentionna que les lois et lesordonnances qu’il avait formulées lui-même. Il se fait fort de préciseraussi qu’après sa mort les croyants resteront dans le droit chemin qu’illeur a frayé tant qu’ils demeureront fidèles à ses lois et à ses ordon-nances. Puis il ajoute un avertissement : s’ils s’en écartent et les aban-donnent ils sombreront dans l’erreur.

Ainsi nous avons deux images concernant deux législateurs : d’unepart, le Prophète qui est supposé être, avec le Coran, l’autorité suprêmepour les musulmans et le modèle idéal en ce qui concerne leur viequotidienne. Les savants qui ont diffusé cette tradition se réfèrent auxdeux piliers fondamentaux de l’islam : Le Coran et la Sunna deMu˙ammad. De l’autre, 'Umar est représenté par les savants qui ontédifié son image dans cette tradition comme étant la seule source d’auto-rité morale et religieuse. Il est probable que les traditions concernantla Sunna de 'Umar ont été diffusées à une époque antérieure aux tra-ditions qui se réfèrent à la tradition du Prophète. Le contraire serait

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15 Plusieurs traditions citées dans notre article on été mentionnées dans des contex-tes différents dans une recherche détaillée sur le problème de la mut'a. Voir : Gribetz,Strange Bedfellows. Je tiens à remercier M. Gribetz de m’avoir offert une copie de sontravail. Voir aussi « Mut'a », EI2 (Heffening).

16 Voir : Kazimirski, s.v. « m.t.' ».

bien difficile à expliquer : aucun savant musulman ne diffusera une tra-dition d’après laquelle seule la Sunna de 'Umar est valable tout en omet-tant de mentionner le Coran et la Sunna de Mu˙ammad comme guidesde la communauté. Mais en fin de compte, et on l’a déjà dit, l’imagede 'Umar telle qu’elle est présentée ici fut rejetée par la communautémusulmane. En diffusant des traditions comme celle du sermon d’adieu,la communauté musulmane préféra restituer une image du Prophètequi en fait la source principale de la loi de l’islam.

2. Une Sunna remplace l’autre : le problème de la mut'a

Une confrontation apparaît entre l’image du Prophète et celle de'Umar, tous deux fondateurs d’une Sunna, du fait que la Sunna de 'Umarcontredit en certains cas celle de Mu˙ammad et en fin de compte l’abo-lit. L’exemple le plus frappant de ce phénomène peut être trouvé dansla multitude de traditions qui traitent de la question de la mut'a.

2.1 Définition de la mut'a15

La mut'a est un « plaisir, une jouissance ou un cadeau ». Dans notrecas, c’est une concession légale relative à une pratique religieuse. Latradition en mentionne deux : celle du pèlerinage (mut'at al-˙a[[) et celledu mariage (mut'at al-nikà˙ ou mut'at al-nisà")16.

La mut'a du pèlerinage permet au croyant musulman d’accomplir unpèlerinage de brève durée, la 'umra, et le ˙a[[ complet. En pratiquantcette mut'a, le croyant s’acquitte des rites des deux pèlerinages en mêmetemps au lieu de faire deux fois le voyage à la Mecque pour effectuerles deux pèlerinages séparément. La mut'a est accomplie par le croyantde la façon suivante : d’abord il entre dans la ville sainte en état desacralisation (i˙ràm) et s’acquitte de la 'umra en accomplissant tous lesrites, puis il retourne à l’état de ˙ill, c’est-à-dire l’état habituel de lavie. Immédiatement après, il renouvelle l’état de sacralisation et s’acquittedes rites du ˙a[[ proprement dit.

L’autorisation d’accomplir en même temps la 'umra et le ˙a[[ est sup-posée être validée par le verset 196 de la sourate 2 qui stipule : « Quand

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17 ˇa˙àwì, ”ar˙, II, 146 (3686) : isnàd médinois : Màlik b. Anas (m. 179/796) ← Nàfi'(m. 117-119/736-738) ← Ibn 'Umar ; Sa'ìd b. Manßùr, Sunan, I, 218-219 (852-853) :isnàd basrien : Óammàd b. Zayd (m. 179/796) ← Ayyùb al-Sa¢tiyànì (m. 131/749) ←Abù Qulàba (m. 104-107/723-726) ; et aussi Hu“aym (m. 183/800) ← ›àlid al-Óa≈≈à"(d. 141-142/759-760) ← Abù Qulàba.

18 A˙mad, Musnad, III, 356, 363 ; Abù 'Uwwàna, Musnad, II, 345 (3376). Voir aussiˇa˙àwì, Shar˙, II, 144 (3672). Isnàd basrien : Abù Na∂ra, Màlik b. al-Mun≈ir (m. 108-109/727-728) ← ]àbir b. 'Abd Allàh.

vous retrouverez ensuite la paix, quiconque a joui d’une vie normaleaprès avoir fait la 'umra en attendant le pèlerinage, doit faire un sacrificequi lui soit facile ». Toutefois, les docteurs de la loi musulmans ne sontpas d’accord entre eux en ce qui concerne la meilleure façon d’accom-plir les deux (sortes de) pèlerinages ou s’il est licite de le faire.

Quant à la mut'a du mariage, elle permet au croyant de se marierlégalement avec une femme et de mener une vie conjugale avec ellependant une période convenue d’avance par les partenaires, après quoil’homme paie à la femme une somme d’argent, elle aussi convenued’avance. Cette concession est supposée être validée par le verset 24de la sourate 4 : « Puis, de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur dot, comme une chose due. Il n’y a aucun péché contre vousà ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après lafixation de la dot ». Toutefois, ce verset est supposé avoir été abrogé(mansù¢) parce que la concession avait été accordée aux musulmansdans une période de tension, alors que le Prophète était encore en vie.

2.2 L’abolition de la mut'aL’inflexibilité de 'Umar concernant plusieurs questions légales se

manifeste également dans des traditions qui le représentent comme étanttotalement opposé à la pratique de la mut'a et par conséquent, lorsqu’ilaccéda au califat, il abolit ces deux coutumes. Sa décision à ce sujetest relatée dans plusieurs traditions ; dans l’une d’elles, 'Umar s’exprimesuccinctement : « Il y avait deux sortes de mut'a au temps du Prophèteet moi je les interdis et je punirai quiconque les pratiquera, la mut'a dupèlerinage et la mut'a du mariage » (mut'atàn kànatà 'alà 'ahd Rasùl Allàh

wa anà anhà 'anhumà wa u'àqibu 'alayhimà, mut'at al-˙a[[ wa mut'at al-nisà")17.

Dans une autre tradition diffusée par un isnàd basrien, c’est le compa-gnon ]àbir b. 'Abd Allàh qui raconte simplement : « Nous avons jouide deux sortes de mut'a au temps du Prophète, puis 'Umar nous les ainterdites et on a cessé » (tamatta'nà 'alà 'ahd al-Nabì mut'atayn, fa-nahànà

'Umar fa-ntahaynà)18.

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19 ˇa˙àwì, ”ar˙, II, 144 (3671) : isnàd basrien : Qatàda b. Di'àma (m. 117/736) ←Abù Na∂ra, Màlik b. al-Mun≈ir (m. 108-109/727-728) ← ]àbir b. 'Abd Allàh.

Dans ces deux traditions, l’abolition des deux sortes de mut'a qui estimposée par 'Umar est acceptée sans aucune objection, ce qui démon-tre son autorité absolue comme fondateur d’une Sunna personnelle. Ilest représenté comme s’autorisant à imposer une loi nouvelle, qui abo-lit une loi en vigueur à l’époque du Prophète, ni plus ni moins.

2.3 L’abolition d’une loi coranique

Dans une autre version de cette tradition, diffusée elle aussi par unisnàd basrien, ]àbir b. 'Abd Allàh raconte que les compagnons deMu˙ammad pratiquaient la mut'a avec le Prophète. Mais quand 'Umardevint calife, il prononça un sermon dans lequel il dit déclara : « LeCoran est le Coran et le Prophète est le Prophète. Deux sortes demut'a étaient pratiquées du vivant du Prophète, la mut'a du pèlerinageet la mut'a du mariage. Quant à la première vous devez séparer le˙a[[ de la 'umra et ainsi vous vous acquitterez des rites des deux d’unemanière plus parfaite. Quant à la seconde je l’interdis et je puniraiceux qui la pratiqueront »19.

Comme on le voit, 'Umar donne une explication à son interdictionde la mut'a du pèlerinage mais aucune concernant la mut'a du mariage.Le point essentiel est que le calife souhaite que les pèlerins pratiquentl’intégralité des rites de chacun des deux pèlerinages.

L’on ne peut guère passer sous silence deux expressions attribuées à'Umar dans ce sermon. Que veut-il dire par l’expression « le Coranest le Coran » (inna l-Qur"àn huwa l-Qur"àn) ? L’on pourrait voir ici uneallusion au fait que l’abolition de la mut'a met fin à la validité d’uneconcession accordée par le Coran lui-même. 'Umar est représenté commeayant l’autorité d’imposer une nouvelle loi, une Sunna, qui annule uneloi coranique pratiquée par Mu˙ammad. En fait, 'Umar s’autorise àabolir la validité du Coran.

Quant à l’expression « le Prophète est le Prophète » (inna l-rasùl huwa

l-rasùl), il semble que 'Umar fait allusion au fait que puisque Mu˙ammadn’est plus en vie, il échoit au calife qui lui succède de formuler des loispersonnelles et que ces lois abolissent celles du Prophète.

Apparemment, certains savants ont eu une difficulté extrême à accep-ter l’abolition par 'Umar des deux sortes de mut'a, malgré le Coranet la Sunna du Prophète. C’est peut-être la raison pour laquelle cette

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20 A˙mad, Musnad, I, 52.21 ˇabarànì, ”àmiyyìn, III, 321 (2400) ; Abù Nu'aym, Óilya, V, 205-206.22 Al-Zuhrì (m. 125/743) ← 'A†à" al-›urasànì (m. 135/753) ← Sa'ìd b. al-Musayyab.

tradition fut citée avec le même isnàd en omettant néanmoins l’inter-dit de 'Umar20.

Dans les traditions citées jusque-là, on remarque une prédominancedes isnàds de Bassora. Ceci peut indiquer que les deux sortes de mut'aétaient fréquemment pratiquées dans cette région de l’Iraq où les Chiitesqui pratiquaient la mut'a ont toujours eu une grande influence. Il sem-ble que ces traditions furent diffusées par des savants qui s’opposaientà la pratique de la mut'a dans le but de faire obstacle à l’influencechiite, même par des moyens qui pouvaient sembler abolir le Coranet la Sunna de Mu˙ammad.

2.4 L’obligation de deux visites à la Mecque : la mut'a du pèlerinage

D’autres traditions qui concernent la mut'a du pèlerinage fournissentplus de détails sur le raisonnement de 'Umar. Une tradition diffuséepar un isnàd syrien rapporte que 'Umar prononça un sermon pourinterdire la pratique de la mut'a du pèlerinage ; il fit remarquer qu’ilest préférable que les croyants ne s’acquittent pas des rites de la 'umra

pendant le mois consacré au pèlerinage lui-même ; ainsi les rites desdeux sortes de pèlerinage pourront être accomplis d’une manière pluscomplète. Et 'Umar s’exclama : « Je vous interdis de pratiquer la mut'adu pèlerinage même si le Prophète l’avait pratiquée et moi avec lui »(wa innì anhàkum 'anhà wa qad fa'alahà Rasùl Allàh wa fa'altuhà ma'ahu)21.

L’argument de base de 'Umar pour interdire la mut'a est sa volontéd’imposer aux croyants musulmans au moins deux pèlerinages à laMecque. Il souhaite en effet accroître leur ferveur religieuse et leurattachement à la ville sainte. 'Umar n’est point gêné par le fait que sadécision à ce sujet abolit la mut'a que le Prophète avait pratiquée deson vivant et que lui-même avait pratiquée avec lui.

Il est très possible qu’à la base de cette tradition, il existe un conflitde préséance entre le Ói[àz et la Syrie, et plus précisément entre laMecque et Jérusalem. En effet, cette tradition est diffusée par un isnàdsyrien par l’intermédiaire du fameux savant pro-umayyade al-Zuhrì(m. 125/743)22. Ce fait pourrait suggérer que certains milieux syriensde la fin du premier siècle et du début du second siècle de l’Hégireétaient opposés à la dépréciation de la sainteté de la Mecque par les

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23 Voir Goldziher, MS, II, 44-48.24 Ibid., p. 44-45. Voir aussi Kister, « Three Mosques » ; Duri, « Zuhrì » ; Lecker,

« Zuhrì ».25 Abù 'Uwwàna, Musnad, II, 344-345 (3372).26 A˙mad, Musnad, IV, 429 ; ˇa˙àwì, ”ar˙, II, 143 (3669).27 Ibn Ba“kuwàl, ˝awàmi∂, II, 856 (312).

Umayyades23. La présence d’al-Zuhrì (m. 125/742) dans l’isnàd de cettetradition, qui renforce la sainteté de la Mecque et recommande vive-ment aux croyants de la visiter plus fréquemment, va à l’encontred’autres traditions, transmises elles aussi par al-Zuhrì, selon lesquellesla sainteté de la Mecque est presque égale à celle de Jérusalem24.

2.5 L’opposition à l’interdit de 'UmarEn dépit de l’autorité de 'Umar, considérée comme absolue dans les

traditions citées jusque-là, d’autres traditions s’opposent violemment àl’abolition de la mut 'a. Ces dernières traditions furent probablementdiffusées par des savants qui s’opposaient à l’autorité absolue accordéeà 'Umar. Cette opposition est révélée dans des traditions qui accusent'Umar d’avoir aboli de son propre chef une pratique autorisée littéra-lement par le Coran et par le Prophète. Il faut préciser que nous citonsdes traditions puisées dans les sources sunnites et que nous n’avons pasencore abordé les sources chiites.

Une telle tradition fait dire au compagnon 'Imràn b. Óußayn : « LeProphète s’acquitta de la 'umra avec sa famille le dix du mois de ≈ùl-˙i[[a (c’est-à-dire pendant le mois du ˙a[[ ). Aucun verset ne fut révélépour abolir cette pratique et le Prophète ne l’a pas interdite jusqu’à samort. Et puis vint un homme qui de son propre chef énonça une loiselon ses désirs » ( fa-aftà ra[ul bi-ra"yihi mà “à"a)25.

Dans une version différente, le même 'Imràn b. Óußayn est supposéavoir dit : « Nous avons joui de la mut'a avec le Prophète, et un ver-set a même été révélé à ce sujet. Le Prophète est mort sans l’interdireet aucun verset n’a été révélé pour l’abroger. Et puis vint un homme,ra[ul, et s’exprima de son propre chef comme il voulait »26.

L’homme en question a été identifié par les savants comme étant'Umar b. al-›a††àb27. En conséquence, Imràn b. Óußayn accuse 'Umar,sans pourtant mentionner son nom, d’avoir illégalement aboli une pra-tique validée par le Coran et par la loi de Mu˙ammad. Il ressort quel’interdit de 'Umar est représenté comme une bid'a sayyi"a, une innova-tion arbitraire, inacceptable et interdite.

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28 ˇa˙àwì, ”ar˙, II, 142 (3665) ; Ibn 'Abd al-Barr, Tamhìd, III, 580-581. Isnàd médi-nois : Ibn Is˙àq (m. 151/769) ← al-Zuhrì (m. 125/743) ← Sàlim b. 'Abd Allàh (d.105-108 AH) ← Ibn 'Umar. Voir aussi : Abù Ya'là, Musnad, IX, 341-342 (5451)

Et pourtant l’on se demande pourquoi le nom de 'Umar n’avait pasété mentionné formellement dans ces traditions et pourquoi c’est unterme vague, ra[ul, un homme, qui fut utilisé. Il est peu probable quele nom de 'Umar avait été omis par manque de respect. Il est plusconcevable de penser que lorsque ces traditions furent diffusées, l’im-age de 'Umar, le monarque idéal, était tellement enracinée dans lamémoire collective des musulmans que n’importe quelle objection à sonautorité devait être exprimée avec beaucoup de prudence.

2.6 L’objection de 'Abd Allàh b. 'Umar

D’autres traditions accordent au fils de 'Umar, ni plus ni moins, lerôle consistant à s’opposer à la décision de son père d’abolir la mut'a.L’une d’entre elles est diffusée par un isnàd médinois sous l’autorité deSàlim, fils de 'Abd Allàh et petit-fils de 'Umar. Celui-ci raconte qu’unSyrien dont le nom n’est pas mentionné demanda à 'Abd Allàh quelétait son avis concernant la mut'a du pèlerinage. Ibn 'Umar réponditque c’est une pratique tout à fait légale. Le Syrien ne s’en tint pas làet ajouta que 'Umar, le père de 'Abd Allàh, l’avait abolie. Ibn 'Umarriposta : « Malheur à toi ! Et même si mon père l’a abolie, qui devrais-je suivre ? L’interdit de mon père ou le commandement du Messagerde Dieu » ? Le Syrien répondit qu’il fallait suivre le commandementdu Prophète. Et Ibn 'Umar le laissa partir28.

Dans cette version, l’interdit de 'Umar est confronté au commande-ment de Mu˙ammad. Les savants qui ont diffusé cette tradition décri-vent Ibn 'Umar comme restant fidèle aux lois du Prophète et non pasà celles de son père.

Toutefois, malgré son objection à la décision de son père, Ibn 'Umarest supposé lui avoir trouvé une justification en expliquant que Umarn’avait pas énoncé son interdit arbitrairement. Une tradition à cet effetrapporte que Ibn 'Umar à qui l’on demandait son opinion sur la mut'a,reconnut que c’était un pratique tout à fait légale. Et quand on lui fitla remarque que son père en avait décidé différemment, il expliquaque 'Umar avait voulu séparer 'umra et ˙a[[ pour que les musulmanspuissent visiter la Ka'ba pas uniquement pendant les mois de pèleri-nage, donc plus d’une fois dans leur vie. Ibn 'Umar continua à justifier

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29 Ibn 'Abd al-Barr, Tamhìd, III, 581 ; Bayhaqì, Sunan, V, 21 (8657).30 A˙mad, Musnad, II, 95.31 Voir la biographie détaillée de Ibn 'Umar dans Ibn 'Asàkir, Tàrì¢, XXXI, p. 79-

204.

son père en disant que certaines personnes ont pensé à tort que l’ordon-nance de 'Umar concernant la mut'a était sans appel et ce sont cesmêmes personnes qui ont puni arbitrairement quiconque la pratiquait,alors qu’en vérité Dieu la permettait et le Prophète la pratiquait lui-même. Mais comme les gens n’étaient pas convaincus, Ibn 'Umars’exclama : « Le Livre de Dieu sera notre seul juge, à qui est-il plusdigne de rester fidèle ? Au Livre de Dieu ou à 'Umar29 ? » Nous cons-tatons que sur ce point de rhétorique, l’interdit de 'Umar s’oppose auCoran qui, selon l’interprétation de Ibn 'Umar, permettait la pratiquede la mut'a.

Ainsi, Ibn 'Umar expliqua que l’ordonnance de son père n’avait pasété comprise. A son avis, ce n’était qu’une recommandation qui n’étaitpas destinée à abolir la mut'a, mais qui était conforme au Coran et àla Sunna du Prophète. Il fallait comprendre que la décision de 'Umarexprimait son désir de protéger la Ka'ba et de la préserver commepoint de convergence du pèlerinage où le croyant musulman se ren-dra plus d’une fois pendant sa vie. Il est très probable qu’à la base decette explication de Ibn 'Umar, il existe un conflit de préséance datantdu début de l’islam entre la Mecque et la Ka'ba d’une part, et d’autrescentres religieux situés hors de l’Arabie d’autre part.

Dans une autre version, Ibn 'Umar est supposé avoir demandé : « Àqui est il plus digne pour vous de rester fidèle, la Sunna du Prophèteou la Sunna de 'Umar ? » (a-fa-Rasùl Allàh a˙aqq an tattabi'ù Sunnatahu

am Sunnat 'Umar ?)30. Cette réplique montre l’existence de deux Sunna-squi sont en opposition, celle du Prophète et celle de 'Umar.

Il est à noter qu’en fin de compte, et malgré sa tentative de justifierson père, Ibn 'Umar rejeta la Sunna de 'Umar et resta fidèle à cellede Mu˙ammad. Ibn 'Umar est représenté dans la tradition comme uncompagnon loyal du Prophète et comme un modèle pour les savants31.En tant que tel, on devait le représenter comme se conformant auxlois du Prophète. Sa réplique finale représente l’image la plus presti-gieuse de Mu˙ammad comme fondateur de la Sunna.

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32 Ibn 'Abd al-Barr, Tamhìd, III, 579-580 ; Ibn Óazm, Óa[[at al-Wadà', 353. Pourune version différente, voir A˙mad, Musnad, I, 337.

33 ˇabarànì, Awßa†, I, 42-42 (21).

2.7 La dispute entre Ibn 'Abbàs et Ibn al-Zubayr

Une vive opposition à l’interdit de 'Umar concernant la mut'a appa-raît dans les traditions qui décrivent une dispute véhémente entre 'Urwab. al-Zubayr, qui était favorable à l’abolition de la mut'a, et 'Abd Allàhb. 'Abbàs, qui s’opposait à sa pratique.

'Urwa s’étonnait du fait que Ibn 'Abbàs puisse autoriser la pratiquede la mut'a, alors que Abù Bakr et 'Umar l’interdisaient. Ibn 'Abbàs,irrité, répliqua : « Par Dieu si vous ne cessez pas, Dieu vous punira.Nous vous transmettons des traditions au nom du Messager de Dieuet vous nous transmettez des traditions aux noms de Abù Bakr et'Umar ? » (nu˙addi∆ukum 'an Rasùl Allàh wa tu˙addi∆ùnà 'an Abì Bakr wa

'Umar ?32)Dans ce dialogue, Ibn 'Abbàs est représenté comme restant fidèle à

l’héritage du Prophète et rejetant totalement l’autorité des deux pre-miers califes. Pour lui, la transmission d’une tradition favorable à lapratique de la mut'a sous l’autorité du Prophète est infiniment supé-rieure à une tradition transmise sous l’autorité de califes qui s’oppo-saient à sa pratique. En fait, il reconnaît Mu˙ammad comme étantl’unique source de l’autorité religieuse et morale.

Une version différente de cet épisode est transmise par Ibn AbìMulayka (m. 117/735). 'Urwa rencontra Ibn 'Abbàs et le critiqua parcequ’il autorisait la pratique de la mut'a, s’opposant ainsi à la prohibitionde Abù Bakr et de 'Umar. Ibn 'Abbàs répliqua violemment : « Pauvrehomme ! Qu’est-il préférable à ton avis, rester fidèle à Abù Bakr et'Umar ou au livre de Dieu et aux ordonnances que le Prophète a for-mulées au bénéfice de son peuple ? » Mais 'Urwa lui répondit : « AbùBakr et 'Umar savaient mieux que toi quel est le contenu du Livre deDieu et quelles sont les ordonnances du Prophète ». Et Ibn Abì Mulaykaconclut que 'Urwa eut le dessus sur son adversaire33.

Cette version donne plus de détails concernant les positions des deuxadversaires. Il est évident que tous les deux sont d’accord sur l’impor-tance du Coran et de la Sunna du Prophète. Mais ils s’opposent sur unpoint d’interprétation : Ibn 'Abbàs était d’avis que le Coran autorisaitla mut'a du fait que Mu˙ammad la pratiquait, et que les ordonnancesde deux premiers califes relatives à se sujet s’opposaient au Coran et

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34 Pour la biographie de Ibn Abì Mulayka, voir 'Asqalànì, Tah≈ìb, VI, 384-387.35 Pour ce terme, voir Kister, « Concessions ».36 Abù 'Uwwàna, Musnad, II, 337 (3345).37 'Abd al-Razzàq, Mußannaf, IV, 502 (14033).

à la Sunna de Mu˙ammad. 'Urwa était d’avis que l’interdiction impo-sée au temps des deux premiers califes représentait l’interprétation laplus correcte du Coran et de la Sunna. Ibn Abì Mukayka qui transmitcette tradition était d’avis que 'Urwa avait raison, c’est-à-dire que lesdécisions de deux califes s’accordaient harmonieusement avec le Coranet avec la Sunna. Ibn Abì Mulayka était un favori des Zubayrides et ilfut nommé juge, qà∂ì, par le calife rebelle 'Abd Allàh b. al-Zubayr, lefrère de 'Urwa. Ainsi, il semble naturel qu’il prenne parti pour 'Urwacontre Ibn 'Abbàs34.

2.8 Ru¢ßa (Indulgence, concession)35

D’autres versions du conflit entre Ibn 'Abbàs et 'Urwa introduisentun nouvel argument qui donne une base légale à la décision de 'Umarau sujet de la mut'a. L’on prétend que la pratique des deux sortes demut'a n’était pas supposée se perpétuer après la mort du Prophète, puis-que qu’elles étaient une concession spéciale, une ru¢ßa, que Dieu accordauniquement à Mu˙ammad et à sa génération, comme un hommage aumérite supérieur du Prophète. Les générations suivantes n’avaient pasle droit de bénéficier de cette concession parce qu’elle n’était plus valide.En effet, le compagnon Abù ˛arr al-˝ifàrì est supposé avoir exprimécette idée, que la mut'a était une concession accordée uniquement auProphète et à ces compagnons (innamà kànat al-mut'a ru¢ßatan lanà là

lakum)36. La mut'a du mariage est aussi perçue comme étant une conces-sion accordée uniquement au Prophète et à sa génération37.

Le concept de la ru¢ßa fait lui aussi partie de la querelle de 'Urwaavec Ibn 'Abbàs. ]àbir b. 'Abd Allàh raconte que les compagnonsavaient pratiqué la mut'a avec le Prophète. Mais quand 'Umar devintcalife, il prononça un sermon dans lequel il dit : « Dieu avait l’habi-tude d’accorder des indulgences à son Prophète autant qu’Il voulait etrelativement à tout ce qu’Il voulait et le Coran était révélé dans lesendroits où il fut révélé. Quant à vous, vous devez vous acquitter devotre pèlerinage (indépendamment) de votre 'umra d’une manière com-plète selon les commandements de Dieu. Ne concluez plus des maria-ges avec des femmes pour une période agréée d’avance. Quiconque se

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38 Muslim, Sa˙ì˙, II, 885 (1217)/15 (Óa[[) : 18: 1, 2. Voir aussi ˇayàlisì, Musnad,247-248 (1792) ; Abù 'Uwwàna, Musnad, II, 339-340 (3354).

39 Abù 'Uwwàna, Musnad, II, 339 (3352)40 ”afadì, 'Umyàn, p. 175-182.41 Bu¢àrì, ”a˙ì˙, X, 130 (5115)/67 (Nikà˙) : 32, 1 ; Muslim, ”a˙ì˙, II, 1025-1028 (21-

29)/16 (Nikà˙) : 3, 21-32. Voir aussi : 'Abd al-Razzàq, Mußannaf, XI, 67 (19927) ; A˙mad,Musnad, IV, 95.

mariera avec une femme pour une période agréée d’avance, je lecondamnerai à la lapidation »38.

Dans cette tradition, il est suggéré que les accusations contre 'Umarpar Ibn 'Abbàs et par d’autres personnes étaient sans fondement,puisqu’ils ne se rendaient pas compte que la mut'a était une mesure declémence accordée uniquement à Mu˙ammad et à sa génération. Dansune autre version de la dispute, 'Urwa décrit Ibn 'Abbàs comme étant« une de ces personnes affligée d’aveuglement dans le cœur et dans lesyeux parce qu’elles formulaient des lois sans le savoir »39. 'Urwa faitallusion au fait que Ibn 'Abbàs devint aveugle dans sa vieillesse40.

2.9 L’interdiction du Prophète

Toutefois, malgré le fait que l’interdiction de la mut'a imposée par'Umar resta en vigueur et fut acceptée comme une loi fondamentaledans l’islam sunnite, les savants se donnaient beaucoup de mal poursauvegarder l’image du Prophète en tant qu’autorité morale et reli-gieuse suprême. Ces efforts apparaissent dans les traditions selon les-quelles la l’interdiction de la mut'a est attribuée à Mu˙ammad et à luiseul. Ces traditions sont citées fréquemment dans les Íi˙à˙, c’est-à-direles recueils des traditions canoniques. Par exemple l’on rapporte qu’aprèsla conquête de ›aybar, Muhammad ordonna que la pratique de lamut'a ne soit plus valide41. Ainsi, 'Umar n’a plus aucun mérite à inter-dire la mut'a et son image en tant que fondateur de la Sunna perd beau-coup de son prestige.

3. Les deux Sunna cohabitent : la flagellation d’un ivrogne

La tension entre l’image du Prophète et celle de 'Umar, tous deuxfondateurs de la Sunna, est également évidente dans les traditions selonlesquelles la Sunna de Mu˙ammad cohabite avec celle de 'Umar. Unexemple de cette cohabitation peut être trouvé dans les traditions rela-tives à la punition imposée à al Walìd b. 'Uqba b. Abì Mu'ay†. Al-Walìd, qui était le demi-frère de 'U∆màn b. 'Affàn et le gouverneur de

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42 Sur cet épisode, voir Balà≈urì, Ansàb, VI, 142-145. Voir aussi 'Abd al-Razzàq,Mußannaf, VII, 379 (13545) ; Ibn Abì ”ayba, Mußannaf, V, 449 (28398) ; Ibn ”abba,Ta"rì¢, II, 731-734.

43 ˇayàlisì, Musnad, 25 ; A˙mad, Fa∂à"il, II, 667-668 (1138) ; Abù 'Uwwàna, Musnad,IV, 15 (6334) ; Dàraqu†nì, Sunan, III, (3434).

44 Muslim, Ía˙ì˙, III, 13331 (1707)/29 (Óudùd) : 8, 37 ; Abù Dàwùd, Sunan, XII,180-182 (4456)/32 (Óudùd) : 36, 5.

Kùfa, est supposé avoir dirigé la prière du vendredi en état d’ébriété.Huit hommes de Kùfa témoignèrent devant le calife 'U∆màn que legouverneur était ivre pendant la prière. Bien qu’à contre-cœur seloncertaines versions, le calife demanda à 'Alì b. Abì ˇàlib d’infliger lapunition habituelle pour ce genre de crime, la flagellation. 'Alì ordonnaà son fils al-Óasan d’exécuter la châtiment mais celui-ci refusa en pré-textant que ce n’était pas son affaire et qu’il fallait que le châtimentfût infligé par un membre de la famille de al-Walìd. 'Alì ne céda paset il ordonna à son neveu, 'Abd Allàh b. ]a'far d’exécuter l’ordre ducalife. 'Abd Allàh commença la flagellation tandis que 'Alì (ou 'U∆màndans d’autres versions) comptait les coups de fouet. Lorsque quarantecoups furent donnés, 'Alì ordonna à son neveu de cesser en disant :« Le Messager de Dieu infligea quarante coups de fouet et Abù Bakraussi, tandis que 'Umar infligea quatre-vingt coups, et chacune des deuxtraditions est une Sunna (wa kull sunna)42.

Cette déclaration de 'Alì démontre de manière évidente que la Sunnades quarante coups de fouet établie par le Prophète et pratiquée parAbù Bakr est considérée comme l’égale de la Sunna des quatre-vingtscoups de fouet établie par 'Umar. La communauté, ou son dirigeant,ont la permission de choisir la Sunna qui leur convient parmi les deux.

Mais dans d’autres versions, la tendance consiste à nouveau à repré-senter la Sunna du Prophète comme supérieure à celle de 'Umar. Dansces versions, après avoir mentionné que les deux Sunna sont légales,'Alì remarque qu’il préfère la Sunna de Mu˙ammad selon laquelle lechâtiment infligé à l’ivrogne consiste en quarante coups de fouet (wa

hà≈à a˙abb ilayya)43.Le fait que c’est cette version qui figure dans les recueils canoniques

de la tradition musulmane44 indique, ici encore, que la communautéfinit par considérer Mu˙ammad comme l’autorité religieuse et moralesuprême.

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45 Pour l’attitude des chiites concernant les deux premiers califes après Mu˙ammad,voir Kohlberg, « Ía˙àba », p. 162-167.

46 Ibn ”à≈àn, Ì∂à˙, p. 124-125.47 Ibid., p. 104.48 E. Kohlberg fait remarquer, dans un message personnel qu’il m’a adressé, qu’il

reste à déterminer définitivement qu’Ibn ”àdhàn est bien l’auteur de ce livre.

4. La tradition chiite45

Les Chiites étaient très conscients des traditions selon lesquelles 'Umarest représenté comme fondateur d’une Sunna personnelle et ils les reje-taient totalement. Les ordonnances et interdits de 'Umar sont repré-sentés dans les sources chiites comme bid'a, des innovations néfastes, etle calife lui-même est accusé de s’être opposé aux lois de Mu˙ammadet aux conseils des compagnons46.

Les Chiites n’hésitent jamais lorsqu’il s’agit de choisir entre la Sunnadu Prophète et celle de 'Umar et leur règle générale à ce sujet a étéformulée de façon suivante : « Il est plus digne de rester fidèle à laSunna du Messager de Dieu qu’à celle de 'Umar » (sunnat Rasùl Alàh

awlà an tuttaba'a min sunnat 'Umar)47. Il est vrai que les sunnites adoptè-rent finalement ce même principe, mais seulement après avoir résolule conflit d’autorité entre l’image du Prophète et celle de 'Umar.

Deux grands savants pourraient être les porte-parole de l’attitudechiite envers la Sunna de 'Umar. Ce sont al-Fa∂l b. ”à≈àn (m. 260/873)dans son livre al-Ì∂à˙ (La clarification)48 et Abù l-Qàsim al-Kùfì, mort unsiècle après, dans son livre al-Isti©à∆a fì bida' al-∆alà∆a (Recherche de l’aide

contre les innovations néfastes des trois premiers califes). Ces deux savants pré-tendaient avoir recueilli toutes les innovations interdites des trois pre-miers califes. En effet, dans les recueils des traditions sunnites, spécialementles recensions canoniques, ils choisirent des traditions relatives aux ordon-nances des trois premiers califes. Ces savants prétendirent être capablede prouver que les décisions des califes différaient clairement nettementdes ordonnances de Mu˙ammad. De ce fait, ils se sont efforcés de pri-ver les califes de leur légitimité, ce qui veut dire que seul 'Alì, qui esttoujours décrit comme restant fidèle à l’héritage de Mu˙ammad, est lesuccesseur légitime du Prophète.

Plus tard, d’autres savants chiites réfutèrent encore plus ces tradi-tions et produisirent rédigèrent des œuvres diffamant les califes quiavaient régné avant 'Alì, comme l’œuvre de 'Alì b. Yùnus al-Bayyà∂ì(d. 877/1472) al-Íirà† al-mustaqìm ilà musta˙iqqì l-taqdìm « Le droit che-

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49 Abù l-Qàsim al-Kùfì, Isti©à∆a, p. 23.50 Ibid., p. 57-88.51 Ibn ”à≈àn, Ì∂à˙, p. 199 ; Abù l-Qàsim al-Kùfì, Isti©à∆a, p. 72.

min droit qui mène à ceux qui ont le droit de préséance » et l’antho-logie de onze volumes, al-˝adìr, par le grand savant chiite du vingtièmesiècle 'Abd al-Óusayn A˙mad al-Amìnì, glorifiant ˝adìr ›umm ; lesChiites perçoivent que c’est dans ce lieu, près de Médine, que Mu˙ammadnomma 'Alì son successeur. Dans l’introduction de son livre, Abùl-Qàsim al-Kùfì prétend que l’origine de toute la décadence qui serépandit dans l’islam de son temps réside dans « les innovations de cestrois personnes qui avaient été nommées pour mettre en pratique leslois de Dieu après la mort de Son Prophète »49. L’auteur dédie un cha-pitre entier aux différentes ordonnances de 'Umar, et il s’efforce de lesréfuter en les opposant à celles du Prophète et de « son successeur leplus loyal » 'Alì b. Abì ˇàlib50.

La question de la mut'a reste, jusqu’à nos jours, une des sources decontroverse les plus importantes entre les chiites et les sunnites, spécia-lement en ce qui concerne celle du mariage, mais également la mut'a

du pèlerinage. Comme on le sait, elles sont toutes deux autorisées chezles Chiites.

La tradition chiite cite maintes fois la tradition sunnite pour prou-ver que 'Umar avait aboli la mut'a en opposition au Coran et auProphète51.

Pour bafouer 'Umar encore plus, les Chiites diffusèrent une tradi-tion que l’on ne trouve pas dans les sources sunnites, selon laquelle'Umar avait aboli la mut'a pour des raisons personnelles. L’Imàm ]a'faral-Íàdiq raconta à son disciple al-Mufa∂∂al (ou Mu˙ammad b. al-Mufa∂∂al) que 'Umar vit sa sœur 'Afrà" bint al-›a††àb en train d’allai-ter son nouveau-né. Il lui demanda qui était le père et elle réponditqu’elle avait contracté un mariage de mut'a et que la période agrééed’avance était terminée. 'Umar, furieux, convoqua les musulmans à lamosquée et là il abolit la mut'a, quoiqu’elle fut pratiquée au temps duProphète et de Abù Bakr. ]a'far al-Íàdiq se demanda comment il aété possible que personne n’ait exprimé la moindre réserve à cette abo-lition et que personne n’ait dit à 'Umar qu’après Mu˙ammad il n’y aplus d’autres prophètes et qu’après le Coran il n’y a plus d’autres livressaints.

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52 ›aßìbì, Hidàya, p. 423.53 Ma[lisì, Bi˙àr, III, 28 ; CIII, 303, voir aussi les notes de l’éditeur.54 Ibn ”à≈àn, Ì∂à˙, p. 199 ; ˇabarì, Tafsìr, 178 (9042), to Q4: 24.

Cet épisode est cité dans l’œuvre du savant 'alawite al-›aßìbì (m.334/945)52 et a été cité intégralement dans Bi˙àr al-Anwàr d’al-Ma[lisì(mort 1111/1700)53.

L’Imàm ]a'far accuse 'Umar de s’être comporté comme un pro-phète et de considérer ses propres ordonnances comme de nouvellesrévélations de Dieu. Toutefois, il convient de faire remarquer que nullepart dans les sources, qu’elles soient chiites ou sunnites, l’on ne men-tionne une sœur de 'Uma nommée 'Afrà".

Pour mieux démontrer l’influence abominable de la prohibition dela mut'a, les chiites accusent 'Umar d’avoir provoqué directement lapropagation de la prostitution en islam. 'Alì, cité par les sources chii-tes aussi bien que sunnites, est supposé avoir déclaré : «Si 'Umar n’avaitpas aboli la mut'a, vos jeunes hommes n’auraient pas commis d’adul-tère (lawlà anna 'Umar nahà 'an al-mut'a mà zanà fityànukum hà"ulà")54. Ceciconstitue une preuve pour tous les musulmans que la Sunna de 'Umarcontamina l’islam d’une corruption morale et éthique.

5. Conclusion

Cependant, le rôle qu’a joué Umar, dans la fondation d’une Sunnane représente qu’une partie de son image de monarque idéal de l’is-lam. Les savants qui ont élaboré cette image ont attribué à ’Umar uneautorité qui s’oppose à celle du Prophète, la remplace ou lui est égale.Se faisant, ils n’étaient certainement pas conscients qu’ils créaient unconflit portant sur l’image de ces deux grands hommes. Une explica-tion possible de ce fait est qu’à cette période, l’image de Mu˙ammadincarnant l’autorité morale spirituelle et religieuse suprême, était encore« en cours d’élaboration » et n’avait pas atteint sa forme définitive. Unefois cette image de Mu˙ammad constituée, la communauté se rallia àelle et la préféra comme source absolue d’autorité, si bien que l’imagede 'Umar perdit de son prestige.

II. La Sunna de 'Umar vue par ses successeurs

la Sunna de 'Umar telle qu’elle apparaît jusqu’à présent, eut des impli-cations décisives sur l’image de ce calife comme modèle idéal pour les

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55 Pour les différentes versions de cet arbitrage, voir Hinds, « Íiffìn ». L’auteur n’apas mentionné la version concernant 'Umar.

56 Dìnawarì, A¢bàr, p. 199. Voir aussi Ibn Muzà˙im, Íiffìn, p. 541 ; Ya'qùbì, Ta"rì¢,II, 190 ; Balà≈urì, Ansàb, III, 124.

chefs et les dirigeants de la communauté musulmane qui lui ont suc-cédé. Cette partie de notre article est consacrée aux différentes facet-tes de cette image, telle qu’elle fut perçue par plusieurs califes quirégnèrent après lui. De plus, nous essaierons d’examiner le rôle de laSunna de 'Umar dans la formation des images de ces califes.

1. Un modèle exalté

Nous commencerons par rappeler des traditions selon lesquelles 'Umarest représenté comme un modèle de souverain sublime. C’est le caspour certaines traditions relatives à l’arbitrage (ta˙kìm) qui s’est dérouléà la suite de la bataille de Íiffìn (37/657) entre Abù Mùsà l-A“'arì, ledélégué de 'Alì, et 'Amr b. al-'Àß, le délégué de Mu'àwiya55. Une ver-sion de l’épisode rapporte qu’au début de leurs délibérations, les deuxdélégués commencèrent par exprimer leur mécontentement profond dela guerre entre les deux rivaux et du carnage qui s’ensuivit. Ensuite,ils considérèrent envisagèrent la candidature de plusieurs personnagesillustres pour diriger la communauté musulmane à la place des deuxrivaux implacables et irréconciliables. Abù Mùsà soutint la candidaturede 'Abd Allàh b. 'Umar au califat, pour la raison qu’une telle nomi-nation allait assurer définitivement la « restauration de la Sunna de'Umar et de son héritage »56.

Abù Mùsà est représenté dans cette tradition comme un hommed’État pieux qui pensait qu’il fallait restaurer la Sunna de 'Umar pourmettre fin à la querelle au sein de la communauté et établir une paixdurable. Selon lui, la nomination du fils de 'Umar au califat valideraitl’héritage du père. En toute probabilité, Abù Mùsà n’est que le porte-parole des savants pour lesquels le seul critère de la nomination d’uncalife est sa capacité et sa volonté de d’être fidèle à la Sunna de 'Umar.Et comme on le verra, un tel comportement n’était pas une bagatelle.

Quant à 'Amr b. al-'Àß, il fut partisan de la candidature de Mu'àwiyajusqu’au bout. La tradition le représente comme un intrigant qui ne sesoucie guère du bien-être de la communauté, mais seulement de l’inté-rêt limité de son maître.

Un aspect plus concret de l’image de 'Umar, qui représente un idéal

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57 Pour le système de taxation en islam, voir Johansen, Land tax ; Dennet & Lokkegaard,Islamic Taxation ; voir aussi « Kharàdj », EI 2 (Cahen).

58 Abù 'Ubayd, Amwàl, p. 638 (1658).59 Ibid., p. 638 (1657).60 Ibn Sa'd, ˇabaqàt, VII, 207. Voir aussi 'Abd al-Razzàq, Mußannaf, VI, 95 (10112-

13) ; Ibn 'Asàkir, Ta"rì¢, IX, 223.61 A˙mad, Musnad, IV, 109.62 Ibid., IV, 234.

pour les dirigeants qui lui ont succédé, concerne ses ordonnances admi-nistratives. En tant que tel, il est représenté comme le fondateur dusystème de la taxation en islam, ce système considéré comme faisantpartie de la Sunna de 'Umar57.

Une tradition rapporte que le compagnon Anas b. Màlik, le servi-teur du Prophète, fut nommé par 'Umar à la fonction de 'à“ir, percep-teur d’impôts58. Anas à son tour proposa le même poste à son affranchi,mawlà, Anas b. Sìrìn. Ce dernier hésita à accepter la proposition. Pourlui faciliter la tâche, Anas b. Màlik décida de rédiger pour lui la « Sunna

de 'Umar » qui détermine les impôts à percevoir auprès des musul-mans, des non musulmans et des commerçants étrangers qui venaientfaire des affaires dans les territoires musulmans59.

D’après une version différente de cet épisode, Anas b. Màlik futnommé à un poste administratif à Bassora pendant le règne du califerebelle Ibn al-Zubayr (m. 73/692). Il s’adressa à son affranchi Anas b.Sìrìn et lui offrit le poste de percepteur d’impôts dans la région deUbulla. Ibn Sìrìn, indigné, refusa le poste de 'à“ir. Alors Ibn Màlik luidemanda si la rédaction du « document de 'Umar » (kitàb 'Umar) lecontenterait satisferait. Ce document est supposé contenir les registresdétaillés des impôts perçus par 'Umar sur les musulmans et les nonmusulmans60.

Dans cette tradition, comme dans toutes les traditions relatives auxtaxes et aux impôts (al-maks), une forte répugnance est exprimée à exer-cer la fonction de percepteur d’impôts ('à“ir ou màkis). Cette même atti-tude est représentée dans des traditions suivant lesquelles le Prophèteaurait déclaré que le percepteur d’impôts finira en enfer61 ou encore :« Si vous voyez un percepteur de taxes, tuez-le »62.

Anas b. Màlik, qui a proposé le poste de percepteur à son affranchi,comme nous l’avons mentionné ci-dessus, est lui-même représenté dansune autre tradition comme exprimant sa profonde aversion pour ceposte lorsqu’il lui fut offert par 'Umar. Dans ce récit, on nous raconte

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63 Sara¢sì, Mabsù†, II, 199.64 Ibn Abì ”ayba, Mußannaf, II, 416 (10574-10579).65 ˇa˙àwì, ”ar˙, II, 30-33.

que lorsque le calife lui proposa ce poste, Anas s’écria : « De tous lespostes que tu as à ta disposition, tu me proposes celui de percepteurde taxes ? » et 'Umar répliqua : « Est-ce que tu refuses un poste quele Prophète lui-même m’avait jadis confié63 ? »

Ainsi apparaît une chaîne ininterrompue de nominations au postede percepteur de taxes : Le Prophète Mu˙ammad nomme 'Umar, quià son tour nomme Anas b. Málik, qui à son tour nomme Anas b.Sìrìn. De cette manière, l’image de 'Umar sert à légitimer un postetrès impopulaire mais absolument nécessaire. Cette fonction est légiti-mée du fait que 'Umar lui-même fut nommé à ce poste par Mu˙ammadet aussi parce que les procédures de la fonction furent rédigées dansun document (kitàb) intitulé « la Sunna de 'Umar ».

D’après les traditions citées jusque-là, la Sunna de 'Umar rédigée dansce document, stipule, entre autres, un impôt devait être égalementimposé aux musulmans. Or ceci contredit totalement une loi du Prophèteselon laquelle les musulmans étaient exemptés de tous les impôts (laysa'alà l-muslimìn 'u“ùr)64. La taxation en islam n’est pas le sujet principalde cet article. Toutefois, la contradiction entre une loi émanant duProphète et une loi émanant de 'Umar que nous avons déjà remar-quée plus haut, représente une autre preuve des efforts exercés par lessavants pour présenter une image du calife qui en fait le prototype dumonarque idéal. Mais la tentative d’harmoniser en fin de compte cesdeux lois contradictoires montre que les savants musulmans n’ont pasrenoncé à leur détermination de préserver l’image de Mu˙ammadcomme étant la source suprême de l’autorité dans tous les domainesde la vie65.

2. La dispute à propos de l’héritage de 'Umar

La dévotion à l’héritage de 'Umar et la tentative faite pour le pré-server n’ont pas empêché une controverse dans les générations suivan-tes concernant les principes et les particularités de cet héritage. Plusieurscalifes s’efforcèrent de le préserver et tentèrent d’interpréter ses diver-ses composantes. Ceux qui furent réprimandés pour ne pas l’avoir pré-servé comme ils auraient dû le faire sont encore plus nombreux. En

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66 Voir : Kister, « Reports », p. 81-84.67 Fàkihì, A¢bàr Makka, III, 244-245.

vérité, l’on ne trouve aucune unanimité concernant la signification réellede l’héritage de 'Umar et aucun accord concernant les personnes quil’ont dûment préservé. Nous citons ici un exemple d’une telle contro-verse sur l’organisation de la circulation des pèlerins arrivant à laMecque et en repartant pendant la saison du pèlerinage.

Cette tradition traite du développement urbain de la Mecque sousle règne du calife rebelle 'Abd Allàh b. al-Zubayr66. Les rivaux danscette querelle sont d’une part 'Abd Allàh b. Íafwàn al-]uma˙ì (m.73/692), un conseiller du calife, et d’autre part 'Abd Allàh b. 'Abbàs(m. 65/684), qui était chargé de la siqàya, la distribution de l’eau auxpèlerins. Il est à noter que Ibn 'Abbàs était très opposé à à Ibn al-Zubayr. Les deux rivaux se rencontrèrent à la Mecque et après un brefdialogue s’accusèrent mutuellement d’avoir abandonné la Sunna de 'Umaret de lui avoir été déloyale. Ibn Íafwàn demanda à son rival s’il étaitsatisfait du règne de Ibn al-Zubayr, qu’il surnomma imàrat al-A˙làf. Ibn'Abbàs répliqua catégoriquement qu’il préférait de loin le règne de AbùBakr et de 'Umar, qu’il surnomma imàrat al-Mu†ayyabìn. Ces surnomsinvoquaient deux alliances tribales rivales à laquelle les clans des deuxriveaux appartenaient dans la [àhiliyya et au début de l’islam. Ibn 'Abbàsfaisait allusion à la dégradation de la situation à la Mecque sous lerègne de Ibn al-Zubayr. Ibn Íafwàn, à qui les critiques de son rivaldéplurent, l’accusa d’avoir aboli la loi de 'Umar concernant le puits deZamzam. Il semble que 'Umar avait ordonné que le puits soit ferméentre les saisons de pèlerinage et soit ouvert uniquement pendant le˙a[[. Mais Ibn 'Abbàs, qui était chargé de la siqàya, ne se conformapas à cette loi et autorisa les pèlerins à puiser de l’eau à volonté. Enfait, ibn Íafwàn voulait dire que ibn 'Abbàs, qui prétendait se confor-mer aux lois de 'Umar, les avait abolies en réalité. Ibn 'Abbàs exas-péré répliqua : « Tu cherches la Sunna de 'Umar ? 'Umar ordonna quele fond et le sommet de la vallée de la Mecque devaient être réservéscomme endroits où les chameaux des pèlerins puissent s’agenouiller etque Qu'ayqi'àn et A[yàdayn devaient être assignés comme portes d’ac-cès et de débouché pour les pèlerins. Mais au lieu de tout cela, tonmaître et toi, vous bâtissez des châteaux et des palais pour vous et vosfamilles ! Est-ce là la Sunna de 'Umar dont tu parles ? Jamais ! Vousl’avez abandonnée depuis longtemps »67. Une lecture attentive du texte

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68 ]arìr, Dìwàn, I, 275 (vers 18). Voir aussi Mubarrad, Kàmil, II, 487 ; Ibn ManΩùr,Lisàn, s.v. « f.r.q » ; Zabìdì, Tà[ al-'Arùs, s.v. « f.r.q » où ce vers est attribué à tort à al-Farazdaq.

69 Bashear, « Al-Fàrùq », p. 68-70.

de cette dispute révèle que les deux rivaux avaient totalement aban-donné la Sunna de 'Umar tout en prétendant qu’ils l’accomplissaient.

3. La glorification des Umayyades

Les chefs de la communauté musulmane qui prétendaient avoir régnéen se conformant à la Sunna de 'Umar de la manière la plus parfaitefurent les califes umayyades. Ce sont eux en effet qui élaborèrent leprocessus suivant lequel cette Sunna fut considérée comme un titre à lagloire de chaque calife cherchant à se glorifier.

3.1 'Umar b. 'Abd al-'Azìz

La Sunna de 'Umar joue un rôle déterminant dans la mise en valeurde l’image du calife umayyade 'Umar II b. 'Abd al-'Azìz (m.101/719),l’arrière-petit-fils de 'Umar. 'Umar II est considéré comme le cinquièmecalife bien guidé par Dieu et une importante composante de l’élabo-ration de cette image est le modèle de son aïeul. Le fait qu’ils s’appel-lent tous les deux 'Umar n’est pas le seul point commun entre les deuxmonarques. En se basant sur cette ressemblance des noms, les savantsapprofondirent le lien qui les unit en présentant une Sunna qu’ils consi-déraient comme commune aux deux califes.

Cette relation proche entre les Sunna-s des deux califes est bien attes-tée par les poèmes des célèbres poètes de la cour des Umayyade. ]arìr(m.111/729) récita en louant 'Umar II :

En effet, ta conduite (sìra) ressemble à celle d’al-FàrùqQui formula les lois et devint un modèle pour toutes les nations68.

Al-Fàrùq, le surnom le plus connu de 'Umar b. al-›a††àb, reflète l’im-age messianique du calife69. La conduite de 'Umar, sa sìra, et les loisqu’il formula représentent sa Sunna que son descendant est supposéavoir accomplie. Le poète décrit ce modèle comme universel et passeulement musulman.

Il convient de noter qu’al-Farazdaq (m. 112/730), l’adversaire de]arìr, invoqua l’image de 'Umar et sa Sunna pour glorifier le califeumayyade Sulaymàn b. 'Abd al-Malik (m. 99/717), le prédécesseur de

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70 Farazdaq, Dìwàn, II, 180.71 Ibn 'Asàkir, Ta"rì¢, XLV, 137.72 Ibid., XLV, 154-155.73 Le titre de Mahdì accordé à 'Umar II aurait été une prophétie de Mu˙ammad

lui-même. Voir Abù Nu'aym, Óilya, V, 344-345. Une autre tradition rapporte qu’undémon, [inn, conféra ce titre à 'Umar II. Voir Ibn 'Asàkir, Ta"rì¢, XLV, 165.

'Umar b. 'Abd al-'Azìz. Il le loua en récitant : « Tu les gouverna (lessujets) selon la Sunna d’al-Fàrùq »70.

L’ancienne tradition musulmane attribue à 'Umar II également unrôle messianique. Ce rôle devait beaucoup à la prétendue ressemblanceentre sa conduite et la Sunna de son aïeul. Ce concept est représentédans certaines traditions comme un plan divin dont certaines person-nes avaient eu la prémonition. Le savant basrien Dàwùd b. Abì Hind(m. 139/756) raconte, par exemple, que lorsque 'Umar b. 'Abd al-'Azìz arriva à Médine pour étudier sous la tutelle des savants de cetteville, l’un d’eux s’écria en faisant allusion à 'Abd al-'Azìz b. Marwàn,le père de 'Umar II : « Ce pécheur nous envoie son fils pour étudierla loi et il prétend que celui-ci ne mourra pas avant d’être nommécalife et de gouverner selon la sìra de 'Umar b. al-›a††àb». Dàwùd b.Abì Hind s’exclama quelques années plus tard : « Par Dieu, 'Umar nemourut qu’après que cette prédiction se réalisa devant nos yeux »71.

D’autre part, 'Abd Allàh b. 'Umar al-›a††àb était supposé avoir ditfréquemment aux membres de sa famille que la monarchie en islamne s’achèvera que lorsqu’un membre de la famille de 'Umar ayant ungrain de beauté ou une cicatrice sur le visage gouvernera selon la sìrade 'Umar b. al- ›a††àb. Au premier abord, on était convaincu qu’ils’agissait de Bilàl b. 'Abd Allàh b. 'Umar b. al-›a††àb parce qu’il avaitun grain de beauté sur le visage jusqu’à ce que « Dieu nomma 'Umarb. 'Abd al- 'Azìz »72.

La restauration de la Sunna de 'Umar I par 'Umar II est représen-tée dans la tradition comme l’apogée morale et religieuse du califatUmayyade. Ce processus reflète clairement la nostalgie des savants pourune époque qu’ils percevaient comme ayant été l’âge d’or de 'Umarb. al-›a††àb. Cette nostalgie fut le terreau fertile des espérances mes-sianiques qui prévalaient dans la communauté musulmane vers la findu premier siècle et au début du deuxième siècle de l’Hégire, précisé-ment sous le règne de 'Umar II. Ainsi, 'Umar II devint aux yeux d’unbon nombre de savants et d’admirateurs le Mahdì qui réalisera cesespérances messianiques73.

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74 Ibn Abì ”ayba, Mußannaf, VII, 559 (37909) ; Ibn Óazm, A˙kàm, VI, 575.75 Voir Balà≈urì, Ansàb, V, 206-208.76 Rubin, « Firàsh », p. 13-17.77 Balà≈urì, Ansàb, V, 198.78 Ibid., V, 240-241.79 'Abdì, 'Afw, I, 190.

Mais il semble que cette image de 'Umar II, l’homme qui a res-tauré et accompli la Sunna de son aïeul, fût perçue dans certains cer-cles de savants comme offensant elle aussi l’image du Prophète, ce quiapparaît nettement dans la tradition suivante. Les ›awàri[ demandè-rent à 'Umar II s’il allait les gouverner selon la sìra de 'Umar b. al-›a††àb. Il répondit l’air furieux : « Mais qu’est-ce qu’ils ont ces genslà ? Maudits soient ils ! Je n’ai jamais cherché un autre modèle que leMessager de Dieu »74. Cette exclamation catégorique ne laisse aucundoute : Mu˙ammad, et lui seul, est l’idéal de 'Umar II en particulieret de toute la communauté en général. Encore une fois l’image duProphète est réhabilitée au détriment de l’image du calife.

La Sunna de 'Umar fut à un moment donné un prétexte pour tousles dirigeants Umayyade de se légitimer. Même des gouverneurs quiétaient considérés comme infâmes en avaient besoin, eux aussi, pourse légitimer aux yeux des croyants musulmans.

C’est le cas pour l’image controversée de Ziyàd b. Abì Sufyàn, lefrère adoptif de Mu'àwiya et l’implacable gouverneur de l’Irak. Ziyàdest décrit en général comme un gouverneur autoritaire, despote etimpassible qui n’hésita même pas à verser le sang des innocents pourécraser plusieurs révoltes en Irak, le plus souvent chiites, contre l’auto-rité umayyade75. Son adoption par Mu'àwiya comme demi-frère a énor-mément avili son image aux yeux des savants76.

Et pourtant, l’on remarque dans plusieurs traditions une tentative delégitimer l’image de Ziyàd en décrivant sa prétendue inclination envers'Umar. L’on rapporte en effet qu’une appréciation mutuelle existaitentre les deux hommes, que 'Umar nomma Ziyàd à des fonctionsimportantes77 et que Ziyàd demeura fidèle au calife après sa mort78.

L’on rapporte aussi que lorsqu’il exerçait les fonctions de gouver-neur, Ziyàd prenait plaisir à écouter les traditions concernant 'Umaret les respectait profondément en s’exclamant : « C’est la vérité qu’onentend ! C’est la Sunna79 ! »

Comme on le voit, la fidélité à la Sunna de 'Umar est un moyenutilisé par certaines traditions pour essayer d’améliorer l’image de ce

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80 Ibn 'Asàkir, Ta"rì¢, LIX, 150.81 Ibid., LXV, 410.82 Voir Ibn al-]awzì, ˛amm Yazìd.83 Voir Kister, « Óarra ».84 Voir « Muslim b. 'U˚ba », EI 2 (Lammens).

dirigeant tellement impopulaire. Il est probable que ces tentatives ontété entreprises par des savants fidèles aux Umayyade dans le cadre d’unprocessus ayant pour but de légitimer les califes Umayyades en lesreprésentant comme fidèles à l’héritage des califes bien guidés, spécia-lement 'Umar.

4. Les Umayyades échouent à préserver la Sunna de 'Umar

Malgré la glorification des Umayyades pour leur prétendue fidélitéà la Sunna de 'Umar, nombreux sont les savants qui leur ont adressédes critiques sévères. Ces savants estimaient que les Umayyades avaienttotalement échoué à préserver cette Sunna, particulièrement à cause dela cruauté et de l’injustice avec lesquelles ils gouvernèrent leurs sujets.

4.1 Mu'àwiya et son fils Yazìd

Une telle critique apparaît dans une tradition selon laquelle Mu'àwiyagouverna pendant les deux premières années de son règne conformé-ment aux ordonnances de 'Umar, mais plus tard il les délaissa et adoptaun comportement différent80.

De même, l’on rapporte que lorsque Yazìd succéda à son père (en61/681), il prétendit qu’il gouvernerait conformément aux ordonnan-ces de 'Umar81. Mais immédiatement après avoir reçu la bay'a, le ser-ment d’obéissance, il renonça à ses bonnes intentions et devint l’un descalifes les plus détestés et les plus maudits de l’histoire de l’islam82.

4.2 Muslim b. 'Uqba l-Murrì et la bataille d’al-Óarra

En l’an 63/682 les habitants de Médine se révoltèrent contre l’avè-nement de Yazìd I au trône, qui succédait à son père Mu'àwiya83. Lenouveau calife dépêcha contre eux une grande armée commandée parMuslim b. 'Uqba l-Murrì, que la tradition décrit comme un généralbédouin cruel, sans pitié et assoiffé de sang84. La ville du Prophète futrapidement conquise et saccagée pendant trois jours.

L’on rapporte qu’un homme nommé Zayd b. Wahb b. Zam'a futemprisonné et contraint par Muslim à prêter serment d’obéissance aucalife. Zayd répliqua qu’il le ferait à condition que le calife reste fidèle

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85 Voir Kister, « Shùra ».86 ˇabarì, Ta"rì¢, V, 493.87 Ôa'lab, Ma[àlis, II, 393-394.

à la Sunna de 'Umar. Zayd faisait probablement allusion au fait que legouvernement umayyade avait dévié par rapport aux ordonnances de'Umar. Zayd a pu également vouloir dire que les Umayyades auraientdû adopter la ”ùrà, ce système que 'Umar créa pour choisir son suc-cesseur85. Mais quand Muslim entendit ces propos, il ordonna d’exécu-ter le prisonnier. Alors Zayd promit qu’il obéirait inconditionnellement,mais le général umayyade répondit qu’il ne lui pardonnerait pas safaute. Il fut décapité malgré les interventions de certains membres importants de la famille umayyade86. Après cet épisode, tous les habi-tants de Médine furent obligés de jurer au nouveau calife une obéis-sance inconditionnelle.

La faute de Zayd fut d’avoir mentionné la Sunna de 'Umar, que lesUmayyades tenaient comme qui les empêchaient d’imposer une obéis-sance absolue à leurs sujets.

4.3 'Abd al-Malik b. Marwàn (m. 86/705)

De plus, les Umayyades furent accusés d’avoir délibérément aban-donné la Sunna de 'Umar dans le but d’empêcher toute critique quipourrait être adressée à leur encontre. L’on rapporte que lorsque 'Abdal-Malik b. Marwàn entendit dans son palais des gens qui mention-naient la sìra de 'Umar, il s’écria furieusement : « Taisez-vous ! Abstenez-vous de mentionner 'Umar parce que cela discrédite les souverains etcorrompt les sujets »87. Ce que 'Abd al-Malik voulait dire en fait c’estque nul souverain n’est capable de se montrer à la hauteur de 'Umaret par conséquent les sujets qui aspirent à critiquer les dirigeants n’ayantpas cette stature pourraient se révolter. Le calife Umayyade souhaitaittout simplement que 'Umar soit oublié.

4.4 Yazìd b. 'Abd al-Malik (m. 105/723)

Les Umayyades furent condamnés, non seulement pour avoir aban-donné la Sunna de 'Umar mais aussi pour avoir échoué à accomplirmême la Sunna de leur proche parent, 'Umar II. Cette accusation aété dirigée spécialement contre Yazìd II, le successeur de 'Umar II.On raconte que lorsque Yazìd monta sur le trône, il promit au peuple de rester fidèle à la sìra de son prédécesseur. À la suite de quoi,quarante savants furent convoqués par lui et ils certifièrent que le calife

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88 Ibn 'Asàkir, Ta"rì¢, LXV, 304.89 Ibid., LXV, 308.

ne serait pas considéré comme responsable et ne serait pas châtié le jour de la Résurrection88. Mais la dévotion de Yazìd II à la Sunnade 'Umar II ne sera pas de longue durée. Une tradition rapporte qu’il lui resta fidèle pendant quarante jours seulement, après quoi ill’abandonna89.

5. L’apologie des Umayyades

Les Umayyades ont été critiqués pour avoir abandonné la Sunna de'Umar et pour ne pas avoir réussi à l’imposer à cause de leur despo-tisme, ce qui les obligea à justifier leurs actes. De nombreuses tradi-tions ont été diffusées en leur faveur dans une tentative d’élucider etde justifier leur échec relatif à la Sunna de 'Umar. Leur justificationessentielle fut que l’époque et les sujets de 'Umar avaient été bien supé-rieurs à leur époque. En conséquence, la Sunna de 'Umar qui corres-pondait aux besoins de la communauté à l’âge d’or ne suffisait pluspour faire régner l’ordre et l’obéissance parmi les peuples qu’ils gou-vernaient. Donc la tyrannie était devenue une nécessité inévitable etnon pas une déviation de l’ancienne Sunna.

5.1 Controverse entre 'Abd al-Malik et Ôa'laba

Un tel argument fait partie d’une tradition qui décrit une contro-verse entre le calife 'Abd al-Malik et Ôa'laba b. Abì Malik al-QuraΩìà propos de l’héritage de 'Umar. Les deux hommes faisaient ensemblele pèlerinage à la Mecque, se rendant d’un lieu à l’autre selon les rites.A un certain moment, le calife remarqua que son compagnon ne fai-sait pas les prières aux mêmes lieux et en même temps que lui. 'Abdal-Malik prétendit que les lieux et le moment des prières étaient confor-mes à l’héritage aux prescriptions du calife 'U∆màn et il accusa Ôa'labade garder rancune à 'U∆màn. Ôa'laba l’assura que ce n’était pas le caset qu’il était resté fidèle à la seule Sunna de 'Umar. Le calife ripostaque 'U∆màn connaissait mieux que lui la Sunna de 'Umar et que si'Umar avait fait ce que Ôa'laba prétendait, 'U∆màn l’aurait fait luiaussi.

Jusqu’à ce point de notre histoire, les deux hommes n’étaient pasd’accord sur une ordonnance relative à une fonction religieuse spécifique.Tous deux prétendaient être fidèle à la Sunna de 'Umar : tandis que

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'umar b. al-¢a††àb 29

90 Ibn Sa'd, ˇabaqàt, V, 232-233.

Ôa'laba lui était fidèle directement, 'Abd al-Malik prétendait qu’il luirestait fidèle en exécutant les ordonnances de 'U∆màn.

Au-delà de ce point de controverse entre les deux hommes, 'Abd al-Malik dévia vers un mode de raisonnement différent, qui privilégiel’application de la Sunna de 'Umar par les Umayyades. Il estima que'U∆màn, un membre de la famille umayyade, n’avait jamais dévié dela Sunna de 'Umar, sauf sur un seul point : alors que 'Umar était sévèreet ferme envers ses sujets, 'U∆màn était clément et indulgent envers lessiens. Si 'U∆màn avait traité ses sujets de la même manière que 'Umarl’avait fait, il n’aurait pas été assassiné. 'Abd al-Malik continua sonexplication en disant que le peuple qu’il gouvernait était différent dupeuple que 'Umar gouverna. Il prétendit que s’il avait gouverné sessujets de la même manière que 'Umar avait gouverné les siens, il n’yaurait pas eu de sécurité dans l’empire et les gens se seraient battuspartout. Il conclut en déclarant que chaque monarque doit gouvernerconformément à ses intérêts90.

Cette controverse entre 'Abd al-Malik et Ôa'laba commença par undésaccord de peu d’importance relatif à un rite religieux et se terminapar un exposé général de science politique, ou par une leçon de real-politik. Le thème de la fidélité à la Sunna de 'Umar, ou plus précisé-ment le manque de fidélité à cette Sunna, n’est qu’un moyen pour lecalife d’exposer ses arguments politiques. L’apologie est tout à fait remar-quable dans ses propos. Elle fait allusion aux accusations sévères quifurent dirigées contre les Umayyades pour leur cruauté et leur méchan-ceté, qui ont été interprétées par leurs adversaires comme une dévia-tion de la Sunna de 'Umar. Ce que le calife Umayyade proposait enfait était de réformer ou de corriger la Sunna de 'Umar afin qu’elles’adapte aux circonstances de son époque. Cette réforme devait avoirpour conséquence une politique plus ferme et plus sévère envers lessujets, bien plus qu’il n’était nécessaire du temps de 'Umar. Selon 'Abdal-Malik, cette Sunna était caduque : dans les circonstances actuelles,lorsque le peuple était plus rebelle que jamais, il n’était plus possiblede gouverner et de formuler des lois conformément à cette Sunna.

5.2 Les relations entre Mu'àwiya et son fils Yazìd

Cette apologie des Umayyades, malgré leur échec à se conformer à la Sunna de 'Umar dans le cadre des circonstances politiques qui

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91 Ibn Abì l-Duynà, A“ràf, 127 (48).92 Voir 'Asqalànì, Ißàba, V, 203.93 Ibn Abì 'Àßim, À˙àd, 375-376 (502).

prévalaient dans leur royaume, est reprise dans plusieurs traditions por-tant sur les relations entre Mu'àwiya et son fils Yazìd. Dans l’une d’elles,Le père demanda à son fils comment il allait gouverner lorsqu’il devien-drait calife. Au début Yazìd refusa de répondre sous prétexte que sonrègne était encore lointain et qu’il souhaitait que son père restât long-temps en vie. Mais quand Mu'àwiya insista, Yazìd répondit qu’il gou-vernerait conformément aux ordonnances de 'Umar ('amal 'Umar).Mu'àwiya répliqua qu’il avait fait de son mieux pour gouverner selonla sìra de 'U∆màn et qu’il avait lamentablement et il se demanda com-ment son fils allait gouverner selon la sìra de 'Umar91.

La sìra, le comportement de 'U∆màn envers ses sujets, est décritecomme étant beaucoup plus clémente que celle de 'Umar. Mu'àwiyavoulait dire que puisque lui-même, avec toute son expérience, n’avaitpas pu gouverner avec clémence comme 'U∆màn, comment son filspourrait-il, lui qui avait beaucoup moins d’expérience, être capable degouverner selon les normes de 'Umar, qui étaient supposées être beau-coup plus sévères.

'Abd Allàh b. 'Awf, un fonctionnaire des Umayyades92, raconta unépisode semblable. Mu'àwiya entendit son fils dire que lorsqu’il seraitnommé calife, il ferait oublier la sìra de 'Umar au peuple. Il voulaitdire par là que sa conduite serait tellement irréprochable que les sujetsallaient totalement oublier 'Umar pour ne louer que son règne. Mu'àwiyacommenta la remarque de son fils en lui répondant que lui-même avaitessayé d’appliquer les ordonnances de 'Umar pendant deux ans seule-ment, après quoi il y avait renoncé. Ibn 'Awf se souvint que ses sujetsavaient prêté serment d’obéissance à Mu'àwiya à condition qu’il lesgouvernât selon la sìra de 'Umar93.

5.3 Les relations entre 'Umar II et Sàlim b. 'Abd Allàh

'Umar II est le seul calife que la tradition considère comme ayantété fidèle à l’idéal de son aïeul. Et pourtant il semble que cette dévo-tion n’a pas été une tâche facile à cause de la dégradation morale quise propagea dans l’empire. Une tradition rapporte que le calife 'UmarII convoqua son proche parent, le fameux savant Sàlim b. 'Abd Allàh(m. 105/723) le petit fils de 'Umar b. al-›a††àb, et lui demanda de

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94 Ibn Abì ”ayba, Mußannaf, VI, 199 (30636).95 Balà≈urì, Ansàb, IX, 119-131. Voir aussi Madelung, Succession, p. 71.96 A˙mad, Musnad, I, 68.

rédiger la Sunna de 'Umar. Sàlim lui répondit qu’il n’en avait pas besoinet qu’il pourrait surpasser 'Umar son aïeul, si seulement il était capa-ble d’appliquer ses ordonnances, parce que l’époque actuelle différaittellement de l’époque de 'Umar et que le peuple qu’il gouvernait étaittellement différent du peuple gouverné par 'Umar94.

5.4 Les relations entre 'U∆màn b. 'Affàn et 'Abd al-Ra˙màn b. 'Awf

D’après certaines traditions, l’apologie des Umayyades commençadéjà sous le règne de 'U∆màn, le successeur de 'Umar, le premiermonarque de la famille umayyade. C’est lui qui était supposé appli-quer les ordonnances et les commandements que son prédécesseur luiavait laissés. Mais le monarque échoua à la tâche.

La tradition qui décrit cette apologie rapporte qu’après avoir suc-cédé à 'Umar par le processus de la ”ùrà, 'Abd al-Ra˙màn b. 'Awf,qui soutint la candidature de 'U∆màn95, lui tourna le dos ensuite. Al-Walìd b. 'Uqba, le demi-frère de 'U∆màn, rencontra 'Abd al-Ra˙mànet lui demanda les raisons de cette mésentente. 'Abd al-Ra˙màn luidemanda alors de faire parvenir un message au calife stipulant quecontrairement à 'U∆màn, lui, 'Abd al-Ra˙màn : 1. n’avait pas fui labataille de U˙ud ; 2. n’avait pas été absent lors de la bataille de Badr ;3. n’avait pas abandonné la Sunna de 'Umar.

Confronté à ces accusations sévères, 'U∆màn n’eut que des excuses.Il répondit que : 1. même s’il avait fui lors de la défaite de U˙ud, iln’était pas le seul à l’avoir fait ; Dieu Tout Puissant lui avait pardonnélorsqu’Il révéla le verset 155 de la sourate 3 qui précise : « Ceux d’en-tre vous qui ont tourné le dos, le jour où les deux armées se rencon-trèrent, c’est seulement le Diable qui les a fait broncher, à cause d’unepartie de leurs (mauvaises) actions. Mais, certes, Allàh leur a pardonné.Car vraiment Allàh est Pardonneur et Indulgent ! » Et si Dieu leur avaitpardonné, le péché était donc effacé. 2. quant à son absence à Badr,il prétexta qu’il était resté à Médine pour soigner sa femme Ruqayya,la fille du Prophète, qui était sur son lit de mort. Et puisque Mu˙ammadlui donna une part du butin de Badr, il pouvait être considéré commeayant prit une part active à la bataille. 3. quant à la Sunna de 'Umar,'U∆màn s’écria : « Par Dieu ! Je ne suis pas capable de la maintenir (làu†ìquhà) et lui non plus !96 »

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97 Abù Ya'là-Hay∆amì, Zawà"id, IV, 384 (1775).98 Ibn ”abba, Ta"rì¢, III, 1031-1032 ; Bazzàr, Musnad, II, 51-52 (395) ; Ya'qùbì, Ta"rì¢,

II, 169.99 Kohlberg, « Umayyad History ».

Dans une version similaire, 'Abd al-Ra˙màn accuse 'U∆màn face àface directement, sans l’intermédiaire du demi-frère du calife, et luireproche, entre autres, d’avoir abandonné la Sunna de 'Umar et 'U∆mànlui fit la même réponse97.

Ce que les Umayyades comprenaient par l’intermédiaire de 'U∆màn,leur porte-parole, c’est que la Sunna de 'Umar était impossible à appli-quer et qu’ils ne pouvaient pas gouverner conformément à ses normes.Bien que les favoris des Umayyades aient tenté de les glorifier en pré-textant qu’ils avaient observé la Sunna de 'Umar, pour améliorer leurimage, leurs adversaires les attaquèrent en raison de leur incompétenceet de leur incapacité à gouverner selon cet idéal. Dans les deux cas,la Sunna de 'Umar représentait l’âge d’or d’un gouvernement qui n’exis-tait plus.

Toutefois, une autre version, qui relate la confrontation entre deuxcompagnons importants de Mu˙ammad, se limita aux deux premièresaccusations de 'Abd al-Ra˙màn, en omettant de mentionner l’accusa-tion de l’abandon de la Sunna de 'Umar par son successeur98. Il estprobable que cette version « censurée » a été diffusée pour protégerl’image de 'U∆màn, ce qui convenait bien aux Umayyades. Ces savantsadmettaient en fait la désertion de 'U∆màn lors de la défaite de U˙ud,que Dieu lui pardonna, et son absence à la bataille de Badr, à la suitede laquelle le Prophète lui donna une part du butin comme si il yavait participé. Dans ces deux épisodes, l’on ne pouvait donc rien repro-cher à 'U∆màn. Néanmoins, l’accusation de l’abandon de la Sunna de'Umar ne pouvait pas être expliquée ni excusée. En fait, cette accusa-tion fut tout simplement censurée.

6. L’attitude chiite : l’épître de Mu'àwiya

L’attitude des chiites envers les Umayyades a été exposée en détaildans la recherche moderne99. En ce qui concerne la Sunna de 'Umar,les Chiites sont d’avis que les Umayyades avaient appliqué à la lettreles ordonnances de cette Sunna. Mais ici, la Sunna de 'Umar est repré-sentée comme s’opposant totalement aux commandements du Coranet aux préceptes du Prophète. Cette Sunna est donc une malédiction et

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non pas une bénédiction. En la pratiquant, les Umayyade et 'Umarlui-même sont démasqués comme des hérétiques qui ont dévié du véri-table islam.

Cette notion est illustrée parfaitement dans une épître que Mu'àwiyaaurait envoyée en grand secret à son demi-frère Ziyàd. Cette épître estconservée dans l’une des plus anciennes sources chiites, Kitàb al-Saqìfa

attribué à Sulaym b. Qays al-Hilàlì (m. 90/708). Sulaym, un compa-gnon de 'Alì, raconte qu’un de ses amis, un fonctionnaire pro-chiiteemployé par Ziyàd, lui fit copier une épître que Mu'àwiya, le calife deDamas, envoya à son demi-frère, le gouverneur de l’Iraq. L’épître conte-nait principalement les conseils du calife concernant des questions tri-bales et ethniques en Iraq. Au début, Mu'àwiya expliquait à son frèreles positions politiques complexes des différentes tribus arabes demeu-rant en Iraq. Selon Mu'àwiya, Ziyàd aurait mieux fait d’adopter lapolitique de « diviser pour régner ».

Ensuite, le calife continue à donner des conseils concernant des popu-lations non arabes, les Mawàlì, principalement ceux d’origine persane.Et c’est dans ce cas, semble-t-il, que Ziyad a le plus besoin de la Sunnade 'Umar. D’après Mu'àwiya, 'Umar avait maintes fois formulé deslois qui s’opposaient à celles du Prophète et nuisaient aux intérêts duclan hà“imite, auquel le Prophète et 'Alì appartenaient. Ces lois favo-risaient en fait les autres clans de Quray“, en particulier les Umayyades.Ce qui avait le plus étonné Mu'àwiya, c’était le fait que la majoritédes musulmans se soumettaient toujours aux édits de 'Umar, mêmequand ces édits contestaient les ordonnances de Mu˙ammad.

Mu'àwiya conseilla à son frère de mettre en pratique la politique de'Umar envers les Mawàlì. 'Umar avait ordonné d’humilier ces gens partous les moyens, de ne jamais les traiter comme les égaux des musul-mans, même pas pendant la prière, de ne jamais leur faire confianceet de ne jamais les nommer à un poste dans l’administration. Mu'àwiyarappela un incident qui se déroula lors du règne de 'Umar. Il sembleque le calife avait envoyé en grand secret à Abù Mùsà l-A“'arì, le gou-verneur de l’Irak de cette époque, une corde de cinq empans de lon-gueur. Il ordonna à son gouverneur de mesurer tous les sujets nonarabes de l’Irak et d’exécuter quiconque dépassait cette taille. Ziyàd,qui à cette époque était fonctionnaire dans l’administration de l’Irak,fut mis au courant des intentions du calife et il se précipita à Médinepour avertir 'Umar des conséquences désastreuses qui pourraient résul-ter de ses ordres. Ziyàd déclara à 'Umar que les Mawàlì étaient ouver-tement pro-alides, et si les ordres de 'Umar les concernant devenaient

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100 Sulaym, Kitàb, p. 174-179.

publics, ils se révolteraient pour le détrôner et le remplacer par 'Alì.'Umar fut convaincu par la justesse de ce raisonnement et il annulases ordres. Mu'àwiya déplora l’intervention de Ziyàd en prétendant quesi la politique de 'Umar eût été mise en pratique à cette époque, lesMawàlì n’auraient plus constitué une menace pour l’autorité umayyadede son époque.

Lorsqu’il lut cette épître, Ziyàd fut pris de remords pour avoir sou-tenu les revendications umayyades au pouvoir. Il se débarrassa de l’épî-tre, mais pas avant que son employé ne l’eût donnée à Sulaym pourqu’il la copie100.

Pour les chiites, cet épisode reflète les sentiments véritables de 'Umaret des Umayyades envers les pro-alides. La Sunna de 'Umar n’auraitpas pu être décrite d’une manière plus négative. Remarquons que cettehistoire démontre le rôle des Mawàlì comme partisans de 'Alì dès l’épo-que de 'Umar, mettant ainsi en évidence le concept qu’une faction pro-alide motivée politiquement existait en Irak, même en ces temps lointainsde l’histoire de l’islam.

ABRÉVIATIONS ET BIBLIOGRAPHIE

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