Le Grand Saint Du Grand Siecle Monsieur Vincent, vol 2 Index
L'évolution des prérogatives juridictionnelles de l'intendant de la Marine de Brest à travers les...
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Université de Rennes 1 Faculté de Droit et de Science Politique Centre d’Histoire du droit
L’évolution des prérogatives juridictionnelles de l’intendant de la Marine de Brest à travers les conflits de juridictions de 1780 à
1791
« La Penfeld et le magasin général », in BOULAIRE Alain, LE BIHAN René, Brest des Ozanne, Ouest-France, 1992, p. 63.
Mémoire de Master II, spécialité Histoire du Droit (2011/2012)
Présenté et soutenu le 28 juin 2012 par David BODENNEC
Jury : Directeur de recherche : Monsieur Alain BERBOUCHE
Maître de Conférences à l’Université de Rennes 1 Suffragant : Monsieur Franck BOUSCAU Professeur à l’Université de Rennes 1
Remerciements Nous remercions, tout d’abord, Monsieur le professeur Alain BERBOUCHE, qui a su nous guider tout au long de nos recherches et nous proposa le mémoire qui suit ainsi que Monsieur le professeur Franck BOUSCAU, qui a accepté de former le jury auquel nous avons soumis ce mémoire. Nos remerciements vont aussi vers les équipes des différents services d’archives, à savoir les Archives Communautaires de Brest, les Archives Départementales du Finistère, les Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine, les Archives Départementales du Loiret ainsi que le Service Historique de la Défense de Brest. Un profond remerciement est adressé à l’ensemble de l’équipe de la salle de lecture du Service Historique de la Défense, qui sut, par sa patience et ses recherches, nous aider lors de nos investigations. Enfin, nous remercions notre famille, nos amis, ainsi que tous nos camarades du Master II d’Histoire du Droit.
Indication L’orthographe d’origine des citations a été conservée tout au long du texte. Abréviations AN : Archives Nationales. Arch. Com. Brest : Archives Communautaires de Brest. Arch. Dép. Finistère : Archives Départementales du Finistère. Arch. Dép. Ille-et-Vilaine : Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine. AM Brest : Archives de la Marine du Services Historique de la Défense de Brest.
« Très bien paré pour tous les lieux du monde ; reculé d’ailleurs dans un coin de terre
où il ne peut être utile au commerce, auquel il n’est pas propre, à cause de la difficulté des
voitures de terre et de l’éloignement de tous les lieux qui pourraient y convenir […] plus on
examine cette situation et plus on trouvera que le dessein de la nature a été d’en faire un port
militaire, mais des plus excellents1 ».
Vauban, à propos de Brest.
1 NIERES Claude, Les Villes de Bretagne au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2004, p. 452.
Sommaire
Introduction .............................................................................................................................. 1
Partie I : L’intendant, principale autorité judiciaire du port de Brest............................. 10 CHAPITRE I : LA JUSTICE DE L’INTENDANT AU SEIN DU PORT DE BREST...................................................... 10
Section I : Etude de la procédure et du procès devant le Tribunal prévôtal de l’intendant ..................... 10 Section II : Une justice humaniste............................................................................................................. 28
CHAPITRE II : LA SOUMISSION DES AUTORITES CIVILES DU PORT DE BREST A L’INTENDANT..................... 41
Section I : La mise en place d’un plan de police militaire ........................................................................ 41 Section II : Le déclin progressif de l’Amirauté du Léon........................................................................... 57
Partie II : L’intendant, une autorité concurrencée............................................................. 76
CHAPITRE I : UN INTENDANT SOUS TUTELLE ? SUBORDINATION ET RESISTANCE DANS LE PORT DE BREST76
Section I : L’omniprésence des Services centraux .................................................................................... 77 Section II : Un intendant en résistance ..................................................................................................... 87
CHAPITRE II : L’INTENDANT, UNE INSTITUTION EN DANGER ? LA PRESSION DES MAGISTRATS DES VILLES DE BRETAGNE ET DE LA SOCIETE CIVILE...................................................................................................... 106
Section I : L’affermissement des autorités judiciaires civiles ................................................................. 106 Section II : L’influence de la « société civile »........................................................................................ 124
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Introduction
« L’autorité est le premier bien des sociétés politiques. Il faut que l’arbitre responsable
du Pouvoir prenne au sérieux son métier de souverain et fasse, à tout instant, sentir la main du
chef. « Rois, gouvernez hardiment ! » commande Bossuet, plein de considération pour les
Princes et surtout pour les peuples2 . »
Brest, petite cité forteresse de Bretagne, ne connut son extension que par la place
stratégique qu’elle occupait. Même si Brouage3 lui fut préférée dans un premier temps, devant
son enlisement chronique, Colbert prit la décision, le mardi 17 juillet 1668, de faire de Brest
le premier port de guerre de l’Atlantique4. Sous le « siècle des intendants 5», elle connut de
nombreux changements et évolutions au gré des périodes de guerre ou de paix6. Cette ville,
décriée pour les « miasmes »7 et les différentes maladies8, ne mérite pas un tel acharnement.
Choisie pour l’établissement d’un port de guerre, elle ne put, contrairement à Saint-Malo,
assurer le développement de son commerce. Sa seule fortune demeurait l’arrivée massive des
soldats, qui dépensaient leurs soldes dans les différents cabarets de la ville. Emile Souvestre,
avocat et écrivain du XIXe siècle, décrivait ainsi la ville de Brest comme un « lupanar le jour
et [un] coupe-gorge la nuit9 ».
Même si cette situation est sûrement exagérée, la vie que menaient les soldats ne
pouvait qu’aboutir à des excès lors de leurs retours au port. « Nos matelots, - écrit l’auteur
d’un mémoire anonyme, -arrivent dans nos ports, excédés de fatigue et de lassitude. Ils ne
savent où aller ni où se mettre ; ils remplissent les cabarets, ils s’y noient dans le vin et restent
couchés plusieurs nuits entières dans les rues de Brest, et finissent par être malades ou hors
d’état de servir. Arrivés de croisière, même inconvénients. Ils dépensent tout ce qu’ils ont
gagné avant d’être rendus chez eux10 ». Personne ne peut le leur reprocher, car ces derniers
2 HAVARD Oscar, Histoire de la Révolution dans les ports de guerre, 1911, p. 8. 3 Brouage est une commune française située dans le département des Charente Maritime, au Sud de La Rochelle. 4 NIERES C., op. cit., p. 443-456. 5 Qui qualifie la période allant de 1689 à 1789. Ibidem, p. 9 6 Ces dernières n’étant jamais bénéfiques, car l’économie de Brest se basait uniquement sur l’afflux des gens de mer et leurs soldes. 7 Voir, pour exemple, AM Brest, 1 E 206, f° 749. « J’ai reçu, Monsieur, par votre lettre du 8 de ce mois, par laquelle vous me rendez compte de la maladie de M[onsieur] DeLaporte. Il est hors de doute que cet Intendant ne doit pas hésiter à s’éloigner du Port et des affaires pendant tout le tems qui sera nécessaire à son rétablissement ; non seulement je l’approuve, mais je luy donnerois même l’ordre s’il en étoit besoin ». 8 Comme pour l’épidémie la frappant suite à l’arrivée de l’escadre de Monsieur du Bois de la Motte, le 24 novembre 1757, chargée de trois à quatre mille malades. DUPUY Antoine, « La Bretagne au XVIIIe siècle », in Bulletin de la Société académique de Brest, imprimerie société l’Océan, deuxième série, Tome 11, 1886, p. 119-194. 9 HAVARD O., op. cit., p. 14. 10 Ibidem, p. 19.
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donnaient leur sang pour des frères inconnus11. Or, même si l’on pouvait leur pardonner
certains écarts, tout ne pouvait pas être oublié, même par le plus conciliant des intendants.
C’est pourquoi la nécessité d’une justice destinée aux gens de mer apparut indispensable.
Mais de quelle justice est-il ici question ? En effet, au sein du port de Brest, pas moins
de sept juridictions se partageaient les prérogatives juridiques, dans un Pays d’États insoumis.
La spécificité bretonne, constituée par la résistance chronique du Parlement et des États face à
la Royauté12, met dans une situation tout à fait unique ce commissaire du pouvoir central. En
tant que tel, il se doit de défendre ses prérogatives dans une ville rebelle. Ainsi, devant le
regroupement massif d’hommes de tous horizons, plus ou moins coquins, entrainant une
hausse de la criminalité, et les multiples évasions de bagnards, il parait être le seul homme
pouvant maîtriser cette incroyable force vive. Prenant progressivement la tête de la ville, avec
l’aide des commandants13, au détriment de la Municipalité de ville et de l’Amirauté, il réussit,
en obtenant la confiance du Secrétaire d’État de la Marine, le Maréchal de Castries14, à
concentrer les pouvoirs en ses mains. Mais cette concentration ne se fit pas sans conflits,
chacune des institutions judiciaires voulant conserver jalousement ses prérogatives.
Le port de Brest15 n’était pas une ville ordinaire. En effet, en tant que ville maritime et
port de guerre, plusieurs institutions se disputaient l’exercice de la justice. L’évocation
succincte de chacune parait essentielle pour comprendre la situation de ce port en cette fin de
XVIIIe siècle, ainsi que d’informer le lecteur sur les fonds présentant des traces de chacune
d’elle. L’ordonnancement choisi n’est ici qu’alphabétique et ne représente en rien
l’importance d’une justice par rapport à une autre.
11 Ibidem, p. 14-15. « Qu’est-ce que le soldat ? C’est le serviteur de l’intérêt général. Le soldat ne s’appartient pas plus que le prêtre. Ni les sympathies privées, ni les intérêts personnels n’ont le droit d’exercer leurs contraintes sur cet esclave du devoir, comptable de chacun de ses jours et de chacun de ses gestes à la nation qu’il sert et au supérieur qui le commande. A toute heure du jour et de la nuit, un ordre ne peut-il pas l’enlever à ses affections, à ses affaires, à ses plaisirs, et l’obliger à verser son sang –tout son sang !- pour des frères inconnus, dans un combat sans profit et dans une embuscade sans gloire ? ». Voir aussi BERBOUCHE Alain, Marine et Justice, Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2010, p. 51-70. 12 Voir sur ce sujet, Henry FRÉVILLE, L’intendance de Bretagne (1689-1790), PLIHON, Rennes, 1953. Cette résistance fut plus intense sous les intendances de Case de la Bove et Bertrand de Molleville, et connut son paroxysme sous ce dernier à partir de 1788 (voir sur ce sujet le tome III, p. 130-293). 13 Effectivement, il doit constamment composer avec le commandant de la Marine, le Comte d’Hector, et le commandant du Château, le Comte de Langeron, afin d’imposer ses vues. Mais il existait une réelle concorde entre les autorités militaires à cette époque. 14 CASTRIES, Charles-Eugène-Gabriel (1727-1801). Secrétaire d’État de la Marine de 1780 à 1787. Grand réformateur de la marine, son action se divisa en deux étapes : gagner la guerre ; moderniser la flotte. Il est nommé le 13 octobre 1780, grâce au soutien du clan Necker. Suite à son ambitieuse réforme judiciaire (1786), il dut démissionner un an plus tard, Calonne faisant porter la responsabilité du déficit de la France à la Marine devant l’Assemblée des Notables. A la Révolution, il fut parmi les premiers émigrés chez les Necker, au château de Coppet. VERGE-FRANCESCHI Michel, Dictionnaire d’histoire maritime, Robert LAFFONT, Paris, 2002, p. 313-314. 15 Tout au long de ce mémoire, la notion de « port de Brest » recouvre tant le port à proprement parler que la ville de Brest intra muros.
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Il existait tout d’abord un siège d’Amirauté. Ce dernier était composé d’un lieutenant
général, d’un lieutenant particulier, de deux conseillers et de multiples autres offices16. Elle
était compétente, en vertu de l’Ordonnance de la Marine du Mois d’Août 1681, pour tout ce
qui concernait la marine marchande (tels les prélèvements des différents droits, comme celui
d’armer son navire17), les bris et épaves18, les prises effectuées lors des guerres19 et la police
des quais20. Le peu d’archives ayant échappé au bombardement de la ville de Brest, le 2 juillet
1941, durant la Seconde Guerre Mondiale ne permet pas d’étudier, de manière complète,
l’influence de cette justice. Seules les Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine contiennent
quelques appels des décisions du siège de Brest. Néanmoins, ceci ne fut pas d’une grande aide,
le dernier d’entre eux intervenant en 175621. Cette justice ne put donc être étudiée qu’à travers
la correspondance de l’intendant.
Ensuite, une justice seigneuriale, celle du Châtel, était compétente sur une partie de la
ville de Brest et de Recouvrance. Cette dernière ne sera pas évoquée, au sein de cette étude,
car dès les années 1750, elle était en conflit avec l’Amirauté, et disparut en 178622.
De plus, Les commandants de la Marine et du Château disposaient, eux-aussi, de
prérogatives juridiques sur les bataillons présents sous leurs ordres. Cela se matérialisait
essentiellement par des sanctions disciplinaires et l’instauration de Conseils de guerre.
Concernant le commandant de la Marine, il demeurait compétent pour les crimes et délits,
autres que les vols, commis par quelque personne que ce soit au sein de l’arsenal. La Série A
du Service Historique de la Défense de Brest regroupe l’ensemble de ses correspondances
avec le ministre de la Marine. Malheureusement, il n’a pas été possible, au sein de ce
mémoire, d’étudier ce fonds afin de déterminer son influence sur la justice de l’Intendance,
16 En plus des personnes précitées, il y avait aussi un procureur, un avocat du Roi, un greffier, trois interprètes, deux huissiers et deux sergents. DARSEL Joachim, « L’amirauté du Léon (1681-1792) », in Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Tome CIII, 1975, p. 131. 17 Ibidem, p. 145-146. 18 Article III. Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de cette ordonnance, ces officiers « connoîtront aussi des prises faites en mer, des bris, des naufrages & échouements, du jet & de la contribution, des avaries, & dommages-arrivés aux vaisseaux & aux marchandises pour leur chargement ; ensemble des inventaires & délivrance des effets délaissés dans les vaisseaux par ceux qui meurent en mer ». 19 Article 1 de l’Ordonnance portant attribution aux intendants et ordonnateurs de la Marine, des ventes et autres opérations relatives aux prises faites par les vaiss[eaux] de l’État du 4 août 1781 : « Les procéd[ures] pour les prises faites par les vaiss[eaux] de S.M. continueront comme ci-devant, d’être instruite par les amirautés, jusqu’au jugem[ent] du cons[eil] des prises inclusivement ». 20 Article VII. Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août 1681 : « Connoîtront encore des dommages faits aux quais, digues, jetées, palissades & autres ouvrages faits contre la violence de la mer, & veilleront à ce que les ports et rades soient conservés dans leur profondeur et leur netteté ». 21 Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, 1 BM 257. Il s’agit d’un appel du siège d’Amirauté de Brest, vers août 1756, concernant René QUEFFURUS, soupçonné du pillage de l’Espérance, de Hambourg, naufragé le 6 décembre 1754. 22 DARSEL J., op. cit., p. 142.
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les nombreux registres contenant des courriers nécessitant, à eux seuls, une étude complète.
Cette justice ne sera donc vue, elle aussi, qu’à travers les courriers de la Série E. Concernant
le commandant du Château, le Comte de Langeron, ses correspondances sont conservées aux
Archives Communautaires de Brest 23 , au sein de la Série 2S. Cette dernière regroupe
l’ensemble des correspondances concernant le Comte de Langeron. Mais seul le fonds
d’archives 2 S 29 concerne la justice et demeure intéressant pour cette étude. Il constitue de
précieux renseignements pour les relations qu’il entretenait avec les autres institutions du port.
Enfin, la Communauté de ville et la Sénéchaussée peuvent être regroupées ensemble.
En effet, ces deux autorités étaient composées des mêmes membres24. Les distinguer, au sein
des archives, est donc presqu’impossible. La Communauté de ville avait pouvoir sur tout ce
qui concerne la police des marchés, des grains et des métiers. Elle entendait même régenter
toute la police de la ville, dont celle des quais, ce qui la fit rentrer en conflit avec l’Amirauté
et l’Intendance. Les archives la concernant se trouvent majoritairement au sein des Archives
Communautaires de Brest et aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine. La
Sénéchaussée, dont les fonds se situent aux Archives Départementales du Finistère, n’a pas
été étudiée.
Voici les principales justices pouvant entrer en conflit avec l’intendant. Ce dernier, en
effet, disposait d’un Tribunal prévôtal, lui permettant de juger les affaires relevant de sa
compétence. Mais qui était cet homme, essentiel au port militaire de Brest ?
Il existait, en France, trois intendants de la Marine, ayant chacun, sous son autorité une
partie des côtes françaises. Ils siégeaient au sein des villes de Brest, Toulon et Rochefort25.
Toutes les autres personnes ayant reçu ce titre ne le possédaient que par l’octroi d’une
gratification du Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies ou du Roi, et ne pouvaient pas
prétendre exercer les prérogatives propres à l’intendant : ils restaient des commissaires
généraux, ou ordonnateurs, ayant simplement été récompensés26. Au sein du port de Brest,
durant la période nous intéressant, trois intendants de la Marine se succédèrent. Le premier,
Monsieur Arnaud De La Porte27, entra en fonction en 1766 et la quitta en 1781. Lui succéda
23 Il s’agit des archives de la ville de Brest, conservées dans l’antenne des Archives Départementales du Finistère de Brest. 24 Voir infra, p. 41. 25 BERBOUCHE A., op. cit., p. 41-51. 26 AM Brest, 1 E 227, f° 489. Monsieur Mistral, en témoignage de la satisfaction de Sa Majesté, reçut une commission l’ayant établi « intendant des Ports de Normandie ». Mais « c’est une inadvertance qui ne doit pas prévaloir, sur ce qui est établi par l’ordonnance, qui n’admet d’intendants en activité que dans les trois grands ports ; Dès lors M[onsieu]r Mistral n’est pas fondé à élever des Prétentions qui seroient absolument contraire à cette disposition. Je vous prie de lui envoyer copie de ma lettre pour qu’il ait a s’y conformer. » 27 LA PORTE, Arnaud de. Homme d’État français, né à Versailles en 14 octobre 1737 et guillotiné à Paris, le 28 août 1792. Intendant de la Marine de Brest, il se retira pour cause de santé (voir pour exemple 1 E 206, f° 719 (20 septembre 1782) : « les douleurs étoient moins vives, mais que la fievre et l’insomnie subsistoient toujours »). Il fit carrière dans la fonction administrative, et lorsque la Révolution éclata, il remplissait les fonctions d’intendant de la Marine à Toulon. Quoique timide et modéré, il se déclara ouvertement contre les
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alors Monsieur Frédéric Joseph Guillot28 jusqu’en 1785. Puis il fut remplacé par Monsieur
Jean Claude Redon De Beaupréau29, jusqu’en 1792.
Ces derniers étaient compétents, en vertu de l’Article 101 de l’Ordonnance du Roy
Concernant la Régie & Administration Générale & particulière des Ports & Arsenaux de
Marine du 27 Septembre 1776 pour « les crimes et délits commis dans les Magasins, Bureaux
des Commissaires & Contrôleurs, dans les Hôpitaux, Bagnes & Salles de force, ainsi que tous
les vols commis, soit dans les Magasins, Bureaux, hôpitaux & Bagnes, soit en général dans
l’enceinte de l’Arsenal ». Normalement, leurs pouvoirs ne pouvaient s’étendre au-delà de ces
bâtiments. Pourtant, grâce à l’assimilation de la Prévôté30, au XVIIIe siècle, l’intendant étendit
ses possibilités d’investigations à toute la Basse-Bretagne, voire à l’ensemble de la partie
Nord du Royaume de France. Est-ce une attitude s’exprimant dans les autres ports militaires
de France ou n’est-ce qu’une spécificité de Brest ? L’étude des différents ouvrages parus sur
les autres ports ne permet pas de donner une réponse à cette question. Néanmoins, il ne faut
pas oublier que la personnalité des protagonistes compte tout autant que les lois, surtout en
Bretagne31.
Ces trois personnes eurent une influence certaine sur la gestion du port de Brest. En
effet, même si la fonction elle-même leur accordait une certaine importance, la façon dont ils
prirent en main le port fut déterminante pour le maintien de l’ordre, dans une ville où les
autorités civiles ne semblaient se déchirer que pour des prééminences désuètes 32 ou
abandonnaient purement et simplement leurs prérogatives judiciaires.
Lors de l’étude des différents courriers de l’intendant, il semble évident que la mise en
place de la police militaire, garante d’une sécurité publique, et la gestion des différents
conflits en résultant furent des points clefs concernant la bonne organisation du premier port nouveaux principes. Louis XVI le nomma, en 1790, intendant de la liste civile. Il devint alors un des conseillers intimes de la reine, qui lui confia les missions les plus secrètes. Voir HOEFFER, Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Paris, tome 40, 1862. 28 GUILLOT, Frédéric-Joseph. Né à Versailles le 17 juin 1736, mort le 31 mai 1813. Commissaire général de Saint-Malo (1779) et ordonnateur à Bordeaux (1781). Intendant de la marine à Brest (1781-1785), il reprit du service comme commissaire-général à Saint-Malo (1789) et ordonnateur civil à Cayenne (1792). Rappelé de France, il fut fait prisonnier par les Anglais (1793). VERGE-FRANCESCHI Michel, op.cit., p. 711. 29 REDON DE BEAUPRÉAU, Jean Claude. Né en 1737, il était commissaire général à Rochefort, lorsqu’il fut nommé intendant à Brest, où il en exerça les fonctions jusqu’au 23 octobre 1792. Maintenu comme ordonnateur par l’organisation de ce jour, il fut destitué par arrêté du comité du salut public du 23 août 1793. Incarcéré, il ne recouvra la liberté qu’après le 9 thermidor, et fut nommé agent maritime par arrêté des représentants du peuple. Il mourut à Paris le 5 février 1815. LEVOT Prosper, Histoire de la ville et du port de Brest, Le Port depuis 1681, Le Portulan, 1972, p. 199. 30 BERBOUCHE A., op. cit., p. 73-79. 31 HAVARD O., op. cit., p. 19-20. « Cette bienveillance et cette sollicitude attendrissent et subjuguent les marins, attachés presque tous par les liens d’une vassalité plusieurs fois séculaires aux officiers qui les commandent. Enfants des mêmes paroisses, bercés de bonne heure par les mêmes vagues, les mêmes sônes et les mêmes légendes, les matelots bretons obéissent sans effort à des supérieurs qui, pour faire triompher l’ordre, comptent moins sur la rigueur des lois que sur l’empire du cœur ». 32 Voir par exemple, Arch. Com. Brest, 2 S 30, f° 5. Il se trouve, au sein de ce fonds, un mémoire concernant les droits de prééminence lors des cérémonies officielles.
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militaire de France. Ils supplantèrent, sous le couvert des Services centraux, d’une manière
efficace la défaillance de ces dernières et n’hésitèrent pas, quelquefois, à prendre des
décisions, dont seules les conséquences furent transmises au ministre, sans que celui-ci ne le
désapprouvât. Brest avait trouvé à sa tête une autorité capable de braver tous les imprévus, de
relever tous les défis.
Toutefois, aucun intendant n’oublia sa place au sein de la hiérarchie maritime. Simple
officier de Marine, commis par le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, il ne
protestait pas lorsque ce dernier, sous le sceau du Roi, reprenait la justice déléguée, pour
s’occuper lui-même du jugement de l’affaire, ou lorsqu’il intervenait, à n’importe quel
moment, sur les procédures en cours devant le Tribunal prévôtal de l’intendant, en lui
indiquant celle à suivre. Le ministre n’hésitait pas non plus à s’immiscer dans le contrôle des
peines, par les différentes grâces qu’il pouvait attribuer aux condamnés présents au sein des
prisons du port.
Cependant, il ne faut pas voir l’intendant de la Marine comme un homme s’inclinant, à
chaque fois, devant les ordres de son supérieur. En effet, les fonds conservent quelques pièces
de procédures montrant que le ministre délivrait parfois des dérogations, tant aux
Ordonnances qu’à ses directives, et ne s’intéressait pas aux matières ne relevant pas
directement du domaine de la Marine. C’est ainsi que Monsieur Guillot put s’immiscer dans
les affaires de la Communauté de Ville ou encore dans celles de l’Amirauté. Il semblait donc
avoir également une influence au niveau de Versailles.
L’étude de l’évolution de ses prérogatives judiciaires sur l’ensemble du XVIIIe siècle
ne peut être effectuée en une année. En effet, la masse d’archives concernant les
correspondances ne permet pas une telle étude. Il fallut donc limiter la période de recherche.
C’est pourquoi cette étude ne s’étende que du début de l’année 1780 à la fin de l’année 1791,
soit trente-huit recueils33. Pourquoi un tel choix ?
L’année 1780, pour le port de Brest, n’est pas anodine. Elle voit la nomination d’un
grand commandant de la Marine, le Comte d’Hector 34 , ayant participé à la réforme du
Maréchal de Castries, et célèbre pour son « régiment d’Hector 35». Cette date voit aussi
l’apparition d’une police militaire, inspirée de la police de la ville de Paris, initiée par le
33 Soit du registre 1 E 206 à 1 E 242. Cela s’étend du 1er janvier 1780 au 31 décembre 1791. 34 HECTOR, Charles-Jean, comte d’ (1722-1808). Officier français, commandant de la Marine à Brest, il y prépara les escadres de la guerre d’Amérique et reçut Louis XVI à Cherbourg (1786). Conseiller de Castries, il lui inspira les grandes réformes de 1786. Très estimé des Anglais et en butte aux émeutes révolutionnaires (1789-1792), il émigra en Coblence puis en Angleterre (1794) et organisa le débarquement de Quiberon. Il mourut en émigration. VERGE-FRANCESCHI Michel, op. cit., p. 764. 35 DOMINI, Histoire critique et militaires des guerres de la Révolution, J.-B. PETIT, Bruxelles, 1840, p. 256-258.
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Secrétaire d’État à la Marine Sartine36 et appliquée par le Sieur Dijon37, concurrente d’une
police civile38 inefficace et inadaptée39, due à l’incapacité réelle du corps élu, à l’exercer, par
manque de moyens humains et financiers40. L’année 1781 vit, quant à elle, la nomination d’un
nouvel intendant de la Marine, le Sieur Frédéric Joseph Guillot, ayant du organiser les départs
et les arrivées de nombreux vaisseaux de guerre, à cause de la Guerre d’Amérique, et gérer
une ville en ébullition permanente41.
Cette décennie, riche en événements, démontre une vie exceptionnelle au sein du port,
souvent étudiée au travers des fonds du commandant du Port du fait de son aura. L’étudier à
travers l’intendant de la Marine permettra peut-être de donner un nouvel éclairage à cette
époque troublée, prérévolutionnaire.
La fin de l’année 1791 sera le point terminal de cette étude. Cette date ne fut pas
choisie au hasard. En effet, alors que l’intendant avait réussi à échapper à la suppression des
corps de justice spéciale, décrétée par la nuit du 4 août 1789, il n’échappa pas à la déferlante
révolutionnaire. Ainsi, s’il pouvait auparavant gérer l’ensemble du port, grâce au concours de
la force du commandant, l’inertie de ce dernier le toucha directement42. De ce fait, ne pouvant
plus trouver le soutien de l’armée, il se tourna vers la nouvelle force du port de Brest capable
de le soutenir : la Municipalité renaissante, qui assurait une certaine légitimité à ces actes43.
Mais cette dernière, dénommée Conseil général de la commune, ressemblait plus à un
gouvernement dictatorial dont les pouvoirs, de faits, paraissaient devenir illimités44. Toutefois,
elle sembla apporter son concours le plus complet au maintien de l’ordre public, devenant un
médiateur indispensable entre les services de l’Intendance et la population brestoise.
Néanmoins, cette fonction ne lui assurait-t-elle pas un certain contrôle sur l’Intendance ?
Ayant retrouvé une certaine légitimité, elle sembla récupérer les pouvoirs qu’il leur avait
36 « Dans la vue de surveiller les Etrangers pendant la dernière guerre, M. de Sartine avoit envoyé en 1779 deux Inspecteurs de Police en ces Ports ». Lettre envoyée par l’inspecteur Dijon et citée dans CORRE Olivier, « Guerre et ports militaires, le problème de la police : son rétablissement à Brest durant la guerre d’Indépendance américaine », in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2009, p. 195-196. 37 DIJON, Jean-Lazare Gauvenet (1737- ?). Il fut un inspecteur de police à Paris, en 1775. Probablement détaché à Brest comme adjoint du Sieur BUHOT, à partir de 1779, il resta inspecteur de police de Paris jusqu’après-guerre. Il vendra son office parisien en 1785 afin de se consacrer à sa commission brestoise. Il se retira définitivement de Brest vers 1788/1789. Ibidem, p. 201-202. AM Brest, 1 E 221, f°483-485 (26 juin 1785). 38 Qu’elles soient judiciaire ou administrative, les deux polices n’étant pas distinctes dans les pouvoirs des institutions. Voir, pour exemple, l’explication des pouvoirs du lieutenant de police, dont les compétences s’étendent sur « la sûreté des villes et des lieux où il serait établi, le port d’arme, le nettoyage des rues et de la place publique, l’entretien des lanternes, les subsistances, les amas et magasins, les prix des denrées et la surveillance des halles ». NIERES, C., op.cit., p. 418. 39 CORRE Olivier, op. cit., p. 185-188. 40 Ibidem. 41 BERBOUCHE A., op. cit., p. 64-70. 42 HAVARD., op. cit., p. 25-30. LEVOT Prosper, Histoire…, La ville depuis 1681, op. cit., p 214-310. 43 LEVOT P., op. cit., p. 187-213. 44 Cette assemblée, composée de cent membres, comprenait « dix-neuf officiers municipaux dont six électeurs, vingt-un autre électeurs, cinquante-un représentants des communautés et corporations, enfin neuf députés des corps militaires, dont quatre étaient désignés par les régiments de Beauce et Normandie, et les cinq autres par les cinq divisions du corps royal des canonniers-matelots » (Ibidem, p. 187).
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usurpés au début des années 1780 et essayèrent même d’intervenir dans certains des domaines
exclusifs de l’intendant, sans que le Secrétaire d’État n’intervienne pour rétablir cette situation.
Même la puissante police militaire, instaurée au début de la décennie, ne paraissait plus
pouvoir remettre de l’ordre. Cela fut sûrement la raison pour laquelle une police civile
renaissante s’instaura à nouveau en 1791.
Néanmoins, un danger plus grand guettait l’intendant du port de Brest. En effet, la
Révolution changea complètement les rapports de force entre les personnes au sein du port.
Le vent de la liberté soufflait sur les esprits, et rien ne paraissait pouvoir l’endiguer. Les
libertés individuelles avaient-elles touché la population portuaire ? C’est en tout cas, ce dont
les courriers donnent l’impression. La liberté de réunion et celle de la presse sont les deux
principales retrouvées, à partir de 1789, au sein des échanges entre les Services centraux et
ceux de l’Intendance. Or, ces libertés individuelles, si elles ne sont pas encadrées, ne peuvent
aller de pair avec la raison d’État, essentielle dans la gestion des sites stratégiques. Cette
dérive amena, comme sur l’ensemble du territoire, à l’éclosion d’une association, la Société
des Amis de la Constitution, originellement constituée pour informer le peuple des lois de
l’Assemblée Nationale, ainsi que la défense de leurs droits 45 . Mais lors de l’étude des
différentes correspondances et des différents ouvrages, il est incontestable qu’elle s’immisçait
dans tous les domaines de la vie, qu’ils soient civils ou militaires. Elle devint une autorité
indispensable et incontournable, pour la gestion administrative ou judiciaire, supplantant
totalement les autres justices.
C’est dans ce contexte défavorable à l’intendant que les autorités centrales prirent le
Décret relatif à l’administration de la Marine, du 21 septembre 1791 supprimant
définitivement la dénomination d’ « intendant », au profit d’un Ordonnateur, aidé par des
Chefs d’Administrations. Cette première réforme conduira, à terme, à l’installation du préfet
maritime bonapartien46.
Cette étude sera l’occasion d’étudier en détail l’évolution des prérogatives
juridictionnelles de l’intendant de la Marine de Brest, à travers les conflits de juridictions de
1780 à 1791. Le comportement des serviteurs du Roi, face à une population souvent
insurrectionnelle, mais toujours compréhensive, fut d’une importance capitale. Deux temps
fort ressortent de l’étude des différents manuscrits. Le premier voit l’affermissement de
l’autorité de l’intendant, entre 1776 et 1789. Le second, concerne la perte de contrôle de cet
45 Article Premier du Règlement adopté par la Société des Amis de la Constitution, établie à Brest : « l’objet de la Société des Amis de la Constitution est de se pénétrer des Décrets de l’Assemblée Nationale ; de les répandre parmi les Citoyens qui ne peuvent se les procurer facilement ; de correspondre avec les Sociétés du même genre qui pourront se former dans le Royaume, même dans les possessions Coloniales ; & de coopérer par toutes sortes de moyens à l’affermissement de la Constitution ». 46 BERBOUCHE A., op. cit., p. 206-213.
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administrateur face à une ville en ébullition, suite à la Déclaration des Droits de l’Homme et
du Citoyen. Mais ce plan ne peut correspondre à cette étude. L’évolution des prérogatives
juridictionnelles de l’intendant n’était pas en exacte adéquation avec ces temps forts, car il
demeurait soumis à l’autorité du Secrétaire d’État de la Marine et aux Colonies. De plus, la
justice prévôtale n’étant que peu étudiée, il convient ici d’en rappeler les principales
attributions afin de mieux en comprendre l’évolution.
L’intendant constituait la principale autorité du port, ce que démontre l’étude de sa
justice et des domaines qu’il put acquérir face aux faiblesses des juridictions civiles (Partie I).
Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’il subit, tout au long de cette période, une certaine
concurrence, que ce soit par les Services centraux ou par les autorités civiles (Partie II).
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Partie I : L’intendant, principale autorité
judiciaire du port de Brest
L’intendant de la Marine du port de Brest était à la tête d’une justice particulière,
limitée à une certaine partie du port, appuyée par l’ancienne Prévôté de la Marine, devenue
sous ses ordres une police. Toutefois, au fil des égarements des autres juridictions, il vit ses
pouvoirs s’étendre à des domaines bien différents de ceux initialement prévus par les
différentes Ordonnances royales (Chapitre I). Cependant, cela ne se fit que grâce aux
errements des différentes justices civiles, dont certaines tentèrent, en vain, de s’y opposer
(Chapitre II).
Chapitre I : La justice de l’intendant au sein du
port de Brest
L’intendant disposait d’une juridiction qui lui était propre, définie par les Ordonnances
de la Marine de 1689, 1765 et 1776. Il convient, au sein de ce chapitre, d’étudier plus
précisément cette justice. En effet, elle était investie d’une compétence d’investigation
extrêmement vaste s’étendant à l’ensemble du Royaume de France, chose exceptionnelle.
Mais la procédure lui étant applicable s’approchait de celles des autres juridictions de France
(Section I). Néanmoins, elle se différenciait de ces dernières par sa clémence et la prise en
compte de ce que nous qualifierions aujourd’hui de modes alternatifs aux poursuites. Enfin,
elle semblait aussi s’occuper de la réinsertion des personnes en fin de peine ou acquittées
(Section II).
Section I : Étude de la procédure et du procès devant
le Tribunal prévôtal de l’intendant
L’intendant, au sein de sa mission, était aidé par la Prévôté, police soumise à son
autorité. Cette dernière instruisait les procès relevant de la compétence du Tribunal de
l’intendant. Or, la situation ne fut pas toujours ainsi, la Prévôté disposant, au sein de
l’Ordonnance criminelle de 1670, d’une juridiction propre (§1). Puis, le procès était renvoyé
devant ce dernier afin d’être jugé suivant les Ordonnances en vigueur. Lors de l’étude des
différents fonds, deux procédures ressortent. L’une, qualifiée de normale, était suivie
lorsqu’aucun incident de procédure ne survenait. La seconde, par contumace, était mise en
place lorsqu’un des accusés, voire l’ensemble d’entre eux, étaient en fuite (§2).
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§1 : Compétence et instruction d’un procès devant le Tribunal de
l’intendant
L’intendant, autorité de justice militaire spéciale, disposait d’un domaine de
compétence propre, limité à certaines infractions énoncées dans les Ordonnances. Mais ce
dernier, contrairement à une idée reçue, demeure extrêmement étendu (A). Ensuite,
l’ensemble de la procédure était envoyé devant le Tribunal prévôtal de l’intendant, qui, grâce
à la Prévôté de la Marine, disposait d’un pouvoir d’investigation étendu. (B).
A) Le domaine de compétence
L’intendant voyait sa juridiction criminelle s’exercer sur une partie réduite du port et
de l’arsenal pour les crimes, et pouvait s’étendre à l’ensemble de l’arsenal pour les vols. Cela
est confirmé dans une lettre, datée du dimanche 23 mars 1783. Dans cette dernière, le
Secrétaire d’État de la Marine rapporte le jugement de deux particuliers, « suspectés d’avoir
volé différents espèces de pelleterie47 qui etoient dans les magasins du Roi provenant des
prises faites par la frégate l’Astrée48 ». De plus, il disposait, conformément à l’Article XIII de
l’Ordonnance du Roy portant réunion du corps des Galères à celui de la Marine, du 27
septembre 174849, de la police et de la justice des chiourmes du bagne de Brest50.
Il convient d’étudier plus précisément la compétence ratione personae. En effet,
beaucoup de chercheurs pensent que l’intendant était compétent pour le personnel civil, et que
les militaires demeuraient sous la justice du commandant de la Marine, en quelque endroit
que le fautif se situe. Or, l’intendant avait du personnel militaire sous ses ordres, comme les
gardes-chiourmes51, et demeurait même leur juge naturel. De ce fait, il ne peut y avoir aucun
47 Pelleterie : Peaux et fourrures préparées par le fourreur (Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse). 48 AM Brest, 1 E 214, f° 533 (23 mars 1783). Ce couple, à savoir le nommé Antoine GERARD, dit Daubigny, et sa femme Marie Jacquette ELLISEUR furent condamnés au bannissement « de dix ans a dix lieues des ports et arsenaux de Marine » (AM Brest, 1P1-39, f° 256 (28 février 1783)). 49 « Les Intendants ou Ordonnateurs auront la police des bagnes & salles de forces, & ils préposeront les commissaires, écrivains, comites, sous-comites, argousins, sous-argousins, pertuisaniers & autres Officiers nécessaires pour la faire observer dans tous ses points ». 50 Article 11 du Mémoire en forme de Règlement servant d’Interprétation pour l’ordonnance du Roy du vingt-sept septembre mil sept cent quarante huit : « En cas d’évasion de quelque forçat, le Contrôleur s’informera exactement de quelle manière elle sera arrivée, et portera sa plainte par Ecrit à l’Intendant qui ordonnera l’information et fera faire les procédures usitées en pareil cas ». 51 Qui étaient assimilés à l’armée de Terre. Voir le jugement d’un pertuisanier déserteur revenu de lui-même avant le temps prévu par l’Ordonnance du 1er juillet 1786, sur les déserteurs : « Dans celui de la 1ère Date, le N[omm]é Guillaume Le Gal dit le jeune, pertuisanier est admis à profiter de la grace du retour volontaire, et est condamné, en conformité de l’art[icle] 14 du tit[re] 2 de l’ordonnance du 1er juillet 1786, concernant la désertion des troupes de terre rendüe commune à la compagnie des Pertuisanier, par la dépêche ministérielle du 15 aout 1787, à une prolongation de Service de trois années pour la faute par lui commise ». AM Brest, 1 E 238, f° 80(v°)- 81.
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doute : il pouvait juger n’importe quelle personne, même un ecclésiastique52, si cette dernière
avait commis une des infractions relevant de sa compétence au sein d’un des lieux précités.
Voila pourquoi, lors de l’étude des différents jugements, on retrouve, non seulement du
personnel appartenant à ces différents services, comme des commis53 ou des lieutenants de la
Prévôté54, mais aussi des personnes extérieures, comme des sous-lieutenants du Corps Royal
de la Marine55 ou des particuliers56.
Cela se remarque plus particulièrement lorsque l’on regroupe et examine les
différentes décisions du Tribunal prévôtal. Sur les 182 personnes57 qu’il dut juger entre 1781
et 1791, 113 étaient des forçats, 29 des pertuisaniers, 34 des particuliers, 4 des soldats et 2 des
valets embarqués.
Une affaire de 1788 permet de mieux se représenter le pouvoir de l’intendant. Elle
concerne une livraison de fil de caret, par les négociants cordiers Havard et Dubois l’aîné58.
Dès le lundi 3 mars, l’intendant Beaupréau avait adressé un courrier au commissaire
ordonnateur de la Marine de Saint-Malo pour l’informer de son mécontentement quant à la
qualité des fils. L’agent du Roi présent à Saint-Malo fit alors notifier « à la V[euv]e Dubois
qu’elle pourroit chercher à se défaire de son fil de carret en provision et qu’il ne seroit plus
question de fournitures de ce genre59 ». Quant au Sieur Havard, il indiqua qu’il rembourserait
les fils ou les remplacerait par des fils neufs60. Mais non content de ce dédommagement,
l’Intendance ouvrit une procédure afin de retrouver le fautif, comme le montre cette lettre du
ministre, datée du vendredi 14 mars 1788 :
« J’approuve entierement, Monsieur, les dispositions que vous avez prises, et dont vous
m’avez redu compte le 7 de ce mois, pour decouvrir ceux des cordiers de S[ain]t-Malo qui ont
commis la fraude que l’on a reconnu à Brest, au moment où on a voulu employer le fil de
52 Voir infra, l’affaire du détournement des biens d’un forçat par l’abbé Chaulieu, p. 36-40. 53 Voir, pour exemple, AM Brest, 1 E 207, f° 589 (30 décembre 1780) et 1 E 208, f° 47 (8 janvier 1781). Le sieur Gognard, commis des vivres de la Marine, accabla d’injures grossières le sieur LeGuin, premier échevin de la ville de Brest, pendant qu’ils cherchaient ensemble un logement pour le régiment de Limousin. 54 Voir pour exemple, AM Brest, 1 E 217, f° 317 (13 février 1784). Ce lieutenant, le Sieur Monnier, maltraita en paroles le maître de la Poste de la ville de Loches (ville située au Sud-est de Tours), et lui refusa le paiement d’une course de deux postes et demie. 55 Voir pour exemple, AM Brest, 1 E 559, f° 277 (2 février 1785). Ce sous-lieutenant était suspecté d’avoir détourné des bois de construction ayant été délivré par les magasins du port. 56 Voir pour exemple, AM Brest, 1 E 232, f° 587 (6 décembre 1788). Quatre particuliers furent condamnés, par un jugement prévôtal, en 1788, pour avoir volé du plomb au niveau de l’aqueduc, près d’un lavoir. 57 Ce nombre ne comprend que les lettres informant le Secrétaire d’État de la Marine d’une condamnation. Voir sur le CD-Rom, le tableau recensant ces jugements. Beaucoup d’entre eux ne sont pas mentionnés ou ont été égarés. 58 AM Brest, 1P2-14, lettre à Monsieur de Beaupréau, 6 mars 1788. 59 Ibidem. 60 Ibidem. « Le S[ieur] Havard, par une suite sans doute de spéculations a avancé que des cables neufs, [qui] dans nos magasins dépérissoient, et il offre de les prendre pour les remplacer soit en fils soit en argent ». Mais les fils de caret fournis à Brest étaient depuis plus de 6 ans dans les magasins du Roi de Dinan. On peut alors se demander si l’état de ces cordages n’était pas dû à un stockage si long.
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carret pour la fourniture duquel vous aviez traité dans ce premier Port. Mon intention est que
vous fassiez suivre avec la plus grande sévérité la procédure que vous avez commencée, et
que vous m’informiez successivement du résultat de ces poursuites dont il me paroitroit
convenable que l’objet fût connu du Conseil de Marine.
Il est sans doute fort important de decouvrir les auteurs d’une fraude aussi grave, mais
j’ai été aussi longtemps à l’apercevoir, et l’Administration qui se trouve obligé aujourd’hui à
ces poursuites, auroit pû les esviter, et connoître plutôt les coupables si les personnes qui
suivant les marchés des 25 et 26 8bre dernier, devoient visiter à S[ain]t-Malo ces fils de carret,
avoient apporté à cette recette l’attention qui leur est prescrite en pareil cas : vous voudrez
bien m’indiquer les officiers et les Maitres qui ont dû assister à cette opération61. »
L’intendant a donc engagé une procédure contre les auteurs d’un délit qui, certes, a des
répercussions au sein du port de Brest mais se commet à Saint-Malo62. Le Secrétaire d’État de
la Marine nous informe ici qu’il exige la plus grande sévérité envers ces fraudeurs. Toutefois,
il est impossible de déterminer le tribunal compétent en cette matière. Est-ce le Tribunal de
police de la ville de Saint-Malo, compétent pour la police des métiers ? L’intendant, en tant
qu’administrateur du port ? Rien n’est précisé. En effet, même si le ministre indique qu’il veut
une peine exemplaire vis-à-vis de ces délinquants, il n’indique jamais la juridiction
compétente, se contentant de vouloir être informé de l’affaire :
« J’ai vu, Monsieur, par votre lettre du 11 de ce mois, que vous avez fait assigner les
fournisseurs de fil de carret de S[aint]-Malo, afin qu’ils aient non seulement à reprendre leurs
marchandises défectueuses, mais encore à payer toute la dépense que cette fourniture a
occasionnée. Je vous prie de m’informer exactement des suites de cette affaire63. »
Concernant la compétence de lieu, de nombreux auteurs pensent qu’il pouvait juger
n’importe quelle personne relevant de son autorité, en tout endroit que ce soit. Cette pensée
est erronée et certainement due à l’amalgame entre la justice de la Prévôté des maréchaux de
France et celle de l’intendant. En effet, cette première, au terme de l’Article 12. Titre Premier.
De la compétence des juges, de l’Ordonnance criminelle de 1670, nous indique que ces 61 AM Brest, 1 E 230, f° 431 (14 mars 1788). Cette assignation concerne les Sieur Havard frères, Amisse l’aîné, Amissa LaSaudre ainsi que les quatre maîtres cordiers de la ville (AM Brest, 1P2-14, lettre du 10 avril 1788). Il ne semble pas que la volonté de l’intendant et du Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies aient été de juger ces gens. En effet, la même lettre du jeudi 10 avril 1788 précise qu’il faut leur offrir « de jouir de l’avantage de l’accommodement que vous leur proposés, et de s’éviter par ces moyens le désagrément d’un jugement rigoureux qui entrainerait la perte de leur Fortune et de leur crédit ». Mais au lieu d’accepter une telle proposition, ils protestèrent et écrivirent au ministre. Toutefois, cette affaire ne semble pas pouvoir se régler pécuniairement. Le commissaire de la Marine nous informe au sein de la même lettre que « les deux amisses ont déjà manqué [à leur remboursement], les deux autres ne sont pas à l’aise, et tous quatre à la merci de créanciers ». 62 Le 1er février 1790, l’ordonnateur du port de Saint-Malo reçoit une lettre de la part de l’intendant de Brest, quant au chanvre proposé par un marchand de Saint-Malo : « Je reçois, Monsieur, une lettre du S[ieur] Blaise de Maisonneuve, négocian à St. Malo, qui me propose environ 50 à 60 milliers de chanvre du nord à raison de 43# le quintal. Je lui répondi que la modicité de cet approvisionnement, l’incertitude qu’il me témoigne de les avoir en sa possession lorsque ma lettre lui parviendra, et plus que tous à la celle où je suis de la bonne qualité de chanvre, ne pouvant guère me porter à me décider. Je lui propose de vous engager à les examiner et je vous serai très obligé de me faire connoître ce que vous en pensez ». AM Brest, 1P1-108 (1er février 1790). 63 AM Brest, 1 E 230, f° 691 (25 avril 1788).
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prévôts ont compétence sur les déplacements des gens de guerre, incluant dès lors aussi bien
les grands chemins que les lieux d’étapes, comme les villes de passage 64 . Appliquée à
l’intendant, ce dernier ayant absorbé la Prévôté, il devait donc être compétent sur toute
personne relevant de sa justice, en quelque lieu que ce soit. Or, cette disposition apparait
erronée65, comme le prouve l’Article 101. Titre IV, De la Direction des travaux & ouvrages ;
de l’ordre à établir dans les Chantiers & Ateliers ; & de la justice et police des Arsenaux de
l’Ordonnance du Roy Concernant la Régie & Administration Générale & particulière des
Ports & Arsenaux de Marine du 27 Septembre 1776 spécifiant qu’il ne peut juger que « les
crimes et délits commis dans les Magasins, Bureaux des Commissaires & Contrôleurs, dans
les Hôpitaux, Bagnes & Salles de force, ainsi que tous les vols commis, soit dans les
Magasins, Bureaux, hôpitaux & Bagnes, soit en général dans l’enceinte de l’Arsenal ».
Pourtant, il semble que cet article connut quelques dérogations, notamment de la part du
commissaire de la Marine de Saint-Malo.
En effet, dans une affaire d’assassinat sur un grand chemin entre des matelots et des
chasseurs du régiment de Beauce 66 , le commissaire se permet d’envoyer lui-même des
personnes sur les lieux pour tirer l’affaire au clair67. Mais il ne précise jamais si ces dernières
relèvent de ses services ou s’il s’agit d’agents locaux. Pourtant, dans le premier cas, l’envoi
d’archers de la marine constituerait un excès de pouvoir flagrant 68 , les grands chemins
64 « Les prévôts de nos cousins les maréchaux de France, les lieutenants criminels de robe courte, les vice-baillis, vice-sénéchaux, connoîtront en dernier ressort de tous crimes commis par vagabonds, gens sans aveu et sans domicile, ou qui auront été condamnés à peine corporelle, bannissements ou amende honorable. Connoitront aussi des oppressions, excès ou autres crimes commis par gens de guerre, tant dans leurs marches, lieux d’étape, que d’assemblées et de séjour pendant leur marche ; des déserteurs d’armées, assemblées illicites avec ports d’armes, levée de gens de guerre sans commissions de nous, et de vols faits sur grand chemin. Connoitront aussi des vols faits avec effraction, ports d’armes et violence publique dans les villes qui ne seront point de leur résidence, comme aussi des sacrilèges avec effraction, assassinats prémédités, séditions, émotions populaires, fabrication, altération ou exposition de monnaie, contre toutes personnes ; en cas toutefois que ces crimes aient été commis hors des ville de leur résidence ». 65 BERBOUCHE A., op. cit, p. 117-120. Mis à part pour les chaînes de bagnards. Effectivement, l’intendant devait les ordonner et jugeait toutes les personnes les composant, gardiens y compris. Pour un exemple d’envoi d’une chaîne : AM Brest, 1 E 236, f° 395-397 (27 mars 1790). Voir BERBOUCHE A., op. cit., p. 179-188. 66 AM Brest, 1P2-8, lettre au Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, 27 septembre 1785. « Cinq ou six matelots partoient de Compagnie de cette ville pour se rendre dans leur paroisse. L’un d’eux, nommé François Convenant monté sur un cheval, ennuyé sans doute de l’allure lente d’une Charrette qui portoit le reste de la bande s’est éloigné et prit les devant. Il fit rencontre sur le grand chemin de deux chasseurs du Régiment de Beauce en garnison à S[ain]t Servan qui venoient de reconduire un de leur camarade semestrier et prit querelle avec eux, on en ignora la cause, mais l’effet à été affreux. Ce malheureux matelot a été haché, taillé en pièce et est mort le lendemain de ses Blessures ». 67 Ibidem. « J’ai fait toutes les démarches possibles pour découvrir l’origine de la querelle, j’ai envoyé sur les lieux, mais l’absence de témoins dans cette scene cruelle ne peut laisser que des conjecture. On prétexte cependant avec assez de vraisemblance, que le Nommé Convenant connu pour taquin, et qui d’ailleurs étoit pris de boisson a été l’agresseur, mais quoiqu’il eu fait, rien ne peut excuser les soldats de l’inhumanité noire qu’ils ont exercée sur des hommes désarmés, qu’ils pourraient châtier s’ils avoient à seu plaindre mais non pas massacrer. » 68 Ce qui était déjà mal vécu entre les services de l’Intendance. Ainsi, lorsqu’un archer de la Marine de Saint-Malo se présenta à Dinan afin de chercher des prisonniers, les agents royaux dinannais prirent cela pour un affront : « Votre interprète mon Cher Camarade [Monsieur Le Prince, commissaire des classes à Dinan] vient de me remettre la lettre que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire hier. Mon intention n’est point d’humilier ni de faire de peine aux personnes employées dans votre quartier et si j’ai envoié un de mes archers chercher les
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relevant de la compétence de la Maréchaussée69. De ce fait, comment les autorités locales
purent tolérer une telle intrusion alors qu’elles étaient, pour la plupart, jalouses de leurs
prérogatives ? La seule explication plausible demeure le fait que cette affaire ne concernait
que des gens engagés dans l’Armée et qu’aucun civil n’ait été blessé ou ait assisté à
l’altercation70. Le commissaire aurait-il cru se trouver dans le cas d’appliquer l’Article 12 de
l’Ordonnance de 1670 ? Rien, dans la suite des courriers, n’évoque à nouveau cette affaire.
Toutefois, il s’agit de la seule affaire se passant en dehors d’un port dans laquelle intervient
les services de l’Intendance.
Mais quelle était la criminalité ressortant de la compétence du Tribunal de l’intendant
au sein du port de Brest ? Lorsque nous étudions les décisions de justice rendues par son
Tribunal entre 1781 et 1791, la majorité des sentences rendues par ce Tribunal concerne, des
évasions de forçats71, des vols72 ou des désertions de gardes-chiourmes73.
Néanmoins, sa compétence ne s’arrête pas au jugement de ces infractions. En effet,
certains méfaits peuvent avoir, comme pour le vol, une incidence ultérieure. Dès lors, il
disposait aussi de la compétence concernant les forfaits concomitants à ces derniers, tel le
recel. Le Tribunal prévôtal condamna ainsi « un cabaretier et sa femme pour avoir souffert
chez eux le dépôt de ces marchandises volées et pour avoir procuré la vente ». Cette unité du
procès est nécessaire afin d’assurer une justice équitable. Il pouvait même juger les acheteurs
des objets issus du vol, comme le montre la condamnation d’un particulier74. Par un jugement
du mardi 31 mars 1789, « pour avoir clandestinement acheté lesdits objets », le contrevenant
fut condamné à « une amende de 3 livres ainsi qu’à une restitution du quadruple de leur
valeur au profit de Sa Majesté75 », atténuant la rigueur de l’Article DCIX. Titre XLII. De la
Police des Ports et Arsenaux. Livre Sixième, De la garde & Sûreté des ports ; de leur police,
prisonniers cétoit pour seconder vos gens et maintenir plus facilement le bon ordre parce que j’imaginois qu’un homme de plus ne pouvoit produire qu’un bon effet, mais puisqu’il vous persuadent que c’est un manque de confiance de ma part je n’enverrai plus d’archer » (AM Brest, 1P2-10, lettre à Monsieur Le Prince, 27 avril 1782). 69 BERBOUCHE A., op. cit., p.129-134. 70 Cette pensée ressort de l’Article MCCXLVIII. Titre CI. De la Justice de guerre. Livre Seizième. Du Conseil de Marine ; de la Justice de guerre ; du Conseil de guerre, & des Peines de l’Ordonnance du Roi, concernant la Marine du 25 mars 1765 : « La connoissance des crimes & délits commis contre les habitants par les Officiers, Matelots & Soldats, appartiendra aux Juges des lieux, & les Officiers de la Marine ne connoîtront que de ceux qui seront commis entre les Officiers, Matelots & Soldats ; même en ce cas, si aucuns des coupables sont emprisonnés de l’autorité des Juges, défend Sa Majesté aux Commandants & Intendans de les retirer ou faire retirer de prison ; pourront seulement requérir les Juges de les leur remettre, & en cas de refus, ils se pourvoiront par-devers Sa Majesté ». 71 102 bagnards furent condamnés pour évasion ou tentative d’évasion, soit 56% du total des jugements. 72 36 personnes furent condamnées pour vol, recel ou vente de produit d’un vol, soit 20% du total des jugements. 73 22 gardes-chiourmes furent condamnés pour désertion, soit 12% du total des jugements. 74 « N[omm]é Cesar Cam, voiturier ». 75 Envoi des condamnations par l’intendant : 1 E 545, f° 277 (8 juin 1789). Réponse du Secrétaire d’État de la Marine : 1 E 234, f° 241 (20 juin 1789).
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de la conservation des Ports et Rade ; du Lestage et Délestage, de l’Ordonnance du Roi
concernant la Marine du 25 mars 1765, prévoyant une peine corporelle en tel cas76.
Cette unité du procès émane de l’Article XXIII. Titre II. Des procédures particulières
aux prévôts des maréchaux de France, vice-baillis, vice-sénéchaux et Lieutenants criminels
de robe-courte, de l’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670, selon lequel « si après un
procès commencé pour un crime prévôtal, il survient de nouvelles accusations dont il n’y ait
point eu de plainte en justice, pour crime non prévôtaux, elles seront instruites conjointement,
et jugées prévôtalement ». Il indique que les deux phases d’un procès ne sont pas uniformes.
Alors que l’instruction se fera conjointement, par exemple par le Tribunal de police et la
Prévôté de la Marine, dans le cas d’un vol de biens du Roi ayant entraîné une revente à des
particuliers77, le jugement doit se passer devant le Tribunal prévôtal de l’intendant78.
Comment se passait un tel procès ? En effet, cette justice relevait, certes de la
procédure applicable pour toutes les juridictions pénales du Royaume de France, mais s’en
éloignait sur certains points, notamment à cause des Ordonnances successives de la Marine et
par l’application qu’en faisait chaque intendant.
B) Un procès devant le Tribunal prévôtal de l’intendant
Avant d’examiner la procédure d’investigation devant le Tribunal prévôtal de
l’intendant (2), notons qu’il disposait, grâce à la Prévôté de la Marine notamment, d’un
pouvoir d’investigations s’étendant à une grande partie du Royaume de France, chose rare à
une époque où les multiples juridictions se faisaient souvent concurrence (1).
76 « Défend, Sa Majesté à toutes personnes, d’acheter des Matelots, Soldats, Ouvriers, Journaliers & Gardiens, aucun cordages, ferrailles, bois, meubles & autres effets des vaisseaux du Roi ou de l’arsenal, à peine de confiscation & de punition corporelle » 77 Cette situation ne respectant pas la situation de monopole de certaines corporations, comme pour celle des menuisiers. Pour un exemple de procès intenté par la corporation des menuisiers contre un menuisier de l’arsenal, voir Arch. Com. Brest, HH 7. Voir Thierry HAMON, Les corporations en Bretagne, au XVIIIème siècle, thèse, Rennes, 1992, p. 112-117. 78 Cette unité ne sera pas remise en cause suite à la Révolution. Ainsi, au sujet de forçats s’étant enfermés dans le magasin de goudron du Roi, en 1790 : « J’apprend que sur l’avis que j’avois donné à l’Ass[emblée] N[ation]ale que deux couples de forçats avoient été arretés à Brest dans le Magasin au goudron muni d’une lime, d’une fausse clef et d’allumettes, elle a ordonné que le procès leur seroit fait par le tribunal de la prévôté de la marine conformément aux ordonnances actuellement subsistantes et a déclaré que la forme de procédure prescrite par la nouvelle Loy n’est pas applicable aux forçats. Elle a cependant ajouté que s’il résutroit des informations le complicité d’un citoyen, il seroit formé un jury sur le prononcé duquel la prévôté de la Marine jugeroit en dernier ressort ». AM Brest, 1 E 238, f° 49 (7 septembre 1790).
17
1) Une possibilité d’investigations étendue
Selon l’Ordonnance criminelle de 1670, à laquelle étaient soumises toutes les
juridictions criminelles du Royaume, l’ouverture d’une instruction judiciaire ne pouvait se
faire que de trois façons79 : par une plainte80, une dénonciation, parfois anonyme81, ou la
rumeur publique82. Devant le Tribunal de l’intendant, la majorité des procès débutait par une
plainte faite soit devant lui ou ses subordonnés83, soit devant le Secrétaire d’État de la Marine
en personne84 .
Bien évidemment, devant la multiplication des différentes requêtes portées à sa
connaissance, l’intendant se devait de faire vérifier par ses agents les dires des différentes
personnes. Il diligentait alors des enquêtes effectuées soit par ses services, si la personne visée
par la plainte était originaire de Brest, soit par les agents de ses subordonnés, s’il s’agissait de
personnes présentes au sein d’une ville tierce.
79 Ce renvoi se fait par le Titre I. De la Justice de Guerre, du Livre Quatrième. De la Justice de guerre, des Peines & de la Police sur les Vaisseaux, de l’Ordonnance de Louis XIV Pour les Armées navales & Arcenaux de Marine du 15 avril 1689. Exemple de l’Article IX : « Ensuite le procès sera fait au coupable, par information, interrogatoire, recollement & confrontation, ainsi qu’il se pratique ordinairement dans les autres procédures criminelles ». 80 Pour un exemple de plainte, voir AM Brest, 1P1-48, f° 920 (28 septembre 1786) : « Jenvoist reclamer votre justice contre le Nommé renard, passager de Bateaux, d[e] S[ain]t Malo à S[ain]t Servant, qui hier au soir a six heures et demies ne voulust pas apsolument me pascer quoiqu’il fust grand jour, et qu’il arrivoit son bateau chargé de monde. Il querit un entestement afreux et cela par jalousies aleure que je ne men cert pas tous les jours ét que je paye ordinairemant une écu. Il esperoit me laisser dans lembarast. Les personnes qui etois avec moy me dirent de le mener à votre Bareaux que je le verroit punis et metre à lamande. Il soutins lalure jusqua la porte ou il cest esquiecsé. Mais son chapeau dont je men passay le fait reconnoitre et un petit qui etoit avec luy, et que j’ay fait mettre a la garde de la porte nost du chateaux ». Ce batelier, nommé Pierre Bunel, fut par la suite envoyé au château après avoir passé « 24 heures au bidoré [sic] de la porte de Dinan » (AM Brest, 1P2-13, lettre à Monsieur de Bourgon, 30 septembre 1786). 81 Dans une lettre adressée à Monsieur Cornic, [surement Cornic Dumoulin, lieutenant de frégate, en poste sur la corvette du Roi le Jeune Henry (JAHAN Fr., op. cit., p.33] le commissaire ordonnateur de Saint-Malo nous informe qu’on lui « a remis un billet qui vous [Monsieur Cornic] compromet cruelement. Ce billet contient une menace à M[onsieur] Libour de coups de Baton, vous jugez combien ce particulier a dut être furieux d’une pareille missive, il part pour paris dans l’intention sans doute de se plaindre. Je pense qu’il est de votre interest d’arrester au plutot le Progrest d’une Affaire dont le resultat vous seroit funeste » (AM Brest, 1P2-6, lettre du Commissaire de la Marine à Monsieur Cornic, 17 septembre 1781. Voir aussi, dans le même registre, la lettre à Monsieur Libour, 9 octobre 1781). 82 Ainsi, le Commissaire de la Marine de Saint-Malo fut informé qu’un commis d’une manufacture de Saint-Servant commettait des maltraitances sur ses ouvriers : « Je m’empresse de répondre à l’honneur de la votre [lettre] pour vous marquer une surprise de ce qu’on vous à informé quon maltraitoit les ouvriers de ma manufacture » (AM Brest, 1P1-39, lettre de Benjamin Dubois au Commissaire de la Marine de Saint-Malo, 4 janvier 1783), ou le procès verbal d’interrogatoire (feuille volante) inclut dans le registre 1P1-14 (AM Brest, APA-14, rapport d’interrogatoire sur feuille volante, 11 mars 1788). 83 Voir, pour exemple, les courriers concernant le détournement de biens d’un forçat par un abbé. AM Brest, 1 E 634 (26 août 1786), f° 79-81 (28 août 1786), f° 95 (25 septembre 1786), f° 97-99 (2 octobre 1786) et f° 117 v° (6 novembre 1786). Voir infra, p. 36-40.. 84 Voir, pour exemple, un embarquement illégal sur le navire corsaire La Princesse Noire. Le Secrétaire d’État de la Marine informe ici l’intendant de cette affaire. AM Brest, 1 E 209, f° 809 (3 août 1781) et 955-957 (23 août 1781) ; 1 E 210, f° 119 (17 septembre 1781) ; 1P1-17, f° 167 (28 mai 1780) ; 1P2-5, lettre à Monsieur Le Prince, 7 juin 1781 ; 1P1-18, f° 234 (3 août 1781) ; 1P1-33, f°722 ( 30 septembre 1780) ; 1P1-34, f°810 (21 octobre 1781).
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C’est ainsi que lorsqu’il fut informé des maltraitances qui se commettaient à Saint-
Servan, dans les manufactures du Sieur Benjamin Dubois, négociant, le commissaire
ordonnateur de Saint-Malo en informa Monsieur Dubois, commissaire des classes de Saint-
Servan. Ce dernier, très surpris de ces plaintes, envoya un de ses hommes et conclut le rapport
comme faux, indiquant que « le commis chargé de cette manufacture est de la plus grande
douceur et incapable de donner le moindre maltraitement à un ouvrier85 ». Cette simple action
permit de ne pas atteindre l’honneur du commis et de prouver que la plainte ne venait que
d’un « entretenu mal placé86 ».
Cette possibilité de demande d’information dépassait même le cadre national. Ainsi,
dans une affaire concernant une prise, le commissaire de la Marine de Saint-Malo tient
compte de la réputation dont jouit le maître de barque à l’origine de la plainte devant le
gouverneur de l’île de Jersey. Il nous informe ainsi que « le défaut impardonnable de ce
même Ollivier Pigaret d’estre presque continuellement pris de vin, donne, contre sa conduite,
des soupçons si defavorable quon ne peut que très difficilement se porter a faire des enquetes
d’après son temoignage, dailleurs contredit par tous ceux qui ont eu connoissance de son
aventure87 ». En effet, l’inconséquence d’un témoin pouvait ralentir l’efficacité tant désirée
par les services de l’Intendance en les impliquant dans une affaire inexistante. Il était alors
nécessaire d’effectuer une étape préliminaire à l’ouverture d’une instruction, tout comme cela
se fait aujourd’hui.
Si les faits étaient constatés, la Prévôté s’emparait du dossier pour l’instruire. En effet,
le Titre II. Des procédures particulières aux prévôts des maréchaux de France, vice-baillis,
vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe-courte, de l’Ordonnance Criminelle du Mois
d’Août 1670 faite à Saint-Germain en Laye, explique la compétence de ce tribunal qui
deviendra, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une simple police, ayant une mission
d’investigation et d’instruction auprès des juridictions de la Marine88. Face aux multiples
tribunaux présents sur le territoire à cette époque89, chacun ayant une compétence sur une
partie précise, l’intendant ne semble pouvoir effectuer des investigations, avec ses propres
hommes, qu’au sein du port de Brest.
85 AM Brest, 1P1-39, f°4 (1er janvier 1783). 86 Ibidem. 87 AM Brest, 1P2-4, lettre du Commissaire de la Marine à Monsieur Corbell, gouverneur de Jersey, 12 août 1780. 88 BERBOUCHE A., op.cit., p. 74-77. Elle possédait déjà ce statut à la fin du XVIIe siècle, par l’Article VII. Titre I. De la Justice de Guerre, du Livre Quatrième. De la Justice de guerre, des Peines & de la Police sur les Vaisseaux, de l’Ordonnance de Louis XIV Pour les Armées navales & Arcenaux de Marine du 15 avril 1689 : « Aussitôt que les matelots, soldats & autres accusez seront emenez dans les prisons des Arcenaux de marine, leur procez sera instruit à la requisition du Major, ou Aide-Major, par le Prevost de la marine, ou son Lieutenant, l’Aide-Major de la marine instruira le procès ». 89 La justice d’Ancien Régime était très parcellaire et donc extrêmement complexe. On compte, pour la seule ville de Brest, en 1780, sept juridictions : celle du Tribunal de Police, celle de la Sénéchaussée, celle du Seigneur du Châtel, celle de l’intendant, celle du commandant du Port, celle du commandant du château et celle de l’Amirauté du Léon. Il faut rajouter à cela toutes les juridictions spéciales, telle celle des Gardes-Suisses, employés pour la garde des portes du port. Voir, DARSEL J., op. cit., p. 138-145.
19
Pourtant, ce n’est pas ce que nous rapportent les courriers. La justice efficace de ce
dernier nécessitait une extension de la possibilité d’intervention de ses services. Ainsi, ses
subordonnés pouvaient aller bien au-delà du simple port de Brest pour découvrir des indices,
comme le démontre cette demande d’autorisation, au sénéchal de Lesneven90, afin d’effectuer
une perquisition chez un habitant de la paroisse de Ploudaniel, bourgade située à une
vingtaine de kilomètres dans les terres de la ville de Brest91, le vendredi 28 juillet 1786 :
« On a arretté M[onsieur], dans un terrein de l’ance de K[er]huon où le Roi forme un
établissement assez considérable pour un dépôt de mâture le N[omm]é K[er]sinnon de la
Paroisse de Ploudaniel au village de les hol-autaru, vehementement soupçonné de ne paroître
dans le Canton que pour en enlever les effets du Roi et les transporter chez lui. Je prends le
parti d’envoyer à vos ordres le Brigadiers et deux archers de la Marine pour que vous
veuilliez bien les autoriser à descendre dans la maison de cet homme et y faire une
perquisition Suffisante pour faire charge contre lui, et opérer sa justification. Comme ces vues
sont Certainement Conformes aux votres, je ne doute pas que vous ne vous portiez à procurer
à ce Brigadier toutes les facilités qui dépandront de vous, dans cette occurrence92. »
Ce magistrat local aurait pu simplement envoyer ses propres subordonnés pour
effectuer cet acte. Pourtant, l’intendant missionne lui-même trois de ses hommes. Ses facultés
d’investigations s’étendaient donc sur toute la région brestoise. Elles semblaient même sans
limite. Effectivement, une personne ayant fui au-delà de la Bretagne pouvait se voir inquiéter
par sa juridiction, comme le montre une affaire de détournement de biens, le lundi 2 octobre
1786, par un abbé qui, pour aider un forçat, partit à Paris pour récupérer le prix des lettres de
recouvrement de ce dernier afin que la chiourme rachète sa liberté 93 . L’intendant
communiquait néanmoins avec cet abbé et n’hésita pas, suite aux tergiversions de ce dernier,
à le menacer de poursuites, quand bien même il fut certain que cet ecclésiastique ne
reviendrait plus à Brest :
« Tous les faux fuyants que vous employer M, pour chercher à justifier votre
conduite dans l’affaire du Noé Guillomé sont absolument inutile. Le prétendu dépôt qu’il vous
a fait ne lui appartenoit pas, et ni lui, ni vous n’aviez le droit d’en disposer, il étoit au Roi et
mon devoir est de l’y faire rentrer en entier. Vous avez distrait 528". La vente de vos effets
s’est montée à 213"14s. Vous redevez donc encore à Sa M[ajesté]. 314"6s. Je veux bien vous
90 Voir, en annexe, la carte des généralités et subdélégations. 91 Le ressort de l’Amirauté du Léon s’étendait depuis la rivière de Morlaix jusqu’à celle de Landerneau. S’ajoutait à ce territoire la paroisse Saint-Thomas de Landerneau située sur l’autre rive de l’Elorn. DARSEL J., op. cit., p. 129. 92 AM Brest, 1 E 634, f° 65 (28 juillet 1786). 93 AM Brest, 1 E 634, f° 97 (2 octobre 1786) : « J’ai découvert il y a quelques tems que ce forçat qui esperoit recouvrer à prix d’argent sa liberté, avoit chargé le S. Abbé Chaulieu, aumônier de la Marine qui partoit pour Paris, de différents bijoux, et de plusieurs notes qui indiquent des personnes, qu’il prétend lui devoir. Les bijoux ont été remis, mais comme cet aumônier n’est plus ici, et même n’y reviendra plus, je ne puis savoir de lui quel degré de confiance on doit prendre à ces notes. Je prend le parti de vous les adresser pour que vous voyiez, M, s’il est possible de prendre des informations chez les gens de considération et autres qu’il cite ».
20
donner jusqu’à la fin de ce mois pour les restituer, mais passé ce tems, je ne pourrai me
dispenser de vous faire poursuivre comme pour vol de deniers du Roi et vous seules qu’alors
aucun faux fuyant, aucune excuse ne pourront être reçus94 . »
Une partie du territoire national composait donc la zone d’influence de l’intendant :
aucun suspect ne pouvait échapper à la police prévôtale sous les ordres de ce dernier, et donc,
inévitablement, à sa justice.
2) L’instruction d’un procès
L’instruction du procès était donc confiée à la Prévôté de la Marine. Mais comment se
déroulait-elle ? Quelle en était la durée ?
La justice criminelle de l’intendant ne différait pas de celle des autres juridictions
criminelles. Soumise aux mêmes ordonnances, elle en utilisait tous les procédés. De ce fait,
lorsque les présomptions demeuraient assez fortes, le ou les archers de la Marine
s’informaient plus précisément de la situation. Ainsi, dans une affaire du mercredi 22 août
1787, lorsqu’un archer de la Marine du département de Saint-Malo, nommé Jaluseau, après
avoir délivré ses ordres à Saint-Servan, entend, au sein du peuple, que la guerre est déclarée95,
il se précipite alors chez un ancien cavalier de la Maréchaussée qui lui indique l’origine de la
rumeur. Il s’agissait d’un matelot étant arrivé dans la ville il y a quelques jours96. L’archer se
rendit alors à l’auberge afin d’interroger ledit matelot et l’arrêta par manque de passeport97.
Ce dernier fut ensuite amené aux bureaux des classes afin d’y subir un interrogatoire.
L’interrogatoire demeurait une formalité essentielle dans la procédure. Mais rares sont
les procès verbaux encore présents au sein du fonds de l’Intendance de Brest ou du fonds du
commissaire de la Marine de Saint-Malo. Cet acte de la procédure était réglementé par le
Titre XIV. Des Interrogatoires des accusés de l’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670.
La majorité d’entre eux concerne des déserteurs ou des mendiants98 . C’est d’ailleurs un
94 AM Brest, 1 E 634, f° 117 v° (6 novembre 1786). 95 AM Brest, 1P2-14, feuille volante, 11 mars 1788 : « Aujourd’huy, 22 août 1787, le N[omm]é Jaluseau, archer de la Marine du dep[artement]t de S[ain]t Malo ayant été à S[ain]t Servan, pour porter des ordres à une levée d’ouvriers a entendu dire dans le peuple que la guerre etoit declaré ». 96 Ibidem. « Un ancien Cavalier de la maréchaussée de résidence aud[it] S[ain]t Servan lui désigne un matelot arrivée depuis peu à une auberge ditte le Petieau ». 97 Ibidem. « Il y court, voit led[it] matelot et l’interroge, celui-ci lui declare qu’il avoit pris à nantes un chasse marée que les anglois venoient de prendre aux batiments de commerce. Led[it] Jealuseau l’interroge alors sur son personnel, lui demande son passeport, l’arrête ne pouvant lui fournir cette preuve legale, et le conduit au bureau des classes, à S[ain]t Malo où interrogé par nous, il a déclaré qu’il se nommois Noël Mallet, fils de Jean de la paroisse de Cambourg, qu’il étoit agé de 26 ans, qu’il etoit parti de nantes hier 21 août et arrivé aujourdhuy à S[ain]t Servan à 4 heures [de l’]après midi ». 98 Pour un exemple d’interrogatoire, voir celui d’un matelot sur un corsaire de Monsieur Dubois fils, armateur de Granville. Cet homme, musicien de profession, courrut « ce matin, les ruës de cette ville, en chantant dansant, demandant et récévant l’aumône de Ceux qui l’à luy voulloiënt donner ». Puis, une fois arrêté et présenté devant
21
déserteur qu’interrogea le commissaire de la Marine de Saint-Malo dans l’affaire citée ci-
dessus 99 , le matelot ayant refusé d’embarquer pour une nouvelle campagne sur
L’Archiduchesse.
En sus des interrogatoires, l’intendant n’hésitait pas à effectuer des perquisitions,
comme il a été vu ci-dessus. Mais toutes les perquisitions ne se faisaient pas, comme pour
l’affaire concernant l’habitant de Ploudaniel, avec le concours des diverses autorités. Ainsi,
lorsque le commissaire de la Marine de Saint-Malo voyait une situation urgente survenir, peu
lui importait de les prévenir, seule la promptitude et l’efficacité de la justice l’intéressait.
Voici ce qu’il rapporta à Monsieur de Tonnelieu, commissaire des États de Bretagne à
Pontrieux, le mardi 24 janvier 1786 :
« J’ai reçu, M[onsieur], la lettre que vous m’avez fait l’h[onn]eur de m’écrire le 21 de
ce mois, rélativement au No[mm]é Jean moulinet, de Paimpol. L’intérêt public et le desire de
répondre à votre confiance m’ont porté à ne pas différé un instant la perquisition de ce
malheureux, et j’ai donné des ordres pour qu’elle se fit avec la plus grande exactitude.
Je ne crois pas devoir suivre le conseil que vous me donnez de communiquer votre
lettre au Maire de la Ville parce qu’il y auroit à craindre qu’en multipliant les perquisitions, et
en mettant beaucoup de gens en campagne, le Secret ne fût mal gardé, et que l’homme en
question n’eût connaissance des recherches, alors, il pourroit plus surement s’évader mais si celles que je fais sont infructueuses, j’engagerai le Maire à me supléer et à ne rien négliger
pour le découvrir100. »
Ce commissaire est au courant des vicissitudes dont peut parfois faire preuve les
autorités locales101 et il n’hésite pas à agir seul, même à l’intérieur de la ville. Il ne semble
pas craindre les remontrances des autorités de Paimpol. Malheureusement, aucune autre lettre
ne nous indique de quoi était soupçonné cet homme et s’il fut condamné à une quelconque
peine.
les juges, à la sortie de l’auditoire, « il a insulté les Magistrats en Roble, en disant, voilà bougres d’avocats et de foutus Procureurs » (voir AM Brest, 1P1-34, f°212-213). Il s’agit du seul interrogatoire complet retrouvé au sein des archives. Les autres ne sont que des rapports incomplets. 99 AM Brest, 1P2-14, feuille volante, 11 mars 1788. « Qu’après cette campagne, il etoit retourné à Combourg d[épartemen]t de S[ain]t Malo, lieu de sa naissance, qu’il y avoit séjourné 15 ou 16 jours après lesquels il etoit encore retourner à Nantes, où il avoit été travailler encore à bord dud[it] navire L’archiduchesse, même Cap[itai]ne, qu’il n’avoit pas paru au bureau des classe, en ne voulant plus continuer la Campagne, il s’etoit decidé a repartir de Nantes le 21 hier pour venir à S[ain]t Malo, qu’il n’avoit ainsi aucun passeport, qu’il n’avoit d’autres papiers que son extrait babtistere et l’extrait mortuaire de son père qu’il nous a remis ». 100 AM Brest, 1P2-13, lettre du commissaire de la Marine à Monsieur Tonnelieu, 24 janvier 1786. 101 Voir, pour exemple, le « décret d’assigné pour être oui à Jugon ». Le Chevalier de Pennélé, commissaire des classes de Saint-Malo, fut assigné par le substitut de Jugon pour « être ouï ». Or, le jour où il se présenta devant ce tribunal, il eut « le désagrément de trouver M[onsieu]r les juges absents et d’apprendre qu’ils étoient partis pour la basse bretagne dont il ne devoient revenir qu’à la fin de cette semaine ». Cela fut vécu par le Chevalier comme une insulte, car il les avait prévenus de sa visite. (AM Brest, 1P2-13, lettre à Monsieur Couppé, 24 juin 1786 ; lettre à Le Mée de Boulard, greffier à Jugon, 27 juin 1786 ; 1P1-48, f° 681 (6 juillet 1786), 1P2-13, lettre à Monsieur de Caradeuc, 6 juillet 1786 ; lettre à Monsieur de Caradeuc, 13 juillet 1786).
22
Il est intéressant de remarquer aussi avec quelle efficacité les services de l’Intendance
pouvaient, en cas de danger immédiat pour le royaume, réagir. L’affaire illustrant le mieux
cela demeure celle de la correspondance qu’entretînt un commis de Monsieur Dubois,
commissaire des classes à Saint-Servan, avec les anglais, en 1782.
Même si les autorités portuaires purent déterminer l’auteur des lettres envoyées à des
agents Anglais, le commissaire de la Marine de Saint-Malo ne fit pas arrêter tout de suite cet
écrivain nommé « Sandwel Länoe102 ». En effet, devant le peu d’indices le mettant en cause,
l’arrêter à un tel moment ne permettrait peut-être pas de le condamner. Voilà pourquoi il
préconisa à Monsieur Dubois de simplement le surveiller discrètement, afin qu’il « ne
soupçonne pas que son intelligence avec les anglois soit découverte, sa sécurité nous fournira
des armes contre lui103 ». Or, le samedi 2 mars suivant, le commissaire ordonnateur Couradin
décide de le faire arrêter précipitamment, car l’officier de liaison Anglais avait eu
connaissance des interceptions des correspondances et risquait d’en informer l’écrivain
indélicat104.
Lorsque l’État était en danger, la procédure d’instruction pouvait brusquement
s’accélérer afin de ne laisser aucune chance au fautif d’échapper à la justice prévôtale de
l’intendant.
Mais ceci restait assez exceptionnel. Il fallait en effet, une atteinte grave, comme
l’espionnage. Dans la majorité des cas, cette instruction demeurait plus ou moins longue selon
la complexité de l’affaire105. De ce fait, même si la majorité d’entre elles se réglait en moins
de quelques jours, comme pour certaines évasions de forçats106 , voire quelques mois107 ,
parfois, certaines affaires pouvaient durer plusieurs années si des écueils apparaissaient.
L’exemple le plus parlant demeure celui de faux, acquis par le trésorier de la Marine, en 1782.
Voici ce que rapporte le Secrétaire d’État de la Marine dans sa lettre du dimanche 17
novembre 1782 :
102 AM Brest, 1P2-7, lettre au Secrétaire d’État de la Marine et des colonies, 2 mars 1782. Ce jeune homme de 22 ou 23 ans possédait un nom anglais car son grand-père était natif de Jersey. 103 AM Brest, 1P2-10, lettre à Monsieur Le Prince, 26 février 1786. 104 AM Brest, 1P2-7, lettre au Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, 2 mars 1782 : « Comme l’officier anglois auquel elles sont adressées a eu connoissance de leur interception, j’ai cru ne devoir pas attendre plus longtemps pour massurer du Sieur Saudwell Länoe, que je soupçonnois avoir écrit les dittes lettres quoiqu’elles ne soient pas signées de son nom, je l’ai en conséquence fait arreter hier et constituer prisonnier au Château ». 105 Comme pour l’affaire de Trinquemalay. La procédure commença en 1783 et le jugement de première instance n’intervint qu’en 1791, par une décision du Tribunal de District de Quimper. Voir infra, p. 115-118. 106 Dans la plupart des affaires concernant des évasions, la condamnation du forçat s’effectuait par contumace. Dans le fonds concernant la période étudiée, sur les 182 personnes condamnées, 96 (52,5%) l’ont été pour évasion et 3 (1,5%) pour tentative d’évasion, entraînant un jugement rapide. 107 Ainsi, dans l’affaire du corsaire La Princesse Noire, l’intendant, informé le 3 août 1781 de l’embarquement illégal, avait déjà appliqué la sanction contre ses subordonnés le 17 septembre 1781. AM Brest, 1 E 209, f° 809 (3 août 1781) ; 1E 210, f° 119 (17 septembre 1781).
23
« J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 20 du mois dernier par laquelle vous me rendez
compte que le commencement de l’affaire des faux acquis vous a déja été rapporté et que la
procédure a été réglée à l’extraordinaire.
Je sens bien que l’absence du S[ieur] Frioux de Misecours, l’un des principaux accusés,
jette beaucoup de difficultés et d’embarras dans l’instruction de cette affaire, mais puisque cet
accusé est en fuite, il faut que les poursuites soient dirigées contre lui par contumace.
L’Intention du Roi est que vous fassiez suivre l’instruction avec toute la celerité qu’on pourra
y employer108 . »
La procédure semblait être avancée et s’il manquait un des accusés, le juger par
contumace ne devait pas poser de problème, car une telle situation était prévue par le Titre
XVIII. Des défauts et contumace de l’Ordonnance criminelle de 1670109. Or, étrangement,
dans les mois suivant ce courrier, il n’est jamais fait allusion à ce procès. Ce n’est que le
mardi 3 février 1784 que le Secrétaire d’État de la Marine l’évoque à nouveau :
« J’ai rendu compte au Roi, Monsieur, de la procedure que vous avès fait instruire à
Brest contre les auteurs des faux acquis sur le trésorier de la Marine, qui se sont répandus
dans le Public. Sa Majesté qui en a pris connoissance a pensé que, vû la gravité du crime, et
l’éclat qu’il a fait, il seroit d’une consequence dangereuse d’arrêter le jugement des accusés.
Elle m’a en conséquence commandé de vous renvoyer toutes les piéces de la procédure que
vous m’aviez adressées par votre lettre du 22 du mois de décembre dernier, et de vous
prescrire de procéder tout de suite au jugement110 . »
Le jugement les concernant fut rendu le lundi 23 février 1784111, soit plus d’un an et
demi après la première lettre indiquant cette affaire, condamnant chacun des accusés selon la
rigueur des lois112.
Une fois l’instruction terminée, l’affaire était renvoyée devant le Tribunal prévôtal de
l’intendant qui y exercera la justice, comme le précise l’Article Premier. Titre I. De
l’Intendant. Livre Douzième. Des fonctions des Officiers du Port, de l’Ordonnance de Louis
XIV pour les armées navales et arcenaux de marine de 1689113.
108 AM Brest, 1 E 213, f° 515 (17 novembre 1782). 109 Article 15 : « Le même jugement déclarera la contumace bien instruite, en adjugera le profit et contiendra la condamnation de l’accusé. Défendons d’y insérer la clause : Si pris et appréhendé peut être, dont nous abrogeons l’usage ». 110 AM Brest, 1 E 217, f° 257 (3 février 1784). 111 AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784). 112 Peine qui sera commuée par le Roi. AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784) : « En conséquence, elle s’est portée à leur accorder des lettres de commutation des peines, dont je joins ici les expéditions, et à l’Enregistrement desquelles, je vous prie de vouloir bien procéder ; je joins aussi tous les ordres nécessaires pour faire sortir des prisons de Brest les coupables qui y sont détenus, et pour les faire transférer fans les lieux indiqués par ces ordres ». 113 « L’Intendant départy dans un Port & Arsenal de Marine, y exercera la Justice, & ordonnera de la Police, & Finances, suivant le pouvoir qui lui en est attribué par sa Commission ».
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§2 : Les procédures applicables devant le Tribunal de l’intendant
Lors de l’étude des différents fonds, deux procédures ressortent lors des procès se
déroulant devant le Tribunal de l’intendant. La première, que nous pourrions qualifier de
normale, se déroulait lorsqu’aucun incident majeur ne se présentait. L’affaire suivait alors le
cours normal d’un procès (§1). Cependant, tous ne se déroulaient pas ainsi. Effectivement,
l’absence d’un ou des accusés compliquait énormément leur jugement. Dès lors, le procès
suivait une voie exceptionnelle : la contumace (§2).
A) La procédure normale
L’intendant, justice militaire d’exception, rendait ses sentences en premier et dernier
ressort114. Supposée être exemplaire, elle n’en était pas moins plus humaine que celle des
autres juridictions de premier degré du royaume. Mais comment se déroulait la procédure
devant le Tribunal de l’intendant de Brest ?
Pour cela, il devait, conformément à l’Article 24. Titre II. Des procédures
particulières aux prévôts des maréchaux de France, vice-baillis, vice-sénéchaux et lieutenants
criminels de robe-courte de l’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670115, réunir au moins
sept juges 116 . Cette exigence se retrouve lors de l’établissement de la Commission des
Chiourmes pour le jugement des gardes-magasins de Trinquemalay et du fort d’Ostinbourg,
soupçonnés de vols dans les magasins du Roi117. Le Secrétaire d’État de la Marine précise,
lorsque l’affaire est renvoyée devant l’intendant, qu’il doit constituer « un tel nombre de
Gradués nécessaires à l’effet de compléter le nombre de juges requis par les ordonnances ». Il
semble que Brest n’avait pas assez de juges parmi les personnes constituant le Tribunal
prévôtal, mais cela importe peu, l’Ordonnance de 1689 autorisant les officiers et gradués à y
siéger. Les juridictions demeuraient extrêmement rigoureuses sur ce principe.
Une fois le nombre de juges réunis, le Tribunal ne pouvait siéger que le matin,
conformément aux ordonnances, tout comme pour le Conseil de guerre118.
114 AM Brest, 1 E 236, f° 281 (27 février 1790) : Le Secrétaire d’État de la Marine demande à l’intendant de juger « en premier et dernier ressort, les dites accusations, ainsi qu’il est prescrit par le d[it] Arrêt [ du 5 février 1785] ». 115 « Aucune sentence prévôtale, préparatoire, interlocutoire ou définitive, ne pourra être rendue qu’au nombre de sept, au moins, officiers ou gradués, en cas qu’il ne se trouve au siège nombre suffisant de juges ; et seront tenus ceux qui y auront assisté, de signer la minute à peine de nullité, et le greffier de les interpeller, à peine de 500 livres d’amende contre lui et contre chacun des refusants ». 116 Cette formation était appelée la Commission souveraine des Chiourmes. AM Brest, 1 E 220, f° 227 (10 février 1785) 117 Voir infra, p. 68-71. 118 Pour la procédure devant le Conseil de guerre, voir : BERBOUCHE A., op. cit., p. 89-102.
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Les juges, avant d’étudier le fond du procès, examinaient les empêchements à juger et
la procédure, tout comme aujourd’hui, conformément aux Articles 14 à 22. Titre II. Des
procédures particulières aux prévôts des maréchaux de France, vice-baillis, vice-sénéchaux
et lieutenants criminels de robe-courte, de l’Ordonnance criminelle du mois d’Août 1670119.
Ces articles demeuraient l’assurance d’une justice équitable, ce que n’oubliait pas l’intendant.
En effet, lors d’un jugement contre un forçat nommé Joseph de Morpin, condamné
précédemment pour vol et évasion, il sursit à rendre sa décision, car Monsieur de Langristin120
considérait, dans un courrier précédent, que « ce forçat étant revenu au bagne avec une
nouvelle condamnation pour différents vols et pour s’être évadé, il ne peut subir un autre
jugement pour le même délit121 ». Ainsi, on ne pouvait pas être condamné deux fois pour le
même délit. Or, par cette lettre, le Secrétaire d’État de la Marine démontre bien que
l’intendant, avant de se pencher sur le fond de l’affaire, cherche à étudier les empêchements à
juger.
Cette situation se retrouve au niveau de la procédure. L’intendant n’était pas, en cas de
défaut de procédure, compétent pour les résoudre. Il existait, entre autre, en France, un conseil
du palais royal, dans la ville de Montargis, compétent pour juger les errements de la
procédure. Ainsi, dans un jugement rendu le 1er décembre 1789, le nommé Louis Bayotat,
forçat, fut-il renvoyé devant cette juridiction pour « suivre les errements de la procédure déjà
commencée contre lui pour y être statué définitivement122 ». Cela est étonnant car l’intendant
aurait du être le seul à pouvoir juger cette affaire, en vertu de l’Ordonnance de 1748.
Néanmoins, il est à déplorer qu’aucune autre indication de ce conseil n’est présente au sein
des archives, tant au sein du fonds de l’intendant à cette période, qu’au sein des Archives
Départementales du Loiret123.
Mais le plus souvent, c’est le Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies lui-même
qui décidait quel juge devait se saisir des affaires, comme nous le verrons ultérieurement.
119 Exemple : Article 14 : « Si le crime n’est pas de leur compétence, ils seront tenus d’en laisser la connaissance dans les vingt-quatre heures au juge du lieu du délit, après quoi ne pourront le faire que par l’avis des présidiaux ». 120 Commissaire général du port de Brest. 121 AM Brest, 1 E 217, f° 55 (10 janvier 1784). Mais dans cette affaire, il ne s’agissait pas d’une condamnation pour un même délit, mais bien pour une infraction différente, à savoir pour vagabondage et gens sans aveu ainsi que pour différents vols et non pour son évasion. 122 AM Brest, 1 E 235, f° 513 (19 décembre 1789) : « J’ai vu que par le jugement du 1er date que le N[omm]é Louis Bayotat, soit disant Jean Mle Barbier forçat a été renvoyé au Conseil du Palais Royal de Montargis, pour suivre les errements de la procédure déjà commencée contre lui pour y être statué définitivement ». 123 Monsieur F. PIGE, archiviste aux Archives Départementales du Loiret, m’indiqua qu’au sein de ses fonds, rien ne faisait référence à ce conseil. Le seul fait notable le concernant demeure une assemblée tenue en mars 1789, pour les élections des députés aux États Généraux. Le château, appartenant au Duc d’Orléans, fut, par la suite, transformé en filature de coton.
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B) Un jugement par contumace : l’affaire des faux acquis par le trésorier de la Marine
Les jugements des personnes en fuite se faisaient par contumace. Ces décisions étaient
régies par le Titre XVII. Des défauts et contumaces de l’Ordonnance criminelle du mois
d’août 1670. Il suffisait, pour que le juge rende un tel jugement, que l’accusé ne paraisse pas
dans les vingt et un jours suivant son assignation124. Cette situation ne fut retrouvée qu’une
seule fois dans le fonds étudié, les condamnations de forçats mises à part. Elle se présenta lors
de l’affaire de faux, acquis par le trésorier de la Marine.
Sur les trois accusés de ce procès, l’un d’entre eux s’était enfui125 . Un jugement
intervînt tout de même le lundi 23 février 1784126, condamnant les accusés à la peine de mort.
Cette sentence concernait aussi bien les personnes présentes que celles ayant réussi à échapper
aux autorités, en vertu de l’Article 15 du Titre XVII. Des défauts et contumaces de
l’Ordonnance de 1670127, évitant ainsi une multiplication des procès.
La condamnation, quant à elle, s’effectuait par effigie, comme le prévoyait l’Article 16.
Titre XVII. Des défauts et contumaces de la même Ordonnance128. Cela permettait de marquer
les esprits, afin que personne ne songe à réitérer l’infraction. Mais cette affaire semblait être
d’une extrême gravité, car le Roi lui-même s’en saisit129. Cependant, face à la ferveur du
peuple, il dut renoncer à faire juger cette affaire par ses commissaires, pour laisser la
124 Article 7. Titre XVII. Des défauts et contumace de l’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670 : « Si l’accusé est domicilié ou réside dans le lieu de la juridiction, il y sera assigné à comparoir dans quinzaine ; sinon, l’exploit d’assignation sera affiché à la porte de l’auditoire ». Article 8 : « A faute de comparoir dans la quinzaine, il sera assigné par un seul cri public à la huitaine ; mais les jours de l’assignation et de l’échéance ne seront compris dans les délais ». 125 Il s’agit du Sieur Louis André Frioux de Mirecourt. Les deux autres protagonistes sont le Sieur Frioux aîné et le Sieur Penneguez. AM Brest, 1 E 217, f° 257 (3 février 1784). 126 AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784). « Sur le compte que j’ai rendu au Roi, Monsieur, de la procédure criminelle instruite contre les auteurs et complices des faux acquis par le Trésorier de la Marine à Brest ; Ainsi que du jugement rendu par la Commission Souveraine des Chiourmes de cette ville le vingt trois février dernier ». 127 « Le même jugement déclarera la contumace bien instruite, en adjugera le profit, et contiendra la condamnation de l’accusé. Défendons d’y insérer la clause : Si pris et appréhendé peut être, dont nous abrogeons l’usage ». 128 « Les seules condamnations de mort naturelles seront exécutée par effigie ; et celles des galères, amende honorable, bannissement perpétuel, flétrissure et du fouet, écrites seulement dans un tableau sans aucune effigie : et seront les effigies, comme aussi les tableaux, attachés dans la place publique. Et toutes les autres condamnations par contumace seront seulement signifiée, et baillé copie au domicile ou résidence du condamné, si aucune il a dans le lieu de la juridiction ; sinon affiché à la porte de l’auditoire ». 129 AM Brest, 1 E 217, f° 257 (3 février 1784) : « Sa Majesté qui en a pris connoissance à pensé que, vû la gravité du crime, et l’éclat qu’il à fait, il seroit d’une conséquence dangereuse d’arrêter le jugement des accusés ».
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Commission des Chiourmes s’en occuper130. Néanmoins, il n’hésita pas à commuer la peine
du sieur Frioux aîné et du sieur Penneguez en un bannissement à vie131.
Mais le Sieur Louis André Frioux de Mirecourt était toujours en fuite et il n’avait, de
ce fait, pas bénéficié de la commutation de la peine.
L’affaire en serait restée à ce stade si, lors de l’année 1784, cet homme n’était pas
venu purger sa contumace. Cela relança la procédure à son encontre. En effet, le jugement
rendu par contumace n’était pas un jugement définitif, comme le précise l’Article 18 du Titre
XVII de l’Ordonnance susvisée132. Si jamais le contumax se représentait, que ce soit de sa
propre initiative, ou du fait d’une arrestation, dans les cinq années de la décision, la
contumace était mise à néant et la main levée sur les meubles et immeubles133 ordonnée s’il se
présentait dans l’année. C’est exactement la situation qui se réalisa ici, le sieur Louis André
Firoux de Mirecourt se représentant « pour purger sa contumace ; ainsi que du jugement
rendu contre lui par la Commission Souveraine des Chiourmes de cette ville le 2 juillet
dernier134 ». Il s’était donc rendu dans les cinq ans suivant son jugement et pouvait bénéficier
des dispositions de l’Article 18. Le Secrétaire d’État de la Marine et le Roi jugèrent que ce
dernier devait, malgré sa fuite, bénéficier des « effets de la clémence dont Elle [Sa Majesté]
avoit usé » envers les deux autres condamnés, et lui accorda des lettres de commutation de
peine de mort « en celle d’une détention perpétuelle dans la maison de S[ain]t Meen près
Rennes en Bretagne135 ».
Ainsi, contrairement à l’idée que peuvent se représenter nos contemporains, sa justice
n’était pas aveugle. En effet, demeurant une justice spéciale, militaire, les philosophes
considéraient136 qu’elle n’était en rien équitable. Pourtant, à la lecture des différentes archives
présentes à Brest, une situation nouvelle apparaît : l’humanité des différents intendants de la
Marine du port de Brest.
130 Ibidem : « Elle [Sa Majesté] m’a en conséquence commandé de vous renvoyer toutes les pièces de la procédure que vous m’aviez adressées par votre lettre du 22 du mois de décembre dernier et de vous prescrire de procéder tout de suite au jugement ». 131 AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784) : « Sur le compte que j’ai rendu au Roi, Monsieur, de la procédure criminelle instruite contre les auteurs et complices des faux acquis expédiés sur le Trésorier de la Marine à Brest, Ainsi que du jugement rendu par la commission souveraine des Chiourmes de cette ville, le vingt trois février dernier, Sa Majesté a jugé qu’il étoit de sa bonté et de sa clémence d’adoucir les chatiments que la rigueur des loix infligeois contre ces particuliers. En conséquence ; elle s’est portée à leur accorder des Lettres de commutation des peines dont je joins ici les expéditions ». 132 « Si le contumax est arrêté prisonnier, ou se représente après le jugement, ou même après les cinq années, dans les prisons du juge qui l’aura condamné, les défauts et contumaces seront mises au néant, en vertu de notre présente ordonnance : sans qu’il soit besoin de jugement, ou d’interjeter appel à la sentence de contumace ». 133 Article 26. Titre XVII. Des défauts et contumaces, de l’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670 : « Si le condamné se représente, ou est mis prisonnier dans l’année de l’exécution du jugement de contumace, main levée lui sera donnée de ses meubles, immeubles ; et le prix provenant de la vente de ses meubles, à lui rendu, en consignant l’amende à laquelle il aura été condamné ». 134 AM Brest, 1 E 218, f° 575 (8 août 1784). 135 Ibidem. 136 BERBOUCHE A., op. cit., p. 107-112.
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Section II : Une justice humaniste
Au fil des lectures des différents recueils présents au Service Historique de la Défense
de Brest, deux points sont particulièrement frappant. Le premier, que la justice de l’intendant
demeure beaucoup plus clémente que celles des autres juridictions royales et seigneuriales
(§1). Le second, qu’il demeure un homme consensuel, n’hésitant pas à utiliser ce que nous
qualifierions aujourd’hui de modes alternatifs aux poursuites (§2).
§I : Une justice clémente
L’univers des ports de guerre maritime n’était pas des plus calmes. Les violences137,
les assassinats, les vols138, les viols139 et autres crimes et délits140 demeuraient l’apanage
d’hommes soumis à de rudes épreuves141. Pourtant, les intendants successifs de la Marine
n’hésitèrent jamais à utiliser des sanctions souples envers les fautifs (A) et à multiplier les
mises hors d’accusation, preuve d’une justice efficace et humaine (B).
A) Des sanctions disciplinaires souples
Il serait faux de dire que cette justice ne connut pas quelques sentences
discrétionnaires, telle celle concernant le Sieur Masson, suspecté de détournement de
matériaux. Voila ce qu’écrivit l’intendant au Secrétaire d’État de la Marine, le mercredi 2
février 1785, au sujet de ce sous-lieutenant :
« Ayant été informé qu’il avoit été détourné deux bordages de chêne et quelques
planches de Sap[in] par le S[ieur] Masson, sous lieutenant du Corps Royal de la Marine de La
division de Brest, de ceux qui avaient été delivrés des magasins du Port, le 31 janvier
d[ern]ier pour la Batterie de l’Ecole des casernes de la Marine, je me suis concerté avec
M[onsieur] le C[om[te d’Hector pour constater le fait et aviser aux moyens de punir et de
prevenir à l’avenir de pareils abus. Comme d’après les informations qui m’ont été faites nous
avons reconnu qu’il serait très difficile de parvenir à acquérir des preuves suffisantes pour
asseoir juridiquement un jugement dans cette affaire, Le S[ieur] Masson pouvant alleguer des
pretextes qui pourroient le mettre à même d’éluder la rigueur des loix, quoique nous soyons
137 Voir, pour exemple, l’affaire de l’élève de Marine de Comble qui fut, ainsi que son domestique, battu la nuit à proximité de Saint-Malo (voir 1P2-9, f° 175 (7 août 1787), 1P1-22, f° 82 (17 août 1787) et 1P2-14, lettre à Monsieur Mistral, 21 août 1787). 138 Voir, pour exemple, une affaire de vol s’étant passée devant l’Amirauté du Cap François. Cette affaire est la seule sur papier imprimé (Voir AM Brest, 1P1-44, f° 268-273 (28 mars 1785)). 139 BERBOUCHE A., op. cit., p. 122-128. 140 Comme les mutineries (voir pour exemple, AM Brest, 1P1-47, f° 395 (21 avril 1786)), les impostures (voir pour exemple, AM Brest, 1P2-12, lettre à Monsieur Delaune, 12 octobre 1784), les escroqueries (voir pour exemple, 1P1-48, f° 834 (29 août 1786)), les malversations (voir pour exemple, 1P1-47, f° 227 (8 mars 1786)) ou les filouteries (voir pour exemple 1P1-47, f° 291 (24 mars 1786)). 141 BERBOUCHE A., op. cit., p. 51-64.
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intérieurement convaincu qu’il s’est rendu coupable d’infidélité et d’abus de confiance, nous
avons pensé qu’il estait convenable de ne point trop donner d’authenticité à un délit qui pourroit n’être point puni et qu’il était preferable de sevir militairement vis-à-vis le S[ieu]r
Masson, en le cassant et le renvoyant ; que ce genre de punition, en corrigeant le coupable, serait exemplaire. Dans ces vues, je n’ai point cru devoir entamer de procédure, et je suis
convenu avec M[onsieur] d’Hector qui vous rend egalement compte de cette affaire, en vous
demandant des ordres de le faire casser et renvoyer le S[ieu]r Masson, de le faire détenir en
prison jusqu’à ce que vous ayiez fait connoitre vos intentions. Je vous suplie, M[onsei]g[neu]r,
d’adopter le genre de punition que j’ai l’h[onneur] de vous proposer142. »
Cette proposition de sanction disciplinaire, n’ayant même pas entraîné l’ouverture
d’une procédure, représente l’idée qu’ont le plus souvent les gens de la justice d’Ancien
Régime, notamment celle militaire. Même s’il est vrai que la justice demeurait
discrétionnaire143 , ne représente-t-elle pas non plus un certain humanisme de la part de
l’intendant ? Même jugé disciplinairement, la sentence rendue contre ce sous-lieutenant
parait bien faible par rapport à ce qu’encourait un soldat ayant volé chez un habitant à terre144.
Ici, le Sieur Masson ne sera que cassé et renvoyé de la Marine avec, tout de même, quelques
jours de prison.
Cela ressort aussi lors de l’envoi d’une lettre, datée du vendredi 13 février 1784. Il y
est question du sieur Monnier, lieutenant de la Prévôté. Ce dernier avait été chargé de
conduire Monsieur de Vigny à Loches, petite localité située au Sud-est de Tours. Une fois
arrivé sur place, il maltraita « de parolles le maître de la Poste de cette ville et lui a refusé le
payement d’une course de deux postes et demie, se contentant de lui donner son nom sur une
carte en lui disant que ce seroit moi [le Secrétaire d’État à la Marine] qui le paieroit145 ».
Quelle impertinence de la part de ce simple lieutenant.
On aurait pu s’attendre, au vu de ce comportement, qu’il soit cassé. Or, le Maréchal
de Castries demande simplement à l’intendant de « marquer au S[ieur] Monnier tout [son]
mécontentement d’une telle conduite en le prevenant que s’il retomboit en pareille faute il
seroit puni severement ». Ce simple rappel à l’ordre prouve bien la souplesse des sanctions,
même disciplinaires, prononcées par l’intendant ou le ministre.
Mais cette souplesse n’était pas réservée au personnel militaire ou travaillant dans les
services de l’Intendance. En effet, même les simples ouvriers pouvaient se voir infliger de
telles sanctions indulgentes. Ainsi, au mois d’avril 1787, une insubordination éclata au
142 AM Brest, 1 E 559, f° 277 (2 février 1785). 143 Voir infra, p. 77-80. 144 Article MCCC. Titre CIII. Des Délits et des Peines. Livre Seizième. Du Conseil de Marine ; de la Justice de guerre ; des Conseil de Guerre ; & des Peines, de l’Ordonnance du Roi, concernant la Marine du 25 mars 1765 : « Ceux qui étant envoyés à terre, voleront chez les habitants des lieux près de la rade où les vaisseaux seront mouillés, seront punis de la peine des galères, ou condamnés à mort, suivant la conséquence du vol ». 145 AM Brest, 1 E 217, f° 317 (13 février 1784).
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Montmarin, lieu de construction des paquebots près de Saint-Malo146. Selon les rapports
qu’avait reçus le Maréchal de Castries, ces ouvriers se permettaient de s’absenter de leur
travail à volonté et ils vinrent même au Château faire des demandes déraisonnables147. Une
telle véhémence aurait du valoir au minimum une réduction de salaires comme le prévoit
l’Article DCXV. Livre VI, De la garde & sûreté des Ports ; de leur police ; de la
conservation des Ports et Rades ; du Lestage & Délestage de l’Ordonnance du Roi
concernant la Marine du 25 mars 1765148. Or, le ministre ne prescrit que l’envoi d’un archer,
le nommé Jaluseau, afin que ce dernier, grâce à sa surveillance, « rétablisse la subordination
parmi les ouvriers de ce genre149 ».
Mais l’intendant ne se contentait pas de prononcer des sanctions souples. En effet, il
prononçait régulièrement des mises hors d’accusation, preuves d’une justice efficace et
raisonnable.
B) Des mises hors d’accusation nombreuses
L’intendant ne menait pas une politique judiciaire aveuglément répressive. Les mises
hors d’accusation, même pour les forçats, demeurent assez régulières. Sur les 182 personnes
jugées par son Tribunal entre 1781 et 1791, 21 personnes sont mises hors d’accusation, soit
11,5% du total. Il semblait mener des instructions précises et efficaces, car il ne prononça
qu’un seul plus ample informé contre un aubergiste accusé de commerce clandestin et illicite
de clou de cuivre et de morceaux de planches du Roi150.
On peut remarquer sa clémence lors de l’étude de l’affaire du Sieur Claude Boscher,
natif de Paimpol. Cet homme avait été arrêté et enfermé au château de Saint-Malo après avoir 146 Saint-Malo était un haut lieu de la construction des frégates royales : « Du Sillon et de la petite grève, au nord, jusqu’à Saint-Servan et à l’anse de Solidor, plus au sud, en passant par le Talard, au centre, non loin de ses imposants magasins et des vasières asséhées, et jusqu’à l’anse de Montmarin, de l’autre côté de la Rance, l’air retentit des coups d’herminette d’une foule de charpentier » (JAHAN François, op. cit., p. 13). 147 AM Brest, 1P1-22, f° 42. « Je suis informé, Monsieur, que les ouvriers employés au Montmarin sous les ordres du S[ieur] Forfait, au travail des Paquebots qui y sont en construction, sont en général tellement insubordonnés, que cet ingénieur ne peut compter sur leur assiduité au chantier dont ils se permettent de s’absenter à volonté. Il m’a été également rendu compte que ceux de S[ain]t Servan, S[ain]t Malo et Paramé se sont oubliés au point de venir en troupe au chateau pour faire des demandes déraisonnable à M[onsieur] de Montbrun à qui ils ont tenu, ainsi qu’au S[ieur] Forfait, des propos grossiers et insolents ». 148 « Les heures de travail & de repos seront marquées par le son d’une cloche, & aucun ouvrier ne quittera le travail que cette cloche n’ait sonné, à peine contre les contrevenants de la privation d’un quart de journée, et de demi-journées ou de plus, suivant la qualité de la faute ; & s’il arrive que le mauvais temps oblige de cesser le travail pendant la journée, l’Intendant en donnera l’ordre ». 149 AM Brest, 1P1-22, f° 42. Mais cet archer nous informe dans sa lettre du mardi 8 mai, recopiée au dos de celle du lundi 30 avril, que les ouvriers étaient des hommes pieux ayant préparé Pâques, et que s’ils avaient manifesté leur mécontentement devant le château, cela était dû au calcul des heures de travail, étant à leur désavantage. 150 AM Brest, 1 E 223, f° 925 (22 avril 1786) : « J’ai vu que deux forçats, un Pertuisanier et différents particuliers convaincus d’un commerce clandestin et illicite de morceaux de Planches et Cloux de Cuivre appartenant au Roi, ont été condamnés à des peines tant corporelles et afflictives, qu’infamantes et pécuniaires, qu’il a été prononcé un plus ample informé indéfini à l’égard d’un aubergiste ».
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débarqué d’un navire à Granville, le jeudi 3 janvier 1782, sans aucun passeport. Il fut même
dénoncé comme suspect151, car il venait d’Angleterre et avait quitté sa patrie depuis plus de
vingt ans152, ce qui pouvait entraîner une suspicion de la part des services de l’Intendance en
pleine Guerre d’Indépendance Américaine.
Un tel acte valait, comme le stipulera le Code Castries quelques années plus tard, au
Titre XI. Des devoirs des Gens classés, & de la police des Classes, de l’Ordonnance du Roi,
Concernant les Classes, du 31 octobre 1784 au minimum une peine de prison de trois jours,
si la personne s’était absentée plus de huit jours de son quartier 153 , ou aux galères
perpétuelles154, si l’absence avait été plus longue.
L’Article 21. Titre XVIII. Des Déserteurs, de l’Ordonnance du Roi, Concernant les
Classes, du 31 octobre 1784, précise même que tout marin, en temps de guerre, qui sera
arrêtée sur un navire étranger ou passant en pays étrangers, se verra condamné à une peine de
trois ans de galères155, à moins qu’il ne revienne volontairement au Bureau des classes dans
un délai de six mois, comme le précise l’Article 22156.
Dès lors, ce matelot aurait du être condamné à trois ans de galères, car il avait quitté
sa patrie depuis plus de vingt ans pour l’ennemi héréditaire. Pourtant, à la lecture des
courriers, il fut simplement élargi157. Le commissaire ordonnateur de la Marine considéra en
effet que ce matelot n’avait fui à l’étranger qu’à cause de sa belle-mère qui le maltraitait tous
151 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 5 janvier 1782. « J’ai l’h[onne]ur de vous adresser la deposition du nom[m]é Claude Boucher natif de Paimpol que j’ai fait arreter et conduire au Château en debarquant d’un navire de granville arrivé ici depuis deux Jours. Cet homme n’était muni daucun passeport et m’ayant été dénoncé comme suspect. Je vais écrire au sindic des Classes de Treguier et au Sieur Lambert pour lui demander des renseignements sur la famille de ce particulier. Je le retiendray en prison jusquà ce que vous maiez fait connoître vos intentions sur son sujet ». 152 1P2-10, lettre à Monsieur Lambert, 7 janvier 1782. « Cet homme m’a paru suspect a plusieurs titres n’étant munis d’aucun passeport et ayant quitté sa patrie depuis plus de vingt ans ». 153 Article Premier : « Les gens de mer classés ne pourront s’absenter de leur Quartier pendant plus de huit jours, sans une persmission expresse & par écrit du Chef des Classes ou de l’Officier qui le remplacera ; & ce à peine de trois jours de prison, laquelle punition pourra être prolongée proportionnellement à la durée de leur absence ». 154 Article 6 : « Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions & défenses à tous gens de mer, de passer en Pays étranger, ou de s’embarquer sur des Navires étrangers, sous les peines qui seront prononcées au Titre des Déserteurs ; pourront néanmoins les Inspecteurs accorder en temps de paix à quelques Matelots ou autres gens de mer, des permissions de s’embarquer sur des Navires étrangers, pour apprendre les Langues, ou acquérir des connoissances particulières relatives à la Navigation ». Le titre correspondant au déserteur est le Titre XVIII. Des déserteurs. 155 Article 21 : « Les gens de mer classés qui, en temps de paix, auront été trouvés servant sur des Navires étrangers sans permission, seront condamnés à quinze jours de prison, réduits à la plus basse-paye, & serviront extraordinairement pendant deux ans à la moitié de ladite basse-paye ; & ceux qui, en temps de guerre, seront arrêtés sur des Navires étrangers, ou passant en Pays étranger, seront condamnés à trois ans de galères ». 156 Article 22 : « Il sera néanmoins fait grâce des peines portées par l’article précédent, à ceux qui ayant passé en Pays étranger, reviendront volontairement, & se présenteront au Bureau des Classes de leur Quartier dans le délai de six mois ; ils seront seulement détenus pendant huit jours, feront une campagne extraordinaire de six mois à deux tiers de solde, & seront mis ensuite à la paye immédiatement inférieure à celle qu’ils avoient précédemment ». 157 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 24 janvier 1784. « Il a été reconnu par plusieurs Gentilshommes de sa paroisse et par ses parents avec lesquels je lui ai procuré des entrevues. Il était difficile de ne pas concevoir des Soupcons en le voiant arriver à S[ain]t Malo après avoir parcouru la moitié de la France sans passeport ».
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les jours158, et que son voyage sans passeport n’était dû qu’à son « ignorance où il étoit de cet
usage159 ». L’addition de ces éléments rendait ce marin totalement excusable aux yeux du
commissaire ordonnateur160.
Cela se remarque aussi dans l’enregistrement des forçats condamnés au bagne. Tout
nouveau forçat devait présenter son jugement. Et l’intendant veillait à ce que cette formalité
soit respectée scrupuleusement. Il communiquait d’abord avec le Secrétaire d’État de la
Marine, puis, si ce dernier n’était pas en mesure de lui envoyer la sentence définitive du
tribunal l’ayant prononcé, il remettait en liberté ledit forçat. D’ailleurs, lors des différentes
demandes directes des bagnards quant aux abus s’étant glissé dans la durée de leur détention,
le ministre lui-même supplie l’intendant de vérifier l’exactitude de leurs dires, afin de ne pas
garder un homme ayant purgé sa peine au-delà des termes prévus par leurs jugements161.
Or, la justice des bagnards n’était pas réputée être très indulgente. Effectivement, le
Maréchal de Castries, même s’il les prenait en compte, ne les appréciait guère162 :
« Le Roi à qui j’ai rendu compte de ce jugement a approuvé que, sans s’arrêter aux
anciens Règlements et ordonnances concernant les chiourmes, ainsi que vous l’observez sont
tombés depuis longtemps en désuétude auxquelles les ordonnances particulières de la marine
ont implicitement dérogé, Les Juges ont usé de sévérité dans cette circonstance. Au surplus, je
sens depuis longtemps la nécessité de reformer entierement les Loix concernant non
Seulement la police et la discipline des Bagnes, mais encore celles du port sur tout dans les
parties pénales163. »
158 AM Brest, 1P1-19, f° 40 (15 février 1782). « J’ai reçu, Monsieur, la Lettre que vous m’avéz écrite au sujet du nommé Claude Boscher, détenu dans les Prison de S[ain]t Malo, comme suspect et n’ayant été trouvé muni d’aucun Passeport à son débarquement d’un Navire de granville. D’après les renseignements que vous vous êtes procurés sur le compte de ce Particulier, je vois que forcé il y a 23 ans par les mauvais traitements d’une Belle mere de s’expartrier, il rentre aujourd’huy pour recueillir la succession de son Père, et que d’ailleurs il a été reconnu par plusieurs Gentilshommes de sa Paroisse et même par ses Parents avec lesquels vous lui avéz facilité des entrevues ». 159 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 24 janvier 1784. 160 Cette indulgence vis-à-vis des matelots Français embarqués sur des navires étrangers se retrouve plusieurs fois dans le fonds des archives du Service Historique de la Défense. Ainsi, le mercredi 21 février 1781, le commissaire ordonnateur de Saint-Malo écrivit ce qui suit à Monsieur Mistral, commissaire au Havre, au sujet d’un matelot Français, Jacques GOFFET d’Harfleur retrouvé sur un corsaire de Jersey : « J’ignore encore quel sera le sort ulterieur de ce Jeune homme. S’il desire se raprocher de sa mere, je luy en fourniray le moyen, s’il veut embarquer je luyen faciliteray avec grand plaisir l’occasion. » (AM Brest, 1P2-5, lettre à Monsieur Mistral, 21 février 1781). 161 Voir pour exemple, la demande de vérification du forçat n° 22204, le nommé Michel Fere, condamné, pour désertion le mercredi 3 avril 1782, à une peine de 8 ans (AM Brest, 1 E 569, f° 64 (19 mai 1790)), son jugement n’étant pas à Versailles. Cet homme devait dire vrai, car il fut libéré le 19 juin 1790 (2 O 16, f° 324). 162 BERBOUCHE A., op. cit., p. 183-187. Le Maréchal de Castries, militaire endurci, plus sévère que son pacifique souverain, voulait de surcroît faire « employer ces criminels aux corvées les plus pénibles pour réserver les travaux les plus lucratifs et les moins fatigants aux forçats des autres classes ». 163 AM Brest, 1 E 223, f° 925 (22 avril 1786).
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L’intendant de Brest, Monsieur Guillot, quant à lui, semblait plus se préoccuper de
leurs sorts. En effet, au cours de son service, il fut très indulgent pour les forçats. Ainsi,
adoucit-il la condamnation aux galères de l’un d’entre eux, la faisant passer à neuf ans et non
plus à vie164 et en condamna un autre à une simple pendaison par les aisselles pendant une
heure, alors qu’il avait menacé un comite et un sous-comite d’un couteau, sans les frapper165.
La pendaison, peine largement répandue dans l’Ancien Droit, trouvant normalement
application au sein de la Marine pour les vols ou autres crimes, n’était plus appliquée que
pour les affaires de faussaires166, à l’exception de l’utilisation de faux noms167, et pour les
forçats ayant utilisé une arme en fer contre leurs gardiens168.
La rigueur des lois, d’application stricte pour les tribunaux de première instance169,
n’était pas tout le temps respectée par l’intendant. Ainsi, lors d’une affaire concernant le
transport illicite de cordages et de plomb hors du port, en 1786, les deux militaires n’eurent
qu’à payer 5 Livres d’amende et les dépens de la procédure 170 , alors que suivant
l’Ordonnance de 1765 un tel acte valait aux intéressés un emprisonnement171. Parfois, il se
164 AM Brest, 1 E 216, f° 481 (18 novembre 1783) : « A l’égard du N[omm]é Pierre le Beau, d’après ce que vous me représentez que ce forçat n’avoit que 15 ans, lorsqu’il s’est évadé, j’ai proposé au Roi d’adoucir son sort, en commuant la peine des galères à vie qui a été prononcée contre luy, en celle de neuf années, à compter du jour de la date de son jugement ». 165 AM Brest, 1 E 216, f° 353 (31 octobre 1783) : « L’autre [le forçat] avoit menacé de la même arme [un couteau] un Comite et un Sous-comite ». Pour cela, il fut « suspendu par les aisselles pendant une heure ». Ce forçat avait eu la lucidité de ne pas frapper ses gardes, auquel cas il aurait été pendu. 166 AM Brest, 1 E 223, f° 153 (21 janvier 1786) : « Le sixième enfin condamne le N[omm]é Augustin Rouzel, dit Dugravier, cy devant forçat a être pendu, tant pour avoir été désaisi de faux cachets, que pour conviction d’avoir fabriqué quatre fausses lettres misçives dont trois à dessein de s’approprier illiçitement le prix de la vente des biens du nommé Potel Adierne, forçat au bagne de Brest ». Ou 1 E 224, f° 701 (8 juillet 1786), pour le dénommé François Buffet, pendu pour « fabrication de faux congés militaires, certificats de service, et pour soupçon de fabrication de Timbre [sic] ». 167 AM Brest, 1 E 239, f° 473 (25 février 1791) : « Pierre Volard a été condamné à recevoir la bastonnade et aux galères perpetuelles pour avoir pris le faux nom de Jean B[apris]te Duval ». 168 AM Brest, 1 E 216, f° 353 (31 octobre 1783) : « J’ai vu que le Pertuisanier, après avoir été exposé au carcan pendant 3 jours, a été chassé de la ville de Brest à perpétuité, que les deux premiers forçats ont été condamnés l’un a être pendu, l’autre a être roué après avoir été étranglé, et que le dernier a été suspendu par les aisselles pendant une heure ». Ces deux forçats exécutés avaient « frappé d’un couteau un Mousse Pertuisanier et un Sous-comite ». 169 C’est bien ce qui ressort du courrier du samedi 12 juin 1784, concernant le jugement de deux jeunes hommes (le nommé Deseune, forçat n° 19086 et le nommé de Forsan, forçat n° 18002) dont le Tribunal de l’intendant aurait aimé modérer la peine, mais qu’il ne put pas faire, à cause de la rigueur de la loi. (AM Brest, 1 E 218, f° 237 (12 juin 1784)). 170 Le garde des portes risquait lui-même une sanction disciplinaire, selon l’Article DCLVIII. Titre XLI. De la Garde & la Sûreté des Ports. Livre Seizième. De la Garde & Sûreté des Ports ; de leur Police ; de la conservation des Ports et Rades ; du Lestage et Délestage : « La garde des portes de l’arsenal, observera soigneusement ceux qui entrent ou qui sortent, arrêtera tous ceux qui emporteront des effets & qui n’auront point un billet de sortie, signé du Commissaire de la Marine chargé du magasin ou de l’atelier dont lesdits effets auront été tirés ». 171 Article DCVI. Titre XLII. De la police des Ports & Arsenaux. Livre Sixième. De la garde & Sûreté des ports ; de la police ; de la conservation des Ports et Rade ; du Lestage et Délestage de l’Ordonnance du Roi concernant la Marine du 25 mars 1765 : « Les Gardiens, Consignes & Soldats lofés ou de garde dans l’arsenal, qui prendront des morceaux de bois ou copeaux sur les chantiers ou dans les ateliers, seront mis pendant huit jours en prison ; & en cas de récidive, les Gardiens & les Consignes seront chassés, & les Soldats emprisonnés pendant quinze jours ».
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refusait même d’appliquer les Ordonnances, comme le montre cette lettre du samedi 11
janvier 1783, dans laquelle le commissaire ordonnateur de Saint-Malo informe Monsieur
Delaune, commissaire des classes à Rennes, que le déserteur Bertrand Mequelet peut être
tranquille sur les suites de sa désertion, car « je [le commissaire ordonnateur Couradin] me
chargerai de son passage à Brest, et de le mettre à l’abri de toute punition quand il y sera
rendu172 ».
Mais cela n’était pas le plus stupéfiant dans une institution en pleine évolution
philosophique. En effet, l’intendant, homme consensuel, s’occupait aussi de l’avenir des
bagnards ou acquittés, tout en faisant preuve d’une certaine autorité, par l’utilisation de ce
que nous qualifierions de modes alternatifs aux poursuites.
172 AM Brest, 1P2-11, lettre à Monsieur Delaune, 11 janvier 1783.
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§2 : L’intendant de Brest : un homme consensuel
La période étudiée au sein de notre étude demeure charnière. Les idées
philosophiques avaient déjà imprégné la Marine. Ainsi, les autorités maritimes n’hésitèrent-
elles pas à penser à la réinsertion, non seulement des bagnards, mais aussi des différentes
personnes mises hors d’accusation (A). Mieux encore, les modes alternatifs de règlements
des conflits étaient déjà connus et utilisés par l’intendant (B).
A) La réinsertion des bagnards et des acquittés
L’intendant, en plus d’être doux dans ses jugements, essayait de faire en sorte que les
personnes en fin de peine ne soient pas en manque de subsistance à leur sortie de prison, pour
éviter au maximum de les faire retomber dans la délinquance.
La première étape de cette humanisation des forçats sans ressource se retrouve au sein
d’une lettre adressée à l’intendant et à Monsieur de Pern173, à propos de la délivrance d’une
« conduite de 12 Livres aux forçats libérés et reconnus sans ressources ». Le discours du
Maréchal de Castries à Monsieur de Langristin, le vendredi 17 septembre 1784, prit en
compte la réinsertion, au sein de la société, de ces personnes :
« Il m’a été observé, Monsieur, que les aumones données sur les routes aux forçats
libérés, etoient trop precaires pour tranquiliser sur le sort de ces malheureux et qu’il paroissoit
injuste de ne rendre un homme à la société que pour l’exposer, au moment même où l’on brise
ses fers, à une misère certaine ou à commettres de nouveaux délits. Ces réflexions dictées par
l’humanité ont fixé mon attention, mais elles m’ont conduit à penser que s’il etoit à propos de
venir au secours de forçat libéré connu dans le port pour n’avoir aucune espece de ressource,
il ne devoit pas en être agi de même à l’égard de celui qui retire une lucre de son travail ou
qui est aidé par sa famille. En conséquence, j’ai décidé qu’il sera donné douze livres de
conduite aux premiers et que les derniers censés avoir quelque pecule ne recevront rien. Le
commissaire chargé du détail de la Chiourme à Brest, étant à portée de se faire rendre un
compte journalier de la situation et des ressources de chaque individu, il vous sera facile de
juger, d’après l’état apostille qu’il vous remettra, des forçats qui seront successivement libérés,
lesquels d’entre’eux doivent jouir de la conduite fixée comme mon intention est que cette
décision soit generale, j’en donne connoissance à Toulon et à Rochefort, afin qu’on ait à s’y
conformer174. »
La justice n’abandonnait pas les bagnards lors de leur remise en liberté et essayait de
leur donner le maximum de chance pour se réinsérer dans la société, sans retomber dans la
délinquance.
173 Il était le commissaire du bagne. 174 AM Brest, 1 E 219, f° 97 (17 septembre 1784).
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Mais l’intendant de Brest alla encore plus loin. Ainsi, au sujet de quatre personnes
ayant subi le carcan et un bannissement, il leur fit délivrer, à chacune, 48£ d’aumône pour
leur route175, dans un jugement envoyé le vendredi 30 mai 1788 au Secrétaire d’État de la
Marine176.
Il s’occupait aussi des personnes mise hors d’accusation après une détention, en leur
accordant des dédommagements. Cela se retrouve dans le jugement rendu le vendredi 30 mai
1788, au sujet d’un soldat, qui reçut 48£177, pour le temps et les peines qu’il subit en prison.
Ses sentences accordaient même des dommages et intérêts en cas de mise hors d’accusation.
Parfois, il ne s’agissait pas d’une indemnité en argent, comme tous les cas vu ci-dessus, mais
de la publicité du jugement à travers la ville, par l’intermédiaire d’affiches imprimées au frais
du Roi178.
B) Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits
Une autre affaire peut aider à faire prendre conscience du consensualisme de
l’intendant vis-à-vis des fautifs. Comme il a été vu, il n’hésitait pas, quelque fois, à passer
outre les Ordonnances pour obtenir une condamnation disciplinaire. Mais son Tribunal
n’hésitait pas non plus à utiliser les voies amiables, tout en restant ferme quant au langage
employé, pour régler certaines procédures. Il en fut ainsi au sujet de l’affaire de l’abbé
Chaulieu, aumônier du bagne de Brest ayant détourné les biens d’un forçat d’une valeur
supérieure à 25£, appartenant de ce fait au Roi.
175 AM Brest, 1 E 231, f° 269 (14 juin 1788) : « J’ai remarqué par les Jugements des 13 et 21 du mois passés que les N[omm]és François Hebert, Henri Ferdinand, Thomas Dubois et Grégoire Desjars ont été condamnés à la peine du carcan et de bannissement et que vous avez fait delivrer à chacun des deux premier quarante huit livres d’aumône pour faire leur route, afin de les empêcher de mendier ou de se porter à des excès de violences sur les grands chemins ». 176 Une autre affaire rapporte cela, à l’égard d’un descendant de l’écrivain Corneille. Il s’agit du bagnard n° 26501, Philippe Corneille, qui, suite à une désertion en 1776, fut condamné par Conseil de Guerre aux galères à temps. Or, après avoir demandé sa grâce, le 20 décembre 1788, il l’obtint le 7 février 1789, avec un somme de deux cent livres, à l’égard de sa naissance et de son jeune âge. Voir, AM Brest, 1 E 232, f° 657 (20 décembre 1788), 1 E 233, f° 177 (7 février 1789), et 2 O 17, f° 50. 177 AM Brest, 1 E 231, f° 269, v° (14 juin 1788) : « Vous avez également fait donner pareille somme à titre d’indemnité aux N[omm]és Gourgaut Grenadier du Régiment de Normandie et Courin, soldat du régiment de Beauer pour les dédommager du tems qu’ils ont perdu et des peines qu’ils ont éprouvés pendant l’Instruction de la procédure dont le jugement définitif les a pleinement déchargé de toute imputation ». 178 Une femme put, sur les deniers du Roi, faire imprimer 100 affiches du jugement indiquant sa mise hors d’accusation. AM Brest, 1 E 218, f° 575 (8 août 1784) : « Je vous autorise également, Monsieur, à permettre à la Nommée Marie Mesgoff, qui a été déchargée de Toute accusation, de faire imprimer et afficher au nombre de 100 exemplaires et aux frais de Sa Majesté, la requête qu’elle vous a présentée, ainsi que l’extrait du Jugement du 23 février dernier, en ce qui la concerne seulement, pour rendre la justification de cette femme encore plus authentique ».
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L’intendant le rappelle à l’abbé lorsqu’il lui transmet un « mémoire en forme de
règlement servant d’interprétation pour l’ordonnance du 27 9bre 1748 179 par lequel vous
verrez, ainsi que par une décision ministérielle du 8 9bre 1746 que tout ce que les forçats
peuvent posséder au denier de 25#180 doit être déposé au Contrôleur de la Marine, et que le
produit des successions des condamnés à tems, doit être remis par le contrôleur à leur héritier,
et celui des condamnés à vie, versé au Trésor des Galères, et par conséquent de la
Marine181 ».
Ainsi, aucun forçat ne pouvait avoir plus de 25£ de pécule. Tous les biens qu’ils
possédaient au-dessus de cette valeur étaient automatiquement récupérés par le Roi. Or, en
l’espèce, cet article ne fut pas du tout appliqué. En effet, ce forçat était propriétaire d’un
patrimoine se montant à plus de 6000 Livres182. Somme importante pour l’époque. Ayant été
son confident, l’aumônier dut céder à l’appel de l’argent et n’hésita pas à aider le malheureux
dont la fortune était principalement représentée par des reconnaissances de dettes. Il se
proposa donc pour récupérer les sommes dues. Mais il en profita pour détourner une partie de
cet argent, ce que ne manqua pas de constater l’intendant, lorsque l’abbé lui demanda le
paiement de ses frais de route183. Or, l’Intendance désirait, quant à elle, récupérer les sommes
excédentaires, pour pouvoir les reverser à la Caisse des invalides. Un tel comportement aurait
du lui valoir un emprisonnement, l’ecclésiastique ayant volé les deniers du Roi. Mais
l’intendant se contenta de plusieurs rappels, afin que cet abbé puisse rembourser les sommes,
sans subir le déshonneur d’un procès :
« J’ai reçu, Monsieur, en même temps que votre lettre de ce mois, avis de la remise
que vous avez faite la veille aux mains du subdélégué de Carentan184, des effets que vous
aviez en dépôt provenant d’un forçat de ce port. Je m’étonne que cette remise sois incomplète,
et bien plus de ce que le suplément dépende des appointements que vous me demandez. Il en
résulte que vous avez disposé d’une partie de l’argent que vous étiez rendu dépositaire, et qui
devoit être regardé comme sauvé, surtout par un homme de votre caractère.
J’ai remarqué aussi dans votre compte une erreur de calcul, en ce qu’après n’avoir remis que
66 louis des 83 que vous reconnoissez avoir recu. Vous dites n’être reliquataire que de 18
louis, tandis que vous en redevez évidemment 23.
Je ne puis vous exprimer toute ma surprise de la conduite dont vous avez tenu en général dans
cette affaire. D’abord, la valeur du dépôt, et la qualité des objets qui le composent, auroient du
179 27 novembre 1748. 180 25 Livres. 181 AM Brest, 1 E 634, f° 97 (2 octobre 1788). 182 Soit 5096 livres en reconnaissance de dette, 83 louis d’or, des monnaies étrangères, des bijoux et des meubles de prix. AM Brest, 1 E 634, f° 79-81 (28 août 1786) et f° 97 (2 octobre 1786). 183 AM Brest, 1 E 634, f° 81 (28 août 1786) : « Et au cas que le soi-disant propriétaire m’eût paru graciable, j’avois volontiers consenti à vous faire délivrer sur les 83 Louis les avances nécessaires pour les frais de voyage que ce forçat vous avoit engagé (selon votre première lettre) à entreprendre pour faire les sollicitations convenables ; ou plutôt je me serois même porté à prevenir cette dépense, et d’ici, j’aurois sollicité sans frais en tout cas, on auroit pris des mesures assurées pour vous conserver la confiance des gens à vie que vous craignez tant d’avoir perdue par vos déclarations diverses ». 184 Carentan, ville du département de la Manche, proche de Saint-Lô.
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susciter vos soupçons, vû qu’il n’est pas ordinaire à un forçat d’avoir 83 louis, des monnoyes
étrangères, des bijoux et des meubles de prix.
Vous avez donc été [pour le] moins inconséquent, en vous chargeant d’un pareil
dépôt. En supposant que par la voie de la confession, vous eussiez acquis l’équivalent d’une
certitude, ou même une certitude qu’aucun des articles de dépôt n’étoient ni volés, ni recelés,
il étoit en même tems à votre connoissance que le Bureau du Bagne, et celui du Contrôle de la
Marine, sont les seuls dépositaires légitimes de tout ce qui appartient à un forçat au dessus de
la somme de 24#. Les ordonnances rendues à ce sujet sont affichées dans les salles de force,
où par état, vous deviez aller journellement. Vous avez donc commis une irrégularité en vous
chargeant du dépôt ; et c’est ce sur quoi je n’aurois pas tardé à m’expliquer si je n’avois pas
cru devoir m’assurer avant tout de la publicité des ordonnances rendues sur ces sujet. En outre,
vous ne pouvois ignorer que le soi disant propriétaire du dépôt, étant condamné à vie, n’avoit
plus la libre disposition de rien, et que tout ce qui se trouvoit en sa possession, revenoit, et
appartenoit même dans l’instant, au Roi par droit de confiscation. Vous êtes donc doublement
en fraude, pour avoir emporté le dépôt, et comment l’avez-vous emporté ? Sans laisser une
note qui pût autoriser le préposé de S. M. à réclamer le dépôt si vous étiez venu à mourir.
Vous n’avez averti que quand vous avez été au loin, comme si vous eussiez craint d’être
dénoncé par des avis de fouilles de ce genre que je faisois faire au Bagne avec succès, ou
comme si vous eussiez eu besoin du dépôt, ce qui est désormais hors de doute, vû que vous
employez une partie de l’argent à votre propre usage. Vous avez seu qu’une reconnoissance
de 1800" étois clouée entre des planches, et quoique la précaution vous indiquât un délit vous
n’en avez donné connoissance que deux mois après. Qu’est-il arrivé ? C’est que la
reconnoissance ne se trouve plus, et que le Roi qui en est le véritable propriétaire, court le
risque d’en perdre le montant185 . »
Monsieur de Beaupreau donne une chance, sous la menace d’une sanction judiciaire,
à cet ecclésiastique de se repentir de ses fautes, sans quoi il le fera poursuivre « comme pour
vol de deniers du Roi186 ». Même s’il est tout à fait clair que l’intendant se plaint du
comportement de cet abbé, pourquoi agit-il ainsi ? N’aurait-il pas dû l’arrêter tout de suite ?
Il semble que la réputation de l’abbé et le fait qu’il ait commencé à rembourser les sommes187
permettent de lui accorder une telle clémence. Mais il ne faut pas croire qu’il ne menait une
politique répressive plus souple qu’envers les ecclésiastiques. En effet, tout homme ayant eu
un comportement digne pouvait espérer voir sa peine réduite soit à un simple bannissement,
soit à une simple amende pécuniaire.
185 AM Brest, 1 E 634, f° 79-81 (28 août 1786). Les abbés étaient-ils de mauvais payeurs? En effet, au sein du fonds de Saint-Malo, l’abbé Laurenu, « aumonier débarqué de la gabarre La Pintade, est redevable envers le Roi d’une Somme de 225# 9s 10d. Je n’ai pu en opérer la retenue, parce que cet ecclesiastique avoit absolument besoin de la conduite que je lui ai fait payer pour se rendre à S[ain]t Servan ». Toutefois, lui ne pourra pas retarder le paiement de cette dette, car si rien n’est fait à Saint-Servan, les services de l’Intendance se serviront directement sur la pension accordée par le Roi (AM Brest, 1P1-41, f° 1127). 186 AM Brest, 1 E 634, f° 117, v° (6 novembre 1786). 187 AM Brest, 1P1-48, f° 864 (1er novembre 1786). « Un Aumonier de la Marine, Monsieur, qui servoit au Bagne de ce port [de Brest] s’est permis d’en emporter les bijoux qui lui avoient été remis en Dépôt par un forçat. Je viens de l’obliger à les remettre à M[onsieur] le Subdélégué de Carentan qui m’offre de faire passer le tout à Granville à M[onsieur] Quesnel à qui j’écris pour le prier de vous envoyer ces effets par la premiere occasion. Je vous serai très obligé lorsqu’ils vous seront parvenus, d’en chercher également une pour les faire rendre ici ».
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C’est ce qui se remarque lors d’un jugement rendu par le Tribunal prévôtal de
l’intendant au sujet du Sieur Joachim Toumoulin, maître canonnier, « convaincu de vol et
vente de menus cordages provenant du V[aisse]au du Roi l’Expérimenté ». Ce dernier ne fut
banni qu’à 10 lieues pour trois ans, alors qu’un tel vol aurait dû lui valoir, selon les
Ordonnances, une peine corporelle188. Cette décision est motivée, contrairement aux autres
juridictions criminelles, ce qui mérite d’être souligné :
« La qualité de cet homme et la nature du délit auroient semblé exiger plus de rigueur,
si à l’esprit de modération des peines aujourd’hui généralement adopté dans tous les tribunaux,
ne s’étoient jointes les considérations aussi pressantes que plausibles des servives distingués
de ce M[aîtr]e Canonnier pendant la D[ernie]re guerre et des recommandations avérées dont les chefs sous lesquels il a servi, et plusieurs officiers généraux surtout témoins de sa conduite
anterieure à sa faute l’ont honoré, en reclamant sa grâce en cette derniere circonstance189. »
Une autre affaire du bagne fait transparaître encore la clémence de la justice de
l’intendant. Plusieurs bagnards, en 1786, furent suspectés, après avoir pu payer des amendes
pécuniaires, de posséder un dépôt caché. L’intendant ordonna alors une inspection du bagne
et tomba sur une cache contenant environ douze milles livres d’effets que ce soit en bijoux,
mitrailles et espèces d’or et d’argent. Ces biens étaient volés auprès des particuliers. Or,
plutôt que de bastonner les forçats fautifs, comme cela se faisait en cas de première
condamnation pour vol190 suivant l’Article 91 du Mémoire en forme de règlement servant
d’interprétation pour l’Ordonnance du Roy du 27 septembre 1748191, ils furent simplement
privés de ces biens et purent garder leur pécule de 25£, à l’exception du Sieur Jean
Moissier192. Ensuite, ces biens furent rendus à leurs propriétaires ou vendus en cas de non-
réclamation. L’humanisme de Montesquieu et Beccaria avait déjà triomphé au sein de la
Marine193.
188 Article DCV. Titre XLII. De la Police des Ports et Arsenaux. Livre Seizième. Du Conseil de Marine ; de la Justice de guerre ; des Conseils de Guerre ; & des Peines de l’Ordonnance du Roi concernant la Marine du 25 mars 1765 : « Les ouvriers qui emporteront des morceaux de bois ou copeaux, seront arrêtés aux cales & portes par les Sentinelles ou Consignes, & payeront un écu d’amende, applicable auxdites Sentinelles és Consignes ; & ceux qui se trouveront saisis de clous ou autres effets appartenans à Sa Majesté, seront punis corporellement, suivant la qualité du vol ». 189 AM Brest, 1 E 545, f° 277 (8 juin 1789). 190 BESNARD Frédéric, La répression au bagne de Brest depuis sa création en 1749 jusqu’à la fin de l’Ancien régime, mémoire pour le diplôme d’études approfondies d’histoire du droit sous la direction de recherche d’A. BERBOUCHE, Faculté de droit et de Sciences politiques de l’Université de Rennes 1, 1999, p. 39. 191 « Les forçats qui voleroient seraient condamnés à la bastonnade pour la première fois, et à la deuxième ils seroient condamnés à vie, s’ils sont à temps, et s’ils étoient à vie, ils auroient les oreilles coupées ». 192 AM Brest, 1 E 224, f° 431 (3 juin 1786) : « Mais il me paroit en même tems juste, de remettre avant tout à chacun des forçats prorpiétaire (Jean Moissier excepté) les 25# tolérées par le Règlement et de leur faire esperer que sur la demande des Commissaires, il leur sera accordé de pareil secours suivant leurs besoin. Je m’en remets à cet égard à votre prudence ». Peut-être ce forçat avait-il déjà volé des biens chez des particuliers. 193 BERBOUCHE A., op. cit., p. 102-112.
40
Parfois, les services de l’Intendance abandonnaient même purement et simplement les
poursuites des fautifs si ces derniers se rendaient. C’est ce qu’il se passa avec le nommé
Bertrand Mequetel. Monsieur Delaune, commissaire à la ville de Rennes, avait plaidé en sa
faveur. Même si cette lettre n’est plus présente au sein des différents fonds, on peut imaginer
que la situation de ce marin toucha ce subordonné de l’Intendance, car il demanda à ce qu’on
lui envoya ce jeune homme afin de se charger lui-même de son passage à Brest et le mettre à
l’abri de toute punition194.
Mais pour autant, clémence ne signifie pas justice déraisonnable. En conclusion,
l’intendant ne se contentait pas de juger les forçats et les particuliers. Son administration
même n’était pas à l’abri d’une sanction disciplinaire. Or, le Tribunal prévôtal ne protégeait
pas ses officiers défaillants, comme le prouve l’affaire concernant le lieutenant de la prévôté
vue ci-dessus. Aucun courrier ultérieur ne concerne ce dernier. Mais respectait-il ses
compétences, ou en profitait-il pour exercer un contrôle plus étendu au sein du port ?
194 AM Brest, 1P2-11, lettre du commissaire de la Marine de Saint-Malo à Monsieur Delaune, 11 janvier 1783. « J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire au sujet du nommé Bertrand Mequetel. Vous pouvez, M[onsieur], tranquiliser ce jeune homme sur les suites de sa desertion et me l’envoïer avec une conduite et un passeort. Je me chargerai de son passage a Brest, et de le mettre à l’abri de toute punition quand il y sera rendu, mais il est nécessaire qu’il paroisse au Bureau des classes de S[ain]t Malo ».
41
Chapitre II : La soumission des autorités civiles des
ports à l’intendant
« Brest, considérable par Sa nombreuse Garnison, par les Travaux Immenses qui s’y
exécutent, par l’accroissement sensible de ses Habitants, par l’arrivée successive et journalière
des Etrangers que le Service du Roy, le Commerce et même la Curiosité souvent y appellent ;
Brest est la ville où il importe le plus aux intérêts de l’Etat que le bon ordre soit parfaitement
établi et maintenu195. »
L’intendant du port de Brest ne se contentait pas des limites judiciaires fixées par les
Ordonnances successives. Au contraire, durant les années 1780, il élargit ses prérogatives, au
détriment du Tribunal de Police Municipale, qui ne manqua pas de lui opposer une certaine
résistance (Section I), et de l’Amirauté, sous couvert de l’autorité royale (Section II), toutes
deux ayant perdu la confiance de la population portuaire.
Section I : La mise en place d’un plan de police
militaire
Le Tribunal de Police, au sein de la ville de Brest, a toujours été une source de
difficultés196. Un Édit de 1699 enleva cette compétence au corps de ville de province pour la
remettre à un lieutenant général197. Toutefois, cet office pouvait être racheté, moyennant
finance, par les communautés de ville, ce que n’hésita pas à faire celle de Brest en 1754198. La
police constituait, pour les élus, un bon moyen de se défendre face au pouvoir monarchique,
sans cesse oppressant199 dans une ville stratégique. Mais n’ayant pas les moyens d’entretenir
une police efficace, cette dernière fut concurrencée et affaiblie, entraînant l’instauration de la
loi martiale. Face à la recrudescence des infractions durant la Guerre d’Amérique, la nécessité
de la mise en place d’une police militaire (§1), mettant les actions du Tribunal de Police sous
surveillance s’imposa, même si cela ne se fit pas sans difficulté (§2).
195 Arch. Com. Brest, 2 S 29, f°11. 196 DARSEL Joachim, op. cit., p. 139-140. A cause notamment des personnes à sa tête, tel le Sieur Avril, lieutenant de police au début du XVIIIe siècle, considéré comme fou. De plus, la distinction entre le Tribunal de Police et la Sénéchaussée est extrêmement difficile à établir, les deux justices se voyant exercée par les mêmes personnes. 197 Ibidem, p. 139. 198 Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, C 574. 199 NIERES C., op. cit., p. 411-485.
42
§1 : La planification de la police militaire de Brest
Il semble nécessaire, au sein de cette sous-partie de rappeler brièvement les
compétences et la composition de ce Tribunal de police municipale. Il s’occupait de toutes les
infractions de faible valeur, équivalentes aux contraventions, ainsi que la police des marchés,
des métiers et des grains 200 . À Brest, vingt juges y siégeaient, dont dix-huit officiers
municipaux, le sénéchal et le procureur du Roi201, ce qui était un nombre très important de
magistrats, selon le Comte de Langeron202. Mais il n’y avait, au sein de ce corps municipal,
que cinq gradués. L’effectif précis de la police municipale n’a pas été retrouvé, mais il ne
semble pas qu’il permettait de contrôler efficacement une ville ayant une telle densité203. Cet
inconvénient, doublé d’une faiblesse pécuniaire, permit à d’autres institutions, dans les années
1770, de récupérer une partie de ses pouvoirs. C’est ainsi que le commandant du Château de
Brest n’hésita pas à suppléer une telle carence (A), avant de mettre en place un plan de police
militaire, en concertation avec les autres autorités royales du port et de la ville de Brest (B).
A) La loi martiale du Commandant du château (1776-1779)
A son arrivée à Brest, en 1776, le Marquis de Langeron, lieutenant général des
Armées commandant la division de Bretagne, se retrouve face à une situation catastrophique.
Mendiants et ribaudes envahissaient chaque jour un peu plus la ville de Brest, attirés par les
richesses que chaque marin pouvait détenir. Ne pouvant tolérer une telle débauche, il décréta
la loi martiale :
« Je n’ai point trouvé de meilleur[e solution] que de faire chasser de la ville tous les
mendiant[s] étrangers et les gens sans aveu. Les gardes à l’avenir ne laisseront entrer aucun
mendiant.
2°. J’ai demandé à la Cour qu’un Exempt de la Police de Paris vienne passer trois
mois à Brest pour purger la ville et les faux bourgs de tous les mauvais garnements et monter
la police.
3°. J’ai engagé les magistrats à faire un règlement de Police et il va être envoyé au
conseil pour y être homologué.
200 DUPUY Antoine, Etudes sur l’administration municipale en Bretagne au XVIIIème siècle, Paris, Deuxième Partie, 1891, p. 44-69. 201 CORRE Olivier, « Guerre et ports militaires, le problème de la police : son rétablissement à Brest durant la guerre d’Indépendance américaine », in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2009, p. 186 et Arch. Com. Brest, 2S 29/10, Mémoire sur la police de Brest. 202 Arch. Com. Brest, 2 S 29, f° 47. 203 Brest, à la fin du XVIIIe siècle comptait quelques 30.000 habitants, dont le dixième était forçat. BERBOUCHE A., op. cit., p. 191. L’intendant de la Province rapporte lui-même l’état dans laquelle se trouvait la police civile : « il n’y a qu’un des archers (le nommé Châsellier) et deux des Sergents de Police (les nommés Goujon et Belieu) qui remplissent bien le service ; et que tous les autres sont des yvrognes dont la communauté n’a aucunement lieu d’être satisfait » (Arch. Com. Brest, FF 4, f° 47).
43
4°. Avec beaucoup d’exactitude dans le service, et des patrouilles des deux services
les nuits seront plus tranquilles204. »
Mais le Comte de Langeron, commandant du Château de Brest et frère de ce dernier,
avait conscience que cette loi martiale, sans fondement légal et mal vécue par les troupes, ne
pouvait pas être durable. Les militaires n’étaient pas formés pour le métier de policier ! Or,
dès 1776, des patrouilles surveillèrent la ville, en notant les noms des hommes qu’elles
rencontraient pour en rendre compte à leurs officiers. Mais cela entrainait des difficultés,
comme celle rapportée par un fait divers du 4 août 1776205 :
« Un soldat de la Marine faisoit tapage à Recouvrance cet après-midi ; un sergent de
son corps ne pouvant le réduire appelle la garde ; deux soldats de terre s’emparent du tapageur
& et le conduisent entre eux ; il s’échappe, ils le poursuivent et ne pouvant l’atteindre un
d’eux tire & le manque, son camarade tire aussi & le perce [ ?] une balle dans le corps, ce qui
ne l’a pas empêché de faire encore une centaine de pas. On l’a porté vers l’hôpital à 5h, à 8h,
il est mort ».
Normalement, le meurtrier aurait dû être jugé par la Sénéchaussée de Brest,
l’infraction ayant eu lieu au sein de la ville intra muros. Mais le processus judiciaire ne se mit
pas en place. Dès lors, l’affaire aurait pu être récupérée par la Marine, le commandant de
Terre avouant lui-même qu’il utilisait souvent, en tant que force de police, la prévôté de la
Marine206, pouvant dès lors s’approprier une compétence abandonnée par les autorités civiles,
ou par le commandant du Port, véritable chef des régiments de Marine stationnant à Brest.
Pourtant, lorsque l’affaire fut renvoyée devant la Marine, toutes ces institutions refusèrent de
juger le coupable.
Devant cette difficile situation, au cours de l’année 1777, le Marquis de Langeron
étudia donc la possibilité de mettre en place une véritable police207. Mais cette volonté, d’un
homme fort, se heurta au sénéchal de Brest, dont la « famille seule s’oppose à l’établissement
d’une police militaire, et que par les différents mémoires qu’elle envoye au Parlement elle
échauffe la résistance de ce corps de Magistrats208 ».
204 CORRE O., op. cit., p. 188. 205 Ibidem, p. 189. 206 Ibidem, p. 190 : « Je me suis souvent servi du s[ieu]r Monnier, Exempt de la Prévôté qui est intelligent et propre à [être] employer à la Police ». Ce dernier deviendra par la suite lieutenant de police militaire, sous les ordres directs des Sieurs Dion et Buhot (AM Brest, Ms 133, f° 5-c (17 décembre 1781)). 207 Ibidem, p. 189-191. 208 Ibidem. Il est permis ici de se demander s’il ne s’agissait pas d’un conflit de famille. En effet, les LANGERON étaient une famille d’anciens nobles occupant des places stratégiques au sein de l’armée. Les BERGEVIN, quant à eux, s’étaient accaparés cinq des plus hautes fonctions policières de la ville de Brest. BERGEVIN père était président des traites, subdélégué de l’intendant de Bretagne et correspondant de la commission intermédiaire des États. BERGEVIN fils était lieutenant particulier au siège de l’Amirauté et sénéchal. Un de ses frères était procureur du Roi au siège de la sénéchaussée et au siège de police. Un gendre du père BERGEVIN (Lunven de COATIOGAN) était procureur du Roi en l’Amirauté. Son beau-frère était
44
B) La mise en place de la police militaire
Brest fut donc une cité où la police militaire s’installa rapidement, sous les ordres de
l’intendant. A contrario, dans la ville de Saint-Malo, le commissaire de la Marine dut
composer avec les différentes autorités des ports.
Face à cette résistance, le Secrétaire d’État de la Marine se saisit lui-même du dossier.
Il demanda ainsi aux trois autorités militaires du port 209 de se concerter en vue de
l’établissement d’un plan de police. Voici ce qu’envoya l’intendant du port, Arnaud Delaporte
à Versailles, le vendredi 20 mars 1778 :
« M[onsei]g[neur].
M. de Langeron, M le C[om]te d’Orvilliers es moi nous sommes hier assemblés pour,
avec les S[ieu]rs Buhot et Dijon, projetter un Plan de Police à établir dans la Ville de Brest.
Nous nous sommes reunis à penser que pour éviter ou diminuer du moins les difficultés qui
pourront se rencontrer à l’établissement, quil paroit necessaire a faire pour assurer une bonne
police à Brest, il falloit absolument se borner à ce qui interesse la Sureté de la Ville et du Port,
en conséquence laisser aux Magistrats ordinaires la petite Police journaliere du Marché, et la
propreté des Rues et tout ce qui concerne la Municipalité. On s’est accordé également à regarder comme indispensable une attribution pour le
Contentieux et l’on parle qu’elle ne peut être donnée qu’à l’Intendant de la Marine. Je désirois
fort M[onsei]g[neu]rs quil fut possible de la donner à tout autre. Les fonctions et ma place sont
déja au dessus de mes forces et je serois effrayé d’y en avoir ajouter des nouvelles qui me
prendroient un temps precieux peut être moins par le travail qu’elle exigeroit de moi que par
les discussions et les Tracasseries auxquelles elles pourront m’y exposer. J’ai cependant lieu
de penser que si vous jugez à propos de m’en charger l’attribution sera réglée ; et que le Roi
fera connoître ses Intentions, et la manière qu’il n’y aura de reclamations de la Part du
Parlement ni de celle des Etats. J’ai l’h[onneur] de vous observer que cela que M[onsieur] le
Procureur général vraissemblablement excité par les Magistrats de la Ville leur a écrit que, si
le S[ieur] Buhot exerçoit la moindre fonction à Brest, ils eussent à lui rendre compte par un
Exprêt.
Nous avons rédigé les principaux articles qui nous ont paru devoir faire la base du
Reglement du Roi, et j’ai l’h[onneur] de vous les envoyer, M[onsieur] le M[arqu]is de
Langeron en envoye une expedition à M[onsieur] le P[rin]ce de Montbarey210
. »
Ainsi, la police de la ville se dédoublerait, pour être jugée devant deux tribunaux
distincts. Le Tribunal de Police et la Sénéchaussée211 se verront compétents pour ce que nous
lieutenant. Voir DARSEL J., op. cit., p. 143-144 et DUPUY Antoine, « L’Affaire Bergevin, documents inédits sur l’histoire de Brest », Bulletin de la Société Académique de Brest, deuxième série, tome VI, Brest, 1880, p. 459-483. 209 A savoir Arnaud Delaporte, intendant de la Marine, Monsieur De Guichen, commandant de la Marine, et le Comte de Langeron, commandant des armées de Terre. 210 AM Brest, 1 E 543, f°425 (20 mars 1778).
45
pourrions aujourd’hui qualifier de contraventions dans quelques cas bien précis : sur les
marchés212, dans les rues, pour la police des métiers et des grains.
Le reste du contentieux au sein de la ville et du port serait réglé par l’intendant de la
Marine, « juge d’attribution qui fera les ordonnances et Règlements de Police, jugera les
contrevenants, sera autorisé à prononcer les amendes et toutes condamnations, suivant
l’exigence des cas213 ».
Il est couramment admis que l’intendant juge, comme le fait penser l’Article CCCLXXV
du Titre XXVIII De l’Intendant. Livre Cinquième, Des fonctions des Officiers de
l’Administration dans le Port, & autres Entretenus, de l’Ordonnance du Roy concernant la
Marine du [lundi] 25 mars 1765214, non pas ratione personae mais ratione loci. Ce plan de
police élargissait donc ses compétences à l’ensemble de la ville de Brest, et non plus
uniquement à l’arsenal, au port et au bagne.
Cette situation était très certainement connue par la Communauté de ville. Il est bien
indiqué qu’elle s’oppose à l’instauration du Sieur Buhot215. D’ailleurs, elle n’attendit pas sa
nomination pour réagir. En effet, le lundi 30 mars 1778, l’intendant informa le Secrétaire
d’État de la Marine qu’un Arrêt du Parlement de Bretagne, concernant l’approvisionnement
du port de Brest, avait été rendu. Ne pouvant s’opposer à l’autorité militaire, trop forte et
unie dans le port de Brest, la communauté préféra donc s’adresser à une des deux autorités
protectrices de la spécificité bretonne : le Parlement de Rennes216. Ce courrier est clairement
une réaction face à la volonté d’implanter une administration de police militaire, suppléant la
police civile de la ville :
« M[onsei]g[neu]r
J’ai l’h[onneur] de vous adresser un exemplaire d’un Arrêt que vient de rendre le
Parlement de Rennes. Cet arrêt a été certainement provoqué par les Magistrats de Police à
Brest, qui pour excuser leur negligence de n’avoir point veillé à l’aprovisionnement de la
Ville, cherchent à rejeter sur les Munitionnaires pour le Roi, la Disette où la Ville se trouve de
bois de chauffage. C’est dans le fais la seule Denrée qui y soit rare.
211 Peut-on réellement les dissocier, l’office de lieutenant général de police étant rattaché à la Sénéchaussée. Seules quatre villes, en Bretagne, disposaient d’un tribunal composé d’officiers municipaux : Nantes, Rennes, Brest et Morlaix. DUPUY A., op.cit., 77-80. 212 Cet ajout ne semble pas nécessaire, la police municipale comprenant déjà trois branches d’égale importance : celle des métiers, des marchés et des grains. Voir DUPUY, Antoine, Etudes sur l’administration municipale…, p. 57-90. 213 Arch. Com. Brest, 2 S 29, f° 2, article 3°. 214 « Il connoîtra de tous les vols, larcins, injures, blessures & autres délits commis dans l’étendue de l’arsenal, & dans tous les magasins, en quelques lieux qu’ils soient, ainsi que sur les vaisseaux désarmés ; & l’instruction des procès en sera faite par le Prévôt de la Marine. » 215 BUHOT, Pierre Etienne. Parisien, né le 23 février 1723. Après avoir exercé des missions de police dans la ville de Paris (il eut notamment la surveillance des étrangers, dont la police des Juifs, de 1746 à 1756), il fut chargé par Sartine de l’enquête sur les désertions des gardes-suisses en 1766. C’est en 1778 qu’il est rappelé de sa retraite pour exercer les fonctions de Directeur de la Police militaire de Brest de 1779 à 1785. CORRE O., op.cit. p. 199-202. 216 Pour plus d’informations sur la protection des États de Bretagne et du Parlement, voir NIERES C., op.cit., p. 433-443.
46
Ils ont fait à M[onsieur] le Procureur g[énéral] quatre allégations qui sont de toute
fausseté.
La 1ère qu’il n’y a pas de point de poiss[on], parce qu’il n’y a plus de Peicheurs sur la
Côte, tous ayant été levés pour le service. Il est constant que ce Carême le Poisson est très
abondant au Marché.
La seconde que le Munitionnaire achete des Bleds aux environs de Brest. Il les tire
tous de Vannes, de Treguier et de S[ain]t Brieuc.
La 3ème que le Munitionnaire arrête les Barques qui vont au Port, pour en acheter la
Cargaison. Jamais cela n’est arrivé même pour le Bois.
La 4ème que le Munitionnaire est obligé de s’approvisionner à une distance de 10
lieux de la ville. L’article 29 et son Traité lui laisse la liberté de tous les Denrées en tel lieu
des Royaumes que bon lui semblera.
C’est cependant sur ces allegations que le Parlement a rendu son arrêt. Le juge est la
ville du Faou où le Munitionnaire a son approvisionnement de Bois, l’a fais signifié au
Marchand de Bois qui en a fait les achats. Il veut le contraindre à charger les Gabarres pour
porter au quai Public de Brest ses Bois et y être vendu aux particuliers, faute de quoi il le
menace de le decreter de prise de corps. Mon parti est pris d’employer l’autorité pour assurer
le Service du Roi ; et cependant comme il seroit desagreable pour moi d’être obligé d’en venir
à des actes qui pourroient deplaire au Parlement, et que dans l’intervalle de recevoir vos
ordres, le Juge du Faou pourroit m’y contraindre par les Siens, j’écris aujourd’hui à
M[onsieu]r le Procureur g[énéra]l dont j’ai l’h[onneur] de vous adresser copie. Je lui expose
la position dans laquelle on se trouve pour les Bois. Elle est dans la plus exacte vérité.
L’armement des deux Vaisseaux le Bienaimé et le Conquérant est retardé faute de Bois pour
l’arrimage et l’Armement manqueroit si l’Arrêt du Parlement avoit son execution.
Je ne crains point les Magistrats de Brest ; ils n’oseront vraissemblablement pas
remuer ; mais le Juge du Faou peut en arrêtant les Gabarres qui chargent pour le Munitionnaire en les obligeant de prendre le Bois des Marchands faire manquer entièrement
le Service.
Je m’empresse M[onsei]g[neu]r de vous rendre compte pour que vous puissiez prendre
les mesures que vous jugerez à propos, pour arrêter les inconvénients qui pourroient resulter
de cet Arrêt217
. »
Les autorités civiles de Bretagne restaient actives218. Elles s’empressaient d’utiliser le
peu de pouvoir leur restant afin de faire plier ou reculer l’autorité monarchique. Le port
stratégique devenait alors le combat de toute la Bretagne. Face à cet emportement, la police
martiale ne put durer plus longtemps. Dès le vendredi 2 juillet 1779, elle s’effrita. Ainsi, les
magistrats, « tant du baillage royal que de l’Amirauté, les Officiers municipaux et les
notables Bourgeois219 » eurent l’autorisation du Secrétaire d’État à la Marine, pour se rendre
sur l’Arsenal, alors réservé aux seules autorités militaires. Le conflit entre les autorités
judiciaires sembla s’atténuer. Mais le projet de police militaire n’était pas, pour autant,
abandonné :
217 AM Brest, 1 E 543, f° 445-447 (30 mars 1778). 218 NIERES C., op. cit., p. 433-443. 219 AM Brest, 1 E 544, f° 537-539 (2 juillet 1779).
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« A l’égard de la nouvelle Contique dont vous nous promettez de vous adresser un
projet, en cas que les modifications que vous venez d’aprouver ne soient pas suffisantes, nous
attendrons le retour de l’Armée, ou que l’experience ait fait connoître plus certainement ce
que la facilité du Service pourra exiger, sans nuire à la Sureté du Port220. »
Malgré un assouplissement de la loi martiale instaurée à Brest depuis 1776, rien de
concret n’est encore envisagé quant au rétablissement d’une police civile dominée par les
commandants et l’intendant221.
Ce n’est qu’en 1780 que le Comte de Langeron prévient les Magistrats de la ville de
Brest des intentions du Roi. En effet, ce dernier « a commis M[essieu]rs Buhot et Sarraire222
pour l’exercer [la police], sous les ordres immédiats des commandants de Terre et de Mer, et
m’a adressé ses ordres en conséquences223 ». Les autorités militaires, par l’intervention du
pouvoir royal, ne laissaient plus le choix aux autorités locales : la police sera désormais
exercée par des inspecteurs au service de l’Armée :
« De par le Roy,
Sa Majesté considérant qu’il importe au bien et à la sûreté de son service, d’établir
dans la Ville et le Port de Brest une police particulière […] Pour cet effet, Sa Majesté a
commis et commet les S[ieu]rs Buhot et Sarraire, pour en qualité d’Inspecteur de la Police
militaire à Brest exercer la d[ite] police, sous l’autorité immédiate et absolue des
commandants de la Ville et du Port, tant à l’intérieur de la Ville, Port et Arsenal, qu’à
l’extérieur, et veiller à la sûreté d’iceux224. »
Il semble que l’intendant, conformément à ses intentions formulées dans la lettre
précédente, n’ait plus la totalité du contentieux mais uniquement celui concernant sa fonction.
En effet, les inspecteurs ne ressortissent que des deux commandants, qui peuvent, à leur
convenance, renvoyer les intéressés devant les juridictions compétentes. Il s’agirait donc
d’une police extrêmement discrétionnaire, intervenant sur un large territoire s’étendant au-
delà des remparts de la ville de Brest225. C’est bien ce qui se constate lors de l’étude d’une
affaire d’espionnage par un Anglais. Il s’agit du nommé Jonathan Blagdon, pilote
220 Ibidem, f° 539. 221 Mais cette domination semble nécessaire, car, encore en 1785, l’intendant de la Province de Bretagne affirme lui-même « qu’il n’y a qu’un des archers (le nommé Châsellier) et deux des Sergents de Police (les nommés Goujon et Belieu) qui remplissent bien le service ; et que tous les autres sont des yvrognes dont la communauté n’a aucunement lieu d’être satisfait » (Arch. Mun. Brest, FF4, f° 47). 222 SARRAIRE, Etienne François. Ancien officier de Marine, il est inspecteur de police depuis 1760 et est en charge de la police du Palais-Royal. C’est lui qui montera la police militaire à Brest sur ses fonds propres. Il décède le 10 août 1780, à Brest, âgé de 49 ans. CORRE O., op. cit. p. 199. 223 CORRE O., op. cit., p. 197. 224 Arch. Com. Brest, 2 S 29, f° 2. 225 Monsieur Olivier CORRE parle, dans son article sur la police, d’une compétence s’étendant sur l’ensemble de la Basse-Bretagne. CORRE O., op. cit., p. 197.
48
d’Angleterre, arrêté sur le navire neutre le Jason226. Le ministre précise ainsi, dans une lettre
du samedi 20 juillet 1782, que les interrogatoires que le commissaire ordonnateur doit faire
subir à l’anglais ne sont que préparatoires en vue de son incarcération dans les prisons de
Brest « où son affaire sera définitivement instruite227 ». Même si le ministre ne précise pas si
le commissaire agit en tant qu’agent de la police militaire, les formalités qu’il lui demande
d’effectuer sont extrajudiciaires et font, de ce fait, penser à l’application de cette police
militaire discrétionnaire. Cette dernière aurait donc étendue son action sur toute la province
bretonne.
Face à cette nouvelle institution, la Communauté de ville voyait son champ d’action
réduit et n’avait plus qu’à se plier aux exigences de Sa Majesté228. Dès lors, il semble bien
que la police militaire mise en place par l’intendant de la Marine de Brest ne se soit pas
cantonnée à la seule ville intra muros, mais qu’elle s’implanta aussi sur les côtes bretonnes,
supplantant alors les autorités civiles. Mais face à cette prise de pouvoir, quelle va-t-être la
réaction des officiers municipaux? Les autorités militaires respecteront-elles les compétences
des juridictions civiles ?
§2 : Des officiers municipaux insoumis
L’intendant ne pouvait pas laisser les officiers de la Communauté de ville et les juges
de la Sénéchaussée libres de tout mouvement. Orgueilleux et fiers, ces derniers demeuraient
sous l’étroite surveillance des autorités militaires (A). Néanmoins, ce contrôle ne suffit pas à
les faire tenir en place, car ils organisèrent une tentative de résistance, aidés par le Sieur
Bigot de Préameneu (B).
A) Une communauté sous surveillance
La police et la justice de la ville de Brest paraissent donc être entre les mains des
autorités militaires, unies face à un corps désordonné229 : « Le Sénéchal et le Procureur du
226 Cette affaire est détaillée ci-dessous. Voir infra, p. 71-74. AM Brest, 1P1-19, f° 167 (3 juillet 1782) ; 168 (6 juillet 1782) ; 175 (12 juillet 1782) ; 180 (20 juillet 1782) ; 184 (23 juillet 1782) ; 197 (31 août 1782) et 1P2-7, lettres au Maréchal de Castries, 6 juillet 1782, 9 juillet 1782, 15 juillet 1782, 18 juillet 1782, 23 juillet 1782, 30 juillet 1782. 227 AM Brest, 1P1-19, f° 180 (20 juillet 1782). 228 « Sa Majesté défendant très expressément à tous juges, officiers de police et autres de troubler lesd[i]ts S[ieu]r Buhot et Sarraire dans aucune de leurs fonctions en quelque manière que ce soit, à peine de désobéissance ». Ibidem, p. 198. 229 Ainsi, dans de nombreuses lettres, le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies demande-t-il une coopération entre les différentes autorités militaires, comme pour cette lettre du dimanche 14 octobre 1781, au sujet de la police des matelots : « S[a] M[ajesté] compte que vous [ Le Comte d’Hector et Monsieur de Faissolle] aporterez la plus grande attention à l’exécution exacte des Ar[tic]l[es] de ce reglement et que vous coopérerez, chacun dans la partie qui vous en est confiée au maintien des principes qui y sont consignés » (AM Brest, 1 E 210, f° 341( 14 octobre 1781)).
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Roy sont occupés par les affaire criminelles et civiles, les Maires et Echevins sont occupés
par les affaires municipales, et par celle de leur état ou de leur commerce, en sorte que
chacun se reposant sur le zèle de ses confrères, tous s’assoupissent dans l’inaction. Les
audiences mêmes son désertes, la justice s’y distribue rarement230 ». Pourtant, la justice civile
n’en est pas pour autant écartée, comme le prouve ce courrier adressée à l’intendant du
mercredi 5 juillet 1780 :
« Je suis informé, Monsieur, que le travail que le Conseil de Guerre [a demandé]
concernant M[onsieur] Duchilleau cause au S[ieur] Siviniant Greffier de la Prévôté de la
Marine, ne lui a pas encore permis de s’occuper de l’opération pour remettre aux Juges
ordinaires les voleurs, filoux et vagabonds detenu dans les Prisons de la Marine ; mais comme
il est très intéressant que ces Juges soient saisis le plutôt possible de l’instruction du procès
des prisonniers dont il s’agit, il est à propos que vous donniez ordre aux S[ieur] Siviniant de
faire promptement pour cela tout ce qui dependra de lui ; je sais qu’il a de l’intelligence et
qu’il est fort en état de bien faire cette besogne, mais qu’il a besoin d’être excité ; agissez en
conséquence231. »
Cette lettre nous informe que si les commandants sont chargés de l’application de la
police, ils ne disposent pas des pouvoirs quant à la gestion de l’instruction. L’intendant, s’il
n’est plus le juge omnipotent du port et de la ville, dispose tout de même du pouvoir
« d’aiguillage » des différents procès et non pas les inspecteurs de police.
Ainsi, les officiers municipaux et royaux sont-ils encore pris en compte dans la
dynamique judiciaire. Cela est compréhensible dans une ville où le nombre important
d’hommes incite à une justice prompte et efficace. Mission que ne pouvait pas remplir seul le
Tribunal de l’intendant232. Mais les officiers municipaux restaient sous la surveillance des
autorités militaires.
Cela se remarque aisément dans une lettre datée du vendredi 19 décembre 1788, au
sujet d’un embarquement forcé sur la frégate la Thétis233 . L’intendant avait alors rendu
230 Arch. Com. Brest, 2 S 29, f° 10. 231 AM Brest, 1 E 206, f° 65 (5 juillet 1780). 232 Cette concorde s’appliquait surtout en cas de catastrophe sanitaire. Ainsi, lorsqu’en 1784, une maladie contagieuse fut détectée dans les États du prince du Maroc, l’intendant, l’Amirauté et la Communauté de ville se concertèrent en vue d’établir un règlement : « Dans la crainte qu’ils [les navires ayant été au Maroc ou visités par des marocainc] ne communicassent une maladie contagieuse apportée dans les Etats de ce Prince par un N[avi]re Nagusoir [sic], je crois devoir vous faire part du Reglement que j’ai concerté à ce sujet avec les officiers Municipaux et ceux de l’amirauté de Brest » (1P1-43, f° 507). 233 AM Brest, 1 E 232, f° 649 (19 décembre 1788) : « « M[onsieur] Even, avocat à Brest, M[essieu]rs, vient de m’informer que le n[omm]é Jean Keroman, garçon meunier avoit rendu plainte contre un marchand épicier de cette ville, qui, aidé de quelques archers de la Prévôté de la marine, avoit voulu le faire embarquer forcément sur la frégate le Thétis, quoiqu’il n’eut point de destination abord de ce Bâtiment ». Il intervint aussi dans l’affaire dite des grains, lors de l’agression d’un Suisse : « M[onsieu]r Even a obtenu ces deux dernieres affaires avec tout le zèle possible, & n’a eu pour récompense de ses travaux que la gloire du succès » ( Arc. Com. Brest, 2 S 29, f°11). Cet avocat dut connaître des déboires, car dans un courrier du vendredi 10 septembre 1790, le Secrétaire
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« justice et protection » au pauvre homme, mais ce dernier avait besoin de témoignages de
« plusieurs officiers militaires ainsi que de plusieurs personnes de l’administration ». Les
juges ordinaires se saisirent de l’affaire, la plainte ayant été déposée devant leur tribunal.
Etant ainsi dessaisi du contentieux, l’intendant aurait du simplement donner toutes les
autorisations nécessaires pour procéder aux auditions de ses subordonnés. Or, dans cette
même lettre, le Secrétaire d’État de la Marine nous informe que Monsieur Redon de
Beaupréau a lui-même « effectué des démarches » et obtenu certains renseignements.
Cette réaction peut tout de même être comprise. En effet, le personnel militaire
pouvant être incriminé, une sanction disciplinaire n’était pas à exclure234. C’est bien ainsi que
l’envisage l’autorité centrale lorsqu’elle finit sa lettre par « si quelques individus attachés au
service de la marine sont obligés de paroître dans cette affaire, je désirois que vous
m’instruisiez des suites quelle aura ».
Mais cette surveillance, quant aux décisions de la Municipalité, ne s’exerce pas
seulement sur le personnel militaire. Les vagabonds étrangers, comme le prouve cette affaire
concernant une arrestation d’un religieux dominicain par les officiers municipaux, suspectés
d’espionnage, le sont aussi. Le lundi 27 juillet 1789, l’intendant informe le ministre de cette
arrestation :
« M[onseigneu]r
Je viens d’être informé qu’un Religieux Dominicain, qui se dit natif de Lille et avoir
recu l’ordre de pretrise à Tournay, a été arrêté hier par l’ordre des officiers municipaux de
cette ville comme vagabond et suspect. Il le paroit du moins par ses papiers dans lesquels il
convient qu’il y a des faux, il paroit aussi se contredire dans ses reponses ; on l’a conduit ce
matin dans les prisons du Château et les Juges Royaux vont instruire son procès235. »
d’État de la Marine nous parle d’ « inculpations graves et prouvées portées contre » lui (AM Brest, 1 E 238, f°69 (10 septembre 1790)). 234 Article VII du Titre I. De l’Intendant. Livre Douzième. Des fonctions des officiers de Port, de l’Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales : « Il tiendra la main à ce que tous les Officiers qui sont sous sa charge fassent leur devoir, chacun en ce qui regarde ses fonctions, & si quelqu’un manque à l’exécution des ordres qu’ils auront reçus concernant le service de Sa Majesté, il pourra les interdire ». Ou encore l’Article MCCLXXXV. Titre CIII. Des Délits & des Peines. Livre Seizième. Du Conseil de Marine ; de la Justice de guerre ; des Conseils de guerre ; & des peines, de l’Ordonnance du Roi concernant la marine du 25 mars 1765 : « Sa Majesté n’ayant point entendu prescrire tous les devoirs, ni prévoir tous les délits, ordonne à un chacun, dans quelque circonstance de service qu’il se trouve, de commander ou d’obéir, de se conduire toujours pour le plus grand ouvrage de son service, conformément aux loix de l’honneur ; enjoint même, comme un devoir de fidélité & d’obligation la plus étroite, à l’inférieur, qui en sera comptable, d’avertir le supérieur, sur des preuves certaines, ou au moins, sur des soupçons évidemment bien fondés, des fautes & manquement dont il aura connoissance ; enjoint au supérieur de garder dans ses recherches, le secret qui lui est confié & d’en user avec prudence ». 235 AM Brest, 1 E 545, f° 234 r°- 235 v° (25 juillet 1789).
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Comment aurait-il pu être au courant d’une affaire dont les officiers municipaux
s’étaient occupés, sinon en les surveillant236 ? L’intendant empiète ici sur les compétences
des juges ordinaires. Mais cette situation ne dérange nullement le Secrétaire d’État de la
Marine, qui, dans une lettre du samedi 8 août 1789, « désire en connoître l’issue et » qui,
oblige son subordonné de lui « rendre compte du jugement qui aura été prononcé contre ce
Religieux237 ».
Ce dernier ne tarda pas à répondre au ministre, car dans un courrier daté du mercredi
12 août 1789, ce dernier indique que « par ses [le religieux] réponses aux interrogatoires qu’il
a subis, qu’il ne doit pas être considéré que comme méconnu de son état. On se propose en
conséquence de le mettre en liberté sous peu de jours238 ». Il ne se contentait donc pas
simplement de surveiller les décisions des juges royaux, mais il y intervenait, sans que la
Communauté ne semble s’y opposer. Décision qu’approuva Monsieur La Luzerne dans une
lettre du samedi 22 août 1789239.
Les officiers royaux et municipaux étaient donc, au point de vue pénal, totalement
muselés par un pouvoir royal représenté, pour la justice, par l’intendant et, pour l’exercice de
la police, par les commandants. Mais ces hommes, fin juristes, tentèrent d’utiliser d’autres
procédés juridiques pour contrecarrer ces plein-pouvoirs.
B) La tentative de résistance des officiers municipaux
Les officiers de la ville de Brest étaient considérés comme virulents240. Mais ils ne
pouvaient s’opposer directement à l’autorité la plus puissante du port. Pour exister, ils
utilisaient tous les moyens juridiques restant à leur disposition, à savoir la police des métiers
et l’aménagement de la ville et du port241 (1). Plus encore, il semble que les avocats se soient
rangés du côté des officiers municipaux ralentissant dès lors les procédures devant le
236 Cette surveillance s’effectuait aussi sur les affaires civiles dépendant des compétences de la Communauté de Ville, comme l’installation de fontaines sur une place publique, en 1786. Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, C 609, 610 et 611. Voir infra, p. 79-81. 237 AM Brest, 1 E 234, f° 469 (8 août 1789). 238 AM Brest, 1 E 545, f° 237 (12 août 1789). 239 AM Brest, 1 E 234, f° 535 (22 août 1789) : « J’ai vû qu’on ses proposé en conséquence de le mettre incessemment [sous peu] en liberté. Je vous suis obligé de m’avoir mis à portée de connoître l’Etat actuel de cette affaire ». 240 L’intendant parlait ainsi du maire de la ville de Brest comme de « l’homme le plus litigieux que l’on connaisse ». AM Brest, 1 E 545, f° 213 (6 juin 1788). 241 Il semble qu’à Brest, malgré le manque d’hommes de loi (pour la seconde moitié du XVIIIe siècle, on en dénombre 22 à Brest et 7 à Recouvrance. BERNARD Maurice, « La Municipalité de Brest de 1750 à 1790 », in Annales de Bretagne, Tome 30, numéro 3, 1914, p. 417), ces derniers aient une connaissance assez complète de la justice applicable. Ou n’est-ce que grâce au Sieur Bigot de Préameneu, avocat à Paris chargé des affaires de la Communauté et futur collaborateur du Code Napoléon, mandaté pour les affaires de la ville depuis le mois de décembre 1781 ? (Voir Arch. Com. Brest, BB 24, délibération de la Communauté du « Samedy huit décembre 1781 »).
52
Tribunal de l’intendant242 et les autres juridictions royales. Ainsi, de façon détournée, les
juges ordinaires essayaient, au mieux, de récupérer leurs pouvoirs, ou tout au moins, de
ralentir l’activité juridique militaire (2).
1) L’exercice de la police des métiers
Le Tribunal de Police exerçait, entre autres, la police des métiers 243 . Activité
considérée comme extrêmement lucrative, elle concentrait l’essentiel des pouvoirs des
officiers municipaux. Par exemple, aucune industrie polluante ne pouvait s’établir sans
l’accord des juges et ils privilégiaient l’installation des commerçants en diverses
corporations244 afin d’en faciliter la surveillance.
C’est à travers ce pouvoir exclusif qu’ils vont essayer de contrecarrer juridiquement
la toute puissance de l’intendant. Ainsi, le samedi 15 décembre 1781, décident-ils, par une
ordonnance, d’interdire le travail le dimanche et les jours de fêtes aux habitants de Brest :
« Le Siege ayant égard à la répétition de M[onsieur] Guesnet sur les Procès-Verbaux,
aux Certificats et réponses desdits Brullés, Omnes, Lénard, Bouvet, & Rebour, leur a défendu
ainsi qu’audit Duchesne de retomber en pareille faute, les a condamnés aux dépens, taxés &
liquidés sur la vue & examen des pieces, à la somme de quatorze livres six sous, à raison de
cinquante-un sous chacun, au retrait & notification de la présente Sentence outre ; & faisant
droit sur les Conclusions du Procureur du Roi, a défendu & défend aux Habitants de cette
Ville de travailler les jours de Fêtes & Dimanches, sous tel prétexte que ce soit, à moins
d’être muni d’une permission par écrit d’un Juge de Police, sous les peines qui échéent, aux
Cabaretiers, Cafetiers & Billardiers, de recevoir chez eux qui que ce soit lesdits jours de Fêtes
pendant le service divin ; fait encore défense à toutes personnes de quelque état & condition
qu’elles puissent être, de laisser devant chez elles, des voitures, & leur ordonne dans le cas de
nécessité de les éclairer d’un fanal pendant la nuit, & de les faire garder, à peine de cinquante
livre d’amende contre les contrevenants. Sera notre présente Sentence, imprimée, lue, publiée,
& affichée par-tout où besoin sera, à la diligence du Procureur du Roi, & exécutés par tous les
Juges de Police, chacun en droit soi, ainsi signé au Registre, Bergevin de Loscoat, Président,
LeNormant, Maire, Le Guin de Neugel, ancien Maire, Gilbart, le Bronfort, Sabatier, & Ulfien
Duval, Commis-jurés245. »
242 AM Brest, 1 E 227, f° 447, r° : « Il seroit bien à désirer que l’on pût mettre des bornes aux procédures dont le S[ieu]r Even surcharge cette affaire ; sa conduite dans cette circonstance est contre toute décence, et de la dernière indiscrétion ». Mais cet avocat voulut par la suite rejoindre la Marine, car il demanda une place aux bureaux de la Marine, qui lui fut refusée à cause « d’inculpations prouvées » (AM Brest, 1 E 238, f°69 (3 juin 1787)). 243 Voir par exemple, Arch. Com. Brest, HH7, concernant la corporation des menuisiers, contenant de multiples procès. 244 Appelées jurandes ou syndicat de corporation (Encyclopédie Axis). Pour la création d’un système corporatif, voir HAMON Th., op. cit., p. 275-297. 245 Arch. Com. Brest, HH 7, f° 17.
53
Cela provoqua l’émoi de l’Intendance, qui, en pleine Guerre d’Amérique, avait
besoin de toute la main d’œuvre disponible afin de satisfaire l’effort de guerre de la Marine,
tant en construction qu’en réparation de vaisseaux. Or, par cette ordonnance, la Communauté
de ville, interdisait formellement à tous les brestois, s’ils n’avaient pas fait de demande
d’autorisation auprès du Tribunal de Police, de travailler au sein de la ville. Les juges
utilisaient dès lors leur pouvoir de contrôle sur les ouvriers et donc, indirectement, sur
l’activité de l’intendant, en freinant les diverses constructions du port. Il s’agissait d’exercer
un moyen de pression sur une administration jugée trop encombrante par les Magistrats de la
ville, voire reprendre un pouvoir judiciaire accaparé par les autorités monarchiques.
La lettre qu’envoya Monsieur Guillot aux services centraux n’est malheureusement
pas disponible246. Seule la réponse du Secrétaire d’État de la Marine, en date du dimanche 20
janvier 1782, permet de comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouvait le port :
« Je réponds, Monsieur, à la lettre que m’a écrite M[onsieur] de Beaupreau
relativement à l’Ordonnance rendue par les Juges de Police de Brest pour défendre à aucun
habitants de la Ville de travailler les dimanches et les fêtes. Je conçois que dans les
mouvements actuels du Port les ouvriers qui ont des entreprises de façon[nage] d’ouvrages
tels que le serrurier et le forgeron pour les batiments civils, le chaudronnier, le ferblantier et
quelques autres peuvent être obligés de travailler les dimanches, mais les ouvrages dont ils
sont chargés pour le Roi ne peuvent pas les soustraire à la police générale observée dans tout
le Royaume et dès qu’il travaillent hors de l’enceinte de l’Arsenal, ils ne peuvent tenir leurs
boutiques ouvertes sans la permission des juges ordinaires. Ces juges me paroissent en droit
que vous leur fassiez connoitre la veille de chaque fêtes quels sont les ouvriers qui seront
obligés de travailler le lendemain pour le service du Roi et la proposition qu’ils ont faites sur
cela à M[onsieur] de Beaupreau me paroit conforme à toutes les regles. Je vous prie de
vouloir bien vous concerter à ce sujet avec le Sénéchal. Mais si, ce que je ne crois pas, les
Juges de la Police, malgré la connoissance que vous leur avois donné de la nécessité de laisser
travailler quelques ouvriers vouloient s’y opposer, je prendrois des mesures pour lever les
entraves qu’ils mettroient au Service du Roi.
J’ai l’honneur d’être très parfaitement, Monsieur, Votre très humble et très obéissant
Serviteur.
Castries247
»
Le ministre précise ici la séparation des compétences de chaque institution. Ainsi,
l’établissement d’un règlement, par les magistrats de la Communauté248, portant interdiction
à tous les corps de métiers dans la ville de Brest d’exercer leur activité un jour donné, est 246 Les seuls envois restant au Service Historique de la Défense de Brest concernant l’intendant étant soit antérieurs à l’année 1780, soit postérieurs à l’année 1785, c’est-à-dire les fonds AM Brest, 1 E 543, 544, 545, 559, 560, 569 et 634. 247 AM Brest, 1 E 211, f° 167 (20 janvier 1782). 248 Cette lettre montre encore une fois l’ambiguïté des juridictions civiles de Brest. Le Secrétaire d’État de la Marine parle, tout au long de sa lettre des « juges de police ». Or, il demande, à la fin, la concertation entre l’intendant et le sénéchal.
54
légal. Le Secrétaire d’État de la Marine démontre bien que l’intendant est dans l’obligation
de remettre à ces derniers la liste des ouvriers travaillant pour l’Arsenal afin qu’ils ne soient
pas arrêtés et sanctionnés. Même la plus puissante justice doit se plier aux Règlements de
police générale.
Néanmoins, même si l’autorité centrale ne désapprouve pas l’initiative de la
Communauté, elle précise bien les limites ratione loci et materiae de leurs pouvoirs. Seule la
ville peut être concernée par ce règlement. Il ne saurait en aucun cas s’appliquer au port et à
l’arsenal, dans lesquels seuls l’intendant et le commandant du port disposent des pouvoirs.
De plus, cette ordonnance ne pourrait en aucun cas toucher le personnel civil agissant pour le
compte du Roi. Seule leur activité privée, au sein de leur boutique, peut être sanctionnée et
interdite.
Le Secrétaire d’État de la Marine envisage ensuite la réticence des officiers. Même si
le ton est courtois, il est évident qu’il s’agace d’un tel comportement. Ainsi, si la moindre
résistance survenait de la part des juges ordinaires, il interviendrait, en vue de « lever les
entraves », pour laisser travailler les ouvriers nécessaires au service du Roy249.
Cette lettre, sûrement retransmise à tous les intéressés, marque un peu plus l’étroite
marge de manœuvre dont disposent les juges de police : ils peuvent réguler et juger la police
des métiers tant que leurs décisions ne nuisent pas au Roi. La toute-puissance étatique,
représentée par l’intendant et les commandants, ne peut souffrir d’aucune résistance locale. Il
ne semble pas que l’affaire eut un retentissement postérieur. En effet, la suite des courriers
des services centraux n’indique aucun recours quant à cette affaire.
Néanmoins, la police des métiers n’était pas la seule forme de résistance des juges
ordinaires.
2) Un cas d’opposition judiciaire : les peigoulières
La Communauté n’hésitait pas à utiliser les failles des Règlements de police et les
imprécisions des Ordonnances du Roi pour recouvrer, ou tout du moins, tenter de recouvrer,
une partie de ses prérogatives. Normalement, l’Amirauté exerçait la police des quais250 et
249 L’État, en guerre contre les Anglais, ne pouvaient pas se permettre de subir des querelles internes. Mais cette situation n’était pas spécifique à Brest. A Saint-Malo, le Sieur Benjamin DUBOIS, armateur étant chargé des constructions de frégates à l’entreprise, c’est-à-dire à prix forfaitairement préfixés, fut troublé dans la possession d’un magasin de mature. Les sieurs Couradin et de Vigny ayant prévenu le ministre de la Marine de ses difficultés (AN, Marine, B3 718, f°70, cité dans JAHAN Fr., op. cit., p. 18), ce dernier émit des remontrances à ces officiers qui furent ainsi placés sous la surveillance du commissaire (« Je mande aux officiers municipaux que je me persuade que le zèle dont ils sont animés pour tout ce qui intéresse le Service de Sa Majesté les engagera à ne point troubler ni inquieter le S[ieur] Benjamin Dubois dans la paisible possession et jouissance du magasin dont il s’agit ; je vous autorise a leur faire connoître que je leur scaurai gré de la conduite qu’ils tiendront à cet égard » (AM Brest, 1P1-19, f° 135, (5 juin 1782)). 250 Article VII. Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août 1681 : « Connoîtront encore des dommages faits
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entendait même régenter toute la vie du port de commerce. Mais les officiers de la
Municipalité prétendaient assurer exclusivement la police des quais et des bateaux de
passage251. Cela n’était pas sans créer des conflits, d’autant plus que l’Amirauté demeurait
soumise à l’intendant, véritable ordonnateur du port.
Cette situation se présenta lors de l’installation de nouvelles peigoulières252. En effet,
la Communauté n’hésita pas à former une opposition judiciaire, malgré l’interdiction posée
par l’Article XI, Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des
officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août
1681253. L’intendant, devant une telle prise de pouvoir illégitime, adressa une lettre acerbe le
vendredi 6 juin 1788 au Secrétaire d’État de la Marine :
« Nous avons eu l’h[onneur] de vous rendre compte le 23 du mois d[erni]er des
services que nous vous avons prêté, de concer avec M[onsieu]r les Juges de l’Amirauté de ce
Ports et l’Ingénieur en Chef des bâtiments civils, pour l’établissement d’une Peigouliere sur le
quai de Recouvrance près du Parc des vivres. On commençoit le travail lorsqu’un huissier est
venu de la part de la communauté de ville, signifier à M[onsieu]r de Beaupréau une opposition judiciaire à cet établissement. Il avoit lieu de s’attendre à plus de défiance après la
lettre dont [je vous mets] ci-joint copie, qui avoit cru devoir écrire au Maire, lorsqu’il
pretendoit que cette affaire le concernoit particulierement.
On ne peut mieux, M[onsei]g[neu]r vous mettre à portée de juger d’où part ce peu
d’égard pour l’Intendant de la Marine, qui vous adresse la liste des membres qui composent
cette communauté, avec une apostille de l’Etat de chacun d’eux.
Au reste, M[onsieur] de Beaupreau a communiqué cette opposition aux Juges de
l’Amirauté, qui ci-devant se sont chargés des suites que pourroit avoir l’esprit de cette
communauté, ayant à la tête l’homme le plus litigieux que l’on connoisse. Les officiers de
l’Amirauté vienne[nt] d’y répondre par le mémoire que nous avons Monsieur, l’honneur de
vous adresser, ce qui nous a paru satisfaire à tous. Nous vous supplions M[onsei]g[neu]r de le
aux quais, digues, jetées, palissades & autres ouvrages faits contre la violence de la mer, & veilleront à ce que les ports et rades soient conservés dans leur profondeur et leur netteté ». 251 DARSEL J., op.cit, p. 138-139. Voir Arch. Com. Brest, 3 I 4, pièce 260, au sujet de la police des quais lors de la foire de Recouvrance. Des forains voulaient déposer leurs « malles et ballots de marchandises, sur le Bord du Quay de la calle ». En attendant les bateaux de transport, un garde des quais, subordonné du lieutenant général de l’Amirauté, traita « les uns de S[ieur] Gueux, les autres de S[ieur] polisson et les femmes de Sacrées Putains ». Normalement, en cas d’injures verbales, le siège d’Amirauté restait compétent, même si les deux plaideurs n’étaient pas des « gens de mer » (Voir DAVANSANT F., op.cit., p. 86 et 282-284). Or, cette affaire se retrouva devant le Siège Royal de la Police de Brest. 252 Peigoulières ou pigoulières : (provençal : pego, poix). Mar. Anc. Chaland portant les chaudières à brai qui servent pour caréner les bâtiments (Grand dictionnaire encyclopédique Larousse). 253 « Faisons défenses à tous Prévôts, Châtelains, Viguiers, Baillis, Sénéchaux, Présidiaux & autres Juges ordinaires, Juges-Consuls, & des soumissions, aux gens tenant des Requêtes de notre Hôtel & du Palais, & à notre grand Conseil, de prendre aucune connoissance des cas ci-dessus, circonstances & dépendances ; & à nos Cours de Parlement d’en connoître en premiere instance ; même à tous négociants, mariniers, & autres d’y procéder pour raison de ce, à peine d’amende arbitraire ». Valin René-Josué, dans son Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine du Mois d’Août 1681 (La Rochelle, 1760), sous cet article, indique que « les bornes de chaque juridiction une fois posée, & leur compétence respective bien déterminée, il n’est pas permis à l’une d’entreprendre sur les droits de l’autre ; chacune doit se renfermer dans ses limites, & respecter l’attribution & les prérogatives des autres ».
56
prendre en considération dans le cas où cette communauté porteroit cette affaire au Conseil du
Roi254. »
Il ne se contente plus de surveiller la Municipalité : il demande au ministre de la
neutraliser purement et simplement. Cette affaire démontre encore une fois, la mainmise de
l’intendant sur l’entité administrative que représentent le port et la ville. Normalement, seule
l’Amirauté disposait des compétences juridiques nécessaires pour exercer et juger la police
des quais. Or, il se sent ici personnellement visé par cette opposition judiciaire lorsqu’il
estime que la Communauté a « peu d’égard pour l’Intendant de la Marine » et indique que le
mémoire, envoyé par les juges d’Amirauté, n’est que le consensus de plusieurs
administrations.
Ce courrier peut paraître excessif, tant il décrit négativement les officiers municipaux,
qui semblent de plus en plus litigieux. N’ayant pas de solution légale, ce conflit ne
concernant que l’Amirauté et les juges ordinaires, l’intendant se permet d’envoyer alors une
liste nominative des différentes personnes, ainsi qu’une courte description de chacune d’entre
elles255. La raison d’État prime sur tout !
Cette affaire permet d’examiner plus attentivement les relations complexes
qu’entretenaient les services de l’Intendance et ceux de l’Amirauté. En effet, l’intendant et
ses subordonnés, par la police militaire du port, disposaient d’une compétence de lieu
toujours plus étendue. De ce fait, face à la justice prompte, invasive et équitable de
l’Intendance, celle de l’Amirauté, viciée et sélective, ne trouvait plus grâce, ni aux yeux des
sujets, ni à ceux des services centraux.
254 AM Brest, 1 E 545, f° 213 (6 juin 1788). 255 Ibidem : « On ne peut mieux, M[onsei]g[neu]r vous mettre à portée de juger d’où part ce peu d’égard pour l’Intendant de la Marine, qui vous adresse la liste des membres qui composent cette communauté, avec une apostille de l’Etat de chacun d’eux. »
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Section II : Le déclin progressif de l’Amirauté du Léon
La justice de l’Amirauté n’apparut que tardivement en Bretagne. En effet, c’est par un
Édit de 1691 que sont créés les sept sièges d’Amirauté bretons, à savoir Brest, Morlaix,
Nantes, Quimper, Saint-Brieuc, Saint-Malo et Vannes. Le siège de l’Amirauté de Brest,
appelé aussi Amirauté du Léon, mit plusieurs années avant de voir son pouvoir s’affermir,
grâce à Claude de Basserode, écuyer, sieur de Brétigny, qui dénonça, en 1697, les mépris des
Ordonnances du Roi, soit par ignorance ou parce que les coupables considérés cette formalité
comme sans fondement256. Selon l’Article VI. Titre I, De l’Amiral. Livre Ier de l’Ordonnance
de la Marine de 1681, l’Amirauté s’occupait de l’administration et de la juridiction de la
marine de commerce et de pêche. Evitant tout d’abord les différents excès des justices de
police, ils ne tardèrent pas à en reprendre les errements257 (§1). Cette situation, inquiétante
pour les justiciables, profita à l’Intendance qui prit de plus en plus de pouvoir. Cela se
remarque par l’Ordonnance de 1781, quant aux ventes des produits des prises et par
différents conflits entre les deux justices (§2).
Il est toutefois extrêmement difficile de pouvoir retrouver les procédures du siège
d’Amirauté du Léon, la totalité des archives la concernant ayant disparu lors du
bombardement de la ville de Brest, le 2 juillet 1941. L’état du fonds présent aux Archives
Départementales d’Ille-et-Vilaine n’est pas non plus d’un grand secours, le dernier appel du
siège d’Amirauté de Brest datant de 1756, concernant le pillage du navire naufragé
l’Espérance258.
§1 : L’Amirauté, une justice inefficace
La majorité des hommes lettrés, tout comme la population, considérait la justice
d’Ancien Régime viciée, à cause de ses nombreux errements259. En effet, se considérant
comme privilégiés, les officiers de l’Amirauté n’hésitaient pas à délaisser leur mission, même
pour la réalisation des procédures les plus essentielles (A). L’intendant sut alors saisir cette
occasion, soutenu par les services centraux et le Roi, et récupéra une partie de ces pouvoirs
(B).
256 DARSEL J., op.cit, p. 134. 257 Ibidem, p. 135-138. 258 Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, 1 BM 257. Cette affaire concerne René QUEFFURUS, soupçonné du pillage de ce navire, échoué le 6 décembre 1754. 259 Le 17 août 1789, le constituant Nicolas BERGASSE, dans son Rapport sur l’organisation du pouvoir judiciaire conserve le nom d’Amirauté, mais en change les pouvoirs. Ainsi, prévoit-il une élection de ses représentants par les capitaines des ports, et son président serait nommé par le Roi, de façon discrétionnaire. BERGASSE Nicolas, Archives parlementaires, 1ère Série, Tome VIII, p. 448.
58
A) Les errements du Siège d’Amirauté
L’Amirauté, en cette fin de XVIIIe siècle, était une justice en sommeil. Les nombreux
égarements dont elle faisait preuve ne permettaient pas la distribution d’une justice prompte
et équitable, et son administration même en demeurait viciée.
Sa justice n’était plus celle, efficace, de ses débuts. Elle préférait sélectionner les
affaires afin de pouvoir en retirer le maximum de profit. Cela pouvait mener à des situations
extrêmement dangereuses pour les gens de mer. Ainsi, normalement, lorsqu’un navire était
en détresse, les personnes présentes sur terre se devaient-ils de leur porter assistance260. Cette
question ne dépendait pas d’une quelconque justice, mais de l’entraide mutuelle que
s’accordaient les marins. Or, une lettre du commissaire de Camaret261 , rapportée par le
Secrétaire d’État de la Marine le dimanche 24 novembre 1782, nous montre le déni de ces
officiers quant aux secours à apporter, n’hésitant pas à mettre en danger un navire et son
équipage262, ainsi que l’animosité pouvant exister entre eux et les subordonnés de l’intendant :
« Hier, trois du mois de novembre, environ quatre heures après midi, les vents étant
au N[ord] N[ord] E[st] grand frais, par [ ?], je fus averti qu’un Batiment Sous pavillon
Impérial, nommé de Casfellery Wauweurun [ ?], Capitaine le S[ieur] Rouxel, venant de la
grenade avec un chargement en sucre, café, coton et cacao, et destiné pour Ossande, chassoit
en Côte, et avoit pavillon de détresse. Sur le champ, je me transportai Sur le Port, et ayant
trouvé plusieurs M[ai]tres de Barque, je leur ordonnay d’envoyer leurs chaloupes avec leurs
Equipages à bord de ce batiment. Ces gens me paroissant pas d’y porter de bonne grâce, et le
danger de ce navire paroissant pressant, je fis des reproches très vifs au S[ieur] Palud Ancien,
Maître de barque de ce Port, y faisant fonction de maître des quais et de Greffier de
l’Amirauté de ce qu’il n’avait point envoyé de Secours à ce Batiment, dès l’instant qu’il avoit
été en danger, et je lui ordonné d’assembler des Chaloupes pendant que j’y ferois venir du
monde, qu’il s’embarassoit très peu que le Batiment se perdit ou non, et qu’il n’avoit point
d’ordre à recevoir de moy ; quand je vis l’insolence de cet homme, je le menacai de le faire
casser s’il n’obéissait. Il me dit qu’il S’en moquoit et qu’au surplus, je n’en étois pas capable,
me tourna le dos et rentra chez lui.
Les Maîtres de Barque voyant que je n’avois pas plus d’autorité, furent se cacher
dans les Cabarets et je me trouvai dans l’impossibilité de donner secours à ce navire qui
heureusement parvint, à force de travail à porter des ancres au large qui le tinrent à une très
petite distance des rochers ou il a passé la nuit cruelle dans l’appre[h]ention de faire côte à
chaque grain qui passoit. Comme le vent est toujours de la même partie quoique plus modéré,
ce navire n’est point encore hors de danger.
260 Même si, concernant le diocèse du Léon, la tristement célèbre « côte des naufrageurs » et ses habitants préféraient voir un navire s’échouer, pour le piller, quitte à tuer les marins. DARSEL Joachim, « La vie maritime sur les côtes du Léon sous l’Ancien Régime », in Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Tome CIV, 1976. 261 Camaret-sur-mer, ville du département du Finistère, proche de Crozon. 262 AM Brest, 1 E 213, f° 577 (24 novembre 1782).
59
Voila, Monseigneur, ce qui mest arrivé en présence de tous les habitants de Camaret.
Mon autorité se trouve compromise à un point que si cet homme n’est pas puni de façon que
tout le monde sache, il deviendra inutile qu’il y ait un officier des classes à Camaret, parce
que ses ordre ne seront plus respectés. »
Il semble que par son statut, cet officier de l’Amirauté entendait résister à ceux de
l’Intendance, et ce alors même que des vies humaines étaient en danger. Le langage de
désespoir que tient ce commissaire fait penser que ce n’est pas la première fois qu’il se
confronte à la résistance de ce greffier. Le Secrétaire d’État de la Marine demanda alors à
l’intendant, de « vérifier les faits », « marquer ce qui en sera résulté et donner votre avis sur
le genre de réparation à procurer à cet officier des classes263 ». Il semble lui donner une
compétence d’investigation dont ce dernier ne dispose pas normalement. En effet, les
hiérarchies des deux services sont totalement différentes. De ce fait, est-ce à lui de vérifier
les faits ? Cette enquête n’aurait-elle pas du être diligentée par le lieutenant général du siège
d’Amirauté de Brest, seul compétent pour juger l’insubordination de ses officiers264 ? Il
n’existe malheureusement pas de courrier ultérieur précisant la suite de l’affaire.
Néanmoins, à la lumière de l’Ordonnance sur la Marine d’Août 1681, il est permis de
se demander si ce greffier n’a pas vu son intérêt pécuniaire. Effectivement, selon l’Article III.
Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté
& de leur juridiction de cette ordonnance, ces officiers « connoîtront aussi des prises faites
en mer, des bris, des naufrages & échouements, du jet & de la contribution, des avaries, &
dommages-arrivés aux vaisseaux & aux marchandises pour leur chargement ; ensemble des
inventaires & délivrance des effets délaissés dans les vaisseaux par ceux qui meurent en
mer ». N’avait-il pas intérêt à ce que ce bateau s’échoue afin de pouvoir récupérer certains
des droits inhérents à sa fonction ?
En effet, les officiers de l’Amirauté, extrêmement riches, demandaient souvent des
frais de justice qui s’élevaient bien au-delà du prix fixé par les Ordonnances, et n’hésitaient
pas à occulter toutes les formalités administratives nécessaires à une bonne gestion, comme
le prouve cette lettre du samedi 8 juillet 1780, interdisant le paiement de leur vacation :
« M[onsieur] Chardon m’a rendu compte, Monsieur, que les officiers de l’amirauté
de Brest au lieu de vous remettre comme ils le doivent, des copies des liquidations revetues de
son arrêté à l’effet de toucher leur vacation, ne vous présentant que des états de leurs
montants, signés de leur greffier et souvent informel. Vous ne devez ordonner le paiement des
263 AM Brest, 1 E 213, f° 575 (24 novembre 1782). 264 En renvoyant l’affaire devant l’Amiral de France, par exemple. En effet, ce dernier nommait les officiers et pouvait donc les révoquer. Article II. Titre Premier. De l’Amiral. Livre Premier. Des Officiers de l’Amirauté & de leur Juridiction de l’Ordonnance sur la Marine d’Août 1681 : « La nomination des offices de Lieutenants, Conseillers, de nos Avocats & Procureurs, des Greffiers, Huissiers & Sergens aux Sieges Généraux & particuliers de l’Amirauté, appartiendra à l’Amiral ; sans toutefois qu’ils puissent exercer qu’après qu’ils auront obtenu nos Lettres de provision ».
60
frais de justice d’aucune liquidation que sur la représentation de cette arrêtée par M. Chardon
parce qu’étant commis par Sa Majesté à ces effet ; c’est son arrêté, dont il me rend compte de
son côté, qui donne à la liquidation la sanction et l’authenticité nécessaire pour que vous
puissiez en ordonner le paiement, et vous devez rejetter toute autre pièce qui ne seroit pas
dans cette forme. Au surplus pour éviter à l’avenir ces abus, j’ai chargé M. Chardon de vous
adresser directement une copie de chaque liquidation revetüe de son arrêté qui restera déposé
au Contrôle et à laquelle on pourra recourir au besoin. Par ce moyen les choses resteront dans
la règle nécessaire pour cette partie du Service265 . »
Mais ils ne se contentaient pas simplement d’éviter leurs devoirs. Parfois, ils
ralentissaient, en toute conscience, les procédures en cours devant leur siège, comme pour
cette affaire concernant les officiers de l’Amirauté de Nantes, en date du mercredi 9 juillet
1788 :
« Les Officiers de l’Amirauté de Nantes, M[onsieur], sont saisis depuis plus de cinq
mois, d’une procédure du fait de Baraterie 266 , dont est prevenu le Cap[itain]e Serrier, commandant le Brigantin le David. La premiere instruction a été faite à Norfolk par le Vice-
Com[mandan]t de Virginie, a été envoyée à ces Officiers avec toutes les pieces relatives au
procès. Ils ont employé tout ce tems à les examiner, et ce n’est qu’aujourd’huy qu’ils
s’aperçoivent que cette premiere procédure est viciée et incomplète, et qu’ils demandent la
conduite qu’ils doivent tenir. Leurs observations a cet egard, n’est nullement douteuse et il est
incroyable qu’ils ayent mis 5 mois à la faire267. »
Il est assez intriguant de remarquer que des professionnels du droit, la plupart des
officiers des différentes Amirautés étant gradués268, n’ont pu, au bout de cinq mois, déceler la
moindre irrégularité quant à la procédure. Il transparaît dès lors que lorsqu’une affaire ne leur
semble pas être assez intéressante, ils utilisent tous les moyens mis à leur disposition pour en
ralentir l’instruction, voire ne jamais donner de jugement269.
265 AM Brest, 1 E 206, f° 85 (8 juillet 1780). 266 Droit Maritime. Préjudice volontaire causé aux armateurs, aux chargeurs ou aux assureurs d’un navire par le capitaine ou un membre d’équipage (Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse). Voir, pour exemple, Article VII du Titre IV. Du pilote. Livre II. Des gens & des bâtiments de mer de l’Ordonnance de la marine du mois d’août 1681 : « Le pilote qui par ignorance ou négligence aura fait périr un bâtiment, sera condamné en cent livres d’amende, & privé pour toujours de l’exercice du pilotage, sans préjudice des dommages & intérêts des parties ; & s’il l’a fait par malice, il sera puni de mort ». 267 AM Brest, 1 E 231, f° 417 (9 juillet 1780). 268 Tout du moins, pour les lieutenants, conseillers, avocats et procureurs aux sièges d’Amirauté. Article Premier. Titre III. Des Lieutenants, Conseillers, Avocats & Procureurs du Roi aux Sieges de l’Amirauté. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du Mois d’Août 1681 : « Les Lieutenants, Conseillers, & nos Avocats et Procureurs aux Sieges généraux & particuliers de l’Amirauté, ne pourront être reçûs qu’ils ne soient Gradués, n’ayent fréquenté le Barreau pendant le temps porté par nos Ordonnances, & ne soient âgez, sçavoir les Lieutenants des Sieges Généraux, de vingt-sept ans, & ceux des autres Sieges, & nos Avocats & Procureurs de vingt-cinq ». 269 DARSEL J., op.cit., p. 143. Alors même que l’Article V. Titre III. Des Lieutenants, Conseillers, Avocats & Procureurs du Roi aux Sieges de l’Amirauté. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du Mois d’Août 1681 précise qu’ils « seront tenus de faire incessamment la recherche & la poursuite des délits de leur compétence, & d’en donner avis à nos Procureurs généraux, à peine de suspension de leur charge pour la premiere fois, & de privation en cas de recidive ».
61
D’autres errements, quant à la procédure, infiniment plus graves, sont à dénoncer.
Normalement, aux termes de l’Ordonnance de 1781270, l’Amirauté se devait d’instruire les
ventes avant de les faire passer devant le Conseil des Prises271.
Or, les officiers de l’Amirauté n’étaient pas prompts quant à leur devoir. Ainsi, dans
une lettre du Secrétaire d’État de la Marine du mercredi 20 juin 1781, au sujet de la
« procédure relative au Navire Hollandais Le Berheboseh pris par l’Escadre du Roy », on
apprend qu’ils se sont contentés d’adresser au Conseil des Prises « quelques pièces de
bord272 ». Cela ne correspond pas du tout à la procédure prescrite en pareil cas. En effet, ces
derniers devaient préparer eux-mêmes le dossier, afin de savoir si la prise pouvait être
considérée ou non comme bonne273. Cependant, ils n’en avaient rien fait. Mais le Maréchal
de Castries semble au courant des retards récurrents dans les procédures car, dans la suite de
sa lettre, il « mande à ces Officiers de ne pas différer l’instruction et l’envoi de cette
procédure, dans le cas où ce seroit par oubli ou par négligence qu’il n’y auroit pas été
procédé ».
Plus grave demeure l’inexécution de la formalité de l’interrogatoire. Selon l’Article 4
de l’Ordonnance portant attribution aux intendants et ordonnateurs de la marine, des ventes
et autres opérations relatives aux prises faites par les vaisseaux de l’État274, cette formalité
est l’une des plus essentielles de la procédure. Le ministre ne manque pas de rappeler dans sa
lettre du mardi 10 juillet 1781, que les interrogatoires sont « une des formalités les plus
essentielles de la procédure d’une prise, puisque c’est par leur comparaison avec la
déclaration des preneurs, qu’on peut juger en connoissance de cause de la validité des
prises275 ». Afin de respecter la procédure, cette formalité devait uniquement se passer devant
le lieutenant général et son greffier276. Ce qui n’était pas du tout le cas à Brest. En effet, lors
de l’affaire des vaisseaux hollandais, l’intendant informa le ministre que les officiers
270 Voir l’Ordonnance portant attribution aux intendants et ordonnateurs de la marine, des ventes et autres opérations relatives aux prises faites par les vaisseaux de l’État, du 4 août 1781. DUFRICHE-FOULAINES, F.N., Code des prises et du commerce de terre et de mer, Paris, An XIII, p. 504 et suivantes. 271 Article 1 de l’Ordonnance portant attribution aux interndants et ordonnateurs de la Marine, des ventes et autres opérations relatives aux prises faites par les vaiss[eaux] de l’État du 4 août 1781 : « Les procéd[ures] pour les prises faites par les vaiss[eaux] de S.M. continueront comme ci-devant, d’être instruites par les amirautés, jusqu’au jugem[ent] du cons[eil] des prises inclusivement ». 272 AM Brest, 1 E 209, f° 443 (20 juin 1781). 273 Voir l’Instruction sur les formalité à observer relativement aux prises faites par les Vaiss[eaux] de l’État, en execute[ion] de l’ordonnan[ce] du 4 août 1781, faite le 30 septembre 1781. Voir AM Brest, 1L 10. f° 95-96. 274 « Les Officiers de l’Amirauté procéderont ensuite aux interrogatoires des prisonniers, qui ne pourront être faits que dans l’auditoire, et non dans aucun autre endroit, ils s’adresseront, pour avoir les prisonniers qui seront dans le cas d’être interrogés, à l’intendant, ou l’ordonnateur, qui les fera conduire, sans délais, à l’auditoire, à l’heure indiquée. Les officiers de l’amirauté enverront ensuite la procédure au secrétaire général de la marine, conformément à la déclaration du 24 juin 1778, et aux ordonnances subséquentes ». 275 AM Brest, 1 E 209, f° 653, v° (10 juillet 1781). Voir l’Instruction sur les formalités…, op. cit. 276 Ibidem.
62
d’Amirauté n’avaient « jamais demandé aucun de ces Hollandois » et ce même lorsqu’il
s’était proposé de les leur remettre.
B) La prise de pouvoir des autorités militaires
Devant de tels relâchements, l’intervention des institutions militaires, assurant le bon
ordre du port, semblait nécessaire. C’est cette situation qui se produisit lors des
interrogatoires des équipages hollandais. Ainsi, dans le courrier précédemment cité du 10
juillet 1781, le Secrétaire d’État de la Marine évoque les plaintes des officiers d’Amirauté à
l’encontre du S[ieu]r Dijon, directeur de la police militaire, quant à la méthode qu’il utilisa
pour mener les interrogatoires :
« M[onsieur] Chardon m’a également rendu compte des plaintes que lui ont porté ces
mêmes officiers sur ce que le S[ieur] Dijon, et ceux qu’il a sous ses ordres, ainsi que
beaucoup d’autres particuliers avoient assisté à des interrogatoires qu’ils avoient fait dans une
salle du bagne en public. Il est certain qu’un interrogatoire est un acte qui doit être secret, et
se passer dans l’intérieur d’un auditoire277 . »
Le ministre ne critique pas cette prise de contrôle de la procédure par les autorités
policières militaires, et rappelle que cette situation n’est due qu’à la propre turpitude des
officiers278. Toutefois, il ne désire pas voir de nouveaux conflits naître entre les différentes
institutions du port et poursuit sa lettre en précisant que, pour éviter toute difficulté, il «
mande que les Prisonniers » devront « toujours être interrogé à l’auditoire et non au Bagne ou
dans un autre lieu public [et qu’ils] seront conduits à leur Siège [d’Amirauté] lorsqu’ils en
feront la demande ». Ainsi, seuls les officiers de l’Amirauté pourront désormais suivre la
procédure des prises jusqu’à la remise de l’affaire entre les mains du Conseil des Prises. Le
Secrétaire d’État de la Marine, tout en réprimant les officiers d’Amirauté, n’entend pas les
priver de leurs dernières fonctions. Néanmoins, ces derniers n’auront pas les mains libres.
En effet, l’Amirauté ne semble pas pouvoir mener une affaire seule ou tout le moins,
sans la surveillance de l’intendant. Ainsi, au cours d’un procès concernant quatre matelots
étrangers, faisant partie de « l’Equip[ag]e du Navire Le Prince es Ligue », « sous Pavillon
Impérial », se passant devant le siège de l’Amirauté, l’intendant avait « écrit à M[onsieur] De
la Salle Lieutenant Général de l’Amirauté, pour lui recommander d’en presser l’instruction ».
D’ailleurs, le Secrétaire d’État de la Marine, dans une lettre du vendredi 16 janvier 1784,
n’hésite pas à l’informer de la correspondance qu’il entretient avec les officiers de ce Siège,
277 Monsieur Joachim DARSEL, s’appuyant sur le Nouveau Code des Prises de S. LEBEAU, crut que cette partie de la lettre était adressée aux officiers d’Amirauté. DARSEL J., op. cit., p. 136. 278 « Si ces officiers se fussent eux-mêmes conformés à la Loi, ils ne seroient pas dans le cas de former plaintes sur un fait auxquels ils ont donné lieu ». AM Brest, 1 E 209, f° 653, v° (10 juillet 1781).
63
car ce dernier précise que malgré l’absolution du nommé Claude Luberte Babu, matelot sur
ce navire, « il est encore détenu dans les Prisons » et qu’il écrit « a ce sujet aux Officiers de
ce Siège279 ». Il donne donc toute sa confiance à la justice et la gestion des conflits par
l’intendant et se méfie des officiers de l’Amirauté.
L’Intendance semble être l’administration tutélaire de l’Amirauté. Ainsi, à l’occasion
du comportement de la part d’un greffier de l’Amirauté, le S[ieur] Heter, « qui refuse de
défaire les effets des gens de mer qui ont été déposés au greffe depuis 1777 », l’intendant
n’hésite pas à en informer directement le Secrétaire d’État de la Marine qui, dans une lettre
du lundi 27 février 1786280, adresse un courrier au lieutenant général de l’Amirauté afin qu’il
prescrive à cet officier de « s’occuper sans délai de la liquidation de ces objets ». Mais ce
greffier ne voulut surement pas se plier aux ordres de son supérieur. En effet, dans un
courrier du vendredi 14 juillet 1786, le Maréchal de Castries rend compte d’un
assouplissement de la condamnation dudit greffier : « Je marque au Procureur du Roi de ce
siege [d’Amirauté] que je veux bien soustraire ce greffier à la rigueur des loix, puisqu’il a
satisfait aux condamnations pécuniaires prononcées contre lui281 ». Cette lettre peut sembler
être une reprise en main de l’Amirauté par le lieutenant Général. Or, il n’en est rien. A la
suite de ce courrier, le Secrétaire d’État de la Marine ordonne à l’intendant d’exercer une
nouvelle surveillance sur la rentrée des condamnations pécuniaires au sein de la Caisse des
invalides282.
Cette soumission se retrouve encore lors de l’affaire opposant la Communauté de
ville et l’Amirauté au sujet de l’installation de « Peigoulières sur les quais de Recouvrance,
près du Parc des Vivres ». L’intendant se sent ici personnellement touché par cette affaire283,
et indique que « les Officiers de l’Amirauté vienne d’y répondre par le mémoire que nous
avons, Monsieur, l’honneur de vous adresser, ce qui nous paru satisfaire à tous 284 ».
Normalement, seule l’Amirauté disposait de la police des quais285 et était chargée, à ce titre,
279 AM Brest, 1 E 217, f° 91 (16 janvier 1786). 280 Malheureusement, cet envoi n’est pas retranscrit sur un quelconque registre. Seule la réponse du ministre est accessible : AM Brest, 1 E 223, f° 571 (10 mars 1786). 281 AM Brest, 1 E 224, f° 721 (14 juillet 1786). 282 Ibidem. : « A l’égard des sommes qu’il a déposé entre les mains du receveur de M[onsieu]r l’Amiral, provenant des bris et naufrages, vous ne négligerez pas de suivre la rentrée de la portion revenante aux invalides ». 283 AM Brest, 1 E 545, f° 213 (6 juin 1788) : « On ne peut mieux, M[onsei]g[neu]r vous mettre à portée de juger d’où part ce peu d’égard pour l’Intendant de la Marine, qui vous adresse la liste des membres qui composent cette communauté, avec une apostille de l’Etat de chacun d’eux ». 284 Ibidem. 285 Article VII. Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août 1681 : « Connoîtront encore des dommages faits aux quais, digues, jetées, palissades & autres ouvrages faits contre la violence de la mer, & veilleront à ce que les ports et rades soient conservés dans leur profondeur et leur netteté ».
64
de les entretenir et les garnir. Or, ici, les contreseings de l’intendant et du commandant du
port, tous deux informés de la situation, paraissent essentiels.
Les services de l’Intendance s’immisçaient même dans les affaires de l’Amirauté,
avec l’accord express du ministre, sans que ses officiers ne protestent énergiquement. Tel fut
le cas dans une affaire concernant des bateliers de Saint-Malo, les Sieurs « Guérinot et son
Compagnon286 ». Ces derniers avaient fait embarquer des gens sans passeport. Le colonel du
régiment de Beauce, le Sieur d’Ecquerevilly, mis au courant de cette affaire, dépêcha alors
ses troupes afin d’arrêter ces bateliers, soupçonnés, par l’officier, de favoriser les
désertions287. Or, le Maréchal de Castries, informé par le commissaire ordonnateur Couradin
de la situation, en référa au Maréchal de Ségur, le Secrétaire d’État de la Guerre, pour qu’il
ordonne à son subordonné de « remettre ces deux hommes à votre disposition ». Monsieur de
Couradin devait alors les « faire détenir en prison, prendre ensuitte tous les éclaircissements
rélatifs à cette affaire, afin que sur le compte que vous m’en rendrez, je puisse vous adresser
des ordres ultérieurs à ce sujet288 ». L’ordre du ministre était clair : le délit relevant des
classes, l’Intendance devait en être saisi.
Mais cette situation ne vit pas le jour. Le colonel ayant senti l’irrégularité de sa
conduite, il décida de remettre les bateliers aux officiers de l’Amirauté, pensant, sans doute,
que ces bateliers, n’ayant qu’une activité commerciale, ne pouvaient être présentés devant
une autre autorité. Néanmoins, Monsieur de Couradin, sûr de son droit d’intervention grâce à
la lettre ministérielle, demanda à ce que ces hommes lui soient remis289. Mais l’Amirauté
n’allait pas se laisser subtiliser une affaire et réagit, sans toutefois vouloir manquer de respect
au ministre. Voici ce que rapporte Monsieur de Couradin, dans une lettre du samedi 14 août
1784 :
286 AM Brest, archives inédites, lettre du Maréchal de Castries à Monsieur de Couradin, 7 août 1784. 287 Ibidem. « « D’après ce que vous m’avez marqué, Monsieur, par votre lettre du 31 du mois d[erni]er au sujet des N[omm]és Guérinot et son Compagnon, batelier du Port de S[ain]t Malo, et detenu au château sur les ordres de M[onsieur] d’Ecquerevilly. J’informe M[onsieur] le M[aréch]al de Ségur de ce qui s’est passé à ce sujet, et je fais connoître à ce Ministre que l’expédient dont s’est servi le Colonnel, ne peut être approuvé non plus que la voye d’autorité qu’il a employée pour punir des gens dont la faute ne peut être imputée qu’a la séduction dont il a été usé vis-à-vis d’eux ; qu’ils ne peuvent être punis comme ayant favorisé la désertion puisqu’ils ne pouvoient présumer que les gens apportée appartinssent à aucun corps, au moyen de leur déguisement qu’aussy leur délit ne peut être regardé que comme une prévarication aux ord[onnan]ces de la Marine qui deffendent expressément d’embarquer qui que ce soit sans permission du Bureau des Classes ». 288 Ibidem. « Dans cet état, M[onsieur] d’Ecquivilly auroit du se borner à faire informer de ce qui s’étoit passé et que le Commissaire qui s’en seroit assuré auroit demandé des ordres pour leur punition ; je prie en conséquence le Ministre de la guerre de faire remettre ces deux hommes à votre disposition. Vous voudrez bien, lorsqu’ils auront été remis, les faire detenir en prison, prendre ensuitte tous les éclaircissements rélatifs à cette affaire, afin que, sur le compte que vous m’en rendrez, je puisse vous adresser des ordres ultérieurs à leur sujet ». 289 AM Brest, 1P2-8, lettre à Monsieur le Maréchal de Castries, 14 août 1784. « Dans l’intervalle qui s’est passé entre la lettre que J’ay eu l’hon[n]eur de vous écrire au sujet du no[mm]é guérinot Batelier de S[ain]t Servan et la reponse dont vous avez bien voulu m’honorer à son sujet le 7 de ce mois, M[onsieur] le C[om]te d’Ecquevilly colonel du régiment de Beauce aïant sans doute senti l’irregularité de sa conduite dans sa manière de sevir contre se batelier a pris le parti d’accorder avec M[onsieur] le C[om]te de Chataignier commandant de cette Place de le remettre à la disposition des off[ici]ers de l’amirauté ; jinstruit de la derniere démarche de ce colonel et authorisé par vos ordre et j’ai réclamé a ce siege le nommé guérinot et son compagnon de vous exposer ici la reponse qui m’a été faite ».
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« J’ai reclamé a ce Siege le nommé guérinot, et son compagnon et j’ai l’h[onne]ur de
vous éxposer ici la reponse qui m’a été faite.
Les Officiers de l’amirauté observent a M[onsieur] de Couradin que sur la requisition
de M[onsieur] d’Ecquevilly, le Procès de deux délinquants étant déjà entamés et leurs
accusateurs entendus, ils ne peuvent les remettre a sa disposition que préalablement
M[onsieur] de Couradin nait rendu compte au ministre de ce 1er motif de leur refus, que le
second qu’ils se croyent aussi endroit de faire valoir, est que l’instruction de cette affaire
paroit les regarder directement, en ce que le délit en question c’est passé sur les quais d’un
port marchand et qu’il existe une déclaration du Roy du 31 J[anvi]er 1794 [sic], qui appuïe
leurs pretentions, que par les connoissances qu’ils ont déjà prises sur cette affaire, il doit s’en
suivre quelque mois de prison pour le nommé guérinot et la confiscation de son Bateau, cet
homme paroissant seulement avoir prevariqué aux ordonnances de la marine qui deffendent
expressment d’Emb[ar]q|u]er qui que ce soit sans un permis du commissaire des classes290,
enfin que si d’après cet exposé, dont les off[ici]ers de l’amirauté desirent que le ministre voit
instruit, M[onsieur] le M[aréch]al de Castries persiste avouloir que le no[mm]é Guérinot soit
remis à la disposition de M[onsieur] de Couradin, ils sont disposés a le lui remettre à la
premiere requisition291. »
Cette lettre reflète tout l’embarras et la soumission des officiers de l’Amirauté. On ne
trouve de telles tirades explicatives dans aucune des prises de position des services de
l’Intendance, comme le montre l’affaire de la perquisition de Paimpol 292 . Ces derniers
agissent sans devoir rendre de compte à aucune des autres juridictions. Or, dans cette affaire,
l’Amirauté, même sûre de son droit, n’ose pas résister au subordonné du ministre et demeure
même disposée à remettre à Monsieur de Couradin les bateliers dès la première réquisition
ministérielle.
Cette attitude de défiance vis-à-vis de l’Amirauté amena le Secrétaire d’État de la
Marine à devoir dissocier les fonctions de certaines personnes. Ainsi, dans un courrier du
samedi 2 juin 1787, il indique que « la conduite du S[ieur] Guenel (…) ayant prouvé
l’incompatibilité des doubles fonctions qu’il réunit de Procureur du Roi de la Prévôté de la
Marine et de l’Amirauté293, et qu’il a refusé de s’expliquer sur l’option qu’on lui laissoit entre
ces deux emplois, il a été destitué du premier ». Il est certain que le ministre préfère laisser à
la justice de l’Amiral de France une personne dont il désire se débarrasser afin de pouvoir
nommer, à sa convenance, un sujet qu’il sait sûr, car recommandé par le Sieur Clouet,
intendant du port de Lorient , le « S[ieur] de Klero du Crano294 ».
290 Pour un exemple de permis, voir AM Brest, 1P1-14, f° 225 (14 mars 1785). 291 Ibidem. 292 Voir supra, p. 20-23. 293 Sur le cumul des charges au sein de l’Amirauté, voir DAVANSANT Frédéric, Justice et criminalité maritime au dernier siècle de l’Ancien Régime, la jurisprudence pénale des sièges d’amirauté établis en Bretagne (1679-1791), thèse, Droit, Rennes, 2003, p. 58-62. 294 AM Brest, 1 E 227, f° 443 (2 juin 1787).
66
§2 : L’intervention des services centraux
L’Amirauté, décriée par ses nombreux écarts, vit ses compétences réduites par les
pouvoirs centraux. Cela se manifestait tant par l’intervention de diverses ordonnances (A),
que par des arrêts du Conseil du Roi ou des ordres ministériels (B).
A) La prise de diverses ordonnances au profit de l’Intendance
Le Secrétaire d’État de la Marine et le Roi, même s’ils ne supprimèrent pas les sièges
d’Amirauté, tentèrent, par diverses mesures, d’affaiblir le pouvoir de ces derniers. Cela se
retrouve dès l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août 1681. Les Articles IX295 et X296 du
Titre III. Des Lieutenants, Conseillers, Avocats & Procureurs du Roi aux Sieges de
l’Amirauté. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction, qui prévoient diverses défenses
aux officiers d’Amirauté, à peine d’interdiction ou de privation de charge assortie d’amendes
pécuniaires. Or, « de pareilles défenses sont superflues, pour des officiers qui ont des
sentiments & qui dans l’exercice de leurs fonctions ne perdent jamais de vue les regles de
l’honneur et de la probité297 ». L’insertion de tels articles prouve bien la méfiance qu’avait le
pouvoir royal vis-à-vis de ces officiers dès 1681.
La raison d’État primait toujours au sein des ports de guerre. C’est ce qui se retrouve
à la lecture de l’Ordonnance du Roi Concernant la Marine, du 25 mars 1765. En effet, alors
qu’originellement seuls les officiers d’Amirauté pouvaient relever les corps retrouvés en mer,
sur les grèves ou dans les ports298, au terme de l’Article IX. Titre Second. De la compétence
des juges de l’Amirauté. Livre I. Des officiers de l’Amirauté & de leur juridiction de
l’Ordonnance sur la Marine du mois d’Août 1681, par l’Ordonnance de 1765, ils doivent,
préalablement, obtenir l’autorisation de l’intendant299. Il est même possible de se demander si
les officiers d’Amirauté pouvaient intervenir dans le port pour effectuer cet acte de procédure,
car un courrier du vendredi 2 juillet 1779 permit, à nouveau, à n’importe quel juge d’accéder
295 « Faisons défense à tous Officiers d’Amirauté d’exiger des pêcheurs, mariniers & marchands de poisson ou autres marchandises, même d’en recevoir sous prétexte de paiement de leurs droits, à peine d’interdiction & de cinq cent livres d’amende ». 296 « Leur faisons pareillement défense de prendre directement ou indirectement par eux ou par personnes interposées, aucune part ni intérêt dans les droits de tonnes, balises, ancrages & autres dont la connoissance leur appartient, à peine de privation de leurs charges & de mille livres d’amende ». 297 VALIN R.-J., op. cit., p. 161-162. 298 « Feront la levée des corps noyés & dresseront Procès-verbal de l’état des cadavres trouvés en mer, sur les greves, ou dans les ports ; même de la submersion des gens de mer, étant à la conduite de leur bâtimens dans ls rivieres navigables. » 299 « En cas que quelque Officier ou ouvrier se noye dans l’enceinte du port, les Officiers de l’Amirauté feront la levée du corps, après en avoir demandé la permission à l’Intendant ».
67
au port et à l’arsenal300. Il semble donc que ces magistrats ne pouvaient, surement à partir de
la loi martiale, jusqu’à cette date, intervenir dans le port. Les autorités militaires devaient
donc s’occuper elles-mêmes de ces formalités.
Une autre mesure que les services centraux prirent fut l’Ordonnance portant
attribution aux Intendants, et en leur absence, aux commissaires généraux, ordonnateurs des
opérations relatives aux prises faites par la Marine du Roi, après que le jugement des prises
aura été rendu, en date du 19 août 1781301 . Ils devenaient, grâce à ce texte, les seuls
compétents pour les prises faites par les vaisseaux du Roi. Voici ce qu’adressa l’intendant de
Brest à Monsieur Cerdon, commissaire ordonnateur de la Marine de Saint-Malo, le vendredi
14 décembre 1781 :
« J’ai l’honneur de vous adresser, Monsieur, deux exemplaires de l’instruction pour
les formalités des prises faites par la Marine Royale. Vous y verrés specialement que c’est un
commissaire des Ports et arsenaux qui doit remplir les fonctions attribuées à l’Intendant par
l’Ordonnance du 4 août d[erni]er et que les Commissaire des Classes ne doivent pas procéder
par eux-mêmes soit aux déchargement soit aux ventes et qu’en pareil cas leur fonction se
bornera à remplir celles des Procureurs du Roi et l’Amirauté aux quels ils sont assimilés ou
celles des controleurs, mais jamais celles des Lieutenants généraux des amirautés qui ne
peuvent être exercées que par les Intendants ou ordonnateurs et les Commissaires des Ports et
arsenaux qui en ce cas les representent302. »
L’intendant demeurait aussi le contrôleur naturel des classes, car le commissaire des
classes lui était directement subordonné303. Or, il ne pouvait, en aucun cas, ni régenter, ni
surveiller les mouvements des navires de commerce qui dépendaient uniquement des sièges
d’Amirauté. Néanmoins, à la lecture des réformes du Maréchal de Castries, l’Article 12. Titre
IV. Des inspecteurs, de l’Ordonnance du Roi, concernant les classes, du 31 octobre de 1784,
concernant les inspecteurs des classes, précise qu’ils « prendront connoissance de l’état du
300 AM Brest, 1 E 544, f° 537-539 (2 juillet 1779). « Nous venons de recevoir la Lettre dont vous nous avez fait l’honneur de nous écrire le 27 du mois d[erni]er, relativement aux observations que M[onsieur] de Laporte a eu l’honneur de vous faire ; au sujet de la nouvelle Consigne du Port, M[onsieur] le M[arqu]is de la Prevalaye va y apporter les modifications que vous ordonnez. En consequence il sera donné ordre aux Suisses de l’Arsenal, de laisser entrer les Magistrats tant du Baillage Royal que de l’Amirauté, les Officiers municipaux et les notables bourgeois ». 301 AM Brest, 1 E 209, f° 923-931 (19 août 1781). 302 AM Brest, 1P1-34, f° 941 (14 décembre 1781). 303 FREDERIQUE Joannic-Sëta, Le bagne de Brest, naissance d’une institution carcérale au siècle des Lumières, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000, p. 104-105 (tableaux représentant la hiérarchie de la Marine d’après l’Ordonnance de 1689 et l’Ordonnance de 1776). Article XIV. Titre II. De la levée des Officiers mariniers & Matelots, & de leur distribution sur les vaisseaux de Sa Majesté. Livre huitième. De l’Enrollement, levée, distribution, payement & récompense des Officiers mariniers, Matelots & autres gens de mer servant sur les vaisseaux de Sa Majesté de l’Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales et arcenaux de Marine : « Les matelots qui s’absenteront des vaisseaux pendant leur armement, si ce n’est pour travailler aux choses qui leur seront ordonnées par les Officiers, perdront un mois de leur solde chaque fois qu’ils seront trouvés absents, & les Ecrivains établis sur les vaisseaux marqueront deux fois par jour tous les matelots, & dénonceront à l’Intendant ceux qui se seront absentez ».
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Commerce & de la Navigation dans les ports compris dans l’étendue de leur Inspection, du
nombre, de l’espèce & de l’état des Navires appartenans à ces Ports, & de tout ce qui
intéresse la sûreté de la Navigation ; mais ils ne pourront donner aucun ordre à cet égard, &
ils se contenteront d’en rendre compte au Secrétaire d’État de la Marine ayant le département
de la Marine ». N’est-ce pas donner un certain pouvoir de surveillance indirect sur les
officiers de l’Amirauté ? La marine marchande n’intéressait pas l’intendant qui se trouvait
déjà submergé par la gestion de la flotte de la Marine Royale. Le commissaire des classes,
qui demeure son subordonné304, est l’officier nécessaire à la bonne gestion des classes sur le
département qui lui est imparti. Or, cet article leur permet de contrôler de manière passive la
gestion des navires marchands. En effet, la notion de « sûreté de la navigation » est très
imprécise. Doit-on considérer que cela recouvre aussi les bris et épaves, ressortant, selon
l’Ordonnance de 1681, uniquement des officiers de l’Amirauté305 ou ne concerne-t-il que la
navigation à proprement parler ?
B) L’affermissement du Tribunal Prévôtal de l’intendant par les arrêts
du Conseil du Roi et les ordres ministériels
Le Roi et le ministre, devant de tels manquements, ne pouvaient pas laisser
l’Amirauté juger toutes les affaires. Ainsi, ils limitèrent ses compétences, que ce soit par les
arrêts du Conseil du Roi (1) que par des ordres ministériels (2).
1) Les arrêts du Conseil du Roi
Une affaire bien étrange ressort du fonds d’archive étudié. Au cours de l’année 1783,
alors que la France assurait encore une présence en Inde306, une multitude de vols eurent lieu
dans les Magasins du Roi du comptoir de Trinquemalay et du fort d’Ostinbourg307 :
304 Article 6. Titre II. Des Officiers préposés à l’administration des Classes, de l’Ordonnance du Roi, concernant les Classes, du 31 octobre 1784 : « Les Commissaires continueront à être sous les ordres des Intendants ou Ordonnateurs de leurs Départemens respectifs, pour tout ce qui concerne la comptabilité,& tous les objets relatifs à la Navigation marchande & aux rôles d’Équipages : Et quant à ce qui concerne le classement, les levées & les revues, ils se conformeront aux ordres qui leur seront donnés par les Inspecteurs ». 305 Article III. Titre Second. De la compétence des juges de l’Amirautés. Livre I. Des Officiers de l’Amirauté et de leur Juridiction de l’Ordonnance sur la marine du mois d’Août 1681 : « Connoîtront aussi des prises en mer, des bris, naufrages & échouemens, du jet & de la contribution, des avaries, & dommages arrivés aux vaisseaux & aux marchandises de leur chargement ; ensemble des inventaires & délivrances des effets délaissés dans les vaisseaux par ceux qui meurent en mer ». 306 La défaite de l’armée républicaine française dans l’île de Ceylan mit fin à la présence de la France en Inde. L’amiral anglais Reynier fit ainsi tomber la ville de Trinquemalay (appelée aussi Trinconomale, dans laquelle le chevalier de Cotignon fit une escale. Adrien CARRÉ, Mémoire du Chevalier de Cotignon, 4 seigneurs, Grenoble, 1974, p. 342-356) le 26 août 1795 et le fort d’Ostinbourg (ou Ostenbourg) le lendemain. DE JOMINI Antoine Henri, Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, Tome deuxième, Bruxelles, 1840, p. 312-313. 307 Voir en annexe la carte du fort de Trinquemalay et du fort d’Ostinbourg (aussi appelé Ostenberg).
69
« Le contrôleur de la Marine à Trinquemale représenta à l’ordonnateur qu’il avoit
connoisance qu’il s’étoit commis et qu’il se commettoit journellement des vols dans les
magasins du roi ; qu’il étoit d’ailleurs informé que les gardes magasins de Trinquemale et
d’Ostembourg avoient fait embarquer des vins, eaux-de-vie, toiles à voile, barils de cloux, de
goudron et autres effets appartenans à sa majesté, soit sur le vaisseau particulier la comtesse
de Maillé ou sur d’autres bâtiments marchands ; que les sieurs Gallet et Labbadie avoient
frété en commun un bâtiment pour y faire embarquer généralement de semblables effets par
eux distraits et les faire vendre à Trinquebar ou à Madras avec ordre de ne point arrêter à
Pondichéry, ajoutant qu’il devoit y avoir actuellement un bâtiment hollandois commandé par
un sieur Laurent, du fer, des goudrons, des cercles, des barils. Il requit en conséquence
l’arrestation des sieurs Labbadie et Gallet, celle des bâtiments énoncés et l’apposition des
scellés sur les papiers des deux officiers publics, ce qui fut ainsi ordonné et exécuté.
Il n’y avoit point de tribunaux françois établis dans l’Inde. Cette considération
détermina le général-commandant, M[onsieur] Bussy, sur le compte qu’on lui rendit de l’état
des choses, à nommer une commission composée de commissaires-inspecteurs, d’un
procureur du roi et d’un greffier, tous membres des anciens tribunaux, pour procéder sur la
dénonciation. La procédure fut instruite jusqu'à jugement définitif exclusivement, décrétée et
réglée à l’extraordinaire. Ensuite les principaux accusés au nombre de cinq, et entre autres les
sieurs Gallet et Labbadie furent envoyés en France avec les pièces du procès308 . »
Un acte en forme de plainte fut formé le dimanche 14 septembre 1783309. Cette affaire
peut paraître, au premier abord, extrêmement simple. Les vols ayant été commis dans les
Magasins du Roi, selon l’Article 164, du Titre VII. De l’Intendant de l’Ordonnance du Roi,
concernant la Régie & Administration générale & particulière des Ports et Arsenaux de
Marine du 27 septembre 1776, l’intendant devait s’occuper de tous les vols commis au sein
des ports et arsenaux310.
Mais cette juridiction demeurait-elle compétente ? En effet, l’affaire ne se passe pas
dans le port de Brest, et encore moins en France. Or, l’intendant de Brest n’exerce sa
juridiction que sur la ville de Brest et les littoraux bretons311.
Il convient de se concentrer sur le procès. Le gouverneur général des Établissements
français dans l’Inde, le Marquis de Bussi312, avait alors instruit l’affaire. Or, aux termes de
l’Article XII. Titre IX, de la Nation Françoise dans les pays étrangers. Livre I, Des Officiers 308 LE HODEY, Journal de l’Assemblée Nationale ou Journal logographique, Tome septième, Paris, 1792, p. 142-143. 309 Ibidem, p. 144. 310 « Il exercera la Justice et ordonnera de la Police dans les Magasin & les Bureaux des Commissaires, & dans l’enceinte des Hopitaux, des Bagnes & Salles de force destinées pour les Chiourmes ; il connoîtra de tous les vols commis dans l’enceinte de l’Arsenal, & l’instruction du procès en sera faite par le Prévôt de la Marine ». 311 Voir supra, p. 11-23. 312 BUSSY-CASTELNAU, Charles-Joseph, Marquis de. Militaire français, naît à Bucy, près de Soissons, en 1718 ; mort à Pondichéry en janvier 1785. Il se distingua tout d’abord dans les troupes de la compagnie françaises aux Indes orientales. Avec quelques Français et dix milles Indiens, il conquit une partie de la province de Carnute, et réussit à établir Salabetzingue à Aureng-Abad. Le 17 octobre 1748, il fit lever aux Anglais le siège de Pondichéry. Plus tard, il fut appelé, avec le titre de lieutenant général, au commandement des forces de terre et de mer, au cap de Bonne-Espérance. Il concerta ses opérations avec celles du bailli de Suffren, et lutta courageusement contre l’ennemi. (FIRMIN DIDOT frères, Nouvelles biographie universelle depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Paris, 1853).
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de l’Amirauté & de leur Juridiction, de l’Ordonnance de la Marine du Mois d’Août 1681, le
Consul seul « a encore toute juridiction tant en matiere civile que criminelle, sur tous ceux
qui sont soumis à son Consulat 313 ». Le commandant-général pouvait-il être considéré
comme consul ? Il semble que oui, car au terme de l’Article Premier. Titre I, Des Consuls de
la Nation Françoise dans les pays étrangers. Livre I, Des Officiers de l’Amirauté & de leur
Juridiction de la même Ordonnance, seules deux conditions sont indiquées : avoir une
commission du Roi et être âgé d’au moins trente ans314. Il pouvait, de ce fait, exercer cette
fonction. Voila pourquoi il convoqua, à ses côtés, plusieurs anciens membres de tribunaux.
Mais s’il pouvait commander l’instruction, juger une affaire susceptible d’une peine
afflictive315 lui était impossible, comme le rappelle l’Article XIV du Titre IX, des Consuls.
Livre Ier de la même Ordonnance : « Et où il écheroit une peine afflictive, ils instruiront &
l’envoyeront avec l’accusé dans le premier vaisseau de nos sujets faisant son retour en notre
Royaume, pour être jugé par les Officiers de l’Amirauté du premier port où le vaisseau fera
sa décharge ».
La compétence du consul s’arrêtait donc à la fin de l’instruction et les officiers
d’Amirauté prenaient le relais. En effet, en vertu de l’Ordonnance de 1681, ces derniers
étaient les seuls compétents pour juger des infractions s’étant déroulées dans un port en
dehors du territoire français. Mais pourquoi ce procès aurait dû se passer devant les officiers
de Brest ? Simplement parce que le port de débarquement du navire transportant les
protagonistes déterminait l’Amirauté compétente316. Voilà pourquoi ils auraient du pouvoir
être saisis. Dès lors, l’intendant se devait de s’incliner.
Or, dans un courrier du vendredi 18 février 1785, le Secrétaire d’État de la Marine
passe outre cette Ordonnance et annonce à l’intendant qu’il le nomme pour juger cette
affaire :
« Il m’a été adressé, Monsieur, une procédure criminelle instruite à Trinquemalé
jusqu’à Jugement définitif exclusivement, contre les auteurs, fauteurs de plusieurs vols et
divertissement commis dans les Magazins du Roi à Trinquemalé et à Ostinbourg. Il m’a été
annoncé, en même tems, que les accusés, au nombre de cinq, avoient été renvoyés en France ;
et qu’ils sont actuellement détenus dans les prisons de Brest. Sur le compte que j’en ai rendu à
sa Majesté, elle a jugé qu’il étoit indispensable de passer au Jugement définitif de cette affaire
sur la procédure instruite par la commission établie à Trinquemalé, par le S[ieur] Mir De
Bussy, Gouverneur Général de l’établissement françois dans l’Inde ; en conséquence, elle a
313 Article XII. Titre IX. Des Consuls de la Nation Françoise dans les pays étrangers. Livre Premier. Des Officiers de l’Amirauté & de leur Juridiction de l’Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681. 314 « Aucun ne pourra se dire Consul de la nation Françoise dans les pays étrangers, sans avoir commission de Nous, qui ne sera accordée qu’à ceux qui auront l’âge de trente ans ». 315 Voir BERBOUCHE A, op. cit. p. 92-93. 316 Alors que normalement, l’Amirauté de Marseille dispose d’une attribution privilégiée sur toutes les autres. Par exemple, c’est elle qui reçoit les comptes-rendus des consuls. Voir Nouveau Commentaire sur l’Ordonnance de 1681, op.cit, p. 235 et suivantes.
71
rendu un arrêt, le 5 de ce mois, dont vous trouverez une expédition ci jointe par lequel, elle
vous nomme, Ainsi que les autres Juges de la Prévôté de la Marine et Commission Souveraine
des Chiourmes à Brest pour, avec tel nombre de Gradués nécessaires à l’effet de completer le
nombre des juges requis par les Ordonnances, juger en premier et dernier ressort les dites
accusations, ainsi qu’il est prescrit par le dit Arrêt. Vous voudrez bien remettre les pièces de
la procédure entre les mains du Procureur de sa Majesté en la Prévôté et Commission
souveraine, pour par lui, être requise, et par lad[ite] Commission statué ce qu’il appartiendra.
Je vous préviens cependant que l’Intention de sa de sa Majesté est, qu’après le Jugement
définitif, il sois sursis à son exécution jusqu’à nouvel ordre de sa part. Je vous prie de vouloir
bien vous occuper de cette affaire le plus promptement qu’il vous sera possible317 . »
La récupération des compétences est sans équivoque. Le Tribunal de l’intendant
récupère une des fonctions de l’Amirauté, et ce, sous le couvert du sceau du Roi. Cela peut-il
être dû à un oubli de l’Ordonnance de 1681? En effet, il est permis de penser que le
Secrétaire d’État Castries n’ait pas pensé à se référer à cette ordonnance civile, et se soit
directement référé à celles, militaires, de 1765 et 1776. Or, les bureaux du ministre
demeuraient composés de juristes expérimentés, ayant une parfaite connaissance des diverses
ordonnances promulguées par le Roi. Mais les différents errements des officiers d’Amirauté
ont sûrement incité les services centraux à se méfier de ces juges318 et les écarter d’une
affaire qui s’était passée à l’étranger, au profit d’un homme dont il connaissait le sérieux et le
zèle.
Mais les arrêts du Conseil du Roi n’étaient pas les seuls à renforcer l’influence de
l’Intendance. Les différents ordres ministériels en sont la meilleure preuve.
2) L’intervention ministérielle
En effet, au sein des divers courriers présents au Service Historique de la Défense de
Brest, il semble que l’intervention ministérielle soit, plus que les arrêts du Conseil du Roi,
source de renforcement de l’autorité de l’Intendance. Cela se voit lors de l’étude d’une
affaire d’espionnage, concernant un Anglais nommé Jonathan Blagdon, pilote juré en
Angleterre319.
Ce dernier était passager sur le navire Le Jason originaire de la ville de Brême, arrivé
à Saint-Malo le mardi 18 juin, et se rendant à Lisbonne320. S’étant déjà trouvé passager de la
317 AM Brest, 1 E 220, f° 327 (18 février 1785). 318 Surtout depuis l’affaire des prises de Monsieur de la Motte-Picquet. Voir BERBOUCHE Alain, op. cit., p. 120 et 148 et AM Brest, 1 E 209, f° 213-215, 305, 391, 443, 653, 745, 893-895, 923-931 et 939. 319 Voir AM Brest, 1P1-19, f° 175 (12 juillet 1782) et 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 16 juillet 1782. 320 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 16 juillet 1782. « L’anglois qui se disoit passager sur le Navire le Jason de Breme arrivé à S[ain]t Malo le 18 ; étant le même homme qui se trouvoit également comme Passager à bord de la Goelette l’Amitié qui a relaché le 3 sur la rade de ce port, j’approuve d’autant plus que vous l’ayez fait arrêter et constitué prisonnier au château, qu’après avoir parlé françois aux Employés des fermes,
72
goélette L’amitié, ayant relâché le lundi 3 juin 1782 dans ce port, le commissaire ordonnateur
de la Marine de Saint-Malo trouva son comportement suspect. Il fit alors intervenir ses
services sur le navire et l’arrêta pour défaut de passeport et suspicion d’espionnage. Pour
mettre au clair cette situation, il le conduisit dans les prisons du port de Saint-Malo321, gérées
par le commandant de la place, le Chevalier de Chateigner. Voici ce qui ressort d’un courrier
adressé au Maréchal de Castries, le mardi 9 juillet 1782 :
« Je vais me conformer a votre intention en lui faisant subir un interrogatoire sur les
differents points que vous me designez, mais pour rendre cet interrogatoire aussi exact qui peut
l’étre, j’ai pensé qu’au lieu de m’en charger seul il conviendroit quil fut fait en ma presence
par les juges de l’Amirauté, qui plus accoutumés que moi aux formes juridiques, et a qui la
nature de leur profession doit donner plus de subtilité en pareille matierer, parviendront a tirer
de cet anglois des aveux qu’il pourroit me taire dans un tête à tête. L’espèce d’appareil même
de la Séance peut encore être utile a vos vues en inspirant une certaine crainte à l’accusé qui
l’empéchera de se tenir en garde contre les questions pressées qui lui seront faites322. »
Cela permet de remarquer le consensualisme du commissaire de la Marine de Saint-
Malo, soucieux de l’efficacité des procédures. En effet, il suivit l’ordre ministériel
d’interroger le plus promptement possible cet étranger323. Mais trouvant cet ordre flou, il prit
la liberté de demander le concours des juges d’Amirauté, compétents dans cette situation, car
le pilote avait été arrêté sur un navire de commerce pour divers délits324. Or, cette formalité
ne ressortait pas de l’ordre ministériel envoyé le samedi 6 juillet 1782 :
« En conséquence, l’intention du Roi est que vous l’interrogiez sur ses noms et
qualités, sur son etat et enfin que vous fassiez en sorte de vous procurer des lumieres qui
puissent déterminer les ordres ultérieurs que j’aurai à vous donner à ce regard. Vous
il a prétendu, lorsque vous vous êtes présenté pour l’interroger, ne l’avoir jamais sçu ; et que d’ailleurs il n’étoit muni d’aucun passeport et n’avoit pour faire le voyage prétendu de Lisbonne, que deux ou trois chemises ». 321 Ces prisons relevaient du commandant de la place. Or, ce dernier, en 1784, émit des protestations quant à l’admission des matelots dans ses prisons. La concorde entre les autorités militaires fut donc plus courte qu’à Brest. Le Maréchal de Castries soutînt alors son subordonné, en insistant auprès du Maréchal de Ségur pour que la Marine puisse continuer de jouir de la facilité qui lui était accordée. Pour cette affaire, voir AM Brest, 1P1-20, f° 199 (17 décembre 1784) et 1P2-8, lettre à Monsieur le Maréchal de Castries, 24 décembre 1784. 322 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 9 juillet 1782. « Je vais me conformer a votre intention en lui faisant subir un interrogatoire sur les differents points que vous me designez, mais pour rendre cet interrogatoire aussi exact qui peut l’étre, j’ai pensé qu’au lieu de m’en charger seul il conviendroit quil fut fait en ma presence par les juges de l’Amirauté, qui plus accoutumés que moi aux formes juridiques, et a qui la nature de leur profession doit donner plus de subtilité en pareille matierer, parviendront a tirer de cet anglois des aveux qu’il pourroit me taire dans un tête à tête. L’espèce d’appareil même de la Séance peut encore être utile a vos vues en inspirant une certaine crainte à l’accusé qui l’empéchera de se tenir en garde contre les questions pressées qui lui seront faites. » 323 AM Brest, 1P1-19, f° 175 (12 juillet 1782). « Comme ces papiers constatent en effet que cet homme est pilote juré en Angleterre, je crois devoir vous les renvoyer pour que vous en fassiez l’usage que vous jugerez convenable lors des interrogatoires que je vous ai prescrit de lui faire subir. » 324 Article X. Titre II. De la compétence des juges de l’Amirauté. Livre Premier. Des Officiers de l’Amirauté & de leur Juridiction de l’Ordonnance de 1681 : « Connoîtront pareillement des pirateries, & des pillages & désertions des équipages, & généralement de tous les crimes & délits commis sur la mer, les ports, havres & rivages ».
73
m’adresserea sans perte de tems, les interrogatoires que vous lui aurez fait subir, et vous
continuerez à veiller avec soin à ce qu’il ne puisse sévader325 »
Néanmoins, est-ce réellement pour bénéficier de l’expérience des juges d’Amirauté et
les intégrer à la surveillance des étrangers que le commissaire fit appel à leurs services ? Il ne
semble pas que cela soit le cas. Effectivement, le commissaire, dans sa lettre du mardi 9
juillet 1782, précise qu’il sera toujours présent lors des interrogatoires326. Demandant tout de
même l’approbation du ministre327 , le commissaire interrogea l’anglais sans attendre de
réponse de Versailles, et rapporta, dans une lettre du lundi 15 juillet 1782, ses avancées :
« J’ai l’honneur de vous adresser les procès verbaux dinterrogatoires et de
recollement que j’ai fait subir de concert avec M[onsieur] de Vigny au nommé Jonathan
Blagdon, au bas desquels vous trouverez la deposition du Cap[itai]ne du navire bremois le
jason sur lequel cet anglois se disoit passager. Mon dessein étoit ainsi que j’ai eu l’h[onne]ur
de vous l’écrire de charger les juges de l’amirauté de l’instruction de cette affaire ; mais
comme ils se sont trouvés absens, je me suis vû forcé de m’en raporter a mes lumieres aidées
néanmoins de celle de M[onsieu]r de Vigny et du greffier de ce Siege328. »
Le commissaire voulait donc pouvoir inclure les juges d’Amirauté dans la gestion de
la procédure de cette affaire sous sa surveillance expresse, comme il l’avait indiqué plus haut.
Mais ces officiers ne répondirent pas à sa demande, se trouvant absents. Monsieur de
Couradin fit donc appel à Monsieur Jean-Pierre de Vigny329 , officier contrôleur sur les
chantiers des frégates l’Hébé et la Dryade330. On peut dès lors remarquer que le commissaire
ne prit pas le temps d’attendre la disponibilité des officiers de l’Amirauté pour interroger
l’Anglais, mais qu’il se tourna vers le représentant de la Marine militaire, homme de
confiance du Comte d’Hector.
Par chance, cela correspondait aux vues du ministre, qui ne désirait pas que les
officiers d’Amirauté puissent intervenir de quelque manière que ce soit dans cette affaire où
325 AM Brest, 1P1-19, f° 168 (6 juillet 1782). 326 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 9 juillet 1782. « Mais pour rendre cet interrogatoire aussi exact qu’il put l’être, j’ai pensé qu’au lieu de m’en charger seul, il conviendroit qu’il fut fait en ma presence par les Juges de l’amirauté qui plus accoutumés que moi aux formes juridiques, et a qui la nature de leur profession doit donner plus de subtilités en pareille matiere, parviendront a tirer de cet anglois des aveux qu’il pourroit me taire dans un tête à tête ». 327 Ibidem. « J’espere, M[onsei]g[neu]r, que vous ne désaprouverez pas ce plan qui na pouv but que d’optenir assez de lumieres pour asservir un jugement certain sur le compte de cet homme ». 328 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 15 juillet 1782. 329 Jean-Pierre de. Né en 1740. Garde de la marine en 1756. Capitaine de vaisseau en 1781. Sert sur le Bretagne (1778) dans l’escadre d’Orvilliers, blessé à la bataille d’Ouessant. Il commande la Néréide de 1779 à 1781, puis l’Hébé en 1782. Il servit ensuite sur l’Alcide en 1782. Il fut fait chevalier de Saint-Louis en 1776. (DE LA JONQUIÈRE, op. cit., p. 291). 330 Il était à Saint-Malo sur ordre du Comte d’Hector depuis décembre 1781, afin de vérifier les constructions. Pour plus d’information, voir JAHAN Fr., op. cit., p. 11-20. Les constructions des frégates sont contrôlées par trois autorités distinctes, à savoir l’ingénieur-constructeur, le commissaire ordonnateur du port où doit se faire la construction et un ou plusieurs officiers de vaisseau désignés par l’autorité supérieure de la Marine à Brest. De Vigny rentrait dans cette dernière catégorie, ayant été nommé capitaine de la frégate l’Hébé.
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la sécurité de l’État était en jeu. Voici ce que le Secrétaire d’État de la Marine et des
Colonies rapporta au commissaire ordonnateur Couradin le samedi 20 juillet 1782 :
« J’ai reçû, Monsieur, votre lettre du 19 de ce mois. Il ne paroit pas convenable que
les officiers de l’amirauté de S[ain]t Malo, soient appellés pour interroger l’anglois
actuellement détenu dans les prisons de ce port. Les interrogatoires que je vous ai prescrit de
lui faire subir, ne doivent être considérés que comme préparatoires. Je n’exige donc pas que
vous vous attachiez aux formes juridiques ; l’essentiel est que vous parveniez à demêler la
vérité dans les mensonges dont cet homme cherchera a l’envelopper. Si, comme il y a bien
lieu de le croire, il est reconnu pour espion, je le ferai traduite dans les prisons de Brest où son
affaire sera définitivement instruite331. »
Le ministre nous informe que ces interrogatoires, n’étant que préparatoires, ne
devaient aucunement rentrer dans les formes juridiques prescrites par l’Ordonnance de 1670 :
seul le résultat comptait, peu importe les moyens. Cela rassura le commissaire ordonnateur,
qui avait craint d’avoir mal fait332. Ainsi, le Maréchal de Castries ne voulait pas que les
officiers de l’Amirauté puissent, d’une quelconque manière, intervenir dans les procès devant
être instruit, si l’infraction était constatée par le Tribunal de l’intendant de Brest. Il participait
ainsi activement, au niveau local, à l’affaiblissement de l’Amirauté et au renforcement de
l’Intendance.
L’Amiral perdait du pouvoir au niveau des services centralisés 333 et les sièges
d’Amirauté déclinaient face aux services de l’intendant. Mais dans un port de guerre, déjà
soumis à de nombreux problèmes administratifs, où le moindre écart dans la justice pouvait
amener à une insubordination, voire une insurrection, le laxisme des officiers de l’Amirauté
ne pouvait qu’aboutir à cette situation.
L’intendant de la Marine de Brest ne se contentait pas des pouvoirs déjà étendus dont
il disposait au sein du port et de l’arsenal de Brest. Juge naturel du bagne et de son
administration, des vols et autres crimes et délits sur certains lieux précis, équitable et prompt,
sa justice avait toutes les qualités requises pour s’étendre à d’autres lieux.
331 AM Brest, 1P1-19, f° 180 (20 juillet 1780). 332 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 23 juillet 1782. « J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré le 20 de ce mois. J’y vois qu’il ne vous a pas paru convenable que les off[ici]ers de lamirauté fussent apellés à l’interogatoire de langlois Jonathan Blagdon, je rend grace en ce cas au hasard qui m’a fait remplir votre intention sans la connoitre puisque l’absence de ces officiers m’a obligé de me passer de leur ministaire. J’attends au reste vos derniers ordres sur le compte de cet anglois. Vous aurez vu, M[onsei]g[neu]r par la lettre que j’ai eu l’h[onneur] de vous écrire le 20 de ce mois que le convoi avoit mis la veille a la voille, je le crois rendu à sa destination ». 333 On ne trouve l’évocation, dans les archives concernant l’intendant, que d’un seul jugement rendu par l’Amirauté de France, le 2 juin 1788, en faveur de la Dame Hulsman contre le Sieur Bedené. AM Brest, 1 E 230, f° 437 (14 mars 1788).
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Ce qui se fit suite à l’impossibilité, pour les juges royaux et municipaux, de gérer
correctement les affaires pénales au sein de la ville, grâce à la mise en place, par le
commandant Langeron, de ce plan de police militaire, érigeant l’intendant en véritable « juge
d’attribution ».
De ce fait, l’intendant détenait réellement l’autorité judiciaire incontournable du port.
Mais il ne faut pas l’imaginer en véritable Prince en plein Pays d’État. En effet, en tant que
commissaire, il restait sous la coupe des pouvoirs centraux. Ensuite, en tant que juridiction
d’exception, il subissait une importante concurrence, par les pouvoirs civils, suite à la
Révolution.
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Partie II : L’intendant, une autorité
concurrencée
L’intendant, malgré sa prééminence au sein du port, ne disposait pas d’un pouvoir
absolu. Simple commissaire du Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies,
commissionné334, il demeurait soumis à Versailles, qui, par les différents ministres, exerçait
un contrôle, tant sur les déroulements des procès que sur l’application des peines résultant des
divers jugements (Chapitre I). Mais la concurrence judiciaire se fit aussi au sein du port
même, suite à l’abandon de la police militaire dû à la renaissance des autorités civiles,
essentiellement par la Communauté de ville et par la naissance d’une véritable société civile,
capable désormais de rivaliser avec une institution décadente en cette fin du « siècle des
intendants335 » (Chapitre II).
Chapitre I : Un intendant sous tutelle ?
Subordination et résistance dans le port de Brest
Le Secrétaire d’État de la Marine, grand ordonnateur des ports de France, disposait de
la justice retenue et n’hésitait pas à l’utiliser lors de nombreux procès qu’ils aient des
conséquences simplement locales ou internationales. Mais son plus grand pouvoir résidait
dans le contrôle des peines, notamment sur celles du bagne, empiétant alors sur les
compétences de l’intendant, chef de la police de ce lieu (Section I). Mais cette omniprésence
de l’administration centrale se heurta à la résistance de l’intendant de la Marine du port de
Brest, qui, même s’il n’était pas un officier breton, n’hésitait pas à s’élever contre certaines
condamnations du ministre. Cela semble aussi être dû à la liberté de manœuvre, accordée à ce
commissaire par le Secrétaire d’État Sartine, ainsi qu’aux désintérêts du pouvoir central quant
aux matières n’intéressant pas la Marine royale, telle la mise en place de différentes
infrastructures ou des affaires concernant des particuliers (Section II).
334 RENAUD Lenaig, La réalité de la justice criminelle de l’Intendant de marine dans le port de Brest de 1765 à 1776, mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies d’histoire du droit sous la direction de recherche d’A. BERBOUCHE, Faculté de Droit et de Sciences politiques de l’Université de Rennes 1, 2002, p. 64-72. 335 Claude NIERES définit ainsi la période allant de 1689 à 1789 tout au long de son ouvrage.
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Section I : L’omniprésence des services centraux
Le Secrétaire d’État de la Marine, véritable tête pensante de l’administration
maritime336, gardait tout le temps un regard sur les jugements de l’intendant337. Mais il ne se
contentait pas de les enregistrer. En effet, il maintenait sur ses décisions un véritable contrôle
quant aux peines appliquées. Mieux, il pouvait intervenir sur la procédure elle-même (§1),
voire se l’approprier au nom du Roi (§2).
§1 : L’intervention ministérielle sur les procès jugés devant le
Tribunal de l’intendant
Le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies ne laissait pas l’intendant de la
Marine libre de tous mouvements. Les nombreux rapports que doit lui rapporter ce dernier en
sont la meilleure preuve. Il en va de même pour les différents procès se déroulant devant le
Tribunal de l’intendant. Lorsqu’un procès était renvoyé devant ce Tribunal, l’intendant devait
transmettre à son supérieur un courrier décrivant succinctement l’affaire. Le ministre exerçait
alors un contrôle discrétionnaire de la procédure (A). Mais ce n’était pas là son seul pouvoir.
S’il estimait que l’affaire n’avait pas été jugée correctement, il pouvait intervenir après le
procès, en contrôlant les peines (B).
A) Un contrôle discrétionnaire de la procédure
Le Maréchal de Castries, véritable homme des Lumières338, ne laissait pas une liberté
pleine et entière aux différents intendants des ports maritimes. Ainsi, mis au courant de
certaines procédures, n’hésitait-il pas à donner à des commissaires, qu’il nommait, la forme
d’instruction à utiliser, comme dans son courrier du samedi 30 décembre 1780, rendant
compte d’une plainte portée par Monsieur de la Bosse contre le Sieur Gognard, commis des
vivres :
« Vous verrez, Monsieur, par la lettre dont je joins ici copie que M. de la Bosse a
porté des plaintes contre le S. Gognard commis des vivres de la Marine qui s’est permis
336 Cela fut vrai dès sa nomination. Ainsi, au sein d’un courrier daté du jeudi 7 décembre 1780, il s’empressait de remanier, avec l’intendant de Paris, Monsieur Bertier, les recrutements des novices volontaires. Ainsi, la durée de l’engagement passait de six à trois ans, une visite médicale systématique s’effectuait lors du départ de Paris et de l’arrivée dans le port, etc. (AM Brest, 1P1-17, f° 373 (7 décembre 1780)). 337 Pour preuve, les différentes lettres concernant l’acceptation des jugements du Tribunal de l’intendant. Voir pour exemple AM Brest, 1 E 216, f° 353 (31 octobre 1783, au sujet de deux forçats ayant frappé d’un couteau un mousse pertuisanier et un sous-comite : « Le Roi a approuvé que ces Jugements aient eu sur le champ leur execution et Sa Majesté est persuadé que la crainte qu’ils auront inspirés, en imposa aux forçats criminels et que désormais tout rentrera dans l’ordre ». 338 BERBOUCHE A., op.cit., p. 164-173.
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s’accabler d’injures grossieres le S. le Guin, premier échevin de la ville de Brest pendant qu’il
s’occupoit à choisir les logements du Rég[imen]t de Limousin. Pressés sur ce qui s’est passé
les informations les plus exactes et mandés moi si, en supposant que le commis dont il s’agit
ait été arrété, vous l’avez reclame comme etant sous vos ordres, afin de lui infliger la punition
dont il paroit succeptible. »
Le ministre ne laissait pas le choix à l’intendant : il se devait de juger ce commis, alors
même que les dires des échevins de la ville de Brest n’étaient pas des plus fiables339.
Une autre affaire demeure encore plus significative de la mainmise des services
centraux sur la gestion des affaires du Tribunal de l’intendant. Le vendredi 3 août 1781340, le
ministre lui adresse une lettre l’informant que le vaisseau corsaire La Princesse Noire341,
naviguant sous pavillons français et américain, est soupçonné d’avoir embarqué furtivement à
Morlaix342, trente neuf hommes autres que ceux nommés dans son rôle d’équipage343. Il
demande donc à l’intendant d’envoyer des hommes à son bord. Prévenu par M. Boucault de
l’appareillage imminent du vaisseau, « un sujet du bureau des armements intelligent et intègre
accompagné de l’Exempt de la prévôté de la Marine et d’un archer »344 se rendent à bord de
ce vaisseau. Ces derniers ayant fait les recherches les plus minutieuses possibles, ils ne
découvrirent « aucun individu excédant au rôle d’Equipage, mais même qu’il en manquoit 3
hommes, ce qui réduisit son Equipages à 188345 ». Or, le Maréchal de Castries, mécontent de
ce rapport, répond, dans une lettre datée du jeudi 23 août 1781, que les préposés n’ont pas
correctement effectué leur travail :
« J’avois lieu d’après cela de croire que le raport fais à M Boucaut étoit infidele et
qu’il n’y avoit aucun reproche à faire au S. Maccater ; cependant ce même corsaire, ayant
339 Ces derniers ayant perdu la police de la ville au profit de l’armée, suite à leur gestion désastreuse. Voir, pour exemple, AM Brest, 1E 543, f° 425 (20 mars 1778) : « M. le Procureur général, vraisemblablement excité par les Magistrats de la ville leur a écrit que si le S Buhot [inspecteur de police à Paris, devenu major de la police militaire de Brest] exerçoit la moindre fonction à Brest, ils eussent à lui en rendre compte par un exprêt ». Voir supra, p. 77-80. 340 AM Brest, 1 E 209, f° 809 (3 août 1781). Le même ordre avait été envoyé à Saint-Malo (AM Brest, 1P1-18, f° 234 (3 août 1781). 341 Il s’agissait d’un des meilleurs corsaires américain. Voir J. LEMOINE & H. BOURDE DE LA ROGERIE, Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Finistère, Archives civiles, Série B, Tome III, Quimper, 1913, p. XLIX-CXVII. Ce corsaire fut l’un des plus heureux de la Guerre d’Indépendance américaine. Parmi ses exploits, il est souvent cité pour sa prise de la frégate anglaise la Médée. Il changea ultérieurement de noms. Ainsi, lors de son rachat par Monsieur L. PORREAUX de Dunkerque, le 3 septembre 1782, le corsaire fut renommé la Marquise-de-Castries puis la Victoire de Dunkerque. Le registre B 4184 des Archives Départementales du Finistère l’évoque principalement. 342 Voir en annexe la carte des généralités et subdélégations en Bretagne. 343 Ce corsaire connut, un an plus tôt, la même mésaventure. En effet, Monsieur Petit de Cerdon fut informé par Versailles, le dimanche 28 mai 1780, que le capitaine Edouard Maccarter, capitaine de la Princesse Noire, avait embarqué au moment de son départ douze matelots déserteurs. Ce commissaire eut donc ordre de le faire entrer dans le port de Saint-Malo puis de le faire désarmer et d’arrêter les déserteurs (AM Brest, 1P1-17, f° 167 (28 mai 1780). 344 AM Brest, 1 E 209, f° 955, r° (23 août 1781). 345 Ibidem.
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relaché le 15 de ce mois à Cherbourg et M. Deshayet, d’après les ordres que je lui avois
donnés, ayant envoyé en rade faire la Revüe de son équipage, il s’y en [est] trouvé 24
hommes qui n’étoient pas porté sur le Rolle dont 14 françois mais 6 seulement classés et 10
étrangers tous embarqués avant le départ de Morlaix ; vous pouvez juger par là a quelle
inexactitude la revüe que vous avez ordonné de ce Batiment, a été faite. La négligence ou
même l’infidélité de la Personne que vous en aviez chargé, est trop répréhensible pour
pouvoir rester impuni ; vous voudrez bien en conséquence lui faire subir 8 jours de prison ou
au moins d’interdiction346 . »
Il rend ici un jugement des plus directs vis-à-vis des personnes ayant effectué ces
recherches. Il ne s’embarrasse pas d’une procédure, et se moque du jugement que peut avoir
l’intendant. La même situation vit le jour vis-à-vis du capitaine de ce vaisseau corsaire. En
effet, le Secrétaire d’État de la Marine, dans sa lettre du jeudi 23 août 1781, annonce qu’il
adresse à Monsieur Deshayet347 des ordres afin de « faire mettre le Capitaine Maccarter en
prison pendant 24 heures, et » qu’il « charge ce commissaire de retirer de son bord les
matelots françois qui ne sont pas portés sur le rôle et de lui rendre les Etrangers qui seront
bien reconnus comme tels », « d’aller désarmer à Brest, et de s’engager à répondre de son
équipage ». Le ministre, non content de l’action menée dans le port de Brest quant à la
surveillance des classes, juge que l’intendant sera le seul compétent pour résoudre cette
affaire :
« D’après la persuasion où vous êtes que le S[ieur] Blanchard ancien Ecrivain de la
Marine sur lequel ce soupçon étoit dans le cas de tomber, est un sujet exact et actif, j’approuve
que vous ayés différé la punition qu’il paroissoit avoir mérité, mais le S[ieu]r Macatter devant
se rendre à Brest pour y désarmer, il vous sera facile de sçavoir de lui ou des gens de son
équipage, les moyens qu’il a employé pour soustraire tant d’hommes aux recherches de ceux
qui ont fait la revüe de son équipage, et dans le cas où vous reconnoitriez évidemment qu’il
n’y a point eû de négligence de leur part, vous regarderiés comme non avenu les ordres que je
vous ai donnés à leur sujet348 . »
Mais cette affaire ne doit pas occulter l’attitude générale des pouvoirs centraux. Le
langage du Secrétaire d’État de la Marine n’était pas toujours des plus courtois envers
l’intendant et le commandant du port. La lettre cinglante qu’il leur adressa le lundi 27
septembre 1790, au sujet de deux couples de forçats ayant pu s’enfermer dans le magasin de
346 Ibidem, f°955-957. 347 Commissaire des classes. 348 AM Brest, 1 E 210, f° 119 (17 septembre 1781). Mais il ne sembla pas que le Sieur Maccatter eut à craindre quoi que ce soit. En effet, dans une lettre à Monsieur BOUCAULT, commissaire des classes de Morlaix, le ministre indique l’exploit de la prise de la Médée par ce capitaine et son équipage (AM Brest, 1P1-34, f° 810 (21 octobre 1781)).
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goudron du port de Brest avec une fausse clef et deux paquets d’allumettes349 le démontre. Le
manque de cohérence entre leurs discours déplut fortement au ministre La Luzerne :
« J’ai reçu, Monsieur, par votre lettre du 13 de ce mois par laquelle en m’informant du
motif qui vous a porté à ne pas me rendre compte sur le champ de ce qui concerne les deux
couples de forçats soupçonner d’avoir voulu mettre le feu au magasin de Bray Sec ; vous
entrez dans des détails qui different en quelques points de ceux que M[onsieur] Hector m’a
adresser précédemment Sur ces évenements. Vous voudrez bien ne pas me laisser ignorer la
suite de la procédure que vous faites instruire et à laquelle il est très convenable que vous
donniez la plus grande attention. Au Surplus, M[onsieur] Hector auroit manqué au devoir de sa
place, s’il ne m’avoit pas instruit dans le moment même d’un fait aussi grave, et de votre coté
vous avez agi avec prudence, en ne m’écrivant qu’après en avoir recueilli toute les
circonstances. En effet, si la police des forçats vous est confiée, ce Commandant répond de la
Sureté du port et de l’arsenal350 . »
Le ministre ne peut souffrir le fait qu’une affaire d’une telle importance pût être
négligée. Dans les temps troublés de la Révolution, rien ne devait être laissé au hasard.
B) Un véritable contrôle des peines
Au sein de la même affaire, on peut voir que le Secrétaire d’État de la Marine contrôle
lui-même les peines applicables. Ainsi, dans sa lettre du mercredi 31 mars 1784, il nous
précise que « Sa Majesté a jugé qu’il étoit de sa bonté et de sa clémence, d’adoucir les
chatiments que la rigueur des Loix infligeoit contre ces particuliers. En conséquence, elle
s’est portée à leur accorder des Lettres de Commutation des peines351 ». Les personnes
coupables de faux, devant normalement subir une peine de mort, sortirent « des Prisons de
Brest » et furent « transférer dans les lieux indiqués352 ».
Cette affaire demeure d’autant plus intéressante qu’un des coupables fut jugé par
contumace353. La Commission souveraine des chiourmes se prononça sur son compte par un
jugement rendu le vendredi « 2 juillet dernier » le mettant à mort. Normalement, la mise à
mort devait intervenir, comme nous avons pu l’observer, au plus tard un jour après le
prononcé du jugement. Or, ce courrier, daté du dimanche 8 août 1784, n’arriva à Brest que le
lundi 23 août 1784. Cela prouve bien l’humanisation des juridictions d’exceptions de la
Marine, sous l’impulsion du Maréchal de Castries. Dans cette lettre, le Secrétaire d’État de la
Marine, sous l’autorité du Roi, « a jugé qu’il étoit de sa bonté de lui faire ressentir les effets
349 AM Brest, 1 E 238, f° 43 (7 septembre 1790) : « J’ai appris par M[onsieur] Hector, Monsieur, que deux couples de forçats avoient été arrêtés dans le magasin du goudron muni d’une fausse clef, d’une lime et de deux paquets d’allumettes. J’ai rendu compte au Conseil d’Etat de cet événement allarmant ». 350 Ibidem, f° 187 (24 septembre 1790). 351 Ibidem. 352 Ibidem. 353 AM Brest, 1 E 218, f° 575 (8 août 1784).
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de la clémence dont elle avoit usé envers les nommés Frioux, aîné, et Penneguez354 ». Ainsi,
Louis André Frioux de Misecourt ne subit que la peine de « détention perpétuelle dans la
maison de St Meen, près Rennes en Bretagne ».
Chaque sentence devait, pour pouvoir être validée, être examinée par le Secrétaire
d’État et par le Roi. Sur l’ensemble des décisions retrouvées au sein du fonds de l’Intendance,
soit 182 jugements, tous ont reçu l’approbation des services centraux355. Ainsi, les jugements
répertoriés au sein de cette étude sont-ils, pour l’essentiel, issus des lettres d’approbation des
sentences356.
La procédure des grâces et des amnisties constituait aussi un bon moyen de contrôle
sur les sentences rendues, tant par le Tribunal de l’intendant que par les autres tribunaux du
royaume. Le tableau ci-dessous, représentant les grâces accordées aux forçats, indifféremment
de la juridiction les ayant jugés, démontre bien l’influence des Services centraux sur la
gestion de la justice et la police du bagne de l’intendant :
Année Nombre de grâces accordées
1786 3
1787 4
1788 14
1789 15
1790 12
1791 18 Nombre de grâces accordées de 1786 à 1791357
Un mémoire, retrouvé en deux exemplaires dans deux lettres différentes de 1781 et
1783358, indique toutes les étapes nécessaires pour une demande de grâce d’un forçat. Ces
courriers, regroupant les « Règles à suivre dans le département de la Marine pour la demande
des graces », ne comportent que quatre articles359. Logiquement, selon le premier d’entre eux,
seuls « les grades supérieurs », à savoir « les Commandants des armées navales, ceux des
Escadres et ceux des Vaisseaux qui auront eu des missions particulieres ; Les Commandants
des Ports, ceux des Gardes du Pavillon et de la Marine ; Les Inspecteurs des Troupes & des
Classes ; Les Intendans et Commissaire Ordonnateur en France, et les Gouverneurs &
354 Ibidem. 355 Voir en annexe sur le CD-Rom, l’ensemble des jugements retrouvés rendus par le Tribunal de l’intendant. 356 Voir pour exemple, 1 E 214, f° 533 (23 mars 1783). « M[onsieur] le M[arqu]is de Castries qui a rendu compte au Roi de ces différents jugements, me charge de vous marquer que Sa Majesté les a approuvés ». 357 Voir en annexe, sur le CD-Rom, le tableau détaillé des grâces. 358 AM Brest, 1 E 209, f° 81 (12 mai 1781); 1 E 215, f° 755 (30 avril 1783). On en retrouve un autre transmis à Saint-Malo (AM Brest, 1P1-32, f° 229 (12 mai 1781)). 359 Voir en annexe, les « Règles à suivre dans le département de la Marine pour la demande des graces ».
82
Intendans dans les Colonies » pouvaient effectuer cette demande. Cet article semblait être
suivi, car de nombreuses personnalités de l’époque, telles le Comte de la Tour du Pin,
brigadier des armées du Roi et commandant du régiment Bourbon-infanterie360, ou encore
Louis Pierre de Chastenet de Puységur361, en feront la demande.
L’intendant avait donc la faculté de demander au Roi la remise en liberté de tout
bagnard, quelle que soit la juridiction l’ayant condamné. Il n’hésitait d’ailleurs pas à user de
cela, comme le prouve la transmission du mémoire de demande de remise en liberté du Sieur
Boulard au ministre, ce bagnard ayant aidé à la découverte des faux acquis362. Cette situation
étant prévue par le règlement vu ci-dessus, rien ne semblait donc indiquer une prise de
pouvoir de la part du ministre, ce dernier se contentant de transmettre le mémoire au Garde
des Sceaux.
Pourtant, une affaire témoigne de la supériorité de la volonté du pouvoir central
lorsque les intérêts internationaux sont en jeu. Ainsi, lors du voyage des ambassadeurs de
Tippou-Saheb363 en France, le Secrétaire d’État de la Marine répond, le vendredi 28 novembre
1788, à l’intendant que sa demande, formulée par ces ambassadeurs, concernant la libération
du Sieur Nicolas Pierronnet, bagnard à Brest, a bien été prise en compte :
« J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 21 de ce mois, par laquelle j’ai vu que
M[essieu]rs Ruffin364 et Piverot365 ont été chargés au moment du départ des ambassadeurs de
tipou sahib de demander le rappel des galères du N[omm]é Nicolas Pierronnet forçat de Brest.
J’ai écrit à M[onsieur] le Garde des Sceaux en faveur de ce malheureux et je lui fais passer en
même tems le certificat de bonne conduite qu’il a tenu depuis plus de 30 ans qu’il est dans les
360 Voir pour exemple de demande de grâce, AM Brest, 1 E 235, f° 163 (3 octobre 1789) : « Le Roi ayant bien voulu, M[onsieu]r faire grâce aun[omm]é Jacques Pichoret, ci devant fizilier au Régiment Royal infanterie et actuellement forçat a Brest, je vous envoye avec le brevet de rappel des Galeres perpetuelles que M[onsieur] delatourDuPin lui a fait expédier, l’ordre de Sa Majesté pour le faire détacher de la Chaine. Vous voudrez bien chacun en ce qui vous concerne tenir la main à son exécution. Signé La Luzerne ». 361 Voir pour exemple, AM Brest, 1 E 234, f° 77 (16 mai 1789) : « Le Roi ayant bien voulu, M.M [Le Comte d’Hector et Monsieur de Beaupreau], faire grâce au n[omm]é Gaspard Weimann, ci devant soldat au Regiment Suisse de Sonneberg et actuellement forçat à Brest, je vous renvoye avec le brevet des galeres que M[onsieur] le C[om]te de Puisegur lui a fait expédier, l’ordre de Sa Majesté pour le faire détacher de la chaine. Vous voudrés bien chacun en ce qui vous concerne tenir la main à son Exécution ». 362 AM Brest, 1 E 218, f° 575, v° (8 août 1784) : « J’ai adressé à M[onsieur] le Garde des Sceaux le mémoire du nommé Boulard, forçat qui demande des lettres de rappel des Galères perpétuelles, en considération de l’utilité dont il a été pour la découverte des faux acquis : aussitôt qu’il m’aura donné son avis sur le succès dont cette demande est susceptible, Je vous en ferai part ». 363 Ou Tipû Sâhib, sultan de Mysore, ville située en Inde, de 1782 à 1799. En guerre contre les Anglais, il demanda l’aide des Français dans cet affrontement. Après avoir reçu un millier de fusils, durant l’année 1787, le sultan demanda à trois ambassadeurs de se rendre en France pour renforcer cette aide matérielle, en 1788. Suite à leur séjour, ces derniers embarquèrent à Brest pour rentrer chez eux. Voir pour plus d’informations sur leur séjour, LEVOT Prosper, « Les ambassadeurs de TIPPOU-SAHEB à BREST, en 1788 », in Bulletin de la Société académique de Brest, Tome 3, 1862-1863, p. 237-246. 364 RUFFIN Pierre, premier interprète du Roi près de la cour ottomane. Ibidem, p. 239. 365 PIVRON DE MORLAT, ambassadeur auprès du père de Tipû Sâhib, Hayder-Ali-Khan, de 1781 à 1784. Ibidem, p. 237-238.
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fers. Je ne puis que désirer qu’il obtienne des bontés du Roi la grâce que ces ambassadeurs ont
fait demander pour lui366 . »
Les relations qu’entretenaient la France et le sultan ne permettaient pas au Secrétaire
d’État de refuser une telle demande, tant que les ambassadeurs étaient encore sur le territoire
français. En effet, la France ne prévoyait pas de leur envoyer une aide supplémentaire dans la
guerre opposant ce sultan aux Anglais. Le séjour des ambassadeurs n’était en fait qu’un
simulacre destiné à prouver la puissance de la France367. Il est permis de se demander si la
prise en compte de cette demande de remise en liberté en faisait partie, car le samedi 13
décembre 1788, le ministre semble bien moins enthousiasmé par l’idée de remettre en liberté
un forçat qui, coupable d’assassinat, est au bagne depuis 33 ans et demeure sans asile ni
ressource368.
Cette prise de pouvoir des services centraux n’est pas la plus stupéfiante. En effet, ils
ne se gênaient pas pour récupérer la justice déléguée dont disposait l’intendant, tout cela sous
couvert du sceau du Roi.
§2 : Une justice souvent retenue
Les intendants de la Marine n’étaient que des commissaires. Ils ne disposaient pas
d’un office leur ayant assuré une certaine pérennité et indépendance. Ainsi, le Secrétaire
d’État de la Marine et des Colonies pouvait, à son gré, récupérer les instances instruites
devant le Tribunal de l’intendant, sous le couvert du sceau du Roi, ou les instruire lui-
même369.
L’affaire du sieur Gognard est un premier exemple de cela. En effet, l’intendant
n’ayant pas prononcé la peine aussi rapidement que le Secrétaire d’État de la Marine le
désirait, ou parce que la Communauté de ville, ingérable, réclamait justice, il nous informe,
366 AM Brest, 1 E 232, f° 549 (28 novembre 1788). 367 LEVOT P., « les ambassadeurs de TIPPOU-SAHEB… », op. cit., p. 239-246. 368 AM Brest, 1 E 232, f° 625 (13 décembre 1788) : « Je vous préviens, Monsieur, que M[onsieur] le Garde des Sceaux à qui j’ai transmis la demande que vous avez formé au nom des ambassadeurs de Tipoo Saib relativement à la liberté du N[omm]é Nicolas Pierronnet condamné aux Galères à vie en 1755 pour complice d’assassinat, vient de me faire connoître que la condamnation de ce Particulier est trop ancienne pour qu’il n’y ait pas du danger à remettre dans la société un homme qui en est séparé depuis 33 ans et qui selon toute apparence, est sans azile et sans ressource, et sera peut-être obligé pour se procurer les moyens de subsister, de commettre de nouveaux crimes ». Néanmoins, ce dernier réussit à obtenir ses lettres de rappel des galères et fut autorisé à établir son domicile à Brest. AM Brest, 1 E 233, f° 57 (17 janvier 1789) et f° 351 (14 mars 1789). 369 L’exemple le plus parlant demeure la lettre qu’il adressa à l’intendant le jeudi 13 juillet 1780, au sujet de la mort d’un boulanger : « Je me rappelle effectivement Monsieur de la querelle qui s’éleva en 1780 entre deux boulangers dont l’un frappa l’autre de trois coups de couteau dont celui-ci mourut le lendemain. Je sais qu’en rendant compte à M[onsieur] de Sartine de cette affaire et de la procédure que j’allois faire instruite, j’opinai pour faire obtenir des lettres de grâce au meurtrier dont le crime me paroissoit involontaire ». AM Brest, 1 E 209, f° 659 (13 juillet 1781).
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dans une lettre du lundi 8 janvier 1781, que « le S. Gognard commis des vivres de la Marine
qui étant accusé d’avoir dit des injures au S[ieur] LeGuin Ier échevin de Brest, a été
emprisonné au château de cette place en exécution d’un ordre du Roi370 ». Cette attitude des
pouvoirs centraux était compréhensible dans une ville où les insurrections, les crimes et délits
demeuraient monnaie courante371 face à une police inexistante372.
Régulièrement, le ministre se saisissait d’une affaire et décidait, après consultation de
l’intendant de Brest ou des commissaires ordonnateurs des ports, de la sentence. Tel fut le cas
du nommé Julien Gouillard, cuisinier et cambusier373 sur le navire Le Louis Auguste, en 1784.
Cet homme, souvent enivré, déserta avec un officier et sept matelots du même navire, après
avoir reçu une correction du capitaine 374 . Le ministre fut alors mis au courant de ces
agissements par les armateurs du navire et informa le commissaire ordonnateur de ses
intentions, à savoir d’enfermer les fautifs à leur retour et de donner son avis sur la punition
qu’il conviendrait de leur faire subir375. Monsieur Couradin répondit alors au Maréchal de
Castries que seul l’officier mériterait une peine exemplaire, comme le prévoit les
Ordonnances376, et que quelques mois de prison suffirait pour le sieur Gouillard. Après avoir
370 AM Brest, 1 E 208, f° 47 (8 janvier 1781). 371 Voir pour exemple la lettre adressée par le Secrétaire d’État de la Marine à l’intendant, concernant l’installation des représentants de la ferme, le dimanche 2 décembre 1781, au sujet des vols dans les ports. AM Brest, 1 E 210, f° 801 (2 décembre 1781) : « J’ai reconnu, Monsieur, qu’un des moyens les plus propres à prévenir les vols qui se commettent dans les Ports malgré la surveillance qu’on apporte à la conservation et à l’emploi des matieres, étoit de faciliter la recherche et la découverte des personnes qui se rendent coupables de ces crimes. Dans cette vue j’ai prié M[onsieur] Joly de Fleury d’engager les fermiers généraux à donner des ordres aux Bureaux des sommes établis dans les différents ports pour que l’on fasse connoitre exactement et promptement aux Intendants et Ordonnateurs de la Marine les déclarations qui pourront y être faite pour la sortie et le transport [de matériaux par les particuliers]. » 372 En effet, entre 1765 et 1779, il n’y avait pour la ville de Brest qu’un seul commissaire de police. CORRE O., op. cit., p. 185-188. Voir supra, p. 42-48. 373 Il s’agit du matelot chargé de la cambuse, magasin du bord contenant le vin et les vivres. 374 AM Brest, 1P2-12, lettre au Comte de Guichen, 11 novembre 1784. « Cet homme étoit embarqué comme cuisinier et comme cambusier en même temps profitait de la facilité que lui offrait ce dernier poste pour senivrer journellement Cette imtemperance naïant pas manqué d’attirer l’attention du Cap[itai]ne celui-ci lui en fit plusieurs fois des reproches auxquels julien gouillard repondit toujours avec la derniere incolence. Cela alla même a un tel point que le Cap[itai]ne perdant un jour patience lui donna un soufflet. Ce fut peu de tems après que julien gouillard deserta, et se sauva dans les etablissement anglois d’où il fut ramené a son batiment par ordre du commandant d’une fregate angloise en station a terreneuve. Depuis il a tenté de deserter encore mais le Cap[itai]ne pour prévenir ses nouveaux desseins, la fait mettre aux fers et la remis a ma disposition a son retour en France ». 375 Ibidem. « J’ai reçu ordre de les faire mettre en prison a leur retour, et de donner mon avis sur la punition ultérieure qu’il conviendroit de leur infliger. L’officier étant d’après les ordonnances bienplus coupable que les autres, lui seule ma paru susceptible d’Etre traité avec une certaine rigueur. Mais a l’égard de Julien gouillard, j’ai conclu seulement a quelques mois de prison, et cette punition ne vous paroitra pas sans doute trop rigoureuse ». 376 En effet, l’Article MCCLXXXVI. Titre CIII. Des Délits & des Peines. Livre Seizième. Du Conseil de Marine ; de la Justice de guerre ; du Conseil de guerre, & des peines de l’Ordonnance du Roi, concernant la Marine, du 25 mars 1765 stipulait que « Les Officiers-mariniers & Matelots, ainsi que les Canonniers classés, servant dans les brigades d’Artillerie de la Marine, convaincus du crime de désertion, seront condamnés aux galères perpétuelles, & les Soldats à passer par les armes ». Mais ce n’est pourtant pas ce que préconisa le commissaire de Saint-Malo, ni ce qu’appliqua le ministre. En effet, cet officier, nommé Bertrand LeLong, mauvais sujet, vit, afin d’éviter à sa famille « la honte qui seroit resulté pour elle d’une peine infamante », ses circonstances
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prit acte de l’avis du commissaire ordonnateur, le ministre suivit ses recommandations et ne
condamna ce matelot qu’à un mois de prison et à des dommages intérêts envers l’amateur
dont le montant n’est pas connu. Le rapport daté du jeudi 16 décembre 1784 qu’envoya
Monsieur de Couradin à Monsieur le Comte de Guichen, soucieux de connaître les suites de
cette affaire, démontre clairement toute la mainmise de Versailles sur les procédures pouvant
se passer à un niveau local :
« M[onsieur] le Co[m]te,
Je m’empresse d’avoir l’honneur de vous faire part du jugement que le ministre vient
de rendre contre le no[mm]é Julien Gouillard, deserteur du n[avi]re le louis Auguste de S[ain]t
Malo. L’opinion de votre justice me fait croire que vous ne le trouvez pas trop severe puisqu’il
ne condamne cet homme qu’à un mois de prison, et a des dommages interets envers l’armateur
qui ne consisteront probablement que dans la restitution des avances qu’il a reçues a
l’armement. Il n’étoit guerre possible qu’il obtint un jugement plus favorable, et je me rejouit
de ce qu’il n’est pas plus rigoureux, a cause de lespece d’interêt que vous avez paru rendre a
cet homme377. »
Quelquefois, le ministre lui-même commençait une instruction sans en avertir
l’intendant. C’est ce qui se passa dans une affaire concernant le Sieur LeRoi de Préville,
commissaire des classes du Croisic378. Ce dernier, dénoncé par le Sieur LeFeu de la Lande,
officier d’arrondissement, est soupçonné d’irrégularités, à savoir « d’exactions (…) envers les
négociants, de qui il paroit avoir reçû différentes sommes et en diverses occasions379 ». Le
ministre nous informe qu’il disposait déjà de quatre lettres ainsi que « d’autres pièces servant
d’instruction » pour l’intendant, qu’il lui envoya le samedi 19 avril 1788. Il lui indique de
poursuivre l’enquête. Cette affaire ne devait pas intéresser l’intendant outre mesure, car le
lundi 2 juillet 1788, Monsieur de La Luzerne envoyait une lettre à Monsieur Chardon afin
qu’il s’occupe avec toute « la prudence, l’impartialité, l’intelligence et l’intégrité » dont il est
capable, pour mener à bien cette enquête. En effet, le Secrétaire d’État de la Marine n’a que
des soupçons mais aucun éclaircissement quant à la nature des agissements de cet homme380.
Malheureusement, la suite de cette affaire n’apparait pas au sein du fonds de l’Intendance.
Peut-être que cette situation, connue de tous les armateurs du Croisic, engageant la probité
d’un membre de la Prévôté, fut directement résolue par le ministre, qui ne voulait pas qu’elle
rejaillisse sur tout le corps de cette institution.
Une affaire, encore plus étrange, démontre toutefois les limites de la justice retenue.
Déjà durant les années 1780, devant la vindicte populaire, même les services centraux aggravantes supprimées et il fut enfermé à Brest avant d’être embarqué sur un navire destiné pour l’Inde, comme matelot à la plus basse paye (AM Brest, 1P2-12, lettre à Monsieur de Guichen, 16 décembre 1784). 377 AM Brest, 1P2-12, lettre à Monsieur de Guichen, 16 décembre 1784. 378 Le Croisic est une commune du département de la Loire-Atlantique, proche d’Évreux. 379 AM Brest, 1 E 230, f° 673 (19 avril 1788). 380 AM Brest, 1 E 231, f°385 (2 juillet 1788).
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devaient plier. L’intendant fut informé que certaines personnes avaient eu vent d’une « affaire
de faux acquits sur le trésorier de la Marine qui se sont répandus dans le Public ». Il avait
alors démarré une procédure. Mais devant la gravité de l’affaire, le Secrétaire d’État de la
Marine et Sa Majesté s’en étaient saisis et avaient décidé de ne pas poursuivre les
commanditaires pour simplement les sanctionner disciplinairement. Néanmoins, ils décidèrent
que « vû la gravité du crime, en l’éclat qu’il a fait, il seroit d’une conséquence dangereuse
d’arrêter le jugement des accusés381 ». En conséquence, le Secrétaire d’État de la Marine
renvoie tous les pièces que l’intendant lui avait adressées le vendredi « 22 du mois de
décembre dernier » afin qu’il procède au jugement. Ce qu’il fit, en condamnant « selon la
rigueur de la loi382» Louis André Frioux de Misecourt, le nommé Frioux aîné et le nommé
Penneguez383 par un jugement de la « Commission souveraine des chiourmes de cette Ville, le
[lundi] 23 février dernier384 ».
Néanmoins, comme il a été observé ci-dessus, les services centraux disposaient tout de
même du dernier mot, en accordant à chacun des trois accusés des lettres de grâce commuant
leur peine de mort en une simple détention à perpétuité.
L’intendant de la Marine restait donc un commissaire sous les ordres de Versailles.
Même la justice déléguée dont il était le dépositaire n’était pas réellement sienne, comme pour
toutes les juridictions de cette époque, le Roi restant la source de la loi et réunissant, en son
corps, toute la justice du royaume.
Tantôt contrôlé, tantôt dépossédé, l’intendant ne faisait qu’exécuter les ordres du
Secrétaire d’État de la Marine. Pourtant, il serait inexact de dire qu’il n’essayait pas de
s’émanciper de cette tutelle étouffante.
381 AM Brest, 1 E 217, f° 257 (3 février 1784). 382 AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784). 383 AM Brest, 1 E 218, f° 575 (8 août 1784). 384 AM Brest, 1 E 217, f° 623 (31 mars 1784).
87
Section II : Un intendant en résistance
L’intendant demeurait-il un sujet passif, se pliant aux ordres du ministre385 ? Au vu
de l’étude des différents fonds, il semble que la personnalité même de l’intendant de la
Marine de Brest influait sur l’acceptation ou non des directives ministérielles. Or, ces derniers
semblaient vouloir résister, ou tout au moins, interpréter les différentes ordonnances ou
directives des pouvoirs centraux, ce qui leur valut de nombreuses remontrances (§1). Le fonds
d’archives du Service Historique de la Défense met, de plus, en lumière quelques
particularités de l’Intendance du port de Brest admises ou, tout au moins, acceptées par les
Secrétaires d’État de la Marine successifs (§2).
§1 : Des Ordonnances royales et directives ministérielles
contestées
L’intendant n’entendait pas être un simple commissaire. Les hommes successifs à la
tête de l’Intendance possédaient certainement un certain charisme et une personnalité très
forte386. Cela leur permit d’interpréter les Ordonnances royale (A) et d’appliquer de façon
sélective les directives du Secrétaire d’État de la Marine (B).
A) Des Ordonnances souvent interprétées par les différents services de
l’Intendance
L’intendant de la Marine du port de Brest, tout comme celui du port de Toulon ou de
Rochefort, demandait régulièrement des interprétations au ministre quant à l’application des
différentes Ordonnances387. Ces demandes demeuraient essentielles pour une bonne gestion
des ports et arsenaux. Ainsi, au sein du fonds étudié, il existe de nombreux courriers du
ministre offrant des éclaircissements quant aux Ordonnances royales en vigueur, dont le plus
impressionnant regroupe les observations de Monsieur le Comte d’Hector, au sujet du Conseil
de Marine388. Le plus grand pourcentage d’entre elles datent de 1786389, année au cours de
385 Monsieur BERBOUCHE démontre bien, dans son ouvrage Marine et Justice, que les intendants de la Marine n’étaient pas aussi virulents que les Parlements (BERBOUCHE A., op. cit., p. 127-150). Mais même sous l’autorité du Maréchal de Castries, il semble que les intendants de Brest aspirèrent à une certaine liberté. 386 En effet, il ne faut pas oublier que Monsieur de Laporte, intendant de la Marine à Brest de 1766 à 1781, fut nommé ensuite « à la place d’Intendant Général de la Marine » (AM Brest, 1 E 210, f° 729-731 (25 novembre 1781)). Cette nomination eut lieu le mardi 30 janvier 1781 (AM Brest, 1 E 208, f° 171-173 (30 janvier 1781)). 387 Voir, pour exemple, la transmission, par le Secrétaire d’État de la Marine, des questions que lui ont déjà posées les ports de Rochefort et de Toulon. AM Brest, 1 E 224, f° 583-589 (19 juin 1786). 388 AM Brest, 1 E 225, f° 655-687 (26 novembre 1786). 389 Sur les neuf courriers précisant les ordonnances, deux datent de 1785 et quatre de 1786. Voir AM Brest, 1 E 221, f° 239-245 (11 février 1785) et f° 483 (24 juin 1785) (pour l’année 1785) et AM Brest, 1 E 224, f° 581-589 (19 juin 1786), f° 941-951 (6 août 1786), f° 1051-1053 19 août 1786) et 1 E 225, f° 655-687 (26 novembre 1786 (pour l’année 1786).
88
laquelle le Maréchal de Castries promulgua de grandes réformes de la Marine, regroupées au
sein du Code Castries390.
Il est possible de penser que le Secrétaire d’État de la Marine pouvait, par ce moyen,
contrôler l’application de toutes les Ordonnances royales et que l’intendant de la Marine lui
référait toutes les difficultés qu’il pouvait, au cours de son exercice, rencontrer. Pourtant, cette
situation, qui aurait permis une gestion précise de tous les conflits judiciaires et administratifs,
ne transparait pas au sein de la correspondance.
Il est intéressant de remarquer que les remontrances des services centraux
commencent lors de l’application du Code Castries, dont l’accueil fut mitigé parmi les
différentes autorités391 . La Guerre d’Amérique et son règlement ultérieur ne permit pas,
semble-t-il, au Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, d’étudier tous les abus s’étant
introduits antérieurement au sein des différentes Ordonnances392. Mais il ne faut pas croire
pour autant qu’elles ne sont que des mauvaises interprétations des quatorze Ordonnances et
onze règlements présents au sein de ce Code. Est-ce un signe de résistance de leur part ? Ou
cela est-il dû à la charge de travail immense à laquelle faisait face cette administration393 ?
Cette seconde hypothèse, qui aurait été en faveur de l’Intendance, parait erronée.
390 Ordonnances et règlements concernant la Marine, Paris, Imprimerie Royale, 1786. Pour un éclaircissement sur le ressenti de l’application de ce code par un garde de Marine, voir A. CARRÉ, op. cit.., p. 247-255. 391 Ainsi, lorsque l’ordonnance des classes arriva à Brest, en janvier 1785, le Chevalier de Massac, officier proche du Comte d’Hector et du commissaire-ordonnateur Couradin, exposa ses vues lors d’une réunion organisée par le commandant de la Marine en présence de divers officiers. Voici ce qu’il rapporta dans une lettre du 3 janvier 1785 adressée à Monsieur Couradin (AM Brest, 1P1-44, f°9 (3 janvier 1785)) : « Je ne crois pas, mon cher Couradin, que l’ordonnance des Classes soit mise en exécution d’ici à plusieurs mois ; du moins tous me le persuade. En effet, pourra t’on trouver plus de cent officiers qui pour un supplément de quinze cent livres abandonneront leurs familles pour se fixer dans les divers Quartiers ? (…) Comme je ne sais pas déguiser ma façon de penser, je lui dis [au Comte d’Hector] que je ne trouvois que deux chapitres de bienfaits, celui des gratifications et celui des punitions à infliger aux déserteurs ; que les autres m’avoient paru susceptibles de bien des observations et qu’en général je la coryais très difficile à exécuter ». L’entourage du Comte d’Hector semblait partager ses vues (Ibidem). « Hier, M[onsieur] Vidal qui en fait de service voit tout aussi bien qu’aucun officier du Grand Corps, et qui se trouvoit alors chez le Général, me dit que M[onsieur] hector avoit été abasourdi du Jugement que j’avois porté, mais que lui m’avoit très-fort approuvé intérieurement ».
L’accueil de cette nouvelle, au sein des officiers de plume fut, quant à lui, plus chaleureux. Ainsi, Monsieur Benjamin Quesneau, commissaire à Rochefort, rapporta ainsi à Monsieur de Couradin, dans une lettre du 6 janvier 1785 que l’Ordonnance des classes « a infiniment plû à la marine, et on attend les ordres de la Cour pour la mettre en vigueur. Il faut avouër que le Service des Commissaire des Classes va devenir bien penible et désagréable ; je partage bien les peines de l’ami Regnault ». 392 AM Brest, 1 E 225, f° 537 (10 novembre 1786) : « Il est tems, M[essieu]rs, d’en arrêter le cours. Il n’est pas étonnant qu’ils ayent en quelques sorte échappés à mon regard pendant la guerre, mais les circonstances actuelles étant favorables au rétablissement de l’ordre, je vais vous faire connoître mes intentions sur le moyen d’y parvenir ». 393 Due notamment à la comptabilité des ports, tâche colossale. Le Maréchal de Castries instaura même, afin que les sujets des bureaux soient plus consciencieux et plus efficaces, une responsabilité personnelle, dans une lettre adressée le vendredi 2 février 1787 : « Je vous préviens que je rendrai les commissaires des classes et les officiers supérieurs chargés de surveiller cette comptabilité personnellement garants des déficits auxquels leur négligence aura donné lieu » (AM Brest, 1 E 226, f°459). Malheureusement, en 1789, les comptes des dépenses du port de Brest n’étaient pas bouclés (voir, pour exemple, AM Brest, 1 E 233, f° 467 (29 mars 1789).
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Effectivement, un courrier du Secrétaire d’État La Luzerne écarte tout doute sur
l’attitude de l’intendant, ce dernier n’informant même plus les services centraux sur ses
dépenses, le vendredi 23 avril 1790 :
« J’ai un autre reproche encore plus grave à vous faire, c’est de n’avoir pas senti dans
ces moments de crise où l’administration a des comptes publics à rendre, combien il étoit
essentiel que je fusse exactement instruit de vos recettes et dépenses. Vous n’avez point
envoyé d’extraits de fonds depuis un an, et je n’ai reçu aucun bordereau depuis le mois
d’octobre dernier malgré les différens ordres pressans que je vous avais donné à ce sujet.
Qu’en est-il résulté ? J’ai été obligé, en présentant à l’assemblée nationale l’état des dettes du
département de la Marine de ne faire connaître votre situation que par aperçu, faute d’avoir
reçu les pièces qui peuvent la constater394 . »
L’intendant avait-il perdu la raison ? Se considérait-il au dessus du ministre ? Sa
résistance devenait excessive. D’une simple interprétation, il en était passé à vouloir contrôler
tous les détails de son port, dont l’administration financière395 et la responsabilité de ses
personnels. Il se permettait de passer outre les ordres, pourtant pressants, d’un ministre dont le
désespoir transparait ici. Cette lettre de détresse aurait pu changer la donne. Pourtant, il
semble que la situation ne fit qu’empirer, comme le prouve cet envoi du Secrétaire d’État de
la Marine, daté du mercredi 23 juin 1790, essayant de rappeler le rôle exact de l’intendant de
la Marine au sein d’un port :
« Vous me paraissez persuadé qu’un intendant de port ne doit, en tems de guerre,
recevoir que des ordres généraux pour tout ce qui peut le concerner, et qu’on doit lui
abandonner avec confiance toutes les autres dispositions particulières : que sans ce mode
d’administration, tout ira mal ; vous invoquez même à l’appui de ce que vous avancez, le
témoignage de M[onsieur] dela Porte qui a administré longtemps le port de Brest.
Je vous répondrai d’abord que les avis que je pourrai prendre de cet Intendant, sur le
tems passé, ne pourraient pas être applicables au tems présent. Je sçai très bien que dans des
cas de mouvement pressé, la marche du service ne doit pas être arrêtée, mais je sçai aussi que
l’administration supérieure ne peut être utile qu’autant qu’elle est très éclairée sur la nature et
la quantité des dépenses. L’expérience me prouve que dans le port de Brest on a toujours
montré beaucoup de zèle et de talent pour armer et mettre en mer, avec promptitude, de
grandes forces navales, mais que depuis 12 ans, on n’y a encore compté de rien, et que les
dépenses réelles, par le simple aperçu qu’on en a, y ont toujours été dans les tems ordinaires,
fort audelà de celles qui avaient été ordonnées et absolument hors de proportion avec les
travaux qu’on y a fait. Je suis forcé, aujourd’hui, malgré la bonne opinion que j’ai de votre
394 AM Brest, 1 E 236, f° 497 (23 avril 1790). 395 Déjà le mercredi 27 septembre 1780, le Secrétaire d’État de Marine et des Colonies reprochait au commissaire ordonnateur Guillot de Saint-Malo « l’achat de 250 à 260 milliers de chanvre ». Ce contrat ayant été passé, le ministre ne pouvait plus l’annuler : « Vous aurez vu par ma lettre du 25 que j’aurois désiré que vous n’eussiez pas fait cette acquisition, mais puis qu’elle est terminée, vous adresserez à M[onsieur] Faissolle de Villeblanche le Traité que vous avez passé, afin qu’il l’accepte en presence du Conseil de marine avant de m’être envoyé pour être approuvé. Vous ne me marquez pas quels sont les termes que vous avez pris pour les payements ».
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droiture et de vos instructions, de veiller à vos dépenses avec plus d’attention encore que par
passé, parceque devant être tenu moi-même de rendre compte à l’assemblée nationale, de tous
les fonds qui sont accordés à mon département, je ne sçai pas ce que je pourrai lui répondre si
le port de Brest continuait comme il l’a fait jusqu’à présent, à s’éloigner aussi sensiblement des
vuës économiques que le Roi m’a ordonné de suivre avec autant de constance que de
fermeté396 . »
Le ministre reprenait ainsi un discours ferme face à celui qui pouvait se sentir
indépendant vis-à-vis du pouvoir central. Il rappelle à l’intendant ces compétences strictes. Si
en temps de guerre, il peut conserver certaines décisions impérieuses, pour l’envoi d’une
escadre par exemple, en temps de paix, il redevient un simple commissaire devant suivre les
ordres des services centraux, bon gré mal gré. Le pouvoir central reprenait alors la main sur ce
personnage ayant surement voulu s’émanciper d’une tutelle trop présente à son goût. Il est
intéressant de remarquer qu’au sein de cette lettre, le ministre fait allusion à Monsieur
Delaporte, ancien intendant de la Marine du port de Brest, comme si une coutume s’était
formée lors de sa longue administration ayant duré quinze ans, au cours de laquelle il avait pu
recevoir, ou mettre en place quelques dérogations aux Ordonnances générales de la part des
différents Secrétaires d’État de la Marine. En effet, l’intendant avait aussi tendance à nuancer
les ordres de Versailles.
B) L’application sélective des ordres du Secrétaire d’État à la Marine et aux
Colonies
A l’inverse de l’application des Ordonnances, les différents Secrétaires d’État de la
Marine et des Colonies n’attendirent pas l’année 1786 pour constater les errements dont
faisait preuve l’intendant quant à leurs ordres et directives. Ils n’y répondirent pas non plus de
la même manière.
Normalement, aucun habitant de Dunkerque ne pouvait faire partie de l’équipage des
Vaisseaux du Roi. Ces derniers avaient été rattachés à la France en 1662 suite au rachat de la
ville par Louis XIV aux Anglais397. Des ordres des ministres étaient régulièrement envoyés
aux intendants afin que cette disposition soit respectée, car le Roi craignait que la population
ne fuie vers les Pays-Bas Espagnols proches. Or, cela semble être oublié de l’intendant du
port de Brest qui n’hésita pas, au cours de l’année 1782, à retenir un capitaine corsaire
dunkerquois et son équipage pour le service du Roi :
396 AM Brest, 1 E 237, f° 371-375 (23 juin 1790). 397 BERBOUCHE Alain, Histoire de la Royale, du Moyen-âge au règne de Louis XIV, Pascal Galodé éditeur, Saint-Malo, 2011, p. 230-238.
91
« Je suis informé, M[essieu]rs, que le Corsaire la Victoire de Dunkerque, actuellement
en relâche à Brest, est retenu par vos ordres, et que votre intention est de vous emparer de son
équipage pour le service des V[aisse]aux du Roy. Les armements Dunkerquois ayant été
exceptés des ordres donnés à l’égard de ceux des autres ports ; vous voudrez bien laisser la
liberté au Capitaine de reprendre la mer pour continuer la Course, mais il sera à propos d’en
faire faire une revue exacte, afin de s’assurer si dans le dit Equipage, qui ne doit être composé
que d’Etrangers, il ne se trouve pas de Matelots François, afin de les en débarquer et les retenir
pour le Service398 . »
Alors que le ministre était intransigeant, ou tentait de l’être, concernant l’application
des diverses Ordonnances de la Marine, au sujet de ses directives, il semble plus circonspect
et moins directif. Ainsi, il n’ordonna pas à l’intendant, sur un ton sec, de libérer l’équipage du
navire corsaire La Victoire de Dunkerque, mais simplement de vérifier si l’équipage était bien
composé d’éléments ne relevant pas du système des classes399.
Cela était parfaitement normal. En effet, comment avoir confiance dans les dires de
personnes dont on ne savait rien ? Les matelots n’étaient guère enclins à retourner sur les
vaisseaux du Roi et préféraient se faire passer pour des étrangers afin d’embarquer sur des
navires de commerces ou des corsaires, beaucoup plus lucratifs et moins dangereux. Cette
situation ressort d’un courrier envoyé par le Maréchal de Castries à Monsieur Couradin, le
jeudi 23 août 1781 :
« Vous trouverés cy joint, Monsieur, l’Extrait d’une Lettre écrite à M[onsieur]
l’ambassadeur d’hollande, par le S[ieu]r Vincent de S[ain]t Malo, au sujet de trois Matelots
hollandois qui, à leur retour des Prisons d’Angleterre, paroissent avoir été embarqués, malgré
leur réclamation, sur une Corvette du Roi, d’où ils demandent à être renvoyés pour retourner
chez eux. Vous me marqueréz ce que c’est que ces troïs Matelots, pourquoi ils ont été compris
au nombre des Prisonniers françois ramenés d’Angleterre, si en effet ils ont été contraints
comme ils l’exposent, de servir sur la d[it]e Corvette, et pour quelle raison ; et vous
m’indiquerés le Port où l’on pourroit faire passer des ordres à leur sujet400 »
Comment des matelots étrangers avaient-ils pu être embarqués sur un bateau
parlementaire ? En effet, normalement, ces derniers n’étaient destinés qu’aux seuls échanges
de gens de mer Français et Anglais. De ce fait, il semblait étrange que des matelots Hollandais,
originaires d’un pays neutre, fussent ramenés en France par ce moyen401. Le commissaire
398 1 E 211, f° 957 (26 avril 1782). 399 Ibidem. Ce qu’il reprécise dans une note inscrite au bas de la lettre : « De la main de Monseig[neur] L[e] S[ecrétaire] trouver le moyen de vous assurer qu’il n’y a pas de françois dans la composition de l’equipage ». 400 AM Brest, 1P1-18, f° 260 (23 août 1781). Pour voir l’extrait de la lettre, le f° 261 (même date). D’après le Sieur Vincent, rapportant les dires des matelots, ils furent pris « à S[ain]t Eustache sur un navire appartenant au S[ieur] Texico, d’amsterdam et conduits aux prisons de Porsmouth d’où pour pouvoir revenir en France, ils ont été obligés de payer au commissaire anglois 3 guinées chaqun ». 401 La méfiance qu’entretenaient les différents services de l’Intendance était parfaitement compréhensible. Beaucoup de marins de pays neutres participaient, dans un camp ou dans l’autre, à la guerre. Ainsi, des marins
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ordonnateur, tout comme l’intendant de la Marine de Brest, supposèrent donc qu’ils se
trouvaient parmi ses Hollandais des « Déserteurs classés, qui tous ont été attirés à S[ain]t
Malo par l’espoir d’y être embarqués sur des Corsaires402 ». Même si cela n’est pas expliqué
clairement, on peut penser, à la lecture du courrier du Maréchal de Castries en date du samedi
22 septembre 1781, que ces matelots étrangers s’étaient, en fait, engagés volontairement sur
les bâtiments du Roi et essayaient maintenant d’échapper à leur engagement :
« Il n’y a pas à hésiter à sassûrer de tous ces Gens Etrangers et autres, pour les faire
passer avec surêté au Port de Brest, où l’on a besoin de Matelots ; pour cet effet, il sera
nécessaire de requérir p[ou]r les escorter un ou plusieurs Détachements de Troupes
proportionnés à la quantité, et suffisants pour contenir cette espece d’hommes, et les surveiller
de manière à éviter toute espece de Révolte de leur part, et empêcher qu’ils ne s’évadent en
Route ; y ayant eu lieu de remarquer de la négligence, et même de l’infidélité de la part de
quelques soldats employés à de pareilles escortes, dont quelques uns s’amusoient à boire avec
les gens de mer, et favorisoient même la désertion en Route ; sur le compte qui en a été rendu à
M[onsieur] le M[arqu]is de Ségur ce Minïstre a écrit aux Commandants des Provinces
Maritimes d’astreindre les officiers qui seroient à la tête des Détachements, à prendre du
Commissaire du lieu d’où ils partiroient, un Etat signé de lui, pour constater le nombre
d’hommes qui leur sera confié403. »
On voit bien ici toute la méfiance qu’a le Secrétaire d’État de la Marine et des
Colonies envers les gens de mer, qu’ils soient Français ou étrangers. L’intendant ou ses
subordonnés devaient, coûte que coûte, vérifier la situation de ces gens, même s’ils devaient,
pour cela, les faire embarquer sur des vaisseaux du Roi, afin d’éviter une désertion. Mais cette
attitude était aussi bien valable dans le cas de l’oubli que dans celui de l’extension d’un ordre.
Une correspondance, au cours de l’année 1789, concernant la réunion des assemblées,
démontre cette souplesse dans l’extension des ordres. Face à la recrudescence des
manifestations de la société civile et des insurrections des différents corps d’armée ou de
bagnards, l’intendant était submergé. Devant parer au plus pressé, le Secrétaire d’État de la
Marine, conscient du bouillonnement du port de Brest, émit, au début de l’année 1789, une
directive interdisant les réunions de personnes404 au sein d’assemblées illicites. Or, l’intendant
de la Marine de Brest étendit cette directive à toutes les assemblées, même celles concernant
Hollandais furent arrêtés, en mars 1782, sur le navire Anglais la Catherine. Or, ils essayèrent, par leur nationalité, d’échapper à la prison. Mais après une enquête extrêmement bien menée, en coordination avec les services des États-Unis d’Amérique, le commissaire ordonnateur pût prouver que ces sept matelots étaient en réalité des Hambourgeois à la solde de l’Angleterre, enrôlés à Londres. (AM Brest, 1P2-10, lettre à Monsieur Le Prince, 26 mars 1782 et lettre à Monsieur Le Prince, 4 avril 1782 ; 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 28 mars 1782). 402 AM Brest, 1P1-18, f° 279 (22 septembre 1781). 403 Ibidem. 404 Cette directive n’est malheureusement plus présente au sein du corpus de lettres présent au Service Historique de la Défense de Brest.
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l’élection des députés des États Généraux, ce que dénonça le ministre, sur un ton d’empathie,
dans une lettre du dimanche 29 mars 1789 :
« Vous avez donné, Monsieur, une extension que je ne prévoyais pas au contenu de la
dépêche que j’ai adressée le 16 de ce mois à vous et à M[onsieur] le C[om]te d’Hector. En vous
indiquant la conduite que vous deviez tenir envers vos Subordonnés, si aucun vouloient
abandonner leur service pour se rendre à des assemblées illicites, aux quelles ils seroient peut
être appelés, je n’entendois nullement vous parler de celles qui seroient convoquées pour les
Ordres du Gouvernement. Les Membres de l’Administration ne cessent pas d’être des citoyens.
Il convient même de leur procurer les moyens d’assister aux Assemblées des Villes, et de
Sénéchaussée, soit pour choisir les Electeurs, soit pour rédiger les cayers, soit enfin pour élire
les députés aux Etats Généraux405 . »
Ainsi, seules les assemblées considérées comme illicites, à savoir celles que ne
constituaient pas les assemblées ordonnées par le Gouvernement étaient prohibées. Il est aisé
de remarquer que le ministre n’a pas utilisé ici un ton acerbe et va même, dans une lettre du
même jour, féliciter l’intendant pour la destitution du sieur Cavelin, qui lui avait très mal
répondu406.
Mais la résistance de l’intendant se faisait aussi au niveau des jugements
discrétionnaires que rendait le Secrétaire d’État de la Marine. Normalement, ce dernier
disposait, lorsqu’il le voulait, de la justice retenue. Cependant, il semble que lorsque
l’intendant n’entendait pas appliquer une sanction disciplinaire ou judiciaire, il déployait une
multitude d’arguments afin de faire plier le pouvoir central, ou tout du moins le raisonner.
C’est ce qui ressort de l’affaire concernant l’affaire du corsaire La Princesse Noire,
déjà étudiée précédemment. Dans sa lettre du jeudi 23 août 1781, le ministre est ferme : les
personnes doivent être punies. En effet, « la négligence ou même l’infidélité de la Personne
que vous en aviez chargé est trop répréhensible pour pourvoir rester impunie ». Il lui indique
donc de faire subir au moins huit jours de prison au fautif407. Il demande même, au bas de
cette lettre, que les noms lui soient transmis408. Face à un langage si véhément, il parait clair
que le ministre entendait, en plus des huit jours de prison, ordonner une sanction disciplinaire,
comme le refus d’avancement ou une destitution.
405 AM Brest, 1 E 233, f°463 (26 mars 1789). 406 Ibidem, f° 465 (29 mars 1789) : « Au reste, vous avez bien fait de destituer le S[ieur] Cavelin pour le punir de la façon dont il s’est permis de vous répondre ; mais vous sentirés surement que dans la circonstance actuelle, il convient peut-être de ne pas pousser trop loin la sévérité. Comme vous me marqués d’ailleurs, en m’instruisant de ses torts, que c’est le meilleur Sujet du Port, je dois croire que vous désirés que je vous autorise à le réintégrer ». 407 AM Brest, 1 E 209, f° 955-957 (23 août 1781). 408 « Vous m’enverrez les noms des personnes qui se sont si mal acquittées des ordres que vous leur aviez donnés ».
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Pourtant, étonnamment, dans un courrier du lundi 17 septembre 1781, il accepte la
suspension de punition dont doit faire preuve l’intendant à l’égard du Sieur Blanchard, ancien
écrivain de la Marine, qui avait effectué cette revue. Comment un tel changement d’attitude,
en l’espace d’un mois, peut-elle survenir, sinon avec l’intervention de l’intendant ? C’est
d’ailleurs ce que rapporte ce courrier :
« J’ay reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avéz écrite le 29 du mois dernier, et par
laquelle vous me marquéz avoir suspendu l’exécution des ordres que je vous avois donnés
pour la punition du sujet qui a été chargé de faire la revüe de l’Equipage du Corsaire la
Princesse Noire, et soupçonné de négligence ou d’infidélité sur le Rapport qu’il avoit fait.
D’après les persuasions où vous êtes que le S[ieur] Blanchard ancien écrivain de la Marine sur
le quel ce soupçon étoit dans le cas de tomber, est un sujet exact et actif, j’approuve que vous
ayéz différé la punition qu’il parroissoit avoir nécessité409 . »
Ainsi, l’avis de l’intendant est-il pris en compte, si toutefois ce dernier insiste quelque
peu. Dès lors, demeure-t-il un simple commissaire ou un officier gardant jalousement ses
compétences ? Il semble qu’il ne demeure tout de même qu’un commissaire, pouvant se
permettre quelques écarts, à la condition qu’il reste soumis au pouvoir central. C’est d’ailleurs
le sens de la note manuscrite apparaissant au bas de cette lettre, indiquant qu’il ne doit
suspendre ces ordres que dans des « cas très extraordinaires410 ».
Ainsi, l’intendant résistait-il bien au pouvoir central de Versailles, tant sur
l’application des Ordonnances royales que sur les ordres du Secrétaire d’État de la Marine et
des Colonies. Mais cette résistance n’était-elle due qu’à la personnalité de l’intendant ? Ne
résultait-elle pas aussi de la souplesse dont faisaient parfois preuve les services centraux ?
§2 : La résistance de l’intendant : la conséquence d’un
pouvoir central trop souple ?
Normalement, toutes les ordonnances devaient être rigoureusement suivies par les
différents sujets, afin d’assurer une bonne gestion de la justice. Cette situation était d’autant
plus vraie pour le droit de la Marine, qui concernait souvent des sites militaires sensibles.
D’ailleurs, les nombreux rappels des autorités centrales de Versailles en sont le meilleur
exemple411. Or, les Ordonnances royales avaient vocation à s’appliquer sur tout le territoire
national, d’où la volonté d’uniformisation des différents Secrétaires d’État de la Marine et des
409 AM Brest, 1 E 210, f° 119 (17 septembre 1781). 410 « En général, vous ne prendre sur vous que dans des cas très extraordinaires de ne pas executer les ordres que je vous adresse ». 411 Voir, pour exemple, 1 E 225, f° 549-551 (15 novembre 1786), au sujet du respect de l’Ordonnance du 27 septembre 1776, concernant la Régie et Administration des Ports et Arsenaux de Marine.
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Colonies412. Cela aurait dû aboutir à une très forte concentration des pouvoirs au sein des
services centraux.
Pourtant, ce n’est pas l’exacte situation qui apparait lors de l’étude du fonds d’archives.
En effet, le ministre accorde certaines dérogations quant à l’application des Ordonnances aux
différents intendants des ports (A) et laisse même parfois certaines irrégularités, ne concernant
pas la Marine, persister au sein du port (B).
A) Les dérogations ministérielles
Le ministère de Monsieur Sartine sembla être celui des dérogations accordées à
l’intendant et à ces services. Cette situation est surprenante de la part de l’homme qui rendit
une grande partie des pouvoirs aux autorités militaires. Il est intéressant de voir qu’il laissa
ainsi une dérogation importante, concernant la responsabilité personnelle des supérieurs
hiérarchiques en cas de vol au sein des magasins et sur les chantiers ou ateliers du port.
L’apport de cette dérogation ministérielle est d’autant plus important que cet échange de
courrier demeure complet au sein des fonds documentaires.
Tout commença par une première lettre, datée du dimanche 10 septembre 1786
concernant les désordres résultant de la non-application, ou de l’application sélective,
des articles 67413, 68414 et 249415 de l’Ordonnance de 1776, déterminant la responsabilité du
personnel administratif en cas de crimes ou délits et les différents actes permettant une
surveillance accrue afin d’éviter, notamment, les vols.
412 Voir, pour exemple, AM Brest, 1 E 235, f° 357-359 (20 novembre 1789), pour l’uniformisation concernant certaines parties des « services et ports ». 413 Titre IV. De la Direction des travaux & ouvrages ; de l’ordre à établir dans les Chantiers & Ateliers ; & de la justice & police des Arsenaux : « Les demandes de matières œuvrées ou non-œuvrées ; outils& ustensiles pour tout ce qui concerne la charpente du chantier, du corps du Vaisseau, du berceau, des mâtures, hunes, cabestans, chaloupes & canots, & le calfatage, corroi et enduit du Vaisseau, seront faites par écrit, par l’Ingénieur-constructeur chargé de la construction ou du radoub du Bâtiment. Ces billets de demandes, visés du Directeur des Constructions & du Commissaire des Chantiers & Ateliers, seront portés par les Contre-maîtres d’ouvrages au Commissaire du Magasin général, qui mettra son ordre au bas pour la délivrance des matières ou effets demandés ; & lesdits billets serviront de décharge au Garde-magasin. Lorsque lesdits effets ou matières auront été apportés au Chantier, ils seront remis à la charge & garde du Commissaire des Chantiers & Ateliers, qui en suivra & fera suivre l’emploi dans leur convenissement par les Commis sous ses ordres, pour s’assurer si rien n’est diverti par les Ouvriers, & si tout ce qui leur a été délivré, a été effectivement & fidèlement employé ». 414 Titre IV. De la Direction des travaux & ouvrages ; de l’ordre à établir dans les Chantiers & Ateliers ; & de la justice & police des Arsenaux : « A l’égard de tous ouvrages à exécuter dans les différens Ateliers dépendans des trois Directions, les demandes de matières, outils ou ustensiles, seront faites par celui des Officiers de Vaisseau ou de Port, qui sera préposé à la direction particulière de l’Atelier où les ouvrages ordonnés devront être exécutés ; & il en sera usé du reste ainsi qu’il est prescrit par l’article précédent ». 415 Titre XI. Du Directeur du Port : « Les caliornes, poulies, rouets de cuivre, franc-funins, & tous autres agrès ou apparaux servant à la manœuvre des carènes & déposés dans les pontons ou ailleurs, seront à la charge & garde du Directeur de Port, lequel en fera sa reconnoissance au bas de l’inventaire qui en sera dressé en présence du Commissaire du Magasin général, du Garde-magasins & du Contrôleur pour la décharge dudit Garde-magasins, & sera visé du Directeur général & du Commandant ».
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Normalement, comme l’explique l’Article 67. Titre IV. De la Direction des travaux &
ouvrages ; de l’ordre à établir dans les Chantiers & Ateliers ; & de la justice & police des
Arsenaux de l’Ordonnance du Roi concernant la régie et administration générale &
particulière des Ports & Arsenaux de Marine du 27 septembre 1776, tous les billets de sortie
de fournitures, que ce soit de matières brutes, tel le bois, ou d’outils de travail, doivent
recevoir la signature du directeur des Constructions et du commissaire des Chantiers et
Ateliers. Ces contreseings étaient essentiels, afin de vérifier les abus pouvant se glisser dans la
fourniture de marchandises. Or, les intéressés, dans le port de Brest, s’étaient tout bonnement
déchargés de cette formalité, en les enregistrant et les « contremarqu[ant] d’un côté par les
lettres E.D., et de l’autre par celle E.C.416 ».
Or, cela donnait tout pouvoir au seul maître d’ouvrage, qui pouvait, sans aucun contre-
pouvoir ni surveillance, détourner les différentes matières du magasin général, avec
éventuellement la complicité du garde-magasin, ce dernier étant déchargé de la garde des
matériaux. Mais cela pouvait être préjudiciable au commissaire des Chantiers et Ateliers qui
devenait responsable en cas de détournement ou de vol. Voila pourquoi le Secrétaire d’État de
la Marine reprécise les formes essentielles que doivent revêtir les billets de sorties de
marchandises :
« On se conformera donc, M[essieu]rs, à ce qui est prescrit par les articles 67 et 68 de
l’ordonnance de 1776. En conséquence, les billets de sortie seront visés par les Directeurs ou
les Sous Directeurs et par les Commissaires des Chantiers et Ateliers & du Magasin général ;
et aucune matière ne sera délivrée que sur les billets revêtu des formes essentielles. M[essieu]rs
les Directeurs ou les Sous Directeurs en leur absence se feront représenter tous les jours entre
huit et neuf heures du matin, les billets de demandes que feront les maîtres d’ouvrages de
chaque atelier : ils examineront si elles sont raisonnables, et ne viseront les billets qu’après
s’en être convaincu. Ils devront toujours, au surplus, être enregîstrés dans les Bureaux des
Directeurs et dans ceux des Commissaires. Et dans aucun cas ce visa ne pourra être visé par
d’autres Officiers des Directions que les Directeurs et Sous-Directeurs417. »
Le ton du Maréchal de Castries est des plus directs : rien ne doit plus pouvoir passer
au travers des mailles de l’administration. Les défaillances introduites par le Secrétaire d’État
Sartine418 ne doivent plus subsister. Aucun port ne peut s’éloigner des Ordonnances prescrites
par le pouvoir royal. Ce rappel à l’ordre, cinglant, fit réagir les autorités portuaires,
416 AM Brest, 1 E 225, f° 537 v° (10 novembre 1786). 417 Ibidem, f° 537 v°- 539. 418 Ibidem : « Je me suis d’abord fait représenter la lettre que M[onsieur] de Sartine écrivit aux administrateurs des ports le [lundi] 31 mars 1777 [AM Brest, 1 E 192, f° 665-669]. Je vois que, frappé de quelques inconvénients qu’on lui avoit sans doute exagérés, il jugea nécessaire d’éluder le texte précis de l’ordonnance par une modification qui a été la cause de beaucoup d’abus ».
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notamment l’intendant, qui s’empressa dans une lettre du mardi 24 octobre 1786 de lui
répondre que cette modification n’avait « jamais été en usage à Brest419 ».
Or, cela semble étrange. Pourquoi le Secrétaire d’État de la Marine aurait-il envoyé un
si volumineux courrier si une telle situation n’avait jamais vu le jour dans le port de Brest ?
Quoi qu’il en soit, il est intéressant de souligner que la personnalité du ministre influe
elle-aussi sur les libertés que prennent les services externes de la Marine. Il convient aussi de
remarquer le temps que dura cette exception, si toutefois elle fut exercée : neuf ans se sont
écoulés entre l’autorisation de Monsieur Sartine et l’interdiction du Maréchal de Castries. Ce
dernier explique le long terme par la guerre et le règlement qui s’en suivit, mais une telle
liberté n’aurait-elle pas pu être décelée plus tôt, grâce aux données que transmettait
l’intendant, notamment celles concernant les vols ?
Une autre dérogation accordée par le ministre concerne cette fois les navires de
commerce affrétés par le roi dans le port de Saint-Malo. Les armateurs, en effet, n’appelaient,
dans un but lucratif, les équipages sur les navires qu’au moment de l’appareillage 420 et
refusaient de laisser leur navire stationner dans la baie de Saint-Malo, car cette dernière était
ouverte et demeurait donc dangereuse421.
Or, les hommes levés pour constituer l’équipage de ces vaisseaux ne recevaient
aucune subsistance entre leur arrivée dans le port et l’appareillage. Aucun secours alimentaire,
ni aucune paie ne leur était accordé. De ce fait, la majorité d’entre eux embarquait à bord de
navires corsaires ou rentrait chez eux considérant, à juste titre, qu’ayant été levé pour le Roi,
une paie et des subsistances leur devaient être accordées. Or, cela posait d’énormes problèmes
au commissaire ordonnateur et aux armateurs, car rassembler un équipage compétent pouvant
appareiller dans l’instant, lorsque les vents devenaient favorables, était chose impossible.
Voici ce qu’avançaient les armateurs de Saint-Malo pour ne pas payer ni nourrir les
équipages :
« Les motifs qu’apportent les armateurs pour se dispenser de nourrir et de païer leurs
équipages sont plausibles et raisonnables : ils disent que le fret de leur batiment ne
419 AM Brest, 1 E 545, f° 178 (24 octobre 1786) : « Sur quelques points dont M[onsieur] Sartine par une lettre du 31 mars 1777 avoit autorisé de s’en éloigner. Je dois à la justice de vous assurer que les modifications aient jamais été en usage à Brest et qu’il en sera beaucoup plus facile de suivre à la lettre l’exécution de vos ordres à ce sujet ». 420 AM Brest, 1P2-7, lettre au Maréchal de Castries, 2 février 1782. « J’ai l’h[onne]ur de vous representer que l’usage établi sans les places de Commerce de n’apeller les Equipages abord des navires qu’au moment de leur départ me met dans l’impossibilité de rassembler ceux destinés aux Bâtiments fretés de ce Port. Cet usage provient de ce que la solde et la distribution des vivres ne commencent qu’à l’instant de l’appareillage, et comme nos armateurs ne veulent point s’écarter d’une regle qui leur est lucrative, je ne sais comment fixé ici les marins que j’ai levés dans mon département pour leurs navires ». 421 Ibidem. « Je ne puis aussi les forcer de mettre leurs batimens en rade parce que rien ne compense les risques qu’ils courent dans une baye ouverte et peu sure et ne les dedomage des echects [sic] que leur calbes y essuyent pendant une longue station ».
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commencant à courir que du jour qu’ils sont a la voile, il seroit injuste de mettre à leur charge
des Equipages qui ne doivent servir qu’à la mer422. »
Mais quel est le rôle du Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies ? En effet, il ne
s’agit ici que de revendications de la part de particuliers. Mais ces plaintes ne sont pas sans
précédents. Elles font suite à la grâce qu’avait accordée le Secrétaire d’État de la Marine et
des Colonies à deux vaisseaux frétés à Granville, grande rivale de Saint-Malo423, par le Roi, à
savoir le Montesquiou et le Duc de Fitz James. Cela est rappelé par Monsieur Couradin, d’une
façon assez désinvolte :
« C’est une grace que vous avez accordée pour les deux navires de granville le Duc de
Fitz James et le montesquiou, jose esperer que vous voudrez bien traiter aussi favorablement
nos armateurs et je fonde mes motifs desperance sur ce que les deux batimens denommés ci-
dessus s’étant rendu dans cette baye des leurs sortie de Granville, ils paroissent n’avoir pas
plus de droit a une preference que ceux de S[ain]t Malo, puisque cette Baye sert en quelque
sorte de rade au Port de granville et qu’en outre nos navires fretés seront chargés de munition
pour Brest comme l’ont été le Monstesquiou et le fitz james 424 »
Devant une telle attitude, le Maréchal de Castries allait-il accorder cette grâce ou
ferait-il des remontrances à son subordonné ? Rien, dans la suite des correspondances,
n’évoque à nouveau cette affaire. Elle sembla donc se régler sans qu’aucun conflit ne s’élève
entre les Services Centraux et l’Intendance du port de Saint-Malo, ni qu’une remontrance du
ministre soit faite. Surement conscient de l’iniquité de la situation, ne voulant pas fâcher les
Messieurs de Saint-Malo, puissants armateurs, il céda à leurs demandes en payant les
équipages entre leur arrivée au port et l’appareillage du navire, ainsi que les dommages issus
de la station en baie des navires. Or, cela allait à l’encontre des contrats d’affrètements qui
prévoyaient que les équipages seraient à la charge des armateurs dès leur arrivée dans le port.
Cette entorse peut toutefois être ici comprise, les matières affrétées étant destinées à l’effort
de guerre.
Cependant ces dérogations ne sont pas ce qu’il y a de plus surprenant. Le Secrétaire
d’État de la Marine ne semble pas se soucier des dérives, même judiciaires, dont fait preuve
l’intendant dans d’autres matières que celles concernant la Marine, donnant de ce fait une plus
grande marge de manœuvre à ce dernier.
422 Ibidem. 423 Les archives regorgent de différends entre les deux villes. Voir pour exemple, cette plainte du commissaire ordonnateur de Saint-Malo quant à l’incursion de Grandvillars dans la cité corsaire. Malheureusement, Monsieur Couradin n’obtînt pas gain de cause, car il ne devait pas « blesser la liberté naturelle du commerce et la liberté personnelle des gens de mer ». (AM Brest, 1P2-12, lettre à Monsieur Guillot, 18 janvier 1784). 424 Ibidem.
99
B) Le désintérêt des services centraux sur les matières externes à la Marine
Le Secrétaire d’État de la Marine étant le supérieur hiérarchique de l’intendant, on
peut s’attendre à ce qu’il soit toujours ferme lorsque ce dernier outrepassait les limites de sa
juridiction ou lorsqu’il cachait certains éléments de gestion. Pourtant, ce n’est pas ce qui
transparait.
En effet, pour la comptabilité, le ministre demeure peu regardant si les fonds employés
ne proviennent pas des comptes réguliers de la Marine425. C’est ce qui transparait lors de
l’étude d’une lettre partit de Versailles le vendredi 6 juillet 1787, faisant allusion à l’existence
d’une « caisse particulière des fonds de la taverne des Forçats », dans laquelle Monsieur de
Faissolle de Villeblanche426 aurait emprunté 14.000 Livres afin de subvenir à ses frais, au
cours du mois de décembre 1781427.
Or, le contrôleur de la marine ne devait-il pas avoir un droit de regard sur tous les
fonds transitant dans le port ? En effet, l’Article CD. Titre XXX. Du contrôleur général. Livre
V. Des fonctions dans le port, des Officiers de l’administration & autres Entretenus de
l’Ordonnance du Roi, concernant la Marine du 25 mars 1765 précise qu’il « aura inspection
sur toutes les recettes & dépenses, achats & emplois des marchandises, & sur le travail des
ouvriers, desquels il fera des revues particulières lorsqu’il le jugera à propos, ainsi que des
Gardiens de vaisseaux & autres, & il assistera à tous les marchés qui seront faits & à tous les
comptes qui seront arrêtés par l’Intendant ». Mais il n’a pouvoir que sur les comptes de la
Marine.
Dès lors, peut-on considérer que cette caisse particulière fasse partie des fonds de la
Marine ? Le ministre ne s’embarrasse même pas des formalités nécessaires pour le vérifier et
n’impose pas à l’intendant de telles recherches. Il précise simplement que « comme elle paroit
entierement séparée de celle de la marine, il n’y a pas lieu d’expédier au Trésorier une
décharge en forme des 14.000#, ainsi que je l’avois d’abord cru nécessaire ».
Cela provient peut-être du fait que le Maréchal de Castries n’avait pas beaucoup de
considération pour les bagnards428. Or, cette caisse portant la dénomination de bagnard, il ne
425 Alors que le Titre XXX. Du contrôleur général. Livre V. Des fonctions dans le port, des Officiers de l’administration & autres Entretenus de l’Ordonnance du Roi, concernant la Marine du 25 mars 1765 prévoit une gestion stricte de tous les comptes. 426 Commissaire du bagne de Brest. 427 AM Brest, 1 E 228, f° 31 (6 juillet 1787) : « J’ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 20 juin d[erni]er la Reconnoissance que M[onsieur] Faissolle de Villeblanche avoit fourni des 14.000# qu’il s’étoit fait compter pour son usage en Xbre 1781, et dont je lui ai procuré la remise. Je vois qu’il avoit tiré cette somme de la caisse particulière des fonds de la taverne des Forçats ». 428 BERBOUCHE A., Marine et justice, op. cit., p. 187.
100
voyait surement pas d’inconvénient à ce que le personnel de l’Intendance puisse se servir des
fonds pour leurs activités.
Mais le plus édifiant reste le pouvoir que s’appropria l’intendant de la Marine afin de
pouvoir agir à sa guise au sein des affaires civiles, ce que sembla protéger le Secrétaire d’État
de la Marine, tout du moins durant un temps. Il intervint ainsi au cours de l’année 1786,
concernant des fontaines sur la place de bataille de la ville de Brest. Normalement, tout ce qui
concernait la voirie devait être géré par la Communauté de ville. Or, au sein de ce fonds, dans
une lettre du lundi 16 janvier 1786, envoyée à l’intendant de province 429 , Monsieur de
Beaupréau se permet de contester le jugement de l’hôtel de ville. En effet, ce dernier les
considérait « de mauvais goût et surtout peu solide, étant faite de différentes pieces ».
Légalement, rien ne pouvait empêcher la Municipalité d’embellir ce monument. Mais au lieu
de faire appel à des entrepreneurs privés, les magistrats de la ville firent appel aux
« Entrepreneurs des fortifications maritimes qui ont de fort belles pierres et qui font des
ouvrages plus distingués que les autres Entrepreneures, fîssent d’autres cuvettes ». Néanmoins,
une fois l’ouvrage terminé, les officiers ne s’acquittèrent pas du paiement de ces travaux.
L’intendant de la Marine écrivit donc à Monsieur de Bertrand, intendant de la province, afin
que ce dernier puisse « donner en conséquence les ordres » qu’il jugera convenable, tout en
l’informant que par cette injustice, la Communauté de ville pourrait se priver de sérieuses
ressources430.
Monsieur de Bertrand, avant de prendre les ordres en conséquence, préféra demander
l’avis de la Communauté de ville. Elle dut incriminer l’ingénieur, car voici ce qu’il lui
rapporta, le vendredi 3 février 1786 :
« Voila le S[ieu]r Branda qui, se servant du S[ieu]r Guillemards, son beau frère, 1er
Secrétaire de l’intendance de la Marine, compromet aujourd’hui M[onsieur] l’Intendant de la
marine dans une affaire qui luy est étrangere. Je ne scais pas, Monseigneur, si c’est M[onsieur]
le Maire ou le S[ieu]r Branda qui a fait une demande de ces cuvettes à l’administration, mais
peu importe ; vous avès vu vous-même ces cuvettes, je vous en ai remis le dessein et vous seul
les avez condamnés. Vous n’avez point été trompé dans le compte que j’aye eû l’honneur de
vous rendre, aucunes petites vües personnelles ne m’ont déterminé à vous présenter cette
affaire sous un autre jour que celuy ou elle devait etre. On a fait faire ces cuvettes sans
deliberation, car je n’appelle pas deliberation431, une lègue pressée [sic] avant une signature de
Registre ; on ne m’eu jamais parlé, je ne le Scavais pas même qu’on les travaillait432 ».
429 C 611, « construction des deux cuvettes en pierre de taille pour la fontaine du Champ de Bataille », lettre du 16 janvier 1786. 430 « Je ne vous fais pas d’observation sur les procédés de l’hôtel de ville ; vous les aprécierez facilement, et vous sentirez, Monsieur, qu’à l’avenir il se priverait, par cette injustice malhonnête, des ressources qu’il a toujours trouvé dans la Marine ». 431 Il doit s’agir de la délibération du mardi 17 septembre 1785. C 611, « construction des deux cuvettes en pierre de taille pour la fontaine du Champ de Bataille », lettre non datée. 432 C 611, « construction des deux cuvettes en pierre de taille pour la fontaine du Champ de Bataille », lettre du 3 février 1786.
101
Selon ses dires, il ne serait pas au courant de cette affaire, et accuse le Sieur Branda,
ainsi que Monsieur le maire433 . Mais chacun d’entre eux fournit un mémoire afin de se
défendre auprès de l’intendant. Le Maire produisit ainsi les rapports du Sieur Guesnet,
procureur du Roi et syndic de la ville de Brest434, et le Sieur Branda essaya, quant à lui, de les
contester, en démontrant sa notoriété435.
L’intendant de la Marine intervînt donc dans des affaires intéressant la Municipalité.
Pour le cas, cela peut être compréhensible, la Marine ayant tout de même un intérêt pécuniaire,
par la livraison de matériaux et de main d’œuvre. Mais il semble exercer tout de même une
pression, lorsqu’il précise qu’à « l’avenir il [le corps municipal] se priverait, par cette
injustice malhonnête, des ressources qu’il a toujours trouvé dans la Marine ». Cela indiquerait
donc que Monsieur de Beaupréau intervenait régulièrement au sein des affaires municipales.
Mais ce n’était pas tout. En effet, les services de l’Intendance se permettaient parfois
d’agir au sein même des procès entre particuliers, sans en avertir Versailles. Cela fut le cas
pour une affaire opposant, en 1786, la veuve Rosselin à ses créanciers. Le feu mari de cette
Dame avait livré à la Marine de la marchandise contre une créance de 54 Livres. Or, se
trouvant dans une extrême misère après la mort de son mari436, elle se retourna, ainsi que ses
créanciers, vers le Sieur Delaune, commissaire des classes à Rennes, pour obtenir le paiement
de cette somme437 qu’elle prétendait n’avoir jamais reçu. Ce dernier, déconcerté, demanda
l’aide des services de l’Intendance de la Marine de Saint-Malo.
Cette attitude peut sembler étrange. En effet, dans une affaire précédente, datant de la
même année, le commissaire des classes de Rennes avait déjà eu beaucoup de problèmes avec
433 Ibidem. « Il sera bien gênant pour le public d’être sans cuvettes jusqu’au mois de juillet ; mais au surplus pour quoy le S[ieu]r Branda, qui est très riche, ne payet-il pas ces cuvettes de sa poche, suivant l’offre qu’il vous en fait dans son mémoire, ou il se fait seul une affaire personnelle de cette affaire ; car la communauté n’est point en faute vis a vis la marine elle a genereusement delibérer de payer les 507# au S[ieu]r Branda, ou au S[ieu]r dagorn, associé du beau frère du S[ieur] Branda ». On peut toutefois douter que Monsieur Branda soit le fautif de l’affaire. En effet, dans une lettre du vendredi 27 janvier 1786, Monsieur de Beaupréau adresse à Monsieur de Bertrand, une lettre dans laquelle il dit qu’il s’est trompé sur le compte de Monsieur Branda : « ce n’est point lui, mais M[onsieur] le Maire de Brest qui, avant mon arrivée ici, a prié M[onsieur] de Langristin de permettre ce travail, qui devoit être payé sur l’estimation de l’Ingénieur en chef de la Marine ». 434 Voir la description des fontaines effectuée le 15 février 1786 par la Communauté de ville. 435 Ibidem, lettre du 13 février 1786. « Je suis un citoyen honnête qui jouit de la Considération publique et qui croit avoir mérité son estime : je ne crains pas qu’ils parviennent jamais a laisser sur moi des impressions défavorables dans l’esprit de mes Concitoyens, mais Je me trouveroit toujours malheureux de ne pouvoir prétendre à la vôtre ». Il sembla être dans son droit, car dans une délibération de la Communauté de ville du 21 septembre 1789, il obtînt le remboursement des frais qu’il avança (Ibidem « Délibération du 21 septembre 1789 »). 436 AM Brest, 1P1-45, f° 451 (25 mai 1785). « Je vous prie en grace, Monsieur, de vouloir bien vous adresser à M[onsieur] le Subdélégué de l’intendant pour le payément à faire à cette femme, de telle manière, Elle aurait tout ce qui peut lui revenir, et ce serai un grand soulagement pour elle dans sa misère ». 437 Ibidem. « Je suis confus d’avoir à vous importuner Si souvent pour l’affaire de la veuve Rosselin ; mais Cette femme et ses Créanciers ne me laissant ni paix ni treve, je me trouve forcé de vous en parler : un Monsieur de cette ville & ses fermiers qui lui ont fourni du cydre se sont mis sur les rangs ».
102
les divers créanciers des gens de mer, qui étaient, pour certains, de mauvais payeurs438. Voici
la lettre qu’écrivit Monsieur Delaune à Monsieur de Couradin, le vendredi 29 avril 1785 :
« Tous les jours, il se présente de nouvelles affaires qui m’enbarassent : hyer, cétait
un huissier qui venait me signifier des arrêts conservatoires : Jamais Je n’avais vû de ces sortes
d’officiers : je vous prie Monsieur, de me faire savoir si je me compromettrai en payant les
marins sans égard à ces arrêts.
Aujourd’huy c’est un soldat des colonies invalides, Entretenu icy à la ½ solde qui
m’est envoyé par M[onsieur] le Subdélégué de l’intendant pour que je le paye : comme tout ce
que je pourrai vous raporter sur tous ce qu’il m’a dit ne pourrait pas vous mettre à lieu de voir
clair dans son affaire, comme la Communication de ses papiers. Je prends la liberté de vous les
adresser et de vous prier de vouloir bien me mettre à lieu de lui repondre en les lui rendant.
Après un grand nombre de visites de la part des marins auxquels il est dû de l’argent,
il me viens une foule de créanciers, & après Les Créanciers des sergents ; par consequent point
de tranquilité. Je m’imagine que les salaires que j’ai à payer aux marins, à leur peres, ou à leurs
heritiers ne sont point susceptibles d’Etre arrêtés, comme les levées dun bien fonds peuvent
l’Etre entre les mains d’un fermier : Cependant, je n’ose faire mes payements [par] crainte
d’avoir à les faire deux fois : S’il vous plait Monsieur un peu d’instruction sur ce nouveau
point439. »
Monsieur Delaune ne savait donc pas à qui payer les sommes dues aux gens de mer.
Devait-il les leur verser directement, ou devait-il les donner aux divers créanciers ? Cette
situation était extrêmement délicate. On peut penser que la Marine n’avait pas à intervenir
dans des rapports privés, au sein de quoi sont inclues les dettes que pouvaient contracter les
matelots et divers officiers. Dès lors, le commissaire de la Marine n’avait qu’à fermer sa porte
aux divers créanciers et payer les gens de mer. Ces derniers étaient, par la suite, libres de
dépenser les sommes selon leur volonté. C’est cette situation qui ressort de la lettre qu’adressa
Monsieur de Couradin à ce commissaire des Classes, le mardi 3 mai 1785 :
« Vous pouvez vous dispenser de recevoir les arrêts conservatoires qui vous seront
signifiés, et interdire la porte de votre bureau à tout huissier ou Sergent. L’ordonnance du Roi
du 1er 9bre 1745, confirmée par un arrêt du conseil du 10 mai 1767, defend à tous particuliers et
habitans des villes maritimes (et Renne doit être comprise sous cette dénomination dès qu’il
renferme des marins) qui se prétendront créanciers du matelot, de former pour raison des dites
créances aucune action ni demande sur le produit de la solde que les dits matelots auront
438 Voir, pour exemple, AM Brest, 1P1-52, f° 31 (15 janvier 1788). Un menuisier de Vannes, levé pour le service de Saint-Malo, nommé Pierre Baroudre, dit Bosseron, s’installa chez les Sieurs Guignace et Leserman de Saint-Rémy. Pour prouver sa bonne conduite, il leur présenta une femme « sous le nom de son hotesse qui a déclaré quelle étoit satisfaite de ce quil pouvoit avoir dépensé chez elle ». Malheuresement pour eux, cela n’était qu’une ruse pour obtenir le logement. De plus, ce menuisier arriva à tromper Monsieur Gérard Havet, dit S[ain]t Remy qui lui fournissait sa subsistance du « 18 8bre [1787] au 6 janvier 1788. Sa créance, pour se dernier, s’élevait à « quarante deux livres deux sols ». Voir aussi AM Brest 1P1-41, f° 1127 (19 décembre 1783), au sujet des dettes de l’abbé Laurenu et 1P2-6, lettre à Monsieur de Faissole, 30 novembre 1781, au sujet d’un matelot ne délivrant pas une partie de sa solde à sa femme. 439 AM Brest, 1P1-44, f°383 (29 avril 1785)
103
gagnés sur les V[aiss]eaux à moins que les sommes prétendues par les dits créanciers ne soient
duës par les matelots ou par leurs familles pour loyer de maison, Subsistance où hardes qui
leur auront été fourni du consentement des Commissaires de la Marine où des autres officiers
chargés du détail des classes et quelles n’aient été apostillées par les dits officiers sur les
registres et matricules des gens de mer : a défaut dequoi lesdits créanciers ne pouvant sous
quelque prétexte sur ce soit, reclamer la Solde des matelots et pourront seulement avoir recour
sur leur autres biens et effets. Le commentaire de cet article est aisé à faire, et l’onvoit que
puisqu’il faut que les officiers des Classes aient autorisé les fournitures faites aux marins,
avant même quelles l’ont livrées, pour que les fournisseurs puissent enprétendre le payement
sur leur salaire, tout arrêt fait par autorité de justice devient nul dès que cette formalité n’a
point été remplie, et quand l’officier des Classes n’a point eu connoissance du marché passé
entre les deux parties. Mais il peut promettre s’il juge à propos, de recevoir des apostilles,
demandées par des fournisseurs, longtemps même après que les fournitures ont été effectuées
lorsque les matelots y consentent non pas par écrit, mais verballement, et en personne.
Observez toujours que cela ne doit s’étendre sur ce qui concerne le loyer, la subsistance ou des
hardes fournies ; que tout autre objet n’est point susceptible d’être arrêté même à l’amiable, et
qu’on doit délivrer l’argent aux marins, sans égard pour les réclamations qui pourraient être
faites.440 »
Concernant la paye des matelots, elle doit donc leur être versée directement, sauf si ces
gens de mer ont contracté des dettes pour loyers, hardes ou subsistances avec l’accord d’un
commissaire de la Marine ou d’un officier de Marine chargé des classes. C’est à cette seule
condition que les Services peuvent délivrer la somme aux créanciers des matelots. Cette
affaire, à première vue, ne concerne pas notre sujet, l’article de cette Ordonnance ne portant
que sur le paiement des matelots. Pourtant, un paragraphe, inclut dans la lettre citée ci-dessus,
éclaire l’attitude que doit avoir les officiers des classes, lorsqu’un créancier se présente devant
eux pour réclamer son dû :
« Je m’apperçois que cette explication répond à la fois à tous les articles de votre
lettre, et qu’elle suffit pour régler votre conduite dans tous les cas. Vous n’avez point à
craindre d’être obligé de payer deux fois, parce que vous nêtes jamais tenu à recevoir des
apostilles lorsque les marchés entre la marine et les fournisseurs ne vous sont pas connu et
attendu que cette facilité ouverte à ces derniers pour la sureté de leurs créances dépend
entierement de votre Complaisance441. »
Ainsi, pour les marchés passés entre les fournisseurs et la Marine, l’officier des classes
peut, même de mauvaise foi, refuser de payer les créanciers en prétendant ne pas être au
courant de ce marché. Or, si cet officier de la Marine peut refuser le paiement des créances à
440 AM Brest, 1P2-12, lettre à Monsieur Delaune, 3 mai 1785. 441 Ibidem.
104
ses propres fournisseurs, il parait logique qu’il puisse, de la même manière, refuser le
paiement des dettes de ces fournisseurs aux divers huissiers et sergents442.
Cette seconde situation correspond bien à celle dans laquelle se trouve la Dame
Rosselin. Ayant contracté des dettes envers diverses personnes, tels les fermiers lui ayant livré
du cidre, elle prétendait posséder une créance sur la Marine. Le Sieur Delaune aurait très bien
pu feindre l’ignorance et ne pas avoir à régler cette somme, étant maintenant au courant de
cette Ordonnance royale. L’affaire aurait donc été close pour les services de la Marine.
Pourtant, il écrivit tout de même au Chevalier de Pennelé, commissaire des Classes à Saint-
Malo.
La lettre démontre clairement l’immixtion des services de l’Intendance dans les
affaires privées. Cela se comprend, car les différents subordonnés de l’intendant jouissaient de
son aura. Ainsi, alors que Monsieur Delaune n’aurait pas du s’informer outre mesure de
l’affaire de la veuve Rosselin, il prit connaissance du différend et donna sa parole au
procureur des Carmes443, à la prière de la Dame444, qu’il essaierait de trouver une solution. Il
avouait même soutenir « les audiences et les débats445 » entre la veuve et ses créanciers.
Néanmoins, cela n’aurait-il pas dû se passer devant un Tribunal civil, telle la Sénéchaussée de
Rennes, l’affaire concernant une créance ?
Pourtant, aucune autre autorité n’interféra et le conflit fut résolu le samedi 22 avril
1786, lorsque Monsieur de Couradin apprit à Monsieur Delaune qu’il n’avait plus rien à
craindre de cette veuve malintentionnée et de ses créanciers446. Le commissaire ordonnateur
442 Même si cela n’est pas dans son intérêt. Mais généralement, les services de l’Intendance soutenaient leurs fournisseurs et allaient jusqu’à les mettre sous leur protection. Il en fut ainsi de la Dame Bazin, ayant fourni à la Marine des boulets et des saumons de fer pour une somme de 25528#1s1d. Néanmoins, même si elle avait livré la marchandise, le commissaire ordonnateur ne l’avait pas encore payée. Or, elle ne possédait pas une telle somme dans sa trésorerie et son fournisseur, le Sieur Gaudin, l’avait mise sous la menace d’une exécution judiciaire. Monsieur de Couradin, informé de cette situation, décida, le [ ?] 2 octobre 1781, de la placer sous la protection de Monsieur de Sourdeval de Nantes. Finalement, après avoir entretenu une correspondance avec le Sieur Gaudin et prit la promesse que la Dame lui remettra tout ce qu’elle recevra du Roi, ce fournisseur abandonna ses poursuites et accepta d’attendre pour le paiement des fournitures. (AM Brest, 1P2-6, lettre à Monsieur de Sourdeval, 2 octobre 1781, lettre à Monsieur Gaudin, 9 octobre 1781, lettre au Maréchal de Castries, 9 octobre 1781 et lettre à Monsieur Gaudin, 18 octobre 1781). 443 Ordre religieux mendiant créé vers 1180 par Berthold de Solignac, sur les flancs du Mont Carmel, en Syrie. Après avoir été chassé de l’Orient par les Arabes, ils s’installèrent en Europe dès 1235. 444 AM Brest, 1P1-45, f° 451 (25 mai 1785). « Je vous prie, de grace, Monsieur, de vouloir bien vous adresser à M[onsieur] le subdélégué de l’intendant pour le payément à faire à cette femme, de telle manière, elle aurait tout ce qui peut lui revenir, et ce serait un grand soulagement pour elle dans sa misère, & je me trouverai dégagé de la parolle que jai donné au Procureur des Carmes à sa prière, & pour arrêter ses suittes ». Il semblait craindre ce procureur des religieux et la veuve : « Si non, je tremble de la scène que j’aurai a Essuyer de la part du Carme si je lui manque de parole, ou de la part de la miserable Veuve, si je la tiens, comme c’est mon devoir ». 445 Ibidem. 446 Les créanciers devaient déjà avoir abandonné leurs poursuites et leurs demandes dès le [ ?] 3 avril 1786. En effet, Monsieur de Couradin avait envoyé à Monsieur Delaune un « reçu donné par cette veuve, lorsque la Somme de 37#4s Revenant à feu Rosselin son mari a été comptée en Sa présence. Cette pièce prouve quelle à acquiescé à la repartition qui en à été faite à ses créanciers, puisqu’elle ne contient aucune protestation Contraire, et elle ne peut détruire la preuve qui en résulte qu’en s’inscrivant en faux contre les témoins qui ont souscrit sa quittance ». (AM Brest, 1P2-13, lettre à Monsieur Delaune, 3 avril 1786).
105
de Saint-Malo avait, en effet, fait pression sur le Procureur Général de Rennes pour éviter
toute poursuite à son subordonné :
« Je vous annonce avec plaisir, M[onsieur], que vous ne devez plus avoir aucune
espece d’inquietude du coté de la Rosselin. C’est une affaire terminée et M[onsieu]r le
Procureur Général vient de m’en assurer par sa réponse dont voici la copie.
« En consequence, M[onsieur] de la lettre que vous m’avez fait l’h[onneur] de
m’écrire le 15 de ce mois relativement au S[ieu]r Delaune, j’ai mandé l’huissier helie qui a
reconnu le peu de fondement de la reclamation de la veuve Rosselin et ma promis de ne faire
aucune poursuite a la requête de cette femme. Le S[ieu]r Delaune doit donc être tranquille a ce
sujet447. »
Il est remarquable de constater que le Secrétaire d’État de la Marine n’intervint pas au
sein de ces affaires et qu’elles restèrent à un niveau provincial. Il fallut attendre l’année 1790
pour que les services centraux prennent enfin en compte ces abus d’autorité et réhabilitent les
juridictions spéciales. L’intéressante lettre qu’envoya le ministre mérite ici d’être entièrement
retransmise :
« J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 12 février, en réponse aux observations que je
vous ai faite par une lettre du 5 où je vous marquois que l’administration de la Marine ne
sembloit pas devoir intervenir dans les affaires des particuliers et des fournisseurs, et qu’il y
avoit des Tribunaux où les Créanciers pouvoient se pourvoir. Les cas que vous me representez
prouvant que mon observation etoit fondé : les oppositions faites entre les mains du Trésorier
sont des actes juridiques qui saisissent les tribunaux de la connoissances des objets en
contestation, et sur lesquels l’administration n’a point à statuer.
J’ai l’honneur d’être très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant
Serviteur.
La Luzerne448 . »
Le Secrétaire d’État de la Marine nous redonne le sens précis de l’Intendance : elle
n’est pas un tribunal compétent pour toutes les affaires touchant la Marine. Parfois, elle
redevient une simple administration devant céder le pas aux juridictions compétentes. C’est
d’ailleurs ce qui se passa lors de la renaissance des autorités civiles, vers la fin des années
1780, la Communauté de ville reprenant ses pouvoirs et les étendant même à d’autres
matières exclusives de l’intendant, poussée par la Société des Amis de la Constitution et la
naissance d’une société civile indépendante.
447 AM Brest, 1P2-13, lettre à Monsieur Delaune, 22 avril 1786. 448 AM Brest, 1 E 236, f° 297 (5 mars 1790).
106
Chapitre II : L’intendant, une institution en
danger ? La pression des magistrats des villes de
Bretagne et de la société civile
La principale menace pesant sur l’intendant ne venait pas de Versailles. En effet,
même si quelques conflits pouvaient survenir dans l’administration de la justice et de la police
entre les services centraux et les services externes, généralement, une certaine concorde
s’établissait entre eux. Ce qui n’était pas le cas au niveau local. En effet, la Communauté de
ville demeurait extrêmement virulente449 et le changement successif des maires450 ne modifia
en rien la situation. Malgré tout, l’intendant put la contenir tant que le pouvoir central
disposait d’une autorité assez forte. Ce qui n’était plus le cas à la fin des années 1780, les
ministres essayant de conserver un certain ordre disciplinaire dans un monde en pleine
mutation. Dès lors, l’intendant dut essayer de composer avec les autorités locales, disposant
d’une certaine légitimité, pour pouvoir mener à leurs termes différents procès, même si ces
derniers relevaient de son domaine de compétence exclusif. L’intendant disposait donc
toujours d’un certain contrôle sur le déroulement des procès (Section I). Tel ne sera pas le cas,
suite à la naissance d’une société civile indépendante pouvant, grâce à la liberté de presse et
d’association, exercer une certaine pression sur l’intendant et déclencher l’émoi de la
population (Section II).
Section I : L’affermissement des autorités judiciaires
civiles
En cette fin de siècle, les temps demeuraient extrêmement troublés dans le principal
port du royaume451. Le contrôle total, dont avaient fait preuve les autorités militaires du port,
et plus précisément l’intendant, s’était estompé : même ses propres subordonnés ne
semblaient plus lui faire confiance. C’est dans ce contexte particulier que la Communauté de
ville, ayant à cœur de rétablir une certaine stabilité, fournit à l’intendant la légitimité lui
manquant, en contrepartie de quoi, elle s’immisça dans la pratique judiciaire de l’intendant.
Ce dernier ne put qu’accepter cette aide, sans quoi le Tribunal de l’intendant n’aurait plus
fonctionné (§1). C’est aussi durant cette période que la Communauté de ville décida, devant
449 Voir supra, p. 51-56. 450 Entre 1780 et 1791, il y eut quatre maires : Monsieur Le Normand (1780-1783), Monsieur Raby neveu (1783-1787), Monsieur Le Guen aîné (1787-1789) et Monsieur Branda. BERNARD Maurice, « La municipalité de Brest de 1750 à 1790 (suite) », in Annales de Bretagne, Tome 31, numéro 1, 1916, p. 124. 451 Voir, pour exemple, l’affaire du Léopard. LEVOT P., Histoire… La ville…, op. cit., p. 234-249.
107
l’effacement de la police militaire, d’établir un nouveau plan de police de la ville, plus à
même de protéger ses compétences regagnées (§2).
§1 : Des acteurs indispensables au bon déroulement de la
justice
L’intendant, en cette fin d’année 1789, n’était plus le maître incontesté du port du
début des années 1780. Même ses troupes ne voulaient plus subir sa justice, et la protection
qu’il leurs avait fournie durant de nombreuses années n’y changea rien : elles ne voulaient
plus avoir affaire à une justice dite discrétionnaire. Il fallait donc qu’il trouve une certaine
légitimité auprès de ses hommes. Mais elle ne pouvait pas venir d’un pouvoir militaire. En
effet, le Comte de Langeron, commandant du Château, célèbre pour sa gestion ferme et
disposant d’une légitimité familiale, n’était plus en place depuis 1787452. Quant au Comte
d’Hector, commandant du port ayant participé à la réforme du Maréchal de Castries, devenu
vieux, il ne pouvait plus s’opposer aux revendications et ne gérait presque plus rien au sein du
port453.
Il se tourna donc vers les autorités civiles, à savoir la Communauté de ville. Il faut
savoir qu’elle put reprendre du pouvoir grâce à la pseudo-légitimité qu’elle se constitua en se
disant élue. Elle se retrouva ainsi indispensable au bon déroulement de la justice du port, en
tempérant les ardeurs des protagonistes, soit en intervenant sur les procès en eux-mêmes, soit
en recueillant les plaintes (A). Les tribunaux civils entamaient leur renaissance (B).
A) La Communauté de ville : un médiateur indispensable
Brest était la ville la plus insurrectionnelle du Finistère à cette époque. Le passage
d’innombrables hommes et femmes, le retour des vaisseaux de guerre naviguant autour du
monde avaient toujours donné une importante activité à cette ville depuis sa mise au premier
plan en 1748. Or, l’intendant n’arrivait plus à contenir efficacement la demande croissante de
liberté, ainsi que les différentes insurrections des citoyens, notamment celles de ses
subordonnés. Une affaire illustre bien la nécessité de la Communauté de ville quant à la bonne
gestion de la police.
452 C’est, en tout cas, en 1787 que s’arrêtent les courriers présents au sein du fonds des Archives Communautaire de Brest. 453 « Dès que le vent de la révolte se mit à souffler dans l’Arsenal, le Commandant de la Marine, au lieu de se réserver la répression du désordre, alla solliciter contre les mutins le concours des édiles [il parle de la Municipalité et de la Société des Amis de la Constitution]. Faute irréparable ! Les Pouvoirs qui renoncent, -même à une parcelle de leurs attributions, - ne tardent pas à les perdre toutes. La justice ne peut se maintenir dans le monde que par le respect, -et non par la confusion de tous les droits. Le jour où le comte d’Hector se dépouilla de la plus importante de ses prérogatives, non seulement il se désigna lui-même à la déchéance, mais il démentela l’État dont il était le serviteur et la sauvegarde ». HAVARD Oscar, op. cit., p. 29-30.
108
Le mardi 18 mai 1790, dans la matinée, deux insurrections simultanées se produisirent
au bagne. La première se passa entre les pertuisaniers et leur sergent-major et la seconde entre
des sous-comites et le chef du bureau du bagne, le sieur Fosse454. Les affaires prirent une telle
ampleur que l’intendant dut se déplacer jusqu’à leur caserne pour prendre connaissance de
leurs griefs qu’il considéra « graves et fondés ». Il apprit ainsi que le sergent-major était
considéré trop sévère par la troupe, ce qui « était peut-être louable en ce sieur officier, dans
tout autre circonstance455 ». A contrecœur, il cassa le vieil homme, afin, confie-t-il, d’éviter
« un plus grand mal » et pour « conserver l’apparence d’une autorité qui » lui « échappe de
tous cotés ». Cet acte suffit pour faire cesser les troubles des pertuisaniers.
De là, il alla au bagne, où il vit des « hommes plus capable d’entendre raison, mais au
moins aussi échauffés ». L’intendant fut prié par la troupe qui considérait la Sieur de Fosse
comme trop zélé456 de l’en débarrasser. Tout en effectuant sa visite, le chef des bureaux
rencontra, par chance le sieur de Fosse qui le pria de le « faire changer de détails ». Heureux
de cette décision, l’intendant partit annoncer cette décision, qui, après quelques discussions,
fut acceptée par les sous-comites457.
Enfin, en rentrant dans ses bureaux, il fut interpellé à nouveau par la compagnie des
pertuisaniers. Cette dernière, forte de sa récente reconnaissance en tant que troupe militaire
par la Communauté de ville, lui demanda d’expliquer au Secrétaire d’État de la Marine que
leur salaire se devait d’augmenter de 32 deniers, afin d’être égal à celui des autres compagnies
militaires, ou, tout au moins, de l’uniformiser avec ceux des troupes de pertuisaniers de
Rochefort et Toulon, au vu de leur « service difficile, continuel et très dangereux458 ».
Le vendredi 28 mai 1790, le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies répondit
que l’intendant avait, dans cette situation de troubles, très bien réagi, mais condamna le
comportement du commissaire du Bagne, qui « en surveillant particulierement ce service, eut
pris connaissance des motifs des plaintes qui ont produit ces insurrections, qu’ils auroient été
possible de prévenir, soit en réprimant la trop grande sévérité de ces deux chefs, ou en faisant
rentrer dans leur devoir leurs subordonnés459 ». Cela aurait évité à l’intendant d’adopter un
454 AM Brest, 1 E 569, f° 65 v°- 67 (19 mai 1790). « J’ai l’h[onneur] de vous rendre compte de deux insurrections qui viennent d’avoir lieu dans la même matinée d’hier ; l’une de la part des Pertuisaniers contre leur sergent major, l’autre des sous-comites, contre le S[ieu]r de fosse, chef des bureaux du Bagne ». 455 Ibidem. 456 Ibidem. « Une très grande sévérité de la part du S[ieur] de fosse, quelques abus d’autorité justifiés par son zèle pour le service, et une hauteur qu’aucun tems ne peut faire approuver, avoient inspiré jusqu’à l’excès la répugnance de son administration ». 457 Ibidem. L’intendant ne considère toutefois pas cette décision comme une grande victoire, mais il se réjouit de la paix retrouvée : « Après m’être fait un peu prier, pour conserver au moins l’ombre du pouvoir, j’y ai consenti et j’ai eu la satisfaction de voir aussitôt la paix retablie dans une partie aussi importante pour le service du Roi ». 458 Ibidem. « Et un d’eux pour tous, m’a supplié de vous demander, M[onseigneu]r, que la compagnie, que la municipalité vient recemment de reconnaître sur le pied militaire, pût jouir, comme les autres troupes soldées des 32 deniers d’augmentation qui leur ont été accordés. Je leur ait promis de faire valoir leur cause qui m’a paru d’autant plus juste que ces gens qui ont a remplir un service difficile, continuel et très dangereux, ont ici 3# de moins de solde qu’à Rochefort et a Toulon ». 459 AM Brest, 1 E 237, f° 187 (28 mai 1790).
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parti, « quoique le seul convenable dans les circonstances, tend nécessairement au
relachement de la discipline et ne peut que nuire au bon ordre du service ». Au sujet de
l’augmentation demandée, il précise qu’il attend les réponses des administrateurs des ports de
Toulon et Rochefort, afin de connaître leurs opinions sur le sujet. La prudence était de mise
face à une troupe si turbulente. Il est à remarquer toutefois que le ministre déplore ici, tant
l’intervention de l’intendant, préjudiciable à son autorité déjà fragilisée, que la passivité du
commissaire du bagne, compétent pour ordonner certaines mesures disciplinaires.
L’affaire en resta là jusqu’au lundi 7 juin 1790, date à laquelle les pertuisaniers
recommencèrent leur mouvement460. Cette fois, il s’agissait pour eux d’obtenir les 32 deniers
d’augmentation et, comme dans les ports de Toulon et de Rochefort, un supplément de paie
d’un écu. Peut-être considéraient-ils que la réponse du service central n’était pas assez rapide.
Ils refusèrent ainsi le versement de leur « prêt pour le mois dernier461 ». Ils appuyaient leur
demande en précisant que la situation de cette compagnie pouvait devenir précaire si aucun
accord ne pouvait être trouvé462. Or, comme le rappela l’intendant, selon un usage uniquement
en vigueur dans le port de Brest, une avance était versée à tous les pertuisaniers, tous les
quatre jours. Néanmoins, ce rappel à l’ordre ne fonctionna pas.
A peine l’intendant eut-il rédigé sa lettre qu’ils trainèrent leurs sergents, soupçonnés
d’avoir pris leurs prêts463, chez le commissaire « pour y restituer ce qu’ils ont reçu » et ont
tenu « les propos les plus insolents envers le Commissaire ». C’est alors que l’intendant
réclama l’autorité de la municipalité, « qui foible et timide n’a pas osée prendre un parti
ferme » et « se borne à mander les plus mutins pour les engager à la subordination464 ». Pour
l’intendant, il faudrait « engager demain M. le Maire à faire mettre hors de la ville les huit
plus mutins, que je chasserai si je peux465 ».
Pourquoi l’intendant réclamait-il l’aide de la municipalité, si ce n’est à cause d’une
perte de pouvoir et de légitimité ? En effet, normalement, il demeurait le seul juge compétent
pour les affaires concernant le bagne, quelles qu’elles soient, en vertu de l’Ordonnance de
1748 et son interprétation466. Or, ici, il fait expressément référence à la Municipalité pour
460 Cette insurrection éclata-t-elle suite à l’augmentation de la garnison des gardes de la chiourme, intervenue le samedi 21 mai 1791 ? En effet, 25 hommes avaient été fournis par Monsieur de la Porte et 20 hommes provenaient de la Garde Nationale. D’ailleurs, ces derniers passèrent les grilles du port « en arme », sans avoir préalablement demandé l’autorisation de l’intendant. AM Brest, 1 E 240, f° 395 (3 juin 1791). 461 AM Brest, 1 E 569, f° 67 v°- 69 (19 mai 1790). « Les choses à cet égard ont été portées au point que ces gens ont refusé le décompte de leur prêt pour le mois dernier ; par ce qu’il n’y étoit mention ni des 32 deniers ni de l’écu. Je les ai fait assurer que vous n’attendiez que des réponses de Toulon pour examiner leur demande et pour vous prononcer ; Ils ont persisté jusqu’à présent a refuser le prêt. » 462 Ibidem. « Cette obstination cependant ne rend pas leur situation aussi précaire que l’on pourroit le présumer, parce que l’on est dans l’usage de leur donner des acomptes de 4 en 4 jours, et qu’ils les employent à subsister en attendant le decompte de chaque mois ». 463 Ibidem. « Dans l’instant, M[onseigneu]r, une nouvelle emeute vient d’avoir lieu a la Caserne des Pertuisaniers, sur ce que les sergents ont pris leur prêt ». 464 Ibidem. 465 Ibidem. 466 Voir FREDERIQUE J.-S., op. cit., p. 101-106.
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pouvoir réprimer, ou calmer les mutins et les chasser de la ville. Il semble que la municipalité
était devenue un médiateur indispensable.
Toutefois, elle n’appuya que la demande la moins coercitive de l’intendant car, dans
une lettre du lundi 14 juin 1790, ce dernier écrit que M. le Maire n’a « pas pris sur lui de les
arrêter467 », mais se « contentoit de les mettre hors de la ville ». La suite de cette lettre est
extrêmement intéressante pour bien comprendre la situation de troubles dans laquelle se
trouvait la ville de Brest. L’intendant ne devait plus pouvoir donner aucun ordre sans le
consentement de la communauté. En effet, suite à cette réponse de la municipalité, l’intendant
ne put que céder aux demandes des pertuisaniers, à contrecœur468. Ces derniers se rendirent de
ce fait chez le commissaire en insultant cet « honnête administrateur ». Les mots de Monsieur
Redon de Beaupréau sont éloquents :
« Les sergents, que le besoin pressois, et qui d’ailleurs ne trempoient que forcément
dans le complot de la Compagnie avoient demander à toucher leur prêt. Aussitôt, ils ont été
traînés chez le Commissaire forcé de rendre ce qu’ils avoient reçu. Cette demande fut
accompagnée des plus insolents propos pour cet honnête administrateur. Puis ils ont presenté à
la Municipalité un mémoire outrageant, où les chefs y sont accusés de faire leur profit de ce
qu’on leur refusoit469 . »
Ils se rendirent donc à la Municipalité pour lui remettre un « mémoire outrageant470 ».
Mais pourquoi ne se sont-ils pas tourner vers l’intendant, supérieur hiérarchique du
commissaire471 ? Avaient-ils peur de la réaction de cette institution, ou n’est-ce que la preuve
évidente de la perte de son autorité ? Quoi qu’il en soit, la Municipalité réagit vivement à
leurs propos, en les réprimandant et en les menaçant d’une punition exemplaire s’ils ne
« restoient pas dans l’ordre et la subordination472 ». Mais passant outre cette menace, la troupe
des pertuisaniers envoya à l’intendant une députation de quatre personnes, samedi 13 juin,
pour demander leurs prêts, indiquant que la compagnie était « lasse d’attendre », ainsi qu’un
congé pour deux d’entre eux « pour aller en députation à l’Assemblée Nationale 473 ».
L’intendant essaya de les calmer, mais les députés répondirent avec affront à cet officier, en le
menaçant, « la Compagnie le veut ». Indigné par ces comportements, il ne put en souffrir plus.
Il appela la garde et les fit « arrêter et conduire au cachot ».
467 AM Brest, 1 E 569, f° 69 (14 juin 1790). 468 Ibidem. « Et en consequence, j’ai été obligé de souffrir leur prétention insubordonnés, que l’impunité fait prevenir au plus grand excès. 469 Ibidem. 470 Ibidem. 471 Supérieur indirect par l’intermédiaire du commissaire général. 472 Ibidem. « Là, ils furent vivement réprimandés et menacés d’une punition exemplaire s’ils ne rentroient pas dans l’ordre et la subordination ». 473 Ibidem. « Mais ces hommes feroces sentant bien que la crainte seule pouvoit justifier tant d’indulgence, ont cru pouvoir tout se permettre impunément et partant de ce principe, ils m’envoyèrent samedi quatre députés, qui me dirent d’un ton, qu’il est plus facile de sentir que de rendre, que la Compagnie étoit lasse d’attendre ».
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L’intendant reprenait-il ses fonctions, et imposait-il à nouveau son autorité face à la
municipalité et aux troupes ? Une réponse négative s’impose, car il dut « dans l’instant de cet
événement » prévenir la municipalité. Or, cette dernière « vint, un moment après reclamer son
autorité contre moi, [afin] de les faire décimer s’ils osoient faire un mouvement et se refuser à
continuer leur service ». Même le projet d’un procès devant le Tribunal de l’intendant semble
compromis, la troupe pouvant, par « l’entremise de la municipalité », demander grâce474.
Pourquoi évoque-t-il cette entremise de la municipalité ? N’est-ce pas normalement à un
officier supérieur de demander cette grâce ? Il est alors évident que le dialogue entre l’autorité
la plus haute du bagne et les pertuisaniers est rompu.
C’est d’ailleurs cette situation qui se précisa. Le mercredi 16 juin 1790, l’intendant
informa le Secrétaire d’État de la Marine que le maire l’avait prévenu des démarches
effectuées par les émeutiers, afin qu’il puisse obtenir leur grâce 475 et la libération des
prisonniers.
La réponse qu’apporta le ministre La Luzerne dans trois lettres du vendredi 18 juin476,
mardi 22 juin477 et vendredi 25 juin478 1790 démontre un peu plus le pouvoir de médiation
dont disposait la Communauté de ville. Ainsi, dans la deuxième lettre, approuva-t-il que
l’intendant ait prévenu la Municipalité de l’arrestation et qu’il l’ait « engager à concourir »
avec lui « pour faire rentrer ces gens dans le devoir »479. Le Secrétaire d’État de la Marine lui-
même semble implicitement évoquer la perte de pouvoir de l’intendant et la nécessité de faire
participer la Municipalité à la justice, même si celle-ci est exclusive du Tribunal prévôtal de
l’intendant. Mais cette affaire n’est-elle pas exceptionnelle ? Reflète-t-elle la réalité judiciaire
du port ou demeure-t-elle une exception due à l’ampleur du conflit ?
Au vu de l’étude des différents fonds, il semble que cet exemple soit bien le reflet
exact de l’exercice de la justice à la fin de ce siècle. En effet, lors des différents conflits
474 Ibidem. « Mon projet, M[onsei]g[neu]r est de faire instruire le procès des 4 détenus, quand ce ne seroit que pour avoir le pretexte de les punir plus longtemps par la prison et les empêcher de continuer d’ameuter leur Compagnie qui dans ce moment est un peu plus calme. Il se pourroit pourtant que si, par l’entremise du Maire, ils me demandoient grâce, se repentoient de leurs extravagances et promettoient de rester tranquilles, je me prêtasse l’indulgence, dangereuse dans d’autre tems, dans tous les tems même, mais qui dans ce moment affreux l’est pour être moins que la sévérité de la Justice ». 475 AM Brest, 1 E 569, f° 73 (16 juin 1790) « M[onsieur] le Maire m’a prévenu hier que cette Compagnie venoit de faire [au]près de la Municipalité toutes les démarches qui pouvoient tendre à lui faire obtenir grace, en promettant de ne plus s’écarter de la subordination et d’être exacte à remplir ses devoirs. Il m’a en conséquence prié de préfere la clémence à la justice et j’ai consenti à oublier le passé, sous la condition qu’au moindre retour de désordre, les quatre prisonniers que j’allois faire relâcher, m’en repondroient plus particulierement que tous autres ». 476 AM Brest, 1 E 237, f° 353 (18 juin 1790). 477 AM Brest, 1 E 237, f° 369 (22 juin 1790). 478 AM Brest, 1 E 237, f° 389 (25 juin 1790). 479 AM Brest, 1 E 237, f° 369 (22 juin 1790). « Vous avez bien fait de prévenir la Municipalité de cet événement et de l’engager a concourir avec vous pour faire rentrer ces gens dans le devoir. J’approuve également ce que vous aurez approuvé de concert relativement à ceux qui sont détenus en prison ».
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opposant les ouvriers aux autorités, la Municipalité joua un grand rôle quant à la préservation
de la paix et l’exercice d’une bonne justice.
Dès 1789, les ouvriers constituaient une menace dans le port de Brest. En effet, ces
derniers, ayant été congédiés, restaient dans la ville en attendant leur paiement des quatre
mois de salaire manquant pour l’année 1789 480 et entrainaient surement des troubles,
conduisant la Municipalité à intervenir, en tant que médiateur, pour calmer les esprits des
ouvriers employés à l’expédition de Lannion 481 . Cette situation sembla effectivement
dégénérer, car, le mardi 7 septembre 1790, le ministre rapporta une insurrection des ouvriers,
en date du vendredi 3. Or, normalement, l’intendant disposait de toute la police sur le port et
la ville de Brest482. Toutefois, au sein de cette lettre, il n’agissait, une nouvelle fois, qu’avec le
concours de la municipalité :
« Je réponds en même temps, Monsieur, à vos deux lettres du 1er et du 9 de ce mois
relativement à l’insurrection des ouvriers. J’ai appris avec plaisir qu’elle a été
presqu’entièrement apaisée et que vos soins et votre zèle y ont beaucoup contribué. La
conduite de la Municipalité dans cette circonstance mérite aussi des éloges, et je ne puis
qu’applaudir à la fermeté qu[‘]elle a manifesté pour faire cesser les troubles483. »
Cette situation se retrouve au sein de la ville de Saint-Malo et de son arrondissement.
Ainsi, alors qu’auparavant les services de l’Intendance, pour éviter qu’une parole ne se
transforme en trouble484, aurait fait arrêter directement l’auteur de cette mauvaise parole, suite
à la Révolution, ils demeuraient incapables d’agir sans les services des Municipalité.
C’est ce que l’on peut remarquer lorsque s’immisça, le lundi 27 juillet 1789 au soir, au
sein de la population une rumeur selon laquelle l’Angleterre regroupait des navires dans la
480 AM Brest, 1 E 234, f° 427. Cette lettre date du samedi 1er août 1789. « Je vois que les ouvriers du port vous donnent des inquiétudes, et que ceux qui ont été congédiés vous paroissent les plus à craindre. Il paroit que, dans cette position critique, il seroit très important de faire passer des fonds à Brest pour le payement des journées qui leur sont dues ». « Je me suis occupé de ces objets très sérieusement depuis le commencement de cette année, et j’ai tellement augmenté les remises, que je crois pouvoir regarder les journées d’ouvrier de 1788 comme soldées, et en ce moment, le Port a obtenu les fonds d’environ trois mois de 1789 ; en sorte qu’il ne devoit être en retard que d’environ 4 mois ». 481 AM Brest, 1 E 235, f° 433 (5 décembre 1789). « La Municipalité de Brest a demandé à M[onsieur] de Beaupréau de passer les journées aux ouvriers du Port, qui ont été employés à l’expédition de Lannion, attendu qu’ayant eu pour principe l’approvisionnement des magasins du Roi, il étoit juste que la Marine fournit en partie des gens à sa solde ». Le Secrétaire d’État poursuit sa lettre en indiquant que comme ces personnes n’étaient pas présentes aux appels, leurs journées de travail ne pouvait être payées, en vertu de cette règle, « inviolablement » respectée. Même si la lettre n’a pas été retrouvée, il est fort probable que la Municipalité essayait d’engager un dialogue entre l’intendant et les ouvriers du port. 482 Voir supra, p. 11 à 28 et p. 42 à 75. 483 AM Brest, 1 E 238, f° 49 (7 septembre 1790). 484 Supra, p. 20-21.Voir l’affaire du matelot ayant fait courir une fausse rumeur de débarquement Anglais, en 1787.
113
Manche, en vue d’un débarquement en Bretagne485. Cela créa en effet une « effervescence
populaire », « la rumeur et la crainte [gagnant] dès lors tous les esprits ». Normalement,
comme en 1787, les services de l’Intendance auraient du chercher la source de cette rumeur,
afin de pouvoir la faire taire. Or, de l’aveu même du commissaire ordonnateur de la Marine de
Saint-Malo, il ne remonta pas « à la source de ces bruits mal fondés », pensant sans doute
qu’elle s’estomperait d’elle-même486.
Pourtant, ce n’est pas du tout la situation qui se présenta. En effet, dès le lendemain
matin, une députation de Saint-Servan se présenta devant le commissaire ordonnateur et
demanda des armes afin de faire face aux combattants Anglais. Reçue dans le bureau du
représentant royal, l’agent royal leur expliqua qu’il se devait de refuser cette livraison, car en
cas de signe d’hostilité des navires Anglais, il faudrait armer en guerre nos vaisseaux. Voici
ce qu’il rapporta au Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies le jeudi 30 juillet 1789 :
« Le 28 [juillet] au matin une députat[i]on des Communes de S[ain]t Servant
fauxbourg de S[ain]t Malo est venue me faire part de cette fomentat[i]on, et me demander les
armes qui étoient dans les Magasins du Roi au Tallard. J’ai repondu aux députés que d’après
ces mêmes bruits que j’avois lieu de croire faux, mais que je ne pouvois paroitre ignorer,
puisqu’ils étoïent chargés de m’en instruire, il ne m’était plus permis de me desaisir des armes
que j’avois dans les M[agas]ins du Roi, que ce dépôt ne devenait necessaire plus que jamais
dans le cas qu’un Bat[iment]° du Roi vînt a relâcher a S[ain]t Malo, qu’ils ne devaient pas
ignorer que les B[atîmen]ts de guerre étoient armés en paix et qu’au 1er indices d’une hostilité
leur premier soin serait de relâcher dans un port quelconque pour completer leur arm[emen]ts,
que je les prierais donc de rendre ces raisons à leur assemblée et leur faire agréer mon
refus487. »
Croyant avoir raisonné la commune de Saint-Servan, il pensait que la population se
calmerait et que tout rentrerait dans l’ordre. Mais à peine eut-il répondu à cette Municipalité
que celle de Saint-Malo envoya une autre députation pour le même sujet. Il répondit alors de
la même façon à cette seconde députation488. Cependant, la députation insista et ne « me [le
commissaire ordonnateur] laissant pas ignorer qu’on etoit dans l’intention de se procurer de
force ce que je ne voudrais pas leurs ceder de gré, je me suis vu dans la necessité de leur
remettre un ordre pour la delivrance des effets qu’ils desiraient489 ». Il est intéressant de
remarquer que le commissaire ordonnateur ne décide plus d’aucun sujet. La crainte d’un
485 AM Brest, 1P2-9, f° 263 (30 juillet 1789). « J’ai l’h[onneur] de vous informer d’un evenement arrivé a la Suite d’une effervescence populaire causée par des bruits vagues, mais qui ont répondu l’alarme parmi le peuple. Le 27 au soir, le bruit a couru a S[ain]t Malo que les Anglais avaient en paru en force dans la Manche et qu’ils se disposaient a faire une descente en Bretagne. Sans aller à la Source de ces bruits mal fondés, la rumeur et la crainte ont gagné dès lors tous les esprits ». 486 Ibidem. « Comme les bruits qui ont donné lieu a cette effervescence paroissent se détruire aujourdhuy d’eux-mêmes, je ne doute pas, M[onsei]g[neu]r, que dans peu [de temps] l’on ne se decide à rendre les effets enlevés ». 487 Ibidem. 488 Ibidem. « A peine j’avois repondu à cette déput[ati]on que la municipalité de S[ain]t Malo m’en a envoyé une autre pour le même objet. J’ai fait à cette 2de dep[utati]on la même objection qu’a celle de S[ain]t Servant ». 489 Ibidem.
114
rapport de force avec l’autorité légitimant le pouvoir et galvanisant les foules lui fait céder
l’ensemble de ses fonctions, même celle de gestion490.
Pensant avoir agi pour le mieux, le subordonné de l’intendant pensait avoir réussi à
calmer les esprits. Mais le calme n’était qu’apparent, car une personne lui rapporta ensuite le
récit de l’attaque des magasins du Roi du Tallard par la foule de Saint-Servan. En effet, on
peut penser qu’après le rapport de la députation de la Municipalité de ce faubourg, la foule,
mécontente, décida l’invasion des magasins du Roi. Le rapport de Monsieur Tempié est
édifiant :
« Je croyais, M[onsei]g[neu]r, que tout venoit d’être arrangé pour le mieux, mais j’ai
été bien surpris du compte qu’on est venu me rendre que les C[ommun]aux de S[ain]t Servant
sur mon refus s’etoient porté, en grand nombre aux M[agas]ins du roy au Tallard et qu’après en
avoir enfoncé et brisé les portes, ils avoient obligé le Garde M[agas[in] de les conduire au
dépôt qui contenoient les armes, qu’on les avait saisies et chargées sur des cheriots pour les
transporter a S[ain]t Servant ; qu’au milieu de ce tumulte les deputés de la Municipalité de la
ville [de Saint-Malo], porteurs de l’ordre de delivrance des effets, s’etaient presentés au
Tallard, que se voyant dans l’impossibilité de se resaisir desdites armes, ils s’étoient contenté
d’en demander une partie qui leur avoit été accordée. Enfin, M[onsei]g[neu]r on a exigé la clef
du M[agas]in qui renfermoit les poudres et on a posé une Sentinelle à la porte491. »
Ainsi, la Municipalité de Saint-Servan, poussée par la foule, avait décidé de forcer
tous les magasins du Roi, tout en s’arrangeant avec la Municipalité de Saint-Malo quant à la
distribution des armes. Or, comme nous avons pu le remarquer, normalement, ces magasins
relevaient de l’intendant ou du commissaire ordonnateur, tant pour la gestion que pour la
justice. De ce fait, une telle intrusion aurait du valoir une sanction aux instigateurs. Cependant,
le commissaire ordonnateur n’intervînt pas et laissa les différents habitants des Municipalité
s’arranger entre eux492.
Même l’agression d’un garde magasin, dans l’effervescence populaire, ne provoqua
pas son intervention. Il laissa le soin aux différents chefs des Municipalité de dresser un
procès verbal de l’échauffourée qu’il transmit ensuite au Secrétaire d’État de la Marine et des
Colonies. Il semblait être lassé des différentes atteintes subies par son autorité et ne désirait
plus se mesurer à des forces incontrôlables. Même le Secrétaire d’État de la Marine et des
490 Ibidem. Même si le commissaire ordonnateur réussit à insérer une condition à cette délivrance, à savoir « qu’il serait dressé invent[ai]re desdits effets dont la municip[ali]té repondrait à la charge d’enpayer le perissement ou la valeur de ceux qui ne seraient pas rendu en etat ». 491 Ibidem. 492 Alors que le nombre d’armes et d’effets enlevés était élevé. Ainsi, le commissaire en dresse, à la fin de sa lettre, le total, à savoir : « 645 fusils, 510 bayonnettes de fer, 52 haches d’armes, 382 gibernes [boîtes à cartouche de soldat], 166 ceinturons, 48 sabres, 2 caisses de tambour et leurs baguettes, 70 pistolets ».
115
Colonies est désemparé face à cette prise de pouvoir. Il approuva entièrement l’attitude du
commissaire ordonnateur, conscient des « difficultés des circonstances493 ».
Ce n’est que suite à une intervention du corps municipal que le commissaire
ordonnateur eut droit à des excuses de la population et qu’un hommage lui fut rendu par les
deux Municipalité de Saint-Servan et de Saint-Malo, consciente qu’il restait un allié de poids.
Voici ce qu’écrivit Monsieur Tempié à Monsieur La Luzerne, le mardi 11 août 1789 :
« Les communes de S[ain]t Servan ont reconnu l’indiscretion de leur demarche, et ont
fait reparer sur le champ les dommages qu’ils avoient causés aux Portes d’Enceinte des
magasins. La municipalité de S[ain]t Malo m’a honoré d’une députation de quatre de Ses
membres pour me remercier et rendre hommage à la Prudence et à l’honneteté qui a caractérisé
mon refus et mon ashésion _ Tout est tranquille, ici, M[onsei]g[neu]r ; l’ordre y regne
paisiblement, et il seroit à désirer que dans toutes les villes du Royaume l’harmonie n’y fut pas
plus troublée _ Lorsque par la Suite on se decidera à Rendre les armes Enlevées, je les ferai
recevoir dans les magasins de la marine494. »
Cela prouve bien qu’une entente entre l’Intendance et la Municipalité est essentielle
pour une bonne gestion des affaires courantes495 et des conflits pouvant se présenter au sein
du port de Brest. La seconde servait effectivement beaucoup de médiatrice et participait ainsi
à la mission de justice dont était investi l’intendant. Mais parfois, plus que simple médiatrice,
elle exerçait elle-même la justice, sans consulter préalablement l’intendant et sans que celui-ci
exerce une quelconque surveillance.
B) La renaissance des tribunaux civils
L’affaire de l’insurrection des ouvriers ne s’arrêta pas à ce stade. En effet, dans une
lettre du samedi 20 août 1791496, le Secrétaire d’État de la Marine nous rapporte des troubles
survenus lors du paiement des ouvriers en assignats de 5 Livres. A cette époque, une grande
partie des ouvriers ne voulait pas de cette nouvelle monnaie « au point de menacer de mort le
493 AM Brest, 1P1-22, f° 82 (8 août 1789). « Je ne puis qu’approuver, qu’attendu la difficulté des circonstances, vous ayez autorisé le Garde magasin à délivrer les armes ; mais je vous observe qu’après les avoir refusé aux habitants de S[ain]t Servant, il convenoit de spécifier dans l’ordre que vous avez donné, que la distribution en seroit commune à ces derniers et à ceux de S[ain]t Malo, soit par raison d’Equité, soit pour prévenir la rixe qui pouvoit s’elever entre les habitants du faubourg et ceux de la Ville, soit enfin parce que le défaut de cette clause pouvoit exposer votre personne au ressentiment des premiers ». 494 AM Brest, 1P2-9, lettre à Monsieur La Luzerne, 11 août 1789. 495 Pour la bonne gestion des affaires courantes, il est opportun de citer ici le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, qui dans une lettre du 1er mai 1790, demande à l’intendant de se concerter avec la Municipalité, au sujet de la Salle de spectacle de Brest : « Je suis au reste très convaincu qu’il ne s’élèvera aucune discussion a cet égard, que la municipalité de Brest avec qui l faut vous concerter et aux vues de laquelle vous devez concourir jusques aux bornes où vous arrête votre devoir, je suis, dis-je convaincu que la municipalité sentira la force des raisons que je vous expose, la nécessité d’extirper les abus lorsqu’on les découvre, et ne s’opposera point à l’exécution des ordres du Roi que je vous transmets » (1 E 237, f° 3). 496 AM Brest, 1 E 241, f° 396 (29 août 1791).
116
premier qui en prendroit ». Cependant, certains d’entre eux les acceptèrent, malgré ces
tentatives d’intimidation, grâce à l’intervention d’un officier municipal et du procureur de la
commune497. D’autres officiers municipaux, quant à eux, réussirent à sauver un malheureux
qui allait « être jeter dans un bassin », en parvenant à empêcher cette voie de fait. Ils firent
même conduire en prison le chef des mutins.
Un tel acte aurait été impossible sous l’empire de la police militaire. En effet, cette
dernière, sous les ordres de Monsieur Dijon, était désormais inexistante, suite à son
démantèlement. Les tribunaux civils retrouvaient leur pouvoir et arrivèrent même à gagner la
confiance du pouvoir central, comme le prouve l’affaire de Trinquemalay.
Cette affaire, déjà évoquée auparavant498, concernait les Sieurs Labadie, Gallet et leurs
complices. Ces personnes étaient soupçonnées de vol dans les magasins du Roi, présents dans
la ville de Trinquemalay et du fort d’Ostinbourg. Le Roi, par un courrier adressé le vendredi
18 février 1785, donnait compétence à l’intendant et à la Commission des chiourmes. Mais
depuis, rien ne semblait avoir été effectué, à cause de différents incidents de procédure.
Dès 1786, le Maréchal de Castries rapporta à l’intendant que la procédure « renfermait
des irrégularités qu’il étoit impossible de rectifier ». Or, il convient de préciser que l’affaire
avait débuté en 1783. Néanmoins, ne voulant pas que les deux complices puissent s’en sortir
sans être inquiétés, et le Roi ayant besoin d’argent, le Maréchal ordonna à l’intendant
d’accepter « l’offre qu’ils avoient faits de rendre leur compte499 » et de les faire sortir de
prison si toutes les garanties étaient fournies. Mais, selon Monsieur de La Luzerne, en 1788,
les vues du précédent Secrétaire d’État de la Marine n’ont toujours pas « été remplies et que
l’on s’est borné à réclamer la Bienveillance en faveur des accusés ». Les suspects ont bien été
remis en liberté, dans la ville de Brest, mais n’ont toujours pas payé « les effets manquant
avec les dommages et intérêts », ce qui empêche leur régularisation vis-à-vis de la justice, le
ministre ne pouvant statuer définitivement jusqu’à l’entière exécution des vues du Maréchal
de Castries500. L’intendant a-t-il prévenu les suspects ou ces derniers n’ont-ils pas compris
l’avertissement des Services centraux ? Aucune réponse ne peut être apportée à cette question,
497 Ibidem. « Les détails dans lesquels vous êtres entré m’ont fait connoître qu’ayant été informé qu’il y avoit quelqu’effervescence parmi eux, au sujet d’une partie du payement qui devoit se faire en assignats de 5#, vous y avez fait intervenir un officier municipal et le procureur de la commune. J’au vû que les ouvriers de Brest se sont soumis avec facilité, et que ceux de Recouvrance ont également cédé peu à peu ; mais que ceux de la campagne qui sont en assez grand nombre s’obstinèrent d’abord à refuser les assignats, au point de menacer de la mort le premier qui en prendroit ». 498 Voir supra, p. 68-71. 499 Cette lettre n’est pas retrouvée. Seul le rappel, du jeudi 4 septembre 1788, du ministre La Luzerne se trouve au sein des fonds. AM Brest, 1 E 232, f° 7-9 (4 septembre 1788). 500 Ibidem. « Il ne m’est pas possible de Statuer définitivement sur leur sort jusqu’à ce que les décisions de M[onsieur] le M[aréch]al de Castries ayent été exécutées ; c’est-à-dire qu’il est indispensable qu’ils rendent leur comptes ainsi qu’il l’ont offert ; Je vous prie de leur faire connoître mes intentions à ces égards. Je vous autorise même à leur dire qu’ils n’auront d’autres moïens d’éviter qu’on leur fasse leur procès et d’obtenir leur entière liberté qu’en fournissant ce compte et en payant les effets manquants, avec les dommages et intérêts. Ce n’est qu’après qu’ils se seront mis en Regle qu’ils pourront espérer d’obtenir grâce ».
117
mais l’affaire n’est plus évoquée jusqu’au samedi 27 février 1790501, soit deux ans après la
dernière lettre du ministre. Cette missive ne fit que rappeler les différents éléments de
procédure déjà évoqués ci-dessus.
Le courrier le plus intéressant survint un an plus tard, le lundi 14 février 1791, dans
une lettre écrite par l’intendant au commissaire du Roi près le Tribunal de District à Brest. A
cette époque, une loi du mardi 19 octobre 1790, concernant les procès, au sein de son article 6,
imposait que toutes les affaires soient continuées ou qu’il soit procédé au choix d’un tribunal
d’appel502. Cette nouvelle loi était une véritable aubaine pour les deux suspects : elle leur
permettait de passer outre l’accord qu’ils avaient passé avec l’intendant six années auparavant
et de faire juger définitivement leur affaire503 . Ils se saisirent donc de cette occasion et
demandèrent que les procédures, restées dans les greffes de la Commission, soient restituées
au Tribunal. Cela demeurait extrêmement habile de leur part, car ils auraient ainsi pu faire
valoir les irrégularités de la procédure commencée en Inde. Ils présentèrent, en plus, une
requête aux juges du Tribunal du District de Brest, mais ces deniers considérèrent qu’ils ne
pouvaient pas statuer sans en avoir référé à l’Assemblée Nationale et au Secrétaire d’État de
la Marine et des Colonies, ce qu’ils firent.
Le Garde des Sceaux s’empara alors de l’affaire et décida de la renvoyer devant le
Tribunal de District de Quimper, tout en dessaisissant la Commission des chiourmes. Ce
dernier rendit son jugement le mardi 9 août 1791, en cassant et rejetant comme « nuls tous
actes et pièces de l’instruction faite à Trinquemale, Ostembourg, et Pondichéry ; remet les
parties en pareil état qu’elles étoient avant l’acte en forme de plainte, du [dimanche] 14
décembre 1783, sans préjudice de tous droits, actions, dommages et intérêts respectifs, toutes
défenses sauves ; ordonne que la procédure demeurera au greffe pour mémoire504 ».
Cela témoigne bien de l’affaiblissement du pouvoir judiciaire de l’intendant. Alors
qu’en 1785, il avait été choisi pour juger cette affaire, six ans plus tard, il en perdait le
bénéfice, au profit d’un Tribunal civil, celui du District de Quimper. L’affaire ne s’arrêta pas
à ce stade, car les protagonistes, mécontents de la décision, firent appel devant l’Assemblée
Nationale afin d’obtenir « 153.200 livres de dommages-intérêts et des places équivalentes à
celles qu’ils avoient occupés ci-devant dans le département de la marine ».
501 AM Brest, 1 E 236, f° 281 (27 février 1790). 502 Cette loi n’a pas été retrouvée au sein du Moniteur Universel. 503 Il faut bien garder à l’esprit que l’affaire n’avait jamais été jugée définitivement et restait donc pendante devant le Tribunal de l’intendant. 504 LE HODEY, op. cit., p. 144. Ce jugement ne se retrouve malheureusement plus dans les fonds des Archives Départementales du Finistère. Les recherches effectuées par Madame KEROUE Gaela, archiviste, au sein des fonds, cotes 75 L 1, 75 L 3, 75 L 9, 75 L 12 et 75 L 13, n’ont pas abouti.
118
Il ne semblait plus avoir de Tribunal de l’intendant au niveau local et le ministre lui-
même ne pouvait plus intervenir sur les affaires judiciaires de la Marine. Le déclin de cette
justice spéciale était amorcé, même si elle demeurait encore en place pour quelques mois505.
Un autre événement, moins détonant que cette affaire, mais ayant d’énormes
répercussions au niveau local, démontre encore plus l’affermissement des institutions civiles.
Il s’agit de la remise en place d’une véritable police civile, au détriment de la police militaire
instaurée à la fin des années 1780.
§2 : La remise en place d’une police civile
La police militaire, si chère aux autorités militaires du port, ne semblait plus être
présente dès l’année 1789. En effet, dans un courrier daté du vendredi 10 septembre 1789, on
apprend que le Sieur Dijon, dernier lieutenant général de cette police, n’exerçait plus cette
fonction et que le versement de son salaire définitif était encore à effectuer506. Or, comment
une telle police aurait-elle pu fonctionner si l’office de lieutenant général demeurait vacant ?
Cela peut être lié au déclin progressif des institutions militaires. En effet, comme il a été vu
ci-dessus, dès 1789, l’intendant lui-même demandait à disposer de l’aide de la Municipalité
lors des conflits les plus importants. Il est donc possible d’imaginer que dès l’année
précédente, les institutions moins puissantes aient pu voir leur pouvoir diminuer.
La perte du pouvoir de police se constate aussi par un fait négatif. Alors que tout au
long de l’étude des différents fonds du Service Historique de la Marine, des affaires
concernant la surveillance de l’action des membres de la Municipalité peuvent être constatées,
à partir de l’année 1789, seule une affaire de surveillance eut lieu de la part de l’intendant.
Elle concerne l’arrestation des vagabonds de l’Ordre Dominicain, natifs de Lille507. Comment
expliquer un tel changement de situation ? Pourquoi l’intendant n’intervenait-il pas plus dans
les affaires ?
La seule explication qui paraît solide concerne la perte de la puissance publique et de
toutes les institutions l’entourant ou en dépendant. Même le pouvoir de sanction des
commandants des vaisseaux du Roi n’était plus respecté. En effet, normalement, ce pouvoir
de punition, appartenait au commandant seul et était édicté par le Titre CIII. Des délits & des
505 Jusqu’à la Loi du 25 septembre 1791, ordonnant la suppression des juridictions spéciales. Le pouvoir central lui-même ne semblait plus soutenir l’intendant, ou tout du moins, voulait redéfinir son rôle et sa liberté, comme dans l’affaire concernant l’intervention de l’intendant dans les affaires des particuliers, datant du vendredi 5 mars 1790 (AM Brest, 1 E 236, f° 297 (5 mars 1790)). 506 1 E 235, f° 35 (10 septembre 1789). « Il est nécessaire, Monsieur, pour que l’on puisse liquider le décompte du S[ieur] Dijon, Inspecteur de la police militaire à Brest, L’Orient et Roscoff, tant pour son traitement que pour celui de ses préposés durant les années 1784, 1785, 1786, 1787, 1788 et 1789, de connoitre la somme qu’il a reçue dans ce premier port ». 507 AM Brest, 1 E 234, f° 469 (8 août 1789) et 533 (22 août 1789). Voir supra, p. 41.
119
Peines de l’Ordonnance du Roi Concernant la Marine du 25 mars 1765508. C’est d’ailleurs
grâce à ce pouvoir que le Sieur Roux509, selon les ordres de Monsieur de Girardin510, « a
detenu aux fers pendant plus de 3 jours le N[omm]é honel aide pilote511 ». Il semble que cette
mise aux arrêts soit due à sa conduite dans la colonie. Néanmoins, la lettre ne précise pas les
motifs de cette punition, mais simplement que Monsieur de Girardin fut amené à se justifier
devant le Secrétaire d’État Thévenard512, à cause de la plainte de cet aide-pilote portée devant
le « club de Brest513 ». Toute l’autorité de police militaire semblait être remise en cause.
Mais il ne faut pas penser, pour autant, que la police judiciaire n’était plus, au sein de
la ville, exercée. En effet, les institutions civiles en profitèrent pour établir un nouveau plan de
police, rétablissant leur autorité perdue, soutenues par l’autorité royale. Elles prenaient ainsi
une revanche sur leur éviction lors du précédent plan de police, instauré au début des années
1780514. Cela se constate lors de l’enregistrement de la Loi relative à l’organisation d’une
police Municipale et Correctionnelle du 22 juillet 1791515.
En effet, depuis le début des années 1780, l’intendant demeurait, en quelque sorte,
l’autorité supérieure de la police, en assurant, notamment, le prêt de son personnel aux
différents commissaires en place. Il avait même été, implicitement, désigné comme
« aiguilleur » du contentieux entre les différents tribunaux516, et avait réussi à étendre son
activité à toute la ville de Brest. Or, cette nouvelle loi, adressée aux membres de la
Communauté de ville par le Directoire du Finistère, ne fait aucune évocation des autorités
508 BERBOUCHE A., Marine et justice, op. cit., p. 89-91. Article MCCLXXXV : « Sa Majesté n’ayant point entendu prescrire tous les devoirs, ni prévoir tous les délits, ordonne à un chacun, dans quelque circonstance de service qu’il se trouve, de commander ou d’obéir, de se conduire toujours pour le plus grand avantage de son service, conformément aux lois de l’honneur ; enjoint même, comme un devoir de fidélité & d’obligation la plus étroite, à l’inférieur, qui en sera comptable, d’avertir le supérieur, sur des preuves certaines, ou au moins sur des soupçons évidemment bien fondée, des fautes & manquements dont il aura connoissance ; enjoint au supérieur de garder dasn ses recherches, le secret qui lui est confié & d’en user avec prudence ». 509 Il doit s’agir du Sieur ROUX Jean, né dans l’Yonne en 1746, lieutenant de frégate en 1777, sous-lieutenant de vaisseau en 1776, ayant participé à deux voyages de découverte en 1771 et 1776, autour du monde, avec Marion Dufresne. Il fut connu pour son combat en avril 1782, à bord de l’Espérance, puis devînt capitaine de vaisseau. Il mourut en 1827. DE LA JONQUIERE Christian, Les marins français sous Louis XVI, Guerre d’indépendance américaine, Muller édition, 1996, p. 260. 510 GIRARDIN François Emmanuel, chevalier de. Né à la Martinique en 1737. Garde de la Marine en 1754, capitaine de vaisseau en 1779, contre-amiral en 1792 puis vice-amiral en 1792. Il servit notamment dans l’escadre d’Orvilliers, sur le Fier, et participa à la prise de Saint-Eustache par Bouillé, sur la Medée. Ibidem, p. 120. 511 AM Brest, 1 E 241, f° 45 (9 juillet 1791) 512 THEVENARD Antoine, Jean, Marie, Comte de. Né à Saint-Malo en 1733. Officier de la Compagnie des Indes en 1746, capitaine de vaisseau en 1773, chef d’escadre en 1784. Il fut le commandant de la marine à Lorient à partir de 1773, puis ministre de la Marine en 1791, avant de réintégrer l’armée en 1792, au grade de vice-amiral. Il mourut en 1815. DE LA JONQUIERE Ch., op. cit., p. 276. 513 AM Brest, 1 E 241, f° 45 (9 juillet 1791). « J’ai vu sur la plainte que ce dernier en a porté au club de Brest, le S[ieu]r Roux qui avoit été invité à s’y rendre, a éprouvé le désagrément d’y voir sa conduite blamée, et qu’en sortant de cette dernière Assemblée, il auroit été vraisemblablement la victime du ressentiement du peuple, si un nombre de citoyens ne fut parvenu à l’en garantir, en protégeant sa retraite à l’hôtel de ville ». 514 Voir supra, p. 44-48. 515 Arch. Com. Brest, 1 I 2. 516 Voir supra, p. 44-51.
120
militaires. Par contre, la Municipalité est évoquée dix fois et les officiers municipaux sept fois,
au sein de cette loi de trente deux pages 517 . Mais ces mentions leur accordent-elles un
quelconque pouvoir ?
Effectivement, lors de l’étude des pouvoirs de police de la Communauté de ville en
1780, ces derniers se concentraient uniquement autour de la police des grains, des métiers et
des marchés518 . Or, dans le Titre Premier. Police Municipale, ces différentes polices se
retrouvent. Ainsi, l’Article XX de cette loi dispose qu’en « cas d’exposition en vente de
comestibles gâtés, corrompus ou nuisibles, ils seront considérés comme confisqués & détruits,
& le délinquant condamné à une amende du tiers de sa contribution mobiliaire, laquelle
amende ne pourra être au-dessous de trois livres519 ». Mais il ne s’agit pas du seul article
concernant la police des métiers. L’énumération des différentes interdictions continue jusqu’à
l’Article XXV520.
L’étude du « Caÿer d’audiance du Siege Roÿal de police commencé le 13 février 1790
et fini le 24 septembre 1791521 » permet de démontrer l’effectivité de ces mesures. Ainsi, le
lundi 5 juillet 1790, ce registre rapporte-t-il l’intervention d’un officier municipal pour
maintenir l’ordre à la foire de Recouvrance :
« Monsieur Bertolle, officier municipal l’un des juges du Siege a dit et rapporté.
Messieurs, l’Occupé, le Jour d’Hier environ les six heures de l’après midi, du maïntien de
l’ordre et de la police, à la foire de recouvrance, et se trouvant revetu de mon echarpe.
Plusieurs marchands forains vinrent me porter plainte de ce que le nommé Egnaule, Gardien
du quai du port, vis-à-vis notre dame, s’opposoit à ce que les dits marchands déposent leurs
mallettes et Ballots de Marchandises, sur le Bord du quay et de la Calle en cet endroit, En
attendant que les Bateaux fussent prets pour les transporter, que le Gardien, épris de vin [sic]
se permettoit de les injurier en traitant les uns de F. gueux, les autres de F. polisson et les
femmes de Sacrées Putains. En consequence les dits marchands, m’ayant requis de me
transporter sur les lieux pour en imposer à cet homme, et faciliter le transport de leurs
marchandises, je défferai à ladite requisition, et après avoir representé au dit Gardien qu’il ne
devoit pas se meler de ce qui nele regardoit pas, je lui ait ordonné de laisser aux dits
marchands la liberté du quay et de la calle pour le transport de leur marchandises522. »
517 Voir annexe Loi de police de 1791. 518 Voir supra, p 48-56. 519 Arch. Com. Brest, 1 I 2, f°8. 520 L’article XXI concerne la vente de médicament et de boissons falsifiées. L’article XXII intéresse les « poids & mesures dans la vente des denrées & autres objets qui se débitent à la mesure ». L’article XXIII évoque la récidive. Les articles XXIV et XXV concernent les ventes d’or et d’argent. 521 Arch. Com. Brest, 3 I 4 (malheureusement, ce recueil n’a pas été numéroté. Il sera donc simplement indiqué la date). 522 Ibidem, 5 juillet 1790. Mais le gardien du quai ne se plia pas aux ordres de l’officier. Il lui répondit qu’il « s’en foutoit » et porta même la main (en le menaçant de mort : « si on le mettoit en prison, j’en reponderois sur ma vie ») sur l’officier après que celui-ci l’ait informé qu’il le « feroit punir pour cause de son insolence ». Devant le tribunal de police, il demanda tout de même l’indulgence, en précisant que ces actes étaient la conséquence de l’ivresse.
121
Cela démontre bien l’influence des officiers municipaux lors de conflits. Ils sont les
premiers à être appelés. Or, ces quelques articles ne sont qu’une petite partie de cette loi
composée de 119 articles.
Dès lors, il convient d’étudier les différents pouvoirs dont disposait la Municipalité de
ville. Lors de l’étude de la surveillance des étrangers, essentiellement suspectés d’être à la
solde de l’ennemi, l’intendant n’hésitait pas, grâce à l’intervention de ses subordonnés, à
surveiller leur arrivée523. La mise en place d’une police militaire ne fit que renforcer ce
pouvoir. Or, il semble que par cette ordonnance, la Communauté de ville dispose de
l’exclusivité de la police des étrangers, grâce au recensement de l’état des habitants. En effet,
l’Article I. Titre Premier. Police Municipale, indique que « Dans les villes & dans les
campagnes, les corps municipaux feront constater l’état des habitans, soit par des officiers
municipaux, soit par des commissaires de police, s’il y en a, soit par des citoyens commis à
cet effet ». L’Article II, quant à lui, indique ce que doit contenir la déclaration. Il s’agit des
« noms, âge, lieu de naissance, dernier domicile, profession ; métiers & autres moyens de
subsistance. Le déclarant qui n’auroit à indiquer aucun moyen de subsistance, désignera les
citoyens domiciliés dans la municipalité dont il sera connu & qui pourront rendre bon
témoignage de sa conduite ». Enfin, l’Article III permet à ces officiers de contrôler certaines
catégories de la population, en les dénommant, « gens sans aveu », « gens suspects » ou
« gens mal intentionnés524 ».
Par ces trois articles, il paraît évident que la Municipalité a désormais le pouvoir de
contrôler directement toute personne, car le statut de la personne pourra, dans certaines
circonstances, être pris en compte, comme dans le cas de la rixe525. Elle seule peut donc
surveiller les personnes, avec toutefois le concours de la gendarmerie, et moduler la peine
suivant l’inscription ou non sur les registres des trois mentions vues ci-dessus.
Malheureusement, il n’a pas été possible, par manque de temps, d’étudier tous les fonds de
523 Voir supra, p. 42-48. C’est d’ailleurs ce qui se remarque encore en 1789, lors de la surveillance des deux vagabonds en 1789 (AM Brest, 1 E 234, f° 469 (8 août 1789) et 535 (22 août 1789)). 524 Article III. Titre I. Police Municipale de la Loi Relative à l’organisation d’une police municipale du 22 juillet 1791 : « Ceux qui étant en état de travailler n’auront ni moyens de subsistance, ni métier, ni répondans, seront inscrits avec la note de gens sans aveux. Ceux qui refuseront toute déclaration, seront inscrits sous leur signalement & demeure, avec la note de gens suspects. Ceux qui seront convaincus d’avoir fait de fausses déclarations, seront inscrits avec la note de gens mal intentionnés. Il sera donné communication de ces registres aux officiers & sous-officiers de la gendarmerie nationale, dans le cours de leur tournée ». 525 Ainsi, selon l’Article XIX du même titre, en cas de rixe, les personnes n’appartenant pas à ces classes se verront uniquement condamnées à une « amende du tiers de leur contribution mobiliaire, laquelle ne sera pas en dessous de douze livres ». Or, ce même article, ainsi que l’Article IV précise, que pour les gens appartenant à ces trois classes, ils « seront soumis dès la première fois aux peines de la police correctionnelle, comme il sera dit ci-après ».
122
correspondances de la Municipalité de Brest 526 . Néanmoins, il est possible d’évoquer
l’hypothèse que ces autorités exercèrent effectivement ce pouvoir, étant donné que les fonds
de l’Intendance ne contiennent plus aucun courrier concernant cette police.
Mais la Communauté ne voyait pas son rôle se limiter à la simple police administrative,
comme la présentation que nous venons de faire laisse penser. En effet, il existait un réel
Tribunal de police, continuité des Tribunaux municipaux d’Ancien Régime. Toute sa
procédure est expliquée de l’Article XXXII à l’Article XLVIII. Mais elle intervenait aussi au
sein de la police correctionnelle, relevant normalement du Tribunal du Juge de paix. Ainsi,
c’est elle qui nommait le greffier de ce Tribunal527, fonction qui assurait un emploi à vie528 !
Elle pouvait donc intervenir, même de façon limitée, sur toute la justice civile, concernant
l’ordre public, comme le rapportent les inscriptions du Registre de la prison du Château de
Brest, dans lequel, à la date du 3 février, il est fait allusion à l’incarcération d’un dénommé
Jean-Pierre Clausse, « jardinier demeurant dans le creux du Pont de terre, pour raison du
tapage qu’il y a eu dans sa maison, où l’on a trouvé cinq hommes armés de fusils. Ce
particulier a souvent été traduit devant la Municipalité, pour retirer chez lui des filles
publiques529 ».
Néanmoins, elle n’était pas la seule autorité civile à avoir cette puissance. Les juges de
Paix ainsi que les juges des Districts disposaient eux-aussi de compétences judiciaires,
réduisant d’autant celles de l’intendant. Ainsi, même le commissaire du Roi, Monsieur
Guesnet, pouvait-il recevoir les plaintes de n’importe quel citoyen lorsqu’il s’estimait lésé. Ce
fut le cas de Joseph Fourin, ancien forçat ayant reçu des lettres de grâce, qui porta sa situation
devant ce commissaire. Lors de sa libération, il fut conduit « par un argousin et une garde
national » hors de la ville avec « injonction de s’en éloigner ». Or, le commissaire du Roi
vient ici rappeler que « dès l’instant qu’un condamné quelconque a satisfait à sa peine, il est
absolument libre. Il en est de même à l’égard de celui qui en a obtenu remise530 ».
L’intendant n’était plus l’autorité incontestable du port. Comme il l’indiquait au
Secrétaire d’État de la Marine, il n’était plus « maître des sujets qui [lui] sont
526 Ces fonds sont éparpillés à travers différents centres d’archives. Ainsi, en retrouve-t-on aux Archives Communautaires de Brest, aux Archives Départementales du Finistère et aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine. 527 Article LII. Titre II. Police Correctionnelle. « Dans toutes les villes où le tribunal de police correctionnelle sera composée de deux ou trois juges de paix, le corps municipal nommera un greffier ». 528 Article LIV. Titre II. Police Correctionnelle. « Les greffiers nommés par le corps municipal pour servir le tribunal de police correctionnelle, seront à vie : leur traitement sera de mille livres dans les lieux où le tribunal ne formera qu’une chambre ; de dix-huit cens livres dans les lieux où il en formera deux & trois milles livres dans les lieux où il en formera trois : le traitement des commis-greffiers sera pour chacun, la moitié de celui du greffier ». 529 Arch. Com. Brest, 4 I 2 (Recueil non numéroté). 530 Arch. Com. Brest, 3 I 3 (Recueil non numéroté).
123
subordonnés 531». Rien ne semblait plus pouvoir fonctionner si la Communauté de ville ne lui
prêtait pas main forte. Il s’agissait là d’un véritable retournement de situation pour l’homme
qui fut considéré comme le plus puissant du port au début de la décennie 1780. Il demeurait
même soumis à cette autorité, car ses décisions définitives ne pouvaient être appliquées sans
l’accord de la Municipalité. Perdant de tels pouvoirs, la police militaire, dont il participa à la
création, ne tarda pas, elle-aussi, à en ressentir les effets négatifs, jusqu’à ce qu’elle
disparaisse, en 1789, au profit d’une police civile organisée. Le décret de l’Assemblée
nationale du 14 décembre 1789 vint, par la suite, déterminer légalement la constitution des
conseils municipaux appelés à régir les affaires ordinaires de la ville, dont les procès à
intenter ou soutenir532.
Toutefois, en réalité, il semble que la Municipalité ait retrouvé les problèmes du début
de la décennie. En effet, Monsieur Julien Jullien, dans sa « réflexion sur la reorganisation de
la garde nationale et Mesures de Sureté », nous dresse un portrait élogieux quant aux
personnes composant cette municipalité mais déplorable quant aux moyens disponibles :
« La municipalité provisoirement nommée par votre collegue Breard est generalement
composée de bons républicains de vrais sans culottes, mais dans les circonstances présentes
devenues plus delicates d’après le gouvernement révolutionnaire, dans un moment ou la
correspondance est immense les travaux si multipliés et la Surveillance générale si active et si
continuelle, il faut l’avouer, ses moyens sont insuffisants. Elle n’est pas à beaucoup près assez
nombreuse, assez anvironnée de lumière, pour affronter sans inquiètude l’immense
responsabilité qui pese sur sa tete ; ses revenus sont nuls ses charges considérables, et cette
grande disproportion entre les Ressources et les besoins, et encore un obstacle au bien qu’elle
pourroit et voudroit faire533. »
Mais l’intendant subit une concurrence plus forte que celle des officiers municipaux :
la société civile, qui, par « les mauvaises têtes font prédominer leurs suggestions et imposent
leurs caprices. Dans le port et dans l’arsenal, les agitateurs professionnels sèment la défiance,
provoquent la fièvre, fomentent la sédition. Les lettres du comte d’Hector au ministre de la
Marine accusent, à maintes reprises, la présence, à Brest, de meneurs « étrangers » qui
poussent le peuple à « l’assaut des établissements militaires et maritimes destinés à garantir
l’intégrité de notre patrimoine et la sécurité de nos côtes534 ».
531 AM Brest, 1 E 237, f° 373 (23 juin 1790). 532 LEVOT P., Histoire… La ville depuis 1681, p. 214-249. 533 AM Brest, M 169, f° 51 (22 Nivôse An II). 534 HAVARD O., op. cit., p 30.
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Section II : L’influence de la « société civile »
Les esprits, empreints de la volonté de changement, étaient nombreux à Brest. En effet,
c’est dans ce port que débarquait la majorité des vaisseaux ayant participé à la Guerre
d’Amérique. Or, ces derniers étaient remplis de matelots et d’officiers aspirant à la Liberté
qu’ils avaient participée à établir outre-Atlantique. Cette volonté de changement se faisait, à
cause de la nonchalance des autorités, d’une manière parfois brutale. Lors de l’étude des
fonds, un nouvel éclairage apparut : la Société des Amis de la Constitution semblait être le
moteur de ces insurrections et insubordinations (§2). Mais cela était dû au laxisme des
autorités militaires du port qui laissèrent s’installer une autre situation, moins belliqueuse : la
presse, et la liberté d’association (§1).
§1 : L’avènement des libertés individuelles
L’intendant voyait son pouvoir judiciaire s’affaiblir. Cette situation se remarque
encore plus lors de l’étude de deux fonds d’archives. Déjà, dans le premier semestre de
l’année 1789, une situation de crise, vis-à-vis de son autorité peut être remarquée. Cela
concerne la réunion des assemblées, qu’elles soient légales ou non. L’intendant, face à la
multiplication des rassemblements de sujets, dut avoir peur que de nouvelles insurrections
n’éclatent. Le pouvoir central, lui-même semblait craindre des débordements de la part de la
population, car il prit une dépêche interdisant les assemblées considérées comme illicites535.
Mais l’intendant sembla l’étendre à toutes les assemblées pouvant se réunir, comme le
démontre le courrier du ministre, envoyé le lundi 29 mars 1789 :
« Vous avez ordonné, Monsieur, une extension que je prévoyois pas au contenû de la
dépêche que j’ai ordonné le 16 de ce mois à vous et à M[onsieur] le C[om]te d’Hector. En vous
indiquant la conduite que vous deviez tenir avec vos subordonnés. Si aucun vouloient
abandonner leur Service pour se rendre à des Assemblées illicites, aux quelles ils seroient peut
être appelées, je n’entendois nullement vous parler de celles qui seroient convoquées par les
Ordres du Gouvernement. Les Membres de l’Administration ne cessent pas d’être
Citoyens536. »
535 Cette situation ne concerne pas uniquement l’intendant du port de Brest. H. FRÉVILLE rapporte, dans le tome III de son étude précédemment citée, que le denier intendant de Bretagne, Dufaure de RICHEFORT, n’arriva pas à interdire les réunions illicites. Ainsi, le journal populaire Le Hérault de la Nation les utilisa même contre le Parlement, qui essayait d’interdire ces pratiques qu’il avait autrefois tant utilisé : « Eh ! Bon Dieu ! Notre club était à Rennes quand, malgré les défenses, le Parlement s’assembla illicitement à l’hôtel de Cuillé. Nous étions à Rennes quand les magistrats excitaient la populace à jeter des pierres contre les commissaires du Roi ». Voir H. FRÉVILLE, op. cit., tome III, p. 298-309. 536 AM Brest, 1 E 233, f° 463 (29 mars 1789).
125
Une telle sévérité de la part de Monsieur Redon de Beaupréau ne peut être comprise
que par rapport à l’agitation régnant dans le port de Brest. C’est ce qui peut expliquer
l’extension de la dépêche ministérielle à toutes les assemblées, même celles « de Ville ou de
Sénéchaussée, soit pour choisir les Electeurs, soit pour rédiger les Cayers, soit enfin pour élire
les Députés aux Etats Généraux ».
Il s’agit bien de la prise en compte des droits des citoyens537 à laquelle fait allusion ici
Monsieur de La Luzerne, tout en précisant qu’il ne faudrait pas que le port « ne se trouve
subitement et totalement desert, en sorte, que le Service ne puisse en souffrir ». Néanmoins, il
ne semble pas que l’intendant entendit cet ordre, car dans une lettre du dimanche 29 mars
1789, le ministre dut, à nouveau, préciser les droits dont disposaient les commis des bureaux :
« Vous verrés, Monsieur, par ma lettre ministérielle de ce jour, timbrée officier
d’administration que la demande des Commis de vos bureaux de se rendre aux assemblées par
bailliages et Sénéchaussées pour l’élection des Députés aux Etats Généraux n’étoit pas
contraire aux intentions de Sa Majesté. Vous y verrés encore qu’elle est disposée à accorder
des congés à ceux d’entre eux qui pourroient être élus. On ne peut ranger, dans la classe des
assemblées illicites, celles qui sont ordonnées par le gouvernement et les employés sous vos
ordres ne pourroient sans injustice être privés des droits qu’ils ont comme citoyens d’y
assister538. »
Pourquoi l’intendant ne désirait-il pas accorder ce droit à ses subordonnés ? Il semble
qu’étant le plus à même de juger les compétences de ces derniers, il ne désirait pas les voir
s’écarter trop facilement de leurs fonctions. Or, le ministre ne dut pas prendre les
avertissements de Monsieur Redon de Beaupréau au sérieux, comme le montre la lettre citée
ci-dessus. Pourtant, la situation dégénéra, car le jeudi 6 août 1789, Monsieur La Luzerne
adressa à l’intendant une lettre lourde de sens. Si son zèle était admiré, il ne devait en aucun
cas perturber le déroulement des assemblées, même si cela pouvait perturber l’administration
entière du premier port de guerre de France :
« Le Roi a approuvé, Monsieur, les mesures sages que vous avez prises jusque ici, et
celles que vous proposez encore. C’est un très grand malheur que les Commis de la Marine se
trouvent presque tous distraits de leurs fonctions par un service militaire ou par leur assistance
aux délibérations de la Commune ; mais il est aisé de sentir que dans les circonstances
présentes il seroit impolitique d’user des voyes d’autorité envers ceux même qui n’ayant point
de ces motifs à alléguer, cherchent des prétextes pour se dispenser de remplir les devoirs de
leur Etat. Je ne puis donc que m’en rapporter à votre zèle et à votre prudence pour tâcher de
faire renaître l’ordre et l’assiduité aussitôt qu’il sera possible, et pour faire sentir au Conseil
Général de Brest combien il est désirable qu’il concourre avec vous pour remplir ces vües539. »
537 « Loin d’avoir l’intention de les priver de ce droit, le Roi est disposé à accorder à ceux d’entre eux, qui seront élus Députés aux Etats Généraux, le Congé qui leur seroit nécessaire pour se rendre à Versailles ». 538 AM Brest, 1 E 233, f° 465 (29 mars 1789). 539 AM Brest, 1 E 234, f° 451 (6 août 1789).
126
Le ministre ne semble, lui-même, plus pouvoir soutenir l’autorité de l’intendant. Mais
s’il ne le désapprouve pas, il indique clairement qu’il est impossible, au vu de l’ébullition des
personnes, de remettre en marche l’administration maritime par des sanctions disciplinaires
ou judiciaires. En effet, ces mesures ne feraient qu’échauffer encore plus les esprits et
conduirait le port à une situation incontrôlable540. La liberté d’esprit primait sur l’autorité,
pourtant nécessaire, de l’intendant. Juger ses subordonnés, ou tout au moins, essayer de les
contrôler ne semblait plus être possible. Mais n’aurait-il pas pu essayer d’estomper cette folie
par des mesures discrétionnaires ?
Il ne semble pas qu’à cette époque cela fût réalisable. En effet, les gens n’avaient,
semble-t-il, plus confiance dans la justice. C’est ce qui ressort d’une affaire relatée dans un
courrier du vendredi 12 mars 1790541. Elle concerne deux chirurgiens de la Marine. Les
causes précises de ce litige ne sont pas connues. Le Secrétaire d’État de la Marine nous
informe seulement que les chirurgiens s’agitèrent tant à cause de « l’achèvement de la
législation générale que dans l’organisation particulière de la Marine ». Or, ces derniers,
plutôt que d’en référer, soit à l’intendant, soit à leur ministre, usèrent de « la liberté de la
presse qui leur étoit accordé par une loi de l’État à laquelle il n’a jamais été jusqu’à présent
été porté aucune modification ». Cela prouve bien le déclin de l’intendant : même ses propres
subordonnés ne lui font plus parvenir leurs doléances et préfèrent en informer le public, afin
d’exciter les esprits les plus prompts au débat.
Le Secrétaire d’État La Luzerne condamna tout de même cette attitude, en exhortant
l’intendant de « mettre en usage tous les moyens que vous donne l’autorité dont vous êtes
revêtu pour éviter, chacun en ce qui vous concerne, que qui que ce soit de vos subordonnés
respectifs, ne se porte à des voyes de fait que les loix encore existantes deffendent
expressément et punissent avec la plus grande sévérité ».
Malheureusement, la suite de la correspondance concernant cette affaire ne se trouve
plus au sein du fonds de l’Intendance. Il est donc impossible de savoir si l’intendant prit des
mesures contre les deux chirurgiens ou s’il laissa l’affaire en l’état, préférant se retrancher
540 Mais la situation n’était-elle pas déjà incontrôlable ? Les tergiversions manifestes de Versailles avaient conduit à la perte de pouvoir de ses agents sur le terrain. Monsieur FRÉVILLE résume très bien, au sein de la conclusion de son ouvrage précédemment cité, le lien entre le pouvoir central et les services extérieurs : « Il est tout d’abord évident que les vicissitudes du pouvoir central eurent, sur l’intendance [de Bretagne], des répercussions marquées. Quand ce pouvoir apparut ferme et résolu, l’intendance et ses actes ne furent pas discutés (…). Par contre, quand le gouvernement eut besoin d’argent, il lui fallut généralement faire des concessions aux États pour obtenir le consentement de ces derniers à la levée de nouveaux impôts ou leur majoration (…). On peut dire qu’à la fin de l’Ancien Régime, lors même qu’ils affirmaient la légitimité et la nécessité du pouvoir absolu, les ministres n’étaient plus sûrs d’eux-mêmes ; ils recherchaient sans cesse les précédents et reculaient devant les prises de position franche. Le sens de l’État se corrompit, ainsi, d’abord par le haut ; il persistait, par contre, chez les intendants et leurs agents » (H. FRÉVILLE, op. cit., tome III, p. 331-332). 541 AM Brest, 1 E 236, f° 321-323 (12 mars 1790). Il s’agit malheureusement du seul courrier présent au sein du fonds du Service Historique de la Défense.
127
derrière des domaines qu’il pouvait encore contrôler, même si cela devait se faire avec l’aide
de la Municipalité.
Cependant, un événement changea l’équilibre précaire qui donnait au port un semblant
d’ordre et maintenait l’autorité fragile de l’intendant. Il s’agit de la naissance de la Société des
Amis de la Constitution, club jacobin brestois.
§2 : L’omniprésence de la Société des Amis de la
Constitution et des Conseils permanents
Alors que les autorités civiles essayaient d’établir la concorde au sein du port de Brest,
une association, déterminante pour cette fin de siècle, fit son apparition. Il s’agit de la Société
des Amis de la Constitution. Elle fut créée le 14 juin 1790, à Brest, par les Sieurs Guillois, Le
Breton et Dagorne et avait pour but, comme l’indique l’Article XVII du Règlement adopté par
la Société des Amis de la Constitution, établie à Brest, « d’éclairer le Peuple sur ses intérêt, de
démasquer ceux qui le trompent, & de mettre aux plus grands jours les Loix nouvelles ». Les
« manquements à ces Loix & les abus de tout genre devront être dénoncés courageusement &
sans aucune espèce de considération542 ». Il ne s’agirait donc que d’une association ayant pour
but d’aider la population afin de mieux défendre les nouveaux droits acquis lors de la
Révolution. Pourtant, lors de l’étude des fonds d’archives présents au sein du Service
Historique de la Défense et des lectures de différents auteurs, il semble que la situation soit
toute autre, comme l’écrit Oscar HAVARD :
« A Brest, la « Société des Amis de la Constitution », en d’autres termes, « le Club
des Jacobins », s’immisce dans toutes les affaires, confronte toutes les consciences, régente
tous les pouvoirs et dicte toutes les consignes. Le prétoire et la rue, l’hôtel de ville et l’arsenal,
l’armée et le port n’obéissent ni à la tradition, ni à la loi, ni à l’Assemblée constituante, ni au
Corps municipal, mais au Club. Arbitre souverain de toutes les libertés et de toutes les fortunes,
le Club, comme un monarque levantin, plane, la cravache à la main, sur la cité frémissante et
prosternée543 . »
Les Sociétés des Amis de la Constitution étaient présentes sur l’ensemble du territoire
Finistérien. Ainsi, des villes comme Quimper544 ou Morlaix545 en comptaient-elles une. Mais
il semble que la Société de Brest fut le moteur de toutes les autres, car les courriers retrouvés
542 AM Brest, L 1965, f° 6 (14 juin 1790). 543 HAVARD O., op. cit., p. 23. 544 AM Brest, Ms 174, f° 100 (18 avril 1792). Cela concerne une demande de la part de Monsieur Pierre-Marec, membre de la Société des Amis de la Constitution de Quimper, afin que Monsieur Kerguelen soit réhabilité. 545 AM Brest, Ms 164, f° 64 (23 février 1791). La Société des Amis de la Constitution de Morlaix effectue une demande de fusils et de canons auprès de celle de Brest.
128
la concernant sont, à chaque fois, des demandes d’aides de leur part. Ces sociétés étaient en
réalité des avatars du Club des Jacobins à Paris546.
Mais si cette société animait la ferveur publique, constituait-elle pour autant une
concurrence à l’autorité judiciaire de l’intendant ?
Elle s’immisçait même dans le pouvoir disciplinaire exercé par les supérieurs sur leurs
subordonnés sur les navires, comme le démontre l’affaire étudiée plus haut, concernant le
Sieur Honel. En effet, le Sieur Roux, le commandant du vaisseau la Normande, fut suite à la
plainte que porta cet aide-pilote à la Société, convoqué devant cette dernière.
Or, ce pouvoir ne relevait-il pas du commandant du Port ou de Monsieur de Girardin,
commandant de l’escadre ? Normalement, c’est à lui de casser, ou tout au moins, de
réprimander les commandants. Mais dans le cas présent, ce fut la Société elle-même qui
blâma cet officier et qui le livra ensuite à la vindicte populaire, excitée par une mise aux fers
que l’aide pilote considérait comme injuste547.
Mais qu’en était-il de la justice de l’intendant ? Disposait-elle d’une quelconque
influence sur cette dernière ?
Il ne semble pas que lors de la première année de sa création, elle eut une influence
particulière sur sa justice. En effet, comme il a été vu précédemment, la Municipalité
demeurait, depuis 1789, l’autorité permettant un maintien de l’ordre au sein de la ville. Ainsi,
lors de l’affaire concernant les insurrections des pertuisaniers, ou encore celle des forçats
enfermés dans le magasin de bray sec, aucune intervention de cette Société ne peut être
rapportée. Il est seulement possible d’imaginer que la multiplication des plaintes portées par
les marins, que ce soit les matelots ou les officiers, devant l’Assemblée Nationale, soit due à
son intervention, grâce à l’aide qu’elle pouvait apporter dans la compréhension des décrets.
Ainsi, pour l’année 1789, pas moins de trois plaintes furent portées à Paris, concernant
généralement les paies et les possibles sanctions concernant les fautes548. Néanmoins, elle
n’apparait jamais explicitement au sein des lettres de l’année 1790.
546 AM Brest, L 1965, f° 6. « Faire sentir au peuple sa dignité, lui faire aimer les loix nouvelles, lui en développer l’esprit & les avantages, & par la force de l’exemple lui apprendre à s’y soumettre ; tel fut le but que se proposèrent ces hommes véritablement estimables, qui, ralliés les premiers sous le titre glorieux d’Amis de la Constitution, formèrent à Paris cette Société connue sous le nom de Club des Jacobins ». 547 AM Brest, 1 E 241, f° 45 (9 juillet 1791). « J’ai vu que sur la plainte que ce dernier en a portée au Club de Brest, le S[ieu]r Roux qui avoit été invité à s’y rendre, a éprouvé le désagrément d’y voir sa conduite blâmée, et qu’en sortant de cette assemblée, il auroit été vraisemblablement la victime du ressentiment populaire, si un nombre de citoyens ne fut pas parvenu à l’en garantir, en protégeant sa retraite à l’hôtel de ville. » 548 Voir, pour exemple, AM Brest, 1 E 236, f° 353-359 (20 mars 1790). Cette copie d’une lettre du ministre aux autorités militaires du port, contient treize articles, dont trois concernent les paies et retraites, deux concernent les peines et deux autres parlent des nouvelles Ordonnances. Le reste ne concerne que l’emploi des ouvriers durant les fêtes, les plaintes des familles, etc.
129
Ce n’est que lors de l’année 1791 que le Secrétaire d’État de la Marine l’évoque, pour
la première fois, à travers la détention arbitraire de l’aide-pilote, dans un courrier daté du
samedi 9 juillet. Cela est sûrement dû à l’effacement de la Communauté de ville face à ce club
excitant tous les esprits. La façon dont est décrite cette Société démontre bien l’animosité et
l’importance qu’elle prit dans la gestion de toutes les affaires. Ainsi, elle semblait s’intéresser
à toutes les affaires et s’immiscer dans chacune d’elle.
Cela se constate lors d’un courrier datant du samedi 27 août 1791549, à propos de la
perte des hardes et des travaux extraordinaires effectués par les « maîtres, officiers mariniers,
matelots et canonniers-matelots, ci-devant composant l’Equipage de la Résolution », dues à
l’avarie de cette frégate. Normalement, une telle demande aurait du être présentée devant
l’intendant par le capitaine du vaisseau. C’est effectivement ce qui se passa, car la lettre se
poursuit en indiquant que trois mois de soldes avaient été accordés aux matelots s’étant le
plus distingués « par leur zèle et leur courage, lors de l’ouragan du 31 Xbre 1788 »550. L’affaire
aurait normalement dû s’arrêter à ce stade, car récompenser tout l’équipage semblait
impensable.
Pourtant, le ministre nous informe ici que la Société des Amis de la Constitution a fait
connaître son « vif intérêt » concernant le « sort des différents maîtres, officiers mariniers,
matelots et canonniers-matelots, ci-devant composant l’Equipage de la Résolution, qui
réclament une indemnité pour les travaux extraordinaires et la perte de hardes que leur ont
occasionnés les avaries de cette frégate ». Comment peut-elle s’immiscer autant dans les
décisions de l’intendant ? Effectivement, c’était à lui de délivrer les récompenses, avec
l’accord des services centraux, revenant à tel ou tel sujet. Or, la Société remet directement ici
en cause ce jugement et propose que l’ensemble de l’équipage puisse bénéficier d’une
gratification, quelle que soit leur implication dans les réparations du navire.
Il est intéressant de remarquer que le ministre Thévenard n’oppose pas un refus formel
à cette Société. En effet, à la suite de ce discours, il rajoute qu’il ne dispose pas des « fonds
nécessaires pour faire face à cette dépense, ainsi que celles que nécessiteroient les demandes
que les Equipages des autres Bâtiments qui se sont trouvés dans un cas semblable,
formeroient également551 ». Il propose simplement à l’intendant de les informer que seule
l’Assemblée Nationale peut « faire une loi à cet égard, si elle le Juge convenable ».
Il est évident que cette Société intervenait déjà dans la vie publique, en excitant la
population de Brest. De nombreuses affaires rapportées par Monsieur Levot le démontrent,
comme celle, du 26 septembre 1791, concernant la nomination des Sieurs de la Jaille et de
549 AM Brest, 1 E 241, f° 491 (27 août 1791). 550 Ibidem. « Comme les trois mois de Solde obtenu par quelques une de ces marins, ne leur ont été accordés que pour s’être particulierement distingués par leur zele et leur courage, lors de l’ouragan du 31 Xbre 1788, et que d’ailleurs cette grace a été sollicitée par le capitaine, et d’après le rapport des officiers de l’Etat-major, qui ont désignés les sujets qui avoient le plus contribué à sauver le Bâtiment ». 551 Ibidem.
130
Kerlérec, au commandement, pour le premier, du vaisseau le Duguay-Trouin, et pour le
second, à celui de la Précieuse. Cette Société se réunit à la salle de spectacle, et les deux
officiers furent l’objet de violentes motions. Le lendemain, alors que Monsieur de la Jaille
dinait chez Monsieur de Marigny, une troupe d’une quarantaine de personnes se massa devant
l’hôtel et une dizaine d’entre eux rentra, le sabre à la ceinture, pour invectiver cet officier552.
Plus aucune autorité ne semblait pouvoir s’opposer à cette Société, regroupant
l’ensemble des compétences de la ville de Brest, et peut-être, de tout le Finistère. Elle
apparaissait ainsi dans les courriers officiels, au coté de la Municipalité et du District, chose
impensable auparavant553.
Cette situation se retrouve aussi au sein de la ville de Saint-Malo, par la création d’un
Conseil permanent de la ville de Saint-Malo. Il s’agit de la « voix du grand nombre [qui] peut
devenir, dans la circonstance, une autorité a laquelle je [le commissaire ordonnateur] pressois
que je serai obligé de souscrire554 ». Les habitants de la ville de Saint-Malo étaient en effet
représentés par un Conseil permanent, chapeautant les diverses Municipalités.
Ce dernier essaya d’assujettir le commissaire de la Marine, Monsieur Tempié, son
commissaire des classes, le Chevalier de Pennélé555, ainsi que tous les commis, archers et
gardiens des Bureaux de la Marine556 à la garde nationale. Cette dernière, chargée de la sureté
de la ville, avait besoin d’hommes pour assurer cette mission.
C’est dans ce contexte que le dimanche 30 août 1789, Monsieur Tempié reçut un
émissaire du Major de la milice nationale dans son bureau. Ce dernier lui annonça que ledit
major, Monsieur Bournot, avait décidé que le commissaire de la Marine devait effectuer un
tour de garde ou, à défaut, payer une contribution557. Surprit de cette décision, il renvoya
552 LEVOT P., Histoire… La ville depuis 1681, op. cit., p. 282-294. 553 Comme le montre Prosper LEVOT, au sujet de la libération de 40 soldats de Châteauvieux, le lundi 20 février 1792, suite au décret d’amnistie paru le 31 décembre 1790. L’auteur nous rapporte que c’est suite à leur arrivée à Paris, coiffés de la cocarde, que cette dernière devint le symbole de la Révolution. La Société des Amis de la Constitution semble, encore une fois, avoir joué un rôle majeur. Voilà le discours d’un magistrat communal et le procureur-syndic : « Si l’histoire de votre infortune, leur dit le premier, est gravée dans les fastes de notre ville, nos descendants se ressouviendront du moins, avec délices, que la liberté vous fut rendue dans leurs murs ; qu’un si grand bienfait fut l’ouvrage de la Société des Amis de la Constitution ; et enfin, dans quelque lieu que vous portiez vos pas, n’oubliez point des frères qui vous ont adoptés, et qui se sont unis à vous du moment de votre infortune ». 554 AM Brest, 1P2-9, f° 267 v°- 269 (1er septembre 1789). 555 Ibidem. « J’ai l’h[onne]ur de vous rendre compte d’une altercation à laquelle le conseil permanent de la ville de S[ain]t Malo donne lieu, en voulant m’assujettir personnellement [Monsieur Tempié] et par une suite de ce principe, M[onsieur] le ch[evali]er de Pennélé commissaire des classes à monter une garde nationale, et a défaut au Payement d’une Contribution pour cette même garde representative ». 556 Ibidem. « P.S. Je ne peux vous laisser ignorer qu’on a également obligé les commis de la marine, voire même les archers et Gardiens des Bureaux à monter cette même Garde ». 557 Ibidem. « Lorsque dimanche 30 du mois dernier, je vis rentrer le matin dans mon cabinet un Envoyé du major de la milice nationale pour me prevenir que j’étois destiné ce jour à la garde de la ville, et à défaut de payer la contribution pour mon remplacement ».
131
l’émissaire en lui indiquant qu’il écrirait une missive audit Major afin de l’informer de son
refus558, croyant « que les fonctions actives de [sa] place ne pouvant être suspendues, on [le]
regarderoit comme étranger à tous les mouvements qui dans les circonstances, agitent les
esprits ».
Après avoir transmis ses explications au major, le commissaire ordonnateur attendait
une réponse de ce dernier lorsqu’il vit arriver le Sieur Desegray559 , membre du Conseil
permanent. Ce dernier l’informa que sa lettre avait été transmise au Conseil et qu’une
délibération fut effectuée à son sujet. Or, l’instance avait décidé que Monsieur Tempié ne
pouvait pas être exempté de ce service, mais qu’encore ses protestations risquaient d’offenser
le Conseil qui le contraindrait alors à effectuer cette garde en personne560.
Face à ce comportement désinvolte, le commissaire ordonnateur garda son calme. Il
exposa en quatre points son argumentation. Tout d’abord, il informa ce membre du comité
qu’en aucun cas il ne pouvait ni ne devait quitter sa place d’ordonnateur qui occupait toutes
ses journées. Ensuite, que dans tous les ports de la Marine ou il y a un ordonnateur, aucune
délibération n’avait été effectuée afin d’assujettir le commissaire de la Marine ou des classes à
la garde nationale. De plus, qu’à Saint-Malo, il ne devait pas être considéré comme un citoyen,
mais comme un officier de la garnison, au même titre que les ingénieurs et artilleurs561. Enfin,
qu’il ne peut adhérer, sans ordre express du ministre de la Marine, à des innovations dont les
Ordonnances de la Marine ne font pas référence. Ayant surement convaincu du bien fondé de
son refus le Sieur Desegray, ce dernier rendit compte au comité de sa conversation.
558 Ibidem. « Surpris du peu d’Egards apporté dans cette invitation, je renvoyai poliment l’Emissaire en lui disant : que je m’expliquerai avec qui de droit, et dès lors je cru devoir ecrire au S[ieur] Bournot, maistre d’Escrime, élevé par les communes au Grade de major de la milice nationale, qui avoit signé le Billet d’ordre pour ma garde ». 559 Ou Dengray. 560 AM Brest, 1P2-9, f° 267 v°-269. « J’attendois M[onsei]g[ne]ur une réponse à ma Lettre, lorsque le S[ieur] Desegray membre du conseil permanent vint me faire part que le S[ieur] Burnot étoit venu donner au comité, communication de ma Lettre, et que l’avis général étoit ; que rien ne pouvoir m’exempter de la Garde, et que si je ne la montois par en personne, je devois du moins contribuer à me faire representer. Il ajouta : que si les communes venoient à délibérer sur ma protestation, il pouvoit arriver qu’on m’obligeroit à monter la Garde en personne, au lieu de se contenter de ma portion contributive à un remplacement ». 561 Ibidem. « J’allegué au S[ieur] Desegray et le priai de representer au comité, que dans aucun cas je ne devois quitter les fonctions de ma place, que j’étois journellement occupé au Service qui en resultoit ; que dans le Port de marine où il y avoit des ordonnateurs, il n’avoit pas même été mis en délibération Si le commissaire de marine ou des classes pouvoient être Sujet à la garde ; que tout sembloit devoir m’assurer cette Exemption ; qu’enfin je devois être considéré dans la ville de S[ain]t Malo, non comme un citoyen, mais comme un officier de la Garnison, tels que MM. les ingénieurs et artilleurs, qui n’ont ici à leurs ordres aucunes troupes et qu’au surplus si, nonobstant ces raison, le comité persistoit à vouloir massujettir à cette corvée, je le prirois de faire sursoir à leur décision, jusqu’à ce que j’eûs l’h[onneur] de vous rendre compte et recevoir vos ordres ; ne devant sous aucun rapport adhérer à une innovation, dont les ordonnances de marine n’accordent d’une manière si formelle l’exemption ».
132
Mais le Conseil permanent, fier et impétueux, n’entendit pas la voix de la raison et,
après une délibération, trouva l’opinion de Monsieur Tempié ni juste, ni fondée562 en vertu de
l’article 9 du décret de l’Assemblée Nationale du mardi 4 août 1789.
La fin de ce courrier démontre parfaitement l’impuissance des divers commissaires
ordonnateurs et intendants du pouvoir royal face aux autorités locales, parfois illégitimes,
mais jouissant d’une image salvatrice parmi la population. Voici ce qu’écrit Monsieur Tempié
au ministre, certain de sa défaite face au comité et conscient des troubles qui se préparaient :
« Jamais, M[onsei]g[neu]r, on m’a fait une interpretation pareille, en discutant sur un
privilège attaché à des fonctions aussi Journalieres, aussi actives et aux quelles le bien du
Commerce et du Service est attaché ; mais la voix du grand nombre peut devenir, dans la
circonstance, une autorité, à laquelle je pressois que je serai obligé de souscrire. Le
Désagrément attaché à cette discution tient beaucoup à la Sensibilité naturelle, et à cet Egard la
marine est on ne peut plus délicate : veuillez bien M[onsei]g[neu]r m’honorer de vos ordres,
aux quels je suis pret de me conformer563. »
562 Ibidem. « C’est d’après une délibération, que le S[ieur] Baittif, procureur au Siège, qui en est President, m’a ecrit la lettre dont [j’]en ai joint copie, par laquelle le comité, en Séllissant [sic] à l’article 9 du décret de l’assemblée nationale du 4 août, dont voici les premiers mots // Le privilége Pécuniaire & personnel ou réel en matière de Subsides, sont abolis à Jamais //, trouve mon opinion ni juste ni fondée ». 563 Ibidem.
133
Conclusion
« Vous êtes appelé par la Providence à régner. Tant que vous régnerez par vous-même,
vous êtes en droit de lui demander toutes les lumières. Mais si ce sont des favoris ou des
ministres, ou la majorité, ou même l’unanimité d’un conseil qui font tout dans votre Royaume,
alors ce n’est plus vous qui régnez et la Providence ne vous doit plus rien… Sans doute, vous
ne pourrez pas tout savoir ; aussi aurez-vous un Conseil ; consultez-en les membres, mais
souvenez-vous qu’aucun d’eux n’est Roi, que c’est vous qui l’êtes et que tout doit rouler sur
votre tête. Lors donc que vous aurez appris ce que vous pensiez ne pas savoir, prononcer,
décidez en Roi, votre opinion fût-elle contraire à celle de tous564. »
Le mercredi 14 septembre 1791, le Secrétaire d’État de la Marine, Monsieur
Thévenard, informait l’intendant de Brest de l’acceptation, par le Roi, de la Constitution. Ce
moment solennel devait, selon lui « être l’époque du retour de l’ordre et de la paix565 ». Cet
acte annonçait l’avènement d’un nouveau régime, au sein duquel les anciennes institutions
n’avaient plus leur place566. Toute une nouvelle organisation se mit en place, tant au niveau
militaire567 que civil. L’intendant prit ainsi le titre d’ordonnateur civil, à cause du « peu de
faveur dont le titre [d’]Intendant jouit dans toute la France à Brest surtout568 ».
L’intendant de la Marine de Brest devenait un citoyen parmi les autres et ses pouvoirs
ne lui assuraient plus aucune protection, comme le montre ce courrier du vendredi 12 août
1791 :
« J’ai reçû, Monsieur, votre lettre du 1er de ce mois et je vous adresse une copie de la
réponse que je fais au S[ieur] Chambault : vous y connoîtrez l’opinion que j’ai prise de votre
justice en cette occasion.
Je crois devoir vous engager cependant, autant pour vous que pour le bien du Service,
à saisir le premier moyen de conciliation qui pourra se présenter. Je pense que vous devez
envisager sans crainte les poursuites que le S[ieur] Chambault me marque être décidé à
intenter contre vous ; mais vous sentez que dans les circonstances actuelles, ce fournisseur
564 MONTJOYE, Éloge historique du P. Berthier, Paris, 1818, p. 99-101, cité par HAVARD Oscar, op. cit. p. 8-9. 565 AM Brest, 1 E 241, f° 637-649 (14 septembre 1791). « Sa Majesté vient de consacrer solennellement cette acceptation dans le sein de l’Assemblée Nationale, au milieu des applaudissements et de l’allégresse universelle. Je m’empresse, M[essieurs] de vous apprendre ce grand événement, qui doit être l’époque du retour de l’ordre et de la paix ». 566 Voir, pour la suppression de la charge des Baillis de la Sénéchaussée « par les dernieres loix » , AM Brest, 1 E 560, f° 45 v° (25 mai 1792). 567 Voir, pour la nouvelle organisation militaire du port de Brest, AM Brest, 1 E 241, f° 377-381 (15 août 1791). 568 AM Brest, 1 E 560, f° 3 (31 octobre 1791). « Le peu de faveur dont le titre Intendant jouit dans toute la France et à Brest surtout ; l’affectation avec laquelle toutes les Classes des Citoyens et les diverses Administration y ont substituée à lui consacré par la Loi ; la sanction qu’y a donné le Roi, et plus que toutes ces raisons, le désir de conserver la bienveillance publique et de ne pas l’affoiblir pour si peu de chose, m’avoit fait adresser à un veu qui me paroissoit général et sans conséquence ; mais je vous prie de croire qu’en prenant cette qualification il étoit à mille lieux de ma pensée de pretendre me faire un nouveau titre pour conserver une place sont il n’est pas probable qu’on veuille me dépouiller ».
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trouvera facilement des gens prêts à seconder son ressentiment, et qu’il est préférable, même
avec la certitude du succès, d’éviter de semblables contestations569. »
Cette lettre résume parfaitement la situation dans laquelle se trouve Monsieur Redon
de Beaupréau à cette époque. Représentant de l’autorité monarchique centrale, le moindre
écart pourrait lui valoir de nombreux ennemis. Il est aussi intéressant de remarquer que ce
courrier demeure le seul, au sein de l’ensemble du fonds étudié, qui évoque la possibilité d’un
procès contre l’intendant. Est-ce dû à la perte de certains registres d’envoi de l’intendant, ou
cela est-il dû à sa perte de contrôle ? La seconde hypothèse semble la plus plausible, au vu de
l’étude réalisée et de cette réflexion de Monsieur Julien Jullien, concernant l’état de la ville de
Brest, le 22 Nivôse An II570 :
« Le port de Brest est un des premiers ports de la République, Sa population est une
colonie composée d’habitants de tous les coins de la France, entre lesquels il regne peu
d’union et de fraternité ; l’Egoisme et l’interet personnel les agitent ; il n’y manque cependant
pas de patriotes, mais ils sont si clairsemés et ont si peu de moyens que leurs efforts
s’anihilleront au lieu de s’augmenter. Nous approchons sans doute du moment ou doivent se
porter de grands coups ; une force imposante et bien dirigée va vientot répondre de la sureté de
la ville et les conspirateurs subalternes vont encore se facher avec soin ; les patriotes timides
doivent donc quitter cette muttité coupable, seconder les montagnards et designer les abus sur
lesquels il peut frapper, car il en existe beaucoup. La mauvaise volonté s’unit à la malveillance
pour detruire l’effet du bien, et à portée comme je le suis de connaitre quelques détails, je vois
avec douleur que tous savent esquiver la loi et beaucoup se soustraire à la Punition qu’ils
encourent571. »
L’Assemblée Nationale élabora, par la suite, de nombreux décrets, dont le premier, le
Décret relatif à l’administration de la Marine, du [mercredi] 21 septembre 1791, Sanctionné
le [mercredi] 28, unifia l’autorité militaire portuaire en un ordonnateur secondé par des chefs
d’administration, réduisant le commandant des armes à un rôle de représentation et de
discipline, préfigurant les préfets maritimes bonapartiens572.
Malheureusement, tous ces changements n’amenèrent ni à Brest, ni à la France, le
retour tant attendu de l’ordre et de la paix, avant le début du XIXe siècle.
569 AM Brest, 1 E 241, f° 341 (12 août 1791). 570 11 janvier 1794. 571 AM Brest, M 169, f° 51 (22 Nivôse An II). 572 BERBOUCHE A., op. cit., p. 204-213.
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Ministres de Louis XVI
���� CASTRIES, Charles-Eugène-Gabriel, DE LA CROIX, marquis de. Maréchal de France, né en 1727, mort à Wolfenbüttel, le 11 janvier 1801. Il était, à l’âge de seize ans, lieutenant au régiment du roi, infanterie. Dans les campagnes de Flandre, il commanda le régiment du roi, cavalerie, où il était alors mestre de camps. Il était maréchal lorsqu’il commanda en Corse (1756). Il passa ensuite à l’armée d’Allemagne, et fut blessé à la bataille de Rosbach. Ses services dans la campagne de 1758 le firent nommer lieutenant général ; l’année suivante, il se trouva à la bataille de Minden, comme mestre de camps général de la cavalerie. Il servit encore en Allemagne en 1760, s’y distingua de nouveau, fut chargé de commander sur le bas Rhin, remporta sur les ennemis la victoire de Clostercamp, et les força de lever le siège de Wesel. Le prince héréditaire de Brunswick commandait l’armée ennemie. Cette action importante fit beaucoup d’honneur au marquis de Castries, qui fut nommé chevalier des ordres du roi, et continua de servir avec éclat dans les campagnes de 1761 et 1762. Il fut depuis nommé commandant en chef de la gendarmerie, gouverneur général de la Flandre et du Hainaut, ministre de la marine en 1780, et maréchal de France en 1783. Au commencement de la révolution, il sortit de France, et chercha un refuge auprès du duc de Brunswick, qu’il avait jadis combattu. Il commandait, en 1792, une division de l’armée des princes, lorsque les étrangers envahirent la Champagne. Il mourut le 11 janvier 1801 à Wolfenbüttel, à l’âge de 73 ans. Il fut enterré à Brunswick, où le duc fit élever un monument en l’honneur de son vainqueur à Clostercamp.
���� FLEURIEU, Charles-Pierres Claret, comte de.
Marin, savant et homme d’État français, né à Lyon, le 22 janvier 1738, mort à Paris, le 18 août 1810. Dès l’âge de quatorze ans, il entra dans la marine. Après la guerre de Sept Ans, à laquelle il participa activement, il se livra à l’étude théorique des sciences nautiques avec un zèle et un succès dont les premières preuves sont consignées dans un Mémoire sur la construction des navires. Ce Mémoire, qui lui mérita son admission à l’Académie de Lyon, présente les règles de l’équilibre des corps flottants, des calculs sur l’impulsion du vent, le sillage, la mâture, la forme de la carène, le mécanisme de l’action du gouvernail, etc.
Le problème des longitudes occupait alors les savants français et étrangers. Fleurieu pouvait d’autant moins rester indifférent au mouvement général des esprits qu’il s’intéressait au plus haut degré la profession à laquelle il était voué. Porté par ses goûts vers la mécanique plutôt que vers l’analyse et le calcul, il avait conçu l’idée d’une montre marine, presque invariable, qui devait, pendant une longue traversée, indiquer exactement l’heure constatée au moment du départ, ce qui est la grande moitié du problème, puisqu’il n’y a plus alors qu’à déterminer l’heure du vaisseau, toujours obtenue par l’astronomie avec la plus grande facilité et une exactitude suffisante. Mandé à Paris par Monsieur de Choiseul, il travailla avec Berthoud, qui l’initia aux pratiques de son art. Promptement formé par les leçons de cet habile maître, il fit lui-même toutes les pièces d’une pendule à secondes, qui pendant quarante ans n’avait rien perdu de sa régularité, et dont il suivit la marche jusqu’à ses derniers moments. De la communauté des idées et de travaux qui s’était établie entre Fleurieu et Berthoud résulta pour le premier la conviction que les procédés du second devaient obtenir la préférence sur ceux de ses devanciers. Cette conviction, il l’exprima dans un mémoire qu’il publia sous le titre d’Examen critique d’un mémoire publié par M. Leroy, horloger du roi, sur l’épreuve des horloges propres à déterminer les longitudes en mer, et sur les principes de leur construction ;
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Londres et Paris, in-4°. Ce mémoire était une réfutation de celui de Leroy, intitulé : Exposé succinct des travaux de Harrison et de Leroy dans la recherche des longitudes en mer, et des épreuves faites de leurs ouvrages ; Paris, 1767, in-4°. Fleurieu comprit promptement qu’une expérience des procédés de Berthoud en démontrerait bien mieux la supériorité. Berthoud désirait aussi une épreuve de ses horloges. Elle eut lieu pendant la campagne de la frégate L’Isis, dont le commandement fut confié à Fleurieu, quoiqu’il ne fût encore qu’enseigne.
Après avoir passé près de trois mois à faire des épreuves à Rochefort et à l’île d’Aix, L’Isis partit au commencement de février 1769, relâcha à Cadix, aux Canaries, à Gorée, aux îles du Cap-Vert, aux Antilles, à Saint-Domingue, au banc de Terre-Neuve, fit le tour de l’océan Atlantique, et, après avoir de nouveau relâché aux Canaries, à Madère et à Cadix, elle était de retour en France le 11 octobre 1769, ayant ainsi voyagé sous des latitudes diverses, ce qui rendit les expériences concluantes. Le succès dépassa les espérances de Fleurieu. Il ne s’était pas borné à s’assurer de la bonté intrinsèques des instruments ; il les avait fait servir à déterminer ou à rectifier un grand nombre de points, omis ou mal indiqués sur les cartes, de parages très fréquentés, tels que la côte d’Afrique, les Canaries, le Cap-Vert, les Antilles, l’océan Atlantique, etc. Ce fut alors qu’il publia l’ensemble de ces travaux sous le titre de : Voyage fait par ordre du roi, en 1768 et 1769, à différentes parties du monde, pour éprouver en mer les horloges marines inventées par M. Ferdinand Berthoud, etc. ; Paris, imp. roy., 1773, 2 vol. in-4°, avec pl.
Fleurieu avait rassemblé une riche collection de cartes ; il se disposa à faire une histoire critique et raisonnée de la navigation. Il préluda à ce travail en révisant la traduction que Demennier publia en 1775 du Voyage de Phipps au pôle boréal. Il était parvenu au grade de capitaine de vaisseau ; pour se livrer complètement à ses travaux, il offrit sa démission ; mais le roi créa en faveur du savant marin (1776) la place de directeur général des ports et arsenaux. Dès son entrée en fonctions, il eut à s’occuper de la rédaction de l’ordonnance du 17 septembre 1776, ordonnance qui eut entre autres inconvénients de convertir les officiers de vaisseau en ingénieurs, au détriment de leurs fonctions naturelles. Il prouva bientôt qu’il était meilleur stratège qu’administrateur. Tous les plans des opérations navales, de 1778 à 1783, furent tracés par lui, et à en juger par les seules instructions, en entier de sa main, et qui existent dans les archives du port de Brest, on peut dire, sans exagération, qu’il guida les commandants de nos escadres, et que si ses instructions, où toutes les éventualités étaient prévues, avaient été scrupuleusement suivies, le succès aurait été plus complètement obtenu. La sagacité, la clarté, la précision qui forment le caractère de ces instructions se retrouvent dans celles qu’il rédigea ensuite pour les expéditions de La Pérouse et de D’Entrecasteaux. Louis XVI a bien pu, comme on l’a dit, indiquer le plan général de ces deux entreprises ; mais il y a loin de cette donnée vague à l’itinéraire précis tracé par Fleurieu, itinéraire qu’il compléta, d’abord par ses Notes géographiques et historiques imprimées en tête du voyage de La Pérouse, après le Mémoire d’instruction, ensuite par les indications tirées de sa carte du grand Océan Atlantique, publié en 1776. Les Notes, qui n’embrassent pas moins de 93 pages in-4°, résument avec une parfaite lucidité les explorations faites ou à faire dans l’Océan Méridional, le grand Océan Austral, le grand Océan Équatorial et le grand Océan Boréal.
Depuis la paix, Fleurieu avait repris ses travaux historiques, et il les avait assez avancés pour avoir pu présenter à l’Académie des Sciences, le 24 avril 1790, le prospectus de son ouvrage intitulé : Découvertes des Français en 1763 et 1769 dans le sud-est de la Nouvelle-Guinée, et reconnaissance postérieure des mêmes terres par des navigateurs anglais qui leur ont imposé de nouveaux noms ; précédées de l’abrégé historique des navigations et des découvertes des Espagnols dans les mêmes parages ; Paris, imp. roy., 1790, in-4°, avec 12 cartes. Le but principal de cet ouvrage était d’assurer les droits de Bougainville et de Surville contre les prétentions ou les usurpations de quelques navigateurs anglais. Un chef d’œuvre de discussion est le chapitre où Fleurieu démontre que les îles Salomon,
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découverte en 1567 par Mendana, sont absolument les mêmes que celles découvertes par Carteret en 1767, par Bougainville en 1768, et par Shortland en 1788. L’exactitude de ses assertions a été démontrée lorsque D’Entrecasteaux, dans son voyage à la recherche de La Pérouse, a constaté que la Carte systématique dressée par Fleurieu à l’appui de sa discussion était conforme pour les points principaux à la situation des lieux. Le succès de l’ouvrage fut grand et légitime, non-seulement en France, mais encore en Angleterre, où l’auteur trouva un traducteur impartial.
Fleurieu fut appelé au ministère de la marine le 27 octobre 1790. Les sept mois qu’il y passa furent pour lui une pénible épreuve. L’esprit d’insurrection qui s’était propagé dans les équipages et dans les colonies, la désorganisation des divers corps de marine, lui faisaient une position d’autant plus difficile, à lui, homme honnête, mais timide, que l’Assemblée constituante ne le soutenait pas, ou, plus souvent, prenait parti contre lui. Une circonstance fâcheuse le détermina à se démettre (17 mai 1791). Un des commis de son ministère le dénonça comme ayant ordonnancé, pour le premier semestre de 1791, le payement des appointements des directeurs généraux et intendants supprimés à compter du 1er janvier de cette année. Fleurieu avait signé de confiance. Signalé comme volontairement coupable d’infraction aux décrets de l’Assemblée, qui ordonna la restitution des sommes payées, il démontra sa loyauté dans l’écrit qu’il publia sous le titre de : Précis de l’affaire relative à la dénonciation de Fleurieu, ministre de la marine, par un commis de la marine ; Paris, 1791, in-8°. « S’il ne s’agissait que de sacrifice de ma part, » dit-il dans une lettre qu’il écrivit au roi en se retirant, « mon dévouement pour la personne de votre majesté, mon amour du bien public me les rendraient faciles. Mais quand on a mesuré ses moyens, et qu’on les trouve insuffisants, on doit imposer à son zèle et se rendre justice ». Louis XVI savait que cette assurance de dévouement n’était point une formule banale. Aussi, quand il eut à faire un choix de gouverneur du dauphin, jeta-t-il les yeux sur son ancien ministre, et écrivit-il à l’Assemblée, le 18 avril 1792, que son choix s’était porté sur Fleurieu, « en raison de sa probité, de ses lumières et de son dévouement à la constitution ». Les événements qui survinrent ne lui permirent de remplir ses fonctions que pendant quelques mois. Sous la terreur, Fleurieu fut emprisonné quatorze mois aux Madelonnettes, où Mme de Fleurieu partagea volontairement sa captivité jusqu’au 9 thermidor. Rendu à la liberté, et appelé à faire partie de l’Institut et du Bureau des Longitudes, Fleurieu put reprendre ses travaux de prédilections, dont il ne fut détourné que par sa courte apparition au Conseil des Anciens, où les électeurs de Paris l’envoyèrent sous le nom de Claret-Fleurieu, en 1797.
���� LA LUZERNE, César-Henri, Comte de.
Homme politique français, né en 1737, à Paris, mort le 24 mars 1799, aux environs de Wells, en Autriche. Issu d’une ancienne famille de Normandie, et neveu de Malesherbes par sa mère, il embrassa la carrière des armes, parvint au grade de lieutenant général, et fut envoyé en 1786 aux Iles sous le Vent en qualité de gouverneur. Au mois d’octobre 1787, il fut appelé au ministère de la marine, donna sa démission, en même temps que tous ses collègues, lors du renvoi de Necker (12 juillet 1789) ; peu de temps après il céda aux instances du roi, et reprit son portefeuille. Mais, son administration ayant été à l’Assemblée Nationale l’objet des attaques les plus vives et malheureusement aussi les mieux justifiées, il fut forcé de se retirer (20 octobre 1790). L’année suivante, il passa en Angleterre pour assister aux derniers moments de son frère, le chevalier Anne-César de la Luzerne, qui était ambassadeur à Londres, resta quelques temps dans le pays, et s’établit ensuite en Autriche.
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���� MONTBAREY, Alexandre-Marie-Léonor de SAINT-MAURIS, comte, puis prince De.
Ministre français, né le 20 avril 1732, à Besançon, mort le 5 mai 1796, à Constance. Issu d’une famille ancienne originaire de la ville de Saint-Mauris, dans le Valais, il était le fils unique d’un lieutenant général, mort en 1749 ; sa mère, petite-fille du maréchal du Bourg, fut empoisonnée en couches par une garde malade, pressée de s’approprier ses dépouilles. Placé au collège des Jésuites à Paris, il en sortit à douze ans « sachant un peu lire et écrire » ; plus tard le goût de la lecture, secondé par une mémoire prodigieuse, suppléa largement à ce défaut d’éducation première. Nommé enseigne au régiment de Lorraine (1744), puis capitaine (1745), il fit les campagnes d’Allemagne et de Flandre, et reçut de légères blessures au siège de Fribourg et à la bataille de Laufeld. La mort de son père le laissa maître à dix-sept ans d’une fortune considérable. Il se livra dès lors sans mesure à la passion du jeu et des femmes, et continua de mener cette vie de plaisir longtemps encore après son mariage avec une demoiselle de la maison de Mailly (1753), sans s’écarter néanmoins des règles de la décence extérieure. « Ma santé, dit-il, aurait peut-être souffert si je m’étais conduit autrement. Je dois ajouter que mes écarts n’eurent d’autres suites fâcheuses pour moi que la naissance de quelques enfants illégitimes ». Après avoir servi depuis 1749 aux grenadiers de France, il obtint en 1758 le titre de colonel et commanda en cette qualité le régiment de la Couronne, à la tête duquel il se distingua à la bataille de Creveldt. Son crédit à la cour et aussi sa bravoure le firent comprendre, malgré sa jeunesse, au nombre des maréchaux de camp dans la promotion du 20 février 1761. Il continua de servir en Allemagne, dans l’armée du maréchal de Broglie, jusqu’en 1762. Dans cette dernière campagne, il enleva au prince Ferdinand de Brunswick six pièces de canon, dont le roi lui fit présent et qui ornèrent l’avenue de son château de Ruffey, en Franche-Comté. Chargé d’exécuter dans le nord l’ordonnance provisoire de 1764, relative à une nouvelle formation des troupes, il s’acquitta avec tant de promptitude et d’habileté de cette difficile mission, que le duc de Choiseul, alors ministre, « s’engoua de lui et le prôna mille fois plus qu’il ne le méritait ». Homme de cour avant tout, de formes agréables, d’une physionomie heureuse et d’une commerce sûr, M. de Montbarey se tint à l’écart des coteries et des cabales et ne fréquenta que les gens assez haut placés pour servir son ambition ; les princes, le duc d’Orléans, MM. de Choiseul et de Maurepas devinrent ses protecteurs. Sa « bonne étoile », sur laquelle il comptait beaucoup, fit le reste. Employé presque tous les ans à inspecter l’infanterie, il eut la charge de capitaine-colonel des Suisses du comte de Provence lorsqu’en 1771 on forma la maison militaire de ce prince. En 1774, il obtint de la cour de Vienne le titre de prince du Saint-Empire, titre qui lui coûta 100.000 francs, et en 1780, celui de grand d’Espagne de la cour de Madrid. Du roi Louis XVI, il reçut le collier des ordres (1er janvier 1778), un hôtel à l’Arsenal, le grade de lieutenant général (1er mars 1780), 200.000 francs pour doter sa fille, et la grande préfecture d’Haguenau (1788). Fort peu de temps après avoir été appelé au département de la guerre, le comte de Saint-Germain, qui sentait son isolement au milieu de la cour, le choisit comme adjoint ; la place de directeur de la guerre fut créée pour M. de Montbarey (1776) qui, au mois d’avril 1777, eut l’adresse de la faire convertir en celle de secrétaire d’État adjoint avec l’entrée au conseil des dépêches. Il ne tarda pas à prendre lui-même le portefeuille de la guerre (27 septembre 1777) et, soutenu par le crédit de M. de Maurepas, il se maintint au pouvoir malgré l’hostilité déclaré du parti qui s’agitait autour de la reine. Bien qu’il eût été contraire à la réforme de la maison militaire du roi, il ne désapprouvait pas entièrement les projets du comte de Saint-Germain ; il se contenta de les modifier ; mais sa prudence passa pour de l’irrésolution et sa douceur pour de la faiblesse. Il s’opposa à la déclaration de guerre à l’Angleterre, et fit ressortir avec justesse le danger pour une monarchie absolue d’encourager l’insurrection des colonies d’Amériques. Contrarié dans ses vues par Necker, de Vergennes, le maréchal de
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Broglie et surtout l’entourage de la reine, il ne fit à peu près rien au ministère, et donna sa démission le 17 décembre 1780. Parmi les nombreux mémoires qu’il remit au roi à cette époque, il y en avait un, où il indiquait un moyen de combler le déficit des finances par la suppression successives de beaucoup d’emplois inutiles ; le roi l’abandonna sur cette question, et ce fut le motif de sa retraite. Il habitait l’Arsenal lors de la prise de la Bastille par le peuple (14 juillet 1789). Sur un faux avis qu’on allait mettre le feu aux poudres qui se trouvaient dans cette forteresse, il s’empressa de quitter son hôtel, fut arrêté en route par des insurgé, qui le prenait pour le gouverneur de la Bastille, et aurait été massacré sans l’intervention courageuse du commandant de La Salle. Le 19 août suivant il se retira avec sa femme au château de Ruffey, et de là à Besançon. AU mois de juin 1791, il s’enfuit à Neufchâtel ; chassé de ce canton avec tous les Français émigrés par l’arrêté du 25 janvier 1795, il alla s’établir à Constance, où il mourut, dans un état voisin de la gêne. On a de lui des Mémoires (Paris, 1826-1827, 3 vol. in-8°), rédigés en 1792, et qui contiennent, au milieu des redites fatigantes, d’inexactitudes et de détails oiseux, des renseignements intéressants sur les intrigues et les personnages de la cour de Louis XV et de Louis XVI.
���� SARTINE, Antoine-Raymond-Jean-Gualbert-Gabriel de, comte d’Alby. Homme d’État français, né à Barcelone, le 12 juillet 1729, mort à Tarragone, le 7 septembre 1801. D’abord conseiller au Châtelet (15 avril 1752), puis lieutenant-criminel au même siège (12 avril 1755), il fut nommé lieutenant général de police le 1er décembre 1759. Il exerça cette charge jusqu’en 1774, où il fut remplacé par Lenoir ; et signala son administration par une activité, un zèle, un tact, une habileté, dont peu de magistrats avaient fait preuve avant lui. Il veilla soigneusement à la propreté des rues et à la sécurité des habitants, et remplaça par des lanternes à réverbères les anciennes lanternes qui éclairaient si mal Paris ; il coopéra à la construction de la halle au blé, et ouvrit une école gratuite de dessin pour les ouvriers. C’est de lui que date l’établissement des maisons de jeu, mesure depuis longtemps réclamée, qui amena la fermeture d’un très-grand nombre de tripots clandestins, et qu’il ne faut pas juger avec les idées que les mœurs différentes ont données à notre époque. Sartine organisa la lieutenance générale de police de telle façon que rien ne lui échappait ; il tirait de la surveillance secrète, exercée avec une extrême adresse, des lumières sur les choses les plus cachées ; on citait, de son temps, des exemples nombreux de sa perspicacité et de sa prévoyance573 ; aussi, les Parisiens avaient-ils en lui une confiance entière, et plus d’une fois des ministres de souverains étrangers lui demandèrent-ils de l’aide dans des recherches difficiles. Manuel, dans sa Police dévoilée, lui reproche d’avoir abusé de sa situation pour faire espionner de l’intérieur des familles et récolter ainsi de petits scandales, dont il régalait le roi et sa maîtresse ; mais cette accusation, très-conforme d’ailleurs aux mœurs de la cour de Louis XV, est appuyée sur des documents dont la véracité est loin d’être prouvée. Sartine, conseiller d’État depuis le 5 octobre 1767, fut appelé au ministère de la marine le 24 août 1774 et entra au conseil comme ministère d’État en 1775. A défaut de connaissances spéciales, il avait la connaissance des hommes, de la vigilance et une application suivie à son œuvre ; en un mot, il était administrateur. Nonobstant les soins vigilants donnés depuis la paix de 1763, sous les ministères de Choiseul et de Praslin, au rétablissement de la marine, il restait beaucoup à faire. Bientôt l’approche des hostilités en Amérique, qui éclatèrent en 1778, rendit
573 Le trait suivant est resté célèbre. Pupil de Myons, premier président à Lyon, fort lié avec Sartine, prétendit devant lui qu’il pourrait venir à Paris et y séjourner plusieurs jours, sans qu’on en fût informé. Le lieutenant général soutint le contraire, et offrit une gageure qui fut acceptée. Quelques mois plus tard, Pupil de Myons partit précipitamment de Lyon, courut jour et nuit, arriva à Paris à onze heure du matin, et alla loger dans un quartier fort éloigné de celui qu’il habitait ordinairement. A midi précis, il reçut un billet de la part de Sartine, qui l’engageait à venir dîner ce jour-là chez lui. Il s’y rendit, et convint qu’il avait perdu la gageure.
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plus urgent l’accroissement de la flotte. Les constructions furent poussées avec une vigueur dont il y avait eu jusqu’alors peu d’exemples dans la marine française : en une seule année on construisit et on mit en état de naviguer neuf vaisseaux de ligne. Mais si Sartine fut utile pour relever nos forces navales, il ne sut pas les diriger ; il avait créé un instrument dont il ne pouvait se servir. Ce n’est pourtant pas cette raison qui amena sa disgrâce, mais la haine qu’il portait à son collègue Necker, et qu’il poussait à outrance, l’accusant d’être vendu à l’Angleterre. Necker, craignant la faiblesse du roi, profita de ce que Sartine avait, par une anticipation constituant une irrégularité de comptabilité, dépassé de vingt millions de francs les fonds extraordinaires accordés au département de la marine ; il demanda et obtint son renvoi, le 14 octobre 1780. Sartine écrivit sa défense, véritable pamphlet, qui ne parvint pas à le justifier. On fit alors courir contre lui de nombreuses épigrammes, parmi lesquelles on a distinguées celle-ci :
J’ai balayé Paris avec un soin extrême, Et voulant sur les mers balayer les Anglais,
J’ai vendu si cher mes balais, Que l’on m’a balayé moi-même.
Cependant, Sartine put se rire des méchancetés du public, puisqu’il eut, en se retirant,
une gratification de 150.000 francs et une pension de 70.000. Au commencement de la révolution, cédant aux instances de ses amis, qui craignaient pour sa sécurité, il se retira en Espagne, et y termina ses jours. Vigié a peint son portrait : c’est une physionomie sévère, où l’on devine quelque violence sous la gravité du magistrat.
���� THÉVENARD, Antoine-Jean-Marie, comte. Marin français, né à Saint-Malo, le 7 décembre 1733, mort à Paris, le 9 février 1815. Fils d’un capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes, il entra dans la marine à l’âge de quatorze ans, monta sur le vaisseau le Neptune, que commandait son père, et assista aux trois combats que ce bâtiment eut à soutenir en moins de six mois. Lieutenant en 1754, il eut sous ses ordres une patache d’armée, et fut chargé d’aller détruire les établissements des Esquimaux, à la côte nord de Terre-Neuve, mission dont il s’acquitta avec un succès complet. Il étudia ensuite l’art des constructions navales, et y fit de tels progrès que l’ingénieur Groignard le chargea de diriger, en 1757, la construction des frégates qu’il faisait mettre alors sur les chantiers de Saint-Malo. C’est Thévenard qui donna le plan des deux premières canonnières faites en France ; il en eut le commandement, protégea le commerce sur les côtes de la Manche, et captura plusieurs corsaires de Guernesey. En 1767, il fut nommé capitaine de vaisseau par la Compagnie des Indes, et deux ans plus tard il entra dans la marine royale en qualité de capitaine de port. Promu capitaine de frégate en 1770, il devint capitaine de vaisseau et chevalier de Saint-Louis en 1773, brigadier des armées navales en 1782, chef d’escadre en 1784, et vice-amiral en 1792. Officier aussi instruit que laborieux, de savants mémoires lui avaient valu, en 1773, d’être appelé dans l’Académie royale de marine, puis il était devenu correspondant de l’Académie des sciences en 1778, et membre titulaire en 1785. Partisan des réformes politiques opérées par l’Assemblées constituante, il fut du petit nombre des officiers de marine qui ne quittèrent point la France à cette époque, et, le 16 mai 1791, Louis XVI l’appela au ministère de la marine, en remplacement de Fleurieu. Il résigna ses fonctions le 17 septembre suivant, et reçut alors le commandement du port de Brest. En 1792, il eut le même emploi à Toulon, et bientôt après à Rochefort. Préfet maritime à Toulon en 1801, il entra au sénat en 1810, et fut créé comte. Enfin, le 4 juin 1814, Louis XVIII le comprit dans la première nomination des pairs.
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Intendants de la Marine du port de Brest (1780/1790)
���� GUILLOT, Frédéric-Joseph. Né à Versailles le 17 juin 1736, mort le 31 mai 1813. Commissaire général de Saint-
Malo (1779) et ordonnateur à Bordeaux (1781). Intendant de la marine à Brest (1781-1785), il reprit du service comme commissaire-général à Saint-Malo (1789) et ordonnateur civil à Cayenne (1792). Rappelé de France, il fut fait prisonnier par les Anglais (1793).
���� LA PORTE, Arnaud de. Homme d’État français, né à Versailles en 14 octobre 1737 et guillotiné à Paris, le 28
août 1792. Intendant de la Marine de Brest, il se retira pour cause de santé (voir pour exemple 1 E 206, f° 719 (20 septembre 1782) : « les douleurs étoient moins vives, mais que la fievre et l’insomnie subsistoient toujours »). Il fit carrière dans la fonction administrative, et lorsque la Révolution éclata, il remplissait les fonctions d’intendant de la Marine à Toulon. Quoique timide et modéré, il se déclara ouvertement contre les nouveaux principes. Louis XVI le nomma, en 1790, intendant de la liste civile. Il devint alors un des conseillers intimes de la reine, qui lui confia les missions les plus secrètes.
���� REDON DE BEAUPRÉAU, Jean Claude. Né en 1737, il était commissaire général à Rochefort, lorsqu’il fut nommé intendant à
Brest, où il en exerça les fonctions jusqu’au 23 octobre 1792. Maintenu comme ordonnateur par l’organisation de ce jour, il fut destitué par arrêté du comité du salut public du 23 août 1793. Incarcéré, il ne recouvra la liberté qu’après le 9 thermidor, et fut nommé agent maritime par arrêté des représentants du peuple. Il mourut à Paris le 5 février 1815.
Autres autorités du port de Brest
���� De Bergevin, Pierre-Marie. Écuyer, né à Brest le 2 janvier 1750, il fut conseiller et procureur du Roi en la sénéchaussée de Brest et Saint-Renan, administrateur du Finistère, guillotiné à Brest, le 22 mai 1794. Il avait épousé Anne-Marie-Josèphe Le Hir (fille de François Le Hir, sieur de Kerambellec et de Marie-Josèphe Prévost), née au Conquet en 1766 et morte à Brest le 22 avril 1849
���� DIJON, Jean-Lazare Gauvenet (1737- ?). Il fut un inspecteur de police à Paris, en 1775. Probablement détaché à Brest comme
adjoint du Sieur BUHOT, à partir de 1779, il resta inspecteur de police de Paris jusqu’après-guerre. Il vendra son office parisien en 1785 afin de se consacrer à sa commission brestoise. Il se retira définitivement de Brest vers 1788/1789. Voir AM Brest, 1 E 221, f°483-485 (26 juin 1785).
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���� HECTOR, Charles-Jean, comte d’ (1722-1808). Officier français, commandant de la Marine à Brest, il y prépara les escadres de la
guerre d’Amérique et reçut Louis XVI à Cherbourg (1786). Conseiller de Castries, il lui inspira les grandes réformes de 1786. Très estimé des Anglais et en butte aux émeutes révolutionnaires (1789-1792), il émigra en Coblence puis en Angleterre (1794) et organisa le débarquement de Quiberon. Il mourut en émigration.
���� Langeron, Andrault, comte de (1763-1831). Général russe d’origine française, né à Paris, le 13 janvier 1763, mort le 4 juillet 1831. Il entra comme sous-lieutenant dans le régiment de Bourbonnais, et s’embarqua en 1782 sur L’Aiyle, qui devait le conduire en Amérique. En arrivant dans ce pays, cette frégate soutint un combat contre le vaisseau anglais L’Hector, et s’échoua dans le Delaware. Langeron put rejoindre les troupes alliées, et il fit la campagne de 1783 sous les ordres de Viomesnil. La paix ayant été signée, il revint en France, fut nommé capitaine au régiment de Condé dragons, colonel en second du régiment de Médoc en 1786, et colonel surnuméraire du régiment d’Armagnac en 1788. Il émigra à la révolution, et sollicita vainement du service dans l’armée autrichienne ; il fut plus heureux du côté de la Russie, et au mois de mai 1790, il partit pour Saint-Pétersbourg. Chargé du commandement d’une division de chaloupes canonnières, sous les ordres du prince de Nassau, dans la Baltique, il se signala dans plusieurs combats. La pais ayant été faite avec la Suède, Langeron se rendit en Bessarabie, à l’armée du prince Potemkin. Le 21 décembre 1790, il tenta l’assaut d’Ismaïl, à la tête d’un bataillon de chasseurs de Livonie, après avoir traversé le Danube sous le feu de l’ennemi. Rejeté dans le fleuve, il fut blessé à la jambe, et reçut pour ce fait d’armes une épée avec cette inscription : A la bravoure ! En mai 1791, il servit sous Repnin, en Moldavie, comme colonel, et se signala à Matchin. En1792, il entra en qualité de volontaire dans l’armée du prince de Saxe-Teschen, qui opérait dans les Pays-Bas. Au mois de septembre, il fit avec les princes et l’armée du duc de Brunswick la campagne de Champagne. Cette armée ayant été forcée de se retirer, Langeron retourna à Saint-Pétersbourg, d’où il revint avec le duc de Richelieu dans les Pays-Bas, et servit dans l’armée autrichienne, commandée par le prince de Saxe-Cobourg. Il se trouva aux batailles de Maubeuge, de Landrecies, de Lannoy, de Turcoing, de Tournay, et du camp de César, au combat de Rosendael, aux sièges de Valenciennes, du Queesnoy et de Wattignies. Les autrichiens ayant aussi été forcés à la retraite, Langeron retourna encore à Saint-Pétersbourg, et reçut le commandement du régiment de grenadiers de la Petite-RussiePromu brigadier en 1796, général major en 1797, et lieutenant général en 1799, il fut employé dans la Courlande et la Samogitie. L’empereur Paul Ier le nomma inspecteur d’infanterie et comte de l’empire. En 1805, Langeron vint rejoindre Kutusif, et commanda une division de l’armée russe à Austerlitz. Sa division, qui devait tourner l’armée française, se trouva rejetée sur un lac glacé, et périt presque tout entière. Après avoir servi durant l’expédition de Napoléon en Russie, il combattit la Turquie sur les ordres de l’empereur Nicolas et participa à la prise de la ville de Tourno. A ce dernier siège, la gelée ayant rendu la terre trop dure pour la construction de batteries, on en forma avec de la neige battue. En récompense, l’empereur donna au comte Langeron deux canons et le régiment de Miajsk. Diebitsch ayant été nommé général en chef de l’armée qui agissait contre la Turquie, Langeron, qui était plus ancien que lui, demanda à se retirer. Il passa deux ans à Saint-Pétersbourg, où il mourut du choléra, et fut inhumé dans l’église catholique d’Odessa.
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Autres personnalités
���� BUHOT, Pierre Etienne.
Parisien, né le 23 février 1723. Après avoir exercé des missions de police dans la ville
de Paris (il eut notamment la surveillance des étrangers, dont la police des Juifs, de 1746 à 1756), il fut chargé par Sartine de l’enquête sur les désertions des gardes-suisses en 1766. C’est en 1778 qu’il est rappelé de sa retraite pour exercer les fonctions de Directeur de la Police militaire de Brest de 1779 à 1785.
���� BUSSY-CASTELNAU, Charles-Joseph, Marquis de.
Militaire français, naît à Bucy, près de Soissons, en 1718 ; mort à Pondichéry en
janvier 1785. Il se distingua tout d’abord dans les troupes de la compagnie françaises aux Indes orientales. Avec quelques Français et dix milles Indiens, il conquit une partie de la province de Carnute, et réussit à établir Salabetzingue à Aureng-Abad. Le 17 octobre 1748, il fit lever aux Anglais le siège de Pondichéry. Plus tard, il fut appelé, avec le titre de lieutenant général, au commandement des forces de terre et de mer, au cap de Bonne-Espérance. Il concerta ses opérations avec celles du bailli de Suffren, et lutta courageusement contre l’ennemi.
���� De Vigny, Jean-Pierre.
Né en 1740. Garde de la marine en 1756. Capitaine de vaisseau en 1781. Sert sur le
Bretagne (1778) dans l’escadre d’Orvilliers, blessé à la bataille d’Ouessant. Il commande la Néréide de 1779 à 1781, puis l’Hébé en 1782. Il servit ensuite sur l’Alcide en 1782. Il fut fait chevalier de Saint-Louis en 1776.
���� GIRARDIN, François Emmanuel, chevalier de.
Né à la Martinique en 1737. Garde de la Marine en 1754, capitaine de vaisseau en
1779, contre-amiral en 1792 puis vice-amiral en 1792. Il servit notamment dans l’escadre d’Orvilliers, sur le Fier, et participa à la prise de Saint-Eustache par Bouillé, sur la Medée. Ibidem, p. 120.
���� SARRAIRE, Etienne François.
Ancien officier de Marine, il est inspecteur de police depuis 1760 et est en charge de
la police du Palais-Royal. C’est lui qui montera la police militaire à Brest sur ses fonds propres. Il décède le 10 août 1780, à Brest, âgé de 49 ans.
146
Annexe 1 : Organigramme des hiérarchies dans les différentes Intendances selon l’Ordonnance de 1776.
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Commandant du Port
Directeur général de l’arsenal
Direction des constructions
Direction de l’artillerie
Directeur du port
Hiérarchie d’une Intendance de la Marine
Intendant de la Marine
Commissaire général
Garde magasin
Commissaire du bagne et de
l’hôpital
Commissaire du magasin
général
Commissaire des
armements et des vivres
Commissaires des chantiers
et ateliers
Commissaire des fonds et
revues
Conseil de la Marine
Contrôleur de la Marine
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Sources et bibliographie
I – Sources
A - Archives Communautaires de Brest : Fonds LANGERON: � 2S 3 � 2S 9 � 2S 10 � 2S 26 � 2S 27 � 2S 29 � 2S 30 Autres fonds :
� BB 24 : Délibération de la communauté de ville de Brest. � FF 2 : procès divers. � HH 7 : Lutte des menuisiers contre le travail fait en fraude par les ouvriers de
l’arsenal au profit des fonctionnaires de la Marine ou contre les fripiers qui font exécuter chez eux des meubles neufs pour les ajouter aux vieux meubles qu’ils ont à vendre.
� 1I 2 : Règlement de police de 1791. � 3I 3 : Sentences des Tribunaux Révolutionnaires. � 3I 4 : Registres des greffes royales de Brest (1790/1791). � 4I 2 : Registres de la prison du Château de Brest (1790).
B - Archives Départementales d’Ille et Vilaine Correspondance entre la Communauté de ville de Brest et l’intendance de Bretagne
� C 574 : Police et communauté (rachat du tribunal de police par la ville de Brest). ���� C 609 ���� C 610 ���� C 611 � C 834 : octroi accordé à la ville de Brest. � C 835 � C 836 � C 837
186
C - Archives du Service Historique de la défense Correspondance du commandant de la Marine :
� 1A 23 : Correspondance du Secrétaire d’État à la Marine au Commandant de la marine du port de Brest, de l’année 1779 à fin janvier 1780.
�1A 24 : Correspondance de fin janvier 1780 à avril 1780. �1A 29 : Lettre de la Cour au Commandant concernant le port (d’août à décembre
1782). �1A 66 : Lettre de la Cour au Commandant concernant le personnel (1782). �1A 124 : Lettre du Commandant à la Cour (années 1782/1783).
Lettres envoyées par le Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies à l’intendant : � 1E 204 : lettres de la cour (de janvier à mars 1780).
� 1E 205 : lettres de la cour (d’avril à juin 1780). � 1E 206 : lettres de la cour (de juillet à septembre 1780). � 1E 207 : lettres de la cour (d’octobre à décembre 1780). � 1E 208 : lettres de la cour (de janvier à avril 1781). � 1E 209 : lettres de la cour (de mai à août 1781). � 1E 210 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1781). � 1E 211 : lettres de la cour (de janvier à avril 1781). � 1E 212 : lettres de la cour (de mai à août 1782). � 1E 213 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1782). � 1E 214 : lettres de la cour (de janvier à avril 1783). � 1E 215 : lettres de la cour (de mai à août 1783).
� 1E 216 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1783). � 1E 217 : lettres de la cour (de janvier à avril 1784). � 1E 218 : lettres de la cour (de mai à août 1784). � 1E 219 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1784). � 1E 220 : lettres de la cour (de janvier à avril 1785). � 1E 221 : lettres de la cour (de mai à août 1785). � 1E 222 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1785). � 1E 223 : lettres de la cour (de janvier à avril 1786). � 1E 224 : lettres de la cour (de mai à août 1786). � 1E 225 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1786). � 1E 226 : lettres de la cour (de janvier à mars 1787). � 1E 227 : lettres de la cour (d’avril à juin 1787). � 1E 228 : lettres de la cour (de juillet à septembre 1787). � 1E 229 : lettres de la cour (d’octobre à décembre 1787). � 1E 230 : lettres de la cour (de janvier à avril 1788). � 1E 231 : lettres de la cour (de mai à août 1788). � 1E 232 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1788). � 1E 233 : lettres de la cour (de janvier à avril 1789). � 1E 234 : lettres de la cour (de mai à août 1789)
� 1E 235 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1789) � 1E 236 : lettres de la cour (de janvier à avril 1790).
� 1E 237 : lettres de la cour (de mai à août 1790) � 1E 238 : lettres de la cour (de septembre à décembre 1790) � 1E 239 : lettres de la cour (de janvier à mars 1791)
187
� 1E 240 : lettres de la cour (d’avril à juin 1791) � 1E 241 : lettres de la cour (de juillet à septembre 1791) � 1E 242 : lettres de la cour (d’octobre à décembre 1791) Lettres envoyées par l’intendant de la Marine de Brest au Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies : � 1E 543 : lettres de l’intendant (1777/1778). � 1E 544 : lettres de l’intendance (1778/1779). � 1E 545 : lettres de l’intendant (12 janvier 1785/8 décembre 1790). Correspondance de l’intendant de la Marine de Brest :
� 1E 559 : entretien (1782/5 décembre 1785). � 1E 560 : entretien (1791, An II). � 1E 569 : correspondance de l’intendant depuis 1787 jusqu’à l’An 6. � 1E 634 : suite de l’administration de Mr de BEAUPREOU du 2 janvier 1786 au 29 août 1788. Contrôle de l’administration de la Marine. Enregistrement in extenso des Ordonnances, règlements et décisions royales :
� 1L3 : 17 mars 1698, 3 novembre 1706. � 1L5 : 26 juin 1713, 20 mars 1725. � 1L7 : 5 avril 1749, 2 juillet 1759.
Registre des chiourmes :
� 2O 10 : du 26 mai 1749 au 28 novembre 1763. � 2O 15 : du 16 décembre 1773 au 16 février 1781.
� 2O 16 : du 16 octobre 1781 à 1788. � 2O 17 : du 15 juin 1788 au 10 germinal an III.
Lettres adressées au commissaire de la Marine de Saint-Malo par la Cour (registres non numérotés) :
���� 1P1-17 : 1780. ���� 1P1-18 : 1781. ���� 1P1-19 : 1782. ���� 1P1-20 : 1783/1784. ���� 1P1-21 : 1785/1786. ���� 1P1-22 : 1787/1789.
Lettres adressées au commissaire de la Marine à Saint-Malo (lettres des autres administrateurs des ports, de diverses autorités et des particuliers) (registres non numérotés) : ���� 1P1-30 : de janvier à mars 1780. ���� 1P1-31 : d’avril à décembre 1780. ���� 1P1-32 : de janvier à juin 1781.
188
���� 1P1-33 : de juillet à septembre 1781. ���� 1P1-34 : d’octobre à décembre 1781. ���� 1P1-35 : 1er trimestre 1782. ���� 1P1-36 : 2ème trimestre 1782. ���� 1P1-37 : 3ème trimestre 1782. ���� 1P1-38 : 4ème trimestre 1782. ���� 1P1-39 : 1er trimestre 1783. ���� 1P1-40 : 2ème trimestre 1783. ���� 1P1-41 : de juillet à décembre 1783. ���� 1P1-42 : de janvier à juin 1784. ���� 1P1-43 : de juillet à décembre 1784. ���� 1P1-44 : de janvier à avril 1785. ���� 1P1-45 : de mai à août 1785. ���� 1P1-46 : de septembre à décembre 1785. ���� 1P1-47 : de janvier à mai 1786. ���� 1P1-48 : de juin à décembre 1786. ���� 1P1-49 : de janvier à avril 1787. ���� 1P1-50 : de mai à août 1787. ���� 1P1-51 : de septembre à décembre 1787. ���� 1P1-52 : 1er semestre 1788. ���� 1P1-53 : 2nd semestre 1788. ���� 1P1-54 : 1789.
Correspondances départs du commissaire de la Marine de Saint-Malo (lettres adressées aux autorités maritimes de Brest, aux administrateurs des autres ports et à diverses personnes) (registres non numérotés) : ���� 1P2-4 : du 6 janvier 1780 au 14 novembre 1780. ���� 1P2-5 : du 10 novembre 1780 au 30 juin 1781. ���� 1P1-6 : du 1er juillet 1781 au 31 décembre 1781. Correspondances départs du commissaire de la Marine de Saint-Malo à la Cour (registres non numérotés) : ���� 1P2-7 : du 2 janvier 1782 au 26 décembre 1782. ���� 1P2-8 : du 2 janvier 1783 au 27 décembre 1785. ���� 1P2-9 : 1786/1792 (registre numéroté). Lettres adressées aux autorités maritimes de Brest, aux administrateurs des autres ports et à diverses personnes (registres non numérotés) : ���� 1P2-10 : du 3 janvier 1782 au 30 juin 1782. ���� 1P2-11 : du 1er janvier 1783 au 30 décembre 1783. ���� 1P2-12 : du 1er janvier 1784 au 31 décembre 1785. ���� 1P2-13 : du 1er janvier 1786 au 30 décembre 1786. ���� 1P2-14 : 1787/1788/1789.
189
Lettres adressées aux différents ports, relatives à la caisse des gens de mer et autres parties qui ont trait aux classes : ���� 1P2-15 : 1780/1789. Pièces diverses (inspection de Monsieur GUILLOT dans l’île d’Ouessant : inspection et rapport (1766) ; Inspection de Monsieur GUILLOT dans les ports et arsenaux de la marine dans les provinces de Flandres - Normandie – Picardie – et partie de Bretagne pendant les mois d’avril, mai, juin et juillet 1780 ; enregistrement des lettres envoyées, extrait de la situation des gens de mer et état général des revues des quartiers depuis Dunkerque jusqu’à Quimper ; livre de copies de lettres « invalides et gens de mer » commencé le 6 juin 1787 et fini le 21 mai 1791 « quartier de Dinan ») : ���� 1P2-16 : 1766/1791. Archives non classées du Service Historique de la Défense de Brest, fournies gracieusement par Monsieur Patrick PETIT.
Affaires maritimes du quartier de Saint-Malo :
� 1P1-108 : lettres des autorités maritimes, militaires et civiles, et des particuliers
(1790). � 1P1-109 : lettres des autorités maritimes, militaires et civiles, et des particuliers
(1791).
Fonds LEVOT : ���� L 1965 : Société des Amis de la Constitution. ���� L 1991-6 : Précis de la conduite de Jean-Nicolas TROUILLE, Commandant
général de la Garde Nationale du Canton de Brest devant la Société Révolutionnaire de Brest, le 12 pluviôse An II. ���� L 2004 : GUICHON DE GRANDPONT Alfred, De l’inscription maritime, conséquence et portion essentielle de la Garde Nationale et du mode de recrutement naval, thèse, Brest, Décembre 1831.
Manuscrits : ���� Manuscrit 133. ���� Manuscrit 164. ���� Manuscrit 169. ���� Manuscrit 174. ���� Manuscrit 176. Autres : ���� R 3075 : Recueil d’ordonnances du Roi promulguées sous le Secrétariat de la Marine de messieurs Sartine et Castries.
���� R 7862 à R 7864 : Code militaire ou compilation des ordonnances des Rois de France concernant les Gens de Guerre, par le Sieur DE BRIQUET, Chevalier de l’Ordre de
190
Saint Michel, & l’un des premiers commis de M. d’Angervilliers, Secrétaire d’Etat de la guerre, trois tomes, Paris, M D CCXXXIV, Jean Baptiste Coignard fils, imprimeur du Roi.
191
II – Bibliographie
���� ABOUCAYA Claude, Les intendants de la Marine sous l’Ancien régime, Aix-Marseille, 1951.
���� ARBELLOT Guy, GOUBERT Jean-Pierre, MALLET Jacques, PALAZOT
Yvette, Carte des généralités, subdélégations et élections en France, éditions du CNRS, Paris, 1986.
���� BERBOUCHE Alain, Marine et Justice, Presse Universitaire de Rennes, Rennes,
2010.
���� BERBOUCHE Alain, L’Histoire de la Royale, Du Moyen-âge au règne de Louis XIV, Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2011.
���� BERNARD Maurice, « La Municipalité de Brest de 1750 à 1790 », in Annales de
Bretagne, Tome 30, numéro 3, 1914. ���� BERNARD Maurice, « La Municipalité de Brest de 1750 à 1790 (suite) », in
Annales de Bretagne, Tome 31, numéro 1, 1916. ���� BESNARD Frédéric, La répression au bagne de Brest depuis sa création en 1749
jusqu’à la fin de l’Ancien régime, mémoire pour le diplôme d’études approfondies d’histoire du droit sous la direction de recherche d’A. BERBOUCHE, Faculté de Droit et de Sciences politiques de l’Université de Rennes 1, 1999.
���� BLANCHARD, Répertoire général des lois, décrets, ordonnances, règlements et instruction de la marine, Imprimerie national, Paris, 1849.
���� CARRÉ Adrien, Mémoire du Chevalier de Cotignon, 4 seigneurs, Grenoble, 1974
���� CHARPY Jacques, Guide des archives du Finistère, Quimper, Archives
départementales, 1973. � CORRE Olivier, « Guerre et ports militaires, le problème de la police : son
rétablissement à Brest durant la guerre d’Indépendance américaine », in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2009.
���� DARSEL Joachim, « L’amirauté du Léon (1681-1792) », in Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Tome CIII, 1975.
���� DARSEL Joachim, « La vie maritime sur les côtes du Léon sous l’Ancien
régime », in Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Tome CIV, 1976.
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192
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194
Table des matières Introduction .............................................................................................................................. 1 Partie I : L’intendant, principale autorité judiciaire du port de Brest............................. 10
CHAPITRE I : LA JUSTICE DE L’INTENDANT AU SEIN DU PORT DE BREST...................................................... 10 Section I : Étude de la procédure et du procès devant le Tribunal prévôtal de l’intendant ..................... 10 §1 : Compétence et instruction d’un procès devant le Tribunal de l’intendant .................................................... 11
A) Le domaine de compétence.......................................................................................................................... 11 B) Un procès devant le Tribunal prévôtal de l’intendant .............................................................................. 16
1) Une possibilité d’investigations étendue ................................................................................................ 17 2) L’instruction d’un procès........................................................................................................................ 20
§2 : Les procédures applicables devant le Tribunal de l’intendant ........................................................................ 24 A) La procédure normale ................................................................................................................................. 24 B) Un jugement par contumace : l’affaire des faux acquis par le trésorier de la Marine ........................... 26
Section II : Une justice humaniste............................................................................................................. 28 §I : Une justice clémente ............................................................................................................................................ 28
A) Des sanctions disciplinaires souples....................................................................................................... 28 B) Des mises hors d’accusation nombreuses.............................................................................................. 30
§2 : L’intendant de Brest : un homme consensuel ................................................................................................... 35 A) La réinsertion des bagnards et des acquittés ........................................................................................ 35 B) Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits ................................................................ 36
CHAPITRE II : LA SOUMISSION DES AUTORITES CIVILES DES PORTS A L’INTENDANT .................................. 41 Section I : La mise en place d’un plan de police militaire ........................................................................ 41 §1 : La planification de la police militaire de Brest ................................................................................................. 42
A) La loi martiale du Commandant du château (1776-1779) ................................................................... 42 B) La mise en place de la police militaire................................................................................................... 44
§2 : Des officiers municipaux insoumis ..................................................................................................................... 48 A) Une communauté sous surveillance....................................................................................................... 48 B) La tentative de résistance des officiers municipaux ............................................................................. 51
1) L’exercice de la police des métiers ................................................................................................... 52 2) Un cas d’opposition judiciaire : les peigoulières ............................................................................. 54
Section II : Le déclin progressif de l’Amirauté du Léon........................................................................... 57 §1 : L’Amirauté, une justice inefficace ..................................................................................................................... 57
A) Les errements du Siège d’Amirauté ...................................................................................................... 58 B) La prise de pouvoir des autorités militaires ......................................................................................... 62
§2 : L’intervention des services centraux ................................................................................................................. 66 A) La prise de diverses ordonnances au profit de l’Intendance ............................................................... 66 B) L’affermissement du Tribunal Prévôtal de l’intendant par les arrêts du Conseil du Roi et les ordres ministériels ......................................................................................................................................................... 68
1) Les arrêts du Conseil du Roi................................................................................................................... 68 2) L’intervention ministérielle .................................................................................................................... 71
Partie II : L’intendant, une autorité concurrencée............................................................. 76 CHAPITRE I : UN INTENDANT SOUS TUTELLE ? SUBORDINATION ET RESISTANCE DANS LE PORT DE BREST76
Section I : L’omniprésence des services centraux ..................................................................................... 77 §1 : L’intervention ministérielle sur les procès jugés devant le Tribunal de l’intendant ..................................... 77
A) Un contrôle discrétionnaire de la procédure ........................................................................................ 77 B) Un véritable contrôle des peines ............................................................................................................ 80
§2 : Une justice souvent retenue ................................................................................................................................ 83 Section II : Un intendant en résistance ..................................................................................................... 87 §1 : Des Ordonnances royales et directives ministérielles contestées ..................................................................... 87
A) Des Ordonnances souvent interprétées par les différents services de l’Intendance .......................... 87 B) L’application sélective des ordres du Secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies ....................... 90
§2 : La résistance de l’intendant : la conséquence d’un pouvoir central trop souple ? ........................................ 94 A) Les dérogations ministérielles ................................................................................................................ 95 B) Le désintérêt des services centraux sur les matières externes à la Marine ........................................ 99
CHAPITRE II : L’INTENDANT, UNE INSTITUTION EN DANGER ? LA PRESSION DES MAGISTRATS DES VILLES DE BRETAGNE ET DE LA SOCIETE CIVILE...................................................................................................... 106
Section I : L’affermissement des autorités judiciaires civiles ................................................................. 106 §1 : Des acteurs indispensables au bon déroulement de la justice ........................................................................ 107
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A) La Communauté de ville : un médiateur indispensable .................................................................... 107 B) La renaissance des tribunaux civils ..................................................................................................... 115
§2 : La remise en place d’une police civile.............................................................................................................. 118 Section II : L’influence de la « société civile »........................................................................................ 124 §1 : L’avènement des libertés individuelles ............................................................................................................ 124 §2 : L’omniprésence de la Société des Amis de la Constitution et des Conseils permanents.............................. 127
Conclusion............................................................................................................................. 133 Biographies ........................................................................................................................... 135 Annexes ................................................................................................................................. 145 Sources et bibliographie ...................................................................................................... 185 Table des matières................................................................................................................ 194