L’Autre comme mythe : les représentations de l’ennemi(e) dans Les Quatre Cavaliers de...

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L'Autre comme mythe : les représentations de l'ennemi(e) dans Ies Qaatre Cavaliers de l'Apoculypse (L921) et Mure Nostrum (1926) de Rex Ingram Cécile Fourrel de Frettes Le thème de la guere comme sujet central ou toile de fond de nombreux films historiques suppose ceftaines stratégies de représentation de l'Autre, qu'il soit perçu dans un rappott d'opposition frontale - lorsqu'il s'agit de 1'ennemi - ou considéré comme allié, lequel ne constitue pas nécessairement un aher ego. Dès ses débuts. le septième art commença à revisiter les conflits des siècles pasléstot en renouvelant 1a vision qu'en avaient déjà proposé les arts et la littérature. Devait-il en aller différemment de la guerre de 1914-1918, premier conflit de grande ampleur contemporain du cinéma ? L'écran allait-il proposer une image complètement neuve de la < Der des Ders > ? Celle-ci inspira à Hollyr,vood ses premiers < films de guerre ), genre qui se codifia à partir des années 1920. Grâce à la puissance de leur industrie filmique qui, au lendemain de la conflagration, avait définitivement supplanté la cinémàtographie européennetoo, les États-Unis diffusèrent de par le monde leur propre point de vue sur un conflit auquel ils étaient au déparl étrangers. Ils y avaient pris part en mars 1917, alors qu'à sa réélection en novembre 1916 le président Wilson avait promis de ne pas envoyer les boys sur le Vieux continent"'. Par conséquent, il fallait justifier I'intervention du tt't Pensons, par exemple, au cas emblématique du Cabiria (191a) de 1'Italien Gior.anni Pastrone. Cette première superproduction de I'histoire du cinéma avait pour cadre la troisième guerre punique. roa En 1926, environ trois quarts des films diffusés sur la planète étaient amé- ricains. to' Jacques Portes, Histoire des États-Llnis de 1776 à nos jours, Paris, ArnTand Colin,2013, p.159. 213

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L'Autre comme mythe : les

représentations de l'ennemi(e) dans IesQaatre Cavaliers de l'Apoculypse (L921) et

Mure Nostrum (1926) de Rex Ingram

Cécile Fourrel de Frettes

Le thème de la guere comme sujet central ou toile de fond de

nombreux films historiques suppose ceftaines stratégies de

représentation de l'Autre, qu'il soit perçu dans un rappottd'opposition frontale - lorsqu'il s'agit de 1'ennemi - ou

considéré comme allié, lequel ne constitue pas nécessairement

un aher ego. Dès ses débuts. le septième art commença à

revisiter les conflits des siècles pasléstot en renouvelant 1a

vision qu'en avaient déjà proposé les arts et la littérature.Devait-il en aller différemment de la guerre de 1914-1918,premier conflit de grande ampleur contemporain du cinéma ?

L'écran allait-il proposer une image complètement neuve de la< Der des Ders > ?

Celle-ci inspira à Hollyr,vood ses premiers < films deguerre ), genre qui se codifia à partir des années 1920. Grâce à

la puissance de leur industrie filmique qui, au lendemain de laconflagration, avait définitivement supplanté lacinémàtographie européennetoo, les États-Unis diffusèrent de

par le monde leur propre point de vue sur un conflit auquel ilsétaient au déparl étrangers. Ils y avaient pris part en mars 1917,

alors qu'à sa réélection en novembre 1916 le président Wilsonavait promis de ne pas envoyer les boys sur le Vieuxcontinent"'. Par conséquent, il fallait justifier I'intervention du

tt't Pensons, par exemple, au cas emblématique du Cabiria (191a) de 1'Italien

Gior.anni Pastrone. Cette première superproduction de I'histoire du cinéma

avait pour cadre la troisième guerre punique.roa En 1926, environ trois quarts des films diffusés sur la planète étaient amé-

ricains.to' Jacques Portes, Histoire des États-Llnis de 1776 à nos jours, Paris, ArnTand

Colin,2013, p.159.

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pays dans une guerre considérée par l'opinion pllblique commecuûre'. celle des nations européennes. Pendant près de dix ans,le cinéma américain évita le sujet jusqu'à ce que King Vdoradaptât en 1925 une pièce à succès de Maxwell Anderson etLawrence Stallings "'o dans une production de la MetroGoldwy'n Mayer, The Big Parade (La Grande Parade1307. Par lasuite, de nombreux réalisateurs américains tels que William A.Wellman (lYings, 1927 ), Mauritz Stiller (Hotel Imperial, 1927)ou John Ford (Four Soirs, 1928)''"0 abordèrent la guerre àl'écran,

Cependant < La Der des Ders > apparut plusprécocement dans-quelques ceuvres qui font figure d'exception :

c'est notammentt" le cas de la superproduction de la MetroPictures Corporation, The Four Horsemen of the Apocall,pse('Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse.). Cette réaiisation deRex Ingram rempofta en 1921 un triomphe absolument inouï,auquel n'était pas étrangère l'adhésion rempoftée par 1'acteurRudolplr Valentino. Cinq ans plus tard, en 1926, alors ques'éteignait cette étoi1e, R. Ingram renouvela I'expérience,offrant à ses spectateurs un tableau de la guerre maritime enMéditenanée, Our Sea (lulare l,lostrttm13la, dont le succès futplus modeste. Ces deux films arnéricains sortis durant lespremières années de la paix n'étaient poufiant pas directenentinspirés du conflit mais de l'ceuvre d'un Européen, l'écrivainespagnol Vicente Blasco Ibâfrez engagé en faveur de la Franceet des Alliés. Le roman Los cuatro jinetes del Apocalipsis avaitété publié en Espagne en 1916 avant de devenir best-seller auxEtats-Unis grâce à la traduction de Charlotte Brewster Jordanéditée en 1918 par la maison Dutton de New York. Cettedernière pubiia également en l9l9 Mare I'lostrum - paru enespagnol en 1918 qui se vendit à cinq cent rnille

106 Le titre original de cette pièce de Broadu,al était What Price Glory OS24l.iot Brigitte Gauthier, Histoire du cinëma américain, Paris. Hachette, 2004,

pp.24-25.r08 Les titres fi'ançais de ces films étaient" respectil'emenr, Les Ailes, HôtelImpérial et Les quatre.fils.30e D'autres films, moins ambitieur, peuvent être cités: The Service Star(Charles Miller, 19i8), The Hettrt of Humanitl'(Holubar, 1919\, The Lost

Battalion (Burton L. King. 1919), Humore.sqtre (Borzage. 1920).3to Ce fiIrn fut produit par Rex Ingram et la Metro Goldu'r'n.

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exemplaires3l'. Ainsi, bien que 1e cont-lit Iùt ertrêmement récent,la littérature avait déjà fait oTllce d'intennédiaire entre1'Histoire (immédiate) et l'écran.

Cette étuc1e se propose d'anah'ser 1'érolution du statut de

I'Autre et de ses représentations dans le passage d'un média à

un autre, mais aussi dans ie déplacement d'un point.,de.vueeuropéen et latin - à un point de lue nord-américain'''. A cepropos, il est intéressant de constater que 1es films de Rexlngram, de même que les Guvres littéraires dont ils étaient issus,recouraient largement aux mlthes pour représenter I'Autre et en

par-ticulier l'ennemi. En etlèt, V. Blasco Ibâfiez avait puisé soninspiration non seulement dans la Bible d'une part et dans lamythologie gréco-romaine d'autre part, mais aussi dans

I'imagerie et la tradition iconique qui leur étaient associées.Paradoxalement, les mythes - récits et images connus de tous,fondant et lëdérant un groupe intervenaient dans lareprésentation de I'Autre : inconnu, étranger, extérieur au

groupe, voire contre le groupe. Dans quelle mesure ce procédésenait-il la rhétorique filmique mise en æuvre par le cinémades Etats-Unis ?

Après avoir présenté f idéologie paniatine sous-tendant lesrolrans blasquiens, nolis rlous efforcerons de mettre en lumièreles modalités et les enjeux de la récupération par la DreantFuctory de l'imaginaire mlthique qui les traverse. Nous nousarrêterons d'abord sur la figure de l'ennemi - i'Allemand dansThe Four Horsemen o"f the Apocalypse - puis de I'ennemie -Freya, I'espionne à la solde des Puissances centrales dans OurSea3t3. Nous en déduirons les modèles d'altérité ainsi créés etmassivement dilfusés par l'écran nord-américain à une époqueoù le muet s'adressait dans toutes les langues à tous les publics.ou presque.

I'rPaul Smith. Vicente Blasco lbdîie:; una nLteve introducciôtt a su viclct t'

obrc,Santiago du Chili, Andrés Bello, 1972, p.36.

"2Précisons toutefois que Rex Ingram était d'origine irlandaise. Né à Dublin

sous le nom cle Reginald Hitchcock, il était arrivé aur Etats-Unis en 1911, à

l'âge de 22 arrs. pour ses études (Richard Koszarski. Hi,stoire of tlrc Anterican

Cinenta. Volume 3. Anewning's entertainment:the age of the silentfeatw'epictw'e, I9I 5- I 928, Berkelel . UniversitJ of California Press, I 994. p.237).l'l Nous utilisons les versions de ces films conservées à la Cinémathèque de

Valence (fVAC), en Espagne.

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Imagerie mythique et idéologie panlatineD'un premier point de vue, I'imaginaire collectif convoqué parles versions filmiques de I92l et 1926 ne semble pas differer decelui des romans originaux, comme s'il existait une identitéculturelle commune des deux côtés de I'Atlantique. En effet, enintroduisant des figures m1'thiques dans ses films, Rex Ingrarnne faisait que suivre le patron offert par l'æuvre blasquienne.Non seulement il conserva le titre initial des Quatre cavaliersde l'Apocalypse mais, de plus, il inséra le motif biblique autravers de la même référence picturale : une céièbre gra\ured'Albert Dijrer3la.

Dans Our Sea, il se produisit un phénomène similaire mêmesi les multiples références iconiques présentes dans le romanfurent simplifiées. Chez V. Blasco Tbâflez,la belle Freya est unpersonnage à f identité caméléonesque et insaisissable : I'auteurla compare tantôt à Circé, tantôt à Amphitrite et parfois même,ponctuellement, à d'autres divinités ; de plus, son amant. lecapitaine Ulysse Ferragut voit en elle une réincarnation de

I'impératrice grecque Dofra Constanza 315 dont, enfant, iladmirait le portrait lorsqu'il se rendait à I'Eglise San Juan deltTospital de Valencet'u. En 1926. Rex Ingram garda ie motifpictural mais en le translbrmant : le film s'en tint à l'évocationcl'un lien mystérieux unissant I'espionne autrichienne à ladéesse grecque des fonds marins grâce à un tableau de 1'actriceAlice Terry "t .n Amphitrite, spécialement conçu pour letournage de Mare l{ostrum.

Sans aucun doute la formation de Rex Ingram à Yale où i1

étudia ies afis explique-t-elle la place accordée aux références

llt Cette gravure, mentionnée dans le roman, avait servi de modèle au dessina-

teur Povo pour I'illustration de cour.erture du volume édité par la rraison

Prometeo dirigée par V. Blasco Ibâriez.its o Freya era cloîia Constanza perpeludndose a travës cle los siglos. tontando

nuevas formas ri (Vicente Blasco Ibâiiez, Mare Nostt'um, Madrid, Câtedra.

1998, p.3ll). Nous traduisons:<Fre1 a était dame Constance qui se perpé-

tuait à lravers les siècles sous des lbrmes distinctes >.3t6 Ce tableau, qui exista réellement, a aujourd'hui dispam.3t1 En 1921, Alice Terrl' avait épousé Rex lngram qui I'avait découverte e:.

tant qu'actrice.

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iconiques dans ses films. Signe d'une sensibilité esthétiquepropre au réalisateur, elles ont également une fonctiondramatique évidente. Dans The Four Horsemen of theApocalypse, la vision hallucinée de Tchernoff lisant la prophétiede Saint Jean constitue l'acmé et le final de la première partiedu film : une époque d'insouciance se conclut. Dans Our Sea,comme c'est le cas dans bien d'autres ceuvres littéraires etfilmiques, le portrait de la beile fait naître I'amour dans le cæurdu jeune Ulysse''o.

Ceci étant dit, renvoyer à des récits fondateurs et à

I'imagerie qui leur est associée, c'est avant tout convoquer unhéritage culturel collectif. E,st-ce à dire qu'Holll.wood cherchaitoutre-Atlantique les racines d'une identité américaine ? Pourquelle raison Rex Ingram choisit-il d'ancrer son ceuvre dans ununivers my'thique méditerranéen ? Il est clair, en tout cas, quedans l'æuvre de l'écrivain espagnol les choix iconiquesrépondaient à des préoccupations idéologiques. En effet, laréactivation d'un imaginaire biblique et myhologique gréco-latin avait pour but d'inculquer un sentiment d'appartenance à

une.culture s'opposant à la barbarie teutonne.A bien des égards, les romans pro-alliés de V. Blasco Ibâflez

puisaient leur argumentation dans un courant de pensée foft envogue dans le Paris littéraire des années i910 défendant f idéed'une latinité ou panlatinité31e. Quelques décennies auparavant,la défaite de 1870 avait donné un élan significatif à cetteidéologie caractérisée par une forte germanophobie. Pendant laGrande Guere, elle permit à la France mais aussi à l'Italie deconcevoir leurs conflits respectifs avec I'ennemi en termes deh"rtte de < cultures >, de < civilisations > ou de { races ) "0,

r18 José Luis Borau, La Pintura en el Cine. Et Cine en la Pintura, Madlid,Ocho 1 Medio, 2003, p.22.ttn Dun, < Guillaume Apollinaire et la < latinisation > des avant-galdes pari-

siennes durant la Première Guerre mondiale >, Amotz Giladi souligne que

1'étude de la <circulation d'un discours sur l'identité <latine> ou <panla-tine > a souvent été négligée non seulement à propos d'Apollinaire mais aussi,

plus généralement, de la vie intellectuelle française durant la Grande Guene >.

Voir cet article dans COnTEXTES. Varia, mis en ligne le 20 ar.ril 2012, con-

sulté le 09 juillet 2012 sur http://contertes.revues.org/5045 ; DOI :

1 0.4000/contextes. 50,15, paragr. 2.1to Ibid.

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vocables récurrents chez V. Blasco lbârte2. Il s'agissait derevenir à la grandeur passée de la Méditerranée, personnageprincipal du roman Mare lrlostrum. Cette nouvelle épopée à lagloire des peuples latins, construite sur la trame homérique,superposait des éléments de I'actualité du moment - la guerre -à d'autres issus de I'Antiquité. D'ailleurs, son titre renvoyaitd'emblée à la puissance d'un Empire romain désireux d'étendreson influence sur toute la Méditerranée. Précisons néanmoinsque la panlatinité englobait non seulement les pays qui enconstituaient le pourtour - la France, l'Espagne, l'Italie, lePortugal et la Roumanie - mais aussi les républiques latino-américaines. Cela expliquait certainement le choix de l'écrivaindans son premier roman sur la guerre de faire combattre lejeune Argentin dénommé Julio dans les tranchées françaises.

D'ailleurs I'Espagnol regardait vers les peuples hispano-américains - et non vers I'Amérique du Nord - lorsque, dansune conférence prononcée à la Sorbonne le 12 février 1915, ildemanda aux nations latines de venir en aide à la Franceagressée par les Puissances centrales :

Nous tous, Latins, qui considérons votre pays comme un autrefoyer, qui avons mis en lui un peu de notre passé, nous en re-cevons, centuplé et vivifié comme aux rayons du soleil, le pro-duit de nos anciennes offrandes. Si la France s'éteignait, nospeuples latins demeureraient errants à travers le ciel de

I'histoire comme des planètes sombres et froides, attendantI'heure où un nouvel astre, monstrueux et informe, fait de rna-tières qui nous seraient étrangères, viendrait nous entraînerdans son tourbillon vertigineux comme une poussière soumise,ou inerte32l.

Dans ce texte, qui fut envoyé à de nombreux périodiques latino-américainS, V. Blasco lbâflez présentait la France comme lacapitale d'une latinité menacée par la force aliénante du pan-germanisme. Dans Los cuatro jinetes del Apocalipsis,I'Espagnol Argensola développait une argumentation similaireplaçant la culture française au-dessus de celle des autres na-tions : << Yo no creo mds que en la cultura francesa, y todo lo

321 Camille Pitollet, V. Blasco lbdfrez. Ses romans et le roman de sa vie, Paris,

Calmann-Lévy, 1921, p. I 58.

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r.ctltats me parece una equivocaciôn. Los roros casos de alta--tiltura qy.e he encontrado en Alemania eran de origen-,';utcés D"'. Ce discours francophile pouvait-il rester inchangéJans un film américain censé justifier la glorieuse interventionJe son armée dans la guerre européenne ?

De loépopée des Latins à la croisade nord-américaine : évolution des figures de l'AutreLa gueffe avait généré aux Etats-Unis un fort sentimentantigermanique : non seulement la propagande qui s'organisasous Ia direction de George Crell, à la tête du Comité del'information publique, dénonçait la cruauté allemande, mais deplus, dans certains Etats, les lettres et les arts allemandsn'étaient plus enseignés ; des manifestations xénophobes sedéroulèrent même en toute impunité 323 . Aussi ntest-il pasétonnant que, dans le film de Rex Ingram) le Teuton resteI'ennemi à combattre.

Les premières images nous présentent la famille du richepropriétaire terrien Madariaga vivant paisiblement en Argentine,,nouvel Eden où semblent s'annuler les différences avecl'Autre32a. Cependant, des tensions commencent à se faire sentirlorsque les filles de I'autoritaire patriarche se marient, I'unechoisissant pour époux Marcelo Desnoyers, un Français ami deson père, I'autre l'Allemand Karl von Hartrott contre l'avis ducentaure. Alors que Marcelo s'efforce d'apaiser les relationsfamiliales, son beau-frère ne songe qu'à accaparer l'immenserichesse du patriarche au profit de ses fils, antipathiques petitsrouquins à lunettes qui passent leur temps à jouer à la guerre.

322 Vicente Blasco Ibâi'rez, Los cttatro jinetes del Apocalipsis (1916), Madrid,Espasa Calpe, 2007, p.170. Nous traduisons : < Pour mapart,je ne crois qu'en

la culture française et tout le reste n'est pour moi qu'une erreur. Les rares cas

de haute culture que j'ai rencontrés en Allemagne étaient d'origine françai-

se )).3'3 Jacques Portes, op.cit., p.162.324 Les premières images sont introduites par l'intertitre suivant : "While inthe New World boundless space o.ffers a haven to the alien, and ancient ha-

treds are forgotten... ". Traduction française de f intertitre: < Alors que dans

le Nouveau Monde des espaces illimités offrent un paradis aur nouveaux

arrivants et font oublier 1es anciennes rancæurs... )).

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Comme chez V. Blasco Ibârte2, 1'affrontement avecl'Autre est posé en termes de < race ) et de < culture >, quoiqueces vocables n'apparaissent que ponctuellement : Madariaga neconsent à céder son héritage qu'au fils du Français, un Latin -"I need one of my own breed", déclare-t-il - tandis que. lorsquele conflit éclate, Karl revendique une Super Kultur dont il veutfaire bénéficier ses fils en Allemagne. Débute alors une luttefratricide en Europe où les deux branches de la famille vont se

déchirer.À l'agressivité martiale des fils de Karl s'oppose

l'insouciance libertine de Julio. le fils du Français, habitué à

une vie de plaisirs par son grand-père ; mais la guene le placeface à son devoir et il s'engage comme volontaire avant detomber pour la France. Dans une certaine mesure, on retrouvedans le film le manichéisme gallo-germanique de l'æuvreoriginale : alors que I'amour pour la patrie suscite descomportements nobles et courageux côté français, le Teuton se

montre capable des pires bassesses, se livrant au pillage et auviol lorsqu'il occupe le château des Desnoyers dans la Mame.De façon générale, I'Allemand apparaît sous des traits peuflatteurs mais assez caricaturaux voire topiques.

En revanche, le recours au m)th; 'uibtiqr" 32t dans la

représentation de cet Autre honni était susceptible de produireun véritable impact auprès du public de l'époque, grâce à lacréation d'un univers monstrueux et spectaculaire. La visionapocalyptique émane d'un étranger - "The Stranger " dans lesintertitres extérieur aux passions animant les autrespersonnages : il s'agit de Tchemoff, un Russe probablementrévolutionnaire, vivant dans 1a solitude d'un appartementmisérable peuplé de vieux grimoires. Alors que la guere vientd'être déclarée, cet homme à I'allure christique - le scénariosouligne ,on "ôhrirt-like look"3'u- ouure "o)orc book"3:7 çunlivre rare) contenant la terrible prophétie de Saint Jean illustréepar Albert Dûrer. Non seulement la gravure des quatre cavaliersapparaît à l'écran, mais elle est également recréée

325 GrifÏth avait déjà eu recouls aux références bibliques dans Inrolérance(1916) mais ce film n'ar"ait obtenu qu'un maigre succès.326 É1éments de scénario conservés à la Marearet Herrick Librarl de Los

Angeles (Californie).l2t Ce sont les termes emplolés dans I'intertitre du film.

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cinématographiquement par des effets spéciaux : une foules'agite dans la fumée des enfers ; la Bête, sorte de machine enforme de dragon, appelle les ignobles cavaliers en ouvrantlargement sa gueule articulée I surgissent alors de ce mondeinfernal la Conquête munie de son arc. la Guerre brandissantson glaive, la Famine tenant une balance, et la Mort à la facecadavérique. Quoique I'association de la voracité destructricedes quatre cavaliers de I'Apocalypse à \a volontéexpansionniste de l'Allemagne soit simplement suggérée, ellesemble évidente.

L'ér,angéliste avait l'ecouru au même procédé. 11 s'inscrivaitdans une longue tradition de textes codés dévoilant au traversde visions divines le sens caché des événements. CesApocalypses ou < révélations > r'édigées durant les trois dernierssiècles avant Jésus-Christ - la plus célèbre est celle de Daniel -se caractérisaient par un style très métaphorique. Ellesencourageaient les juifs à résister en secret aux persécutionsgrecques. De même, au I"'siècle, Jean. exilé sur l'île de Patmos

- évoquée dans Mare l\,tostrum - s'adressait dans ses lettres àsept églises d'Asie opprimées par les Romains : il leurpromettait qu'un jour prochain la justice de Dieu rnettrait fin à

leurs souffrances. Ses lecteurs comprenaient le sens des imagesinvoquées : les quatre cavaliers représentaient à la fois le Mal etl'Empire romain. Quant au chiffre sept, il était symbole deperfection et de plénitude. Dans le film de Rex Ingram, septannées s'écoulent avant que l'épouse de Marcelo, Luisa, nedonne naissance à son fils aîné, Julio qui, tel l'Agneau, vatriompher face aux bêtes terrifiantes, malgré sa faiblesse et

malgré sa mort.Le film aurait pu s'en tenir - comme le fait le roman - à ce

salut symbolique : en périssant sur le champ de bataille, Juliorachète les emeurs de son père, désefteur en 1870 ; du sacrificeconsenti pour la France va gerrner à nouveau la vie puisque sa

sæur attend un enfant. Cependant - différence notoire avecl'æuvre blasquienne - la diabolisation de I'ennemi dans TheFour Horsemen of the Apocalypse prépare en réalité un salutbien concret : l'intervention providentielle des Américains. Eneffet, alors qu'il n'en est absoiument pas question dans le roman,on découvre à l'écran les lbrces de la Salvation Army se

déployant sur le territoire français.

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Dès lors, si la France devait la victoire aux Éhts-Unis,que restait-il de l'héroïsme de Julio et de la grandeur de ce paysprésenté par V. Blasco Ibâfrez comme la première nation latine ?

A Paris, le film fut controversé si I'on en croit les coupures depresse de l'époque 328 : d'après certains joumalistès, sansI'intervention du Président Raymond Poincaré, la censure auraitinterdit l'æuvre de R. Ingram, lequel reçut pourtant la légiond'honneur; selon d'autres observateurs, le personnage de Juliofaisait piètre figure face à la détermination de ses cousinsteutons ; enfin, alors que I'armée française apparaissaitsanglante et meurtrie, les soldats allemands parvenaient quant àeux, même dans la défaite, à se retirer en bon ordre. Sans doute,cette vision de 1'ennemi permettait-elie de présenterI'intervention américaine comme décisive "u ; elie laissaitégalement la possibilité à la Metro de commercialiser le film enAllemagne même s'il resta peu de temps en salle.

Surtout, The Four Horsemen of the Apocalypse.se faisait leporte-parole de la conception élaborée par Wilson"u durant iagueffe : en combattant àux côtés des Alliés, les États-Unisprétendaient avant tout mettre fin à la discorde qui précipitaitI'Europe dans le chaos et y faire triompher les valeursdémocratiques. Il s'agissait donc d'une croisade pour le bondroit pour le Bien ainsi que I'indique l'intertitreaccompagnant I'arrivée des soldats yanquis sur le front :

Four years had war, Pestilence and Death held sway until thenations of Europe were torn asunder and lay bleeding, cryingout to a just God to free them liom the forces of evi1331.

328 La source exacte de ces coupures, conservées à la BNF sous la côte 8-RE-6845, est souvent illisible.r2n D'après I'historien Jacques Portes (op.cit., p.163), ce fut effectivement le

cas àl'automne 1918 : l'apport américain perrnit alors de contenir I'offensiveallemande en Champagne.330 Jacques Poftes les États-(Inis au XX siècle, Paris, Armand Colin, 1997,

p.24.131 Traduction française de I'intertitre: <Pendant quatre années, les palsr.acillèrent sous le poids de la guerre et de la mortjusqu'à ce que 1es nationsde I'Europe en appelèrent à Dieu pour 1es libérer des forces du Mal >.

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En fin de compte, dans le filni de Rex Ingram, la latinité neconstituait plus une identité culturelle propre à dél'endre ; aucontraire, le Latin était devenu cet Autre différent maisdésirable - exotique - adoré par le public féminin pour sa

sensualité et ses prouesses de danseur, plus que pour sa force etses exploits sur le champ de bataille. En effet, alors que 1'æuvrede 1'Américain consacre une longue séquence au tango dans lesbas fonds de Buenos Aires où Julio côtoie une population nonessentiellement blanche aspect tout à fait inédit pour1'époque -. quelques secondes du film seulement.le présententau combat avant sa mort brutale sous les obus-''-. [Jn mlthevenait d'être inventé, celui du Latin Lover incarné par RudolphValentino.

De I'Autre détesté à I'Autre désiré : vers unenouvelle mythologie de I'ennemieSi The Four Horsemen of the Apocalypse avaient donnénaissance à une idole masculine taillée sur mesure pour et parles femmes3tt, Ou, Sea mellail en scène son pendant féminin,cette Autre à la fois désirée et détestée par les hommes : lafèmme fatale. Déjà, dans son roman, V. Blasco Ibâf,ez s'étaitinspiré de ce personnage hérité du symbolisme. Il était le ref'letde I'anxiété masculine face à la montée du pouvoir féminin :

dans les dernières décennies du XIX'siècle, la représentation dela femme était devenue problématique car celle-ci commençait

3;2 Th, Big Poracle de King Vidor. modèle des films de guene postérieurs. fiten rer.anche la part belle aux scènes de batailles épiques.-tr3 Rudolph Valentino devait son succès essentiellement à ses spectatrices qui

représenta'ient une paft inrpoftante du public aur Etats-Unis: elles pesaient

désormais sur les choir opérés par le cinérra et a\aient construit un persou-

nage masculin à I'image de leur désir ; de fait, Valentino avait été découlertpar 1a scénariste des Quatre cavaliers de I'Apocalypse, June Mathis, qui

l'alait lemarqué dans The eyes of 1,outh (1919) aur côtés de Clara Kimbal

Young. En 1921, le jeune homme touma aussi dans Ze Cheik. La Dame aux

camélias, Eugénie Grandet, puis dans Arènes sanglantes (19221 également

adapté d'un roman de V. Blasco lbârte2, Le Droit d'ainter (1911) et bien

d'autres films. Il devint très vite une stor adulée du public. Sa moft prématu-

rée provoqua une émotion inouïe chez ses fans et lut ressentie par beaLLcoup

d'Américains comme un deuil national.

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à cesser d'être l'ange du foyer. Néanmoins, la production del'époque peinait à s'extraire du dualisme dominant ange-démon.Les rôles antagoniques interprétés par Alice Terry en 1921 et1926 en étaient encore la preuve même si quelques nuancesfurent apporlées : après avoir joué le rôle de l'épouse dévouéerenonçant à sa romance avec Julio * et à son émancipation parle divorce pour soigner son mari blessé au combat, AliceTerry incarna dans Our Sea un personnage marqué d'unedouble altérité en tant que femme ennemie des hommes et entant qu'espionne ennemie de guerre.

Le film, toumé en Europe, alors que Rex Ingram venaitd'acquérir les studios de la Victorine à Nice "*, offrait auspectateur un voyage immobile dans les plus belles villes deMéditerranée, au gré des aventures nautiques et sentimentalesd'Ulysse, capitaine espagnol élevé dans l'amour de lanavigation par son grand-père"'. le Triton. Dans la m1'thologiegrecque, ce dernier était le fils de Poséidon et de son épouse, lanéréide Amphitrite. Présentée dans le film comme la patronnedes marins, son poftrait trône dans la demeure du vieux loup demer. Des années plus tard, durant la guerre, IJlysse profite de laneutralité de son pays pour s'enrichir grâce au commercemaritime. Alors que son vapeur, le Mare |Vostrum, fait escale enItalie, il se laisse séduire par Freya Talberg, une belle etrnystérieuse Autrichienne. Sous son charme et cornme ensorcelé,Ulysse accepte de ravitailier un sous-marin allemand quitorpille le Califurnian, navire où voyage Esteban, parti à larecherche de son père en nouveau Télémaque. Pour venger lamort de son fils, le capitaine décide de collaborer avec la Franceet d'armer son bateau, Il meurt en héros tandis que Freya esttrahie par les siens et livrée à I'armée française. Traduite enconseil de guere, elle est finaiement fusillée à Vincennes336.

Dans cette æuvre pro-alliée, contrairement à The FourHorsemen of the Apocalypse, le rôle militaire des Yanquis estextrêmement limité. Cependant, au début du film, Ulysse estprésenté comme l'héritier d'une longue dynastie de marins, les

t'o Se noua alors une relation d'amitié entre les époux Ingram et V. Blasco

Ibâiiez qui résidait à Menton.tt' Comme dans The Four Horsemen of the Apocalypse,le héros reçoit de son

grand-père une éducation - un héritage culturel - qui détermine son existence.336 Son soft n'est pas sans rappeler celui de Mata Hari.

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Ferragut, descendants du premier amiral de ia tlone américaine,le commandant en chef de I'L.S. \cn pendant la Guere deSécession:"Here for centuries rlrc Ferraguts lnd made theirhome. Sailors all of them, proud qf a..nome ntade famous byKing's Admiral and.buccaneer alike '" . rér'èle I'intertitre. Celien unissant les Etats-Unis au destin de la Méditenanéeréapparaît à la f-in lorsque le ,\'Iare J'osfi'urtt sombre dans lesprofondeurs après avoir envor'é par le lbnd le sous-marinallemand qui l'a attaqué : une allégorie de 1a Mort raille alors lenom de ces bateaux sur une piene tombale où est inscrit, auxcôtés du Californian,le nom du Lusitania. Il s'agit 1à encored'une liberté de Rex lngram par rapporl à l'æuvre originale.L'opinion américaine s'était indignée lorsque ce paquebotbritannique, au bord duquel voyageaient cent vingt-huitAméricains, avait été coulé par les Puissances centrales en mai1g 1 5338.

Antigermanique, l'æuvre de Rex Ingram ridiculisait une foisde plus le Teuton, être belliqueux et cruel. Toutefois, les traitsdurs et masculins du Docteur Fedelman, la compagne de Freya,font ressorlir la sensuaiité et la beauté de la jeune espionne.Comme certaines déesses rencontrées par l'Ulysse d'Homèreelle use d'étranges pouvoirs - en I'occurrence, son charme alliéaux effets de l'opium - pour soumettre son adversaire.D'ailleurs, le capitaine Ferragut reconnaît en elle Amphitrite :

lorsqu'il rencontre I'Autrichienne visitant les ruines de Pompéi,le tableau de la divinité se superpose à son visage en fonduenchaîné. On retrouve également ce tableau chez le capitaine, àBarcelone : il semble narguer son épouse. Cinta, qui attendUlysse au port. telle Pénélope.

D'un premier point de vue, l'identité qui s'établit nettementdans le film entre l'espionne et Amphitrite semble paradoxale.Pourquoi représenter I'ennemie sous les traits d'une déesseméditerranéenne ? Rappelons toutefois que la littérature avaitdéjà eu largement recours aux personnages bibliques etmlthologiques pour représenter la tèmme au cours des siècles.Dans las Hijas de Lilith, Erika Bomay étudie ces différentes

sst Nous traduisons : < Depuis des siècles, les Ferragut r avaient élu domicile.

Marins de père en fils, ces flibustiers étaient fiers d'un nom rendu célèbre par

l'amiral du roi >.Ii3

.Tacques Pones, op.cit.. p.23.

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sources. Le demier chapitre de son livre explique commentl'écran américain continua d'utiliser la fascination exercée parces figures exotiques et mystérieuses pour créer un mythe decelluloïd, celui de la Varnp"'. lnvention de l'écran danois autravers de son égérie, Asta Nielsen, en l9li, elle réapparaît en1915 sous les traits d'Irma Vep, de Theda Bara - anagrammesde Vampire et d'Arab Deth3a} - et de bien d'autres stars, par lasuite. Freya, au regard vague et profond, ressemble auxhéroihes dominatrices incarnées par ces actrices. Elle est cettepieuvre qui règne sur un cimetière marin dans les premièresimages du film et dont les tentacules attirent Ferragut au fonddes abysses.

Ainsi, I'imaginaire méditerranéen construit par V. BlascoIbâfre2, vidé de f idéologie panlatine qui le sous-tendait, futrécupéré par l'usine à rêve pour alimenter un star-systemhollyr,voodien érigeant ses s/ars en icônes. Alice Terry en devintune, au sens propre tout au moins, puisqu'elle fut immortaliséeen un tableau où elle apparaissait sous les traits d'une divinité.Le cinéma américain avait le pouvoir de diffuser mondialementcette ima-ee. En s'universalisant, le mlthe se perpétuait sous denouveaux avatars mais se déconnectait de son contexte culturelou historique d'origine, devenant une ( parole dépolitisée >.

selon l'expression de Roland Barthes dans Mythologies"' .

ConclusionAlors qu'elles semblaient fondées sur des réferences culturellesidentiques, les représentations de l'Autre proposées par RexIngram diffèrent de celles présentes dans 1'æuvre originale duromancier V. Blasco Ibâf,e2. Cela s'explique tout d'abord pardes enjeux distincts pour chacun de ces deux créateurs : alorsque l'Espagnol défendait dans les années 1910 unecommunauté culturelle qu'il considérait comme propre,

33e Erika Bornal, Las Hijas tte Litith (1990), MadLid, Câtedra, 2010, pp.385-

390.lao La première, vêtue de velours noir et à 1'allure lëline, était apparue dans

Les Vampires de Fer-rillade tandis que la deuxièrne avait joué le rôle d'une

femme tàta1e vampirisant un homme d'affaires dans A Fool There llas de

William For.341 Rolancl Barthes, Mythologies, (1957), Paris, Éditions du Seuil, p.216.

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l'-{méricain entendait, dans- les années 1920, justifier o:tosteriori i'intervention des États-Unis dans une gueffe perçuecomme autre. De plus, en se déplaçant outre-Atlantique, leregard porté sur 1'Autre se modifiait nécessairement créant denouveaux rappolls à I'ennemi d'une part, et à I'allié d'autre part

Il serait peu pertinent, pourtant, d'accuser Rex Ingramd'avoir trahi l'æuvre de V, Blasco Ibâf,ez à moins de considérer

"e dernier comme complice de I'altération du message original.

En efïet, Our Sea était ie film pré1ëré de l'écrivain ; il appréciaitle cinéma de 1'Américain qu'il côtoya sur la Côte d'Azur dansles années 1920. En outre, tout indique qu'il prépara ledéplacement de point de. vue opéré par I'usine à rêve envoyageant lui-même aux Etats-Unis dès l'automne 1919 pourpromouvoir ses romans et signer de lucratifs contrats avec lesnouveaux magnats de I'industrie culturelle. Dans les interviewsqu'il concéda alors aux plus grands joumaux de l'époque, ilfaisait désormais l'apologie des Etats-Unis et de leurs valeursrépublicaines"'.

Inversement. sans doute I'imaginaire antique méditerranéendevait-il être attractif pour le Nouveau Monde. Ceftes, chez V.Blasco lbâfrez le contexte au sein duquel s'était forgé 1e mythepermettait de susciter un sentiment identitaire. Au contraire,1'écran américain évacuait cette réalité culturelle et historiquepour construire une image de I'Autre incarnée par des icônes decelluloïd exportables sur toute la planète. Ces nouveaux nry,thesprirent place au sein d'une < culture-monde > tti alors engestation. D'une ceftaine manière le rêve de V. Blasco Ibâfrezde devenir < romancier cinématographique universel l -'+a

devenait réalité. Cependant, ces images qui commençaient às'imposer à l'æil du spectateur cinématographique dans lesannées 1920 n'ont-elles pas contribué à figer le rapport à

I'Autre dans un ceftain nombre de stéréotypes ?

312 Mentionnons, par exemple. I'article du Boston Dailt' Globe intitnlé"Ibdîre: jtdges U.S. greatest inworld",le 28-Vl-1920.343 Jean-François Sirinelli. < lntroduction. L'ar'ènement de la culture-

monde >. dans Jean-Pier-re Rious et Jean-François Sirinelli (dirs.l, La cultu'ede masse en France de la Belle Époqu, ù aujourcl ltui, Paris, Falard, 2002.3aa Lettre datant de I'année 1921 reproduite dans Ramôn Martinez de la Rir,a.

Blasco lbtiîiez, su vida, su ohra. su muerte, sus ntefores paginas, Madrid,

Mundo l-atino, 1929, p. I 60.

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