Queste d'une divinite au feminin: etude de Jovette Marchessault et Bani Basu

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Quête d’une divinité au féminin : le rapport mère fille dans Des cailloux blancs pour les forêts obscures de Jovette Marchessault et Gandharvi de Bani Basu. Introduction Le rapport mère-fille existe universellement et transcende les barrières spatio-temporelles. Marianne Hirsch en écrivant sur le rapport mère-fille constate que les écrivaines sont souvent influencées par le lien qu’elles ont vécu particulièrement avec leur mère pendant leur jeunesse. Ces expériences ne sont pas universelles et dépendent de la société, de la condition économique, politique etc. du milieu où vit l’écrivaine. 1 Selon Hirsch, les traditions patriarcales ainsi que la critique traditionnelle reste silencieuse sur le rapport mère-fille dans les textes des femmes tandis que ce rapport devrait jouer une part importante dans leurs écrits. En s’appuyant sur le mythe de Demeter et de Persephone raconté par Luce Irigaray, elle 1 Hirsch Marianne, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism (Bloomington et Indianapolis, University of Indiana Press, 1989), p. 14. 1

Transcript of Queste d'une divinite au feminin: etude de Jovette Marchessault et Bani Basu

Quête d’une divinité au féminin : le rapport mère fille dans

Des cailloux blancs pour les forêts obscures de Jovette Marchessault

et Gandharvi de Bani Basu.

Introduction

Le rapport mère-fille existe universellement et transcende

les barrières spatio-temporelles. Marianne Hirsch en

écrivant sur le rapport mère-fille constate que les

écrivaines sont souvent influencées par le lien qu’elles ont

vécu particulièrement avec leur mère pendant leur jeunesse.

Ces expériences ne sont pas universelles et dépendent de la

société, de la condition économique, politique etc. du

milieu où vit l’écrivaine.1 Selon Hirsch, les traditions

patriarcales ainsi que la critique traditionnelle reste

silencieuse sur le rapport mère-fille dans les textes des

femmes tandis que ce rapport devrait jouer une part

importante dans leurs écrits. En s’appuyant sur le mythe de

Demeter et de Persephone raconté par Luce Irigaray, elle

1 Hirsch Marianne, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism (Bloomington et Indianapolis, University of Indiana Press, 1989), p. 14.

1

constate que le compromis entre la mère Demeter et Hadès2,

établit un cycle qui ne réconcilie pas le principe féminin

et le principe masculin en tant que l’héritage que suivra la

fille. Au contraire, il y une opposition soutenue par ce

transfert continu entre la maison de la mère et celle du

mari3 .4

Cette problématique révolue sur l’héritage maternel nié à la

femme et son aliénation de la mère. La tradition qui définie

la femme en relation avec l’homme (mari/femme), avant tout

autre, et non comme être libre à s’accomplir, agit comme un

habitus5 dans la société patriarcale soit en occident ou en

2 Le mythe raconte l’enlèvement de Persephone par Hadès, roi des Enferset en conséquence, Demeter, mère de Persephone, déesse des récoltes,rend la terre infertile pour se venger d’Hadès. Zeus intervient et il ya un compromis. Perséphone passera six mois chez sa mère sur terre etsix mois de l’hiver avec Hadès.3 Il est intéressant à noter qu’en Inde, il y a une cérémonie pareilleoù la déesse Durga, la fille de la Terre mère, vient lui rendre visitesur la terre, pour dix jours et son départ chez son mari marque lecommencement de l’hiver.4 Hirsch Marianne, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism(Bloomington et Indianapois, University of Indiana Press, 1989), p. 102-103. “Au fur et à mesure que nous suivons le retour de Persephone chezsa mère, pour une partie de l’année et sa descente répétitive au mariageet à l’Hadès, pour une partie de l’année, il me semble qu’il nous fautreviser notre notion de resolution. A la fin de l’histoire, le respectde Perséphone entre sa mère et son mari est divisé, sa position estambigue. Le cycle répétitif se base, non sur la reconciliation mais surl’opposition continue et pour le soutenir et le perpétuer.” 5 Ce concept tiré de Pierre Bourdieu serait expliqué en detail dans lespages suivantes. “L’habitus est une subjectivité socialisée, un système

2

orient. L’héritage passé de mère en fille pose un défi à la

« domination masculine »6 et à cet habitus.

Des cailloux blancs pour les forêts obscures7écrit par Jovette

Marchessault, écrivaine canadienne et Gandharvi8 de Bani

Basu, écrivaine bengalie de l’Inde, consistent notre corpus.

Nous analyserons comment les deux protagonistes révèlent un

rapport dynamique dans la relation mère-fille en même temps

qu’elles éclaircissent les enjeux de l’habitus patriarcal

dans leur propre idéologie.

D’origine française et amérindienne Jovette Marchessault 

est née à Montréal en 1939. Elle est connue comme

dramaturge et romancière. Notre roman est le troisième dans

de dispositions ouvert, sans cesse affronté à des expériences nouvelleset donc sans cesse affecté par elles. Il est durable mais non immuable.”Champagne Patrick et Olivier Christin, Mouvements d’une pensée Pierre Bourdieu,(Paris, Bordas, 2004), p. 226.6 Terme tiré de la théorie de Pierre Bourdieu, que nous expliquerons plus tard en detail.7

? Marchessault Jovette. Des cailloux blancs pours les forêts obscures (Montréal, Leméac, 1987). Pour me référer à cet ouvrage j’utiliserai l’abréviation C. B. F. O. dans tout l’article.

8 Basu Bani. Gandharvi (Kolkata, Ananda publishers, 1993). (Toutes les citatations de ce livre sont traduites par moi du bengalie, pour cet article). Il n’existe pas de traduction de ce livre en aucune langue. Pour me référer à cet ouvrage j’utiliserai l’abréviation G. dans tout l’article.

3

la série de Comme une enfant de la terre. Ses thèmes s’agissent

de : la marginalité, le combat des femmes pour s’approprier

leur histoire, la puissance de la parole, la primauté de

l’expérience concrète.

Bani Basu est née dans les années 1940 à Calcutta.

Professeur d’anglais elle choisit pourtant, d’écrire en

bengalie. Ses thèmes préférés sont la vie de la jeunesse

dans les villes de Bengale, le féminisme.

L’histoire en bref

Dans Gandharvi, la mère Apala n’a qu’une passion dès sa

jeunesse, devenir une chanteuse classique. Une fameuse Begum

de Lucknow, chanteuse classique veut entrainer Apala mais sa

famille orthodoxe ne lui permet pas de quitter la maison

patriarcale. La fille ainée d’Apala, l’écrivaine, choisit de

ne pas suivre sa mère même si elle est douée d’une voix

extraordinaire. Elle pense que le talent de sa mère est la

cause de toutes les misères que celle-ci doit endurer dans

la famille où elle est mariée. Son mari, et ses beaux-

parents exploitent Apala qui gagne le plus mais qui est

4

toujours accusée d’être une femme inefficace, d’être

mauvaise mère et mauvaise épouse. Après la mort de sa mère,

la jeune fille commence à valoriser le talent, le sacrifice,

le courage de sa mère et elle devient écrivaine, créatrice

comme sa mère.

Dans Des cailloux blancs la jeune Noria est née lorsque sa mère

et le Lion de Bangor, un scientifique qui poursuit des

recherches des cellules cancereuses, se tombent amoureux. En

compagnie de son amie lesbienne, Harriet, une riche

héritière, la mère de Noria devient une aviatrice, son rêve

depuis longtemps. Le Lion se venge de Harriet en distribuant

les celleules du cancer qui a envahi son corps de façon que

chaque cellule de son corps soit exploitée. La mère le

quitte pour toujours. Après la mort de sa mère le Klan

enferme Noria dans un bordel des Nazis. Noria donne

naissance à un garçon qui est enlevé par les Nazis dans des

cliniques d’expérimentations médicales. Là, il meurt et cela

rend Noria, presque folle. Elle se distancie de tous les

souvenirs de sa mère pendant cette époque. Plusieurs années

plus tard, un jour elle se perd dans les montagnes et son

5

moteur ne marche plus, lorsqu’elle entend la voix de sa mère

qui la guide à travers une brèche dans les rochers, et la

guide vers une communauté de femmes lesbiennes.

Je vais étudier les deux romans dans la perspective de

l’héritage maternelle passé de mère en fille comme un

capital symbolique qui pose un défi à l’autorité patriarcale

dans le champ familial. Notre analyse serait divisée en

trois parties : a) L’incorporation de l’habitus patriarcal :

des femmes aliénées, b) Idéalisation de la mère : outrer la

violence symbolique c) Fixer le centre : la diversité des

valeurs au féminin.

Dans la première partie nous allons explorer comment le

capital symbolique patriarcal influence le rapport mère-

fille de façon que la jeune fille incorpore les valeurs du

patriarcat et se distancie de la mère. Dans la deuxième

partie nous allons voir comment petit à petit, les filles

devenues femmes, se libèrent de cette violence symbolique

faite à leurs mères. Elles commencent à idéaliser les

valeurs qu’elles attachent à la vie de leurs mères et ainsi

se libèrent de l’habitus patriarcal. Elles sortent du

6

rapport de domination/subordination pour découvrir un

héritage de l’idéale divine au féminin. Dans la troisième

partie nous allons examiner les valeurs de la femme idéale

qui diffère chez les deux protagonistes. Le féminisme

postcolonial a découvert que l’image de la femme idéale, des

valeurs dites féministes, se diffèrent de société en

société. Les protagonistes de ces deux romans démontrent

qu’il n’y a pas un féminisme juste comme il n’y a pas un

habitus statique qui exerce la domination sur des groupes de

femmes de cultures variées. Le féminisme n’est pas hors des

influences sociales différentes dans chaque société et cela

détermine la notion de l’héritage et de la liberté chez les

deux protagonistes.

a) L’incorporation de l’habitus patriarcal : des femmes

aliénées

Pierre Bourdieu, sociologue a exposé la théorie de « la

domination masculine » dans un livre portant le même nom.

Selon lui, c’est « la domination éxercée au nom d’un

7

principe symbolique connu et reconnu par le dominant comme

par le dominé, une langue (ou une prononciation), un style

de vie (ou une manière de penser, de parler ou d’agir)… »9

La domination devient symbolique parce qu’elle est exercée à

travers des obligations et des devoirs arbitraires reconnus

par la société comme une norme, dont se constitue la culture

d’une société. La domination symbolique est « celle qui fait

que l’on accepte d’obéir parce que l’on s’y sent moralement

contraint…Les dispositions qui les inclinent à cette

complicité objective sont elles-mêmes un effet incorporé de

cette domination. »10

Dans ce même contexte Bourdieu expose la notion de « la

violence symbolique ». C’est un type de violence qui

« extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues

comme telles en s’appuyant sur des attentes collectives »,

des attentes socialement inculqueés. La société, à travers

le processus de socialisation produit des agents (des

membres de la société) justifient et demandent qu’un groupe

9 Bourdieu Pierre, La domination masculine (Paris, Seuil, Collection Liber, 1998), p. 7-8.10 Champagne Patrick et Olivier Christin, Mouvements d’une pensée Pierre Bourdieu (Paris, Bordas, 2004), p. 224-225.

8

domine l’autre et que les dominées valorisent cette

domination. La violence est tellement subtile qu’elle

envahit les manières de vivre, de penser et d’agir dont les

agents ne sont même pas toujours conscients.11

La notion de l’habitus chez Bourdieu est celle d’une

structure qui dirige la pensée et l’action et se perpétue à

travers les agents. Ils sont des instruments inconscients de

cet habitus et le propage comme leur propre orientation et

leur propre décision. Ainsi une structure imposée par le

passé, se manifeste, se renouvelle et se solidifie à l’insu

de l’individu, son agent.12

Ce que nous allons montrer c’est que dans ces deux romans de

Jovette Marchessault et de Bani Basu, la culture patriarcale

11 Vernier Bernard, “Violence symbolique” dans Pierre Bourdieu: Les champs de la critique, s. la dir. de Philippe Corcuff (Paris, Bpi/Centre Pompidou, 2004) p. 21.12 Ed. par Calhoun Craig, Edward Li Puma and Moishe Postone, Bourdieu-Critical Perspectives, (Cambridge, Polity Press, 1993), p. 170. Il l’expliquecomme « The concept of habitus refers to an ensemble of schemata ofperception, thinking, feeling, evaluating, speaking and acting, thatstructures all the expressive, verbal and practical manifestations andutterances of a person. Habitus has to be thought of as a modusoperandi, a « generative principle of regulated improvisations » (whichare called practice), an incorporated structure formed by the objectiveconditions of its genesis. It is « embodied history, internalized as asecond nature…habitus refers to something incorporated, not to a set ofnorms or expectations existing independently of and externally to theagent….habitus refers to a generative principle, not to a set of fixedand finite rules. »

9

agit comme un habitus en effectuant une violence symbolique

contre la femme. La structure de la famille patriarcale (le

champ familial) décourage la femme de devenir un être humain

ambitieux, une créatrice ou une célébrité, et « extorque la

soumission » de la femme vis à vis du père de famille : soit

le père, le mari ou le beau père. C’est là une violence

symbolique. L’héritage légué par la mère est un capital

symbolique qui est nié à la femme dans la structure

patriarcale de la famille traditionnelle. Les jeunes filles

protagonistes dans ces romans incorporent les valeurs du

patriarcat vis à vis de leurs mères et se distancient de

l’héritage de leur mère au début de leur jeunesse. La

domination masculine qui dénigre la femme comme être

indépendent et créateur se révèle en dépit des valeurs

d’égalité et de liberté apportées par la globalisation.

Toute la société se lègue contre la femme qui voudrait se

jouir de son amour pour d’autres femmes et d’autres êtres

humains à part la famille immédiate. Les femmes sont

aliénées de leur amour pour la terre, pour la nature et ne

sont valorisées que comme femmes et mères.

10

La mère Apala, dans Gandharvi, voulait poursuivre ses études

en musique mais la société indienne où elle vivait croyait

que les chanteuses ne sont pas des femmes ‘normales’,

qu’elles ont une mauvaise réputation.13 Bien que la société

indienne propage les idéales du nationalisme libéral à ce

moment, les femmes sont censées de sauvegarder la tradition

contre l’envahissement culturel des colonisateurs

occidentaux. Souvent pendant la guerre de l’Indépendence, la

modernisation était confondue avec l’envasion culturelle et

la tradition avec l’orthodoxie. Ainsi dans notre roman,

relève de la violence symbolique, tout ce qui, dans cette

société ne permettait pas aux femmes d’avoir des

professions, des ambitions, qui étaient permises aux hommes.

Cela rendait inévitable la domination économique, sociale et

culturelle ainsi que l’exploitation de la femme. Apala, par

exemple ne peut pas devenir chanteuse comme son ami Soham.

Dans sa famille, son oncle prend la décision de la marier

lorsqu’elle n’a que dix-neuf ans et sa mère, ne peut pas

13 L’oncle d’Apala pense le begum/comptesse, musicienne fameuse, n’est qu’une prostituée qui chante pour plaire aux hommes qui lui rendent visitent pour d’autres plaisirs qu’elle offre à part ses chansons. G. p.36-37.

11

protester. Tandis que son frère, étant beaucoup moins doué,

est soutenu par la famille pour devenir médecin et il est

permis d’aller aux Etats-Unis.

D’une part les nationalistes luttent pour libérer l’Inde du

colonialisme, et d’autre part ce même but de la libération

des anglais, rend la famille patriarcale plus orthodoxe. Vis

à vis d’une société dont la culture s’imprègne des valeurs

et de l’influence occidentales, la famille patriarcale exige

que les femmes retiennent les traditions orthodoxes. Apala

est victime d’une telle société. Elle n’est pas autorisée à

continuer son entrainement en musique et elle est forcée à

se marier dans une famille qui reconnaît peu son talent.

L’habitus patriarcal influence le comportement du victime et

Apala commence à se croire incapable comme femme et mère.

Souvent elle se dit qu’elle n’est douée que pour chanter (G.

p. 50). La fille ainée d’Apala, Titu, incorpore aussi cette

irrévérence pour la mère qui chante et elle devient

patriarcalisée d’une telle façon qu’elle refuse de chanter

ou de devenir artiste. En fait, Titu, douée d’une voix

extraordinaire déteste la chanson, ce qui est la passion

12

d’Apala. L’enfant, Titu, n’aime pas sa mère qui chante, ou

écouter ses chansons au radio. (G. p. 92). « Je sais ce qui

se passe quand on chante, en te voyant, maman. S’il te plaît

ne me force pas. Je deviendrai bureaucrate », dit-elle. (G.

p. 132). Tout le monde dans cette famille n’a que du dédain

envers une belle-fille si célèbre comme chanteuse.

Dans Des cailloux blancs, c’est la fin de la deuxième guerre

mondiale. D’une part, les nations se rapprochent pour forger

une union globale. D’autre part, les forces Nazis ont

exterminé des femmes et des enfants, dangers potentiels à

leur notion d’une race suprême. Dans ce roman aussi, la

violence symbolique contre les femmes se perpetue à travers

la domination masculine. Les femmes n’ont pas encore eu le

droit de vote, et plusieurs professions comme l’aviation ne

leur sont pas ouvertes. La mère de Noria devait épouser un

riche héritier comme le Lion de Bangor possédant un Spad -

petit avion privé, pour apprendre à voler. Faute d’avoir

accès aux vols officiels, elle doit mettre sa vie en danger

plusieurs fois pour prouver son talent. Pourtant l’aviation

lui permet de participer dans des syndicats féministes.

13

Noria, enfant encore est enlevée par les Nazis. Elle devient

victime de la violence raciste à cause des affiliations

politiques libérales de sa mère qui était lesbienne. En

fait, Noria a dû faire face à beaucoup de difficultés à

cause des liens socialistes de sa mère. Le Ku Klux Klan

s’est vengé d’elle. Son corps est abusé par les soldats

Nazis, son fils est tué en expérimentations médicales.

Si Sohini, la protagoniste chez Basu, est un victime plus

aliénée de son héritage maternel, c’est Noria, la

protagoniste de Marchessault qui souffre plus à cause de la

violence patriarcale. Tout de même, les deux protagonistes

se rendent compte de leur servitude psychologique au

patriarcat. Les deux, pareille à Persephone retrouvent leur

place originelle auprès de la mère.

Luce Irigaray constate que la plupart des traditions

religieuses d’où l’homme occidental a hérité son bagage

symbolique, privilégie le patriarcat. Même les

interprétations nouvelles de Karl Marx et de Sigmund Freud

« sont insuffisantes parce qu’elles restent liées à une

14

mythologie patriarcale qui s’interroge bien comme telle. »14

Elle suggère que la seule manière de libérer les femmes

d’une culture qui ne les exploite pas, dit-Irigaray, est de

retrouver une éthique basée sur la différence des sexes et

qui valorise les deux sexes également et d’une façon unique

et complémentaire, « ce qui est important, c’est de définir

les valeurs d’appartenance à un genre valable pour chacun

des deux sexes. Ce qui est indispensable, c’est d’élaborer

une culture du sexuel, encore inexistente, dans le respect

des deux genres. »15 constate-elle.

J’ai voulu montrer que dans ces deux romans le rapport mère

fille passe par deux étapes. La prèmière étape que nous

avons analysé dans cette partie, démontre que nourrie dans

une société plutôt patriarcale, les deux filles apercoivent

que leurs mères ne sont que l’objet du dédain et du mépris

et elles veulent donc, se distancier de leurs mères.

L’habitus patriarcal a aliéné les protagonistes. Elles

14 Irigaray, Luce, Je, tu, nous, (Paris, Editions Grasset et Fasquelle, 1990), p. 27.

15 Irigaray, Luce, Je, tu, nous, (Paris, Editions Grasset et Fasquelle, 1990), p. 13.

15

dévalorisent leur héritage matriarcal, et ainsi le capital

symbolique qu’elles ont hérité de leur mère, comme femme et

créatrice, reste négligé. Mais une fois la mère décédée,

pour les deux filles, son personnage devient l’image d’une

divinité. L’habitus qui avait patriarcalisé les deux jeunes

filles, fait place à la conscience d’un héritage que celles-

ci ont hérité de leurs mères et qui les aide à définir leur

propre identité comme femmes.

b) Idéalisation de la mère : outrer la violence symbolique

Dans son livre, Sexes et parentés, Irigaray nous explique que

l'homme peut exprimer soi-même, peut essayer d'atteindre la

possibilité de devenir un homme parfait parce qu'il a un

idéal du masculin dans la notion de Dieu qu'il adore. Dieu

représente toutes les valeurs associées avec le masculin.

Ainsi en adorant Dieu, l’homme peut envisager l’image la

plus parfaite du genre masculin. Au contraire, les femmes ne

savent pas encore ce qui est la personnification d'une femme

parfaite, ou, elles n'ont pas une Divinité à adoreri.16

16Irigaray Luce. Sexes and Genealogies, Trad. de français en anglais par Gillian C. Gill (Columbia University Press, 1993), p. 23.

16

Comme elle dirait, cette forme d’énergie, « qui nous incite

à devenir parfaitement nous-mêmes et à vivre la relation à

l’autre, aux autres et au monde », n’existe pas pour les

femmes.17Pour encourager une culture au féminin, il faut que

les femmes aient un héritage à suivre. Or, la mère est la

personne la plus proche à la femme, celle qui la nourrit en

elle, celle que l’enfant adore et suit dans son comportement

quotidien.

D’ailleurs, en analysant les romans de Marchessault, Lori

Saint-Martin dirait :

Jovette Marchessault, Madeleine Gagnon, LoukyBersianik-participent toutes trois d’un mêmecourant de pensée, dans le droit fil de laréfléxion de Luce Irigaray. 18

Nous allons suivre cette perspective nouvelle qui, afin de

formuler un nouveau capital symbolique essaie de créer une

divinité au féminin, une généalogie issue de cette divinité

en se manifestant sur le plan terrestre, dans le personnage

humain des mères ou des grand-mères.

17 Roy Marie-Andrée. Une présentation, “Luce Irigaray: le féminin et la religion”, Religiologiques (Montréal, no 21, printemps, 2000), p. 2.18 Saint-Martin, Lori, Le Nom de la Mère, Editions Nota béné, Montreal, 1999, p. 217.i

17

Dans cette partie nous allons voir que l’habitus patriarcal

fait place à un habitus qui valorise l’héritage matriarcal

et le respect pour la mère. Après le décès de la mère, les

deux protagonistes s’inspirent de la vie de leur mères et

apercoivent que celles ci leur a légué un héritage des

valeurs auxquelles elles peuvent s’identifier. L’habitus qui

avait patriarcalisé les deux jeunes filles, fait place à la

conscience d’un héritage qui les aide à définir leur propre

identité comme femmes. Cet héritage et cette mémoire les

aident à définir les valeurs de la divinité au féminin dont

parle Irigaray. La violence symbolique du patriarcat contre

la femme perd son objectif à mesure que les filles

construisent leur monde à travers leur patrimoine (hérité

des mères, de la communauté des lesbiennes).

En élaborant sur la notion de l’héritage maternel chez

Irigaray, Saint-Cyr constate: « les généalogies féminines

sont comprises comme une filiation culturelle qui lie les

femmes à leurs mères spirituelles. »19Ainsi pour Noria sa

mère est un ange, qui la guide vers son avenir, son amour,

19 Roy Marie-Andrée. Une présentation, “Luce Irigaray: le féminin et la religion”, Religiologiques (Montréal, no 21, printemps, 2000), p. 3.

18

son destin. Pour l’héroine de Bani Basu, c’est un esprit

divin artistique, avec qui elle s’identifie en devenant

écrivaine. Dans les deux cas, il y a non seulement

l’adoration et l’idéalisation de la mère, mais encore une

identification entre les personnages de la mère et de la

fille qui paraissent continuer la même lignée, un héritage

au féminin.

Des cailloux blancs pour les forêts obscures, le thème de l’héritage de

mère en fille est impliqué dans la structure même de la

narration. La mère de Noria n’a pas de nom. Tout au cours du

roman, même dans l’histoire qui précède la naissance de la

fille, l’auteure l’appelle « La mère de Noria ». Le lecteur

est ainsi forcé de considérer ce personnage toujours à

travers son rapport avec sa fille. Deuxièmement, la

structure du roman est telle que la vie de ces deux

personnages s’entremêlent. Le premier chant (les chapitres

du roman sont intitulés des chants), s’ouvre à la scène où

Noria et son amie lesbienne, Jeanne sont en train de parler

de leurs vies, de leurs aspirations. Tout le roman est

raconté en retrospecte après que Jeanne rencontre le Lion de

19

Bangor qui rend visite à sa fille Noria, en coma, chez son

amie. La narratrice est hors de cette histoire de mère-

fille, mais en même temps elle paraît avoir une vision

globale nécéssaire pour relier les deux vies ensemble et de

les voir comme une partie d’une généalogie des femmes

héroiques qui ont souffert la tyrannie du patriarcat et ont

légué à la postérité un héritage de l’amour et du courage.

Ainsi Jeanne est la narratrice d’une histoire de femmes et

non seulement de Noria et de sa mère. L’histoire que Jeanne

va raconter est celle de « ces mères qui nous poussent dans

les reins. Elles sont tout près, si près à faire la planche

sur le fleuve des morts. Ou à s’y confronter, enfoncées

jusqu’aux oreilles dans l’éther. » (C. B. F. O., p. 12-13). Dans le

trosième chant la mère morte et Noria, sa fille en coma,

sont devenues déjà un héritage, une histoire qui vit dans la

conscience des gens. La fille et la mère s’identifient dans

la mort et elles sont comme deux faces d’une même légende ou

la continuité d’une même histoire. La violence symbolique

qui est toujours impliquée dans une vision masculine est

absente ici, à cause de la narration des femmes, et

20

l’histoire qu’elles racontent est personelle, subjective et

tirée de la mémoire d’une jeune fille de la vie de sa mère ;

d’où son authenticité. L’habitus patriarcal est sans doute

présent mais il influence au minimum une narratrice elle

même disillusionnée du monde où elle perçoit sa mère comme

victime du patriarcat et s’identifie avec elle dans sa

propre recherche du soi.

Quelles sont les valeurs que ces filles attribuent à

l’idéale de leurs mères ? De quoi consiste leur héritage

maternel d’où elles commencent à se percevoir différemment ?

Lorsque Noria raconte la vie de sa mère pour la première

fois à Jeanne, la mère paraît un personnage assez ambitieux,

qui démontrait peu d’émotions pour sa fille. On a

l’impression qu’elle n’a que de l’indifférence vis à vis de

sa mère. Mais tout cela change après l’incident du vol sur

les Appalaches. En racontant cet incident à Jeanne, Noria

paraît idéaliser sa mère. La mère est presque une divinité

qui non seulement garde sa fille d’une fatalité imprévue

mais l’amène vers son avenir car ce vol guide Noria vers la

21

communauté des femmes lesbiennes où elle connaîtrait l’amour

entre femmes pour la premiere fois.

Luce Irigaray dans Sexes et parentés, dit que les femmes n’ont

pas une divinité, une possibilité d’imaginer la perfection

de leur espèce, alors que les hommes ont un ‘Dieu’ ou

l’Absolu qui représente toutes les valeurs du masculin à

leurs possibilités infinies. Dans ce roman on apercoit que

la mère décédée devient une figure divine. Pour Noria, sa

mère devient l’image d’une femme courageuse qui « a battu

des records de distance, d’endurance, attirant des foules de

records ». Pour elle c’est un héritage sacré. Les pages qui

enregistrent ces records deviennent  « les pages de la

légende rose » (C. B. F. O., p. 83), où la rose

signifie « l’absolu de l’amour » (C. B. F. O., p. 84). Irigaray

parle des valeurs héritées de cette divinité par les femmes

humaines. Pour Noria, sa mère représente des valeurs qu’elle

associe à la femme idéale : le courage, l’endurance, la

patience, l’amour de la perfection. Selon son amie Jeanne,

Noria a aquis ces valeurs de sa mère. (C. B. F. O., p. 86).

Enfin toute l’écriture de Marchessault, comme dirait Gloria

22

Feman Orenstein, est une ovation à la Mère Ancienne et aux

mères ancêtres, magiciennes, artistes, écrivaines.20 On

pourrait dire que ces valeurs redéfinissent l’habitus hérité

et le capital symbolique patriarcal de la violence et de la

mort font place à un autre capital symbolique lié à la

divinité au féminin : l’amour désinteressé, la sororité, la

sympathie pour la terre et les animaux. 21

Dans le roman Gandharvi de Bani Basu, la jeune fille d’Apala,

Titu ou Sohini grandit dans une famille où elle voit sa mère

sujette aux conventions très patriarcales et s’aliène de sa

mère lorsque celle ci est vivante. Après la mort d’Apala,

sans doute, elle a réfléchi sur son passé. Elle émule sa

mère, en choisissant d’être écrivaine. Dans sa biographie,

elle exprime sa révérence et son adoration pour la mère qui20 Orenstein Gloria. “Préface” dans La Mère des Herbes (Montréal, QuinzeEditeurs, 1980), p. 15.21 Saint-Martin Lori. Le Nom de la Mère (Montréal, Editions Nota Béné,1999), p. 224. “Chez Jovette Marchessault, la mère n’est pas liée àl’impuissance et promise à la mort ; au contraire, mère et fille sontliguées contre l’impuissance et décidées à vivre ensemble…la fille lacomprend et refuse de la juger...la mère, chez Jovette Marchessault, estsolidarité, mémoire, beauté, retour aux origines. Au fond JovetteMarhcessault récrit à sa manière le mythe de Demeter et de Perséphone endonnant à la fille le rôle actif attribué à la mère dans le mythe grec :la fille, s’étant rendu compte que toutes les mères ont été ravies àleurs filles par l’ordre patriarcal, entreprend de sauver la sienne-etde se sauver avec elle  renouant ainsi, du même coup, avec toutes lesautres femmes.”

23

est glorifiée comme un être divin de l’art ainsi qu’indique

le titre du livre. Sa mère décédée, la jeune fille devient

écrivaine et elle choisit d’écrire dans sa langue maternelle

et non en anglais, bien que son entraînement fut dans cette

langue. Il y a une identification très forte entre mère et

fille, entre la langue de sa mère et sa langue d’écriture,

quand celle ci entreprend d’écrire la vie de sa mère (G., p.

186). L’écrivaine décrit la vie de sa mère comme un

personnage étranger à ce monde, trop sensitif, honnête,

artistique et noble pour la vie humaine. Le titre du

livre « Gandharvi » veut dire, l’esprit divin de l’art. Les

valeurs que l’écrivaine paraît idéaliser chez sa mère sont,

sa capacité d’endurer et de continuer à chanter tout en se

réconciliant aux tâches d’une femme au foyer. En négligeant

les tentations de plaire au public par des chansons

populaires elle est restée fidèle à la chanson classique et

c’est seulement à la fin de sa vie qu’elle a connu la

célébrité.

24

c) Les valeurs différentes attachées au concept de la

divinité

Dans les deux romans, la société en transition qui apporte

la modernisation et des droits politiques aux femmes,

déclenche en même temps, des forces qui oppriment la femme

sur le plan plus intime et familial. Des groupes puissants

avec des idéologies comme le Ku Klux Klan émergent. En Inde

le nationalisme qui se voue à l’idéal de la liberté et de

l’égalité propose une toute autre réalité pour les femmes

qui sont censées soutenir les traditions hindoues négligées

auparavant.

Dans cette partie nous allons voir que bienque les deux

protagonistes aient choisi un chemin différent dans leurs

vies, elles continuent à conserver l’héritage légué par

leurs mères. Finalement, je vais montrer que les deux filles

appartenant à deux sociétés différentes, reflètent dans leur

lutte pour le féminisme, des tendances différentes. Leurs

notions de la divinité au féminin se diffèrent suivant ce

qui est valorisé dans leur société, suivant deux manières

différentes d’apercevoir la réalité.

25

Le nationalisme ainsi que la globalisation souvent

appartiennent à la sphère public où les hommes bénéficient

par cette politique tandis que ces mêmes agents insistent

que la sphère domestique, la place de la femme reste

imperturbée par ces notions. « L’idée même d’épouser le nationalisme

pour une cause public/politique perpétue la séparation entre

l’intérieur/l’extérieur…dans des situations semblables le nationalisme devient une

préserve des hommes et les femmes sont punies et sont forcées à devenir des

véhicules d’une intériorité pure qui prend souvent la forme d’une double

déprivation… »22

Même si les deux femmes ont révolté de leur façon dans une

société patriarcale, leur lutte et leurs objectifs étaient

différents et distincts de l’un l’autre. Tandis que la mère

de Noria a choisi consciemment de ne pas continuer une

famille conjugale, Apala a essayé de se compromettre vis à

vis de sa carrière et elle n’a jamais voulu quitter sa22 “ The very idea of espousing nationalism for public-political causes perpetuates an already existing inner-outer split into a chronic schizophrenia. As Partha Chatterjee has argued, in such a situation nationalism becomes a male preserve and ‘women’ are punished into becoming the vehicles of a pure interiority that takes the form of a double deprivation.” Radhakrishnan R., “Postcoloniality and the Boundaries of Identity.”dans Identities Race, Class, Gender and Nationality Ed. Par Linda Martin Alcoff et Eduardo Mendieta (Oxford, Blackwell, 2003), p. 318.

26

famille conjugale. Pourtant elle n’y était pas très

heureuse. La mère de Noria avait quitté le Lion de Bangor

parce qu’elle ne pouvait plus supporter qu’il soit si

vindictif envers son amie qu’il distribua ses cellules

mortes, en se vengeant d’un corps mort. Apala fut aussi

disillusionnée de son mari qui lui avait promis beaucoup de

choses mais qui devenait jaloux de sa célébrité. Quand même

Apala ne l’abandonne pas, parce qu’elle n’avait jamais

attendu de la sympathie et de l’amour de lui. Elle se

conformait à cette société parce qu’en Inde de cette époque,

les femmes célibataires n’avaient aucun statut social. Une

telle société ne l’aurait même pas accepté comme chanteuse

si elle s’était divorcée.

Tandis que la femme occidentale cherche l’amour, la

satisfaction dans son travail, l’indépendence, la femme

indienne compromet souvent ses ambitions, son bonheur

personnel et se sent plus à l’aise en travaillant pour le

bonheur d’une famille où elle ne cherche qu’une petite

place. Souvent elle n’attend pas de l’amour et de la

sympathie de son mari à qui elle a été forcée d’épouser au

27

lieu de tomber en amour avec lui. Finalement, les valeurs

admirées par la mère de Noria, l’endurance, la capacité de

prendre des risques, ce que demande sa profession, sont les

valeurs auxquelles aspire également l’homme occidental. D’où

un conflit dans la situation même de travail. Au contraire,

les valeurs auxquelles aspire une femme indienne comme

Apala, sont l’amour de ses enfants, la dévotion à la

musique, ce sont généralement les valeurs que l’homme indien

ne voudrait pas atteindre. D’où l’absence de conflit avec

d’autres chanteurs hommes.

La philosophie religieuse hindoue théoriquement donne un

statut égale à la femme et à l’homme et ainsi il y des

féministes indiennes qui adhèrent à ce fait que des valeurs

et l’idéale de la feminité pourraient être complémentaires

aux valeurs et à l’idéal de la masculinité. Et que le divin

suprème est au-dessus de ces valeurs. Dieu n’a pas de

sexe.23

23 “Suppose you cut a tall bamboo in two Make the bottom piece a woman, the headpiece a man, Rub them together till they kindle: tell me now The fire that is born is it male or female, O Ramanatha?”“Si vous coupez un grand bamboo en deuxEt faites une femme de la partie inférieure et un homme de la supérieureFrottez les ensemble jusqu’à ce qu’ils s’enflamment: dites-moi alors

28

Plusieurs féministes en Inde se considèrent ayant des

objectifs et des valeurs différents de ceux de leur

contrepartie en Europe et en Amérique où le mouvement

féministe a commencé. Suma Chitnis remarque :

In the West there is a compulsion to alogical resolution of conflict toconfrontation and categorical choice. Incontrast the India culture places a greatervalue of compromise on the capacity to livewith contradictions and to balanceconflicting alternatives. 24

Elle observe, à l’Ouest on exige une conclusion logique à la

confrontation et un choix catégorique. Tandis que la culture

indienne valorise plus le compromis et la capacité

d’accomoder des contradictions, de trouver un equilibre

entre des alternatives contradictoires. Même si les deux

filles divinisent l’image de leur mère, on remarque que ce

sont des valeurs différentes qu’elles attribuent à cette

divinité.

Conclusion

Le feu qui se naît, est-il male ou femelle” (traduit par moi)Un ancien poème hindou, cité par Vanita Ruth, “Thinking Beyond Gender InIndia” dans Feminism in India, s. la dir. de Maitrayee Chaudhuri (New Delhi, Kali for Women and Women Unlimited, 2004), p. 75.24 Chitnis Suma, “ Indian Ethos and Indian Convictions ”, dans Feminism in India, s. la dir. de Maitrayee Chaudhuri (New Delhi, Kali for Women and Women Unlimited, 2004), p. 24.

29

On conclue que la mondialisation qui ouvre des contacts

entre les nations, est une force libératrice mais elle

pourrait aussi renforcer les groupes racistes qui trouvent

chez la femme une victime facile. Elle met en danger des

valeurs attachées au ‘nationalisme’. Le patriarcat, même

lorsqu’il accepte la mondialisation au niveau politique et

écononomique, devient plus orthodoxe au niveau culturel et

oppose la libération de la femme.

Apala est victime d’une tendance des sociétés en transition.

Selon Maitrayee Chaudhuri durant la période de transition

entre le nationalisme et le colonialisme il y avait une

tendance d’essentialiser la culture indienne : « essentialising

Indian culture and a construction of an image of recasted Indian womanhood as

an epitome of that culture. »ii 25. Ainsi, la famille patriarcale ne

peut pas supporter que la belle fille ait une identité à

soi, qu’elle soit occupée avec sa musique plus qu’avec sa

famille. Apala a compromis son ambition mais sa fille

continue son héritage artistique à travers son écriture.

25 Chaudhuri Maitreyee. “Introduction” dans Feminism in India (New Delhi, Kali for Women and Women Unlimited, 2004), p. 19.ii

30

Elle obtient aussi la reconnaissance sociale des œuvres

créatrices de sa mère et d’elle même.

Des cailloux blancs est situé dans une société en

transition.Tandis que politiquement les gouvernements

encouragent la mondialisation et la modernisation, des

groupes comme le Ku Klux Klan se vengent des femmes

lesbiennes et « jurent tous de veiller sur la chasteté de la

femme, de soutenir le patriotisme et de maintenir la

suprématie de la race blanche. » (C. B. F. O., p. 140)

Irigaray constate que historiquement l’obligation de la

femme d’engendrer des enfants suivant la généalogie du mari

se correspond au début du non-respect de la nature, de son

lien avec la divinité et de son lien avec le rapport mère-

fille. Paradoxalement le culte de la mère néglige souvent le

respect de la nature.26 Elle explique comment la culture

occidentale décourage le culte de la nature et son lien avec

le rapport mère-fille. Tandis que selon elle, les deux sont

liés. Selon nous, le lien mère-fille est découragé en toutes

26 Irigaray Luce, “The necessity for sexuate rights”, trad. par David Macey, dans The Irigaray Reader, s. la dir. de Margaret Whitford ( Blackwell Publishers, 2000), p. 200.

31

sociétés à cause du peur du patriarcat de rendre les femmes

conscientes de leur héritage de l’amour, de maternité, de

leur pouvoir créateur comme mères et artistes.

Dans les deux romans, non seulement que les filles renouent

les liens d’amour avec leurs mères, après leur décès mais

aussi que celles-ci découvrent leur propre héritage

artistique et créateur hérité de leurs mères. En

rétablissant les liens avec l’héritage maternel, elles

réalisent que malgré les contraintes imposées par le

patriarcat à travers des taboos et des lois de l’oppression,

elles ont une identité et une histoire indépendentes

héritées de leurs mères. La découverte de leur propre

identité suit un processus de recherche de l’histoire d’un

combat courageux et personnel que leurs mères ont mené dans

leurs vies.

Une étude comparative de ces deux romans nous révèle

l’aliénation et l’oppression générale des femmes

irrespective du pays et des cultures. Dans cette atmosphère

aliénéante le rapport mère-fille évolue d’un état de mépris

à l’adoration et à la divinisation de la mère décédée. Quand

32

même, les tendances diverses des deux sociétés avec un

système de valeurs différent se reflètent dans les valeurs

différentes attachées à l’idéale de la mère. Malgré les

différences dans les sens et dans les buts attachés à ce

mouvement, le féminisme reste un humanisme. Et une étude

féministe a pour but, d’élargir les horizons non seulement

pour des femmes mais pour tous ceux qui sont opprimés par la

force.

Bibliographie :

1. Champagne Patrick et Olivier Christin, Mouvements d’une pensée Pierre Bourdieu, Bordas, Paris, 2004.

2. Hirsch Marianne, The Mother/Daughter Plot: Narrative, Psychoanalysis, Feminism, University of Indiana Press, Bloomington et Indianapolis, 1989.

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6. Calhoun Craig, Edward Li Puma and Moishe Postone (Ed.), Bourdieu-Critical Perspectives, Polity Press, Cambridge, 1993.

7. Irigaray, Luce, Je, tu, nous, Editions Grasset et Fasquelle, Paris, 1990.

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8. Irigaray Luce, Sexes and Genealogies, Trad. de français en anglais parGillian C. Gill, Columbia University Press, 1993.

9. Saint-Martin, Lori, Le Nom de la Mère, Editions Nota béné, Montreal, 1999.

Articles :

1. Chaudhuri Maitreyee, “Introduction” dans Feminism in India, Kali for Women and Women Unlimited, New Delhi, 2004.

2. Chitnis Suma, “Indian Ethos and Indian Convictions ”, dans Feminism in India, s. la dir. de Maitrayee Chaudhuri, , Kali for Women and Women Unlimited, New Delhi, 2004.

3. Irigaray Luce, “The necessity for sexuate rights”, trad. par DavidMacey, dans The Irigaray Reader, s. la dir. de Margaret Whitford, Blackwell Publishers, Oxford, 2000.

4. Orenstein Gloria, “Préface” dans La Mère des Herbes, Quinze Editeurs,Montréal, 1980.

5. Radhakrishnan R., “Postcoloniality and the Boundaries of Identity.”dans Identities Race, Class, Gender and Nationality Ed. Par Linda Martin Alcoff et Eduardo Mendieta, Blackwell, Oxford, 2003.

6. Roy Marie-Andrée, “Une présentation, Luce Irigaray: le féminin et la religion”, Religiologiques, no. 21, printemps, Montréal, 2000.

7. Vanita Ruth, “Thinking Beyond Gender In India” dans Feminism in India, s. la dir. de Maitrayee Chaudhuri, Kali for Women and WomenUnlimited, New Delhi, 2004.

8. Vernier Bernard, “Violence symbolique” dans Pierre Bourdieu: Les champs de la critique, s. la dir. de Philippe Corcuff , Paris, Bpi/Centre Pompidou, 2004.

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