Teutatès - ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex. Le dieu celte de la...

25
TEUTATÈS - IVRESSE ET COMMUNAUTÉ. LES MÉTAMORPHOSES DU PUER SENEX Gérard Poitrenaud Cet article est issu d’un chapitre du livre Cycle et Métamorphoses du dieu cerf (Toulouse : Lucterios, 2014, pages 145-161) Le nom de Teutatès (ou Toutatis) signifie « celui de la tribu », « père de la tribu » ou « dieu de la tribu » 1 . Il est dérivé de *teuta ou *touta , « tribu », qui est un composant de noms propres les plus fréquents en Gaule, et de -atis , un suffixe de dérivation anthroponymique, ethnique et géographique largement attesté. On a supposé autrefois que -tès correspondait à un *thes primitif identifié dans certains dialectes grecs au lieu de *thé- (« dieu ») 2 . Mais on peut tout aussi bien, il me semble, envisager un composé avec une forme apparentée au gaulois -ater (« père »). La racine teuta est attestée en étrusque ( Touta ) au II e s. A.C., sur des stèles bilingues latin-gaulois ou lépontiques notamment à Todi au I er s. A.C., en ombrien, sur des monnaies padanes du I er s. A.C., en osque, mais aussi en gothique 3 ; ce qui laisse penser que les Celtes ont partagé avec de nombreux 1 Pons 2008, 219. Guyonvarc’h, Christian-J. : Teutatès. Encyclopaedia universalis [en ligne]. 2 Guyonvarc’h, Christian-J. : Teutatès. Encyclopaedia universalis [en ligne]. 3 Brunaux 1986, 72. Remarque de M. Peyre à propos de Boucher 1983, 70. Chaudron de Gundestrup : la plaque des guerriers et du « sacrifice »

Transcript of Teutatès - ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex. Le dieu celte de la...

TEUTATÈS - IVRESSE E T COMMUNAUTÉ.

L E S MÉTAMORPHOSES D U PUER SENEX

Gérard Poitrenaud

Cet article est issu d’un chapitre du livre Cycle et Métamorphoses du dieu cerf

(Toulouse : Lucterios, 2014, pages 145-161)

 

Le nom de Teutatès (ou Toutatis) signifie « celui de la tribu », « père de la tribu » ou « dieu de la tribu »1. Il est dérivé de *teuta ou *touta, « tribu », qui est un composant de noms propres les plus fréquents en Gaule, et de -atis, un suffixe de dérivation anthroponymique, ethnique et géographique largement attesté. On a supposé autrefois que -tès correspondait à un *thes primitif identifié dans certains dialectes grecs au lieu de *thé- (« dieu »)2. Mais on peut tout aussi bien, il me semble, envisager un composé avec une forme apparentée au gaulois -ater (« père »). La racine teuta est attestée en étrusque (Touta) au IIe s. A.C., sur des stèles bilingues latin-gaulois ou lépontiques notamment à Todi au Ier s. A.C., en ombrien, sur des monnaies padanes du Ier s. A.C., en osque, mais aussi en gothique3 ; ce qui laisse penser que les Celtes ont partagé avec de nombreux

1 Pons 2008, 219. Guyonvarc’h, Christian-J. : Teutatès. Encyclopaedia universalis [en ligne]. 2 Guyonvarc’h, Christian-J. : Teutatès. Encyclopaedia universalis [en ligne]. 3 Brunaux 1986, 72. Remarque de M. Peyre à propos de Boucher 1983, 70.

Chaudron de Gundestrup : la plaque des guerriers et du « sacrifice »

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

2

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

peuples européens le nom et l’idée du « dieu tribal » que Brunaux considère comme le dieu public par excellence, adoré dans les plus grandes fêtes et consacrant l’union des tribus en un peuple comme la naissance des cités dont il devient le protecteur ; d’où aussi ses attributions guerrières. La découverte en 2007 d’une bague en argent à Hockliffe dans le Bedfordshire, qui porte l’inscription DEO TOTA prouve que ce nom est un théonyme qui renvoie à une divinité particulière et non une appellation fonctionnelle pouvant qualifier n’importe quel petit dieu local comme l’avait avancé Vendryes1. Cette découverte corrobore le témoignage de Lucain qu’on examinera plus loin. L’abréviation TOT, une fois dans DLO TOT (avec graphie erronée L à la place du E), se trouve sur une soixantaine d’autres bagues découvertes surtout au Lincolnshire et datées du IIe ou du IIIe siècle2. Le nom est ailleurs rarement attesté, ce qui suggère qu’on a préféré invoquer le dieu autrement. La découverte en 2007 de la forme TOTATUS sur une inscription du sanctuaire de Beauclair, à Voingt (Puy-de-Dôme)3 montre que la Gaule ne se distingue pas des îles britanniques.

Les héros d’Ulster en Irlande, remarque Pierre-Yves Lambert après Marie-Louise Sjoestedt, jurent « par le dieu de leur tribu ». Le serment invoque un dieu sans nom : « Je jure par le dieu que jure mon peuple »4. Celui à qui, d’après Strabon, les Celtibères offraient un sacrifice (Géographie III, 4, 16)

5 ? Répondre par l’affirmative signifie faire

remonter cette conception au début de La Tène. Le fait de ne pas nommer le dieu, ajoute Lambert — qui reprend l’hypothèse bien connue de Joseph Vendryes — était dû à un tabou : il fallait empêcher l’ennemi de connaître ce nom et de pouvoir ainsi l’invoquer pour remporter la victoire. Malgré la découverte de l’inscription Totatus, on peut penser que ce tabou s’est étendu aussi au terme de substitution, d’où sa rareté relative.

Les Gaulois semblent avoir utilisé un nom romain d’autant plus facilement que les compétences de Teutatès recoupaient celles de Mercure, d’Apollon et de Mars, et qu’on pouvait le désigner ainsi de manière encore plus allusive. Le nom « interdit » apparaît pourtant sur des inscriptions votives liées à ces trois dieux qu’on a déjà aperçus dans l’entourage de Cernunnos. Une inscription de Wiesbaden mentionne un Apollon Toutiorix (CIL XIII, 7564)

6. Stéphanie Boucher oppose sans rien à l’appui le Teutatès-Mars au Mars jeune qui a des traits pacifiques, et le rapproche du Mars Militaris des Romains par son côté sanglant7. De Vries pense qu’il est à la fois Mercure et Mars parce qu’il ressemble au Wotan germanique8, mais refuse de l’assimiler au « vrai » dieu de la guerre des Celtes9. Encore faudrait-il prouver l’existence d’un dieu celte ayant exclusivement la guerre pour attribution.

1 Cf. Brunaux 2000, 73. 2 Raydon 2013, 35-36. 3 Le Monde du 16 décembre 2007, article de Manuel Armand : « Première découverte en France de vestiges gaulois portant le nom du dieu Toutatis » ; Wikipedia « Teutatès ». 4 TBC II, 112 ; Hily 2011, 70. 5 Hily 2011, 70. 6 De Vries 1963, 58. 7 Boucher 1983, 66. 8 De Vries 1963, 58. 9 De Vries 1963, 56.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

3

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Dans une Scholie de Berne expliquant les deux vers de la Pharsale (I, 445-446) qui mentionnent les trois « terribles » divinités celtiques, Teutatès, Ésus et Taranis, Teutatès est assimilé à Mercure, et il est dit de lui qu’on l’honore en noyant un homme dans un demi-tonneau rempli (Mercurius lingua Gallorum Teutates dicitur qui humano apud illlo sanguine colebatur. Teutates Mercurius sic apud Gallos placatur : in plenum semicupium homo in caput demittitur ut ibi suffocetur1). Mais il est dit aussi qu’on honore Teutatès Mars par un « sang horrible », en conduisant les combats sous son inspiration et en lui sacrifiant quelques hommes auparavant2. Et la phrase suivante indique que Mercure (-Ésus) ne s’occupe pas seulement du commerce, mais inspire les combats (Hesum Mercurium credunt, si quidem a mercatoribus colitur, et praesidem bellorum), ce qui est évidemment l’attribution classique de Mars. Ce « flottement » entre Mars et Mercure pour désigner Ésus et Teutatès conduit soit à dénier toute compétence aux scholiastes, soit à penser qu’un ancien dieu réunissait leurs attributions. De Vries a nié tout flottement en avançant que César a bien distingué Mars et Mercure. 3 Mais l’argument est faible, car le Proconsul et chef de guerre ne se prive pas de recopier ici ou là des passages de Posidonios datant de plus d’un siècle4. Il projette sa grille de compréhension sur un objet qui ne lui chaut tout en cherchant à persuader ses lecteurs que les dieux gaulois sont des dieux « normaux » dont les Romains peuvent obtenir les faveurs et qu’il n’y a pas lieu de les craindre spécialement. Cela revient à dire que les Gaulois sont assimilables, et que la politique de César n’est ni folle ni impie5. Le témoignage des scholiastes est donc selon nous au moins aussi fiable que celui de l’illustre homme politique. Leurs prétendues contradictions peuvent être considérées comme différents éclairages.

Le Mercure invoqué en Gaule se distingue clairement du Mercure des Romains : il est chtonien, psychopompe (évidemment), plus proche de l’Hermès grec et de l’Odin germanique 6 . Peut-on pour autant d’assimiler Teutatès et Ésus, comme l’a fait Lambrechts 7 ? Cela priverait le passage de Lucain de sa belle symétrie ; une forme particulière de sacrifice (horrible) étant dédiée à chacun des trois dieux Teutatès, Ésus et Taranis. Peut-on concevoir que ces trois noms se rapportent à un seul dieu ? On tetenra de répondre à cette question dans un autre chapitre. Quoi qu’il en soit, l’identification de Teutatès avec Mercure est confirmée sur la plaque de Gundestrup qui reproduit un sacrifice assez proche de celui de la Scholie : un grand personnage à longs cheveux plonge un homme tête la première dans une cuve, tandis que s’éloigne une troupe de cavaliers conduite par le serpent à tête de bélier. Lambrechts identifie celui-ci au Mercure celte8. Le serpent et le bélier sont en tout cas deux attributs de Mercure, et il est logique que le sacrifice lui soit adressé. Certains auteurs ont vu dans ce sacrifice une épreuve après laquelle les guerriers sont conduits dans l’autre monde. De Vries exclut une résurrection des morts en avançant que ce n’est pas parce que le cheval est souvent une créature du

1 M. Annaei Lucani Commenta Bernensia edidit Hermannus Usener, Lipsiae in aedibus B. G. Teubneri, 1869, 32 ; Lambrechts 1942, 18. 2 Deyts 1992, 137. 3 De Vries 1963, 54. 4 Cf. Brunaux 1986, 69. 5 Maier 2004, 86. 6 Benoit 1969, 54. 7 Lambrechts 1942, 53. 8 Lambrechts 1942, 151.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

4

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

royaume des morts, ou que les morts élevés au rang de demi-dieux peuvent être représentés à cheval, que tout cavalier figure un défunt. Il s’agit plutôt, selon lui, d’un rituel d’initiation, à l’occasion duquel les jeunes gens étaient faits « chevaliers ». Mais le sacrifice d’un individu n’est pas incompatible avec l’initiation du plus grand nombre.

Tout en contestant l’implication de Teutatès1, de Vries rapproche la scène de l’épisode de la noyade de Fjölnir (« le Multiplicateur » en vieux norvégien) assimilé à Odin dans un tonneau d’hydromel2. Or Odin est, comme on l’a dit, assimilable à Mercure. L’auteur évoque à ce propos le sacrifice rituel des prisonniers de guerre par les Cimbres, décrit par Strabon. La sacrificatrice est une femme aux cheveux sans doute teintés en gris et au vêtement blanc, serré par une ceinture d’airain. Elle recevait les prisonniers de guerre avec le glaive à la main et les couronnait de fleurs. Puis, juchée sur un escabeau appuyé sur un grand bassin de bronze, elle les égorgeait en tirant des présages de la façon dont le sang coulait (Strabon, Géographie, VII, 2)

3. Le couteau manque sur l’image de Gundestrup, et un sacrifice sanglant sans couteau est invraisemblable. Mais le sang et l’hydromel ont en commun de symboliser la vie, le premier celle des hommes et le second la vie immortelle des dieux. L’immersion dans le tonneau figuré sur le chaudron dans le contexte du départ des guerriers ne peut qu’être rapprochée de l’usage de mettre à mort le dernier arrivé sur les lieux d’un rassemblement militaire (César, Guerre des Gaules, V, 56, 2).

Le rapport de Teutatès avec le sacrifice apparaît mieux dans un passage de Tacite sur le sanctuaire des Sénons : c’était une forêt, dit-il, où, à des époques marquées, tous les peuples du même sang se réunissaient par députations et ouvraient les cérémonies de leur culte en immolant un homme. On croyait, ajoute-t-il, que ce lieu était le berceau de la nation et que c’était là que résidait la divinité souveraine (Germania, XXXIX)

4. Il semble donc que chaque nation celte ou chaque fédération ait eu un sanctuaire où le dieu « père » de cette nation était vénéré. L’image du sang n’est pas fortuite : la paternité était pensée comme l’appartenance à un même sang, et on peut supposer que le sang de la victime servait à renforcer ou à renouveler celui de la communauté. Tacite rapporte aussi que personne n’entrait dans le bois sacré sans être attaché par un lien, symbole de sa dépendance et hommage public à la puissance du dieu. S’il arrivait à quelqu’un de tomber, il ne lui était pas permis de se relever. Cette chute n’était-elle pas voulue par le dieu ? L’homme devait donc en sortir en se roulant par terre (de origine et situ Germaniae, XXXIX)

5. On peut formuler l’hypothèse que ce bois était aussi le lieu ou le dieu exprimait sa volonté par des oracles, et que celui-ci reliait tous les membres d’un peuple, et plus généralement toutes les créatures et toutes les choses afin d’assurer la cohésion du monde.

Le fameux récit d’Hérodote sur la guerre entre Cyrus et les Massagètes permet de mieux éclairer la coutume des Cimbres qu’on vient d’esquisser. Après la bataille où périt le roi des Perses, la reine Tomyris remplit une outre de sang humain et y fit plonger la tête du roi mort en disant qu’elle le rassasiait de sang comme elle l’avait menacé (I, 201-214).

1 Ogam, VII, 1955, 27-32 ; De Vries 1963, 55. 2 De Vries 1963, 56. 3 De Vries 1963, 55. 4 Brosse 1993, 22. 5 Brosse 1993, 222.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

5

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Le sacrifice a lieu dans les deux cas après la bataille, avec le sang des prisonniers (implicitement chez Hérodote). Tandis qu’il s’agit chez les Cimbres de prophétiser, la reine des Massagètes réalise sa prophétie. Hérodote précise que la reine venge la mort de son fils. Mais cette motivation pourrait bien rationaliser un rituel trop « sauvage » et incompréhensible pour un Grec de l’époque classique. Imaginons que les guerriers buvaient le sang des prisonniers vaincus dans une cuve où baignait la tête de leur chef, afin peut-être de capter sa force. Imaginons aussi que les participants tombaient en transe. Cette hypothèse peut être rapprochée du fait que les Massagètes avaient été auparavant surpris par les Perses alors qu’ils fêtaient leur victoire, apparemment dans l’ivresse. On peut soupçonner aussi que les informateurs d’Hérodote ont évhémérisé l’opposition mythique du roi mort (ennemi) et du fils (aimé). Le rituel archaïque du sang n’est pas attesté chez les Celtes de La Tène. Mais les beuveries ritualisées qui ont laissé des quantités impressionnantes d’amphores à vin ont pu avoir la même signification profonde. Dans tous ces exemples, y compris sur le chaudron de Gundestrup, découvert comme on l’a dit dans une région où étaient établis les Cimbres, le sacrifice est mis en œuvre par une prêtresse ou une déesse, ce qui éloigne provisoirement de Toutatis, même si le rapport avec la guerre est confirmé. Mais l’officiante de la plaque de Gundestrup n’a ni poitrine ni bijoux et son habit ressemble fort à celui des soldats. Finalement, seuls les cheveux longs et l’absence de barbe font penser au genre féminin. Le soldat plongé dans la cuve sur la plaque de Gundestrup devient un avec le dieu de l’ivresse et de la fureur guerrière, qui doit dépasser toutes les limites — à commencer par celle des genres. Le sacrificateur qui se trouve tout à gauche de la troupe, donc du côté néfaste, correspond au serpent à tête de bélier qui se trouve tout à droite ; du côté faste, emmenant derrière lui les cavaliers. C’est au sens d’une initiation qu’il faut comprendre les positions respectives des fantassins et des cavaliers « imbus » du dieu : ils portent chacun sur leur casque un symbole divin incarné par un animal et n’ont pas besoin de serre-file pour les pousser.

La fureur guerrière incarnée par Teutatès est bien rendue par les enseignes figurant un sanglier qui ont partout accompagné les armées celtes. A lui, l’animal solitaire, de représenter la multitude unie dans le combat. C’est assurément ce dieu qu’un vase sigillé signé Germanus, daté entre 60 et 65 A.C. représente sous la forme d’un sanglier qui combat un lion. Il est donc patent que Teutatès a pu être assimilé à Mars comme dieu de la guerre et protecteur des guerriers de la tribu. En Angleterre, on lit marti toutati sur une feuille d’argent doré qui provient de Rockywood au nord de Londres, Totatis (York) et Tutatiis (Old Carlisle). On lit marti latobio harmogio toutati sur une inscription de Seckau en Styrie (Autriche) et à Rome, le nom d’un soldat gaulois Totati-hen[u]s, « fils de Totati »1. Un bas-relief de Marienthal près de Haguenau (CIL XII, 6017) représente un jeune guerrier nu à part le manteau agrafé sur l’épaule droite et rabattu en arrière. Il porte un casque à couvre-joues, tient une lance de la main gauche et pose la main droite sur la tête d’un

1 D’Arbois de Jubainville 1904, 56.

petit bronze au sanglier découvert sur le site de Bibracte (musée du Mont Beuvray)

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

6

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

taureau. La dédicace D[eo] MEDRU (au nominatif *Medros de *Medrus comme *Meduris)1 peut être reliée à Teutatès par l’intermédiaire d’une autre inscription dédiée à Toutati medurini, découverte dans la caserne des equites singulares à Rome (CIL VI, 3182). Cette inscription bien connue donne le nom du dieu suivi du qualificatif dérivé de la racine medu (« hydromel, ivresse ») et, je présume, de renos (« flot, qui coule »)2. Delamarre nomme les anthroponymes Medu-rix, Medu-genos ou Epo-Meduos. Sterckx et de nombreux auteurs pensent que le théonyme irlandais Midir, qui désigne le dieu borgne de l’autre monde pouvant être rapproché d’Odin, est aussi emprunté au nom gaulois Meduris3. Les Celtes, écrit Platon, sont un des peuples qui font beaucoup de cas de la puissance de boire (République, VII, 2). Selon notre hypothèse, le dieu de la tribu est lié à l’ivresse « rassembleuse » : pendant les assemblées, ses membres s’enivrent dans un rite égalitaire qui fait disparaître les différences de rang dans l’exaltation de la fureur guerrière et dans l’union de tous avec le divin comme, bien sûr, avec le chef qui le représente et l’incarne sur la terre4. Il est donc un dieu fort important ; ce qui ne veut pas dire, comme le suppose Sterckx, que Toutatis est un des noms du Jupiter gaulois et que les textes qui l’identifient à Mars ou à Mercure ne font que montrer les divers aspects de sa puissance5.

Mais l’ivresse est considérée aussi comme la compagne du dieu — et du roi qui le représente, comme l’atteste le nom d’une déesse Meduna (« hydromel » ou « ivresse »)6. La « déesse » qui préside aux sacrifices qu’on a vue plus haut est l’ivresse personnifiée qui dans le contexte guerrier rassemblait, donnait la force et promettait la victoire. Un Mars Meduris est aussi connu en Grande-Bretagne. Stéphane Verger mentionne un texte irlandais compilé vers le XIe siècle, le Baile in Scáil, dans lequel le roi Conn a la vision d’une jeune femme assise sur un trône en cristal et coiffée d’une couronne en or. En face d’elle se trouve une cuve en argent à angles d’or, à côté d’elle un vase en or et devant elle une coupe en or. Celle qui incarne la Souveraineté de l’Irlande donne au roi un quartier de bœuf et un quartier de porc, et lui tend la coupe pleine de bière, dergflaith, mot composé qui laisse penser à un jeu de mots entre flaith, la souveraineté, et laith, la bière7. L’association de l’ivresse et du pouvoir royal se retrouve dans le nom de la déesse Mebd, qui personnifie la terre royale, toujours fertile et confère au roi l’ivresse en même temps que la pérennité du pouvoir8.

Les attributs du dieu tribal se confondent logiquement avec ceux de la dignité royale celtique, comme le laissent penser les innombrables tombes princières, à Vix, à Hochdorf et dernièrement à Lavau près de Troyes, dotées d’une énorme cuve de vin ou d’hydromel. Gageons qu’elle n’est pas seulement un ornement de prestige ni même une simple réserve pour l’au-delà, mais un facteur de vie éternelle dans la communion avec le divin9. On en

1 Raydon 2013, 36. 2 Delamarre, 2001, 217. 3 Delamarre, 2001, 188. De Vries 1963, 57. Sterckx 1986, 77-78. 4 Verger 2013, 501. 5 Sterckx, 1986, 78. 6 Delamarre 2001, 188. 7 Dillon 1946, 13 ; Mac Cana 1958-1959, 63. ; Verger, 2013, 502. Le même double sens se trouve dans le nom de la princesse irlandaise Gorm-fhlaith (Lambert et Pinault 2007, 1522 ; Verger, 2013, 502). 8 Pinault 2007, 293-294 ; Verger, 2013, 502. 9 Sur de nombreuses monnaies celtiques, un petit chaudron prend parfois en bas, entre les pattes du cheval céleste (qui peut être androcéphale) la place occupée autrement par cet emblème majeur de la sacralité celtique qu’est le triskèle. Les poignards somptueusement ornés et chargés d’or comme celui de la tombe de Hochdorf renforcent

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

7

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

trouve aussi la trace sur un bas-relief du IIIe siècle provenant du sanctuaire du Donon qui figure un dieu nu avec un manteau sur l’épaule. Ses boucles de cheveux forment un diadème qui entoure son front. Il tient une épée horizontalement dans sa main droite à l’index curieusement tendu. La main gauche est remplacée par un « sachet » avec un « N » gravé dessus, ce qui conduit Jean-Jacques Hatt et d’autres auteurs à le rapprocher de Nuadu Argatlám « à la main d’argent », le dieu irlandais de la guerre, est-il dit, dont la main fut coupée dans une bataille. Quoi qu’il en soit, la bourse, dont on a vu avec Zavaroni qu’elle symbolise la force de régénération tant de Mercure que de Cernunnos, correspond au faîte de la tête du taureau du relief de Marienthal. Sur un bas-relief découvert à Arlon, un dieu guerrier vêtu comme les précédents tient une épée de la main droite et de la gauche la corne gauche d’un bélier qui se tient derrière lui. Le Mercure de Horn pose quant à lui sa main droite sur un coussin ou une bourse placée entre les cornes d’un bélier. Qu’elle tienne la corne de bélier ou soit posée sur la tête du taureau, directement ou par l’intermédiaire d’une bourse, la main du dieu se doit d’être la main heureuse capable de saisir la force et le pouvoir de régénération. Mais si la tête de bélier représente cette force, comme on peut l’admettre, et si elle est effectivement un attribut de Teutatès, alors le serpent à tête de bélier peut être aussi rapproché du breuvage magique, « l’eau de vie », qui conduit les guerriers dans le domaine des dieux1. L’immersion du guerrier dans la cuve et l’avance du serpent à tête de bélier se correspondent. Celui-ci ne figure pas pour rien trois fois sur le chaudron. La force vitale et la régénération sont associées à l’action de boire l’hydromel à flot. Teutatès en tant que dieu buveur et dispensateur de l’eau de vie est un dieu qui se régénère et qui, ce faisant, régénère son peuple.

 

Le dieu tribal Teutatès est fondamentalement le dieu de l’ivresse et de l’exaltation guerrière, qui conduit la communauté des vivants et des morts. Un autre aspect ressort cependant d’une stèle en provenance de Stockstadt : elle représente Mercure près d’un bélier assis. Il tient un caducée de la main gauche. Assis sur son genou gauche, un enfant nu tient dans ses deux mains une grappe de raisin. Les représentations de Mercure avec l’enfant Bacchus sur le bras, d’après la statue de Praxitèle, sont fréquentes2. Mais l’association symbolique de la boisson enivrante et des cornes de bélier est attestée dans la keltiké bien avant l’époque romaine. Ainsi, sur l’attache supérieure de l’anse de l’œnochoé de Reinheim du Ve s. A.C., une tête d’homme semble émerger d’une tête de bélier. Sur l’anse supérieure de l’œnochoé de Waldalgesheim du IVe s. A.C. ou sur celle de Dürrnberg près de Salzbourg, la tête du dieu porte des cornes de bélier au-dessus des oreilles. Le motif n’est pas

l’hypothèse selon laquelle que les princes du Hallstatt ou de la première époque de la Tène avaient une charge sacrificielle et sacerdotale. 1 Cette eau de vie fécondante correspond à peu près au « Feu dans l’eau » thématisé par Claude Streckx et Guillaume Oudaer dans « le feu dans l’eau, son bestiaire et le serpent criocéphale » publié dernièrement sur le site NMC[http://nouvellemythologiecomparee.hautetfort.com/archive/2015/04/20/claude-sterckx-et-guillaume-oudaer-le-feu-dans-l-eau-son-bes-5607148.html] 2 Esp. 4413, 4471, 4483, 4491, 5126, 5494, 5569, 5605, 5639, 5653, 5908, 5969 ; Lambrechts 1942, 140.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

8

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

seulement figuré sur les vases à boire. La fibule de Parsberg montre une petite tête divine surmontée d’un corbeau (invisible sur la vue de face) et dont les oreilles sont entourées par des cornes de bélier1. Son cou se prolonge dans l’arc de la fibule pour former une sorte de poisson à tête de fauve qui tient dans sa bouche un disque ou un récipient circulaire au bord duquel se tiennent deux griffons aux têtes retournées, dont les queues en spirales supportent une petite sphère en formant un signe ternaire. On peut penser que le corbeau et les griffons évoquent l’oracle et le trésor divin ; le poisson à tête de fauve la fécondité et le renouvellement universel qui s’exprime aussi par une faculté inépuisable de se métamorphoser et de produire le jeune dieu du renouveau.

Une tête de cerf, mentionne Jean-Jacques Hatt dans son excellent passage consacré aux représentations de Teutatès. Mais son lapsus fait le lien avec une des faces fantastiques — cerf, bouc, sanglier et homme — de la cruche de Brno, qui semble boire ou vomir les entrelacs en éventail qui sur les flancs composent les constellations du ciel découvertes par Venceslas Kruta2. En rapprochant ces deux faces aux yeux exorbités de celle qui orne le faîte de l’œnochoé de Glauberg, on peut en déduire que le breuvage dispensateur de l’ivresse divine est associé à l’ordonnance du ciel et aux trésors mystérieux gardés par les griffons.

La parure en or de Bad Dürkheim thématise l’opposition et la complémentarité du jeune et de l’ancien : entourée d’excroissances (dont deux sont vraisemblablement des cornes de bélier), elle se lit dans un sens comme un vieillard barbu, et de l’autre comme une tête juvénile et échevelée3. L’extrémité d’un torque découvert à Erstfeld dans le canton Uri montre également d’un côté un guerrier juvénile aux cornes de bélier, et de l’autre un vieillard âgé coiffé d’un grand chapeau, d’où dépasse une oreille de cervidé. Il converse avec un corbeau (prophétique assurément) qu’il tient par le cou. L’ensemble fait apparaître un monstre à deux troncs et deux têtes. La fibule de Port-à-Bison, trouvée lors d’un dragage de la Marne, est encore plus significative, puisqu’elle porte une tête de bélier à une extrémité, et à l’autre, un masque barbu au crâne conique avec les

1 Hatt 1989,45, fig. 21 c. 2 Venceslas Kruta : La cruche celte de Brno, Dijon, 2007. 3 Hatt 1989, 46, fig. 23.

Parsberg (Bavière)… Brno (Moravie)… Glauberg (Hesse)…

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

9

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

« feuilles de gui » à la place des oreilles. La longue barbe pointue du vieillard, qui a tout de l’Ancêtre par excellence, fait la liaison avec la tête de bélier à l’opposé, qui a manifestement un caractère phallique. Des « festons », points et ocelles ornent le dessus des sourcils et du crâne, la base des cornes ainsi que l’arc qui relie la tête humaine et la tête animale dans un « enchaînement dynamique typique de l’art celtique »1, comme pour révéler, à travers la transformation extatique, un dieu autrement caché. Or, les signes astraux évoquent la nuit étoilée, le mouvement éternel du ciel et plus généralement l’autre monde. C’est donc dans ce contexte qu’il faut placer le bélier phallique. Il apparaît comme l’intermédiaire dont dispose l’Ancêtre primordial pour s’actualiser et se perpétuer.

Le thème récurrent du jeune et du vieux reliés l’un à l’autre est attesté dans la mythologie grecque par le Dionysos bifront du Musée du Louvre qui montre d’un côté un beau jeune homme imberbe et de l’autre un homme mûr à grande barbe2. Il parcourt l’éon en tant qu’adulte, vieillard, nourrisson ou jeune homme, Zeus même ou encore Cronos, « faisant du terme de sa vie le début d’une vie recommencée » (Nonnos de Panopolis,

Dionysiaques, VI, v. 174-181)3. Dans le contexte celtique, on a vu que le serpent à tête de bélier

est indissociable de Cernunnos. Ici, la tête de bélier est rapprochée de l’enfant ou du guerrier juvénile assimilé à Mars, et le serpent d’un vieillard à très longue barbe. L’ensemble forme le puer senex qui se rajeunit grâce au breuvage d’immortalité. Bélier et serpent, Mercure et Dionysos expriment la dualité de Teutatès en tant que dieu qui se renouvelle éternellement. Dieu du rassemblement dans la vie et dans la mort, conducteur de la communauté intemporelle qui unit dans une même force les jeunes guerriers et les ancêtres, il est aussi à la fois le temps incommensurable et l’origine comme naissance et instant.

Pour Leibnitz et les autres savants allemands du XVIIIe siècle, le Cernunnos du pilier des Nautes qui venait d’être découvert ne pouvait être que Bacchus, et il était lié à la Hornung, l’ancien mois de février germanique, pendant lequel on fêtait les Bacchanales. Sur cette lancée, Eccard prétendit que le nom du dieu était apparenté au nom gallois de la cervoise : cwrw ou cwrwf, et que Cernunnos était donc le dieu de la Cervoise 4 . Le dominicain Jacques Martin rétorqua que ce Bacchus était moins l’inventeur du vin et de la bière, qu’un Bacchus plus ancien, Sabazius, le fils de Proserpine et de Jupiter, représenté avec des cornes de taureau. À sa fête, ses adorateurs mangeaient la chair et buvaient le sang d’un taureau vivant qui l’incarnait. On fêtait son retour du royaume des ombres en le faisant immerger d’un lac au son des cors tandis qu’on lançait un agneau au geôlier des morts. Dionysos est Zagreus, l’enfant mis au monde par Déméter, qui périt sous la forme du serpent, alpha et oméga de toute manifestation 5. On reviendra sur ce fils divin serpentin dit « le Frappant » ou « le Tonnant » déchiré par les Titans, et dont le mythe est indissociable de l’ivresse. Sa mort et sa résurrection reliées au cycle du renouveau saisonnier esquissent un rapport entre le jeune et l’ancien qui reste à approfondir.

1 Olivier Buchsenschutz, 2006. 2 Gricourt et Hollard 2010, 249 et fig. 26, 558. 3 Trad. Chuvin 2003, 52 ; Gricourt et Hollard 2010, 251. 4 Martin 1727, 96. 5 Martin 1727, 101-102.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

10

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

On a vu ailleurs qu’un des sujets les plus adaptés par les Celtes dans le premier style de La Tène, est un visage de face, surmonté de deux volutes ou entouré de volutes en esse dont les sources iconographiques sont probablement les masques de satyres grecs et étrusques. Ces masques décorent aussi les anses de stamnoi étrusques importés comme ceux qu’on a trouvés dans la tombe d’un guerrier à Altrier près de Ludwigsburg (Luxembourg) ou dans la deuxième tombe princière de Weiskirchen en Sarre. La représentation de masques dionysiens sur des vases destinés à servir le vin symbolise dans ce contexte la dépersonnalisation due à l’ivresse. Les cornes à boire sont attestées dans le monde celtique à partir du VIe s. A.C. À Reinheim, le service à vin en composait deux, attestées par les garnitures de bandeaux en or. On a cherché chez les Scythes l’origine de la coutume de boire dans une corne de bœuf. Mais les représentations de telles cornes dans la main de Dionysos sur de nombreux vases à figures noires prouvent que les Grecs en avaient l’usage dès le VIe siècle1. La corne symbolise la force, la vitalité et pour tout dire le divin qui s’empare du buveur en le métamorphosant. Au VIe et pendant la première moitié du Ve siècle, les nobles celtes ont bu l’hydromel, puis le vin importé dans des récipients souvent ornés de personnages de la mythologie grecque, surtout des masques de satyres et de Dionysos. Les Celtes ont adapté ces modèles quand ils ont produit leur propre vaisselle en bronze à partir du Ve s. A.C.. Cependant, de même qu’ils s’inspiraient librement des illustrations des monnaies grecques pour donner cour à leur propre imagination, ils parèrent le dieu de la tribu et de l’ivresse dont il a été question, des attributs ou des allégories de Dionysos.

Les défunts représentés sur les stèles gallo-romaines en train de boire participent de la nature divine grâce au breuvage de vie : sur le bas-relief d’Entrains, Apinosus tient une coupe de la main gauche et de la main droite le maillet de Silvain-Sucellos. Il est en compagnie d’un coq et d’un chien (Esp. 2309)

2 : réveil et fidélité ; autrement dit la foi dans

la vie après la mort. Le Silvain de Saint-Béat tient une coupe et une serpe. Sur une face sont représentés les attributs de Mercure qui sont aussi ceux de Cernunnos : le sac d’où s’échappent des pièces de monnaie, la tortue, le coq, les serpents et les pommes de pin qui symbolisent le renouveau 3 . Le breuvage transforme le défunt en héros qui tire avantage de la proximité divine. L’origine autochtone du motif des deux défunts se versant à boire ressort de sa répartition, car celle-ci correspond à celle des signes astraux sur les tombes et des stèles anépigraphes ou portant des noms celtiques4. Si le culte de Dionysos s’est répandu en même temps que celui de la vigne et du vin, il a manifestement fusionné avec un ancien mythe de l’au-delà, incarné aussi par Sucellos5.

La recherche de l’ivresse sacrée a toujours été. Il est prouvé aussi que des récipients importés ont contenu à haute époque de l’hydromel, dont l’usage est attesté dans la tombe de Hochdorf. On peut conjecturer qu’on en faisait usage aux fêtes qui marquaient le passage de la saison sombre de la mort et de la saison claire de la vie. La parenté du mot celtique medu (« hydromel, ivresse ») avec le sanskrit mádhu (« boisson, hydromel,

1 Rudolf Echt : Dionysos et Minerve chez les Celtes. Bijoux et vaisselle de la tombe princière de Reinheim comme sources de la religion celtique ancienne, 253-270, 258. [documents.irevues.inist.fr] 2 Hatt 1986, 361 3 Hatt 1986, 361-362. 4 Voir les quelques 350 références et leur répartition dans les différentes nations gauloises chez Hatt 1986, 359-360. 5 Hatt 1986, 399

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

11

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

miel ») comme l’existence en Irlande et en Inde d’une déesse « Ivresse » (irl. Medb, Madhavi en Inde) renforcent l’hypothèse de son importance préhistorique comme source d’ivresse sacrée liée à l’immortalité et à la prophétie.

Le fond du chaudron de Gundestrup est parsemé de vrilles de lierre, symbole de Dionysos, à l’origine dieu des forêts 1 . Le qualificatif « à l’origine » revient d’ailleurs souvent à propos de la ressemblance d’un dieu celte avec un dieu classique. La mythologie celte, dont l’existence est attestée par le philosophe ami de Lucain Lucius Annaeus Cornutus2, ressemblait manifestement plus à la mythologie grecque archaïque qu’à celle qui avait cours à Rome du temps de César. L’affinité avec l’arbre est attestée en tout cas sur une inscription provenant d’Aime-en-Tarentaise (Savoie) : Siluane sacra semicluse frax[ino] (« À Silvain à demi enfermé dans le frêne sacré »)3. Silvain était assimilé à Dionysos. La résurrection, dont le lierre est le symbole dionysien4 — parce qu’il repousse et se démultiplie avec une vigueur stupéfiante — est donc comme un thème central du chaudron de Gundestrup. Les bois sur la tête de Cernunnos dont les ramifications qui (re)poussent tout aussi vite et correspondent au pouvoir envahissant du lierre le caractérisent comme dieu ressuscité. Sa force de vie est aussi une force de résurrection.

 

Une notice de Posidonios rapportée par Strabon décrit l’étrange rituel que les femmes « Samnites » célébraient sur une petite île à l’embouchure de la Loire :

Elles étaient possédées de Dionysos et vouées à apaiser ce dieu par des rites et toutes sortes de cérémonies sacrées. Aucun mâle ne pouvait mettre le pied sur l’île. En revanche, les femmes elles-mêmes, qui étaient toutes des épouses, traversaient l’eau pour s’unir à leurs maris et s’en retournaient ensuite. La coutume voulait qu’une fois l’an elles enlevassent le toit du sanctuaire pour en remettre un autre le même jour, avant le coucher du soleil, chacune apportait sa charge de matériel. Mais celle dont le fardeau tombait à terre était déchiquetée par les autres, qui promenaient ses membres autour du sanctuaire en criant l’évohé, le cri des bacchantes. Elles ne s’arrêtaient pas avant que leur délire ne prît fin. Or, il arrivait toujours que l’une ou l’autre tombât et dût subir un pareil sort (Géographie, IV, 4, 6)

5.

L’embouchure de la Loire, où se trouvaient effectivement des îles dans l’Antiquité, peut passer pour avoir été un endroit clé du commerce grec vers les îles Britanniques et l’Europe du nord. Mais il est assez improbable que le dieu grec Dionysos y ait été vénéré par les indigènes au Ier s. A.C. Ce nom cache plus probablement un dieu celte qui avait des points communs avec lui, mais dont les auteurs grecs ignoraient le nom, s’il en avait un. Patrice Lajoye affirme que ce récit est légendaire parce qu’il s’aligne dans la tradition

1 Gricourt et Hollard 2010, 43. 2 Brunaux 2000, 58. 3 Gricourt et Hollard 2010, 44. 4 Hatt 1986, 399. 5 De Vries 1963, 225-226.

chaudron découvert dans la tombe de Hochdorf près de Stuttgart

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

12

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

des récits celtiques insulaires qui regorgent d’îles merveilleuses peuplées de fées1. Mais cette hypothèse est contredite par l’absence complète de merveilleux chez Posidonios, dont le récit fourmille de détails qui ne correspondent à aucun cliché. Lors de la prise de l’île et du sanctuaire de Mona par Suetonius Paullinus en 61 P.C., Tacite mentionne d’ailleurs à côté des druides les « femmes échevelées en vêtements lugubres, agitant des torches ardentes » (Annales, XIV, 30). De nombreux sanctuaires protohistoriques sont situés sur des îles, comme celui des Grands Dieux sur celle de Samothrace. Les collèges de Vestales et autres prêtresses sont aussi bien connus chez les Grecs et les Romains. L’existence d’un culte dionysiaque célébré par des prêtresses sur une île n’a donc rien d’extraordinaire. Ne doit-on pas supposer au contraire que l’insularité des sanctuaires et les prêtresses qui s’y trouvaient ont stimulé les imaginations ?

Dans leur grande étude Cernunnos, le dioscure sauvage, Gricourt et Hollard ont relevé des indices qui étayent le caractère autochtone du rituel : le changement annuel de toiture, sans doute de branchages ou de roseaux, l’interdit de mettre quelque chose en contact avec le sol et la ronde frénétique qui rappelle le rite d’adoration en procession tournante2. Le nom de peuple est aussi d’après la plupart des auteurs une forme corrompue des « Namnètes », la peuplade gauloise établie dans la région. Leur mention à propos de ces « vestales » laisse penser à un culte officiel de la cité en rapport avec son « Teutatès ». Brunaux suppose des mystères initiatiques comparables à ceux de l’île de Samothrace qui représentaient par l’intermédiaire du drame de Déméter et de Coré le mythe de la fécondité de la terre et du retour des saisons3. Il apparaît en tout cas que la chute du fardeau était prévue, et qu’il fallait, comme l’écrit de Vries, sacrifier une jeune femme.

Plutarque raconte une histoire assez semblable à propos d’un rituel de la ville béotienne d’Orchomène, selon lequel les participantes étaient poursuivies par le prêtre de Dionysos qui avait le droit de tuer avec son glaive celle qu’il rattrapait. Un toit à remplacer se devine aussi dans le rituel des jeunes filles de Sparte parées d’une coiffure en osier tressé, qui dansaient chaque année en l’honneur d’Artémis Karyatis « Maîtresse du noyer » et des arbres sauvages qui portent des fruits. De la même racine provient le grec kara signifiant « la tête » et aussi la « cime de l’arbre ». Celle-ci a-t-elle été rapprochée du toit du temple et de la voûte céleste ? Imaginons un instant la frondaison de l’arbre céleste parsemée de crânes… Quoi qu’il en soit, le sacrifice d’une jeune fille est aussi suggéré dans le mythe grec : Karya, aimée de Dionysos, avait reçu d’Apollon le don de prophétie. Ses sœurs jalouses, qui l’avaient trahie, avaient été changées en pierre par Artémis, et elle-même en noyer.

Il semble que dans le rituel gaulois la jeune femme déchirée était enceinte ; car comment expliquer sinon le passage étrange sur les femmes qui traversaient l’eau pour s’unir à leur mari ? Il est vraisemblable que le renouvellement du toit du temple correspondait au renouvellement annuel du ciel4 et sans doute aussi à celui de l’univers après la fin d’un grand cycle. Le dépôt rituel de l’ancienne « toiture » correspondait à cette destruction attendue. Dans une des légendes irlandaises de fondation publiées par Máire

1 Patrick Lajoye : Les Navigations et l’âme celte dans l’antiquité, 3-9. Ollodagos, XVIII, 1, 2003, 3-39. [en ligne sur le site academia.edu] 2 Gricourt et Hollard 2010, 92. 3 Brunaux 2000,38. 4 De Vries 1963, 226.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

13

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Mac Neill, tous les efforts de Patrick pour construire une église dans la province d’Armagh étaient anéantis chaque nuit par un taureau qui détruisait ce qui avait été fait dans la journée. Le taureau fut finalement tué, et l’église construite1. Comme les actes du grand saint sont calqués sur celles d’un non moins grand dieu qu’il remplace, les péripéties de la construction de l’église sont probablement calquées aussi sur les rituels qui accompagnaient la construction d’un sanctuaire païen. Était-il couvert de branchages parce qu’il représentait le ciel et que les Celtes se figuraient les constellations comme des branches de l’arbre cosmique ? Le ciel renaissait grâce à la victoire du dieu-héros sur le taureau monstrueux qui incarne le chaos antagoniste du firmament constitué. On se rappelle que le fameux pilier des Nautes représente un personnage herculéen en train de couper les branches d’un arbre. La scène illustre peut-être la lutte créatrice que cette cérémonie devait réactualiser.

Le renouvellement cosmique devait sans doute être payé par le sacrifice du taureau et par celui d’un être jeune qui le représentait. Si le dieu vénéré sur l’île de la Loire peut être assimilé au dieu de la tribu dont l’être profond est justement de se renouveler, le rituel indique aussi qu’il était assimilé au crépuscule par qui tout commence 2 , et plus généralement au ciel, qui passe d’un état ancien de « vieillard » à un nouvel état de « fils ». La nouvelle période devait commencer à la nuit, car la nuit vient avant le jour comme les dieux viennent avant les hommes. Artémidore signale d’ailleurs à l’extrême sud-ouest de la péninsule ibérique un sanctuaire d’Héraclès où on ne pouvait ni sacrifier ni se rendre la nuit, car les dieux étaient alors présents (Strabon, III, 1, 4)

3.

D’autres cultes oraculaires assurés sur une île par des vierges devaient avoir le même objet : selon Pomponius Mela, neuf prêtresses « consacrées par une chasteté perpétuelle » et appelées Gallizenae assuraient le culte dans le sanctuaire oraculaire de l’île de Sein. Elles étaient capables, écrit-il, de fouetter la mer et les vents par des formules magiques, de se transformer en n’importe quel être vivant, de soigner des maladies incurables et de dire l’avenir des jeunes marins qui venaient les interroger (III, 48)

4. Maier rapproche ces neuf prêtresses des neuf sœurs-magiciennes de l’île d’Avalon dans la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth et des neuf vierges qui habitent la citadelle du seigneur d’Annwvyn dans le poème gallois Preiddeu Annwn. Il propose surtout de lire Galli genas vocant au lieu de Gallizenas vocant, ce qui signifie : « les Gaulois les nomment les filles » du gaulois *gena- à rapprocher de geneta (« jeune fille ») et du gallois geneth 5 . Un tel détail ne peut que confirmer l’authenticité du récit. Artémidore précise que ces cérémonies consacrées à Déméter et à Coré ressemblaient à celles de Samothrace. On y vénérait particulièrement Axiéros, la grande mère chtonienne du monde sauvage, des montagnes et du minerai de fer magnétique. Son époux, Kadmylos, identifié par les Grecs à Hermès, était un démon ithyphallique symbolisé par une tête de bélier et un bâton, le kerykeion. La grande fête annuelle comprenait un drame rituel, figurant la recherche de la vierge disparue Axiokersa, assimilée à Perséphone puis l’hiérogamie avec le dieu des enfers Axiokersos.6

1 Mac Neill 1982, 434-482 ; Sergent 2004, 83. 2 Gricourt et Hollard 2010, 94-95. 3 Sergent 2004, 189. 4 Maier 2004, 95. Patrick Lajoye cite tous ces textes dans Les Navigations et l’âme celte dans l’antiquité, 3-9. Ollodagos, XVIII, 1, 2003, 3-39. [consulté en ligne sur le site academia.edu]. 5 Maier 2004, 95. 6 Wikipedia « Sanctuaire des Grands Dieux de Samothrace ».

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

14

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Brunaux conteste les noms extrapolés des mythes grecs, à tort en ce qui concerne Coré qui est l’équivalent exact de Gena. Il admet cependant qu’il devait être question de fécondité et de cycle des saisons1. Reste l’île comme lieu de culte approprié. Plutarque donne quelques indications :

Pour Démétrius, il nous conta que les îles semées aux environs de la Grande-Bretagne sont pour la plupart désertes, et que quelques-unes portent des noms de Génies et de demi-dieux. Il ajouta qu’envoyé lui-même par l’Empereur vers ces parages pour s’enquérir et voir ce qui en était, il avait abordé dans celle de ces îles désertes qui était la plus prochaine. Elle ne contenait que peu d’habitants, qui tous étaient considérés par les Bretons comme sacrés et inviolables. Peu après qu’il y avait eu mis le pied il se produisit, continua-t-il, une grande confusion dans l’air et de nombreux signes célestes : les vents se déchaînèrent, et des trombes de feu s’abattirent. Quand tout fut calmé, les habitants de l’île lui dirent que c’était quelqu’un des Génies supérieurs qui venait de trépasser. Car, ajoutèrent-ils, de même qu’une lampe allumée n’a rien de fâcheux, mais qu’en s’éteignant elle est désagréable pour plusieurs, de même les grandes âmes, lorsqu’elles brillent, sont bienveillantes, loin d’être funestes à personne ; mais quand elles s’éteignent et s’anéantissent, souvent elles provoquent, comme il arrive en ce moment, des tourbillons et des orages, souvent aussi elles empoisonnent l’air de souffles pestilentiels. Ces insulaires dirent encore que Saturne était prisonnier dans une de ces îles sous la garde de Briarée ; qu’il était profondément endormi, le sommeil étant le lien qu’on avait imaginé pour le tenir captif ; et qu’autour de sa personne un grand nombre de Génies lui formaient une suite et étaient affectés à son service (sur les Sanctuaires dont les oracles ont cessé, 18)

2.

Sans doute les petites îles du littoral servent-elles de sanctuaires parce que l’inviolabilité requise est plus facile à garantir. Mais Démétrius suggère aussi que les îles représentent des génies et des demi-dieux. Cet aspect ressort aussi de noms théophores, comme Tech nDuinn, « la maison de Donn » en vieil irlandais pour le petit îlot rocheux Bull Rock3. Ici, ce ne sont pas des prêtresses qui provoquent le déchaînement des vents et les trombes de feu, mais la mort d’un « Génie supérieur ». Les Bretons expliquent à Demetrius que celui-ci est semblable à une lumière normalement bénéfique, mais dont l’extinction s’accompagne de catastrophes. Le déchaînement élémentaire lié à la mort d’un « grand » rappelle les Chasses fantastiques associant à une tempête la mort de quelque grand personnage. Mais le point le plus important ici est que la mort du grand personnage entraînait la fin d’un cycle et le déchaînement des forces qu’il avait contrôlées. La captivité du Saturne breton intrigue, car on a déjà relevé le côté temporel de Teutatès. Le rapport du dieu du temps avec les génies supérieurs est paradoxal : il est très classiquement captif du sommeil, mais un grand nombre de ces génies forment une suite affectée à son service. Ce Saturne endormi et son gardien monstrueux sont-ils en rapport avec les trois prisonniers augustes de l’île de Bretagne que mentionne le Mabinogi ? Le premier d’entre eux, Gweier fab Geirioedd, a donné son nom aux îles Lundy et Wight, dont le nom gallois Ynis Weir ne signifie pas selon Maier « l’île herbeuse », mais l’île de Gweir4. Et il est dit de lui dans le poème Preiddeu Annwn attribué à Taliesin qu’il est prisonnier dans le sid de Caer, donc dans un Autre monde. L’histoire de Mabon fab Modron traite aussi de la « captivité » dans l’Autre monde de Mabon, le fils divin. Les îles représentent donc manifestement l’Autre monde. Les rituels dionysiaques des neuf femmes, prêtresses ou déesses étaient liés au dieu infernal qu’il fallait servir de toutes les manières avant sa résurrection attendue. La libération par les compagnons d’Arthur de

1 Brunaux 2000, 38-39. 2 Trad. Ricard, Paris : 1844 [remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/index.htm]. Cf. Maier 2004, 95-96. 3 Maier 2004, 96. 4 Maier 2004, 96.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

15

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Mabon et la guerre menée en hiver pour libérer Owein fab Urien qui lui est assimilé, laissent supposer que cette renaissance est liée là aussi au cycle saisonnier. Le départ en guerre représenté sur le chaudron de Gundestrup peut avoir le même but, d’autant que le serpent à tête de bélier qui conduit la troupe incarne bien le dieu tribal dont l’Autre monde est la résidence. Teutatès doit être rapproché du Saturne des Romains.

Les « Trois prisonniers augustes » correspondent au Saturne captif gardé par Briarée dans le récit de Démétrius. Ils apparaissent comme trois aspects du dieu de l’Autre monde. Dans la religion romaine, Saturne préside la période qui précède le solstice d’hiver, les fameuses Saturnales qui restaurent l’égalité primordiale entre les hommes ; mais pendant le reste de l’année, sa statue est liée par des bandelettes ou des chaînes.1 Dépositaire des trésors et dévoreur de ses fils, il est aussi un « impulseur », que son nom apparente, selon Jean Haudry, au dieu védique Savitar, de *sa(e)tori-no- « qui se manifeste dans l’impulsion ». C’est grâce à cette faculté qu’il est l’initiateur des réjouissances et des distributions de cadeaux lors des Saturnales, d’où son rôle de civilisateur et de fondateur2. Quant à Briarée, son nom signifie « le fort, le redoutable ». Il est chez les Grecs un des trois géants à cent mains appelés Hécatonchires. Dans la Théogonie d’Hésiode, les trois géants sont enfermés par Ouranos au sein de la Terre avant d’être délivrés par Cronos et employés par Zeus contre les Titans qu’ils doivent garder enfermés dans le Tartare. Le récit celtique inverse donc le rapport de Briarée avec Saturne, l’équivalent de Cronos : Cronos est le libérateur des trois géants dans le mythe grec, alors qu’il est leur prisonnier dans le récit celtique. Sont-ils, en fait, associés d’une façon complexe, que le mythographe grec ne pouvait rendre que comme une captivité ? Comme les trois prisonniers augustes de l’île de Bretagne, le triple Briarée associé à Saturne représente le dieu de l’Autre monde, qui est en même temps celui du temps et des richesses. Est-il aussi celui de la communauté égalitaire dans l’ivresse sacrée ?

 

L’association du vieillard et de l’enfant symbolise le temps qui se renouvelle. On peut les voir représentés sur une mosaïque de Frampton (Dorsetshire), dédicacée à Neptune, où sont représentés deux chiens qui courent après un cerf. Le médaillon central représente Bacchus adolescent, nu, doté du thyrse et brandissant une grappe de raisin. À sa gauche se trouve un jeune homme glabre et nu. Un serpent est enroulé autour de son bras gauche. Il pointe de la main droite, avec ce qui était sans doute un trident, une créature anguipède qui rappelle le géant terrassé par le cavalier sur les colonnes d’époque romaine3. L’extase a le pouvoir d’abolir le temps. Elle contient tout le passé et tout l’avenir tout en exprimant l’instant du passage et du renouveau. L’ivresse conduit les adeptes à un état de dépersonnalisation qu’ils perçoivent comme le retour dans le sein du

1 Dans cette lige, en Allemagne, les forgerons tambourinaient sur leur enclume pour refixer les chaînes de Lucifer ou du diable, à l’Épiphanie, c’est-à dire à la fin de la période des fêtes du changement d’année. Cf. Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, t. 3, 1931, coll. 1374-1375 ; Roger Pinon : Le tambourinage des portes à Liège lors de la Saint-Hubert autrefois, (1990) [en ligne sur academia.edu]. 2 Charles Guittard : L’étymologie varronienne de Saturne (Varr. LL 5, 64), in. J. COLLART (al.) Varron, grammaire antique et stylistique latine, Paris, Les Belles Lettres, 1978, 53-56. [Wikipedia] 3 Zavaroni 2004b, 920 et 925, pl. XII, fig. 2 ; Gricourt et Hollard 2010, 425.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

16

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

père originel 1. L’expression grave et mystérieuse du dieu de Bouray est à cet égard significative. La statue de bronze trouvée dans la Juine et datée de la fin de La Tène par sa chevelure2 représente un personnage juvénile assis en tailleur qui ouvre grand les yeux et relève les sourcils. Sa bouche exprime la surprise. Il donne l’impression d’avoir soudain été projeté dans un autre univers. La position assise en tailleur, la nudité, le torque, l’attitude hiératique le situent dans la lignée des héros assis et du dieu aux bois de cerf. La disproportion de la tête et du torse par rapport aux jambes comme atrophiées ne fait pas que confirmer son origine indigène3. Elle laisse aussi penser qu’il s’est développé d’après la tête coupée dotée de pouvoirs magiques. On doit penser au Cernunnos de Gundestrup. Mais au lieu d’une ramure sur la tête, il a des pieds de cerf, qui introduisent l’idée de la fuite et de l’insaisissabilité de l’animal et de l’extase qu’il incarne aussi. Est-il en train de se transformer ? Le grand œil en pâte de verre colorée bleu et blanc, fabriqué selon la technique employée pour le chaudron de Gundestrup, est un indice de sa divinité4. Il exprime aussi l’importance dans le mythe évoqué ici du regard, et incline à soupçonner un lien avec sa transformation. Sa ressemblance avec une petite tête en bronze découverte au XIXe siècle dans la Saône à 500 kilomètres de distance a été notée depuis longtemps5 : le torque, la coiffure, la tête imberbe, mais aussi les yeux exorbités rappellent en effet le dieu de Bouray. Les lèvres expriment la surprise, le dédain, peut-être même la révulsion ou l’impassibilité devant l’adversité que le regard met en évidence. Il s’agit donc d’un type connu et reconnaissable représenté dans une attitude caractéristique de son épiphanie. Les coins de la bouche de la statue du prince de Glauberg tournés vers le bas expriment peut-être dès La Tène ancienne la même idée mythique.

Les yeux du jeune dieu assis en tailleur d’Amiens sont également écarquillés. Il a une longue coiffure bouclée, porte une tunique serrée à la taille par une fine ceinture et, par-dessus, le grand manteau de majesté agrafé sur l’épaule droite. Son oreille droite est une grande oreille de cerf6. L’hypothèse de Simone Deyts, selon laquelle elle symbolise la faculté d’entendre les suppliques humaines 7 est peu vraisemblable, car deux grandes oreilles humaines auraient fait l’affaire. Il s’agit d’autre chose : l’oreille de cerf symbolise ce que le dieu entend. Il lève le visage ; ses bras légèrement levés, la main droite également, comme s’il venait d’entendre un son. Le brame du cerf ? Le son de la lyre ? Le mugissement grave et puissant du carnyx ? La voix des dieux ? L’aboiement des chiens ? On pense à Actéon, sauf qu’ici le dieu se métamorphose en majesté. Le manteau, la position assise en tailleur, l’expression du visage montrent que la transformation est prévue et insérée dans un rituel. La position assise conduit à rapprocher le dieu jeune et imberbe en train de devenir cerf, et le dieu barbu aux bois sur la tête. Ne serait-ce pas le même dieu figuré à deux stades de son parcours mythique ? Deux étapes ou deux avatars ? Une statuette en bronze en provenance de Besançon montre également un dieu

1 Cf. Brosse 1993, 154. 2 Bober 1951, 22. 3 Benoit 1969, 92. 4 Cf. Bober 1951, 33, 46. 5 Cf. Annie Dupont, Anrej Gaspari, Stephan Wirth : « Les objets métalliques des âges du Ferdécouverts en contexte fluvial. Les exemples de la Saône (France), du Danube (Allemagne) et de la Ljubljanica (Slovénie) », 265. [adacemia.edu] 6 Cf. Bober 1951, 46. 7 Cf. Deyts 1992, 49.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

17

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

juvénile à oreille animale, de cerf selon Benoit, assis sur une sorte de rocher, mais pas en tailleur. Il est vêtu lui aussi du manteau de majesté agrafé sur l’épaule et tient dans la main droite une grappe de raisin, tandis que l’avant-bras gauche est légèrement relevé avec la paume de la main tournée vers le haut1. La grappe de raisin de Bacchus confirme que la résurrection ou le rajeunissement du dieu est lié à sa transformation, et l’ivresse divine, au symbole du cerf et à la position assise en tailleur, qui on l’a vu, est aussi celle du banquet funéraire.

L’idée du puer senex n’est pas originale aux Celtes. Éros, assimilé à Dionysos dans la tradition orphique, n’a pas de père. Il est protogonos, « premier-né », le chasseur invincible à qui sa mère, maîtresse des animaux sauvages, apprit comment capturer les cerfs et les lièvres. Il court avec les lions2 : le mythe archaïque d’un dieu père, à la fois époux et fils de la grande mère. Le double aspect de Cernunnos tantôt mature et tantôt éphèbe correspond à l’idée d’un dieu primordial qui s’engendre lui-même. Cette hésitation de son iconographie entre un dieu père jupitérien3 ou plutôt saturnien et un jeune héros associé au bélier fougueux caractérise aussi le Cernunnos de Meaux dont la stature massive contraste avec les « protubérances » annonçant la repousse des bois — quoiqu’on puisse les interpréter alternativement comme un effet de coiffure4. Le puer senex qui se perpétue par lui-même, est par la même occasion le maître du temps. Il est l’aiôn (« destinée », « âge », « génération », « éternité »), la créature extratemporelle et indifférenciée qui contient depuis toujours en elle toutes les formes et toutes les virtualités. La source qui jaillit en avant comme un bélier, le cerf fuyant qui vit des siècles, ont pu symboliser les deux pôles de son être : ce qui devient à l’instant et la suite ininterrompue des âges.

 

L’androgynie de quelques représentations du dieu assis en tailleur la jambe parfois croisée à gauche5 ou de l’Apollon gaulois n’est pas fortuite. L’anomalie représente d’abord le sacré : Tacite raconte que chez les Naharvales, une tribu lygienne habitant près de la Vistule, dans un bois consacré depuis longtemps par la religion, le culte était assuré par un prêtre portant des vêtements de femme (d’origine et situ Germaniae, XLIII)

6. Il n’est pas exclu qu’il en soit de même de la sacrificatrice du chaudron de Gundestrup. Le dieu primordial à l’articulation du non généré et du généré se doit de réunir les contraires, y compris celui des sexes. Il correspond au Phanès (« celui qui apparaît, celui qui luit ») des théogonies orphiques, au Protogonos (« premier-né ») créateur suprême, père des dieux et souverain du monde7. La sortie du chaos et la cosmogonie se font par la division de l’androgyne, qui équivaut à la cassure de la coque de son œuf primordial, dont les deux moitiés deviennent le ciel et la terre8. La divinité primordiale androgyne extrait d’elle

1 V. Benoit 1969, fig. 144. 2 Mohen 2010, 207 et 209. 3 Sterckx 2005a, III, 503 ; Gricourt et Hollard 2010, 245. 4 Cf. Bober 1951, 49 et Lombard-Jourdan 2009, 23. 5 Gricourt et Hollard 2010, 58. 6 Brosse 1993, 44. 7 Gricourt et Hollard 2010, 262. 8 Sterckx 2010, 31.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

18

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

même le monde et les dieux, ses enfants, par un autosacrifice. Dans une autre théogonie, l’Amour naît quand Gaea émerge du vide du chaos primordial, et elle enfante de lui le ciel étoilé (Hésiode, 126-127)

1. Un passage étrange nous ramène au dieu cerf : quand Dionysos est travesti en fille pour échapper à la jalousie meurtrière d’Héra, celle-ci punit de folie ses parents adoptifs, de sorte que le père prend son fils aîné pour un cerf, le pourchasse et le tue. Le fils prend la place du dieu. Il est curieux que le mythe en vienne au cerf à propos de féminisation. Cette ambivalence revient dans les légendes arthuriennes, où le cerf peut se changer en princesse et la biche porter des bois. Il semble que la perte périodique des bois du cerf était considérée comme un passage par une féminité symbolique et rituelle. De très anciens statères d’or en provenance d’Éphèse figurent un cerf avec l’inscription Phanos emi sena « je suis le signe de Phanès ». Comme il est généralement admis qu’il ne s’agit pas de la monnaie d’un certain Phanès, on peut supposer que le personnage mythique Phanès était, dans la Grèce préclassique, lié à l’or et au cerf d’Artémis.

 

Suivant notre hypothèse, le dieu du temps qui se régénère est incarné dans la littérature celtique insulaire par Merlin et ses avatars primordiaux et omniscients, l’irlandais Tuan et le gallois Taliesin. Merlin est selon Nennius un « enfant sans père » dont la mère ne peut expliquer la naissance, même s’il affirme avoir une ascendance glorieuse en la personne du consul Ambrosius. Le nom de celui-ci signifie pour que ce soit clair : « de nature divine, immortel »2. Geoffroy de Monmouth le dit né d’une vierge possédée par un démon incube3. Il se manifeste comme un enfant qui a le goût du jeu, du déguisement et du canular, mais aussi comme un vieillard dont il a « le détachement, la sagesse et l’expérience de toutes choses »4.

Merlin est par son nom français un petit faucon, le « petit oiseau d’été » décrit par Giraldus Cambrensis dans son Voyage de Galles5. Dans la pensée mythologique, cet oiseau accède au ciel et transmet la parole divine. L’Enchanteur affectionne « l’espluméor », son château d’arbres sur le pommier au cœur de la forêt de Brocéliande. C’est une cage où un oiseau chanteur est enfermé pendant la mue, une matrice obscure et chaude, dans laquelle Merlin se renouvelle. Peut-être avatar d’un ancien dieu de l’arbre6, l’enchanteur oiseau est lié à l’arbre du milieu dont il est la voix prophétique. Mais il n’est pas seulement un oiseau qui parle la langue des dieux : son nom gallois, Myrdin, signifie « de la mer ». Il est nommé aussi fils de Morfryn, dont le nom est formé aussi sur celui de la mer. La mer est-elle dans cette vision mythique l’élément primordial, le néant insondable de la « mort fertile » ? Cependant, Merlin est surtout un maître des cerfs, comme ses équivalents, Taliesin au pays de Galles, Lailoken en Écosse, Tuan, Finntán ou

1 Brosse 1993, 175. 2 Nennius : Historia Brittonum, chap. 41-42 ; Gricourt-Holard 2010, 434-435 et 437. 3 Geoffroy de Monmouth : Historia regum Britanniae, chap. 107. Trad. Mathey-Maille 1992, 155-156 ; Gricourt et Hollard 2010, 442. 4 Walter 1996, 124 et 2000, 76 ; Gricourt et Hollard 2010, 269. 5 Giraldus Cambrensis : Voyage de Galles ; Jacques Roubaud (1932-), Graal fiction, Paris, 1978, 33 ; Bouloumié. 6 Brosse 1993, 236.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

19

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Suibhne en Irlande. Ce dernier connaît le nom des cerfs ; et ceux-ci lui servent de monture. Il apprécie le brame et revendique son vrai nom Fer Benn (« l’homme des Pointes »). Il ne peut mieux dire puisqu’il mourra en tombant sur des bois de cerf.

Le texte anonyme Suite-Vulgate montre Merlin comme un homme sauvage qui parfois se change en cerf : « le plus grand et le plus beau qu’on ait jamais vu ; l’un de ses pieds était blanc, et ses bois comportaient cinq branches, les plus grandes qu’un cerf ait jamais portées. » Merlin apparaît comme un dieu : un avatar de Cernunnos qui traverse le temps en passant par de multiples métamorphoses. Dans le conte, il n’hésite pas à écrire en caractères hébreux sur le haut de la porte de l’empereur romain :

Sachent tous ceux qui ces lettres liront que le grand cerf branchu qui fut chassé dans Rome, et que l’homme sauvage qui expliqua à l’empereur son rêve, ce fut Merlin, le premier conseiller du roi Artus de Bretagne1.

Le cerf de l’enchanteur Merlin, ici dieu du temps et des transformations, devait être gigantesque parce qu’il gouvernait le principe de l’univers et des hommes. Il était l’Ancêtre qui englobait toute sa lignée dans toutes ses manifestations. Il était caché puisqu’il avait en lui ce qui se développait explicitement dans son acte créateur. Chtonien et céleste à la fois, il était le germe qui se trouvait sous la terre avant de produire l’arbre, et qui récupérait à la fin ce qui lui permettrait de recommencer une ère. Il gouvernait les passages, celui de la mort à la vie et de la vie à la mort, et réunissait les contraires : jeune et vieux, masculin et féminin, bon et mauvais, être humain et animal.

Dans La Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth, l’épouse de Merlin s’appelle Gwendoline (du gallois gwynn, breton gwenn, « couleur de la neige, beau, lumineux » en même temps que « [bien] heureux » et élain « la biche »). Comme l’épouse de Llew, le personnage divin de la Quatrième Branche du Mabinogi, elle est une de ces reines et déesses celtiques qui changent de mari suivant le cycle des saisons. Quand elle « divorce » de Merlin, celui-ci, avant de se retirer dans les bois, annonce que son rival doit se tenir loin de lui, et que lorsque viendra le jour des noces et que les invités se partageront toutes sortes de mets, il se tiendra parmi eux et dotera généreusement l’épousée. Merlin s’invite donc :

C’était la nuit et les cornes de la lune brillaient avec éclat, tous les feux de la voûte céleste étincelaient […] un glacial vent du nord avait chassé les nuages […] Il parcourut successivement tous les bois et les breuils, rassembla en un seul troupeau des hardes de cerfs ainsi que des daims et des chevreuils. Puis il monta un cerf, et comme l’aube naissait, il poussa son troupeau devant lui et se hâta vers le lieu des noces de Gwendoline à la tête d’un troupeau de cerf, de daims, de chèvres. À son arrivée il força les cerfs à se tenir patiemment devant les portes […] Le fiancé se tenait à une fenêtre élevée. À la vue du cavalier sur sa majestueuse monture, il éclata de rire. Lorsque le devin s’aperçut de sa présence et qu’il comprit que c’était le fiancé de sa femme qui lui avait succédé, il arracha les cornes du cerf qu’il chevauchait et les lança avec force sur le promis, qui s’écroula le crâne fracassé […]

Le geste a été interprété comme la transmission rituelle des cornes qui marquent l’alternance des cocus et de la royauté2. On a supposé la réminiscence d’anciens mythes relatifs au passage cyclique du ciel d’été et du ciel d’hiver, ou le thème archaïque de la royauté basée sur l’hiérogamie du roi et de la biche. Le merlin vengeur apparaît en tout cas au début de la mauvaise saison. Le vent glacial annonce le passage d’un cycle du

1 Les Romans de la Table Ronde, trad. J. Boulenger, Paris 1961, 22-23. 2 Gricourt et Hollard 2010, 151-154.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

20

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

temps à l’autre, la nouvelle lune le moment du passage. « Les cornes de la lune » correspondent aux « cornes du cerf », d’où la signification calendaire de la ramure. Ce n’est pas un hasard non plus si l’auteur s’attarde sur la course des étoiles et sur le firmament que Merlin contemple depuis une colline élevée. Le fait que Merlin monte un cerf et pousse devant lui un immense troupeau de cerfs et d’autres animaux à cornes illustre le statut royal de celui qui est un cerf par le nom de sa femme. Mais la marche du troupeau représente aussi et surtout la marche du temps, la course des astres et le changement de ciel : ce sont justement les présents dont Merlin a promis d’honorer la Reine.

Après le meurtre du rival, le devin détale vers la forêt en chevauchant son cerf, poursuivi par de nombreux hommes. Un cours d’eau faisant obstacle, « sa monture suave bondissait par dessus le torrent, Merlin glissa et tomba dans le courant rapide. Les serviteurs encerclèrent les rives et le capturèrent alors qu’il nageait ». Le chasseur devient proie. Sa capture évoque la fin de la chasse au cerf, qui est censé se réfugier dans une étendue d’eau quand il ne peut plus fuir. Merlin révèle ainsi sa nature de cerf au moment de sa capture et de sa mort provisoire, de même que Llew touché par la lance de Grown Pebyr s’était envolé en prenant la forme d’un aigle dans le Mabinogi de Math, fils de Mathonwy. Tout se passe comme si l’incarnation anthropomorphe du dieu étant défaite, celui-ci s’échappait en reprenant sa forme fondamentale ; c’est-à-dire pour Merlin en retournant à l’élément liquide de la vie protéiforme et des transformations.

Dans les récits des Celtes insulaires, le cerf joue son rôle avec d’autres animaux dans le cycle des métamorphoses. Tuan Mac Cairill, (« Tuan fils du silencieux »), le survivant de la race disparue des Partholon, peut se transformer successivement en cerf, en sanglier, en aigle et finalement en saumon. La mère du barde Ossian est une biche, et saint Patrick et ses compagnons sont bien inspirés de se transformer en cerfs pour fuir leurs persécuteurs païens. Au pays de Galles, dans le Manigobi de Math, l’une des trois espèces animales en lesquelles Math a changé Gwydyon et Gilvaethwy est le cerf, l’enfant qui naît du « couple » est un faon, que Math transforme en homme et nomme Hyddwn qui signifie : « petit Cerf ». Dans le Mabinogi de Pwyll, prince de Dyved, le héros rencontre un cerf, qui annonce en quelque sorte le dieu de l’autre monde. Grown chasse le cerf lorsqu’il demande l’hospitalité chez Llew et rencontre Blodeuwedd, « Visage de fleurs », son épouse. Il vient justement de tuer et d’écorcher le cerf et de distribuer la venaison à ses chiens. S’est-il approprié la force du cerf par la vertu du rituel de chasse ? N’est-il pas devenu lui-même un cerf1 ? Sensible à la virilité du chasseur dont le nom signifie (« le Fort » ou « le Vaillant »), Blodeuwedd l’envoie chercher au moment où le jour faiblit et où la nuit approche. C’était, est-il écrit, à la fin de la saison claire, peu avant Samain, au moment où il « passa devant le porche de la cour ». Comme dans la Vita Merlini, le meurtre apparaît comme la sécularisation d’un sacrifice lié au changement d’année.

Dans la Navigation de Bran, Manannan, assimilé à Neptune, annonce de façon extraordinaire et inoubliable les pouvoirs de son fils Mongan, équivalent de Mabon et du gaulois Maponos :

1 V. Gricourt et Hollard 2010, 134.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

21

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

[I]l révélera des secrets, flots de savoir, dans le monde sans crainte.

Il aura la forme de chaque animal entre la mer verte et la terre. Il sera un dragon devant les troupes d’obscurité. Il sera le chien sauvage de chaque forêt.

Il sera un cerf avec des cornes d’argent dans un pays où on va en char. Il sera un saumon tacheté dans un lac plein. Il sera un phoque, il sera un beau cygne blanc1.

En réponse, Mongan lui-même déclare avec la superbe qui sied à un dieu :

Il n’y a pas de créature du moucheron à la baleine dont je ne puisse prendre la forme. Et j’ai la connaissance de beaucoup des pays, des îles et des îles cachées du monde…2

Le savoir suprême apparaît lié à la faculté de prendre la forme de tous les animaux, plus spécialement de ceux qui sont dangereux ou de ceux qui détiennent des savoirs secrets. La cumulation des expériences apparaît comme indissociable de la dimension temporelle : la sagesse s’acquiert dans et par le temps. Ce dieu proclame ainsi à propos d’un lac :

Il a été jaune, il a été fleuri, il a été vert, il a été vallonné […] il a été riche d’argent, il a connu de nombreux chars ; je l’ai parcouru quand j’étais un daim à la tête des autres daims, quand j’étais saumon, quand j’étais un phoque robuste, quand j’étais un loup rôdeur, quand j’étais un homme3.

Les animaux en qui les sages se transforment sont dans la mythologie galloise des « Aînés du Monde », comme en témoigne le conte Culhwch et Olwen : le merle de Cilgwri, le cerf de Rhedynfre, la chouette de Cwm Cowlwyd, l’aigle de Gwernaby et l’aîné des aînés, le saumon de Llyn Llyw. En Irlande, les Aînés du monde sont par ordre croissant d’ancienneté : Dubhchosach « Pieds Noirs », « le grand cerf du déluge », le merle Dubhghoire, « le Noir Appeleur », et enfin Eo fis, le « saumon de la sagesse ». Tuan bat des records de longévité, puisqu’il est successivement un homme durant 100 ans, le roi des cerfs d’Irlande pendant 3 siècles, celui des sangliers pendant 200 ans, un faucon et un saumon de rivière pendant 1000 ans. Après avoir échappé aux dangers, le saumon est, dans une nouvelle variante hiérogamique, mangé par la reine d’Irlande pour renaître comme humain4. Taliesin, prophète omniscient, assimilé à Merlin, est changé en grain de blé et mangé par la magicienne Cyrridwen qui l’enfante homme :

J’ai été tacon bleu, J’ai été chien, j’ai été cerf, J’ai été daim dans la montagne… Une poule m’a reçu… Je suis resté neuf nuits Enfançon dans son sein…

1 La navigation de Bran ; Guyonvarc’h 1980, 230-231 ; Sergent 2004, 512. 2 Manus O’Donnel : Betha Colaim Chille, « Vie de Colomba », 1532 87 ; O’Kelleher et Shœpperle 1918, 78-79 ; Gricourt et Hollard 2010, 114. 3 Iomagallamh Choimcille agus na óglaich i gCairn Eolairg ; Sterckx 2009b, 68 ; Gricourt et Hollard 2010, 114. 4 Gricourt et Hollard 2010, 129.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

22

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

J’ai été mort, j’ai été vivant. J’ai chanté ce par où je suis passé1.

Les transformations successives de ce Merlin décrivent un cycle suggéré par les « neuf nuits » qui sont sans doute des lunes, c’est-à-dire des mois. On peut d’ailleurs se demander si les neuf prêtresses de l’autre monde qui accompagnent le dieu du renouveau n’incarnent pas ces « lunes » et en même temps les neuf Pléiades, dont le coucher début novembre coïncide avec la fin de l’année celtique tout en marquant le début de l’hiver. Quoi qu’il en soit, le cerf et le saumon font toujours partie des « Aînés du monde » dont Merlin prend la forme. Leur statut particulier et leur longévité semblent liés à leur proximité avec l’origine. Le passage de la mort à la vie symbolisée par le grain de blé évoque aussi le motif gaulois de la tête humaine apposée par le monstre. Mais le trait le plus remarquable de ce texte est que le chant accompagne chacune de ses métamorphoses, comme si les deux étaient intimement liés. Merlin « reçu » par une poule rappelle aussi le grain avalé par la reine d’Ulster dans l’histoire de Tuan. Celle-ci décrit aussi une accession à la royauté : le cycle des renaissances de Merlin est un cycle royal qui se superpose à la chasse au cerf en tant que déroulement cosmique. Est-ce le chant qui meut la grande roue ? Merlin est-il, mythiquement parlant, l’impulseur du devenir universel ? Ce serait plus qu’assez pour montrer sa nature divine. Considéré par Philippe Walter comme « l’alpha et l’oméga du temps arthurien »2, Merlin maîtrise les trois temps par son expérience des vies antérieures et par ses prophéties. Il maîtrise la terre par son pouvoir sur les pierres, l’eau par son pouvoir sur les tempêtes et sur la brume, le feu parce qu’il propage l’incendie. Dans la Vita Merlini, il éclate de rire en voyant un mendiant assis par terre parce qu’il a vu « un magot de pièces d’argent enterré en dessous de lui3. » On peut penser que Merlin peut voir les richesses qui sont sous la terre parce qu’il est, comme le Cernunnos de Reims ou le dieu figuré sur le gobelet de Lyon, maître et dispensateur des richesses souterraines. Derrière la personnalité complexe de l’enchanteur Merlin transparaît celle de l’ancien dieu du temps, du renouveau et de la fécondation universelle. Mais celui-ci a oublié quelque peu sa qualité de père. Il ne rassemble plus tant les hommes que les animaux et les étoiles, et l’ivresse qu’il communique est celle de la poésie.

 

Les thèmes et personnages divins impliqués dans cet article sont pour la plupart examinés dans différents passages de mon étude Cycle et Métamorphoses du dieu cerf. J’invite l’aimable lecteur qui désirerait en savoir plus à s’y reporter.

1 Gricourt et Hollard 2010, 129. 2 Gricourt et Hollard 2010, 270. 3 Geoffroy de Monmouth : Vita Merlini, trad. Bord et Berthet 1999a, 91, v. 507-514 ; Gricourt et Hollard 2010, 469-470.

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

23

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Références

Arbois de Jubainville, Henri : Les Celtes. Depuis les temps les plus anciens jusqu’en l’an 100 avant notre ère. Réimpression de

l’édition 1904. Osnabruck, Otto Zeller, 1968.

Bayet, Jean : L’étrange omen de sentinum et le celtisme en Italie. Publications de l’école française de Rome. Idéologie et plastique.

1974, 169-183.

Benoit, Fernand : Art et Dieux de la Gaule. Paris, Arthaud, 1969. 198 pages.

Benoît, Jérémie : Le paganisme indo-européen : pérennité et métamorphose. Lausanne : Collection Antaios, L’Âge d’homme, 2001,

266 pages.

Bertrand, Alexandre : L’autel de Saintes et les triades gauloises (note lue à l’Académie des inscriptions en décembre 1879). Bureaux de

la Revue archéologique : 1880, 46 pages.

Blanchard, Florian : Jupiter dans les Gaules et les Germanies. Du Capitole au cavalier à l’anguipède. Rennes : Presses universitaires de

Rennes : 2015, 204 pages.

Bouloumié, Arlette : Le mythe de Merlin dans la littérature française du XXe siècle. In : Cahiers de recherches médiévales, 11, 2004, 181-

193.

Bober, Phyllis Fray : Cernunnos : Origin and Transformation of a Celtic Divinity. In : American Journal of Archaeology, Vol. 55, no 1

(Janv. 1951), 13-51. [en ligne sur www.jstor.org]

Boucher, Stéphanie : L’image de Mercure en Gaule. In : La patrie gauloise d’Agrippa au VIe siècle. Actes du Colloque. Lyon 1981. Lyon :

L’Hermès, 1983, 57-70.

Brosse, Jacques : Mythologie des arbres. Paris : Payot, 1993. 448 pages.

Brun, Patrice : Princes et Princesses de la Celtique. Le premier âge du Fer en Europe 850-450 av. J.-C. Paris : Errance, 1987.

Chauviré, Roger : L’épopée irlandaise. Le cycle de Finn. Contes ossianiques. Rennes : Terre de brumes, 1995, 354 pages.

Chopelin, Claude et Quey, Jacques : Le site gallo-romain de la tour, à Saint-Maurice-les-Châteauneuf. 1re partie : les éléments de

sculpture. In : Revue archéologique du centre de la France. 1966. Vol. 5, no 5-4, 333-340.

Cougny, Edm. : Extraits des auteurs grecs concernant l’histoire et la géographie des Gaules. Traduction Edm. Cougny.Tome I. Paris,

Errance, 1986.

Daniélou, Alain : Le Polythéisme hindou. Paris : Buchet Chastel, 1975.

Delamarre, Xavier : Dictionnaire de la langue gauloise. Une approche linguistique du vieux celtique continental. Préface Pierre-Yves

Lambert. Collection Espéride. Paris, Errance, 2001.

Deniel, Alain (trad. du moyen irlandais, présenté et annoté par) : La Rafle des vaches de Cooley. Récit celtique irlandais. Paris,

l’Harmattan, 1997. [= La Razzia des bœufs de Cuailnge (Marie-Louise Sjoestedt)]

Deyts, Simone : Images des Dieux de la Gaule. Paris, Errance, 1992. 159 pages.

De Vries, Jan : La religion des Celtes, trad. de l’allemand par L. Jospin. Paris : Payot, 1963. Bibliothèque historique. Collection les

Religions de l’humanité. 279 pages.

Dottin, Georges : La religion des Celtes. Paris, Bloud et Cie, 1904. Wikisource.

Duceppe-Lamarre, Armelle : Unité ou pluralité de la sculpture celtique hallstattienne et laténienne en pierre en Europe continentale

du VIIe au Ier s. A.C. In : Documents d’archéologie méridionale [en ligne], no 25, 2002. 285-318.

Eliade, Mircea : Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase. Paris : Payot, 1983.

Fath, Barbara : Geweih ! – Geweiht ? Deponierungen von Hirschgeweihen und Hirschdarstellungen in Brunnen und Schächten der

vorrömischen Eisenzeit Mitteleuropas. In : Archeologische Informationen 34/1, 2011, 39-48. [en ligne sur

https://www.mysciencework.com]

Guénin, G. : Le menhir de Kernuz. In : Annales de Bretagne. Tome 25, numéro 3, 1909, 438-457. [Consulté en ligne sur le site Persee]

Gomez de Soto, José ; Milcent, Pierre-Yves : La sculpture de l’âge du fer en France centrale et occidentale. Documents d’archéologie

méridionale [en ligne], no 25, 2002. 261-267. Goudineau, Christian : Regard sur la Gaule. Paris : Errance, 1998. 379 pages.

Gricourt, Daniel et Hollard, Dominique : Taranis, caelestiorum deorum maximus. In : Dialogues d’histoire ancienne. Vol. 17 n o 1,

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

24

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

1991, 343-400. [en ligne sur Persee. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1991_num_17_1_1919]

Gricourt, Daniel et Hollard Dominique : Lugus, dieu aux liens : à propos d’une pendeloque du Ve s. av. J.-C. trouvée à Vasseny

(Aisne). In : Dialogues d’histoire ancienne. Vol. 31, no 1, 2005, 51-78. [Consulté en ligne sur le site Persee]

Gricourt, Daniel et Hollard, Dominique : Cernunnos, le dioscure sauvage. Recherches comparatives sur la divinité dionysiaque des

Celtes. Préface de Bernard Sergent. Paris, l’Harmattan, 2010.

Gruel, Katherine : La Monnaie chez les Gaulois. Collection Hespérides. Paris, Errance, 1989.

Hatt, Jean-Jacques : La tombe gallo-romaine. Paris, Picard, 1986. 425 pages. Réédition de l’ouvrage paru chez P.U.F. en 1951.

Hatt, Jean-Jacques : Mythes et Dieux de la Gaule. 1. Les grandes divinités masculines. Paris : Picard, 1989. 286 pages.

Hily, Gaël : Le dieu celtique Lugus. Thèse dirigée par Pierre-Yves Lambert. Soutenue le 1er décembre 2007. 696 pages.

http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/61/41/64/PDF/Hily_Le_Dieu_celtique_Lugus.pdf Hubert, Henri : Les Celtes. Paris : Albin Michel, 2012. 752 pages. Jolif, Thierry : Le mystère Cernunnos. Un aspect du « Mercure gaulois ». Essai d’interprétation mythologique et traditionnelle

(Religioperenis.org).

[Kelten] : Die Welt der Kelten. Zentren der Macht – Kostabarkeiten der Kunst. Herausg. v. Archäologischen Landesmuseum

Baden-Würtemberg, dem Landesmuseum Würtemberg und dem Landesamt für Denkmalpflege im Regierungspräsidium

Stuttgart. Osfildern : Jan Thorbecke 2012. 552 pages.

Krausz, Sophie ; Colin, Anne ; Gruel, Katherine ; Ralston, Ian ; Dechezleprêtre, Thierry (dir.) : L’âge du fer en Europe. Mélanges

offerts à Olivier Buchsenschutz. Bordeaux : Ausonius, 2013, 687 pages.

Kruta, Venceslas : Brennos et l’image des dieux : la représentation de la figure humaine chez les Celtes. In : Comptes-rendus des séances de

l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 136e année, n o 4, 1992, 821-846. [consulté sur le site Persée]

Lacroix, Jacques : Les noms d’origine gauloise. La Gaule des combats. Préface de Venceslas Kruta. Paris, Errance, 2003.

Lacroix, Jacques : Les noms d’origine gauloise. La Gaule des dieux. Paris : Errance, 2007.

Lambert, Pierre-Yves (trad. du moyen gallois, présenté et annoté par) : Les Quatre branches du Mabinogi et autres contes gallois du

Moyen-âge. Paris : Gallimard, 1993. L’aube des peuples. 420 pages.

Lambert, Yves : La naissance des religions de la préhistoire aux religions universalistes. Paris : Pluriel, 2014. 758 pages.

Lambrechts, Pierre : Contributions à l’étude des divinités celtiques. Rijksuniversiteit te Gent. Werken uitgegeven door de Faculteit

van de Wijsbegeerte en Letteren. Bruges : 1942. 194 pages avec XXIV planches.

Lambrechts, Pierre : À propos du char cultuel de Strettweg. In : Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 23, 1944. Tome 23, 294-303.

[Persee]

Lejars, Thierry : Les fourreaux d’épée laténiens. Supports et ornementations. In : Vitali, Daniele, L’Immagine tra Mondo Celtico e

mondo etrusco-italico. Aspetti della cultura figurativa nell’antichità. Bologna : Gedit, 2003, 9-70.

Lombard-Jourdan, Anne : Aux origines de Carnaval : un dieu gaulois ancêtre des rois de France. Paris : O. Jacob, 2005. [Préface de

Jacques Le Goff]

Lombard-Jourdan, Anne et Charniguet, Alexis : Cernunnos, dieu Cerf des Gaulois. Paris, Larousse, 2009. 239 pages.

Loth, Joseph : La croyance à l’omphalos chez les Celtes. In : Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 58e

année, no 5, 1914, 481-482.

Maier, Berhard : Die Religion der Kelten : Götter, Mythen, Weltbild. Munich : C. H. Beck, 2004, 252 pages.

Martin, Jacques : La religion des Gaulois, tirée des plus pures sources de l’antiquité, vol. 2. Paris : 1727. 403 pages. [Google ebook]

Meuret, Jean-Claude : L’antique statuette tricéphale et ithyphallique de Bais (Ille-et-Vilaine). In : Revue archéologique de l’Ouest, tome 7,

1990, 87-91.

Milin, Gaël : Le roi Marc aux oreilles de cheval. Genève : Droz, 1991.

Mohen, Jean-Pierre : Les Rites de l’au-delà. Paris : Odile Jacob 1995, 2010.

Peter-Röcher, Heidi : Der Silberkessel von Gundestrup – Ein Zeugnis keltischer Religion ? 189-199 In : Offa. Berichte und Mitteilungen

zur Urgeschichte, Frühgeschichte und Mittelalterarchäologie. Band 69/70, 2012/13.

Picard, Gilbert : Les fouilles de Vienne-en-Val. In : Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Année 1970,

vol. 114, no 2, 176-191, 178-179. [en ligne sur le site Persée]

Teutatès – ivresse et communauté. Les métamorphoses du puer senex

25

© 2015 Gérard Poitrenaud www.lucterios.fr

Picard Gilbert. Les sanctuaires d’Argentomagus. In : Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 115e année,

no 3, 1971, 621-633. [en ligne sur le site Persée]

Raydon, Valéry : Le mythe de La Crau. Archéologie d’une pensée religieuse celtique. Au cœur des mythes I. Avion : Éditions du

Cénacle de France : 2013. 185 pages.

Reinach, Salomon : Cultes, mythes et religion. Tome Premier. Paris : Ernest Leroux, 1905. Les carnassiers androphages dans l’art

gallo-romain, 279-298.

Rolland, Henri : Sculptures hellénistiques découvertes à Glanum. In : Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,

112e année, no 1, 1968, 99-114.

Ross, Anne : The human Head in insular pagan celtic religion. In : Proceeding of the Society, 1957-1958, II, 10-43.

Sergent, Bernard : Le livre des dieux. Celtes et Grecs, II. Paris, Payot, 2004.

Sauzeau, Pierre et Sauzeau, André : La Quatrième Fonction. Altérité et marginalité dans l’idéologie des Indo-Européens, 2012

Sjoestedt, Marie-Louise : Dieux et héros des Celtes. Rennes : Terre de brumes, 1998. 158 pages.

Sterckx, Claude : Éléments de cosmogonie celtique. Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles, 1986. 130 pages.

Sterckx, Claude : Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. La tête, les seins, le Graal. Préface de Bernard Sergent.

Paris : L’Harmattan, 2005.

Sterckx, Claude : Mythes et dieux celtes. Essais et Études. Paris : L’Harmattan, 2010.

Streck, Bernhard : Sterbendes Heidentum. Die Rekonstruktion der ersten Weltreligion. Leipzig : Eudora-Verlag, 2013. 491 pages.

Thevenot, Émile : Divinités et sanctuaires de la Gaule. Paris, Fayard, 1968. 245 pages.

Verger, Stéphane : Des Hyperboréens aux Celtes. L’Extrême-Nord occidental des Grecs à l’épreuve des contacts avec les cultures de

l’Europe tempérée. In : D. Vitali (dir.) : Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 2 : la préhistoire des Celtes. Actes

de la table ronde de Bologne-Monterenzio, 28-29 mai 2005. Glux-en-Glenne : Bibracte, Centre archéologique européen,

2006, 45-61.

Verger, Stéphane : Les Celtes anciens et le banquet méditerranéen VIIe-Ve siècle av. J.-C. In : Histoire antique et médiévale, hors série

no 20, 2009, 3-7.

Verger, Stéphane : Partager la viande, distribuer l’hydromel. Consommation collective et pratique du pouvoir dans la tombe de

Hochdorf in : L’Âge du Fer en Europe. Mélange en l’honneur d’Olivier Buchsenschutz, Bordeaux 2013, 495-504

Vendryes, Joseph : l’unité en trois personnes chez les Celtes. In : Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. 79e

année. no 3, 1935. 324-341.

Willeumier, Pierre : Gobelet en argent de Lyon. Revue archéologique. Sixième série, T. 8, juillet-décembre 1936, 46-53.

Zavaroni, Adolfo : Les dieux du cycle de la régénération dans quelques figures celtiques. In : Revue de l’histoire des religions, tome 221

no 2, 2004, 157-173.

Zavaroni, Adolfo : Les dieux gaulois à la bourse. In : Gerion, vol. 26, 2008, no1, 327-347.

Abréviations

BN : Bibliothèque nationale. Cabinet des Médailles.

CIL : Corpus Inscriptionum Latinarum, Consilio et auctoritate Academiae Litterarum Regiae Borussicae editum. Berlin : de Gruyter

(jusqu’à 1925 : Reimer), 1861-1943.

ESP. : Espérandieu, Émile, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine. Paris : Imprimerie nationale, Ernest

Leroux, 1907-1966.

RIB : Collingwood, R. G. and Wight, RP., The Roman Inscriptions of Britain : Volume I, Inscriptions on Stone, Oxford, Oxford

University Press, 1965.