L’autonymie dans la tradition linguistique arabe, Histoire Epistémologie Langage 27/1, p. 93-114,...

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Histoire Épistémologie Langage 27/I (2005) p. 93-114 © SHESL L’AUTONYMIE DANS LA TRADITION LINGUISTIQUE ARABE Pierre Larcher Université de Provence (Aix-Marseille I) et UMR 6568 CNRS (IREMAM) RÉSUMÉ : Dans notre tradition, métalan- gage et autonymie s’originent dans la pen- sée grecque (Porphyre, III e -IV e siècles ap. J.-C.). Mais on les retrouve aussi dans la falsafa (e.g. Frb, IV e /X e siècles) et, de là, dans la tradition linguistique arabe. Dans la seconde partie de cet article, nous montrerons l’importance de cette tradition logico-philosophique dans le ar al- Kfiya du grammairien Ra al-dn al- Astarbd (VII e /XIII e siècles). Mais, dans la première partie, en partant des verbes « délocutifs », nous traiterons de la catégorie grammaticale de ikya (« cita- tion »), à travers le chapitre que lui consacre Za (IV e /X e siècle) dans le Kitb al-umal. En conclusion, nous exa- minerons dans quelle mesure ces deux traditions se sont rejointes. ABSTRACT : In our tradition, metalanguage and autonymy find their roots in Greek thought (Porphyrus, III-IV cent. A.D.). Never- theless, we encounter them also in the falsafa (e.g. Frb, IV/X cent.) and, from then onwards, in the Arabic linguistic tradition. The second part of the article will be devoted to this logical-philosophical tradition in the ar al-Kfiya by the grammarian Ra al-dn al- Astarbd (VII/XIII cent.). In the first part of the article, however, starting from the study of ‘delocutive verbs’, we will deal with the gram- matical category of ikya (‘citation’), as depicted throughout the chapter that Za (IV/X cent.) dedicated to this subject in his Kitb al-umal. Finally, we will examine the extent to which these two traditions eventually joined. MOTS-CLÉS : Autonymie ; Métalangage ; Verbe délocutif ; Arabe classique ; Tradition linguistique arabe ; Falsafa ; ikya ; Astarbd ; Frb ; Za. KEY WORDS : autonymy ; metalanguage ; delocutive verb ; classical Arabic ; Arabic lin- guistic tradition ; Falsafa ; ikya ; Astar- bd ; Frb ; Za. INTRODUCTION Le concept d’autonymie est le corrélat, pour ainsi dire nécessaire, de celui de métalangage. On ne peut en effet utiliser le langage pour parler du langage lui- même sans donner aussitôt à l’élément linguistique dont on parle le statut d’autonyme. Cela apparaît avec une netteté admirable dans le texte fondateur en matière de métalangage, s’agissant du moins de notre tradition : le * Cet article est, au premier chef, un essai de synthèse d’éléments épars dans notre thèse (1980), ainsi que dans un certain nombre d’articles, notamment Larcher (1988). Il doit beaucoup aux amicales pressions d’Irène Rosier-Catach et de Jean-Luc Chevillard, ainsi qu’à la stimulante journée sur l’autonymie du 19 novembre 2004. Si la première partie est originale, la seconde reprend, sous une forme modifiée, le texte proposé à la Journée d'études « Sciences médiévales arabes du langage : lectures de textes » (Université de Lyon 2, 31 Mars 1999). L’introduction a été rédigée en souvenir des échanges, à la suite de cette journée, avec Claude Boisson, qui a montré le mésusage, fait par certains linguistes, de la notion de métalangage (Boisson 1999). Merci enfin à Claude Gilliot.

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Histoire Épistémologie Langage 27/I (2005) p. 93-114 © SHESL

L’AUTONYMIE DANS LA TRADITION LINGUISTIQUE ARABE

Pierre Larcher

Université de Provence (Aix-Marseille I)et UMR 6568 CNRS (IREMAM)

RÉSUMÉ : Dans notre tradition, métalan-gage et autonymie s’originent dans la pen-sée grecque (Porphyre, IIIe-IVe siècles ap.J.-C.). Mais on les retrouve aussi dans lafalsafa (e.g. F�r�b�, IVe/Xe siècles) et, de là,dans la tradition linguistique arabe. Dans laseconde partie de cet article, nousmontrerons l’importance de cette traditionlogico-philosophique dans le �ar� al-K�fiya du grammairien Ra�� al-d�n al-Astar�b�d� (VIIe/XIIIe siècles). Mais, dansla première partie, en partant des verbes« délocutifs », nous traiterons de lacatégorie grammaticale de �ik�ya (« cita-tion »), à travers le chapitre que luiconsacre Za����� (IVe/Xe siècle) dans leKit�b al-�umal. En conclusion, nous exa-minerons dans quelle mesure ces deuxtraditions se sont rejointes.

ABSTRACT : In our tradition, metalanguageand autonymy find their roots in Greekthought (Porphyrus, III-IV cent. A.D.). Never-theless, we encounter them also in the falsafa(e.g. F�r�b�, IV/X cent.) and, from thenonwards, in the Arabic linguistic tradition. Thesecond part of the article will be devoted tothis logical-philosophical tradition in the �ar�al-K�fiya by the grammarian Ra�� al-d�n al-Astar�b�d� (VII/XIII cent.). In the first part ofthe article, however, starting from the study of‘delocutive verbs’, we will deal with the gram-matical category of �ik�ya (‘citation’), asdepicted throughout the chapter that Za�����(IV/X cent.) dedicated to this subject in hisKit�b al-�umal. Finally, we will examine theextent to which these two traditions eventuallyjoined.

MOTS-CLÉS : Autonymie ; Métalangage ;Verbe délocutif ; Arabe classique ;Tradition linguistique arabe ; Falsafa ;�ik�ya ; Astar�b�d� ; F�r�b� ; Za�����.

KEY WORDS : autonymy ; metalanguage ;delocutive verb ; classical Arabic ; Arabic lin-guistic tradition ; Falsafa ; �ik�ya ; Astar�-b�d� ; F�r�b� ; Za�����.

INTRODUCTIONLe concept d’autonymie est le corrélat, pour ainsi dire nécessaire, de celui demétalangage. On ne peut en effet utiliser le langage pour parler du langage lui-même sans donner aussitôt à l’élément linguistique dont on parle le statutd’autonyme. Cela apparaît avec une netteté admirable dans le texte fondateuren matière de métalangage, s’agissant du moins de notre tradition : le

* Cet article est, au premier chef, un essai de synthèse d’éléments épars dans notre thèse(1980), ainsi que dans un certain nombre d’articles, notamment Larcher (1988). Il doitbeaucoup aux amicales pressions d’Irène Rosier-Catach et de Jean-Luc Chevillard, ainsiqu’à la stimulante journée sur l’autonymie du 19 novembre 2004. Si la première partie estoriginale, la seconde reprend, sous une forme modifiée, le texte proposé à la Journéed'études « Sciences médiévales arabes du langage : lectures de textes » (Université de Lyon2, 31 Mars 1999). L’introduction a été rédigée en souvenir des échanges, à la suite de cettejournée, avec Claude Boisson, qui a montré le mésusage, fait par certains linguistes, de lanotion de métalangage (Boisson 1999). Merci enfin à Claude Gilliot.

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Commentaire, par question et réponse, des Catégories d’Aristote, fait parPorphyre (234-vers 310) 1. Citons en ici le segment essentiel (p. 58-59 de l’éd.Busse) : « appeler une certaine chose or (…) relève de la première impositiondes noms, mais dire que le mot or est un nom relève de la seconde imposition »

. La première imposition relie un objet du monde à un mot dulangage, la seconde ce mot du langage à un autre mot, dont il devient, à sontour, l’objet. C’est ce fait qui explique l’ambiguïté de l’expression langue (oulangage)-objet, interprété par les uns comme langue d’objets et les autrescomme langage objet du métalangage. On le voit : si les deux impositions fontle départ entre mots ordinaires et mots métalinguistiques, la seconde, enattribuant au mot ordinaire la qualité de nom, ne fait pas seulement de celui-ciun mot métalinguistique, mais encore de celui-là un autonyme. On noteracependant que dans le texte même de Porphyre or n’est pas seulement désignécomme autonyme de manière syntaxique par le prédicat métalinguistique nom,mais encore de manière lexicale par son encadrement par l’expression, elle-même métalinguistique, de (…) .

Grâce à Boèce (480-524), traducteur en latin et commentateur d’Aristote etde Porphyre (et, soit dit entre parenthèses, le grand médiateur entre penséegrecque et monde latino-chrétien), la théorie des deux impositions de Porphyrefut connue tout au long du Moyen Age 2. Chez Boèce même, elle prend placedans son propre Commentaire des Catégories (éd. Migne, t. 64, p. 159) 3 : Ergoprima positio nominis secundum significationem vocabuli facta est, secundavero secundum figuram : et est prima positio, ut nomina rebus imponerentur,secunda vero ut aliis nominibus ipsa nomina designarentur (« Donc, lapremière imposition du nom se fait selon la signification du mot, la seconde,elle, selon sa forme. La première imposition est telle que les noms sontimposés aux choses ; la seconde, elle, est telle que les noms eux-mêmes sontdésignés par d’autres noms »). C’est en effet la conclusion que Boèce tire de laremarque qui précède : quod autem ipsum vocabulum, id est homo, nomenvocatur, non ad significationem nominis ipsius refertur, sed ad figuram,idcirco quod possit casibus inflecti (« mais du fait que le mot lui-même, c’est-à-dire homme, est appelé nom, on ne réfère plus à la signification du nom lui-même, mais à sa forme, en ce qu’il peut subir une flexion casuelle »). Làencore l’autonymie sort du métalangage. Homo devient un autonyme quand ondit qu’il est un nom déclinable.

Sous la plume d’un arabisant, la référence à Porphyre n’est pas innocente.Sous le nom, adapté à la phonologie arabe, de Furf�riy�s, il fut en effet aussi

1 Et non l’Isagoge du même auteur, comme l’écrit Rey-Debove (1978, p 5).2 Sur la postérité (et les avatars) médiévaux de la « deuxième imposition », et, notamment, la« supposition matérielle », cf. Rosier-Catach (2003a).3 Et non sa traduction de l’Isagoge, comme l’écrit Rey-Debove (1978, p 84).

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connu de la tradition arabo-musulmane 4. Certes, aujourd’hui, nous ne possé-dons plus, en arabe, qu’une seule de ses œuvres, l’Isagoge (’�s���). Nuldoute, cependant, que son Commentaire des Catégories était, directement ouindirectement, également connu. Langhade (1981, p 369) signale qu’al-F�r�b�(m. 339/950) 5 distingue les deux types d’imposition dans son Kit�b al-�ur�f(147.11 et suiv., en fait : 137.11, p. 148 de l’éd. Mahdi). Si l’on se reporte à cetouvrage, on peut lire en effet : « Les expressions, par lesquelles on interprètealors ces règles, deviennent les expressions qui existent en seconde imposition,mais les expressions premières sont celles qui existent en première imposition :les expressions existant en seconde imposition sont transférées des objetsqu’elles désignaient » 6. Notons que sous le nom de première et secondeimposition, F�r�b� désigne bien le mécanisme du métalangage, qui, pour lui,est essentiellement, non une « création » (i�tir�‘) de nouveaux termes, mais un« transfert » (naql) de mots ordinaires à l’expression de généralisations (kul-liyy�t wa-qaw�nn litt. « universaux et règles/lois » dans sa terminologie) con-cernant le langage. Un tel transfert est rendu nécessaire à la fois par la réflexionsur le langage et les besoins didactiques. Cette généralisation est dans la ligneporphyrienne : le mot nom désigne la classe dont le mot or est un élément.

Au IVe/Xe siècle, la falsafa n’est nullement confinée aux fal�sifa 7. Elleoblige les disciplines traditionnelles à mieux fonder leur discours. Engrammaire, par exemple, c’est l’époque où apparaissent à côté des ouvrages degrammaire des ouvrages sur la grammaire elle-même, comme le Kit�b al-�ud�d f l-na�w (« Livre des définitions grammaticales ») de Rumm�n� (m.384/994) ou le Kit�b al-’���� f ‘ilal al-na�w (« Le Livre de l’Explication surles justifications en matière de grammaire ») de Za����� (m. 337/949), quiadopte la forme « dialectique » par question et réponse. Au-delà même, lesbeaux esprits du temps se piquent tous plus au moins de falsafa. On nes’étonnera donc pas de trouver sous la plume d’al-Taw��d� (m. début Ve/XIe

siècle), qui fut en quelque sorte l’échotier de l’activité des cercles lettrés deBagdad, une juste expression pour désigner le métalangage : al-kal�m ‘al� al-kal�m (« le discours sur le discours »). L’expression est dans son Kit�b al-’Imt�‘ wa-l-mu’�nasa (II, 131). Il n’est pas inintéressant de dire un mot ducontexte où elle se trouve : dans une phrase répondant à une question sur lesmérites comparés de la prose et de la poésie ; « le discours sur le discours estdifficile » (al-kal�m ‘al� al-kal�m a‘b), commence par répondre la personneinterrogée, avant d’en dénoncer un peu plus loin le caractère tout à la foiscirculaire et équivoque : « quant au discours sur le discours, il tourne sur lui-

4 Il suffit de se référer ici à l’article « furf�riy�s » de EI 2.5 Les deux dates renvoient respectivement au calendrier hégirien et au nôtre.6 fa-ta r al-’alf�� allat yu‘abbar bih� �na’idin ‘an tilka al-qaw�nn al-’alf�� allat f al-wa�‘ al-��n wa-l-’alf�� al-’uwal hiya al-’alf�� allat f al-wa�‘ al-’awwal fa-l-’alf�� allat fal-wa�‘ al-��n manq�la ‘an al-ma‘�n allat k�nat tadullu ‘alayh�.7 Pour mémoire : falsafa et fal�sifa (pluriel de faylas�f) désignent, en arabe, la seulephilosophie « hellénisante » et ceux qui la pratiquent.

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même et l’un s’embrouille avec l’autre » (’amm� al-kal�m ‘al� al-kal�m fa-’innahu yad�ru ‘al� nafsihi wa-yaltabis ba‘�u-hu bi-ba‘�ihi) 8. On retrouve enfait ici la prévention anti-logiciste qui s’exprime, sans nuance aucune, dans le« dialogue » rapporté dans le même ouvrage (I, 108-128) entre le logicien Ab�Bi�r Matt� ibn Y�nus (m. 328/940) et le grammairien Ab� Sa’�d al-S�r�f� (m.368/978) . Si on relit d’un œil critique ce texte fameux, on verra combien ledébat est pipé : le logicien parle aussi peu que le grammairien d’abondance etce dernier le fait à l’instigation du pouvoir politique (le viz�r Ibn al-Fur�t), quin’est pas juge, mais partie… 9

La réaction anti-falsafa est déjà en marche, qui, au siècle suivant,s’incarnera dans al-�az�l� (m. 505/1111). Mais �az�l� n’est pas seulement lepourfendeur de la falsafa, auteur du trop fameux Tah�fut al-fal�sifa 10 : il estaussi celui qui, pour mieux la combattre, en intégrera la partie instrumentale (laLogique), au corps des disciplines traditionnelles : il est lui-même l’auteur d’untraité de Logique, le Mi‘y�r al-‘ilm. De sorte que tous les scholars musulmans,issus des madrasa-s et autres universités islamiques, avaient, jusqu’à daterécente, une culture logico-philosophique, souvent vaste, dont on trouvepartout la trace dans leurs écrits. S’agissant du métalangage en particulier, ontrouve chez les grammairiens postclassiques (al-muta’a��ir�n) une justedescription du mécanisme à l’origine de la terminologie grammaticale commeune métonymie du nom de la chose (mot ordinaire) pour celui de l’expressionlinguistique désignant cette chose (mot métalinguistique). Entre autres citationsfaites par Peled (1999), celle-ci, extraite du Kit�b ’Asr�r al-‘arabiyya (p. 6 denotre édition) de Ibn al-Anb�r� (m. 577/1181), est particulièrement éloquente(nous substituons notre traduction, à celle faite, en anglais, par Peled) : « Sil’on dit “Pourquoi le verbe [fi‘l] a-t-il été nommé fi‘l [acte] ?”, on répondra :parce qu’il désigne l’acte au sens propre. Ne vois-tu pas que si tu dis “il afrappé” [�araba], celui-ci désigne le fait même de frapper, qui est l’acte,proprement : du fait que le premier désigne le second, on l’a nommé ainsi : ils[les grammairiens] donnent à une chose le nom d’une autre, si celle-là estoriginellement liée à celle-ci. Et cela est fréquent dans leur discours » 11. C’est

8 Je dois cette référence à mon collègue Anouar Louca, qui l’avait mise en exergue d’un sienarticle (Louca 1987).9 Il en existe en français même deux versions : Abderrahmane (1978) et Elamrani-Jamal(1983). La polémique a également une dimension confessionnelle (le logicien, comme sonnom l’indique, est chrétien). On voit combien on est loin de la « légende dorée » d’undialogue…10 Auquel répondra, près d’un siècle après et à l’autre bout du monde musulman, IbnRu�d/Averroès (m.595/1198) par son Tah�fut al-Tah�fut. Là encore, on voit combien il estartificiel de parler d’un « débat » �az�l�/Ibn Ru�d, comme le font pourtant certains« spécialistes » occidentaux, qui ne semblent pas avoir une idée exacte de la chronologie etde la géographie du monde musulman…11 ’in qla li-m� summiya l-fi‘lu fi‘lan qla li-’annahu yadullu ‘al� l-fi‘li l-�aqq ’a-l� tar�’annaka ’id� qulta �araba dalla ‘al� nafs al-�arb allad huwa l-fi‘l f l-�aqqa fa-lamm�

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bien le « transfert » des logiciens, dénoncé comme créateur d’ambiguïté par lesnon-logiciens ! Même si la conscience de l’ambiguïté de la terminologiegrammaticale n’apparaît que tardivement, je ne pense pas que cela ait créé plusde problèmes aux grammairiens anciens qu’il n’en crée aux linguistesd’aujourd’hui : lequel d’entre nous n’emploie pas à tout instant des expressionstelles que présent, passé et futur pour désigner à la fois le temps présent, letemps passé et le temps futur et les formes du verbe dont ce sont,ordinairement, les valeurs temporelles ?

Pour nous, cette tradition logico-philosophique du métalangage, dont relèvela question, connexe, de l’autonymie, culmine cependant chez le grammairienRa�� al-d�n al-Astar�b�d� (m. 688/1289) : on pourrait écrire un article, voire unlivre entier, sur la place qu’occupent dans son œuvre métalangage etautonymie ! À défaut, nous nous contenterons de proposer, à titre d’illustration,dans la seconde partie de cet article, un texte extrait de son grand œuvre, quimontre le caractère tout à la fois sophistiqué et ludique de ces questions chezun savant du VIIe/XIIIe siècle.

À ce point, un lecteur attentif se demandera pourquoi diable l’auteur de ceslignes tout à la fois leade sur la tradition logico-philosophique et la relèguedans la seconde partie de son article. La raison est méthodologique.

Si l’on a à traiter, par exemple, de rhétorique dans la tradition arabe, on doittout à la fois : 1) se rappeler que rhétorique est un mot grec désignant l’artoratoire, qu’Aristote a écrit un traité de ce nom et que celui-ci, intégré, selonune tradition alexandrine tardive, à l’Organon a été traduit et commenté enarabe sous le nom d’al-�a��ba ; par suite, il existe en arabe même unerhétorique hellénisante, qui s’est développée dans le cadre de la falsafa et donttrès peu de chose est passée hors d’elle (Larcher, 1998a) ; et 2) oublier(volontairement et provisoirement bien sûr) 12 tout ce qui précède, sauf à êtreborgne ou atteint de strabisme ! Borgne en ne voyant pas qu’il existe sous lenom de bal��a un autre discours « rhétorique », qui n’est en rien un art oratoireà fin de persuader ; atteint de strabisme, en louchant exagérément sur lepremier pour traiter du second, alors qu’il n’existe pas entre les deux de paren-té, ni génétique, ni typologique, et même si des éléments ont pu passer de l’unà l’autre, dans un sens ou dans l’autre. Ce qui revient, au fond, à entendre rhé-torique non plus stricto sensu mais lato sensu (mais un tel élargissement est né-cessaire, même pour l’Antiquité grecque, où les discours rhétoriques ou encorelogiques ne se réduisent pas à l’enseignement d’Aristote et de ses disciples).

dalla ‘alayhi summiya bihi li-’annahum yusamm�na l-�ay’ bi-l-�ay’ ‘id� k�na minhu bi-sabab wa-huwa ka�r f kal�mihim.12 Il ne s’agit pas de tomber d’une ignorance dans l’autre ! Jadis, on traitait sousl’appellation (impropre) de « philosophie arabe », de la seule falsafa, qui, objectivement,n’est qu’un courant de pensée en islam, d’ailleurs très minoritaire et, en dépit ou à cause deson impact, finalement rejeté. A l’inverse, on voit aujourd’hui des arabisants occidentaux, nesachant plus ni grec ni latin, sans même parler d’autres langues sémitiques (commel’araméen), prendre pour « originaux » des éléments venant d’ailleurs et d’avant…

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Il en va de même de l’autonymie. Dans la mesure où métalangage et auto-nymie s’originent dans la pensée grecque, dont le monde musulman médiévalest également et à sa manière l’héritier, il est légitime, descendant le cours dutemps, de regarder ce qui a pu en passer, sur cette question, dans la traditionarabo-musulmane. Mais, dans la mesure où il existe un métalangage et uneautonymie « spontanés » (cf. ici-même, Moñino) ; dans la mesure où l’autony-mie est un procédé universel précédant, sinon génétiquement, du moins hiérar-chiquement le métalangage même (Rey-Debove 1978, p. 60) 13 ; dans la mesu-re, enfin, où la grammaire arabe traditionnelle s’est développée, pour l’essen-tiel, indépendamment de la logique grecque (même si, dès les origines, il a pu,de manière indirecte et diffuse, via le substrat syriaque, en passer des élé-ments) 14, il est alors non moins légitime de se demander s’il n’existe pas aussi,en la matière, une tradition autonome. Après tout, avant Porphyre, un gram-mairien grec comme Apollonius Dyscole (IIe siècle ap. J.-C.) non seulementpratique, mais encore pense l’autonymie, qu’il nomme : onoma tès phônès 15.

La quête d’une tradition autonome n’est généralement pas elle-même auto-nome. Pour la découvrir, le chercheur s’aide souvent des discours linguistiquescontemporains. Si l’on reprend l’exemple de la rhétorique, les linguistiquesénonciatives et pragmatiques d’aujourd’hui sont évidemment d’un grandsecours. Le risque est alors de verser dans l’anachronisme et le précursoris-me 16. Il peut être prévenu en ne détachant pas les éléments ainsi trouvés ducontexte, ou plutôt des contextes concentriques, où ils figurent : l’ouvrage oùon les trouve, la discipline dont cet ouvrage relève, le contexte historique qui avu naître et se développer cette discipline. Ainsi la rhétorique-bal��a n’est niun art oratoire, ni un art de persuader, partie du fait de l’inexistence en islamdes institutions politiques et judiciaires auxquelles est liée la rhétorique aristo-télicienne, partie du fait de l’existence d’une « Parole » (le Coran) mise audessus de toute autre et dont le destinataire n’est pas un spectateur et encoremoins un juge à convaincre, mais, déjà convaincu, un interprète… (Larcher,1998b, 2000).

Pour notre part, nous avons également rencontré l’autonymie dans latradition grammaticale et plus largement linguistique arabe par le biais d’unecatégorie moderne : celle, due au linguiste français Émile Benveniste (1902-

13 Pour nous, il y a une priorité génétique du métalangage sur l’autonymie et on ne peut par-ler de priorité hiérarchique de l’autonymie sur le métalangage que dans l’exacte mesure oùtous les mots ont un emploi autonyme, alors que seuls certains mots sont métalinguistiques.14 On pense, par exemple, aux trois parties du discours (nom, verbe et particule), qui ne sontpas sans rappeler les deux parties du discours (nom et verbe), auxquelles s’ajoutent lessyncategoremata, selon la division que Priscien, grammairien latin vivant à Constantinopleau VIe siècle, attribue aux « dialectici » (cf. Lalande, art. « catégorématique » et, pour unevue d’ensemble, le récent numéro d’HEL sur le sujet, présenté par Rosier-Catach (2003a).Ce numéro, toutefois, n’évoque pas une éventuelle descendance arabe).15 Je dois cette référence à Jean Lallot. On la trouvera dans son édition de la Syntaxe (I, § 37)d’Apollonius Dyscole (l997, p 107).16 Sur les malentendus pouvant en découler, cf., en particulier, Koerner (1993).

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1976), de verbe délocutif (Benveniste 1958 [1966]). On ne peut ouvrir unegrammaire ou un dictionnaire arabe ancien sans trouver aussitôt de tels verbes.Bien qu’ils ne portent pas de nom particulier dans la terminologiegrammaticale arabe, ils sont néanmoins signalés comme tels par leurparaphrase, où apparaît explicitement le verbe q�la « dire ». Il faut néanmoinsattendre les grammairiens postclassiques pour avoir un peu plus de précisions.Ibn M�lik (m. 672/1274) est l’un de ceux-là, qui écrit, dans le Tashl (p. 198), àpropos de la première forme quadrilitère fa‘lala : « elle peut être formée àpartir d’une [expression] complexe pour en abréger la citation » (wa-qadyu �gu min murakkab li-�ti �r �ik�yatihi), ajoutant dans le �ar� al-Tashl (t.III, p. 449) : « le [quadrilitère] qui a pour fonction d’abréger la citation, c’est,par exemple, basmala, �asbala, sab�ala, �amdala et a‘fala, si quelqu’un ditbi-smi-ll�hi l-ra�m�n al-ra�m [au nom d’Allah le clément, lemiséricordieux ], �asb ll�hu [Allah me suffit], sub��na ll�hi [Gloire àAllah !], al-�amdu li-ll�hi [Louange à Allah !] et a‘ala-n ll�hu fid�’a-ka[Allah me fasse ta rançon !] » 17. Un peu plus loin (p. 198), il indique que laforme II trilitère fa‘‘ala a la même fonction, avec ce commentaire (t. III, p.451) : « le [trilitère fa‘‘ala], qui a pour fonction d’abréger la citation, c’est, parexemple, ’ammana, ’ayyaha, ’affafa, sawwafa, sabba�a, �ammada et hallala,si quelqu’un dit ’�mn [Amen], y� ’ayyuh� [ô… !], ’uff [fi !], sawfa [il va(faire)], sub��na ll�hi [Gloire à Allah !], al-�amdu li-ll�hi [Louange à Allah !]et l� ’il�ha ‘ill� ll�hu [il n’est de dieu qu’Allah] » 18. Mais ici Ibn M�likajoute : « l’abréviation de la citation a pour sens que la base est dire ’�mn etdire y� ’ayyuh�, mais qu’on se trouve dispensé de ce dernier par la formationde fa‘‘ala » (wa-ma‘n� i�ti �r al-�ik�ya ’anna al-’a l q�la ’�mn wa-q�la y�’ayyuh� fa-’a�n� ‘an d�lika aw� fa‘‘ala). On pense évidemment àl’interprétation faite par Rey-Debove (1975, 1978, p. 162) des délocutifsbenvenistiens comme dénominatifs autonymiques, parce que dérivés, selonelle, d’un nom autonyme dans la structure profonde dire : X 19. Ce qui nousintéresse cependant ici, c’est l’apparition, sous la plume d’Ibn M�lik, du termede �ik�ya (que nous avons traduit par citation). C’est un terme aussi vieux quela grammaire arabe elle-même. S�bawayhi (m. 177/793 ?) en traite longuementdans son Kit�b, le premier traité complet de grammaire arabe qui nous soitparvenu. Mais comme ce traitement y est relativement épars, nous lui avonspréféré un ouvrage où il est concentré en un chapitre, en l’espèce le Kit�b al-

17 wa-llad li-�ti �r al-�ik�ya ka-basmala wa-�asbala wa-sab�ala wa-�amdala wa-a‘fala’id� q�la bi-smi-ll�hi l-ra�m�n al-ra�m wa-�asb ll�hu wa-sub��na ll�hi wa-l-�amdu li-ll�hi wa-a‘ala-n ll�hu fid�’a-ka.18 wa-llad li-�ti �r al-�ik�ya ka-qawlika ’ammana wa-’ayyaha wa-’affafa wa-sawwafa wa-sabba�a wa-�ammada wa-hallala ’id� q�la ’�min wa-y� ’ayyuh� wa-’uff wa-sawfa wa-sub��na ll�hi wa-l-�amdu li-ll�hi wa-l� ’il�ha ‘ill� ll�hu.19 Sur les différentes conceptions de la délocutivité, ainsi que sur les conséquences qu’onpeut tirer de la coexistence, en arabe, pour une même locution de deux délocutifs fa‘lala etfa‘‘ala, cf. Larcher (2003).

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umal de Za�����, grammairien que nous avons déjà cité ci-dessus pour unautre de ses ouvrages.

C’est à la �ik�ya que sera consacrée la première partie de cet article. Enconclusion, nous examinerons si ces deux traditions, la tradition grammaticalede la �ik�ya et celle logico-philosophique du métalangage et de l’autonymie, serejoignent en quelque manière.

PREMIÈRE PARTIE : LA �IK�YADANS UN TRAITÉ GRAMMATICAL ARABE DU IVe/Xe SIÈCLE

Le chapitre que Za����� consacre à la �ik�ya occupe les pages 312 à 331, soit20 pages sur les 367 pages que compte le texte proprement dit du Kit�b al-umal dans l’édition de référence, due à Ben Cheneb (402 pages avec lapréface, p. 1-16, et les index, p 384-402), soit un peu plus de 5% du total :proportion qui signale, d’entrée de jeu, l’importance ou la complexité du sujetpour la grammaire arabe traditionnelle.

Selon Za�����, la �ik�ya est de trois types (’a�rub) : 1) « au moyen dedire » (bi-l-qawl) ; 2) « au moyen de man (Qui ?) et ’ayy (Lequel ?) » ; 3)« citation des phrases » (�ik�yat al-umal). Il traite successivement, dans sonexposé, de ces trois types.

Le premier type correspond exactement à ce qu’on appelle dans notre tradi-tion « discours rapporté au style direct » (ou, par abréviation, « discoursdirect » ou « style direct »). Il s’agit d’un « énoncé autonome » (kal�m q�’imbi-nafsihi), dans le champ de q�la (« dire »), par exemple q�la Zaydun ‘Amrunmun�aliqun (« Zayd a dit : “ ‘Amr s’en va” ») : ‘Amr et mun�aliq y sont aunominatif, comme thème et propos d’une phrase à tête nominale, même sicelle-ci a la distribution d’un constituant à l’accusatif (f maw�i‘ na b) commecomplément d’objet direct du verbe q�la. Inversement, si on trouve un telconstituant dans le champ de q�la, il rapporte, non l’expression, mais le sensdu propos de quelqu’un d’autre (�akayta ma‘n� kal�mihi), par exemple qulta�aqqan (« tu as dit vrai ») en commentaire de l� ’il�ha ’ill� ll�hu (« il n’estdieu qu’Allah ») qu’on lui a entendu dire (d’un point de vue islamique, ce n’estpas une proposition vraie ou fausse, mais un dogme intrinsèquement vrai). Demême, si, par exception, on peut trouver, en phrase interrogative, un doubleaccusatif après q�la, une telle construction le détermine dans le sens de �anna(« penser »), e.g. ’a-taq�lu [= ta�unnu] Zaydan mun�aliqan (« Dirais-tu [=penses-tu] que Zayd s’en va ? »). Au dire des grammairiens, seul un groupetribal, celui des Ban� Sulaym, a un usage extensif de cette construction, quiimplique qu’on puisse également employer, après q�la, ’anna (« que »), qu’onemploie après �anna : précédemment, il a été indiqué qu’après q�la on trouvait’inna (et non ’anna) comme marque de la citation 20. Au terme de ce premier

20 ’inna et ’anna sont l’un et l’autre des opérateurs s’appliquant à une phrase à tête nomina-le, mais que le premier transforme en une autre phrase, et le second en constituant d’uneautre phrase. Néanmoins q�la ’inna… apparaît plutôt comme une structure intermédiaireentre discours rapporté au style direct et discours rapporté au style indirect : selon les

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développement, on retiendra esentiellement deux choses : 1) que �ik�ya toutcourt s’emploie au sens de �ik�yat laf�, c’est-à-dire comme citation, mention,reproduction, rapport d’une expression, ce qui n’empêche pas Za����� de con-cevoir la possibilité d’un �ik�yat ma‘n� ; 2) au sens technique �ik�ya s’opposeà ’i‘r�b, comme la reproduction d’un segment linguistique tel quel à laproduction de ce même segment avec la flexion désinentielle voulue par lasyntaxe.

L’exposé du second type est subdivisé en man d’une part, ’ayy d’autre partet celui de man subdivisé à son tour en « citation des noms propres » (�ik�yat’a‘l�m) d’une part, des « expressions indéfinies » (nakir�t) d’autre part. Cesdeux sous-types ne laissent pas d’être déroutants, par rapport à nos propreshabitudes. Le premier des deux consiste, quelqu’un ayant dit ra’aytu Zaydan(« j’ai vu Zayd »), à dire man Zaydan (« qui [est ce] Zayd [que tumentionnes] ? »). Dans cette structure, man est le thème et Zaydan le propos :on s’attendrait donc à avoir Zaydun au nominatif. On a pourtant Zaydan àl’accusatif, reproduisant l’accusatif du complément d’objet direct de lastructure précédente. Selon Za����� (ce qui est bien dans sa manière) 21, cetemploi est contrastif : « tu l’as produit, pour imiter l’expression de l’énoncia-teur, pour qu’il sache que c’est sur ce Zayd que tu l’interroges précisément, carles noms sont équivoques : si tu l’avais produit, en lui donnant sa flexionvéritable, il aurait pu s’imaginer que tu l’interroges sur un autre que celui qu’ila d’abord mentionné » 22. On peut raisonnablement douter que, dans un mêmecontexte, man Zaydun (vs. man Zaydan) puisse revenir à poser une questionsur un autre Zayd que celui dont on parle ! En fait cet emploi est éminemmentsuspect. D’abord, il n’en est donné que des « exemples de grammairien ».Ensuite, il est assorti de tant de conditions (dans le détail desquelles on ne peutentrer ici) qu’il n’en apparaît que plus « idéal ». Enfin et surtout, il est donnécomme propre aux gens du Hedjaz ! C’est bien ce qui alerte : pour des raisonsthéologiques, la manière de parler (lu�a) de ces derniers a été promue au rangde ’af a� al-lu��t al-‘arabiyya (« le plus châtié des parlers arabes »), qui, parréécriture, a donné l’expression al-lu�a al-fu �� 23. Cette dernière fait jusqu’aujour d’aujourd’hui en arabe le nom de l’arabe classique. Mais les données

exemples, ’inna appartient soit au discours rapporté, soit au discours rapportant, mais dansla mesure où il a un effet sur la tête nominale du discours rapporté, qu’il fait passer dunominatif à l’accusatif, celui-ci n’est plus exactement rapporté.21 Za����i (par exemple ’����, p. 89) s’efforce de montrer que la flexion désinentielle estpertinente en arabe classique, ce qui suffit évidemment à montrer qu’elle ne l’est pas !22 fa-i’ta bihi �ik�yatan li-laf� al-q�’il li-ya‘lam ’annaka ‘anhu tas’aluhu bi-‘aynihi li-’anna l-’asm�’ mu�taraka fa-law i’ta bi-hi mu‘rab f l-�aqqa la-�za ’an yatawahhama’annaka tas’aluhu ‘an �ayr man ibtada’a bi-dikrihi.23 Le Coran (14, 4) proclamant « nous n’avons envoyé d’envoyé que dans la langue de sonpeuple » (m� ’arsaln� min ras�lin ’ill� bi-lis�ni qawmihi), il en a été conclu que la languedu Coran était à la fois la langue de Mahomet (celui-ci, natif de la Mecque dans le Hedjaz,étant l’ « envoyé d’Allah » à son peuple, les Quray�) et la lu�a al-fu ��. Cette doubleéquation ne s’est définitivement imposée comme dogme qu’au IVe/Xe siècle.

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conservées par les grammairiens arabes eux-mêmes incitent à penser que leHedjaz était la zone d’Arabie, où la transition du type « ancien arabe » au type« néo-arabe » était la plus avancée 24. On peut donc y voir un flottement dansune flexion casuelle mal maîtrisée…

Plus curieux encore est le second sous-type. Il consiste, quelqu’un ayant dit�’an raulun (« est venu chez moi un homme ») à dire man� (« qui [est ce]« un [homme » que tu mentionnes] ? »), où –� est la prononciation pausale de–un, double marque du nominatif (-u) et de l’indéfini (nakira) de raul-un,qu’il reproduit. Il suffit pourtant d’observer qu’à �’an ri�lun (« il est venuchez moi des hommes ») correspond man�n, pour conclure que –�n(a), ici, ne« reproduit » rien du tout, mais transpose en marque du nominatif du plurielmasculin externe le pluriel interne (ri�l) au nominatif (-u-) et, par suite, qu’onimpute à la �ik�ya ce qui relève plutôt des traces d’une ancienne flexibilité deman, connue par d’autres langues sémitiques (cf. Rabin 1951, p. 189-190, 192n. 37) : man s’accorde ici en genre, nombre et cas, avec l’expression indéfiniequ’il reprend, la �ik�ya s’élargisant ainsi en direction de l’anaphore. Dans lemême contexte, ’ayy est susceptible du même traitement que man, saufqu’étant resté déclinable, il suit les mêmes règles, à la pause et en liaison, queles autres noms déclinables (i.e. il n’est pas nécessaire d’y ajouter un segment–� ou –).

Avec le troisième type (« citation des phrases »), on revient en terracognita, que les phrases citées aient par ailleurs ou non une fonction de« nomination » (tasmiya). Si elles n’en ont pas, on est, comme le montrent lesexemples de qara’tu/ta‘allamtu l-�amdu li-llahi rabb l-‘�lamn, dans ledomaine de l’autonymie pure : « j’ai lu (ou récité)/appris [les mots de] al-�amdu li-ll�hi rabbi l-‘�lamn [Louange à Allah, maître des mondes] ». Si ellesen ont une, comme �a’abba�a �arran (> �), surnom d’un célèbre poète-brigandpréislamique, elles y ajoutent la métonymie : c’est celui dont on dit (sens de laphrase) « il a mis un mal(heur) sous l’aisselle ». Dans la foulée, Za����� traited’ailleurs de la nomination, au moyen d’une expression complexe (autrequ’une phrase) ou incomplexe et qui, selon qu’elle est flexible ou non, sera, sielle est inflexible, « reproduite » telle qu’elle, ou si elle est flexible, soit« reproduite » avec sa flexion originelle (i.e. avant la nomination), soit produiteavec la flexion qui doit être la sienne selon sa fonction syntaxique.

Enfin, en appendice, Za����� traite du cas des mots écrits sur un anneau(��tam) ou le chaton (fa ) d’une bague et censés en désigner ou qualifier lepropriétaire, par exemple Zaydun ou ’asadun (« lion ») mis pour « ’an�

24 Si du moins l’on adopte le modèle traditionnel de la linguistique historique. Ce modèle estsouvent contesté pour l’arabe : soit que le type « ancien arabe » soit vu comme un trait dehaute antiquité n’ayant survécu que dans le registre poétique de la langue ; soit (hypothèserécurrente chez les arabisants depuis le XVIIIe siècle) que la flexion désinentielle, donnéecomme caractéristique de ce type, soit vue au contraire comme une innovation du seul arabeclassique ; soit enfin (rétroprojection des modèles utilisés pour décrire la situationcontemporaine de l’arabe : diglossie, continuum, variation inhérente…) que les deux typesaient d’une manière ou d’une autre coexisté.

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Zaydun/’asadun (« je suis Zayd/un lion »), et qui doivent être reproduits telsquels, i.e. ra’aytu f ��timihi Zaydun « J’ai vu sur sa bague Zayd ». Zaydunpeut être suivi du masculin ou du féminin du participe passif du verbe écrire,selon qu’on sous-entend kal�m (« énoncé ») ou umla (« phrase »), i.e. ra’aytuf ��timihi Zaydun makt�ban/makt�batan (« j’ai vu sur sa bague [l’énoncé/laphrase « je suis] Zayd » écrit/e »). Et ’asadun fera, dans le même contexte,avec ’asadan la différence entre une interprétation autonymique et uneinterprétation non-autonymique, i.e. ra’atyu f ��timihi ’asadun (vs ’asadan) :« j’ai vu sur sa bague [le mot] ’asad/ [l’image d’] un lion ».

Observons que le grammairien (ou son copiste) est le premier à ne passuivre ces règles, qui écrit [c’est moi qui souligne] : wa-’in ra’ayta fi-l-fa ’asadan �akaytahu fa-qulta f ��tamihi ’asadun ta’wluhu ’an� ’asadun fa-’inra’ayta �rat al-’asad f l-fa manq��a ’a‘rabtahu fa-qulta ra’aytu-hu f��timihi ’asadan (« Si tu vois sur le chaton [le mot] ’asad, tu le reproduis telquel et tu dis “sur sa bague, il y a [le mot] ’asad ”, s’interprétant comme “jesuis un lion”, mais si tu vois l’image d’un lion, sur le chaton, gravée, tu leproduis avec la flexion normale et dis “j’ai vu sur sa bague un lion” ». Lepremier ’asad est à l’accusatif, ce qui ne l’empêche pas d’être interprétécontextuellement comme « le mot ’asad » ; le second est au nominatif : il peuts’interpréter aussi bien comme « une image de lion » que « le mot lion »,même si, dans le contexte, il s’interprète comme « le mot lion » ; le troisièmeenfin est comme le premier à l’accusatif, mais s’interprète, contextuellement,comme « un[e image de] lion ». Moralité : le non respect des règles montrequ’en fait il n’y a pas de règle, mais seulement un principe, celui d’éviterl’ambiguïté, et que s’il n’y a pas d’ambiguïté, on peut parfaitement pratiquer,sur le plan syntaxique, le i‘r�b tout en ayant, sur le plan sémantique, l’effet dela �ik�ya.

Le grammairien nous fournit ainsi involontairement un critère distinctif, surlequel nous reviendrons en conclusion, entre �ik�ya dans la traditiongrammaticale, et autonymie dans la tradition logico-philosophique, dont nousallons maintenant parler.

DEUXIÈME PARTIE : TROIS JEUX PARADOXAUXSUR LE MÉTALANGAGE ET L’AUTONYMIE

DANS UN TRAITÉ GRAMMATICAL ARABE DU VIIe/XIIIe SIÈCLE

Le texte dans son contexte

Le texte qui nous sert d’illustration est extrait du �ar� al-K�fiya de Ra�i l-d�nal-Astar�b�d�. Comme son nom l’indique, il s’agit du commentaire d’unopuscule sur la syntaxe, la K�fiya f l-na�w, dû à un autre grammairien, Ibn al-��ib (m. 646/1249). Notre texte prend place, au tout début du �ar� al-K�fiya,dans le développement que Ra�� l-d�n al-Astar�b�d� consacre à la kalima (p. 2-7) :d'abord à sa définition (cf infra), puis à sa tripartition en ism, fi‘l et �arf (nom,

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verbe et particule) 25. C’est dans ce second alinéa qu’il figure plus précisément(p. 6-7) : après avoir justifié la hiérarchie de cette tripartition et avant de passer aukal�m, Ra�� l-d�n al-Astar�b�d� vérifie qu’elle est logiquement bien formulée(rôle des opérateurs de conjonction wa- « et » et de disjonction ’aw « ou ») etexhaustive (�a r). Bien qu’il forme une unité, ce texte peut à son tour sedécomposer en unités plus petites, en l'espèce trois.

1. Premier paralogismeSi l'on dit : tu as émis le jugement, sur le verbe et la particule, que chacun desdeux est un mot ; or le [mot] mot est un nom ; il s'ensuit donc nécessairementque tous deux sont des noms, je répondrai : si, en disant « le [mot] mot estun nom », tu as voulu dire que son expression est un nom, étant donnéqu'elle est affectée par la marque des noms, tels l'article et la nunnation, alorsc'est un sophisme, parce que ton discours a pour sens que le verbe est un mot,du point de vue du sens, et l'expression de mot un nom, ce qui n'amène pasla conclusion que le verbe est un nom, étant donné que le moyen terme ne faitpas une seule et même chose 26.

Mettons en forme le syllogisme :Le verbe et la particule sont des motssujet (mineur) prédicat (moyen terme)Or mot est un nomsujet (moyen terme) prédicat (majeur)Donc le verbe et la particule sont des nomssujet prédicat

Les deux premières propositions (qa�iyya) constituent les prémisses (muqad-dim�t), la troisième la conclusion (nata). On a, dans le texte, le verbe’antaa « produire une conclusion». Une proposition se compose d'un sujet etd'un prédicat, maw��‘ et ma�m�l. Mais une proposition énonçant unjugement (�ukm), et le verbe juger (�akama), que l'on trouve dans le texte, seconstruisant avec les prépositions ‘al� et bi-, on appelle souvent aussi sujet etprédicat al-ma�k�m ‘alayhi (= « ce sur quoi porte le jugement, l'objet dujugement ») et al-ma�k�m bi-hi (« ce qu'on en juge »). Je renvoie à l'article�ukm du Ka���f i �il���t al-fun�n de l'encyclopédiste al-Tah�naw� (m.1158/1745). Les prémisses, au nombre de deux, sont appelées mineure ( u�r�)et majeure (kubr�). La mineure d'un syllogisme est la prémisse qui contient le

25 Remarque : kalima correspond à ce que nous appelons dans notre tradition une partie dudiscours. Bien que nous le traduisions ici par « mot », une kalima ne coïncide ni avec le mot,ni avec le morphème. C’est en fait un constituant de l’énoncé.26 fa-’in qla �akamta ‘al� al-fi‘l wa-l-�arf ’anna kulla w��id minhum� kalima wa-l-kalimaism fa-yaibu ’an yak�n� ismayn qultu ’in ’aradta bi-qawlika ’inna al-kalima ism ’annalaf�ah� ism li-du��l ‘al�mat al-’asm�’ ka-l-l�m wa-l-tanwn ‘alayh� fa-huwa mu��la�a li-’anna ma‘n� kal�mi-ka ‘idan ’anna al-fi‘l kalima min �ay�u al-ma‘n� wa-laf� al-kalima ismwa-h�d� l� yuntiu ’anna al-fi‘l ism li-‘adam itti��d al-wasa�

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mineur ou petit terme. Et le mineur ou petit terme d'un syllogisme est le termequi, dans la conclusion, est sujet. Le mineur est donc ici « le verbe et la particule »et la mineure la première proposition. La majeure d'un syllogisme est celle des deuxprémisses qui contient le majeur ou grand terme. Et le majeur ou grand terme d'unsyllogisme est le terme qui, dans la conclusion, est prédicat. Le majeur est donc ici« nom » et la majeure la seconde proposition. La visualisation du syllogismedésigne aussitôt mot comme le moyen terme, c'est-à-dire le terme parl'intermédiaire duquel le majeur et le mineur sont mis en rapport ; qui parconséquent est commun aux deux prémisses et éliminé de la conclusion.

Si l'on remplace les trois termes mineur, majeur et moyen par S (= sujet,mineur), P (= prédicat, majeur) et M (= moyen terme) on a :

S est MOr M est PDonc S est P

C'est donc un syllogisme catégorique. Reste à en déterminer la figure et le mode. Lafigure est déterminée par la position que le moyen terme occupe, comme sujetou prédicat, dans la majeure et la mineure. Ici le moyen terme M est prédicat dans lamineure et sujet dans la majeure. C'est donc un syllogisme de la première figure.Quant au mode, il est déterminé par la quantité du sujet (universel = tout S ouparticulier = quelque S) et la qualité (affimatif/négatif) du prédicat (être/ne pasêtre P). Nous avons ici trois universelles affirmatives. C'est donc le premiermode de la première figure. C'est l'équivalent de notre Barbara, à unedifférence près : les logiciens de langue arabe présentaient la mineure avant lamajeure à l'inverse des logiciens de tradition occidentale :

kull ism mu’allaf [tout corps est composé]kull mu’allaf mumkin [tout composé est possible]kull ism mumkin [tout corps est possible]Tout S est Mor Tout M est Pdonc Tout S est P

dans la tradition occidentale nous aurions :Tout M est P (tout composé est possible)Or Tout S est M (or tout corps est composé)Donc Tout S est P (Tout corps est possible)

Ce syllogisme est néanmoins non concluant, car il est entaché d'un vice deforme qui en fait un paralogisme ou sophisme (mu��la�a). Un paralogisme ousophisme est un raisonnement faux. En principe, on distingue entre les deux selonque le raisonnement faux est fait de bonne foi ou, au contraire, avec l'intention detromper. Mu��la�a étant le nom d'action d'un verbe III transitif ��la�a-hu« chercher à tromper quelqu'un, l'induire en erreur », c'est le nom arabe dusophisme. Dans la mesure où l'arabe a également safsa�a (emprunt « arabisé » augrec) on peut néanmoins traduire par paralogisme.

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En quoi ce raisonnement est-il faux ? Où est le vice ? Dans le fait que lemoyen terme (wasa�) n'a pas le même sens dans les deux prémisses du syllogisme.Dans la première prémisse, mot est entendu avec le sens qui est le sien, c'est-à-dire cequi en constitue la définition i.e. al-kalima laf� maw��‘ li-ma‘n� mufrad (pourune traduction, cf. infra). Mais dans la seconde prémisse, mot n'est pasentendu dans un autre sens que le mot « mot ». Autrement dit, le paralogismerepose ici sur deux façons d'employer le mot de kalima : l'emploi ordinaire dansla première prémisse, un emploi autonymique dans la seconde prémisse. Dans lepremier cas, kalima réfère à une certaine classe d'objets ; dans le second il ne réfèrequ'à lui-même, devenant son propre nom (autonyme). Notons qu’en arabe, commeen latin, mais à la différence du français, rien de vient distinguer les deuxemplois. En latin, où il n’y a pas d’article, mus peut se lire, selon le contexte,soit comme « la souris », soit comme « le mot mus ». En arabe, où il y a unarticle, al-kalima peut se lire, selon le contexte, soit comme « le mot », soitcomme « le mot mot ».

2. Deuxième paralogismeEt, de même, si tu veux dire par là [i.e. en disant que le mot est un nom], quel'expression de ce qui est visé par mot est un nom, parce que le mot est uneexpression instituée pour une signification incomplexe et que toute expression, dela sorte, est un nom, parce qu'il est correct d'en asserter quelque chose, ne serait-ce qu'il indique un sens incomplexe, comme dans « �araba [« il a frappé »] indiqueun sens incomplexe » ou « �araba est un verbe passé», nous dirons : il s'agit encored'un sophisme, parce que ton discours, à savoir que le verbe est un mot et tout motun nom, a pour sens que le verbe est une expression instituée pour une significationincomplexe, quand on vise par cette expression [i.e. l'expression verbale] sonsens, celui pour lequel elle est instituée, comme dans �araba Zaydun [« Zayd afrappé »]), mais que toute expression de la sorte est un nom, quand on vise parlà simplement l'expression linguistique, comme quand tu dis « �araba est unverbe passé » et cela n'amène pas la conclusion que le verbe est un nom, du faitque le moyen terme n'est pas une seule et même chose 27.

Le second paralogisme est autrement coriace que le premier. D'abord on necomprend rien, et, en particulier, quel sens donner à la majeure du syllogisme :

Le verbe est un mot (mineure)Tout mot est un nom (majeure)Donc le verbe est un nom (conclusion).

Dans les cas de ce genre, il ne faut pas renoncer, mais au contraire prendre appui surles éléments clairs pour éclairer les éléments obscurs. L'élément clair, ce sont

27 wa-kad� ’in ’aradta bihi ’anna laf� ma‘n� al-kalima ism li-’annah� laf� d�ll ‘al� ma‘n�mufrad wa-kull laf� h�kad� ism li-’anna-hu ya a��u al-’i�b�r ‘anhu wa-law bi-’annahud�ll ‘al� ma‘n� mufrad kam� taq�lu �araba d�ll ‘al� ma‘n� mufrad ’aw taq�lu �araba fi‘lm��in fa-naq�lu h�d� ’ay�an mu��la�a li-’anna ma‘n� kal�mika wa-huwa ’anna al-fi‘lkalima wa-kull kalima ism ’anna al-fi‘l laf� wu�i‘a li-ma‘n� mufrad ’id� ’urda bi-d�lika al-laf� ma‘n�-hu al-lad al-maw��‘ huwa lahu kam� f �araba Zaydun wa-kull laf� h�kad� ism’id� ’urda bihi muarrad al-laf� kam� f qawli-ka �araba fi‘l m��in wa-h�d� l� yuntiu’anna al-fi‘l ism li-‘adam itti��d al-wasa�.

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les deux exemples donnés « �araba indique un sens incomplexe »/ « �araba est unverbe passé ». Dans ces deux propositions �araba est un autonyme et parconséquent un nom. La qualité de nom de l'autonyme est établie ici de manièresyntaxique, par le fait qu'il peut être le sujet d'une phrase : ici ce n'est plus levocabulaire logique, mais le vocabulaire grammatical qui est employé. Laproposition (qa�iyya) devient une phrase affirmative (umla �abariyya) oùl'énonciateur asserte (yu�bir) de quelque chose (‘an �ay’) quelque chosed'autre (bi-�ay’). Dans la phrase donnée en exemple �araba sera dit al-mu�bar‘anhu (litt. « ce sur quoi se fait l’assertion ») et d�ll ‘al� ma‘n� mufrad(« indique une signification incomplexe ») ou fi‘l m�� (« [est] un verbepassé ») al-mu�bar bi-hi (« ce qu'on en asserte »). Si, maintenant, fort de cesexemples, on régresse dans le texte, on comprend que �araba n’est rien d'autrequ'un objet, parmi d'autres, de la classe d'objets désignée par kalima et que leparalogisme cette fois-ci ne s'appuie plus sur l'autonymie de kalima dans laproposition al-kalima ism (« le mot “mot” est un nom »), mais, pargénéralisation, sur la propriété qu’a tout mot d’être un nom comme sujetautonyme d’une proposition à prédicat métalinguistique.

Le grammairien atteint en effet l’autonymie par le métalangage. Il part de ladéfinition de kalima comme laf� maw��‘ li-ma‘n� mufrad (« expression insti-tuée pour un sens incomplexe »). Cette définition désigne kalima comme unmot métalinguistique. Est métalinguistique, dans la terminologie arabe, uneexpression qui a elle-même pour ma‘n� un laf�. Avec une telle définition dekalima, qui en constitue son sens, la proposition universelle « tout mot est unnom » ne fait pas sens, ou, plutôt est fausse : comme classificateur métalin-guistique, kalima est en effet un genre sous lequel sont subsumées troisespèces : outre le nom, le verbe et la particule. Serait donc seule vraie laproposition particulière « quelque mot est nom ». Pour assigner une valeur devérité à la proposition « tout mot est un nom », il faut ajouter, ou substituer, àsa définition, par le genre et la différence spécifique, une propriété, celle d’êtresusceptible d’être pris comme sujet d’une proposition. La majeure est donc laconclusion d’un syllogisme implicite, dont le grammairien ne donne que deuxpropositions : « tout mot est une expression instituée pour un sensincomplexe » et « toute expression de ce type est un nom, parce qu’on peut enasserter quelque chose ». La première proposition est purement définitoire,destinée à assurer la substituabilité du definiendum et du definiens commetermes des propositions constitutives du syllogisme. La seconde, complexe, estla formulation en langage naturel (sous forme d’une causale q, parce que p), dece qui, en bonne logique, devrait être développé en syllogisme hypothétiquemodus ponens si p, q ; or p ; donc q :

Si on peut asserter quelque chose d'une expression de ce type, cette expressionest un nomOr on peut asserter de cette expression quelque choseDonc cette expression est un nom

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Ou (ordre oriental) :On peut asserter quelque chose de toute expression de ce typeOr si on peut en asserter quelque chose, toute expression de ce type est un nomDonc toute expression de ce type est un nom

Le premier syllogisme est alors faux, parce que le moyen terme kalima n’y apas le même sens dans les deux prémisses : dans la première il est entendudans le sens qui est le sien de par sa définition, c'est-à-dire essentiellementcomme une expression, mais dans la seconde il est entendu dans le sens quidevient le sien par accident, c'est-à-dire comme expression de l’expression.C’est ce sens qui est visé par la formulation, apparemment embarrassée, de laf�ma‘n� al-kalima. Le ma‘n� al-kalima, comme le rappelle en marge du �ar� al-K�fiya, le polygraphe ‘Al� b. Mu�ammad, dit al-Sayyid al-ar�f, al-�ur��n�(m. 816/1413), c’est un laf�. On vise donc bien ici, non le laf�, mais le laf� dulaf�, c’est-à-dire non le mot, mais le mot (quel qu’il soit) pris comme sa propredésignation. On pourrait dire également que les deux sens (métalinguistique etautonymique) de kalima font la différence entre deux définitions, respecti-vement intensionnelle et extensionnelle, de celui-ci. En extension, kalima c’estla classe des objets x, y, z… : dans une définition de ce type, les objets désignéspar kalima ont le statut d’autonyme. Notons enfin et pour être complet que setrouve exclue une autre interprétation possible de la proposition « tout mot estun nom », de type sémiotique. On aurait pu y songer dans la mesure où on larencontre dans les textes et, par exemple, le �ar� �ud�r al-dabab (p. 14) de IbnHi��m al-’An��r� (m. 761/1361). Celui-ci distingue entre deux sens, techniqueet non technique, de ism, écrivant : « le nom, dans la terminologiegrammaticale, est ce qui indique un sens en lui-même, sans être connecté à l’undes trois temps et, dans la langue, le signe de la chose, c’est-à-dire sa marque,et sous ce rapport, il regroupe les trois classes de mots, car chacune d’entreelles est une marque de l’objet qu’elle signifie » 28.

3. Une contradiction (tan�qu�)Et si l'on dit : « si [des expressions] telles que min [« de »] et �araba, quand tudis « min est une particule du génitif [i.e. = préposition] » et « �araba est unverbe passé » sont des noms, comment se fait-il que tu aies asserté de lapremière qu'elle était une particule et de la seconde un verbe ? Qu'est-ce sinonune contradiction ? » Je répondrai : on n'a pas voulu dire que min, dans cetteconstruction, était une particule ni �araba un verbe, mais le sens est que quand minest employé dans le sens pour lequel il a été institué premièrement, ainsi �aratumina-l-K�fa [« je suis sorti de Koufa »], il est une particule et, de même, �arabaun verbe passé dans un énoncé tel que �araba Zaydun [« Zayd a donné descoups »] 29.

28 fa-l-ism f l-i �il�� m� dalla ‘al� ma‘n� f nafsihi �ayr muqtarin bi-’a�ad al-’azmina al-�al��a wa-f al-lu�a simat al-�ay’ ’ay ‘al�matu-hu wa-huwa bi-h�d� al-i‘tib�r ya�mulu al-kalim�t al-�al�� fa-’inna kullan minh� ‘al�ma ‘al� ma‘n�-hu.29 fa-’in qla fa-’id� k�na na�w min wa-�araba f qawlika min �arf arr wa-�araba fi‘l m��inismayn fa-kayfa ’a�barta ‘anhum� bi-’anna al-’awwal �arf wa-l-��n fi‘l wa-hal h�d� ’ill�

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Le troisième passage n'est pas un paralogisme, mais une contradiction. Dans cetteespèce de dialogue, réel ou fictif, que constitue le traité, l'élève cherche à mettrele maître en contradiction avec lui-même, en lui faisant à l'envers le coup del'autonymie. Notons que dans son propre commentaire de ce passage al-�ur��n�a une expression tout à fait adéquate pour désigner l'autonyme, écrivant en effet« il veut dire que le mot min, dans cette construction, est un nom désignant sonexpression » (ya‘n ’anna kalimat min f h�d� l-tarkb ism yadullu ‘al� laf�ihi).Le maître ayant dénoncé comme paralogisme un syllogisme reposant sur deuxemplois différents, l'un ordinaire et l'autre autonymique, du moyen terme, l'élèvedénonce comme contradictoire une proposition dont le sujet, autonyme, est,par là-même, un nom et le prédicat métalinguistique énoncé de ce « nom »qu'il est une particule et un verbe. Rappelons qu'une contradiction est la relationqui existe entre l'affirmation et la négation d'un même élément de connaissance(Lalande), entre deux termes (A et non A) ou deux propositions (p et non-p) et, parmétonymie, le caractère d'un terme ou d'une proposition qui réunit des élémentsincompatibles (contraires ou contradictoires), ce qui est le cas ici. Bien sûr, lacontradiction n’est qu’apparente. Elle repose, comme précédemment pour le moyenterme des paralogismes, sur le double sens du sujet de la proposition, comme le noteen conclusion le grammairien, après avoir donné deux autres exemples de telles« contradictions » : « dans tout cela, il y a deux thèmes : l’un est ce dont on jugequelque chose et qui est mentionné dans ton expression ; l’autre est ce dont on juge lecontradictoire de cette chose et qui est désigné métonymiquement par ton expression.Il n’en suit donc pas de contradiction, car il ne peut y avoir de contradiction que si lesdeux sujets sont une seule et même chose » 30.

Mais ce troisième et dernier passage est intéressant par le fait que l'expression ex-plicite de « première imposition » pour désigner l'emploi non-autonymique d'unsigne implique celle de « seconde imposition » pour en désigner l'emploi auto-nymique. Ce qui confirme que, dans la tradition logico-philosophique, pre-mière et seconde imposition ne font pas simplement le départ entre mots ordi-naires et mots métalinguistiques, mais, plus exactement, entre emploi ordinaireet emploi métalinguistique des mots. Le wa�‘ est en effet un processus, qui meten relation deux termes. Dans la première imposition, « ce qui est imposé » (al-maw��‘), c’est une expression (laf�) et « ce pour quoi on l’impose » (al-maw�u‘ lahu) son ma‘n�. Dans la seconde, ce qui est imposé, c’est toujoursune expression, mais ce pour quoi on l’impose, son ma‘n�, ce n’est pas tantune expression que l’autonyme de cette expression. Si la première impositionmet en relation un mot et une chose, la seconde met en relation un mot métalin-guistique et un mot autonyme. Dans l’usage des grammairiens arabes,

tan�qu� qultu lam yurad ’anna min f h�d� al-tarkb �arf wa-�araba fi‘l bal al-ma‘n� ’annamin ’id� stu‘mila f al-ma‘n� allad wu�i‘a lahu ’awwalan na�w �aratu min al-K�fa �arfwa-kad� �araba fi‘l m�din f �araba Zaydun.30 wa-f am‘d�lika mubtada’�ni ’a�adu-hum� ma�k�m ‘alayhi bi-�ay’ wa-huwa al-madk�r flaf�ika wa-l-’��ar ma�k�m ‘alayhi bi-naq� d�lika wa-huwa al-makn bi-laf�ika ‘anhu fa-l�yalzamu al-tan�qu� li-’anna al-tan�qu�l� yak�nu ’ill� ma‘a itti��d al-maw��‘ayn.

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« seconde imposition » renvoie aussi bien à l’emploi autonymique des motsqu’à leur emploi métalinguistique, parce qu’il s’agit des deux faces d’un mêmeprocessus. On reste, me semble-t-il, fondamentalement dans la ligne porphy-rienne : si l’or est un métal, ce qui est un nom, c’est le mot or.

CONCLUSIONLes deux traditions, grammaticale de la �ik�ya et logico-philosophique dumétalangage et de l’autonymie, se sont-elles, peu ou prou, rejointes ? La répon-se est oui et elle se trouve, là encore, dans le �ar� al-K�fiya de Ra�� al-d�n al-Astar�b�d�, à propos de la catégorie des ’asm�’ al-’af‘�l. Les grammairiensarabes appellent ainsi des « noms » ayant pour « dénommé » (musamm�) unverbe, à l’impératif ou l’indicatif, par exemple ah (« Chut ! ») = uskut (« Tais-toi ! ») 31. La catégorie correspond donc, fonctionnellement, à ce que nous ap-pelons « interjections ». Elle fait une première entrée dans le �ar� al-K�fiya,dès la première partie. La définition du nom (« ce qui a une signification enlui-même, sans connexion à l’un des trois temps ») amène le grammairien àcelle du verbe (« ce qui a une signification en lui-même, avec connexion à l’undes trois temps ») et à énumérer tout ce qui s’en trouve exclu : « de même s’entrouvent exclus les ’asm�’ al-’af‘�l, parce que cela [i. e. la connexion autemps] s’y trouve non du fait de la première imposition, mais du fait de laseconde, comme il sera dit au chapitre les concernant » (wa-kad� ya�ru’asm�’ al-’af‘�l li-’anna d�lika fh� laysa bi-l-wa� ‘ al-’awwal bal bi-l-wa�‘al-��n kam� ya’ f b�bih�). Un ism fi‘l est un nom, non un verbe, même s’ilen a le sens. C’est seulement l’expression métalinguistique de ism fi‘l qui meten relation ah et le verbe uskut. Au chapitre des ’asm�’ al-’af‘al (II, p. 67), ilrevient en effet sur la question, en rejetant une possible interprétation exten-sionnelle de l’étiquette, au profit d’une interprétation exclusivement intension-nelle : « D’aucuns ont dit que ah, par exemple, est le nom de l’expressionuskut (et c’est celle-ci qui marque le sens du verbe), de sorte qu’il est un nompropre de l’expression du verbe, non de son sens, mais ce n’est rien du tout !Le pur Arabe, en effet, peut dire ah, sans penser à l’expression uskut, ni mêmel’avoir jamais entendue. Si l’on avait dit que c’est un nom de u mut [« faissilence »] ou de imtani‘ ou kuff ‘an al-kal�m [« abstiens-toi ou cesse deparler » ] ou d’une autre expression véhiculant ce sens, c’eût été correct : noussavons que ce qu’on entend par ism al-fi‘l, c’est le sens, non l’expression » 32.

Les ’asm�’ al-’af‘�l sont « inflexibles » (mabn), i.e. non sujets à flexioncasuelle. Traitant de l’un d’eux (II, p. 72), �ayya, il note qu’il peut se combiner

31 Sur la conception et le classement original, par rapport aux autres grammairiens arabes,qu’en propose Ra�� al-d�n al-Astar�b�d�, cf. Larcher (1992).32 wa-laysa m� q�la ba‘�uhum ’inna ah ma�alan ism li-laf� uskut allad huwa d�ll ‘al� ma-‘n� al-fi‘l fa-huwa ‘alam li-laf� al-fi‘l l� li-ma‘n�-hu bi-�ay’ ’id al-‘arab al-qu�� rubbam�yaq�lu ah ma‘a ’annahu l� ya��iru bi-b�lihi laf� uskut wa-rubbam� lam yasma‘-hu ’a lanwa-law qulta ’innahu ism li-u mut aw imtani‘ ’aw kuff ‘an al-kal�m ’aw �ayr d�lika mimm�yu’add h�d� al-ma‘n� la- a��a fa-‘alimn� ’anna al-maq �d minhu al-ma‘ l� al-laf�.

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avec hal-, la combinaison �ayyahal- connaissant plusieurs variantes (lu��t),qu’il énumère, avant de citer ce vers : fa-hayyaa-l-�ayya min Kalbin fa-�allalahum / yawmun ka�run tan�dhi wa-�ayyahaluh. Grâce à la �iz�nat al-’adab(t. VI, p. 266-267) de Ba d�d� (m. 1093/1682), qui est au premier chef uncommentaire des vers témoins (�aw�hid) du �ar� al-K�fiya, le vers peut secomprendre ainsi : « Il dispersa le clan des Kalb qui passèrent un jour entier às’appeler les uns les autres et en Hé ! Ho ! ». Dans le vers �ayyahal- est traitécomme un nom au nominatif (marqué par la voyelle u) et suivi d’un pronomaffixe –hu (> -h à la pause : litt. Son Hé ! Ho !), ce que le grammairiencommente en ces termes : « quant à la voyelle u du l, c’est une voyelle deflexion (…) : c’est que toute expression non flexible, autre qu’une phrase, àlaquelle se rapporte, en tant qu’expression, un jugement peut faire l’objet d’unecitation, ainsi quand on dit « �araba est un verbe passé » 33. Et d’ajouter un peuplus loin : « l’expression du poète tan�dhi wa-�ayyahaluh, elle a été fléchie et,ce, parce qu’elle est devenue un nom du mot, comme il sera dit au chapitre dunom propre » 34. Ce qui est intéressant pour nous, ici, c’est que le grammairienemploie le terme de �ik�ya à propos de cet autonyme-type, qu’est, dans latradition logico-grammaticale, �araba comme sujet d’une proposition àprédicat métalinguistique (« est un verbe passé »). Inversement il emploiel’expression de « nom du mot », qui est chez lui le nom de l’autonyme, maisnon, du moins explicitement, celle de �ik�ya, à propos de hayyahaluh dans levers du poète. La raison est purement formelle et apparaît clairement dans cettedouble définition de la �ik�ya que donne al-�ur��n� dans un autre de sesouvrages, le Kit�b al-Ta‘rf�t (p. 96) : « la citation désigne le transfert d’unmot d’une position à une autre, sans changement de voyelle ni de forme. C’est,a-t-on dit, l’occurrence de l’expression telle qu’elle était auparavant » 35 et « lacitation, c’est employer un mot en le transférant d’une première place à uneseconde en conservant son état premier et sa forme » 36.

Enfin, si l’on se reporte au chapitre du nom propre, on peut lire (II, 136) :« sache que quand on vise par un mot cette expression, sans son sens, ainsiquand on dit “ ’ayna [où] est un mot interrogatif” et “ �araba est un verbepassé”, celui-ci est un nom propre et, ce, parce qu’un tel [signe] est instituépour un objet spécifique, sans rien englober d’autre, et il fait l’objet d’untransfert, parce qu’il est transféré d’un signifié qui est le sens à un autre

33 fa-�ammat al-l�m �arakat i‘r�b (…) wa-d�lika ’anna kull laf� mabn �ayr umla nusiba’il� laf�ihi �ukm �za ’an yu�k� ka-qawlika �araba fi‘l m��in.34 wa-qawluhu tan�dhi wa-�ayyahaluh fa-’u‘riba wa-d�lika li-’annahu �ra isman li-l-kalima kam� ya’ f b�b al-‘alam35 al-�ik�ya ‘ib�ra ‘an naql kalima min maw�i‘ ’il� maw�i‘ ’��ar bil� ta�yr �araka wa-l�tabdl �a wa-qla al-�ik�ya ’ity�n al-laf� ‘al� m� k�na ‘alayhi min qabl.36 al-�ik�ya isti‘m�l al-kalima bi-naqlih� min al-mak�n al-’awwal ’il� al-mak�n al-’��arma‘a istibq�’ ��lih� al-’�l� wa- uwarih�.

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signifié qui est l’expression » 37. Ainsi est explicitement confirmé ce qui étaitjusqu’ici implicitement suggéré : que, pour le grammairien, l’autonyme est unnom propre, qui n’a pas d’autre signifié que son propre signifiant. Par ailleurs,le terme de naql (« transfert ») confirme que, pour le grammairien,métalangage et autonymie relèvent l’un comme l’autre de la métonymie.

Le grammairien oriental du VIIe/XIIIe siècle, écrivant en arabe, tout commeson contemporain occidental écrivant en latin, renvoient donc le linguiste duXXIe siècle à des questions toujours actuelles (cf. Rey-Debove 1978 et ici-même De Brabanter) : quels rapports entre autonyme et nom propre ? Le signi-fié d’un signe autonyme, est-ce tout le signe ou seulement son signifiant ? Lediscours rapporté est-il un cas particulier d’autonymie ou doit-on le subsumer,avec celle-ci, sous une catégorie plus vaste comme celle de mention ?

Adresse de l’auteur :Université de Provence

UFR ERLAOS (département ABTHIS)29, avenue Robert Shuman

13621 Aix-en-Provence Cedex [email protected]

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