Noblesse des conversos?

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Publicationsde I'Université de Provence 29, avenue Robert Schuman - 13621Aix-en-Provence Cedex I 110,00 FF. ! ETUDES HISPANIQUES N" 23 tl Les Conversos et le pouvoir en Espagne ála fin du moyen áge Actes slslemecolloque d'Aix-en-Provence 1B-19-20 novembre J.W{ rqr 3 1997 Publications de I'Université de Provence

Transcript of Noblesse des conversos?

Publications de I'Université de Provence29, avenue Robert Schuman - 13621Aix-en-Provence Cedex I

110,00 FF. !

ETUDES HISPANIQUES N" 23

tl

Les Conversoset le pouvoiren Espagneá la fin du moyen áge

Actes sls lemecolloque d'Aix-en-Provence1B-19-20 novembre J.W{

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1 997

Publications de I'Université de Provence

Table des matiéres

Préface

Maurice KRIEGELAlonso, de Oroposa devant la question des Conversos,une stratégie d'intégration hiéronymite ?

PedTo CÁTEDRAConversos y literatura homilítica : Fray Vicente Ferrer

Ramón GONZÁLVEZRIJVEl Bachiller Palma y su obra de polémica pro conversa

Raphael CARRASOPureté de sang et paix civile en Nouvelle Castille(XV"-XVI" siécle)

Adeline RUCQUOINoblesse des Conversos ?

Monique DE LOPELes métaphores de I'identité conversa dans la poésieespanole du XV'siécle

Michel JONINLe converso ou "l'effacement de I'altérité" : sur unereprésentation littéraire du judéo-convers

Estrella RUIZ G/J-VEZ PRIGOMácula y pureza (maculistas, inmaculistas y maculados)

Table des matiéres

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La noblesse domine indubitalement I'histoire de la Péninsule ibérique

des XVe et XVIe siécles. Parvenue sur le devant de la scéne politique et

économique au cours de la guerre civile casti l lane de 1367-1369.

I'aristocraiie remplit de ses luttes et de ses choix la vie nationale au cours

du siécle suivani, jusqu'á placer sur le tróne son candidat, la princesse

Isabelle, dite la Cáttrotiqué. Au Portugal, malgré la victoire du.Maitre

¿Áui, en 13g3, la noblésse se maintint au pouvoir et, prenant le parti

á,Átpnonr" V, parvint encore á accroitre son influence, tandis que les

nobl^es de la couronne d'Aragon constituaient deux des quatre "bras" des

Ctrt"t. La "course á la noblésse" devint ainsi la premiére préoccupation

Jes Ibériques du début des Temps Modernes, préoccupation dont

teÁoign.ni les innombrables chartes d'hidatguía des chancelleries royales-

L'idé;l de noblesse empreint á tel point la société que les vil les

"tü*--e-"r sollicitérent it regurent des titres de "noble" ou "trés noble"

viile ou cité, titres qui instauraient entre elles une véritable hiérarchiet.

Les priviléges fiscaux, en particulier I'exemption du paiement des

impdts directs, ne suffisent pas á expliquer Ia soif de noblesse qui

cor'acterise la société hispanique á l'époque méme oü, dans le nord de

I'Europe, l'élite des non-noblei, les bourgeois, entreprenait de s'imposer

"iJ inip"*". de nouvelles valeurs2. De nombreuses villes avaient requ des

priviléges d'exemption des contributions directes, tandis que la couronne

bastil l ine, comme sa voisine portugaise, t irait la majeure. partie de ses

'."rroura", des imp6ts indirecis - taxes ad valorem sur le commerce,

douanes - et des contributions "ecclésiastiques" - pourcentage de la dime,

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r Adeline Rucquor, "Des villes nobles pour le rol", Realidad e tmóge.ne-s de.l poder''E;;;;;i iiii át to Edad Media (Adeline Rucquoi e<l )' valladolid' le88'

195-214.2 Les divers articles réunis sous le ritre Hidalgos & hidalguía dans I'Espagne d.es

xil":-xvnr ,¡¿cles, GNRS., Bordeaux, lggg, témoignent_de la difficulté, pour les

tn*n"u.r actuels, á défin¡r les catégories nobiliaires de l'Espagne moderne.I

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bulles de croisade, décimes¡. L'accroissement du nombre des privilégiésn'entrainait donc pour elle aucune diminution de ses revenus ; elle luipermettait en revanche, ainsi que le proclama Fernando de la Torre vers1450, d'avoir toujours ir sa disposition une milice préte d répondre áI'appel en quelques heuresa.

Devenir noble, étre reconnu comme noble et en Porter le titre dansI'Espagne du début des Temps Modernes parait étre un enjeu qui dépassede beaucoup les seules préoccupations économiques. La controverserelative i I'accession á la noblesse des converso.s s'inscrit alors dans lacontroverse plus large de I'accession á la noblesse, des qualités requisesdu futur hidulgo ou caballero, et, au-delá, du concept méme de la noblessedans I'Espagne des XVc et XVIe siécles.

Le débat s'ouvre dés le XVe siécle et les arguments qui s'affrontentne cesseront de traverser la vie hispanique des siécles suivants. Leconverso, le "nouveau chrétien" peut-il accéder á cet idéal, Peut-il étrenoble ? La réalité nous prouve que de nombreux nobles des XVe et XVIesiécles descendaient de juifs convertis. Les divers Libros Verdes et leTizón de la nobleza de España qui circulérent dés la fin du XVe siécle,afin de dénoncer de telles situations, en témoignents. L'obtention d'unereconnaissance d'hidalguía par le pére de Thérése d'Avila, dont le proprepére avait été reconnu coupable de judaiser en 1485 á Tolédeo, atteste queia reconnaissance de la qualité de noble n'était pas réservée aux trüsgrands personnages du royaume, objectif déclaré de I'auteur du Tizón'Mais ces mémes l ibe l les d ivu lguaient une opin ion contra i re, ets'accordaient ainsi avec les instruments d'exclusion sociale mis au point aucours de la seconde moitié du XVe siécle et que I'on connait sous le nomgénérique de "statuts de pureté de sang"z.

Misuel Ansel Ladero Quesada, In Hacienda real en Castilla en el siglo XV,LaLafuna, 1913 ; Fi.scalídad y poder real en Castilla ( ]252- I 369), Ed. Complutense,Madnd. 1993.

Fernando de la Torre, Libro de las veínte cartas o quistiones con sus resPuestas,B.N. Madnd, Ms. 18.l4l, éd. par Ma Jesús Díez Carretas, It obra litararia deFemantlo tle la Torre, Valladolid, 1983, doc. CXCV' p. 347.

Victor lnfantes, "Luceros y tizones : biografía nobilia¡'ra y venganza polítrca-en elSiglo de Oro", E/ Crotalói. Anua¡io de Filología Española, I (1984)' ll5-127.

Joseph Pérez, "Réflexions ssr l'hidalguía " ' Hidalgos & Hidalgula dans I'Espagnede s XVI.' -XVI IIe.ri?c/¿s, Bordeaux, I 989, I 4- I 5.

Antonio Domíngucz Ortiz, l¡t clase sr¡cit¿l de los conversos en Cusltll.tt en la EdadModernu, l,ta¿ñd, CSIC, 1955 ; Albcrt A. Srcroff, L¿s conlroverses des sntuts depureté de sang, en Espagne duXV" auXVII" siüle, Parrs, l9ó0;I.S' Revah, "La

Noblesse des conversos ?

Au milieu du XVe siécle, Alfonso de Cartagena, évéque de Burgos etfils d'un converti notoire, affirmait dans son Defensorium unitatischristianie la continuité entre le judarsme et le christianisme ; seulspouvaient étre qualifiés de "nouveaux chrétiens" les pai'ens récemmentévangélisés. L'idéal de noblesse qui imprégnait I'ensemble de la sociétéhispanique n'avait effectivement pas épargné la communauté juive oücertaines voix s'élevaient pour proclamer que, descendants du peuple deVarp, les juifs étaient plui nobles que les'chrétiens. Au début du XVIesiéilé, Pedro de Cartagena, regidor de Burgos et descendant, Iui aussi,d'une famille de convertis de haut rang, répondra á ceux qui contestaientsa condition : "De.cciendo de linaje de reyes cuando vuestos antepasadosno eran nadie". Diego de Valera, auteur de multiples traités sur lanoblesse qui firent autorité et fils d'un médecin royal d'origine juive,défendait, dans son Espejo de verdadera nobleza écrit vers 1441,l'opinion suivant laquelle le juif ou le musulman qui possédaient cettequalité dans leur loi devaient la conserver en adoptant la loi desch ré t i ens :

"A la quarta pasando, que si los convertidos a nuestra Fc, que seguntsu ley o seta eran nobles, retrenen la nobleza de su linaje después dechristianos, a esto respondo que no solamente los tales retienen lanobleza o fidalguía después de convertidos, antes digo que laacrescientan, lo qual se prueva por rasón necessaria e auténtlcaabtoridad"s.

Les arguments de Diego de Valera nous intéressent d'abord en cequ'il pose comme postulat le fait qu'il y a et qu'il y a toujours eu desnobles parmi les juifs ; et, dit-il, quelle autre nation pourrait rivaliser ennoblesse avec celle qui a produit les prophétes, les patriarches et saintspéres, les apótres, la Vierge Marie et le Christ ?s. Dans quelle autrenation trouverait-on l 'équivalent de Saul, de David, de Salomon ? Il estvrai, poursuit Diego de Valera qui connaissait I'essence des traités contre

controverse sur les statuts de pureté de sang", Bulletin hispanique, t. LX[I, n" 3-4(197 1) ; Henri Méchoulan, "Nouveaux éléments dans la controverse des statuts depureté de sang en Espagne au XVII€ siécle", Srad¡¿ Rosenthalia, Assen,n " 2 . 1 9 7 6 .

Diego de Yalera, Espejo de verdadera nobleza, ed. par Mario Pen¡a, Prc¡sistascastellanos del siglo Xy, B.A.E., t. I16, Madrid, 1959, p. 102.

Diego de Yalera, Espejo de verdadera nobleza, op. cit. p.103 : ". .¿ en quálnasción tantos nobles fallarse pueden como en Ia de los juditos, en Ia qual fuerontodos los profetus, todo,¡ los patriarchas e santos padres, todos los apóstoles ef,nelmenle nuestra bien aventurada señora Sancta Marla, y el su benditofijo Dios eonbre verdadero nuestro redenptor, el qual este linaje escogió paro sí por el másn o b l e . . . ? " .

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les juifsro, que les juifs ont depuis été réduits en servitude pour n'avoirpas reconnu le Sauveur, "á Ia suite de quoi, eux qui de par leur natureétaient courageux et forts sont devenus faibles, couards et diminués"tt,antithése donc des qualités attribuées á la noblesse. Comparant alors laconversion ir une libération, Diego de Valera affirme que les juifs doiventrécupérer leur condition premiére "comme ceux qui sortent de captivitéet retrouvent la liberté qu'ils avaient perdue". Cette récupération peutétre lente "car, qui est assez puissant pour, ayant passé mille ans encaptivité et en en sortant, pouvoir récupérer ce qui est sien en peu detemps ?"t2 ; mais il y a des cas oü des descendants de lignages juifs ontconservé ou rapidement retrouvé leur rang, tels les premiers roisd'Angleterre qui descendaient de Joseph d'Arimatie, ou les rois wisigothsqui provenaient du lignage d'Abrahamt¡. La noblesse retrouvée des juifsest d'ailleurs supérieure á celle des chrétiens, dans la mesure oü, baptiséset convertis á la vraie foi, ils jouissent de la noblesse "théologale" etpartagent avec les autres la noblesse "naturelle" et "civile"l¿; en outre,leur noblesse dans ce domaine est plus ancienne - et le facteurd'ancienneté est primordial dans le concept de noblesse -, car, aucontraire des chrétiens qui étaient autrefois pai'ens, "qui peut douter quesoient meilleurs ceux qui ont servi et honoré un seul Dieu que ceux quiont cru en de faux dieux et les ont adorés ?"ts.

La noblesse des musulmans n'est pas contestable non plus, aux yeuxde Diego de Valera, méme si elle ne repose pas sur les mémes fondementsque celle des juifs. Qu'i l s'agisse du Prophéte lui-méme, de Muza leconquérant de I'Espagne ou d' 'Abd al-Rahman, tous se qualifiérent par

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Gilbert Dahan, I¿s intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Áge, Éditions duCerf, Pans, 1990.

Diego de Yalen, Espejo de verdadera nobleza, op. cit. p. lO3:. "de onde aquellos,que seguul su natura bravos e robustos eran, son lornatlos fiacos, covardes ernenguados".

Diego de Valera, Espejo de verdadera nohleza, op. cit., p. !04 t "E si tanIigeiamente éstos no viemos restituidos en sus honrras, e digníCades, e fornleza decuerpos, e coragones, eslo no es de maravillar, ca las cosas de tan largo tienp<tperdidas no se podrían recobrar cn un dla ¿ c9 qu!én es aSora tan poderoso que-aviendo

sefulo mill años en captividad, e salien¿lo de aquella podiese lo suyorecobrar brevemente ?".

Drego de YaLera, Espejo de verdad¿ra nobleza, op. cit., p. L0/'.

Diego de Y alera, Espejo de verdadera nobleztt, op. c it., p. I 02- I 03.

Diego de Yalera, Espejo de verdadera nobleza, op. cit.,p. lO4'. "E pues ndo¡ deaquélla una ruís somos produzidos, ¿ quién dubda no ser mejores ltts.que un D,ittssólo sirvierc¡n e honrraron que aquellos quc falsos dioses creyeron e adoraron ?".

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leur valeur militaire et donc "qui pourrait leur dénier la noblesse civileou hidalguta ?"r0. Les descendants du dernier émir de Grenade f'urentaccueillis dans I'Espagne chrétienne comme nobles et I'un d'eux, Juan deGranada, joua méme un róle trés actif á Valladolid durant Ie soulévementdes Comunidades de 1520-1521.

Les arguments de Diego de Valera, comme ceux d'Alfbnso deCartagena, reposent sur un concept de la noblesse comme qualité morale,inhérente á I'homme, indépendante de sa religion mais garantie par letemps et I'ancienneté. Le juif, comme le musulman, peuvent étre deshommes de virtus et, s'ils continuent á vivre "vertueusement" aprés leurconversion, conserver leur noblesse, Le passage d la vraie foi "augmente"donc cette qualité "car notre vrai Messie n'est pas venu dans le mondepour diminuer aucun des biens anciens, mais pour 6ter tout péché"12.

Le concept de la noblesse qui sous-tend une telle argumentation estessentiellement juridique et d'origine romaine ; il peut donc surprendreI'historien habitué á la noblesse du nord de I'Europe, née de I'usurpationde certains pouvoirs et du service militaire et monopolisée par certainesfamilles. L'absence de véritable invasion "barbare" dans la Péninsuleibérique - les Wisigoths, qui vivaient dans I 'ernpire romain etconnaissaient le latin, ne peuvent étre confondus avec les Francs ou lesBurgondes qui arrivérent un siécle et demi á deux siécles plustard - permet d'apprécier une réelle continuité entre le monde romain etl'Espagne médiévale. La noblesse, chez les auteurs latins qui furent lussans discontinuer, est celle des pates du sénat ; elle est assimilée áI'exercice, par le fondateur de la lignée - le princeps gentis ou princepsmobilitaris -, puis par ses descendants, de magistratures dans legouvernement de la res publica t8.

Le service de Ia res publica, sous l'autorité d'un empereur ou d'unroi, confére donc la noblesse. Aux fonctions propres au gouvernement etá I'administration - territoriale, judiciaire, fiscale -, le Moyen Age ajouta

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Diego de Yalen, Espejo de verdadera nobleza, op. cit., p. IO5'. "Pues si queremosIa nobleza en los moros considerar, ¿ quién es que non sepa quántos reyes, quántospríncipes e grandes varones, entr'ellos ha avido ? E si los otros (lueremos olvidar,uyamos siquiera memoria de algunos cuya fama de gente en gente para sienpredurará (...) i Pues quién podría a los tales de cívil nobleza ofidalgula denegar ?".

Diego de Yalera, Espe¡o de verdadera nobleza, op. cit., p. lO3.

André Magdelain, Jas Impenum Auctoritas. Éndcs ¿le drott n¡main, ÉcolcFrangaise de Rome, 1990, en particulier les articlqs "La plébe et la noblesse dans laRome archaiQue" (p. a7l-a95) et "<Auspicia ad patres redeunt>>" (p. 341-383).

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le service par les armes. Les juristes italiens du début du XIVe siécle, ettout spécialement Bartole de Sassoferrato (c. l3l3-1357), se penchérentsur la définition juridique de la noblesse et établirent trois degrés danscelle-ci : une noblesse dite "naturelle" qui est partagée par I'ensemble dela Création - dans le sens oü, aujourd'hui encore, les Espagnols dirontd'un taureau qu'il est "noble" -, une noblesse "théologale" qui est celle dela créature face á son Créateur, et une noblesse "civile" ou "politique",objet des traités.

Le De ru¡bilitate etle De instgnis et armis de Bartole de Sassoferratofurent vite répandus dans la Péninsule ibérique et constitu¿rent la base dela réflexion théorique sur la noblesse aux XVe et XVIe siécles. En 1441,Diego de Valera cite le juriste italien et suit sa démonstration ; Fernandode Mexía le cite également vers 1480, mais pour s'opposer á sesargumentslc. Les traités de Bartole de Sassoferrato s'accordaientd'ailleurs parfaitement avec la tradition hispanique. Dés la seconde moitiédu XIIIe siécle, I'atelier du roi Alphonse X s'était intéressé au probléme.La Loi XI du Titre I de la Seconde Partida, qui traite de "Qui sont lesautrcs grands ct honorables seigneurs qui ne sont ni empereurs ni rois",prend bien soin de préciser qu'ils doivent leur condition au service qu'ilsrendent précisément au roi ou á I'empereur : le duc préte un servicemilitaire, le comte sert le roi qu'il "accompagne", le comte palatin le serti¡ la cour, le marquis administre pour lui un territoire, et le juge rend enson nom lajusticezo.

La noblesse "civile" ou "politique" provient donc d'une combinaisonentre le service de la res publica, la vertu morale de celui qui remplit unetelle táche et I'ancienneté du lignage auquel il appartient. Conditionjuridique, elle ne peut étre conférée que par le roi qui sanctionne ainsi lesqualités personnelles et les services rendus. A la suite d'Alphonse X deCastille et de Bartole de Sassoferrato, les auteurs de traités du XVe siécledistinguérent trois types de "services" : le service militaire - fondementde I'ensemble de la noblesse occidentale médiévale -, la fonction publique- ce qui anoblira d'office aussi bien les grands administrateurs royaux quelcs alcaldes ou les regidores qui tiennent leur charge du roi -, et les titres

Frernando de Mexía, Nobiliario v¿¡o, Séville, 1492.Une copte manuscrite circulattdéjá vers 1478 (8.N. Madrid, Ms. 331l).

Alfonso X el Sabio, Partüas. Segunda Partida, Salamanca, 1555, F 7-7v. L'auteurdes gloses en marge précisc ir propos de "conde" que le mot est d'origine latine :"istud nomen fuit assuntptum primo a populo, romuno, posl exuclos reges :eligebant enim singuhs annis, ut tra¿ir B. Isfulorus. Ii. IL ethimobgic¿rum, duosconsules, quorum unus militaret : aher vero rem adminístrabat civilem, et isti duoconsules primo v¿¡cuti sunl comites, a conmeand¡¡ simul per veram concordnm...".

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universitaires de licenciés, docteurs et maitres2l. Les titres universitairesconduisant souvent á I'administration, une controverse s'organisa autourdu probléme de la supériorité des annes sur les lettres, ou des lettres surles armes22 ; loin de constituer un débat entre nobles et non-nobles, ouentre une "noblesse d'épée" et une "noblesse de robe" - distinctionanachronique pour I'époque -, cette controverse tendait á instituer unehiérarchie au sein méme de la noblesse. La condition d'ancienneté dulignage doit par ailleurs étre mise en rapport avec le concept médiéval de"droit naturel", ainsi que I'explique Martín de Córdoba quand il dit queles fils sont plus nobles que leurs péres, "car ce que les péres eurent gráce¡l la fortune, les fils I'eurent par la nature"2l.

Au sein de cette conception de la noblesse comme récompense duservice du roi et de la re.s publica, rien ne s'oppose á ce que les conver-sn.s jouissent des priviléges attachés á celle-ci. De fait, lorsqu'aucunesuspicion n'entache leur conversion, les convertis intégrent facilement lesrangs de la noblesse, soit en s'alliant par mariage á des familles nobles,soit en exergant de hautes magistratures, des offices dans l'administrationroyale ou en obtenant des titres universitaires. Fernán Pérez. de Guzmán,dans ses Generaciones y Semblanzas qut ont pour but d'exalter lamémoire des "magnifiques rois et princes", des "courageux et vertueuxchevaliers" et des "grands savants et lettrés", inclut dans sa liste Pablo deSanta María dont il dit qu'il appartenait á "un grand lignage de cettenation [iuive], qu"'avant sa conversion, il était un grand philosophe etthéologien, et apr¿s celle-ci, poursuivant ses études", il fut tenu pour ungrand précheur2a.

Au cours de la premiére moitié du XVe siécle, cependant, un autreconcept de la noblesse entra en concunence avec celui que diffusaientuniversitaires et lettrés. Sous I ' influence, diff ici le á apprécier maisindéniable, des romans de chevalerie venue du nord de l'Europe et d'unefascination pour le sang - á commencer par le sang du Christ qui sauve -,

Fernando de Mexía, Nobiliario vero, Libro II, Punto l, Conclusión 3.

C'est le cas du texte anonyme connu sous le titre de Prefagión en respuesta de unaquistión fecha entre dos cavalleros del reyno de Castilla qui s'achéve sur laconcf usron de le superiorité des lettres (8.N. Madrid, Ms. 12.672, P 196-214).

Fray Martín de Córdoba, O.S.A., Compendio de Fortuna (c. l44O-1453), éd. parFernando Rubio, Prosísl¿s castellunos del siglo XV, B.A.E., Madnd, 1964, p.7 :"E esta Ia razón por que losfijos son nais nobles que los padres, porque Io que lospatlres ovieron por fortuna, Ios fijos ovieron por notura".

Fernán Pérez de Guzmán, Generaciones y Semblanzas, éd. pru J. DomínguezBordona, Madrid, Clás¡cos Castcllanos, 1979, p. 89.

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les notions de "lignage" et d'ancienneté, symbolisées par le sang transmisde génération en génération, et de la supériorité du servicemilitaire - gráce auquel on peut verser son sang pour le bien commun -commencérent á se répandre. Elles allaient de pair avec une réflexionthéologique beaucoup plus large, commune á I'ensemble de I'Europe aulendemain des grandes pestes, sur le péché originel et la "souillure" qui endécoule. Le sang du Christ, mort sur la croix pour sauver "le lignagehumain", apparaissait désormais comme le seul qui p0t "laver" unesouillure origineüe assimilée i une impureté ontologique. [.e théme estdéjá développé vers 1416 dans une apologie du christianisme écrite p¿u unconverso, maestre Juan el Viejo de Toléde, qui fait appel aux prophétiesde Malachie, de Daniel et d'Ezéchielzs.

L'idée d'une noblesse transmise au sein d'une méme famille avaitprésidé á la fermeture du "patriciat" romain sous la République, créantainsi des catégories dans la noblesse2ó. Il ne s'agissait cependant pas lád'une définition "biologique "de la noblesse, puisque l'adoption jouait unróle aussi important que la filiation dans la perpétuation des "familles"romaines. En revanche, au XVe siécle dans Ia Péninsule ibérique, le sang- concept biologique tout autant que symbolique - se superpose ou secombine d la définition juridique de la noblesse ; une notion de progrés,d'amélioration, de perfectionnement s'attache en outre á l'idée de latransmission du sang au long des générations.

Dans son discours sur la prééminence du roi de Castille sur le roid'Angleterre, prononcé au concile de Bále vers 1434-1435, Alfonso deCartagena commengait par indiquer que "mon seigneur, le roi de Castille,est tr¿s noble"27. Une soixantaine d'années plus tard, l'auteur anonymed'un Breve compendio de las crónica¡ de los Reyes de España adressé auroi Ferdinand Ie Catholique affirmera dans sa dédicace que, de méme queles eaux qui proviennent des plus hautes montagnes sont plus douces car

B.N. Madrid, Mss. 4306 : "... por quanto antet de Ia venitla del Salvador querredimio al htanatwl linaje por b su sangre pregiosa non )Nan las almas a gloria..."(F I l) : ".. Et asi como eI xabon que quin ku mansillts, usy quítaru el e apurara losmalos de los buenos.,." (f" l3v) ;"... lo que signiJica esta visión [d'Ezéchiel]...tornan las aguas saladas dul'ges, muestra que sarut del pecado original (...) otrosydise Esechiel cap. XXWI yo derruntare sobre vos aguss linpius e ieredes linpios "(f" 50v-51).

$ndré Magdelain, ""Auspicia ad patres redeunt>", dans "/zs Imperium Auctórítas.Etudes de droit romain, op. cit.,p.34l-383.

Alfonso de Cartagena, Díscurso sobre Ia preemingncia ¿el rey de Castilla sobre elde Inglalerra, ed. par Mario Penna, Pro.rrsf¿.r españoles del siglo XV, B.A.E. I 16,Madrid, 1959, p. 208.

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clles ont regu "une plus grande purification", l'ancienneté du lignage duroi dans les veines duquel coule "le trés haut et trés clair sang des roisgoths" garantit son excellence28. Entre le texte d'Alfonso de Cartagena etcelui de I'auteur anonyme des années 1493-1494, une nouvelle notion estapparue, liée au sang de la noblesse, celle de sa purification au travers dutemps.

La réfutation des théses de Bartole de Sassoferrato qu'entreprit defaire dans les années I470-1480, le veinticuato de laén Fernando deMexía éclaire ici le passage d'un concept á I'autre. Fernando de Mexía,dont I'ceuvre fut publiée á Séville en 1492 et abondamment diffusée, nenie pas I 'existence de trois sortes de noblesse, théologale, naturelle etcivile. Pour cette derniére, qui est I 'objet du traité, Fernando de Mexíaaccepte également les trois voies d'accession traditionnelles : le servicedes armes, la fonction publique et les titres universitaires. Sonargumentation repose cependant sur I'affirmation que le "nouveau noble",qui vient de voir ses mérites personnels couronnés par la conditionnobiliaire, n'est pas vraiment noble. Il va devoir entamer un processus depurification qui lui permettra de sortir "des ténébres de son vil lignage",car i l est encore un "plébéien souil lé de la bassesse du sang vilain/vil" ; i ldevra "se laver dans I 'eau qui est la propreté des vertus", entrer dansl'"ordre de chevalerie" ou acquérir "[es degrés de la science", afin queses descendants parviennent á la "demeure de I'hidalgía" oü ils reposeronten sc réjouissant "d'Ctre loin de leur commencement bas et obscur".Quatre générations sont nécessaires á un tel processus2r.

La noblesse de la fin du XVe siécle n'est donc plus seulement unecondition juridique, méme si le prince reste le seul i pouvoir ensanct ionner le "commencement" . E l le est un vér i table chemin de

B.N. Pans, Ms Esp. I10, fol : "Et como las aguas quanto de mas alto lugarprogeden mas suavidat traen y quanto de mas lexos y pr<tlongado pringipto wenentantu mas purificugion regiben, asy el linaje de los reyes de Castilla de que vuestraaltez.a viene por dmos respetos es muy egelente ca progede de Ia muy altu e clarasangre de kts fumosos reyas godos".

Fernando de Mexía, Nobihario vero, f l05v : "pues bien asy el omen plebeo,ensussndo de la vylesa de sangre de villanía que es kt noche, Ia qual es la tyntebrade su vyl linaje, convyene que salga de las albergaclus clct moran, lus qwles son lascostumbres de sus padres, e se lave en el agua, que son la lympiesa de lasvirtudes, e tomara en Ia tarde, ln qual es la horden de cuvalleriu o grudos de giengia.Entonges entraran en las albergaclas de fidulguya sus asgerulyentes, despues depuesto el sol de su obscurydat (...) asy el omen plebeo e obsturo o syn linaje, enIa noche de olvitlangu de su pringipto que es en Ia quarta generagion, descansadelectandose ugerca de Ia membranga de ser alongado de su baxo e ob.rcurocomiengo".

Adeline RUCQUOI

perfection, qui inclut aussi bien l 'exercice des "vertus" et des "bonnescoutumes" que l 'absorption de nourritures légéres et "subti les"3o. La"chevalerie" qui, pour Enrique de Vil lena dans ses "Douze travauxd'Hercule", en l4l ' l , comprenait "magnat, noble, vasuero, infanzón,chevalier armé, gentilhomme, et tous les autres qui sont hidalgos, d qui ilrevient d'user de, de s'exercer dans et de multiplier les coutumesvertueuses et bonnes et le maintien et Ia défense du bien commun"3l esrdésormais une qualité l iée á la pureté du sang. Fernando de la Torreexalta ainsi, au milieu du XVe siécle, le "sang propre" du noble Sancho deTorres qui partait á Jérusalem pour prendre l'habit des chevaliers deSaint-Jean32.

I¿ théme de la pureté du sang noble33 qui requiert un long processusde purification pour passer de l"'obscqrité" á la "clarté" s'explique mieuxencore lorsque l'on se penche sur les origines de la noblesse, telle queI'explique Fernando de Mexía. L'homme fut créé á I'image de Dieu, quiest "noble, haut, profond, sage, fort, éternel, infini, tout-puissanr, doux,pieux, saint, terrible, bon, parfait et grand" ; et il regut le libre choix desuivre ou de refuser "l'image et la noblesse de son Créateur". [r péché leconvertit "d'excellent et de resplendissant en obscur, de beau en laid, deparfait en imparfait et de léger en pesant". Les mauvais,.'s'écartant decette origine qui est Dieu, perdirent la noblesse", et, en raison de cepéché, "furent rendus obscurs et sans lignage, s'approchant toujours plusde la vilenie et de I 'obscurité du péché et des mauvaises coutumes, et

J I Enrique de Villena, Los doze trobajos de Hercules, ed. par Margherita Morreale,Real Academra Española, Madnd, 1958, p. 12 : "... por estado de cavalleroenliendo..".

Fernando de la Torre, Libro de las veinte cartas, o quistiones con sus respuestas,B.N. Madrrd, Ms. 18.(Xl, f" 84 : "... vos encomiendo aquellas cossas que vuestralinpia sangre, vuestra exgelente virtud, vuestra poli.da crittnga e costunbres vostienen encomendadas e fasen obligado. Conviene saber : animo valiente sincobardía, (...) linpiesa, gentilesa...".

En ló37, J. Escoba¡ del Corro pubha A Lyon un ouvrage au titre signrficatrf:Tractatus bipartitus de puriute e rcbifuate probanda.

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s'adonnant á ou adoptant des métiers vils et des maniéres brutes"34.Alfonso de Toledo, en 1467 dans son Invencionario, avait expliqué queI'homme, formé á I ' image de Dieu et "á peine moins noble qu'unecréature angélique", était devenu, i¡ cause du péché originel, "plusmisérable que les animaux grossiers"35. Contrairement aux auteursprécédents, pour lesquels Dieu avait créé les hommes égaux et la"tyrannie" des plus forts sur les plus faibles aprés le péché originelexpliquait la naissance de la noblessslo, pour Fernando de Mexía lanoblesse est la condition de I 'homme d'avant le péché : elle est l 'état deperfection de l'homme.

Les théologiens de l 'époque se penchaient anxieusement sur leprobléme de la perte de la gráce divine á Ia suite du péché originel, tandisque Franciscains et Augustins diffusaient dans toute l 'Europe lepessimisme augustinien3T. Le concept de noblesse comme qualitéontologique de l'homme, perdue á cause du péché, s'inscrivait donc au

Fernando de Mexía, Nobiliario vero,P 7v: "... sufazedor que era y es Dios,noble, alto, profundo, sabio, fuerte, eterno, ynfinitct, omntpotente, dulge, suave,piadoso, sanlo, espantable, bueno, perfeo e grarule" ; P 1 : "... el qual por elpecudo Jue tomado de exgelente e rresplarulegienle escuro, e de fermoso feo, e deperleto ynperfeto, e de lig,ero pesado..."; f l3 ,. "... k¡s malos, desviandose destepringipict que es Dios, perdieron la nobleza (...) fueron fcchos obscuros e sin linajeagercandose sicnpre a la villanta e ob,scuridad del pecalo e de I¿s malas costunbres,asi mismo dandose o metrcndose a viles ofigtos e torpes maneras".

B.N. Paris, Ms. Esp. 204, f' | | : "E mucho es de doler quel omen u ymujen esernejanga ¿le Dios formado, e poco menos noble que angelictt criatura, masmiserable esfecho que los brutos arumales".

Drego de Yalera, Dspejo de verdadera nobleza, op. cit., p 95 : "Para Io qual es depresuponer que en la primera hedad todas las cosas fueron comunes sm algunadiferencia enlre los onbres aver ( ..) e despues Iu mali¿'ia del mundo cresciendo,quien pudo mós ocupar, quebrantantlo el derecho de la humanal compañia, fisosuyo lo que primero de k¡dos era e así los me¡ores túanos por mas noblesfuerontenidos (...) de onde los menos fuertes quedaron en yugo de servidumbre,detenfulcts por rústicos o vill¿nos, e los otros como nobles ofidulgos". Alfonso dcToledo attribue en revanche l'origine des cavallent.r ou mil¿tes i¡ Romulus lors dela fondation de Rome (B.N. Paris, Ms. Esp., 204, f" 3'7v et 29).

Un tra¡té de théologre d0 )r la plume du Valencren Francesc de Pertusa en 1440,incluait déjá en 1440 le probléme du peché originel, du hbre-arbrtre et de la grace(J. Sanchís Sivera, "Un libro de teología del siglo XV, escrrto en v;úenclano",Revista de Archivos, Bbliotecas y Museos, XXXIV, 1930,267-283). A la mémeépoque circulait un traité sur la prédestination et le libre-arbitre, rédigé sous formede dialogue entre le Maitre Gonzalo Morante et un chrétren convertl á I'rslam(8.N. Par is, Ms. Esp. , 2O4, f " 106- l l5v) . Al fonso de Toledo, dans sonInvencionario-, qui trarte des "rnventrons" nécessaires i I'homme aprés le péchéoriginel, consdcrc un titrc de onze chapitres aux "ynventores del remedio contra elpecado original " (8.N. Paris, Ms. Esp. 204, F 44-48).

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sein d'une controverse bien plus large. L'auteur inconnu du Treseno de

ProPreté"18.

- Par le péché, l'homme des théologiens a perdu la gráce : le baptémele lavera de la souillure originelle, une vie vertueuse et de purificati,on luipermettra de ne pas retomber dans le mal, et enfin un séjour aupurgatoire - considéré á partir du XVe siécle comme inévitable - áchéverale. processus de "récupération'" et it jouira de la vision béatifique. par lepéché, I'homme sur lequel réfléchissent les Espagnols du XVe siécle aperdu la noblesse : I'obtention d'un titrc nobiliaire, suivi de I'exercice des

Dans les deux cas le but est le méme, et dans les deux cas le facteur"temps" est primordial car il garantit le processus de purification.

Treseno de c'ontemplagíone,s por csttkt rrimad.o, ed. par Maxrm Kerkhoff,Cesammelte Aufsiitze ¿ur Kulturgeschichte Spaniens,3l (i9g4), p.301,303,291e¡ 292.

Dans ses "Sonnets faits i¡ la maniére imlienne", le marquis de santillane déplorait lamort de la noblesse de I'Espagne, qu'il liart i la disparition de la foi, de l,eipéranceet dc la charité :Por g'ierto Españu muerta es tu noblegae tus loores tornados hagerio¿ Do es laJee ? ¿; do es la caridat ?¿ Do la esperanga ?...(Iñigo^López.de^Mendoza,-marquésde Santillana,Obras,éd. parJ. Amadorde losRíos, Madrid. 1852, p. 289).

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péché"¿tt. Lcur manque de valeur, de virtus, de désir de s'améliorer, esrce qui les maintient dans cet état. Dans son Confesional, ré<Jigé vers 1437,Alfonso de Madrigal el Tostado situait parmi les pécheurs celui qui,"pour ne pas travail ler. veut vivre dans une condition vile et trésmauvaise qui ne convient pas á sa personne, alors qu'avec lrn peu detravail i l pourrait vivre dans un état qui lui conviendrait" ; une autrefagon de pécher est "de dire des mots sales, comme les hommes vils"ar.Péchó et "roture" sont synonymes.

L'obsession de la pureté du sang, opposée á la souillure du péché, meparait donc étre avant tout un probléme de chrétiens dans I'Espagne dudébut des Temps Modernes. Il s'agit essentiellement d'une tentative deréponse au pessimisme augustinien, dont les tenants présentaient uneimage terrifiante de I'homme déchu, incapablc de se purifier des traces dupéché origincl sans I'aide divine - et pour certains protestants, méme aveccelle-ci -. Au prix d'un effort soutenu, et poursuivi au long de plusieursgénérations - car si quatre sont un minimum, plus l'ancienneté est grandeplus la "purification" est compléte -, le chrétien, devenu noble, se sauve.Le "nouveau noble", nous l 'avons vu, est encore "souil lé". i l se sirueencore au niveau des "rustiques", de la "vilenie", presque de I 'animalité.Or, il est chrétien depuis des générations. Le "nouveau chrétien", celuiqui, comme le disait Diego de Valera, a passé "mille ans en capriviré",c'est-á-dire mille ans de servitude, est évidemment désavantaeé dés ledépart.

Jetons alors un coup d'ceil aux premiers textes qui mentionnent lapureté du sang. Les deux bulles de Benoit XIII et de Martin V quisanctionnérent en l4l4 et 14l8 la fondation du Collége de San Bartoloméde Salamanque par I'archevéque de Séville Diego de Anaya en réservaientI'accés ir "quinze personnes habiles, de bonne réputation et provenant d'unsang pur"42. Aucune mention n'est faite qui s'attacherait spécialement aux

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B.N. Paris, Ms. Esp.2ll,f 7 : "E ansy de los que vinieron en sy ulcanguronvirtuosdmente, vtn eron k¡s nobles, que son llama<kts en nueslru lengua.f4os dulgo.E de los olros que mal bivieron e cayeron en servtdumhre wnieron los que sonIlamados vtllanos, el qual nombre han e oweron los que mal e pecadora mentebiven".

B.N. Madrid, Ms. 4183, P 18: "La XVI. manera es quan<lo alguno por no trabajarquiere estar en algunt estado vil e muy malo, que non convaene a su personu, e conpoco trabajo podria estar en un estado conviniente u el" ; f" 52 : "Otra manera depecar es unfablar palabras susias segunt k¡s ¿¡nbres vtles e otros que usan esto".

Francisco Rui¿ de Vcrgara, Vidu del ilustrissimo señor D. Drcgo de AnayaMaldonado, arzobispo de Scvilla, Jurululor del Colegio Viejo de San Bartolomé,Madrrd, 16ó1, p. 47 : "ht quo quidem Collegb pepetuo quindecim personae ad

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conversos ou á leurs descendants : les "statuts" attribués au fbndateur etque publia en appendice le marquis d'Alventos sont nettement plustardif'sa¡. En 1468, I'abbé Guillaume de Morimond, au cours d'une visitetaite aux Ordres militaires de Calatrava et de Montesa, stipula pour lapremiére fbis, dans ses Definitiones, un certain nombre de conditionsrestrictives pour tous ceux qui solliciteraient l'habit' La définition 62' quipofe le titre de "Que ne soit pas admis á prendre l'habit de I'Ordre lenon-noble", intéresse en premier lieu tous les non-nobles - ignobiles - etceux qui ne seraient pas de "généreux hidalgos á la maniére d'Espagne" ;I'abbé prend soin d'indiquer que leur admission est contraire d "la probitéet la noblesse des prédécesseurs" qui oblige iL "vivre et d se battrecourageusement", et interdit leur réception sous peine d'excom-municátion. A la suite de cet avertissement général' une interdictionparticuliére frappe les conversos, dont I'entrée en nombre mettait enpéril, selon I 'abbé, l 'honnéteté de I 'Ordre et les ámes de ceux qui yóonsentaientaa. La conclusion de cet article rappelle l ' interdictiond'admission lancée contre tous ceux qui ont été mentionnés auparavant, etI'obligation de nommer aux offices des "vieux catholiques, bons, fidéles etqui craignent Dieu" - boni et fideles antiqui catholici et timentes Deum'.Un mois plus tard, I'article 9 des Définitions données á I'Ordre deMontesa, se contente d'interdire I'entrée dans l'Ordre á "tout non-nobleou néophyte ou á celui qui ne proviendrait pas d'une lignée militaire"'sous peine d'excommunicationas. Le but que poursuit I'abbé de Morimondest dónc essentiellement de réserver l'accés aux Ordres aux seuls nobles,

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hoc habiles integrae famae e opinionis ex puro sanguine procedentes, kloneue in

theologiae et iuris canonici facultatibus stüeanl".

Bien que Antonio Domínguez Ortrz, dans La clase social de los conversos en

Castilia en Ia Edad Modelna (Mad1d, 1955), p. 57, les attrrbue sans sourciller i

Diego de Anaya.

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considérés comme vrais ou meilleurs chrétiens. L'exclusion s'appliqued'abord á la grande masse des chrétiens non nobles, et seulement ensuiteaux conversos qui, pouvant prétendre á la noblesse "juridique",tenteraient d'obtenir un habit.

La querelle suscitée par l'implantation d'un statut de pureté de sangdans le chapitre de la cathédrale de Toléde en 1547-1549 en témoigne.Les adversaires de cette mesure ne s'y trompérent pas qui voyaient en ellela victoire d'une faction nobil iaire sur une autre : "la noblesse de cetteville étant depuis longtemps, comme il est notoire, divisée en deux partiesdont I'une était tenue pour étre plus favorable aux habitants de la ville etaux marchands", l'établissement du statut avait pour objectif la déf'aite decette derniére, "tenant comptc du fait que plus on rabaisserait et onhumilierait l 'état des habitants, plus haut et en plus haute estime seraittenu celui des caballer¿¡s"46. I ls ajoutérent que ce statut excluerait duchapitre une grande partie de la noblesse et, en revanche, en ouvrirait lesportes et les bénéfices aux gens de basse condition, dont le seul mériteserait de pouvoir se targuer de la qualité de "vieux chrétrens". Dans leurréponse á ce dernier argument, Siliceo et ses partisans répliquérent qu'ilétaitjuste que les nobles qui entretenaient des relations avec des personnes"non propres" fussent chátiées ; le roi devrait les réduire á la condition depec'heros, "afin de que no se acabe de ensuciar lo que resta de la noblezaen E.spaña". Le statut est donc présenté comme un instrument d'épurationde la noblesseaT.

Fernando de Mexía, ici encore, dans son long traité sur la noblesse,nous éclaire sur les exclus de cette société des "parfaits". Dans une glosemanuscrite en marge de la premiére version de son texte, les catégoriesdes "ignobles" sont précisées ; les "plébéiens" sont les marchands, lesartisans, les agriculteurs et "autres gens tels" ; "obscur" se réfEre á ceuxqui "ne sont ni des marchands, ni des artisans ni des hidalg¿rs notoires,mais ceux qui sont devenus riches, ceux que nous appelons des citoyens

B.N. Madrrd, Ms 732, f 144, cité par Antonio Domínguez Orttz, Itt cluse st¡<'ialde los conversos en Castilla en la Edad Media (Madrid, 1955), p. 40, note37 : "Estarulo como es tdn notorio kt nobleza desta ciudad mucho tiempo a divisaen dos panes en lcs quales la unu heru tenrda por mas faborable a los ciuludunos ymercaderes que a la olra, aora en lo que loca u este estatuto los de Ia una parcialdady Ia otra, aunque no ktdos pero por la mayor parte, se han juntado a faborecer elestatuto en perjuicio de los ciudadanos, haciendo quanta que qu¿¿nto mas abatrcseny umillasen el estado de los ciudadanos, tanto mas aho y mas estimado quedara elde los caballeros".

Antonio Domínguez Oniz, La clase social de los conversos en Castilla en lu F.¿ladMedia, Ma<lrid, 1955, p. 4l-42.

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honorables qui ne touchent plus de leurs propres mains la bassesse desdites choses" : et enfin villano s'applique á tous ceux qui usent d'un officevil, tels les crieurs publics, ceux qui nettoient les lieux sales, qui sortentles cadavres d'animaux, qui se louent pour creuser ou faucher, les autresjournaliers et Ies vendeurs d'eaua8. Plébéien - dans le vocabulaire savantde Fernando de Mexía qui a indubitablement fréquenté l'université,-contribuable - pechero - et "vilain" - villarut - sont synonymes ; celui quiappartient á une telle condition, c'est-á-dire I ' immense majorité de lapopulation hispanique, "ne peut étre propre ni purgé".

Le cas des "nouveaux chrétiens" est un peu particulier. Pour l 'abbéde Morimond, leur origine les rendait incapables, comme les autresignobiles, de combattre courageusement. Pour Fernando de Mexía, quiconnait bien les arguments des traités anti-juifs, la"cécité" des juifs leurinterdit d'accéder aux "degrés de la science", ce qui les écarte naturel-lement, eux et leurs descendanLs, de la noblesseae. Pour I'auteur anonvmed'un "privilége de Juan II en faveur d'un hidalgo", qui parodie lesdocuments de la chancellerie royale, les "qualités" des converso.s se situenttoutes d I'opposé de celles du noble : le roi, ici, accorde au demandeur, lacondition de marrano et tous les priviléges qui y sont attachés, enparticulier ceux de "faire, essayer, uti l iser et fabriquer toutes lessubtil i tés, malignités, tromperies et f latteries et les autres chosessemblables", d'étre exempté de la "pudeur, la bonté, I 'honnéteté et lacrainte de Dieu", et de s'enrichir á tout prixso. Nous rejoignons ici leportrait de I'homme vil, rustique, qui vit "mal et dans le péché".

On pourrait peut-étre avancer deux autres arguments pour expliquerI'exclusion des "nouveaux chrétiens", non pas de la société hispanique dutemps, mais de son idéal, la noblesse, I'un de nature médicale, I'autre denature juridique.

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B.N. Madr id, Ms. 33 l l . P l23v-124.

Fernando de Mexía, Nohúrurío ysr¿¡, Sevilla, 1492, fo 28v : "... pues es gierto,segund es provado, que la nobleza puede ser produzida (. .) otrosi por los gradosde lu giengia, segund que adelante mas conplidamente se dira, pues como esta!ar9s9a entre el liruje giego de kts julios, siguense dz pura negesulad confe.sar quelu diclw noblezafallegera comofallege dentro de la ley judayca".

50 "Privilegio de D. Juan Il en favor de un hidalgo", B.A.E., 176, Madrid, l9ó4,p.25-28 : "Don Juan por gracia de Dios, rey de Castilla y de León. Por cuantovos, Juan, me fecistes relación quexdndovos mucho que por vueslro nascimientcthaber sido de la generac'ún dc Los Ranc'iosos, que quiere decir cristiantss vie¡osIindo.r, no podiades me¿lrar cosa algunu, ni wts aplicar a facer las cosu.;, artes,sotilezas y eng,años y tratan los de la generación de los Hehreos que son legínmos,que quiere decir marranos...".

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Depuis des siécles déjá, les médecins se penchaient sur Ia nature dusang et, á partir du début du XIIIe siécle, sur les spécificités du sang desjuifs. Michael Scot, traducteur á Toléde puis auprés de Frédéric II,participait de I 'opinion selon laquelle les juifs, hommes et femmes,avaient des pertes de sang menstruelles. Albert le Grand, dans sonCommentaire d'Aristote, soutenait que les juifs avaient des flux de sangépais á cause de leur nourriture, théme repris ensuite par la littératurequodlibétique. Placés sous le signe de Saturne, la mélancolie, les juifs ontle sang noir et leur nourriture entraine des flux de sang que n'ont pas leschrétiens5t. Cette description situait donc le sang des juifs á I'antithése dusang du Christ, clair et précieux, théme que diffusérent les Mendiants auxXIVe et XVe siécles. L'ardente controverse du De sanguine Christi, quiavait débuté vers 1340, fut tranchée par la bulle Ineffabil is summaprovidentia de Pie II en 1464, mais donna naissance dés la fin du siécle áde multiples confréries du Sang ou du Saint-Sang ; dés 1460, la réformedu bréviaire valencien par l'évéque Rodrigo de Borja - le futur papeAlexandre VI Borgia - avait prescrit I'observance, le l9 juin, de la fétedu "Précieux Sang du Christ"sz. Le sang des nobles se devait donc,puisqu'en tant que ch¡étiens il leur fallait imiter le Ch¡ist, d'étre "clair" et"pur". Martin de Córdoba, vers 1440-1450, rappela que, pour certainsauteurs, I 'union entre des péres qui "par leurs vertus et les servicesrendus au roi, avaient obtenu de grandes richesses", et des femmes "desang clair", expliquait que les fi ls eussent un "degré de noblesse quen'avaient pas leurs péres"sl. En revanche l ' "épaisseur" et la "noirceur"du sang des juifs, que garantissait la médecine du temps, les écartait del' idéal nobil iaire.

Peter Biller, "Views of Jews from Paris around 13O0. Ch¡rstian or'sc¡entrfic'?",¡n Diana Wood, ed., Christianity and Judaism, Oxford, Studies rn ChurchHistory, n" 29, 1992, p.205-207 : "... Et causa est prima quia dicunt medrct quodfluxus sanguinis causatur ex sanguine grctsso indigesto quem naturu purgat. Sediste magis habundat in iudeis quia ipsi sunt melancolici ut in pluribus (...) ille qutmultum e.st melancoltcus muhum habet de sanpuine melancolico, et inde debethaberefiuxum sanguinis, sed iudei sunt huiusmódi. Probo quia utuntur alimentisassatís et non elíxatis non coctis, et hec sunt dfficile digestibilia...".

Sur le théme du sang á la fin du Moyen Age, voir Daniéle Alexandre-Bidon, éd.,Le pressoir mystique, Actes du Colloque de Recloses, Cerf, Parrs, 1990.

Fray Martín de Córdoba, Compendio de Fortuna,op.cit.,p.7 : "Podemos tambiéndar otra raz.ón tliziendo que los padres, por sus virtudes e servicios que fizieron aIrcy, alcangaron muchas riquelas, Ias quales avidas ovieron mugeres de clarasangre, e así los fijos que dellus engerulraron ovieron algund grado de noblezu quenon ovicron los padres".

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Un autre argument, d'ordre juridique, a pu également jouer un r6ledans I'exclusion des conversos de la noblesse, et donc des institutionsréservées I celle-ci. Le droit, qu'étudiaient d Bologne, á Toulouse, áSalamanque ou á valladolid clercs et laibs, distinguait clairement entre les"ingénus", nés l ibres et jouissant de tous les droits attachés á leurcondition, les "esclaves" dépourvus de liberté personnelle, et Ia catégorieintermédiaire des "affranchis" ou liberti. Des siécles de christianismeavaie¡t supprimé cette derniére dans les textes juridiques rédigés á partirdu XIIIe siécle : les catégories subsistaient néanmoins dans le droitthéorique, largement enseigné et commenté. l¡s traités de la polémiqueanti-juive répétaient par ailleurs á l'envi depuis la fin de I'Antiquité queles juifs, par leur aveuglement et leur refus de reconnaitre le Christ,avaient été condamnés i¡ I'errance et á la servitudes¿. La traditionhispanique conservait enfin le souvenir de la réduction, par le roi Egicaen 694, de tous les juifs du royaume en esclavage.

Les juifs convertis, á l'époque wisigothique, ne devenaient pas desimples chrétiens. Les textes les appellent iudaei et de nombieusesmesures avaient été prises á leur encontre, que diffusaient les exemplairesdu Liber ludicum ou de sa traduction castillane, le Fuero Juzgo, quepossédaient les bibliothéquesjuridiques.Le iudaeus serait ainsi une sortede libertus, catégorie intermédiaire entre le chrétien - assimilé alors á un"ingénu" - et le juif ou servus. Dans l'Espagne musulmane, le statut desconvertis á I ' islam avait également été un statut intermédiaire, lemuwallad ne jouissant jamais de la plénitude des droits du "vieuxmusulman".

Pouvait-on donc, dans cette perspective, accorder au "nouveauchrétien" des XVe et XVIe siécles les mémes avantages, en particulierdans le domaine de I'accés á la noblesse, que ceux dont jouissaient, plusthéoriquement que réellement, les "vieux chrétiens" ? Si le converso n'apas, dans la réalité juridique, un statut spécifique, si, aux yeux de l'Église,tout baptisé est lavé de ses péchés antérieurs et a regu la méme gráce, iln'en reste pas moins qu'il ne peut aspirer á s'élever au-dessus de lacondition générale, celle des "ignobles", des "vils", des "rustiques", deceux qui sont esclaves de leurs péchés et sont en cela semblables aux bétes,des marranos,

s4 Gilbert Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juils au Moyen Áge, Cerf, parrs,1990, p. 8ó, mcntionne que pour Oldrade lesjuifs étaient devenus des servi i lasuite de la mort du Christ, et que lcs seigneurs pouvaient donc les chasser, lesvendre ou les priver de leurs biens.

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L'exclusion d'un certain nombre d'institutions - origine des "statutsde pureté de sang" - frappe donc d'abord, et avant tout, la majorité de lapopulation chrétienne en ce qu'elle pose la noblesse comme conditionpremiére d'accés. Cette noblesse, dans la mesure oü elle n'est pas unesimple condition sociale mais le signe de reconnaissance du vrai chrétien,du chrétien parfait qui a réussi á se soustraire au péché et sera sauvé, cstdonc réservée á un petit nombre d'élus. L'accés á la noblesse "civile" ou'Juridique" restait aisé dans l 'Espagne de la reconquéte, puis dans cellequi "accroissait la Chrétienté" en évangélisant les Indiens et en luttantcontre Turcs et protestants. Le mécanisme d'exclusion qui se mit alors enplace réservait aux seuls "vieux nobles" I'entrée dans les institutions lesplus prestigieuses : en furent donc exclus tous les "pécheurs", c'est-á-direles "nouveaux nobles", I ' immense maiorité des chrétiens et les "nouveauxchrétiens".

Loin d'étre l ié d des concepts plus ou moins biologiques de "race",loin aussi d'étre un simple mécanisme d'exclusion d'un groupe social parun autre, le probléme de la pureté du sang nous parait étre un problémeontologique, l ié dans I 'Espagne du début des Temps Modernes auprobléme du salut. Dans le domaine social, il est avant tout une questionqui se résout au sein de la société chrétienne, dans la mesurc oü la "puretédu sang" - qui distingue le vrai noble des autres55 - permet de déterminerles possibilités de salut -elle distingue les vrais chrétiens des pécheurs, lesélus des damnés -. La langue n'inventera jamais d'antonyme "social" pour"noble". Alors que le franEais oppose á "noble" aussi bien "roturier" que"vil" et "ignoble", I 'espagnol oppose á "noble", catégorie morale etcondition sociale, les seuls antonymes moraux de vil, bajo, ignoble.L'exclusion dcs conversos ne se situe donc pas au niveau de la société

5 5 Dans unc Apol<tgia quLl rédrgea en appendice d ses Commentaires sur le Cotle deJustinien, Franc¡sco de Amaya en 1639 se fit I'avocat des statuts de pureté de sang,une pureté qui est celle de la noblesse, et qui va de parr avec la notoriété : "Et patetew¿lenter, cum puritas et nobtlitas non est quid es,sentiale, corporeum, reale aulpalpabile, sed qutd consrstens tn opíntone hominum" (Antonlo Dornínguez Ortiz,La clase social de los conversos en Castúla en Iu Edad Modema, Madrid, 1955,p 193, notc 6) .

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dans son ensemble : elle n'est qu'un avatar du systéme d,exclusion qui,dans I'Espagne des XVe et XVIe siécles, trace une frontiére entre les

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