Plaidoyer pour l'exploitadidactique des jeux de semailles

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Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008 • • • • • • • • • • • • • • • n Études et recherches Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles L e jeu est une activité qui a toujours beaucoup intéressé le monde scientifique, philosophique tout comme les médias et l’éducation. Cela est probablement à l’im- portance qu’il a durant l’enfance, et à sa présence autant chez l’homme que chez l’animal, chez l’enfant que chez l’adulte. Jusqu’à ce jour, aucun consensus n’a pourtant encore été trouvé quant à ce que ce terme désigne ; de nombreux sens du mot jeu coexistent. En effet, de par le nombre de comportements qu’il englobe et le nombre de points de vue sous lesquels il peut être étudié, trouver une définition qui fasse l’unani- mité est une tâche complexe. Sans prétendre trancher ce débat, il nous suffira de retenir les caractéris- tiques proposées par Rubin, Fein et Vandenberg (1983, p. 698-700) pour cerner en quoi consiste le jeu (play) : (1) il s’agit d’une activité motivée intrinsèquement ; (2) l’attention est accordée plus aux moyens qu’au but ; (3) c’est une activité dirigée par l’organisme (qu’est-ce que je peux faire avec cet objet ?) plutôt que par le stimulus ; (4) il s’agit d’une activité fictive («faire comme si») ; (5) c’est une activité libre par rapport aux règles imposées de l’extérieur ; (6) il requiert l’engagement actif du participant. Ces critères rejoignent en partie ceux proposés par Brougère (1997 ; 2007) qui sont : le second degré, la décision, la règle, la frivolité (ou l’absence de conséquence) et l’incertitude. Plusieurs de ces facteurs sont à l’évidence peu compatibles avec les efforts déployés par les enseignants même lorsqu’ils proposent des activités sous une forme ludique. 1. Ce texte a été rédigé grâce au soutien du Fonds national de la Recherche scientifique, crédit n o 101411-101700 -1. Toute correspondance au sujet de ce texte est à adresser à Jean Rets- chitzki, département de psychologie, université de Fribourg, rue Faucigny 2, CH 1701 Fri- bourg, Suisse. s Jean Retschitzki & Caroline Wicht [email protected]

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Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

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Le jeu est une activité qui a toujours beaucoup intéressé le monde scientifique, philosophique tout comme les médias et l’éducation. Cela est probablement dû à l’im-portance qu’il a durant l’enfance, et à sa présence autant chez l’homme que chez l’animal, chez l’enfant que chez l’adulte. Jusqu’à ce jour, aucun consensus n’a pourtant encore été trouvé quant à ce que ce terme désigne ; de nombreux sens du mot jeu coexistent. En effet, de par le 

nombre de comportements qu’il englobe et le nombre de points de vue sous lesquels il peut être étudié, trouver une définition qui fasse l’unani-mité est une tâche complexe.

Sans prétendre trancher ce débat, il nous suffira de retenir les caractéris-tiques proposées par Rubin, Fein et Vandenberg (1983, p. 698-700) pour cerner en quoi consiste le jeu (play) : (1) il s’agit d’une activité motivée intrinsèquement ; (2) l’attention est accordée plus aux moyens qu’au but ; (3) c’est une activité dirigée par l’organisme (qu’est-ce que je peux faire avec cet objet ?) plutôt que par le stimulus ; (4) il s’agit d’une activité fictive («faire comme si») ; (5) c’est une activité libre par rapport aux règles imposées de l’extérieur ; (6) il requiert l’engagement actif du participant. Ces critères rejoignent en partie ceux proposés par Brougère (1997 ; 2007) qui sont : le second degré, la décision, la règle, la frivolité (ou l’absence de conséquence) et l’incertitude. Plusieurs de ces facteurs sont à l’évidence peu compatibles avec les efforts déployés par les enseignants même lorsqu’ils proposent des activités sous une forme ludique.

1. Ce texte a été rédigé grâce au soutien du Fonds national de la Recherche scientifique, crédit no 101411-101700 -1. Toute correspondance au sujet de ce  texte est à adresser à  Jean Rets-chitzki, département de psychologie, université de Fribourg,  rue Faucigny 2, CH 1701 Fri-bourg, Suisse.

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Selon Johnson, Christie et Yawkey (1987) certains jeux sont éducatifs, plus par-ticulièrement ceux qui reflètent ou nécessitent l’utilisation de capacités sociales et cognitives qui se situent légèrement au-delà de celles habituellement utilisées par l’enfant. Cependant, pour contribuer au développement de l’enfant, les opportu-nités de jouer doivent être adaptées et constituer un défi pour l’enfant.

On oublie cependant bien souvent que le jeu n’est pas présent que chez l’enfant, mais également chez l’adulte et qu’il peut remplir un rôle également très impor-tant. En effet, selon la théorie du «flow» de Csikszentmihalyi (2004, p. 105), le jeu peut être assimilé à une «expérience optimale», qui «contribue à la croissance personnelle, apporte un grand enchantement et améliore la qualité de vie». Les caractéristiques d’une telle expérience sont : «une adéquation entre les aptitudes de l’individu et les exigences du défi rencontré, une action dirigée vers un but et encadrée par des règles, une rétroaction permettant de savoir comment progresse la performance, une concentration intense ne laissant place à aucune distraction, une absence de préoccupation à propos de soi et une perception altérée de la durée.» (Csikszentmihalyi, 2004, p. 107). Cependant, comme le souligne Brougère (2005), le jeu chez l’adulte est certe étudié, mais il ne semble pas faire l’objet d’un investissement théorique. Le jeu est pourtant largement utilisé dans le domaine professionnel avec les adultes, notamment dans le but de renforcer l’esprit d’équipe dans un groupe de collaborateurs (jeux de rôle, ...).

En considérant l’ensemble des textes relatifs aux activités à caractère ludique, on ne peut qu’être frappé par la disproportion entre l’image positive des jeux dans la vie quotidienne, les médias et les discours éducatifs, d’une part, et la pauvreté des arguments empiriques comme des écrits un peu solides relatifs à cette problé-matique, d’autre part. En particulier, la littérature psychologique et pédagogique qui concerne le jeu est abondante en langue anglaise, mais relativement pauvre en langue française. Ceci reflète la pauvreté de la recherche empirique et théorique dans ce domaine. Selon Brougère (2005), cette rareté des recherches en langue fran-çaise s’explique en partie par le fait que les enseignants de la petite enfance ne sont pas formés dans les structures universitaires comme dans les pays anglophones; en conséquence peu de recherches scientifiques sont entreprises dans le domaine. On aurait pu notamment s’attendre à trouver plus de travaux relatifs au jeu dans les théories de Piaget et de Vygotsky, consacréees largement au développement de l’enfant. Jean Piaget s’est toujours efforcé de trouver des situations non scolaires et plaisantes pour l’enfant ; il aurait semblé naturel d’avoir abondamment recours à des situations ludiques. Or les seules recherches notables de l’école de Genève dans ce domaine portent d’une part sur le jeu de billes, mais sont focalisées sur les aspects relatifs au jugement moral et aux conceptions comme au respect des règles, et d’autre part sur le jeu symbolique, en tant que manifestation de la fonction sémiotique témoignant de la capacité des jeunes enfants à dissocier signifiant et signifié. Vygotsky a une conception voisine puisqu’il souligne l’importance du jeu 

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symbolique pour promouvoir la pensée abstraite par la séparation de la significa-tion des objets et des actions. 

C’est à propos du jeu symbolique qu’on trouve une controverse indirecte entre Piaget et Vygotsky ; en effet ce dernier avait eu accès aux premières recherches de Piaget concernant les enfants d’âge pré-scolaire où l’auteur décrit notamment le langage égocentrique et l’égocentrisme intellectuel qui caractérise l’enfant selon lui (Piaget 1923 ; 1924). Dans son ouvrage «Pensée et langage» Vygotsky émet un certain nombre de critiques, dont Piaget n’aura eu connaissance que dans les années 60 lorsque cet ouvrage a été traduit en anglais. La conception du jeu de Vygotsky a été exposée dans un texte intitulé «Play and its role in the mental deve-lopment of the child» (Vygotsky, 1985). Il s’est focalisé sur le jeu socio-dramatique et en souligne trois aspects: le côté imaginaire de la situation jouée, le fait de jouer un rôle et l’ensemble de règles déterminées par les rôles rspectifs. Le fait de créer une situation imaginaire lui semble un moyen de développer la pensée abstraite. 

C’est également le jeu symbolique qui a intéressé nombre de chercheurs et d’auteurs anglo-saxons ; on pourrait dire que le jeu imaginatif constitue l’exception qui confirme la règle à propos de l’importance des écrits qui lui sont consacrés. Rubin, Fein et Vandenberg avaient fait une première synthèse de cette abondante production en 1983 ; leur revue de littérature comporte déjà plus de 450 réfé-rences. Plus récemment une série d’ouvrages ont été consacrés au thème du jeu (Ariel, 2002 ; Goldman, 1998 ; Jacob & Power, 2006 ; Lytle & Johnston, 2003 ; Power, 1999 ; Reifel, 1998 ; Reifel & Reifel, 2001 ; Roopnarine, 2002 ; Saracho & Spodek, 1998 ; 2007). Nombre de ces ouvrages explorent les questions relatives aux relations entre la culture et le jeu.

Mais dans quelle mesure les jeux sont-ils le reflet de la culture dans laquelle ils sont pratiqués? Plusieurs approches ont été utilisées pour tenter d’élucider cette question. Béart (1960) a ainsi tenté de dégager des caractéristiques sociologiques des peuples d’Afrique en partant des jeux qu’ils pratiquent.

Dans son approche historico-culturelle, Vygostky attribue un poids important aux facteurs culturels et aux interactions sociales dans le développement. Ivic précise ainsi que pour Vygotsky «l’interaction sociale joue un rôle constructif dans le développement» (Ivic, 1994, p. 6). Il ajoute que selon Vygotsky «C’est par l’intermédiaire des autres, par l’intermédiaire de l’adulte que l’enfant s’engage dans ses activités. Absolument tout dans le comportement de l’enfant est fondé, enraciné dans le social» (1932, in Ivic, 1994, p. 795). Du point de vue du déve-loppement de l’enfant, le jeu est une source principale d’évolution chez les enfants d’âge préscolaire, mais il n’est pas la forme d’activité première. A la différence de Piaget qui a repris et discuté les diverses catégories de jeu (exercice, symbolique, de règles), Vygotsky (1985) défend une conception où les différents jeux forment sur un continum de changements qualitatifs, allant d’une prédominance de l’ima-gination à une prédominance des règles. Selon lui, l’enfant sait inconsciemment qu’il doit respecter des règles lorsqu’il joue afin que le jeu ait un sens, qu’il puisse 

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150 Études et recherches

en retirer du plaisir et qu’il puisse gagner de manière équitable. En appliquant ce point de vue au jeu d’awélé qui sera discuté plus loin, on se situe clairement du côté de la prédominance des règles. Selon la vision de Vygotsky, on pourrait donc considérer ce jeu comme un outil créé par la culture afin de permettre la communication, le développement des interactions sociales, et l’apprentissage, notamment des mathématiques. 

Il nous paraît également pertinent, pour discuter de la place que les jeux ont ou pourraient avoir dans l’éducation, de nous référer aux travaux qui préconisent de prendre en compte la nature située de la cognition. Clairement inspirée de l’approche relativiste et des travaux d’anthropologues, cette conception a été para-doxalement initiée par des auteurs plus connus pour leurs travaux cognitivistes (Brown, Collins & Duguid, 1989; Collins, Brown & Newman, 1989). 

Selon les partisans de ce courant, la cognition est une activité sociale car comme toute activité mentale, elle implique des représentations ou des outils issus de la culture (Levine & Resnik, 1993), point de vue partagé par Vygotsky.

Depuis, de nombreuses recherches ont été menées sur les manières d’apprendre dans un contexte informel, en comparaison aux systèmes scolaires. Des études ont montré, que notamment pour les mathématiques, des formes de connaissances et d’apprentissages existent dans l’activité quotidienne. L’utilisation de mathématiques informelles à l’école permet d’illustrer les différentes méthodes pour résoudre des problèmes.

Le jeu à l’école

Nombreux sont les écrits qui préconisent l’utilisation éducative du jeu sous ses diverses formes (jeu symbolique, jeu de règles, de stratégies, etc.) en raison des vertus multiples qu’on lui prête pour le développement de diverses compétences sociales ou cognitives.

Dans leur revue de littérature, Rubin, Fein et Vandenberg (1983, p. 753) citent les nombreuses vertus attribuées au jeu symbolique selon différents auteurs ; il peut stimuler la créativité, la coopération de groupe, la participation sociale, favoriser le développement du langage ou vocabulaire réceptif, aider à la compréhension des concepts de parenté comme de la coordination des perspectives spatiales et de la conservation des quantités, aider à se décentrer tant cognitivement qu’affectivement et même à contrôler l’impulsion. Cependant, pour Chateau (1967), une éducation basée uniquement sur le jeu est insuffisante car contrairement au travail, le jeu est parcellaire, indépendant du temps et de l’espace, et il est également abstrait, il est illusion.

Si la littérature est abondante en ce qui concerne le jeu symbolique, il n’en est pas de même pour les autres formes de jeu. Les jeux de stratégies ou les jeux de plateau ont donné lieu à beaucoup moins de publications. Si de nombreuses déclarations ont été faites sur le bénéfice supposé de la pratique des jeux de plateau, l’examen 

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approfondi de la littérature montre un manque de confirmations empiriques solides (Gobet, de Voogt & Retschitzki, 2004).

La pratique de certains jeux de stratégies qui comportent une composante logique ou mathématique permet sans doute d’entraîner et d’améliorer certaines compétences cognitives. Selon l’Unesco (1979, p.20), «les jeux de procédures, ou jeux logiques et de sociétés, contribuent incontestablement au maniement de l’abstraction comme au développement de l’aptitude à former des images mentales (coups prévus à l’avance)». Ranald Jarrell (1998) va même jusqu’à dire que le jeu en général est vital pour le développement de la pensée mathématique chez l’enfant. En effet, l’enfant doit expérimenter les relations entre les éléments, cette compré-hension étant à la base de la pensée mathématique. En effet, les mathématiques consistent à mettre des choses en relation et à se focaliser sur cette relation.

Plusieurs auteurs ont souligné les vertus éducatives des jeux de plateau en men-tionnant par exemple la transmission des valeurs culturelles, le développement des interactions sociales, l’apprentissage du respect des règles comme l’acceptation de la défaite, etc. D’autres auteurs suggèrent que les situations de jeu de plateau peuvent être utilisés pour enseigner tant des connaissances spécifiques que des connaissances générales.

Si le jeu a de telles vertus, il semblerait naturel que l’école en fasse un large usage. Une analyse plus fine révèle que l’école entretient avec le jeu une relation ambiguë ; le jeu est bien moins présent dans l’éducation institutionnalisée que ce que l’on pourrait penser. Au cours de son histoire, l’institution scolaire a intégré le jeu dans les programmes de diverses manières. Selon Brougère (1995), trois conceptions sont à la base des différentes utilisations pédagogiques du jeu. Dans la première, le jeu est vu comme un moment de délassement, indispensable à l’effort intellectuel et scolaire. Après une période de jeu, l’enfant sera plus efficace. Dans la deuxième conception, le jeu est perçu comme une «ruse pédagogique» selon Brougère, (1995, p. 64) on utilise l’intérêt qu’a l’enfant pour le jeu en donnant un habillage ludique aux exercices pédagogiques. En effet, comme le souligne Mauriras Bousquet (1984, p. 67) «on n’enseigne pas grand-chose sans la participation consciente et profon-dément voulue de l’apprenant». La troisième et dernière manière d’utiliser le jeu est de s’en servir comme outil pour mieux connaître l’enfant et ainsi mieux adapter l’enseignement à l’élève.

En 1911 Jeanne Girard (in Brougère, 1995, p. 157-8) décrit le jeu éducatif comme «agir, apprendre, s’éduquer sans le savoir par des exercices qui récréent tout en préparant l’effort du travail proprement dit». L’idée qui valide cette défi-nition du jeu éducatif et son utilisation est que «l’enfant doit jouer ; mais toutes les fois que vous lui donnez une occupation qui a l’allure d’un jeu, vous donnez satisfaction à ce besoin et en même temps vous remplissez votre rôle éducatif». De ce fait, tout le monde est gagnant.

Mauriras Bousquet (1984, p. 85) critique cette vision pédagogique pour qui «le jeu est un piège habile pour (i) faire mieux étudier les enfants et (ii) mieux voir 

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comment ils fonctionnent». Selon cette auteure, «les techniques ludiques ont pour but non pas d’utiliser le ludique, mais de susciter l’esprit ludique et les activités ludiques» (ex : la créativité, l’empathie, l’échange d’idées, ...) (Mauriras Bousquet, 1984, p. 63). Elle ajoute que toute activité peut être ludique; cela ne dépend pas du matériel, mais de l’attitude lors de la présentation et de la réalisation de l’activité.

Dans nos écoles, les jeux éducatifs sont souvent utilisés pour varier les situa-tions didactiques et illustrer ou utiliser des concepts ou des opérations introduits précédemment. Il s’agit en fait de travailler à propos d’une situation de jeu; la composante intellectuelle domine l’aspect social. Il serait sans doute préférable de parler de travail à propos de contenus ludiques plutôt que de faire croire qu’on est en train de jouer.

De manière plus pratique, parmi les moyens que les adultes peuvent utiliser pour encourager le développement mathématique durant le jeu, Jarrell (1998) souligne comment on peut initier des notions mathématiques scolaires en utilisant des jeux comme «Connect Four», les dames ou les échecs. Une stratégie pour les enseignants pourrait être d’encourager la pratique de jeux qui comportent un riche éventail de problèmes mathématiques. Des jeux d’autres régions peuvent aussi aider à acquérir des connaissances sur d’autres pays ou d’autres cultures. 

Les jeux de semailles

L’un d’entre nous ayant mené des recherches à leur propos, il nous a semblé pertinent de réfléchir plus particulièrement à une catégorie de jeux spécifiques, les mancalas ou jeux de semailles, très présents sur le continent africain et en Asie. Ces jeux entrent dans la catégorie des jeux de règles de Piaget (1962, in Rubin, Fein & Vandenberg, 1983) défini par la mise en compétition d’au moins deux personnes et le fait que les comportements doivent obéir à un code provenant des générations passées. Ce jeu se joue généralement sur un plateau en bois composé de plusieurs lignes de trous ou cases. Le nombre et la disposition des lignes et des cases peuvent changer d’un pays à l’autre, tout comme le nom, qui varie selon la langue locale ou le nom de la plante de laquelle sont tirées les graines (Raabe, 2006).

Il existe de nombreuses variantes dans les règles de jeux. Le principe de base reste cependant le même, il s’agit de prendre des graines dans une case et de les semer, une par une dans chaque case qui suit Le but étant de capturer les graines contenues dans le dernière case où l’on a semé.

La suite de notre exposé portera uniquement sur le jeu d’awélé, un jeu de la famille des mancalas, pratiqué en Afrique, au Moyen Orient, en Asie et également dans la mer des Caraïbes, au Brésil, en Guyane...

Le plateau est composé de deux rangées de six cases chacune. Le nom de ce jeu varie d’un pays à l’autre, mais sa présentation et ses règles de bases restent identiques. La première observation faite en français à propos de ce jeu a été faite par Béart en 1955. Il le décrivait comme «le jeu le plus simple et en même temps 

Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles 153

le plus intelligent, celui qui ne laisse strictement aucune place au hasard» (Béart, 1955, p. 485).

En effet, les règles de base sont très simples. Au départ, quatre graines sont placées dans chacune des douze cases, comme le montre la figure 1.

Figure 1. — La situation initiale du tablier au début d’une partie d’awélé

Le premier joueur choisit une des six cases de son côté, prend les graines et les sème, une dans chaque case qui suit, en allant dans le sens anti-horaire. Lorsqu’il a fini de semer, il peut éventuellement récolter les graines de la dernière case, si le nombre total des graines se trouvant dans la case est porté à deux ou trois. Si les cases qui précèdent cette case de récolte contiennent également deux ou trois graines, alors le joueur peut aussi les prendre, mais uniquement si elles se suivent de manière directe. Puis c’est l’autre joueur qui prend toutes les graines d’une des cases de sa rangée et les sème dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. La partie se poursuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus assez de graines pour jouer ou récolter. Le gagnant est celui qui a récolté le plus de graines (au minimum 25). Un atout de l’awélé est qu’aucun des deux joueurs n’a un avantage s’il commence la partie en premier. En effet, selon la modélisation de Romein et Bal (2002, p. 162), «la partie se termine nécessairement par un match nul si les deux joueurs jouent de façon optimale». Le fait de gagner est donc uniquement dû à la stratégie des joueurs. 

Propositions pédagogiques

Le jeu de l’awélé suscite des témoignages voire même des affirmations quant à son utilité pour entraîner diverses compétences cognitives. Dans un document distribué au tournoi de Cannes en 2007, les animateurs de la «Oware Society» affirment que la pratique de ce jeu «contribue énormément à l’amélioration des connaissances mathématiques». Des témoignages d’enseignantes corroborant ces affirmations sont regroupés sur un DVD diffusé par la même société (Oware Society, 2003) ; elles disent avoir constaté des améliorations dans la concentration, dans les compétences mathématiques et dans la capacité à mobiliser des stratégies de 

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154 Études et recherches

résolution de problème. Pour sa part, Tiburce Ndayiziga se proposait au début des années 1990 d’«alphabétiser l’Afrique de l’Est, Centrale et Australe à l’aide du GISSORO-IGA», une variante des jeux de semailles pratiquée au Burundi. On pourrait sans doute multiplier les citations de ce type en parcourant la presse ou en consultant divers sites.

Plusieurs auteurs se sont efforcés de proposer des idées d’exploitation pédago-gique de ce jeu, mais ce sont surtout les aspects mathématiques de ces jeux qui semblent intéressants en premier lieu. C’est notamment dans ce domaine que sont formulées les propositions d’activités multiculturelles de Zaslavsky (1994 ; 1998).

A un niveau supérieur en mathématique, Bennett avait montré dès 1927 une propriété de certaines configurations de jeu qu’il a dénommée «marching group» définie comme «un ensemble de cases consécutives, diminuant d’une unité, avec une case unitaire en tête et des cases vides ensuite». Un exemple d’une telle confi-guration serait par exemple « 4 3 2 1 » ; leur propriété remarquable est de pouvoir avancer sans être altérées, à condition de toujours jouer la dernière case, celle contenant 4 graines dans l’exemple précédent. L’exemple classique déjà découvert par les plus jeunes joueurs (Retschitzki, 1990) est la configuration 2-1 qui se déplace comme une vague et permet de construire des pièges fort utiles en fin de partie. Eglash (1999) constate que ces configurations de jeu qui se répétent sont au cœur de concepts mathématiques sophistiqués comme la théorie des systèmes auto-organisés.

Si l’on se propose d’introduire les jeux de semailles à l’école, quels contenus faut-il considérer comme prioritaires ? Faut-il plutôt mettre l’accent sur les règles, les tactiques, les aspects stratégiques, l’éthique du jeu ? Et quelles disciplines scolaires peuvent être concernées ?

Au-delà des aspects mathématiques, il nous semble que le thème des jeux de semailles peut permettre une sensibilisation des élèves à différentes questions sociales, politiques ou historiques. Adler (1997) a défendu l’idée que chaque école devrait posséder un exemplaire d’un logiciel de wari (Sapient software) et du livre qui l’accompagne. L’usage de ce programme pourrait selon lui être bénéfique de trois manières : (1) Ils exercent des capacités arithmétiques dans un contexte ayant du sens, et en même temps ils sont mis au défi de penser de manière créative. (2) Ils ont du plaisir et de l’excitation à jouer un jeu de réflexion plutôt qu’un de ces jeux violents qu’on trouve dans le commerce. (3) Leur expérience avec un jeu africain qui est essentiellement basé sur des mathématiques, des capacités analyti-ques, la planification et l’anticipation peut constituer une réfutation puissante des stéréotypes racistes à l’égard des Africains et des Noirs.

L’origine de l’awélé n’a pas pu être déterminée avec certitude, mais selon Raabe (2006, p. 119) «une adéquation parfaite se manifeste entre la structure interne de ce jeu et les structures des sociétés africaines envisagées sous le triple aspect économique, politique et religieux». Le jeu de l’awélé pourrait donc être utilisé 

Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles 155

comme support pédagogique pour la découverte et l’apprentissage des cultures d’Afrique Noire. Raabe mentionne comme exemple d’une étroite relation entre la culture et le jeu, le fait que la valeur de la graine est déterminée par sa position sur le tablier, tout comme la circulation des produits lors de trocs, dans le commerce traditionnel. 

Raabe rapporte également que dans plusieurs groupes ethniques comme les Alladians du Sud de la Côte d’Ivoire, lors du décès du chef de village, l’awélé était utilisé pour choisir le successeur du chef (Raabe, 2006). Le jeu permet en effet au futur chef d’exprimer ses capacités d’organisation sociale et sa compétitivité paci-fique, qualités qui lui seront utiles pour exercer ses nouvelles fonctions. 

Les mancalas peuvent aussi permettre d’aborder des notions géographiques ou historiques. En examinant la localisation des variantes recensées dans la littérature (cf. Figure 2), et en menant une réflexion sur les caractéristiques communes des diverses régions concernées, on peut sensibiliser les élèves aux questions relatives à l’esclavage et à la colonisation, par exemple. 

Figure 2. — Carte situant la localisation géographique des principales variantes des

jeux de semailles

Mais c’est bien entendu dans le domaine des mathématiques, voire de la logique ou de l’informatique, que cette catégorie de jeux peut permettre les applications les plus évidentes. Plusieurs auteurs se sont efforcés de proposer des idées d’ex-ploitation pédagogique des jeux de semailles. Les membres du groupe de Deledicq et Deshayes ont montré les potentialités de l’awélé pour illustrer l’analyse com-

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156 Études et recherches

binatoire, la réduction d’un graphe relationnel, le calcul des probabilités et la détermination de la stratégie gagnante par récurrence (Deledicq & Deshayes, 1976; Deledicq & Popova, 1977). Powell et Temple (2001) ont recensé les idées mathé-matiques sous-jacentes au jeu: opérations arithmétiques, techniques de dénom-brement, prise de décision, pensée stratégique, etc.; ils mentionnent également les autres idées culturelles que le jeu permet d’illustrer: coopération, compétition, respect d’autrui, planification, etc. 

D�une manière générale les propositions d�exploitation didactique des jeux de semailles que l�on trouve dans la littérature sont relativement générales et superficielles. Le seul ouvrage qui fasse exception est celui de Deledicq et Popova, probablement parce que le premier auteur était lui-même enseignant de mathéma-tique. Nous n�évoquerons que brièvement les applications destinées aux élèves des premiers degrés pour nous centrer de manière privilégiée sur la mathématisation de notions plus évoluées, tirées de nos recherches avec certains des meilleurs joueurs de warri connus à ce jour. 

En ce qui concerne les applications avec les plus jeunes élèves, le jeu de warri peut effectivement permettre de consolider les opérations arithmétiques élémentai-res, étant donné que pour jouer de manière efficace il ne faut pas se tromper dans le dénombrement du contenu d’une case. Le comptage et sa nécessaire précision prennent alors un sens clair. Quelques exemples simples permettent d’illustrer cette idée : 

Ex 1: Où se termine le semis depuis la case 4 qui contient 5 graines ?

12 11 10 9 8 7

⁄ 5

1 2 3 4 5 6

Diagramme 1

Ex 2: décompositionsJ’ai 9 graines dans la case 2

12 11 10 9 8 7

⁄ 9

1 2 3 4 5 6

Diagramme 2

4 graines pour finir ma rangée. Reste: 9 - 4 = 5 graines Donc je peux atteindre la 5e case de la rangée adverse.Une autre donnée tirée des nos anciennes observations chez les enfants de Côte 

d’Ivoire peut mettre en évidence certaines subtilités du jeu. Lors d’accumulations 

Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles 157

importantes, susceptibles de permettre des récoltes très importantes, les joueurs ont l’habitude de dénombrer le contenu de la case concernée qui peut contenir environ 15 graines. Chez les enfants de 9 et 11 ans, le comptage s’effectue de manière directe et le joueur «simule» ensuite le coup en déplaçant sa main sur toutes les cases où il pourrait ensuite semer une graine. L’inconvénient de cette méthode est qu’elle permet à l’adversaire de connaître le nombre de graines et d’organiser une défense. C’est pourquoi les joueurs plus âgés procèdent plutôt par décomposition en 3 groupes de graines : par exemple, ils placent 6 graines dans la case de l’accumulation (N), un nombre variable (5 + (6 - N)) dans une case vide et conservent dans la main le reste des graines qui permet de connaître avec précision la case d’arrivée.

Powell et Temple présentent brièvement l’extrait d’une partie entre débutants et montrent comment on peut déjà mettre en évidence leur capacité ou au contraire les lacunes manifestées dans l’anticipation des quelques prochains coups. Les deux élèves dont les conduites sont décrites ne sont capables d’anticiper que les deux prochains coups ; mais les auteurs relèvent qu’avec l’expérience du jeu les enfants commencent à formuler des buts intermédiaires, à considérer plusieurs options, à rechercher des configurations pour identifier des menaces ou des opportunités de capture. En d’autres termes ils développent des capacités de résolution de problème (Powell & Temple, 2001, p. 372).

Les propositions décrites par Deledicq & Popova concernent plutôt les élèves des degrés secondaires puisque ces auteurs n’hésitent pas à faire appel à des notions du niveau des opérations formelles (combinatoire, récurrence, la détermination ou le calcul des probabilités). A l’aide d’un jeu miniature, le «micro-wari», se jouant sur un tablier à 2 rangées de 2 cases qui contiennent chacune une seule graine au début de la partie, les auteurs montrent comment on peut calculer le nombre de positions de jeu possibles (il y en a 69) ou déterminer les stratégies gagnantes par récurrence.

D’après les données issues de nos recherches récentes avec certains des experts de ce jeu, nous pouvons également proposer un ensemble d’activités mathéma-tiques, logiques, voire informatiques tirées des concepts utiles pour jouer à un niveau avancé. Les experts sont unanimes à reconnaître que la connaissance des fins de partie joue un rôle crucial pour devenir un bon joueur. Mais nous déve-lopperons ici une autre notion qui émerge de la pratique, de l’expérience avec ce jeu : l’«avantage des coups» (joliment appelée «moves in hand» ou MiH par les anglophones). Cette idée traduit le fait qu’il est généralement préférable d’avoir plus de coups finissant dans son propre camp que l’adversaire. Par définition il s’agit du nombre de coups possibles avant d’être obligé de donner des graines à l’adversaire. Selon les experts il s’agit d’un aspect essentiel d’une bonne situation. Chamberlin (1984) estime qu’on doit évaluer les positions du jeu tout au long de la partie en songeant à cette dimension ; ainsi il pense que dès le début de la partie il faut tenter de trouver le meilleur compromis entre trois buts : a) maximiser les 

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158 Études et recherches

captures et minimiser les pertes ; b) avoir le maximum de MiH ; c) préparer des accumulations (krous) dans les cases à droite.

Cette importante notion peut selon nous donner lieu à une étude mathématique très intéressante mais non triviale. Dans certaines situations, le calcul des MiH peut se révéler assez simple, notamment lors des fins de partie.

12 11 10 9 8 7

1⁄ 1 1

1 2 3 4 5 6

Diagramme 3

Dans la situation du diagramme 3, le joueur Sud a plus de MiH (8) que son adversaire (5). On peut prévoir qu’il gardera 2 des 3 graines en jeu.

12 11 10 9 8 7

⁄ 11 1

1 2 3 4 5 6

Diagramme 4

Dans cette situation en revanche, les deux joueurs ont le même nombre de MiH (5), mais c’est Nord qui gardera toutes les graines, bien qu’il doive jouer en premier.

Ces calculs sont fondés sur une règle heuristique bien connue des bons joueurs, selon laquelle pour maximiser le nombre de coups il faut jouer d’abord les cases les plus à droite et éviter de «plier» les graines. Chamberlin l’explicite en l’énon-çant «Move front first». Cette règle heuristique pourrait donner lieu également à une activité mathématique que des élèves pourraient mener de manière assez autonome.

Un dernier cas mérite d’être mentionné. Les mathématiciens aiment souvent aborder les cas limites. Dans cette optique, on peut soulever la question de la récolte maximale possible ou celle des pièges à répétition. Une lecture attentive des règles du jeu peut convaincre le lecteur que la récolte maximale est de 15 graines ; un peu plus délicate est la question d’imaginer une situation conduisant à une telle récolte ; un vrai problème mathématique consisterait à tenter de trouver l’ensemble de toutes les situations satisfaisant cette contrainte.

Le diagramme 5 montre une situation où, bien qu’il ait presque gagné la partie, le joueur Nord va perdre, car Sud peut récolter à 6 reprises dans la case 8, ne laissant que 2 graines en jeu (dans les cases 1 et 7) que les joueurs vont se partager.

Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles 159

12 11 10 9 8 7

22 12⁄ 1 6 4 2 0 1

1 2 3 4 5 6

Diagramme 5

Conclusion

L’utilisation du jeu dans l’éducation est un sujet qui est étudié et mis en pratique depuis plusieurs dizaines d’années. Les points de vue et les applications qui en sont faites varient quant à la manière d’utiliser le jeu dans un but pédagogique. Notre propos porte plus spécifiquement sur l’utilisation d’un jeu bien précis, l’awélé, qui fait partie de la catégorie des jeux de semaille. 

Selon nous, l’awélé peut être utilisé comme outil pédagogique à différents degrés scolaires. Il permet notamment de mettre en pratique et d’entraîner le dénombre-ment ainsi que les opérations de bases pour les premières classes primaires. Selon Bishop (1988, in Dasen, Ngeng & Gajardo, 2005, p. 40) compter, mesurer, se situer dans l’espace, dessiner et bâtir, jouer et expliquer sont des activités liées aux mathématiques qui sont universelles.

A un niveau scolaire plus avancé, l’awélé peut servir d’illustration pour des réflexions mathématiques plus poussées ou des modélisations informatiques. C’est également ce que relève Lancy (1996) qui estime que l’awélé, dans certaines sociétés, est l’activité qui demande le plus de compétences mathématiques. Ce jeu permet d’entraîner, à travers sa pratique, le comptage et bien d’autres acti-vités mathématiques, certaines  mêmes plus spécifiques à la culture occidentale comme la modélisation de groupes de marche ou d’automates cellulaires. Dans son livre, Marc Chemillier (2007) rapproche le raisonnement des mathématiciens qui étudient l’awélé de celui des joueurs experts, la différence principale se trouvant dans le formalisme du raisonnement.

Bien que ce soit pour les mathématiques que son utilisation semble la plus per-tinente, l’awélé peut aussi servir de complément pour un cours de géographie ou d’histoire. Mais les avantages de l’utilisation d’un jeu d’awélé à l’école ne sont pas uniquement liées aux matières enseignées. Comme la majorité des jeux, l’awélé stimule également la concentration, les compétences sociales, l’intégration, et bien d’autres aptitudes plus générales.

D’un point de vue interculturel, les jeux de semailles devraient être exploités pédagogiquement dans les pays où ils font partie de la tradition, respectant le souhait des partisans de la cognition située de partir des situations familières pour introduire des notions plus abstraites mais conservant une signification pour l’ap-prenant. Car comme le soulignent Chouinard et Archambault (2007), pour que des élèves soient motivés à apprendre, il faut montrer la pertinence de la matière 

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160 Études et recherches

apprise, son utilisation possible et éviter que le contenu appris soit séparé de la réalité et des besoins des élèves.

Dans nos écoles une telle utilisation peut aussi être envisagée d’une part pour mieux connaître les particularités d’une autre culture et d’autre part pour valoriser les connaissances des quelques élèves d’origine étrangère pour qui ce jeu fait partie de l’héritage culturel. C’est également l’avis de Strutchens (1995), qui estime que l’étude des mathématiques à travers diverses cultures peut encourager une attitude positive vis-à-vis des personnes de culture différente, en réduisant les stéréotypes et autres a priori. Dans son cas, il s’agit plutôt de l’utilisation de statistiques. Mais comme l’a souligné Adler (1997), on pourrait également envisager l’utilisation de l’awélé pour illustrer une manière différentes d’utiliser les mathématiques et réfuter ainsi des stéréotypes racistes à l’égars des Noirs. Dans le même ordre d’idée, Girodet estime que «la reconnaissance et la prise en compte en classe des savoirs mathématiques des élèves étrangers peut à la fois faciliter l’appropriation du savoir mathématique par l’ensemble de la classe, en démontrant une autre voie possible, et modifier positivement le statut de cet élève dans le groupe et donc être un facteur d’intégration» (1996, in Dasen, Ngeng & Gajardo, 2005, p.55). De ce fait, utiliser un jeu d’awélé dans une classe qui comprend des enfants de culture afriaine peut leur permettre à la fois de valoriser leur culture et de mettre en pratique des connaissances apprises en classe dans un domaine qu’ils maîtrisent.

Selon Strutchens (1995), la présentation des mathématiques apprises de manière informelle, tout comme la présentation des contributions de mathématiciens d’autres cultures et groupes ethniques aideraient les enfants de culture non occiden-tale à dépasser leur peur et leurs attentes négatives vis-à-vis des mathématiques.

Pour les enfants occidentaux également, l’utilisation de l’awélé peut favoriser l’apprentissage des mathématiques. En effet, ce jeu facile à apprendre met en pratique les concepts de base des mathématiques et peut ainsi faciliter leur com-préhension et motiver les élèves à apprendre d’autres concepts. Les mathématiques sont connues pour être une matière qui provoque parfois une certaine réticence. Appliquer de manière simple des concepts qui peuvent paraître flous permet aux enfants de se familiariser avec les connaissances de base, de les maîtriser et de se sentir à l’aise avec cette matière.

L’amélioration de la maîtrise des bases du calcul à travers le jeu ainsi que l’uti-lisation d’un matériel ludique peuvent augmenter la motivation des élèves. En effet, selon Ames (1992, in Chouinard & Archambault, 2007, p.11) «les acti-vités ludiques aident les élèves à se centrer sur la tâche plutôt que sur leur per-formance, ce qui est réputé être un indicateur d’un haut niveau de motivation intrinsèque».

Il nous semble donc que plusieurs arguments peuvent soutenir l’idée d’une uti-lisation du jeu de l’awélé dans les écoles. Il est cependant nécessaire, selon nous, de séparer la partie d’apprentissage du jeu en tant que tel de celle de l’utilisation du jeu comme support de travail. En effet, il ne s’agit pas de faire jouer les élèves, 

Carrefours de l’éducation • 26 • Juillet-décembre 2008  • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Plaidoyer pour l’exploitation didactique des jeux de semailles 161

mais de les faire réfléchir sur le jeu dans le but de varier les contenus sur lesquels peut porter la réflexion.

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