Souleimanov, Emil A., „Islam, nationalisme et vendetta: l'insurrection au Caucase du Nord,“...

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1 DOSSIER I ??????????????? Islam, nationalisme et vendetta : l’insurrection armée dans le Caucase du Nord Par Emil Souleimanov Emil Souleimanov, professeur adjoint à l’université Charles de Prague, est l’auteur de An Endless War: The Russian-Chechen Conflict in Perspective (Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2007). Traduit de l’anglais par Claire Despréaux. Au cours de la dernière décennie, l’insurrection qui faisait rage en Tchétchénie s’est répandue à d’autres régions du Caucase, en parti- culier au Daghestan et à l’Ingouchie. Le nationalisme laïque, porteur de possibles affrontements interethniques, a cédé la place au djihad comme principe unificateur de la lutte contre la Russie. D’autres facteurs viennent alimenter l’insurrection, notamment la coutume de la vendetta. politique étrangère Le 16 avril 2009, le président russe, Dmitri Medvedev, annonce la fin de l’« opération antiterroriste » en Tchétchénie. Cette opération, lancée en 2000 et menée conjointement par les forces armées fédérales et les milices tchétchènes pro-russes, visait à étouffer les foyers de l’insurrection sépa- ratiste dans la petite République autonome accrochée au versant nord du Grand Caucase. Pourtant, d’après des sources officielles russes, le nombre d’attentats a augmenté 1 de 60 % entre 2008 et 2009. En 2010, il double encore 2 par rapport à 2009. C’est également en 2010 que paraît le nouveau Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon 2020 ; les auteurs jugent la multiplication des attentats particulièrement pré- occupante 3 et désignent le terrorisme comme la principale menace pesant sur la sécurité intérieure du pays. 1. « Ugroza terrorizma v Rossii sokhranaetsya » (La menace terroriste persiste en Russie), 21 février 2010, disponible sur <http://www.rosbalt.ru/style/2010/02/21/714695.html>, consulté le 9 mai 2010. 2. « Genprokuror predlozhil zashishatsya ot terraktov samim » (Le procureur général suggère que nous nous défendions contre les attentats par nos propres moyens), 27 avril 2011, disponible sur <http://www. bbc.co.uk/russian/russia/2011/04/110427_chaika_speech_terror.shtml>, consulté le 10 mai 2011. 3. Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon 2020 , adopté le 12 mai 2009, disponible sur <http://www.scrf.gov.ru/documents/ 99.html>, consulté le 1 er mai 2011. politique étrangère l 1:2012 08_Souleimanov.fm Page 1 Vendredi, 27. janvier 2012 2:51 14

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Islam, nationalisme et vendetta : l’insurrection armée dans le Caucase du Nord

Par

Emil Souleimanov

Emil Souleimanov

, professeur adjoint à l’université Charles de Prague, est l’auteur de

AnEndless War: The Russian-Chechen Conflict in Perspective

(Francfort-sur-le-Main, PeterLang, 2007).

Traduit de l’anglais par Claire Despréaux.

Au cours de la dernière décennie, l’insurrection qui faisait rage enTchétchénie s’est répandue à d’autres régions du Caucase, en parti-culier au Daghestan et à l’Ingouchie. Le nationalisme laïque, porteur depossibles affrontements interethniques, a cédé la place au djihadcomme principe unificateur de la lutte contre la Russie. D’autres facteursviennent alimenter l’insurrection, notamment la coutume de la vendetta.

politique

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Le 16 avril 2009, le président russe, Dmitri Medvedev, annonce la fin del’« opération antiterroriste » en Tchétchénie. Cette opération, lancée en2000 et menée conjointement par les forces armées fédérales et les milicestchétchènes pro-russes, visait à étouffer les foyers de l’insurrection sépa-ratiste dans la petite République autonome accrochée au versant nord duGrand Caucase. Pourtant, d’après des sources officielles russes, le nombred’attentats a augmenté

1

de 60 % entre 2008 et 2009. En 2010, il doubleencore

2

par rapport à 2009. C’est également en 2010 que paraît le nouveau

Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon 2020

;les auteurs jugent la multiplication des attentats particulièrement pré-occupante

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et désignent le terrorisme comme la principale menace pesantsur la sécurité intérieure du pays.

1. « Ugroza terrorizma v Rossii sokhranaetsya » (La menace terroriste persiste en Russie), 21 février2010, disponible sur <http://www.rosbalt.ru/style/2010/02/21/714695.html>, consulté le 9 mai 2010.2. « Genprokuror predlozhil zashishatsya ot terraktov samim » (Le procureur général suggère que nousnous défendions contre les attentats par nos propres moyens), 27 avril 2011, disponible sur <http://www.bbc.co.uk/russian/russia/2011/04/110427_chaika_speech_terror.shtml>, consulté le 10 mai 2011. 3. Conseil de sécurité de la Fédération de Russie,

Concept de sécurité nationale de la Fédération deRussie à l’horizon 2020

, adopté le 12 mai 2009, disponible sur <http://www.scrf.gov.ru/documents/99.html>, consulté le 1

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Si le Caucase du Nord a connu ces dernières années une recrudescenced’attentats, d’actes de sabotage et d’assassinats, le cœur même de laRussie n’a en effet pas été épargné : les attentats-suicides meurtriersdans le métro de Moscou en mars 2010 et à l’aéroport international deMoscou-Domodedovo en janvier 2011 ont coûté la vie à 77 personnes.De toute évidence, au-delà de l’effet d’annonce, la fin de l’« opérationantiterroriste » en Tchétchénie n’a pas marqué l’extinction réelle de lamenace brandie contre la Russie. Comment expliquer cet échec ?

L’insurrection, qui était restée confinée principalement à la Tchétchéniejusque-là, s’est propagée ces dix dernières années aux territoires nord-caucasiens avoisinants. L’affaiblissement relatif de l’activité séparatistetchétchène a été compensé par l’ouverture de nouvelles lignes de front àl’extrême sud de la Russie, en Ingouchie et au Daghestan ; ces deux Répu-bliques frontalières de la Tchétchénie, situées dans le Caucase oriental,ont progressivement basculé dans la guerre civile. L’expansion del’insurrection s’est concrètement traduite par la création en octobre 2007de l’émirat du Caucase, une entité religieuse, en lieu et place de la Répu-blique tchétchène d’Itchkérie, une entité séparatiste laïque. Depuis cettedate, le nationalisme tchétchène qui avait alimenté le mouvement sépa-ratiste depuis le début des années 1990 a progressivement été remplacé

par l’idéologie djihadiste

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. Cette mutation résulted’une part du succès de la politique de « tchétché-nisation » entreprise par la Russie, qui a abouti à

l’affaiblissement progressif de la rébellion tchétchène jusqu’en 2007. Cettepolitique consistait à créer deux camps rivaux en Tchétchénie et à sou-tenir le camp pro-russe dans son combat contre l’ennemi séparatiste

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.D’autre part, elle constitue l’aboutissement de dynamiques internes àl’œuvre dans l’ensemble du Caucase du Nord depuis le début des années2000, voire plus tôt encore. Les séparatistes ne sont pas tous tchétchènes,mais appartiennent à diverses ethnies. Ils ont trouvé un cadre d’actioncommun dans l’émirat du Caucase, véritable théocratie islamique quis’étend de la mer Caspienne à la mer Noire et entend englober les popu-lations majoritairement musulmanes des Républiques autonomes nord-caucasiennes ; ils sont pour la plupart salafistes et pratiquent donc unislam militant

6

.

4. Pour un panorama complet du processus, voir J. Hughes,

Chechnya: From Nationalism to Jihad.National and Ethnic Conflict in the 21

st

Century

, Philadelphie, PA, University of Pennsylvania Press,2007, p. 94-127.5. Voir E. Souleimanov, « Russian Chechnya Policy: “Chechenization” turning into “Kadyrovization”? »,

The Central Asia-Caucasus Institute Analyst

, 31 mai 2006.6. Actuellement, les membres des diverses ethnies nord-caucasiennes et environ un quart des Ossètesdu Nord sont sunnites, tandis que le restant des Ossètes du Nord et un petit nombre de Kabardesoriginaires de la ville de Mozdok sont de confession chrétienne orthodoxe.

L’émirat du Caucase

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Les estimations concernant le nombre de rebelles varient de manièreconsidérable selon les sources. D’après le pouvoir fédéral, près de1 000 rebelles islamistes seraient en activité

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. Le noyau dur de l’insur-rection semble s’être actuellement déplacé de la Tchétchénie vers leDaghestan voisin où, selon des sources locales, le mouvement de résis-tance compterait jusqu’à 2 500 membres

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. Aujourd’hui, c’est DokouOumarov qui assure de manière formelle le commandement de l’insur-rection islamiste au Caucase du Nord. En pratique, cependant, les

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de la région jouissent d’une grande autonomie et mènent leurs propresopérations en fonction de leurs besoins et des spécificités locales. Lesfigures principales de la résistance islamiste sont les émirs des jamaatdaghestanaises comme Ibrahimkhalil Daudov (émir de la Jamaat Chariat)et Alim Zankishev, qui est à la tête de la branche ouest de l’insurrectionau Caucase du Nord.

Cet article se donne pour but d’examiner les racines de l’insurrectionarmée dans le Caucase du Nord, ainsi que les raisons de son expansionterritoriale et de sa persévérance en dépit de la supériorité écrasante de laRussie. Dans un contexte de grandes difficultés socioéconomiques, leséléments suivants se combinent pour nourrir l’insurrection : principa-lement, le salafisme et le séparatisme fondé sur le nationalisme ethnique,auxquels s’ajoutent les formes traditionnelles d’organisation sociale et ledroit coutumier local (

adat

), ainsi que la coutume de la vendetta appliquéeen réaction aux pratiques contre-insurrectionnelles russes. Ce dernierélément explique le fort degré de mobilisation et l’afflux incessant denouvelles recrues dans les rangs rebelles. Cet article se concentre sur lescas du Daghestan, de la Tchétchénie et de l’Ingouchie.

Le Caucase du Nord au fil de l’histoire

Le Caucase du Nord est déjà décrit dans les chroniques anciennes commeune véritable Babel, une mosaïque de langues et de dialectes. Située à lacroisée de plusieurs empires, la région a vu se succéder les Alains, lesMongols, les Tatars et les Turcs, qui n’ont cependant jamais réussi à établirune domination pleine et entière sur la montagne caucasienne. À l’issued’un siècle de combats intenses et d’expansion continue, l’Empire russeconquiert le Caucase du Nord au milieu du

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siècle. La résistance à

7. De fait, il est difficile de connaître avec précision l’effectif des rebelles, qui alternent en permanencerésistance active (par les armes) et passive (hors combat).8. Entretiens individuels avec des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de la République duDaghestan, réalisés par l’auteur à l’automne 2011.9.

Jamaat

: (originellement) communauté islamique. Terme utilisé par les autorités russes pour désignerles groupes armés islamistes (

NdT

).

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l’occupation russe resurgira néanmoins périodiquement dans certaineszones jusqu’à la chute de l’empire des Romanov et la soviétisation de larégion

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dans les années 1920-1930.

Le Caucase du Nord connaît ensuite une période d’apaisement relatifjusqu’à l’implosion de l’Union soviétique, si l’on excepte la déportationen 1943 et 1944 de centaines de milliers de Tchétchènes, Ingouches,Karatchaïs et Balkars collectivement accusés par Staline d’avoir collaboréavec l’ennemi nazi durant sa percée dans la région. Après la fin de laSeconde Guerre mondiale, les autorités soviétiques continuent à sur-veiller de près ceux qu’elles considèrent comme de puissants agentssubversifs dans le Caucase du Nord et tout particulièrement enTchétchénie, ainsi que dans les Républiques limitrophes d’Ingouchie etdu Daghestan. Ces territoires sont en effet le bastion de sociétés struc-turées selon des traditions archaïques et dans lesquelles l’islam joue unrôle de premier plan ; ils résistent aux tentatives de Moscou d’imposerune domination sans partage sur la région

11

.

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, on assiste à unrenouveau du nationalisme et à un nouvel essor du phénomène religieuxdans l’espace (post-)soviétique, en particulier dans le Caucase du Nord ;la Tchétchénie déclare son indépendance suite à l’effondrement del’Union soviétique en 1991. La Russie redoute cependant l’effet dominoque pourrait provoquer cette indépendance dans d’autres régions dupays et envoie des troupes en Tchétchénie à l’automne 1994 afin dereprendre le contrôle de l’entité séparatiste. Cette date marque le débutde ce qu’on appellera ensuite la première guerre de Tchétchénie ; lestroupes russes se retirent dès 1996. Suit une nouvelle période d’indépen-dance en Tchétchénie. En 1999, des combattants djihadistes tchétchènes etdaghestanais commandés par Chamil Bassaev tentent une incursion ratéedans les montagnes du Daghestan oriental, déclenchant un soulèvementpopulaire musulman dans cette région multiethnique. Plus tard dansl’année débute la deuxième guerre de Tchétchénie, durant laquellel’armée russe occupe l’ensemble du territoire et détruit le noyau dur de

10. Pour mieux comprendre la poussée de l’Empire russe dans le Caucase du Nord au

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siècle et larésistance opposée par les montagnards, voir par exemple A. Zelkina,

In Quest for God and Freedom:Sufi Responses to the Russian Advance in the North Caucasus

, New York, New York University Press,2001.11. Pour plus d’informations au sujet des déportations des peuples nord-caucasiens et en particulier desTchétchènes et des Ingouches pendant la Seconde Guerre mondiale, voir A. Avtorkhanov, « TheChechens and Ingush during the Soviet Period and its Ascendants »,

in

M. Bennigsen-Broxup (dir.),

TheNorth Caucasus Barrier. The Russian Advance towards the Muslim World

, New York, Barnes and Noble,1992, p. 188-193. Pour un panorama complet de l’histoire du Caucase du Nord sous domination soviétiqueaprès 1945, voir A. Marshall,

The Caucasus under Soviet Rule

, Londres, Routledge, 2010, p. 272-291.

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l’armée tchétchène, qui était plutôt laïque

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. Depuis, le mouvement insur-rectionnel s’est fortement radicalisé : de la guérilla, moyen privilégié dela résistance jusque-là, les séparatistes tchétchènes sont passés auterrorisme, aux attentats visant y compris des civils dans les grandesvilles russes. En réponse à cette radicalisation, les forces russes ontintensifié leurs opérations de contre-insurrection, qui ont notammentpris la forme de représailles exercées arbitrairement sur les civils enTchétchénie.

Une situation économique et sociale catastrophique

Le Caucase du Nord compte parmi les régions les plus pauvres deRussie et présente invariablement le taux de chômage le plus élevé de laFédération. Selon des études menées par des organismes indépendants,environ un tiers de la population est sans emploi en Ingouchie et auDaghestan

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. Le chômage touche en particulier les jeunes et les popu-lations des zones montagneuses isolées du Nord-Est du Caucase. En fait,toutes les Républiques autonomes nord-caucasiennes reçoivent depuisdes années des subventions massives de Moscou ; au Daghestan, enTchétchénie et en Ingouchie, elles représentent entre 80 % et 90 % dubudget public

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. La corruption, le clientélisme et le népotisme sontendémiques dans la région, qui bat tous les records fédéraux en lamatière. Jusqu’à présent, les efforts répétés de la Russie pour stimuler lacroissance dans le Caucase du Nord sont restés vains. Cet échec estpartiellement imputable aux niveaux élevés de corruption qui règnentdans l’administration locale et fédérale et plus généralement à l’inca-pacité de Moscou à régler le problème. Tout cela a renforcé le sentimentdéjà répandu dans la population nord-caucasienne que, d’une part,l’objectif premier des autorités russes est de s’assurer la loyauté desélites locales et de leur clan et que, d’autre part, les élites en questionse préoccupent uniquement de conserver leur pouvoir et d’éliminertoute opposition politique dans le but d’accroître leur fortune per-sonnelle, la situation socioéconomique désastreuse étant le cadet deleurs soucis

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.

12. Voir par exemple G. D. Bakhshi, « The War in Chechnya: A Military Analysis »,

Strategic Analysis

,vol. 24, n° 5, août 2000.13. M. Kramer, « Prospects for Islamic Radicalism and Violent Extremism in the North Caucasus andCentral Asia »,

PONARS Eurasia Memo

, n° 28, août 2008, disponible sur <http://ponarseurasia.org/blog/>, consulté le 18 avril 2011.14. K. D. Leahy, « North Caucasian Rebels’ Economic Policy Defined by Conventionality and WishfulThinking »,

The Central Asia-Caucasus Institute Analyst

, 2 février 2011.15. Voir par exemple A. C. Kuchins, S. Markedonov et M. Malarkey,

The North Caucasus. Russia’s Vola-tile Frontier

, Washington, DC, Center for Strategic International Studies, mai 2011, « CSIS Report ».

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Clans, droit coutumier et vendetta

Historiquement, les sociétés du Caucase du Nord et de la vallée de laFerghana (Asie centrale), sont celles qui ont conservé les structures les plustraditionnelles en Russie. Au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie,la collectivité s’organise aujourd’hui encore autour du principe central desliens de sang, qui déterminent l’appartenance à un clan

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. Cette apparte-nance définit à son tour l’identité de l’individu et sa place dans la société,elle constitue un des principaux référents identitaires : l’individu est indis-sociable du clan auquel il appartient et n’a pas d’existence propre hors delui. Les populations locales n’ont jamais adopté de hiérarchie rigide fondéesur des classes sociales ; si un système de classes féodales a eu cours demanière marginale au Daghestan, il n’en a rien été en Tchétchénie et enIngouchie. Les clans s’opposent donc depuis des siècles dans une bataillesans fin pour le prestige et l’accès aux ressources naturelles.

Il est important de souligner le lien fort qui unit identité clanique etcode d’honneur patriarcal chez les différents groupes ethniques nord-caucasiens. Selon ce code encore en vigueur, la valeur d’une femme résidedans sa pureté, celle d’une femme mariée dans la fidélité à son mari et à la

famille de ce dernier et celle d’un homme dans soncourage et sa capacité à venger un affront ainsi qu’àprotéger sa famille et à lui assurer une existencedigne. Si une personne est déshonorée, ou sonhonneur entaché, la disgrâce s’abat non seulement sur

elle, mais aussi sur l’ensemble de sa famille et donc du clan. La perte deprestige résultant d’une atteinte à la réputation d’un de ses membres agénéralement pour conséquence d’affaiblir la position du clan dans lahiérarchie sociale. Cette rétrogradation peut avoir de graves réper-cussions matérielles.

Le droit coutumier local, qui s’appuie sur des formes traditionnellesd’organisation sociale, joue un rôle important, en particulier dans les zonesmontagneuses isolées de l’Ouest du Daghestan, et reste en vigueur sur lamajeure partie des territoires tchétchène et ingouche. La coutume de lavendetta est également répandue dans le Caucase du Nord. Elle exige desreprésailles en cas de meurtre, blessures mortelles, viol ou atteinte majeureà l’honneur par l’acte ou la parole

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. Si l’offensé n’a pas la capacité ou la

16. En Tchétchénie et en Ingouchie, on désigne généralement un groupe de personnes issues d’unemême lignée paternelle par le terme

teïp

, tandis qu’au Daghestan, on emploie le terme

tuhum

.17. Par exemple, selon le droit coutumier local, donner une gifle, un coup de pied ou cracher au visaged’un autre homme constitue une atteinte à son honneur, qui doit être punie par des représailles immé-diates.

Identité claniqueet code d’honneur

patriarcal

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volonté d’exercer des représailles, son honneur, donc celui de son clan, estentaché et il est mis au ban de la société

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. Hors du clan, personne neconserve de lien avec lui. Dans ce cas de figure, la tradition donne auxhommes de la famille de l’offensé le choix entre deux solutions pourrétablir l’honneur du clan : tuer eux-mêmes l’offenseur, ou bien tuer oubannir du clan l’offensé qui n’a pas exercé de représailles.

Insistons sur cette notion centrale : ici, la valeur d’un homme résideprincipalement dans son courage ; la peur n’a pas sa place. Quelles quesoient les conséquences des représailles, l’honneur du clan doit être vengé.Si un membre du clan est assassiné, les hommes de la famille doivent, envertu de l’

adat

, laver l’offense en exécutant l’auteur du crime ou un hommede sa famille âgé de 16 ans ou plus. La vendetta épargne traditionnel-lement les femmes ; elle vise généralement les frères et les fils de l’offen-seur. La vengeance rétablit l’honneur du clan et sa place dans la société. Unpoint capital : la vendetta ne connaît pas de limite temporelle ; elle s’étendsur des dizaines d’années et engage des générations entières d’« ennemisde sang ».

Bien que la force du droit coutumier se soit émoussée pendant lapériode soviétique, l’inefficacité des autorités russes en général et dusystème judiciaire en particulier, ainsi que le regain d’intérêt pour lestraditions locales au lendemain de l’effondrement de l’URSS, ont lar-gement contribué au rétablissement de l’

adat

et de la coutume de lavendetta, qui régissent à nouveau le quotidien des Daghestanais, desTchétchènes et des Ingouches

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.

Nationalisme, solidarité régionale et sentiment antirusse

Les peuples du Nord-Est du Caucase font généralement preuve de natio-nalisme ethnique. Les mariages interethniques entre Daghestanais, avecles populations des Républiques frontalières à l’ouest, ou même entreTchétchènes et Ingouches (pourtant proches d’un point de vue ethno-linguistique) sont rares. Des tensions opposent les membres de différentsgroupes ethniques implantés dans une même région pour le contrôle deterritoires habités par une population mixte. Pour l’instant, ces conflitsrestent latents.

18. Dans l’environnement hostile de la montagne caucasienne, où la survie repose sur la solidaritéclanique, cela équivaut concrètement à la mort.19. Pour plus d’informations au sujet de l’adat et de la coutume de la vendetta appliquée par lesTchétchènes et certains autres peuples nord-caucasiens, voir E. Souleimanov,

An Endless War: TheRussian-Chechen Conflict in Perspective

, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2007, p. 24-39.

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Une solidarité régionale bien enracinée, la « solidarité des monta-gnards », unit cependant les peuples du Nord-Est du Caucase, toutesethnies confondues. Cette solidarité repose sur la conscience partagéenon seulement par les Daghestanais, les Tchétchènes et les Ingouches,mais plus largement par les populations du Nord-Ouest du Caucase et,dans une certaine mesure, les habitants du Sud du Caucase, de posséderune histoire, une culture, des valeurs et des coutumes communes. Cerégionalisme se renforce dans l’opposition à l’« autre » : le Russe. L’iden-tité ethnique des peuples nord-caucasiens s’est en effet bâtie sur lamémoire collective, le souvenir d’une longue série de guerres de libé-ration nationale, de soulèvements, de représailles et de souffrancesendurées depuis le

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siècle. Malgré des années de domination sovié-tique et grâce à une forte tradition orale, les récits de résistance à l’enva-hisseur russe ont été transmis de génération en génération chez lesTchétchènes, les Daghestanais et les Ingouches. Au Daghestan et enTchétchénie, le souvenir de la résistance menée par l’imam Chamil et sesprédécesseurs pendant la guerre du Caucase reste vif et vient alimenterl’idéologie régionaliste. Après tout, comme le disent certains, « [leurs]grands-pères ont tenu tête aux Russes héroïquement, quelle qu’ait étéleur appartenance ethnique

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». L’occupant, qu’il soit tsariste, soviétiqueou russe, n’est jamais parvenu à brider entièrement les aspirationsséparatistes des populations locales, aujourd’hui entretenues par lemécontentement lié à la situation socioéconomique catastrophique danscette région du Caucase. Néanmoins, les séparatistes nord-caucasienssont bien conscients du fait qu’aucun groupe ethnique ne peut maté-riellement lutter seul pour son indépendance contre le puissant Étatrusse. C’est pourquoi ils soutiennent le projet d’une résistance nord-caucasienne unie et donnent à l’islam une place toujours plus importanteen tant qu’idéologie motrice de l’indépendantisme régional. Par ailleurs,le sentiment antirusse déjà répandu dans le Caucase du Nord setrouve encore exacerbé par le traitement réservé aux natifs de la région(Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan, Kabardino-Balkarie, Karatchaïevo-Tcherkessie) dans le reste de la Russie, où ils sont de plus en plusconsidérés comme des citoyens de seconde classe. Sentiment antirusse etnationalisme se combinent ainsi pour renforcer la solidarité régionaleentre les peuples nord-caucasiens

21

.

20. Entretiens individuels avec des nationalistes adyguéens réalisés par l’auteur à Nalchik (Kabardino-Balkarie, Russie), le 15 avril 2005.21. On ne peut ignorer à ce sujet les récents pogroms visant les Caucasiens dans tout le pays, dont lepoint d’orgue a été le passage à tabac de jeunes Caucasiens le 11 décembre 2010 sur la place duManège à Moscou, à seulement 50 mètres du Kremlin.

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Politisation de l’islam et djihadisme

Les mutations sociales en cours dans le Caucase du Nord permettentd’expliquer le processus de politisation de l’islam dans la région. Premiè-rement, le renouveau islamique de la fin des années 1980 et du début desannées 1990 s’est inscrit dans le cadre plus large du mouvement de retouraux sources qui a suivi la chute de l’État soviétique ; les Russes ethniquescomme les membres d’autres peuples précédemment englobés par l’URSSont redécouvert leurs racines (langue, traditions, etc.). La religion s’estalors imposée comme un référent identitaire (ethnique, culturel) essentiel.Deuxièmement, la présence de l’islam dans les sphères privée et, dans unecertaine mesure, publique, n’a jamais faibli. Il a par conséquent été utilisépar divers acteurs sociaux pour légitimer leurs activités, même lorsqu’ellesétaient sans rapport avec la religion. Pour nombre de jeunes Tchétchènes,Daghestanais et Ingouches en quête de leurs racines ethniques et spiri-tuelles dans un contexte d’instabilité politique et sociale, la religion estapparue comme la seule idée valable et digne d’être défendue.

Sous l’influence conjuguée de missionnaires musulmans moyen-orientaux et de chefs religieux locaux partis étudier l’islam au Moyen-Orient, puis revenus convaincre leurs concitoyens, une partie de lajeunesse nord-caucasienne s’est progressivement tournée vers le salafisme.Celui-ci représente en effet pour elle une alternative au courant animé pardes autorités islamiques traditionnelles fidèles au pouvoir, donc largementdiscréditées. Ceux qu’on appelait les wahhabites dans les années 1990s’opposent pour partie au soufisme en raison de sonculte des saints soufis, qu’ils considèrent comme unehérésie, une atteinte au principe sacré du mono-théisme, fondement de l’islam. En outre, les popu-lations locales voient dans le salafisme une solutionsimple aux nombreux problèmes qui frappent leursociété, la doctrine se donnant pour objectif ultimel’établissement d’un État islamique porteur de prospérité, de pureté et dejustice. Ce dernier argument a rencontré un fort écho chez les habitants,plus traditionalistes, des campagnes et de la montagne. Par ailleurs, lerégime local pro-russe a éliminé la majeure partie de l’opposition laïque,ne laissant que le salafisme comme alternative crédible au pouvoir tant haï.Les Nord-Caucasiens en quête de changement politique ont donc choisicette voie.

Un des attraits du salafisme pour ces nouveaux convertis est la notioncentrale de djihad de l’épée, c’est-à-dire la guerre sainte visant à défendreune terre d’islam. Autre raison non moins importante de ce succès chez les

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jeunes de la région : le salafisme se présente comme

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moyen de contes-tation des structures sociales traditionnelles. Contrairement au soufisme,qui impose le respect d’une hiérarchie stricte ainsi que des liens de sang ettolère les pratiques locales non conformes à l’islam (par exemple le droitcoutumier), le salafisme établit un lien direct entre l’individu (membred’une communauté islamique) et Allah et rejette toute obligation deloyauté envers une tribu, une ethnie, un clan, une société ou une famille.Les séparatistes l’ont ainsi adopté et utilisé afin d’enclencher un processusplus vaste d’extraction de l’individu des liens sociaux complexes quil’enserrent et unissent les peuples du Caucase du Nord

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.

Si l’islam constitue traditionnellement un référent identitaire communaux différents peuples du Caucase du Nord et leur a permis de serassembler face au colonisateur russe, une évolution fondamentale doitêtre prise en compte : la religion a pris le pas sur le nationalisme ethniquedans la lutte indépendantiste contre la Russie ; les séparatistes nord-caucasiens ont choisi l’islam, unificateur, afin d’éviter tout conflit inter-ethnique.

La fabrique de la résistance, ou comment nourrir et unifierle mouvement séparatiste

Les communautés du Daghestan et de Tchétchénie ont été les premières,au début des années 1990, à adopter le salafisme dans le Caucase duNord, mais le courant a ensuite été largement discrédité auprès des popu-lations locales par l’incursion ratée de séparatistes djihadistes daghes-tanais et tchétchènes dans l’Ouest du Daghestan en août 1999. Lesautorités russes ont par la suite désigné le « terrorisme islamiste » commemenace majeure pour la sécurité nationale en 1999-2001 ; les gouver-nements locaux ont placé en détention des milliers de personnes, princi-palement de jeunes Daghestanais, Tchétchènes et Ingouches accusésd’être des terroristes et/ou des wahhabites. Pendant leur détention, cespersonnes ont été régulièrement soumises à des interrogatoires « à lasoviétique », les insultes, tentatives d’intimidation, passages à tabac et latorture étant monnaie courante. Pour obtenir les aveux dont elles avaientbesoin, les autorités fédérales et locales n’ont pas hésité à recourir auchantage et aux agressions physiques sur les familles (y compris lesfemmes) des détenus. Les mêmes autorités considéraient les personnesmanifestant une foi profonde comme extrêmement suspectes ; elles ontlancé de véritables chasses aux sorcières contre les « wahhabites » et leurssympathisants. Pour nombre de policiers locaux peu instruits, mal payés,

22. Voir A. Malashenko,

Islamskie orientiry Severnogo Kavkaza

, Moscou, Gendalf, 2001, p. 104 et 126.

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Islam, nationalisme et vendetta : l’insurrection armée dans le Caucase du Nord

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corrompus et jouissant d’une impunité totale, les enlèvements de suspectscontre rançon ont représenté une source de revenus importante. Lorsqueles autorités ne disposaient pas de preuves suffisantes pour incarcérer les« wahhabites », elles les libéraient – après des mois d’humiliations et detorture. Beaucoup d’anciens détenus n’ont jamais pardonné et ont choisile recours à la violence pour se faire justice. Les frères, fils ou cousins depersonnes grièvement blessées ou assassinées ont juré d’exercer desreprésailles pour rétablir l’honneur du clan

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.

Affronter seuls les autorités fédérales et pro-russes est difficile, c’estpourquoi un grand nombre de jeunes Daghestanais, Tchétchènes etIngouches ont rejoint le mouvement insurrectionnel dans les montagnes,où ils ont été initiés aux fondements du djihadisme. Le mouvement insur-rectionnel s’est consolidé en adoptant une idéologie commune ; il s’estdonné un but collectif précis, la création d’un État islamique indépendantde la Russie, et des cibles bien définies, l’occupant russe et ses sbireslocaux. Si la mémoire collective des peuples du Daghestan, de Tchétchénieet d’Ingouchie célèbre la résistance séculaire à la colonisation, donc auxRusses, les séparatistes considèrent le combat contre les transfuges locauxcomme un impératif encore plus fort

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.

De même, nombre de Nord-Caucasiens ont rejoint le mouvement insur-rectionnel pour dénoncer les maux, les péchés de la société (corruption,érosion des valeurs traditionnelles, absence de perspectives profession-nelles) et construire un avenir meilleur, conforme à l’islam, pour leurpatrie. L’appartenance à des groupes djihadistes a joué un rôle essentiel :elle a permis aux rebelles de dépasser leurs différences ethniques et leursoppositions claniques pour s’unir dans une solidarité sans précédentfondée sur la religion. Le processus d’adoption d’une idéologie de résis-tance commune a ainsi coïncidé avec la politisation de la violence.

***

L’aggravation actuelle de l’insécurité dans le Caucase du Norddémontre l’incapacité des autorités fédérales et locales à lutter efficace-ment contre le terrorisme. Au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchiecomme ailleurs, la conduite brutale et arbitraire des forces armées a

23. Voir par exemple E. Souleimanov, « Dagestan: The Emerging Core of the North Caucasus Insur-gency »,

The Central Asia-Caucasus Institute Analyst

, 29 septembre 2010.24. Pour un aperçu intéressant de la rhétorique employée par les djihadistes nord-caucasiens, voir« Imarat Kavkaz. Ogon sviashchennogo jihada » (L’émirat du Caucase. Le feu du djihad sacré), 1

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mai2011, disponible sur <http://www.kavkazcenter.com/russ/content/2011/05/01/81196.shtml>, consulté le2 mai 2011.

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participé au renforcement et à la radicalisation de l’insurrection islamiste.La corruption endémique dans la région, le taux de chômage élevé, lasituation socioéconomique désastreuse et l’absence de pluralité politiqueont également contribué à créer un terrain fertile pour la rébellion.

L’insurrection au Caucase du Nord se distingue par une mobilisation encascade, favorisée par des coutumes locales (principalement la vendetta) etdes structures sociales traditionnelles (les clans) fortement enracinées.Dans l’ensemble de la région, les séparatistes ont substitué au nationalismeethnique le djihadisme comme principe directeur de leur lutte. Ce choixleur a jusqu’à présent permis de rallier à une cause commune un certainnombre de Nord-Caucasiens radicalisés, quelle que soit leur ethnie.

Une guerre civile est donc actuellement en cours au Daghestan et,dans une certaine mesure, en Ingouchie et en Tchétchénie. Les victoiresponctuelles remportées par les autorités russes contre l’insurrectionn’empêchent pas un flot grandissant de jeunes privés d’espoir de venir engonfler les rangs. La situation au Daghestan et en Ingouchie n’est pas« normalisée » comme en Tchétchénie : les rebelles bénéficient de lasympathie et du soutien de la population, éreintée et indignée par lecomportement d’autorités locales corrompues et de forces de l’ordre usantd’une violence toujours croissante, toujours plus arbitraire. Si nombrede Tchétchènes repoussent l’heure de la vengeance à « un moment pluspropice » afin d’éviter de subir des représailles, ou ont reporté leur colèresur leurs concitoyens pro-russes, il n’en est pas de même au Daghestan eten Ingouchie, où la guerre civile fait rage – tant et si bien que l’écho en

retentit parfois dans les villes russes.

MOTS CLÉS :

Caucaseislaminsurrectionterrorisme

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