Les numéraux avant les nombres? L’esprit étendu et la cognition numérique *BROUILLON*

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Les numéraux avant les nombres? L’esprit étendu et la cognition numérique Résumé Le présent texte tente de jeter de la lumière sur une hypothèse problématique que partagent plusieurs théories récemment proposées pour expliquer l’origine du concept de nombre. Bien que le domaine de la cognition numérique soit encore trop jeune pour parler d’idée reçue, il n’en demeure pas moins que l’existence de symboles numériques dans l’environnement joue un rôle central dans les théories les plus citées dans la littérature – dont celles de Stanislas Dehaene, Susan Carey, et Helen DeCruz. Je propose de démontrer que, dans ces trois modèles, le développement de concepts de nombres est le résultat d’une interaction entre l’être humain et des symboles numériques dans son environnement. En se fiant à une telle interaction, ces théories font ainsi appel à une forme de cognition externalisée et d’esprit étendu pour expliquer l’émergence d’une nouvelle catégorie de représentations, celle des nombres. Or, si l’argument présenté ci-dessous tient la route, un tel appel à des symboles numériques pour expliquer l’émergence du concept de nombre est l’équivalent philosophique de placer la charrue devant les bœufs, puisque ces symboles sont parasitiques sur les concepts de nombres dont on tente d’expliquer l’émergence. 1. Introduction : l’émergence de la cognition numérique Bien qu’il n’y a pas de consensus nous permettant d’affirmer que Frege (1884) a réussi à fournir une définition adéquate du concept de nombre en termes purement logiques, les philosophes s’entendent néanmoins pour dire que son logicisme ne nous permet aucunement de déterminer comment des êtres subjectifs comme les humains peuvent apprendre à manipuler des entités en apparence objectives comme les 1

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Les numéraux avant les nombres?L’esprit étendu et la cognition numérique

Résumé

Le présent texte tente de jeter de la lumière sur une hypothèse problématique que partagent plusieurs théories récemment proposées pour expliquer l’origine du concept de nombre. Bien que le domaine de la cognition numérique soit encore trop jeune pour parler d’idée reçue, il n’en demeure pas moins que l’existence de symboles numériques dans l’environnement joue un rôle central dans les théories les plus citées dans la littérature – dont celles de Stanislas Dehaene, Susan Carey, et Helen DeCruz. Je propose de démontrer que, dans ces trois modèles, le développement de concepts de nombres est le résultat d’une interaction entre l’être humain et des symboles numériques dans son environnement. En se fiant à une telle interaction, ces théories font ainsi appel à une forme de cognition externalisée et d’esprit étendu pour expliquer l’émergence d’une nouvelle catégorie de représentations, celle des nombres. Or, si l’argument présenté ci-dessous tient la route, un tel appel à des symboles numériques pour expliquerl’émergence du concept de nombre est l’équivalent philosophique de placer la charrue devant les bœufs, puisqueces symboles sont parasitiques sur les concepts de nombres dont on tente d’expliquer l’émergence.

1. Introduction : l’émergence de la cognition numérique

Bien qu’il n’y a pas de consensus nous permettant d’affirmerque Frege (1884) a réussi à fournir une définition adéquate du concept de nombre en termes purement logiques, les philosophes s’entendent néanmoins pour dire que son logicisme ne nous permet aucunement de déterminer comment des êtres subjectifs comme les humains peuvent apprendre à manipuler des entités en apparence objectives comme les

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nombres. Ceci n’a rien de surprenant, puisque les concepts chez Frege sont des entités abstraites, qui existent au delàdu temps et de l’espace. Leur existence est donc indépendante de tout sujet et de ses états mentaux. Cette omission n’est pas spécifique à Frege, bien entendu : toute théorie qui tente d’expliquer le caractère objectif des nombres en les positionnant dans un monde platonique au delàde l’espace et du temps souffre d’une grave lacune épistémologique (voir Benacerraff 1973; 1984).

Étant donné ces limitations épistémologiques, il est regrettable que la campagne anti-psychologistique de Frege au tournant du 20e siècle ait obtenu tant de succès. En effet, presqu’aucun psychologue n’a osé explorer la questionde comment notre cerveau en arrive à représenter les nombresjusqu’à la fin du 20ème siècle, mis a part Piaget et quelqueautres exceptions. Bien que l’absence d’outils méthodologiques et technologiques y soit pour quelque chose,l’anti-psychologisme de Frege – combiné à celui de Husserl, entre autres – a certainement été un facteur important derrière cette absence de recherche sur la cognition numérique.

Heureusement, cette tendance fut complètement renversée au cours des vingt dernières années. Grâce au développement de nouvelles méthodes d’expérimentation dans divers champs des sciences cognitives, il est maintenant possible d’approcher la question de comment notre cerveau représente les nombres de manière expérimentale. De nos jours, des domaines aussi variés que la psychologie développementale, l’anthropologie,la linguistique, la neuropsychologie, l’éthologie, et la philosophie contribuent à une explosion de résultats empiriques sur la nature des concepts de nombre.

Bien que ce développement représente un progrès majeur dans notre compréhension de la façon dont notre système nerveux pourrait arriver à représenter des entités objectives comme des nombres, la recherche sur la nature de la cognition numérique suscite plusieurs questions quant à la relation

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entre la psychologie et les mathématiques. Après tout, s’il est possible d’expliquer le développement du concept de nombre à partir de notions psychologiques, il semble clair que l’on doit se poser des questions quant à la pertinence du platonisme mathématique. Par exemple : l’expérimentation dans le domaine de la cognition numérique peut-elle expliquer le développement de concepts aussi objectifs que celui de NOMBRE1? Est-il possible de construire un concept de nombre qui pourrait satisfaire les demandes de la pratique mathématique en se servant de mécanismes psychologiques? Si oui, cela veut-il dire que l’on doit abandonner le platonisme mathématique de Frege?

Le présent texte propose une analyse critique de réponses offertes à ce genre de question par des chercheurs en cognition numérique dans les dernières années. Dans la prochaine section, je présente un bref résumé de certaines données empiriques concernant la cognition numérique. Par lasuite, je résume les grandes lignes de théories souvent citées dans la littérature – celles de Stanislas Dehaene, Susan Carey, et Helen DeCruz. Bien qu’elles fassent appel à des processus bien distincts, ces théories se fient toutes àl’existence de symboles numériques dans l’environnement pourexpliquer le développement de nos concepts de nombres. Dans la dernière section, je développe un argument selon lequel on ne peut se fier à l’existence de symboles numériques pourexpliquer le développement de ces concepts, puisque cela constitue une pétition de principes.

2. La perception de la numérosité

L’étude de la cognition numérique a donné lieu à de nombreuses découvertes intéressantes dans les dernières années. Parmi elles, la découverte de systèmes neuronaux impliqués dans la détection du nombre de stimuli dans l’environnement est certainement une des plus importantes. 1 Je suis la convention selon laquelle le nom d’un concept est écrit en majuscules.

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Dans cette section, je résume les données concernant deux systèmes cognitifs qui semblent jouer un rôle dans le développement des concepts de nombre, le Approximate Number System (ANS), et le Object-File System (OFS).

Un premier système, que Stanislas Dehaene (2011) a baptisé le ‘sens des nombres’, représente le nombre d’individus dansnotre environnement grâce à une représentation analogue dansnotre cerveau dont la taille est proportionnelle au nombre d’éléments perçus. Ainsi, l’activation neuronale produite par ce système est une fonction de la numérosité2 des stimuli perçus par le sujet3. Une des signatures de ce système est que son seuil de discrimination suit la loi de Weber-Fechner, selon laquelle notre capacité de différencierdeux stimuli est proportionnelle au ratio de leur intensité.Autrement dit, plus deux stimuli sont similaires en termes d’intensité, plus il est difficile de les distinguer.

Bien qu’il peut paraître quasi-tautologique d’affirmer que plus deux choses sont similaires, plus il est difficile de les distinguer, il est important de savoir que la loi de Weber s’applique normalement aux données sensorielles. Il est donc surprenant de découvrir que la perception de ce quisemblerait être une propriété plus abstraite dans notre environnement (le nombre d’éléments) suive la même loi que les sens. Après tout, il ne semble pas évident que l’être humain ait plus de difficulté à distinguer entre 20 et 24 points qu’entre 4 et 8 points, compte tenu que dans les deux

2 Le terme ‘numérosité’ décrit ici le nombre d’objets discernables par nos sens dans un stimulus en particulier. Cette propriété est ici considérée comme distincte de la cardinalité d’un ensemble, qui décrit le nombre d’éléments dans l’ensemble, peu importe ce que nos sens peuvent y discerner.3 Étonnamment, il semblerait que certains neurones soient dédiés à la détection de numérosités spécifiques, pour des ensembles de stimuli dontla taille pourrait même dépasser 30 éléments (voir Nieder & Miller : 2003; Nieder & Merten 2007). Ainsi, certains neurones s’activeraient davantage lorsqu’une personne est exposée à des stimuli comportant 16 éléments, tandis que l’activation serait plus prononcée pour d’autres neurones lorsque le système détecte des stimuli comportant 28 éléments.

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cas la différence est de 4. Or, plusieurs expériences suggèrent que c’est pourtant le cas.

En effet, cette loi s’applique aussi à la détection du nombres d’éléments dans un ensemble : plus deux stimuli comportent un nombre similaire d’éléments discernables, plusnous aurons de la difficulté à les distinguer. La loi de Weber décrit notre capacité de distinguer des stimuli numériques dans diverses modalités sensorielles (par exemple, ensembles de points, ou de sons), mais aussi à des évènements (par exemple, le nombre de sauts effectués par une marionnette). Le fait que ce système suit la loi de Weber explique pourquoi il est généralement connu sous le nom de Approximate Number System (ANS) : bien qu’il soit dédié à la détection de quantités dans notre environnement, le ANSest visiblement limité dans sa précision, et ce, de manière exponentielle à mesure que la numérosité augmente.

La loi de Weber-Fechner est confirmée expérimentalement par la présence de deux de ses corrolaires, l’effet de taille etl’effet de distance. On observe l’effet de distance puisqu’une plus grande distance numérique entre deux stimulise traduit par une plus grande facilité de les distinguer : il est plus facile de différencier des stimuli comportant 8 vs. 16 points que 8 vs. 12 points. Similairement, plus deux numérosités sont grandes, plus la distance numérique entre elles doit être grande pour qu’il soit possible de les différencier : c’est l’effet de taille. Par exemple, on remarque qu’il est possible de facilement distinguer des images comportant 8 et 16 points respectivement, et non entre des images comportant 16 et 24 points, malgré la différence de 8 unités dans les deux cas.

On observe la présence des effets de taille et de distance dans la capacité de percevoir la numérosité de stimuli autant chez l’adulte éduqué que chez les enfants préverbaux que chez les adultes vivant dans des tribus sans mots pour des nombres précis4. Par exemple, les enfants de 6 mois 4 Voir Dehaene 2011; Carey 2009, ch. 4, pour un compte rendu.

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distinguent entre des images comportant 4 vs. 8, 8 vs. 16, et 16 vs. 32 points, mais pas 8 vs. 12, ou 16 vs. 24, ce quiindique que leur capacité est limitée à des stimuli dont lesnumérosités affichent un ratio de 1:2 (Xu & Spelke : 2000). Cette capacité s’améliore rapidement, puisqu’à l’âge de 9 mois, ils sont capables de distinguer entre des stimuli comportant des numérosités dont le ratio est de 2:3, mais pas 3:4 (Spelke & Lipton 2003; 2004). Chez les adultes, on remarque des limitations similaires lorsque la tâche est de comparer deux stimuli selon leur numérosité. Résultat surprenant, les effets de taille et de distance sont même observables lorsqu’on doit comparer la taille de nombres présentés soit sous forme de chiffres arabes ou alphabétiques (Moyer & Landauer 1967; Dehaene 2011).De plus, l’existence de ce système est aussi confirmé chez plusieurs espèces animales, incluant les chimpanzés, les dauphins, les perroquets, mais aussi les salamandres et les rats (voir Dehaene & Brannon 2011, section IV).

À noter, plusieurs expériences suggèrent que la représentation de la quantité approximative chez l’être humain est possible grâce à un système de neurones dédiés situé dans le sillon horizontal du lobe pariétal (Dehaene etal. 1999; Dehaene 2011 ch. 7-10).

Un autre système semble impliqué dans la détection de nombres d’objets dans notre environnement : le Object-File System (OFS). Contrairement au ANS, le OFS n’est pas exclusivement dédié à la représentation de numérosités dans l’environnement. Plutôt, ce système permet des représentations précises des propriétés spatiotemporelles d’un nombre limité d’objets. Le OFS nous fournit donc de l’information sur le nombre d’objets, mais de manière implicite. En effet, bien que ce système nous permette de distinguer des stimuli en fonction de leur numérosité, il nesemble pas y avoir de raison d’en conclure qu’il soit dédié à la représentation d’information numérique. Plutôt, il serait utilisé pour garder en mémoire active la position et

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le mouvement d’un nombre très restreint d’objets (Feigenson et al. 2004).

Certaines expériences (Wynn 1992; Feigneson et al. 2002) indiquent que de jeunes enfants sont aptes à représenter de façon exacte au maximum trois objets en même temps. Ils réussissent à additionner et à soustraire 1 ou 2 éléments, mais sont néanmoins incapables de différencier 3 vs. 4 ou 3 vs. 8 objets. Ni l'effet de taille ni l'effet de distance nes'appliquent à cette échelle numérique très restreinte car même si l'on augmente la différence de numérosité les enfants éprouvent toujours autant de difficulté à distinguerles stimuli. De plus, les données à cette échelle ne suiventpas la loi de Weber. En effet, la capacité de discriminationest la même lorsque les enfants discernent 1 de 2 et 2 de 3 objets. Comme ces données ne partagent aucune des propriétésassociées avec les données recueillies en relation avec le ANS, il semble clair que nous parlons ici d’un système cognitif distinct.

Bien entendu, les limitations évidentes de ces systèmes suggèrent qu’ils ne peuvent à eux seul expliquer l’émergencede nos capacités arithmétiques. En effet, tandis que le ANS est limité dans sa précision, le OFS est grandement limité dans sa portée, étant limité à un maximum de 4 objets (voir Izard et al. 2008 sur ces limitations). Nous sommes donc loin ici de savoir comment ces systèmes de base pourraient être impliqués dans le développement de représentations avecla taille et la précision des concepts de nombres. La prochaine section résume trois des théories principales proposées récemment pour expliquer l’émergence des concepts de nombre à partir de systèmes cognitifs comme ceux décrits ici.

3. Théories contemporaines

3.1 Dehaene

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Selon Stanislas Dehaene, les mathématiques formelles sont lerésultat d’une combinaison de plusieurs systèmes cognitifs partagés avec le royaume animal, dont le ANS et le OFS. Pourexpliquer l’émergence de capacités numériques plus avancées uniquement humaines, Dehaene fait appel au langage et à la capacité qu’a l’être humain d’inventer des systèmes de symboles externes :

Certain structures of the human brain that are still farfrom understood enable us to use any arbitrary symbol, be it a spoken word, a gesture, or a shape on paper, as a vehicle for a mental representation. Linguistic symbols parse the world into discrete categories. Hence,they allow us to refer to precise numbers and to separate them categorically from their closest neighbours. Without symbols, we might not discriminate 8from 9.  (Dehaene 2011:79)

Il existe effectivement plusieurs raisons de penser que le langage soit lié au développement de l’arithmétique précis. Par exemple, des expériences suggèrent une forte dissociation entres les régions du cerveau impliquées dans l’arithmétique approximative, partagée avec les animaux et les enfants préverbaux, et l’arithmétique précise, qui semble faire appel aux mêmes régions que le langage (voir, entre autres, Dehaene et al. 1999; Piazza et al. 2004). ChezDehaene, le langage est donc nécessaire pour préciser les représentations de base de l’ANS.

Pour ce qui est de comment le langage en serait venu à modifier nos intuitions numériques approximatives, Dehaene propose un processus en trois étapes. Premièrement, l’être humain a utilisé des parties de son corps pour compter des éléments de son environnement. L’idée ici est qu’une quantité dans l’environnement devient associée à une partie du corps, et qu’une personne pointe à cette partie de son corps lorsqu’elle veut désigner un nombre en particulier. Dans la deuxième phase, nous avons commencé à utiliser des mots pour les parties du corps ainsi énumérées, pour ainsi

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nous permettre d’utiliser nos mains pour d’autres tâches sans nous empêcher de communiquer à propos de quantités. En dernier lieu, nous avons développé une syntaxe numérique pour remplacer ces mots reliés aux parties du corps, jugés peu pratiques face à l’émergence d’échanges commerciaux et de pratiques de comptabilisation de plus en plus complexes (Dehaene 2011 : 81). D’ailleurs, on observe de nos jours desreliques de cette ère dans plusieurs langues, puisque certains numéraux affichent encore des références à des parties du corps dans leur étymologie (voir Ifrah 1998; Dehaene 2011; Hurford 1987).

3.2 Susan Carey et le Bootstrapping quinien

Dans son opus The Origin of Concepts (2009), Susan Carey décrit une théorie selon laquelle nous sommes nés avec un noyau de représentations ayant du contenu conceptuel, dont AGENT, OBJET, et NOMBRE. Contrairement aux concepts issus des sens (par exemple, ROUGE), Carey suggère que le contenu des concepts de base (Core Concepts) ne peut s’exprimer grâce à des descriptions purement spatiotemporelles d’objets externes. Par exemple, on ne peut expliquer ce qu’est une cause ou ce qu’est un agent en utilisant seulement des descriptions basées sur les mouvements de certains objets, puisque CAUSE et OBJET représentent davantage d’information que ce qui est disponible dans des descriptions purement spatiotemporelles.

Prenons par exemple une description en termes purement spatiotemporels des mouvements d’une personne qui aide une autre à pousser son auto : comment une telle description desmouvements de ces deux personnes pourrait-elle réussir à rendre justice au pouvoir causal des intentions bénévoles d’un agent, ou de sa représentation d’un objectif comme celui d’aider une autre personne? Il n’y a aucun analogue ducontenu de concepts comme CAUSE ou AGENT dans une telle description. Si OBJET pouvait être réduit à ce qui est observable dans l’espace et le temps, pourquoi penserait-on

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qu’une personne assise derrière le volant d’une auto, vue del’extérieur, a des jambes, si ces jambes ne sont pas observables? OBJET nous permet de représenter la permance etl’identité trans-temporelle des objets, ce qu’une description en termes purement spatiotemporels ne peut expliquer.

Carey distingue donc le contenu des représentations sensorielles, dont le contenu peut être décrit en termes spatiotemporels, à celui des représentations issues du noyauconceptuel, dont le contenu ne peut ainsi être décrit, étantdonné qu’il inclut de l’information conceptuelle supplémentaire. Or, même en acceptant de conférer ce statut privilégié aux concepts de base, le fait demeure que les concepts de nombres du noyau conceptuel – ceux que l’on partage avec les animaux et les enfants préverbaux – sont bien différents de ceux utilisés en mathématiques. En plus des limitations mentionnées dans la section précédente, il est évident que les concepts de nombres issus du noyau conceptuel, étant donné leur caractère approximatif et limité, sont incommensurablement inférieurs en termes de la quantité et du type d’inférences dans lesquels ils peuvent figurer aux concepts de nombres des mathématiques, qui décrivent des objets précis, potentiellement infinis, et quipeuvent figurer dans des inférences mathématiques.

Ces différences majeures entre les concepts de base et les concepts mathématiques suggèrent une forme de discontinuité au niveau développemental. Pour expliquer cette discontinuité, on doit trouver une sorte d’apprentissage capable d’expliquer comment le contenu initial représenté par un système cognitif peut se développer pour atteindre un niveau de généralité et d’expressivité si différent. Selon Carey, le processus qui permet l’apprentissage de nouveaux concepts est le bootstrapping conceptuel.

La première étape dans un ce processus est l’apprentissage d’un ensemble d’éléments qui, initialement, ne sont identifiables que par leur position dans une structure :

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« [i]n Quinian bootstrapping episodes, mental symbols are established that correspond to newly coined or newly learnedexplicit symbols. These are initially placeholders, getting whatever meaning they have from their interrelations with other explicit symbols. » (Carey 2011 :120) Dans le cas de l’apprentissage des nombres, cette structure est la liste des numéraux (1, 2, 3, 4…). Initialement, nous n’attachons aucune signification aux éléments de cette liste. Chaque élément n’est identifiable que par sa position une séquence sans signification. Ce n’est qu’après plusieurs mois que nous commençons à bien appliquer le mot ‘un’. Après quelquesautres mois, nous apprenons comment utiliser le mot ‘deux’, et, après un certain temps, ‘trois’ (Wynn 1990).

Pour être en mesure de comprendre la signification de la liste au complet, les enfants doivent éventuellement faire une induction qui leur permet de comprendre que le prochain élément dans la liste représente le prochain nombre. Selon Carey, c’est entre autre grâce au langage – plus particulièrement, à la distinction entre singulier et pluriel présente dans les quantificateurs des langues naturelles – que cette réalisation est possible : « Within the language acquisition device, a third innate system of representation with numerical content supports the learning of natural language quantifiers” (Carey 2011:118). L’idée serait que les enfants remarquent certaines régularités dansl’usage de certains types de mots qui indiquent le lien entre ces mots et des quantités. Initialement, cette distinction n’est possible que grâce à la distinction entre singulier et pluriel. Mais l’apprentissage de mots liés à des quantités comme ‘une paire’ ou ‘les triplettes’ permettrait aux enfants de compléter l’induction nécessaire pour réaliser la signification des nombres. Étonnamment, chez Carey, le ANS ne joue aucun rôle dans l’apprentissage des nombres. Seuls le langage, le OFS, et la capacité de mettre des objets en correspondance 1-1 sont actifs.

3.3 Helen DeCruz et la cognition étendue

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Un autre modèle de l’apprentissage des nombres qui a suscitéde l’intérêt au cours des dernières années est celui de Helen DeCruz, qui se base sur la notion de la cognition étendue (extended cognition), introduite non sans controverse par David Chalmers et Andy Clark (1998). L’innovation remarquable de la notion de cognition étendue est bien illustrée par l’exemple classique de Clark et Chalmers qui décrivent Otto, un homme qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Pour compenser pour les limitations de sa mémoire, Otto a toujours sur lui un calepin dans lequel il ainscrit des informations qui pourraient lui être utiles. Un jour, il apprend qu’il y a une exposition au musée. Étant donné qu’il ne se rappelle plus d’où est situé le musée, Otto consulte son calepin et se dirige à l’adresse indiquée.Selon Clark et Chalmers, il est possible de comparer cette situation à celle d’une personne sans troubles de mémoire qui, voulant aller au musée, ne fait que consulter sa mémoire cérébrale pour trouver la localisation du musée. La différence entre les deux est limitée au fait que, chez Otto, une partie de la cognition est externe au cerveau, ce qui impliquerait donc une forme de cognition étendue, dans laquelle des éléments de notre environnement font partie de processus cognitifs traditionnellement limités aux frontières de notre crane.

Empruntant à Clark et Chalmers leur externalisme actif, selon lequel l’environnement a un rôle constitutif dans nos processus cognitifs, DeCruz propose que nos capacités arithmétiques précises soient le résultat d’une interaction active entre notre esprit et des symboles numériques. Sans prendre part dans le débat entourant la légitimité de l’idéede la cognition étendue (sur ce débat, voir Menary 2010), onpeut tout de même comprendre comment DeCruz voudrait appliquer cette notion à la cognition numérique : ici, l’idée serait que les représentations de nombres - que ce soit sous forme de parties du corps, de billes sur un Abacus, ou de numéraux modernes – feraient similairement partie d’un système de cognition externalisée. Dans chacun

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de ces cas, l’utilisation de symboles externes nous permet de représenter les nombres :

External symbolic representations of natural numbers arenot merely converted into an inner code; they remain an important and irreducible part of our numerical cognition…During cognitive development, the structure ofthe brain is adapted to the external media that represent natural numbers in the culture where one is raised. In this way, the interaction between internal cognitive resources and external media is not a one-way traffic but an intricate bidirectional process: we do not just endow external media with numerical meaning, without them we would not be able to represent cardinalities exactly. (DeCruz 2008 : 487)

L’utilisation de symboles externes modifierait donc notre cerveau pour nous permettre de développer des concepts de nombres. Sans ces symboles, la cognition numérique serait impossible.

4. Problème : des numéraux sans nombres?

Bien que ces trois théories proposent des solutions bien différentes au problème de l’apprentissage des concepts de nombres, elles font toutes appel à l’existence de symboles numériques dans l’environnement. Chez Dehaene, on retrouve des symboles pour des quantités précises, d’abord sur notre corps, et, par la suite, dans des systèmes linguistiques et numériques. Chez Carey, on se fie à l’existence de listes denuméraux. Quant à DeCruz, elle fait explicitement appel à unexternalisme actif dans lequel les symboles numériques sont un élément essentiel de l’apprentissage et du développement des concepts de nombres.

Or, ceci me semble gravement problématique : comment, dans chacun de ces cas, explique-t-on l’émergence de ces symbolesde nombres sans faire appel à des concepts de nombres? Le

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fait de se fier à l’existence de listes de numéraux chez Carey, par exemple, semble clairement dépendre de l’existence de concepts de nombres : comment un symbole devient-t-il un symbole pour un nombre si nous n’avons pas encore le concept NOMBRE? L’émergence de ces listes de numéraux ne dépend-elle pas sur l’existence de ces même concepts? Or, c’est précisément le développement de ces concepts que nous tentons d’expliquer. Comment justifier un appel à de tels listes dans ce cas?

Le même raisonnement peut aussi être appliqué à l’émergence de pratiques impliquant l’association de quantités précises dans notre environnement à des parties du corps : dans ce cas, comment expliquer le développement de QUANTITÉ PRÉCISE qui se cache derrière une telle pratique? Comment pourrait-on expliquer qu’une personne vienne à représenter une quantité précise – disons, 23 – sur son genou, sans préalablement avoir construit la représentation de cette quantité précise?

Il semble donc que se fier à l’existence de symboles numériques pour expliquer le développement de concepts de nombres soit une forme de pétition de principes : on tente d’expliquer le développement de concepts de nombre en se fiant à des symboles numériques qui eux-mêmes dépendent du concept de nombre pour leur émergence. Si cet argument tientla route, il semblerait bien avisé d’abandonner toute référence à l’existence de symboles numériques dans l’environnement pour expliquer le développement de concepts de nombres. Après tout, les véritables mécanismes derrière l’origine des concepts de nombres ne sont-ils pas précisément ceux qui ont permis (et précédé) l’émergence de symboles au contenu numérique, peu importe si ces symboles sont sur notre corps, dans notre langage, ou inscrits dans des livres? Est-il possible d’expliquer l’émergence de concepts de nombres en termes de cognition étendue sans êtreforcé à faire appel à de tels processus cognitifs plus élémentaires?

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5. Réponses possibles

Pour répondre à cette dernière question, peu d’options intéressantes semblent être disponibles pour les théories qui se fient à une forme de cognition étendue impliquant dessymboles au contenu numérique. Dans un premier cas, on pourrait nier que l’émergence d’un symbole dépend de l’existence d’une représentation dont le contenu est la signification de ce symbole. Mais dans ce cas, comment explique-t-on qu’une signification particulière devient associée à ce symbole? Comment expliquer, par exemple, un dessin d’un cheval, sans que l’artiste derrière ce dessin possède le concept CHEVAL, sous une forme ou autre?

Une autre option serait de limiter les dégâts en proposant que ces théories ne décrivent que la manière dont les concepts de nombres se développent de nos jours, dans un monde où des symboles pour des numéraux sont déjà disponibles. La question de l’origine historique de ces symboles serait donc distincte de celle de comment nous les acquérons de nos jours. Malheureusement, dans ce cas, on doit postuler l’existence d’un processus distinct pour l’émergence des premiers concepts de nombres, et par la suite expliquer la transition entre ce processus et celui présent dans les temps modernes. Ceci semble compliquer gravement la situation – sans pour autant avancer notre compréhension de l’émergence de symboles ayant un contenu numérique dans le passé.

Une autre avenue potentiellement alléchante pour expliquer comment la cognition étendue pourrait donner naissance à desconcepts de nombres précis serait de faire appel à une formeou autre d’évolution culturelle (Dawkins 1976; Dennett 1995;Aunger 2001). Ici, inutile de mettre le poids du développement dans la tête d’un seul individu, ni même de sefier à des symboles au contenu pleinement numérique. Plutôt,on pourrait se fier à des mécanismes d’héritage culturel dans lesquels la propagation et le développement de symboles

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numériques seraient expliqués en relation à leur utilité grandissante dans des sociétés avancées. Initialement, les symboles numériques pourraient dans ce modèle être associés à un autre contenu, et leur développement serait expliqué par des processus sociaux et culturels incluant, par exemple, des mutations culturelles (voir, par exemple, Dawkins 2006 : 190). Cette avenue peut effectivement semblerprometteuse : elle semble s’accorder avec les stages de développement mentionnés par Dehaene, elle justifie le recours à la cognition externe de DeCruz, et elle permet d’expliquer comment il peut se développer une discontinuité conceptuelle sans que les ressources cognitives ne changent.

Pour que ce modèle tienne la route, il doit au moins être possible de répondre à deux questions : i) comment un symbole proto-numérique pourrait-il apparaître dans l’environnement, et ii) comment des mécanismes de transmission culturelle d’information pourraient-ils être impliqués dans le développement de la signification numérique de ces symboles – sans qu’un individu ne soit impliqué dans ce développement?

Pour répondre à la première question, on pourrait se fier à la capacité de mettre des objets en correspondance 1-1, qui semble être derrière l’apparition des premiers symboles numériques5. Par exemple, lorsque les premiers bergers voulaient comptabiliser le nombre de moutons qui leur appartenaient, ils pouvaient faire appel à des registres basés sur une forme ou autre de correspondance 1-1. Ainsi, ils pouvaient utiliser des pierres pour représenter chaque mouton en plaçant une pierre dans un sac pour chaque mouton qui sortait de leur enclos, et en enlevant une pierre lorsqu’un mouton entrait. Pour savoir combien de moutons manquaient à l’appel, il suffisait ainsi de voir combien de pierres n’étaient pas revenues dans le sac.

5 Voir Ifrah 1998 pour plus d’information sur les premiers systèmes de symboles numériques.

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Or, comment expliquer cette capacité de mettre des objets encorrespondance 1-1 avec d’autres objets (ici, des pierres etdes moutons) sans mentionner une forme de modification dans le contenu de certains systèmes cognitifs du premier berger à avoir développé cette méthode? Comment expliquer que cettecorrespondance 1-1 entre des objets dans l’environnement soit faite sur une base numérique sans qu’un individu ait déjà en tête le concept de quantité précise? Ici aussi, il semble que des morceaux importants soient absents de l’explication de l’émergence de symboles numériques : comment des systèmes cognitifs innés interagissent-ils entreeux et avec l’environnement pour permettre de mettre des objets en correspondance 1-1 sur une base numérique? De plus, étant donné que cette capacité semble dépendre uniquement sur le OFS, dont le contenu numérique n’est qu’implicitement représenté, comment expliquer que le contenu numérique soit soudainement rendu explicitement représenté? Après tout, comme le démontrent les données recueillies chez les tribus dont les langues n’ont pas de mots pour les nombres ou les quantités précises, il est possible de faire de la correspondance 1-1 sans pour autant avoir des concepts de nombres.

Même si ces considérations ne sont pas définitives, c’est dans la deuxième question que le problème avec cette approche devient encore plus manifeste. On doit, après tout,éliminer toute référence à des processus mentaux individuelssi on veut expliquer le développement de concepts de nombresen termes culturels, puisqu’une telle référence nous forcerait à retourner à la case de départ et à se demander comment un individu pourrait développer du contenu numériquesans lui-même avoir construit ce contenu grâce à des systèmes comme ceux décrits dans la deuxième section – un développement qui semble n’avoir aucun lien avec la culture.Cependant, il est difficile d’expliquer comment une idée partagée par une communauté peut changer sans qu’un individune la comprenne, en premier lieu, avant de la modifier, dansune deuxième étape, sans se fier à une modification dans lesétats mentaux de l’individu en question. C’est cette

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modification dans les états mentaux d’un individu qui permetle développement d’une nouvelle idée, qui, si elle est comprise par d’autres individus, permet d’expliquer comment certaines idées se propagent mieux que d’autres.

Or, cette modification ne peut être expliquée en termes culturels. Au contraire, on doit expliquer l’origine d’une telle modification, d’une ‘mutation culturelle’, en termes de changements qui opèrent sur les systèmes cognitifs d’un individu. Après tout, lorsqu’on parle de mutation génétique, il est possible d’identifier un processus physique de modification (ou de mutation) d’un gène en particulier, qui appartient à un individu. La propagation de cette mutation s’effectue par la suite à travers la reproduction de l’individu en question. Si ces considérations sont véridiques, il semble que l’origine des mutations génétiquesau niveau de l’espèce humaine se trouve dans des modifications ayant eu lieu chez des individus. Si l’on veutappliquer ce genre de discours à l’échelle culturelle pour expliquer l’émergence des symboles numériques, il est difficile d’imaginer comment une explication de cette émergence pourrait se limiter à des considérations purement sociales, sans mentionner le rôle joué dans un individu par,entre autres, des systèmes cognitifs innés comme le ANS ou l’OFS. Autrement dit, on ne sait toujours pas comment des représentations au contenu numérique ont pu se développer à partir de ressources cognitives innées – et c’est pourtant la question la plus importante pour expliquer l’origine du concept NOMBRE.

6. Conclusion

Selon mon analyse, un problème crucial persiste dans toutes les options considérées pour répondre à l’accusation qu’on ne peut faire appel à l’existence de symboles numériques pour expliquer le développement de NOMBRE : on néglige grandement le rôle joué par des processus à l’échelle individuelle. Même si l’approche culturelle contient une partie de la réponse, elle ne semble pas équipée pour

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répondre à cette lacune. Si mon analyse tient la route, lesthéories offertes pour expliquer le développement de nos concepts de nombres semblent mettre la charrue devant les bœufs en se fiant à la présence des symboles numériques. Considérant l’omniprésence de cette pétition de principes dans les théories récentes de cognition numérique, il seraitutile de développer un modèle alternatif qui pourrait tenir compte des restrictions imposées par les résultats des expériences dans le domaine de la cognition numérique. Sans un tel modèle, le gouffre interdisciplinaire entre les résultats obtenus dans les études sur la cognition numériqueet les notions de base utilisées dans l’étude classique des fondements des mathématiques demeure insurmontable. Bien quenous soyons libérés de l’ombre de l’anti-psychologisme Frégéen, nous n’avons malheureusement pas encore de théorie cognitiviste capable d’unifier les résultats empiriques concernant l’ontogénèse et la phylogénèse de nos concepts denombre de manière à nous permettre de justifier un abandon complet de son platonisme.

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