Les yeux et le coeur de l'anthropologie. Un autre regard sur Franz Boas (The eyes and the heart of...

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1 Les yeux et le cœur de lʼanthropologie Un autre regard sur Franz Boas Jerome Soldani Retour sur un classique de l’anthropologie, à l’occasion de la publication de l’ouvrage dirigé par Michel Espagne et Isabelle Kalinowski (dir.), Franz Boas. Le travail du regard, Paris, Armand Colin, Collection Recherches, 280 pages, 2013. Franz Boas, né à Minden en 1858 et mort à New York en 1942, demeure une figure majeure de lʼanthropologie. Une abondante littérature, essentiellement anglophone, est consacrée à ses travaux dans presque tous les domaines de lʼanthropologie, à sa formation, à sa carrière académique et muséologique, à ses relations avec ses pairs, à ses élèves et ses informateurs, à sa vie privée et à ses engagements politiques, contre le racisme plus particulièrement 1 . Considéré aux États-Unis comme le père fondateur de lʼanthropologie américaine, son œuvre y est enseignée comme une lecture incontournable et fait aujourdʼhui encore lʼobjet dʼabondantes discussions ou de redécouvertes 2 . Elle reste cependant mal connue en France où peu dʼouvrages et de traductions lui ont été consacrés 3 . Les pères de lʼanthropologie française que sont Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss se sont pourtant amplement appuyés sur Boas dans leurs propres travaux. Dans son Essai sur le don, Mauss a largement mobilisé le matériau ethnographique collecté par Boas dans son étude du potlatch chez les Kwakiutl (Kwakwakaʼwakw) 4 . Lévi-Strauss, qui signe lʼentrée sur Boas dans le Dictionnaire de lʼethnologie et de lʼanthropologie dirigé par Pierre Bonte et Michel Izard, commente longuement la postérité de son œuvre et souligne les questions qu’il a laissées en suspens dans l’introduction à son Anthropologie Structurale 5 . 1 Voir Claude Lévi-Strauss, « Boas Franz », in Bonte Pierre, Izard Michel (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie. Paris, PUF, 2002 [1991], pp.116-118, ainsi que : Christine Laurière, « L’anthropologie et le politique, les prémisses. Les relations entre Franz Boas et Paul Rivet (1919-1942) », L’Homme, n°187-188, 2008, (pp. 69-92) p.69 2 Cet intérêt pour la figure et l’œuvre de Franz Boas ne s’est jamais vraiment démentie en Amérique du Nord, malgré une période plus critique dans le courant des années 1950-1970 (Lewis, 2001a). Plusieurs ouvrages ont été consacrés à sa méthode ethnographique (Rohner 1969 ; Stocking 1996) ou à sa contribution à lʼanthropologie américaine (Stocking 1974 ; Darnell 1998). Un ouvrage de synthèse, écrit par Regna Darnell, paraîtra prochainement aux Presses de lʼUniversité du Nebraska (Darnell, à paraître). 3 Outre la traduction par M. Benguigui et C. Fraixe de Art primitif (Primitive Art) en 2003, soixante-seize ans après sa publication en 1927, il faut signaler la parution prochaine dʼune anthologie de textes choisis et traduits par Camille Joseph et Isabelle Kalinowski, intitulée Anthropologie amérindienne (Boas, à paraître). 4 Marcel Mauss, « Essai sur le don », chap.2, III « Nord-Ouest américain », in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1995 [1950], pp.194-227 5 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, pp.9-28

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Les yeux et le cœur de lʼanthropologie

Un autre regard sur Franz Boas

Jerome Soldani

Retour sur un classique de l’anthropologie, à l’occasion de la publication de l’ouvrage

dirigé par Michel Espagne et Isabelle Kalinowski (dir.), Franz Boas. Le travail du regard,

Paris, Armand Colin, Collection Recherches, 280 pages, 2013.

Franz Boas, né à Minden en 1858 et mort à New York en 1942, demeure une figure

majeure de lʼanthropologie. Une abondante littérature, essentiellement anglophone, est

consacrée à ses travaux dans presque tous les domaines de lʼanthropologie, à sa formation, à

sa carrière académique et muséologique, à ses relations avec ses pairs, à ses élèves et ses

informateurs, à sa vie privée et à ses engagements politiques, contre le racisme plus

particulièrement1. Considéré aux États-Unis comme le père fondateur de lʼanthropologie

américaine, son œuvre y est enseignée comme une lecture incontournable et fait aujourdʼhui

encore lʼobjet dʼabondantes discussions ou de redécouvertes2. Elle reste cependant mal connue

en France où peu dʼouvrages et de traductions lui ont été consacrés3.

Les pères de lʼanthropologie française que sont Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss se

sont pourtant amplement appuyés sur Boas dans leurs propres travaux. Dans son Essai sur le

don, Mauss a largement mobilisé le matériau ethnographique collecté par Boas dans son étude

du potlatch chez les Kwakiutl (Kwakwakaʼwakw)4. Lévi-Strauss, qui signe lʼentrée sur Boas

dans le Dictionnaire de lʼethnologie et de lʼanthropologie dirigé par Pierre Bonte et Michel

Izard, commente longuement la postérité de son œuvre et souligne les questions qu’il a laissées

en suspens dans l’introduction à son Anthropologie Structurale5.

1 Voir Claude Lévi-Strauss, « Boas Franz », in Bonte Pierre, Izard Michel (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et

de l’anthropologie. Paris, PUF, 2002 [1991], pp.116-118, ainsi que : Christine Laurière, « L’anthropologie et le

politique, les prémisses. Les relations entre Franz Boas et Paul Rivet (1919-1942) », L’Homme, n°187-188,

2008, (pp. 69-92) p.69 2 Cet intérêt pour la figure et l’œuvre de Franz Boas ne s’est jamais vraiment démentie en Amérique du Nord,

malgré une période plus critique dans le courant des années 1950-1970 (Lewis, 2001a). Plusieurs ouvrages ont

été consacrés à sa méthode ethnographique (Rohner 1969 ; Stocking 1996) ou à sa contribution à lʼanthropologie

américaine (Stocking 1974 ; Darnell 1998). Un ouvrage de synthèse, écrit par Regna Darnell, paraîtra

prochainement aux Presses de lʼUniversité du Nebraska (Darnell, à paraître). 3 Outre la traduction par M. Benguigui et C. Fraixe de LʼArt primitif (Primitive Art) en 2003, soixante-seize ans

après sa publication en 1927, il faut signaler la parution prochaine dʼune anthologie de textes choisis et traduits

par Camille Joseph et Isabelle Kalinowski, intitulée Anthropologie amérindienne (Boas, à paraître). 4 Marcel Mauss, « Essai sur le don », chap.2, III « Nord-Ouest américain », in Sociologie et anthropologie, Paris,

PUF, 1995 [1950], pp.194-227 5 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, pp.9-28

2

Contribuer à combler ce manque dans la littérature en langue française et proposer une

lecture nouvelle des orientations théoriques de Boas, telle est la lourde tâche que sʼassigne le

collectif récemment édité par Michel Espagne et Isabelle Kalinowski. Intitulé Franz Boas. Le

travail du regard, cet ouvrage est issu du colloque éponyme qui s’est tenu au musée du quai

Branly les 18 et 19 novembre 2011. En dehors de ses qualités intrinsèques, sa seule ambition de

faire découvrir les travaux de Boas aux lecteurs francophones justifie que l’on s’y attarde.

Plutôt que de se limiter à une simple présentation ou à un résumé général du collectif

dirigé par Espagne et Kalinowski, la présente contribution propose de replacer cette étude dans

le contexte des débats, actuels et anciens, autour de Boas, ainsi que de détailler les arguments et

les démonstrations de chaque contributeur. Il sʼagit de fournir aux lecteurs francophones

quelques clés de compréhension des travaux de Boas, sans en réduire la subtilité et la

complexité. Il sera alors possible de mieux mesurer la postérité scientifique de son œuvre et la

portée de son engagement politique en Amérique du Nord.

Anthropologue américain d’origine allemande, formé aux mathématiques6 et à la

physique, Franz Boas soutient une thèse de doctorat en 1881, à lʼUniversité de Kiel, sur la

réfraction de la lumière dans l’eau. Lecteur enthousiaste de Cosmos dʼAlexandre von

Humboldt (1769-1859), il étudie aussi la philosophie kantienne avec Kuno Fischer (1824-

1907). Il travaille auprès du prolifique Adolf Bastian (1826-1905) au Musée ethnographique

de Berlin et sʼinspire de lʼAnthropogéographie de Friedrich Ratzel (1844-1904). Ces

influences ouvertement revendiquées valent à Boas (ainsi quʼà certains de ses élèves) dʼêtre

rattaché au courant diffusionniste. Pourtant, sa position reste le plus souvent critique à l’égard

de certaines outrances du diffusionnisme, comme de celles du courant évolutionniste,

dénonçant pour lʼun comme pour lʼautre la nature arbitraire de leurs reconstructions

historiques. Boas invalide empiriquement l’hypothèse évolutionniste selon laquelle il

existerait des sociétés sans histoire. La « culture occidentale », auparavant considérée comme

l’étape ultime de l’évolution des sociétés, perd son statut de référent supérieur dans une

hypothétique marche de l’humanité vers le progrès.

Boas ne nie pas pour autant l’existence de phénomènes de diffusion, dont

l’observation est méthodologiquement plus aisée que celle des dynamiques strictement

6 Il passe un diplôme en mathématiques sur les courbes de Gauss, qu'il utilisera par la suite dans ses

démonstrations, fondées sur les relevés anthropométriques, pour dénoncer les vacuités des thèses racistes :

Claude Imbert, « Boas, de Berlin à New York. Manières de vivre, manière de voir », in Espagne Michel,

Kalinowski Isabelle (dir.), Franz Boas. Le travail du regard, Paris, Armand Colin, 2013, (pp.15-32) p.17.

Ouvrage désormais noté FB dans cette contribution.

3

internes et qui constituent selon lui une clé pour lʼanalyse des faits historiques. « Pour

comprendre lʼhistoire, il est nécessaire de connaître non seulement la façon dont sont les

choses, mais comment elles en sont venues à être »7. Il souligne que ces phénomènes sont

cependant soumis à des conditions contraignantes liées aux caractéristiques de la société

d’accueil, s’exprimant au travers d’un nombre non fini de domaines (langage, art, croyances,

etc.), qui peuvent notamment conduire à un échec du processus de diffusion lui-même8.

En préalable à l’étude des processus de diffusion (recouvrant les phénomènes

dʼemprunt, dʼappropriation et de réinterprétation), Boas fixe les limites de la méthode

comparatiste, qui doit rester selon lui subordonnée à une démarche inductive9. Il se garde de

toute réification des cultures. Celles-ci reposent, en dernière analyse, sur les expériences

individuelles. Rejetant le déterminisme environnemental, il assigne à l’ethnologie le but de

comprendre la vie de l’individu telle que la société la façonne, tout autant que la manière dont

la société se modifie elle-même sous l’action des individus qui la composent et qui ne sont

jamais absolument contraints par ses lois10

. De ce point de vue, Boas penche davantage du

côté des travaux de Gabriel Tarde (1843-1904) dans Les lois de l’imitation (1890) - qui

tiennent autant compte des emprunts que des innovations dans les échanges culturels - que de

ceux dʼÉmile Durkheim (1858-1917) dans Les règles de la méthode sociologique (1895), où

la société détient une part importante de détermination des individus.

Boas débute ses enseignements à l’université Columbia de New York en 1896, avec

un cours sur lʼanthropologie physique. Il y devient professeur titulaire dʼanthropologie en

1899 et initie le premier programme doctoral dans cette discipline aux États-Unis. Il est le

professeur de toute une génération d’anthropologues américains : Alfred L. Kroeber (1876-

1960), Clark Wissler (1870-1947), Robert H. Lowie (1883-1957), Edward Sapir (1884-1939),

Melville Herskovits (1895-1963), Ralph Linton (1893-1953), Paul Radin (1883-1959),

Alexander Goldenweiser (1880-1940), Esther Schiff Goldfrank (1896-1997), Ruth Benedict

(1887-1948) et Margaret Mead (1901-1978). Plusieurs de ses élèves se montrent aussi

critiques que lui à l’égard des théories diffusionnistes et s’inscrivent rapidement dans un autre

paradigme, celui du culturalisme.

7 « In order to understand history it is necessary to know not only how things are, but how they have come to

be »: Franz Boas, Race, Language and Culture, New York, Macmillan Company, 1940, p.284 (Traduction de

l’auteur) 8 Franz Boas, « Some Traits of Primitive Culture », The Journal of American Folklore, 17-67, 1904, pp.243-254;

« Evolution or Diffusion ? », American Anthropologist, 26-3, 1924, pp.340-344 9 Franz Boas, Race, Language and Culture, op.cit. pp.270-280

10 Ibid. pp.260-269. Également : George W. Jr. Stocking, « Franz Boas and the Culture Concept in Historical

Perspective », American Anthropologist, New Series, 68-4, 1966, pp.867-882

4

Consciente de la fragilité de toute prétention positiviste dʼune conception rationnelle

du monde11

, l’approche boassienne se caractérise par une grande prudence théorique et

méthodologique. Elle ne cherche pas à mettre en évidence des séquences de l’histoire de la

culture dans son ensemble, mais se concentre plutôt sur les contacts entre cultures voisines.

Elle est avant tout contextuelle, les cultures ne pouvant être appréhendées que dans leur

milieu et les données historiques devant être scrupuleusement établies. Ainsi, ce sont moins

les conséquences sociologiques et culturelles sur la culture réceptrice que les faits eux-mêmes

qui sont tenus pour intéressants.

Si les phénomènes culturels sont bien le produit de lʼhistoire des sociétés, Boas

rappelle, dans son introduction à Lʼart primitif (Primitive Art, publié en 1927), qu’ils sont

sous-tendus par une unité de l’esprit humain : « Les processus mentaux sont

fondamentalement les mêmes chez tous les hommes dʼaujourdʼhui, quelle que soit leur race et

quelles que soient les formes culturelles considérées »12

. Franz Boas est ainsi reconnu pour sa

critique de toute forme de déterminisme (biologique, psychologique, géographique ou

économique) et pour son engagement sans faille contre le racisme13

et l’ethnocentrisme14

.

Parallèlement, Boas admet volontiers la pluralité des cultures et fonde son œuvre sur

les trois piliers que sont le relativisme culturel, une approche contextualisante des cultures et

une recherche de terrain basée sur lʼobservation et une méthode participative. Mais, ainsi que

ses détracteurs le lui ont souvent reproché, et à la différence de Bronislaw Malinowski (1884-

1942), Boas n’a jamais séjourné plus dʼune quinzaine de jours auprès de la même tribu. Il a

néanmoins tiré avantage de ses propres déplacements pour mettre au cœur de ses

investigations les dimensions mouvantes des sociétés, au sens propre comme au figuré.

Partageant son combat contre le racisme, ainsi quʼune même affinité pour les langues

amérindiennes et la conscience de la nécessité dʼune coopération internationale pour la

science, Boas se lie dʼamitié à Paul Rivet (1876-1958), avec qui il entretient un riche échange

épistolaire durant lʼentre-deux-guerres. En août 1937, il se rend à Paris pour participer au

Congrès international sur la population, dont Rivet est le vice-président, et débattre

directement avec une délégation de raciologues allemands sur la question de la race. Il leur

oppose ses résultats anthropométriques concernant les populations immigrées aux États-Unis.

Rivet est, en compagnie de Lévi-Strauss, aux côtés de Boas, à New York, le 21 décembre

11

Franz Boas, LʼArt primitif (Traduction M. Benguigui et C. Fraixe), Paris, Adam Biro, 2003 [1927], p.32 12

Ibid. p.31 13

C’est dans The Mind of Primitive Man, publié en 1911, puis dans une version révisée en 1938, que Boas

adressa le plus directement ses critiques aux thèses racistes, en sʼappuyant plus spécifiquement sur l’étude des

langues et des cultures : Franz Boas, The Mind of Primitive Man New York, The MacMillan Company, 1911. 14

Herbert S. Lewis, « The Passion of Franz Boas », American Anthropologist, 103-2, 2001, pp.447-467

5

1942, quand ce dernier, juste après lui avoir déclaré de nouveau que le racisme était une

monstrueuse erreur quʼil ne fallait cesser de combattre partout où il se trouvait, sʼéteint à l’âge

de 84 ans15

.

En dépit de son immense contribution au développement de lʼethnologie, qui fait

relativement consensus dans le milieu académique, et des bases de données monumentales

quʼil a compilées et surtout ordonnées, Boas est généralement considéré comme un collecteur

frénétique de détails, parfois jugés insignifiants, qui sʼest peu soucié des questions théoriques.

Prisonnier de sa propre exigence, Boas se serait ainsi empêtré dans un empirisme forcené,

coupant court à toute possibilité de synthèse et de généralisation qui lui aurait permis de

laisser de grandes théories à la postérité. Certaines de ses aspirations et conclusions passent

aussi pour contradictoires.

Lévi-Strauss pousse un peu plus loin la critique, reprochant à Boas de ne jamais sʼêtre

soucié dʼexpliciter les logiques internes de sa pensée16

. Dans son chapitre introductif à

Anthropologie structurale, Claude Lévi-Strauss se livre à une longue discussion sur

lʼapproche anthropologique de Boas, et plus particulièrement ses positions envers lʼhistoire à

lʼégard desquelles il se montre plutôt critique. Lévi-Strauss souligne en effet une contradiction

interne aux orientations de Boas, à savoir lʼaspiration à reconstituer lʼhistoire d’un groupe

humain tout en maintenant une exigence presque inaccessible en termes de faisceau de

données à atteindre avant de se permettre une quelconque généralisation. Pour Lévi-Strauss,

Boas « sʼinterdit de comparer » et, au mieux, peut-il recomposer une microhistoire qui, tout

comme les macrohistoires évolutionnistes et diffusionnistes, échoue à proposer une

reconstruction valide du passé17

.

Dans un même ordre dʼidées, Mauss reproche à Boas de sʼen tenir aux faits et, ce

faisant, de se détourner des grands domaines dʼinvestigations sociologiques. Pour son étude du

potlatch, il sʼappuie essentiellement sur Ethnology of the Kwakiutl, édité en 1921 par le Bureau

of American Ethnology de la Smithsonian Institution de Washington, que Boas a coécrit avec

son ami et principal informateur de la Côte Nord-Ouest, George Hunt. Si Mauss reconnaît

volontiers la richesse des matériaux rapportés et décrits par Boas, il critique sa focalisation sur

la culture matérielle, la linguistique et la littérature mythologique au détriment des aspects

juridiques, économiques et démographiques. Il remet également en question la méthodologie de

15

Christine Laurière, « L’anthropologie et le politique, les prémisses », art.cit. pp.84-88 16

Voir Claude Lévi-Strauss, « Boas Franz », art.cit. p.118 17

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op.cit. pp.9-28

6

Boas qui consiste à désolidariser le mythe de sa dimension sociologique. Il relève néanmoins

une description précise de Boas concernant le fonctionnement de la notion de crédit dans le

potlatch18

. Les commentaires de Mauss à propos du travail de Boas sur les Kwakiutl sont

révélateurs de ce qui les oppose dans leur démarche, et qui ne repose pas tant sur le fait que le

premier soit un homme de cabinet et le second un homme de terrain, mais sur la finalité que

chacun assigne à la recherche. Là où Mauss pratique un vaste comparatisme pour dégager les

règles universelles qui régissent les activités humaines et président à la reproduction des

sociétés, Boas se montre plutôt attentif aux éléments disjonctifs par rapport aux normes et aux

logiques de transformation des cultures19

.

Lʼouvrage collectif dirigé par Michel Espagne et Isabelle Kalinowski prend le contre-

pied des reproches faits à Boas sur son faible apport théorique. Dans son introduction à

l’ouvrage, Michel Espagne montre combien sa critique argumentée du paradigme

évolutionniste, de même que son intégration de lʼhistoire, de la géographie et de la

linguistique aux problématiques de lʼanthropologie inaugurent une rupture épistémologique

dans laquelle s’engageront ses élèves20

. Sa contribution monumentale à lʼanthropologie

amérindienne et à la définition de lʼenquête ethnographique sont aussi déterminantes dans

lʼhistoire du développement de lʼanthropologie comme discipline et comme champ légitime

des sciences sociales. Il est par ailleurs notable que les deux directeurs du collectif présenté ici

ne sont pas anthropologues, mais deux germanistes qui proposent de combler cette lacune et de

« se réapproprier les textes de Boas sans se préoccuper au premier chef de leur postérité

américaine »21

.

L’ouvrage se décompose en trois grandes parties. La première, intitulée « Histoires

naturelles », est constituée de cinq chapitres (pp.13-105). Elle concerne plus spécifiquement la

posture scientifique de Boas, notamment la façon systématique dont il lie dans son œuvre les

sciences de la nature aux sciences sociales.

Le premier chapitre, écrit par Claude Imbert, professeur de philosophie à lʼÉcole

Normale Supérieure (Paris), présente la trajectoire de Boas en tant qu’intellectuel et migrant

allemand établi aux États-Unis. L’auteur revient sur le reproche fait à Boas par ses détracteurs

dʼune posture, apparemment contradictoire, depuis laquelle il défend les singularités

18

Marcel Mauss, « Essai sur le don », chap.2, III, art.cit. 19

Franz Boas, Race, Language and Culture, op.cit. pp.270-280 20

Michel Espagne, « Introduction », FB pp.9-12 21

Ibid. p.12

7

culturelles et historiques contre lʼévolutionnisme tout en se revendiquant dʼun naturalisme qui

postule une certaine unité de la pensée humaine. Cʼest cette même conception, et une attitude

intransigeante sur ce point étendue à son activité muséographique, qui conduisent Boas à

démissionner du Museum of National History de New York en 1906. Le principal désaccord

réside dans la façon de classifier et dʼexposer, Boas nʼétant pas enclin à céder à une

muséographie résolument évolutionniste, cʼest-à-dire « déclinant dans une comparaison

transversale et universelle lʼévolution des outils et des techniques où lʼOccident l’emporterait

aisément »22

.

Un même principe naturaliste guide la méthode de travail de Boas sur le terrain qui

détermine en retour ses critères dʼexposition muséographique. Des années avant Malinowski,

il expérimente lʼimmersion dans les sociétés indigènes, quʼil sʼagisse des Inuits de la Terre de

Baffin (1883-1884) ou des populations amérindiennes du Nord-Ouest américain (1886, puis à

plusieurs reprises entre 1888 et 1931), jusquʼà mettre sa santé en péril et ne devant sa survie

quʼau secours de ses hôtes. Il adopte surtout une méthodologie inductive, préférant laisser à

ses interlocuteurs le loisir de digresser plutôt que dʼimposer un questionnaire rigide et

préétabli, restant attentif aux détails (précisions de lieux, inflexions de la voix, etc.) comme

aux erreurs manifestes dans les faits énoncés et aux hésitations dans les réponses.

Boas déduit de ce « cadrage indigène de lʼinformation » les modalités les plus

adaptées à la catégorisation - et donc à lʼexposition - de la production matérielle (masques,

mâts totémiques, etc.) et immatérielle (discours, mythes, danses, etc.) collectée sur le terrain23

.

Ce faisant, Boas initie une anthropologie visuelle et une anthropologie linguistique autonomes

dans leur développement, ainsi quʼune muséographie qui ignore, tout comme son concepteur,

lʼopposition entre nature et culture.

Lʼanthropologue Carlo Severi se penche aussi sur la généalogie intellectuelle de Boas

dans le second chapitre, mais en se focalisant plus spécifiquement sur son approche de lʼart,

notamment dans son ouvrage Primitive Art, paru en 192724

. Au premier abord, ce traité

semble parfaitement sʼinscrire dans la perspective de la « biologie des images », élaborée au

cours des deux premières décennies de la seconde moitié du XIXe siècle par Augustus Pitt

Rivers (1827-1900), selon le principe de la « connexion par la forme »25

.

22

Claude Imbert, « Boas, de Berlin à New York », art.cit. p.16 23

Ibid. pp.24-26 24

Carlo Severi, « Boas entre biologie des images et morphologie. Une généalogie intellectuelle », FB, pp.33-51 25

Ibid. p.33

8

Ce principe applique aux productions de lʼesprit humain, et plus particulièrement dans

la classification des objets, une grille dʼanalyse semblable à celle de la théorie darwinienne de

lʼévolution biologique pour lʼétude des organismes vivants, en sʼaffranchissant de tout

esthétisme. Ce programme procède cependant dʼune logique inverse à celle du point de vue

des biologistes, sa finalité nʼétant pas de suivre le fil de lʼévolution et dʼétudier la diversité

des espèces, mais au contraire de reconstruire une histoire de la pensée humaine unilinéaire

pour retrouver la forme originale. Cette dernière sʼincarnerait, selon les termes de Pitt Rivers,

dans un « psychisme automatique » (automaton mind) qui permettrait aux populations dites

« primitives » de reproduire instinctivement les techniques des hommes de la préhistoire.

Dans Primitive Art, Boas adopte la méthodologie de la biologie des images qui

consiste à classer les objets selon leurs similitudes sur un plan formel, mais il ne souscrit pas à

son idéologie qui implique une évolution culturelle des opérations mentales26

. Surgit alors une

autre des contradictions prêtées à la pensée boassienne, mais que Severi éclaire à la lumière

dʼune généalogie intellectuelle qui emprunte à Gottfried Semper (1803-1879) - lui-même

inspiré par Humboldt, Goethe et Cuvier - pour qui lʼart primitif nʼest pas un moyen de retracer

lʼévolution des cultures, ainsi que le concevait Pitt Rivers, mais dʼexplorer la structure

profonde de l'activité de lʼesprit humain. Loin de la perspective évolutionniste, cette

conception considère les inventions humaines comme des variations de formes élémentaires et

admet lʼidée dʼune psychologie universelle chère à Boas (comme à Bastian), pour qui il

nʼexiste pas plus dʼenfance de lʼart que dʼenfance de la pensée, y compris pour les cultures

dites « primitives ». Le concept dʼ« art primitif » formulé par Boas doit ainsi être compris

comme la permanence du souci de lier les formes et la pensée, les premières étant le produit

de la seconde, sans pour autant présupposer une corrélation systématique entre formes et

signification (religieuse, mythique, conceptuelle, etc.).

Dans sa contribution, Céline Trautmann-Waller, professeur en études germaniques,

aborde lʼintérêt de Franz Boas pour lʼanthropologie physique et les relevés anthropométriques

auxquels il sʼest lui-même livré tout au long de sa carrière27

. Ce travail donna lieu à

lʼimmense corpus archivé à lʼAmerican Museum of Natural History, suite à un don de Boas

en septembre 1942 (trois mois avant sa mort), qui est lʼobjet dʼune intense redécouverte

26

Franz Boas, LʼArt primitif, op.cit. p.31 27

C’est à son initiative et sous sa direction que fut conduite la plus vaste campagne de mesures

anthropométriques de l’histoire, réalisée entre 1908 et 1910 sur 17 821 immigrants et leurs enfants résidant à

New York : Michel Trautmann-Waller, « Unité de l’humanité ou unité de la science ? Boas et l’anthropologie

physique », FB pp.53-75

9

depuis le début des années 1990. La principale thèse de ce troisième chapitre est que cette

partie des travaux de Boas nʼest en rien une parenthèse dans son œuvre, et encore moins un

paradoxe avec sa lutte résolue contre le racisme, mais le produit dʼun attrait pour les

modélisations et les calculs statistiques, issu de sa formation ainsi que de son ambition de

combattre les thèses racistes « de l’intérieur ».

Boas conduisit de nombreuses enquêtes en anthropologie physique (sur les Indiens, les

« métisses », les Africains-Américains ou encore les immigrants européens fraîchement

arrivés à New York), dont les résultats sont considérés par les spécialistes actuels comme

toujours valables. Elles lui permettent de montrer le rôle prépondérant (mais pas unique) de

lʼenvironnement dans la croissance des individus, y compris de critères jusquʼalors considérés

comme étroitement attachés au type racial tel que lʼindice céphalique. Il déplace également la

question de lʼhérédité des races vers la lignée familiale. Ce faisant, Boas propose une critique

serrée des typologies raciales, loin des classifications arbitraires fondées sur des moyennes,

des généralisations ou des spéculations d’ordre historique.

Avec Boas sʼopère un glissement dans lʼanthropologie physique, des classifications

raciales vers les notions de variabilité, dʼinstabilité et de plasticité étroitement liées à celle

dʼadaptabilité. Il ne sʼinterdit pas cependant de recourir au « type », mais seulement si celui-ci

est en mesure de contenir lʼensemble des formes observées et leur variabilité (ainsi quʼil le

fait par ailleurs pour la linguistique). Ces formes sʼorganisent en groupes, physiques ou

culturels, dont lʼétude est la finalité que Boas assigne à lʼanthropologie, en parallèle et en

complément à l’étude des individus et à lʼétude de la totalité. Cette « approche

populationnelle », qui sʼoppose à lʼessentialisme et à la démarche typologique, reprend, plus

quʼelle ne contredit, les conceptions de race et d’hérédité formulées par Darwin28

. Lʼapproche

boassienne rejette en effet lʼévolutionnisme culturel qui hiérarchise les cultures sur un axe

unique du progrès en niant lʼégale valeur des différents modes de vie. Lui opposant le

relativisme culturel, elle embrasse au contraire les idées de contingence et de diversification

présentes dans lʼévolutionnisme biologique de LʼOrigine des espèces. Ainsi, en distinguant

28

Les auteurs néo-évolutionnistes, Leslie White en tête, ont adressé de sérieuses critiques à Boas dans les années

qui ont immédiatement suivi sa mort, lui reprochant d’écarter toute possibilité de systématiser l’enseignement de

ses données de terrain, d’être réfractaire à toute généralisation ou classification, ainsi que de renier tout l’héritage

scientifique de Darwin. Or, Boas a sans doute mieux compris et utilisé les thèses de Darwin que ne l’avait fait

Herbert Spencer (1820-1903), dont la théorie organiciste (avec laquelle Darwin était lui-même en désaccord)

transpose, sans discernement sociologique, le fonctionnement dʼun organisme vivant sur celui des sociétés, et

sert de base au « darwinisme social » et à lʼévolutionnisme anthropologique (Lewis 2001a). Ainsi que le précise

Gildas Salmon dans ce même collectif : « Lʼobjet de Darwin est en effet dʼexpliquer la diversité des espèces

vivantes : là où lʼévolutionnisme anthropologique postule un développement parallèle de toutes les cultures, cʼest

la divergence qui est la clé de voûte de LʼOrigine des espèces » (Gildas Salmon, « Forme et variante : Franz

Boas dans lʼhistoire du comparatisme », FB p.200).

10

races et cultures, Boas ne sépare pas radicalement nature et culture ainsi que cela a pu lui être

reproché.

De fait, Boas n’a jamais renoncé à lʼidéal de lʼunité de la science, précisément parce

quʼil a cherché tout au long de son œuvre à démontrer empiriquement lʼunité de lʼhumanité

que contestent les thèses racistes. Il ne sʼest jamais désintéressé des classifications et des lois

au profit dʼun empirisme pur et dur, glissant de sa formation en physique et en mathématiques

vers lʼanthropologie culturelle. Il ne prône pas non plus un système où ces deux approches

seraient hiérarchisées ou occuperaient chacune une place qui lui est propre. Il envisage plutôt

une perspective pluraliste faite dʼallers-retours entre ces approches. Cʼest à ce niveau que se

résoudrait la tension qui parcourt les travaux de Boas29

. Son œuvre nʼest pas la somme de la

philologie de Goethe, de la philosophie de Kant et de la cosmographie de Humboldt ; pas plus

quʼelle nʼest le produit dʼune combinaison de lʼanthropogéographie de Ratzel, des idées

élémentaires de Bastian et du déterminisme environnemental. Elle constitue plutôt le point de

tension entre tous ces pôles.

Le chapitre d’Emmanuel Désvaux30

, anthropologue spécialiste des Indiens

dʼAmérique du Nord, décrit le contexte académique et intellectuel de lʼanthropologie états-

unienne avant lʼarrivée de Boas et en quoi celle-ci constitue un tournant décisif31

.

Lʼanthropologie américaine du XIXe siècle travaille essentiellement sur les populations

indiennes dʼAmérique du Nord, non sans quelques arrière-pensées politiques dans le cadre de

la rivalité qui oppose les États-Unis à la Grande-Bretagne, toujours solidement établie dans

les territoires du nord (au Canada notamment).

Avant lʼétablissement de Boas aux États-Unis, dans les années 1880, lʼanthropologie

américaine se fédère principalement autour de la Smithsonian Institution à Washington, et

plus particulièrement autour du Bureau of American Ethnology. Celui-ci est fondé en 1879

par John Wesley Powell (1834-1902), un géologue, qui en conserve la direction jusqu’en

1902. Sous lʼimpulsion de Lewis Henry Morgan (1818-1881), et avec lʼaval de Powell, le

courant évolutionniste devient la ligne officielle de la Smithsonian Institution32

, sans pour

autant emporter lʼadhésion de la plupart des savants attachés à l’établissement.

29

Michel Trautmann-Waller, « Unité de l’humanité ou unité de la science ? », art.cit. pp.70-71 30

Emmanuel Désveaux, « L’anthropologie américaine avant et après Boas », FB pp.77-90 31

Regna Darnell consacre un ouvrage, intitulé And Along Came Franz Boas. Continuity and Revolution in

Americanist Anthropology (Amsterdam, John Benjamins) et paru en 1998, qui développe plus longuement les

questions abordées dans ce chapitre. 32

Cʼest avec lʼaide de Powell que Morgan parvient à faire publier, par la Smithsonian Institution en 1870, le

manuscrit de System of Consanguinity and Affinity of Human Family, près dʼune décennie après la fin de sa

11

Dans ce contexte de défiance à lʼégard du modèle évolutionniste appliqué aux sciences

sociales, le premier apport de Boas fut dʼen invalider scientifiquement les thèses. Sa méthode

rigoureuse, notamment en ce qui concerne le recueil des discours en langue vernaculaire, et sa

collection dʼartefacts, plus spécifiquement chez les Kwakiutl, remettent objectivement en

question les fondements de lʼévolutionnisme en témoignant du raffinement de la culture

matérielle et de la complexité de lʼorganisation sociale parmi les populations indiennes

d’Amérique du Nord-Ouest.

Boas contribue aussi à lʼadoption du modèle universitaire allemand, et ce faisant à

lʼinstitutionnalisation de lʼanthropologie au sein du monde académique américain. Lʼhéritage

allemand colporté par Boas se prolonge dans son enseignement et lʼinfluence quʼil aura sur

ses élèves. La « psychologie des peuples » sert à lʼévidence de support au développement de

lʼécole dite Culture and Personnality, celle des culturalistes emmenés par Benedict et Mead,

qui partagent avec Boas la conception dʼune culture comme un ensemble de savoirs,

croyances, représentations, codes, règles et comportements véhiculés par une langue et

relevant dʼun inconscient.

Dʼun autre côté se trouvent les héritiers indirects de lʼanthropogéographie de Ratzel, à

savoir Kroeber et Wissler. Le premier cherche à délimiter les « aires culturelles » en fonction

de certains déterminants, et plus particulièrement la langue. Le second, guidé par un

déterminisme géographique rigide, considère que le milieu conditionne les modes de vie et les

formes culturelles en tant que réponses aux contraintes du milieu naturel. De la conjugaison

de ces deux courants naîtra, avec Julian Steward (1902-1972), un élève de Kroeber,

lʼécologisme culturel qui fait prévaloir que chaque trait culturel est conditionné par

l’environnement.

Cette dimension géographique, présente tout au long de lʼœuvre de Boas, est

également discutée par Michel Espagne, dans le cinquième chapitre de lʼouvrage, qui clôture

la première de ses trois parties33

. Au travers de la notion dʼespace, et celle de continuité qui

lui est attachée, Boas pose les bases dʼune anthropologie émancipée des thèses

évolutionnistes, plus proche dʼune étude des processus de diffusion (ou de contamination)

étroitement liée à celle de lʼhistoire des sociétés humaines. Le choix de cette approche est à

rédaction. Les concepts élaborés dans cet ouvrage sont laissés de côté par Morgan dans Ancient Society, paru

sept ans plus tard, où le système politique prend le pas sur les relations de parenté dans la détermination des

sociétés étudiées (Emmanuel Désveaux, « Lʼanthropologie américaine avant et après Boas », art.cit. p.84). 33

Michel Espagne, « Franz Boas et la pensée géographique », FB pp.91-105

12

replacer dans le contexte de la formation intellectuelle de Boas34

, inspirée par la philologie

allemande (notamment celle des frères Grimm) et les œuvres des frères von Humboldt : l’aîné

Wilhelm (1767-1835), dans le domaine de la linguistique, le cadet, Alexandre, en géographie.

Boas suit aussi de près les travaux de ses contemporains, le géographe Friedrich Ratzel et le

psychologue Wilhelm Wundt (1832-1920).

Lʼexpédition en Terre de Baffin, en 1863-1864, marque une inflexion en deux temps

dans le parcours intellectuel de Boas. En partant étudier lʼinfluence du milieu sur les Eskimos

de Cumberland Sound, il abandonne la physique, discipline dans laquelle il avait réalisé sa

thèse de doctorat, pour se convertir à la géographie (physique et humaine). Il revient en

Allemagne convaincu que lʼenvironnement est moins déterminant pour une société humaine

que sa trajectoire historique et ses contacts avec dʼautres groupes. Il passe donc dʼune étude

des modes de vie selon les conditions extérieures à une exploration des logiques internes à

une société. Boas ne délaisse pas pour autant la dimension géographique de ses investigations,

mais il en déplace la problématique vers les questions des relations au milieu, des

représentations de lʼespace, et des connaissances géographiques des individus et des sociétés

quʼil observe. Il sʼintéresse notamment aux cartes sur la neige que les Eskimos tracent avec

précision et aux routes des migrations annuelles. Pour ce faire, il répertorie avec minutie

toponymes, récits oraux, légendes et formules de salutation entre différentes tribus durant

leurs voyages. À partir de ce matériau, il produit un glossaire quʼil publie en 1894, et où il lie

étroitement la langue à l’espace35

.

Privilégiant les solutions de continuité spatiale, Boas ne voit pas dans la proximité et

les similarités entre corpus (langues, légendes, contes, mythologies, etc.) la preuve dʼune

origine commune, selon un axe vertical dʼévolution, mais plutôt la conséquence de contacts. Il

refuse cependant toute idée dʼune assimilation passive dʼéléments extérieurs par une culture

réceptrice. Il affirme au contraire lʼexistence de dynamiques internes de transformations

stimulées par des processus de diffusion au sein desquels chaque culture dispose dʼune

importante capacité de négociation (acceptation, rejet, modification, réinterprétation, etc.).

Bien quʼil admette lʼeffet de lʼenvironnement sur les caractéristiques physiques et les

phénomènes culturels propres à un groupe humain, il réfute tout déterminisme géographique

34

Sur la formation de Boas, ainsi que sur ses débuts dans le milieu académique, le lecteur trouvera de plus

amples information dans l’ouvrage que Douglas Cole consacre à ce sujet en mettant parfois en avant des aspects

moins flatteurs de sa biographie, sans aborder la part théorique de son œuvre : Douglas Cole, Franz Boas : The

Early Years, 1858-1906. Seattle et Londres, University of Washington Press, 1999. 35

Franz Boas, The Central Eskimo. Lincoln et Londres, University of Nebraska Press, 1964 [1888].

13

impliquant que la culture de certaines sociétés se réduise aux conditions dʼadaptation à un

milieu donné36

.

La seconde partie de lʼouvrage, simplement intitulée « Indiens », se compose de trois

chapitres (pp.107-175) qui sʼéloignent quelque peu des questions épistémologiques pour se

consacrer à la dimension iconographique des collectes de Boas, quʼil sʼagisse dʼobjets, de

dessins ou de photographies, et au travers de laquelle il sʼagit de décrypter sa méthodologie.

Spécialiste en histoire de lʼanthropologie et des musées ainsi que de lʼart et des médias

des Premières Nations, Aaron Glass37

s’intéresse, dans la première contribution de cette

seconde partie, aux dessins qui ont servi de support aux enquêtes de terrain de Boas,

notamment sur la Côte Nord-Ouest. Ces dessins, réalisés soit par Boas lui-même, soit par ses

collaborateurs, permettent de comprendre sa méthode inductive. Longtemps, il les a emmenés

avec lui pour identifier les objets et pour recueillir les récits et légendes qui leurs sont

attachés. Beaucoup sont ainsi richement annotés de détails culturels accumulés au fil des ans.

Pourtant, une grande partie de ces données n’apparait pas dans les principales monographies

de Boas, et plus particulièrement dans « The Social Organization and Secret Societies of the

Kwakiutl Indians » (1897). Ces ouvrages, à lʼinverse de ce que laisse penser la réputation de

Boas, mettent largement de côté le matériau ethnographique au profit de généralisations et de

typologies où lʼesthétique des objets est séparée de leur dimension sociologique. Boas y

rassemble plusieurs tribus sous le nom générique de « Kwakiutl », et nʼassocie plus la culture

matérielle au savoir individuel, comme il le faisait à propos des masques et des ornements de

tête dans ses articles parus au début des années 1890. La créativité individuelle nʼest pas

encore entrevue comme le moteur de lʼachèvement esthétique ainsi quʼil lʼaffirmera en 1927,

dans Primitive Art.

Selon Glass, cette approche typologique répond à la formation philologique de Boas et

à son ambition de contrer les théories évolutionnistes en proposant un modèle alternatif. Pour

cela, il reconstitue des ensembles de formes et de styles pour en décrire les variations. Cette

orientation peut aussi correspondre à un objectif plus prosaïquement professionnel, lié au

développement de la muséographie (comme lieu de « sauvegarde » de la culture matérielle

des sociétés dites « primitives ») et à la construction de la discipline ethnologique au tournant

du XXe siècle, moment où Boas aspirait à trouver un poste. Ceci eut pour conséquence la non

36

Franz Boas, « Evolution or Diffusion ? », art.cit. 37

Aaron Glass, « Le musée portatif. Les premières notes de terrain visuelles de Franz Boas et la récupération des

archives par les Indiens », traduit de l’anglais par Camille Joseph, FB pp.109-133

14

prise en compte par Boas des influences coloniales et des objets qui en étaient le produit. Ils

échappaient de la sorte à sa théorie de la diffusion et de la transformation des sociétés

stimulée par les contacts, à un moment de lʼhistoire où ces échanges prenaient une ampleur

critique pour les groupes qu’il étudiait.

La minutie avec laquelle Boas a établi et annoté ses fiches dessinées, ainsi que les

efforts quʼil a consentis pour les mettre à jour aussi souvent que possible, avec le concours

nécessaire de son informateur George Hunt, permettent de nos jours lʼattribution précise

dʼobjets collectés à la fin du XIXe siècle au lignage spécifique auquel ils ont appartenu. Cet

aspect du travail de Boas est précieux aux yeux des descendants des propriétaires qui peuvent

ainsi reconstituer leur histoire et utiliser de nouveaux ces artefacts pour les besoins du

potlatch. Mais, ainsi que Boas le remarquait lui-même à lʼoccasion de son dernier voyage à

Fort Rupert en 1930, les objets (qui ont pour beaucoup rejoint les collections des musées) sont

moins importants pour le processus de reproduction sociale et la survie des prérogatives

héréditaires que la transmission des savoirs, au travers des discours ou des pratiques rituelles

et matérielles.

Lʼethnologue Rainer Hatoum se penche sur la collection de Boas au musée

d’ethnologie de Berlin38

. Il souligne lʼaspect qualitatif de cette collection, en contraste avec la

dimension quantitative de celle rassemblée par Adrian Jacobsen (1853-1947), sur laquelle

Boas a également beaucoup travaillé. Boas oppose dʼailleurs ouvertement sa démarche de

chercheur à celle de l’explorateur norvégien. Pour Boas, la collecte dʼobjets ne va pas sans

celle de lʼhistoire et des mythes qui leur sont associés pour garantir, au moins en partie, leur

compréhension par des individus nʼappartenant pas à la culture dont ils sont extraits.

Cependant, Boas nʼa pas toujours systématiquement renseigné les objets de sa collection selon

ses propres critères dʼexigence. De même, ses interprétations sont parfois fausses, mais il

tente, du moins au début de sa carrière, de corriger ou de compléter ses fiches et de

réactualiser sa collection de Berlin (ainsi que celle de Jacobsen). Hatoum montre que la

collection matérielle de Boas ne répond pas forcément à un projet de connaissance spécifique

de la culture kwakiutl, même si elle fut finalement présentée comme telle. Elle sʼinscrivait

plutôt, et ce dès son recueil sélectif et hiérarchisé, dans la perspective plus large dʼune

réflexion sur les contacts et les transferts culturels.

38

Rainer Hatoum, « La collection de Boas au musée d’ethnologie de Berlin », traduit de l’allemand par Isabelle

Kalinowski, FB pp. 135-154

15

Le chapitre de Camille Joseph, sociologue, étudie les relations entre Boas et la

photographie39

. Il en avait fait un instrument de ses enquêtes, comme toutes les autres

innovations techniques de son temps (à lʼinstar du phonographe), dès ses premières

expéditions en Terre de Baffin et de façon plus systématique à partir de lʼexpédition Jesup40

(entre 1897 et 1902). Au début de sa carrière, alors que sa situation économique est encore

précaire, Boas envisage la photographie comme une potentielle source de revenu, sans quʼil

ne sʼy résolve cependant41

. Par ailleurs, Boas reconnait volontiers la valeur pédagogique de la

photographie. Mais son exigence le pousse à dénoncer, plutôt que lʼidée même de

photographier, les excès de certains de ses contemporains qui, à l’exemple d’Edward S. Curtis

(1868-1952), sacrifient toute scientificité au projet de « sauvegarde » des cultures indiennes

dans leur authenticité supposée, par la production à outrance de clichés. Certains, dont Curtis,

vont jusquʼà procéder à des mises en scène répondant à une vision romantique et essentialiste

des Indiens, non sans rapport avec le mouvement de construction des États-Unis au travers

d’un passé mythique.

Boas partage alors son point de vue avec celui du Bureau of Indian Affairs. Dans une

optique progressiste, ce dernier prône une meilleure intégration des Indiens au système

économique et politique des États-Unis plutôt que lʼenfermement dans une tentative, par

avance vouée à lʼéchec, de préservation de leur mode de vie traditionnel. Enfin, si Boas

recourt à la retouche, lʼauteur du chapitre juge quʼil serait impropre de lui faire le reproche,

adressé aux ethnologues qui choisissent de supprimer du cadre tout élément jugé « moderne »,

dʼune autre forme de romantisme. Ce procédé, plutôt remarquable à une époque où la

photographie naissante est encore peu sujette à la réflexion épistémologique, marque, chez

lʼethnologue formé au dessin qu’est Boas, le souci de garder prise sur lʼinterprétation du

cliché comme matériau ethnographique. Il ne peut se résoudre à laisser la photographie parler

dʼelle-même et, ce faisant, courir le risque dʼune interprétation erronée par rapport au propos

scientifique.

Prenant pour objets les travaux de Boas sur la langue, la mythologie et l’art, la

troisième partie de lʼouvrage, « Mots, mythes, formes », explore le concept de variation

comme principal outil et pierre angulaire de l’architecture théorique boassienne.

39

Camille Joseph, « L’image sans arrière-plan. Boas, la photographie et les illustrations », FB pp.155-175 40

Du nom du président du musée de New York à cette époque, Morris K. Jesup (1830-1908). Lʼun des objectifs

de cette mission était dʼétudier la possibilité dʼune parenté entre les populations indiennes dʼAmérique du nord et

celles de lʼAsie orientale, plus particulièrement de Sibérie, ainsi que dʼétablir la validité ou non de lʼhypothèse

dʼune migration par le Détroit de Béring gelé. 41

De même, il nʼa jamais pris le temps de vulgariser son travail afin dʼen retirer un avantage financier.

16

La contribution de Franz Boas à la linguistique constitue une autre part importante de

son œuvre. Il est notamment le fondateur de lʼInternational Journal of American Linguistics,

publié par les presses de lʼUniversité de Chicago et dont le premier numéro est paru en 1917.

Il fut aussi le directeur dʼun projet collectif et critique sur les langues amérindiennes, le

Handbook of American Indian Languages, entrepris, dès 1901, avec plusieurs de ses

collaborateurs et élèves (dont Edward Sapir). Lʼouvrage est publié en quatre tomes

(respectivement en 1911, 1922, 1938 et 1943), sous lʼégide du Bureau of American Ethnology

attaché à la Smithsonian Institution. La longue introduction du premier volume (83 pages),

écrite par Boas lui-même, est lʼobjet du chapitre de Chloé Laplantine42

, chargée de recherche

au laboratoire dʼHistoire des Théories Linguistiques du CNRS, qui en prépare également la

traduction.

En liant étroitement ethnologie et linguistique, le texte de Boas, écrit sur le mode du

doute43

, est une remise en question conjointe des connaissances de lʼépoque sur la langue et

sur la culture, ainsi qu’une interrogation de lʼinconscient des langues indo-européennes au

travers des langues amérindiennes. Lʼintroduction du Handbook est avant tout

méthodologique. Boas y met en garde contre la dimension arbitraire de toute classification,

quʼil est nécessaire dʼenvisager non pas comme une réalité empirique, mais comme un « point

de vue », celui du chercheur qui lʼa élaboré ou employé44

. Il prône, au contraire, une approche

strictement historique, celle des transformations et des contacts, dont le point de départ est le

langage, et plus précisément la description de la phonologie des langues et leur grammaire.

Pour Boas, ce sont les « groupes de sons » (groups of sounds), dont le nombre est

limité pour une langue donnée, qui véhiculent les idées mais aussi les précèdent, et non

lʼinverse comme cela est généralement admis. Cette approche matérialiste répond aux

spécificités des langues amérindiennes qui ne procèdent pas par abstraction comme le font les

langues indo-européennes et sont ainsi estimées « défectueuses » dans les analyses

antérieures. Par ce décentrement, Boas montre la dimension ethnocentrique des classifications

42

Chloé Laplantine, « À propos de lʼ"Introduction" du Handbook of American Indian Languages : une écriture

du point de vue », FB pp.179-189 43

L’auteur du chapitre relève dans l’introduction de Boas la récurrence de formules exprimant le doute : « il

semble » (it seems), « il semblerait » (it would seem), « il pourrait sembler » (it might seem), « je suis enclin à

penser » (I am inclined to think), « je crois quʼon pourrait dire sans crainte » (I believe that it may be safely said)

(ibid. p.180). 44

Boas critique notamment le caractère infondé des thèses de lʼaryanisme qui supposent une corrélation

systématique et un rapport de détermination entre le biologique, le linguistique et le culturel ; c’est-à-dire

« l’idée selon laquelle un certain peuple défini, dont les membres ont toujours été liés par le sang, doit avoir été

les porteurs de cette langue à travers lʼhistoire ; et de l’autre idée qu’un certain type culturel doit avoir toujours

appartenu à ce peuple » (Franz Boas, Handbook of American Indian Languages, Washington, Government

Printing Office, p.11, traduction Chloé Laplantine« À propos de lʼ"Introduction" du Handbook of American

Indian Languages », art.cit. p.181, note 1).

17

établies par des chercheurs inconsciemment pris dans le paradigme de leurs langues indo-

européennes, dont les impensés sont relevés via le détour par les langues amérindiennes.

Gildas Salmon, spécialiste de lʼhistoire des sciences sociales (surtout lʼanthropologie),

propose de réévaluer, dans une perspective plus proprement épistémologique, l’apport

théorique de Boas45

. Cet aspect de son œuvre a été jusquʼà récemment peu discuté, le père de

lʼanthropologie américaine passant lui-même pour être avant tout un pourfendeur de théories.

Salmon estime pour sa part que, derrière lʼempirisme radical de Boas, sa réticence aux

généralisations ou encore sa critique serrée des classifications fondées sur une sélection

arbitraire de critères (et, par rebond, des thèses racistes et évolutionnistes qui en découlent),

« se cache pourtant un basculement du savoir anthropologique dont la nature nʼest

généralement pas comprise »46

.

Ce renversement porte plus spécifiquement sur le concept de comparaison et les

critères de pertinence du comparatisme. Sʼinspirant de la biologie darwinienne, Boas fonde

son anthropologie sur lʼétude des différentes formes que peuvent prendre les phénomènes

socioculturels dans un contexte donné et de la distribution géographique des variétés sociales,

tout en laissant aux individus une liberté dʼaction face aux normes. De fait, il sʼoppose à toute

forme rigide de catégorisation (totémisme, animisme, sacrifice, etc.). Boas se démarque ainsi

ostensiblement de ses pairs évolutionnistes, diffusionnistes et fonctionnalistes qui cherchent

plutôt à expliquer les similitudes et les ressemblances, que ce soit par le développement

uniforme des sociétés, par le contact entre cultures ou par la façon dont les institutions

répondent aux besoins de lʼhumanité.

Trois ans avant sa mort, Boas rassemble lui-même plusieurs de ses articles, quʼil juge

les plus significatifs de son œuvre, dans un recueil intitulé Race, Language and Culture

(1940). Lʼassociation des trois termes qui composent le titre ne signifie en rien l’existence

dʼun rapport de détermination entre eux. Au contraire, cette juxtaposition a valeur disjonctive

et pose lʼidée, fondatrice chez Boas, que les faits biologiques, linguistiques et culturels

résultent de processus longs, complexes et surtout distincts. De même, les modalités de leur

transmission diffèrent. La relation entre ces domaines tient en fait dans le concept de

« variation ». De ce point de vue, la culture nʼest plus admise comme un ensemble de

représentations, mais comme « un processus de production de formes », indépendant des

autres ordres de faits (même sʼils peuvent avoir une certaine influence). Lʼethnologie est, de

45

Gildas Salmon, « Forme et variante : Franz Boas dans lʼhistoire du comparatisme », FB pp. 191-220 46

Ibid. p.192

18

fait, la science qui a pour mission dʼanalyser les faits culturels par comparatisme, en analogie

avec la méthodologie de la linguistique.

Boas sʼinspire également de la démarche philologique. Persuadé quʼil est le témoin

dʼun monde sur le point de disparaître sous lʼeffet de lʼintensification de la colonisation47

, il

recueille et reproduit, tout au long de sa carrière, une importante quantité de contes et mythes,

mais aussi lʼéventail de leurs variantes. Il refuse de rédiger des versions composites et

condensées où il devrait combler les manques et résoudre les incongruités, qui font pour lui

toute la richesse de lʼobjet. Il ne cherche pas plus à dégager une version originale ou le sens

véritable du mythe, se distinguant en cela de la tradition philologique. La variation, mise en

lumière par Boas, montre que les mythes circulent entre sociétés et que certains éléments, sur

lesquels sʼappuient pourtant les revendications identitaires, sont dʼimportation récente. Les

travaux de Boas, de ses informateurs et de ses élèves montrent que les mythologies sont des

assemblages récents d’éléments venus dʼhorizons divers.

Salmon conclut que le principal apport de Boas ne fut pas dʼavoir imposé un nouveau

cadre théorique à partir duquel aurait pu naître une tradition disciplinaire, mais plutôt dʼavoir

transposé et adapté des pratiques et des outils scientifiques préexistant dans dʼautres

disciplines. Il souligne enfin, dans la continuité de la critique adressée par Lévi-Strauss, la

position instable de Boas, entre holisme et individualisme méthodologique, qui ne parvient

pas à atteindre le but quʼil sʼétait lui-même fixé, à savoir déduire des phénomènes spécifiques

quʼil analyse les lois de la cohésion interne des faits socioculturels.

Lʼhistorienne de lʼart Aldona Jonaitis48

note que l’art des femmes ne fut considéré

avec sérieux par le milieu académique quʼavec la montée des mouvements féministes, dans le

courant des années 1970. Elle souligne cependant le fait que Boas avait remis en question, dès

le début du XXe siècle, la conception évolutionniste dʼune infériorité de lʼart des femmes par

rapport à celui des hommes, reposant sur une supposée différence de « facultés mentales »

entre les deux sexes49

. Dans LʼArt primitif, Boas défend une conception de lʼart attachée à la

47

Ainsi que le notent Aaron Glass et Gildas Salmon, Boas distingue implicitement deux formes de contact :

d’une part des échanges relativement symétriques entre sociétés indiennes ou entre un groupe indien et les

colons européens encore peu nombreux sur leur territoire, et d’autre part un rapport de force entre Indiens et

colons qui penche tellement en faveur des seconds que le mode de vie des premiers en est littéralement détruit

(Aaron Glass, « Le musée portatif », art.cit. pp. 123-125 ; Gildas Salmon, « Forme et variante : Franz Boas dans

lʼhistoire du comparatisme », art.cit. p.214, note 1). 48

Aldona Jonaitis, « Franz Boas et l’art des femmes indiennes », traduit de l’anglais par Camille Joseph, FB

pp.221-240 49

Selon lʼauteur du chapitre, Darwin tenait pour acquis dans son ouvrage paru en 1871, La descendance de

lʼhomme et la sélection naturelle (The Descent of Man and Selection in Relation Sex), que « le raisonnement et

19

dimension technique, et plus précisément à sa « perfection ». Partant, les différents styles,

quʼil sʼagisse de lʼart décoratif (souvent attribué aux femmes) ou de lʼart figuratif

(généralement associé aux hommes), sont deux formes de création différentes quʼil nʼy a pas

lieu de hiérarchiser. La créativité découle du jeu entre lʼartiste et la technique, et elle nʼest

pas, ainsi que Boas lʼaffirme en conclusion de LʼArt primitif, le monopole de lʼun des deux

sexes, mais plus étroitement liée à la répartition du travail technique dans une société50

.

Si Boas ne retient que les créations des sculpteurs hommes dans les sociétés de la Côte

Nord-Ouest51

, il considère que seules les femmes sont artistes chez les Indiens de Californie.

Parmi ses étudiantes, Boas compte Ruth Bunzel (1898-1990) et Gladys Reichard (1893-1905),

la première sʼétant particulièrement intéressée aux potiers pueblos (zuñi notamment), la

seconde ayant réalisé ses recherches sur le tissage et les peintures de sable navajos ainsi que

sur les ouvrages de perles chez les Indiens Thompson. Jonaitis attribue la position progressiste

de Boas envers les femmes - sans pour autant quʼil nʼait jamais écrit ou déclaré quʼil existait

une égalité entre les sexes - à sa formation intellectuelle et à sa relation privilégiée avec sa

mère, Sophie Meyer (1828-1916), elle-même proche des militantes féministes allemandes du

milieu du XIXe siècle.

Lorsque Boas s’attarde à décrire des normes, cʼest pour en montrer les aspérités, les

transformations et le travail par des écarts significatifs. Les modalités dʼappréhension de ces

« débordements » dans le domaine des mythes et de lʼart des masques ou des peintures

faciales sont analysées dans le dernier chapitre de cette étude par Isabelle Kalinowski52

. Se

détournant des hypothétiques formes originelles des mythes et des légendes quʼil collecte,

Boas sʼintéresse aux incohérences des récits qui révèlent selon lui les transformations et les

déplacements dʼéléments culturels. Ceci explique quʼil refuse, la plupart du temps, de rétablir

le sens de textes par la réécriture dʼune hypothétique version originale, complète et cohérente.

Il préfère fournir ces récits avec leurs failles logiques qui témoignent selon lui dʼune

agrégation dʼéléments dʼorigines diverses, des migrations dʼun récit et de lʼabsence dʼune

corrélation systématique entre une société et sa mythologie (entendue comme un ensemble de

représentations archaïques de la nature).

la pensée profonde des hommes sont supérieurs à lʼintuition, à la perception et à lʼimitation caractéristiques de la

mentalité féminine » (ibid. p.230). Herbert Spencer, son contemporain, attribuait cette infériorité intellectuelle

féminine au rôle de mère qui, selon lui, développe lʼintuition (nécessaire à lʼéducation des enfants) au détriment

des facultés intellectuelles (ibid. p.231). 50

Franz Boas, LʼArt primitif, op.cit. pp.384-385 51

Comme le souligne Jonaitis, Boas néglige ce faisant la production de paniers et les ouvrages de perles de

femmes tlingit (Aldona Jonaitis, « Franz Boas et lʼart des femmes indiennes », art.cit. p.229, note 1). 52

Isabelle Kalinowski, « Franz Boas et lʼ"exubérance des formes" », FB pp.241-270

20

Dans les études quʼil consacre aux masques à visage et aux peintures faciales de la

Côte Nord-Ouest, chez les Kwakiutl plus particulièrement, rassemblées dans L’Art primitif,

Boas souligne ces incohérences, quʼil désigne par le terme dʼ« exubérance ». Il relève

notamment que le visage humain, support en relief, est privilégié pour recevoir les décorations

en deux dimensions représentant des animaux. Il en déduit un affranchissement des formes

des contraintes imposées par le support. Dans Anthropologie structurale, Lévi-Strauss

reproche cependant à Boas de sʼen tenir à cette explication dʼordre technique et la prolonge

par une interprétation sociologique. Il formule ainsi sa théorie du « dédoublement de la

représentation » où le « biologique », via le support que constitue le visage, est, par

renversement, subordonné au « social » (la peinture dʼune représentations animale constituant

un marquage qui assigne à lʼindividu son statut), sans que jamais les deux termes ne soient

dissociés53

.

Boas nʼignore pas cette dimension sociologique, mais il ne lʼa jamais énoncé avec la

même clarté que Lévi-Strauss. Il souligne cependant que cette « exubérance des formes »

traduit la marge de manœuvre dont dispose lʼartiste pour conférer à sa production une

dimension esthétique. Lʼartiste peut ainsi sʼaffranchir des normes imposées sans que cela

remette en question lʼordre social établi. Au contraire, il contribue de la sorte à le dynamiser

par sa réorganisation partielle.

Libérant la forme artistique du carcan de son contenu (fonctions sociales,

représentatives et symboliques) et de ses contraintes techniques de réalisation, Boas restitue

aux « arts primitifs », et aux artistes individuellement, tout leur potentiel créatif. Lʼartiste est

libre dʼinnover par lʼintroduction de nouveaux décalages affectant lʼunité graphique de sa

réalisation. Il crée ainsi de nouvelles formes, souvent « inspirées par les rêves »,

conformément aux explications fournies par plusieurs informateurs de Boas et de ses élèves.

Les « arts primitifs » sont ainsi le produit de tensions, et non dʼoppositions, entre des

dimensions conservatrices externes (fonctions sociales, représentatives et symboliques) et des

logiques internes (psychiques) propres aux artistes.

Boas attribue enfin aux arts et aux mythes une capacité de renouvellement -

incomparable dans les autres sphères socioculturelles, comme la langue ou les rites - qui sert

de moteur aux mutations des sociétés quʼil conçoit en perpétuel mouvement. En conséquence,

lʼobservation des « débordements » constitue une entrée privilégiée sur les logiques à lʼœuvre

dans ces processus de transformation.

53

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op.cit. p.302

21

La dernière section de l’ouvrage est la traduction, par Camille Joseph, dʼun article de

Franz Boas, paru pour la première fois en 1887 dans la revue Science et intitulé « Lʼétude de

la géographie » (« The Study of Geography »). Plutôt quʼune conclusion à ce collectif, ce

texte complexe - énigmatique par certains aspects - sert de fil conducteur entre les différentes

contributions et de miroir à lʼensemble de lʼœuvre Boas. Avec lʼarticle « The Aim of

Anthropology » (daté de 1888), Boas le range en toute fin de son anthologie Race, Language,

Culture (1940), parmi les textes « divers » (miscellaneous). Dans sa préface, il présente ces

articles comme « deux textes généraux anciens » (« two very early general papers ») qui

« indiquent lʼattitude générale qui sous-tend [son] travail récent » (« they indicate the general

attitude underlying my later work »)54

.

Dans cet article, Boas discute des limites et des méthodes de la géographie, ainsi que

de son rapport aux autres sciences. Il la situe initialement au carrefour de deux approches qui

répondent, selon lui, à deux aspirations différentes de lʼesprit humain qu’il se refuse à

hiérarchiser. Soucieux de maintenir une unité de la science, il sʼoppose aussi à une

différenciation radicale des deux pôles. Dʼune part, lʼapproche « physique » (ou

« naturaliste », illustrée par le système des sciences dʼAuguste Comte) qui a vocation à

déduire des lois générales depuis lʼobservation des faits et correspond à un « désir

esthétique » de classer les faits et de généraliser. Dʼautre part, lʼapproche « historique » (ou

« cosmographique », en référence à lʼœuvre dʼAlexandre von Humboldt) se focalise de façon

inductive sur un phénomène en particulier, qui se doit dʼêtre étudié en interne et pour lui-

même, afin de combler une « impulsion affective » qui consiste à comprendre chaque

phénomène qui entoure lʼêtre humain. Dʼun côté la propension à la généralisation, de lʼautre

la prépondérance de lʼinterprétation. Il est important de noter ici que cette distinction ne

correspond pas au découpage actuel existant entre « sciences exactes » et « sciences

humaines ». Boas classe ainsi la biologie du côté du naturalisme (mais nuancera

postérieurement ce jugement en incluant lʼapproche darwinienne dans la seconde catégorie),

et la botanique ou la zoologie dans la cosmographie55

. Cʼest aussi du côté de la cosmographie,

pour laquelle il montre déjà un intérêt supérieur, quʼil fait finalement pencher la géographie,

et du même coup lʼanthropologie quʼil présente comme l’une de ses composantes.

54

Franz Boas, Race, Language and Culture, op.cit. p.VI (traduction de l’auteur) 55

Yu Xie, « Franz Boas and Statistics », Annals of Scholarship, 5, 1988, pp.269-296; Gildas Salmon, « Forme et

variante : Franz Boas dans lʼhistoire du comparatisme », art.cit. p.196 ; Michel Trautmann-Waller, « Unité de

l’humanité ou unité de la science ? », art.cit. p.70

22

Conclusion

La théorie boassienne est, peut-être avant tout, une pensée qui ne se laisse pas

enfermer dans le carcan des classifications et des théories réductrices, ni dans une conception

du monde positive ou étriquée. Boas avait intuitivement mis à jour le fait que chaque société

contenait en elle les germes du changement, stimulés par la force créatrice de chaque individu

et par le contact avec dʼautres sociétés. Il ne concevait pas qu’une seule d’entre elles puisse

être sclérosée, que les transformations à lʼœuvre ne sʼinscrivent pas dans une dynamique

constante.

Soucieux du devenir des populations quʼil étudiait et de leur culture (quʼil ne

considérait pas comme un phénomène complètement abstrait), Boas nʼavait peut-être pas

perçu que les bouleversements majeurs apportés par la colonisation, et lʼimposition dʼune

institution aussi hégémonique que lʼappareil étatique, participaient, au même titre que les

contacts entre tribus, aux mutations quʼil sʼétait donné pour mission dʼobserver.

Lʼélargissement de son modèle constitue, de ce point de vue, une posture théorique pertinente

pour lʼanalyse des processus rangés aujourdʼhui sous le vaste concept de « globalisation ».

Dans la tradition ethnologique française, cela reviendrait à réintroduire lʼétude des processus

de diffusion - cʼest-à-dire à redonner aux analyses anthropologiques une réelle profondeur

historique - trop longtemps écartée en raison des positions excessives des écoles

diffusionnistes européennes du XIXe siècle.

Plutôt que de voir en Boas, et dans sa posture pluraliste, le précurseur de tous les

courants de lʼanthropologie, y compris postmoderne par sa critique systématique des théories,

ne serait-il pas plus judicieux de chercher dans son œuvre foisonnante les outils conceptuels et

méthodologiques adaptés aux enjeux actuels posés par la discipline ? Les précautions

méthodologiques face aux données et la place centrale accordée aux variations ne viennent-

elles pas opportunément contrebalancer les élans interprétatifs de Clifford Geertz56

en évitant

la dilution des prétentions réalistes de lʼanthropologie dans la critique postmoderne ?

Les « débordements » engendrés par le potentiel créatif de lʼindividu (expérimentés

par les artistes indiens au travers de lʼ« exubérance des formes »), compris dans la tension

entre les dimensions conservatrices posées par les normes (et fonctions) sociales et les

logiques internes (psychiques) du renouvellement des formes, ne font-ils pas écho aux « arts

de faire » décrits par Michel de Certeau57

? Sans tomber dans l’individualisme

56

Clifford Geertz, Bali. Interprétation d’une culture. Traduit de lʼanglais par Denise Paulme et Louis Évrard,

Paris, Gallimard, 1983 [1973] 57

Michel de Certeau, L’invention du quotidien (Tome 1). Arts de faire. Paris, Gallimard, 1990

23

méthodologique, il s’agit de deux facettes des micro-stratégies mises en œuvre par les

individus pour contourner les normes et les grands modèles idéologiques du système dans

lequel ils sont insérés. La société n’est plus comprise comme « une totalité cohérente et

surplombante »58

. « Débordements » et « arts de faire » contribuent, chacun à leur manière, à

la réorganisation de lʼordre social et politique, sans le remettre radicalement en question.

La conception boassienne du relativisme culturel, combinée à la prépondérance du

« cadrage indigène de lʼinformation » dans le rééquilibrage des classifications, confère aux

catégories indigènes de lʼexistence et du rapport au monde la dimension dʼontologie valide.

Les positions de Boas ne sont-elles pas alors bonnes à (re)penser dans le cadre du « tournant

ontologique » considéré comme lʼune des bases actuelles du renouvellement épistémologique

de lʼanthropologie ? Enfin, la démonstration empirique de la vacuité des thèses racistes et la

question de la place du chercheur dans la Cité sont plus que jamais dʼactualité.

Lʼouvrage collectif dirigé par Michel Espagne et Isabelle Kalinowski constitue de ce

point de vue une riche entrée en matière pour un renouvellement de la réflexion autour des

positions théoriques et méthodologiques de Boas. Il est sans conteste une lecture

indispensable pour assurer le passage des idées de Boas dans la tradition ethnologique

française, trop longtemps retardée en raison de lʼabsence dʼun large débat francophone autour

du père de lʼanthropologie américaine et de traductions françaises de son œuvre en nombre

suffisant et de qualité.

58

Jean-Pierre Olivier de Sardan, La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-

anthropologique. Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 2008, p.251

24

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Jérôme Soldani, anthropologue, post-doctorant à lʼInstitut dʼHistoire de Taïwan,

Academia Sinica (Taipei), chercheur associé à lʼInstitut dʼethnologie méditerranéenne,

européenne et comparative (Idemec, UMR 7307, Aix Marseille Université), à lʼInstitut

dʼAsie Orientale (IAO, UMR 5062, ENS de Lyon) et à lʼantenne Taipei du Centre

dʼÉtudes Français sur la Chine contemporaine (CEFC, UMIFRE 18).

http://www.journaldumauss.net/?Les-yeux-et-le-coeur-de