Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth

21
GUILLAUME ÉTHIER Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM Patrimoine et guerre : reconstruire la place des martyrs à Beyrouth Extrait de la publication

Transcript of Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth

Guillaume Éthier

Patr

imoi

ne e

t gu

erre

: re

cons

trui

re l

a pl

ace

des

mar

tyrs

à B

eyro

uth

Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Dans cet ouvrage, Guillaume Éthier explore l’architecture, la forme et le rôle de la place publique qui, dans le contexte de la reconstruction nationale entreprise depuis la fin de la guerre civile libanaise, en 1990, s’est trouvée à l’avant-plan de la scène mémorielle. Il y jette un nouveau regard sur le Concours d’idées en planification urbaine pour la reconstruction de la place des Martyrs, concours international tenu à Beyrouth en 2004-2005.

Par sa situation exceptionnelle au centre-ville de Beyrouth et par son rôle historique de haut lieu de la sociabilité, la place des Martyrs constitue le cœur de la nation libanaise. Sur le plan symbolique, elle incarne l’espoir d’une réconciliation d’envergure entre toutes les factions de la société. Cependant, entre les mains d’une société foncière, le processus de reconstruction du centre-ville de Beyrouth a pris un virage inattendu au milieu des années 1990. La logique spéculative des promoteurs risque en effet de faire l’impasse sur les enjeux identitaires et culturels. Devant ce spectre – et puisque la place des Martyrs n’a toujours pas été reconstruite – l’auteur balise des pistes qui rejoignent les objectifs collectifs assignés à la reconstruction de la place des Martyrs. Il s’agit de créer, simultanément, un lieu de mémoire et un lieu de rencontre.

Dévoilées par de riches images en couleur, les trois propositions lauréates du concours font l’objet d’une analyse circonstanciée de la rhétorique architecturale et des intentions qui l’articulent. Ainsi découvre-t-on, en transparence du traitement de l’espace, de l’anatomie du projet et du discours sur la place publique, le jeu stratégique de l’urbain et de la mémoire.

Guillaume Éthier est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches actuelles portent sur l’architecture iconique en Chine.

ISBN 978-2-89544-120-5

4Collection dirigée par luC NoppeN

Patrimoine et guerre : reconstruire

la place des martyrs à Beyrouth

Couv.indd 1 31/01/08 13:54:54

Extrait de la publication

Collection dirigée par Luc Noppen

Dans le monde entier, le patrimoine, les constructions et les représentations patri­moniales occupent aujourd’hui une place de choix dans la recherche universitaire. Les Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM font écho, depuis Montréal, aux questionnements et aux explorations que ce vaste domaine soulève, dans le but de mieux comprendre les mécanismes qui engendrent les ancrages identitaires et qui pavent la voie aux constructions mémorielles.

Études et analyses sur les objets, les traces, les usages, les savoir­faire, mais aussi sur les représentations et sur les mémoires concourent ici à une définition élargie de la notion de patrimoine qui échappe aux cloisonnements disciplinaires ; le patrimoine apparaît ici comme outil sociétal de projection dans l’avenir plutôt que comme l’encensoir d’un passé glorifié.

L’Institut du patrimoine de l’UQAM offre cette collection aux recherches de la relève, autant celle qui évolue dans ses murs que celles qui, ailleurs dans le monde, se consacrent à cette réinvention du patrimoine. Au fil des projets et des propositions, les titres des Cahiers baliseront les travaux en cours et un réseau d’échanges et de collaborations, anciennes ou nouvelles.

Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Patrimoine et guerre.indd 2 31/01/08 13:37:48

Extrait de la publication

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE

la plaCE dES maRTyRS à BEyROUTH

Patrimoine et guerre.indd 3 31/01/08 13:37:48

Extrait de la publication

Page couverture : Guillaume Éthier, 2005

Révision des textes : Micheline Giroux-Aubin

Cette édition des Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’Université du Québec à Montréal a bénéficié de l’apport financier du Programme des Chaires de recherche du Canada (CRSH), grâce à la contribution de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain (ESG-UQAM) et, d’autre part, du Programme de soutien aux équipes de recherche du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC), dans le cadre du programme de recherche « Les paysages de la métropolisation (2004-2008) » (Lucie K. Morisset, dir.).

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Éthier, Guillaume

Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth(Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQÀM ; 4)

Comprend des réf. bibliogr.

Publ. en collab. avec : Institut du patrimoine, Université du Québec à Montréal.

ISBN 978-2-89544-120-5

1. S a . hat al-Shuhad a’ (Beyrouth, Liban). 2. Monuments historiques – Conservation et restauration – Liban – Beyrouth. 3. Reconstruction d’après-guerre – Liban – Beyrouth. 4. Biens culturels – Protection – Liban – Beyrouth. I. Université du Québec à Montréal. Institut du patrimoine. II. Titre. III. Collection.

NA109.L42E83 2008 363.6’90956925 C2008-940129-8

Patrimoine et guerre.indd 4 31/01/08 13:37:48

Extrait de la publication

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE

la plaCE dES maRTyRS à BEyROUTH

Guillaume Éthier

Patrimoine et guerre.indd 5 31/01/08 13:37:48

DistriBution en liBrAirie Au CAnADA

PRoLoGUE INC. 1650, boul. Lionel-Bertrand Boisbriand (Québec) J7H 1N7 CANADA

Téléphone : 450 434-0306 Tél. sans frais : 1 800 363-2864 Télécopie : 450 434-2627 Téléc. sans frais : 1 800 361-8088 [email protected] http://www.prologue.ca

DistriBution en FrAnCe

LIBRAIRIE DU QUÉBEC 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris FRANCE

Téléphone : 01 43 54 49 02 Télécopie : 01 43 54 39 15 [email protected] http://www.librairieduquebec.fr

DistriBution en BelgiQue

LA SDL CARAvELLE S.A. Rue du Pré aux oies, 303 Bruxelles BELGIQUE

Téléphone : 0032 2 240 93 00 Télécopie : 0032 2 216 35 98 [email protected] www.SDLCaravelle.com

DistriBution en suisse

SERvIDIS SA chemin des chalets 7 CH-1279 Chavanne-de-Bogis SUISSE

Téléphone : (021) 803 26 26 Télécopie : (021) 803 26 29 [email protected] http://www.servidis.ch

© Éditions MultiMondes, 2008 ISBN 978-2-89544-120-5 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2008 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2008

ÉDitions MultiMonDes930, rue Pouliot Québec (Québec) G1v 3N9 CANADA

Téléphone : 418 651-3885 Téléphone sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 800 840-3029 Télécopie : 418 651-6822 Télécopie sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 888 303-5931 [email protected] http://www.multim.com

Les Éditions MultiMondes reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Elles remercient le Conseil des Arts du Canada pour l’aide accordée à leur programme de publication. Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son aide à l’édition et à la promotion.

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – gestion SODEC.

IMPRIMÉ AU CANADA/PRINTED IN CANADA

Imprimé avec des encres végétales sur du papier dépourvu d’acide et de chlore et contenant 50 % de matières recyclées dont 15 % de matières post-consommation.

50%

Patrimoine et guerre.indd 6 31/01/08 13:37:48

Mais, l’histoire de Beyrouth le montre bien, ce qui fait le plus de bruit reste le plus souvent éphémère,

alors que ce qui annonce l’avenir arrive doucement, sans tapage, comme le souffle subtil du vent au printemps.

Jade Tabet

Patrimoine et guerre.indd 7 31/01/08 13:37:49

Patrimoine et guerre.indd 8 31/01/08 13:37:49

Préface ............................................................................................................................................... xiii

Avant-propos ........................................................................................................................................xvii

introduction ............................................................................................................................................1

Mise en contexte ......................................................................................................................................3

une ville et sa place publique centrale ...................................................................................................15

La place des Martyrs : une histoire bigarrée ...............................................................................15

La reconstruction du centre-ville ...............................................................................................29

Du printemps libanais à l’affirmation de l’opposition.................................................................35

Problématiser le devenir de la place des Martyrs ..................................................................................43

La place des Martyrs comme lieu de rencontre et comme lieu de mémoire .......................................43

Étude de cas : pertinence interne et externe de l’objet de recherche .............................................53

Issues diverses d’un concours unique .........................................................................................57

Les mots et les formes d’une architecture en devenir.................................................................. 61

Analyse des propositions au concours d’architecture ............................................................................63

Troisième prix : Hashim Sarkis, Mark Dwyer, Evy Pappas et Pars Kibarer ................................63

Analyse de discours.....................................................................................................64

Lecture de l’espace ......................................................................................................75

Conclusion : L’espace implosé......................................................................................82

Table des matières

Patrimoine et guerre.indd 9 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

x

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE la place des Martyrs à BEYROUTH

Deuxième prix : Nabil Gholam, vincent van Duysen, vladimir Djurovic ..................................83

Analyse de discours.....................................................................................................84

Lecture de l’espace ......................................................................................................96

Conclusion : L’espace nivelé ....................................................................................... 102

Premier prix : Antonis Noukakis, vasiliki Agorastidou, Lito Ioannidou, Bouki Babalou-Nounaki ......................................................................................................... 104

Analyse de discours ................................................................................................................ 105

Lecture de l’espace .................................................................................................................. 116

Conclusion : L’espace fragmenté .............................................................................................. 122

Conclusion – Modalités de recomposition et de décomposition de l’espace public dans le contexte de l’architecture contemporaine ................................................................................... 125

Bibliographie ........................................................................................................................................ 133

Patrimoine et guerre.indd 10 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

Remerciements

Je voudrais remercier, en premier lieu, Jean-François Côté, directeur de cette recherche à l’Université du Québec à Montréal, dont l’appui indéfectible et la fine direction ont été d’inestimables atouts dans l’atteinte de mes objectifs. Derrière les lignes de ce mémoire se cachent, je l’espère, les marques du grand respect que j’éprouve pour lui. Je remercie également Liliane Barakat de m’avoir accueilli volontairement à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth et d’avoir été si réceptive à toutes mes demandes, urgentes ou non. Un remerciement prioritaire va également à Martine Geronimi qui m’a fait découvrir, la première, cette perle rare qu’est Beyrouth. Merci également à Lucie K. Morisset et à Luc Noppen, de l’Institut du patrimoine de l’Université du Québec à Montréal, de l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail et de leur appui dans la réalisation de cette publication.

Merci à Line Beaudoin pour la grâce et la sérénité. Merci à Mazen et Rana Chamseddine de leur aide de première ligne. Merci à Astrid Tirel et Jean-François Morissette de l’accueil qu’ils m’ont réservé dans notre bureau commun. Merci à Marcel Rafie de m’avoir transmis son enthousiasme à propos de la question libanaise. Merci à Dominique Éthier, appui de tous les jours, ainsi qu’à mes parents, soutien des jours plus difficiles, et plus encore. Merci à Anne-Lise Karam pour les superbes photos. Pour des raisons diverses, merci à Alexandre Allard, Yannis Triantafyllou, Geneviève Lizotte et Carolyne Grimard. Merci à Alexandre Allard de son amitié et de son soutien technique.

J’aimerais mentionner à quel point je conserve un souvenir indélébile de mon séjour au Liban et de mes amis là-bas, parmi lesquels me sont particulièrement chers Carla, Firas, Carine, André, Joy, Youmna, ainsi que les amis de la « coloc » : Floriane, Florent, Anne et Benjamin. Enfin, ce mémoire n’aurait pas vu le jour sans l’approbation enthousiaste des architectes Nabil Gholam, Hashim Sarkis et Antonis Noukakis, et sans l’aide de Joumana Arida (NG Architecture) et d’Amira Solh, coordinatrice de projet pour Solidere.

Patrimoine et guerre.indd 11 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

Patrimoine et guerre.indd 12 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

PréfaceLiliane Buccianti-Barakat, professeur au Département de Géographie de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

Ce livre porte sur la place publique contemporaine et le devenir collectif. Plusieurs chercheurs issus de disciplines différentes se sont penchés, avant Guillaume Éthier, sur cette thématique, mais avoir choisi pour terrain d’étude le noyau historique de la ville de Beyrouth est un acte audacieux et téméraire puisqu’en occident on la perçoit toujours comme dangereuse, capitale d’un pays où des événements fâcheux, une guerre… peuvent toujours survenir inopinément.

Beyrouth, comme d’autres villes du Moyen-orient, est une ville millénaire, au cœur de laquelle les strates de l’histoire se recoupent, se superposent, se combinent. Le legs du passé se lit sur son plan et se manifeste par le biais des types architecturaux, des situations sociales, économiques et politiques héritées ou profondément remaniées.

Beyrouth, interface entre la mer et la terre, entre l’orient et l’occident, a toujours été une voie de passage et l’aboutissement des grandes routes caravanières. Les multiples invasions et civilisations, qui au cours des siècles ont occupé la ville, ont stigmatisé son tissu urbain. Plus proche de nous, de 1975 à 1990, une guerre civile a divisé Beyrouth en deux secteurs antagonistes distincts et son centre-ville, symbole de la réussite économique et financière du Liban, mais aussi creuset de la coexistence sociale et confessionnelle, a été pillé et occupé par les diverses milices qui s’y sont affrontées quotidiennement.

Au xixe siècle, la société beyrouthine a produit et mis en scène des lieux publics qui étaient des espaces de médiation, vecteurs de la vie sociale, espaces dynamiques des

Patrimoine et guerre.indd 13 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

xiv

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE la place des Martyrs à BEYROUTH

valeurs, des symboles et des signes de la vie urbaine. Ces places sont progressivement devenues les dépositaires de la mémoire urbaine collective.

Mais, au terme de la guerre, la reconstruction du centre-ville de Beyrouth a été confiée à une société foncière et d’exploitation immobilière privée, Solidere (Société Libanaise pour le Développement et la Reconstruction), qui a « bulldozé » 85 % du patrimoine arabo-ottoman. Le « nouveau » centre-ville que les visiteurs découvrent depuis l’an 2000 résulte d’une écriture qui relève de la volonté d’acteurs publics et privés.

Guillaume Éthier, sensibilisé à l’histoire urbaine de Beyrouth, s’est intéressé lors de ses recherches universitaires à la place des Martyrs, celle qui a été le témoin des grands moments de l’histoire du Liban.

Dans la semaine qui a suivi son arrivée, un attentat à la voiture piégée a fait des victimes à Beyrouth ; il n’a pas pour autant repris l’avion pour le Canada. Ce baptême de feu a renforcé encore davantage son désir de mieux connaître cette ville, de mieux comprendre l’histoire de la place des Martyrs, le « lieu de toutes les batailles, dit-il, mais aussi lieu de représentation des particularismes structurant la société libanaise ».

Au cours de son séjour, il a fréquenté de jeunes Libanais, s’est entretenu avec des Beyrouthins de tous âges et de toutes confessions, s’est rendu dans les locaux de Solidere, a rencontré des responsables tant publics que privés ; il a finalement compris qu’au Liban la vie reprend toujours le dessus, coûte que coûte, malgré les attentats, les assassinats et la guerre.

Guillaume Éthier aurait pu réduire sa recherche à l’analyse des plans et des différentes lectures de l’espace faites par les équipes primées au Concours international intitulé « Idées en aménagement urbain pour la reconstruction de la place des Martyrs et du grand axe » qui a été lancé par Solidere en 2004, sans tapage médiatique. Mais cette étude ne comblait pas son désir d’immersion dans la société urbaine beyrouthine. Au cours des deux mois passés dans la capitale libanaise, il a voulu saisir et comprendre le long processus de la reconstruction urbaine, sociale et nationale qui est bloquée pour l’instant par les enjeux et les tractations politiques, mais qui constitue l’espoir d’un avenir meilleur autour d’un véritable travail de réconciliation pour une mémoire commune.

L’auteur promène le lecteur au centre-ville, dans les quartiers limitrophes ; par ses yeux, ce dernier peut revoir la place des Martyrs telle qu’elle a été, une gare routière avec ses klaxons, les vociférations des chauffeurs, le vacarme de la rue, des commerces, des souks, le ballet d’une population bariolée en perpétuel mouvement… Il pose avec lui son regard sur la statue des Martyrs criblée de balles, image d’une guerre qui s’efface

Patrimoine et guerre.indd 14 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

xv

difficilement et qui se dresse aujourd’hui au milieu de la place rasée par Solidere. Tout comme l’auteur, le lecteur est confronté au problème de la mémoire, au vide qui structure l’absence du lieu de rencontre et de mixité qu’était la place avant 1975.

L’analyse de Guillaume Éthier sur l’interprétation de la problématique patrimoniale et identitaire faite par les trois équipes d’architectes primées est pertinente et critique. Selon les plans, la place des Martyrs devient un espace implosé, un espace nivelé ou finalement un espace fragmenté. Il critique sévèrement Solidere qui a accordé le premier prix à l’équipe qui projette la fragmentation de la place des Martyrs, alors que cette dernière aurait dû être traitée comme un espace global puisqu’elle constitue le seul lieu d’expression commune de la culture libanaise. Guillaume Éthier s’interroge alors sur ce choix irresponsable qui subdivise cet espace-symbole de l’unité nationale libanaise.

Au cours de ces deux mois passés à Beyrouth, le sociologue s’est laissé charmer par elle, par sa douceur de vivre, par l’hospitalité libanaise, mais a été touché aussi par sa complexité, par ses conflits latents, par ses traumatismes. En lisant son ouvrage, le lecteur est frappé par la justesse de ses propos et son étude sur la dernière reconstruction du centre-ville constitue un témoignage de la plus haute importance, puisqu’il aura saisi et analysé avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité un moment important de l’histoire mouvementée de la capitale libanaise. C’est la raison pour laquelle son ouvrage deviendra une référence pour tous les chercheurs qui s’intéresseront à Beyrouth.

Préface

Patrimoine et guerre.indd 15 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

Patrimoine et guerre.indd 16 31/01/08 13:37:49

Extrait de la publication

Avant-propos

Tout s’écroule le 12 juillet 2006. J’en suis alors rendu à un stade très avancé de la rédaction de ce texte. Quelques pages encore d’analyse, ensuite un saut dans la conclusion, bilan de deux ans de réflexion sur Beyrouth et sur le Liban. Et puis, du coup, la guerre éclate. Un mois durant, le sort du Liban tombe entre les mains de l’armée israélienne, des combattants du Hezbollah et de la diplomatie internationale. Le fragile processus de reconstruction tombe, pour un moment, dans la désuétude la plus complète. Quinze ans d’une paix crispée et d’une stabilité relative sont ainsi balayés de la main, les infrastructures sont détruites et le sort de la réconciliation nationale est maintenant comprimé à l’intérieur des étroites contraintes fixées ailleurs qu’au Liban. Car c’est à nouveau par l’extérieur que le Liban redevient une poudrière, bien que ce soit en son sein que résident les véritables instruments pouvant concourir au retour de la paix.

Et puis, il y a les images. Celles des maisons où j’ai habité, celles des rues que j’ai arpentées à Beyrouth et ailleurs, celles de tous ces lieux qui me sont devenus chers et qui croupissent aujourd’hui sous les décombres. Celles des côtes libanaises couvertes d’une nappe de pétrole, résultat du bombardement d’une centrale électrique. Celles des réfugiés observant le littoral depuis les bateaux les menant à Chypre. Et puis, il y a les mots. Mon ami à Beyrouth qui dit passer tout son temps chez lui, devant les nouvelles. Il fume. Les Libanais fument. Et ils sont devant leur téléviseur comme lui, quand celui-ci fonctionne toujours. Les bombes sifflent au loin. ou plutôt près, c’est selon. Quand j’étais à Beyrouth à l’automne 2005, j’ai vécu cinq attentats à la bombe, le premier à deux rues d’où je me trouvais ce soir-là. J’ai compris au moment même de la détonation qu’au Liban, coûte

Patrimoine et guerre.indd 17 31/01/08 13:37:50

Extrait de la publication

xviii

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE la place des Martyrs à BEYROUTH

que coûte, la vie reprend toujours le dessus. Puis, du coup, en ce fatidique mois de juillet 2006, j’ai perdu espoir à nouveau. J’ai noyé ce souvenir.

Comment alors terminer cet essai, critique de la reconstruction et témoin du processus d’occultation de la mémoire problématique chez les Libanais, alors que le pays est sous les bombes ? C’est comme pratiquer une psychanalyse sur un sujet alors que celui-ci se noie. L’échelle des pratiques humaines commande une certaine hiérarchie et je me sentais tout à coup complètement décalé à parler d’architecture alors que le bruit des bombes avait remplacé celui des chantiers. Et alors que la reconstruction, en tant que telle, pourrait bien avoir fait un bond en arrière d’une dizaine d’années, ou plus. Qui sait ?

Mon problème était simple mais paradoxal : mon travail était devenu, tout à la fois, complètement d’actualité et complètement hors propos. Du moins, c’est l’impression que j’en avais. Comment faire pour écrire sur un projet de reconstruction qui ne se remettrait peut-être jamais des derniers événements ? C’est alors que j’ai entrepris la relecture de mon travail pour découvrir que ce qu’il contient est non seulement d’actualité, mais présente même certains signes prémonitoires, conséquence possible d’une sensibilité étrangère devant les enjeux libanais. De mon choix de m’intéresser à une région instable je devais bien m’attendre à une telle éventualité. Au fond, ce n’est pas de moi qu’il était question dans ma remise en question, mais plutôt du bien-fondé de ma croyance selon laquelle la reconstruction du Liban constitue, en quelque sorte, l’espoir du monde. La sensation qu’il s’agit d’un peuple éprouvé, mais courageux, au contact duquel, tout comme eux, on devient allergique au cynisme. L’espoir aussi de croire à l’interconfessionnalisme et à la possibilité d’une paix au Proche-orient. Pour toutes ces raisons, donc, j’ai choisi de foncer tête première dans la réflexion que j’avais menée jusqu’alors, de mettre entre parenthèses ce qui se passait simultanément dans l’espoir de voir le processus de reconstruction, aussi imparfait soit-il, être remis sur pied un jour ou l’autre. Comme si, au fond, je commençais véritablement à comprendre et à mettre en pratique l’espoir que les Libanais m’avaient transmis. Inch’Allah, donc !

Guillaume Éthier, 19 août 2006

Patrimoine et guerre.indd 18 31/01/08 13:37:50

Extrait de la publication

1

Introduction

En 2004 était lancé à Beyrouth, sans tapage médiatique, un concours international d’idées en planification urbaine visant à donner à la place des Martyrs, un lieu considéré à juste titre comme le cœur de la capitale libanaise, un nouveau design et, surtout, une nouvelle identité dans cette ville en plein processus de reconstruction depuis la fin de la guerre civile en 1990. Les consignes fournies aux participants étaient, en ceci, tout à fait révélatrices de l’importance accordée dans ce concours à la dimension symbolique de la place, à son histoire, aux rôles qu’elle a pu jouer précédemment, mais aussi au symbole qu’elle est devenue dans les contextes particuliers de la guerre et de l’après-guerre1. Les concours d’architecture sont des occasions uniques de comparer des réponses multiples à un problème commun et ce, qu’il soit d’ordre technique, politique, esthétique, symbolique ou une combinaison de plusieurs de ces aspects. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un concours qui recoupe tous ces aspects à la fois à l’intérieur d’une tâche supérieure et de nature symbolique : mettre en forme et en mots, bref, tenter d’objectiver l’identité d’un espace public dont la représentation est tiraillée de toutes parts dans la société libanaise.

Lieu de toutes les batailles, mais aussi lieu de représentation des particularismes structurant l’identité beyrouthine et l’identité libanaise (pour peu que cette dernière ait un sens unifié aujourd’hui), la place des Martyrs est à l’image d’une société entière aux prises avec un passé problématique et un futur incertain, et c’est à travers le regard de l’architecture et de l’urbanisme que nous allons à la rencontre de ces vastes enjeux, le concours d’architecture donnant en ce sens libre cours à des interprétations diverses sur ces sujets sociétaux.

1. Parmi les treize objectifs généraux qui ont été définis pour le concours, sept font explicitement référence à la dimension symbolique de la place des Martyrs et à la redéfinition de son « identité » ([www.beirutmartyrssquare.com/Goals.aspx]).

Patrimoine et guerre.indd 1 31/01/08 13:37:50

2

Patrimoine et guerre : RECONSTRUIRE la place des Martyrs à BEYROUTH

Parmi les cent vingt-deux projets soumis au concours, trois équipes d’architectes ont obtenu respectivement les première, deuxième et troisième positions au terme de la compétition, en juin 2005. La firme grecque ia+s, composée des collaborateurs Antonis Noukakis, vasiliki Agorastidou, Lito Ioannidou et Bouki Babalou-Nounaki, a été désignée grande gagnante du con-cours. Le deuxième prix a été attribué à l’équipe réunissant Nabil Gholam, vincent van Duysen et vladimir Djurovic. Enfin, le troisième prix a été décerné à Hashim Sarkis, Mark Dweyer, Evy Papas et Pars Kibarer. Fort différents les uns des autres, ces trois projets cumulent de nombreuses

idées architecturales et urbanistiques sur la façon de reconstruire ce lieu singulier et d’en faire un espace significatif à l’égard des défis actuels et futurs de la société libanaise. Ces propositions donnent également un riche portrait des concepts, des idéologies, des valeurs, des tendances, bref, de tout ce qui est véhiculé par les grands courants de la pensée architecturale contemporaine.

Mais qu’a donc de si particulier cette place des Martyrs pour qu’on lui consacre un tel exercice de réflexion, pour que les architectes voient dans ce concours un défi de taille à relever ? En quoi pourrait nous intéresser cet ancien terrain vacant adjacent au Beyrouth intra-muros, cet espace de foire et de commerce devenu place publique au xixe siècle et redevenu terrain vague depuis la fin de la guerre civile libanaise ? Et à quoi fait-on référence lorsqu’on donne au lieu une signification si forte qu’il en vient par exemple à incarner à lui seul le Beyrouth de l’époque glorieuse, ou encore à synthétiser tous les malaises de l’après-guerre ? La place des Martyrs, en cela, est avant tout un lieu porteur d’images multiples, contradictoires et révélatrices à coup sûr des temps présents, mais aussi, parfois, des temps à venir. L’amoncellement de ces images est le terrain sur lequel se fait aujourd’hui la reconstruction. En reconstruisant la place, on y ajoute une nouvelle couche, un nouveau design, tout en sachant pertinemment que nul n’arrivera jamais à voiler complètement les strates inférieures sur lesquelles elle repose.

La place des Martyrs vue vers le nord. Au centre, l’ouverture créée par la destruction de la façade nord du pourtour de la

place des Martyrs autrefois occupée par le Sérail.

Guillaume Éthier, 2005

Patrimoine et guerre.indd 2 31/01/08 13:37:51

Extrait de la publication

Guillaume Éthier

Patr

imoi

ne e

t gu

erre

: re

cons

trui

re l

a pl

ace

des

mar

tyrs

à B

eyro

uth

Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Dans cet ouvrage, Guillaume Éthier explore l’architecture, la forme et le rôle de la place publique qui, dans le contexte de la reconstruction nationale entreprise depuis la fin de la guerre civile libanaise, en 1990, s’est trouvée à l’avant-plan de la scène mémorielle. Il y jette un nouveau regard sur le Concours d’idées en planification urbaine pour la reconstruction de la place des Martyrs, concours international tenu à Beyrouth en 2004-2005.

Par sa situation exceptionnelle au centre-ville de Beyrouth et par son rôle historique de haut lieu de la sociabilité, la place des Martyrs constitue le cœur de la nation libanaise. Sur le plan symbolique, elle incarne l’espoir d’une réconciliation d’envergure entre toutes les factions de la société. Cependant, entre les mains d’une société foncière, le processus de reconstruction du centre-ville de Beyrouth a pris un virage inattendu au milieu des années 1990. La logique spéculative des promoteurs risque en effet de faire l’impasse sur les enjeux identitaires et culturels. Devant ce spectre – et puisque la place des Martyrs n’a toujours pas été reconstruite – l’auteur balise des pistes qui rejoignent les objectifs collectifs assignés à la reconstruction de la place des Martyrs. Il s’agit de créer, simultanément, un lieu de mémoire et un lieu de rencontre.

Dévoilées par de riches images en couleur, les trois propositions lauréates du concours font l’objet d’une analyse circonstanciée de la rhétorique architecturale et des intentions qui l’articulent. Ainsi découvre-t-on, en transparence du traitement de l’espace, de l’anatomie du projet et du discours sur la place publique, le jeu stratégique de l’urbain et de la mémoire.

Guillaume Éthier est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches actuelles portent sur l’architecture iconique en Chine.

ISBN 978-2-89544-120-5

4Collection dirigée par luC NoppeN

Patrimoine et guerre : reconstruire

la place des martyrs à Beyrouth

Couv.indd 1 31/01/08 13:54:54

Extrait de la publication