L'estimation des preferences individuelles pour la decision publique. Problµemes, paradoxes, enjeux

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L’estimation des préférences individuelles pour la décision publique : Problèmes, paradoxes, enjeux Antoinette Baujard (CREM - CNRS) may 2006 Series : Public Economics and Social Choice WP 2006-08 Centre for Research in Economics and Management UMR CNRS 6211 University of Rennes 1 University of Caen Working paper

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L’estimation des préférences individuelles pour la décision publique : Problèmes, paradoxes, enjeux

Antoinette Baujard (CREM - CNRS)

may 2006

Series : Public Economics and Social Choice WP 2006-08

Centre for Research in Economics and Management UMR CNRS 6211

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L’estimation des preferences individuelles

pour la decision publique.

Problemes, paradoxes, enjeux

Antoinette Baujard∗†

Resume

Un decideur public souhaite allouer une subvention pour ameliorer les conditionsdu transport prive ou du transport public. Si l’on suppose que son objectif est d’ac-croıtre le bien-etre collectif, evalue a partir des seules preferences individuelles entretransport prive et transport public, toute decision requiert, au prealable, l’identifica-tion de ces preferences. La theorie des preferences revelees offre un cadre operationnelpour cette phase d’inference des preferences. Les techniques de calcul de probabilitesdeveloppees par D. Saari permettent d’evaluer la quantite d’information recueillie parrapport a l’etendue de l’information pertinente necessaire pour cette decision publiqueet, ce, pour des hypotheses plausibles sur les conditions d’observation des donnees.Nous concluons que les decideurs publics ont difficilement acces aux informations wel-faristes pertinentes du fait de contraintes operationnelles. Ce contre-exemple fournitun argument contre le recours au strict welfarisme technique en economie publique.

Abstract

A public decision maker needs to decide to allocate some subsidy towards the condi-tions for public transportation or for private transportation. If she wants to improve thecollective welfare of the community based on the individual preferences between publicand private transportation, she needs to learn about the latter. A possible way to inferindividual preferences lies in the revealed preference theory. With Saaris’s techniqueof probability calculus, it becomes possible to study how much information is reliablefor plausible assumptions about the conditions of data observations. We conclude thatpublic decision makers may hardly get the relevant welfarist information to circumventthe problem raised by the lack of independence condition. This counter-example pro-vides an operational argument against the use of strict technical welfarism in publiceconomics.

JEL classification code : C81, D63, H40, I38Key-words : Welfarism, non-welfarism, public decision, information basis for publicdecision, revealed preference theory, probability calculus

∗CREM, Universite de Caen Basse-Normandie, E-mail : [email protected]†L’auteur remercie S. Anderson, S. Geslin, V. Merlin, Ph. Mongin, V. Reboud, R. Renault, D. Saari,

M. Salles, Ch. Schmidt ainsi que deux rapporteurs anonymes pour leurs remarques et leurs suggestions.Cet article a ete presente au congres de la societe “Social Choice and Welfare” a Pasadena en juillet 2002et aux journees “Economie Publique” de l’AFSE a Rennes en mai 2004.

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

1 Introduction

Les decisions publiques devraient viser a ameliorer la qualite de la vie des membresde la societe, par exemple en organisant la regulation des nuisances ou en financant desinfrastructures publiques. En d’autres termes, elles ont vocation a maximiser le bien-etresocial. Une question importante en economie publique est donc de savoir comment decider,en s’interrogeant sur les informations a recueillir et les fins a poursuivre. Le plus souvent,et conformement au cadre welfariste de l’economie du bien-etre, le bien-etre social estevalue comme une fonction des bien-etre individuels, representes par des fonctions d’uti-lite individuelle. Il faut donc, dans un premier temps, determiner ces fonctions d’utiliteindividuelle qui sont, dans un second temps, agregees. La phase d’agregation rend comptede choix normatifs importants : le choix des comparaisons interpersonnelles reflete les as-pirations redistributives du decideur. Cette seconde phase de la mesure du bien-etre socialn’est pas etudie dans cet article. Nous nous concentrons sur la premiere phase du proces-sus de decision, qui consiste a determiner les fonctions d’utilite individuelle pertinentes.Nous etudions combien le choix des modalites de determination du bien-etre individuelainsi que les contraintes operationnelles qui pesent sur la recolte de cette information ontun impact, d’une part, sur la qualite de la decision publique finale et, d’autre part, surle sens associe au bien-etre social. Ainsi, la phase de recolte d’information presente desenjeux remarquables, relatifs a la qualite et a l’interpretation des decisions publiques quien resultent.

Les enjeux que pose le probleme de l’inference des preferences individuelles sont iciillustres par un modele simple. Un decideur doit choisir entre differents modes de trans-ports urbains en vue de selectionner un mode de transport a subventionner. Les donneesdisponibles pour identifier quelle option ou quel ensemble d’options contribue le plus aubien-etre public sont limitees. D’une part, il n’est pas trivial de determiner les fonctionsd’utilite individuelle pertinentes pour un probleme donne. L’observation des comporte-ments peut apparaıtre comme une approximation satisfaisante des utilites. Le recours ala theorie des preferences revelees est en effet relativement courant pour l’evaluation pu-blique1. D’autre part, le decideur public ne peut pas disposer d’informations precises surles preferences individuelles mais il connaıt les proportions d’agents qui preferent une op-tion a une autre. En outre, il observe les preferences definies sur des parties de la situationsociale, c’est-a-dire sur des contextes particuliers, et non sur sa totalite. La encore, il doits’en contenter, faute d’acceder a d’autres informations. Nous cherchons a etudier dansquelle mesure ces deux types de restriction de l’information affectent la qualite et l’in-terpretation de la decision publique. Nous illustrons en particulier la difficulte d’estimerles preferences de la population a partir de donnees partielles sur les choix.

La methode utilisee pour etudier la qualite de la decision repose sur les resultats dela litterature sur les paradoxes de vote2. Selon le paradoxe d’Anscombe, une majorite

1Voir par exemple le rapport Boiteux et Baumstark (2001, pp. 40 sqq., 78 sqq., 178 sqq.).2Pour une presentation des paradoxes de vote, voir Nurmi (1999).

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

d’electeurs peuvent etre une minorite sur une majorite de questions sur lesquelles ils sontconsultes. Selon le paradoxe d’Ostrogorski, une majorite d’individus peuvent voter pourun parti, alors meme qu’ils ne voteraient pas pour la majorite des mesures qu’il defend.Les paradoxes qui apparaissent entre les resultats d’une election de candidats et le vote surles mesures defendues par ces memes candidats ont ete etudies par Saari et Sieberg (2001).Ils developpent une approche geometrique3 pour identifier tous les profils de preferencesindividuelles qui soutiennent chaque question posee et tous les profils qui soutiennent unecombinaison de ces questions. Ils mettent alors en relief la perte importante d’informationsubie du fait de l’observation partielle des preferences. Nous appliquons ici cette techniquea un autre domaine4 : l’etude de la fiabilite des informations utilisees dans l’aide a ladecision publique. De legeres modifications des resultats de Saari et Sieberg s’imposeronttoutefois pour les adapter au contexte considere. Par ailleurs, notre methode d’argumenta-tion relative a l’interpretation de la decision consiste a etudier les differentes composantesde la fonction de bien-etre social.

Nous presentons le modele dans la section 2. Nous analysons les consequences deslimites a l’acces aux donnees sur la fiabilite des informations sur les utilites dans la section3. Nous presentons les elements d’interpretation de la decision finale dans la section 4.L’article debouche, dans la section 5, sur trois types de conclusions relatives aux contraintesoperationnelles du welfarisme dans la prise de decision publique. Les annexes comprennentdeux demonstrations possibles pour nos propositions.

2 Presentation du modele

Le modele etudie est le suivant. Un decideur public cherche a maximiser le bien-etrepublic en determinant le bon type de transport a subventionner : soit le transport public– bus ou metro, notes respectivement B et S –, soit le transport prive – taxis ou voitures,notes respectivement T et C. Le concept de bien-etre social utilise est welfariste, ce quisignifie que seule l’information concernant les utilites individuelle est pertinente pour orien-ter la decision publique. Nous nous concentrons sur la phase de recolte de cette informationpermettant d’encoder les utilites individuelles. Subissant des contraintes operationnellesqu’il est raisonnable de considerer, le decideur fait alors face a une triple restriction del’information. Tout d’abord, il utilise des informations comportementales pour inferer lespreferences individuelles, sachant que l’utilite individuelle revient strictement a la satisfac-tion de ces preferences. Il peut observer le mode de transport choisi par la population et endeduire une approximation satisfaisante des modes de transports susceptible de maximiserle bien-etre social. Ensuite, il ne peut pas observer les comportements de choix individuelsmais seulement les comportements agreges de la population dans differentes situations. Ilpeut alors observer ce que preferent des parties de la population, mais pas identifier qui

3Pour une presentation d’autres approches geometriques de l’analyse des paradoxes de vote, voir Saari(1994, 2001a).

4Pour des applications a d’autres domaines, voir Saari (2001b). Chaque fois, les problemes peuvent etrerepresentes sous une forme technique equivalente.

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

prefere quoi. Enfin, il ne dispose pas d’informations concernant les relations de preferencesdes individus entre les options sur l’ensemble universel des choix dans sa totalite. En re-vanche, il peut connaıtre les preferences sur les parties de l’ensemble universel, c’est-a-diresur des contextes de choix particuliers.

Dans le modele etudie, le contexte de choix entre le bus et les voitures se distinguede celui dans lequel les individus peuvent choisir entre le metro et les taxis. Le decideurcherche a determiner le profil universel des preferences individuelles, c’est-a-dire, la listede toutes les preferences individuelles entre options sur l’ensemble universel des options.Ce profil universel des preferences individuelles constitue l’information pertinente pour sadecision. Il ne dispose toutefois que des profils agreges par contextes de choix. Sous ceshypotheses, les informations disponibles sont les relations de preferences entre differentscontextes de choix, alors que le decideur souhaiterait connaıtre les relations de preferencessur des ensembles de certaines options, au mieux, sur l’ensemble universel des options.Dans la theorie des preferences revelees, l’axiome faible des preferences revelees permetde conserver la meme relation de preference entre les options lorsque l’ensemble d’oppor-tunites change. Mais cette condition d’independance, souvent difficile a justifier au niveauindividuel5, est, pour des raisons evidentes, plus difficile encore a defendre dans le cas dedonnees agregees6. Il s’agit d’etudier les consequences de ces limites a l’information.

Nous introduisons les notations suivantes. Soit X l’ensemble universel des options.C’est le contexte de choix de la relation de preference pertinente. On a : X = {C,B, T, S}.Ici, X comprend deux types de transport public, le metro S et le bus B, et deux types detransport prive, les voitures C et les taxis T .

Les choix observes sont toujours realises dans des contextes de choix specifiques, c’est-a-dire dans des ensembles particuliers d’options, plutot que dans l’ensemble de toutesles options possibles. Le premier contexte de choix est note F1 = {C, B} et le secondF2 = {T, S}7. Les choix, dans un contexte donne, sont representes par une relation binaireÂ1 pour le contexte F1 et Â2 pour le contexte F2. La relation de preference Âi,i=1,2 estun ordre strict, c’est-a-dire une relation transitive, complete et asymetrique8. La relation

5Voir Sen (1993), Baigent et Gaertner (1996), Gaertner et Xu (1999). Selon la condition d’independance,si je choisis y et non x dans l’ensemble qui comprend x et y, je ne choisirai jamais x dans un ensembleplus grand. Un petit exemple permet d’illustrer les difficultes rencontrees avec cette condition. Imaginonsque je me sers la deuxieme plus grosse part de gateau, notee y, plutot que la plus grosse part, notee x.Je devrais alors choisir la meme part y dans un autre gateau, comprenant au moins les parts y, x, z, ou zest une part encore plus grosse. Pourtant, je prefere vraiment la part la plus grosse possible, meme si, parconvention sociale, je ne choisis jamais la plus grosse mais la second plus grosse. Des lors, je choisirai ydans le premier gateau et x dans le second. En agissant selon ces conventions sociales, j’ai viole l’axiomed’independance.

6Avec des donnees agregees, on ne dispose que d’informations sur les profils de preferences. Par exemple,on sait que 50% des agents preferent A a B et 50% preferent C a D. Meme si l’on suppose que la conditiond’independance est bien verifiee au niveau individuel, on ne peut pas deduire simplement la proportion deceux qui preferent a la fois A a B et C a D.

7On a donc : X = F1

SF2

8La relation Âi est transitive si et seulement si : ∀x, y, z ∈ X, x Âi y et y Âi z ⇒ x Âi z. Elle estcomplete si et seulement si : ∀x, y ∈ X, x Âi y ou y Âi x. Elle est asymetrique pour : x Âi y ⇒ non-

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

de preference pertinente, fondee sur la representation des choix dans l’ensemble universeldes options s’ecrit : Â. C’est celle que le decideur public cherche a inferer pour chaqueindividu. Mais cette information par individu serait tres lourde a obtenir et a traiter ; aussise suffit-il de l’information concernant l’ensemble des individus, traduite par l’etude desprofils de preference.

Un profil est ici defini comme la liste des proportions d’individus ayant chacune desrelations de preference possibles. Un profil pour un contexte de choix particulier, parexemple le premier, est donc represente par (m1, 1 − m1), ou une fraction m1 de la po-pulation apprecie plus la voiture que le bus, c’est-a-dire l’option C plus que B, et 1−m1

preferent B a C lorsqu’ils sont dans le contexte F1. On peut de la meme maniere etablirle profil pour le second contexte, ou une fraction m2 de la population prefere le taxi aumetro : T Â2 S et une fraction 1−m2 de la population a la preference inverse : S Â2 T .On peut resumer ces observations par le point suivant : (m1,m2).

On definit a present le profil pertinent comme la liste des proportions d’individusayant chaque relation de preference possible. Soit v(C Â B, T Â S) la proportion despersonnes qui preferent a la fois les voitures aux bus et les taxis au metro. Si v(., .)exprime la proportion de personnes ayant la preference correspondante, le profil universeldes preferences lorsque l’on peut juste choisir entre les options des contextes particulierss’ecrit : (v(C Â B, T Â S), v(C Â B, S Â T ), v(B Â C, T Â S), v(B Â C,S Â T )).

3 Problemes et paradoxes relatifs a la qualite de la decision

Nous evaluons maintenant la perte d’information induite par les deux conditions sui-vantes : 1) les donnees observees sont agregees, 2) le choix observe est limite a un contexteparticulier de choix. Pour realiser les calculs necessaires, nous posons certaines hypothesessur la distribution des preferences dans la societe : les profils sont supposes equiprobables.A partir de cette hypothese, on peut desormais calculer la probabilite qu’une fraction dela population au moins aussi grande que α ait une certaine preference, par exemple lapreference (C Â B, T Â S). Nous calculerons donc Prob [v(C Â B, T Â S) ≥ α]. En outre,nous pouvons calculer la probabilite qu’une fraction au moins egale a β de la populationait la relation de preference inverse (B Â C, S Â T ).

Theoreme 1 [Saari et Sieberg (2001)] Pour deux paires, supposons que les deux candidatselus remportent les elections avec la majorite mj des votes, mj > 1/2, j = 1, 2, avecm1 ≥ m2. Supposons que tous les profils sont equiprobables. La probabilite qu’au moinsune fraction α de tous les electeurs prefere les resultats des deux elections est :

Prob(α) = max

(m2 − α

1−m1, 0

). (1)

y Âi x. La propriete d’asymetrie est posee ici pour des raisons techniques. Elle nous permet de negligerl’indifference, ce qui simplifie les calculs.

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

De la meme maniere, la probabilite qu’une proportion des electeurs au moins egale a β aitsouhaite des resultats inverses pour les deux elections est :

Prob(β) =(

1−m1 − β

1−m1, 0

)(2)

Exemple 1 Si l’on a m1 = 56% et m2 = 52%, P [v(C Â B, T Â S) ≥ 50%] = 0.52−0.501−0.56 =

4.55%. Cela signifie que, si nous observons que 56% des personnes de la population utilisentleur voiture quand elles peuvent prendre le bus et que 52% de la population prend le taxialors qu’ils peuvent utiliser le metro, alors nous ne pouvons guere dire plus que la chosesuivante : il y a 4, 55% de chance pour qu’une majorite de personnes prefere, effectivement,le transport public au transport prive. Ce qui ressemble a un renversement de preference est,ici, l’illustration des consequences de combinaisons probables de preferences individuellescoherentes avec les observations. L’information effectivement recueillie est tres faible auregard des ambitions des modeles d’economie publique.A partir des donnees observees, nous pouvons etre surs que : P [v(C Â B, T Â S) ≥ α] =100% si 0.52−α

1−0.56 = 100%, donc pour α = 8%. Cela signifie que nous sommes seulement sursque 8% de la population prefere effectivement les transports prives au transport public.Mais que se passe-t-il si 54% des gens preferent la voiture au bus (pour des raisons derapidite) et que 48% des gens preferent le metro au taxi (par crainte des encombrementsroutiers) ? Le resultat precedent ne permet pas d’envisager directement cette situation.

Pour ces differents cas, dont l’analyse est utile pour notre type de probleme, nousobtenons les resultats suivants :

Proposition 1 Pour des profils equiprobables, la probabilite qu’une fraction de la popu-lation au moins egale a α apprecie a la fois les deux options retenues, si nous observonsque les fractions (m1,m2) de la population les preferent a leur alternative correspondante,pour 1 + α > m1 + m2 est :

1. Pour m2 < m1,

- si m1 < 1−m2, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, m2−αm1

),- Si m1 > 1−m2, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, m2−α

1−m2),

2. Pour m1 < m2,

- Si m1 < 1−m2, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, m1−αm2

),- Si m1 > 1−m2, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, m1−α

1−m1).

Pour 1 + α < m1 + m2, nous aurons :

1. Pour m2 < m1,- Pour m1 < 1−m2, P [v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, 1−m1

m1),

- Pour m1 > 1−m2, P [v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, 1−m1m1

),

2. Pour m1 < m2,- Pour m1 < 1−m2, P [v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, 1−m2

m2),

- Pour m1 > 1−m2, P [v(C Â B, T Â S) ≥ α] = max(0, 1−m21−m1

).

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

Proposition 2 Pour des profils equiprobables, la probabilite qu’une proportion de la po-pulation au moins egale a β n’apprecie aucune des options retenues, si l’on observe queles fractions (m1,m2) de la population les preferent a leur alternative respective est :

1. Pour m2 < m1,- Pour m1 > 1−m2 − β, Prob[v(B Â C,S Â T ) ≥ β] = max(0, 1−m2−β

1−m2),

- Pour m1 < 1−m2 − β, Prob[v(B Â C,S Â T ) ≥ β] = max(0, 1−m1−m21−m2

),

2. Pour m1 < m2,- Pour m1 > 1−m2 − β, Prob[v(B Â C,S Â T ) ≥ β] = max(0, 1−m1−β

1−m1),

- Pour m1 < 1−m2 − β, Prob[v(B Â C,S Â T ) ≥ β] = max(0, 1−m1−m21−m1

).

Exemple 2 Si m1 = 54% et m2 = 48%, nous sommes dans le cas suivant : m1 > m2 etm1 > 1−m2. Soit α+1 < m1+m2, nous avons donc Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] = 88.46%pour tout α < 2%. Soit nous avons, pour tout α > 2%, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ α] =max(0, 0.48−α

0.52 ). Par exemple, Prob[v(C Â B, T Â S) ≥ 50%] = 0 et Prob[v(C Â B, T ÂS) ≥ 47%] = 1.9%.Par ailleurs, la probabilite que plus qu’une proportion β de la population n’apprecie aucundes resultats C et T est, pour β = 50% egale a 3.84% et pour β = 40% egale a 23.07%.Ces resultats illustrent les problemes que rencontrent les decideurs publics. La decisionpublique devrait satisfaire les preferences des agents. Or, pour des conditions raisonnablesd’observation, les donnees disponibles sur ces preferences, meme si elles etaient fiables, nefournissent pas toute l’information pertinente et necessaire pour prendre une decision dequalite.

Remarque 1 Si les profils ne sont plus equiprobables et suivent, par exemple, une dis-tribution normale centree, on peut montrer que le resultat problematique ci-dessus serenforce encore. Dans ce cas, une grande partie des situations probables sont caracteriseespar des proportions de preference pour une option contre l’autre proches de 50%, regionou, precisement, les risques de paradoxes sont les plus importants.

Remarque 2 Plus le nombre de contextes de choix est important, plus la perte d’in-formation pose probleme. Conformement au paradoxe d’Ostrogorski, on arrive meme auresultat paradoxal suivant : une majorite de citoyens semblent preferer le transport priveau transport public si l’on en croıt les informations recueillies sur des contextes partiels,alors qu’il est possible qu’une majorite de citoyens preferent de fait les transports publics.Imaginons qu’il existe un troisieme contexte de choix observable : le choix entre l’usagede la motocyclette (M), transport prive, et celui du velo de ville (V), transport public. Leparadoxe peut etre illustre en decrivant de facon exhaustive les preferences d’un nombrelimite d’agent sur chacun des trois contextes : {C, B}, {T,M}, {M, V }. On inscrit dans letableau l’option choisie dans chacun des trois contextes pour chaque agent. Cela permet

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

d’observer d’une part, la majorite par contexte et, d’autre, chaque preference individuellesur l’ensemble universel des options. On peut en deduire la decision majoritaire qui seraitprise en tenant compte d’informations relatives aux contextes partiels et celle qui seraitprise en considerant chaque preference universelle individuelle.

Contextes de choix {C,B} {T, S} {M,V } Preferences individuelles

Agent 1 C S V publicAgent 2 B T V priveAgent 3 B S M publicAgent 4 C T M publicAgent 5 C T M public

Majorite par contexte C T MPPPPPPPPPPprive

public

Pour un tel profil de preferences, la majorite des agents prefere chacune des optionsC, T et M a leur alternative respective. Une decision majoritaire visant a maximiser leurbien-etre serait donc de favoriser les transports prives aux transports publics. Pourtant,la majorite des agents (en fait tous sauf un sur les cinq) preferent les transports publics(de la combinaison BSV) aux transports prives (de la combinaison CTM).Ce paradoxe est extremement perturbant puisqu’il illustre clairement le fait qu’une decisionprise en vue de satisfaire la majorite des agents peut aller precisement a leur encontre.

4 Enjeu des contraintes operationnelles sur l’interpretation de la decision

Nous etudions maintenant la facon dont les contraintes operationnelles qui pesent surla phase d’encodage des utilites affectent finalement l’interpretation de la decision. Nousdevons pour cela etudier en parallele les differentes interpretations possibles de ces utiliteset du bien-etre social et les differentes modalites d’encodage.

“Interpreter” la decision revient a preciser les buts qu’elle poursuit effectivement. Dememe qu’une decision publique vise des fins qui meritent d’etre explicitees au publicconcerne, le decideur doit identifier les fins a poursuivre pour selectionner ses outils dedecision. Depuis le resultat d’Arrow, chacun sait qu’un modele economique qui souhaiteraitl’eviter pour rester neutre ne parviendrait a aucune decision. Toute decision publique adonc necessairement implique des jugements de valeur qu’il s’impose d’expliciter. Or, ilest vague de dire que l’objectif est d’“ameliorer la qualite de la vie des citoyens”, ouencore de “maximiser leur bien-etre”. Une decision qui vise a egaliser les revenus n’estpas equivalente a celle qui vise a egaliser les chances pour la seule raison qu’elles sonttoutes deux concues pour maximiser le bien-etre de la population. Les situations jugeessatisfaisantes, les mesures pour y parvenir et les outils pour evaluer les situations sont biendistincts dans les deux cas.

Une facon standard de distinguer les contenus normatifs de differentes fonctions de

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

bien-etre social est de s’interesser aux modalites d’agregation. Les utilitaristes contempo-rains, par exemple, favorisent le critere de somme.

Mais la determination du mode d’agregation n’epuise pas l’interpretation normativede la fonction de bien-etre social. De meme qu’etre “egalitariste” ne definit pas la positionethique d’un decideur tant qu’il n’a pas defini “egalitariste de quoi”9, la fonction de bien-etre social n’est vraiment analysee que lorsque ses arguments sont definis precisement.Quels types d’informations peuvent-etre utilises ? Une evaluation de bien-etre social estwelfariste si elle repose uniquement sur des informations portant sur les utilites indivi-duelles et sur aucun autre element. Sur le plan philosophique, les utilites individuellessont considerees comme les seules informations ethiquement pertinentes pour emettre unjugement concernant le bien-etre social. Sur le plan technique, une fonction de bien-etresocial est welfariste si elle est une fonction des seules fonctions d’utilites individuelles, doncd’un seul type d’information. Elle doit, pour cela, respecter la condition minimale de laPareto-indifference10. Par opposition, une evaluation de bien-etre social est non-welfaristesi elle ne repose pas que sur des informations portant sur les utilites individuelles. Surle plan philosophique, les droits, les handicaps, les talents ou les caracteristiques du lieugeographique, par exemple, constituent alors des informations pertinentes en elles-memespour l’evaluation du bien-etre social, independamment de leur contribution aux utilitesdes individus. Sur le plan technique, les fonctions de bien-etre social sont des fonctions dedifferentes dimensions heterogenes, dont peuvent faire partie les fonctions d’utilite, maisaussi la description du respect de droits... Ces deux courants s’opposent drastiquementsur le plan des conceptions de la justice. Les post-welfaristes11 critiquent leurs adversairesparce que ces derniers considerent l’utilite comme seule information, au risque de violerles droits fondamentaux et au detriment de valeurs telles que la liberte individuelle12.Les welfaristes reprochent au nouveau courant son paternalisme et le risque de derivesanti-democratiques. La difference operationnelle entre welfarisme et non welfarisme tientdans l’opposition entre des mesures uni-dimensionnelles et multi-dimensionnelles du bien-etre. Concretement, si la source est unique, la fonction uni-dimensionnelle, on parlera dewelfarisme.Tente de confondre les definitions technique et philosophique du welfarisme,on pourrait dire que la decision publique devrait etre interpretee differemment selon quela fonction de bien-etre social est welfariste ou non13. Dans le modele etudie, l’informa-

9Sur ces debats maintenant standards en economie normative, voir, par exemple, Sen (1979) et Cohen(1990).

10Pour exprimer l’intuition welfariste suivante : “si toutes les informations relatives a l’utilite de deuxetats sociaux sont connues, il est possible de les evaluer sans en savoir plus sur ces etats sociaux”, lafonction de bien-etre social doit respecter, non seulement la condition de Pareto-indifference, mais aussiune condition de neutralite forte. Sur les definitions philosophique et technique ainsi que sur les conditionscaracteristiques du welfarisme, voir Mongin et D’Aspremont (1998).

11Pour une presentation des propositions non-welfaristes, voir, notamment Pattanaik (1994) or Sugden(1993), le numero special de 1990 de la revue Recherches Economiques de Louvain et celui de 2004 de larevue Social Choice and Welfare.

12Pour une presentation des differentes critiques des evaluations welfaristes du bien-etre social, voir Sen(1970a,1970b,1979,1985,1999).

13Mais nous verrons plus bas que la correspondance entre welfarisme technique et welfarisme au sens

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

tion disponible pour la fonction de bien-etre social a la base de la decision se limitant,aux preferences individuelles representant les comportements, on parlerait de welfarisme– sans autre precision.

Au sein meme du welfarisme, l’unite n’est pas non plus de mise. La conception defendueprend un sens different selon l’acception retenue de l’utilite14 – ou, au moins sur leplan technique, selon l’information uni-dimensionnelle consideree. Ainsi, la notion dejuste definie par la fonction de bien-etre social welfariste ne depend pas que de la phased’agregation ; elle depend egalement etroitement de la conception retenue de l’utilite indivi-duelle par le decideur. Il existe differents modeles d’utilite a la base de leur interpretationde meme qu’il existe differentes methodes d’encodage des utilites. Ce que l’on souhaitemontrer ici est qu’il existe un lien de fait entre les interpretations normatives et les moda-lites concretes d’encodage des utilites. Les philosophes politiques distinguent deux modelesd’utilite 15. Les economistes ont peu recours au modele d’experience, selon lequel les uti-lites refletent rigoureusement le plaisir subjectif et effectivement vecu. Ils privilegient lemodele des preferences : certains auteurs, tels que Hicks, considerent en effet que l’uti-lite n’est ni plus ni moins que la representation numerique des preferences 16. Il fautalors encore definir le type de preferences susceptibles d’etre retenues dans les modelesd’economie publique. Selon le modele faible des preferences, le plus populaire aupres desutilitaristes contemporains, l’utilite designe la satisfaction des preferences informees, ra-tionnelles et fondees sur des croyances vraies. Ces preferences ne se donnent pas l’ob-servation, elles doivent etre construites rationnellement ou obtenues par “nettoyage” despreferences observees. C’est sans doute pour cette raison que les economistes appliquesont plus souvent recours au modele fort des preferences : les preferences des individussont revelees dans les choix effectifs des individus. Cela revient a recourir a la theoriedes preferences revelees pour encoder les fonctions d’utilite. Dans l’exemple etudie, lespreferences representent donc les comportements. Le modele d’utilite effectivement uti-lise n’est donc pas le modele faible des preferences, quand bien meme le decideur seraitconvaincu par ailleurs de sa superiorite theorique.Utiliser le modele fort des preferencesen depit de cette conviction revient a l’epouser completement. Si par la suite, les donneesobtenues sont agregees dans la fonction de bien-etre social et effectivement utilisees pour ladecision, les preferences revelees ont de fait ete considerees comme l’information pertinenteet la seule pour ameliorer le bien-etre social. Dans ce modele, elles sont de fait considereescomme l’utilite individuelle dans un cadre welfariste. Des lors, le comportement permetde connaıtre les preferences et, simultanement, les utilites. Cela signifie que le decideurassume les differentes implications normatives et operationnelles du welfarisme et du re-cours au modele fort des preferences. Ce dernier est souvent critique, en particulier parcequ’il repose sur l’hypothese contestable selon laquelle les agents choisissent toujours ce qui

philosophique est loin d’etre triviale.14Voir, par exemple, Sen (1980) ou Mongin et D’Aspremont (1998) sur ce theme.15Voir Haslett (1990).16Voir egalement Hirshleifer (1976) ou encore Pearce (1986).

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

est bon pour eux, en toute independance, dans le cadre de contraintes legitimes et sans setromper. Cela constitue une critique theorique standard. Nous y ajoutons ici une critiquede nature operationnelle. L’etude d’un modele particulier nous a permis de constater queles critiques qui devaient s’adresser au cadre welfariste de la decision publique reposant surle modele fort des preferences devaient egalement considerer les caracteristiques concretesde la phase d’observation des comportements. Les obstacles que rencontre le decideur danscette phase d’observation reduisent l’information pertinente. La qualite du resultat s’entrouve mecaniquement diminuee.

Ces difficultes invitent a emprunter des voies alternatives. Deux autres manieres d’infererles preferences sont alors envisageables. D’un cote, les preferences subjectives, reveleespar questionnaire et/ou dans le cadre de procedures experimentales, permettent d’evaluerl’utilite ressentie par les individus17, plus conformement au modele d’experience et paropposition a la perception qu’en a l’economiste observateur. Mais elles presentent uninconvenient : il est delicat de donner un sens a leurs comparaisons interpersonnelles.L’agregation des utilites individuelles, lors de la seconde etape du calcul du bien-etre so-cial, est donc problematique. Si elles permettent donc d’eviter le probleme souleve danscet article, elles en creent un autre qui sera difficile a surmonter dans la seconde phasede la decision, celle de l’evaluation du bien-etre social. D’un autre cote, si l’unidimension-nalite des fonctions d’utilite s’avere largement inoperante, il est possible de completerl’observation des choix par l’observation de differentes caracteristiques objectives. End’autres termes, l’integration d’informations non-welfaristes constitue une facon d’eviterle probleme souleve plus haut. En econometrie, l’usage d’informations non-welfaristes,telles que le sexe, l’age, la profession, semble courant18. Cette piste conduit a une conclu-sion originale. Imaginons un decideur public qui, suivant les valeurs defendues par lesrepresentants politiques au pouvoir, vise un objectif welfariste – au sens philosophiqueplutot que technique – et qui accepte le modele fort des preferences. Le recours a des infor-mations non-welfaristes dans l’evaluation du bien-etre social permet d’ameliorer la qualitede ses decisions. Ainsi, pour des decisions plus fideles a l’objectif normatif vise, le non-welfarisme technique viendrait au service du welfarisme philosophique19. Mais alors, pourrepondre aux objections liees aux derives paternalistes et anti-democratiques adressees aunon-welfarisme, une discussion sur la selection des informations non-welfaristes s’imposedes l’etape de construction des modeles theoriques d’aide a la decision publique. Cette reglede prudence conduit a prendre en compte, en amont, c’est-a-dire au moment de la concep-tion des modeles d’economie publique et non seulement lors de la phase d’application, des

17Voir, par exemple, Kapteyn (1994), Kahneman, Wakker et Sarin (1997), Frey et Stutzer (1999). Parailleurs, l’etude experimentale de l’utilite subjective permet d’identifier les determinants de l’utilite. Surce point, voir Frey et Stutzer (2001).

18L’econometre peut avoir recours a ces covariables – ou variables de conditionnement – des lors qu’ellesne sont pas correlees avec le terme d’erreur de l’equation des resultats. En revanche, elles peuvent etrecorrelees avec la composante de l’incidence propre a l’agent, ce qui permet de refleter l’effet de condi-tionnement. Sur les hypotheses necessaires et les modeles coherents avec l’utilisation de ces variables, voirHeckman, LaLonde et Smith (1999).

19Une conclusion similaire est tiree de l’etude de l’oeuvre de Bentham. Voir Baujard (2006).

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

choix operationnels d’encodage des utilites.

5 Conclusions

Cet article vise a attirer l’attention sur les enjeux du probleme d’acquisition de l’in-formation sur la qualite et sur l’interpretation des decisions publiques.

Dans l’exemple presente, les informations recueillies sur les preferences des agents sonttres pauvres et, en tout etat de cause, insuffisantes pour fonder une evaluation fiabledu bien-etre individuel. La qualite de la decision publique qui repose sur ce diagnostic estdonc discutable. Ces conclusions sont valables dans le cadre de l’observation de preferencesagregees et revelees dans des contextes partiels de choix. L’evaluation ne respecte les vraiespreferences des agents que dans un nombre restreint de cas. Si l’on dispose d’informationssur plus de trois contextes de choix, la decision est meme susceptible d’aller a l’encontrede la majorite des preferences des agents, alors qu’elle paraıt la respecter si elle reposesur les preferences observees. La mise en evidence de ces problemes et paradoxes permetde dresser une premiere conclusion. Ce modele conduit a une critique operationnelle durecours a la theorie des preferences revelees en economie publique puisque la qualite desresultats s’averent particulierement sensibles aux contraintes operationnelles.

L’etude de l’interpretation des decisions publiques pour des contraintes operationnellesdonnees dans l’estimation des preferences permet de tirer deux enseignements. Tout d’abord,la phase operationnelle donne un sens particulier aux preferences, donc aux utilites, doncaux fins effectivement poursuivies. La decision qui en resulte peut entrer en contradictionavec les fins enoncees par le modele theorique de decision publique utilise pour l’appli-cation s’il n’avait pas pris en compte cette etape operationnelle. Une seconde conclusionest donc de plaider pour une prise en compte, des l’etape theorique de conception desmodeles d’economie publique, des contraintes de l’etape operationnelle. Ensuite, commeles contraintes operationnelles qui pesent sur cette modalite d’estimation des preferencesont ete mis en avant, il est naturel de tenter de lui trouver des alternatives. Si certainess’averent peu satisfaisantes, l’une d’elle conduit, meme pour des conceptions welfaristesde la justice, a utiliser des informations non-welfaristes pour ameliorer la qualite des in-formations. Une troisieme conclusion tiree de cet article est donc que le non-welfarismetechnique est susceptible d’etre au service du welfarisme philosophique.

6 Annexes

Deux demonstrations sont possibles pour aboutir aux resultats contenus dans les propo-sitions 1 et 2. La demonstration par calcul analytique constitue la methode la plus standarddans la litterature sur les paradoxes de vote. La demonstration par calcul geometrique,developpee par D. Saari et reprise ici dans le contexte de notre etude, permet de representergraphiquement les differentes conditions.

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

Demonstration par calcul analytique des propositions 1 et 2

Pour simplifier la presentation de la demonstration, on considerera les notations sui-vantes : (v(C Â B, T Â S), v(C Â B, S Â T ), v(B Â C, T Â S), v(B Â C, S Â T )) =(x, y, z, u). Ainsi, y designe la proportion des individus dans la societe qui preferent simul-tanement les voitures au bus et le metro aux taxis.

Selon les observations, nous avons :

m1

m2

1

===

x + y

x + z

x + y + z + uNous obtenons un systeme de trois equations a quatre inconnues, ce que nous ecrivons

ci-dessous de la facon suivante :

1 1 0 01 0 1 01 1 1 1

x

y

z

u

=

m1

m2

1

x

y

z

u

=

−1 + m2 + m1 + t

1−m2 − t

−m1 + 1− t

t

Mais ces resultats ne sont valables que pour les conditions suivantes : x, y, z, u ∈ [0; 1].Montrons maintenant comment calculer : Prob[x ≥ α]. Pour x, y, s, u ∈ [0; 1], nous

avons en particulier : t ∈ [0; 1] et :0 ≤ y ≤ 1 ⇒ t ∈ [0; 1−m2]0 ≤ z ≤ 1 ⇒ t ∈ [0; 1−m1]

0 ≤ x ≤ 1 ⇒ Si m2 < m1, t ∈ [0; 1−m1] ,max {0;−1 + m1 + m2} ≤ x ≤ m2

Si m1 < m2, t ∈ [0; 1−m2] ,max {0;−1 + m1 + m2} ≤ x ≤ m1

On peut resumer les restrictions sur x dans le tableau suivant :

For x ≥ 0 m2 ≤ m1 m1 ≤ m2

m1 ≤ 1−m2 0 ≤ x ≤ m2 0 ≤ x ≤ m1

m1 ≥ 1−m2 m1 + m2 − 1 ≤ x ≤ m2 m1 + m2 − 1 ≤ x ≤ m1

Pour α ≤ x ≤ 1, y, z, u ∈ [0, 1] nous avons en particulier t ∈ [0, 1] et :0 ≤ y ≤ 1 ⇒ t ∈ [0, 1−m2]0 ≤ z ≤ 1 ⇒ t ∈ [0, 1−m1]α ≤ x ≤ 1 ⇒ α ≤ −1 + m1 + m2 + t ≤ 1 ⇒Si m2 ≤ m1,max (0, α + 1− (m1 + m2)) ≤ t ≤ min(1−m1, 2−m1 −m2)Si m1 ≤ m2,max (0, α + 1− (m1 + m2)) ≤ t ≤ min(1−m2, 2−m1 −m2)

Avec min(1−mi, 2−m1 −m2) = 1−mi pour i = 1, 2 puisque mi ≤ 1.On peut resumer les restrictions sur x dans le tableau suivant :

Pour x ≥ α m2 ≤ m1 m1 ≤ m2

m1 − α ≤ 1−m2 α ≤ x ≤ m2 α ≤ x ≤ m1

m1 − α > 1−m2 m1 + m2 − 1 ≤ x ≤ m2 m1 + m2 − 1 ≤ x ≤ m1

Nous connaissons maintenant les valeurs limites de x qui sont coherentes avec lesobservations des comportements des individus. Comme toutes les inconnues sont resumees

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

dans une seule dimension, la fin de la preuve est evidente.

Montrons maintenant comment calculer Prob[u ≥ β].

Pour 0 ≤ u ≤ 1 ⇒ Si m2 < m1, t ∈ [0, 1−m1]Si m1 < m2, t ∈ [0, 1−m2]

Pour β ≤ u ≤ 1,0 ≤ y ≤ 1 ⇒ t ∈ [β; 1−m2]0 ≤ z ≤ 1 ⇒ t ∈ [β; 1−m1]0 ≤ x ≤ 1 ⇒

Pour m1 > m2, max(0, β − 1 + m1 + m2) ≤ x ≤ m2

– Si m1 < 1− β −m2, 1−m1 −m2 ≤ t ≤ 1−m1

– Si m1 > 1− β −m2, β ≤ t ≤ 1−m1

Pour m1 > m2, max(0, β − 1 + m1 + m2) ≤ x ≤ m1

– Si m1 < 1− β −m2, 1−m1 −m2 ≤ t ≤ 1−m2

– Si m1 > 1− β −m2, β ≤ t ≤ 1−m2

La fin de la preuve est evidente.

Demonstration par calcul geometrique des propositions 1 et 2

Le profil des preferences observees peut etre represente sur un graphique. Par exemple,on peut exprimer le fait qu’une fraction m1 de la population choisit de prendre sa voitureC quand elle peut choisir de prendre le bus B sur le graphique 1 par la position d’un pointd’observation. Plus ce point est proche de C et loin de B sur une ligne, plus la part despersonnes qui preferent C a B est importante.

Fig. 1 – Representation du profil pour un choix entre deux options

C Â B50%

B Â C

?

Point d’observation

r-¾ m1

On observe egalement le choix entre deux autres options, T et S. Nous pouvonsrepresenter les deux choix simultanement dans un carre, presente sur le graphique 2, enplacant le premier choix en abscisse et le second en ordonnee. Les donnees d’observationsnous permettent de situer un point dans le carre.

Le cote gauche du carre comprend tous les individus qui preferent C a B, quelle quesoit l’autre option dans le deuxieme contexte. Parmi eux, certaines personnes preferentT a S. Ils sont v(C Â B, T Â S). On peut realiser le meme raisonnement pour le cotedroit du carre. Un point sur le cote gauche nous donne donc v(C Â B, T Â S) et v(C Â

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

Fig. 2 – Representation du profil pour deux choix de deux options chacun

(C Â B, T Â S) (B Â C, T Â S)

(C Â B, S Â T ) (B Â C, S Â T )

(0.50, 0)

(0, 0.50)s

³³³³³³³³³)

M = (1−m1, 1−m2)

r1−m1

r1−m2

B, S Â T ). Un point sur le cote droit nous donne v(B Â C, T Â S) et v(B Â C, S Â T ).Ainsi, une droite dans le carre et un point d’observation permettent de representer unprofil specifique (v(C Â B, T Â S), v(C Â B,S Â T ), v(B Â C, T Â S), v(B Â C, S Â T )).Inversement, tous les profils peuvent etre representes par une droite. Nous pouvons donctracer une droite representant un profil, qui sera d’equation :

∀t ∈ [0; 1] , t(

0,v (C, S)

v (C, T ) + v (C, S)

)+ (1− t)

(1,

v (B,S)v (B, T ) + v (B,S)

)

Tous les profils possibles de la societe, et qui sont coherents avec les observations deschoix des individus, sont representes par des droites dans le carre qui croisent le pointd’observation M . Cherchons l’ensemble des droites, dans l’ensemble des profils possibles,qui representent des profils coherents avec les observations. Pour cela, nous etudions, dansun premier temps, les equations des droites qui delimitent la zone des profils possibles.

On recherche la zone des profils coherents avec l’observation M . La position desdroites-frontieres depend de la region du carre ou se trouve le point d’observation M .Nous representons une solution possible a partir du graphique 3. Les droites-frontieressont les suivantes. L’une joint (1, 1) a M et l’autre joint (1, 0) a M . Leur equation est :(1−m1, 1−m2) = (1− t) (1, 1)+t (0, gH). On obtient donc gH = 1−m2

m1et (1−m1, 1−m2) =

(1− t) (1, 0) + t (0, gI), donc on obtient gI = m1−m2m1

Posons α la proportion des personnes qui preferent C a B et T a S. On a donc :α = m1×m2. Nous voulons representer la droite de profil extreme pour laquelle au moinsune fraction α des gens preferent C et T : α ≤ m1 ×m2. Cette droite va croiser le cotegauche a l’ordonnee gα, qui represente la fraction minimum des personnes qui preferent S

a T parmi ceux qui preferent C a B. On a donc : α ≤ m1 × (1− gα) ⇔ gα ≤ 1− αm1

Les profils pour lesquels toutes les personnes preferent les deux options sont representespar l’ensemble des droites de profils comprises entre la droite qui croise le cote gauche en

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

Fig. 3 – Profils coherents avec les observations

(C Â B, T Â S) (B Â C, T Â S)

(C Â B, S Â T ) (B Â C, S Â T )

(0.50, 0)

(0, 0.50)sQ

QQ

QQ

QQ

QQ

QQQ

bgI

¡¡

¡¡

¡¡

¡

¡¡

¡¡¡bgH

b»»»»»»»

»»»»»gα

gH et la droite qui croise le cote gauche en gI . Si nous posons l’hypothese selon laquelle lesprofils sont equiprobables, alors la proportion des profils possibles qui preferent les optionsdu point d’observation est donnee par la fraction gα−gI

gH−gI, qui designe la proportion de

tous les profils coherents avec l’observation. Ainsi, la probabilite que plus qu’une fractionα de la population apprecie les deux options, si les profils sont equiprobables, est de :Prob [v(C Â B, T Â S) ≥ α] = m2−α

1−m1. On peut trouver des resultats semblables pour les

autres regions du carre, delimitees par les conditions suivantes : m1 ≶ m2 and m1 ≶ 1−m2.Remarquons que toute restriction fondee sur la comparaison de mi a un demi n’a pasd’utilite formelle, il s’agit seulement d’une condition adaptee au contexte du vote.

Fig. 4 – Selon la region, Prob[v(C Â B, T Â S)]

(C Â B, T Â S) (B Â C, T Â S)

(C Â B, S Â T ) (B Â C, S Â T )

(0.50, 0)

(0, 0.50)

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

@@

@@

@@

@@

@@

@@@@

@@

@@

@@

@@

@@

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

¡¡

m2−α1−m1 m1−α

1−m1

m2−αm2

m1−α1−m2

Zone du resultatde Saari et Sieberg

Ainsi, le resultat de D. Saari et K. Sieberg permet d’etudier les cas ou le point d’obser-vation se situe dans le carre sud-ouest, compris dans le grand carre. Notre etude permetd’etablir, en particulier, que les droites des 1/2 ne sont pas des frontieres determinees par

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Estimation des preferences individuelles et decision publique

les contraintes de l’exercice. Nous avons montre que leur resultat etait plus large que lesrestrictions precisees dans l’enonce du theoreme 1, puisqu’il est valable pour toute la partieen-deca de la diagonale sud-est a nord-ouest. Nous avons, en outre, etendu ce resultat al’ensemble du carre.

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