RECHERCHE-ACTION, FORMATION EXPERIENTIELLE ET AUTOFORMATION COOPERATIVE ACCOMPAGNEE POUR DEVELOPPER...

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1 RECHERCHE-ACTION, FORMATION EXPERIENTIELLE ET AUTOFORMATION COOPERATIVE ACCOMPAGNEE POUR DEVELOPPER DES COMPETENCES TRANSVERSALES Florence Saint-Luc [email protected] Docteure en Sciences de l’Education – ATER université d’Aix-Marseille Les résultats faisant apparaître le décrochage des élèves de milieux populaires dans PISA 2012 et les manifestations d’incompréhension et de racisme conduisent à s’interroger sur le rôle des enseignants et de leur formation. Que pourrait apporter l’Education Nouvelle en réponse à cette crise éducative ? Selon Michel Serres (2012), les savoir-être et savoir-faire constituent à présent des axes essentiels en éducation et en formation. Face à l’incertitude du monde du travail, les allers et retours entre la formation et l’emploi sont inéluctables. Les recommandations européennes sur la relation école-emploi mettent donc l’accent, pour lutter contre le chômage, sur la for mation d’individus compétents dotés moins de connaissances approfondies que de « capacités à agir, à réagir et à s’adapter » 1 . Cela appelle à une réforme de la pensée, en lien avec le paradigme de la complexité. Quelle formation donner aux enseignants et formateurs pour qu’ils soient capables de développer ces capacités et compétences afin de les faire construire par leurs élèves ? Dans le cadre de l’unité d’enseignement « connaissance du champ d’exercice : politique et pratique de la formation » en licence « ingénierie de la formation des adultes », dans le département des Sciences de l’Education de l’université d’Aix-Marseille, le vécu du cours est le support de formes de pédagogie active et coopérative, avec des liens établis entre théorie et pratique, sous la forme d’une recherche-action/formation expérientielle. Cette recherche-action est présentée en deux temps : l’hypothèse générale et les hypothèses opérationnelles pour 2012-2013, avec l’ajustement aux étudiants, et la transformation nécessaire de l’hypothèse générale et des hypothèses opérationnelles pour 2013-2014, avec le développement tel qu’il se présente en ce premier trimestre de l’année universitaire. 1 Des compétences transversales à développer en formation et en éducation Dans le socle commun de connaissances et de compétences, en France, le bloc des compétences 6 (sociales et civiques) et 7 (autonomie et initiative) sont développées dans des pratiques issues des mouvements pédagogiques (ICEM, OCCE, GFEN, CEMEA…). Ces compétences transversales (ou psychosociales, selon Jacques Lecomte) visées par la formation sont pour nous la réflexivité, la capacité à coopérer et la créativité. 1.1 La réflexivité Une crise de légitimité apparaît lorsque « la complexité, l’incertitude, l’instabilité, la singularité et le conflit de valeurs » (Schön, 1994, p.65) ne permettent plus de considérer la pratique comme une application de théories mises en évidence par la recherche fondamentale. Le modèle de la science appliquée ne peut plus expliquer les « situations divergentes » (ibid, p. 75), le rôle de l’expérience professionnelle et la place de l’intuition. Un certain nombre d’habiletés professionnelles ne sont basées ni sur des lois, ni sur des procédures , mais plutôt sur des intuitions et des jugements tacites. La prise en compte de l’erreur, de la singularité, de l’imprévu, conduit à la nécessité de revoir la compréhension de phénomènes, d’élaborer de nouvelles hypothèses, de les expérimenter, de transformer les situations et de produire une nouvelle construction de la réalité. La réflexivité créerait une posture de praticien en recherche, grâce à la réflexion sur l’action et en cours d’action. Pour se faire, il s’agit de construire une épistémologie du savoir caché dans l’agir professionnel, dans le contexte d’une recherche réflexive. Cette posture oblige à renoncer au statut de l’expert. La dimension du calcul de risques et la responsabilisation semblent au cœur d’une réelle formation professionnelle développant la réflexivité. Le groupe permet, de par la multiplicité des points de vue, d’étudier avec plusieur s regards la potentialité de dangers que comporte une situation, en même temps que les pistes permettant de trouver des solutions à un problème. La réflexivité pourrait-elle ainsi être liée à la capacité à coopérer ? 1.2 La capacité à coopérer Christophe Dejours (2009), spécialiste de la psychodynamique du travail, souligne l’importance de la reconnaissance de la personne dans des formes d’organisation coopérative, dans ce qu’il considère comme l’activité déontique (co-construction du travail, de ses formes, de ses finalités, élaborées à travers les échanges coopératifs, qui passent par moments par la controverse et la délibération). Selon lui, pour rendre possible la coopération et effectif le travail collectif, il faut que la participation de chacun soit rendue visible, intelligible ; cela suppose une prise de risque : se faire prendre ses idées par les autres, révéler ses failles, ses lacunes, utilisation contre soi des informations divulguées… La confiance et la loyauté sont donc nécessaires, ce qui repose sur une éthique. Intégrer la formation à la coopération dans les compétences à enseigner représente un 1 Dossier INRP Septembre 2009 N° 47 La relation Ecole emploi, bousculée par l’orientation

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RECHERCHE-ACTION, FORMATION EXPERIENTIELLE ET AUTOFORMATION COOPERATIVE

ACCOMPAGNEE POUR DEVELOPPER DES COMPETENCES TRANSVERSALES

Florence Saint-Luc [email protected] Docteure en Sciences de l’Education – ATER université d’Aix-Marseille

Les résultats faisant apparaître le décrochage des élèves de milieux populaires dans PISA 2012 et les

manifestations d’incompréhension et de racisme conduisent à s’interroger sur le rôle des enseignants et de leur formation. Que pourrait apporter l’Education Nouvelle en réponse à cette crise éducative ? Selon Michel

Serres (2012), les savoir-être et savoir-faire constituent à présent des axes essentiels en éducation et en

formation. Face à l’incertitude du monde du travail, les allers et retours entre la formation et l’emploi sont inéluctables. Les recommandations européennes sur la relation école-emploi mettent donc l’accent, pour lutter

contre le chômage, sur la formation d’individus compétents dotés moins de connaissances approfondies que de

« capacités à agir, à réagir et à s’adapter »1. Cela appelle à une réforme de la pensée, en lien avec le paradigme

de la complexité. Quelle formation donner aux enseignants et formateurs pour qu’ils soient capables de

développer ces capacités et compétences afin de les faire construire par leurs élèves ? Dans le cadre de l’unité

d’enseignement « connaissance du champ d’exercice : politique et pratique de la formation » en licence

« ingénierie de la formation des adultes », dans le département des Sciences de l’Education de l’université d’Aix-Marseille, le vécu du cours est le support de formes de pédagogie active et coopérative, avec des liens

établis entre théorie et pratique, sous la forme d’une recherche-action/formation expérientielle. Cette

recherche-action est présentée en deux temps : l’hypothèse générale et les hypothèses opérationnelles pour 2012-2013, avec l’ajustement aux étudiants, et la transformation nécessaire de l’hypothèse générale et des

hypothèses opérationnelles pour 2013-2014, avec le développement tel qu’il se présente en ce premier

trimestre de l’année universitaire.

1 Des compétences transversales à développer en formation et en éducation

Dans le socle commun de connaissances et de compétences, en France, le bloc des compétences 6 (sociales et

civiques) et 7 (autonomie et initiative) sont développées dans des pratiques issues des mouvements

pédagogiques (ICEM, OCCE, GFEN, CEMEA…). Ces compétences transversales (ou psychosociales, selon

Jacques Lecomte) visées par la formation sont pour nous la réflexivité, la capacité à coopérer et la créativité.

1.1 La réflexivité

Une crise de légitimité apparaît lorsque « la complexité, l’incertitude, l’instabilité, la singularité et le conflit de valeurs » (Schön, 1994, p.65) ne permettent plus de considérer la pratique comme une application de théories

mises en évidence par la recherche fondamentale. Le modèle de la science appliquée ne peut plus expliquer les

« situations divergentes » (ibid, p. 75), le rôle de l’expérience professionnelle et la place de l’intuition. Un certain nombre d’habiletés professionnelles ne sont basées ni sur des lois, ni sur des procédures, mais plutôt

sur des intuitions et des jugements tacites. La prise en compte de l’erreur, de la singularité, de l’imprévu,

conduit à la nécessité de revoir la compréhension de phénomènes, d’élaborer de nouvelles hypothèses, de les expérimenter, de transformer les situations et de produire une nouvelle construction de la réalité. La réflexivité

créerait une posture de praticien en recherche, grâce à la réflexion sur l’action et en cours d’action. Pour se

faire, il s’agit de construire une épistémologie du savoir caché dans l’agir professionnel, dans le contexte d’une

recherche réflexive. Cette posture oblige à renoncer au statut de l’expert. La dimension du calcul de risques et la responsabilisation semblent au cœur d’une réelle formation professionnelle développant la réflexivité. Le

groupe permet, de par la multiplicité des points de vue, d’étudier avec plusieurs regards la potentialité de

dangers que comporte une situation, en même temps que les pistes permettant de trouver des solutions à un problème. La réflexivité pourrait-elle ainsi être liée à la capacité à coopérer ?

1.2 La capacité à coopérer

Christophe Dejours (2009), spécialiste de la psychodynamique du travail, souligne l’importance de la

reconnaissance de la personne dans des formes d’organisation coopérative, dans ce qu’il considère comme

l’activité déontique (co-construction du travail, de ses formes, de ses finalités, élaborées à travers les échanges coopératifs, qui passent par moments par la controverse et la délibération). Selon lui, pour rendre possible la

coopération et effectif le travail collectif, il faut que la participation de chacun soit rendue visible, intelligible ;

cela suppose une prise de risque : se faire prendre ses idées par les autres, révéler ses failles, ses lacunes, utilisation contre soi des informations divulguées… La confiance et la loyauté sont donc nécessaires, ce qui

repose sur une éthique. Intégrer la formation à la coopération dans les compétences à enseigner représente un

1 Dossier INRP Septembre 2009 N° 47 La relation Ecole emploi, bousculée par l’orientation

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enjeu important pour faire face aux défis de l’éducation et de la formation au XXIème siècle. Mais comment former un formateur et/ou un enseignant à la coopération ? Le groupe coopératif favoriserait il la créativité ?

1.3 La créativité

C. Coulon, en 2004, définit la créativité comme « l’aptitude fondamentale de l'organisme à saisir dans son

expérience propre la totalité des éléments dont il a besoin pour réaliser ses potentialités et à conjuguer ces

éléments dans un acte intégrateur pertinent ; il s'agit d'une aptitude à se diriger soi-même. » (Coulon, 2004, p.81). Elle surgit généralement dans des dispositifs où les personnes peuvent communiquer, échanger,

proposer, et ceci en fonction des liens entre elles. La sollicitation des processus créatifs et l’accueil des

créations jouent un rôle déterminant dans la stimulation de la créativité. La créativité repose sur une posture

d’auteur (Ardoino, 2000) qui n’a pas forcément été développée par le système d’éducation et de formation. Vouloir des apprenants innovants suppose donc de commencer par développer le processus d’autorisation chez

les enseignants pour qu’ils parviennent à autoriser leurs élèves. Anne Jorro (2003), développe la créativité

autour de l’agir professionnel à travers la liberté d’action, le sens du kaïros et de l’altérité. Nicole Caparros-Mencacci (2001) s’est longuement penchée sur la capacité à inventer en éducation. Elle propose, dans les

perspectives de sa thèse, les grands points d’une formation qui permettrait de développer la créativité du

praticien. Il s’agit pour elle d’une formation en alternance, relevant d’une praxis, et pas de l’application d’une théorie. Selon C. Gérard (2010), la créativité est liée à l’invention, à l’ingenium. Cela suppose de s’autoriser,

de laisser venir l’émergence des heuristiques, de se distancier grâce à la production de formes (écrits, dessins,

confrontations…). Elle procède de la reconnaissance d’autrui. Elle est liée à la confiance, aux interactions, à

l’intelligence collective… Pierre Lévy associe coopération, intelligence collective et démocratie. Mais comment s’articulent la créativité et l’expérience ?

2 Recherche-action, tâtonnement expérimental et posture de praticien-chercheur :

l’expérience au centre des apprentissages

Selon Francisco Varela (2004), la cognition dépend des expériences qu’implique le fait d’avoir un corps doté

de capacités sensori-motrices. Ces capacités s’inscrivent dans un contexte biologique et culturel plus large.

L’expérience liée à l’action dans le cadre de couplages, y compris avec autrui, est donc essentielle dans la

construction, l’élaboration de la connaissance. Ce processus est à l’œuvre dans le tâtonnement expérimental.

2.1 Le tâtonnement expérimental

Le tâtonnement expérimental (Freinet, 1966) s’appuie sur un développement personnel né de l’expérience

articulé avec l’observation et les interactions sociales. La confrontation au réel, par le biais de l’action

incarnée, est indispensable pour le développement de l’intelligence. Le rôle de l’enseignant est d’apprendre à

sortir des certitudes, à émettre des hypothèses, et donc à douter. L’hypothèse permet d’inventer ce qui pourrait être, de réfléchir à ce qui serait caché. Le « processus d’invention, de création, de conception » (Gérard C.,

2010, p. 138) débouche sur l’ingenium. Ce processus génère une vision pragmatique de la problématisation

apte à fonder une praxis, ce que sous-tend le tâtonnement expérimental. Il prend ainsi appui sur des processus d’inférences spontanées y compris dans le domaine du langage. Il utilise le processus inductif pour stimuler le

processus d’observation et de production d’hypothèses. Il développe la créativité, la posture d’auteur, la

motivation intrinsèque. Il rejoint la conception de l’enseignement/apprentissage selon John Elliott, qui vise

l’activation, l’engagement, la mise à l’épreuve, le défi et l’accroissement des pouvoirs naturels de l’esprit humain, que l’on peut regrouper sous le terme empowerment. (Elliot, 1991).

La spécificité du tâtonnement expérimental est de prendre en compte l’intuition et le processus d’abduction. Il

organise des boucles récursives entre induction et déduction, en passant de confrontations à des situations expérimentales suivies de moments de formalisation.

Confrontations

- Théories

- Systèmes

- Lois

- Règles

- Schémas

- Idéogrammes

- Formalisations

Situations expérimentales

polyconceptuelles

- Observations

- Analyses

- Déductions

- Expérimentations

- Vérifications

- Synthèses

Modèles

théoriques Modèles

empiriques

Phase déductive

Phase inductive

Une modélisation de nature cyclique évoluant dans un niveau spiralaire par niveau d’interaction

E. Lèmery (2010) Apprendre, c’est naturel p. 464

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Cette représentation d’aller-retour(s), de processus itératifs et récursifs entre déduction et induction, qui

caractérise le tâtonnement expérimental, est un point commun entre éducation, formation et recherche.

2.2 Pédagogie expérienciée, formation expérientielle et recherche-action

La place de l’expérience dans l’enseignement a été largement théorisée par John Dewey dans Démocratie et éducation (1938 - 1968). Pour lui, la vie démocratique pratiquée à l’école fait partie de l’éducation de citoyens

éclairés. Tilman et Grooters (2006) considèrent que la pédagogie Freinet est une pédagogie « expérienciée ».

Construite sur la base de l’expérience des personnes du terrain, elle procède à une théorisation de la pratique.

Les méthodes conçues par des enseignants ou formateurs sont expérimentées dans leur milieu de travail. Des ajustements successifs sont faits en fonction de l’expérimentation sur le terrain, d’échanges et de réflexions sur

les succès relatifs des tentatives successives, pour aboutir à des méthodologies présentant des généralités

pouvant être étendues à d’autres champs d’apprentissage. Tilman et Grootaers la rapprochent de la recherche-action. Selon Jean Houssaye (2002), pour qu’une formation soit efficace, il faut qu’elle s’appuie sur

l’expérience. Mais pour lui, cette expérience n’est formatrice que si la prise en charge est progressive, si elle se

fait avec des retours et la possibilité d’échanger à partir de ces retours, pour expérimenter à nouveau. La formation expérientielle est selon lui celle qui est en œuvre dans les mouvements pédagogiques tels que le

mouvement Freinet, incluant la pédagogie institutionnelle et le Groupe Français d’Education Nouvelle. Le mot

expérience recouvre « l’expérience au sens de pragmatisme anglo-saxon, qui fonctionne sur le paradigme de

l’expérimentation scientifique, et l’expérience du point de vue herméneutique, qui relève d’une quête du sens. » (Fabre, 1994, p.229). En 1999, Noël Denoyel met en évidence le lien entre l’expérience professionnelle

et l’expérience scientifique en s’appuyant sur la sémiotique de Pierce, et en redonnant toute sa place à

l’abduction. L’expérience est centrale dans ce qui peut être qualifié d’autoformation coopérative.

2.3 L’autoformation coopérative, articulation entre éducation, formation et recherche

L’autoformation coopérative a été conceptualisée dans le cadre d’une recherche collaborative portant sur la formation des enseignants et de leurs formateurs au sein du mouvement international de l’Ecole Moderne

(Saint-Luc, 2011). Elle met en œuvre le tâtonnement expérimental articulé à la coopération, en éducation et

formation, avec une posture de praticien-chercheur. L’unité et la diversité sont mises en tension dialogique. L’opposition enracinement / arrachement (Simard, 2004), est implicite dans le système éducatif français. La

logique d’enracinement, caractéristique de la pédagogie expérienciée, est opposée à une logique d’arrachement

à toute appartenance, promue par l’enseignement dans le modèle républicain qui vise à accéder à un

universalisme qui n’est en fait que relatif à une vision ethnocentrée de la culture. L’enracinement est promu, de manière implicite, par Edgar Morin (1999), avec une confrontation coopérative et démocratique à l’altérité

pour construire une identité terrienne fondée sur la compréhension de l’humain, ce qui peut être ici considéré

comme une forme anthropo-éthique de l’universalisme. La mise en œuvre nécessite une part importante de création propre à chaque contexte afin de permettre un ajustement. Elle est proposée sous la forme d’une

modélisation, une matrice pouvant « enfanter » des formes différentes de dispositifs d’enseignement /

apprentissage. Ils sont fondés sur le constructivisme et le socioconstructivisme, et l’éducation populaire, et pilotés par la recherche-action.

Matrice de l’autoformation coopérative

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Elle a inspiré la conception des cours proposés en Sciences de l’Education en 2012-2013, en licence professionnelle, fondant ainsi une recherche-action / formation (Paillé, 1994). Elle n’a été formalisée pour les

étudiants que lors du dernier cours de l’année universitaire 2012-2013. Les échanges avec eux ont conduit à

échanger sur l’hypothèse initiale et à la transformer pour 2013-2014.

3 Une recherche/action/formation

Les fondements de cette recherche-action/formation reposent sur l’idée que la création d’un groupe coopératif favorise la réflexivité et la confiance en soi propice à la posture d’auteur (Ardoino, 2000). Tous les cours sont

filmés par les étudiants depuis septembre 2012 avec 2 caméscopes. La perlaboration entre deux semaines de

formation (une semaine de cours par mois est proposée dans ces licences professionnelles) est catalysée par l’utilisation des clips vidéo qui sont vus à la maison et peuvent être commentés collectivement. Des savoirs

sont également communiqués, mais la majeure partie dans le cadre de documents d’accompagnement, de

façon à vivre l’autoformation coopérative, pour pouvoir la formaliser tout au long de l’année.

3.1 Hypothèses pour 2012-2013

L’hypothèse générale a été « La mise en œuvre de l’autoformation coopérative dans le cadre de la

formation de formateurs développe des compétences transversales telles que la réflexivité, la créativité, et la

capacité à coopérer. ». Elle s’est déclinée sous la forme des hypothèses opérationnelles suivantes :

1. Des dispositifs d’enseignement / apprentissage s’appuyant sur le constructivisme, le socioconstructivisme et l’éducation populaire peuvent être appliqués et conceptualisés, à partir de formes de pédagogie active et

coopérative engendrant la confiance en soi et la créativité. La création d’un groupe coopératif est propice à

un apprentissage transformateur, à l’émergence d’une organisation apprenante et d’une intelligence

collective.

2. La mise en œuvre de la pédagogie coopérative, l’utilisation de la vidéo comme support d’autoscopies, la rédaction d’écrits réflexifs, comme le journal de bord, et la formation à la recherche-action sont destinés à

former des praticiens-chercheurs réflexifs, créatifs et coopératifs.

3. Il est possible de créer les conditions favorables à l’apprentissage grâce à la mise en place d’une

régulation cognitive dans le cadre d’une institution, le conseil de coopération éducative, fondée sur des

pratiques mises en œuvre dans le cadre du Mouvement portugais de l’Ecole Moderne (Saint-Luc, 2011).

4. Pour que la conceptualisation s’appuie sur du vécu, il faut faire pratiquer puis théoriser à partir de cette

expérience partagée par cette organisation apprenante.

3.2 Mise en œuvre de la recherche-action

Différents clips vidéo ont été réalisés à partir des images : pour les étudiants, des montages longs permettant à chacun de se voir en interaction avec les autres, avec une présentation chronologique. Des clips courts

proposent une focalisation par thème(s) à destination également de personnes étrangères à la promotion.

L’ensemble des clips ont été placés sur dailymotion, avec un accès privé nécessitant de connaître les liens hypertexte. Un journal de bord a été demandé aux étudiants, rendant compte de leur processus d’apprentissage.

Cela donne l’opportunité de croiser les enregistrements vidéo avec l’écrit réflexif produit par les étudiants.

3.3 La constitution d’un groupe coopératif

Développer l’esprit coopératif et la cohésion dans un groupe a été le premier objectif mis en œuvre, mais les

moyens ont évolué entre septembre 2012 et septembre 2013. Le premier cours, en septembre 2012, a duré 8h. Après la présentation des objectifs de l’année, une présentation réciproque a été organisée. Puis je leur ai

demandé d’écrire avec qui ils souhaitaient travailler dans le cadre de groupes de 4. J’ai recueilli les demandes,

et les groupes se sont constitués sur ces bases. Après la lecture d’un texte avec des extraits de « Penser la

formation », de Michel Fabre (1996), ils devaient échanger sur 3 questions : « Qu’est-ce que la formation ? Quelles sont les finalités de la formation ? Quelles sont les compétences à développer pour les personnes

formées ? ». Quatre rôles étaient attribués : animateur, secrétaire, rapporteur, observateur. Le texte proposé

était difficile pour eux, mais une organisation apprenante s’est créée à partir de cette difficulté, et les étudiants ont dit clairement que le groupe s’est soudé à partir de cette expérience. Cependant, j’ai pensé qu’il fallait

proposer à la rentrée 2013 des textes plus faciles, adaptés à leur zone proximale de développement (Vygotski,

1980), même si les productions des groupes ont montré que les étudiants avaient réussi à réduire l’inconnu par cet apprentissage coopératif : certains témoignent d’une réelle appropriation. Le dernier cours de l’année a

conduit à présenter une formalisation des pédagogies coopératives et de la coopération, avec la matrice de

l’autoformation coopérative, qui a été très bien comprise, car elle s’appuyait sur un vécu.

3.4 La dimension expérientielle de la formation

Un journal de bord était demandé aux étudiants, leur permettant de développer la dimension expérientielle.

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La deuxième séance de l’UE, en janvier 2013, portait sur les liens entre la formation, l’identité et la socialisation secondaire, à partir de l’ouvrage de Claude Dubar (2000). Elle a été vécue de manière très intense

et positive par les étudiants qui ont repensé leur expérience à la lumière des approches sociologiques et

psychologiques valorisant la formation tout au long de la vie et son rôle transformateur. Elle a contribué à

donner du sens, voire même à transformer les perspectives (Mezirow, 2001) de certaines personnes de la promotion. Ils ont perçu que différentes dimensions de leur identité étaient en train d’évoluer, mais les

échanges au sein du groupe coopératif ont pu accompagner cette mutation d’une manière positive. La plupart

des formations visent à développer la réflexivité. Les étudiants se sont beaucoup interrogés sur ce que recouvre ce terme ; si cette compétence est attendue, elle nécessite de mettre en œuvre des moyens pour la construire.

3.4.1 Les rôles

Dans le cadre des travaux en groupes, l’attribution de rôles vise à établir une complémentarité, à formaliser des fonctions pour rendre le travail plus productif. Cette répartition force à se décentrer pendant le temps de

communication. Le rôle de l’observateur est destiné à accroître ces effets de décentration, de réflexion sur la métacommunication. Une attention soutenue est portée sur les processus à l’œuvre, ce qui développe la

réflexivité.

3.4.2 La métacognition dans le conseil de coopération éducative

Le conseil de coopération éducative a été organisé en début de séance dès le 2ème

cours. Il s’agissait pour les étudiants d’aborder la question des difficultés rencontrées dans le cadre de l’apprentissage, et en particulier en lien avec les consignes, leur compréhension et leur réalisation. Les échanges sur ce thème ont poussé à

développer la métacognition. Ils ont porté par exemple sur :

- La compréhension du vocabulaire propre aux Sciences de l’Education et les stratégies pour réduire cet inconnu,

- La rédaction du journal de bord,

- La lecture d’ouvrages,

- La réalisation d’une note de lecture orientée sur des livres proposés avec établissement de liens entre les théories et l’expérience.

Un extrait du journal de bord de MC à ce sujet fait apparaître cela clairement : « Cours de F. Saint- Luc : c’est

notre premier conseil de coopération : nous ne sommes pas d’accord sur l’interprétation des consignes de la fiche de lecture. Normée ou pas normée la fiche de lecture ? Je me dis : «Comme il est difficile de sortir de la

norme, comme il est difficile de s’autoriser. Nous sommes dans une licence professionnelle, nous sommes là

pour devenir des professionnels, alors si nous n’arrivons pas à « nous autoriser à » dans un cadre « sécurisé »

alors quand allons-nous le faire ? ». Ces échanges ont mis à jour les difficultés des étudiants à sortir d’une vision normative des dossiers à réaliser, alors qu’ils avaient été invités à être créatifs avec une redéfinition très

ouverte des consignes à plusieurs reprises ; cela révèle ainsi l’importance déterminante du processus

d’autorisation.

3.4.3 S’autoriser un processus essentiel pour la créativité

Les premières tensions au sein du groupe sont apparues au moment d’échanger sur cette note de lecture. Deux étudiantes avaient rédigé la note de lecture d’une manière assez classique, inspirée par l’enseignement

secondaire, et elles se plaignaient de n’avoir pas compris qu’elles étaient encouragées à développer une part

plus personnelle et créative. Un conflit sociocognitif s’est développé pendant le conseil de coopérative autour de ce thème. Certains rappelaient que la consigne avait été présentée comme ouverte, alors que cela n’avait pas

été entendu par les deux qui avaient terminé le travail demandé en premier, et qui s’étaient attachées à essayer

de rendre compte de la pensée de l’auteur, laissant de côté le travail d’appropriation du sens par

l’accommodation, en établissant des liens subjectifs avec leur vécu. Ainsi, au 2ème

conseil de coopération éducative, le secrétaire du conseil précédent présente son compte-rendu et énonce clairement l’importance du

travail sur soi pour parvenir à s’autoriser. Appeler à la créativité et à l’innovation demande un

accompagnement afin de générer progressivement un processus d’émancipation pour s’affranchir d’un système scolaire très normatif. La posture d’autorisation de l’autre, augere, s’autoriser pour autoriser l’autre,

l’augmenter (Robbes, 2010), passe également par une régulation avant évaluation des écrits réflexifs

demandés. Cette créativité peut être développée dans l’expression écrite, dans l’organisation de séquences de formation, mais également dans la manière d’être ou de rendre compte des travaux de groupes… L’utilisation

des TIC peut ainsi aider à la valorisation de travaux et productions. Elle joue également un rôle de catalyseur

dans l’apprentissage, générant une autoformation coopérative au sein d’une organisation apprenante.

3.4.4 Articulation entre présentiel et virtuel (vidéo - listes) : une synergie efficace

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L’utilisation des TIC développe des possibilités qui démultiplient les apprentissages réalisés. Regarder chez soi les images vidéo permet un nouveau travail :

- Se voir, et prendre conscience de sa gestuelle, de son phrasé, travailler sa posture est essentiel pour un

formateur,

- Réécouter les cours en présentiel conduit à entendre des éléments qui n’avaient pas été perçus pendant le vécu du cours,

- La réalisation de montages sous-titrés amène à formaliser l’organisation, les intentions, à analyser,

conceptualiser le vécu du cours, qui est une séquence de formation, donc un support intéressant à décortiquer pour ces futurs formateurs.

Les apports théoriques sont distribués sur des supports papier. La présentation power point, si elle est

demandée, et le document d’accompagnement sont envoyés à la liste créée pour chaque groupe.

Au début de l’année, une étudiante a refusé que son image apparaisse dans les montages vidéo. Elle a ensuite

été malade. Elle est revenue en disant qu’elle regrettait d’avoir eu cette réaction de rejet de l’image parce

qu’elle s’était ensuite rendu compte que le fait de voir les cours avait permis de maintenir le lien, et de faciliter

son retour en présentiel ensuite. Un autre étudiant a décroché un moment, pour raison financière. Il a produit une note de lecture très intéressante. Je l’ai valorisée en la communiquant sur la liste, avec son autorisation, en

ayant l’intuition que cela faciliterait son retour. La vision des images des cours, la réception des documents

d’accompagnement, et la valorisation de son travail ont provoqué un sursaut de volonté. II occupait une fonction d’aide-éducateur dans un collège, et il essayait d’aider des élèves sur le point de décrocher. La

convergence de ces éléments l’a conduit à décider de financer lui-même son année de formation, qui a été

validée. Il est maintenant en Master MEEF pour préparer le concours de CPE.

3.4.5 Synthèse des résultats

L’utilisation de la vidéo a montré tout son intérêt : elle est donc reconduite dans le cadre de cette unité

d’enseignement. J’avais choisi d’essayer de mettre en place un conseil de coopération éducative pour sa

fonction de régulation cognitive, que je n’avais jamais pratiquée : les résultats sont positifs, en termes de conduite de groupe, de métacognition et de dépassement des difficultés liées à l’apprentissage. Cependant, les

tensions qui ont émergé ont conduit les étudiants à demander de travailler sur la gestion de conflits. Il est donc

apparu clairement que je me devais de mettre en place les fonctions du conseil de coopérative tel que j’ai pu le pratiquer avec des classes, c’est-à-dire l’émergence et la gestion de projets, et la régulation relationnelle, en

complément de la régulation cognitive. La confrontation coopérative, concept dialogique représentant le

conflit sociocognitif dans un groupe coopératif, a été la base d’un apprentissage transformateur, voire

émancipateur, à plusieurs reprises. Deux exemples sont particulièrement parlants : - NQ, retraitée de ses fonctions d’ancienne formatrice dans le domaine technico-commercial pour du

matériel médical, a transformé ses perspectives à la suite d’un conflit avec NC, jeune étudiante, quant à la

volonté de respecter la planification prévue, au détriment de la prise en compte des personnes. Le conflit a suscité une profonde déstabilisation, qu’il a fallu accompagner, par la médiation des pairs, et la mienne,

sous la forme d’une relation duelle au téléphone, puisque la régulation relationnelle n’avait pas été mise en

place dans le cadre de conseil de coopération éducative. NQ a alors transformé totalement ses actions de formation, en donnant une grande place à la prise en compte de l’humain, en mettant en œuvre des

dispositifs ouverts, innovants, participatifs. Elle m’a conduite en retour à m’autoriser à déplacer les tables

et chaises de la plus grande salle de conférence de Lambesc utilisée par les cours, ce que je n’avais pas osé

faire jusque-là… - OD, qui est venu au congrès de l’ICEM, en août 2013, pour témoigner du travail réalisé durant l’année,

tout en ayant le projet de constituer un réseau autour de la formation des adultes, a également témoigné de

cet effet transformateur : c’est la confrontation à des personnes différentes, avec la volonté de créer une intersubjectivité, d’échanger coopérativement et de manière respectueuse, qui, selon lui, a généré

l’apprentissage le plus important.

Il m’a fallu m’ajuster aux étudiants de licence professionnelle de formation de formateurs : cette adaptation a

donc conduit à de nouvelles hypothèses pour l’année scolaire suivante.

3.5 Nouvelles hypothèses pour 2013 2014

La possibilité de transformer le conflit sociocognitif en confrontation coopérative démultiplie la réflexivité, et

une réelle synergie dans un groupe coopératif facilite la créativité. Cela nécessite de maintenir un climat

coopératif dans le groupe. Cela a donc conduit à focaliser l’hypothèse sur la capacité à coopérer : Pour être

capable de travailler en équipe et de développer la créativité, savoir créer une organisation apprenante,

voire faire émerger de l’intelligence collective dans tous types d’organisation, il faut avoir appris à

coopérer.

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Hypothèses opérationnelles : 1/ La création d’un groupe coopératif nécessite de travailler sur les deux hémisphères du cerveau :

Un vécu positif engendré par un jeu coopératif, afin de créer le lien social, et la formalisation de

certains rôles, grâce à l’élaboration coopérative d’un tableau de responsabilités librement choisies,

sont destinés à toucher l’hémisphère droit et le cerveau limbique. Des apports théoriques facilitent l’émergence du sens, avec un travail de rationalisation permettent de

toucher l’hémisphère gauche et le cortex.

2/ La régulation cognitive crée l’accompagnement nécessaire à l’appropriation des consignes pour les tâches demandées. Elle suppose :

un temps en collectif pour développer les stratégies de métacognition, et constituer ainsi une

organisation apprenante, plusieurs régulations pour accompagner l’étudiant avant l’évaluation / contrôle.

3/ La régulation relationnelle est nécessaire à la transformation des conflits sociocognitifs en confrontations

coopératives fécondes. Cela permet de maintenir le climat coopératif dans le groupe, et donc d’assurer les

conditions d’un débat respectueux des personnes malgré les différents points de vue. 4/ Le développement de la créativité passe par une pédagogie de projets organisée lors d’un moment dédié

dans le conseil de coopération. Elle suscite également la motivation intrinsèque.

3.6 Mise en œuvre du dispositif en 2013-2014

La première étape de la mise en œuvre du dispositif a été de faire émerger un esprit coopératif, la suivante de

le maintenir grâce au conseil de coopération.

3.6.1 Emergence d’un esprit coopératif

Un apport théorique assez bref a introduit le cours avec une présentation power point sur le triangle pédagogique et la coopération. J’ai proposé un jeu coopératif, avec des chaises. Les chaises étaient installées

comme pour le jeu des « chaises musicales », et au départ, les 25 étudiants étaient debout chacun sur une

chaise. Il s’agissait ici de supprimer des chaises au fur et à mesure sans que personne ne tombe. Le groupe a choisi de s’arrêter quand il ne restait plus que 11 chaises. Cela a permis de souder le groupe, sans avoir le

sentiment de se réunir face à l’adversité. J’ai proposé ensuite de travailler sur un texte court, développant un

peu plus les diapositives, puis de travailler en groupes de 4 avec les mêmes rôles que l’année précédente, en présentant son parcours en lien avec le triangle pédagogique, soit dans une posture d’apprenant, soit dans une

posture de formateur, voire les deux. Le rapporteur avait donc à charge de présenter les 4 personnes de son

groupe. La deuxième tâche concernait le travail sur les trois questions posées l’année précédente, chacun

pouvait d’abord présenter son point de vue ; la recherche de consensus était la phase suivante, car un texte commun par groupe devait être produit. La présentation des rapporteurs et des observateurs a été filmée. Le

film mis en ligne a été le plus regardé, parmi les 4 montages vidéo proposés à partir des 4 h de cours filmés

pour cette première journée.

Ce dispositif a été plébiscité par les étudiants. Il a permis d’aborder la dimension expérientielle, tout en

m’apportant des informations importantes pour faire connaissance avec les étudiants. Le niveau d’implication

très élevé dès la rentrée (prise en charge de l’animation du conseil de coopération et d’une séquence de formation dès la seconde séance) constitue un indicateur intéressant validant au moins provisoirement les

hypothèses opérationnelles 1 et 4 pour 2013-2014. Le jeu coopératif a soudé le groupe à partir d’une

expérience positive… Ce qui a généré immédiatement une énergie et un engagement des étudiants plus

important qu’en 2012-2013. La nouvelle organisation, en septembre 2013, a suscité d’emblée un engagement très important :

- Une étudiante a accepté la prise en charge de l’animation du premier conseil de coopération en novembre.

Elle a également demandé une rencontre pour préparer de manière précise l’ordre du jour de ce conseil. - Deux étudiants ont proposé d’animer une séquence de formation, au départ sur les mathématiques, ce qui

est devenu ensuite une formation à google drive à partir d’un questionnaire préparatoire envoyé à chaque

étudiant de la promotion et à la responsable de l’unité d’enseignement.

3.6.2 Enseigner la compréhension de l’humain et la complexité

La communication d’Edgar Morin sur « l’enseignement de la compréhension de l’humain à l’heure de la mondialisation», lors du colloque « éducation et humanisation », organisé par « école changer de cap » à Paris,

le 2 octobre 2013, était lumineuse et facile à comprendre. Elle semblait donc une bonne entrée en matière pour

le cours portant sur le développement de compétences psychosociales et proposant l’organisation du 1er conseil

de coopération. J’ai fait l’hypothèse également qu’elle peut changer le regard des étudiants sur Edgar Morin et la complexité. Elle est confirmée par les réactions des étudiants à la projection de l’intervention filmée. Des

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apports théoriques sur les compétences psychosociales et le conseil de coopération viennent compléter ce premier enseignement de la compréhension de l’humain.

3.6.3 Le conseil de coopération

MN., qui doit animer le premier conseil, arrive le matin fatiguée. Ses enfants ont été malades, et elle a mal dormi. Elle démarre avec la liste des personnes qui s’engagent dans les responsabilités. Elle présente le sens du

conseil. Elle a prévu beaucoup de fonctions : 2 observateurs, 2 médiateurs, 1 secrétaire, 1 régulateur qui donne la parole. Il y a ambiguïté dans l’organisation de la parole entre l’animatrice et le régulateur. Cela déstabilise le

groupe, qui le signale, ce qui déstabilise en retour l’animatrice. Elle ne présente pas l’ordre du jour au tableau.

Elle a été secrétaire et a su construire l’ordre du jour d’une manière très efficace, donc j’ai pensé qu’elle

connaissait son application, mais en fait elle n’avait jamais participé de manière effective aux réunions, donc ne savait pas comment le mettre en œuvre. Lors de la préparation du conseil, je n’avais donc pas pensé à lui

parler de cette dimension. J’interviens donc, et je vais écrire un ordre du jour possible au tableau. Elle ne

parvient pas à se l’approprier. Des interrogations apparaissent sur le choix des responsabilités, la circulation de la parole… Une proposition d’entraide mutuelle surgit. Les points n’avancent pas à l’ordre du jour. Le

secrétaire s’oppose à l’animatrice. Il veut un vote pour la régulation de la parole. Elle n’arrive pas à

s’affirmer : cela renvoie à une expérience de psychologie sociale de Lippit et White en 1949, concernant le style d’animation, décrite par Abric, p. 84 et 85 : le laisser-faire conduit à l’agressivité. J’essaie de la soutenir.

Je finis par proposer de reprendre l’animation, car je me pose la question de savoir si j’aurais dû animer un

premier conseil moi-même, d’autant que l’observatrice déplore ne pas avoir eu de modèle au préalable. Les

deux médiatrices vont intervenir de manière pertinente : - L’une propose une pause.

- L’autre soutient l’animatrice, en parlant de tout le travail qu’elle a fait pour préparer, et propose qu’elle

reprenne l’animation après la pause. Elle la remercie.

Cette décision fait consensus. MN se met à pleurer à la pause. Plusieurs étudiantes l’entourent, et je viens

également la soutenir. A, manager, qui avait déjà commencé à lui expliquer comment organiser la réunion à

partir de l’ordre du jour, lui parle un long moment. A la reprise, je présente la situation en faisant apparaître le

niveau des compétences nécessaires pour bien animer un conseil, et je valorise MN encore une fois, en parlant de la prise de risque énorme que cela représente. Elle est applaudie à ce moment-là. Je parle d’une erreur

formatrice, et une des deux observatrices dit qu’il n’y a pas eu d’erreur, et qu’un modèle aurait été nécessaire

avant de commencer. L’émotion remonte chez MN. Cela me conduit à préciser le lien avec la complexité, l’apprentissage par l’expérience, la formation expérientielle, les théories de l’apprentissage que je mets en

œuvre, comme le modèle allostérique de l’apprentissage ; dans le clip vidéo réalisé ensuite et partagé, j’intègre

une modélisation d’André Giordan et je mentionne l’énaction (Varela, 2004). Une personne du groupe dit que l’on peut commencer. Je demande à MN si elle se sent prête. Elle acquiesce. J’ai alors un geste symbolique

pour lui affirmer mon soutien et lui communiquer de l’énergie : une accolade. MN commence alors, avec une

voix relativement assurée. Elle présente l’ordre du jour, et reprend les rênes. Elle a senti l’empathie, le soutien

positif du groupe pour dépasser de qu’elle qualifie d’échec. Tout le monde lui précise que cela n’en a pas été un. Elle remercie. Elle enchaîne avec les différentes parties prévues, assurant les fonctions du conseil de

coopération.

A l’évaluation du soir, un étudiant précise ce que représente pour lui l’ « erreur formatrice » en lien avec ce qui vient d’être vécu. Il s’agit véritablement pour MN d’un apprentissage transformateur (Mezirow, 2001),

avec un empowerment, issu d’une autoformation coopérative accompagnée. Des clips vidéo sont réalisés pour

illustrer :

- la répartition des responsabilités ;

- la dynamique de groupe en réaction aux difficultés de l’animatrice pour garder le leadership, et la remise en cause du pouvoir par un étudiant, la fonction de problématisation du groupe, et le rôle des médiatrices ;

- l’autoformation coopérative accompagnée et l’apprentissage transformateur de MN qui s’est métamorphosée ;

- l’émergence et la gestion de projets en lien avec l’exemple du blog de promotion, et la nécessité d’établir des règles de fonctionnement et une charte déontologique ;

- la régulation cognitive, qui montre le fonctionnement d’une organisation apprenante ;

- la régulation relationnelle qui débouche sur la problématisation d’un dysfonctionnement de la communication puis sur la proposition de l’utilisation d’un tableau de papier.

Le contenu des échanges présentés dans les clips vidéo peut également être modélisé.

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Les compétences présentées et attendues pour ce cours apparaissent dans le courant de la matinée, lors du

déroulement du conseil de coopération, avec les différents rôles du groupe, et la transformation. L’enregistrement vidéo constitue une étude de cas très riche où cette nouvelle approche pédagogique dans

l’enseignement supérieur universitaire s’appuie sur les théories de la psychologie sociale et de la complexité.

Le déroulement de l’année, et le suivi longitudinal des étudiants participant à cette recherche-action permettront de continuer à mettre à l’épreuve cette hypothèse générale et ces hypothèses opérationnelles.

3.6.4 Une pédagogie de projets

Pour former à la coopération et développer la créativité, il a semblé nécessaire de mettre en place dès le début de l’année la possibilité de proposer et conduire des projets : cette opportunité a été saisie par les étudiants dès

la première séance en septembre 2013. L’engagement est donc beaucoup plus grand cette année : parmi les conditions de cette implication rapide, la dynamique positive du groupe a joué un rôle déterminant ; mais

préexistait-elle, ou bien a-t-elle été créée par cette nouvelle approche fondée sur l’émergence d’un esprit

coopératif reposant sur une expérience positive ? De toute façon, elle est sans doute aussi en lien avec un processus de professionnalisation par la recherche-action, au moins pour la formatrice responsable de l’UE !

3.7 Un véritable processus de professionnalisation par la recherche-action

Cette recherche-action a développé un processus d’émancipation chez les étudiants et leur formatrice.

L’expression des points de vue des étudiants a affiné l’ajustement nécessaire pour être au plus près de leurs

besoins, par exemple en réponse à leurs difficultés. Cet ajustement s’est réalisé avec la médiation des pairs

aussi bien que la mienne, illustrant le concept de médiation cognitive chez Vygotski (1980), comme le concept d’étayage chez Bruner (1983). L’erreur a changé de statut, elle est devenue formatrice : cela permet de sortir

du phénomène de culpabilisation, puisque le processus est basé sur la problématisation, l’émission

d’hypothèse(s) et la confrontation au réel, à l’expérimentation, aux autres, à l’altérité en général… Cela nécessite un ensemble de moyens scientifiques (utilisation de l’image, échanges coopératifs, lecture et écriture

de textes réflexifs) pour mettre à l’épreuve les différentes hypothèses opérationnelles qui s’élaborent au cours

de cette recherche / action / formation (Paillé, 1994) afin de faire face à l’imprévu et l’incertitude, tout en développant une approche humaniste.

4 Discussion

Les apprentissages coopératifs développent la capacité à travailler en équipe, et la régulation cognitive est

essentielle en éducation et formation. La construction d’un langage commun nécessite du temps, et ce

processus, qui travaille les représentations, points d’appui mais aussi obstacles, génère un véritable apprentissage transformateur. La régulation relationnelle s’apprend également, en lien avec la conduite de

projets : il s’agit de savoir faire émerger les idées, organiser, structurer et transformer les éventuels

affrontements en confrontations coopératives fécondes. Cela suppose de former ces compétences chez les formateurs et les enseignants, car ils ne peuvent les mettre en œuvre s’ils ne les ont pas développées eux-

mêmes, ce qui apparaît comme une condition nécessaire, mais pas forcément suffisante. La production de

dispositifs d’enseignement/apprentissage permettant d’atteindre ces objectifs est un chantier prometteur, qui nécessite une véritable recherche collaborative, afin de générer et de mettre à l’épreuve de nouvelles formes

adaptées à différents contextes, ce qui suppose justement de former des praticiens-chercheurs coopératifs,

créatifs et réflexifs. L’utilisation de la vidéo en cours a généré des effets très positifs, et même au-delà de ce

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qui était espéré : elle a fait apparaître une complémentarité très efficace entre les dimensions présentielles et virtuelles en formation, à des fins d’apprentissage, assurant un développement professionnel en même temps

que personnel. La dimension éthique reste cependant essentielle pour préserver les personnes impliquées.

CONCLUSION

Une approche humaniste s’appuyant sur la métacognition et l’entraide peut se développer en formation avec

des échanges coopératifs. D’autres compétences transversales peuvent être développées, comme la capacité à réguler les inévitables conflits au sein de groupe pour parvenir à créer des synergies et générer de l’intelligence

collective. Les apprentissages coopératifs articulés à l’usage des Technologies de l’Information et de la

Communication sont des outils favorisant une véritable organisation apprenante. La solidarité permet de soutenir ses membres, et le lien social peut être maintenu même à distance par l’usage des listes virtuelles :

c’est un moyen d’éviter le décrochage, et cela développe la réflexivité en augmentant la perlaboration entre

deux semaines de formation. La créativité et la coopération peuvent être articulées pour susciter l’implication et la motivation. La formation des formateurs relève ainsi d’une véritable professionnalisation, car il ne s’agit

pas d’imitation, mais bien d’une praxis : la créativité est indispensable à l’ajustement à des situations très

variées. L’hétérogénéité constitue un point d’appui, grâce à la médiation apportée par certains membres du

groupe. Cet ajustement aux personnes et aux situations requiert des compétences d’un haut niveau. Ce type de formation semble transférable dans la formation des enseignants et de leurs formateurs, que l’on peut

considérer comme une autoformation coopérative accompagnée, correspond aux valeurs et principes de

l’Education Nouvelle. L’interaction en présentiel développe des savoir-faire importants pour la professionnalisation. Cette articulation entre apprentissages coopératifs (en présentiel et virtuel) et recherche-

action offre une perspective faisant valoir un nouveau type d’expertise propre à développer les savoir-faire et

savoir-être dont notre monde a besoin pour sortir d’une crise profonde, dans le monde de l’école comme dans celui de l’entreprise et de la vie associative, voire politique.

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