Ngatcha-Ribert 2007 - D'un no mans land à une grande cause nationale
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D'UN NO MAN'S LAND À UNE GRANDE CAUSE NATIONALE Les dynamiques de la sortie de l'oubli de la maladie d'AlzheimerLaëtitia Ngatcha-Ribert Fond. Nationale de Gérontologie | Gérontologie et société 2007/4 - n° 123pages 229 à 247
ISSN 0151-0193
Article disponible en ligne à l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2007-4-page-229.htm
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Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ngatcha-Ribert Laëtitia, « D'un no man's land à une grande cause nationale » Les dynamiques de la sortie de l'oubli
de la maladie d'Alzheimer,
Gérontologie et société, 2007/4 n° 123, p. 229-247. DOI : 10.3917/gs.123.0229
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Distribution électronique Cairn.info pour Fond. Nationale de Gérontologie.
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Le souci d’examiner comment la « maladie d’Alzheimer » est devenue à ce jour un nouveau « problème public », ainsi
qu’une véritable entité scientifique, médicale, sociale et politiqueconstitue le fil conducteur de cet article. Plusieurs indices invitent
en effet à faire enquête sur le lent processus au terme duquel la maladie d’Alzheimer – pratiquement inconnue du grand public
il y a encore quelques années – est sortie de l’oubli et a pris l’allure d’un véritable « fléau social ». A cet égard,
les mobilisations associatives ainsi que les réponses collectives et politiques dont elle est l’objet sont analysées.
FROM A NO MAN’S LAND TO A GREAT NATIONAL CAUSE.HOW ALZHEIMER’S DISEASE EMERGE FROM OBLIVION
Examining how Alzheimer’s disease has today become such a “publicproblem” as well as a real scientific, medical, social and political entityis the main theme of the article. Several clues invite investigation of the
long drawn-out process leading to the emergence from oblivion of Alzheimer’s disease – practically unknown to the public only a fewyears ago – and which now resembles a full-blown “social calamity”.
The article analyses the associations’ action and the collective andpolitical response to the problem.
D’UN NO MAN’S LAND À UNE GRANDE CAUSE NATIONALE
Les dynamiques de la sortie de l’oubli de la maladie d’Alzheimer
LAËTITIA NGATCHA-RIBERT
DOCTEUR EN SOCIOLOGIE, UNIVERSITÉ PARIS-DESCARTES
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D’UN NO MAN’S LAND À UNE GRANDE CAUSE NATIONALE
Loin du no man’s land des années soixante-dix, la « maladie
d’Alzheimer » – que l’on classait autrefois sous le vocable de
« démence sénile » voire de « gâtisme » ou de « radotage » – est
aujourd’hui largement sortie du domaine médical où elle se can-
tonnait jusque-là pour devenir une maladie sinon « à la mode »,
du moins « dans l’air du temps » 1, ayant notamment donné lieu
ces vingt dernières années à un traitement médiatique pour le
moins alarmiste. Conjointement, l’éponyme se rencontre aujour-
d’hui dans le discours ordinaire pour alimenter nombre de plai-
santeries voire même parfois d’insultes, signe de l’imprégnation
dans notre conscience collective. Avec l’allongement de la durée
de la vie, dans le contexte d’une inefficacité actuelle des théra-
peutiques et en l’absence d’un vaccin, la progression du nombre
de malades d’Alzheimer est attendue et redoutée, d’autant que
l’âge est le premier facteur de risque de la maladie. Après plusieurs
rapports et programmes d’actions publiques à partir de la fin des
années quatre-vingt dix, la lutte contre la maladie était décrétée
« grande cause nationale 2007 » à l’occasion de la « Journée mon-
diale Alzheimer » le 21 septembre 2006. Cet article se focalisera sur
le cas français mais soulignons d’emblée que l’une des sociétés
sans doute parmi les plus médicalisées au monde, les États-Unis,
sert, en la matière, de référent à plus d’un titre 2. En particulier, cer-
tains « malades-vedettes » 3 ont contribué à la rupture dans l’image
et la visibilité sociale de l’affection. Au début des années quatre-
vingt, la révélation publique de la maladie de Rita Hayworth, qui
représente le premier visage vivant de la maladie 4 fut en partie à
l’origine de la fondation de l’association américaine, l’ADRDA
(Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association) en 1980, et sa
fille, la Princesse Yasmin Aga Khan, contribua par ailleurs en 1985
à la création de l’association Alzheimer Disease International (ADI).
Un intérêt considérable pour la problématique des « démences
séniles de type Alzheimer » a dès lors émergé de la part du monde
scientifique, notamment du fait des formidables levées de fonds
induites par la création de ces associations et des financements
exceptionnels, sans équivalent ailleurs, provenant d’institutions
telles que le National Institute of Health (NIH), le National Institute on
Aging (NIA) ou le National Institute of Neurological Disorders and
Stroke (NINCDS) 5. Par la suite, même si l’annonce de sa maladie a
eu lieu a une époque où Alzheimer était déjà mieux connue, l’an-
cien président des Etats-Unis Ronald Reagan a également contri-
bué à accroître l’acceptation de la maladie d’Alzheimer 6. Du fait
du prestige de son ancienne fonction, son annonce a sans doute
1. Le nombre de publicationsscientifiques a cru de manière
exponentielle tandis que lespublications à l’intention dugrand public, notamment la
littérature romancée, se sontmultipliées, des congrès, descolloques et des expositions
sont fréquemment organisés.Outre le fait que la maladie
d’Alzheimer devient le sujet detéléfilms ou de films, certaines
chansons récentes de LindaLemay (Je m’appelle
Marguerite), de Michel Sardou(Nuit de Satin) ou de PatrickBruel (Va où tu veux) notam-
ment évoquent ce thème.
2. Remarquons tout d’abordque les États-Unis
représentent, avec quatremillions et demi de maladesd’Alzheimer, le premier pays
touché parmi les paysindustrialisés.
Source : www.alz.org.
3. Claudine Herzlich & JaninePierret, 1988, « Une maladie
dans l’espace public. Le sidadans six quotidiens français »,
Les Annales E.S.C., 5, p. 1126.
4. Célèbre actrice du cinémades années quarante, décédéeen mai 1987 à l’âge de 68 ans.
5. Le montant de la rechercheaméricaine est passé de
146 millions en 1990 à plus de 650 millions aujourd’hui.
Jean-Louis Santini, 2007, « Leschercheurs sont optimistes devaincre l’Alzheimer », Dépêche
AFP Washington, 16 mai, sur lesite : http://www.cyberpresse.ca/article/20070516/CPSCIEN
CES/705160810/5146/CPSCIENCES.
6. Reagan est décédé en 2004à l’âge de 93 ans. Son épouse
s’est attelé à la création et àl’expansion de l’Institut de
Recherche Ronald Reagan, qui s’est donné pour objectifd’accroître les financements
de la recherche relatifs à cette affection.
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rassuré voire déculpabilisé une partie de la population en ce sens
que la maladie d’Alzheimer peut toucher des individus de toute
envergure sans que leur intelligence ne soit en cause. Cette pra-
tique contraste fortement avec la « loi du silence » qui l’emporte
généralement en France parmi les célébrités 7, hormis la révélation
publique récente de la maladie d’Annie Girardot 8. Comment
expliquer l’émergence du « problème public » 9 maladie d’Alzhei-
mer ? Que s’est-il passé entre le moment où ces problèmes de
démence sénile étaient médicalement, socialement et politique-
ment inexistants et aujourd’hui où « Alzheimer » apparaît comme
un nouvel enjeu collectif de taille ? Quelles sont les logiques asso-
ciatives en jeu dans ce processus ? Quel rôle l’arène médiatique
et la couverture journalistique ont-elles joué dans cette construc-
tion sociale ? Comment s’est traduite l’implication des pouvoirs
publics ? 10 Telles sont les questions auxquelles cet article se pro-
pose de répondre.
UNE DYNAMIQUE SCIENTIFIQUE ET MÉDICALE
La sortie de l’ombre de la maladie est en premier lieu le produit de
dynamiques scientifiques et médicales. Il était en effet autrefois tra-
ditionnel de considérer les troubles psychiques des personnes
âgées comme faisant partie du processus de sénescence, le plus
souvent interprété comme un état normal de la fin de vie. Décrite
pour la première fois en 1906 par Aloïs Alzheimer, cette démence
présénile rare concernait à l’époque les personnes de moins de
65 ans, sans rapport précis avec la démence sénile proprement
dite 11. A partir de 1976, grâce au développement des technolo-
gies biomédicales, le résultat des recherches médicales, aux États-
Unis et en Grande-Bretagne essentiellement, conduisit à la trans-
formation de la définition de ces troubles, de leur catégorisation
et, par voie de conséquence de leur représentation, en terme de
catégorie pathologique autonome et spécifique au même titre
que le cancer ou le sida. En renonçant à la dichotomie entre le
champ des démences séniles et celui de la présénilité, cette décou-
verte eut pour conséquence de « désagiser » en quelque sorte
Alzheimer, l’âge comme critère originel de celle-ci ayant été éli-
miné. Ce regroupement (qualifié par certains de « tour de passe-
passe nosologique » 12) conduisit à une expansion spectaculaire de
cette catégorie diagnostique en y incluant tous ceux qui, au-delà
de 65 ans, étaient autrefois étiquetés comme « déments séniles » au
7. On peut à titre d’illustrationmettre en relief que 52 articlesdu journal Le Monde, sur untotal de 339 entre 1987 et2001, évoquaient lespersonnalités étrangèresatteintes ou mortes de lamaladie d’Alzheimer, enmajorité des américains (plusprécisément 7 entre 1987 et1991, 10 entre 1992 et 1996et 35 entre 1997 et 2001),tandis que seulement 11 évo-quaient des personnalitésfrançaises sur ce même sujet(respectivement 0, 4 et 7).
8. Paris Match, 21 septembre2006.
9. Au sens du sociologueaméricain Joseph Gusfield,1981, The culture of publicproblems: drinking-drivingand the symbolic order,Chicago, Chicago UniversityPress, 263 p.
10. Mon propos s’appuie sur un doctorat soutenurécemment à l’université ParisDescartes sous la directiond’Anne-Marie Guillemard.
11. Elle est aujourd’hui définiecomme une maladieneurodégénérative,caractérisée par la pertelente, progressive etirréversible des fonctionscognitives, associée souventà des troubles psycho-comportementaux.
12. Philippe Albou, 1999,L’image des personnes âgéesà travers l’histoire, Paris, éd. Glyphe, p. 152.
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sens général du terme 13. Dès lors, ce processus contribua à faire de
la « maladie d’Alzheimer » un problème sanitaire et social de pre-
mière importance, qui constitue aujourd’hui la forme la plus
emblématique des démences, ainsi que la catégorie la plus inquié-
tante de ce que l’on nomme, de manière singulière, en France, la
« dépendance » des personnes âgées 14. A cet égard, ici aussi l’in-
fluence américaine se révèle bien évidemment au niveau scienti-
fique dans la mesure où nombre de concepts et d’outils américains
ont été repris et importés dans le monde entier, comme par
exemple la classification des maladies mentales, le fameux DSM et
ses multiples versions. L’une des phases les plus importantes et les
plus visibles de la « montée en Alzheimer » s’incarne en outre dans
ce qui a constitué à plus d’un titre un tournant : l’arrivée de théra-
peutiques 15 qui consacre une ère nouvelle, son « entrée dans la
médecine » 16. Ce moment décisif a permis non seulement un
bouleversement de la vision de cette affection en contribuant
notamment à l’émergence de nouvelles représentations plus posi-
tives, mais a induit également de nombreux changements, tant
au niveau des discours et des pratiques des médecins que du
vécu des familles.
UNE INSCRIPTION AU SEIN D’UN CONTEXTE
DE « CHRONICISATION » DES PATHOLOGIES
Dans un contexte de médicalisation de nos sociétés et d’évolution
des technologies disponibles, la maladie d’Alzheimer appartient à
la catégorie aujourd’hui prédominante des maladies chroniques,
qui font des personnes atteintes des « vivants en sursis », avec leur
cortège de caractéristiques comme la durée, l’incertitude qui les
accompagne, et la gestion qu’elles nécessitent. Il n’est pas inutile
de souligner que l’apparition du sida, au début des années quatre-
vingts, est concomitante de la création de France Alzheimer (1985).
De manière récurrente, dans ce champ fortement concurrentiel,
nombre de nos interlocuteurs ont émis l’hypothèse que la média-
tisation dont le sida, mais aussi le cancer ou les myopathies, ont
été l’objet a pu retarder ou occulter l’émergence et la montée en
visibilité de la maladie d’Alzheimer en tant que pathologie à part
entière. Lors du congrès national de France Alzheimer en sep-
tembre 2004, le président de l’agence de publicité 17 mettant en
œuvre leur campagne de sensibilisation soulignait un peu abrup-
tement : « Comme Coca Cola a des concurrents, vous avez des concur-
rents. (…) D’autres sont mieux armés symboliquement » et de détailler
13. C’est-à-dire en y incluantles autres formes de
démence sous le nom de « maladies apparentées »,
jusque-là autonomesd’Alzheimer : la démence
vasculaire, la démence mixte,les dégénérescences
frontotemporales, la maladie àcorps de Lewy, etc.
14. Claudine Attias-Donfut,1997, « La construction
sociale de la dépendance »,dans, Francis Kessler, La
dépendance des personnesâgées, Paris, Sirey, coll. Droit
sanitaire et social, p. 15-34.
15. En 1994, les autoritéssanitaires françaises délivrentune autorisation de mise sur
le marché à la tacrine,apparue sous le nom
commercial de Cognex (du laboratoire Parke-Davis).
16. Ces thérapeutiques, sansefficacité décisive, ont
essentiellement pour effet dediminuer les symptômes et
d’améliorer le confort del’existence de la personne
atteinte et de son entourage.
17. Saatchi & Saatchi.
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les « atouts symboliques » de chacun vis-à-vis de l’Alzheimer. A titre
d’illustration, le processus conduisant au parrainage de France
Alzheimer s’était révélé laborieux. Parallèlement, des médecins,
sous la houlette de psychiatres puis de gériatres et enfin de neu-
rologues, ont investi le champ des troubles cognitifs de la per-
sonne âgée par leur lobbying.
LES LOGIQUES PROFESSIONNELLES
DES DIFFÉRENTES SPÉCIALITÉS MÉDICALES
Trois disciplines se sont traditionnellement intéressées à la maladie
d’Alzheimer, la psychiatrie, la gériatrie et la neurologie. Histo-
riquement, les vieux ayant des troubles de cette nature, que l’on
appelait parfois « les petits mentaux », étaient envoyés à l’hospice
ou à l’hôpital psychiatrique, fourre-tout de relégués sociaux ma-
lades où ils étaient pris en charge à 100 %. Antoinette Chauve-
net 18 a bien mis en évidence la hiérarchie des établissements en
fonction de leur clientèle sociale et l’existence de deux filières dis-
tinctes de soins, dont l’une qu’elle qualifie « d’abandon médical »,
tandis que l’autre, la filière « noble » de caractère technique,
occupe le devant de la scène idéologique. De nombreuses sources
indiquent que la psychiatrie s’est progressivement trouvée margi-
nalisée et s’est marginalisée elle-même pour différentes raisons
dans la question de la maladie d’Alzheimer 19. La désectorisation
de la psychiatrie va modifier la donne : les malades ne sont plus
pris en charge par la sécurité sociale et vont être redirigés vers les
institutions gériatriques de longue durée.
A partir du milieu des années quatre-vingts l’on assiste à la mon-
tée progressive du paradigme gériatrique et de son corollaire, la
« dépendance des personnes âgées ». Les gériatres ont longtemps
été professionnellement déclassés, notamment du fait de l’origine
du lieu de leur pratique, l’hospice. Il est certain, rappelle Anne-
Marie Guillemard, qu’il y a eu rencontre entre la critique huma-
niste de la ségrégation et de la relégation dans l’hospice et le
malaise des médecins qui y travaillaient, qui ont souvent été le
point de départ d’un combat gérontologique 20. Les médecins
d’hospice et de services de chroniques à haute concentration de
personnes âgées vont trouver dans le nouveau discours social sur
la vieillesse, à la fois les fondements de la légitimité d’un discours
médical sur cette classe d’âge, dont la revalorisation sociale induit
la revalorisation progressive d’une médecine à son usage. En effet,
18. Antoinette Chauvenet,1976, « Ordre médical etfilières de soins », Sociologiedu travail, n° 4, p. 411-431.
19. Voir notamment PierreCharazac, 2002, « A proposde la maladie d’Alzheimer : le silence sur la psychiatrie etle silence de la psychiatrie »,La Revue du Généraliste et dela Gérontologie, octobre,Tome IX, n° 88, p. 354.
20. Anne-Marie Guillemard,1986, Le déclin du social,Paris, PUF, p. 172.
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en rupture avec la conception d’un trouble naturel qui accompa-
gnerait l’avancée en âge et n’appellerait pour seule réponse que
du « gardiennage », les gériatres, en lien avec une partie de l’ad-
ministration, se sont « appropriés » le suivi de ces malades qu’ils ont
réinscris dans le paradigme d’une médecine technico-scientifique,
engageant de la sorte un processus de médicalisation de l’en-
semble de la vieillesse. Même s’il est incontestable que l’intérêt
porté aux vieillards par les médecins a engendré des consé-
quences très positives pour les personnes âgées, la médicalisation
a également eu pour conséquence indirecte de « faire du vieux un
malade » et de générer une image réductrice et plutôt négative de
la fin de vie comme l’a mis en évidence Patrice Bourdelais 21. A cet
égard, la vieillesse a été reconceptualisée comme potentiellement
problématique. Ce faisant, la vieillesse est progressivement deve-
nue une catégorie d’action publique qui relève de plus en plus du
champ des politiques de la santé. Hélène Thomas a bien montré
comment le vieillissement s’est trouvé pathologisé grâce à l’in-
vention d’une clinique du vieillard dite « gériatrique aiguë » 22 qui
s’appuie sur une approche physiologique du vieillissement phy-
sique et psychique, défini comme pathologique et non plus
comme normal. La prise en charge des problèmes chroniques neu-
rodégénératifs, et en particulier de la démence de la maladie
d’Alzheimer était à l’origine un champ délaissé par les autres dis-
ciplines médicales, qui a fourni aux gériatres un sens et un rôle à
jouer. La gériatrie a puisé dans ce champ qui a sans doute consti-
tué pour cette dernière « une échappatoire », ou bien encore « une
bouffée d’oxygène ». La « maladie d’Alzheimer » semble ainsi avoir
contribué à renforcer la notion très française de « dépendance des
personnes âgées » dans son versant médical et organiciste, à uni-
fier cette notion floue, et à la scientifiser en la médicalisant, soute-
nant dès lors les intérêts des médecins établis autour de ces patho-
logies et revalorisant le statut de ces derniers. L’on peut en effet
envisager que le fait de connecter la démence et la dépendance,
notamment « psychique », rive cette dernière au versant incapaci-
taire et donc au côté médical plutôt qu’à la dimension du handi-
cap ou du désavantage social, lien qui sera graduellement repris
dans les rapports de politiques publiques. Le malade d’Alzheimer
devenant aujourd’hui le nouvel archétype du vieillard, son
exemple paroxystique, on a pu parler d’une véritable « démentifi-
cation de la gérontologie » et d’une « alzheimérisation » de cette
dernière 23. « Ça représente pour moi la vieillesse dont personne ne
veut » (gériatre, province). Conjointement, la réaction des proches
21. Patrice Bourdelais, 1993,L’âge de la vieillesse, Paris,
Odile Jacob, p. 348.
22. Hélène Thomas, 2005, « Le métier de vieillard »,
Politix, Vol. 18, n° 72, p. 41.
23. Richard Adelman, 1988.
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de malades nous semble être évocatrice de la pyramide sociale de
la légitimité des disciplines médicales. « Il n’est pas fou ! » ou bien
« Il n’est pas vieux ! », vieux et fou, deux figures que l’on refuse lais-
sant sans doute de l’espace pour l’intervention du neurologue qui
appartient à une discipline considérée comme « noble » et incon-
testée dans la hiérarchie universitaire.
Les neurologues ont émergé autour de la problématique « maladie
d’Alzheimer » au moment de l’avènement des premières théra-
peutiques c’est-à-dire autour du milieu des années quatre-vingt
dix. Le cercle des acteurs pertinents s’est dès lors élargi avec l’ap-
parition des compagnies pharmaceutiques. L’un des nombreux
leitmotiv des réseaux d’acteurs de la maladie d’Alzheimer consiste
à affirmer que la maladie d’Alzheimer est une « maladie du cerveau
et non de l’esprit ». En ce sens, on peut avancer qu’au cours de la
période la plus récente Alzheimer a été organicisée, qu’elle est
devenue une affaire de neurologie et non une affaire de psychia-
trie. Une redistribution des pouvoirs au sein des intervenants
médicaux s’est en quelque sorte opérée, provoquant d’abord des
tensions entre neurologues et gériatres, puis un certain compromis
entre ces différents acteurs. On aurait ainsi vu poindre une oppo-
sition entre d’une part la nécessité de dépister précocement les
pathologies démentielles grâce à des structures spécifiques telles
que les consultations mémoire, formulation défendue par les neu-
rologues et d’autre part, le besoin de structures de prise en charge
sur le long terme, les gériatres arguant du fait qu’il sera toujours
nécessaire de poursuivre la prise en charge dite globale des per-
sonnes déjà malades.
Au sein de ces logiques professionnelles, il est notable de relever
le glissement du chronique vers le préventif qui constitue l’une des
caractéristiques de l’épidémiologie. Cette dernière a pour but de
formuler des hypothèses sur l’étiologie des maladies et de décou-
vrir des variables déterminantes qui puissent être ouvertes à une
intervention clinique ou sociale, comme des facteurs de risque ou
de protection. « Les épidémiologistes ont encore un bel avenir dans
la maladie d’Alzheimer », selon Jean-François Dartigues, l’un des
chefs de file de l’épidémiologie sur cette affection 24. A l’image des
gériatres, les épidémiologistes s’appuient eux aussi sur les peurs
suscitées par le vieillissement démographique, pour proposer leur
expertise. Les différentes études qu’ils ont élaborées 25 sont men-
tionnées dans la plupart des rapports et publications officielles.
24. Jean-François Dartigues,2003, « Prospective », dans Les nouveaux défis de lamaladie d’Alzheimer. Bilans et Prospectives, LaboratoireJanssen-Cilag, p. 32-36, p. 36.
25. Paquid, HID, Etude desTrois Cités.
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Gérontologie et Société - n° 123 - décembre 2007 page 236
D’UN NO MAN’S LAND À UNE GRANDE CAUSE NATIONALE
Comme le montrent Aïach et Delanoë 26, la médicalisation devient
un phénomène de société, et non plus le seul fait d’une profession,
à partir du moment où la reconnaissance du problème comme
pathologique se double de son inscription dans l’espace collectif,
où la santé publique excède la clinique médicale. Se profile éga-
lement la nécessité de comprendre comment les mobilisations
associatives ont participé à la montée en visibilité de la maladie
d’Alzheimer.
LA DYNAMIQUE DE CRÉATION D’UN MOUVEMENT ASSOCIATIF
En réunissant les familles de malades, des associations comme
France Alzheimer ont participé à la construction d’une identité col-
lective autour de la maladie d’Alzheimer. Ce pôle associatif a
constitué une ressource déterminante pour faire valoir les intérêts
des acteurs de ce champ émergent, acquérir une meilleure
visibilité sociale et inscrire Alzheimer sur l’agenda politique 27.
Ces associations constituent aujourd’hui une référence « obligée »,
« incontournable », selon certains témoins interrogés, ayant vu leur
reconnaissance quasiment institutionnalisée. Plusieurs éléments
peuvent ici être mis en évidence : partenariat avec certains méde-
cins sur la base d’une vision biomédicale de la maladie, déploie-
ment de stratégies pour exister médiatiquement et enfin plus
récemment développement nouveau de la parole des malades
eux-mêmes.
FAMILLES DE MALADES ET MONDE MÉDICAL :
DES LIENS AMBIVALENTS
La question de la juste répartition du pouvoir entre malades/
familles de malades et médecins se pose généralement pour toute
association ayant trait à la santé 28. Il n’est pas rare que s’établisse
une communauté d’intérêts entre les malades et les médecins spé-
cialisés sur l’affection en question qui sont souvent à l’origine,
directement ou indirectement, de la création de groupes de
malades ou de familles, ayant pour objectif de les aider et de les
renforcer dans leur quête de reconnaissance et de moyens. France
Alzheimer tire ainsi son origine d’une émanation directe des
médecins spécialisés, à savoir les gériatres, et la plus médiatique
d’entre eux, Françoise Forette, en partenariat avec René Gonon,
26. Pierre Aïach & Daniel Delanoë, 1998,
L’ère de la médicalisation. Eccehomo sanitas, op. cit., p. 7.
27. Pour plus de précisions surce point, Ngatcha-Ribert L.,
2008, « Les mobilisations faceà la maladie d’Alzheimer :
la construction associative d’un nouveau « fléau
moderne », dans, Reguer D.,Actions collectives et vieillesse,
à paraître chez Erès.
28. Les associations sont biensouvent alternativement
auxiliaires, adversaires oupartenaires des médecins.
Danièle Carricaburu & MarieMénoret, 2004, Sociologie de la
santé. Institutions, professionset maladies, Armand Colin.
29. Marc Loriol, 2002,L’impossible politique de santé
publique en France, Paris,ÉRÈS, 167 p.
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Gérontologie et Société - n° 123 - décembre 2007 page 237
dont l’épouse était malade. Loriol 29 montre à cet égard que dans
le cas de pathologies reconnues par la profession médicale, les
groupes de malades se montrent généralement ouverts au dépas-
sement d’une stricte vision biomédicale de la maladie. Mais quand
une catégorie clinique soulève le scepticisme des médecins 30, les
associations peuvent être amenées à prendre la défense de la
vision biomédicale de la maladie contre un corps médical qui opte
majoritairement pour une approche psychocomportementale. La
minorité des médecins qui accepte de reconnaître la maladie
comme un trouble organique est fortement valorisée. L’enquête
menée auprès des différents interlocuteurs nous a permis de
démontrer que la problématique de la légitimité est déterminante.
La forme d’expertise prédominante sur laquelle s’appuient les
membres des associations de familles de malades repose sur la
revendication de la proximité affective. A cet égard, nous avons
pu mettre au jour les rapports de force qui existent parfois entre
soignants et aidants, entre médecins et aidants, ces derniers s’affir-
mant bien souvent plus compétents que les premiers pour s’occu-
per de « leurs » malades. En outre, l’un des contrecoups de la mon-
tée en visibilité de la maladie résiderait dans le fait que la maladie
d’Alzheimer est devenue un « créneau à la mode », « qui attise les
convoitises », fait dénoncé notamment par un certain nombre de
membres d’associations de familles.
« Il y a dix ans Alzheimer c’était un tabou. Moi je prononçais le mot
Alzheimer il y a dix ans, les portes se fermaient, maintenant je pro-
nonce Alzheimer les portes s’ouvrent ! Et je dirais même, plus grave,
c’est que maintenant des tas de gens, y compris des requins parce que
c’est devenu un sujet médiatique, à la mode, ils prononcent Alzheimer
pour se faire ouvrir les portes, vous comprenez dans l’excès inverse. (…)
Ça peut être une superbe vache à lait. » (Responsable d’une associa-
tion de familles de malades, région parisienne).
Une des conséquences de cette surmédiatisation peut se révéler
dans une sorte de lassitude, de « ras-le-bol » que provoque la mala-
die d’Alzheimer : « mais il n’y a pas qu’Alzheimer, Alzheimer finit par
m’emmerder au bout du compte ! » (Responsable d’une fédération
de services à domicile, Paris 31).
LA NÉCESSITÉ D’UNE EXISTENCE MÉDIATIQUE
La dimension identitaire prend une place singulière dans le travail
30. Si aujourd’hui la maladied’Alzheimer, de même que sagravité et son importance,semble être reconnue par laplupart des médecins commeétant une « véritable maladieorganique », ce n’étaitcertainement pas le cas au milieu des années quatre-vingt, lors de la création deFrance Alzheimer.
31. Alzheimer se retrouvantpartout, se banalisant jusquedans la vie quotidienne a étéd’ailleurs jugée un « peucompliquée », parce que « fourre-tout » par certains de nos interlocuteurs. Les différentes formes dedésorientation, de pertespsychiques, et de démenceétant regroupées sous leterme « d’Alzheimer », celle-ciserait ainsi devenue uneétiquette jugée commode.
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D’UN NO MAN’S LAND À UNE GRANDE CAUSE NATIONALE
de mobilisation des groupes qui doivent gérer des images sociales
très négatives. Remarquons que malgré l’importance des chiffres
avancés du nombre de personnes atteintes – 850 000 personnes
seraient atteintes – l’association France Alzheimer compte seule-
ment 12 000 adhérents et 40 000 donateurs 32. La faculté d’un
groupe à se doter d’une identité forte et valorisante constitue une
ressource de première importance pour que ses membres intério-
risent une vision de leur potentiel d’action et qu’un collectif s’af-
firme dans l’espace public 33. Le répertoire d’action 34 désigne les
modalités d’action que des individus ou des groupes d’individus
ont à leur disposition, c’est-à-dire les « moyens d’agir en commun
sur la base d’intérêts partagés » et ce d’autant que la publicisation
d’une cause passe par la maîtrise des techniques de communi-
cation et d’information. Offerlé 35 a pu proposer une lecture des
répertoires contemporains, autour d’une trilogie des registres de la
mobilisation du nombre, du recours au scandale et des discours
d’expertise. Les associations Alzheimer bien entendu développent
l’ensemble de ces aspects bien que contrairement aux associations
anglo-saxonnes ou aux mouvements de lutte contre le sida, elles
ponctuent rarement leurs journées d’actions symboliques mar-
quantes. En effet, le « mouvement Alzheimer », né à la fin des
années soixante-dix dans les pays anglo-saxons 36, a fortement
inspiré les mouvements sociaux ailleurs, notamment France
Alzheimer en 1985. La mobilisation des retraités en général et des
malades et familles de malades en particulier 37 y constitue de véri-
tables entreprises professionnalisées qui se donnent les moyens de
leurs objectifs par une politique très active de communication et
de pression 38, l’on pense notamment aux Walks for memories, aux
manifestations ou bien aux nombreux galas de charité. La presse
française a par exemple relaté comment les associations améri-
caines ont mobilisé, en 1986, le congrès américain pour obtenir la
mise sur le marché de la Tacrine, lequel, à son tour, a mobilisé
le National Institute of Aging (NIA) puis la Food and Drugs Admi-
nistration (FDA). Le futur fondateur lui-même de l’association
France Alzheimer, René Gonon, s’était rendu trois jours à Chicago
en 1984 pour des contacts avec l’ADRDA et en a rendu compte lors
d’un colloque en janvier 1985 39. Ces considérations ne doivent
pas laisser penser qu’aucune action n’est menée en particulier en
direction des médias. Les groupes sont souvent contraints, pour
attirer l’attention des médias, de mettre au point ce que Jean
Charron appelle un pseudo-événement, c’est-à-dire une « action
symbolique dont la raison d’être est la diffusion publique d’un mes-
32. Source : Site Internetwww.francealzheimer.org.
33. Doris Bonnet, Michel Callon,Gérard de Pouvourville &
Vololona Rabeharisoa, 1998,Sciences Sociales et Santé,
numéro spécial : « Les associa-tions de malades : entre le
marché, la science et la méde-cine », Vol. 16, n° 3, p. 5-15.
34. Notion élaborée par CharlesTilly, 1986, La France conteste :
de 1600 à nos jours, Paris,Fayard, 622 p.
35. Michel Offerlé, 1994,Sociologie des groupes d’inté-
rêts, Paris, Montchrestien, 157 p.
36. La première desassociations Alzheimer s’est
créée au Canada en 1977, sousle nom d’Alzheimer Society of
Canada, puis le mouvements’est étendu en Grande-Bretagne en 1979 avec
l’Alzheimer Disease Society etaux Etats-Unis en 1980 avec la
création de l’ADRDA, fondéepar Jeremy H. Stone, un
industriel.
37. Nous renvoyons pour deplus amples détails sur lacréation des associations
américaines aux articles dePatrick J. Fox, 2000, « The Role
of the Concept of AlzheimerDisease in the Development ofthe Alzheimer’s Association in
the United States », et deKatherine L. Bick, 2000, « The
History of the Alzheimer’sAssociation. Future Public
policy Implications », dans PeterJ. Whitehouse, Konrad Maurer,& Jesse F. Ballenger, Concepts
of Alzheimer Disease. Biological,Clinical and Cultural
Perspectives, Baltimore &London, The Johns Hopkins
University Press,(respectivement p. 209-233
et p. 234-244).
38. Jean-Philippe Viriot-Durandal, 2003, « Le lobby gris
aux Etats-Unis », Futuribles, n° 283, p. 8.
39. René Gonon, 1985, « Lesassociations familiales aux
Etats-Unis », dans, Démencesdu sujet âgé et environnement,
actes du 2e colloque, 28 et 29 janvier, p. 79.
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sage qui passerait difficilement la rampe sans le geste d’éclat qui
l’accompagne » 40. On mentionnera notamment comme action sor-
tant de la routine, un « lâcher de ballon » 41, une vente aux
enchères 42 ou bien encore une campagne nationale de sensibili-
sation 43 dans le cadre d’un « appel à tous les Français ». Faire état
de l’ampleur des chiffres est en outre un des facteurs de représen-
tativité et de légitimé pour un groupe dans la mesure où cette
donnée peut avoir des incidences au niveau politique. Dans une
logique de regroupements des moyens d’action et d’alliances, se
mettent en place des alliances inter-associatives, dont le but est de
« parler d’une seule voix ». Citons le Neurodon 44 ou le « collectif
Alzheimer grande cause nationale » 45. En considérant plus attenti-
vement le rôle des associations, il est possible de remarquer le
début d’émergence d’un nouvel acteur : les malades eux-mêmes.
LE DÉSIR DE PRISE DE PAROLE DES MALADES
Une certaine conscience apparaît au fil des années, qu’inévitable-
ment, la prise en compte de la parole de la personne désorientée
elle-même, la première concernée, doit, elle aussi, devenir, une
priorité à l’instar des pays d’Amérique du Nord et d’Europe du
Nord, ce afin notamment de changer la perception du grand
public. Cette possibilité nouvelle de parole des malades doit
d’abord se comprendre comme la conséquence sociale des pro-
grès techniques réalisés dans le domaine biomédical, qui leur per-
met d’être diagnostiqués plus précocement et de vivre plus long-
40. Jean Charron, Jacques Lemieux & Florian Sauvageau, 1991, Les médias, les journaux et leurs sources,Boucherville, Gaétan Morin.
41. Le 22 juin 2004, sur le Parvis des Droits de l’Homme, Place du Trocadéro, à Paris, pour figurer l’envolée dunombre de cas de maladie d’Alzheimer.
42. La vente de manuscrits d’une cinquantaine d’écrivains et artistes sur le thème « Ecrire contre l’oubli » a étéconfiée à Christies en septembre 2004.
43. Mise en œuvre par l’agence Saatchi & Saatchi, dévoilée lors du troisième congrès national le 14 septembre2004.
44. Quatre associations et une fondation ont en effet décidé de se fédérer pour créer une nouvelle dynamiqueautour de la recherche sur le cerveau donnant ainsi naissance à la Fondation pour la Recherche sur le Cerveau:France Alzheimer, la Fondation pour la Recherche sur l’Epilepsie, l’association France Parkinson, l’associationpour la Recherche sur la Sclérose en plaques, et l’Association pour la Recherche sur la Sclérose LatéraleAmyotrophique. Source : www.frc.asso.fr
45. Le « Collectif : Alzheimer, grande cause nationale » s’est constitué en association en mars 2007 et regroupe29 organisations, structurées en trois collèges : 1/ L’Union nationale France Alzheimer et les 106 associationslocales 2/ Les institutions et fondations en lien avec la maladie d’Alzheimer. 3/ Les sociétés savantes etorganisations professionnelles en lien avec la Maladie d’Alzheimer.
46. La plupart des personnes atteintes vivent en effet de longues années, en ayant conscience de leurs déficits,et se sachant ou devinant être porteurs de la maladie, d’autant avec les traitements symptomatiques de lamaladie. Le rythme de déclin varie très fortement d’un individu à un autre.
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temps 46. Ces derniers commencent à s’exprimer publiquement,
comme Richard Verba 47, malade de près de 55 ans, qui a notam-
ment manifesté son désir de participer à la commission nationale
Alzheimer présidée par Joël Ménard 48. D’autant que rien ne per-
met d’affirmer qu’il existe une identité de vue entre les aidants
familiaux et les personnes souffrant de démence. L’analyse de la
complexité des histoires familiales confirme cette hypothèse 49.
Cheminer dans ce sens nécessite cependant que des malades fas-
sent entendre des intérêts collectifs, pour infléchir telle ou telle
décision et puissent disposer d’un accès plus facile aux organisa-
tions déjà existantes. En ce sens, on peut avancer qu’Internet a
commencé à jouer son rôle de communauté virtuelle, en faisant se
rencontrer les expériences humaines de certains malades
d’Alzheimer 50. Tournons-nous à présent du côté des médias, dont
l’importance dans cette problématique n’échappe à personne.
LA DYNAMIQUE MÉDIATIQUE
Une compréhension de la « vie » d’une question publique requiert
une analyse de sa couverture par les médias. Pour ce faire, on peut
procéder en premier lieu selon une approche quantitative qui
permet de répondre à la question : « Les médias en ont-ils parlé
ou en parlent-ils ? » Il est possible de constater à ce sujet, au fur et
à mesure que le savoir sur la maladie s’accroît, une forte augmen-
tation du nombre d’articles du journal Le Monde citant le mot
« maladie d’Alzheimer » 51, avec une concentration particulière-
ment élevée, chaque année autour du 21 septembre, journée
mondiale de la maladie. L’approche qualitative permet en second
lieu, de répondre à la question « comment les médias en parlent-
ils ? » en analysant « en quels termes » ces derniers procèdent à la
qualification des faits. Au cours du temps, une euphémisation des
images employées, parallèle à l’euphémisation des mots, est
notable, le terme de démence sénile n’étant aujourd’hui pratique-
ment plus cité. Les termes choisis il y a vingt ans, tels que « fan-
tômes » 52 ou « naufragés » de l’esprit », peuvent paraître choquants
à la lumière d’aujourd’hui. Progressivement, c’est l’appellation
médicale « maladie d’Alzheimer » qui sera utilisée, dans un proces-
sus de neutralisation par la dénomination scientifique. De manière
plus anecdotique, les titres d’articles jouent fréquemment sur le fait
que la maladie d’Alzheimer, qui constitue une maladie de la
mémoire, représente une « maladie oubliée » 53. Un indice sup-
47. Qui a témoigné de son vécuet de son expérience lors de la
dernière journée mondialeconsacrée à la problématique
du malade jeune, le 21septembre 2007 à la Cité des
Sciences et de l’Industrie.
48. Ce témoignage rejoint levécu d’autres patients jeunes
comme celui de ChristineBryden, diagnostiquée en 1995,
à l’âge de 46 ans, qui travailla,en Australie, au sein du cabinetdu premier ministre australien.
49. Dominique Argoud, 2001, « Maladie d’Alzheimer :
l’émergence de nouvellesapproches », Accompagner et
soigner, p. 33-42.
50. Parmi les communautésvirtuelles de personnes au stade
précoce de la maladie, on peutciter le DASN : Dementia
Advocacy and SupportNetwork, « une organisation
mondiale par ceux et pour ceuxqui ont été diagnostiqués
déments, travaillant ensemblepour améliorer notre
qualité de vie. »www.dasninternational.org.,
ou bien encore www.survivre-alzheimer.org, site créé par des
malades d’Alzheimer en Suisse.
51. Et une baisse parallèle duterme « démence sénile ». On
passe de 48 articles entre 1987et 1991, à 83 articles entre 1992
et 1996 et 208 articles entre1997 et 2001. Il est à noter que
l’augmentation se faitparticulièrement visible à partir
de 1995, année decommercialisation de la tacrine :
en moyenne on rencontrait 14 articles en 1993 et 1994,
alors qu’on en compte 25 dès1995. L’année 2001 a vu un pic
avec 61 articles citer le mot.
52. Le Monde, 1986, « Démencesénile : les portes du réconfort »,
12 février.
53. On peut citer commeexemples :
« N’oublions pas l’Alzheimer »L’Express, 2000, 21 septembre,
« La maladie d’Alzheimeroubliée » Le Figaro, 2000, 22
novembre, « Alzheimer : une journée contre
l’oubli » Libération, 2001, 21septembre,
« Alzheimer : victime d’un troude mémoire collectif » Le Figaro,
1999, 30 septembre.
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plémentaire de la banalisation du terme proprement dit réside
dans le fait qu’un nombre croissant d’articles ne porte absolument
pas sur l’affection proprement dite, mais citent néanmoins le mot
Alzheimer sur un tout autre sujet 54.
Reste que le « non-dit » autour de la maladie dans les médias tra-
verse beaucoup d’entretiens : c’est un sujet qui fait toujours peur
ou bien qui laisse indifférent et qui ne fait pas bouger les foules.
Ce fait serait à relier à la proposition selon laquelle les médias par-
lent généralement peu des vieux, contrairement à la jeunesse. A
l’image d’autres programmes transversaux 55, les associations aspi-
rent à cet égard à voir diffusée une émission de grande audience.
Il faudrait passer outre les représentations sociales généralisantes
selon lesquelles Alzheimer est une affection terrible, perçue uni-
quement dans sa dimension sombre :
« C’est rentré dans le vocabulaire du grand public, il y a encore beau-
coup à faire pour que le contenu du mot soit connu. Alzheimer c’est ter-
rible donc point barre. Il est évident que les progrès ne peuvent pas
venir dans le tabou enfoui, mais dans le progrès médical, le progrès
social, de la société, ça c’est clair. » (Responsable d’une association
de familles, région parisienne).
En ce sens, quelques émissions, comme « Ça se discute » 56, ont cer-
tainement eu un impact majeur, associé qui plus est à une forte
audience. La question subsiste toutefois : que montrer ? Les médias
évoquent peu, à titre d’illustration, les malades au stade précoce
ou bien les malades jeunes, qui pourraient toutefois ne pas res-
sembler à un Alzheimer aux yeux de l’opinion publique… C’est
sans doute l’une des raisons du lancement récent d’une campagne
de sensibilisation selon le principe de la fausse piste où figure une
jeune fille, rappelant que la maladie d’Alzheimer ne touche pas
seulement les gens âgés.
Pourtant cette affection est « entrée en littérature » 57, avec notam-
ment plusieurs écrits qui ont rencontré les attentes d’un certain
lectorat. Citons Martin Suter pour son aspect romanesque ou
Françoise Laborde pour sa dimension humoristique. Les ouvrages
écrits sont toutefois souvent jugés d’une « tristesse apocalyp-
tique », peu positifs, alors qu’ils auront un retentissement impor-
tant sur les familles. La représentation plus ou moins misérabiliste
des malades a été soulignée, les articles de presse ou les émissions
54. Libération ironisait ainsi, à l’occasion de la coupe dumonde de football en 2006,avec « l’Alzheimer du carton »,sur l’attitude de l’arbitre dumatch qui avait attribué troiscartons jaunes à un mêmejoueur avant de lui en octroyerfinalement un rouge. Libération,2006 « Le top 10 des dérapagesde sifflet », 29 juin.
55. Comme le Sidaction le Téléthon, etc.
56. Ça se discute, 2001, « Vivreavec la maladie d’Alzheimer »,octobre, France 2. Inviter desmalades fut néanmoins sujet àcontroverse, et a pu choquercertains téléspectateurs,comme en témoigne un courrierreçu au journal Le Monde, 2001,« Haro sur Delarue », 28 octobre.
57. Jean-Marc Talpin & OdileTalpin-Jarrige, 2005, « L’entréeen littérature de la démence detype Alzheimer », Gérontologieet Société, n° 114, septembre,p. 59-73.
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de télévision traitant de la maladie relèvant d’un répertoire plutôt
limité. Jugés redondants, ils font état des innombrables, difficiles et
coûteux problèmes engendrés par la dépendance dont la maladie
d’Alzheimer est responsable. Dans ce même ordre d’idées, les
médias se font le relais de plusieurs faits divers qui ont défrayé la
chronique, renforçant le caractère dramatique voire glauque de
l’affection dans le grand public. En matière de cinéma, de plus en
plus de films et de téléfilms ou de séries télévisées prennent cette
pathologie pour thème principal ou secondaire. Nombreux sont
ceux qui s’élèvent à cet égard pour pointer du doigt que si dans
l’esprit de la plupart des gens la maladie d’Alzheimer touche les
vieux, paradoxalement, le film Se Souvenir des Belles Choses 58 met-
tait en scène un personnage, interprété par la comédienne Isabelle
Carré, atteint par l’affection dans la trentaine. En cela nous sommes
encore loin du film Iris 59, qui relatait la vie d’Iris Murdoch, univer-
sitaire anglaise, et de son mari John Bailey, un couple visiblement
âgé. Loin aussi du ton de films tels que La mémoire du tueur 60,
Le Fils de la mariée 61, ou Loin d’elle 62, respectivement flamand,
argentin et canadien. Le film français sur la maladie d’Alzheimer
reste donc à réaliser à l’image du 8e Jour qui avait transformé
l’image de la trisomie. C’est cette montée en généralité du pro-
blème de la maladie d’Alzheimer, relative, mais bien réelle que ce
soit au niveau scientifique, associatif ou médiatique, qui a induit
une implication politique devenue de plus en plus dense.
UNE DENSIFICATION PROGRESSIVE DE L’ACTION POLITIQUE
Les nouveaux défis que sont les maladies chroniques amènent à
repenser l’intervention des pouvoirs publics, ces derniers interve-
nant aujourd’hui au niveau de l’impulsion donnée aux politiques
de recherche scientifique et médicale, de l’organisation de la prise
en charge des malades et des réformes de la protection sociale. La
maladie d’Alzheimer a d’ailleurs été replacée à l’été 2007 au cœur
d’une controverse autour d’une réorganisation de la protection
sociale française et de son financement, en l’occurrence par des
franchises médicales tandis qu’il semble que l’opinion publique ait
évolué en faveur d’une prise en charge collective de la dépen-
dance, par la solidarité nationale 63. L’analyse du processus de la
carrière publique de cet enjeu met en évidence que les détériora-
tions psychiques des personnes âgées ont été à plusieurs reprises
58. Film de Zabou Breitman,2002.
59. Film de Richard Eyre,2001.
60. Film flamand, 2003, qui aobtenu le prix de la critique
internationale au 22èmefestival du film policier
de Cognac en 2004.
61. Film argentin, 2004, de Juan José Campanella.
62. Loin d’elle, 2006, de Sarah Polley.
63. Weber A., Dépendancedes personnes âgées et
handicap : les opinions desFrançais entre 2000 et 2005,DREES, Etudes et résultats,
n° 491, mai 2006
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redéfinies par les politiques publiques, et ce en interaction avec la
transformation des prises en charge publiques et des systèmes de
protection sociale 64. L’analyse a permis de retracer une évolution
en trois grandes étapes, périodisation essentiellement heuristique,
les frontières n’étant pas aussi clairement définies.
Tout d’abord avant les années quatre-vingt, le problème est géné-
ralement défini comme « invalidité », c’est le secteur psychiatrique
qui le prend en charge dans les faits au sein des hospices et
des hôpitaux psychiatriques. Au cours de la période suivante, on
assiste à la montée progressive du paradigme gériatrique et de
son corollaire : la dépendance des personnes âgées et notamment
la « dépendance psychique ». Cette procédure d’étiquetage a joué
un rôle pivot dans le cas français. Se produit dès lors une indexa-
tion systématique à cette notion, qui revient à placer au centre du
dispositif de prise en charge les gériatres qui étaient, au départ à
la marge du monde médical. Emblématiquement à cet égard, une
fameuse femme médiatique a joué ce rôle, le professeur Françoise
Forette renforcée par l’action de certains médecins hospitaliers
« grandes gueules » 65 en lien avec une partie de l’administration
(DAS, DGS). Depuis 1999-2000, en revanche, on assisterait à une
forme de « désindexation », de dissociation de la maladie d’Alzhei-
mer vis-à-vis de la dépendance. Jusque-là l’État organisait le plus
souvent la prise en charge de la maladie d’Alzheimer dans un
cadre commun avec les autres problèmes d’incapacité et de
dépendance des personnes âgées. En général, les groupes de
familles, ainsi que des professionnels spécialisés revendiquent une
prise en charge spécifique qui leur assurerait une reconnaissance
particulière de la société. Il faudrait toutefois, souligne Colvez 66,
définir le degré de spécificité de la maladie par rapport aux autres
états chroniques liés à l’âge. Selon ce dernier, c’est l’ensemble des
processus de prise en charge de toutes les maladies chroniques qui
sont largement inadaptés. En effet, dans leur visée de prise en
charge de l’incapacité, les politiques publiques françaises ont mis
en œuvre des traitements différenciés en fonction d’une vision des
causes de l’incapacité : d’une part une vulnérabilité inhérente au
vieillissement dans le champ de la dépendance ; d’autre part une
vulnérabilité structurelle dans le champ du handicap. Relevons
qu’une concrétisation de la remise en cause de cette partition s’est
traduite dans la promulgation récente de la loi « pour l’égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées », dans laquelle on est passé d’une approche de l’in-
64. Nous avons inscrit notrerecherche dans la lignée de travaux tels que ceuxd’Anne-Marie Guillemard qui a proposé une analysecompréhensive de laformation des politiques de la vieillesse et des rapportsinteractifs qu’ellesentretiennent avec lesdéfinitions sociales de l’âge etdu cycle de vie. Anne-MarieGuillemard, 1986, Le Déclindu social, Paris, PUF, coll.Sociologies, 397 p.
65. Entretien avec Jean-Claude Henrard, dansThomas Frinault, « La dépendance ou laconsécration française d’uneapproche ségrégative duhandicap », Politix, Vol. 18, n° 72, p. 22.
66. Colvez A., 2002, « Maladie d’Alzheimer et santépublique : craintes, espoirs etréalisme », dans, Alain Colvez,Marie-Eve Joël & DanièleMischlich, La maladied’Alzheimer. Quelle placepour les aidants ? Expériencesinnovantes et perspectives en Europe, Paris, Masson, p. 23-34.
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capacité par ses causes à une appréhension de ses effets en situa-
tion, quel que soit l’âge de la personne. Avec cette dernière, il
s’agissait d’une logique visant à sortir d’un traitement des situa-
tions de handicap différencié en fonction de l’origine du handi-
cap. Or la qualification de l’incapacité en fonction de ses causes est
également au cœur de l’affection de la maladie d’Alzheimer. Ici,
pour les associations de familles de malades, il s’agissait de rétablir
et de promouvoir une approche par les causes. Elles défendent la
vision d’une incapacité ayant pour origine une authentique mala-
die, contre une perception dominante qui tend à dissoudre ses
effets dans ceux d’un vieillissement naturel. Là où l’action institu-
tionnelle et gériatrique a imposé une perception de la maladie
d’Alzheimer comme une forme paroxystique de la dépendance,
les associations ont lutté pour imposer une requalification de cette
affection qui n’en fasse pas une simple « maladie de vieux ».
L’enjeu pour elles est de réaffirmer qu’il s’agit d’une authentique
maladie, d’une véritable pathologie, la preuve en étant qu’elle
touche aussi des jeunes, des moins de 60 ans.
La maladie d’Alzheimer, élargie des « maladies apparentées », est
donc progressivement devenue l’objet d’actions publiques spéci-
fiques, avec la mise en œuvre de trois plans d’action en six ans 67.
Après la proposition de loi Vasselle et le rapport Jacquat en 1999,
c’est en 2000 que se produit l’accession de la maladie d’Alzheimer
au registre du politique, avec la publication du rapport Girard 68,
l’Etat commençant à se préoccuper de manière spécifique de la
prise en charge des personnes atteintes par cette affection et de
leur entourage. Sur la base de nombreuses consultations, le rap-
port du conseiller d’état Girard, sorte d’état des lieux, a marqué
un premier jalon de l’intervention publique. C’est toutefois une
formule qui a retenu l’essentiel de l’attention des médias et des
professionnels puisqu’en conclusion du rapport, il était question
de « médicaliser le diagnostic de la maladie d’Alzheimer et de démé-
dicaliser sa prise en charge ». Sans doute sa conclusion a-t-elle été
l’une des rares occasions de « controverse » 69 dans le domaine
de la maladie d’Alzheimer et de « bousculer le Landerneau » (un
gériatre de la région parisienne). Ce sont les professionnels de la
gériatrie qui ont exprimé avec le plus de véhémence leur opposi-
tion face à une phrase qui représentait une menace identitaire
pour cette médecine spécialisée toujours en quête de reconnais-
sance médicale et sociale. Entre temps, l’arrivée de Paulette
Guinchard-Kunstler au secrétariat d’Etat aux personnes âgées,
67. Depuis celui de BernardKouchner en 2001 au plan
présidentiel de NicolasSarkozy de 2007, en passantpar celui de Philippe Douste-
Blazy en 2004.
68. Jean-François Girard,ancien Directeur Général de la
Santé, Conseiller d’Etat,missionné par Martine Aubry,
ministre de l’Emploi et de laSolidarité en janvier 2000.
69. Controverse au sens deSébastien Dalgalarrondo & Phillipe Urfalino, 2000,
« Choix tragique, controverseet décision publique : le cas
du tirage au sort des maladesdu VIH », Revue Française de
Sociologie, n° 1, Janvier-Mars, p. 119-157.
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réputée sensible aux enjeux gériatriques a marqué un signe visible
de l’engagement des pouvoirs publics à l’égard de la maladie
d’Alzheimer, notamment à travers son rapport, Vieillir en France
(1999). Les assises Nationales de la maladie d’Alzheimer se sont
ensuite tenues à l’Assemblée Nationale en l’an 2000. Le Plan
Kouchner sur la maladie d’Alzheimer, en 2001 a mis en forme les
principaux besoins mais est considéré par beaucoup comme
n’ayant jamais été réellement appliqué. Le plan Douste Blazy de
l’automne 2004 (Plan Alzheimer 2004-2007) a notamment souscrit
à une revendication historique du monde associatif en faisant figu-
rer la maladie d’Alzheimer dans la liste des affections de longue
durée (ALD). Au niveau parlementaire, le rapport de la député
Cécile Gallez 70 en 2005 mettait l’accent notamment sur l’encoura-
gement au développement de la recherche. En 2007, Nicolas
Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle puis Président de la
République, en faisait l’un de ses trois grands chantiers, aux côtés
de la lutte contre le cancer et du développement des soins pallia-
tifs. On constate donc une réactivation récente de l’enjeu, une «
fenêtre politique » qui a eu le mérite de faire resurgir la maladie
d’Alzheimer dans le débat public au plus haut niveau.
Plusieurs dynamiques interreliées ont donc convergé à nous faire
pénétrer dans ce que l’on pourrait appeler la « montée en généra-
lité » de la maladie d’Alzheimer dans la sphère médicale et scienti-
fique la plus légitime. L’émergence de la maladie d’Alzheimer
comme nouveau problème de santé publique s’inscrit tout
d’abord dans le contexte de plusieurs transformations sociales. Le
rôle moteur des États-Unis, la médicalisation des phénomènes
sociaux, la progression des maladies chroniques et l’alzheimérisa-
tion de la grande vieillesse sont quelques uns des éléments d’ar-
rière-plan qui ont contribué à modeler les représentations et l’ex-
périence des troubles psychiques des personnes âgées. Sans doute
également nos sociétés sont-elles devenues plus exigeantes à
l’égard du fonctionnement cérébral et cognitif des personnes,
âgées ou pas, et en ce sens l’émergence de la maladie d’Alzheimer
s’inscrit dans un contexte général du bien vieillir et en particulier
de la « quête d’un cerveau idéal », renvoyant à la montée de la
dimension individuelle de la santé.
70. Cécile Gallez, 2005, la maladie d’Alzheimer et les maladier apparentées,OPEPS (Office Parlementaired’Evaluation des Politiques deSanté), 256 p.
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Sur le plan du registre politique, les associations de familles de
malades ont sans nul doute réalisé un vrai travail préparatoire, de
militantisme et de dénonciation, afin qu’il soit porté intérêt à cette
question. Sans compter le désir manifesté progressivement et
intensément de la part des malades eux-mêmes de s’exprimer de
leur propre arbitre. Il convient de rappeler que ces associations se
meuvent dans un contexte de représentations sociales sombres de
la maladie d’Alzheimer 71 et de « compétition » accrue entre mala-
dies chroniques. Les médias représentent quant à eux des caisses
de résonance dont l’intérêt est bien souvent aiguillonné par les
controverses et les conflits qui émergent à propos de risques ou de
problèmes sanitaires. L’opinion publique n’a pas joué ici de rôle
sur la scène de la maladie d’Alzheimer, du moins semble-t-il
jusqu’aux controverses récentes, d’abord autour de la « petite
phrase » de Jean-François Girard, ensuite autour des franchises
médicales à l’été 2007. En effet, un autre enseignement est d’avoir
montré la faiblesse des questionnements et des controverses
publics sur ce sujet. En définitive, la maladie d’Alzheimer a sans
doute, au cours de son histoire encore inachevée, davantage fait
l’objet de controverses scientifiques que politiques. Comme nous
l’avons mis en évidence, les déplacements successifs des termes du
débat, par exemple depuis les grabataires, invalides et séniles vers
la catégorie des dépendants psychiques puis vers les « malades
d’Alzheimer et apparentés » d’une part et le passage de la gestion
réglementaire de la question à une prise en compte par les pou-
voirs politiques au plus haut point sont le signe d’une autonomi-
sation progressive, au niveau de l’action publique, de la question
de l’Alzheimer et en cela de sa sortie de l’oubli.
■
71. Ngatcha-Ribert L., 2004, « Maladie d’Alzheimer
et société: une analyse desreprésentations sociales »,
Psychologie et Neuro-psychiatrie du vieillissement,Vol. 2, n° 1, mars, p. 49-66.
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