Premier livre traduit à Paris • Titre anglais : Human condition

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1 Université populaire de Caen Basse-Normandie – Année 2013-2014 Contre-histoire de la philosophie par Michel Onfray – Conférence N° 243 # 10 : Lundi 3 février 2014 « PHILOSOPHER EN TEMPS DE CRISE » 1./ CONDITION DE LHOMME MODERNE a) Condition de l’homme moderne, 1958 Traduction française : 1961 Premier livre traduit à Paris Titre anglais : Human condition Impossible de traduire : La condition humaine Toronto, débat télévisé, novembre 1972 : Convient d’une erreur Avoue que ce livre souffre : D’avoir envisagé la question de la vie active du point de vue de la vie contemplative Sans jamais rien dire sur cette vie contemplative Annonce que ce livre a besoin d’un second volume Qu’elle « essaie de l’écrire » (Edifier le monde, 90). : Il s’agira de La vie de l’esprit – un ouvrage inachevé, posthume b) Condition de l’homme moderne : Son livre le plus philosophique Au sens universitaire, institutionnel et professionnel Prologue : annonce des pistes qui ne seront pas explorées c) Préfère analyser de manière serrée : Vie contemplative et vie active Domaine privé et domaine public Eternité et immortalité Polis et famille Travail et loisir Propriété et richesse Oeuvre et réification Action et fabrication Faire et agir Science de la nature et science de l’univers Irréversibilité et pardon Imprévisibilité et promesses d) Trois perspectives nihilistes : Fin de la vie sur terre Avènement de la colonisation de l’espace Fin de la reproduction sexuée : Avènement d’une technologie transgénique Fin du travail : Avènement du loisir sans objet.

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Université populaire de Caen Basse-Normandie – Année 2013-2014 Contre-histoire de la philosophie par Michel Onfray – Conférence N° 243

# 10 : Lundi 3 février 2014

« PHILOSOPHER EN TEMPS DE CRISE » 1./ CONDITION DE L’HOMME MODERNE

a) Condition de l’homme moderne, 1958 • Traduction française : 1961 • Premier livre traduit à Paris • Titre anglais : Human condition • Impossible de traduire : La condition humaine • Toronto, débat télévisé, novembre 1972 :

• Convient d’une erreur • Avoue que ce livre souffre :

• D’avoir envisagé la question de la vie active du point de vue de la vie contemplative

• Sans jamais rien dire sur cette vie contemplative • Annonce que ce livre a besoin d’un second volume • Qu’elle « essaie de l’écrire » (Edifier le monde, 90). : • Il s’agira de La vie de l’esprit – un ouvrage inachevé, posthume

b) Condition de l’homme moderne : • Son livre le plus philosophique • Au sens universitaire, institutionnel et professionnel • Prologue : annonce des pistes qui ne seront pas explorées

c) Préfère analyser de manière serrée : • Vie contemplative et vie active • Domaine privé et domaine public • Eternité et immortalité • Polis et famille • Travail et loisir • Propriété et richesse • Oeuvre et réification • Action et fabrication • Faire et agir • Science de la nature et science de l’univers • Irréversibilité et pardon • Imprévisibilité et promesses

d) Trois perspectives nihilistes : • Fin de la vie sur terre • Avènement de la colonisation de l’espace

• Fin de la reproduction sexuée : • Avènement d’une technologie transgénique

• Fin du travail : • Avènement du loisir sans objet.

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2./ 1ERE PERSPECTIVE NIHILISTE : METAPHYSIQUE DU SPOUTNIK a) Ouvre son livre sur l’envoi dans l’espace d’un satellite soviétique

• 4 octobre 1957, Spoutnik I. • Evénement plus majeur que la fission nucléaire • Satellite mis en orbite, a pris sa place dans l’ordre plurimillénaire du cosmos • 1er objet manufacturé accompagnant soleil, lune « en leur sublime compagnie » (59)

b) Aventure politique et militaire, certes – guerre froide • Mais potentialités métaphysiques • Incidence sur une nouvelle définition de la nature humaine.

c) Premier motif d’inquiétude : • Pour la 1ère fois, les hommes peuvent quitter la terre • La terre comme prison dont il faut s’évader

d) Pour les chrétiens : la terre, vallée de larmes • Pour les philosophes : le corps, prison de l’âme • Pour les hommes du XX° : la terre, prison du corps • Souhaitent s’en affranchir pour « s’en aller littéralement dans la lune » (60).

e) Les hommes tournent le dos à la terre pour lui préférer l’inconnu d’un univers • Qui restera probablement limité : conditions d’exploration • Longueur de la vie d’un homme / longueur d’un voyage • Vitesse très en-deçà de la lumière • Condamné à n’explorer que les abords du système solaire • La terre qui permettait de vivre sans artifices a fait son temps • Stations, artifices, appareillages pour vivre • Se protéger des rayons mortels • Assurer sa respiration • Maintenir la pression sanguine • « L’émancipation, la laïcisation de l’époque moderne qui commença par le refus

non pas de Dieu nécessairement, mais d’un dieu Père dans les cieux, doit-elle s’achever sur la répudiation plus fatale encore d’une Terre Mère de toute créature vivante ? » (60).

• Les hommes vivant se sépareraient des autres vivants. f) Que deviendrait la nature humaine ? g) En 1963, précise sa pensée dans :

• La conquête de l’espace et la dimension de l’homme.

3./ 2EME PERSPECTIVE NIHILISTE : SCIENCE SANS CONSCIENCE a) Après vols habités et conquête spatiale :

• Deuxième motif d’inquiétude : • L’artificialisation de la vie • Echapper à la nature humaine

b) Dans les années 50 : • Dénonce le péril pour la nature humaine • Avec ce que font les scientifiques dans leurs laboratoires.

c) En finir avec le lien plusieurs fois millénaire des hommes avec la nature • La création du vivant dans des éprouvettes.

d) Que fait la science ? • Intervenir sur le plasma germinal d’individus sélectionnés • Pour réaliser des fécondations à la demande • Taille, formes, fonctions de l’humain • « Produire des êtres supérieurs » (60).

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e) Augmenter la durée de vie • Dans un siècle, produire des individus capables de vivre un siècle • L’homme naturel remplacé par un humanoïde artificiel • Venu de l’humain lui-même.

f) Possibilité technique et faisabilité morale • Urgence à réfléchir sur les conséquences de ces projets • Les scientifiques peuvent-ils décider seuls ? • D’où la nécessité de réfléchir sur la condition de l’homme moderne.

g) Hannah Arendt prévoit que ces expériences deviendront indicibles • Qu’elles outrepassent les possibilités du langage et de la compréhension • Ce qui interdira qu’on les pense • Tout se passe « comme si notre cerveau, qui constitue la condition matérielle,

physique, de nos pensées, ne pouvait plus suivre ce que nous faisons, de sorte que désormais nous aurions vraiment besoin de machines pour penser et pour parler à notre place » (61).

• Elle prévoit la fin du vivant et son remplacement par des machines.

4./ 3EME PERSPECTIVE NIHILISTE : LA FIN DU TRAVAIL a) Troisième sujet d’inquiétude de ce prologue :

• Les machines, l’automation. • Dans quelques décennies, les usines se videront des travailleurs • Les hommes seront libérés de leur fardeau le plus ancien : le travail

b) Paradoxe : • La fin du travail s’accompagne d’une glorification théorique du travail • La totalité de la société se trouve transformée en société de travailleurs • Tout le monde travaille :

• Les présidents, les rois, les premiers ministres, les intellectuels • « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs

sans travail, c’est-à-dire privée de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire » (62).

c) Le loisir laisse une immense plage de temps • Or « cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes

pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté » (62). • Dans notre configuration égalitaire • Il n’y a plus d’aristocratie susceptible d’indiquer les bons usages de l’otium.

5./ UN MONDE POST-NUCLEAIRE

a) Le monde moderne est né avec la bombe atomique • On ne sait à quoi il ressemble • Mais ces 3 exemples montrent vers quoi il va • Hannah Arendt veut « rien de plus que de penser ce que nous faisons » (62).

b) D’où une réflexion sur : • Le travail :

• Qui correspond à l’activité biologique du corps humain • Autrement dit : à la vie elle-même.

• L’œuvre : • Qui est modalité de l’appartenance au monde.

• L’action : • Qui concerne les relations entre les hommes sans aucun intermédiaire.

c) Ces 3 principales activités de la vie

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• N’existent que par le désir d’obtenir un certain type d’immortalité dans le cosmos • Où tout est immortel, sauf les humains

d) L’action des humains : • Laisser une trace sur terre après leur disparition.

• Le ressort de la vie active : • Quête d’immortalité

• Le travail est périssable : • Il permet la consommation pour la conservation de la vie

• L’œuvre dure : • Elle sert aux générations suivantes.

e) Hannah Arendt ne propose pas une société d’abondance, comme Marx • Mais une sobriété heureuse • Une joie de vivre dans la simplicité, la sobriété.

6./ PHILOSOPHER EN TEMPS DE CRISE

a) Fin de la terre • Fin du vivant naturel • Fin du travail

b) Hannah Arendt pense également : • La fin de la culture • La fin de l’éducation.

c) 1958 : La crise de l’éducation • 1960 : La crise de la culture. Sa portée sociale et politique.

d) En France, le structuralisme règne… • Elle pense concrètement :

• Le triomphe de la religion pédagogique dans les écoles • Les usages de classe de la culture par les esthètes et les philistins.

7./ LA CRISE DE LA CULTURE

a) Avènement de la culture de masse • Culture d’une société de masse

b) Libéré du travail, disponible pour le loisir • L’homme des masses est excitable, abandonné, aliéné au monde • Il manque de critères de jugement • Il manifeste une grande aptitude à consommer • Il ne sait pas distinguer le beau et le laid • Il est égocentrique.

c) Jadis le philistin méprisait la culture • Il la trouvait inutile • L’utilité était son critère de jugement absolu.

d) Plus tard : • Le philistin a utilisé la culture comme :

• Une monnaie sociale • Un signe de distinction • Un instrument qui permet de se situer socialement • Et d’élire des semblables

e) La culture devient une marchandise : • Un produit monnayable • Echangeable • Susceptible d’une circulation

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• D’une commercialisation • Donc d’une spéculation

f) La société de masse ne veut pas la culture • Mais les loisirs • Elle détruit la culture qu’elle transforme en loisir • Elle fabrique des produits adaptés • Des objets « réécrits, condensés, digérés, réduits à l’état de pacotille pour la

reproduction ou la mise en images. Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultats n’est pas une désintégration, mais une pourriture » (772).

g) Hannah Arendt stigmatise les intellectuels qui se rendent coupables des ces forfaitures h) L’art moderne a commencé par la subversion

• La rébellion de l’artiste contre la société • Il est aujourd’hui ingéré et digéré • Le snobisme fait la loi en Europe • L’art se sépare de la réalité.

i) La culture a perdu sa capacité a toucher, à émouvoir • « La fin mélancolique de la grande tradition occidentale » (769). • Le « fil de la tradition est rompu » - leitmotiv.

j) Le présent n’a de sens qu’en fonction d’un futur que seul le passé peut rendre possible • Hannah Arendt parle d’une brèche entre le passé et le futur • Dans La crise de la culture : • « Le « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » de Char sonne comme une

variation du « Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’avenir marche dans les ténèbres » » (596).

k) Racines de cet état de fait : • Incapacité à la mémoire • Au souvenir : rupture avec ce qui s’est passé • Inaptitude à la tradition qui nous condamne à errer

l) Hannah Arendt pense cette brèche • Elle ne propose pas de solutions • Elle affirme dans La crise de la culture « qu’il ne s’agit surtout pas (sic) de renouer

le fil rompu de la tradition ou d’inventer quelque succédané ultramoderne destiné à combler la brèche entre le passé et le futur » (602).

• Ni droite réactionnaire ou conservatrice • Ni gauche progressiste, dévote d’un futur idéalisé.

8./ LA CRISE DANS L’EDUCATION

1) La natalité : • a)- 1958, La crise de l’éducation

• Sur la « natalité » : • « Le fait que des êtres humains naissent dans le monde » (744). • L’être est un être né pour la vie

• b) Pour Heidegger : • L’être est « un être-pour-la-mort »

2) Ce qu’est l’éducation : • a) L’éducation est :

• Art de prendre en charge ce qui advient après la naissance jusqu’à l’âge adulte • b)- Met l’école américaine en relation avec la spécificité des Etats-Unis :

• Dans cet immense pays constitué par l’immigration

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• L’école sert à fabriquer un citoyen américain • Qui met son passé au second plan au profit d’un avenir commun • Qui consiste à faire communauté américaine.

• c) Tous ces enfants qui arrivent de tous les pays contribuent au projet américain : • La création d’un Nouveau Monde • Dans lequel l’objectif révolutionnaire consiste à : • « Supprimer la pauvreté et l’oppression », • Abolir l’esclavage, • Puis accueillir « tous les pauvres et les opprimés de la terre » (745)… • La scolarisation se propose la « gageure de fondre les groupes ethniques les

plus divers en un seul peuple » (744). • L’école est un instrument à fabriquer de la communauté.

• d) Cette école agit sur les enfants • Mais aussi sur leurs parents immigrants • Parents et enfants doivent se défaire du monde ancien • Au profit du monde nouveau

• e) Réaliser l’idéal fier et conquérant • D’une terre nouvelle • Où la liberté fasse la loi.

• f) Les Américains communient dans l’enthousiasme pour ce qui est nouveau • Manifestent une confiance dans la perfectibilité indéfinie.

3) La pédagogie moderne : • a) Fustige un « assemblage de théories modernes de l’éducation, qui viennent du

centre de l’Europe et consistent en un étonnant salmigondis de choses sensées et d’absurdités » (747). • Sans plus de précision.

• Dans cet article publié en 1958, • Elle écrit que ces théories ont bouleversé les Etats-Unis depuis 25 ans

• Soit… 1933 ! • c) Freud ?

• Jamais cité… • d) Dans Journal de pensée, avril 1966 :

• Rend compte d’une visite à une exposition Matisse • Commente les portraits de 5 têtes sculptées de Jeannette (1910-1913) • Elle voit dans ces œuvres un dévoilement de l’âme par la dé-figuration du

modèle • « L’âme nue de Platon, transparaissant comme laide parce que nue. Comme si

nos vêtements n’étaient destinés qu’à cacher la laideur du corps. Voilà toute la psychologie moderne » (853).

• Poursuit sur les rapports âme/corps, • Apparence / extérieur, • Corps ans âme qui serait cadavre et âme sans corps qui serait fiction.

• e) Et puis : • « Le sophisme freudien et le sophisme de toute psychologie moderne consistent

non seulement en ce qu’ils prétendent connaître ce qu’ils ne connaissent certainement pas, non seulement l’absurdité de l’ « inconscient », mais le plus ancien préjugé : ce qui est caché, ce qui n’est pas visible, est ce dont j’ai honte, et par conséquent ce qui est mauvais. Puisque ma pensée et mes sentiments ne peuvent être vus qu’à travers la manifestation du cops, c’est qu’ils doivent être mauvais » (853).

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• Et-ce cela le salmigondis venu d’Europe centrale ? 4) Les signes de la crise :

• a) La pédagogie a « mis à l’écart toutes les règles du bon sens » (747). • La totalité des méthodes traditionnelles d’enseignement aux Etats-Unis • Bouleversées du jour au lendemain • Au profit de cette modernité à laquelle il a été souscrit sans esprit critique • Le bon sens a disparu : signe de « l’effondrement » (747).

• b) Bien que pays de la liberté • L’Amérique est devenu pays de l’égalité • On veut effacer les différences entre :

1) Jeunes et vieux 2) Doués et moins doués 3) Enfants et adultes 4) Professeurs et élèves

• c) Le nivellement s’effectue en faveur de l’élève, contre son professeur • Contre les élèves les plus doués stigmatisés parce qu’ils contreviennent à

l’égalité. 5) Signes de l’effondrement :

• a) Signes de la crise de l’éducation : • Triomphe du pédagogisme • Destruction du bon sens • Religion de l’égalité

• b) Trois autres signes :

PREMIERE FOLIE : a) Folie de croire que le monde des enfants est un univers à part

• Séparé de celui des adultes • Un genre de société que les enfants devraient pouvoir gouverner eux-mêmes • Pour eux-mêmes • Sans que les adultes n’aient un rôle à jouer • Sinon d’éviter que le pire advienne • Ou leur dire qu’ils doivent faire ce qui leur fait plaisir

b) L’enfant n’est plus pris en considération comme individu • Seul le groupe est pris en considération

c) Avant l’enfant devait faire face à l’autorité d’un enseignant • Mais il existait dans un groupe qui pouvait, par sa cohérence, faire face à l’autorité • L’autorité pouvait être forte, voire tyrannique • Mais elle était de toute façon :

• Moins forte • Moins tyrannique que celle qu’inflige le groupe à l’enfant.

d) Dans cette nouvelle configuration, l’enfant « n’a pratiquement aucune chance de se révolter et de faire quelque chose de sa propre initiative » (749). • Il ne peut plus compter sur la solidarité de ses pairs contre l’autorité de l’adulte • Ses pairs sont ceux qui lui imposent le pouvoir contre lequel il ne peut se rebeller • Dès lors, « il se trouve dans la situation par définition sans espoir de quelqu’un

appartenant à une minorité réduite à une personne face à l’absolue majorité de toutes les autres » (749)

• « Même en l’absence de toute contrainte extérieure, bien peu d’adultes sont capables de supporter une telle situation, et les enfants en sont toujours incapables » (id.).

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e) Les pédagogies ont cru qu’ils libéreraient les enfants de l’autorité des adultes • Il n’en est rien • Pire :

• Ils les ont soumis à une autorité plus destructrice, plus déstructurante : • Celle de la majorité • Bannis du monde des adultes • Livrés à eux-mêmes • Soumis à la tyrannie du groupe • Interdits de révolte à cause du groupe • Ils ne disposent d’aucune issue pour échapper à cette situation,

f) Dès lors : • Ils deviennent conformistes • Ou délinquants • Voire ils mélangent conformisme et délinquance.

DEUXIEME FOLIE :

a) Croire que la pédagogie fonctionne comme une discipline sans autre objet qu’elle-même • « La pédagogie est devenue une science de l’enseignement en général, au point de

s’affranchir complètement de la matière à enseigner » (750). b) Plus besoin de maîtriser une matière

• De posséder un corpus intellectuel • De disposer d’un savoir • Ce qui importe, c’est d’enseigner • Peu importe ce qui est censé l’être.

c) « Puisque le professeur n’a pas besoin de connaître sa propre discipline, il arrive fréquemment qu’il en sache à peine plus que ses élèves » (750). • Les élèves doivent s’en sortir par leurs propres moyens • Les professeurs ont perdu toute l’autorité qui leur venait de leur compétence.

TROISIEME FOLIE :

a) Folie de croire « que l’on ne peut savoir et comprendre que ce qu’on a fait soi-même, et sa mise en pratique dans l’éducation est aussi élémentaire qu’évidente : substituer, autant que possible, le faire à l’apprendre » (750).

b) Pour l’enseignant, plus question de transmettre un savoir présenté comme mort • Il doit montrer comment s’acquiert ce savoir • Le problème n’est plus le savoir, mais le savoir-faire.

c) Le jeu devient plus important que le travail • Consubstantiel à l’enfant, il passe pour la meilleure façon d’apprendre • Contre les contenus à apprendre, les choses à savoir, les informations à maîtriser • Autant d’activités présentées comme passives par les modernes • On adoube l’initiative, l’invention.

d) Pour apprendre une langue : • On n’apprend plus la grammaire, la syntaxe • On ne mémorise plus de vocabulaire appris en liste • L’apprentissage est censé s’effectuer en parlant… • L’enfant apprend une langue étrangère comme il a appris sa langue maternelle • Sans contrainte, sans s’en apercevoir, sans souffrir, en jouant, de façon indolore • « Il est parfaitement clair que cette méthode cherche délibérément à maintenir,

autant que possible, l’enfant plus âgé au niveau infantile » (751).

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• L’enfance fonctionne comme un monde séparé, auto-référent • Elle n’a plus aucune raison d’entrer en contact avec le reste du monde.

e) Comment répondre à cet état de fait ? • « On rétablira une fois de plus l’autorité dans l’enseignement ; on ne jouera plus

pendant les heures de classe et on fera de nouveau du travail sérieux ; on mettra l’accent non plus sur les activités extra-scolaires, mais sur les matières du programme. Enfin on parle même de modifier les programmes actuels de formation des professeurs qui devraient eux-mêmes apprendre quelque chose avant d’être lâchés auprès des enfants » (752)…

f) Contre les adultes infantiles a) L’enfance n’est pas un monde en soi, mais un état transitoire

- L’enfant doit y rester le moins longtemps possible - Il doit vivre avec des adultes qui le protègent en cas de danger

b) L’enfant doit être introduit progressivement dans le monde - Par des adultes qui le conduiront à son autonomie - Quoi qu’il pense, l’éducateur doit assumer ce monde dont il n’est pas

l’inventeur - « Qui refuse d’assumer cette responsabilité du monde ne devrait ni

avoir d’enfants, ni avoir le droit de prendre part à leur éducation » (756).

- « Dans le cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité » (756).

c) L’autorité n’engendre pas la compétence - Est compétent quiconque connaît le monde - Et en transmet la connaissance aux autres - Dispose d’une autorité celui qui assume sa responsabilité à l’endroit du

monde d) L’autorité ne joue plus aucun rôle dans la vie publique et politique

a. « On est en train de rejeter toute responsabilité du monde : celle de donner des ordres comme celle d’y obéir » (756).

b. Abolition de l’autorité = adultes qui refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants.

CONCLUSION

a) Que faire ? • « Le conservatisme, pris au sens de conservation, est l’essence même de

l’éducation, qui a toujours pour tâche d’entourer et de protéger quelque chose – l’enfant contre le monde, le monde contre l’enfant, le nouveau contre l’ancien, l’ancien contre le nouveau » (id.).

• « C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice ».

• Le passé était un modèle, • La tradition proposait l’opportunité d’un futur. • L’éducation doit permettre le renouvellement d’un monde commun : • Fidélité au passé pour emplir le présent d’une tâche qui est la préparation de

l’avenir. b) La crise n’a rien perdu de son actualité

• Après Auschwitz, y avait-il encore matière à espoir ? • Hannah Arendt avait répondu oui…

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BIBLIOGRAPHIE :

• Hannah Arendt : • Conditions de l’homme moderne, Presse Pocket • La vie de l’esprit, PUF • La conquête de l’espace et la dimension de l’homme • La crise de la culture, Folio, Gallimard • La crise de l’éducation in L’humaine condition, Quarto Gallimard

• Pierre Bourdieu, La distinction, Minuit