L'évaluation carbone simplifiée établie par la Commission de régulation de l'énergie et sa...
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Année universitaire 2013-2014 1er septembre 2014
Master de droit des relations internationales et de l’Union européenne
Dirigé par Alain PELLET et Jean Marc THOUVENIN
Les appels d’offres en matière d’énergie
photovoltaïque et le droit de l’OMC
Rohanne FYAZ
Sous la direction de Jean-Marc THOUVENIN
REMERCIEMENTS
La réalisation de cette étude n’aurait pas été possible sans la participation mais aussi le
soutien de nombreuses personnes que je souhaite remercier.
Je tiens à remercier, en premier lieu, le Professeur Jean-Marc Thouvenin pour sa
disposition mais aussi le suivi qu’il m’a accordé tout au long de l’année. Ces conseils m’ont été
fort utiles, j’espère que j’en aurai fait une « œuvre » dont je serais fière.
Je tiens également à remercier tout ceux qui m’ont soutenue, ma famille, mes amis et ceux
qui m’ont donné le courage, l’envie et la détermination de continuer à écrire. Je dédie ce mémoire
à mes camarades de classe qui m’ont beaucoup appris, notamment sur le travail d’équipe mais
aussi sur l’entraide.
À ma plus belle année d’université,
Rohanne FYAZ.
SOMMAIRE
Introduction PARTIE I : COMPATIBILITE AU REGARD DES REGLES GENERALES
DU GATT DE 1994
TITRE I. L’INCOMPATIBILITE PRESUMEE AVEC L’ARTICLE III:4 DU GATT : LA REGLE DU TRAITEMENT NATIONAL Chapitre 1. Les conditions entraînant la violation de l’article III:4 du GATT Chapitre 2. L’application de l’article III:8 a) du GATT comme moyen d’exclusion des mesures contestées du champ d’application de l’article III:4 du GATT TITRE II. L’INCOMPATIBILITE PRESUMEE AVEC L’ARTICLE I:1 DU GATT : LA REGLE DU TRAITEMENT DE LA NATION LA PLUS FAVORISEE Chapitre 1. Le champ d’application de la règle de la nation la plus favorisée Chapitre 2. Les conditions entrainant la violation de l’article I.1 du GATT TITRE III. LA DISCRIMINATION LEGITIMEE PAR L’ARTICLE XX DU GATT : UNE EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE Chapitre 1. L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC Chapitre 2. L’article XX : l’exception environnementale
PARTIE II. COMPATIBILITE AU REGARD DES ACCORDS
SPECIFIQUES DE L’OMC
TITRE I. LA CONTRARIETE POSSIBLE AVEC L’ACCORD SUR LES SUBVENTIONS ET LES MESURES COMPENSATOIRES (SMC) Chapitre 1. Le champ d’application de l’Accord SMC Chapitre 2. La position européenne concernant les subventions et leur compatibilité avec l’Accord SMC TITRE II. LA CONTRARIETE POSSIBLE AVEC L’ACCORD SUR LES MARCHES PUBLICS (AMP) Chapitre 1. La mise en place de nouvelles règles en matière environnementale dans les procédures de passation de marchés publics européens Chapitre 2. La compatibilité de l’évaluation carbone simplifiée avec l’Accord sur les marchés publics révisé
L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux propos tenus dans le présent mémoire. Ceux-ci sont propres à leur auteur.
SIGLES DES PRINCIPAUX ACCORDS ET ORGANES DE L’OMC
A.M.P. Accord sur les marchés publics
A.C.P. [Pays] d’Afrique, Caraïbe et Pacifique
A.G.C.S. Accord général sur le commerce des services (« GATS » en anglais)
A.D.P.I.C. [Accord sur les] aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (« TRIPS » en anglais)
C.C.N.U.C.C. Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
C.C.E. Comité du commerce et de l’environnement
C.E. Communautés européennes
C.I.J. Cour internationale de justice
C.J.C.E. Cour de Justice des Communautés européennes
C.N.C. Comité des négociations commerciales
G.A.T.T. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on
Tariffs and Trade)
Mémorandum Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des
différends
M.E.P.C. Mécanisme d’examen des politiques commerciales
N.P.F. Nation la plus favorisée
O.A. Organe d’appel de l’ORD
O.C.D.E. Organisation de coopération et de développement économique
O.N.U. Organisation des Nations Unies
O.R.D. Organe de règlement des différends de l’OMC
O.T.C. [Accord sur les] obstacles techniques au commerce
O.M.C. Organisation mondiale du commerce
P.M.P. Procédé et méthode de production
P.N.U.E. Programme des Nations Unies sur le développement
S.M.C. [Accord sur les] subventions et mesures compensatoires
S.P.S. [Accord sur l’application des] mesures sanitaires et phytosanitaires
U.E. Union Européenne
1
Introduction 1. « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », expliquait le chimiste français
Lavoisier en posant le principe de conservation de la matière. L’énergie n’avait pas encore été
inventée à son époque, mais cet adage lui a été transposé. L’énergie ne fait que modifier de
forme, elle préexiste au changement et se retrouve à la fin de toute transformation. Or, ce
changement d’état, cette transformation de la matière en énergie provoque un des problèmes
environnementaux majeurs de ce siècle, l’augmentation des émissions de CO2 mise en cause dans
l’intensification de l’effet de serre, tant par la production que la consommation d’énergie.
2. Pour remédier au réchauffement global, s’est dès lors développée une politique
volontariste des États visant la réduction des gaz à effet de serre. Un consensus international s’est
progressivement établi pour considérer qu’il était indispensable de limiter le réchauffement de la
Terre à 2°C au maximum par rapport à 1990, soit une réduction de 50 à 85% des émissions
mondiales de gaz à effet de serre en 20501. La conférence des Nations Unies sur l’environnement
et le développement à Rio de Janeiro en 1992, baptisée « Sommet de la Terre » est à l’origine de
plusieurs conventions internationales sur l’environnement, notamment la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui concrétise la prise de conscience
des États sur les risques et les capacités de modification du climat du fait des activités humaines.
De même, le Protocole de Kyoto, résultat de négociations politiques particulièrement âpres2,
conséquence de son caractère politiquement et juridiquement non contraignant, a été adopté en
1997. Le Protocole attribue en effet des quotas d’émissions en vue de réduire les effets des gaz à
effet de serre. Les États-Unis ont refusé de le ratifier, représentant pourtant 25% des émissions
mondiales de gaz à effet de serre, alors que l’UE l’a ratifié en 2002 et a, au surplus, élaboré une
directive européenne fixant les quotas d’émissions pour chaque pays membre de l’Union.
3. Les préoccupations concernant l’incidence de certaines technologies sur l’environnement
ont conduit les États à inclure progressivement les technologies renouvelables dans leur
1 TSAYEM-DEMAZE (M.), Géopolitique du développement durable, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2011, p. 27. 2 Ibid.
2
production énergétique. À ce titre, l’énergie renouvelable est prise en compte dans la
réglementation des politiques énergétiques nationales, mais aussi internationales. Ainsi, l’énergie
solaire étant une énergie renouvelable, les réglementations intérieures la régissant doivent être
conformes au droit international économique. Il convient dès lors de définir l’énergie
renouvelable dans son sens large (1) avant d’exposer l’objet de ce mémoire, soit la problématique
de la compatibilité des appels d’offres liés aux panneaux solaires photovoltaïques avec le droit de
l’OMC (3). Les enjeux économiques attachés à cette problématique ont été mis en lumière par les
mesures de rétorsion adoptées par les États membres de l’OMC suite à l’importation massive des
panneaux photovoltaïques à bas coût en provenance de Chine (2).
1. Définition de l’énergie renouvelable
4. L’énergie renouvelable prend différents idiomes et peut se définir comme une énergie
inépuisable ou encore une énergie durable. Le concept d'énergie propre ou d’énergie verte est
distinct de celui d'énergie renouvelable : le fait qu'une énergie se reconstitue n'implique pas que
les déchets d'exploitation de cette énergie disparaissent, ni le contraire.3 Le terme « énergie
renouvelable » est difficile tant à dater qu’à définir.
5. En effet, au niveau international, il n’existe aucune définition convenue de ce qu’est une
énergie renouvelable. D’ailleurs, certains pays ont reconnu qu’il pourrait y avoir des différences
d’interprétation découlant de la situation nationale.4 On s’accorde cependant sur le fait qu’une
énergie renouvelable devrait bénéficier d’un soutien sous forme de coopération et de partenariats
internationaux, sans que l’aide soit assortie de conditions et en évitant tout recours à des pratiques
commerciales restrictives. Pour certains pays, l’énergie renouvelable est considérée comme l’un
des nombreux « outils » permettant de concrétiser le développement durable.5
6. Selon l’administration française, le terme renvoie à « des énergies primaires inépuisables
3 EDF Energies nouvelles réparties, Lexique « énergie verte », http://www.edfenr.com/lexique-photovoltaique/definition-energie-verte-l40-1.aspx [consulté le 29 mai 2014] 4 Nations Unies, « Rio+20 galvanisera de nouveaux engagements en faveur d’un monde plus durable », Communiqué de presse, Rio+20, Conférence des Nations Unies sur le développement durable, 4 juin 2012, http://www.un.org/fr/sustainablefuture/pdf/results.pdf [consulté le 5 mars 2014] 5 Ibid.
3
à très long terme, car issues directement de phénomènes naturels, réguliers ou constants, liés à
l’énergie du soleil, de la terre ou de la gravitation. Les énergies renouvelables sont également
plus « propres » (moins d’émissions de CO2, moins de pollution) que les énergies issues de
sources fossiles. »6 L’article L.211-2 du Code de l’énergie dans son alinéa 1er dispose que « [l]es
sources d'énergies renouvelables sont les énergies éolienne, solaire, géothermique,
aérothermique, hydrothermique, marine et hydraulique, ainsi que l'énergie issue de la biomasse,
du gaz de décharge, du gaz de stations d'épuration d'eaux usées et du biogaz ».
7. L’objet de cette étude concerne une énergie spécifique, l’énergie solaire photovoltaïque
(1.1). Énergie renouvelable assez particulière, elle présente ses forces, mais aussi ses faiblesses,
notamment son coût (1.2). Technologie nouvelle, le marché de l’énergie photovoltaïque est
aujourd’hui concentré dans un cercle restreint d’États (1.3).
1.1 La spécificité de l’énergie solaire photovoltaïque
8. L’énergie solaire fait donc partie de ces énergies inépuisables. L’énergie solaire
photovoltaïque à l’inverse de certaines énergies renouvelables peut être considérée comme une
énergie verte ou une énergie propre en ce qu’elle ne génère ni bruit, ni émissions nocives, ni gaz
polluants.7 Elle transforme le rayonnement solaire en électricité ou en chaleur, selon les
technologies. L’énergie solaire photovoltaïque est spécifique en ce qu’elle produit de l’électricité
via des modules photovoltaïques. Elle est à distinguer de l’énergie solaire thermique visant à
produire de la chaleur pour le chauffage domestique ou la production d’eau chaude sanitaire ainsi
que de l’énergie solaire thermodynamique qui emploie des miroirs pour chauffer les fluides
alimentant un générateur électrique.8
9. L’effet photovoltaïque est « produit dans les cellules solaires photovoltaïques, [il] permet
de convertir l’énergie lumineuse des rayons solaires en électricité. Sous l’effet de la lumière, le
6 Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (2010). Énergies renouvelables. http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Energies-renouvelables,3733-.html [consulté le 4 mars 2014] 7 Assemblée nationale, « Rapport d’information sur l’énergie photovoltaïque », déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des affaires économiques, présenté par M. Serge Poignant (député), N°1846, p. 13. 8 Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), « Le solaire photovoltaïque », in : Les avis de l’ADEME, avril 2013.
4
matériau semi-conducteur composant la cellule génère des charges électriques qui se déplacent et
créent un courant circulant d’une cellule à l’autre via des rubans métalliques. Les cellules
photovoltaïques sont assemblées pour former des modules qui peuvent eux-mêmes être
interconnectés pour former un « champ photovoltaïque ». Ce champ photovoltaïque produit un
courant continu (DC) qui peut dans certains cas être transformé par un onduleur en courant
alternatif (AC) »9
1.2 La particularité de l’énergie photovoltaïque : ses forces et faiblesses
10. L’énergie photovoltaïque présente plusieurs points forts. En tant qu’énergie inépuisable,
le temps de retour énergétique et les émissions de CO2 sont faibles avec une technologie pouvant
être déployée presque partout, facilement modulable. Les modules photovoltaïques sont
recyclables et les matériaux utilisés pour leur production peuvent être réutilisés.10
11. Toutefois, il s’agit d’une énergie fluctuante et bien qu’elle soit relativement prévisible,
son coût est encore trop élevé. S’il diminue rapidement depuis une vingtaine d’années, son prix
de vente ne devrait être comparable à celui de l’électricité résidentielle qu’entre 2015 et 2020 et
au prix de gros vers 2030.
1.3 La concentration du marché de l’énergie photovoltaïque dans un cercle restreint d’États
12. En raison de son coût élevé, le marché annuel mondial de l’énergie photovoltaïque reste
encore concentré sur huit pays qui ont centralisé 80% de la puissance installée en 2012 :
l’Allemagne, suivie par la Chine, l’Italie, les États-Unis, le Japon, la France, l’Australie et l’Inde.
L’Europe conserve encore en 2012 sa position dominante dans le déploiement des technologies
photovoltaïques, position tirée par l’Allemagne, l’Italie et la France.11
13. Le marché de l’énergie renouvelable s’illustre par sa croissance fulgurante, l’organisation
9 Ibid. 10 Assemblée nationale, op.cit., « Rapport d’information sur l’énergie photovoltaïque », p. 14. 11Direction générale de l’énergie et du climat. Panorama énergies – climat 2013. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Panorama-energies-climat_E2013.pdf [consulté le 25 février 2014]
5
de la production se libéralisant. Ainsi, jusque dans les années 1970, la production d’énergie était
dans la plupart des pays dominée par des monopoles, soit publics, soit privés et réglementés. Ces
monopoles étaient tolérés : un producteur unique pouvait réaliser des économies d’échelle dans le
secteur de l’électricité. À partir des années 1970, les progrès des techniques de production et le
souhait d’opérateurs privés d’entrer sur le marché ont emmené nombre de pays à restructurer
leurs réseaux d’électricité, notamment pour intégrer une certaine concurrence12.
14. En pleine expansion, les méthodes de production d’énergie renouvelable font aujourd’hui
l’objet d’investissements considérables par les États producteurs notamment dans le domaine
photovoltaïque. Ce secteur en devenir, avec une possibilité de bénéfices économiques élevés,
entraîne une concurrence internationale rude et souvent déloyale. L’arrivée sur le marché de
panneaux solaires chinois à très bas prix a entraîné de fortes tensions internationales, la Chine
utilisant elle-même la menace de « guerre commerciale ».
2. La tension face à l’arrivée des produits chinois dans le commerce international
15. Le dumping opéré par les produits chinois crée de fortes tensions politiques entre les États
concernés (2.1). Faisant face à des mesures de rétorsion économiques, la Chine a posé une
demande de consultation devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC (2.2).
2.1 Les mesures de rétorsion et les enjeux économiques derrière l’énergie photovoltaïque
16. Les États membres de l’OMC doivent se conformer à ses règles, notamment en matière de
concurrence. L’arrivée de produits nationaux sur le marché international à des prix
particulièrement bas est constitutive de dumping. Pour réagir à cette mesure contraire aux buts et
objectifs de l’OMC et « à défaut d'un corpus de règles de concurrence au niveau international »,
l’OMC a « a reconnu aux États la possibilité de mettre en œuvre des instruments de défense
commerciale dans deux circonstances : soit en cas de pratiques déloyales, soit en cas
d'augmentation massive d'importations susceptibles de déstabiliser durablement une branche de
12 Rapport de l’Organe d’appel, Canada — Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, affaire DS412, adopté le 24 mai 2013, point 7.20.
6
production nationale ».13 Les États peuvent prendre des mesures correctrices, soit des « droits
« compensateurs » spéciaux visant à neutraliser les subventions et les mesures d’urgence limitant
temporairement les importations en vue de « sauvegarder » les branches de production
nationales. »14 En effet, l’article 1 de l’Accord antidumping15 pose « le principe fondamental selon
lequel un Membre neorep peut pas imposer de mesure antidumping à moins d'avoir déterminé, à
la suite d'une enquête menée en conformité avec les dispositions de l'Accord, l'existence
d'importations faisant l'objet d'un dumping, d'un dommage important causé à une branche de
production nationale et d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et
ce dommage. »16 En application de ce pouvoir d’appréciation par les États, suite à l’entrée sur le
marché de produits photovoltaïques chinois à bas prix, la Commission européenne a lancé une
enquête antidumping, et parallèlement une enquête antisubventions. Les Etats-Unis ont quant à
eux mis en place des droits antidumping, entraînant une réaction immédiate de la Chine, par la
voie de mesures de rétorsion à l’encontre des États-Unis, mais aussi de la Corée du Sud.
2.1.1 L’enquête antidumping menée par la Commission européenne
17. La Commission européenne a ouvert le 6 septembre 2012 une enquête antidumping à
l’encontre des importations de cellules, modules et plaquettes photovoltaïques chinois
conformément au Règlement « antidumping » du 30 novembre 200917. Principalement en cause,
le polysilicium, un matériau servant à fabriquer les cellules photovoltaïques. La Chine en achète à
l'Union européenne et en fabrique aussi. Au sujet de la plainte collective déposée à Bruxelles,
Milan Nitzschke pour le groupe allemand Solarworld assure que «c'est la dernière chance pour
l'Europe de tenir tête à un État chinois qui subventionne sa propre industrie, ce qui lui permet de
13 Sénat français, « Les instruments de défense commerciale de l’Europe », Rapport d’information par MM. Jean BIZET, Robert BRET, Hubert HAENEL et Roland RIES (Sénateurs) au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur les instruments de défense commerciale de l'Europe, déposé le 7 mars 2007, N°272. 14 MONNIER (P.) et RUIZ-FABRI (H.), « Les règles : dumping, subventions, mesures de sauvegarde », Fascicule 130-25, JurisClasseur Droit international, LexisNexis, mis à jour le 1er octobre 2010, p. 8. 15 Accord sur la mise en œuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 dit « Accord antidumping ». 16 OMC., « Accord sur la mise en œuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 », http://www.wto.org/french/tratop_f/adp_f/antidum2_f.htm [consulté le 25 juin 2014] 17 Règlement (CE) nº 1225/2009 du Conseil du 30 novembre 2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne, entré en vigueur le 11 janvier 2010, JO L 343, 22.12.2009.
7
vendre en dessous du coût de revient et de mettre les Européens à genoux»18. En effet, sous cette
enquête se cache en réalité un énorme bras de fer économique. Les enjeux économiques sont
mirobolants : la Chine et l’Europe ont toutes deux misé des milliards de fonds publics sur l’essor
de cette technologie verte, que ce soit par l’octroi de subventions ou d’investissements étatiques19.
18. Pourtant, après avoir reçu les brevets de « politique verte », la Chine a dû faire face à une
forte baisse de la demande en panneaux solaires. En effet, depuis 2008, la demande en panneaux
solaires a baissé de trois quarts, alors que les capacités de production chinoises n'ont fait
qu'augmenter, entraînant un effondrement mécanique des prix. En 2012, les capacités
excédentaires de la Chine ont ainsi fini par avoisiner le double de la demande totale de l’Union.
Les principaux fabricants de panneaux solaires chinois se seraient dans le même temps endettés
de plus de 17 milliards de dollars. Une problématique pour l’État chinois, qui, à travers les
banques d’État et gouvernements locaux, a fourni fonds et terrains à bas prix.20 Selon Li Junfeng,
ancien patron de la politique énergétique et climatique au sein de la puissante NDRC
(Commission nationale pour la réforme et le développement), les deux tiers de fabricants de
panneaux solaires sont appelés à disparaître, et le dernier tiers n'est même pas sûr de survivre21.
19. La Chine se trouve en situation de surcapacité, et fait de surcroît, face aux procédures
antidumping lancées par les États-Unis et l’Europe à l’encontre de ses fabricants chinois de
panneaux solaires22.
2.1.1.1 La mise en place par la Commission européenne de droits antidumping provisoires
sur les panneaux solaires chinois
20. Suite à cette enquête, la Commission européenne a décidé le 6 juin 2013 d’imposer pour
six mois des droits antidumping provisoires sur les importations de panneaux photovoltaïques 18 MEVEL (J.-J.), « Bruxelles part en guerre commerciale contre Pékin », Le Figaro, 6 septembre 2012, http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/09/05/20002-20120905ARTFIG00570-bruxelles-prete-a-la-guerre-commerciale-avec-pekin.php [consulté le 29 avril 2014] 19 Ibid. 20 DE LA GRANGE (A.), « Énergies renouvelables : la Chine déchante », Le Figaro, 5 novembre 2012, http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/10/05/20002-20121005ARTFIG00466-energies-renouvelables-la-chine-dechante.php [consulté le 2 mars 2014] 21 Ibid. 22 Ibid.
8
chinois. Cette décision est intervenue après 9 mois d’enquête, durant laquelle la Commission a pu
constater que « certaines sociétés chinoises vendaient des panneaux solaires en Europe à des prix
nettement inférieurs à leur valeur marchande normale, au détriment des fabricants de panneaux
solaires de l’Union européenne »23. Selon un Communiqué de la Commission, « à leur juste
valeur, les panneaux solaires chinois devraient être vendus en Europe à un prix supérieur de 88 %
à celui facturé en réalité »24.
21. Au cours de son enquête, la Commission a appliqué « la règle du droit moindre » qui
correspond au taux minimal strictement nécessaire pour rétablir des conditions de concurrence
équitables pour les entreprises de l’Union concernées et donc contrebalancer les effets
préjudiciables du dumping. Ainsi, ces droits provisoires sont d’un taux nettement inférieur aux
88% de dumping constaté sur les ventes de panneaux solaires. Selon la Commission, en
appliquant systématiquement la règle du droit moindre, l’Union va au‑delà des obligations qui lui
incombent dans le cadre de l’OMC. Cette mesure a été adoptée en accord avec la législation
actuelle sur la protection commerciale de l’UE qui remonte à 1995. Or, depuis, les relations
commerciales de l’Union avec les pays tiers ont profondément changé dans la mesure où la
structure des échanges s’est mondialisée.25 La « règle du droit moindre » a été critiquée par le
Parlement européen, entrainant l’adoption le 5 février 2014 de propositions pour la réforme des
instruments de défense commerciale. À cette occasion, le Parlement a demandé des mesures plus
strictes sur les biens importés si le pays tiers exportateur « ne présente pas un niveau suffisant de
normes sociales et environnementales »26.
22. Si l’Union use d’une règle plutôt clémente face au dumping chinois, tel n’est pas le cas
d’autres membres de l’Organisation comme la Chine elle-même ou les États-Unis, qui se fondent
dans chaque cas sur la totalité du niveau de dumping constaté. »27 En effet, les États-Unis
utilisent la méthode de calcul dite de la «réduction à zéro», cette méthode est utilisée par les 23 Commission européenne, « L’Union européenne institue des droits antidumping provisoires sur les panneaux solaires chinois », Communiqué de presse, 4 juin 2013. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-501_fr.htm [consulté le 5 mars 2014] 24 Ibid. 25 Parlement européen, « Le Parlement demande des mesures plus strictes contre les importations déloyales », Communiqué de presse, 16 avril 2014, http://europarl.europa.eu/fr/news-room/content/20140411IPR43445/html/Le-Parlement-demande-des-mesures-plus-strictes-contre-les-importations-déloyales [consulté le 13 juin 2014] 26 Ibid. 27 Ibid.
9
autorités américaines pour déterminer, dans les enquêtes de réexamen, les taux de droit appliqués
aux produits entrés sur le marché américain à des prix de dumping. Or, cette méthode a été jugée
incompatible avec les règles de l’OMC dans une série de procédures de règlements de
différends28.
23. Comme pour toute enquête en la matière, la Commission a appliqué le critère « de
l’intérêt de l’Union », celle-ci étant à ce jour toujours le seul membre de l’OMC à l’appliquer. En
vertu de ce critère, « la Commission examine de manière approfondie si le coût, pour l’économie
de l’Union, de l’éventuelle institution de mesures serait globalement supérieur au bénéfice tiré de
ces mesures par les plaignants. »29 Sur cette base, Commission propose ensuite au Conseil soit de
clore la procédure sans instituer de mesures, soit d’instituer des droits compensateurs définitifs
pour une durée de cinq ans.30 La tendance actuelle semble être l’utilisation d’une conception
extensive de ce test, afin de clore des procédures alors même que l’Union est la seule à y recourir.
Dès lors, ce test de l’intérêt communautaire conduit à une utilisation plus restrictive des
instruments antidumping, rendant la procédure moins effective. Comme l’explique un rapport
d’information du Sénat français, « il est en définitive paradoxal de faire un bilan entre [les]
intérêts [des producteurs européens] et ceux des autres acteurs économiques »31.
24. Les droits antidumping moyens décidés par la Commission sont finalement de 11,8% sur
les cellules photovoltaïques et modules d’origine chinoise. En l’absence d’accord avec la Chine,
ce taux provisoire devait passer en moyenne à 47,6% en moyenne à partir du 6 août 2013.32 Au
lendemain de la décision de la Commission d’instaurer ces taxes provisoires sur les panneaux
photovoltaïques chinois, le 5 juin 2012, la Chine a ouvert une enquête antidumping sur les vins
importés de l’Union Européenne.
28 Voir notamment : Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis – Lois, réglementations et méthode de calcul des marges de dumping («réduction à zéro»), adopté le 9 mai 2006, DS294, 29 Commission européenne, « L’UE ouvre une enquête antisubventions sur les importations de panneaux solaires originaires de Chine », Communiqué de presse, 8 novembre 2012, http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-844_fr.htm [consulté le 15 mars 2014] 30 Ibid. 31 Sénat français, « Les instruments de défense commerciale de l’Europe », Rapport d’information n°272, déposé le 7 mars 2007. 32 Commission européenne, op. cit., « L’Union européenne institue des droits antidumping provisoires sur les panneaux solaires chinois ».
10
25. Toutefois, cette mesure n’a pas été suivie de conséquences puisqu’un engagement de prix
a été conclu entre la Chine et l’UE peu de temps après33.
2.1.1.2 Une solution entre la Chine et l’Union européenne : un engagement de prix
26. Deux mois après l’imposition de ces droits antidumping provisoires, une solution à
l’amiable a été adoptée par la Chine et l’Union européenne. Le 27 juillet 2013, le Commissaire
européen au Commerce Karel de Gucht a annoncé la conclusion d’un engagement de prix entre la
Chine et l’Union européenne. Selon le Commissaire européen, « cet engagement de prix
permettra [enfin] de stabiliser le marché européen des panneaux solaires et d’éliminer le
préjudice que les pratiques de dumping ont causé à l'industrie européenne »34. Les droits ont été
imposés en deux étapes : un premier taux à 11,8% dès le 6 juin, et un second à 47,6% à partir du
6 août.
27. Ce type de mesures se définit comme un engagement « pris par les exportateurs [de]
respecter les prix minimaux à l'importation. Cet engagement n'est pas destiné à fixer les prix à
des niveaux spécifiques, mais plutôt de les empêcher de tomber en dessous d'un certain prix
planché. »35 Il s’agit d’une mesure alternative permettant d’éliminer les effets du dumping
préjudiciable, une « sorte de solution à l’amiable dans les procédures de défense commerciale
autorisées par les règles de l'OMC et de l'UE. »36
2.1.1.3 L’imposition de mesures définitives par la Commission européenne
28. Le 2 décembre 2013, le Conseil appuyé par la Commission, a pris la décision d’imposer37,
dès le 6 décembre 2013, des droits antidumping définitifs pour deux ans sur les panneaux solaires
33 Commission européenne, « Le commissaire De Gucht: Nous avons trouvé une solution amiable dans l'affaire des panneaux solaires UE-Chine qui va conduire à un nouvel équilibre sur le marché à un niveau durable des prix », Communiqué de presse, 27 juillet 2013, http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-729_fr.htm [consulté le 17 mars 2014] 34 Ibid. 35 Ibid. 36 Ibid. 37 European Commission, Implementing decision of 4 December 2013 confirming the acceptance of an undertaking offered in connection with the anti-dumping and anti- subsidy proceedings concerning imports of crystalline silicon photovoltaic modules and key components (i.e. cells) originating in or consigned from the People's Republic of China for the period of application of definitive measures, 2013/707/EU, O.J, L. 325/214.
11
chinois au taux de 47.7%38. Toutefois, les producteurs ayant signé l’engagement de prix du 27
juillet 2013, soit environ 75% des exportateurs chinois, ont été exclus du champ d’application de
cette mesure.
29. Les droits antidumping définitifs ne s'imposent donc qu'aux producteurs n’ayant pas
participé à l’engagement de prix et se divisent en deux taux. Le premier taux, fixé à 47,7%
concerne les exportateurs ayant coopéré à l’enquête de la Commission. Le deuxième taux de
64,9% vise quant à lui les exportateurs ayant refusé cette coopération. Il trouve à s'appliquer pour
moins de 20% des exportations.
2.1.2 L’enquête antisubventions parallèle mise en place par la Commission européenne
30. La Commission a le 8 novembre 2012 ouvert une seconde enquête concernant les
subventions accordées par la Chine aux acteurs nationaux du secteur photovoltaïque, suite à une
plainte déposée le 26 septembre 2012 par EU ProSun, association ad hoc représentant plus de
20 entreprises européennes produisant des panneaux solaires et leurs composants essentiels.39 Elle
est en effet selon le Règlement (CE) n°597/2009 du 11 juin 200940 tenue d’ouvrir une enquête
antisubventions lorsqu'elle est saisie « d’une plainte valable d’une industrie de l’Union qui
fournit des éléments de preuve montrant qu’un produit exporté d’un ou de plusieurs pays fait
l’objet de subventions et cause un préjudice à l’industrie de l’Union. »41 Deux conditions sont
ainsi nécessaires pour qu’une enquête soit ouverte : que les entreprises plaignantes « totalisent
plus de 25 % de la production dans l’Union » et que « les producteurs s’opposant à la plainte ne
représentent pas, dans l’Union, une part de production supérieure à celle des sociétés soutenant la
plainte. »42
38 European Commission, « EU imposes definitive measures on Chinese solar panels, confirms undertaking with Chinese solar panel exporters », Press release, 2 December 2013, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1190_fr.htm [consulté le 15 mars 2014] 39 Ibid. 40 Règlement (CE) n° 597/2009 du 11 juin 2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne, entré en vigueur le 7 août 2009, J.O L 188 du 18.7.2009. 41 Commission européenne, op.cit., L’UE ouvre une enquête antisubventions sur les importations de panneaux solaires originaires de Chine ». 42 Ibid.
12
31. La Commission - suite aux éléments fournis par l’association EU ProSun, démontrant
l’existence de subventions qui seraient accordées par les autorités chinoises, d’un préjudice subi
par l’industrie de l’Union et d’un lien de causalité possible entre les importations faisant l’objet
des subventions et le préjudice subi par l’industrie de l’Union43 - a pu justifier l’ouverture d’une
enquête.
32. La Commission n’a pas toutefois, à l’instar des mesures antidumping, imposé de droits
antisubventions provisoires. Mais, elle a imposé le 2 décembre 2013 des droits antisubventions
définitifs en même temps que les droits antidumping. Ils se « situent de 0% (Delsolar) à 3,5% et
jusqu’à 11,5% pour les compagnies ayant coopéré à l’enquête, avec un droit antisubventions
résiduel de 11,5 % pour les sociétés n’ayant pas coopéré. »44
33. De l’autre côté de l’Atlantique, se dressent aussi des mesures antidumping à l’encontre de
la Chine.
2.1.3 La mise en place de droits antidumping compensateurs par les États-Unis sur les
panneaux solaires chinois
34. Le 7 novembre 2012, l’International Trade Commission (ITC) des États-Unis d’Amérique
s’est prononcé en faveur de l’imposition de droits antidumping et compensateurs sur les produits
photovoltaïques importés de Chine.
35. L’International Trade Administration (ITA) a délivré des ordonnances d’imposition de
droits antidumping et compensateurs sur les seules cellules allant de 23,75 % à 254,66 %. En
effet, les droits de douane imposés par les États-Unis portent uniquement sur les cellules
d’origine chinoise, contrairement à l’Europe qui a choisi de taxer, cellules, wafers et modules.45
La Chine peut donc acheter des cellules photovoltaïques hors du territoire chinois, les assembler
sur son sol et ainsi éviter les droits de douane imposés. Ce contournement des barrières 43 Ibid. 44 European Commission, op.cit., « EU imposes definitive measures on Chinese solar panels, confirms undertaking with Chinese solar panel exporters ». 45 CHANDES (C.), « Retour d’expérience américain sur la taxe des panneaux photovoltaïque chinois », Usine Nouvelle, le 7 juin 2013, http://www.usinenouvelle.com/article/retour-d-experience-americain-sur-la-taxe-des-panneaux-photovoltaique-chinois.N198641 [consulté le 15 mai 2014]
13
douanières laisse peser le doute sur l’efficacité des mesures antidumping américaines.
2.1.4 Les mesures de rétorsion prises par la Chine à l’encontre des États-Unis et de la Corée
du Sud
36. En réponse à l’adoption par les Etats-Unis de droits de douane allant jusqu’à 250% sur les
cellules photovoltaïques chinoises, la Chine a lancé une enquête antidumping en guise de mesure
de rétorsion. En se basant sur les conclusions préliminaires de l’enquête, Pékin a estimé que le
polysilicium aussi bien américain que sud-coréen importé en Chine était écoulé à un prix très bas
par rapport à sa valeur normale, lésant les producteurs nationaux chinois. A la suite de ces
constatations, les importateurs chinois de polysilicium de qualité solaire en provenance des Etats-
Unis se sont vus imposer, à compter du 24 juillet 2013, des taux de dépôt allant de 53,32% à
57%, en fonction de la marge de dumping. Les produits en provenance de République de Corée
ont quant à eux été taxés de 2,4% à 48,7%46.
2.2 La demande de consultation posée par la Chine devant l’Organe de règlement des
différends de l’OMC
37. Par ailleurs, la Chine a demandé, le 5 novembre 2012, des consultations (stade
préliminaire avant l’ouverture d’un cas devant l’OMC) à l’Union européenne, à l’Italie et à la
Grèce concernant des pratiques jugées anticoncurrentielles pour des équipements
photovoltaïques. C’est « l’arroseur arrosé » comme le commente assez justement Monsieur De
La Grange, journaliste du Figaro47. Ainsi, ce sont les fabricants chinois qui se sont plaints auprès
de Pékin, accusant leurs concurrents européens de profiter de subventions des Länder en
Allemagne et de prêts préférentiels de la Banque européenne48.
46 STUDER (E.), « Bataille sur le solaire : le polysilicium d’US et Corée taxé par la Chine », LeBlogfinance, http://www.leblogfinance.com/2013/07/bataille-sur-le-solaire-le-polysilicium-dus-et-coree-taxe-par-la-chine.html [consulté le 15 avril 2014] 47 DE LA GRANGE (A.), « Énergies renouvelables : la Chine déchante », Le Figaro, 5 novembre 2012, http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/10/05/20002-20121005ARTFIG00466-energies-renouvelables-la-chine-dechante.php [consulté le 2 mars 2014] 48 Ibid.
14
3. Problématique du sujet
38. Le dumping en soi n’est pas contraire aux intérêts environnementaux. Au contraire, il
privilégie l’achat par les consommateurs de panneaux photovoltaïques à bas prix et fait ainsi
jouer la concurrence. Le dumping n’a donc pas de conséquences sur le développement de
l’énergie photovoltaïque : il s’agit là d’un épiphénomène. Or le sujet ici ne sera pas le problème
concurrentiel, mais l’enjeu environnemental derrière l’énergie photovoltaïque et ses incidences
sur le droit de l’OMC.
39. Cette étude consiste à confronter les politiques nationales environnementales avec le droit
de l’OMC. Les pouvoirs publics peuvent sans conteste en application de leurs politiques
énergétiques soutenir le développement de l’énergie renouvelable. Cette prise de conscience
environnementale est généralisée. L’ORD de l’OMC a eu l’occasion de confirmer à plusieurs
reprises l’autonomie des États membres dans la définition de leurs politiques
environnementales49. Si l’on prend l’exemple du rapport de l’Organe d’appel, Canada —
Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, on peut
s’apercevoir qu’aucun des pays à l’instance ne conteste les tarifs préférentiels accordés aux
producteurs d’énergie renouvelable. En effet, s’il y a une contestation de la compatibilité des
mesures incriminées avec le droit de l’OMC, il est de l’avis général que les plaignants ne
« mettaient pas en cause la légitimité des objectifs visés par les pouvoirs publics de l’Ontario au
moyen du programme TRG, à savoir réduire les émissions de carbone et promouvoir la
production d’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables. »50
40. Différentes méthodes nationales ont été tentées pour fixer le prix des émissions de gaz à
effet de serre. Parmi les mesures permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, on
retrouve notamment la « taxe carbone », une taxe fixant le prix du CO2 rejeté dans l’atmosphère.
Plusieurs pays ont déjà eu recours à cette taxation, notamment la Finlande qui fut la première à
49 MALJEAN-DUBOIS (S.) (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 76. 50 Rapport de l’Organe d’appel, Canada — Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, affaire DS412, point 7.7.
15
imposer une telle taxe en 199051. Une autre méthode consiste à échanger des droits d’émission de
gaz à effet de serre. Conformément à l’article 17 du Protocole de Kyoto, les Parties à l’Annexe I
peuvent acheter des unités à d’autres Parties afin de réduire leurs émissions et atteindre leurs
objectifs fixés dans le Protocole. Par conséquent, en janvier 2005, l’UE a mis en place un
système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde, le SCEQE, qui
est à ce jour le plus vaste du monde52. La question de leur efficacité s’est posée. Plusieurs études
ont démontré que l’impact des taxes carbone sur les émissions de CO2, sont assez faibles, mais
positives. Ainsi, une évaluation effectuée en 2000 a révélé que les émissions de CO2 de la
Finlande auraient été supérieures de 7% en 1998 si les taxes sur l’énergie avaient été maintenues
au niveau de 199053.
41. Les effets de ces mesures de lutte contre le changement climatique sur la compétitivité du
secteur photovoltaïque dépendent de plusieurs facteurs. Un rapport publié en 2009 par le PNUE
et l’OMC donne une liste de ces facteurs, il peut donc être lié « i) aux spécificités du secteur (par
exemple degré d’exposition au commerce ; intensité énergétique ou intensité des émissions de
CO2 ; coûts carbone directs et indirects ; coûts de production ; possibilité de répercuter les
augmentations de coûts à travers les prix ; structure du marché ; coût de transport ; capacité de
réduire les émissions et/ ou la consommation d’énergie ; possibilité d’adopter des techniques et
des procédés de production moins polluants) ; ii) à la conception de la réglementation (par
exemple montant de la redevance carbone ; rigueur de la réglementation ; possibilité
d’allégements et d’exonérations ; et méthode d’allocation des quotas dans le cas d’un système
d’échange de droits d’émission) ; et iii) à d’autres considérations de politique publique (par
exemple politiques énergétiques et climatiques d’autres pays) »54. L’impact de telles mesures
dépend ainsi de l’intensité énergétique du processus de production et de l’existence de techniques
de réduction des émissions.
42. Une autre question qui fait l’objet de débats, mais avant tout de préoccupations, peut être
posée. Il s’agit de la question de « la fuite de carbone », c’est-à-dire « du risque de relocalisation
51 OMC et PNUE, Rapport « Commerce et changement climatique, juin 2009, p. 99 52 Ibid. 53 HILTUNEN (M.), Economic environmental policy instruments in Finland, Helsinki, Institut finlandais de l’environnement, p. 24. 54 OMC et PNUE, op.cit., p. 108.
16
des entreprises à forte intensité énergétique dans les pays qui ont des politiques
environnementales moins strictes »55. Or, cet enjeu a avant tout trait à la compétitivité du pays,
mais il peut avoir tout de même un impact potentiel sur les politiques d’atténuation du
changement climatique et leur efficacité.
43. Il faut savoir que la majorité des pays européens ont mis en place des systèmes de soutien
au développement des énergies renouvelables reposant sur des tarifs d’achat garantis. Cela
signifie que les énergies renouvelables sont rémunérées hors marché puisqu’un opérateur
possédant des capacités renouvelables n’aura pas à se soucier de l’optimisation de sa production
en fonction du niveau du prix de marché, sa rémunération étant garantie à tout moment.56 Les
tarifs d’achat sont les instruments les plus répandus en Europe pour soutenir le développement de
l’énergie solaire. Ils prennent la forme d’un achat de l’énergie produite à un tarif garanti par
l’État, sur une durée de plusieurs années.
44. En France, le financement du photovoltaïque se fait sous la forme d’un tarif d’achat,
ajustable chaque trimestre pour les projets de moins de 100 kW, l’action publique structurant et
accompagnant l’essor du marché. Un contrat de fourniture est établi pour une durée de 20 ans
entre chaque producteur et la compagnie de distribution (majoritairement EDF).57
45. Pour les projets de plus de 100 kW est mis en place un système d’appels d’offres, le but
étant de mettre plusieurs entreprises en concurrence pour fournir un service. L’article 33 du Code
des marchés publics définit l’appel d’offres comme « la procédure par laquelle le pouvoir
adjudicateur choisit l’attributaire, sans négociation, sur la base de critères objectifs préalablement
portés à la connaissance des candidats ». En France, la Commission de régulation de l’énergie
(CRE) en application du décret n°2002-1434 du 4 décembre 2002, « est chargée de la mise en
œuvre de la procédure d’appel d’offres : sur la base des conditions définies par la ministre
chargée de l’énergie, elle propose un projet de cahier des charges, que la ministre peut modifier
55 Ibid., p. 109. 56 Direction générale de l’énergie et du climat, « Panorama énergies – climat 2013 », http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Panorama-energies-climat_E2013.pdf [consulté le 25 février 2014] 57 Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), « Energies et matières renouvelables -Solaire photovoltaïque - Situation actuelle et objectifs », http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&cid=96&m=3&catid=13921 [consulté le 10 mars 2014]
17
avant de l’arrêter. La CRE répond aux questions éventuelles des candidats, reçoit, instruit et note
les dossiers de candidature, puis donne un avis motivé, publié au Journal Officiel, sur le choix
qu’envisage d’arrêter la ministre chargée de l’énergie. » Les candidats à ces appels d’offres sont
sélectionnés sur la base de plusieurs critères (prix, impact sur l’environnement dont évaluation
carbone, faisabilité et délai de réalisation, contribution à la recherche et au développement).
46. Par conséquent, dans le cadre de la CRE, l’évaluation des réponses aux appels d’offres est
réalisée notamment en tenant compte de l’utilisation d’énergies renouvelables pour la production
d’énergie photovoltaïque. Le dernier appel d’offres lancé le 13 mars 2013 comprend ce critère
environnemental. Le cahier des charges prend « désormais en compte, outre le prix d’achat de
l’électricité produite, le bilan carbone du processus de fabrication des modules
photovoltaïques. »58 Le candidat doit fournir dans son dossier de candidature une évaluation
carbone simplifiée des modules ou des films photovoltaïques et cela conformément au modèle et
à la méthodologie figurant en annexe 4 du Cahier des charges59. Les émissions de gaz à effet de
serre liées à la production du module, aux équipements de procédés, aux bâtiments et utilités, de
même que l’énergie grise, à savoir « l’énergie nécessaire à la fabrication, des équipements
bâtiments et utilités»60 sont pris en compte dans l’évaluation carbone et font partie de la note
finale attribuée au candidat.
47. Le calcul de l’évaluation carbone simplifiée nécessite au surplus, de connaître les sites de
fabrication de chacun des composants du module ou film photovoltaïque. En effet, la quantité
d’énergie utilisée pour la fabrication des composants et la quantité de gaz à effet de serre émise
en conséquence selon la CRE, sont fortement dépendantes du pays de fabrication61. En France, le
coût de CO2 est nécessairement bas en raison du nucléaire, principale source d’énergie produisant
du photovoltaïque. Dans l’annexe 4, un tableau illustre la situation par les « Valeurs EMj du
contenu CO2 du kWh électrique par pays de consommation de l’électricité provenant d’une 58 Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « Appel d’offres pour installations photovoltaïques de taille moyenne : 50 mégawatts de nouveaux projets », 19 février 2013 (mis à jour le 10 juin 2013), http://www.developpement-durable.gouv.fr/Appel-d-offres-pour-installations,31614.html [consulté le 27 juin 2014] 59 Commission de régulation de l’énergie, Cahier des charges de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations photovoltaïques sur bâtiment de puissance crête comprise entre 100 et 250 kW, en ligne le 27 juin 2014. 60 Ibid. 61 Ibid.
18
publication de l’IAE : CO2 emissions from fuel combustion, 2010 »62. La « formule 2 » calculant
le contenu de carbone intègre systématiquement la valeur « EMj », soit le contenu CO2 du pays
de fabrication, ne laissant pas de choix aux candidats sur le modèle d’évaluation carbone. Ce
référentiel-pays imposé par le calcul des évaluations carbone des candidatures peut être considéré
comme discriminatoire. En effet, la France consomme 83 g eq CO2 par kWh en 2008, tandis que
le référentiel-pays de la Chine correspond à 745 g eq CO2 par kWh, soit près de neuf fois. La
Chine est de facto discriminée puisque les panneaux solaires y sont fabriqués à partir du charbon
(sauf ressources hydrauliques, mais en quantité insuffisante à l’échelle du pays), ressource
combustible élevée en CO2. Ainsi, se pose la question de savoir s’il est discriminatoire de retenir
comme critère de sélection, dans le cadre d’appels d’offres, l’évaluation du taux de CO2 lors de la
production des panneaux solaires, sur la base d’un référentiel-pays.
48. Les mesures fondées sur les processus et méthodes de productions (ci-après PMP)
affectent sans aucun doute le commerce international. Les PMP limitent ou compliquent
l’importation ou la commercialisation de marchandises ou de services en raison de la manière
dont ils ont été fabriqués ou produits. Dès lors, si ces méthodes portent atteinte à
l’environnement, peut-on en tenir compte dans le cadre d’une politique environnementale, lors
des appels d’offres? Selon David Luff évoquant le droit de l’OMC, « les différences dans les
processus ou méthodes de production, lorsqu’ils n’affectent pas les propriétés de produits, ne
permettent pas de les différencier du point de vue juridique »63. Or, cette conception a évolué, la
jurisprudence de l’OMC ainsi que la doctrine récente plaçant un doute sur cette affirmation.
49. Le droit du commerce international existant à ce jour doit être interrogé quant à sa
capacité à faire face aux pratiques restrictives à l’exportation de produits énergétiques
qu’appliquent les États. En effet, lorsqu’il s’agit de ces appels d’offres, la question qui se pose est
de savoir jusqu’où les politiques visant à combattre les changements climatiques sont légitimes
ou, au contraire, protectionnistes. Faut-il faire primer les règles commerciales multilatérales sur la
62 Commission de régulation de l’énergie, « Valeurs EMj du contenu CO2 du kWh électrique par pays de consommation de l'électricité provenant d'une publication de l'IAE : CO2 emissions from fuel combustion, 2010 », Tableau 3, Annexe 4, Cahier des charges de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations photovoltaïques sur bâtiment de puissance crête comprise entre 100 et 250 kW. 63 LUFF (D.), Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce : Analyse critique, Bruylant, LGDJ, Bruxelles-Paris, 2004, p. 1066.
19
protection de l’environnement? Ne cache-t-on pas derrière ces politiques de protection
environnementale une discrimination entre les produits énergétiques nationaux et étrangers,
confinant au protectionnisme le plus contestable?
50. Dans quelle mesure le droit de l’OMC laisse-t-il une marge de manœuvre aux États pour
mettre en œuvre des politiques énergétiques d’énergie propre affectant les échanges? Cette
question met en exergue deux systèmes de protections établis par l’OMC. On doit en effet se
demander si ces politiques d’énergie propre concernant les panneaux solaires photovoltaïques
sont compatibles d’une part avec les règles générales du GATT de 1994 (Partie I), d’autre part
avec les accords spécifiques de l’OMC. (Partie II).
20
Partie I : Compatibilité au regard des règles générales du GATT de 1994
51. Les appels d’offres favorisant la production de panneaux solaires au moyen d’énergie
propre sont-ils compatibles avec les règles générales du GATT de 1994 ? Ces politiques sont
acceptées dans la mesure où elles ne contreviennent pas au principe de non-discrimination. Le
principe de non-discrimination posé par le droit de l’OMC s’articule autour de deux axes : le
principe d’égalité de traitement qui veille à ce que chaque État confère aux produits étrangers un
traitement non moins favorable qu’aux produits nationaux (Titre I), et la clause de la nation la
plus favorisée, selon laquelle tout État qui accorde un avantage à un autre État doit l’étendre à
l’ensemble des États (Titre II). Toutefois, ces clauses peuvent faire l’objet d’exceptions qui
légitimeraient une discrimination, en l’espèce au titre de l’article XX du GATT (Titre III).
Titre I. L’incompatibilité présumée avec l’article III:4 du GATT : la règle du
traitement national
52. Que se passe-t-il lorsque dans le cadre d’appels d’offres, une réglementation intérieure est
adoptée sur la base d’un critère environnemental, mais est de facto discriminatoire ? L’article
III:4 du GATT repose sur une logique strictement économique qui refuse toute mesure
discriminatoire, et ce, peu importe les considérations environnementales de la réglementation
litigieuse (Chapitre 1). Cependant, l’article III:8 a) du GATT pourrait peut-être agir comme un
moyen d’exclusion des mesures contestées du champ d’application de l’article III:4 du GATT
(Chapitre 2).
Chapitre 1. Les conditions entraînant la violation de l’article III:4 du GATT
53. Le mécanisme lié au bilan carbone pratiqué dans le cadre d’appels d’offres est contraire a
priori à l’article III:4 du GATT. Cette disposition du GATT applique le principe du traitement
national à « toute loi, tous règlements ou toutes prescriptions affectant la vente, la mise en vente,
l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation de produits sur le marché intérieur ». Trois
éléments sont nécessaires pour établir la violation de l’article III:4 du GATT :
21
- La similarité entre les produits nationaux et les produits importés (Section 1).
- L’existence d’une loi, un règlement ou une prescription affectant la vente, la mise en
vente, l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation de produits sur le marché
intérieur (Section 2).
- Le fait qu’un traitement moins favorable soit accordé pour les produits importés que pour
les produits similaires d’origine nationale (Section 3).
Section 1. La question de la similarité des produits
54. La jurisprudence relative à la non-discrimination entre produits similaires a évolué dans
un sens privilégiant une conception très large de la similarité (§1). La conséquence en est que le
commerce est privilégié sous l’article III:4 par rapport aux considérations environnementales,
comme le démontrent le Panel de l’OMC et l’Organe d’appel en rejetant l’approche subjective du
critère de similarité (§2).
§ 1. L’interprétation très large de la notion de similarité
55. La première étape dans l’établissement d’une violation de l’article III:4 consiste à
différencier des produits nationaux qui sont « similaires » aux produits étrangers. Le champ
d’application de l’article III:4 dépend de la manière dont le critère de similarité des produits est
appréhendé, c’est-à-dire étroitement ou largement. La portée de la similarité est plus large au
paragraphe 4 de l’article III que dans la première phrase du paragraphe 2 de ce même article.
L’article III:2 dans sa première phrase dispose que les taxes qui frappent les produits importés ne
peuvent pas être supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires. Toute marge
d’imposition supérieure (même de minimis) concernant un produit importé constitue une
violation. Cela tient à ce que la portée de la première phrase de l’article III doit être considérée à
la lumière de sa relation interprétative avec la seconde phrase, ce qui n’est pas le cas à l’article
III:464.
64 OMC., « Formation en ligne de l’OMC - Mesures correctives commerciales et OMC », p. 47, http://etraining.wto.org/admin/files/Course_394/CourseContents/TR-F-R2-Print.pdf
22
56. Le critère de similarité appliqué dans le cadre de l’article III:4 a donc été interprété
largement par le Groupe spécial dans l’affaire CE — Amiante65 et s’interprétera largement,
également pour le cas d’espèce.
57. Les critères, communs aux articles I:1 et III du GATT, permettant d’appréhender la notion
de similarité ont été détaillés et systématisés par le Groupe spécial dans l’affaire CE — Amiante,
(WT/DS135/AB/R)66. Celui-ci a rappelé que « tous les critères utilisés sont interdépendants et
que le poids à leur donner varie en fonction du produit considéré »67. L’approche de l’Organe
d’appel dans cette affaire consiste à utiliser quatre critères généraux pour analyser la
« similarité » : i) propriétés, nature et qualité des produits ; ii) utilisations finales des produits ;
iii) goûts et habitudes des consommateurs - critère plus complètement appelé perceptions et
comportement des consommateurs - en ce qui concerne les produits ; et iv) classement tarifaire
des produits.
58. Comme l’explique le Professeur Maljean-Dubois, « un État ne peut invoquer les
conditions de production de tel produit – qu’il juge écologiquement acceptable – pour préférer
ces produits à tout autre »68. Sur cette base, la différenciation peut-elle être faite entre les produits
fabriqués écologiquement ou non dans le cadre d’un appel d’offres? La réponse est négative. En
effet, pour reprendre les critères de similarité dégagés par le Groupe spécial, il n’y a pas de
différence de propriétés physiques entre ces produits. Le fait d’opérer une discrimination entre le
panneau photovoltaïque produit avec une énergie faible en CO2 et un panneau dont la méthode de
production est élevée en CO2 n’en fait pas des produits non « similaires » au sens de l’article III:4
du GATT. Le procédé de production du produit photovoltaïque ne laisse en réalité pas de traces
sur le produit final puisque les caractéristiques physiques du produit final demeurent identiques.
59. Au niveau européen, la Finlande avait par exemple imposé une taxe sur l’électricité dont
65 Rapport du Groupe spécial, Communautés européennes – Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, WT/DS135/R, 18 septembre 2000, § 8.124 et 8.126. 66 Rapport du Groupe spécial. Communautés européennes – Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, WT/DS135/R, 18 septembre 2000. 67 Ibid, § 8.115. 68 MALJEAN-DUBOIS (S.) et TRUIHLÉ (E.), L’Organisation mondiale du commerce confrontée aux défis de la protection de l’environnement, comment intégrer les exigences environnementales dans le système commercial multilatéral, Rapport final au Commissariat général du plan, CERIC, juillet 2002, p. 13.
23
le taux variait en fonction du mode de production d’électricité. Elle appliquait ainsi aux
importations un taux uniforme, car elle estimait qu’il était impossible de déterminer le mode de
production de l’électricité importée une fois qu’elle était dans le réseau de distribution. Un
importateur d’électricité s’était plaint devant la Cour de Justice des Communautés européennes,
en considérant que ce taux uniforme constituait une violation du TCE interdisant toute
discrimination directe ou indirecte à l’égard des produits importés. La Cour dans l’arrêt
Outokumpu Oy de 199869 a statué en sa faveur en expliquant que « la loi finlandaise ne donnait
pas la possibilité de démontrer comment l’électricité était produite pour pouvoir bénéficier du
taux applicable à l’électricité produite dans le pays par la même méthode »70. Mais la Cour a aussi
estimé que, si une taxe différenciée était fondée sur un critère objectif et s’appliquait de la même
façon aux produits nationaux et étrangers, il était légal »71. Ici, le critère objectif de la taxe
permettait d’écarter l’application du principe de non-discrimination. Si nous faisons un parallèle
avec le principe de non-discrimination établi par le droit de l’OMC, celui-ci a une approche plus
restrictive quant à ses critères et ne permettrait sans doute pas la compatibilité de la mesure avec
les dispositions de l’OMC.
60. Dès lors, la question peut se poser de savoir s’il est possible de faire rentrer dans
l’évaluation de la similarité des critères subjectifs, par exemple la protection de la santé publique.
Dans l’affaire CE – Amiante, qui portait sur un décret français interdisant d’importer, de vendre
et d’utiliser de l’amiante, et destiné à prévenir les risques sanitaires que présentait l’exposition à
cette substance et aux produits en contenant, le Canada devait démontrer que les produits
contenant de l’amiante importé du Canada étaient similaires aux substituts nationaux français.
L’Organe d’appel a considéré, en infirmant la constatation du Groupe spécial, qu’un autre critère
devait être pris en compte pour déterminer la similarité des produits (et le rapport compétitif entre
les produits), à savoir la dangerosité que les deux produits présentaient pour la santé.72
61. La prise en considération des risques environnementaux doit-elle aboutir à une
dissemblance entre les produits photovoltaïques ? Il s’agit d’introduire dans l’interprétation de la
69 CJCE, arrêt du 2 avril 1998, Outokumpu Oy, C-213/96. 70 OMC et PNUE, op.cit., Rapport « Commerce et changement climatique, p. 112. 71 Ibid. 72 OMC., « Règles de l'OMC et politiques environnementales », Module 6, p. 5.
24
notion de similarité une différente approche qui n’obéisse pas à une logique strictement
économique.
§ 2. Le rejet de l’approche subjective du critère de similarité
62. “The mutual promise among all Members ex Article III was not to refrain from any
taxation or regulation that would have the effect of giving protection to domestic production, but
to refrain from imposing such regulation or taxation with that purpose”73. Le principe de
l’autonomie des États membres dans la définition de leurs politiques environnementales peut-il
leur permettre de prendre en compte les risques environnementaux et de qualifier les produits en
cause de non similaires ?
63. Une approche subjective du critère de similarité a été développée par différents tribunaux
internationaux pour permettre de mettre en balance les obligations internationales cherchant à
libéraliser le commerce et les investissements d’un côté, et les politiques nationales protégeant
l’environnement et les consommateurs de l’autre. Comme l’explique le Dr. Nicolas F. Diebold,
“[t]he doctrinal reasoning of the subjective standard is to argue that the tertium comparationis is
defined by the regulatory purpose of the measure under scrutiny; for instance, if the measure is
designed to protect the environment, then the products are compared on the basis of their
environmental impact. GATT 1947 jurisprudence implemented a subjective standard with the so
called ‘aim and effects’ test as part of the ‘like products’ analysis.”74
64. Cette approche a été reprise par un panel du GATT disposant que les bières de basse et
haute teneur en alcool ne sont pas « similaires » aux fins de l’article III:4 du GATT puisque les
mesures restreignant les points de vente, la distribution et l’étiquetage visaient à encourager la
consommation de bière à faible teneur en alcool75. Inversement, les vins issus de différents
cépages ont été jugés comme « produits similaires » principalement parce que l’intimé n’était pas
73 BETHLEHEM (D.), McRAE (D.), NEUFELD (R.) and VAN DAMME (I.), The Oxford handbook of International Trade Law, New York, Oxford University Press, 2009. 74 DIEBOLD (N.), “Non-discrimination and the pillars of international economic law”, June 30, 2010, SIEL 2010 Conference in Barcelona, Published by the Society of International Economic Law, http://www.ssrn.com/link/SIEL-2010- Barcelona-Conference.html 75 Ibid.
25
en mesure de fournir “any valid public policy purpose in support of its differential tax
treatment”76.
65. Cette approche subjective de la similarité permettrait-elle de prendre en compte les
objectifs environnementaux poursuivis par les États dans leurs appels d’offres par exemple, et
cela sans que ces mesures internes soient discriminatoires ?
66. Il aurait été possible de transposer ce standard aux panneaux photovoltaïques fabriqués à
partir d’énergie propre pour justifier la discrimination faite avec les panneaux fabriqués à partir
d’énergies plus polluantes. Cependant, ce test a été rejeté, “subsequently the WTO panel and
Appellate Body strongly rejected the ‘aim and effects’ test for purposes of both GATT and
GATS.”77 Selon les professeurs DiMascio et Pauwelyn, “this shift back to a more intrusive
interpretation of national treatment is largely explained by the Appellate Body's textual approach
to treaty interpretation, as was directed by WTO negotiators in the WTO treaty itself78.
67. Ce refus formel de l’ORD d’utiliser une autre approche empêche ainsi tout recours à
l’approche subjective de la notion de « similarité » pour les produits photovoltaïques fabriqués de
manière différente dans le cadre de l’article III:4 du GATT. Les panneaux photovoltaïques
fabriqués de manière polluante ou non sont donc objectivement similaires et constituent en ce
sens une discrimination au regard du principe de traitement national.
Section 2. Des actes normatifs juridiques devant affecter les conditions de concurrence des
produits
68. Pour démontrer qu’une mesure nationale constitue une violation de l’article III:4, il faut
démontrer en deuxième lieu « l’existence d’une loi, un règlement ou une prescription affectant la
vente, la mise en vente, l’achat, le transport, la distribution ou l’utilisation de produits sur le
76 GATT Panel Report, United States – Measures Affecting Alcoholic and Malt Beverages (US – Malt Beverages), DS23/R, adopted 19 June 1992, BISD 39S/206, § 5.23-26, 5.70-77; GATT Panel Report, United States – Taxes on Automobiles (US – Taxes on Automobiles), DS31/R, 11 October 1994, unadopted, § 5.10. 77 DIEBOLD (N.), op.cit.,“Non-discrimination and the pillars of international economic law”, p.7. 78 DIMASCIO (N.) and PAUWELYN (J.), “Non-discrimination in Trade and Investment Treaties: Worlds apart or two sides of the same coin?”, The American Journal of International Law, Vol. 102:48, p. 64.
26
marché intérieur »79. La démonstration de l’existence d’une réglementation nationale a été admise
par les Groupes spéciaux de manière large80. Les « lois, règlements ou prescriptions » couvrent
« non seulement les actes normatifs juridiques obligatoires, mais aussi les engagements que les
entreprises acceptent volontairement afin d’obtenir un avantage du gouvernement ou les
instructions non obligatoires de la puissance publique qui créent un incitant pour les entreprises à
se comporter d’une manière déterminée. »81
69. La notion d’ « actes normatifs juridiques obligatoires »82 peut recouvrir les prescriptions
adoptées dans le cadre des appels d’offres de la CRE83, puisque dans le calcul de l’évaluation
carbone simplifiée, celui-ci doit obligatoirement être conforme aux exigences de l’annexe 4,
empêchant les candidats de contourner le référentiel-pays. Le candidat ne peut présenter sa
propre méthode d’évaluation du contenu CO2 de l’énergie qu’il utilise pour fabriquer ses
panneaux photovoltaïques, ce qui en fait un acte normatif juridique obligatoire.
70. L’article III:4 englobe, comme le précise sa note interprétative annexée au GATT, les
règlementations perçues ou imposées au produit importé « au moment ou au lieu de
l’importation »84. Or, comme l’explique Marie-Pierre Lanfranchi, cette disposition ne permet pas
de déterminer si l’article III:4 est limité aux règlementations touchant directement les produits ou
s’il inclut également les règlementations qui, à travers le produit, visent le processus de
production comme en l’espèce l’évaluation carbone.
71. En l’occurrence, cette question a été mise en avant dans les affaires États-Unis -
79 Voir en ce sens par exemple : Rapport de l’Organe d’appel, Corée – Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche, réfrigérée et congelée, WT/DS161/AB/R, WT/DS169/AB/R, 11 décembre 2000, §133 ; Rapport du Groupe spécial, Inde – Mesures concernant le secteur automobile, WT/DS146/R, WT/DS175/R, 21 décembre 2001, § 7.172, etc. 80 LUFF (D.), op.cit., Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce : Analyse critique, p. 94. 81 Ibid, p. 95. 82 Ibid, p. 94. 83 Ibid. 84 LANFRANCHI (M.-P.), « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires » in : MALJEAN-DUBOIS (S.) (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 81.
27
Restrictions à l’importation de thon85, où une loi américaine interdisait les importations de thon
dès lors que la capture de ces mammifères résultait de techniques de pêche présentant un danger
pour les dauphins86. Les États-Unis avançaient que les dispositions de l’article III:4 ne
s’appliquaient pas en l’espèce, car le thon importé n’était pas similaire au thon américain. À
l’inverse du thon américain, le thon importé notamment du Mexique était capturé vivant selon
des techniques non écologiques87. La question se posait donc de savoir si les règles commerciales
autorisaient de prendre des mesures contre la méthode de production d’une marchandise et non
contre la qualité de la marchandise elle-même. Le Professeur Marie-Pierre Lanfranchi en conclut
qu’en « transpos[ant] les conclusions relatives à la portée de l’article III:2 figurant dans le rapport
sur les Ajustements fiscaux à la frontière, le Groupe de travail constate que si l’article III:2 ne
concerne que les impositions intérieures qui frappent les produits, il serait illogique d’admettre
dans le même temps que l’article III:4 s’applique à des réglementations qui ne visent pas le
produit en tant que tel. […] [E]n d’autres termes, si l’article III:4 vise bien la similarité des
produits, il reste indifférent au processus de production »88. Dès lors, « l’article III:4 et sa note
interprétative ne s’appliquent pas aux réglementations qui ne peuvent affecter le produit en tant
que tel et qui accorderaient un traitement moins favorable aux produits similaires dont le mode de
production n’est pas conforme aux politiques intérieures du pays importateur »89. Une fois de
plus, la protection de l’environnement dans la mise en œuvre de l’article III:4 est reléguée au
profit d’une analyse purement économique faisant prévaloir le critère concurrentiel.
72. Ces rapports des Groupes spéciaux du GATT n’ont toutefois pas été adoptés, rendant leur
valeur incertaine sous l’empire de l’OMC. Il est néanmoins possible d’en conclure que sous
l’autorité de l’article III:4, l’évaluation carbone en tant que règlement intérieur serait
difficilement compatible avec ses dispositions en ce qu’elles altèrent les conditions de
concurrence des panneaux photovoltaïques étrangers.
85 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, DS21/R - 39S/174, distribué le 3 septembre 1991, non adopté ; Rapport du Groupe spécial, États-Unis– Restrictions à l’importation de thon, distribué le 16 juin 1994, DS29/R, non adopté. 86 Ibid. 87 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires », p. 82. 88 Ibid. 89 Ibid.
28
73. En effet, les lois, règlements ou prescriptions doivent de plus « affecter » les conditions de
concurrence des produits donnés90. Cette notion a été interprétée de manière large et « inclut toute
mesure qui a un effet sur la commercialisation des produits considérés et non seulement les
mesures qui régissent directement les conditions de la vente, de la mise en vente, de l’achat, etc.,
de ces produits »91. L’évaluation carbone, dans notre cas, altère sans conteste les conditions de
concurrence entre les produits fabriqués ou non à partir d’énergie basse en CO2 dans la mesure où
ceux-ci concourent tous deux sur le marché des appels d’offres.
Section 3. Un traitement « moins favorable » réservé aux produits étrangers
74. Ce principe de traitement national se retrouve aussi à l’article III:5 du GATT qui dispose
qu’ « aucune partie contractante n’établira ni ne maintiendra de réglementation quantitative
intérieure concernant le mélange, la transformation ou l’utilisation, en quantités ou en proportion
déterminées, de certains produits, qui exigerait, directement ou indirectement, qu’une quantité ou
une proportion déterminée d’un produit visé par la réglementation provienne de sources
nationales de production. » Cette disposition interdit ainsi les mesures qui ont pour effet de
favoriser une production nationale de produits fabriqués en amont d’un produit fini92. Toutefois,
pour être appliquée, la mesure en cause doit « imposer un pourcentage déterminé d’intrants
matériels (et non de services) devant être utilisés pour la fabrication d’une marchandise »93. Or,
en l’espèce, dans le cadre des appels d’offres de la CRE notamment, il s’agit d’une évaluation du
taux de carbone utilisé pour la production de panneaux solaires et non a priori de l’utilisation
d’un pourcentage déterminé d’énergie verte provenant de sources nationales de production. Dès
lors, l’article III:5 ne trouve pas à s’appliquer.
75. Si l’article III:5 ne s’applique pas, la question se pose de savoir si l’article III:4 pourrait
l’être. Afin d’établir une violation de l’article III:4 par la mesure controversée, il faut démontrer
le fait qu’un traitement moins favorable ait été accordé pour les produits importés par rapport aux
90 Rapport du Groupe spécial, Inde – Mesures concernant le secteur automobile, WT/DS146/R, WT/DS175/R, 21 décembre 2001, § 7.197. 91 LUFF (D.), op.cit., Le droit de l’Organisation mondiale du commerce : Analyse critique, p. 95. 92 Rapport du Groupe spécial du GATT de 1947, États-Unis – Mesures affectant l’importation, la vente et l’utilisation de tabac sur le marché intérieur, adopté le 4 octobre 1994, DS44/R, § 67. 93 Ibid.
29
produits similaires d’origine nationale. Cette différence de traitement doit s’ajouter à des
conditions de concurrence moins favorables pour les produits importés dans le marché en
question94, en l’espèce celui des appels d’offres concernant les installations photovoltaïques.
76. En effet, comme l’illustre le Professeur Dimascio, “GATT national treatment is about
competitive opportunities, not actual trade flows”95. Le traitement national sous l’empire du
GATT est axé sur l’égalisation des possibilités de concurrence des importations par rapport aux
produits nationaux. La question centrale est de savoir si la différence de traitement a eu pour effet
d’aggraver les possibilités de concurrence des produits par rapport aux produits nationaux
similaires. Le Professeur y répond en établissant que “[t]he Appellate Body's test makes no room
for the achievement of legitimate regulatory objectives that also have incidental protectionist
effects.”96
77. Face à une telle conclusion, les professeurs Carreau et Juillard posent la question de
savoir si une « application non-discriminatoire de la clause de traitement national n’est-elle pas
en elle-même de nature à freiner les échanges et à se révéler protectionniste lorsqu’un pays
importateur prétend imposer ses « normes de protection » pour des motifs au demeurant
parfaitement légitimes et honorables ? »97. Ici, ressort à nouveau la controverse entre la
compatibilité des mesures nationales avec les objectifs environnementaux et la liberté du
commerce international. La principale réponse à ce débat réside dans l’objet même de l’article
III:4 du GATT, sa vocation étant avant tout d’offrir l’égalité des conditions de concurrence aux
produits importés par rapport aux produits nationaux. Les États membres utilisent ainsi d’autres
dispositions du GATT pour justifier leurs dispositions internes visant la protection de
l’environnement. En résumé, face à cette approche strictement concurrentielle de l’article III:4 du
GATT, dans le cadre d’appels d’offres, dès lors qu’une mesure a pour effet d’altérer les
conditions de concurrence entre produits similaires, celle-ci est de facto considérée comme
contraire à cette disposition. L’évaluation carbone sera réputée contraire à l’article III:4 du
GATT.
94 LUFF (D.), op.cit., p. 96. 95 DIMASCIO (N.) and PAUWELYN (J.), op.cit., “Non-discrimination in Trade and Investment Treaties: Worlds apart or two sides of the same coin?”, p. 64. 96 Ibid. 97 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), Droit international économique, Dalloz, 2013, 5ème éd., Paris, p. 228.
30
Chapitre 2. L’application de l’article III:8 a) du GATT comme moyen d’exclusion des
mesures contestées du champ d’application de l’article III:4 du GATT
78. Les Groupes spéciaux dans l’affaire Canada, certaines mesures affectant le secteur de la
production d’énergie renouvelable ont considéré que « toute transaction relative à une acquisition
des pouvoirs publics qui est visée par les termes de l’article III:8 a) du GATT de 1994 sera exclue
du champ des obligations énoncées à l’article III, y compris l’article III:4 »98. L’article III:8 a)
fais partie de ces exceptions spécifiques à l’application de la règle du traitement national. Cette
disposition concerne les marchés publics dans le cas où les produits nationaux achetés par les
pouvoirs publics sont utilisés pour leurs propres besoins, et non à des fins de revente. Ainsi, « les
achats par les pouvoirs publics agissant en qualité de puissance publique peuvent donc privilégier
les marchandises nationales par rapport aux marchandises importées. En revanche, cela reste
interdit pour les acquisitions faites par l’État agissant à titre privé ou dans le cadre d’une activité
commerciale. »99
79. La question se pose de savoir si l’évaluation carbone dans le cadre de l’appel d’offres est
ainsi exclue du champ d’application de l’article III:4 du GATT de 1994 en vertu de l’application
de l’article III:8 a) du GATT de 1994. Dans l’affaire Canada, certaines mesures affectant le
secteur de la production d’énergie renouvelable100, le produit en cause faisant l’objet d’une
discrimination en raison de son origine n’était pas l’électricité, mais le matériel de production
nécessaire à sa fabrication. L’Organe d’appel a distingué ces deux produits et en a conclu qu’ils
ne se trouvaient pas dans un rapport de concurrence. Au regard de son analyse, « le matériel de
production est acheté par les producteurs eux-mêmes. En conséquence, le produit acheté par un
organe gouvernemental aux fins de l’article III:8 a) – à savoir l’électricité – n’est pas le même
que le produit qui est traité moins favorablement à la suite des niveaux minima requis de teneur
en éléments nationaux figurant dans le programme et les contrats TRG. »101
98 Rapport des Groupes spéciaux, Canada - certaines mesures affectant le secteur de la production d'énergie renouvelable, DS412-DS426, adopté le 19 décembre 2012, §7.118. 99 LUFF (D.), op.cit., Le droit de l’Organisation mondiale du commerce : Analyse critique, p. 98. 100 Rapport de l’Organe d’appel, Canada - certaines mesures affectant le secteur de la production d'énergie renouvelable, DS412-DS426, adopté le 6 mai 2013. 101 Ibid, p. 110, §5.75.
31
80. La dérogation prévue à l’article III:8 a) du GATT de 1994 ne couvre pas le matériel de
production et ne peut dès lors s’appliquer aux appels d’offres de notre cas d’espèce.
Titre II. L’incompatibilité présumée avec l’article I:1 du GATT : la règle du
traitement de la nation la plus favorisée
81. Le deuxième versant du principe de non-discrimination se trouve dans la règle du
traitement de la nation la plus favorisée. Défini à l’article I:1 du GATT, il dispose que tous
avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés à un produit originaire d’un membre de
l’OMC doivent immédiatement et sans condition être étendus à tous les produits similaires
originaires des autres membres de l’OMC. Pour déterminer si l’évaluation carbone dans le cadre
d’appels d’offres est incompatible avec l’article I:1, il faut déterminer si cette mesure entre dans
le champ d’application de la règle de la nation la plus favorisée (Chapitre 1). Puis, si celle-ci
couvre les conditions entraînant la violation de l’article I:1 (Chapitre 2).
Chapitre 1. Le champ d’application de la règle de la nation la plus favorisée
82. L’objet et le but de l’article I:1 du GATT ont été définis dans l’affaire Canada - Certaines
mesures affectant l’industrie automobile ("Canada - Industrie automobile") comme « consist[a]nt
à interdire la discrimination à l’égard de produits similaires originaires ou à destination de
différents pays »102. L’article I:1 se lit en liaison avec l’article III qui interdit toute discrimination
entre produits importés et produits nationaux, auquel se rajoute le principe de non-discrimination
entre les importations provenant de différents pays. En d’autres termes, lorsque l’État membre
légifère en matière fiscale ou règlementaire, il doit accorder un traitement aussi favorable aux
produits importés qu’aux produits nationaux, mais de plus, ce traitement devant également être
aussi favorable que celui des importations similaires d’autres pays.
102 Rapport de l’Organe d’appel, Canada — Certaines mesures affectant l'industrie automobile, WT/DS139/AB/R, WT/DS142/AB/R, adopté le 19 juin 2000, §84.
32
83. L’ORD a confirmé dans de nombreuses décisions qu’une mesure peut être discriminatoire
non seulement en droit (de jure), mais aussi en fait (de facto). Une mesure établissant une
discrimination de jure se définit comme telle, « lorsqu’il ressort clairement du libellé de
l’instrument juridique qu’elle confère un avantage à un produit en provenance d’un Membre ou
d’un non-Membre, sans accorder un tel avantage aux produits similaires en provenance de tous
les autres Membres de l’OMC »103. Toutefois, « lorsque la discrimination ne ressort pas à
première vue de l’instrument juridique ou de son texte, la mesure peut quand même être
discriminatoire de facto, ou dans la pratique »104.
84. L’Organe d’appel dans l’affaire Canada —Industrie automobile, suivant la lignée de cette
jurisprudence, a estimé que « l’article I:1 ne vise pas uniquement la discrimination “en droit” ou
de jure. Comme il a été confirmé dans plusieurs rapports de groupes spéciaux du GATT, l’article
I:1 vise aussi la discrimination “de fait” ou de facto »105. Il y a discrimination de facto lorsqu’un
instrument juridique apparemment neutre est en fait ou de fait discriminatoire106. Dans les appels
d’offres en cause, l’évaluation carbone ne discrimine pas entre les produits étrangers similaires
dans son texte même. C’est à cet égard qu’il faut examiner, pour établir l’existence d’une
discrimination de facto, tous les faits afférents à l’application de la mesure contestée. Cette
appréciation de fait « s’effectue en fonction des conditions de concurrence du marché des
produits en cause »107.
85. Le traitement de la nation la plus favorisée a une certaine incidence sur les politiques de
protection de l’environnement. En effet, si ce principe signifie que les États membres s’engagent
à ne pas faire de discrimination entre les pays et à ne traiter aucun pays moins favorablement
qu’un autre, cette exigence a cours pour les normes en matière d’environnement.
103 OMC., Commerce des marchandises, Le principe de non‐discrimination: le traitement de la nation la plus favorisée (NPF) et le traitement national dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994, Module 2, http://etraining.wto.org/admin/files/Course_383/Module_1081/ModuleDocuments/eWTO-M2-R1-F.pdf [consulté le 30 juin 2014] 104 Ibid. 105 Rapport de l’Organe d’appel, Canada — Certaines mesures affectant l'industrie automobile, WT/DS139/AB/R, WT/DS142/AB/R, adopté le 19 juin 2000, §78. 106 OMC., op.cit., Commerce des marchandises, Le principe de non‐discrimination: le traitement de la nation la plus favorisée (NPF) et le traitement national dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994. 107 LUFF (D.), op.cit., Le droit de l’Organisation mondiale du commerce : Analyse critique, p. 43.
33
Chapitre 2. Les conditions entrainant la violation de l’article I.1 du GATT
86. L’établissement de la violation de l’article premier du GATT, implique la vérification de
trois éléments : un avantage doit avoir été conféré (Section 1), puis étendu « immédiatement et
sans condition » (Section 2) aux produits similaires de différentes origines108 (Section 3).
Section 1 : La notion d’avantage conféré
87. Il est nécessaire de déterminer en premier lieu si la mesure incriminée constitue un
avantage au sens de l’article I:1. Un avantage « consiste en tout traitement favorable, quel qu’en
soit sa nature, qui facilite l’importation, l’exportation ou la commercialisation des marchandises.
Sont donc visés aussi bien les réductions tarifaires que tous les avantages compétitifs non
tarifaires pouvant être accordés à des marchandises »109.
88. Reprenant cette notion d’avantage conféré, l’Organe d’appel dans l’affaire Communautés
européennes – Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes,
« dite Bananes III »110, a confirmé la constatation du Groupe spécial selon laquelle les règles
relatives aux fonctions, qui s’appliquaient uniquement aux règles d’attribution des certificats pour
les importations en provenance de pays autres que les pays ACP traditionnels, étaient
incompatibles avec l’article I:1. Selon l’Organe d’appel, l’exigence des CE en matière de licences
d’exportation accordait un avantage à certains membres seulement, à savoir les pays signataires
de l’Accord‐ cadre, en violation de l’article I:1.111 Cette jurisprudence peut être transposée au cas
d’espèce. Dans les appels d’offres en cause, tout pays produisant des panneaux photovoltaïques
grâce à des énergies vertes se verra accorder une meilleure note sous l’évaluation carbone,
discriminant ainsi les produits similaires en provenance d’autres pays. Ces appels d’offres
privilégient un nombre limité de fabricants qui sont tenus de remplir certaines conditions en
matière de méthode de fabrication. L’exigence de la France en matière environnementale accorde
donc un avantage à certains membres (à savoir les pays peu énergivores en énergies polluantes) 108 Article I:1 du GATT. 109 LUFF (D.), op.cit., p. 43. 110 Rapport de l’Organe d’appel, Communautés européennes – Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes, distribué le 9 septembre 1997, WT/DS27/AB/R. 111 Rapport de l’Organe d’appel, Communautés européennes – Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes, distribué le 9 septembre 1997, WT/DS27/AB/R, p. 100-101.
34
qui n’est pas offert aux autres membres.
Section 2 : L’obligation inconditionnelle d’étendre tous les avantages accordés
89. L’Organe d’appel dans l’affaire Bananes III a indiqué qu’il devait y avoir « un avantage
du type visé audit article et qui n’est pas accordé sans condition à tous les "produits similaires" de
tous les Membres de l’OMC ». Suivant cette analyse, l’obligation d’étendre tous les avantages
accordés aux produits similaires originaires des autres membres de l’OMC « ne peut être
subordonnée à l’obtention d’avantages réciproques dans le chef des pays tiers bénéficiaires ou à
la réalisation de conditions relatives à la situation ou au comportement de ces pays »112.
90. Le Groupe spécial dans l’affaire Canada —Industrie automobile a toutefois précisé que
l’octroi d’un avantage en soi peut être soumis à certaines conditions, « [u]n avantage peut être
accordé sous réserve de conditions sans que cela implique nécessairement qu’il n’est pas accordé
« sans condition » au produit similaire des autres Membres. Plus précisément, le fait que les
conditions associées à un tel avantage sont sans lien avec le produit importé lui-même n’implique
pas nécessairement que ces conditions soient discriminatoires quant à l’origine des produits
importés »113.
91. En pratique, l’évaluation carbone en cause dans les appels d’offres de la CRE n’accorde
pas immédiatement et sans condition le même avantage aux produits similaires de tous les autres
membres, comme l’exige l’article I:1 du GATT de 1994. L’avantage est accordé pour certains
produits originaires de certains pays, leur donnant une marge de manœuvre préférentielle, sans
être accordé aux produits similaires en provenance de tous les autres membres. En effet, les
produits originaires de pays à faible consommation de CO2 se verront accorder une meilleure
note dont ne bénéficieront pas les produits similaires en provenance d’autres pays. En
conséquence, cette mesure n’est pas compatible avec les obligations de la France au titre de
l’article I:1 du GATT de 1994.
112 LUFF (D.), op.cit., p. 44. 113 Rapport du Groupe spécial, Canada – Certaines mesures affectant l'industrie automobile, adopté le 19 juin 2000, WT/DS139/R WT/DS142/R, p. 413, §10.24.
35
92. À cet égard, peut être mentionnée l’affaire États-Unis — Prohibition à l’importation de
certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes114, « dite Crevettes-tortues ». Ici, le
reproche fait aux États-Unis n’a pas été d’avoir adopté des mesures pour protéger
l’environnement, mais d’avoir établi une discrimination entre les membres de l’OMC. En effet,
les États-Unis « accordaient aux pays de l’hémisphère occidental — essentiellement dans les
Caraïbes — une assistance technique et financière et des délais de transition plus longs pour que
leurs pêcheurs se mettent à utiliser des dispositifs d’exclusion des tortues. Ils n’accordaient
cependant pas les mêmes avantages aux quatre pays d’Asie (Inde, Malaisie, Pakistan et
Thaïlande) qui ont porté plainte devant l’OMC. »115 L’Organe d’appel en a conclu à une
discrimination arbitraire et injustifiable entre les membres de l’OMC et à la violation du
paragraphe g) de l’article XX du GATT de 1994. Comme le souligne David Luff, « l’obligation
d’étendre des avantages conférés à des produits immédiatement et sans condition aux produits
similaires originaires de tous les pays et l’interdiction de toute discrimination, en droit ou en fait,
entre ces produits sont une expression différente du même principe juridique »116.
Section 3 : La notion juridique de similarité entre produits de différentes origines
93. La clause de la nation la plus favorisée est fondée sur la notion de produits similaires. Elle
consiste « dans le fait que si des produits similaires ne peuvent faire l’objet de discriminations
entre eux, en revanche, il est possible de traiter différemment différentes catégories de
produits »117. Or ici, comme pour la règle du traitement national, la similarité s’établit-elle au seul
regard de l’utilisation finale des produits ou prend-elle également en compte le processus de
fabrication ?118 Nous parviendrons à la même conclusion que pour l’article III du GATT, selon
laquelle le principe de non-discrimination interdit toute différenciation des produits au regard de
leur seul processus de fabrication.
114 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis — Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, adopté le 6 novembre 1998, WT/DS58/AB/R. 115 OMC., « Inde etc./États-Unis: l'affaire “crevettes-tortues” », Environnement, Différends n°58 et 61, http://www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/edis08_f.htm [consulté le 30 juin 2014] 116 LUFF (D.), op.cit., p. 44. 117 Ibid, p. 45. 118 MALJEAN-DUBOIS (S.) et TRUIHLÉ (E.), L’Organisation mondiale du commerce confrontée aux défis de la protection de l’environnement, comment intégrer les exigences environnementales dans le système commercial multilatéral, Rapport final au Commissariat général du plan, CERIC, juillet 2002, p. 13.
36
94. Ces obstacles juridiques empêchant d’intégrer les PMP (Processus et Méthodes de
Production) dans l’analyse de similarité ont été décrits comme conférant une grande rigidité aux
articles III:4 et notamment I:1 du GATT. S’ils sont liés aux principes de souveraineté et de
prévisibilité du système commercial multilatéral, cette interprétation de la similarité comporte le
risque « de diminuer la compétitivité des producteurs nationaux ; puisque l’État d’importation ne
peut étendre aux produits importés les taxes et réglementations relatives aux PMP par ailleurs
applicables aux produits nationaux, il s’ensuit une augmentation de prix des produits nationaux.
Ces derniers sont mis en concurrence sur le marché national et sur le marché mondial avec des
produits fabriqués à un moindre coût, donc potentiellement moins chers. »119 Cette diminution de
la compétitivité des producteurs nationaux peut dès lors inciter les États d’importation à renoncer
à la mise en place de règlementations protégeant l’environnement. Selon le professeur
Lanfranchi, « il semble bien que de telles préoccupations aient par exemple motivé la décision de
la commission européenne de renoncer à son projet de taxer les émissions carbone en 1992. »120
95. Il est ainsi possible d’en conclure que la prise en compte de considérations
environnementales établissant une discrimination entre les produits similaires nationaux et les
produits importés et ces derniers entre eux en fonction de leur origine était contraire au principe
de non-discrimination posé par les principes de traitement national et de la nation la plus
favorisée. Toutefois, même s’il est constaté qu’une mesure est incompatible avec les disciplines
de l’OMC, cette mesure peut se justifier au titre d’une des exceptions générales du GATT, si elle
vise à protéger l’environnement et si son application ne révèle pas d’intention protectionniste.
119 LANFRANCHI (M.-P.), « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires », in : RUIZ FABRI (H.) et GRADONI (L.) (dir), La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, Société de législation comparée, Paris, 2009, p. 90. 120 Ibid.
37
Titre III. La discrimination légitimée par l’article XX du GATT : une
exception environnementale
96. L’article XX du GATT contient des exceptions à caractère général destinées à protéger
des intérêts autres que commerciaux (Chapitre 2). Ces exceptions permettent d’intégrer des
considérations environnementales dans les principes de l’OMC, permettant aux États d’adopter
des politiques protégeant des objectifs légitimes qui seraient à l’abri de toute contestation
commerciale (Chapitre 1).
Chapitre 1. L’intégration des considérations environnementales dans les principes de
l’OMC
97. Ainsi, même si l’OMC demeure avant tout une organisation internationale économique, il
existe des interférences entre les domaines qui empêchent le repli du domaine économique sur
lui-même. Cet objectif environnemental a été consacré par les textes, mais aussi par la
jurisprudence de l’OMC (Section 1). La prise en compte de domaines non économiques telle que
la protection de l’environnement peut donc influer sur l’interprétation faite d’un traité lorsque ces
valeurs poursuivies sont communes à plusieurs États. Ces mesures restrictives que les États
peuvent prendre en vue de protéger un des objectifs visés à l’article XX ne peuvent en principe
viser que les activités, comportements, personnes ou autres qui sont soumis à leur propre sphère
de compétence. Or, la question s’est posée de savoir si les États pouvaient adopter des mesures
présentant des effets extraterritoriaux (Section 2).
Section 1. L’objectif environnemental consacré par les textes et la jurisprudence de l’OMC
98. Il existe un objectif environnemental clairement affiché au sein de l’OMC et plus
spécialement dans son Préambule (§1). Toutefois, les textes intégrant une dimension
environnementale sont plutôt maigres, la juridiction de l’OMC et surtout celle du GATT « étaient
et sont encore plus ou moins laissées à elles-mêmes dans le développement de leur
38
jurisprudence. »121 Ces juridictions ont dû dès lors pour justifier cette prise en compte de la
protection de l’environnement construire une interprétation téléologique de l’objet et du but de
l’OMC. Sur cette base d’induction, l’objectif environnemental a permis à la jurisprudence de
l’ORD d’étendre le champ d’application de l’article XX du GATT (§2).
§ 1. L’interprétation téléologique du Préambule de l’Accord instituant l’OMC et de l’article XX
99. Le Préambule de l’Accord instituant l’OMC se réfère, comme l’illustre le professeure
Sandrine Maljean-Dubois, explicitement à l’objectif de protection de l’environnement : « Les
Parties au présent accord reconnaiss[e]nt que leurs rapports dans le domaine commercial et
économique devraient être orientés vers le relèvement des niveaux de vie […]tout en permettant
l’utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l’objectif de développement
durable, en vue à la fois de protéger et préserver l’environnement et de renforcer les moyens
d’y parvenir d’une manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à
différents niveaux de développement économique ». Les dispositions du Préambule de
l’Accord sont dépourvues de valeur juridique contraignante, mais l’Organe d’appel s’y est tout de
même référé à plusieurs reprises. Il en a ainsi conclu que ce texte devait « éclairer, ordonner et
nuancer [leur] interprétation des accords annexés à l’Accord sur l’OMC, le GATT de 1994 en
l’espèce »122 qu’il convenait de lire à la « lumière dudit préambule »123. Dans la même veine, des
instruments postérieurs adoptés par l’OMC comme la Déclaration de Doha consacrent plusieurs
dispositions relatives à la protection de l’environnement. Malgré tout, si cette prise en compte de
l’environnement trouve ses références dans le Préambule, elle y trouve aussi ses limites.124
100. En effet, comme l’exprime le professeur Kolb, la question peut se poser de savoir si le
renvoi aux considérations environnementales du Préambule de l’OMC n’est pas qu’ « une finalité
abstraite qui résulte finalement d’une absence de vues réellement communes entre les parties,
121 TOMKIEWICZ (V.), « L’interprétation téléologique au sein de l’OMC et la question environnementale », in : RUIZ FABRI (H.) et GRADONI (L.) (dir), La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, Société de législation comparée, Paris, 2009, p. 247. 122 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis, Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, adopté le 12 octobre 1998, WT/DS58/AB/R, §§ 152-153. 123 Ibid, § 154. 124 TOMKIEWICZ (V.), op.cit.
39
auquel cas une approche trop exclusivement téléologique risquerait d’accroitre la portée des
obligations par voie de projection. »125 Ce fut une des critiques faites par la délégation
pakistanaise dans le rapport de l’Organe d’appel dans l’affaire États-Unis – Prohibition à
l’importation de crevettes et de certains produits à base de crevettes (dit Crevettes-tortues),
« […] la théorie des interprétations évolutives de l’Organe d’appel, qui était destinée à justifier
les constatations selon lesquelles les animaux étaient visés par l’article XX g), avait vidé de leur
sens l’article XX b) et les normes pourtant élevées prévues dans ce dernier article. En adoptant
cette théorie, l’Organe d’appel mettait en cause la prévisibilité du système de règlement des
différends […]. L’interprétation de l’Organe d’appel avait pour résultat logique d’étendre
dangereusement la portée de l’article XX g), ce qui ouvrait la porte à nombre de mesures
environnementales liées au commerce qui risquaient de menacer la viabilité des autres
engagements négociés dans le cadre de l’OMC »126. La délégation indienne s’est elle aussi
inquiétée de cette approche téléologique faite par l’Organe d’appel, en notant que « cette idée qui
reposait sur la conception évolutive prônée par l’Organe d’appel en matière d’interprétation était
dangereuse et ne recueillait pas l’approbation des Membres. Faire référence à des
« préoccupations actuelles » pour justifier un changement d’interprétation de l’expression
« ressources naturelles épuisables » revenait soit à modifier, soit à interpréter de manière
discrétionnaire l’accord existant, ce que seuls les Membres avaient la faculté de faire »127.
101. La jurisprudence de l’ORD a toutefois fait fi de ces critiques. Si dans un premier temps
elle a adopté une vision restrictive du champ d’application de l’article XX, elle s’est ensuite
ravisée dans son rapport États-Unis – Crevettes-tortues concernant notamment l’interprétation de
l’expression « ressources naturelles épuisables » où elle admet une approche large de la notion.
§ 2. L’adoption d’une méthode d’interprétation évolutive de l’article XX du GATT
102. Avant de déterminer si l’article XX du GATT est applicable au cas d’espèce, il faut se
poser la question préliminaire de sa nature. Cette disposition doit-elle être interprétée comme une
125 KOLB (R.), Interprétation et création du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 552. 126 BOISSON DE CHAZOURNES (L.), « Le système de l’OMC est-il adapté pour le règlement des différends environnementaux », in : MALJEAN-DUBOIS (S.) (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 391. 127 Ibid.
40
exception classique ou comme un droit ayant la même valeur que les autres droits découlant du
GATT ?128
103. Le terme exception renvoie à ce qui est en dehors de la règle, à une particularité. Au
regard de la première approche, pour les partisans de cette conception restrictive, « si
l’interprétation large de cette exception était permise, l’objectif poursuivi dans le texte risquerait
d’être compromis et l’exception pourrait devenir la règle. L’interprétation restrictive est donc de
mise à l’égard de dispositions qui dérogent aux principes qu’énonce le texte. »129 Cette thèse a été
celle adoptée initialement par les Groupes spéciaux130. Ainsi, dans l’affaire Thon I, le Groupe
spécial se réfère expressément à cette vision restrictive, « si l’on acceptait l’interprétation large de
l’article XX b) [...], chaque partie contractante pourrait déterminer unilatéralement les politiques
de protection de la vie et de la santé dont les autres parties contractantes ne pourraient pas
s’écarter sans compromettre les droits qu’elles tenaient [du GATT]. Celui-ci ne constituerait plus
un cadre multilatéral régissant le commerce entre toutes les parties contractantes »131.
104. Il est possible aujourd’hui de remarquer un changement dans l’interprétation de l’article
XX par l’Organe d’appel. Comme l’exprime le professeur Bartenstein, bien que « le libellé de
l’article XX du GATT ne soutienne apparemment pas la thèse d’un droit équivalent, la
jurisprudence récente de l’Organe d’appel peut être interprétée comme si elle l’adoptait tout de
même »132. Dans l’hypothèse d’un droit équivalent, « l’interprétation de l’article XX se fait de
plein droit. […] Lorsque le droit d’un membre découlant des articles I, III et XI du GATT entre
en conflit avec le droit d’un autre membre d’invoquer l’article XX, les groupes spéciaux seront
tenus de trouver un équilibre entre les deux en préservant l’essence de chacun des droits. Ainsi, il
est relativement aisé d’imaginer des cas où l’invocation de l’article XX sera acceptée aux dépens
des autres droits découlant de l’article XX. »133
128 BARTENSTEIN (K.), « L’article XX du GATT: le principe de proportionnalité et la concordance concrète entre le commerce et l’environnement », Les Cahiers de Droit, vol. 43, n°4, décembre 2002, p. 656. 129 Ibid. 130 Ibid., p. 657. 131 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, « dite Thon I », distribué le 3 septembre 1991, DS21/R, § 5.27. 132 BARTENSTEIN (K.), op.cit., p. 659. 133 Ibid., p. 657.
41
105. En partant désormais du postulat que l’article XX est un droit équivalent, il faut
considérer qu’il a un poids équivalent aux autres obligations de fond que le GATT impose. La
question se pose de savoir si le système commercial multilatéral actuel peut intégrer d’autres
valeurs que celles qu’il diffuse, et si oui, s’il peut le faire sans se dénaturer. L’ouverture des
marchés peut-elle être conditionnée par des enjeux environnementaux ? La réponse est oui. Le
système commercial multilatéral peut s’effacer dans une situation donnée devant un intérêt
environnemental considéré comme primordial134. Comme le soutient le Professeur Bartenstein,
concrétiser la protection de l’environnement ne revient pas à renoncer à la libéralisation du
commerce, mais à renoncer à la protection de certains intérêts commerciaux. Or, l’un n’empêche
pas l’autre.
106. L’exception environnementale contenue dans l’article XX se fonde selon Véronique
Guevremont sur « l’idée de préservation, de protection, de défense, de sauvegarde d’un intérêt
jugé supérieur, au respect scrupuleux pour la règle à un moment donné »135. L’exception permet
donc dans le système commercial multilatéral de « soustraire définitivement une catégorie de
mesures, poursuivant certains objectifs jugés légitimes et d’intérêt supérieur, de l’application des
règles et principes généraux dictés par l’accord qui la contient »136. Ainsi, l’article XX est le
corollaire d’un régime dérogatoire qui permet du point de vue procédural, d’être utilisé comme
moyen de défense par la partie reconnue coupable de la violation d’une règle.
107. L’exception environnementale issue de l’article XX du GATT est apparue au fil de la
jurisprudence comme un mécanisme efficace de prise en compte des intérêts environnementaux
des Membres de l’OMC. D’après le Professeur Guevremont, l’adoption d’une méthode
d’interprétation évolutive fondée sur la règle de l’effet utile était nécessaire pour permettre de
rendre compte des défis du moment et de la responsabilité des États à l’égard de ces
préoccupations environnementales contemporaines137. Cette appréciation évolutive des
dispositions du GATT a été utilisée par l’Organe d’appel dans l’affaire États-Unis – Crevettes-
134 Ibid., p. 661. 135 GUEVREMONT (V.), « L’exception environnementale : l’exemple du système commercial multilatéral », in : RUIZ FABRI (H.) et GRADONI (L.) (dir), La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, Société de législation comparée, Paris, 2009, p 139. 136 Ibid., p. 138. 137 Ibid., p. 154.
42
tortues138 pour justifier l’élargissement de la notion de ressources naturelles épuisables : « Nous
considérons que, conformément à la règle de l’effet utile des traités, les mesures visant à
conserver les ressources naturelles épuisables qu’elles soient biologiques ou non biologiques
peuvent relever de l’article XX g) ».
108. Ainsi, au sein de l’ordre juridique international, cette exception symbolise la charnière
entre l’OMC et les sous-systèmes internationaux en matière environnementale.139 Nous avons
donc vu que l’Organe d’appel accordait une place de choix à l’article XX dans le système
commercial multilatéral. L’article XX du GATT n’en ressort pas simplement comme le
complément de la règle ; « elle articule l’un et le multiple, à savoir l’unité du système et la
diversité des ordres nationaux d’une part, et l’unité du système avec le pluralisme des ordres
internationaux d’autre part »140.
Section 2 : La question des mesures commerciales extraterritoriales protégeant l’environnement
109. Les mesures restreignant l’importation de marchandises fabriquées de manière non
conforme à une réglementation de l’État importateur ont une portée extraterritoriale qui est en
principe contraire au GATT. Ces mesures fondées sur la manière dont le produit a été fabriqué
(les PMP), sont comme vu précédemment, incompatibles avec les articles I et III du GATT
puisque leur objet est précisément de traiter différemment des produits entre eux en fonction de
leur mode de production. La question qui se pose dès lors est de savoir dans quelle mesure les
PMP peuvent être compatibles avec l’article XX du GATT.
110. Dans le cas d’espèce, la mesure incriminée en cause est l’évaluation carbone dans le cadre
des appels d’offres de la CRE. Il s’agit d’une mesure fondée sur les méthodes de production des
panneaux photovoltaïques qui génèrent une pollution sur le territoire de pays tiers. Ce bilan
carbone poursuit un objectif environnemental clair. Or, est-il justifié de la part des autorités
138 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis, Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, op.cit. 139 GUEVREMONT (V.), « L’exception environnementale : l’exemple du système commercial multilatéral » in : RUIZ FABRI (H.) et GRADONI (L.) (dir), La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, Société de législation comparée, Paris, 2009, p. 173. 140 Ibid.
43
françaises d’adopter une réglementation qui prend en compte la pollution produite dans des pays
tiers engendrée par des processus de production observés à l’extérieur de son territoire ?
111. Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer la nature de la mesure en
cause. Pour cela, il faut distinguer les mesures restrictives au commerce liées à la manière dont le
produit a été fabriqué (PMP), de celles liées aux qualités intrinsèques des produits importés. Ces
secondes mesures liées aux qualités intrinsèques du produit ont un aspect extraterritorial dans la
mesure où elles visent la protection de ressources naturelles hors du territoire de l’État qui adopte
la mesure. Toutefois, elles se suffisent à elles-mêmes puisque l’objectif de conservation peut être
atteint sans que le gouvernement de l’État ne modifie ses lois internes pour qu’elles produisent
des effets141. En cela, elles sont justifiées par l’article XX du GATT. Le second groupe spécial
dans l’affaire États-Unis – Restrictions à l’importation de thon (Panel Thon-dauphin II), a
appliqué les principes de compétence personnelle et objective selon lequel « tout pays peut
adopter des mesures visant à conserver des ressources naturelles épuisables, où qu’elles soient,
sauf si cela oblige les autres pays à modifier leurs propres règles applicables aux biens ou aux
personnes soumis à leur propre sphère de compétence pour permettre à la mesure de produire les
effets escomptés »142.
112. Or, si les mesures restrictives au commerce liées aux qualités intrinsèques du produit sont
permises, les mesures liées à la manière dont le produit a été fabriqué ne le sont pas.
L’interdiction d’importation de marchandises fabriquées dans un État tiers selon des méthodes de
fabrication générant des émissions toxiques dans cet État n’est en principe pas autorisée en vertu
de la jurisprudence Thon-dauphin II143, en raison de son caractère extraterritorial. La
jurisprudence récente semble néanmoins avoir changé la balance. Certaines mesures fondées sur
les processus et méthodes de production dans les pays tiers peuvent être admises si ces processus
et méthodes ont un impact sur les qualités intrinsèques des produits144. Toutefois ces mesures ne
concernent pas le cas d’espèce qui n’est dès lors pas visé par la jurisprudence Thon-dauphin II, en
ce que si l’évaluation carbone concerne les méthodes de production des panneaux solaires
141 LUFF (D.), op.cit., p 152. 142 Ibid., p. 151. 143 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, « dite Thon II », DS29/R, 20 mai 1994 (non adopté), § 5.15 à 5.18. 144 LUFF (D.), op.cit., p 152.
44
photovoltaïques, elle n’interdit aucunement leur importation. En réalité, elle ne fait « que »
discriminer pour autant que la méthode de production soit polluante ou non.
113. Ainsi, la question s’est posée de savoir s’il était possible de donner un effet extraterritorial
à des normes nationales de protection plus élevées. Ceci aboutirait à empêcher l’entrée sur le
territoire national de produits étrangers élaborés selon des normes inférieures de protection.
L’article XX a connu d’importants prolongements jurisprudentiels au cours de ces dernières
années, laissant une plus grande marge de manœuvre aux États dans l’élaboration de leurs
politiques environnementales. Sur son site internet, l’OMC met en avant le fait que « lorsque les
produits sont identifiés uniquement sur la base de ce qu’ils sont, et non suivant la manière dont ils
sont faits, les pays peuvent fixer leurs propres normes adaptées à leur niveau de développement.
Aucune norme inappropriée ne leur est imposée de l’extérieur. Les pays peuvent fixer leur point
d’équilibre entre leurs besoins en matière de développement et leurs besoins en matière de
protection de l’environnement – en fonction de leur propre évaluation de ces besoins et non en
fonction de l’évaluation que d’autres pourraient faire à leur place »145.
Le Secrétariat de l’OMC s’est penché sur le sujet en affirmant qu’ « il est préférable de s’attaquer
aux problèmes environnementaux à la base, qu’il s’agisse des processus de production polluants
ou de l’absence de droits de propriété sur les ressources naturelles. »146
114. L’usage au sein d’un État de méthodes ou de procédés de production néfastes pour
l’environnement de cet État ne peut être règlementé par un autre État.147 Les normes de protection
ne peuvent donc avoir d’effets extraterritoriaux contraignants. Selon Dominique Carreau et
Patrick Juillard, « en terme de juridiction, une telle approche irait à l’encontre des règles bien
admises du droit international : un Etat n’a aucun titre à imposer à un autre Etat la mise en
conformité de sa législation nationale avec la sienne propre. »148 Le Groupe spécial dans l’affaire
145 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires », p. 86. 146 OMC., Commerce et environnement, Communiqué de presse du secrétariat de l’OMC, 8 octobre 1999, www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/stud99_f.htm 147 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., p. 89. 148 Ibid.
45
du Thon de 1994149 a reconnu qu’une telle approche modifierait « radicalement l’équilibre des
droits et des obligations établi par l’Accord général (point n°5-26 et 5-38) ». Toutefois, l’État
garde sa compétence de protection qui peut s’exercer à l’extérieur de son territoire, ce que
reconnaît le GATT notamment pour les articles fabriqués dans les prisons (art. XX e)) et le droit
international dans la compétence extraterritoriale que l’État peut exercer à l’égard des personnes,
animaux ou choses se trouvant dans des États tiers150.
115. Or, cette conception a été critiquée. Selon David Luff, ces mesures ne « peuvent être
déclarées illicites au regard du droit international que si leurs effets extraterritoriaux empiètent
sur la souveraineté des autres États, ce qui serait le cas si elles exerçaient une contrainte, au sens
juridique du terme, dans le domaine de compétence réservé »151. Sous la jurisprudence de la Cour
internationale de Justice, les mesures commerciales sont des moyens de pression, en principe
licites en droit international. Ainsi, dans l’affaire Nicaragua, la Cour a refusé d’accorder aux
mesures économiques le caractère contraignant exigé par le droit international152. Les sanctions
économiques particulièrement lourdes imposées par les États-Unis au Nicaragua ne constituaient
pas « une violation du principe coutumier de non-intervention »153. Cet acte de pression serait
contraire au droit international si l’État affecté n’avait pas d’autre choix que de modifier ses
méthodes de production. Cependant, ce n’est pas réellement le cas en l’espèce il n’y a aucun
blocage aux importations, mais seulement une difficulté de commercialisation. Dans tous les cas,
« les PMPs laiss[e]nt la possibilité aux États exportateurs d’orienter leur commerce vers d’autres
États que ceux qui adoptent la mesure »154.
116. Par ailleurs, d’après David Luff, les PMP pourraient constituer une violation d’une
convention internationale, notamment le Protocole de Montréal sur les substances qui
appauvrissent la couche d’ozone155, seul traité des Nations Unies bénéficiant d’une ratification
149 Rapport du Groupe spécial du GATT, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, DS29/R, 16 juin 1994, non adopté. 150 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), p. 293. 151 LUFF (D.), op.cit., p. 1069. 152 Ibid., p. 158. 153 C.I.J., arrêt (fond), Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), Recueil, 1986, § 245. 154 LUFF (D.), op.cit., p. 1069. 155 Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone, 16 septembre 1987, I.L.M., 26ème volume, 1987, 1550.
46
universelle avec 197 signatures. L’évaluation carbone bénéficierait dès lors d’une source de
légitimité internationale puisque les matières régies par une convention applicable à un Etat
n’appartiennent plus au domaine de compétence réservé156.
117. D’après les professeurs Carreau et Julliard, dans l’affaire sur les importations de thon,
peut être notée une évolution notable entre l’approche du premier groupe spécial de 1991 et celle
du second en 1994 où il a été admis que si les mesures restrictives fondées sur l’article XX
devaient intervenir dans la sphère de compétence de l’État importateur, cela incluait son
territoire, mais « aussi d’autres espaces où il aurait reçu compétence en vertu d’instruments
internationaux »157. Toutefois, ces mesures doivent se suffire à elles-mêmes, elles ne peuvent
requérir des États producteurs qu’ils se conforment aux normes de production qu’elles édictent
pour qu’elles puissent produire leurs effets escomptés158. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce,
puisque la mesure française, à savoir l’évaluation carbone, laisse une marge de manœuvre aux
États sans rien leur imposer. À cet égard, le paragraphe 44 du rapport de l’Organe d’appel
apporte des précisions fondamentales : « […] il y a une différence importante entre subordonner
l’accès au marché à l’adoption d’essentiellement le même programme et subordonner l’accès au
marché à l’adoption d’un programme comparables du point de vue de l’efficacité. Autoriser un
membre importateur à subordonner l’accès au marché à la mise en place par les Membres
exportateurs de programmes de réglementation comparable du point de vue de l’efficacité à celui
du Membre importateur donne une latitude suffisante au Membre exportateur en ce qui concerne
le programme qu’il peut adopter pour atteindre le niveau d’efficacité requis. » Pour l’Organe
d’appel, la méthode américaine n’avait pas pour objet ou pour effet d’étendre ou encore
d’imposer une méthode de pêche aux pays tiers159. De même, la portée extraterritoriale de
l’évaluation carbone n’a pas pour effet d’obliger les États tiers à modifier leur méthode de
production des panneaux solaires photovoltaïques et n’est donc pas a priori incompatible avec
l’article XX du GATT.
156 LUFF (D.), op.cit., p. 1070. 157 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op.cit., p. 403. 158 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, « dite Thon II », DS29/R, 20 mai 1994 (non adopté), § 5.15 à 5.18. 159 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires », p. 87.
47
118. L’interprétation de l’exception environnementale illustre encore une fois la mise en
balance des intérêts non commerciaux dont l’importance est susceptible de varier en fonction des
États avec l’intérêt commercial uniformément défendu par les règles et principes de l’OMC160.
Chapitre 2. L’article XX : l’exception environnementale
119. L’invocation de l’article XX n’est possible qu’après la constatation que les mesures
incriminées sont contraires à une des dispositions du GATT. Comme l’a précisé l’Organe d’appel
dans l’affaire de l’Essence, « les exceptions énumérées à l’article XX se rapportent à toutes les
obligations découlant de l’accord général : l’obligation du traitement national et l’obligation de la
nation la plus favorisée, naturellement, mais aussi les autres »161. Comme vu précédemment, en
l’espèce, les mesures en cause sont contraires aussi bien à l’obligation de traitement national qu’à
l’obligation de la nation la plus favorisée. La compatibilité de la mesure avec le GATT dépendra
du type de mesure (Section 1), mais aussi de la nécessité de la justifier au titre de l’article XX du
GATT (Section 2).
Section 1. La qualification juridique des mesures visant à favoriser la production d’énergie
photovoltaïque
120. L’objet de notre étude concerne avant tout le moyen de production utilisé pour la
production d’énergie solaire. Ce raisonnement peut se faire en plusieurs étapes. Tout d’abord, il
faut distinguer le moyen de production, à savoir le panneau photovoltaïque, de l’énergie solaire.
Le panneau est un produit, il peut être vendu ou acheté et constitue dès lors une marchandise
couverte par le GATT, qui régit le commerce des marchandises. Or, un produit peut aussi être
une ressource, comme l’est par exemple le pétrole. L’énergie solaire est aussi couverte par le
droit de l’OMC, mais l’est-elle en tant que produit ou en tant que service ? Selon le Professeur
Voigt, “[e]vidence that the GATT covers electricity, and that many WTO Members as such
consider electricity a good, can be found in the fact that it is included in the Schedule of
160 GUEVREMONT (V.), op.cit., « L’exception environnementale : l’exemple du système commercial multilatéral » p. 149. 161 États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules (ci-après États-Unis - Essence), rapport de l'Organe d'appel et rapport du Groupe spécial adoptés le 20 mai 1996, WT/DS2/R et WT/DS2/AB/R, p. 27.
48
Commitments to the GATT 1994 of most of the major trading partners (e.g., the US, the EU and
Canada). Those schedules contain WTO Members' tariff commitments for specific listed
goods.”162
121. Mais la question n’a pas de réel intérêt puisque la problématique du cas d’espèce concerne
non pas l’importation d’électricité, mais l’importation de moyens de production d’électricité,
c’est-à-dire de panneaux solaires. Ainsi, en l’espèce, ce n’est pas l’énergie renouvelable en tant
que telle qui est couverte par l’exception, mais des mesures visant à en favoriser la production.
Or, les incidences d’un processus ou moyen de production (PMP) donné sur l’environnement
« peuvent varier d’un lieu à l’autre, d’une région à l’autre, d’un État à l’autre »163.
122. Une des difficultés rencontrées dans l’évaluation des émissions liées aux produits dans le
cas des appels d’offres tient à ce que la quantité de GES émise pendant le processus de
production peut varier en fonction du produit, du pays et de l’entreprise164. En l’espèce, il s’agit à
travers l’évaluation carbone d’obliger les importateurs de produits en provenance de pays qui
n’imposent pas à leurs industries des obligations analogues en matière de réduction des émissions
de présenter des quotas d’émission ou des certificats de crédits d’émission. Ces documents
couvrent les émissions générées pendant le processus de fabrication des produits photovoltaïques.
Section 2. Le test émis par le Rapport de l’Organe d’appel, ÉU – normes concernant l’essence
nouvelle et anciennes formules
123. Le texte pertinent relatif à la protection de l’environnement issu de l’article XX du GATT
de 1994 est libellé comme suit:
"Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent
162 VOIGT (C.), “WTO Law and International Emissions Trading: Is there Potential for Conflict?”, Carbon and Climate Law, 2008, p. 58. 163 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC – le principe de non-discrimination entre produits similaires », p. 87 164 Ibid.
49
Accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures: (....) b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ; (...) g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ; (...)."
124. En vertu de ces deux paragraphes, les Membres de l’OMC peuvent prendre des mesures
incompatibles avec les disciplines du GATT, mais nécessaires à la protection de la santé et de la
vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux (paragraphe b)), ou se
rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables (paragraphe g)). Dans le cadre
du GATT, six procédures de groupes spéciaux comprenant un examen de mesures relatives à
l’environnement ou de mesures relatives à la santé des personnes prises au titre de l’article XX
ont été menées à terme (États-Unis – Thon canadien165, Canada – Saumons et harengs166,
Thaïlande - Cigarettes167, États-Unis – Thon (Mexique)168, États-Unis – Thon (CEE)169 et
États-Unis - Automobiles170). Sur les six rapports, trois n’ont pas été adoptés (États-Unis – Thon
(Mexique), États-Unis – Thon (CEE) et États-Unis – Automobiles). Jusqu’ici, dans le cadre de
l’OMC, trois différends ont abouti à l’adoption de rapports de groupes spéciaux et de rapports de
l’Organe d’appel (États-Unis - Essence171, États-Unis - Crevettes172 et CE – Amiante173)174.
165 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Interdiction des importations de thon et de produits du thon en provenance du Canada (ci-après États-Unis – Thon canadien), adopté le 22 février 1982, S29/96. 166 Rapport du Groupe spécial, Canada – Mesures affectant l'exportation de harengs et de saumons non préparés (ci-après Canada - Saumons et harengs), adopté le 22 mars 1988, S35/106. 167 Rapport du Groupe spécial, Thaïlande – Restrictions à l'importation et taxes intérieures touchant les cigarettes (ci-après Thaïlande – Cigarettes), adopté le 7 novembre 1990, S37/214. 168 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l'importation de thon (ci-après États-Unis – Thon (Mexique)), distribué le 3 septembre 1991, non adopté, DS21/R. 169 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l'importation de thon (ci-après États-Unis – Thon (CEE)), distribué le 16 juin 1994, non adopté, DS29/R. 170 Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Taxes sur les automobiles (ci-après États-Unis – Automobiles), distribué le 11 octobre 1994, non adopté, DS31/R. 171 Rapport de l'Organe d'appel et rapport du Groupe spécial, États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules (ci-après États-Unis - Essence), adoptés le 20 mai 1996, WT/DS2/R et WT/DS2/AB/R.
50
125. Le champ d’application de l’article XX est circonscrit aux seules politiques visant à
atteindre les objectifs mentionnés dans les paragraphes XX b) et g) du GATT et XIV b) de
l’AGCS. Selon Madame Guevremont, « la prise en compte des valeurs liées à l’environnement
s’en trouve alors directement affectée puisque l’exception environnementale ne permet
d’articuler qu’un nombre limité de mesures nationales avec les règles multilatérales en matière de
commerce »175.
126. Pour être admise, une mesure adoptée au titre de l’article XX du GATT de 1994 pour être
admise doit relever d’au moins une des exceptions générales énumérées (§1), être nécessaire (§2),
mais également être conforme au texte introductif de l’article XX (§3).
§1. Une mesure devant viser un des objectifs de l’article XX
127. Ainsi, la première étape du raisonnement consiste à prouver que la mesure en cause relève
d’au moins un des domaines prévus sous les lettres b) (A) et g) (B) de l’article XX.
A. La justification de la mesure sous la lettre b) du GATT
128. Le paragraphe b) de l’article XX vise les mesures « nécessaires à la protection de la santé
et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». Dans l’affaire de
l’Essence, le Groupe spécial a rappelé que la partie invoquant l’article XX b) doit démontrer que
« la politique dans laquelle s’inscrivent les mesures pour lesquelles l’article XX est invoqué entre
dans la catégorie des politiques destinées à protéger la santé et la vie des personnes et que les
mesures incompatibles pour lesquelles l’exception est invoquée sont nécessaires pour atteindre
172 Rapport de l'Organe d'appel et rapport du Groupe spécial, États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes (ci-après États-Unis – Crevettes), adoptés le 6 novembre 1998, WT/DS58. 173 Rapport de l'Organe d'appel et rapport du Groupe spécial, Communautés européennes – Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant (ci-après CE - Amiante), adoptés le 5 avril 2001, WT/DS135. 174 OMC., « Pratique du GATT/de l’OMC en matière de règlement des différends se rapportant à l’article XX, paragraphe b), d) et g) du GATT de 1994 », Note du Secrétariat, WT/CTE/W/203, 8 mars 2002. 175 GUEVREMONT (V.), op.cit., « L’exception environnementale : l’exemple du système commercial multilatéral », p. 147.
51
l’objectif de ladite politique »176. Le Groupe spécial dans cette affaire a reconnu qu’une mesure
destinée à réduire la pollution de l’air résultant de la consommation d’essence entrait dans la
catégorie des politiques destinées à protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou la
préservation des végétaux de l’article b).
129. Les politiques destinées à réduire les émissions de CO2 peuvent ainsi relever des
exceptions du GATT, car elles visent à protéger les personnes des conséquences négatives du
changement climatique et à préserver non seulement le climat, mais aussi certaines espèces
végétales et animales qui risquent de disparaître à cause du réchauffement de la planète.177 Un
rapport commun du PNUE et de l’OMC de 2009 établit une liste non exhaustive des « incidences
possibles des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes associés aux changements
climatiques, d’après les projections pour la deuxième moitié du XXIe siècle »178 notamment des
journées et nuits froides moins nombreuses et moins froides, journées et nuits chaudes plus
nombreuses et plus chaudes, sur la plupart des terres émergées, des périodes ou vagues de chaleur
plus fréquentes, de fortes précipitations plus fréquentes dans la plupart des régions, une
progression de la sécheresse, une augmentation de l’activité cyclonique intense, etc.179
130. De plus, pour entrer dans le champ d’application du paragraphe b) du GATT, la mesure
destinée à protéger la vie et la santé des personnes et des animaux doit être fondée sur l’existence
d’un risque pour ceux-ci. La preuve peut se faire par tous les moyens scientifiques disponibles.
Les effets dommageables sur l’environnement résultent de l’accumulation de stocks polluants tels
que les gaz à effet de serre. Cette concentration continue de GES dans l’atmosphère risque
d’atteindre à un certain terme des risques catastrophiques pour l’environnement180. En outre, le
risque pour la santé des personnes et des animaux est malheureusement indubitable, une des
nombreuses études faite sur la pollution atmosphérique ayant notamment prouvé qu’une trop
forte concentration de CO2 dans l’air entraîne des difficultés respiratoires, des problèmes
176 Rapport du Groupe spécial, op.cit., Essence, § 6.20. 177 OMC et PNUE, op.cit., Commerce et changement climatique, p. xx. 178 Ibid., tableau 1, p. 16. 179 D’après GIEC (2007a), « L’évolution de la capacité d’adaptation au changement climatique n’est pas prise en compte dans le tableau », tableau RiD.3. 180 OMC et PNUE, op.cit., Commerce et changement climatique, p. 107.
52
cardiaques, des troubles visuels, etc181.
131. Le Professeur Voigt explique que “[t]hus, a climate measure aiming at reducing the
emission of greenhouse gases also aims at protecting a stable global climate and preventing
dangerous interference with the climate system, thereby reducing the risk of adverse impacts on
human, animal and plant life or health. The importing country might not profit directly from the
climate measure, as it is impossible to establish a direct causal relationship between a special
measure to reduce GHG emission and local effects. Yet, any reduction reduces the probability
and magnitude of harm to human, animal or plant life or health.”182
132. Dans ces conditions, on peut donc soutenir que l’évaluation carbone rentre dans le champ
d’application de la lettre b) du GATT dans la mesure où l’accumulation de GES est nocive pour
la santé des personnes ainsi que pour l’environnement et ces espèces naturelles. S’il suffit que la
mesure soit compatible avec au moins un des alinéas de l’article XX pour bénéficier de cette
exception, nous verrons néanmoins si celle-ci entre dans le champ d’application de la lettre g) du
GATT.
B. La justification de la mesure sous la lettre g) du GATT
133. Il s’agit de vérifier ici, si les mesures visent bien des « ressources naturelles épuisables »
au sens du paragraphe g) du GATT. Le droit de l’OMC a eu une interprétation évolutive de la
notion de ressources naturelles. Selon Laurence Boisson de Chazournes, l’interprétation évolutive
du droit de l’OMC a été permise grâce à l’article XX g) du GATT. Cette disposition couvre les
mesures étatiques se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables lorsque ces
dernières sont appliquées conjointement à des restrictions à la production ou à la consommation
nationales.
134. La question s’est posée de savoir si l’article XX g) se limitait ou non aux ressources
181 European Environment Agency (EEA), “Air quality in Europe”, 2013 Report, published 15 October 2013, n°9/2013, pp. 5-102. 182 VOIGT (C.), “WTO Law and International Emissions Trading: Is there Potential for Conflict?”, Carbon and Climate Law, 2008, p. 63.
53
naturelles minérales ou non vivantes. Dans l’affaire États-Unis – Prohibition à l’importation de
crevettes et à certains produits à base de crevettes183, l’Organe d’appel a considéré en rejetant les
arguments des parties plaignantes que la notion de ressources naturelles devait être interprétée de
façon évolutive : « Le principal argument des parties plaignantes repose sur l’idée que les
ressources naturelles « biologiques » sont « renouvelables » et ne peuvent donc pas être des
ressources naturelles « épuisables » […] les ressources naturelles « épuisables » et
« renouvelables » [ne] s’excluent [pas] mutuellement. La biologie moderne nous enseigne que les
espèces vivantes, bien qu’elles soient en principe capables de se reproduire et soient donc «
renouvelables », peuvent dans certaines circonstances se raréfier, s’épuiser ou disparaître, bien
souvent à cause des activités humaines. Les ressources biologiques sont toutes aussi « limitées »
que le pétrole, le minerai de fer et les autres ressources non biologiques. »184 En tout état de cause,
comme le souligne le Professeur Ruiz-Fabri, « l’affaire des Crevettes fournit un bon exemple où
l’Organe d’appel a examiné l’évolution du droit de l’environnement et justifié une interprétation
contemporaine et adaptée de la notion de ressources naturelles épuisables mentionnée dans
l’article XX du GATT »185.
135. Cette interprétation peut selon le professeur Andela s’expliquer par les termes utilisés à la
lettre g) de l’article XX. Si l’article XX renvoie à la « protection » de la santé, la vie des
personnes et celle des animaux, de même que la préservation des végétaux186, le paragraphe g)
renvoie quant à lui au concept de « conservation ». Selon le Dictionnaire de droit international
public, le terme « protection » fait référence à une obligation de moyens, alors que celui de
« conservation » renvoie à une obligation de résultats. En effet, pour Jean Salmon, la « protection
désigne alors un acte, un moyen, tandis que conservation fait davantage référence à un résultat.
Ainsi, le droit, par la protection, vise la conservation. » Cette obligation de résultat liée à la
conservation des ressources naturelles peut permettre de comprendre en partie l’interprétation
extensive retenue par les juges de l’OMC. 183 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis — Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, DS58/AB/R. 184 Ibid., § 128. 185 RUIZ-FABRI (H.), « Concurrence ou complémentarité entre les mécanismes de règlement des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l’OMC ?» in: BOURRINET (J.) et MALJEAN-DUBOIS (S.), Le commerce international des OGM : quelle articulation entre le protocole de Carthagène sur la biosécurité et le droit de l’OMC?, CERIC- La Documentation française 2002, p. 161. 186 ANDELA (J.-J.), « L’article XX du GATT de 1994 dans la jurisprudence de l’Organe de règlement des différends de l’OMC : une analyse sous le prisme environnemental », Revue québécoise de droit international, 2012, p. 11-12.
54
136. De plus, comme l’explique Sonia Gabiatti, “ the living natural resources do not need to
be rare or potentially “exhaustible”. Almost all living or non-living natural resources can be
protected under Article XX (g), especially those undertaken by a multilateral trade. Therefore,
the “exhaustibility” of a living natural resource is unquestionable if it is protected by a
multilateral treaty.”187 En effet, une jurisprudence constante a établi que les Groupes spéciaux
autant que l’Organe d’appel sont légitimés à se référer à des accords internationaux que tous les
Membres de l’OMC n’ont pas ratifiés afin de parvenir à l’interprétation qui permet d’atteindre
l’objectif de conservation des ressources naturelles épuisables188. Pourrait-on, à ce titre, justifier la
mesure en cause en se basant sur le Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la
couche d’ozone?
137. Le Groupe spécial dans l’affaire États-Unis – Essence a résolu la question, « en convenant
qu’une mesure destinée à réduire la pollution de l’air résultant de la consommation d’essence
entrait dans la catégorie des mesures concernant la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou la préservation des végétaux mentionnées à l’article XX b) ».189
Dans cette affaire, les États-Unis soutenaient que l’air pur était une ressource épuisable puisqu’il
pouvait être épuisé par des polluants comme ceux émis lors de la consommation d’essence. Le
Venezuela a rejeté cet argument, considérant que la pureté de l’air était un « état » renouvelable
plutôt qu’une ressource épuisable. Le Groupe spécial a abondé dans le sens des États-Unis:
"Selon lui, l’air pur était une ressource (il avait une valeur) et il était naturel. Il pouvait être épuisé. Le fait que la ressource épuisée était définie sur le plan qualitatif n’était, pour le Groupe spécial, pas décisif. De même, le fait qu’une ressource était renouvelable ne pouvait être invoqué comme objection.”190
138. Au regard du cas d’espèce, l’évaluation carbone peut être aisément qualifiée de mesure
poursuivant un objectif de préservation de l’air pur et donc entrer dans le champ d’application du
paragraphe g) de l’article XX du GATT.
187 GABIATTI (S.), “Trade-related environmental measures under GATT article XX (b) and (g)”, University of Iceland, International Legal Studies, January 2009, p. 40. http://skemman.is/stream/get/1946/3044/10073/4/Sonia_Gabiatti_%20fixed.pdf [consulté le 5 juillet 2014] 188 SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, sub verbo « ressources naturelles épuisables », p. 241. 189 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Essence, § 6.21. 190 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Essence, § 6.37.
55
§2. La mesure prise par l’État est-elle nécessaire ?
139. Pour qu’une mesure environnementale liée au commerce soit compatible avec les
paragraphes b) et g) de l’article XX, un lien doit être établi entre l’objectif environnemental
poursuivi de la mesure et la mesure elle-même. Ainsi, cette mesure doit être « nécessaire » à la
protection de la santé et la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux au
sens de l’article XX b) (A) ou « se rapporter à » la conservation des ressources naturelles
épuisables (B).
A. L’article XX b) du GATT : Une exception exigeant un rapport de nécessité entre la
mesure et l’objectif poursuivi
140. Un objectif légitime en soi n’est pas suffisant pour éviter la violation d’une obligation de
non-discrimination, comme l’illustre le Professeur Diebold, “ […] there must also be a certain
nexus between the measure under scrutiny and the legitimate objective pursued. Most treaties
which provide a justification or general exceptions clause explicitly state the required nexus. For
instance, Articles XX GATT and XIV GATS differentiate between measures which are ‘necessary’
to achieve the pursued policy objective or merely ‘related to’ the policy objective.”191
L’évaluation du résultat, le choix de l’instrument par les autorités de réglementation dépendent en
fin de compte de l’importance attribuée à la mesure par rapport à la nécessité d’obtenir un résultat
environnemental certain. Il ressort de la jurisprudence de l’ORD qu’une mesure est nécessaire
lorsqu’elle est proportionnelle à l’objectif poursuivi (1) et qu’il n’existe pas d’autres mesures
alternatives raisonnables (2).
1. La mesure est proportionnelle à l’objectif poursuivi
141. L’Organe d’appel a introduit un critère de proportionnalité dans le terme « nécessaire »
contenu dans le paragraphe b) de l’article XX. Selon le Professeur Ruiz-Fabri, il s’agit de
s’assurer que « le « coût » imposé par la mesure est pesé par rapport aux avantages qui en
191 DIEBOLD (N.), op.cit, “Non-discrimination and the pillars of international economic law”, p. 18.
56
résultent du point de vue de l’objectif poursuivi, l’idée directrice étant celle d’équilibre »192.
142. Pour déterminer si une mesure est « nécessaire » à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux au sens de l’article XX b), l’Organe
d’appel a eu donc recours à un processus de soupesage et de mise en balance d’une série de
facteurs.193 En d’autres termes, il faut tenir compte, s’il y a lieu, de la contribution de la mesure
environnementale à la réalisation de l’objectif général, l’importance de l’intérêt commun ou des
valeurs communes que la mesure protège et le caractère restrictif de la mesure sur le commerce
international.
143. Il s’agit donc de déterminer en l’espèce si, au regard du test de proportionnalité émis par
l’Organe d’appel, la mesure en cause, c’est-à-dire l’évaluation carbone, répond à un risque
suffisamment grave pour la santé des personnes justifiant une restriction au commerce
international.
144. Dans l’affaire CE – Amiante, une mesure « environnementale » a pour la première fois
satisfait au critère de nécessité. L’Organe d’appel, rappelant la conclusion de l’affaire Corée –
Viande de bœuf II, a noté que la mesure dans laquelle la mesure de rechange « favoris[ait] la
réalisation de l’objectif poursuivi »194 devait être prise en compte. Il a observé que « [p]lus
l’intérêt commun ou les valeurs communes poursuivies sont vitaux ou importants, plus il sera
facile d’admettre la nécessité de mesures conçues pour atteindre ces objectifs. »195 Il en ressort
qu’il peut y avoir différents niveaux d’examen applicables à l’analyse du critère de nécessité,
selon l’importance de l’ « intérêt ou des valeurs poursuivis »196.
145. L’Organe d’appel a constaté dans cette affaire que l’objectif poursuivi par la mesure était
la protection de la vie et de la santé des personnes, une valeur à la fois « vitale et importante au
192 RUIZ FABRI (H.), « La nécessité devant le juge de l’OMC » in : Société française de droit international, La nécessité en droit international : Colloque de Grenoble, Paris, Pedone, 2007, p. 212. 193 OMC, op.cit., « Règles de l’OMC et politiques environnementales », p. 9. 194 Rapport de l'Organe d'appel, CE – Amiante, § 172, par référence à l'affaire Corée – Viande de bœuf II, rapport de l'Organe d'appel, § 163. 195 Ibid. 196 LANFRANCHI (M.-P.), « Droit de l’OMC et protection de l’environnement », Fascicule 2300, Jurisclasseur Environnement et développement durable, dernière mise à jour le 27 février 2013, § 89.
57
plus haut point »197. Le rapport Brésil - Pneus échappés confirme ainsi que le test de nécessité
devient un test de proportionnalité et d’autant plus lorsqu’il s’agit d’éliminer un risque grave pour
la santé ou l’environnement, « la mesure est nécessaire si elle est proportionnelle au risque : plus
le risque est grave et avéré, plus les effets restrictifs sur le commerce peuvent être drastiques »198.
Dans l’affaire de l’Amiante, le Groupe spécial a soutenu que « l’objectif de la France est d’arrêter
la diffusion de ce risque ce qui, au regard du risque identifié et de son étendue, pourrait a priori
justifier des mesures strictes »199.
146. Reporté au cas d’espèce, cette jurisprudence peut être étendue à l’évaluation carbone dans
le cadre d’appels d’offres. Le risque pour la santé et la vie des personnes quant à la pollution
atmosphérique a été avéré dans plusieurs études scientifiques, comme vu précédemment. L’effet
restrictif sur le commerce international du bilan carbone est faible en ce que la France n’interdit
ou ne limite aucunement sur son territoire les panneaux photovoltaïques fabriqués par des
ressources polluantes. Le bilan carbone, comme la taxe carbone qui a été tentée dans plusieurs
pays européens, n’ont pas d’effet restrictif profond.
2. Il n’existe pas d’autres mesures alternatives raisonnables
147. Si le critère de proportionnalité aboutit à une conclusion préliminaire établissant que la
mesure est nécessaire, ce résultat doit être confirmé par une comparaison entre la mesure et les
solutions de rechange possibles, qui peuvent être moins restrictives pour le commerce tout en
apportant une contribution équivalente à la réalisation de l’objectif poursuivi200. Toute mesure
alternative éventuellement moins restrictive doit assurer un niveau de protection de la santé au
moins équivalente à celui qui est voulu par la mesure litigieuse. La constatation de l’existence et
de l’efficacité de ces mesures alternatives est fondée sur des études ou des rapports
internationaux, notamment les rapports de l’Organisation mondiale de la santé ou les travaux
réalisés dans le cadre du Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires de l’OMC, etc.201
197 Rapport de l'Organe d'appel, CE – Amiante, § 172. 198 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « Droit de l’OMC et protection de l’environnement », § 89. 199 Rapport de l'Organe d'appel, CE – Amiante, § 172. 200 Rapport de l’Organe d’appel, Brésil – Mesures visant l’importation de pneumatiques réchappés (Plainte des Communautés européennes) (1997), WT/DS332/AB/R, § 145. 201 LUFF (D.), op.cit., p. 168.
58
148. Il apparaît à cet égard que l’évaluation carbone est une mesure peu restrictive au
commerce international. Il est difficile de démontrer si une mesure moins restrictive pour le
commerce aboutirait au même résultat. Une telle démonstration est délicate puisqu’elle implique
un examen approfondi des politiques internes de l’État. Selon Steve Charnovitz “the new
approach has troubling implications for national environmental policy. One problem is that the
test can necessitate inter-country comparisons of utility in weighing, for example, environmental
protection in one country versus the trade of another. Although national courts will sometimes
weigh environment versus commerce, having an multilateral court do inter-country weighing is
unusual.”202
B. La conservation des ressources naturelles épuisables (Article XX g) du GATT)
149. Le lien exigé par l’article XX g) du GATT entre la mesure adoptée et l’objectif de
conservation poursuivi est moins strict que celui de « nécessité » exigé pour l’article XX b) du
GATT. Ainsi, la mesure au titre de l’article XX g) doit se « rapporter à » la conservation de
ressources naturelles épuisables.
150. L’article XX g) prévoit une exception pour les mesures « se rapportant à la conservation
des ressources naturelles épuisables ». La clause « se rapportant à » a été appliquée pour la
première fois dans l’affaire Canada – Saumons et harengs. Le Groupe spécial a décidé d’analyser
le sens de l’expression « se rapportant à » compte tenu du contexte dans lequel l’article XX g)
figure dans l’Accord général et de l’objet de cette disposition. Il a noté ce qui suit:
« [c]ertains des alinéas de l’article XX stipulent que la mesure doit être "nécessaire" ou "essentielle" à la réalisation de l’objectif de politique visé (voir les alinéas a), b), d) et j)), tandis que l’alinéa g) traite seulement des mesures "se rapportant à" la conservation des ressources naturelles épuisables. En conséquence, semble-t-il, l’article XX g) ne concerne pas seulement les mesures qui sont nécessaires ou essentielles pour la conservation des ressources naturelles épuisables, mais aussi une gamme plus large de mesures. Toutefois, comme l’indique le préambule de l’article XX, l’inclusion de l’article XX g) dans l’Accord général n’avait pas pour objet d’élargir la portée de l’article à des mesures prises à des fins de politique commerciale,
202 CHARNOVITZ (S.), “A new WTO paradigm for trade and environment”, Singapore Yearbook of International Law, 2007, p. 21.
59
mais simplement d’assurer que les engagements pris au titre de l’Accord général n’empêchent pas l’application de politiques visant à la conservation de ressources naturelles épuisables. Aussi le Groupe spécial a-t-il conclu que, s’il n’était pas impératif qu’une mesure commerciale soit nécessaire ou essentielle pour la conservation d’une ressource naturelle épuisable, il fallait cependant que cette mesure vise principalement à la conservation d’une ressource naturelle épuisable pour qu’elle soit considérée comme "se rapportant à" la conservation, au sens de l’article XX g). »203
151. Ainsi, dans le contexte de l’article XX g), qui fait le parallèle avec l’article XX b), « il
suffit que la mesure se rapporte à la politique. La relation entre la mesure et la politique y est
moins stricte. II sera donc plus facile de démontrer qu’on a le droit d’atteindre le but donné avec
la mesure donnée. »204 La mesure en cause s’inscrit dans une politique publique mais aussi
européenne, visant la réduction des gaz à effet de serre. Ainsi, accorder un meilleur résultat aux
panneaux fabriqués avec des énergies moins polluantes entre effectivement dans l’objectif
recherché.
152. De plus, pour être justifiée au regard de l’article XX g), une mesure affectant les
importations doit être appliquée « conjointement avec des restrictions à la production ou à la
consommation nationales ». L’objet de cette prescription « vise à assurer que la portée des
mesures de restrictions commerciales corresponde à l’objet en vue duquel de telles mesures sont
autorisées ».205 Dans l’affaire États-Unis – Essence, les États-Unis avaient adopté une mesure
réglementant la composition de l’essence et ses effets en matière d’émissions afin de réduire la
pollution de l’air chez eux. Concernant la deuxième prescription du paragraphe g), l’Organe
d’appel a décidé que la mesure satisfaisait à l’obligation d’impartialité, car elle concernait à la
fois les produits importés et les produits d’origine nationale.
153. Cette prescription permet donc de garantir de la bonne foi de la démarche206 par une
obligation d’impartialité. Au regard de cette condition, il faut rappeler que le bilan carbone
s’applique dans le cadre des appels d’offres tout autant aux produits importés qu’aux produits
203 Rapport du Groupe spécial, Canada – Saumons et harengs, 22 mars 1988, L/6268, § 4.6. 204 BARTENSTEIN (K.), op.cit., « L’article XX du GATT: le principe de proportionnalité et la concordance concrète entre le commerce et l’environnement », p. 682. 205 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « Droit de l’OMC et protection de l’environnement », § 94. 206 Ibid.
60
fabriqués sur le territoire français. Ainsi, s’il apparaît que cette mesure est couverte par les alinéas
b) et g) de l’article XX du GATT, il faut encore que l’évaluation carbone soit conforme aux
prescriptions de son texte introductif.
§3. L’évaluation de la mesure au regard du paragraphe introductif de l’article XX
154. Le chapeau de l’article XX pose trois critères généraux et cumulatifs, ceux-ci sont
« applicables à toutes les restrictions spécifiques visées qui viendraient à être invoqués par les
Membres »207 Il ressort de la jurisprudence du GATT que l’application d’une mesure d’une
manière qui ne constitue pas un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable, ou une
restriction déguisée au commerce international, a souvent été l’aspect le plus problématique de
l’utilisation des exceptions du GATT.208 Au surplus, la notion de bonne foi incluse dans le
paragraphe introductif de l’article XX doit être examinée après une constatation de l’applicabilité
des sous-paragraphes de l’article XX209. D’après l’Organe d’appel, le critère de bonne foi
implique la recherche d’un point d’équilibre entre la libéralisation du commerce international et
la protection de l’objectif non commercial visé par la mesure contestée210.
155. Ainsi, pour démontrer qu’une mesure passe avec succès le test du paragraphe introductif
de l’article XX, elle ne doit pas établir une discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays
où les mêmes conditions existent (A), de même qu’elle ne doit pas être appliquée de façon à
constituer une restriction déguisée au commerce international (B).
A. La mesure nationale en cause ne doit pas apparaître comme un moyen de discrimination
« arbitraire » ou « injustifié »
156. La notion de discrimination incluse dans le paragraphe introductif est différente de celle
qui figure dans les articles du GATT relatifs au traitement de la nation la plus favorisée ou au
207 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op.cit., Droit international économique, p. 276. 208 OMC., Commerce et changement climatique, p. xxi. 209 LUFF (D.), op.cit., p. 1053. 210 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis - Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, adopté le 6 novembre 1998, WT/DS58, § 146 à 186.
61
traitement national. L’appréciation de la validité au regard du chapeau est très casuistique. Les
notions de discrimination arbitraire ou injustifiée sont très proches et se recoupent partiellement,
ce qu’a souligné l’Organe d’appel dans l’affaire de l’Essence : « Une restriction cachée ou non
annoncée dans le commerce international n’épuise pas le sens de l’expression « restriction
déguisée » […] La restriction déguisée comprend la discrimination déguisée au commerce
international. […] La restriction déguisée, quels que soient les autres éléments qu’elle comprend,
peut être interprétée correctement comme englobant les restrictions qui équivalent à une
discrimination arbitraire ou injustifiée dans le commerce international et prennent l’apparence
d’une mesure répondant dans sa forme aux conditions prescrites dans l’une des exceptions
énumérées à l’article XX. »211 L’Organe d’appel a ainsi finalement renoncé à distinguer la
discrimination arbitraire de la discrimination injustifiée dans l’affaire Brésil – Pneumatiques
rechapés212.
157. L’appréciation de la discrimination est donc évaluée à partir du libellé et du contenu
textuel de la législation en cause si celle-ci contient par exemple une disposition expressément
discriminatoire. Dans le cadre des appels d’offres en cause, le référentiel pays permettant de
calculer l’évaluation carbone est basé sur une méthode scientifique échappant au contrôle des
autorités françaises, de sorte que le même référentiel pays est utilisé pour tous les pays référencés
dans l’annexe 4 de l’appel d’offres. Cette évaluation objective empêche une discrimination entre
pays.
158. Toutefois, le principe de non-discrimination touche non seulement le traitement différent
réservé à des pays où les mêmes conditions existent, mais s’applique également lorsque le
traitement formellement identique est appliqué dans des situations différentes. Par exemple, dans
l’affaire de l’Essence, l’Organe d’appel a condamné les mesures prises par les États-Unis au
motif que ceux-ci n’ont pas recherché « les moyens de permettre aux producteurs des États tiers
de bénéficier d’un traitement identique à celui accordé à leurs ressortissants, et de ne pas avoir
pris en considération la disparité des coûts impliqués par la mise en œuvre des normes
spécifiques de la législation en cause », ce qui « constituait la preuve d’une discrimination
211 États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules (ci-après États-Unis - Essence), rapport de l'Organe d'appel et rapport du Groupe spécial adoptés le 20 mai 1996, WT/DS2/R et WT/DS2/AB/R, p. 28. 212 Rapport de l’Organe d’appel, Brésil – Pneumatiques rechapés, § 217-234.
62
injustifiable constitutive d’une restriction déguisée au commerce »213. Les États-Unis auraient dû
par exemple étudier la possibilité de conclure des arrangements de coopération avec les pays
affectés. En l’espèce, la France octroie un traitement identique aux producteurs nationaux de
même qu’aux producteurs étrangers, la différenciation se basant sur une méthode de calcul
scientifiquement avérée. L’évaluation carbone dans le cadre des appels d’offres de la CRE n’est
donc ni discriminatoire ni arbitraire, il ne peut donc s’agir d’une restriction déguisée au
commerce.
B. La mesure nationale ne doit pas apparaître comme une « restriction déguisée du
commerce international »
159. Cette prescription s’attache à l’intention véritable de la partie prenant la mesure en cause.
Ainsi, c’est le terme « déguisée » qui prend ici toute son ampleur. L’appréciation de la manœuvre
frauduleuse n’est toutefois pas facile, ce qui a notamment été le cas dans le cadre de l’affaire des
Boissons alcooliques214. On retrouve ici un vœu de transparence : les règlementations exigées
doivent faire l’objet d’une publication ou d’une notification et seront pris en compte la
conception, les principes de base et la structure révélatrice de la mesure215.
160. La possibilité que cette seconde prescription s’applique est écartée puisque comme vu
précédemment, l’évaluation carbone est basée sur une méthode de calcul objective et
scientifiquement reconnue. Il apparaît ainsi que l’évaluation carbone est conforme à l’article XX
du GATT et peut donc être exemptée des interdictions posées par le GATT.
161. Pour conclure, la jurisprudence de l’ORD admet donc la légitimité des préoccupations
environnementales des États qui disposent d’une large autonomie en la matière. Cette autonomie
est néanmoins limitée par le respect des prescriptions des accords administrés par l’OMC et la
contrainte relative à la nécessité de coordonner les politiques relatives au commerce et à
l’environnement sous la tutelle de l’article XX. Toutefois, les conditions de mise en œuvre de
213 MALJEAN-DUBOIS (S.) (dir.), op.cit., Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, p. 47. 214 Rapport de l’Organe d’appel, Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, 4 octobre 1996, WT/DS8/AB/R, p. 30. 215 ANDELA (J.-J.), op.cit., « L’article XX du GATT de 1994 dans la jurisprudence de l’Organe de règlement des différends de l’OMC : une analyse sous le prisme environnemental », p. 16-17.
63
l’article XX font l’objet d’une interprétation stricte de la part de l’ORD, ce qui a pour
conséquence de lui conférer une efficacité limitée. Le Professeur Andela critique ce manque de
souplesse, car selon lui, « l’ORD doit pouvoir s’affranchir de la dictature du libre-échange pour
intégrer dans ses raisonnements, ses motivations et, in fine, dans ses décisions les préoccupations
d’ordre écologique. Il s’agit, de notre point de vue, d’une option réaliste au regard du contexte
international qui prévaut. »216
216 Ibid.
64
Partie II. Compatibilité au regard des accords spécifiques de l’OMC
162. Le droit de l’OMC affecte de manière croissante les politiques publiques des États
membres. Les Accords de l’OMC ont tenté d’intégrer des considérations environnementales en
leur sein, posant à nouveau la question de l’articulation des politiques environnementales avec le
droit de l’OMC et de l’autonomie de ces politiques nationales dans le cadre du système
commercial international. Il sera tenté ici d’illustrer si les différentes politiques publiques autant
au niveau européen qu’interne, visant à réduire la production de CO2 dans l’atmosphère, peuvent
être compatibles avec les Accords de l’OMC, plus particulièrement l’Accord sur les subventions
et les mesures compensatoires (Titre I) et l’Accord sur les Marchés publics (Titre II).
Titre I. La contrariété possible avec l’Accord sur les subventions et les
mesures compensatoires (SMC)
163. La relation entre la gestion des ressources naturelles et les distorsions du commerce
international a été clairement illustrée dans un rapport de l’OCDE217. Les distorsions au
commerce international, de fait, empêchent une allocation maximale des ressources naturelles.
Ainsi, l’Accord SMC s’il ne concerne pas directement l’environnement, participe à cette idée. Par
principe, une subvention est prohibée dès lors qu’elle tend à favoriser de jure ou de facto les
exportations ou la production nationale. Néanmoins, une subvention neutre vis-à-vis des
exportations ou de la production intérieure, peut aussi être condamnée ou compensée si elle est
spécifique et remplit un certain nombre d’autres conditions, notamment celles liées au préjudice
et aux effets de distorsion sur le commerce218. Afin de déterminer si la subvention est prohibée ou
non par l’Accord, il est nécessaire de déterminer si elle entre dans le champ d’application de
l’Accord SMC (Chapitre 1). En ce sens, il sera intéressant d’illustrer la position européenne quant
à ses mesures environnementales et de leur compatibilité avec l’Accord SMC (Chapitre 2).
217 OCDE., Les effets environnementaux des échanges, Paris, 1994. 218 MONNIER (P.) et RUIZ-FABRI (H.), « Les règles : dumping, subventions, mesures de sauvegarde », Fascicule 130-25, JurisClasseur Droit international, LexisNexis, mis à jour le 1er octobre 2010, p. 12.
65
Chapitre 1. Le champ d’application de l’Accord SMC
164. L’Accord sur les subventions et mesures compensatoires (SMC) définit la notion de
subvention comme « une contribution financière des pouvoirs publics » qui octroie un avantage
et qui « est spécifique à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe
d’entreprises ou de branches de production »219. La question se pose alors de savoir si l’évaluation
carbone satisfait à cet examen de l’article 1 de l’Accord SMC (Section 1). La réponse étant
négative, celle-ci soulève une autre interrogation : l’Accord SMC permet-il de rendre compte, de
manière opérante dans le système commercial multilatéral, des exigences environnementales des
Membres de l’OMC? (Section 2). La subvention, dès lors qu’elle est spécifique et même si
destinée à faciliter la mise en œuvre d’une législation internationale, ne peut favoriser les produits
d’origine nationale dans les marchés nationaux220. Cet enjeu qui va dans le même sens que les
articles I:1 et III:4 du GATT, révèle à nouveau l’incertitude liée aux mesures fondées sur les
processus et méthodes de production sur le régime des subventions (Section 3).
Section 1. Les conditions entraînant la violation de l’Accord SMC
165. Au regard de l’article 1er, une subvention est constituée par la réunion de deux éléments.
On retrouve tout d’abord le critère de la charge pour le Trésor Public, puis le fait que
l’intervention financière doit procurer un avantage à son destinataire.
166. Pour qu’une subvention soit qualifiée comme telle, il doit y avoir une contribution
financière des pouvoirs publics. Concernant la contribution financière en tant que telle, deux
approches peuvent être adoptées. La première empêche la qualification de subvention s’il n’y a
pas de dépense imputée sur le budget de l’État221. La deuxième est plus souple, elle admet que
« certaines interventions de l’État n’impliquant pas de dépenses publiques [pouvant] néanmoins
fausser la concurrence »222 puissent être considérées comme des subventions. Cette approche
adoptée inclut en vertu de l’article 1.1 de l’Accord SMC le transfert direct de fonds, mais aussi
219 Articles 1 et 2 de l’Accord SMC. 220 LUFF (D.), op.cit., p. 1059. 221 Ibid., p. 17. 222 Ibid.
66
d’autres formes de contribution financière, « y compris le transfert potentiel de fonds ou de
passif, les recettes abandonnées par suite d’exonérations fiscales, la fourniture de biens et de
services par les pouvoirs publics autres qu’une infrastructure générale ou l’achat de biens par les
pouvoirs publics. Enfin, une subvention serait également réputée exister si les pouvoirs publics
chargeaient un organisme privé d’exécuter ces fonctions ou lui ordonnaient de le faire, ou
faisaient des versements à un mécanisme de financement témoigne de l’intention d’inclure toutes
les formes possibles de contributions financières des pouvoirs publics dans la définition des
subventions. »223 Cette approche extensive adoptée par les rédacteurs du texte mène à penser que
l’Accord SMC tente d’inclure toutes les formes possibles de contributions financières des
pouvoirs publics dans la définition des subventions.
167. Si la subvention est appréhendée de manière large, l’évaluation carbone dans le cadre des
appels d’offres peut-elle être qualifiée de subvention comme telle ? Dans un premier temps, en se
rapportant à la définition de la contribution financière, il n’y a pas a priori de transfert direct ou
indirect de fond ou d’abandon de recettes publiques ou encore de versements de la part d’un
organisme tiers à des entreprises nationales. En effet, le bilan carbone est une évaluation qui
n’implique aucun échange monétaire au sens de l’article 1.1(a)(1) de l’Accord SMC.
168. Dès lors, alternativement, peut-on utiliser l’article 1.1(a)(2) ? Celui-ci indique que les
subventions visées par l’Accord consistent, d’une manière générale, en une forme quelconque de
soutien des revenus au sens de l’Article XVI du GATT224. Si cette disposition, comme l’illustre
David Luff, ne donne pas de détails sur cette notion. L’article ajoute toutefois que les subventions
visées sont celles qui ont « directement ou indirectement pour effet d’accroître les exportations
d’un produit du territoire [de la Partie contractante qui accorde la subvention] ou de réduire les
importations de ce produit sur son territoire »225. Ici, la disposition a tenu compte du rapport de
concurrence et de l’effet sur les marchés internationaux que peuvent avoir une subvention. Ainsi,
selon David Luff, « cette disposition semble suggérer qu’en l’absence de contribution financière
des pouvoirs publics au sens de l’article 1.1(a)(1) de l’Accord SMC, les soutiens des revenus ou
des prix seront pris en compte s’ils ont un effet tangible sur les marchés internationaux ».
223 Ibid. 224 LUFF (D.), op.cit., p. 460. 225 Article 1.1(a)(2) de l’Accord SMC.
67
169. Toutefois, la notion de soutien des revenus demeure, l’intervention financière est donc
nécessaire pour qualifier la subvention. L’évaluation carbone dans le cadre des appels d’offres ne
peut à cet égard être considérée comme une subvention puisqu’elle n’offre aucune contribution
financière aux producteurs de panneaux photovoltaïques fabriqués avec une faible consommation
de CO2. Par conséquent, il n’est dès lors plus indispensable de vérifier la conditionnalité des
autres critères prévus aux articles 2 et suivants de l’Accord SMC.
Section 2. Le déclin de la prise en considération de l’environnement dans l’Accord SMC
170. L’Accord sur les subventions classe en trois catégories les subventions en fonction de
leurs effets sur le commerce international. S’y retrouve ainsi une distinction entre les subventions
« prohibées », les subventions pouvant donner lieu à contestation et les subventions ne donnant
lieu à aucune action. Ces dernières subventions englobaient certaines subventions liées à la
recherche, subventions régionales et subventions liées à l’environnement. Or, alors que celles-ci
devaient être réexaminées au bout de cinq ans. Elles n’ont toutefois pas été renouvelées et sont
donc devenues caduques au 1er janvier 2000, ne laissant que deux catégories de subventions
spécifiques visées par l’Accord – les subventions prohibées et les subventions pouvant donner
lieu à une action226.
171. L’Accord SMC, avant l’année 2000 contenait une dérogation environnementale
spécifique classée dans les subventions ne donnant pas lieu à action.227 Instituée par l’article 8.2
c), cette disposition concernait les aides « visant à promouvoir l’adaptation d’installations
existantes à de nouvelles prescriptions environnementales imposées par la législation et/ou la
réglementation qui se traduisent pour les entreprises par des contraintes plus importantes et une
charge financière plus lourde »228.
172. L’article 8.2 c) n’a ainsi pas été maintenu attendu qu’« à l’issue de la période de
226 OMC., Rapport sur le Commerce mondial, « Les subventions, le commerce et l’OMC », 2006. 227 NGUYEN TRUNG HOANG (A.-L.), « Les règles de l’OMC en matière d’environnement », p. 144, in : KEMPF (R.), L’OMC face au changement climatique, Editions Pedone, Perspectives internationales n°29, Paris, 228 Article 8 de l’A.S.M.C.
68
transition, aucun consensus n’a pu se dégager autour du maintien de cette exception. »229 Comme
expliqué plus tôt, cette disposition environnementale n’avait été prévue que pour cinq ans et n’a
pas été renouvelée. Toutefois, il faut savoir que cette disposition n’avait pas réelle conséquence
puisque son champ d’application était très restreint. Il fallait en effet que l’aide envisagée soit une
mesure ponctuelle, non récurrente, limitée à 20% du coût de l’adaptation et devait être
directement liée et proportionnée à la réduction des nuisances et de la pollution prévue par
l’entreprise, et ne couvrait ainsi pas une économie pouvant être réalisée sur les coûts de
fabrication230.
173. Par conséquent, dans le régime actuel, toute intervention financière, dès lors qu’elle
répond à la condition de spécificité, peut être contestée par les États tiers suivant des modalités
différentes selon qu’il s’agisse d’une subvention prohibée ou donnant simplement lieu à action.231
Ainsi, les subventions générales par nature auront plus de chance de ne pas être attaquées en ce
que cela leur éviterait d’entrer dans la catégorie des subventions spécifiques232. S’agit-il d’un
déclin de la prise en considération de la protection de l’environnement ? Cette absence d’accord
entre les Membres de l’OMC en 2005 illustre la difficulté réelle que pose la coordination des
politiques publiques sur le changement climatique avec l’abaissement des barrières au commerce.
174. À cette fin, une étude universitaire a suggéré la possibilité de prélever un droit
compensateur sur les produits importés fabriqués dans des pays sans réglementation sur le
changement climatique233. Ceci permettrait de compenser les coûts de réduction des émissions qui
n’ont pas été payés dans la fabrication de ces produits. En effet, comme l’illustre le rapport
conjoint du PNUE et de l’OMC sur le commerce et le changement climatique, « l’inaction
confère un avantage […], le fait d’éviter le coût de la lutte contre le changement climatique
pourrait être considéré comme une subvention déguisée pouvant donner lieu à une mesure
compensatoire »234. Toutefois, il est peu probable que qualifier la non-adoption d’une législation
229 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « Droit de l’OMC et protection de l’environnement », Fascicule 2300, Jurisclasseur Environnement et développement durable, dernière mise à jour le 27 février 2013, § 53. 230 En ce sens, se référer à l’article 8.2 b) de l’Accord SMC. 231 LEFEVRE (S.), « Les subventions pour la protection de l’environnement », in : MALJEAN-DUBOIS (S.) (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 221. 232 LUFF (D.), op.cit., p. 1059. 233 OMC et PNUE, op.cit., Rapport « Commerce et changement climatique », p. 111. 234 Ibid.
69
sur le climat de « subvention » soit compatible avec les règles de l’OMC235.
Section 3. L’incertitude liée aux mesures fondées sur les processus et méthode de production sur
le régime des subventions
175. Selon David Luff, « le rôle de l’OMC ne […] semble pas être celui d’adopter des règles
dans le seul but d’inciter ses Membres à adopter des politiques environnementales spécifiques,
mais d’être suffisamment souple pour permettre ces politiques »236. Ainsi, l’Accord SMC
n’empêche pas les Membres de ne pas accorder d’exonérations, voire d’imposer des écotaxes sur
l’usage de méthodes de production peu efficaces du point de vue de l’environnement.
176. Pour être réellement efficace, comme le souligne Raphael Kempf, toute politique
environnementale doit pouvoir distinguer les produits selon leurs procédés et méthodes de
productions.237 En effet, selon lui, « la transition vers une économie faiblement émettrice de
carbone ne se fera que s’il est possible de discriminer les produits fabriqués avec des méthodes
peu polluantes […]. Il s’agit donc de favoriser certaines techniques par rapport à d’autres238.
177. Il faut différencier les PMP selon qu’ils affectent ou non les caractéristiques physiques
des produits. Dans le premier cas, on parle de PMP incorporés au produit, et de PMP non
incorporés au produit dans le second. Dans le cadre de l’évaluation carbone, la question concerne
précisément les PMP non incorporés qui correspondent à la quantité de CO2 dégagée pour
produire un panneau photovoltaïque. Toutefois, si cette évaluation permet de déterminer la
méthode de production du produit, elle ne se retrouve pas dans les caractéristiques finales du
produit. Comme vu précédemment, la jurisprudence a été très réticente à l’idée de distinguer les
produits selon la manière dont ils ont été fabriqués. En effet, dans les rapports non adoptés des
Groupes spéciaux dans les deux affaires Thon – Dauphins, il a été décidé que les États-Unis ne
pouvaient distinguer entre des thons selon les techniques de pêches utilisées239. Cette solution a
235 Ibid. 236 LUFF (D.), op.cit., p. 1072. 237 KEMPF (R.), L’OMC face au changement climatique, Editions Pedone, Perspectives internationales n°29, Paris, p. 76 238 Ibid. 239 Ibid., p. 76.
70
été fortement débattue par la doctrine, le débat laissant un certain vide juridique sur la qualité des
PMP dans le droit de l’OMC. Il faut rappeler que pour l’Organe d’appel, les décisions non
adoptées n’ont pas de réelle valeur juridique. Si une partie de la doctrine a adopté le point de vue
des Groupes spéciaux240, d’autres auteurs, comme Jason Potts, considère que l’interdiction des
PMP n’est « qu’apparente »241.
178. L’analyse de la similarité exercée sur les PMP tend souvent comme vu dans les
précédents chapitres à refuser leur compatibilité avec les accords du GATT. En somme, si cette
analyse des critères de similarité des produits donne peu de marge de manœuvre aux
règlementations fondées sur les PMP, doit-on a fortiori prendre en compte d’autres critères ? Or,
faire rentrer une part plus importante de subjectivité dans l’examen des mesures
environnementales peut tendre vers des politiques protectionnistes contestables. A contrario, faire
primer comme le définit Raphael Kempf « un droit fondamental à l’exportation, ou à l’accès aux
marchés » tend à limiter la possibilité pour certains États de lutter contre le changement
climatique, « car il garantit à ses titulaires que leurs exportations ne pourront pas diminuer en
raison des subventions qu’accorderaient d’autres Membres à des énergies de substitution moins
polluantes »242. Face à l’absence de politique internationale réellement contraignante, mais avant
tout efficace en matière d’environnement, la protection de l’environnement ne peut-elle en réalité
pas passer par des canaux nationaux, voir régionaux ? Nous sommes dans un rapport de système
où une branche du droit ne parvient pas à réguler universellement une matière. Or, la lutte contre
le réchauffement climatique ayant un intérêt capital, d’autres sous-systèmes se doivent de les
considérer, mais aussi de les encadrer. C’est à cette fin que nous nous intéresserons à la politique
européenne, afin de déterminer comment une organisation régionale peut, sans contrevenir (ou
non) aux règles commerciales multilatérales internationales, appréhender la lutte contre le
réchauffement climatique ?
240 CHARNOVITZ (S.), “The Law of Environmental ‘PPMs’ in the WTO: Debunking the Myth of Illegality”, Yale JIL, vol. 27, 2002, pp. 76-77. 241 KEMPF (R.), op.cit., L’OMC face au changement climatique, p. 76 242 Ibid., p. 114.
71
Chapitre 2. La position européenne concernant les subventions et leur compatibilité avec
l’Accord SMC
179. Les Membres de l’OMC sont obligés dans un souci de transparence de notifier leurs
différents systèmes de subventions. Les États membres de l’UE ayant abandonné leur
compétence en matière de politique commerciale extérieure à l’UE, celle-ci est donc chargée de
la notification au Comité des subventions et des mesures compensatoires (« Comité SMC »).
Avant d’exposer les différentes mesures communautaires relatives à la diminution d’émissions de
gaz à effet de serre, la question de la qualification de ces différentes interventions
communautaires à vocation environnementale au regard de l’Accord SMC se pose.243 Au niveau
de l’UE, il existe deux types d’interventions financières à vocation environnementale. On
retrouve les subventions communautaires d’une part, qui sont financées au niveau européen puis
d’autre part, les aides d’État, subventions faites au niveau national. Dans les deux cas, l’objet de
cette étude n’est pas de vérifier la conformité du droit des aides d’États ou des subventions
communautaires avec le droit de l’OMC, mais plutôt d’envisager si les différentes mesures prises
peuvent avoir un impact sur les appels d’offres. Donc, en réalité, si ces mesures cherchant à
réduire la production de CO2 dans le cadre d’appels d’offres sont compatibles avec le droit de
l’OMC.
180. Plusieurs mesures visant à protéger l’homme du changement climatique ont été élaborées
ou envisagées par l’UE, mais aussi par certains États membres. Elles méritent notre attention,
nous aborderons ainsi les cas du mécanisme d’inclusion carbone et de la majoration tarifaire
proposés par la France. Ces mesures, tout comme pour l’évaluation carbone, prennent en compte
les méthodes vertueuses de production d’électricité sur les produits photovoltaïques et posent la
question de leur compatibilité non seulement avec le droit international, mais aussi de l’UE.
181. Le cas du mécanisme d’inclusion carbone peut être traité dans un premier temps. Cette
mesure de correction des distorsions de concurrence induites par les différences de contrainte
réglementaire existant entre pays, dans le domaine de la régulation des gaz à effet de serre, a été
243 MALJEAN-DUBOIS (S.) et TRUIHLÉ (E.), op.cit., L’Organisation mondiale du commerce confrontée aux défis de la protection de l’environnement, comment intégrer les exigences environnementales dans le système commercial multilatéral, p. 90.
72
proposée par la Présidence française de l’Union européenne dans le cadre du « paquet énergie-
climat »244. Elle visait ainsi « à rétablir un équilibre économique entre les producteurs soumis aux
contraintes du système des quotas européens d’émission de CO2 et les autres producteurs […]. En
effet […] ce mécanisme se concrétisait par l’attribution de quotas à titre gratuit aux producteurs
européens ».245 Si elle n’a toutefois pas été adoptée, cette mesure montre un certain intérêt dans le
cadre de cette étude. En effet, le mécanisme d’inclusion carbone n’est pas directement lié à un
appel d’offres, mais semble instituer une discrimination entre les producteurs européens et
étrangers. Cette attribution de quotas gratuits a priori discriminatoire a pourtant un effet dans le
cadre des appels d’offres. À l’évidence, les producteurs européens au titre de l’article 1.1 b) de
l’Accord SMC se verront accorder un avantage par rapport aux producteurs n’ayant pas été
soumis aux contraintes des quotas européens d’émission de CO2. Cette subvention est spécifique
selon l’article 1.2 de l’Accord SMC et peut donner lieu à action. En effet, le mécanisme
d’inclusion carbone n’étant pas basé sur un critère neutre, les producteurs européens ne partiront
pas sur le même pied d’égalité puisqu’ils auront bénéficié d’un avantage dans le cadre de l’appel
d’offres. Or, l’Accord SMC interdit toute discrimination injustifiée et arbitraire. Cette mesure
paraît ainsi contraire à l’Accord SMC.
182. Dans un second temps, il sera intéressant d’envisager un autre type de mesure instituée
par la France, à nouveau non spécifique aux appels d’offres, visant à réduire la production de
CO2. Un arrêté datant du 7 janvier 2013 portait ainsi majoration des tarifs de l’électricité pour les
installations solaires dont les composants étaient originaires de l’Espace économique européen.
La majoration allait de 5% ou 10% du tarif d’achat photovoltaïque pour les installations solaires
dont les composants étaient originaires de l’Espace économique européen (EEE). Il « imposait
que soient réalisées en Europe, deux des trois étapes de production suivantes : la transformation
des lingots de silicium en plaquettes de silicium, la transformation des plaquettes de silicium en
cellules, les opérations de soudage, d’assemblage et de lamination des cellules et les tests
électriques des modules. »246
244 MAREUGE (C.), « Analyse - Régulation climatique globale : quels mécanismes d’inclusion des importateurs de carbone en Europe? », Centre d’analyse stratégique, Note de veille n°104, juin 2008, p. 1. 245 LANFRANCHI (M.-P.), op.cit., « Droit de l’OMC et protection de l’environnement », § 54. 246 FABREGAT (S.), « Photovoltaïque : un bon bilan environnemental, surtout pour le "made in France" », 11 décembre 2012, Actu-environnement.com, http://www.actu-environnement.com/ae/news/acv-bilan-carbone-environnemental-photovoltaique-17276.php4 [consulté le 17 juin 2014]
73
183. Or, la compatibilité de cette majoration tarifaire avec le droit de l’UE était incertaine. En
mars 2013, la Commission européenne dans l’exposé des motifs associé au projet d’arrêté
d’abrogation a considéré « que le dispositif de majoration tarifaire constituait une entrave
injustifiée à la libre circulation des panneaux solaires légalement mis en libre pratique dans
d’autres États membres »247 en ce qu’il constituait « des mesures d’effet équivalent à des
restrictions quantitatives à l’importation [et] il n’est pas démontré que ce dispositif est nécessaire
pour [des raisons telles que la protection de la santé et de la vie des personnes ou la protection de
la propriété industrielle et commerciale] »248.
184. Pour faire suite à cet arbitrage de l’UE datant de mars 2013, jugeant le dispositif de
bonification de tarif d’achat de l’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques
européens mis en place par la France, contraire au droit de l’UE, la CRE a délibéré en date du 2
avril 2014 en faveur de l’arrêt de cette majoration. La délibération de la CRE notamment sur la
compatibilité au droit international et européen de ce dispositif est éloquente. Concernant la
compatibilité avec le droit de l’UE, la CRE rappelle ainsi que l’article 28, paragraphe 2, du traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne précise que l’interdiction des restrictions
quantitatives à l’importation entre États membres s’applique tant aux produits originaires des
États membres qu’aux produits en provenance d’États tiers, qui se trouvent en libre pratique dans
les États membres249. Dès lors, il s’applique « nécessairement au cas de modules en provenance
d’États tiers et importés légalement au sein de l’Union européenne. »250
185. Au regard de la compatibilité avec le droit de l’OMC, la CRE rappelle que le paragraphe
5 de l’article III du GATT dispose qu’« aucune partie contractante n’établira ni ne maintiendra de
réglementation quantitative intérieure concernant le mélange, la transformation ou l’utilisation,
en quantités ou en proportions déterminées, de certains produits, qui exigerait, directement ou
247 COLLET (P.), Photovoltaïque : l'abrogation de la bonification tarifaire pour les panneaux européens est en marche », Actu-environnement.com, 28 février 2014, http://www.actu-environnement.com/ae/news/projet-errete-abrogation-bonnifiation-tarifaire-photovoltaique-europeen-20915.php4 [consulté le 18 juin 2014] 248 Ibid. 249 Délibération du 20 décembre 2012 portant avis sur le projet d'arrêté relatif à la majoration des tarifs de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, JORF n°0026 du 31 janvier 2013, texte n° 108. 250 Ibid.
74
indirectement, qu’une quantité ou une proportion déterminée d’un produit visé par la
réglementation provienne de sources nationales de production ». Reprenant l’affaire Canada —
Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, la CRE observe
que « des mesures comparables à celles envisagées par le projet d’arrêté et mises en place par la
province de l’Ontario, au Canada, ont fait l’objet de plaintes de l’Union européenne et du Japon
devant l’OMC. »251 Il ressort de cette consultation que cette mesure aurait eu un effet dans le
cadre des appels d’offres. Cette majoration tarifaire pour les produits européens, comme pour le
mécanisme d’inclusion carbone, semble instituer une discrimination entre les candidats, ceux qui
utilisent les produits européens se voient de facto autorisés à proposer un prix de l’électricité plus
élevé que les autres, sans qu’il en soit tenu compte dans l’évaluation de leur offre.
186. Faisant suite à cet avis, la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de
l’Énergie, et le Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique ont signé
conjointement un arrêté le 25 avril 2014252 abrogeant le dispositif de soutien aux installations
solaires fabriquées en Europe. La non-adoption de ces deux mesures illustre à nouveau le
caractère prédominant de ce que Raphael Kempf reprend comme « l’obsession de la
compétitivité »253 qui entoure le système commercial institué par l’OMC. Cette obsession
s’inspire généralement de l’idée que des exigences environnementales élevées au niveau national
mettent l’industrie du pays dans une situation désavantageuse sur les marchés internationaux254.
251 Ibid. 252 Arrêté du 25 avril 2014 portant diverses dispositions relatives aux installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d'installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité, J.O., n° 107, 8 mai 2014, p. 7801, n° 8. 253 KEMPF (R.), op.cit., p. 132. 254 OCDE., « Procédés et méthodes de production (PMP) : Cadre conceptuel et étude de l’utilisation des mesures commerciales fondées sur les PMP », OCDE/GD (97)137, 1997, p. 28.
75
Titre II. La contrariété possible avec l’Accord sur les marchés publics (AMP)
187. Les procédures de passation de marchés publics européens intègrent des critères
environnementaux dans les appels d’offres publics qui se traduisent aux différents stades de
l’attribution des marchés publics: au moment de préparation des marchés, de leur passation et de
leur exécution. La prise en compte de l’environnement est désormais formalisée dans le droit des
marchés publics, tant au plan communautaire que national, faisant ainsi de la protection de
l’environnement un aspect à part entière dans le processus de la commande publique (Chapitre 1).
Toutefois, cette considération environnementale doit à nouveau être observée à la lumière des
Accords de l’OMC. En effet, si les autorités adjudicatrices se doivent de respecter les règles du
libre échange mises en place par l’UE, elles doivent aussi respecter l’Accord sur les marchés
publics de l’OMC (Chapitre 2).
Chapitre 1. La mise en place de nouvelles règles en matière environnementale dans les
procédures de passation de marchés publics européens
188. Au sein de l’Union européenne, le cadre légal pour les achats dans les États membres est
défini par les nouvelles directives 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et
2014/25/UE relative à la passation de marché par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de
l’énergie, des transports et des services postaux entrées en vigueur le 26 février 2014. Toutes les
collectivités, établissements publics des États Membres doivent respecter les principes qui y sont
définis. Les directives envisagées s’appliquent pour les achats supérieurs à un certain montant.
Aux montants inférieurs à ce seuil, le cadre législatif national s’applique. Dans les différentes
étapes de la procédure d’appel d’offres, ces nouvelles directives abrogeant les Directives
2004/18/EC et 2004/17/EC définissent l’applicabilité des critères environnementaux aux appels
d’offres.
189. Ainsi, peut être soulevée la question de savoir si ces nouvelles directives 2014/24/UE et
2014/25/UE permettent l’intégration de critères environnementaux aux appels d’offres publics.
Depuis les directives de 2004, les exigences ou critères environnementaux dans les documents
76
d’appels d’offres peuvent être définis dans l’objet du contrat, dans les caractéristiques techniques
du produit, les critères de sélection des candidats, les critères d’attribution du contrat et les
conditions d’exécution du contrat. Nous développerons deux de ces étapes de la procédure
d’appel d’offres où inclure des critères environnementaux. D’une part, les critères de sélection
des candidats (Section 2) et d’autre part, les critères d’attribution du contrat (Section 3). Ceux-ci
sont à notre sens les plus pertinents concernant l’évaluation carbone. Dans le même ordre d’idées,
la Commission européenne a élargi le champ d’application des appels d’offres par la mise en
place de nouvelles lignes directrices (Section 1).
Section 1 : L’élargissement du champ d’application des appels d’offres par la mise en place de
nouvelles lignes directrices adoptées par la Commission
190. Le 9 avril 2014, Joaquín Almunia, vice-président de la Commission chargé de la politique
de concurrence, présente « les nouvelles lignes directrices relatives à la protection de
l’environnement et à l’énergie » adoptées par la Commission européenne. Ainsi, le projet porte
un nom anodin, mais a fait l’objet d’une bataille acharnée, qui, de l’avis des défenseurs des
énergies renouvelables, « marque un revers pour le secteur en Europe »255. Applicables depuis le
1er juillet 2014, les nouvelles lignes directrices introduisent progressivement des procédures de
mise en concurrence pour l’octroi des aides publiques256. Jusqu’à présent, dans le cadre de sa
stratégie climatique, Europe 2020, un régime dérogatoire à la règle de libre concurrence,
autorisait les aides publiques aux énergies renouvelables, permettant l’essor des énergies vertes,
qui comptent, désormais, pour 14 % de la consommation d’énergie en Europe, l’objectif étant
d’atteindre 20 % en 2020257. La Commission européenne « estime que ce système a fait son
temps. Il a coûté cher et a même provoqué des « bulles » et des abus, notamment à travers le
mécanisme des tarifs garantis offerts aux producteurs d’électricité photovoltaïque. »258
255 BAUER (A.), « Energies vertes : Bruxelles choisit de ménager l'industrie », Les Échos, 9 avril 2014, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/0203429687874-energies-vertes-bruxelles-choisit-de-menager-l-industrie-663300.php [consulté le 18 juin 2014] 256 Commission européenne, « Aides d’État: la Commission adopte de nouvelles règles sur les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie », Communiqué de presse, 9 avril 2014, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-400_fr.htm [consulté le 18 juin 2014] 257 Ibid. 258 BAUER (A.), op.cit.
77
191. Pour la période 2014-2020, elle propose donc de remplacer le mécanisme des tarifs
garantis offerts aux producteurs d’électricité photovoltaïque, ce système de prix garantis pour
toutes les installations solaires de plus de 500 kWh ou éoliennes de plus de 3 MW, pour
privilégier un système d’appel d’offres. L’idée est de réintégrer l’électricité verte dans les
mécanismes de marché.259 Sur cette base d’idées, le champ d’application des directives
2014/24/UE sur la passation des marchés publics et 2014/25/UE relative à la passation de marché
par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services
postaux s’étend aux installations solaires de plus petite taille. Cette phase de transition s’étalera
sur 2015 et 2016 afin de « tester ces procédures de mise en concurrence sur une petite partie de
leur nouvelle capacité de production d’électricité »260. Parallèlement, l’accès aux mécanismes de
soutien public se fera au travers d’appels d’offres afin d’ « améliorer l’efficacité coût et réduire
les distorsions de concurrence ». Les appels d’offres deviendront la règle à partir du 1er janvier
2017.261 Il faut savoir que la France a plaidé pour une période d’adaptation jusqu’à 2018.
192. L’intérêt de ces nouvelles mesures pour notre étude est moindre, puisque ces nouvelles
lignes directrices n’affectent en réalité que l’approche concurrentielle du produit photovoltaïque.
En somme, certains producteurs qui auparavant bénéficiaient du mécanisme des tarifs d’achat
garantis en matière d’électricité photovoltaïque devront passer à des primes de rachat soumises
aux procédures de mise en concurrence. En l’espèce, il s’agit de déterminer si au travers de
l’évaluation carbone, les nouvelles directives européennes permettent la prise en compte de
critères environnementaux. Or, cette introduction de mécanismes fondés sur le marché ne préjuge
pas de leur compatibilité avec les directives européennes et n’a en réalité aucune incidence.
Section 2 : La sélection des candidats sur la base de critères environnementaux
193. La sélection des candidats par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des appels d’offres
se fait selon trois critères : les critères d’exclusion, la capacité technique et la capacité
259 Ibid. 260 COLLET (P.), « Renouvelables : l'Europe entend les confronter au marché dès 2015 », Actu-environnement.com, 9 avril 2014, http://www.actu-environnement.com/ae/news/renouvelabes-europe-tarifs-achat-appels-offres-prime-21346.php4 [consulté le 17 juin 2014] 261 Ibid.
78
financière262. Les deux premiers critères sont au regard des directives les principaux moyens de
prises en compte des aspects environnementaux, mais seule la capacité technique pourrait
concerner l’évaluation carbone.
194. Ce critère de sélection technique se focalise sur la capacité de l’entreprise soumissionnaire
à remplir le contrat, les compétences demandées devant toujours être en lien avec l’objet du
marché ou les conditions d’exécution du contrat. Les critères environnementaux peuvent être
imposés, mais uniquement si une compétence particulière en lien avec l’environnement est
nécessaire pour réaliser le contrat. Or, ce n’est pas le cas d’espèce, puisque les modalités de
l’évaluation carbone contenues dans les appels d’offres de la CRE n’imposent pas de critère de
sélection au regard de la capacité technique des candidats. En d’autres termes, le candidat n’a pas
à prouver de références en environnement pour des produits qu’il aurait déjà fabriqués. On
retrouve ces critères plutôt dans le cadre des marchés de services et de travaux, lorsque
l’exécution du contrat aura un impact sur l’environnement. Ainsi, l’évaluation des différentes
offres reçues suite à la publication d’un appel d’offres commence par une analyse de la capacité
des soumissionnaires lors de l’attribution du marché.
Section 2 : L’attribution du marché, entre offre économiquement la plus avantageuse et coût du
cycle de vie
195. L’impulsion communautaire d’une protection de l’environnement par les pouvoirs
adjudicateurs dans les marchés publics a été imposée par le Parlement européen à la Commission
et au Conseil, plutôt réticents263. Ainsi, la directive 2004/18 du 31 mars 2004 relative à la
coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de
services, dispose dans son préambule que « les entités adjudicatrices peuvent contribuer à la
protection de l’environnement et à la promotion du développement durable tout en garantissant la
possibilité d’obtenir pour leurs marchés le meilleur rapport qualité/prix ».
196. L’article 6-I 2°) du Code des marchés publics faisant écho aux directives européennes de
262 Article 58 de la Directive 2014/24/UE et articles 77 à 80 de la Directive 2014/25/UE. 263 LA ROSA (S.), « Vers un approfondissement des règles européennes applicables aux concessions de service public », Petites affiches, 18 mars 2014, n° 55, p. 5.
79
2004, modifié par Décret n°2008-1334 du 17 décembre 2008 dispose que : « I. - Les prestations
qui font l’objet d’un marché ou d’un accord-cadre sont définies, dans les documents de la
consultation, par des spécifications techniques formulées […] peuvent inclure des caractéristiques
environnementales. » Cela implique que la volonté de vouloir procéder à la passation d’un
marché intégrant des considérations environnementales peut être affichée dans l’objet du marché.
Toutefois, ces exigences ne devront pas aller à l’encontre des principes du Traité des
Communautés européennes, en discriminant par exemple les produits européens des produits
étrangers comme c’était le cas avec l’arrêté du 7 janvier 2013 désormais abrogé, portant
majoration des tarifs de l’électricité pour les installations solaires européennes.
197. Une fois l’objet du marché identifié, les entités publiques peuvent établir leurs exigences
en spécifications techniques mesurables, auxquelles devra se conformer le produit envisagé264. Il
faut distinguer la sélection technique envisagée plus tôt (§ 193) de l’élaboration des spécifications
techniques. Les premières impliquent que le soumissionnaire soit à même de prouver son
expérience, notamment par ses compétences techniques ou la possession d’équipements
nécessaires. Les spécifications techniques envisagées en deuxième lieu sont définies à l’article
1 b) de l’Annexe VIII de la directive 2014/25/UE dans le cadre de marchés de travaux comme :
« […] l’ensemble des prescriptions techniques contenues notamment dans les documents de marché, définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture et permettant de les caractériser de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par l’entité adjudicatrice. Ces caractéristiques incluent les niveaux de performance environnementale et climatique, la conception pour tous les besoins (y compris l’accessibilité pour les personnes handicapées) et l’évaluation de la conformité, la propriété d’emploi, la sécurité ou les dimensions, y compris les procédures relatives à l’assurance de la qualité, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, les instructions d’utilisation ainsi que les processus et méthodes de production à tout stade du cycle de vie des coûts. […] ; »
198. Les exigences environnementales peuvent ainsi s’exprimer dès la définition des
spécifications du marché, par la prise en compte par exemple d’un processus de production
particulier, par la référence aux écolabels ou par l’usage de toute autre variante265.
264 Voir en ce sens : Article 46 de la Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, J.O., n° L 94/65 du 28 mars 2014. 265 Article 60 de la Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE, J.O., n° L 94/243 du 28 mars 2014.
80
199. L’article 60-3 de la directive 2014/25/UE appréhende les normes comme un mode de
définition des spécifications techniques des marchés publics. La référence aux normes doit être
préférée selon cet article par les pouvoirs adjudicateurs dans la détermination des spécifications
techniques de leurs marchés. Cependant, cette référence ne constitue pas une obligation, en effet
chaque référence est accompagnée de la mention « ou équivalent ». Par exemple, les critères
environnementaux des écolabels peuvent servir de spécifications techniques. Toutefois, la
certification offerte par les écolabels n’est pas le seul mode admissible de preuve justifiant le
respect des spécifications techniques, il ne s’agit que d’un moyen de preuves parmi d’autres.
L’offre d’un candidat est en effet valable, si celui-ci réussit à prouver que son offre respecte, de
manière équivalente, les spécifications techniques266.
200. En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si l’évaluation carbone peut être
considérée comme une norme au sens d’un écolabel ou s’il ne s’agit que d’une spécification
technique déterminée.
201. L’évaluation carbone référencée à l’annexe 4 du Cahier des charges de la CRE ne fait pas
de référence à d’écolabel particulier. Les modalités de calcul du bilan carbone se rapprochent
plus de la spécification technique qui tient au processus spécifique de production des panneaux
solaires photovoltaïques au sens de l’article 60 de la Directive 2014/25/UE. L’évaluation carbone
est appliquée au stade de l’attribution du marché après l’analyse des différentes offres. En effet,
les autorités évaluent la qualité des offres, lorsqu’elles ont été jugées conformes, avec les
spécifications techniques afin de choisir la meilleure d’entre elles. La différence entre les
spécifications techniques et les critères d’attribution repose sur le fait que les spécifications
énoncent les exigences minimales que le produit doit remplir. Le critère d’attribution quant à lui
permet à l’autorité adjudicatrice d’indiquer ce qui serait préférable.
202. Il y a deux options possibles pour évaluer les offres dans la phase d’attribution du marché.
La première consiste à appliquer l’offre ayant le prix le plus bas et la deuxième consiste à
appliquer l’offre économiquement la plus avantageuse267. Dans le premier cas, la décision finale
266 Voir en ce sens le considérant 70 de la Directive 2014/25/UE. 267 CJUE, arrêt du 10 mai 2012, Commission européenne contre Royaume des Pays-Bas, C-368/10, §6.
81
se basera uniquement sur le prix le plus bas. Ainsi, si aucun critère environnemental n’a été défini
dans les phases précédentes par exemple au sein des clauses techniques, il n’est pas possible de le
faire à ce stade.
203. En l’espèce, comme expliqué plus tôt, il n’est pas fait état dans le cahier des charges de
capacité technique particulière environnementale. Si le principe de l’offre la plus
économiquement avantageuse est appliqué, d’autres critères d’attribution peuvent être pris en
compte. Ces critères d’attribution qu’ils soient relatifs ou non à l’environnement devront
impérativement être en lien avec l’objet du marché, être objectivement quantifiables, être
pondérés avec les autres critères d’attribution et être clairement définis dans les documents
d’appel d’offres afin de garantir la transparence. La nouvelle directive 2014/25/UE dans son
considérant 101 dispose qu’ « [i]l convient donc de préciser que, sauf lorsque l’évaluation est
exclusivement fondée sur le prix, les entités adjudicatrices peuvent déterminer l’offre
économiquement la plus avantageuse et le coût le plus bas en prenant en compte le calcul du coût
du cycle de vie. »268
204. Elle définit la notion de calcul du coût du cycle de vie comme « couvr[ant] tous les coûts
supportés durant le cycle de vie des travaux, fournitures ou services. Elle englobe les coûts
internes […], mais peut également comprendre les coûts imputés aux externalités
environnementales, telles que la pollution causée par l’extraction des matières premières
utilisées dans le produit ou causées par le produit lui-même ou sa fabrication, à condition
qu’elles puissent être monétarisées et faire l’objet d’un suivi. Les méthodes utilisées par les
entités adjudicatrices pour évaluer les coûts imputés aux externalités environnementales devraient
être établies au préalable d’une manière objective et non discriminatoire et être accessibles à
toutes les parties intéressées. Ces méthodes peuvent être arrêtées au niveau national, régional ou
local, mais, pour éviter des distorsions de concurrence résultant de méthodes taillées sur mesure,
il convient qu’elles demeurent générales dans le sens qu’elles ne devraient pas être
spécifiquement mises en place pour une procédure de passation de marché public particulière. »269
268 Voir les considérant 101 de la Directive 2014/25/UE et considérant 95 de la Directive 2014/24/UE. 269 Ibid.
82
205. La méthode utilisée pour évaluer les coûts imputés aux externalités environnementales
doit respecter l’ensemble des conditions suivantes:
« a) elle se fonde sur des critères vérifiables de façon objective et non discriminatoires. En particulier, lorsqu’elle n’a pas été prévue pour une application répétée ou continue, elle ne favorise ni ne défavorise indûment certains opérateurs économiques ; b) elle est accessible à toutes les parties intéressées ; c) les données requises peuvent être fournies moyennant un effort raisonnable consenti par des opérateurs économiques normalement diligents, y compris des opérateurs de pays tiers parties à l’AMP ou à d’autres accords internationaux par lesquels l’Union est liée. »270
206. L’évaluation carbone simplifiée peut donc être considérée comme une évaluation du
« coût du cycle de vie » du panneau photovoltaïque, en ce sens qu’elle prend en considération la
pollution causée par la fabrication de ce produit. Elle se fonde en effet sur des critères vérifiables
de façon objective et non discriminatoire. Le référentiel-pays comme expliqué dans les chapitres
suivants échappe au contrôle des autorités françaises, le même référentiel scientifique étant utilisé
pour tous les pays référencés dans l’annexe 4.
207. Cette étape est fondamentale et les exigences de l’autorité doivent être clairement
définies, car elles constituent la base de l’information permettant aux entreprises d’évaluer leur
capacité pour répondre à l’appel d’offres. Afin de respecter le principe de non-discrimination, le
pouvoir adjudicateur est contraint d’analyser les différentes équivalences mentionnées dans les
offres des candidats, même si cette pratique allonge le délai d’analyse des offres. Sous cet angle,
le référentiel-pays et le mode de calcul utilisé par le bilan carbone ne paraissent pas être en
contradiction avec la directive européenne. Le bilan carbone n’est en effet qu’une des
composantes de la notation des candidatures dans le cahier des charges de la CRE. Il vaut un
certain pourcentage dans la note finale attribuée aux candidats. L’évaluation carbone est prévue
au point 4.7 du Cahier des charges de la CRE :
Le candidat fournit dans son dossier de candidature une évaluation carbone simplifiée des modules ou des films photovoltaïques réalisée conformément au modèle et à la méthodologie figurant en annexe 4. Cette évaluation carbone peut être réalisée par le candidat lorsqu’il est fait appel pour chaque composant aux valeurs figurant dans le tableau 2 de l’annexe 4 ; à défaut, elle doit être effectuée par un organisme spécialisé
270 Commission européenne, « Fiche d’information n°7 : Marchés publics écologiques, Réforme des marchés publics », http://ec.europa.eu/internal_market/publicprocurement/docs/modernising_rules/reform/fact-sheets/fact-sheet-07-environmental_fr.pdf [consulté le 25 juin 2014]
83
indépendant du candidat.271
208. Ainsi, le calcul de l’évaluation carbone offre une certaine souplesse aux candidats qui
peuvent procéder à leur propre mécanisme d’évaluation par « un organisme spécialisé
indépendant du candidat ». Une des préoccupations soulevées par un rapport de l’OCDE tient
notamment « à l’absence jusqu’à présent, d’harmonisation internationale des normes nationales
appliquées aux méthodes de production, aux procédés et aux techniques de manutention et de
mise au rebut, etc. »272 En effet, dans le cadre actuel du droit, les prescriptions PMP sont
variantes, il est difficile de vérifier leur respect au plan international. La possibilité de
différencier les produits similaires en fonction des caractéristiques PMP de ces produits amène
selon le rapport, à craindre que de nouvelles nomenclatures des produits en fonction des PMP ne
modifient l’équilibre des concessions précédemment négociées.273
Chapitre 2. La compatibilité de l’évaluation carbone simplifiée avec l’Accord sur les
marchés publics révisé
209. L’Accord de l’OMC sur les marchés publics (AMP) révisé est entré en vigueur le 6 avril
2014, soit deux ans environ après l’adoption du Protocole portant amendement de cet
instrument274. L’Accord sur les marchés publics (AMP) est à ce jour le seul accord juridiquement
contraignant à l’OMC qui porte spécifiquement sur les marchés publics. Le texte de l’Accord a
été rationalisé et modernisé. Il renforce ainsi la portée de l’Accord initial afin de promouvoir la
conservation des ressources naturelles et la protection de l’environnement au moyen de
l’application de spécifications techniques appropriées.275
210. Quatre affaires ont ainsi mis en jeu l’Accord sur les marchés publics : Japon – Achat d’un
satellite de navigation (demande de consultation présentée par les Communautés européennes),
271 Commission de régulation de l’énergie, « 4.7. Évaluation carbone simplifiée de l’installation photovoltaïque », Cahier des charges de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations photovoltaïques sur bâtiment de puissance crête comprise entre 100 et 250 kW, en ligne le 27 juin 2014. 272 OCDE., « Procédés et méthodes de production (PMP) : Cadre conceptuel et étude de l’utilisation des mesures commerciales fondées sur les PMP », OCDE/GD (97)137, 1997. p. 22. 273 Ibid. 274 OMC., « Entrée en vigueur de l’Accord sur les marchés publics révisé », Nouvelles, 7 avril 2014, http://www.wto.org/french/news_f/news14_f/gpro_07apr14_f.htm [consulté le 15 juillet 2014] 275 Ibid.
84
1er avril 1997, WT/DS73/1 (solution convenue d’un commun accord notifiée le 19 février 1998,
WT/DS73/5) ; États-Unis – Mesures affectant les marchés publics (demande de consultation
présentée par les Communautés européennes), 26 juin 1997, WT/DS88/1 ; États-Unis – Mesures
affectant les marchés publics (demande de consultation présentée par le Japon), 21 juillet 1997,
WT/DS95/1 (les affaires WT/DS88 et WT/DS95 ont été jointes ; les travaux du groupe spécial
ont été suspendus en 1999 à la demande des plaignants) ; Groupe spécial, Corée – Mesures
affectant les marchés publics, 19 juin 2000, WT/DS163.
211. L’article III de l’Accord plurilatéral sur les marchés publics révisé dans son alinéa 2
dispose que :
« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Parties où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent accord ne sera interprété comme empêchant une Partie d’instituer ou d’appliquer des mesures: a) nécessaires à la protection de la moralité publique, de l’ordre public ou de la sécurité publique ; b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ; c) nécessaires à la protection de la propriété intellectuelle ; d) ou se rapportant à des marchandises fabriquées ou des services fournis par des personnes handicapées, des institutions philanthropiques ou des détenus. »
212. Dans les directives précitées 2014/24/UE et 2014/25/UE, il est fait mention d’une clause
horizontale, elle implique que « les entreprises qui souhaitent exécuter un marché public doivent
respecter les obligations environnementales prévues par le droit international et les législations
nationales et de l’Union européenne. »276 L’UE a aussi une obligation de conformité puisqu’elle
est un des membres signataires de l’AMP.
213. Il a été démontré que l’évaluation carbone était a priori conforme aux règles de l’UE. La
question se pose donc de savoir si l’évaluation carbone est conforme à l’Accord AMP révisé.
214. L’article X relatif aux spécifications techniques et documentation relative à l’appel
d’offres dispose dans son premier alinéa qu’ « une entité contractante n’établira, n’adoptera ni
276 Commission européenne, op.cit., « Fiche d’information n°7 : Marchés publics écologiques, Réforme des marchés publics ».
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n’appliquera de spécifications techniques ni ne prescrira de procédures d’évaluation de la
conformité ayant pour but ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce
international. » L’Accord prévoit ainsi dans son article X alinéa 6 que la Partie « pourra, en
conformité avec le présent article, établir, adopter ou appliquer des spécifications techniques pour
encourager la préservation des ressources naturelles ou protéger l’environnement. » Il apparaît au
regard du texte que les mesures d’évaluation protégeant l’environnement seraient compatibles
avec l’Accord. Il faut tout d’abord entendre ce que l’Accord entend par « spécifications
techniques ». Contrairement à son ancienne rédaction qui était plus restrictive, l’Accord AMP
révisé ne donne pas de définition de ce qu’il entend par « spécifications techniques ».
215. Si nous reprenons ainsi le texte, l’évaluation carbone appréhendée comme spécification
technique ne doit pas « créer des obstacles non nécessaires au commerce international », et le
Membre de l’OMC partie à l’Accord révisé peut « appliquer des spécifications techniques pour
[…] protéger l’environnement ». Concernant la notion d’obstacle nécessaire ou non au
commerce, l’Accord révisé ne la définit pas. Si nous nous référons aux obstacles couverts par les
alinéa b) et g) de l’article XX du GATT, et en reprenant l’analyse faite précédemment, il apparaît
que l’évaluation carbone n’est pas un obstacle au commerce puisqu’elle poursuit un objectif
légitime : celui de protection de l’environnement au sens de l’alinéa 6 de l’article X de l’Accord
AMP révisé. Il est dès lors possible d’en conclure que l’évaluation carbone paraît compatible
avec l’Accord AMP révisé.
86
Conclusion
216. Selon les Professeurs Gene Grossman et Alan Krueger, l’ouverture des marchés peut
provoquer un « effet technique » sur les productions de biens et de services utilisant plus de
technologies vertes. Cet effet technique de la libéralisation des échanges aura pour conséquence
d’inciter les investisseurs étrangers à adopter des modes de production respectueux de
l’environnement dans des pays qui n’en disposent pas, permettant aux Membres de l’O.M.C. de
convenir simultanément de la réduction et de l’élimination des obstacles tarifaires et non
tarifaires sur les technologies non polluantes277. Ainsi, l’évaluation carbone dans le cadre des
appels d’offres de la CRE est une résultante de cette prise en compte environnementale. Son
cahier des charges inclue un critère environnemental, à savoir le calcul des émissions de GES
dans le processus de fabrication des modules photovoltaïques.
217. Dans le cadre de l’OMC, de telles mesures sont soumises à un contrôle très rigoureux de
la part de l’ORD. Ainsi, une telle mesure pourrait a priori être incompatible avec les articles III:4
et I:1 du GATT. En effet, la distinction entre le panneau photovoltaïque fabriqué à faible
proposition de CO2 ne peut être faite. Le GATT ne permet pas aux Etats de différencier les
produits fabriqués avec des méthodes de production différentes.
218. Cette approche concurrentielle est nuancée par l’article XX du GATT qui introduit une
exception limitée et conditionnelle aux obligations découlant des autres dispositions de l’Accord
général278. L’évaluation carbone pourra donc bénéficier des exceptions environnementales
illustrées aux alinéas b) et g) de l’article XX. En effet, grâce au référentiel pays de l’annexe 4, le
calcul du bilan carbone permet de garantir un traitement non arbitraire et non discriminatoire
entre les candidats aux appels d’offres.
219. De manière plus générale, les différentes politiques publiques autant au niveau européen
277 NGUYEN TRUNG HOANG (A.-L.), op.cit., p. 146. 278 OMC., « Pratique du GATT/de l’OMC en matière de règlement des différends se rapportant à l’article XX, paragraphe b), d) et g) du GATT de 1994 », op.cit., p.2.
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qu’interne, visant à réduire la production de CO2 dans l’atmosphère, paraissent être compatibles
avec les Accords de l’OMC, plus particulièrement l’Accord sur les subventions et les mesures
compensatoires et l’Accord sur les marchés publics. Ainsi, certaines subventions peuvent
parfaitement poursuivre isolément des objectifs environnementaux279.
220. Dans le même sens, si aucune théorie générale n’a été élaborée au sujet des PMP en droit
de l’OMC, il apparaît que la jurisprudence récente n’empêche pas nécessairement des PMP à
finalité environnementale de sortir leurs effets pour autant « qu’elles soient prises de bonne foi ou
mettent en œuvre des conventions internationales protectrices de l’environnement »280. Les
incertitudes juridiques autant dans les textes que dans le cadre du système de règlement des
différends de l’OMC doivent inciter à une clarification du débat sur la possibilité d’admettre la
prise en compte des méthodes et processus de fabrication. En effet, l'OMS estime qu'entre 2030
et 2050, le changement climatique entraînera près de 250 000 décès de plus par an. Selon le
directeur du Département OMS Santé publique, la pollution de l’air était en 2012 responsable de
sept millions de décès, soit un décès sur huit dans le monde. D’après le Docteur Maria Neira,
« on dispose désormais d’éléments probants montrant que l’atténuation des effets du changement
climatique permettrait de réduire cette mortalité»281.
221. Les nouvelles politiques visant à atténuer les effets du changement climatique doivent
ainsi être encouragées. En effet, la protection de l’air pur dépasse par essence les frontières et ne
peut s’appréhender qu’à une échelle mondiale. Elle s’accompagne également à terme d’un
abandon des approches de protection sectorielle au profit du développement de conceptions
globales, notamment d’une « pensée systémique » lors de la mise en œuvre de ces actions. Il
s’agit dorénavant de gérer un problème de protection de l’ « environnement en son entier, sans le
parcelliser, en prenant en compte l’interdépendance des phénomènes naturels et des actions
humaines à l’origine des dégradations »282.
279 LUFF (D.), op.cit., p. 1058. 280 Ibid., p. 1076. 281 O.M.S., « L'OMS appelle à prendre des mesures plus fortes contre les risques pour la santé liés au climat », Communiqué de presse, http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2014/climate-health-risks-action/fr/ [consulté le 15 août 2014] 282 BOISSON DE CHAZOURNES (L.), DESGAGNE (R.), ROMANO (C.), Protection internationale de l’environnement, Recueil d’instruments juridiques, p.15.
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91
Arrêté du 17 mars 2014 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2011 homologuant les coefficients SN et VN résultant de l'application de l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, J.O.R.F. n°0077 du 1 avril 2014, page 6254, texte n° 31. Arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, version consolidée au 28 juin 2013, J.O.R.F. n°0202 du 1 septembre 2010, page 15919, texte n° 7. Décret n° 2010-1022 du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d'électricité en application du IV de l'article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, version consolidée au 03 septembre 2010, J.O.R.F. n°0203 du 2 septembre 2010, page 15993, texte n° 3. Délibération du 20 décembre 2012 portant avis sur le projet d'arrêté relatif à la majoration des tarifs de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, J.O.R.F. n°0026 du 31 janvier 2013, texte n° 108. Délibération du 3 mars 2010 portant avis sur un projet d'arrêté relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil et sur un projet d'arrêté fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, J.O.R.F. n°0069 du 23 mars 2010, texte n° 69. II. Décisions
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B- Décisions de l’Organe de Règlement des différends de l’OMC
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Rapport Canada — Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, affaire DS412.
92
Rapport Canada — Mesures relatives au programme de tarifs de rachat garantis, dossier DS426. Rapport Union Européenne et Certains États Membres — Certaines mesures affectant le secteur de la production d'énergie renouvelable, affaire DS452. Demande de consultation de la Chine le 5 novembre 2012. Rapport États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, Affaires n° 2 et 4 de l'OMC. Décision adoptée le 20 mai 1996. Plainte déposée par le Venezuela et le Brésil. Rapport de l’Organe d’appel États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996. Rapport du Groupe spécial États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, WT/DS2/R, adopté le 20 mai 1996, modifié par le rapport de l’Organe d’appel WT/DS2/AB/R. Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de Chine, WT/DS379/AB/R, adopté le 25 mars 2011. Rapport de l'Organe d'appel, Japon - Mesures visant les produits agricoles, WT/DS76/AB/R, 22 février 1999. Rapport de l'Organe d'appel, Communautés européennes - Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant, WT/DS135/AB/R, 12 Mars 2001. Rapport Communautés européennes — Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant. Affaire n° 135 de l'OMC. Décision adoptée le 5 avril 2001. Plainte déposée par le Canada. Rapport de l’Organe d’appel, Corée – Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche, réfrigérée et congelée, WT/DS161/AB/R, WT/DS169/AB/R, 11 décembre 2000. Rapport du Groupe spécial, Inde – Mesures concernant le secteur automobile, WT/DS146/R, WT/DS175/R, 21 décembre 2001. Rapport du Groupe spécial, Etats-Unis – Mesures affectant l’importation, la vente et l’utilisation de tabac sur le marché intérieur, adopté le 4 octobre 1994, DS44/R. Rapport du Groupe spécial, Etats-Unis – Restrictions à l’importation de thon, DS21/R - 39S/174, distribué le 3 septembre 1991, non adopté. Rapport du Groupe spécial, Etats-Unis– Restrictions à l’importation de thon, distribué le 16 juin 1994, DS29/R, non adopté. Demande de consultation Chine – Mesures concernant l'équipement pour la production d'énergie éolienne, dossier DS419.
93
Demande de consultations Inde – Certaines mesures relatives aux cellules solaires et aux modules solaires, dossier DS456. Plaignant : Etats-Unis Demande d'établissement d'un groupe spécial présentée par l'Argentine - Union européenne et un État membre – Certaines mesures concernant l'importation de biodiesels", affaire DS443.
2. Jurisprudence de la CJCE et de la CJUE
CJUE, arrêt du 10 mai 2012, Commission européenne contre Royaume des Pays-Bas, C-368/10. III. Doctrine
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Table des matières Introduction ....................................................................................................................................1
Partie I : Compatibilité au regard des règles générales du GATT de 1994............................20 Titre I. L’incompatibilité présumée avec l’article III:4 du GATT : la règle du traitement national..................................................................................................................................................................20 Chapitre 1. Les conditions entraînant la violation de l’article III:4 du GATT................................20
Section 1. La question de la similarité des produits.............................................................................21 Section 2. Des actes normatifs juridiques devant affecter les conditions de concurrence des produits..............................................................................................................................................................25 Section 3. Un traitement « moins favorable » réservé aux produits étrangers.....................................28
Chapitre 2. L’application de l’article III:8 a) du GATT comme moyen d’exclusion des mesures contestées du champ d’application de l’article III:4 du GATT .........................................................30 Titre II. L’incompatibilité présumée avec l’article I:1 du GATT : la règle du traitement de la nation la plus favorisée ..........................................................................................................................31 Chapitre 1. Le champ d’application de la règle de la nation la plus favorisée.................................31 Chapitre 2. Les conditions entrainant la violation de l’article I.1 du GATT ...................................33
Section 1 : La notion d’avantage conféré ............................................................................................33 Section 2 : L’obligation inconditionnelle d’étendre tous les avantages accordés................................34 Section 3 : La notion juridique de similarité entre produits de différentes origines............................35
Titre III. La discrimination légitimée par l’article XX du GATT : une exception environnementale ...................................................................................................................................37 Chapitre 1. L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC....37
Section 1. L’objectif environnemental consacré par les textes et la jurisprudence de l’OMC ............37 Section 2 : La question des mesures commerciales extraterritoriales protégeant l’environnement ....42
Chapitre 2. L’article XX : l’exception environnementale ..................................................................47 Section 1. La qualification juridique des mesures visant à favoriser la production d’énergie photovoltaïque......................................................................................................................................47 Section 2. Le test émis par le Rapport de l’Organe d’appel, ÉU – normes concernant l’essence nouvelle et anciennes formules ............................................................................................................48
Partie II. Compatibilité au regard des accords spécifiques de l’OMC ...................................64 Titre I. La contrariété possible avec l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (SMC) ......................................................................................................................................................64 Chapitre 1. Le champ d’application de l’Accord SMC ......................................................................65
Section 1. Les conditions entraînant la violation de l’Accord SMC....................................................65 Section 2. Le déclin de la prise en considération de l’environnement dans l’Accord SMC................67 Section 3. L’incertitude liée aux mesures fondées sur les processus et méthode de production sur le régime des subventions ........................................................................................................................69
Chapitre 2. La position européenne concernant les subventions et leur compatibilité avec l’Accord SMC .........................................................................................................................................71 Titre II. La contrariété possible avec l’Accord sur les marchés publics (AMP) ..............................75 Chapitre 1. La mise en place de nouvelles règles en matière environnementale dans les procédures de passation de marchés publics européens.....................................................................75
Section 1 : L’élargissement du champ d’application des appels d’offres par la mise en place de nouvelles lignes directrices adoptées par la Commission....................................................................76 Section 2 : La sélection des candidats sur la base de critères environnementaux ...............................77
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Section 2 : L’attribution du marché, entre offre économiquement la plus avantageuse et coût du cycle de vie ....................................................................................................................................................78
Chapitre 2. La compatibilité de l’évaluation carbone simplifiée avec l’Accord sur les marchés publics révisé...........................................................................................................................................83
Conclusion.....................................................................................................................................86
Bibliographie.................................................................................................................................88