Les Dossiers du Comité Asie n°2

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Ces Dossiers sont le fruit des recherches et du dynamisme des membres du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN. Je tiens à exprimer ma gratitude à chacun des membres pour leur implication et leur contribution. Mes chaleureux remerciements vont également au Pôle Étude de l’ANAJ-IHEDN pour sa relecture méticuleuse et au Comité Directeur pour son soutien continu et effectif à nos activités. Stéphane Cholleton, 60e session Jeunes, Lyon 2008 Responsable du Comité Asie Abonnez- vous Envoyez à un ami [email protected] DOSSIERS LES DU COMITÉ ASIE N°2 Hiver / Printemps 2012

Transcript of Les Dossiers du Comité Asie n°2

Ces Dossiers sont le fruit des recherches et du dynamisme des membres du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN. Je tiens à exprimer ma gratitude à chacun des membres pour leur implication et leur contribution.

Mes chaleureux remerciements vont également au Pôle Étude de l’ANAJ-IHEDN pour sa relecture méticuleuse et au Comité Directeur pour son soutien continu et effectif à nos activités.

Stéphane Cholleton, 60e session Jeunes, Lyon 2008

Responsable du Comité Asie

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DOSSIERS

ASIE

LES

DU

COMITÉ

ASIE

N°2

Hiver / Printemps

2012

2

Les Dossiers du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN

Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

A PROPOS DE L’ANAJ-IHEDN

Parce que la Défense ne doit pas être la préoccupation des seules Armées, le Premier Ministre a confié à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) la mission de sensibiliser tous les citoyens, « afin de leur donner une information approfondie sur la défense nationale comprise au sens le plus large ». A l’issue de ces séminaires, les nouveaux auditeurs jeunes de l'IHEDN sont accueillis au sein de l'Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l'IHEDN : l'ANAJ-IHEDN. L'ANAJ-IHEDN, c’est aujourd'hui un réseau dédié à la défense et à la sécurité de plus de 1500 étudiants, jeunes professionnels, élus et responsables d'associations. Reconnue « Partenaire de la réserve citoyenne » par le Ministère de la Défense, l'ANAJ-IHEDN est là pour dynamiser et synthétiser une réflexion jeune, imaginative et impertinente, autour des problématiques de défense, regroupant les sphères économiques, civiles et militaires, et de relations internationales.

LE COMITÉ ASIE

Force est de constater que l’Asie a pris, notamment depuis la fin des années 1990, une part croissante dans l’économie et la politique internationale. Sur les questions des flux financiers internationaux, des ressources énergétiques, comme sur celles des revendications maritimes ou territoriales, des points chauds militaires et des grands marchés émergents, nos regards ne peuvent ignorer l’Asie. L’ANAJ-IHEDN compte parmi ses membres des personnes qui se sont plus particulièrement attachées à comprendre certains pays de ce vaste ensemble géographique. Nous avons donc voulu créer un groupe d’étude et de réflexion afin de partager, approfondir et diffuser les connaissances sur l’Asie. Le Comité Asie est ainsi né en mars 2011. Il fête, avec la parution de ce deuxième numéro des Dossiers du Comité Asie, sa première année d’existence. En 2011 nous avons, dans le cadre du Comité Asie, organisé deux conférences. Ainsi le professeur Yves Tiberghien est intervenu sur : « le rôle de la Chine dans la nouvelle gouvernance mondiale » et le Général Schaeffer sur : « la pratique chinoise du renseignement économique ». Nous avons également publié le premier numéro des Dossiers du Comité Asie et contribué au numéro 7 de la revue La Chouette consacrée à la Chine. Par ailleurs, les visites du Comité nous ont permis de découvrir ou redécouvrir ensemble, l’hôtel le Mandarin Oriental, qui a ouvert ses portes en juin 2011, le Musée Cernuschi, ainsi que l’exposition Photoquai du quai Branly. En cette année 2012, nous poursuivons nos activités de diffusion des connaissances et d’échanges sur les enjeux asiatiques. Ainsi une conférence, organisée en partenariat avec la revue Monde chinois des éditions Choiseul, autour de Mme Isabelle Facon, spécialiste de la Russie, s’est tenue le 25 janvier 2012 à l’école militaire. Elle sera suivie le 28 mars d’une conférence sur le thème : « La Chine, une menace pour nos entreprises ? » autour de Laurent Malvezin, directeur Asie chez SSF. Ce numéro 2 des Dossiers du Comité Asie est constitué de travaux réalisés par les membres du Comité Asie. Vous pourrez y lire un article de Milena Baud traitant des terres rares en Chine. Vivien Fortat explique ensuite le refus américain d’équiper Taïwan en avions de dernière génération. Vous pourrez également prendre connaissance de l’article d’Alexandre Heim, consacré à la politique chinoise de l’eau et ses implications transfrontalières avant de lire le compte rendu réalisé par Inessa Baban et Audrey Mussat de la conférence du 28 mars 2012 sur le thème : la Chine, une menace pour nos entreprises ? En vous remerciant de votre intérêt, je vous souhaite au nom du Comité Asie une très bonne lecture.

Stéphane Cholleton

N°2 Hiver / Printemps 2012 ANAJ-IHEDN Association

Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense

Nationale

DANS

CE NUMERO

LES TERRES RARES EN CHINE Un enjeu Géostratégique

VENTES D'ARMES À TAÏWAN Pourquoi les Etats-Unis refusent d'équiper Taïwan en avions de chasse de dernière génération ?

LA POLITIQUE CHINOISE

DE L’EAU, une question transfrontière

LA CHINE, UNE MENACE POUR NOS ENTREPRISES ? COMPTE RENDU DE LA CONFERENCE DU 28/03/12

Les opinions

exprimées

dans les

différents

articles

n’engagent

que la

responsabilité

de leurs

auteurs.

LE COMITÉ

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3

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

En septembre 2010, le Japon

arraisonne un navire de pêche

chinois en mer de Chine, au large

des îles Senkaku (ou DiaoYu en

chinois), revendiquées par les

deux pays. Si ce type d’incident

n’est pas exceptionnel dans la

région, emprise à de nombreux

contentieux territoriaux, la réponse

de Pékin était inattendue. La Chine

a en effet suspendu l’exportation

de terres rares vers le Japon,

exerçant ainsi une pression

importante sur le marché japonais.

Tokyo a fini par annoncer la

libération du capitaine chinois du

navire.

Le terme de « terres rares »

désigne un ensemble de 17

minéraux tels que le samarium, le

germanium ou encore le scandium.

Ces minéraux constituent les

matières premières essentielles à la

confection de nombreux produits,

civils et militaires à l’instar des

écrans plats, des téléphones

portables, des pigments de

peinture, des appareils de vision

nocturne ou encore des têtes de

missiles. Les terres rares sont en

effet nécessaires à la confection

des différents produits high-tech,

mais aussi des « technologies

vertes » tels que les accumulateurs

de voitures électriques. En 2010,

leur exploitation rapportait environ

1,3 milliard de dollars et devrait

atteindre les 3 milliards d’ici 2015.

Bien que ces minéraux soient

relativement répandus sur la

planète, les normes

environnementales adoptées par

l’Occident rendent leur extraction

coûteuse et très polluante. En

effet, certaines terres rares sont

présentes dans des minerais

contenant du thorium radioactif et

nécessitent, pour leur extraction,

de recourir à des techniques

onéreuses, afin d’éviter une

pollution environnementale. Ce

critère écologico-financier

constitue la principale explication

au quasi-monopole chinois en

matière de production de terres

rares. En effet, les autres pays ont

préféré réduire leur propre

production, à l’instar des Etats-

Unis, ancien grand producteur de

terres rares, qui a cessé toute

extraction en 2002, pour la confier

à la Chine, dont la législation

interne n’exige pas le respect de

ces normes environnementales.

Ainsi, alors que celle-ci n’est

assise que sur 36 % des réserves

de ces matériaux de la planète, elle

assure aujourd’hui 95 % de la

production mondiale.

UN MONOPOLE DE FAIT OU RÉSULTAT

D’UNE RÉELLE STRATÉGIE CHINOISE ? Parce que l’industrie

technologique et stratégique

mondiale repose en grande partie

sur ces matériaux, leur

exploitation est devenue un outil

géoéconomique, géopolitique et

même stratégique. Pékin l’a bien

compris et a su se rendre

indispensable sur le marché

mondial, grâce à des prix très

compétitifs du fait de coûts de

production très bas. Puis, la Chine

a graduellement décidé de

favoriser son industrie nationale,

aux dépens de l’Occident1. Fin

2010, Pékin annonce une

réduction de plus de 10 % de ses

exportations de terres rares pour

2011, à travers la mise en place de

quotas et de droit d’exportations.

En mai 2011, le champ de ces

quotas et taxes d’exportation est

élargi aux alliages contenant au

minimum 10 % de terres rares.

Pékin a donc, dans un premier

temps, su détruire la concurrence

des autres pays grâce à de faibles

coûts de production.

LES TERRES RARES EN CHINE, UN ENJEU GÉOSTRATÉGIQUE

Pays Production

(en % mondial)

Réserves

(en % des réserves mondiales)

Australie 0 5

Brésil 0,5 0,05

Chine 95 36

Communauté des Etats

Indépendants (ex-URSS) 2 19

États-Unis 0 13

Inde 2 3

Malaisie 0,3 0,03

Autres 0 22

Répartition mondiale des réserves de terres rares et leur production Source : US Geological Survey-2009

4

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

1 Le taux d’exportation de la production de terres rares chinoises est passé de 75% au début

des années 2000 à 25 % en 2010. 2La Chine avait adopté la même stratégie vis-à-vis de la production de panneaux solaires. Elle cherche aujourd’hui à racheter ses concurrents occidentaux aux technologies plus avancées. 3 Terme utilisé par les Etats-Unis dans leur plainte déposée à l’OMC. 4La Chine a perdu en appel devant l'OMC mais la décision ne couvre pas les terres rares. « Pékin n’est juridiquement pas obligé d’appliquer la décision de l’OMC à ces métaux de terres rares, ni à aucune matière première autre que les neuf mentionnées : bauxite, coke, spath fluor, magnésium, manganèse, carbure de silicium, silicium métal, phosphore jaune et zinc. » Cf 5 Le revenu par habitant est, en Chine, 10 fois inférieur à celui des Japonais. 6 “Chinese Government Wins Initial Success in Fight to Protect Tungsten, Antimony, and Rare Earth Elements”, Chinese Government Net, 7 mai 2009. 7 The New York Times, 14 janvier 2010.

Le monopole ainsi instauré, les

autorités ont ensuite appliqué des

mesures restrictives en matière

d’exportation. Celles-ci visant à

attirer les groupes étrangers en

Chine et ainsi acquérir les

technologies de transformation, et

autres technologies avancées, qui

lui font défaut, dans des secteurs

industriels que le gouvernement

définit comme prioritaires2. Car

extraire les terres rares du sol ne

suffit pas, encore faut-il savoir les

exploiter.

La stratégie chinoise semble avoir

fonctionné. De nombreux

exploitants occidentaux de terres

rares se sont installés en Chine, à

l’image du français Rhodia, leader

mondial de la métallurgie et de la

purification des terres rares,

présent en Chine depuis 2000.

Cette présence lui offre accès aux

terres rares à des prix plus

abordables.

Ces mesures chinoises, que les

officiels justifient par les

conséquences sur

l’environnement, ont néanmoins

entraîné de fortes réactions en

Occident. Les Etats-Unis, le

Mexique et l’Union européenne

ont saisi, fin 2009, l’organe de

règlement des différends de

l’Organisation mondiale du

commerce (OMC). Ce dernier a

reconnu, début juillet 2011, une

« distorsion de commerce »3 qui

permet aux entreprises chinoises

de bénéficier de prix plus

compétitifs et qui entraînerait une

envolée des prix des matières

premières sur le marché mondial.

Pékin a annoncé le 24 août qu’il

ferait appel4. Il pourrait

notamment invoquer l’article 20

de l’Accord général sur les tarifs

douaniers et le commerce qui

autorise les pays à limiter leurs

exportations pour des raisons

spéciales, telle que la préservation

de l’environnement. C’est sans

doute la raison pour laquelle les

autorités chinoises mettent

l’accent sur les conséquences

écologiques de l’exploitation des

terres rares.

DE NÉCESSAIRES MESURES

INTERNES AUX CONSÉQUENCES

INÉLUCTABLES SUR LE MARCHÉ

MONDIAL Ces préoccupations écologiques

avancées par la Chine pourraient

ne pas être qu’un prétexte de

façade. En effet, au-delà de l’outil

géoéconomique et stratégique,

l’industrie des terres rares

constitue un enjeu interne majeur

pour le pays. Il ne faut pas oublier

qu’il demeure un pays émergent5

qui se doit d’assurer son expansion

économique et de protéger ses

ressources naturelles. Les terres

rares étant présentes dans la

plupart des produits de haute

technologie, la stratégie de Pékin

vise également à pouvoir alimenter

son marché intérieur.

Or, les défis internes sont réels. En

2009, le gouvernement chinois

s’inquiétait d’un épuisement des

ressources du pays6, faute de

régulation adéquate en matière

d’extraction des terres rares. La

Chine a pris conscience des

conséquences environnementales.

Les substances chimiques utilisées

par les mineurs chinois pour

l’extraction des terres rares

finissent en effet par s’infiltrer

dans le sol et détruisent rizières et

exploitations piscicoles. Les

compagnies minières chinoises

cherchent donc à développer leur

activité hors de Chine. Certains

exploitants espèrent ainsi ouvrir

des mines au Canada, en Afrique

du Sud (ancien pays exploitant) ou

encore en Australie.

Le manque de régulation entraîne

également une exploitation

anarchique des ressources. Selon

Stephen G. Vickers7, ancien chef

du service d’investigations

criminelles de la police de Hong

Kong, la majeure partie du secteur

minier chinois est contrôlé par un

réseau mafieux, soutenu par les

hauts fonctionnaires locaux.

Certains industriels affirment

même que seule la moitié des

exploitations minières du pays

serait légale.

En février 2010, le gouvernement

chinois a donc autorisé la société

BaoTou Steel Rare Earth,

contrôlée par l’Etat, à créer une

réserve stratégique de terres rares.

5

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

8 Aux Etats-Unis, le département de l’Energie a également présenté, début 2012, un

rapport reposant sur 3 piliers : diversifier les approvisionnements, développer des substituts et encourager le recyclage et la réutilisation. 9 Les piles rechargeables 1,2 V d'usage courant sont généralement des accumulateurs NiMH. Ils contiennent environ 7 % de terres rares. Leur avantage en matière d'environnement est l'absence de cadmium et de plomb, mais leur énergie massique est inférieure à celle des piles Li-ion. 10 Créé par la loi n° 83-609 du 8 juillet 1983, l'OPECST a pour mission d'informer le

Parlement français des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin d'éclairer ses décisions [NdE].

Celle-ci, portant sur 10 sites de

stockage, représenterait plus de 1,5

fois la production mondiale.

En septembre dernier, Pékin a

également annoncé la fermeture de

31 compagnies d’extraction et la

nationalisation de 4 autres, toutes

regroupées au sein de l’entreprise

d’Etat BaoTou. On peut supposer

que ce monopole étatique assurera

l’approvisionnement du marché

intérieur et contribuera à réduire

l’influence de la mafia puisque

tout le commerce sera entre les

mains de l'Etat.

DES ALTERNATIVES AU MONOPOLE

CHINOIS, POUR UNE ÉMANCIPATION

OCCIDENTALE ? Comme le souligne E. Bustraen,

directeur général de Rhodia Silcea,

« plus sa politique est restrictive,

plus il devient intéressant de

développer des projets hors de

Chine ». Dès lors, les dirigeants et

industriels occidentaux tentent de

s’émanciper des terres rares

chinoises bon marché. Selon le

bureau de recherches géologiques

et minières (BRGM), environ 300

sociétés font de l’exploration de

terres rares à travers le monde.

Une vingtaine de projets

pourraient être suffisamment

avancés pour entrer en production

au cours des cinq prochaines

années. Deux d’entre eux sont déjà

en quasi production, aux Etats-

Unis et en Australie.

Le recyclage est également une

alternative sérieuse, notamment en

Europe8. En 2011, Rhodia a ainsi

annoncé la mise au point d’un

procédé de récupération et de

séparation des terres rares,

contenues dans les lampes basse

consommation usagées. Umicore a

également développé un procédé

de recyclage des terres rares

contenues dans les accumulateurs

nickel-hydrure métallique

(NiMH)9. Dans le cadre du projet

MORE (motor recycling), Siemens

AG dirigera un consortium

d’entreprises et d’instituts de

recherche sur le recyclage des

moteurs électriques.

Récupérer les terres rares

présentes dans les produits finis

nécessite cependant des techniques

dispendieuses, car l’accès et

l'extraction des métaux sont

malaisés. Le recyclage ne saurait

constituer une alternative sérieuse

à la production des terres rares,

que si la conception des produits

tient compte de la nécessité de

récupérer les métaux en fin de vie.

Cependant, le 23 août 2011,

l’Office parlementaire

d’évaluation des choix

scientifiques et technologiques10

publiait un rapport, dans lequel il

soulignait les limites du

recyclage : certains usages, dits

dispersifs (cosmétiques, encres,

colorants etc.), interdisent le

recyclage, et la présence de ces

minéraux dans certains alliages est

trop faible pour qu'une extraction

soit rentable. Les parlementaires

invitent donc à étudier les

possibilités de substitution de ces

minéraux.

Par ailleurs, le 30 mars 2011, le

ministre français chargé de

l’Industrie, de l’énergie et de

l’économie numérique annonçait

la création du comité pour les

métaux stratégiques (COMES). Il

s’agit d’une instance de dialogue

entre ministères, établissements

publics et fédérations d’entreprises

et professionnelles, dont le but est

de soumettre des propositions aux

pouvoirs publics, en vue de

sécuriser l’approvisionnement en

métaux stratégiques des industriels

français.

Face aux restrictions de Pékin, les

pays occidentaux ont donc dans un

premier temps, étudié des

alternatives au monopole chinois,

pour répondre à ce qu’ils ont perçu

comme une stricte offensive

stratégique. Néanmoins, comme

nous venons de le voir, les

difficultés de la Chine en la

matière sont réelles.

Les mesures prises ne peuvent se

réduire à une simple stratégie

commerciale et ont conduit les

pays occidentaux à s’interroger sur

leur propre utilisation des terres

rares. Aussi, trouver des moyens

de substitution à ces matériaux

stratégiques pourrait constituer

l’enjeu majeur des années à venir.

Par Milena BAUD 73

e session, Paris 2012

Étudiante en Master de Sciences Politiques à l’Université Libre

de Bruxelles

6

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

VENTES D'ARMES À TAÏWAN POURQUOI LES ETATS-UNIS REFUSENT D'ÉQUIPER TAÏWAN

EN AVIONS DE CHASSE DE DERNIÈRE GÉNÉRATION ?

Taïwan (ou République de Chine -

ROC en anglais) négocie

actuellement la modernisation de

sa flotte d'avions de combats

auprès des États-Unis. Le souhait

du gouvernement taïwanais est

d'acquérir 66 F16 de dernière

génération (modèles F16 C/D),

tandis que les Américains ont

formulé une offre comprenant des

équipements et matériels pour

améliorer 145 modèles de la

génération précédente (F16 A/B).

A l'inverse, les États-Unis ont signé

une promesse de vente de 24 F16

C/D avec l'Indonésie lors de la

tournée automnale du président

Obama en Asie-Pacifique.

Pourquoi une telle différence de

traitement, en la défaveur de

Taïwan qui est pourtant un des

alliés historiques de Washington

dans la région ?

La politique des États-Unis à

l'égard de Taïwan est régie par le

Taiwan Relations Act (TRA). Ce

traité signé le 10 avril 1979, sous la

présidence Carter, fut créé suite à

l'établissement de relations

diplomatiques entre la République

Populaire de Chine (R.P.C., ou

encore, la Chine) et les États-Unis ;

cette reconnaissance a entraîné par

conséquent l'arrêt de la

reconnaissance de Taïwan. En

matière de défense, ce traité inclut

une close imposant aux États-Unis

« d’approvisionner Taïwan en

armes à caractère défensif » et de

« maintenir la capacité des États-

Unis de résister à tout recours à la

force ou autres formes de

coercition qui compromettrait la

sécurité, la société ou l'économie,

du peuple de Taïwan ». Nous

allons ici nous concentrer sur le

premier point (appui via la vente

d'armes).

Depuis 2002, et malgré les

restrictions budgétaires imposées

au Ministère de la défense depuis

l'élection de Ma Ying-Jeou,

candidat du Kuomingtang (KMT,

parti favorable à un rapprochement

avec la Chine depuis le milieu des

années 90), Taïwan a été le 4ème

acheteur mondial d'armes

américaines (après Israël, l'Arabie

Saoudite et l’Égypte), avec un

montant total des achats s'élevant à

près de 11 milliards USD. Taïwan

est donc historiquement un des plus

importants clients de Washington

en matière d'armement.

Deux causes principales expliquent

le refus actuel des Américains de

satisfaire la demande de Taïwan

concernant les F16 C/D : la volonté

d'une amélioration (ou du moins

d'une « non dégradation ») des

relations sino-américaines et

surtout, la nature parfois ambiguë

des relations sino-taïwanaises.

TAÏWAN, UNE QUESTION SENSIBLE

DANS LES RELATIONS

DIPLOMATIQUES SINO-AMÉRICAINES La Chine est, encore plus peut-être

que tout autre pays, très attachée à

son intégrité territoriale suite au

dépeçage de celui-ci par les

puissances européennes au 19ème

siècle puis, au 20ème

siècle, par le

Japon. Considérant Taïwan comme

une de ses provinces, elle s'oppose

vivement à toute vente d'armes à

cette dernière, au même titre qu'à

tout ce qui pourrait laisser penser

que l'île n'est pas sous l'autorité de

la R.P.C. A cela s'ajoute le fait que

plusieurs désaccords existent entre

Taïwan et la R.P.C. au sujet de

certaines îles (et surtout des fonds

sous marins et des zones maritimes

associés, potentiellement riches en

ressources minières !). Washington

est donc accusé de soutenir

l'occupation illégale (du point de

vue de Pékin) de certaines parties

du territoire chinois en vendant des

armes à ses « occupants », accusés

de tendances séparatistes (dans la

phraséologie pékinoise). Enfin,

Pékin voit d'un mauvais œil le

soutien trop marqué des

Américains auprès de pays du front

pacifique, dans la mesure où,

toujours selon Pékin, ceux-ci

pourraient être utilisés comme

satellites pour toute mesure visant à

entraver l'accès de la Chine à

l'Océan Pacifique (et aux routes

commerciales maritimes).

TAÏWAN, PORTE D’ENTRÉE SUR

LA CHINE OU DE LA CHINE ? Néanmoins, il serait trop aisé de

limiter le problème à la position

chinoise sur la question taïwanaise.

En effet, les États-Unis équipent

bien en avions de combat de

dernière génération d'autres pays

avec lesquels la Chine a des

relations parfois tendues comme la

Corée du Sud ou, plus encore, le

Japon (sous licence, via un

partenariat Lockeed Martin –

Mitshubishi). Le poids symbolique

de Taïwan n'explique pas à lui seul

le refus actuel de vente de F16 C/D

à l'île. Ce qui pose problème aux

Américains, ce sont les relations

parfois troubles existant entre

certaines sphères ou individus

taïwanais et la Chine.

7

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

En effet, tous les ans sont arrêtés à

Taïwan des hauts gradés militaires

ou des personnes ayant eu accès à

des informations techniques ou

stratégiques sensibles, pour

espionnage au profit de Chine11

.

Les moyens employés sont

classiques (compromissions,

corruptions...) mais très efficaces ;

la Chine a déjà bénéficié à

plusieurs reprises de ces méthodes

pour récupérer des informations

techniques détaillées ou des

informations sur les capacités

d'armements américains, dont elle

reste loin de maîtriser la

technologie. Washington et les

industriels américains doutent

donc de la capacité taïwanaise à

imposer un hermétisme sur ses

secrets militaires et refusent ainsi

de vendre à l'île certains

armements sur lesquels la

technologie chinoise est en retard

par rapport à celle des pays

occidentaux.

LA CHINE VAINQUEUR QUOI QU’IL

ARRIVE ? On comprend donc ici que la

Chine joue un double jeu

diplomatique, gagnant à tous

coups. Coté pile, il consiste à

accuser les États-Unis d'ingérence

dans les affaires intérieures de la

Chine, de tentative d'atteinte à son

intégrité territoriale, et d'appliquer

des sanctions aux Américains en

guise de représailles (ex : la

suspension des discussions

militaires de haut niveau).

Cependant, coté face, Pékin a tout

intérêt à ce que les ventes d'armes

de dernière génération à Taïwan se

poursuivent du fait des capacités

de « transferts de technologies »

que le régime communiste possède

sur l'île (N.B. : il serait toutefois

injuste de ne pas reconnaître les

efforts des Taïwanais pour traquer

les espions/informateurs

prochinois, particulièrement au

sein de l'armée). En effet, les coûts

de recherche et développement

dans l'industrie de l'armement sont

extrêmement élevés ; ce procédé

permet donc à Pékin de réaliser

d'importantes économies d'argent

et de temps.

Cette posture permet également de

mettre les États-Unis dans une

situation inconfortable à l'égard de

ses alliés dans la zone Asie-

Pacifique. En effet, pour ne pas

froisser les Taïwanais en les

accusant de ne pas garantir la

protection des secrets militaires,

les Américains ne révèlent pas la

cause principale du refus de vente

d'armements de dernière

génération à l’un de ses alliés

essentiels. Washington apparaît

ainsi publiquement comme un

pays ne tenant pas ses

engagements vis à vis de ses alliés,

au titre du TRA signé avec

Taïwan, dans le but de ne pas se

fâcher avec la Chine ; ce pays

censément protecteur envoie donc

un signal très négatif à ses alliés

dans le Pacifique (Japon et Corée

du Sud, notamment, mais aussi

dans son propre pays où la

situation est parfois mal comprise.

Ainsi, un groupe de sénateurs

(emmené par le républicain John

Cornyn) fait actuellement pression

auprès du président Obama pour

que cette vente d'arme soit

réalisée, afin de prouver que les

États-Unis sont prêts à ne pas

« abandonner ses amis face aux

tactiques d'intimidation de la

Chine Communiste ».

Par Vivien FORTAT

296ème session sécurité

économique et protection du

patrimoine, septembre 2011

Docteur en Science Économique

11 Il est important de préciser que Taïwan fait ici référence à l'île principale de la république

de chine ainsi qu'aux îles Penghu. En revanche, d'autres territoires revendiqués par Taïwan, tels que Jinmen, les Matsus, ou encore l'île de Taiping (au cœur des conflictuels îles Spratlay), ne sont pas inclus dans le TRA.

8

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

Cet article fait suite à l’article du

même auteur L’eau, source de

stress pour la Chine paru dans le

n°7 de La Chouette, en septembre

2011.

Avec 6 à 7 % des ressources

mondiales annuelles, la Chine est

le cinquième pays de la planète le

mieux doté en eau. Cependant ces

ressources sont inégalement

réparties sur le territoire. Une

grande partie est itinérante et

forme des cours d’eau importants

dont certains fluent ensuite vers

d’autres pays. Ces ressources sont

donc partagées. Alors que le droit

international régissant le partage

des eaux est relativement évasif et

peu contraignant, la politique

chinoise de l’eau est avant tout

guidée par des considérations

strictement internes. Tant qu’elle

est présente sur le territoire

national, la ressource est librement

utilisée, sans coordination ou

gestion intégrée au niveau

régional.

Comme le disait en 1996 Jacques

Sironneau dans L’eau, Nouvel

enjeu stratégique mondial, les

grandes campagnes de contrôle

des eaux sont un moyen d’affirmer

la puissance d’un Etat au niveau

national et régional. Or de

nombreux fleuves internationaux

majeurs d’Asie naissent en

territoire chinois avant de

continuer leurs cours vers d’autres

pays en aval. Tout aménagement

de ces fleuves a donc

inévitablement des répercussions

sur leurs flux, leurs débits et donc

les pays d’aval. Ainsi les pays

d’aval du Mékong (Birmanie,

Laos, Thaïlande, Cambodge,

Vietnam), du Salouen (Birmanie),

du Brahmapoutre (Inde,

Bangladesh), de la Sutlej (Inde,

Pakistan), de l’Ili et l’Irtych

(Kazakhstan, Russie) et de

l’Amour (Russie) s’inquiètent de

l’accroissement rapide des projets

d’aménagement chinois de ces

fleuves ces dernières années. De

plus l’Asie est une région déjà

naturellement sensible aux

caprices et aléas du ciel. Les

inondations et sécheresses

majeures de ses dernières années

nous donnent un aperçu de

l’avenir climatique de l’ensemble

de la région, sans compter sur le

recul notable des glaciers

himalayens.

LA MAUVAISE GESTION

DES RESSOURCES, CAUSE PREMIÈRE

DE LA PÉNURIE D’EAU

Le contrôle de l’eau a toujours été

central dans la perception chinoise

de sa sécurité, depuis

l’endiguement multimillénaire des

fleuves Jaune et Yang Tsé

jusqu’aux destructions volontaires

de barrages afin d’ennoyer les

armées japonaises en marche

pendant le Second conflit mondial.

Le contrôle et l’utilisation

discrétionnaire des cours d’eau

présents sur le territoire est donc

un déterminant essentiel de la

vision chinoise de son

hydropolitique. Cette vision a

amené les Chinois, depuis les

années 1950 et le retour à l’unité

nationale, à utiliser l’eau sans

vision à long terme. Ainsi, outre la

surexploitation qui assèche

dramatiquement les lacs et

rivières, l’extrême pollution d’une

bonne partie des cours d’eau

chinois rend aujourd’hui le quart

des eaux de surfaces du pays

impropres pour tout usage, selon

une étude de l’Agence nationale

pour la protection de

l’environnement en 2010. Pékin

cherche désormais à

s’approvisionner à partir de

sources plus propres et abondantes

mais également plus lointaines et

traditionnellement inutilisées par

les Chinois. Ces sources incluent

des cours d’eau transfrontaliers

naissant en territoire chinois. De

ce fait les équilibres hydriques

traditionnels risques d’être

bouleversés, les pays riverains

voyant là une menace directe

contre leur sécurité.

Bien que le point commun dans la

relation entre la Chine et ses

différents voisins au sujet du

partage des grands fleuves naissant

en territoire chinois soit la façon

dont les Chinois utilisent ces cours

d’eau, chaque cas porte sur des

points de conflits particuliers.

Alors que le différend qui l’oppose

à la Russie sur le fleuve Amour

touche principalement aux

pollutions industrielles, avec

l’Inde les tensions portent

d’avantage sur les risques que font

peser la construction de nombreux

barrages sur le Brahmapoutre côté

chinois. Les tensions entre la

Chine et ses voisins portent sur

trois menaces contre la viabilité de

ces ressources : la pollution, le

besoin en irrigation et le

développement de

l’hydroélectricité. A cela s’ajoute

bien sûr la vision politique

régionale chinoise à long terme.

LA POLITIQUE CHINOISE DE L’EAU, UNE QUESTION TRANSFRONTIÈRE

9

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

BESOINS INTERNES ET DIFFÉRENDS

INTERNATIONAUX En effet, dans les régions du nord-

est chinois, à proximité de la

frontière avec la Fédération de

Russie, la présence d’importants

gisements de pétrole chinois ainsi

que d’usines de raffinage induit

une forte pollution chimique, qui

se déverse dans la rivière Songhua,

principal affluent du fleuve

Amour. Les accidents et

déversements criminels de

polluants y sont fréquents, comme

en novembre 2005 avec le

déversement de 100 tonnes de

benzène dans la Songhua ayant

privé les riverains d’eau potable

pendant 5 jours, tant côté chinois

que russe. Après qu’une forte

mobilisation anti-chinoise ait alors

embrasé l’opinion russe, une

commission environnementale ad

hoc russo-chinoise a été créée pour

se pencher sur l’état écologique

des cours d’eau frontaliers.

Depuis, plusieurs accords de

coopération russo-chinois ont été

signés afin de favoriser l’échange

d’informations et la coopération

scientifique en matière de

pollution aquatique sur l’Amour.

Ici, l’intérêt supérieur du

partenariat stratégique entre

Russes et Chinois a permis de

mettre en place ce cadre

institutionnalisé pour canaliser le

différend. Ce qui n’est pas le cas

avec les autres voisins de la Chine.

Avec le Kazakhstan la relation est

différente. Les rivières majeures

que sont l’Ili et l’Irtych, chacune

drainant son propre bassin versant,

sont les principaux cours d’eau de

la Région Autonome du Xinjiang,

exception faite du fleuve

endoréique Tarim, qui est

aujourd’hui presque entièrement

asséché. Mais ils sont également

les principaux cours d’eau de l’est

du Kazakhstan, là où se trouve le

cœur industriel du pays, ainsi

qu’ancienne et nouvelle capitales.

Or côté chinois, le programme de

développement de l’Ouest, initié

en 2001, voit ces deux cours d’eau

comme indispensable à l’essor

économique de la région. En effet,

le désertique Xinjiang est

aujourd’hui la première division

administrative productrice de

coton au monde. Mais pour ce

faire, la culture intensive requiert

de grands besoins en irrigation.

Aussi des travaux de dérivations

sur les rivières Ili et Irtych ont été

initiés. Les autorités chinoises ont

annoncé dès 2005 leur intention de

prélever jusqu’à 20% des eaux de

l’Irtych lorsque le projet sera

complété en 2020. En position de

faiblesse, le voisin Kazakh peine à

faire valoir ses intérêts en la

matière. D’autant plus que ce

dernier cherche à diversifier ses

clients pour son pétrole et son

uranium, ressources qui intéressent

au plus haut point l’industrie

chinoise.

Face aux pays de la péninsule

indochinoise également la Chine

bénéficie de sa puissance pour agir

en toute impunité. Ici le fleuve

Mékong est perçu par Pékin pour

son gigantesque potentiel

hydroélectrique. Les superbarrages

y fleurissent d’ailleurs ces

dernières années. Le projet

d’aménagement chinois du

Mékong comporte une série de

huit barrages en cascade le long du

fleuve dans la province du

Yunnan. Quatre sont déjà

complétés, dont le barrage de

Xiaowan, plus haut barrage arqué

au monde et le second générateur

hydroélectrique de Chine après le

barrage des Trois Gorges. Cette

multiplication des ouvrages et des

lacs artificiels de retenue

inquiètent les Etats d’aval que sont

la Birmanie, le Laos, la Thaïlande,

le Cambodge et le Vietnam. En

effet la multiplication des ouvrages

risque à terme de perturber

profondément le rythme de vie du

fleuve et son débit. Or pour les

populations riveraines du fleuve,

celui-ci représente le garde-

manger12

et la principale voie de

communication. Sans le Mékong

c’est toute l’activité économique

de la région qui est menacée. De

plus, chacun des Etats de la

péninsule élabore ses propres

stratégies de développement et

établit ses propres plans

d’aménagement du fleuve. Malgré

la création de la Mekong River

Commission en 1995, la désunion

est totale. Ce qui renforce d’autant

plus la position de la Chine, qui

elle traite en bilatéral avec chacun,

propose ses services et son

expertise technique, accroissant les

oppositions des petits entre eux.

Avec l’Inde, le différend porte

également sur des projets de

barrages hydroélectriques, mais

sur le fleuve Brahmapoutre. Ce

fleuve, dénommé Fils de Brahma

en sanskrit, est un des plus

importants cours d’eau d’Asie, et

le principal de l’extrême-est

indien. Il se jette ensuite dans le

Gange, avec lequel il forme le plus

grand delta au monde. Ce fleuve

traverse la région disputée de

l’Arunachal Pradesh, objet d’une

guerre entre les deux géants en

1962. Ce différend territorial

n’étant toujours pas résolu, la zone

constitue un point d’achoppement

majeur entre les deux. Or les

projets chinois et les réalisations

en matière d’aménagements

hydroélectriques sur le

Brahmapoutre ne manquent pas de

susciter de vives craintes côté

indien. Le risque est de voir le

débit du fleuve diminuer

considérablement, surtout pendant

les périodes les plus sèches,

lorsque le besoin en irrigation se

fait le plus ressentir.

10

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

Autre crainte, celle de voir les

Chinois détruire les barrages alors

construits pour ennoyer toute la

vallée en cas de conflit, ou

d’utiliser cette épée de Damoclès

comme moyen de pression. Enfin,

les projets chinois de dérivation de

certains cours d’eau vers le nord

du pays, asséché et aux ressources

hydriques surexploitées13

,

pourraient inclure le

Brahmapoutre dans son cours

tibétain, ce qui en diminuerait le

débit à terme.

L’INTÉRÊT NATIONAL AVANT TOUT Fidèle à sa vision très réaliste de

l’ensemble de sa politique interne

et étrangère, la Chine

d’aujourd’hui, en quête de

rayonnement international mais

également de stabilité interne,

définit sa politique de l’eau en

suivant des considérations

strictement nationales. Ses choix

d’aménagement du territoire ne

prenant pas en compte les besoins

des Etats voisins, les équilibres

historiques sur lesquels se sont

fondées les réalités géopolitiques

actuelles risquent à l’avenir d’être

bouleversés. Des zones entières de

l’Extrême-Orient seraient alors

touchées par les perturbations du

rythme de vie naturel des fleuves,

accentuées par les incertitudes

climatiques du siècle à venir. Et

alors que la relation entre la Chine

et ses voisins passe désormais par

le partage raisonné des ressources

en eau, une régulation

supranationale de l’utilisation de

ces ressources partagées fait

défaut. Guidée par de pures

considérations internes, les

déterminants principaux de la

politique chinoise de l’eau

s’intègrent à la relation historique

et l’évolution régionale souhaitée

par Pékin, autrement dit l’assise de

son nouveau statut reconnu de

première puissance régionale

asiatique.

Par Alexandre HEIM

Séminaire Master 2 « Sécurité-

Défense », mars 2009

Diplômé en Relations

Internationales/Etudes Stratégiques

Université Paris Nord

12 Le Mékong est le premier site de pêche en eau douce au monde

13 Voir l’article L’eau, source de stress pour la Chine paru dans le n°7 de La Chouette en septembre 2011

11

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

Conférence autour de M. Laurent

Malvezin, Directeur Asie de

Scutum Securty First (SSF)

Le titre de cette conférence est

intentionnellement « provocateur »

selon l’intervenant Laurent

Malvezin, Directeur Asie chez

Scutum Security First (SSF) dont

l’objectif majeur est de casser les

clichés sur la Chine qui est

souvent perçue comme une

menace pour les entreprises

françaises. Or, les réalités sont

beaucoup plus complexes et

exigent une analyse plus nuancée ;

il importe également de regarder la

Chine sous l’angle des oppor-

tunités que son marché représente

et des succès que connaissent

certaines entreprises françaises

implantées sur le territoire chinois.

De plus, le mot « menace » n’est

pas approprié lorsqu’on parle du

monde entrepreneurial parce qu’il

est plutôt du ressort de l’Etat. En

revanche, la notion de « risque »

est tout à fait pertinente en raison

de son caractère quantifiable et

mesurable. Par conséquent,

l’intervenant se propose de traiter

de manière successive les notions

de « menace chinoise », puis de «

risque chinois » avant de se

concentrer sur l’évaluation même

du risque chinois.

QUELLE MENACE CHINOISE ? Une compréhension préalable de

l’environnement chinois est abso-

lument nécessaire à l’entreprise

souhaitant s’implanter en Chine. Il

faut prendre conscience de

certaines caractéristiques d’ordre

organisationnel et politique,

spécifiques à la Chine. Celles-ci

sont importantes à intégrer, afin

d’affiner la compréhension du

pays et ne pas tomber dans les

clichés. Par exemple, l’Occident

parle du 12ème plan quinquennal

chinois, tandis qu’une centaine de

plans existent. On en distingue un

par province, plusieurs par

industries ou par segments (un

plan pour les pneus, etc.). En bref,

chaque secteur d’activité, chaque

industrie dispose d’un plan propre,

d’une feuille de route roulante («

Rolling road map »). Cette réalité

doit nécessairement être prise en

compte par les entreprises fran-

çaises envisageant de s’installer en

Chine.

Ensuite, les considérations d’ordre

politique ne sont pas moins

importantes que celles

organisationnelles. La période

actuelle semble être marquée par

un tournant politique à la tête du

pays où, outre Xi Jinping qui va

selon toute vraisemblance prendre

la place de Hu Jintao, 7 des 9

membres du Comité Central vont

être remplacés dans un futur

proche. Il ne faut pas tomber dans

le cliché selon lequel le système

politique chinois serait nettement

divisé en deux factions, les

conservateurs et les libéraux, ni

s’imaginer que ce changement au

sein de l’élite dirigeante aura des

implications immédiates pour les

entreprises. La véritable rupture

générationnelle de l’avant/après

révolution culturelle - matérialisée

par l’arrivée au pouvoir des post-

70 n’est estimée avoir lieu qu’aux

environ de 2020. Ce changement,

en revanche, est susceptible

d’avoir des implications concrètes

pour les entreprises à long terme.

Il convient donc, pour tout

entrepreneur, de se tenir informé

de l’actualité chinoise afin d’éviter

les erreurs de jugement et

d’appréciation, et réduire le risque

encouru par l’entreprise.

LE RISQUE CHINOIS L’ignorance et la méconnaissance

du contexte politique chinois ; la

mauvaise perception du risque

bilatéral ; le manque de prise en

compte de l’importance de l’œuvre

sociale chez les entreprises

chinoises ; et enfin, l’incompré-

hension de la marge de manœuvre

entre les lois et leurs applicabilités

sur le terrain, sont autant de

facteurs constituant le « risque

chinois ».

L’entreprise française souhaitant

s’installer en Chine est essentiel-

lement confrontée à deux types de

risques. D’un côté, il s’agit du «

risque concurrentiel » lorsqu’elle

devient une « cible » de

l’entreprise chinoise. Or, si la

machinerie chinoise n’est pas par-

faitement prévisible, les ambitions

commerciales le sont totalement.

A présent, la Chine bénéficie d’un

développement technologique

capable d’assurer la montée en

puissance de son industrie. Dès

lors, nous assistons à une montée

en puissance de l’entreprise chi-

noise qui se fixe un certain nombre

d’objectifs ambitieux, à plus ou

moins long terme (ex. s’intégrer à

la stratégie des marques et des

brevets d’ici 2010-2020). Face à

de telles prétentions, les entre-

prises françaises devront affronter

le durcissement de certains

domaines. D’un autre côté, il y a le

« risque du marché » lorsque le

manque de repères empêche

l’entreprise d’évoluer confortable-

ment dans l’environnement

chinois.

La Chine, une menace pour nos

entreprises ? Compte rendu de la conférence du 28/03 /12

12

Les Dossiers du Comité Asie de

l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

Pour contourner ces risques, les

entreprises françaises qui s’instal-

lent en Chine pourraient adopter

deux types de solutions. D’un côté,

il s’agit pour l’entreprise française

de chercher à mieux s’adapter à la

concurrence parfaitement organi-

sée de la Chine, souvent qualifiée

de « machine à fabriquer de

nouveaux intervenants ». D’un

autre côté, il s’agit de la nécessité

d’approfondir les connaissances au

sujet de l’environnement chinois

dont la méconnaissance explique

d’ailleurs le manque de visibilité

des PME sur le marché chinois.

L’absence de presse d’inves-

tigation en Chine témoigne d’un

marché officieux de l’information

local. Et pourtant, cela ne veut pas

dire que la Chine est une « boite

noire » car il y a des cabinets

privés dont les services facilitent

l’accès aux informations utiles

pour les entrepreneurs.

CONCLUSION Nos gouvernements doivent

éviter de considérer que le marché

chinois va nécessairement

converger avec les autres modèles

économiques dans son mode de

pénétration des marchés en raison

de ses particularités. Dès lors, la

connaissance affinée de l’acteur

chinois est vitale. Le Livre Blanc

de 2006 sur les investissements

français en Chine – l’un des rares

documents officiels à traiter de ce

sujet – résume brillamment les

trois grandes difficultés que les

entreprises françaises doivent

affronter lors de leur installation

en territoire chinois - à savoir la

gestion des Ressources Humaines,

la protection de la propriété

intellectuelle, et la connaissance du

partenaire chinois.

LES PROCHAINS

RENDEZ-VOUS

DU COMITE ASIE

DE L’ANAJ-IHEDN

12 avril, conférence autour

de Sébastien Colin, dans le cadre

des Rencontres du Comité Asie

sur le thème :

« La Chine et ses frontières »

Cette conférence se tiendra

à l’Institut de Géographie,

191 rue Saint-Jacques, 75005

de 18h00 à 20h00.

9 mai, conférence autour

d’Emmanuel Lincot et Guillaume

Giroir sur le thème :

« La Chine et le luxe »

Cette conférence se tiendra à l’École

militaire, amphithéâtre Desvallières,

de 19h30 à 21h00

Le prochain numéro des

Dossiers du Comité Asie

paraîtra à l’automne 2012.

Pour rejoindre le Comité Asie, merci

de nous adresser votre demande à :

[email protected]

Par Inessa BABAN, Séminaire Master II

Défense & Sécurité 2008 et Doctorante en Géopolitique à Sorbonne-Paris

Audrey MUSSAT, Étudiante de Relations Internationales à l’ILERI