Rabih Mroué et Lina Saneh Comment ralentir l’occultation du corps/individu
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Rabih Mroué et Lina Saneh
Comment ralentir l’occultation du corps/individu
Omar Fertat (Université Bordeaux-Montaigne)
Pour citer cet article : « Rabih Mroué et Lina Saneh, Comment ralentir l'occultation du corps/individu », Intermediality, Performance and the Public Sphere Khalid Amine, Jaouad Radouani and George F Roberson, editors, 2014.
L’œuvre artistique de Rabih Mroué et Lina Saneh, partenaires sur scène et
dans la vie, jouit aujourd’hui d’une grande renommée internationale : les deux
artistes sont invités dans les manifestations culturelles les plus prestigieuses et leur
travail a été primé à plusieurs reprises1. Au regard de la diffusion assez limitée de la
production artistique arabe en général et théâtrale en particulier 2 au niveau
international, cette reconnaissance mondiale de l’œuvre de deux jeunes artistes
libanais constitue une exception et suscite un certain nombre d’interrogations.
Quelles sont les raisons d’un tel succès ? Comment les deux dramaturges arrivent-‐ils à
séduire aussi bien un public local qu’un public étranger ? Que traitent-‐ils dans leurs
créations ? Et quel genre de création spectaculaire proposent-‐ils ?
Préambule
Avant de répondre à ces questions commençons par un court rappel
historique des circonstances sociopolitiques et culturelles exceptionnelles, qu’a
connues le Liban pendant les années 1990, et dans lesquelles a émergé et s’est
développée l’œuvre de Saneh et Mroué.
Nés tous les deux pendant les années 1960 au Liban, les deux artistes font
partie, si l’on se fie à la chronologie, à la génération de la guerre (Rabih Mroué avait 8
ans et Lina Saneh 7 ans quand la guerre du Liban se déclencha en 1975). Et si l’on se
réfère à la temporalité artistique en tant qu’« événement dateur et fédérateur d’une
génération […] celui de la période d’émergence du groupe dans la sphère publique,
1 Ces dernières années, Rabih Mroué a reçu le prix Spalding Gray Award, 2010 et le prix Prince Claus en 2011. 2 Parmi ces exceptions nous pouvons citer aussi les tunisiens Fadhel Jaïbi et Jalila Bakar ou le Koweitien Sulayman Al-‐Bassam.
2
[…] et de la confrontation à un système idéologique dominant »3, nous dirons qu’ils
font partie de la « génération d’après guerre ».
Rabih Mroué et Lina Saneh appartiennent à la génération d’artistes libanais
qui émergea à partir des années 1990. Une décennie marquée politiquement par la fin
de la guerre civile et artistiquement par le renouveau d’un espace public muselé
pendant quinze années de conflit. Selon Arnaud Chabrol « ce renouveau, s’est
caractérisé, d’une part, par les mutations d’un secteur associatif qui se transforme en
plateforme de contestations pour une génération de militants qui prennent position
“à la faveur de la singularité de l’engagement civil” et, d’autre part, par “l’émergence
dans le débat public, des “intellectuels” comme catégorie d’individus engagés pour
dénoncer la classe politique libanaise” »4.
C’est le projet Solidere, lancé par l’ancien premier ministre Rafiq Hariri pour
reconstruire le centre-‐ville de Beyrouth, qui donna le coup de départ à un ample
mouvement de contestation réunissant une large frange de la société civile.
Intellectuels, écrivains et artistes se mobilisèrent pour dénoncer ce qu’ils
considéraient comme une atteinte à la « mémoire architecturale, sociale et
artistique » de Beyrouth. Ils manifestèrent leur indignation à travers les médias et la
presse écrite. Cette mobilisation donna lieu à un brassage intergénérationnel inédit
dans le Liban d’après-‐guerre : défendant la même cause, de jeunes militants
associatifs et des artistes, qui constitueront plus tard l’avant-‐garde de la scène
culturelle libanaise, ont pu travailler et collaborer avec d’anciens journalistes et
écrivains qui jouissaient déjà d’une certaine notoriété.
C’est ainsi que Tony Chakar5 et Rasha Salti6 ont pu collaborer avec Jade Tabet7,
Élias Khoury8 ou Samir Kassir9, avant de pouvoir voler de leurs propres ailes et lancer
3 Michel Winock, Une brève histoire des intellectuels français. L’effet de génération, Éditions Thierry Marchaisse, Paris, 2011. 4 Arnaud Chabrol, « La fabrique artistique de la mémoire : effet de génération et entreprises artistiques dans le Liban contemporain »(Franck Mermier et Christophe Varin (dir.), Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), Arles, Sindbad/Actes Sud/Ifpo, 2010, p. 485-509.) 5 Architecte et écrivain libanais né à Beyrouth en 1968. Il contribue également à des magazines d'art européennes , et enseigne l'histoire de l'art et d'histoire de l'architecture à l' Beaux arts des Libanaise Académie (ALBA). 6 De parents libanais et palestiniens, Rasha Salti est née à Toronto (Canada) en 1969, mais elle a vécu au Liban, où elle été scolarisée, et où elle vit maintenant.Elle est commissaire d’exposition, curatrice de cinéma, et est aussi chercheuse et écrivaine indépendante. Elle collabore avec des festivals, institutions et musées dans le monde. En 2010, elle a été membre fondateur de History of Arab Modernities in the Visuals Arts, une association à Beyrouth, reconnue par le gouvernement libanais dont la mission est d’entreprendre et soutenir des recherches dans l’histoire de l’art moderne dans le monde arabe. 7 Jade Tabet fut l’un des ténors de la critique de solidere. Né à Beyrouth (Liban) en 1944, il est architecte urbaniste. Auteur de nombreuses recherches et publications sur la guerre et la reconstruction urbaine ainsi que sur les rapports entre patrimoine et modernité. Jade Tabet a enseigné l’architecture à l’Université libanaise et à l’Université Américaine de Beyrouth, puis à l’Ecole d’Architecture de Paris-‐Belleville. Directeur du Programme de Travail de
3
leurs propres structures artistiques. C’est pendant ces années 1990, durant lesquelles
la scène culturelle libanaise, connaîtra une effervescence et une dynamique qu’elle n’a
pas connues depuis les années 1960, quand Beyrouth était la capitale culturelle et
artistique du monde arabe, que Rabih Mroué et Lina Saneh fourbissent leurs
premières armes aux côtés de la figure emblématique du théâtre libanais, Roger
Assaf.
L’un des symboles forts de cette renaissance artistique fut la réouverture du
Théâtre de Beyrouth et l’inauguration du Théâtre al-‐Madina. Deux événements qui
inaugureront une embellie théâtrale qui durera plusieurs saisons marquées à la fois
par la venue de metteurs en scène arabes10et par le retour des pionniers du théâtre
libanais tels Mounir Abou Debs, Raymond Gébara et Roger Assaf sur les planches
beyrouthines.
L’expérience du théâtre de Beyrouth, dirigé administrativement par Elias
Khoury et artistiquement par Roger Assaf, joua un rôle très important dans la
dynamisation et l’évolution du théâtre et des autres arts contemporains. Grâce à une
politique plus ouverte sur la production arabe et internationale ainsi que, dans une
certaine mesure, sur les créations de la jeune génération, ce Théâtre fut un lieu
d’innovation qui (préfigura) les évolutions et ruptures en gestation dans le champ
artistique contemporain.
« Le Théâtre de Beyrouth, témoigne Lina Saneh, est arrivé juste après la guerre
pour créer un public et une ambiance empreinte d’enthousiasme suscitant ainsi un
grand intérêt. Il a ouvert ses portes à une nouvelle génération qui a pu donner ses
représentations mais avec un financement insuffisant. La production et le soutien
l’Union Internationale des Architectes sur la Reconstruction des Villes (1997-‐2000), il est actuellement administrateur de l’association Patrimoine Sans Frontières et expert au Comité du Patrimoine Mondial de l'UNESCO. 8 Romancier, dramaturge, critique et éditorialiste du Mulhaq jusqu’en octobre 2009, supplément culturel hebdomadaire du quotidien an-Nahar, dont les colonnes accueillirent des critiques virulentes sur le projet de reconstruction du centre-ville. 9Romancien, Historien et éditorialiste, Samir Kassir (né le 4 mai 1960 d’un père libano-‐palestinien et d’une mère libano-‐syrienne)s’intalle en 1981 en France où il a effectué ses études universitaires. Durant son séjour parisien, il publia de nombreux articles dans Al-Hayat et L’Orient-Le Jour, Le Monde Diplomatique avant de fonder en 1995, le mensuel francophone L’Orient-Express. Samir Kassir s’engagea politiquement en contribuant, au début de l’année 2003, à la création du Mouvement de la Gauche Démocratique. Après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, le 14 février 2005, il a participé activement au lancement du soulèvement populaire contre la mainmise des services de renseignement syriens sur le Liban. A cause de ses prises de position et sa farouche opoosition à la présnece syrienne au Liban, il fut assissiné en 2005. Il paya de sa vie son opposition farouche à la présence syrienne au Liban. Il fut assassiné en 2005. 10 Souvent cités comme incarnant cette dynamique, la venue des metteurs en scène tunisiens Fadel Djaïbi et Tewfiq Gibali ou l’irakien Jawad al-Assadi.
4
moral et matériel allaient à la génération précédente (celle des années 60 et 70) pour
la simple raison qui prévalait en ce moment-‐là, à savoir ressusciter le passé
glorieux ».
Comme le souligne Lina Saneh, considérant le traitement de faveur réservé aux
représentants de l’ancienne génération comme une injustice, la jeune génération
d’après-‐guerre n’hésita pas à critiquer cette attitude et à chercher d’autres lieux de
créations plus propices aux nouvelles tendances qu’ils représentaient. Certains jeunes
créateurs contesteront l’orientation même de ce théâtre « des pères » en élaborant
des créations dramatiques dans lesquelles ils proposaient de nouvelles idées et
exprimaient une nouvelle sensibilité artistique et esthétique. La pièce Entrez
Monsieur, nous vous attendons dehors de Rabih Mroué (1998), est très révélatrice
dans ce sens, car elle est l’expression d’une double volonté de rupture : à la fois avec
le langage théâtral dont l’artiste libanais est l’héritier et avec le discours convenu qui
entoure à ses yeux la commémoration du 50e anniversaire de la Nakba.
La dramaturge libanaise soulève un autre point très important, celui de
l’insuffisance des sources de financement qui handicapaient sérieusement cette
dynamique lancée par Elias Khoury et Roger Assaf. Même si « l’expérience du Théâtre
de Beyrouth a contribué à la constitution d’un modèle alternatif de gestion artistique.
Car en matière de modèle économique, le théâtre de Beyrouth fut la première
institution qui fit appel à des fonds privés mais locaux (des donateurs libanais et la
banque libano-‐française) » 11 . C’est faute de financement que cette prestigieuse
institution se verra contrainte de mettre fin à une expérience qui s’annonçait
prometteuse.
Selon Arnaud Chabrol le fait majeur qui contribuera de manière structurelle à
l’installation définitive de la génération d’après-‐guerre, ce sont Les nouveaux cadres
de la production artistique.
En effet, si les institutions que nous venons de citer (Théâtre de Beyrouth ou
Théâtre al-‐Madina) relèvent de ce qu’on qualifie de lieux institutionnels, financés
totalement ou en partie par l’État, d’autres instances ou lieux de création vont faire
leur apparition et imposer une nouvelle manière d’aborder la production et la 11 Arnaud Chabrol, « La fabrique artistique de la mémoire : effet de génération et entreprises artistiques dans le Liban contemporain » dans Franck Mermier et Christophe Varin (dir.), Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), Arles, Sindbad/Actes Sud/Ifpo, 2010
5
diffusion culturelles : les associations artistiques et les festivals urbains. Des
structures qui se présentent comme des alternatives aux impasses de la production
libanaise, dont la gestion des lieux, comme les salles de théâtre, est très coûteuse.
Grâce au mode de fonctionnement associatif, qui nécessite moins d’effectif –
une seule personne pouvant souvent centraliser toutes les démarches – les coûts de
fonctionnement sont nettement réduits et l’organisation est plus souple. Quant aux
festivals, ils sont souvent organisés par ces mêmes associations.
« Au cœur de ce nouveau système de production se démarque la figure du
curator libanais qui soutient, d’un côté, des conceptions esthétiques émergentes
encore mal intégrées à la production libanaise et résout, de l’autre, les problèmes
soulevés par l’afflux de fonds étrangers. Les demandes de financement doivent en
effet se conformer aux attentes des institutions dont ces derniers émanent, en termes
de formats d’œuvre ou d’événement »12.
Le rôle des associations et des festivals sera d’autant plus accentué quand
surviendra une nouvelle donne qui bouleversera profondément les modes classiques
de la production artistique et culturelle libanaises. En effet, les années 1990 verront
l’affluence des fonds étrangers dédiés à la culture13 qui, introduisant de nouvelles
« logiques de financement », modèleront sensiblement l’espace de production
culturelle. Grâce à une source de financement garantie, les artistes novateurs
pourront continuer à expérimenter de nouvelles formes artistiques même avec une
audience limitée14.
Afin d’illustrer l’impact décisif de ces nouvelles structures de production et le
rôle crucial que joueront les nouveaux acteurs du management culturel libanais, nous
citerons deux initiatives qui ont joué un rôle déterminant dans l’installation définitive
des artistes issus de la nouvelle génération comme acteurs incontournables de la
scène culturelle libanaise : les associations Ashkal Alwan et Ayloul.
En premier lieu arrive Ashkal Alwan, association libanaise pour les arts
plastiques, fondée par Christine Tomeh, qui se distingue dès 1994, par l’exclusivité 12 ibidem. 13 La Communauté européenne et la Ford Fondation sont les premiers bailleurs de fonds à financer les initiatives culturelles au Liban. 14 La faible audience dont jouissent les œuvres des artistes de la génération d’après-guerre, sur le plan local a pu conduire certains à les accuser de produire un “art d’exportation”.
6
accordée aux pratiques contemporaines et par l’intérêt spécifique porté à
l’investissement des lieux publics, tels que le jardin de Sanayeh (1995), de Souyoufi
(1997), la rue Hamra (1999) et la corniche du front de mer (2000).
Qui a peur de la représentation (2005)
Les programmes de Ashkal Alwan comprennent le « Home Works Forum »,
dédié aux pratiques culturelles, qui montre des œuvres d’art plastique, des films, des
vidéos et propose des conférences, des événements pour la sortie d’un livre, des
interventions artistiques et des performances, la publication d'œuvres littéraires et
livres d'artistes, l’accueil d'artistes en résidence et le programme « Vidéo Works » qui
fut lancé en 2006 pour soutenir les créations en arts visuels, surtout vidéos, d'artistes
émergents et cinéastes basés au Liban en leur assurant un financement et une
diffusion15.
L’autre initiative marquante fut celle menée par Pascale Feghali16 qui après
avoir collaboré avec Elyas Khoury et Roger Assaf dans le cadre du Théâtre de
15 Voir le site de l’association : http://ashkalalwan.org 16 Pascale Feghali est née en 1969 à Beyrouth. Elle a étudié la sociologie de l'art (1988-‐1993) à la Sorbonne et l’anthropologie visuelle (1999-‐2007) à Nanterre. En 2007, elle a obtenu son doctorat en anthropologie visuelle. Depuis 1995, elle enseigne à l'Université Saint-‐Joseph de Beyrouth au département d'études Cinéma et Théâtre. Entre
7
Beyrouth, fonde l’un des premiers festivals d’art contemporain de Beyrouth. Entourée
par de jeunes artistes, elle fonde l’association Ayloul (1997 à 2001) qui organise le
festival portant le même nom.
Selon sa créatrice, le festival « vise à offrir un cadre pour les jeunes artistes
contemporains libanais travaillant dans le domaine de la danse, du théâtre, de la
vidéo et de l'installation »
Parmi les huit créations que le festival a produites au cours de sa première
année, la moitié est réalisée par les artistes de cette génération. Grâce à ce festival et à
ses invités de marque tels Robert Wilson, les jeunes créateurs locaux ont eu
l’opportunité de découvrir ce qui se passe de plus innovant sur la scène mondiale et
l’occasion de soumettre leurs travaux et expérimentations aux jugements avisés des
autres artistes.
« Si la qualité de la production justifie indéniablement le succès international
des artistes, elle ne l’explique que partiellement. À cet égard, d’autres éléments de
compréhension peuvent être vus dans la configuration de production singulière dont
sont issues ces œuvres, le soutien renouvelé d’institutions étrangères offrant une
visibilité accrue aux œuvres et aux artistes. Le rapport de confiance qui s’instaure
entre bailleurs de fonds et associations artistiques constitue de fait un nouveau
critère de légitimation qui favorise l’accès à la scène artistique internationale.
L’intérêt très tôt accordé par des curators étrangers aux œuvres produites dans ces
cadres traduit bien cette demande spécifique du marché de l’art international
marquée par un “intérêt accru porté aux régions du monde où la créativité artistique
ne puise pas son inspiration dans la tradition de la modernité […], tandis que le film,
le documentaire et les nouvelles traditions médiatiques y jouent un rôle
prépondérant17 ».
***
À travers ce bref rappel historique qui nous a permis de décrire les
circonstances historiques et politiques qui ont accompagné la naissance d’une
nouvelle génération d’artistes libanais, nous pourrons dire que c’est grâce à une
1997-‐2001, elle a fondé et dirigé le Festival Ayloul à Beyrouth. Elle est, depuis 2009, chercheur associé en anthropologie urbaine au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) en France. 17 Mytkovska cité dans Arnaud Chabrol, « La fabrique artistique de la mémoire : effet de génération et entreprises artistiques dans le Liban contemporain », art. cité.
8
dynamique non seulement due aux seuls artistes mais aussi à d’autres acteurs
culturels, notamment les managers, les directeurs de festival, de galeries et ceux qui
sont à l’origine d’initiatives en matière de production et de diffusion culturelles, que
l’art contemporain libanais, dont fait partie l’œuvre de Saneh et Mroué, a pu acquérir
une notoriété internationale. Mroué et Saneh bénéficièrent de conditions matérielles
qui leur ont garanti une certaine sérénité et une quiétude, à l’abri des besoins
matériels, pour approfondir leurs recherches et se permettre une expérimentation
audacieuse ainsi qu’une diffusion internationale.
Néanmoins, certains artistes tels Bernard Khoury ont à juste titre attiré
l’attention sur un danger qui guette cette nouvelle génération d’artistes, à savoir que
leurs travaux ne soient en fin de compte que des réponses à des commandes bien
ciblées émanant des bailleurs de fonds occidentaux. Et pour illustrer son propos, il
cite la prédominance des thèmes de la guerre et de la mémoire et s’interroge sur la
capacité de cette génération à se renouveler en explorant d’autres thèmes.
Partant de ce constat, et s’agissant de l’œuvre de Mroué et de Saneh, en effet,
nous constatons que ces thèmes cités par Bernard Khoury constituent la toile de fond
de leurs créations ; mais cela est-‐il suffisant pour qualifier leurs travaux de « théâtre
d’exportation » comme le laissent entendre certains critiques arabes ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord saisir quelques notions-‐clés et
concepts indispensables à la compréhension de l’œuvre des deux artistes. Nous
pourrons schématiquement résumer ces concepts fondamentaux en évoquant le
triptyque : Guerre, Mémoire et Corps.
Nous essaierons dans les lignes qui suivent d’étudier la place qu’occupe le
corps dans l’œuvre de Mroué et Saneh en recourant au concept de « l’occultation du
corps/individus » développé par Mroué dans un article intitulé « Je suis ici mais tu ne
me vois pas »18 tout en nous appuyant, quand la démonstration l’exige, sur des
exemples concrets puisés dans le travail des deux artistes.
Mroué commence par constater que dans les images que les gens ont de la
guerre – celle « propre » qui s’effectue « en appuyant sur des boutons », ou celle qui
utilise « la chair fraîche » qu’on peut qualifier de « terrorisme » –, les corps et leurs
représentations sont absents.
18 Dans Kalemn 2010 . http://kalmon.org
9
« Depuis pas longtemps, nous avons regardé la guerre du Golfe en direct à la
télévision. Il n’y avait pas de corps combattants ni corps assassinés. Il y avait « une
guerre propre ». Il n y a pas longtemps, nous avons regardé des messages vidéos
envoyés par des corps sanglés dans des ceintures prêtes à exploser comme nous
avons regardé l’effondrement des tours jumelles, mais nous n’avons pas vu les corps
des blessés ni les cadavres des morts… »
Coincé entre des armes de guerres ultrasophistiquées et des corps prêts à
exploser, Mroué se demande comment « notre corps », son corps, celui de l’artiste ou
celui du simple citoyen, peut exister, « comment nos corps personnels peuvent-‐ils
défendre leur droit à l’existence, et à l’expression ».
Même si les deux procédés de guerre évoqués par Mroué paraissent
antinomiques, ils partagent un point commun : celui de « l’occultation des
corps/individu ». Que ce soit par les pouvoirs sécuritaires, par les pouvoirs religieux
ou par des pouvoirs totalitaires, la nature de l’occultation du corps est la même. Les
pouvoirs religieux demandent à l’individu d’abandonner son corps au profit de la
collectivité (corps collectif), alors que les pouvoirs sécuritaires l’exigent pour le corps
social. « Entre le terrorisme et la lutte contre le terrorisme, on supprime les corps ».
Cette réalité n’est pas propre aux seuls systèmes dictatoriaux mais concerne aussi les
pays démocratiques.
Cet état de fait se traduit autrement quand il s’agit des pouvoirs médiatiques
qui généralisent l’image d’un corps exemplaire, « un corps médiatique » qui ne peut
exister que dans le domaine des médias et de la publicité. Un corps parfait, athlétique,
fier, productif, « un corps qu’envieraient nos corps ».
L’évocation du « corps médiatique », amène Mroué à des considérations plus
théâtrales, car écrit-‐il, ce corps lui fait penser au corps du comédien tel qu’il a été
élaboré par les metteurs en scène et les théoriciens du théâtre à partir de la fin du XIX
siècle : un corps dynamique, athlétique, bien éduqué, obéissant, malléable et agissant.
Un corps qu’on lui demandait de posséder, mais il n’en a jamais été capable.
« Je ne peux pas posséder ce corps que demande ce théâtre, et je ne connais
aucun de mes collègues, ni de mes amis, ni de ma famille qui possède ce corps. Ce que
je vois c’est que nous possédons des corps fatigués, fainéants, abîmés et flasques et
insaisissables qu’on ne peut pas régler. Nos corps paraissent tristes […] c’est que le
corps que nous possédons n’est ni parfait ni exemplaire comme celui que désirent les
10
metteurs en scène du théâtre classique, du théâtre corporel ou du théâtre
spectaculaire. Il ne ressemble pas non plus à ce corps médiatique voulu qu’on ne voit
que dans l’image, et qui ne se lasse pas de nous demander de délaisser nos corps et de
les échanger contre des images généralisées et mondialisées. »19
Ce constat pousse Mroué à se poser quelques questions qui auront une
influence primordiale sur la manière d’appréhender et de concevoir l’art scénique :
« comment ces corps, [libanais, arabes] peuvent-‐ils exister sur scène ? Comment
peuvent-‐ils affronter le public ? Quel type de jeu et de représentation doit-‐on
présenter au public ? Comment construire nos spectacles ? Est-‐ce qu’on doit se tenir
sur scène pour confronter l’image de notre corps intouchable ou doit-‐on le fuir ? Quel
chemin empruntera ce corps ? Quelles expériences, quelles voies et défis
l’attendent ? »
C’est en essayant de répondre à ces questions que Mroué élabore son théâtre
et c’est en ayant ces questionnements en tête que nous pouvons comprendre et saisir
toute l’originalité de l’œuvre des dramaturges libanais. Une œuvre qui s’esquisse
comme une quête qui se régénère chaque fois qu’ils essaient d’exposer et de poser
une de ces nombreuses questions.
« Je mène, affirme Mroué, dans mes spectacles une expérience personnelle qui
soulève des questions primordiales du genre : qu’est-‐ce que le théâtre ? Qu’est-‐ce que
la représentation de manière générale ?.. quel type de texte convient au jeu théâtral ?
Chaque art a besoin de questionnement de temps en temps… ainsi je peux associer
mon public aux questionnements, à la critique. Je ne veux pas lui apprendre quelque
chose. Moi, je respecte mon public dans n’importe quel pays où je me produis […] on
discute ensemble de plusieurs sujets qui ne se limitent pas à la politique ou au
contenu mais qui peuvent toucher l’art en général ou l’art de la performance… »20.
19 Quand la source n’est pas indiquée, la citation en question est extarite de l’article de Rabih Mroué « je suis là mais tu ne me vois pas », Dans Kalemn 2010 . http://kalmon.org. 20 « Rana Najar « Rabih Mroué … questionnement de la mémoire et de la culture courante », Al hayat (journal en arabe), 5 mars 2012. (http:// www.sauress.com/alhayat/374560.
11
Biokhrafia (2002)
Comment ralentir l’occultation du corps/individu
En tant que spectateur de théâtre, Rabih Mroué affirme être sensible à deux
tendances modernes qui tout en abordant différemment les questions de la
prestation théâtrale (jeu théâtral) et du corps contribuent au ralentissement de
l’occultation du corps/individu.
La première tendance privilégie des technologies très sophistiquées. Dans ce
type de spectacle, la scénographie occupe une place tellement importante qu’elle
occulte la présence du corps sur scène. La présence renforcée des effets sonores et
visuels au travers desquels les concepteurs de ces spectacles proposent des univers
imaginaires qui concurrencent le monde réel et le surpassent même.
Quant au deuxième courant dans lequel à notre avis s’inscrit le travail de
Mroué, il est à l’opposé du premier puisqu’il tend vers plus « de réalisme. [Les
représentants de ce courant] puisent leurs sujets dans sa terre, utilisent ses éléments,
ses images, ses documents et des faits réels pour les présenter aux spectateurs après
les avoir décortiqué, analysé et désacralisé ».
Cette description correspond exactement à la plupart, pour ne pas dire à la
quasi-‐totalité, des spectacles de Mroué et Saneh.
12
En effet, dans Trois posters (2000), Les habitants des images (1998), Je veux
arrêter de fumer (2006), Comment Nancy a souhaité que tout soit un poisson d'Avril
(2007), Les habitants des images (2008), A la recherche d’un employé perdu ? ou La
révolution pixélisée (2013), Les artistes libanais utilisent diverses archives
(documents sonores, visuels, écrits…) pour reconstituer une autre réalité, différente
de celle qu’on a voulu présenter aux gens.
Prenons l’exemple du spectacle Les habitants des images. Il s’agit d’une
« conférence non académique » pendant laquelle Rabih Mroué, assis derrière son
ordinateur portable, devant un grand écran, fait défiler plusieurs images dont des
affiches de martyres libanais appartenant à différents groupes religieux. Quand il
projette celles des martyres de Hezbollah qui se sont multipliées surtout après
l’attaque d’Israël en 2006, il attire l’attention du spectateur sur un détail intriguant :
les martyrs ont tous le même corps, il n y a que la tête qui change. Et à partir de là
plusieurs questions et suppositions lui viennent à l’esprit et qu’il partage avec le
public : pourquoi avoir supprimé ces corps ? Est-‐ce parce que le corps est par essence
impur alors que l’image qu’on veut donner des martyres doit être « pure » ? Ou est-‐ce
qu’en recourant à Photoshop et plus précisément à la « fonction couper remplacer »
on fait inconsciemment référence au martyr de l’Imam Hussein à qui on coupa jadis la
tête ? Ou, enfin, est-‐ce parce que « l’image qui étant devenue l’une des armes du
Hezbollah dans sa guerre contre les ennemis, cette photo refuse d’abriter des corps
qui ne satisfont pas aux exigences de la guerre qui se déroule dans l’arène
médiatique » ?
Après toutes ces questions et ces remarques, Mroué arrive à la conclusion
suivante : tous les visages des martyrs se ressemblent. Ils n’ont aucune expressivité
personnelle, et aucune individualité et il aborde ainsi la question de l’occultation du
corps/individu dans une société où prédominent le communautarisme et le
sectarisme religieux. Il démontre que les images qui se veulent les plus sacrées, celles
des martyrs, sont malgré tout « fabriquées, trafiquées… ». En exposant et analysant le
processus du montage des images, Mroué dévoile les mécanismes qui président à la
fabrication de la réalité, une réalité libanaise dans laquelle l’image est utilisée avec
outrance pour des buts politique et idéologique ; une société « qui fait peur parce que
les gens sont obligés de vivre avec les morts, où les citoyens sont habitués à cohabiter
13
avec les morts à tel point qu’on ne fait plus de différence entre les vivants et les
morts ».
Les habitants de Images (2008)
La deuxième caractéristique du deuxième courant dramaturgique que nous
avons cité un peu plus haut est que les « spectacles s’appuient sur des techniques très
simples et très peu coûteuses, les effets visuels ou sonores y sont souvent absents,
leur vraie arme reste la parole, même si quelquefois les images, la vidéo ou le
PowerPoint sont beaucoup utilisées. Mais à la fin, c’est la parole qui en constitue la
pierre angulaire. C’est à travers les paroles que naissent les images dans l’esprit des
spectateurs, ce sont les paroles qui libèrent leur imagination ».
Encore une fois, cette description s’applique aux spectacles des deux
dramaturges libanais. En effet, si Mroué et Saneh opèrent une rupture avec leurs
prédécesseurs, les dramaturges arabes avant-‐gardistes, qui, influencés par les
courants théâtraux occidentaux d’après-‐guerre, ont essayé de dépasser le théâtre
classique en mettant l’accent sur le corps et la toute-‐puissance de l’acteur, en
minimisant la portée de la performance de l’acteur dans leurs représentations, ils se
distinguent aussi des courants artistiques dits postdramatiques, en privilégiant la
14
parole (le verbe, le texte) au détriment des autres composantes considérées comme
« spécifiquement théâtrales ».
À l’instar de leurs collègues appartenant à la génération d’après-‐guerre, les
deux artistes considèrent, à juste titre, que l’image sous toutes ses déclinaisons,
animées ou fixes, requière une importance extrême dans le monde d’aujourd’hui et
plus particulièrement dans le contexte libanais où l’image est devenue un enjeu
politique.
« J’utilise l’image dans tout, explique Mroué. Une des raisons, c’est que le sujet
de mes créations est l’image elle-‐même. Mais c’est aussi relié à cette époque où on vit
sous la domination de l’image. C’est devenu un médium facile à produire avec un
impact très fort, tant en politique que dans la vie sociale. »21
Néanmoins, Mroué insiste sur le fait que l’utilisation des nouvelles
technologies n’est pas un but en soi mais elle est considérée comme un moyen
d’expression : « chaque écran joue un rôle précis ».
Photo-Romance (2009)
L’art de l’indicible
21« Rabih Mroué sème le trouble entre fiction et réalité », Journal le Soir, jeudi « décembre, 2009.
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Mroué et Saneh considèrent que le jeu ou la performance est un lieu
d‘expérimentation et de recherche qui se joue des frontières entre le vrai et
l’imaginaire. Toujours dans Les Habitants des images, quand il analyse l’affiche
réunissant le président égyptien Gamel AbdelNaser (mort en 1970) et l’ancien
premier ministre libanais Rafiq Hariri (mort assassiné en 2005), il fait la
démonstration qu’au Liban on peut faire cohabiter les morts et les vivants (l’affiche a
été créée quand Rafiq Hariri était encore vivant). Estompant peu à peu les frontières
séparant la mort de la vie, Mroué affirme à plusieurs reprises qu’en exposant des
images qui ont été réalisées après la mort de leurs protagonistes, ces dernières
devenaient des lieux dans lesquels se rencontrent les morts avec les morts, les morts
avec les vivants et où la temporalité est suspendue.
Cette technique Mroué l’utilise aussi dans d’autres spectacles comme Trois
posters où il mélange éléments autobiographiques et fiction en projetant des vidéos
dans lesquels il se met en scène lui-‐même en tant qu’ancien militant communiste.
En brouillant les frontières entre fiction et réalité, les deux artistes affirment
ne pas vouloir raconter des histoires car selon eux le récit ne dit pas la vérité. Ce
qu’ils espèrent c’est que le public partage avec eux leurs questionnements sur la vie,
la mort, la politique, l’art… Pour cela ils ne recourent jamais au trompe l’œil pour
créer de l’illusion mais privilégient la transparence. Ils déconstruisent le spectacle
devant les spectateurs pour leur montrer comment ce dernier s’élabore. Ainsi, en
neutralisant toute empathie ou catharsis envers ce qui se passe sur scène, le
spectateur pour mieux réfléchir.
« Ça ne sert à rien que les spectateurs essaient de savoir ce qui relève de la
réalité, ce qui lui est ajouté et ce qui est purement fictif. Ces spectacles ne trichent pas
et ne cachent pas leurs outils au spectateur. Tout est transparent et déclaré. Comme
ils ne prétendent pas présenter des réalités véridiques face à des réalités
mensongères, ni ne prétendent être capables de présenter une histoire qui
remplacera l’Histoire et qui s’additionnera à d’autres récits divers et variés. Le plus
important c’est le spectacle qui se construit sur scène en tant que matière à réflexion,
suscitant le questionnement, la critique et la contemplation. »
Cette remise en question ne concerne pas que le contenu ou la fable de leurs
spectacles mais inclut bien évidemment les modalités de la représentation en général.
Depuis leurs débuts sur les planches beyrouthines, Mroué et Saneh ont expérimenté
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diverses formes artistiques allant de la représentation classique à l’installation, en
passant par les réalisations vidéo, films cinématographiques, expositions et autres
performances. Et si l’acteur/performeur est un élément récurrent voire central dans
la majorité de leurs pièces, les deux artistes affirment que le personnage dramatique
que peut incarner l’acteur est quant à lui absent. Celui-‐ci « n’existe qu’en tant que
composite se situant entre les vraies histoires des acteurs et celles inventées, entre le
personnel et l’imaginaire, entre le réel et ce qui est écrit, ainsi […] le corps est occulté.
Le corps est présent mais n’est pas agissant. Il est fainéant, il ne bouge pas, c’est la
langue qui le remplace, avec d’autres paroles, un corps présent au travers des mots
que sa langue articule. Un corps qui n’agit pas mais réfléchit ou pour être plus précis
ne bouge pas mais agit à travers le verbe et la pensée. »
Néanmoins, contrairement aux régimes autoritaires ou religieux, l’occultation
du corps de l’acteur pratiquée par Saneh et Mroué ne signifie pas la suppression des
corps et l’absence ne signifie pas la mort, au contraire, c’est une manière pour lutter
contre l’occultation du corps/individu occasionnée par le terrorisme et la guerre
contre le terrorisme.
L’absence se conçoit à travers l’idée de la présence et vice versa. Cela veut dire
que quelqu’un devait être présent mais il n’apparaît pas pour une raison ou une autre.
Ainsi « l’absence porte une promesse du retour. Une promesse de l’apparition et de la
transfiguration ».
Selon Mroué l’importance de l’absence découle du fait que ça nous pousse à
nous poser la question de qui nous sommes. " Être ou ne pas être n’est pas une
question, c’est la question ». L’absent/perdu peut même bousculer la stabilité, et c’est
là où réside son importance puisque, ajoute Mroué, « c’est quand nous réalisons qu’une
personne n’apparaît pas dans un moment donné et dans un lieu donné où elle devait y être,
que tout reste suspendu jusqu’à ce qu’on connaisse le destin de la personne disparue. La
même chose est vraie quand on perd quelque chose dont on a besoin. Ce qui est perdu
retarde, secoue le sommeil, perturbe l’assurance… »
En nous appuyant sur cette réflexion dramaturgique et philosophique développée
par Mroué, nous comprenons pourquoi il est souvent question de disparition et d’absence
dans les pièces des deux auteurs libanais. À la recherche d’un employé perdu, Trois
posters, La révolution pixélisée… sont autant de tentatives pour repousser la mort car tant
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qu’on ne sait ni pourquoi, ni où, ni quand cette disparition a eu lieu, l’espoir du retour
prolonge la vie.
L’œuvre de Mroué et de Saneh est souvent considérée comme un OVNI dans
l’univers théâtral arabe car les observateurs de cette scène ont beaucoup de mal à
catégoriser et à classer leur œuvre qui, à chaque représentation, revêt une forme différente.
Certains se posent même la question s’il s’agissait vraiment de théâtre ou pas. À quoi
répond Mroué : « En l’absence du théâtre, ce n’est pas important peu importent le nombre
de représentations ou leurs lieux ; mais le plus important ce sont les paroles qui décriront le
spectacle en tant qu’un événement qui a eu vraiment lieu, et la discussion qui s’en suivra,
et le récit qui produira des idées et des images étonnantes, les discussions auront lieu ici et
là simultanément, et elles deviendront le vrai spectacle… »